A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
GS. m. (Gramm.) c'est la troisieme lettre de l'alphabet des Orientaux & des Grecs, & la septieme de l'alphabet latin que nous avons adopté.

Dans les langues orientales & dans la langue greque, elle représentoit uniquement l'articulation gue, telle que nous la faisons entendre à la fin de nos mots françois, digue, figue ; & c'est le nom qu'on auroit dû lui donner dans toutes ces langues : mais les anciens ont eu leurs irrégularités & leurs écarts comme les modernes. Cependant les divers noms que ce caractere a reçus dans les différentes langues anciennes, conservoient du-moins l'articulation dont il étoit le type : les Grecs l'appelloient gamma, les Hébreux & les Phéniciens gimel, prononcé comme guimauve ; les Syriens gomal, & les Arabes gum, prononcé de la même maniere.

On peut voir (article C & méth. de P. R.) l'origine du caractere g dans la langue latine ; & la preuve que les Latins ne lui donnoient que cette valeur, se tire du témoignage de Quintilien, qui dit que le g n'est qu'une diminution du c : or il est prouvé que le c se prononçoit en latin comme le kappa des Grecs, c'est-à-dire qu'il exprimoit l'articulation que, & conséquemment le g n'exprimoit que l'articulation gue. Ainsi les Latins prononçoient cette lettre dans la premiere syllabe de gygas comme dans la seconde ; & si nous prononçons autrement, c'est que nous avons transporté mal-à-propos aux mots latins les usages de la prononciation françoise.

Avant l'introduction de cette lettre dans l'alphabet romain, le c représentoit les deux articulations, la forte & la foible, que & gue, & l'usage faisoit connoître à laquelle de ces deux valeurs il falloit s'en tenir : c'est à-peu-près ainsi que notre s exprime tantôt l'articulation forte, comme dans la premiere syllabe de Sion, & tantôt la foible, comme dans la seconde de vision. Sous ce point de vûe, la lettre qui désignoit l'articulation gue, étoit la troisieme de l'alphabet latin, comme de celui des Grecs & des Orientaux. Mais les doutes que cette équivoque pouvoit jetter sur l'exacte prononciation, fit donner à chaque articulation un caractere particulier ; & comme ces deux articulations ont beaucoup d'affinité, on prit pour exprimer la foible le signe même de la forte C, en ajoûtant seulement sur sa pointe inférieure une petite ligne verticale G, pour avertir le lecteur d'en affoiblir l'expression.

Le rapport d'affinité qui est entre les deux articulations que & gue, est le principe de leur commutabilité, & de celle des deux lettres qui les représentent, du c & du g ; observation importante dans l'art étymologique, pour reconnoître les racines génératrices naturelles ou étrangeres de quantité de mots dérivés : ainsi notre mot françois Cadix vient du latin Gades, par le changement de l'articulation foible en forte ; & par le changement contraire de l'articulation forte en foible, nous avons tiré gras du latin crassus ; les Romains écrivoient & prononçoient indistinctement l'une ou l'autre articulation dans certains mots, vicesimus ou vigesimus, Cneius ou Gneius. Dans quelques mots de notre langue, nous retenons le caractere de l'articulation forte, pour conserver la trace de leur étymologie ; & nous prononçons la foible, pour obéir à notre usage, qui peut-être a quelque conformité avec celui de la latine ; ainsi nous écrivons Claude, cicogne, second, & nous prononçons Glaude, cigogne, segond. Quelquefois au contraire nous employons le caractere de l'articulation foible, & nous prononçons la forte ; ce qui arrive surtout quand un mot finit par le caractere g, & qu'il est suivi d'un autre mot qui commence par une voyelle ou par un h non aspiré : nous écrivons sang épais, long hyver, & nous prononçons san-k-épais, lon-k-hyver.

Assez communément, la raison de ces irrégularités apparentes, de ces permutations, se tire de la conformation de l'organe ; on l'a vû au mot FREQUENTATIF, où nous avons montré comment ago & lego ont produit d'abord les supins agitum, legitum, & ensuite, à l'occasion de la syncope, actum, lectum.

L'euphonie, qui ne s'occupe que de la satisfaction de l'oreille, en combinant avec facilité les sons & les articulations, décide souverainement de la prononciation, & souvent de l'ortographe, qui en est ou doit en être l'image ; elle change non-seulement g en c, ou c en g ; elle va jusqu'à mettre g à la place de toute autre consonne dans la composition des mots ; c'est ainsi que l'on dit en latin aggredi pour adgredi, suggerere pour sub-gerere, ignoscere pour in-noscere ; & les Grecs écrivoient , quoiqu'ils prononçassent comme les Latins ont prononcé les mots angelus, ancora, Anchises, qu'ils en avoient tirés, & dans lesquels ils avoient d'abord conservé l'ortographe greque, aggelus, agcora, Agchises : ils avoient même porté cette pratique, au rapport de Varron, jusque dans des mots purement latins, & ils écrivoient aggulus, agceps, iggero, avant que d'écrire angelus, anceps, ingero : ceci donne lieu de soupçonner que le g chez les Grecs & chez les Latins dans le commencement, étoit le signe de la nasalité, & que ceux-ci y substituerent la lettre n, ou pour faciliter les liaisons de l'écriture, ou parce qu'ils jugerent que l'articulation qu'elle exprime étoit effectivement plus nasale. Il semble qu'ils ayent aussi fait quelque attention à cette nasalité dans la composition des mots quadringenti, quingenti, où ils ont employé le signe g de l'articulation foible gue, tandis qu'ils ont conservé la lettre c, signe de l'articulation forte que, dans les mots ducenti, sexcenti, où la syllabe précédente n'est point nasale.

Il ne paroît pas que dans la langue italienne, dans l'espagnole, & dans la françoise, on ait beaucoup raisonné pour nommer ni pour employer la lettre G & sa correspondante C ; & ce défaut pourroit bien, malgré toutes les conjectures contraires, leur venir de la langue latine, qui est leur source commune. Dans les trois langues modernes, on employe ces lettres pour représenter différentes articulations ; & cela à-peu-près dans les mêmes circonstances : c'est un premier vice. Par un autre écart aussi peu raisonnable, on a donné à l'une & à l'autre une dénomination prise d'ailleurs, que de leur destination naturelle & primitive. On peut consulter les Grammaires italienne & espagnole : nous ne sortirons point ici des usages de notre langue.

Les deux lettres C & G y suivent jusqu'à certain point le même système, malgré les irrégularités de l'usage.

1°. Elles y conservent leur valeur naturelle devant les voyelles a, o, u, & devant les consonnes l, r : on dit, galon, gosier, Gustave, gloire, grace, comme on dit, cabane, colombe, cuvette, clameur, crédit.

2°. Elles perdent l'une & l'autre leur valeur originelle devant les voyelles e, i ; celle qu'elles y prennent leur est étrangere, & a d'ailleurs son caractere propre : C représente alors l'articulation se, dont le caractere propre est s ; & l'on prononce cité, céleste, comme si l'on écrivoit sité, séleste : de même G représente dans ce cas l'articulation je, dont le caractere propre est j ; & l'on prononce génie, gibier, comme s'il y avoit jénie, jibier.

3°. On a inséré un e absolument muet & oiseux après les consonnes C & G, quand on a voulu les dépouiller de leur valeur naturelle devant a, o, u, & leur donner celles qu'elles ont devant e, i. Ainsi on a écrit commencea perceons, conceu, pour faire prononcer comme s'il y avoit commensa, persons, consu ; & de même on a écrit mangea, forgeons, & l'on prononce manja, forjons. Cette pratique cependant n'est plus d'usage aujourd'hui pour la lettre c ; on a substitué la cédille à l'e muet, & l'on écrit commença, perçons, conçu.

4°. Pour donner au contraire leur valeur naturelle aux deux lettres C & G devant e, i, & leur ôter celle que l'usage y a attachée dans ces circonstances, on met après ces consonnes un u muet : comme dans cueuillir, guérir, guider, où l'on n'entend aucunement la voyelle u.

5°. La lettre double x, si elle se prononce fortement, réunit la valeur naturelle de c & l'articulation forte s, comme dans axiome, Alexandre, que l'on prononce acsiome, Alecsandre ; si la lettre x se prononce foiblement, elle réunit la valeur naturelle de G & l'articulation de ze, foible de se, comme dans exil, exemple, que l'on prononce egzil, egzemple.

6°. Les deux lettres C & G deviennent auxiliaires pour exprimer des articulations auxquelles l'usage à refusé des caracteres propres. C suivi de la lettre h est le type de l'articulation forte, dont la foible est exprimée naturellement par j : ainsi les deux mots Japon, chapon, ne different que parce que l'articulation initiale est plus forte dans le second que dans le premier. G suivi de la lettre n est le symbole de l'articulation que l'on appelle communément n mouillé, & que l'on entend à la fin des mots cocagne, regne, signe.

Pour finir ce qui concerne la lettre G, nous ajoûterons une observation. On l'appelle aujourd'hui gé, parce qu'en effet elle exprime souvent l'articulation jé : celle-ci aura été substituée dans la prononciation à l'articulation gue sans aucun changement dans l'ortographe ; on peut le conjecturer par les mots jambe, jardin, &c. que l'on ne prononce encore gambe, gardin dans quelques provinces septentrionales de la France, que parce que c'étoit la maniere universelle de prononcer ; gambade même & gambader n'ont point de racine plus raisonnable que gambe ; de-là l'abus de l'épellation & de l'emploi de cette consonne.

G dans les inscriptions romaines avoit diverses significations. Seule, cette lettre signifioit ou gratis, ou gens ou gaudium, ou tel autre mot que le sens du reste de l'inscription pouvoit indiquer : accompagnée, elle étoit sujette aux mêmes variations.

G. V. genio urbis, G. P. R. gloria populi romani ; Voyez les antiquaires, & particulierement le traité d'Aldus Manucius de veter. not. explanatione.

G chez les anciens a signifié quatre cent suivant ce vers.

G. Quadringentos demonstrativa tenebit.

& même quarante mille, mais alors elle étoit chargée d'un tiret

G dans le comput ecclésiastique, est la septieme & la derniere lettre dominicale.

Dans les poids elle signifie un gros ; dans la Musique elle marque une des clés G-ré-sol ; & sur nos monnoies elle indique la ville de Poitiers. (E. R. M.)


G(Ecriture) Le g dans l'écriture que nous nommons italienne, est un c fermé par un j consonne. Dans la coulée, c'est un composé de l'o & de l'j consonne. Le grand g a la même formation que le petit ; il se fait par le mouvement mixte des doigts & du poignet.


GABALA(Géog. anc.) Il y a plusieurs villes qui dans l'antiquité ont porté le nom de Gabala ou Gabalé.

La plus célebre est celle de Syrie, que quelques voyageurs modernes nomment Jebilée ou Gébail. Lucien appelle cette ville Byblos. Elle a été fameuse chez les Payens par le culte d'Adonis. On n'y trouve aujourd'hui rien de remarquable qu'une mosquée, où l'on voit le tombeau du sultan Ibrahim, qui est en grande vénération parmi les Turcs.

Il y avoit une deuxieme Gabala en Syrie, entre Laodicée & Paltos.

Il y avoit une troisieme Gabala dans la Phénicie, qui étoit dans les terres. Voici la position de ces trois villes selon Ptolomée.

Il y avoit une quatrieme Gabala qui étoit une ville épiscopale d'Asie dans la Lydie, nommée Gabalona civitas dans les actes du concile de Chalcédoine.

Enfin les Gabales ou Gabali étoient un peuple des Gaules, dont Strabon, Pline, César, & Ptolomée parlent. Les anciennes notices des Gaules mettent Gabalum, ou civitas Gabalina, ou civitas Gabelluorum, dans la premiere Aquitaine sous la métropole de Bourges. Cette ville, selon Catel, étoit à l'endroit où est le bourg de Javaux, à quatre lieues de Mende. Pline, en parlant des bons fromages, fait mention de celui de Lezura & de celui du Gabalici pagi, c'est-à-dire sans-doute de celui du mont Losere & du Gévaudan où est cette montagne, & dont les fromages ont encore de la réputation, selon le même Catel dans son histoire de Languedoc, liv. II. ch. vij. pag. 297. Les mémoires de l'académie des Inscriptions n'ont point bien éclairci cet article de Géographie. (D.J.)

* GABALE, s. m. (Myth.) dieu adoré à Emese & à Héliopolis, sous la figure d'un lion à tête rayonnante, tel qu'on le voit dans plusieurs médailles de Caracalle. On l'appelloit aussi Genaeus. Voyez Tristan, tome II. pag. 167.


GABAON(Géog. sacrée) ville du pays de Chanaam en Syrie, située à trois lieues de Jérusalem sur une colline. Son nom même l'indique, car gaba signifie en hébreu colline. Ainsi on ne doit pas être surpris de voir dans un pays de montagnes comme la Judée, un si grand nombre de lieux qui commencent par Gaba.

Gabaon qu'on ne connoît plus, est célebre dans l'Histoire sainte par la ruse des Gabaonites, & par la journée dans laquelle le Soleil s'arrêta, lorsque Josué remporta la victoire contre les rois chananéens. Ici les curieux peuvent consulter sur l'artifice des Gabaonites, les commentaires de Grotius & de le Clerc, de même que Barbeyrac dans sa belle édition de Puffendorf. Ils peuvent lire aussi une savante dissertation de M. s'Gravesande, dans laquelle il expose les difficultés géographiques & astronomiques, qui concernent le miracle de Josué. Cette dissertation est insérée dans les discours de M. Saurin sur la Bible ; & elle est trop belle pour n'y pas renvoyer nos lecteurs. Voyez aussi COPERNIC. (D.J.)


GABARES. f. bâtiment large & plat dont on se sert pour le cabotage, & sur-tout pour remonter les rivieres. Comme il tire peu d'eau, il est commode à cet usage.

On donne le même nom à un autre bâtiment ancré dans un port de mer, ou sur une riviere, où sont renfermés des commis du roi, établis pour la visite des bâtimens qui entrent & sortent, & pour la perception des droits d'entrée & de sortie. Les conducteurs de bâtimens sont obligés de s'approcher de la gabare, de déclarer leur charge, & de se laisser visiter.

On employe le même petit bâtiment pour l'enfoncement des pilots, & dans d'autres circonstances ; comme de lester ou délester uu vaisseau. Le maître de la gabare s'appelle le gabarier.

La gabare est en usage sur quelques rivieres qui ont peu de fond.

C'est encore une espece de filadiere ou bateau pêcheur. Voyez l'article FILADIERE.

* GABARE, (Pêche) espece de filet qui ne differe de la seine que par la grandeur. Voyez l'article SEINE.


GABARETGabaretum, (Géog.) ville de France du Condomois en Gascogne, capitale d'une petite contrée qu'on nomme le Gabardan. Elle est sur la Gélise entre Condom & Roquefort de Marsan, à neuf lieues de la premiere, & à l'orient de la seconde. Elle a eu ses comtes particuliers. Long. 17. 36. lat. 43. 59. (D.J.)


GABARou GABARIT, s. m. (Marine) est proprement le modele qu'on fait avec des planches resciées, larges de huit à neuf pouces, qu'on joint les unes au bout des autres, & que l'on taille exactement selon les contours & les dimensions des principales couples, & sur lesquelles les charpentiers n'ont plus qu'à se conformer exactement lorsqu'ils taillent les pieces de bois qui doivent former les membres du vaisseau.

On employe quelquefois ce terme pour signifier le contour vertical de la carene. C'est dans ce sens qu'on dit, ce vaisseau est d'un bon gabari.

Gabari est quelquefois synonyme du mot couple ; c'est pourquoi on dit le maître gabari, au lieu du maître couple ; le gabari de l'avant, le gabari de l'arriere, &c. C'est dans ce dernier sens que nous en parlons ici. Voyez le mot COUPLE.

Pour donner une idée du maître couple ou maître gabari, & de toutes les pieces qui le composent, il ne faut que jetter les yeux sur la figure 3. de la Plan. XV. de Marine, où elles sont toutes énoncées.

Le corps du vaisseau est formé par plusieurs côtes, qu'on nomme couple ou levées.

Les couples diminuent en-avant & en-arriere, suivant de certaines proportions. Pour tracer un maître couple & tous les autres, & leur donner les proportions les plus convenables & les plus avantageuses, il y a beaucoup de méthodes toutes différentes ; les unes de pure pratique entre les constructeurs, & les autres de théorie. Si l'on en veut prendre une connoissance exacte, il faut avoir recours au traité du navire de M. Bouguer, & au traité pratique de la construction des vaisseaux, par M. Duhamel, que j'ai déjà cité dans plusieurs occasions. (Z)


GABARIERS. m. (Marine) Quelques-uns donnent ce nom au maître qui conduit la gabare. On appelle aussi gabariers, les porte-faix qui sont employés à charger & décharger la gabare. (Z)


GABAROTES. f. (Pêche) c'est un diminutif de gabare. Voyez GABARE. Ce petit bateau est en usage dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux.


GABELAGES. m. (Saline) tems que demeure le sel dans un grenier. Les ordonnances défendent d'entamer les masses des greniers, qu'elles n'ayent tout leur gabelage, c'est-à-dire que le sel n'y ait été apporté depuis deux ou trois ans au-moins.

Ce sont aussi les marques que les commis des greniers mettent parmi le sel, pour découvrir dans leurs visites si le sel qu'ils trouvent chez les particuliers est du sel de gabelle ou du sel de faux-saunage : ils se servent ordinairement de paille ou autres herbes hachées qu'ils changent souvent. Dictionn. du Comm. & de Trév.

De gabelle, on a fait le mot précédent & ceux de gabelé, de gabeleur, &c. (G)


GABELLES. f. (Jurisp.) en latin gabella, & en basse latinité gablum, gabulum, & même par contraction gaulum, signifioit anciennement toute sorte d'imposition publique. Guichard tire l'étymologie de ce mot de l'hébreu gab, qui signifie la même chose. Ménage, dans ses origines de la langue françoise, a rapporté diverses opinions à ce sujet. Mais l'étymologie la plus probable est que ce mot vient du saxon gabel, qui signifie tribut.

En France il y avoit autrefois la gabelle des vins, qui se payoit pour la vente des vins au seigneur du lieu, ou à la commune de la ville ; ce qui a été depuis appellé droits d'aides. On en trouve des exemples dans le spicilége de d'Achery, tom. II. pag. 576. & dans les ordonnances du duc de Bouillon, article 572.

Il y avoit aussi la gabelle des draps. Un rouleau de l'an 1332 fait mention que l'on souloit rendre de l'imposition de la gabelle des draps de la sénéchaussée de Carcassonne, 4500 liv. tournois par an, laquelle fut abattue l'an 1333.

L'ordonnance du duc de Bouillon, art. 572, fait mention de la gabelle de tonnieu, ou droit de tonlieu, tributum telonei, que les vendeurs & acheteurs payent au seigneur pour la vente des bestiaux & autres marchandises.

L'édit d'Henri II. du 10 Septembre 1549, veut que les droits de gabelle sur les épiceries & drogueries soient levés & cueillis sous la main du roi, par les receveurs & contrôleurs établis ès villes de Roüen, Marseille & Lyon, chacun en son regard. La déclaration de Charles IX. du 25 Juillet 1566, art. 9, veut que les épiceries & drogueries prises en guerre, soit par terre ou par mer, payent comme les autres les droits de gabelle lorsqu'elles entreront dans le royaume. Voyez RESVE.

Enfin on donna aussi le nom de gabelle à l'imposition qui fut établie sur le sel ; & comme le mot gabelle étoit alors un terme générique qui s'appliquoit à différentes impositions, pour distinguer celle-ci on l'appelloit la gabelle du sel.

Dans la suite, le terme de gabelle est demeuré propre pour exprimer l'imposition du sel ; & cette imposition a été appellée gabelle simplement, sans dire gabelle du sel.

L'origine de la gabelle ou imposition sur le sel, ne vient pas des François ; car les lois & l'histoire romaine nous apprennent que chez les Romains les salines furent pendant un certain tems possédées par des particuliers & le commerce libre, suivant la loi forma, §. salinae, ff. de censibus, & la loi 13. ff. de publicanis. Tel étoit l'état des choses sous les consuls P. Valerius & Titius Lucretius, ainsi que Tite-Live l'a écrit, liv. II. ch. cjx. Mais depuis pour subvenir aux besoins de l'état, les salines furent rendues publiques, & chacun fut contraint de se pourvoir de sel de ceux qui les tenoient à ferme. C'est ce que nous apprenons de la loi inter publica, ff. de verb. signif. & de la loi si quis sine, cod. de vectig. & commiss. Cette police fut introduite par Ancus Marcius, quatrieme roi des Romains, & par l'entremise des censeurs Marcus Livius & C. Claudius ; lesquels, au rapport de Tite-Live & Denis d'Halicarnasse, furent appellés de-là salinatores.

Athenée rapporte aussi, que comme en la Troade il étoit permis à chacun d'enlever librement du sel sans aucun tribut, Lysimaque roi de Thrace y ayant mis un impôt, les salines tarirent & se dessécherent, comme si la nature eût refusé de fournir matiere pour cette imposition ; laquelle ayant été ôtée, les salines revinrent dans leur premier état. Sur quoi Chenu remarque qu'il n'est point arrivé de semblable prodige en France, quoique l'on ait établi par degré plusieurs impositions sur le sel.

On tient communément que la gabelle du sel fut établie en France par Philippe de Valois. Ils se fondent sur ce qu'Edoüard III. l'appelloit ironiquement l'auteur de la loi salique, à cause qu'il avoit fait une ordonnance au sujet du sel. Mais il est constant que le premier établissement de la gabelle du sel est beaucoup plus ancien.

En effet il en est parlé dans les coûtumes ou priviléges que S. Louis donna à la ville d'Aigues-mortes en 1246 : sed neque gabellae salis, seu alterius mercimonii possint ibi fieri contra homines villae. Ceci ne prouve pas à la vérité qu'on levât alors une gabelle dans cette ville, la coûtume au contraire le défend ; mais cela prouve qu'elle étoit connue, & qu'apparemment on en levoit ailleurs, ou du-moins que l'on en avoit levé précédemment.

Il ne paroît pas que la gabelle du sel eût lieu du tems de Louis Hutin ; car ce prince, dans des lettres qu'il donna à Paris le 25 Septembre 1315, touchant la recherche & la vente du sel, ne parle d'aucune imposition sur le sel. Il paroît que le sel étoit marchand, & le roi se plaint seulement de ce que quelques particuliers en faisoient des amas considérables : il commet en conséquence certaines personnes pour faire la visite des lieux où il y aura du sel caché, & les autorise à le faire mettre en vente à juste prix.

Avant Philippe-le-Long il y avoit en France plusieurs seigneurs particuliers qui avoient mis de leur autorité privée des impositions sur le sel dans leurs terres. Il y en a plusieurs exemples dans les anciennes coûtumes de Berri de M. de la Thaumassiere ; ce qui étoit un attentat à l'autorité souveraine.

La premiere ordonnance que l'on trouve touchant la gabelle du sel, est celle de Philippe V. dit le Long, du 25 Février 1318, que quelques-uns ont mal-à-propos attribuée à Philippe-le-Bel, ne se trouvant dans aucun recueil des ordonnances de ce prince : elle suppose que la gabelle étoit déjà établie ; car ce prince dit, que comme il étoit venu à sa connoissance que la gabelle du sel étoit moult déplaisante à son peuple, il fit appeller devant lui les prélats, barons, chapitres & bonnes villes, pour pourvoir par leur conseil sur ce grief & quelques autres.

Et sur ce que ses sujets pensoient que la gabelle du sel étoit incorporée au domaine, & devoit durer à perpétuité, le roi leur fit dire que son intention n'étoit pas que cette imposition durât toûjours, ni qu'elle fût incorporée au domaine, mais que pour le déplaisir qu'elle causoit à son peuple, il voudroit que l'on trouvât quelque moyen convenable pour fournir aux frais de la guerre, & que ladite gabelle fût abattue pour toûjours.

On voit par-là que la gabelle étoit une aide extraordinaire, qui avoit été mise à l'occasion de la guerre, & qu'elle ne devoit pas durer toûjours. On tient que cette premiere imposition ne fut que de deux deniers pour livre.

Ducange en son glossaire, au mot gabelle, dit que dans un registre de la chambre des comptes de Paris, coté B, commençant en l'année 1330, & finissant en 1340, fol. 156, il y a une ordonnance du roi Philippe (le Long), de l'an 1331, suivant laquelle, pour être en état de fournir aux frais de la guerre, il établit des greniers à sel dans le royaume, dont les juges furent nommés souverains-commissaires, conducteurs & exécuteurs desdits greniers & gabelles.

Mais cette ordonnance ne se trouve point dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, imprimé au Louvre ; ce qui donne lieu de croire que l'on a voulu parler de celle de Philippe-le-Long en 1318, ou de celle de Philippe de Valois, du 15 Février 1345.

Ces deux ordonnances de 1318 & 1345, contiennent presque mot pour mot la même chose ; ce qui pourroit faire croire que la seconde n'a été qu'un renouvellement de la premiere.

Mais Philippe de Valois avoit dès le 20 Mars 1342 donné des lettres, portant établissement de greniers à sel & de gabelles. Elles sont adressées à Guillaume Pinchon archidiacre d'Avranches, Pierre de Villaines archidiacre de l'église de Paris, Me Philippe de Trye thrésorier de Bayeux, maître des requêtes de l'hôtel du roi, & à quelques autres personnes qualifiées. Le roi y annonce que desirant trouver des moyens de résister à ses ennemis, en chargeant ses sujets le moins qu'il étoit possible, il a ordonné après grande délibération, certains greniers ou gabelles de sel être faits dans le royaume ; & sur ce ordonné certains commissaires ès lieux où il appartient pour lesdits greniers & gabelles, publier, faire exécuter & mettre en ordre. Il leur donne le titre de souverains-commissaires, conducteurs & exécuteurs desdits greniers & gabelles, & de toutes choses qui sur iceux ont été & seront ordonnées & qui leur paroîtront nécessaires ; qu'ils pourront demeurer à Paris ou ailleurs, ou expédient leur semblera ; que si plusieurs d'entr'eux s'absentent de Paris, qu'il y en restera au moins toûjours deux ; qu'ils pourront au nombre de deux ou trois établir, par lettres scellées de leurs sceaux, tels commissaires, grenetiers, gabelliers, clercs & autres officiers èsdits greniers & gabelles, par-tout où bon leur semblera, & les ôter, changer & rappeller ; de leur taxer & faire payer des gages convenables ; que ces officiers auront la connoissance, correction & punition de tout ce qui concerne le sel : que l'appel de leurs jugemens ressortira devant les souverains commissaires, lesquels n'auront à répondre sur ce fait qu'au roi.

Cette ordonnance ne dit pas quelle étoit l'imposition que l'on percevoit alors sur le sel : mais on sait d'ailleurs qu'elle fut portée par ce prince à quatre deniers pour livre ; elle n'étoit point encore perpétuelle, comme il le déclare par son ordonnance du 15 Février 1345.

Le roi Jean ayant à soûtenir la guerre contre les Anglois, fit assembler en 1355 les états de la Languedoïl & du pays coûtumier, avec lesquels il fut avisé, suivant ce qui est dit dans une ordonnance du 28 Décembre 1355, que pour fournir aux frais de l'armée il seroit imposé dans tout le pays coûtumier une gabelle sur le sel, qui seroit levée suivant certaines instructions qui seroient faites à ce sujet.

La même ordonnance établit une imposition de huit deniers pour livre, sur toutes les marchandises qui seroient vendues dans le même pays ; & cette imposition, ainsi que la gabelle ordonnée précédemment, sont ensuite comprises l'une & l'autre sous le terme générique d'aides ; & la direction de ces aides étoit faite dans chaque lieu par des commissaires députés par les trois états, au-dessus desquels commissaires étoient les généraux des aides.

Au mois de Mars de la même année, le roi Jean fit une autre ordonnance, portant qu'à la Saint-André derniere il avoit fait assembler à Paris les trois états de la Languedoïl, du pays coûtumier, & deçà la riviere de la Dordoigne, pour avoir conseil sur le fait des guerres & des mises à ce nécessaires. Que par la plus grande partie des personnes des trois états, il avoit été accordé l'imposition de huit deniers pour livre, & la gabelle du sel ; & que comme on ne savoit pas si ces aides seroient suffisantes, ni si elles seroient agréables au peuple, les états devoient se rassembler à Paris le premier Mars suivant, auquel jour ayant été assemblés, il leur étoit apparu que ladite imposition & gabelle n'étoit pas agréable à tous, & aussi qu'elle n'étoit pas suffisante, pourquoi ils accorderent entr'eux qu'il seroit fait une aide, suivant ce qui est dit par cette ordonnance : au moyen de quoi, le roi ordonna que l'imposition accordée par les états au mois de Décembre précédent, cesseroit à la fin du mois, & que la gabelle cesseroit dès ce moment pour toûjours ; que si aucun avoit été gabellé, c'est-à-dire si on lui avoit fait payer le droit de gabelle pour plus de trois mois, on lui rendroit ou rabattroit sur le nouveau subside ce qu'il auroit payé de trop sur le précédent ; & que ce qui auroit été gabellé sur les marchands de sel, leur seroit promtement rendu, excepté leur dépense de trois mois.

Cependant en 1358, le roi étant encore prisonnier, les états assemblés à Compiegne accorderent une seconde augmentation sur le prix du sel. Il fut ordonné qu'il seroit établi des greniers dans les bonnes villes & lieux notables, où tout le sel seroit acheté des marchands par le roi à juste prix, & que les grenetiers le revendroient ensuite, pour le compte du roi, un cinquieme de plus. Ce fait est rapporté par Pasquier en ses recherches, liv. II. chap. vij.

En 1359, la gabelle étoit rétablie dans la ville & vicomté de Paris, ainsi qu'il est dit dans des lettres de Charles V. alors régent du royaume, par lesquelles, attendu l'extrême besoin qu'il avoit de finances pour le fait de la guerre, il ordonne que dans les villes d'Orléans, Blois, & autres villes & lieux entre les rivieres de Seine & de Loüé (que l'on croit être le Loüaire dans le Gâtinois), & entre les rivieres de Loire & du Chier, on levera la gabelle du sel pendant un an en la maniere qu'elle se levoit alors en la ville & vicomté de Paris ; que pour la garde & défense desdites villes & de tout le pays enclavé entre lesdites rivieres, le duc d'Orleans, lieutenant du roi & du régent èsdites parties, prendroit le quart de cette gabelle, & que le reste seroit apporté ou envoyé à Paris sous bonne & sûre garde & sans délai, pardevant les thrésoriers du roi & du régent : en conséquence il ordonne aux gens des comptes d'établir à cet effet des commissaires généraux ou particuliers, comme ils verront à faire, lesquels feront crier & publier solennellement ladite gabelle dans les lieux accoûtumés, & la leveront ou feront lever pendant un an, du jour de la publication de ces lettres.

Au mois d'Octobre de la même année, il fut fait une ordonnance ou réglement sur le prix du sel, sur les rivieres de Seine, de Marne & d'Yonne. Il est dit qu'à Honfleur la prise du sel pour le marchand est de 14 écus, à Caudebec de 16 écus, & ainsi des autres villes, où l'on remarque que le prix du sel augmente à proportion de ce qu'elles sont éloignées de la mer ; à Paris, par exemple, il étoit de quarante écus, & à Châlons de soixante, à Joigny soixante-quatre ; c'étoit le prix le plus haut. Il s'agissoit du muid de sel, c'étoit sur le pié d'environ neuf deniers la livre ; ce qui coûte aujourd'hui plus de dix sous.

La gabelle fut rétablie en 1360 dans les pays de la Languedoïl, comme on l'apprend d'une ordonnance du 5 Décembre de ladite année. Le droit qui se percevoit sur le sel étoit du cinquieme ; cela ne devoit durer que jusqu'à la paix.

L'instruction faite à ce sujet par le grand-conseil du roi étant à Paris, porte que l'on établira des greniers à sel dans les bonnes villes & lieux notables ; que tout le sel qu'on trouveroit dans ces lieux ès mains des marchands, & que l'on y ameneroit dorénavant, seroit pris en la main du roi & pour lui, à juste prix ; que le grenetier le revendroit un cinquieme de plus. Et dans une instruction particuliere qui est ensuite sur l'aide du sel, il est dit que dans les lieux où il n'y avoit pas de grenier à sel, le roi prendroit le cinquieme du prix de la vente, & que cette aide seroit donnée à ferme par les élus.

Les états de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nîmes, avoient accordé au roi un droit de gabelle pour un certain tems, qui étoit prêt de finir au mois d'Avril 1363 : mais le roi Jean, par une ordonnance faite en conséquence de l'assemblée de ces mêmes états, le 20 desdits mois & an, ordonna que la gabelle du sel seroit continuée pendant un certain tems ; que la moitié du produit seroit employée aux dépenses de la guerre, & l'autre moitié à payer les dettes assignées dessus cette gabelle ; que si cette gabelle ne suffisoit pas pour fournir aux dépenses nécessaires, on établiroit d'autres impositions.

Suivant cette même ordonnance, la gabelle du sel devoit se lever sur toutes les salines, même sur celles qui appartenoient au roi. Le droit de gabelle étoit alors d'un tiers de florin, outre le vrai prix du sel. Toutes les autres impositions devoient cesser, tant que cette nouvelle gabelle auroit lieu. Le sel ne devoit payer la gabelle qu'une seule fois, après quoi il étoit libre de le vendre sans en rien payer. Il étoit défendu à toutes personnes telles qu'elles fussent, de se servir de sel qui n'eût pas payé la gabelle, sous peine d'amende arbitraire. On donnoit à ceux qui payoient la gabelle une quittance, contenant le poids & la quantité de sel, le lieu, l'année, & le jour du payement ; & lorsqu'ils vouloient transporter ce sel d'un lieu à un autre, ils donnoient cet acquit au receveur des impositions ; autrement leur sel étoit confisqué.

Le droit de gabelle se payoit au bureau le plus prochain de la saline où on achetoit le sel, & ce sous peine de confiscation du sel & des animaux & vaisseaux qui servoient à le transporter.

Comme il y a ordinairement près des salines des endroits où l'on pêche & où l'on sale le poisson, l'ordonnance dit qu'on estimera la quantité de sel que l'on peut employer à saler les poissons, & qu'on en payera la gabelle ; qu'on estimera pareillement la quantité de sel que peuvent user ceux qui demeurent auprès des salines, & qu'on leur fera payer la gabelle de cette quantité chaque année en quatre payemens égaux.

L'ordonnance porte qu'il y aura des gardes qui feront des perquisitions pour découvrir les fraudes ; qu'ils auront la moitié du sel qui sera confisqué, & que l'autre moitié accroîtra au produit de la gabelle ; que les autres personnes qui dénonceront des fraudes n'auront que le tiers des confiscations.

Les animaux employés à porter le sel dans l'étendue de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nîmes, sont déclarés non-saisissables, même pour les deniers du roi.

Enfin il est dit que la gabelle sera affermée en tout ou en partie, par évêchés & vicairies, en présence du juge du lieu & des consuls, de trois en trois mois, & que les fermiers payeront le prix de leur ferme à la fin de chaque mois.

Charles V. fit le 7 Décembre de la même année 1366, une ordonnance au sujet de la gabelle, dont la levée avoit été ordonnée par-tout le royaume pour la délivrance du roi Jean. Il est dit qu'on établira des greniers à sel dans les lieux convenables, sur les rivieres & dans quelques villes éloignées des rivieres ; que dans chaque grenier il y aura un grenetier & un greffier, qui sera aussi contrôleur ; qu'ils auront chacun un registre, sur lequel ils écriront tout le sel qui se trouvera dans les villes où il y aura des greniers établis chez les marchands, les revendeurs, & les particuliers ; qu'ils le feront mettre dans le grenier, en laissant seulement aux particuliers leur provision pour quatre ans.

Le grenetier & le contrôleur devoient écrire sur leurs registres la quantité de sel qui étoit dans le grenier, le nom de celui à qui il appartenoit, & le jour qu'on l'y avoit apporté.

Le grenier devoit fermer à trois clés, dont le grenetier en avoit une, le contrôleur une autre, & la troisieme étoit pour le propriétaire du sel.

On vendoit le sel à tour de rôle, suivant le jour qu'il avoit été apporté au grenier.

L'ordonnance porte qu'on fixeroit le prix du sel pour le marchand, & qu'outre ce prix il y auroit vingt-quatre livres pour le roi par chaque muid, mesure de Paris.

Il est dit que l'on vendra du sel dans les greniers à grosses mesures, à septiers, minots & demi-minots ; que les regrattiers le vendront en détail, & ne pourront avoir en magasin que six septiers.

Il est défendu aux grenetiers & greffiers de faire commerce de sel, ni d'être en société avec ceux qui le font, ni de recevoir d'eux aucuns présens.

Les états tenus à Compiegne en 1366 ou 1367, ayant fait des plaintes à Charles V. au sujet de la gabelle, il fit quelques tems après le 19 Juillet 1367, une ordonnance, par laquelle il dit qu'ayant toujours à coeur de soulager ses sujets, il avoit retranché la moitié du droit qu'il avoit accoûtumé de prendre sur le sel, ajoûtant que le prix du marchand fût diminué à proportion.

On trouve dans des priviléges accordés par Charles V. à la ville de Rhodez au mois de Février 1369, qu'il accorda entr'autres choses à cette ville une gabelle, gabellam in dicto loco : les lettres n'expliquent pas en quoi consistoit ce privilége, peut-être n'étoit-ce autre chose que le droit d'avoir un grenier à sel.

La gabelle étoit établie dans le Languedoc dès 1367 : mais comme elle n'avoit pas lieu dans le Dauphiné, les étrangers qui avoient coûtume d'acheter du sel en France, le prenoient dans les pays étrangers, & le voituroient dans le leur, en passant par le Dauphiné. Charles V. pour réprimer cette fraude, donna des lettres du 15 Mars 1367, portant que tant que dureroit ladite gabelle, le sel qui sortiroit du Dauphiné y payeroit des droits, à-moins qu'ils n'eussent déjà été payés dans les salines du royaume lorsqu'il y auroit été acheté ; déclarant que son intention n'étoit pas que la gabelle fût levée sur le sel qui se distribuoit dans le Dauphiné ; & que le droit qui se percevoit sur le sel sortant de cette province, seroit employé moitié suivant la premiere destination de la gabelle, & l'autre moitié appliquée à la recette du Dauphiné.

Quoique l'imposition sur le sel n'eût été mise que pour un tems, elle fut continuée dans tous les pays tant de la Languedoïl que du Languedoc. En effet, elle se payoit encore en 1371, suivant des lettres de Charles V. du 20 Juin adressées à un conseiller général du roi sur le fait des aides ordonnées pour la guerre. Ces lettres font mention que l'aide qui avoit cours sur le sel dans les diocèses de Lyon, Mâcon, & Châlons, apportoit peu de profit au roi, parce que les habitans de ces diocèses achetoient en fraude du sel sur les terres de l'Empire, dont ils n'étoient séparés que par le Rhone ou la Saone ; & comme ils amenoient ce sel audit Empire dès Avignon par terre par le Dauphiné jusqu'à la riviere d'Isere, & de-là le transportoient en l'Empire, le roi ordonna que dorénavant on leveroit des droits sur le sel qui passeroit sur la riviere d'Isere.

Ce même prince fit encore en 1379 un réglement pour la police de la vente du sel, & pour la perception du droit de gabelle ; il abolit l'usage qui s'étoit établi, d'obliger les habitans de chaque paroisse de prendre du sel en certaine quantité.

Il paroît qu'après le décès de Charles V. arrivé le 16 Septembre 1380, la gabelle & plusieurs autres impositions furent supprimées, au moyen d'une grande commotion qui s'éleva parmi le peuple à Paris : mais suivant des lettres de Charles VI. du 27 Janvier 1382, les bourgeois de Paris, ou la plus grande & saine partie d'iceux, accorderent au roi, pour la défense du royaume, certaines aides qui devoient être perçûes en la ville de Paris, notamment l'imposition de la gabelle, à commencer du premier Mars 1381.

Suivant une instruction faite par Charles VI. & son conseil, le premier Décembre 1383, la gabelle étoit alors de vingt francs pour chaque muid de sel : mais en Poitou & Xaintonge, au lieu de ce droit, on mit une aide qui consistoit à faire payer au vendeur du sel la moitié du prix pour la premiere vente ; & lorsque le sel étoit ensuite revendu ou échangé, le vendeur payoit cinq sous pour livre.

Une autre instruction donnée par le même prince sur le fait des aides le 6 Juillet 1388, veut que toutes manieres de gens conduisans du sel non gabellé, avec port d'armes, ou autrement, soient par les grenetiers & contrôleurs, & par toutes justices où ils vendront & passeront, pris & punis de corps & de biens, selon que le cas le requerra : que si les grenetiers, contrôleurs, ou autres gens de justice, demandent aide pour le roi, que chacun d'eux soit tenu de leur aider, sur peine d'amende arbitraire : & si ceux qui conduisent le sel non gabellé se mettent en défense il veut que l'on fasse que la force en demeure aux gens du roi ; & que si mort ou mutilation y advient contre aucun des conducteurs du sel ou leurs aides & receveurs, le roi veut que ceux qui l'auront fait pour conserver son droit & aider ses gens, en soient quittes, & impose silence à tous ses justiciers & procureurs, de même qu'aux amis des fraudeurs qui auront été occis ou mutilés.

Les généraux des aides ordonnées pour le fait de la guerre au pays de Languedoc & du duché de Guienne, firent en 1398, au nom du roi, avec la reine de Jerusalem, comtesse de Provence, une société pour deux ans par rapport à la gabelle du sel qui remontoit le Rhone, pour être porté dans les terres de l'Empire.

Outre le droit qui se percevoit sur le sel pour le roi, il accordoit quelquefois un octroi sur le sel aux habitans de certaines villes, comme il fit en faveur de ceux d'Auxerre, pour deux années, par des lettres du 3 Mars 1402, portant que le produit de cet octroi seroit employé aux réparations du pont de cette ville.

Charles VI. avoit ordonné le 21 Janvier 1382, qu'outre les vingt francs que l'on percevoit dans le reste du royaume sur chaque muid de sel, on prendroit encore pour son compte vingt francs d'or par muid. La même chose fut ordonnée au mois de Janvier 1387 : mais cette crûe de vingt francs d'or fut abolie le 23 Mai 1388, & le droit de gabelle réduit à vingt francs par muid de sel. Ce même prince, par des lettres du 28 Mars 1395, diminua d'un tiers le droit de gabelle dans tout le royaume. Louis XI. porta le droit de gabelle jusqu'à douze deniers pour livre. François I. en 1542, mit 24 liv. tournois par chaque muid de sel ; l'année suivante, il fixa ce droit à 451.

Les gages des cours souveraines & autres officiers, ayant été assignés sur les droits de gabelle, cela donna lieu de faire encore différentes augmentations sur ces droits, lesquels sont enfin parvenus à tel point, que le minot de sel se paye au grenier 52 liv. 8 s. 6 den.

Nos rois ont établi divers officiers, tant pour la police de la fabrication, commerce, & distribution du sel, que pour juger les contestations qui peuvent s'élever à cette occasion. Voyez ci-après aux mots GRENETIER, GRENIER A SEL, MARAIS SALANS, SALINES, SALORGES. (A)


    
    
GABETS. m. (Marine) Quelques navigateurs se servent de ce mot au lieu de giroüette ; il n'est guere d'usage que dans la Manche. (Z)


GABIANoiseau, Voyez MOUETTE.

GABIAN, (HUILE DE) Histoire des drogues, espece de petrole ; voyez PETROLE. C'est une huile noire, bitumineuse & inflammable, de Languedoc ; la roche dont elle découle se trouve au village de Gabian, près de Beziers. On vend ordinairement cette huile pour le petrole noir d'Italie ; mais il s'en faut bien qu'elle approche de ses qualités. Elle n'est ni si limpide, ni de la même couleur, ni d'une odeur aussi supportable ; elle est au contraire d'une odeur forte & puante ; sa consistance tient le milieu entre l'huile & le petrole noir d'Italie ; son goût est acre & amer : cependant il s'en consomme beaucoup en France, où sa vente fait un des objets du revenu de l'évêque de Beziers à qui la roche appartient, & qui peut en tirer parti toute l'année. On contrefait l'huile de gabian avec de l'huile de térébenthine, du goudron, & de la poix noire. Voyez PETROLE. (D.J.)


GABIES. f. (Marine) la hune qui est au haut du mât ; ce terme n'est d'usage que sur la Méditerranée : ce mot vient de l'italien gabbia, qui veut dire cage. A Marseille on appelle aussi gabie le mât de hune. (Z)


GABIERS. m. (Marine) matelot qu'on place sur la hune pour y faire le guet, & donner avis de tout ce qu'il découvre à la mer. (Z)


GABIEUS. m. voyez TOUPIN.


GABIN(Géog.) petite ville de la grande Pologne au palatinat de Riva, à six lieues S. E. de Plosko, seize O. de Varsovie. Long. 38d. 10'. latit. 52d. 18'. (D.J.)


GABIONS. m. (Art. milit.) espece de panier cylindrique sans fond, qui sert dans la guerre des siéges à former le parapet des sappes, tranchées, logemens, &c. Voyez SAPPE & LOGEMENT.

Les gabions de sappes ou de tranchées ont deux piés & demi de haut, & autant de diametre : ils doivent avoir huit, neuf, ou dix piquets chacun de quatre à cinq pouces de tour, lacés, serrés & bien bridés haut & bas avec de menus brins de fascines élagués en partie. Voyez Pl. XIII. de Fortification, le plan & l'élévation d'un gabion de cette espece.

Les gabions se posent le long de la ligne sur laquelle on veut former ou élever un parapet : on creuse le fossé de la sappe ou de la tranchée derriere ; & l'on en prend la terre pour les remplir. Voy. SAPPE.

Les gabions se payent 5 sous de façon, à cause de la difficulté de leur construction, qui demande des soins & de l'adresse ; c'est un ouvrage de sappeurs & de mineurs bien instruits. On y joint ordinairement un détachement de Suisses, parce qu'ils sont plus adroits que les François à cette sorte d'ouvrage.

On se sert aussi quelquefois de gabions pour faire des batteries : mais alors ils sont beaucoup plus grands que les précédens ; ils ont cinq ou six piés de large & huit de hauteur. Voyez BATTERIES. (Q)

GABION FARCI, c'est un gros gabion qu'on remplit de différentes choses qui empêchent qu'il ne puisse être percé ou traversé par la balle du fusil : on s'en sert dans les sappes au lieu de mantelet, pour couvrir le premier sappeur. Voyez SAPPE.

GABIONNER, c'est se couvrir de gabions pour se garantir des coups de l'ennemi. (Q)


GABIUM(Géog. anc.) ville ancienne du Latium, dont Horace & Properce parlent avec beaucoup de dédain ; il n'en reste plus que des ruines à l'endroit nommé Campo-Gabio, vers Palestrine, à quatre ou cinq bonnes lieues de Rome en tirant vers l'orient.

Du tems de Denis d'Halicarnasse sous Auguste, Gabium étoit presque deserte ; mais ses ruines marquoient qu'elle avoit été une assez belle ville, puisqu'avant la fondation de Rome, il y avoit à Gabium une école célebre où l'on enseignoit les Beaux-Arts & les Sciences à la jeunesse. Cicéron & Plutarque la mettent au nombre des villes municipales : Junon y étoit particulierement honorée ; & c'est pour cela que Virgile appelle cette déesse, Gabina Juno.

La voie Gabienne, via Gabiniana, ou via Gabina, étoit un chemin qui conduisoit de Salone à Clissa, anciennement dite Andetrium. Ce fut sur la voie Gabienne que Camille défit les Gaulois après la prise & l'embrasement de Rome, comme le marque Tite-Live : sur la même voie on voyoit le superbe tombeau de Pallas, affranchi de Tibere, avec une inscription encore plus arrogante, que Panvinus nous a conservée.

La ceinture, ou plutôt la troussure Gabienne, cinctus Gabinus, dont il est parlé dans Virgile, dans Horace, Lucain, Silius Italicus, & autres auteurs, étoit une maniere particuliere qu'avoient les Romains de trousser leur robe à la guerre, & qu'ils avoient prise des Gabiens : les Consuls & les Préteurs en retinrent l'usage sous les empereurs, quand ils faisoient les fonctions de leurs charges ; cette maniere consistoit à croiser les deux pans de leur robe en forme d'écharpe sur les épaules & sur la poitrine, & à les noüer ensemble pour les assujettir fixement. (D.J.)


GABON(Géog.) riviere d'Afrique au royaume de Bénin ; elle a sa source à 35d. de long. & à 2d. 30'. de latit. septentr. ensuite serpentant vers le couchant, elle va se perdre sous l'équateur dans le golfe de Guinée, vis-à-vis l'île de S. Thomas : cette riviere est nommée Gala par Linschot. (D.J.)


GABORDSS. m. pl. (Marine) ce sont les premieres planches d'en-bas, qui sont le bordage extérieur du vaisseau, & qui forment par dehors une courbure depuis la quille jusqu'au-dessus des varangues ; & c'est ce qu'on nomme bordage de fond.

Les bordages ont à-peu-près sous la premiere préceinte la même épaisseur que cette préceinte ; & leur épaisseur diminue uniformément jusqu'à la quille, où le bordage qui est reçu dans la rablure, & qu'on nomme gabord n'a que la moitié de l'épaisseur de celui qui touche la préceinte. On leur laisse toute la longueur & la largeur que les pieces peuvent porter. A l'égard de leur épaisseur, elle se regle sur la grandeur du vaisseau. (Z)


GABRIELITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte particuliere d'anabaptistes, qui s'éleva dans la Poméranie en 1530. Elle porte le nom de Gabriel Scherling son auteur, qui, conjointement avec Jacques Hutten, avoit apporté cette doctrine dans cette contrée, parce qu'ils n'étoient plus tolérés ailleurs : mais ce fanatique en fut encore chassé, & mourut en Pologne. Hist. des Anabaptistes. Voyez le dictionn. de Moréri & Chambers. (G)


GABURONSCLAMPS, JUMELLES, (Marine) voyez JUMELLES.


GACHES. f. (Marine) c'est un vieux mot qui veut dire aviron ou rame, Voyez RAME. (Z)

* GACHE, (Serrurerie) piece de fer qui sert en général à fixer une chose contre une autre ; telles sont celles qui contiennent les tuyaux de descente, les boîtes de lanternes, & autres corps qu'on veut appliquer à des murs : mais on appelle particulierement gache le morceau de fer sous lequel passe le pêne de la serrure, & qui tient la porte fermée. Les gaches de tuyaux de descente sont en fer plat, & de la force requise par l'usage. On fait les gaches pour le plâtre ou pour le bois ; le plâtre, lorsque le corps à fixer est adossé d'un mur de pierre ou de moëllon ; le bois, lorsqu'il est adossé d'une piece de bois. La gache en plâtre est une piece de fer plat contournée suivant la forme de la piece qu'elle doit embrasser, & dont les extrémités des branches qui doivent entrer dans le mur, & qu'on appelle le scellement, sont refendues, afin que elles ne puissent aisément en sortir. La gache en bois a l'extrémité de ses branches en pointe, comme un clou. La gache à pate les a recoudées & en queue d'aronde, percée de plusieurs trous pour être attachée avec des clous. La gache encloisonnée est de service aux portes qui se serrent sur des chambranles ; aux grilles de fer ; aux gachettes des grandes portes qui sont au nud des murs, lorsqu'il n'y a point de chambranle. Elle est de fer battu, comme le palâtre & la cloison de la serrure, montée avec des étoquiaux de même largeur que la serrure, d'une longueur à recevoir les pênes de toute leur chasse, & d'une hauteur qui varie, & dont on désigne les inégalités par ces expressions, hauteur, hauteur & demie, deux hauteurs. Ces gaches sont faites dans le goût de la serrure. Les gaches recouvertes se placent aux portes qui sont ferrées entre des poteaux de bois ; on les attache dans la feuillure de la porte ; elles sont repliées en rond de la hauteur de la serrure ; elles ont la queue à pate, & sont fixées sur la face des poteaux.

GACHE, en terme de Pâtissier, c'est une machine de bois à long manche ou queue, garnie par un bout d'un bec rond & plat. On s'en sert pour battre la pâte de toutes sortes d'ouvrages de pâtisserie.


GACHERv. act. & neut. en terme de Maçonnerie, c'est détremper dans une auge le plâtre avec de l'eau, pour être employé sur le champ.

Les ouvriers distinguent la maniere de gâcher serré & lâche.

Gâcher serré, c'est mettre du plâtre dans l'eau, jusqu'à ce que toute l'eau soit bue ; ce plâtre prend plus vîte. Gâcher lâche, c'est mettre peu de plâtre dans l'eau, ensorte qu'il soit totalement noyé : ce plâtre est plus long à prendre, & sert à couler des pierres, ou à jetter le plâtre au balai pour faire un enduit. (P)


GACHETTES. f. terme d'Arquebusier, c'est un morceau de fer coudé, dont une des branches est ronde & se pose sur la détente ; l'autre est plate & taillée par le bout comme une mâchoire en demi-cercle courbé. La partie qui avance le plus sert pour la tente : la détente & le repos du chien s'arrêtent dans les crans de la noix pour la tente & le repos, & en sort pour la détente. Cette partie est percée d'un trou uni où se place une vis qui tient au corps de platine, de façon que cette piece peut se mouvoir & tourner sur sa vis.

C'est de la gachette que dépend tout le mouvement de la platine : c'est elle qui fait partir le chien quand il est tendu.

Pour tendre le chien, on le tire à soi. Ce mouvement force la noix sur laquelle il est arrêté à tourner & s'arrêter par le dernier cran dans la mâchoire de la gachette ; ce qui fait lever l'extrémité coudée du grand ressort, autant qu'il le peut être, & le fait réagir considérablement.

Pour faire partir le chien, l'on presse la gachette contre son ressort, en la poussant en en-haut par le moyen de la détente : alors la mâchoire de la gachette s'échappe du cran de la noix, qui n'étant plus arrêtée par rien, cede à l'effort que le grand ressort fait pour se restituer dans son état naturel. Le chien suit aussi le même mouvement que la noix, & va frapper de la pierre qu'il tient dans ses mâchoires contre la batterie qui se leve par la force du coup qu'elle reçoit. Ce coup fait sortir des étincelles de la pierre qui enflamment la poudre du bassinet qui se trouve découverte par la levée de la batterie : cette poudre enflammée qui communique par la lumiere à celle qui est renfermée dans le canon, y met aussi le feu. Alors cette poudre qui cherche une issue pour sortir, & qui n'en trouve pas d'autre que par le bout du canon, part avec précipitation & grand bruit, & pousse la balle ou le plomb fort au loin. Voyez l'article FUSIL.

GACHETTE, piece du métier à bas. Voyez l'article BAS AU METIER.

* GACHETTE, (Serrurerie) on donne ce nom à la partie du ressort à gachette qui est sous le pêne & qui en fait l'arrêt.


GACHIERESvoyez GASCHIERES.


GADARA(Géog. anc.) ancienne ville de la Palestine dans la Perse ; elle est attribuée à la Caelé-Syrie par Etienne le géographe, qui dit qu'elle a été appellée depuis Séleucie & Antioche : ses bains étoient célebres ; & suivant Eunapius, ils tenoient le premier rang après ceux de Bayes. C'est à un citoyen de Gadara, à Méléagre, poëte grec, & qui fleurissoit sous le regne de Séleucus VI. qu'on doit le beau recueil des épigrammes greques, que nous appellons l'anthologie. (D.J.)


GADES(Géog. anc.) Les Gades étoient deux petites îles de l'Océan sur la côte d'Espagne, près du détroit de Gibraltar & de l'embouchure du fleuve Guadalquivir ou Boetis : elles n'étoient éloignées l'une de l'autre que de six vingt pas : la plus petite avoit des pâturages si gras, que Strabon dit que l'on ne pouvoit faire de fromage du lait des animaux qu'on y nourrissoit, à-moins qu'on n'y mêlat de l'eau pour le détremper : maintenant ces deux îles n'en font plus qu'une, qui est Cadix ; mais quand il s'agit de l'antiquité, il faut toûjours conserver le mot de Gades : car ces deux îles étoient habitées par une colonie de Phéniciens, qui y avoient un temple très-célebre consacré à Hercule : ils l'avoient nommé Gadir, c'est-à-dire forteresse, lieu muni, de gader en latin septum, enceinte de murailles. (D.J.)


GADRILLES. m. oiseau. Voyez GORGE-ROUGE.


GAFFES. f. (Marine) c'est une grande perche de dix à douze piés de long, à l'extrémité de laquelle il y a un croc de fer qui a deux branches, l'une droite & l'autre courbe : on s'en sert dans la chaloupe pour s'éloigner de terre ou du vaisseau : c'est le même instrument que les bateliers appellent un croc. (Z)


GAFFERv. act. (Marine) c'est s'accrocher avec une gaffe. (Z)


GAGATESvoyez JAYET.


GAGEpignus, s. m. (Jurisprud.) est un effet que l'obligé donne pour sûreté de l'exécution de son engagement.

Quelquefois le terme gage est pris pour un contrat par lequel l'obligé remet entre les mains du créancier quelque effet mobilier, pour assûrance de la dette ou autre convention ; soit à l'effet de le retenir jusqu'au payement, ou pour le faire vendre par autorité de justice, à défaut de payement ou exécution de la convention.

Quelquefois aussi le terme gage est pris pour la chose même qui est ainsi engagée au créancier.

Enfin ce même terme gage signifie aussi toute obligation d'une chose soit mobiliaire ou immobiliaire ; & dans ce cas, on confond souvent le gage avec l'hypotheque ; comme quand on dit que les meubles sont le gage du propriétaire pour ses loyers, ou qu'une maison saisie réellement devient le gage de la justice, qu'elle est le gage des créanciers hypothécaires, &c.

Mais le gage proprement dit, & le contrat de gage qu'on appelle aussi nantissement, s'entend d'une chose mobiliaire, dont la possession réelle & actuelle est transférée au créancier, pour assûrance de la dette ou autre obligation : au lieu que l'hypotheque s'entend des immeubles que le débiteur affecte & qu'il engage au payement de la dette, sans se dépouiller de la possession de ces immeubles.

Chez les Romains, on distinguoit quatre sortes de gages ; savoir le prétorien, le conventionnel, le légal & le judiciaire : parmi nous on ne connoît point le gage prétorien. La définition de ces différentes sortes de gages sera expliquée dans les subdivisions de cet article.

On peut donner en gage toutes les choses mobiliaires qui entrent dans le commerce.

Il y a certains gages qui ne sont par eux-mêmes d'aucune valeur, lesquels ne laissent pas néanmoins d'être considérés comme une sûreté pour le créancier. On en peut donner pour exemple Jean de Castro, général portugais dans les Indes, lequel ayant besoin d'argent, se coupa une de ses moustaches, & envoya demander aux habitans de Goa vingt mille pistoles sur ce gage ; elles lui furent aussi-tôt prêtées, & dans la suite il retira sa moustache avec honneur.

Les pierreries de la couronne, quoique réputées immeubles & inaliénables, ont été quelquefois mises en gage dans les besoins pressans de l'état. Charles VI. en 1417, engagea un fleuron de la grande couronne à un chanoine de la grande église de Paris (Notre-Dame), pour la somme de 4600 liv. tournois, & le retira en la même année, en baillant une chape de velours cramoisi semée de perles.

Les reliques mêmes ont aussi été quelquefois mises en gage : présentement les choses sacrées telles que les calices, ornemens & livres d'église, appartenans à l'église, ne peuvent être mis en gage, sinon en cas d'urgente nécessité.

Les personnes que l'on donne en otage, sont aussi, à proprement parler, des gages pour l'assûrance de quelque promesse.

Un créancier peut recevoir pour gage ou nantissement, des titres de propriété ou de créance, des titres de famille, &c. il n'est pas obligé de les rendre, qu'on ne lui donne satisfaction ; & si les débiteurs des sommes portées dans ces titres deviennent insolvables, il n'en est pas garant.

Avant que les Juifs eussent été chassés de France, ils y prêtoient beaucoup sur gages : sur quoi il fut fait divers réglemens : Philippe-Auguste, au mois de Février 1218, leur défendit de recevoir en gages des ornemens d'église ni des vêtemens ensanglantés ou mouillés, dans la crainte que cela ne servît à cacher le crime de celui qui auroit assassiné ou noyé quelqu'un ; il leur défendit aussi de prendre en gage des fers de charrue, des bêtes de labour, ou du blé non battu, sans-doute afin qu'ils fussent tenus de rendre la même mesure de blé : il leur défendit encore, par une autre ordonnance, de prendre en gage des vases sacrés ou des terres des églises, soit dans le domaine du roi ou du comte de Troyes, ou des autres barons, sans leur permission. L'ordonnance de 1218 fut renouvellée par Louis Hutin le 28 Juillet 1315. Le roi Jean en 1360, comprit dans la défense les reliques, les calices, les livres d'églises, les fers de moulin. S. Louis leur défendit de prendre des gages qu'en présence des témoins ; & Philippe V. dit le Long ordonna en 1317, qu'ils pourroient se défaire des choses qu'ils avoient prises en gage, au bout de l'an, si elles n'étoient pas de garde ; & si elles étoient de garde, au bout de deux ans.

Lorsque plusieurs choses ont été données en gage, on ne peut pas en retirer une sans acquiter toute l'obligation, quand même on payeroit quelque somme à proportion du gage que l'on voudroit retirer.

Le créancier nanti de gages est préféré à tous autres sur le prix des gages qu'il a en sa possession, quand même ce seroit un créancier hypothécaire ; il ne perd pas pour cela son privilége sur le gage dont il est nanti.

L'action qui naît du gage est directe ou contraire suivant le droit romain, c'est-à-dire que le gage produit une double action ; savoir, celle qu'on appelle directe, laquelle a lieu au profit de celui qui a donné le gage, à l'effet de le répéter en satisfaisant par lui aux conventions : cette action sert aussi à obliger le possesseur du gage à faire raison des dégradations qu'il peut avoir commises sur le gage.

L'action contraire est celle par laquelle le créancier qui a reçû le gage, demande qu'on lui fasse raison des impenses qu'il a été obligé de faire pour la conservation du gage ; il peut aussi en vertu de cette action, se pourvoir en dommages & intérêts, pour raison des fraudes que l'on a pû commettre par rapport au gage ; comme si on lui a remis des pierreries fausses pour des fines, ou bien s'il a été dépossédé du gage par le véritable propriétaire qui l'a reclamé.

Une des principales regles que l'on suit en matiere de gages, est que ce contrat demande beaucoup de bonne foi.

Il n'est pas permis de prêter à interêt sur gage.

L'ordonnance du Commerce, tit. vj. art. 8. porte qu'aucun prêt ne sera fait sous gage, qu'il n'y en ait un acte pardevant notaire, dont sera retenu minute, qui contiendra la somme prêtée & les gages qui auront été délivrés, à peine de restitution des gages, à laquelle le prêteur sera contraint par corps, sans qu'il puisse prétendre de privilége sur les gages, sauf à exercer ses autres actions.

L'article suivant veut que les gages qui ne pourront être exprimés dans l'obligation, le soient dans une facture ou inventaire, dont il sera fait mention dans l'obligation, & que la facture ou inventaire contienne la quantité, qualité, poids, & mesure des marchandises ou autres effets donnés en gage, sous les peines portées par l'article précédent.

Ces dispositions de l'ordonnance ne s'observent pas seulement entre marchands, mais entre toutes sortes de personnes.

Un fils de famille peut donner en gage un effet mobilier procédant de son pécule, pourvû que ce ne soit pas pour l'obligation d'autrui.

Le tuteur peut aussi, pour les affaires du mineur, mettre en gage la chose du mineur, mais non pas pour ses affaires.

Il en est de même du mandataire ou fondé de procuration à l'égard de son commettant.

Les lois permettent néanmoins au créancier qui a reçû un effet en gage, de le donner lui-même aussi en gage à son créancier ; mais elles veulent que ce dernier n'y soit maintenu qu'autant que le gage du premier subsistera ; & cela paroît peu conforme à nos moeurs, suivant lesquelles on ne peut en général engager la chose d'autrui, à-moins que ce ne soit du consentement exprès ou tacite du propriétaire. Celui qui consent de donner sa chose en gage à quelqu'un, ne consent pas pour cela que celui-ci la donne en gage à un autre ; il peut y avoir du risque pour le propriétaire, que le créancier se dessaisisse du gage.

Les fruits du gage sont censés faire partie du gage.

Le créancier nanti de gage n'est point tenu de le rendre, qu'il ne soit entierement payé de son principal & des intérêts légitimement dûs, & même de ce qui lui est dû d'ailleurs sans gage.

S'il a reçû en gage plusieurs effets, il ne peut être contraint d'en relâcher un en lui payant une partie de la dette. Il peut exiger son payement en entier.

Il n'est pas permis en France au créancier de s'approprier le gage faute de payement ; mais il peut après l'expiration du délai convenu, faire vendre le gage, soit en vertu d'ordonnance de justice, ou même en vertu de la convention, si cela a été expressément convenu, pourvû néanmoins que la vente soit toûjours faite par un huissier, en la maniere ordinaire.

Lorsque le gage est vendu, & qu'il se trouve des saisies & oppositions de la part de différens créanciers, celui qui est nanti du gage a un privilége spécial, tellement que sur cet effet il est payé par préférence à tous autres créanciers.

Si le prix du gage excede la dette, le surplus doit être rendu au débiteur ; si au contraire le gage ne suffit pas pour acquiter toute la dette, le créancier a la faculté de demander le surplus sur les autres biens du débiteur.

Les dépenses faites par le créancier pour conserver le gage, soit du consentement exprès ou tacite du débiteur, ou même sans son consentement, supposé qu'elles fussent nécessaires, peuvent être par lui répétées sur le gage, & avec le même privilége qu'il a pour le principal.

Le débiteur ou autre qui soustrait le gage, commet un larcin dont il peut être accusé par le créancier.

Lorsque le créancier a été trompé sur la substance ou qualité du gage, il en peut demander un autre, ou exiger dèslors son payement, quand même le débiteur seroit solvable.

Le créancier ne peut jamais prescrire le gage quelque tems qu'il l'ait possedé.

Voyez au digeste les titres de pignoratitiâ actione, de pignoribus vel hypotecis, & au code si aliena rei pignori data sit, quae res pignori obligari possunt, qui potiores in pignore, &c. (A)

GAGE DE BATAILLE, étoit un gage tel qu'un gant ou gantelet, un chaperon, ou autre chose semblable, que l'accusateur, le demandeur ou l'assaillant jettoit à terre, & que l'accusé ou défendeur, ou autre auquel étoit fait le défi, relevoit pour accepter ce défi, c'est-à-dire le duel.

L'usage de ces sortes de gages étoit fréquent dans le tems que l'épreuve du duel étoit autorisée pour vuider les questions tant civiles que criminelles.

Lorsqu'une fois le gage de bataille étoit donné, on ne pouvoit plus s'accommoder sans payer de part & d'autre une amende au seigneur.

Quelquefois par le terme de gage de bataille, on entendoit le duel même dont le gage étoit le signal ; c'est en ce sens que l'on dit que S. Louis défendit en 1290 les gages de bataille ; on continua cependant d'en donner tant que les duels furent permis. Voyez DUEL. Voyez le style du parlement dans Dumoulin, ch. xvj. (A)

GAGE, (CONTRE-) est un droit que quelques seigneurs ont prétendu, pour pouvoir de leur autorité faire des prises quand on leur avoit fait tort ; il intervint à ce sujet deux arrêts au parlement en 1281 & 1283, contre les comtes de Champagne & d'Auxerre. Voyez le Gloss. de M. de Lauriere, au mot contre-gage. (A)

GAGE CONVENTIONNEL, est celui qui est contracté volontairement par les parties, comme quand un homme prête cent écus, & que le débiteur lui remet entre les mains des pierreries, de la vaisselle d'argent, une tapisserie, ou autres meubles pour sûreté de la somme prêtée. (A)

GAGE EXPRES, appellé en droit pignus expressum, c'est l'obligation expresse d'un bien pour sûreté de quelque dette ; il est opposé au gage tacite ; il peut être général ou spécial. Voyez la loi 3. au code, liv. VII. tit. viij. & ci-après GAGE TACITE. (A)

GAGE GENERAL, c'est l'obligation de tous les biens du debiteur. Voyez HYPOTHEQUE GENERALE.

GAGE JUDICIAIRE ou JUDICIEL, pignus judiciale, c'est lorsque les biens d'un homme sont saisis par autorité de justice ; ils deviennent par-là obligés à la dette.

Chez les Romains le gage judiciel étoit à-peu-près la même chose que le gage prétorien ; en effet Justinien les confond l'un avec l'autre dans la loi derniere, au code de praetorio pignore : pignus, dit-il, quod à judicibus datur quod & praetorium nuncupatur ; il y a cependant plusieurs différences entre le gage judiciel & le gage prétorien.

Le gage judiciel proprement dit, étoit celui que l'exécuteur ou appariteur prenoit par autorité de justice pour mettre la sentence à exécution. Loyseau le définit quod in causam judicati ex bonis condemnati extra ordinem capit executor jussu & autoritate magistratus ; sur quoi il ajoûte que c'étoit le magistrat qui avoit donné le juge, & non pas le juge qui avoit rendu la sentence.

On exécutoit une sentence en trois manieres ; ou par emprisonnement, transactis justis diebus, suivant la loi des 12 tables, & c'étoit la seule exécution connue dans l'ancien droit ; ou quand le débiteur étoit absent & qu'on ne pouvoit le prendre, on se mettoit en possession de ses biens ex edicto praetoris, ensuite on les faisoit vendre, ce qui notoit d'infamie le débiteur. Depuis pour sauver au debiteur la rigueur de la prison ou de l'infamie, on inventa une forme extraordinaire, qui fut de demander au magistrat un exécuteur ou appariteur pour mettre la sentence à exécution ; lequel exigebat, capiebat, distrahebat & addicebat bona condemnati secundum ordinem constitutionis de pii. c'est-à-dire qu'il faisoit commandement de payer, & pour le refus saisissoit, puis vendoit & adjugeoit d'abord les meubles, ensuite les immeubles, & en dernier lieu les droits & actions. Cette façon d'exécuter les sentences fut appellée gage judiciel.

Pour connoître plus amplement la différence qu'il y avoit entre le gage judiciel & le gage prétorien, on peut voir ce qui est dit ci-après à l'article GAGE PRETORIEN, & ce qu'en dit Loyseau, tr. du déguerpissem. liv. III. ch. j. n°. 11. (A)

GAGE DE LA JUSTICE, c'est la chose qui répond envers la justice de l'exécution de quelque obligation, & que l'on a mis pour cet effet sous la main de la justice ; tels sont tous les biens meubles & immeubles saisis par autorité de justice. (A)

GAGE LEGAL, est la même chose que hypotheque légale, si ce n'est que parmi nous ce gage ou assûrance peut avoir lieu sur des meubles qui n'ont point de suite par hypotheque.

GAGE MORT, dans la coûtume de Bretagne, est celui que l'on donne pour avoir délivrance des bestiaux qui ont été pris en délit ; cet usage a été introduit par la nouvelle coûtume au lieu du gage plege que l'on étoit obligé de donner. Voyez les art. 397. 403. 406. 418. & 419. (A)

Gage, (mort-) appellé dans la basse latinité mortuum vadium, a plusieurs significations différentes.

Gage, (mort-) dans la coûtume de Lille, est lorsqu'un pere pour avantager un de ses enfans, ordonne qu'il jouïra d'un héritage jusqu'à ce que l'autre l'ait racheté de la somme réglée par le pere. Voyez Lille, tit. j. art. 53. & tit. des testam. art. 5. & des donat. art. 7. (A)

Gage (mort-) dans la même coûtume de Lille, est aussi lorsque celui qui tient un bien en gage, a droit d'en joüir jusqu'à ce que le propriétaire le rachette de la somme pour laquelle il a été hypothequé, & que le créancier détenteur en a les issues, c'est-à-dire qu'il en gagne irrévocablement les fruits sans en rien imputer sur sa créance ; il est encore parlé de ce mort-gage dans la coûtume d'Artois & dans celle de Normandie.

Le mort-gage revient à l'antichrese des Romains, & sous ce point de vûe on peut dire que Justinien avoit restreint l'effet du mort-gage, en ordonnant que si le créancier joüissoit plus de sept ans du gage, il tiendroit compte de la moitié des fruits sur le sort principal. Voyez cod. de usuris, l. si eâ lege & l. si eâ pactione.

Anciennement le mort-gage avoit lieu dans toute la France, mais seulement en certains cas : savoir, lorsque le vassal engageoit son fief à son seigneur, suiv. le chap. j. extr. de feudis, dans les mariages, ou lorsqu'un pere vouloit avantager quelqu'un de ses enfans, ou enfin lorsque l'on faisoit quelqu'aumône aux églises. Voyez Boutillier, liv. I. tit. xxv. p. 139.

Présentement le mort-gage n'est usité que dans les coûtumes qui l'admettent expressément.

Celle d'Artois déclare, art. 39. qu'on n'y use point de mort-gage, c'est-à-dire qu'il n'y est pas permis.

Cette prohibition est conforme au droit canon, extra de usuris, 5. 19. lequel néanmoins permet une convention semblable à celui qui pour sûreté de la dot de sa femme a reçû un immeuble en gage, afin qu'il puisse supporter les charges du mariage.

Lorsqu'un laïc possede un fief dépendant de l'église, & qu'il le donne à titre de mort-gage à cette église qui lui prête de l'argent, elle n'est pas obligée d'imputer au sort principal les fruits de ce fief, ch. j. & viij. extr. de usuris.

Grégoire IX. par une bulle de l'an 1127 accorda à l'abbaye de S. Bertin dans Saint-Omer en Artois, le droit de gagner les fruits des héritages qui lui sont donnés à titre de mort-gage.

Le mort-gage est toleré à Arras, pour y éluder la coûtume locale de cette ville, qui défend de créer des rentes sur les maisons. Pour y pratiquer le mort-gage, le propriétaire d'une maison la vend à faculté de rachat, puis il la reprend à loyer moyennant une somme par an, qui est égale à l'intérêt de l'argent qu'il a prêté.

On peut encore considérer comme une espece de mort-gage le droit accordé à la ville d'Arras par une charte du mois de Juillet 1481, de placer l'argent des mineurs à intérêt : les mineurs ayant suivant cette charte le droit de retirer le fond à leur majorité, sans imputer sur le principal les intérêts qu'ils ont touchés annuellement.

Le pays de Lalloeue ressortissant au conseil provincial d'Artois, est en possession immémoriale accompagnée de titres, d'user du mort-gage en toutes sortes de cas & entre toutes sortes de personnes, même de ne payer que quatre deniers d'issue & quatre deniers d'entrée pour chaque contrat de mort-gage, pourvû que le mort-gage ne dure pas plus de 30 ans ; s'il duroit plus long-tems, il en seroit dû des droits de vente.

Il y a aussi plusieurs lieux hors de l'Artois où le mort-gage est usité en toutes sortes de cas, tels que le pays de Vaes & Dendermonde.

Le mort-gage est pareillement usité en Anjou, au Maine, & en Touraine.

Il y a d'autres endroits où le contrat pignoratif n'a lieu qu'en quelques cas.

Les regles que l'on suit en matiere de mort-gage dans les pays où il est usité, sont :

1°. Que le mort-gage n'est qu'un simple engagement, & non une aliénation ; c'est pourquoi l'on ne dit point vendre & engager, ni aliéner à titre de mort-gage, mais bailler, donner & délaisser à titre de mort-gage.

2°. La propriété de la chose donnée à ce titre reste toûjours pardevers celui qui la donne en gage, ou ses héritiers & ayans cause ; mais ils ne peuvent pas retirer l'héritage des mains de l'engagiste sans lui payer les causes de l'engagement.

3°. L'engagiste qui joüit à titre de mort-gage ni ses ayans cause ne peuvent prescrire l'héritage, quand même ils l'auroient possédé pendant mille ans & plus.

4°. Il n'est pas permis à l'engagiste de vendre l'héritage par lui tenu à mort-gage pour être payé de son principal ; il est obligé de le garder jusqu'à ce qu'il plaise au débiteur de le retirer ; mais l'engagiste peut aliéner le droit qu'il a de joüir à titre de mort-gage, à la charge que l'acquéreur sera sujet aux mêmes conditions que lui.

5°. Le créancier gagne les fruits du mort-gage sans être obligé de les imputer sur son principal.

6°. Il est tenu de toutes les dépenses dont les usufruitiers sont chargés, & s'il est obligé de faire de grosses réparations, le propriétaire debiteur est tenu de les lui rendre.

On ne peut pas stipuler que le débiteur ne rentrera dans l'héritage donné à titre de mort-gage, que de certain tems en certain tems ; le débiteur peut y rentrer en tout tems nonobstant cette clause, en remboursant le sort principal, les labours & semences, impenses & améliorations.

Les engagemens du domaine de la couronne sont une espece de mort-gage, l'engagiste n'étant point tenu d'imputer les joüissances sur le prix du rachat. Voyez l'auteur des notes sur Artois, art. 39.

Le mort-gage est opposé au vif-gage. Voyez ci-après VIF-GAGE. (A)

Gage, (mort-) suivant Littleton, sect. 32. est aussi un gage qui est vendu au créancier quand le débiteur ne le retire pas dans le tems dont il est convenu. Voyez Rastal & Jacob. Goth. ad leg. unic. cod. theod. de commiss. rescind. (A)

GAGE-PLEGE en Normandie, est l'obligation que contracte quelqu'un pour le vassal qui n'est pas resséant sur son fief de payer pour lui les rentes & redevances dûes pour l'année suivante, à raison de son fief ; il doit donner plege, c'est-à-dire caution, qui demeure sur le fief, & qui s'oblige de les payer.

La clameur de gage-plege, suivant l'art. 336. de la coûtume de Normandie & le style du même pays, est une action propriétaire & possessoire tout ensemble, dont use celui qui craint qu'un autre ne fasse quelqu'entreprise sur aucune saisie ou droiture à soi appartenant ; l'objet de cette action est de prévenir l'entreprise. Voyez CLAMEUR DE GAGE-PLEGE, (A)

Gage-plege signifie aussi en Normandie une convocation extraordinaire que fait le juge dans le territoire d'un fief pour l'élection d'un prevôt ou sergent pour faire payer les rentes & redevances seigneuriales dûes au seigneur par ses censitaires, rentiers & redevables.

Le seigneur féodal a par rapport aux rentes & redevances dûes à son fief & seigneurie, deux devoirs différens : l'un de plaids, l'autre de gage-plege ; les plaids & gage-plege se tiennent par son juge bas-justicier ; il ne peut pas les tenir lui-même ; la convocation doit être faite dans l'étendue du fief, & non ailleurs ; les plaids sont pour juger les contestations au sujet des rentes & redevances seigneuriales contre les redevables. Le gage-plege est pour élire un prevôt pour faire le recouvrement des rentes & redevances seigneuriales, & y recevoir les nouveaux aveux des censitaires & rentiers.

La convocation du gage-plege doit être faite par le sénéchal si c'est dans une haute-justice, ou par le prevôt si c'est dans une moyenne ou basse-justice. Elle se fait en présence du greffier, tabellion, notaire ou autre personne publique, avant le 15 de Juillet au plus tard ; & tous les aveux & autres actes du gage-plege doivent être signés tant du juge que du greffier, ou autre personne publique que l'on a commis pour en faire la fonction.

Les minutes des aveux & déclarations demeurent ès mains du notaire ou tabellion, & les minutes des jugemens au greffe de la justice.

Le gage-plege ne se tient qu'une fois l'année, à jour marqué.

Tous les hommes de fiefs sujets ou vassaux tenans roturierement du fief, sont obligés de comparoître au gage-plege en personne, ou par procureur spécial & ad hoc, pour faire élection d'un prevôt receveur, & en outre pour reconnoître les rentes & redevances seigneuriales par eux dûes au fief & seigneurie ; ils doivent spécifier les héritages à cause desquels les rentes & redevances sont dûes, & si depuis leurs derniers aveux ou déclarations ils ont acheté ou vendu quelques héritages tenus de ladite seigneurie, le nom du vendeur ou de l'acheteur, le prix porté au contrat, & le nom du notaire ou tabellion qui a reçû l'acte.

Lorsque les sujets du seigneur sont défaillans de comparoir au gage-plege, on les condamne en l'amende qui ne peut excéder la somme de cinq sols pour chaque tête ; cette amende est taxée par le juge, eu égard à la qualité & quantité des héritages tenus par le vassal ou sujet ; & outre l'amende, le juge peut faire saisir les fruits de l'héritage, & les faire vendre pour le payement des rentes & redevances qui sont dûes sans préjudice de l'amende des plaids, qui est de 8 s. 1 den.

La proclamation du gage-plege doit être faite publiquement un jour de dimanche, à l'issue de la grande messe paroissiale, par le prevôt de la seigneurie, quinze jours avant le terme d'icelui ; & cette publication doit annoncer le jour, le lieu, & l'heure de la séance. Voyez la coûtume de Normandie, art. 185. & suiv. (A)

Gage-plege de duel, étoit le gage ou otage que ceux qui se battoient en duel donnoient à leur seigneur. Ces otages ou gages-pleges étoient des gentils-hommes de leurs parens ou amis. On disoit pleiger un tenant, ou se faire son gage-plege de duel, pour dire que l'on se mettoit en gage ou otage pour lui. (A)

GAGE PRETORIEN, pignus praetorium, étoit chez les Romains celui qui se contractoit, lorsque par l'édit du préteur, c'est-à-dire en vertu d'un mandement & commission du magistrat, ce que l'on appelloit autore praetore, le créancier étoit mis en possession des biens de son débiteur, quoiqu'il n'eût stipulé sur ces biens aucune hypotheque.

Cette mise en possession se fait avant la condamnation du débiteur ou après. Elle s'accordoit avant la condamnation, à cause de la contumace du débiteur, soit in non comparendo, aut in non satis dando ; elle s'accordoit après la condamnation lorsque le débiteur se cachoit de peur d'être emprisonné faute de payement, suivant la loi des douze tables.

Dans les actions réelles cette mise en possession ne s'accordoit que sur la chose contentieuse seulement, au lieu que dans les actions personnelles elle se faisoit sur tous les biens du debiteur ; mais Justinien la modéra ad modum debiti, comme il est dit en l'authentique & qui jurat, inserée au code de bonis autor. jud. possid. C'est pourquoi depuis Justinien, cette mise en possession fut fort peu pratiquée, parce que l'usage du gage judiciel fut trouvé plus commode, attendu qu'il étoit plutôt vendu, & avec moins de formalité.

Le gage prétorien ne s'accordoit que quand le débiteur étoit absent, & qu'il se cachoit pour frauder ses créanciers, suivant ce qui est dit dans les deux dernieres lois au code de bonis autor. jud. poss. Il avoit lieu aussi après la mort du débiteur quand il n'y avoit point d'héritier, suivant la loi pro debito au même titre ; car tant qu'on trouvoit la personne, on ne s'attaquoit jamais aux biens.

En France le gage prétorien n'est nullement usité. Voyez Loyseau, tr. du déguerpiss. liv. III. ch. j. n. 8. & 13. (A)

GAGE SPECIAL, est celui qui est singulierement obligé au créancier, lequel a sur ce gage un privilége particulier ; par exemple, le marchand qui a vendu de la marchandise, a pour gage spécial cette même marchandise, tant qu'elle se trouve en nature entre les mains de l'acheteur ; à la différence du gage général qui s'étend sur tous les biens, sans qu'un créancier ait plus de droit qu'un autre sur un certain effet. (A)

GAGE SIMPLE, pignus simplex, étoit chez les Romains celui qui ne contenoit aucune condition particuliere ; à la différence de l'antichrese & de la convention appellée fiducia, qui étoient aussi des especes de gages sur lesquels on donnoit au créancier certains droits particuliers. Voyez ANTICHRESE & FIDUCIE. (A)

GAGE TACITE, c'est l'hypotheque tacite ; les immeubles aussi bien que les meubles deviennent en certains cas le gage tacite des créanciers. Voyez HYPOTHEQUE TACITE (A)

GAGE, (VIF) est celui qui s'acquite de ses issues, c'est-à-dire dont la valeur des fruits est imputée au sort principal de la somme, pour sûreté de laquelle le gage a été donné. Tout gage est présumé vif. Voyez la loi 2. ff. de pignoribus, & ci-devant MORT-GAGE. (A)

GAGES DES OFFICIERS, (Jurisprud.) que l'on appelloit autrefois salaria, stipendia, annonae, sont les appointemens ou récompense annuelle que le Roi ou quelque autre seigneur donne à ses officiers.

On confondoit autrefois les salaires des officiers avec leurs gages, comme il paroît par le titre du code de praebendo salario ; présentement on distingue deux sortes de fruits dans les offices, savoir les gages que l'on regarde comme les fruits naturels, & les salaires ou émolumens qui sont les fruits industriaux.

Dans les trois derniers livres du code, les gages ou profits annuels des officiers publics sont appellés annonae, parce qu'au commencement on les fournissoit en une certaine quantité de vivres qui étoit donnée pour l'usage d'une année ; mais ces profits furent convertis en argent par Théodosius & Honorius en la loi annona au code de erogat. milit. ann. & ce fut-là proprement l'origine des gages en argent.

Les officiers publics n'avoient dans l'empire romain point d'autres profits que leurs gages, ne prenant rien sur les particuliers, comme il résulte de la novelle 53, qui porte que omnis militia nullum alium questum quam ex imperatoris munificentia habet. Les magistrats, greffiers, notaires, appariteurs, & les avocats même avoient des gages ; les juges même du dernier ordre en avoient ordinairement ; & ceux qui n'en avoient pas, ce qui étoit fort rare, extra omne commodum erant, comme dit la novelle 15, ch. vj. C'est pourquoi Justinien permet aux défenseurs des cités de prendre au lieu de gages, quatre écus des parties pour chaque sentence définitive, & en la novelle 82, ch. xjx, il assigne aux juges pedanées quatre écus pour chaque procès à prendre sur les parties, outre deux marcs d'or de gages qu'ils prenoient sur le public.

En France les officiers publics, & sur-tout les juges n'avoient autrefois d'autres salaires que leurs gages.

On les payoit ordinairement en argent, comme il paroît par une ordonnance de Philippe V. dit le Long, du 18 Juillet 1318, portant que les gages en deniers assis sur le thrésor, en baillies, prévôtés, sénéchaussées, & en l'hôtel du Roi, ne seroient point échangés en terre, ni assis en terre.

Suivant la même ordonnance, personne ne pouvoit avoir doubles gages, excepté certains veneurs, auxquels le roi avoit donné la garde de quelques-unes de ses forêts. Charles V. étant régent du royaume, permit à Jean de Dormans, qui étoit chancelier de Normandie, & qu'il nomma chancelier de place, de joüir des gages de ces deux places.

Les clercs qui avoient du roi certaines pensions, ne les conservoient plus dès qu'ils avoient un bénéfice, parce que ce bénéfice leur tenoit lieu de gages.

Charles IV. dit le Bel, défendit le 15 Mai 1327, aux soudoyers & autres qui avoient gages du Roi, de vendre leurs cédules & escroës à vil prix, & à toutes personnes de les acheter, sous peine de confiscation de corps & de biens.

Les gages se comptoient à termes ou par jour, de maniere que l'on diminuoit aux officiers le nombre de jours qu'ils n'avoient pas servi.

En l'année 1351, le roi Jean augmenta les gages des gens de guerre, à cause de la cherté des vivres & autres biens.

C'étoit d'abord sur la recette des bailliages & sénéchaussées, que les gages de tous officiers royaux étoient assignés. Charles V. en 1373 assigna ceux du parlement & des maîtres des requêtes sur les amendes ; la même chose avoit déjà été ordonnée le 12 Novembre 1322. Dans la suite les gages des cours souveraines, des présidiaux & autres officiers, ont été assignés sur les gabelles.

On trouve au registre de la cour de l'an 1430, tems où les Anglois étoient les maîtres du parlement, une conclusion portant que s'ils ne sont payés de leurs gages dans Pâques, nul ne viendra plus au palais pour l'exercice de son office : & in hoc signo indissolubile vinculum charitatis & societatis ut sint socii constitutionis & laboris ; & le 12 Février audit an, il est dit qu'il y eut cessation de plaidoierie, propter vadia non soluta, jusqu'à la Pentecôte 28 Avril, & fut envoyé signifier au Roi & à son conseil à Rouen. Voyez la bibliotheque de Bouchel, verbo gages.

Aux offices non venaux les gages ne courent que du jour de la réception de l'officier ; dans les offices venaux ils courent du jour des provisions. Voyez ce qui est dit ci-après des gages intermédiaires.

Les augmentations de gages ont cela de singulier, qu'elles peuvent être acquises & possédées par d'autres que par le propriétaire titulaire de l'office. Voyez l'acte de notorieté de M. le Camus, du 18 Avril 1705.

Les gages cessent par la mort de l'officier, & du jour que sa résignation est admise.

On trouve néanmoins deux déclarations des 13 Décembre 1408, & 18 Janvier 1410, qui ordonnent que les conseillers qui auront servi pendant 20 années, joüiront de leurs gages, leur vie durant ; mais ce droit n'a plus lieu depuis la vénalité des charges.

L'ordonnance de Charles VII. du mois d'Avril 1453, article xj. défend à tous officiers de judicature, de prendre aucuns gages ou pensions de ceux qui sont leurs justiciables.

Plusieurs ordonnances ont défendu aux officiers royaux de prendre gages d'autres que du roi ; telle est la disposition de celle d'Orléans, art. xxxxjv ; de celle de Moulins, art. xjx & xx ; & de celle de Blois, art. cxij & suivans : ce qui s'observe encore présentement, à-moins que l'officier n'ait obtenu du Roi des lettres de compatibilité.

François I. par son ordonnance de 1539, art. cxxjv. défendit aux présidens & conseillers de ses cours souveraines, de solliciter pour autrui les procès pendans ès cours où ils sont officiers, & d'en parler aux juges directement ou indirectement, sous peine de privation entr'autres choses de leurs gages pour un an.

L'ordonnance d'Orléans, art. 55. enjoint à tous hauts justiciers de salarier leurs officiers de gages honnêtes, ce qui est assez mal observé ; mais lorsqu'il y a contestation portée en justice à ce sujet, on condamne les seigneurs à donner des gages à leurs juges.

Les gages des officiers de la maison du Roi, de la Reine, & des Princes de la maison royale, ne sont pas saisissables, suivant une déclaration du 20 Avril 1555, qui étend ce privilége aux gages de la gendarmerie ; elle excepte seulement les dettes qui seroient pour leurs nourriture, chevaux & harnois.

La déclaration du 24 Novembre 1678, ordonne que les transports & cessions qui sont faits à l'avenir par les officiers du roi, des gages qui sont attribués à leurs charges, portés par les contrats & obligations qui seront passés au profit de leurs créanciers, ou en quelque autre maniere que ce soit, seront nuls & de nul effet, sans que les trésoriers de la maison du Roi puissent avoir aucun égard aux saisies qui seront faites entre leurs mains ; la même chose est ordonnée pour les officiers employés sur les états des maisons de la Reine, de Monsieur, duc d'Orléans, & de Madame, duchesse d'Orléans ; les gages de ces sortes d'offices ne peuvent même être compris dans une saisie réelle, parce que l'office même n'est pas saisissable.

Pour ce qui est des autres offices, les gages en sont saisissables, à la différence des autres émolumens, tels que les épices, vacations, & autres distributions semblables. Voyez la déclaration du 19 Mars 1661.

Les gages des commis des fermes du Roi ne sont pas saisissables, suivant l'ordonnance de 1681, titre commun à toutes les fermes, art. 14. (A)

GAGES ANCIENS, sont ceux qui ont été d'abord attribués à un office ; on les surnomme anciens, pour les distinguer des augmentations de gages qui ont été attribuées dans la suite au même office. (A)

GAGES, (AUGMENTATION DE) sont un supplément de gages que le Roi accorde à un officier ; ce qui se fait ordinairement moyennant finance. Voyez ce qui en est dit ci-devant à l'art. GAGES DES OFFICIERS, & l'art. précéd. touchant les gages anciens. (A)

GAGES INTERMEDIAIRES, sont ceux qui ont couru depuis le décès ou résignation du dernier titulaire, jusqu'au jour des provisions du nouvel officier. Avant la vénalité des offices, on ne parloit point de gages intermédiaires ; les gages n'étant donnés que pour le service de l'officier, ne couroient jamais que du jour de sa réception, & même seulement du jour que l'officier avoit commencé d'entrer en exercice. Mais depuis que les offices ont été rendus vénaux, & qu'on leur a attribué des gages, lesquels abusivement ont été considérés plutôt comme un fruit de l'office, que comme une récompense du service de l'officier ; l'usage a introduit que pour ces sortes d'offices, les gages courent du jour des provisions, & l'on a appellé gages intermédiaires, comme on vient de le dire, ceux qui courent entre le décès ou résignation du dernier titulaire, & les provisions du nouvel officier.

On entend aussi quelquefois par gages intermédiaires, ceux qui ont couru entre les provisions & la réception.

On ne paye point au nouvel officier les gages intermédiaires sans lettres de chancellerie, qu'on appelle lettres d'intermédiat ; & à la chambre des comptes, où l'on suit scrupuleusement les anciens usages, on ne passe point encore purement & simplement les intermédiats de gages d'officiers d'entre les provisions & la réception ; si la difficulté en est faite au bureau, on laisse ordinairement cette partie en souffrance ; ce qui oblige l'officier de recourir aux lettres de rétablissement. Voyez ce que dit Loyseau, tr. des offices, liv. I. ch. viij. n°. 56 & suiv. (A)

GAGES PAR JOUR, voyez ci-après GAGES A TERMES.

GAGES MENAGERS ; quelques anciennes ordonnances appellent ainsi les appointemens que l'on donnoit à certaines gens de guerre qui étoient prêts à marcher au premier ordre, & n'avoient qu'une paye modique lorsqu'ils ne servoient pas actuellement. (A)

GAGES A TERMES ou PAR JOUR, étoient ceux qui ne se payoient aux officiers du roi, qu'à proportion du tems & du nombre de jours qu'ils avoient servi ; à la différence de ceux qui étoient donnés à vie, comme cela se pratiquoit quelquefois. Il est parlé de ces gages à termes ou par jour, dans plusieurs ordonnances, & notamment dans une du 16 Juin 1349, portant que les officiers ne seront payés de leurs gages qu'à proportion du tems qu'ils serviront. C'est apparemment de-là que vint l'usage de faire donner par les officiers une cédule appellée servivi, par laquelle ils attestoient le nombre de jours qu'ils avoient servi dans leur office. Il est encore parlé de ces gages à termes ou par jour, dans une ordonnance du roi Jean, du 13 Janvier 1355. Voyez ci-après GAGES A VIE. (A)

GAGES A VIE, étoient des appointemens ou pensions qui étoient assûrés aux officiers du roi, leur vie durant, pour leur service actuel, soit qu'ils le fissent en plein, & sans y manquer un seul jour, ou qu'ils fussent absens sans nécessité ou empêchement légitime pendant un tems plus ou moins considérable.

On les appelloit gages à vie, pour les distinguer des gages ordinaires, que l'on appelloit alors gages à termes ou à jours, qui ne se payoient aux officiers qu'à proportion du tems & du nombre de jours qu'ils avoient réellement servi.

Plusieurs personnes du conseil, & autres officiers du roi, qui prenoient gages de lui, ayant obtenu de lui des lettres par lesquelles ces gages leur étoient assûrés à vie, comme on vient de le dire, soit qu'ils fussent présens ou absens, qu'ils exerçassent ou n'exerçassent pas leurs offices ; & ceux qui avoient obtenu ces lettres, prenant de-là occasion de s'absenter sans nécessité, Philippe de Valois ordonna le 19 Mars 1341, que ces lettres ne pourroient servir aux impétrans, si ce n'est à ceux qui, par maladie ou vieillesse, ne pourroient exercer leurs offices, ou à ses officiers, qui après sa mort seroient privés, sans qu'il y eût de leur faute, de leurs charges par ses successeurs ; mais on conçoit aisément que cette derniere disposition ne pouvoit avoir d'effet, qu'autant qu'il plaisoit aux successeurs de ce prince, étant maîtres chacun de révoquer leurs officiers, & de continuer ou non les pensions accordées de grace par leurs prédécesseurs.

Il y eut néanmoins encore dans la suite de ces gages à vie ; car on trouve une autre déclaration du 3 Févr. 1405, par laquelle ils furent révoqués. (A)


GAGEMENTS. m. (Jurisprud.) dans la coûtume d'Orléans, signifie l'obligation & hypotheque des biens d'un débiteur. Voyez l'article 360. (A)


GAGER(v. neutre) voyez l'article GAGEURS.

GAGER, (Jurisprud.) Ce terme a dans cette matiere différentes significations.

Gager dans quelques coûtumes, c'est prendre gage. Voyez Melun, articles 327 & 328. Sens, 129. Senlis, 288. Chaumont, 96. Vitry, 120. Bourbonnois, 134. Auxerre, 128. Bayonne, tit. viij. art. 2. tit. xxvj. article 13. (A)

Gager l'amende ou l'émende, c'est payer & acquiter l'amende de justice. Voyez la coûtume de Saint-Paul, art. 32. qui est le 63e de la plus ample coûtume. Emendae gagiatae est l'ordonnance de saint Louis de l'an 1259. (A)

Gager la clameur de bourse, en Normandie ; c'est lorsque celui qui est assigné en retrait, tend le giron. Voyez l'art. 497 de la coûtume de Normandie. (A)

Gager la loi, dans l'ancienne coûtume de Normandie, signifie offrir de faire serment. La loi n'étoit gagée qu'en simple action personnelle de fait ou de droit, qui se nommoit desrenne. L'ancienne coûtume de Normandie porte que desrenne est l'épurgement de ce dont aucun est querellé, qu'elle se fait par son serment & par le serment de ceux qui lui aident ; cet ancien droit est aboli. Voyez le glossaire de M. de Lauriere au mot gager. (A)

Gager partage, en Normandie, c'est offrir en jugement partage à ses freres puînés. Voyez Normandie, articles 347 & 348. (A)

Gager personnes en son dommage, c'est prendre le chapeau ou autre habillement du pâtre du bétail qui fait dommage en l'héritage d'autrui. Voyez la coûtume d'Auxerre, articles 271 & 272. (A)

Gager le rachat, c'est offrir réellement au seigneur le droit de rachat à lui dû. C'est ainsi que s'énoncent quelques coûtumes, telles que Tours, article 144. Lodunois, chap. xj. art. 6. chap. xjv. art. 3. Anjou, articles 115 & 226. Maine, articles 126 & 284. (A)


GAGERIES. f. (Jurisprud.) est une simple saisie & arrêt de meubles, sans déplacement ni transport.

Cette saisie se fait ordinairement pour cause privilégiée, sans qu'il y ait obligation par écrit ni condamnation.

L'effet de cette saisie est que les meubles sont mis sous la main de la justice pour la sûreté du créancier.

Le saisi doit donner gardien solvable, ou se charger lui-même comme dépositaire des biens de justice, autrement l'huissier pourroit enlever les meubles ; mais la vente ne peut en être faite qu'en vertu d'un jugement qui l'ordonne.

Le seigneur censier peut, suivant l'article 186 de la coûtume de Paris, procéder par simple gagerie sur les meubles étant dans les maisons de la ville & banlieue de Paris, faute du payement du cens, & pour trois années dudit cens, & au-dessous.

L'article 161 de la même coûtume permet au propriétaire d'une maison donnée à loyer, de procéder par voie de gagerie pour les termes à lui dûs sur les meubles étant dans cette maison.

Anciennement on procédoit par voie de gagerie, sans que l'ordonnance du juge fût nécessaire en aucun cas ; mais cet abus fut réformé par un arrêt de l'an 1389.

Il n'est pas besoin d'ordonnance du juge pour user de simple gagerie, lorsque le bail est passé devant notaire ; mais il en faut une, lorsque le bail est sous seing-privé ou qu'il n'y en a point.

On peut aussi user de gagerie, suivant l'article 163. pour trois années seulement d'arrérages d'une rente fonciere dûe sur une maison sise en la ville & fauxbourgs de Paris, sur les meubles étant dans cette maison appartenans au détenteur & débiteur de la rente.

Enfin le droit que l'article 173 de la même coûtume accorde aux bourgeois de Paris d'arrêter les biens de leurs débiteurs forains trouvés en la ville, est encore une saisie-gagerie qui se peut faire, quoiqu'il n'y ait point de titre ; mais il faut aussi une permission du juge. Voyez ci-devant GAGER, & SAISIE-GAGERIE. (A)


GAGEURES. f. (Analyse des hasards) est la même chose que pari, qui est plus usité en cette rencontre. Voyez PARI, JEU, GEURE (Jurisprudprud.)

Cet article nous fournit une occasion, que nous cherchions, d'insérer ici de très-bonnes objections qui nous ont été faites sur ce que nous avons dit au mot CROIX OU PILE, de la maniere de calculer l'avantage à ce Jeu si commun. Nous prions le lecteur de vouloir bien d'abord relire le commencement de cet article CROIX OU PILE. Voici maintenant les objections que nous venons d'annoncer. Elles sont de M. Necker le fils, citoyen de Genève, professeur de Mathématiques en cette ville, correspondant de l'académie royale des Sciences de Paris, & auteur de l'article FROTTEMENT ; nous les avons extraites d'une de ses lettres.

" On demande la probabilité qu'il y a d'amener croix en deux coups. Vous dites qu'il n'y a que trois évenemens possibles, 1°. croix d'abord, 2°. pile & croix, 3°. pile & pile ; & comme de ces évenemens deux sont favorables & un nuisible, vous concluez que la probabilité d'amener croix en deux coups, est de deux contre un. Cette conclusion suppose deux choses ; 1°. que cette énumeration de tous les évenemens possibles est complete ; 2°. qu'ils sont tous trois également possibles, aequè proclives, comme dit Bernoulli. Je conviens avec vous de la vérité du premier chef ; mais nous différons sur le second point. Je crois que la probabilité d'amener croix d'abord est double de celle d'amener pile & croix ou pile & pile. La preuve directe que je crois en avoir, est celle-ci. Il est aussi facile d'amener croix d'abord que pile d'abord ; mais il est bien plus probable qu'on amenera pile d'abord, que pile & croix : car pour amener pile & croix, il faut non-seulement amener pile d'abord, mais après avoir amené pile, il faut ensuite amener croix ; second évenement aussi difficile que le premier. S'il étoit aussi facile d'amener en deux coups pile & pile que pile en un coup, il seroit par la même raison encore de la même facilité d'amener pile, pile, & pile en trois coups, & en général d'amener n fois pile en n coups ; cependant qui est-ce qui ne trouve pas incomparablement plus probable d'amener pile en un coup, que d'amener pile cent fois de suite ? Voici une autre façon d'envisager la chose. Ou j'amenerai croix du premier coup, ou j'amenerai pile. Si j'amene croix, je gagne toute la mise de l'autre ; si j'amene pile, je ne perds ni ne gagne, parce qu'ensuite au second jet j'ai une espérance égale à la sienne. Donc, puisque j'ai chance égale à avoir sa mise ou à n'avoir rien, c'est comme s'il rachetoit tout son risque, en me donnant la moitié de sa mise. Or la moitié de sa mise qu'il me donne, avec la mienne que je rattrape, fait les 3/4 du tout, & l'autre moitié de sa mise qu'il garde fait l'autre quart du tout : j'ai donc trois parts, & lui une ; ma probabilité de réussir étoit donc de 3 contre 1. Mais voici quelque chose de plus décisif. Il suivroit de votre façon, Monsieur, de compter les probabilités, qu'on ne pourroit en aucun nombre de coups gager avec parité d'amener la face A d'un dez à trois faces A, B, C ; car vous la trouverez toûjours de 2n - 1 contre 2n, n étant le nombre de coups dans lequel on entreprend d'amener la face A. Voici en effet tous les cas possibles en quatre coups, par exemple " :

Il est aisé de voir qu'il y a ici 15 cas favorables & 16 défavorables ; de façon qu'il y a 24 - 1 contre 24, qu'on amenera la face A. Il me paroît donc certain que le cas A ne peut pas être regardé comme n'étant pas plus probable que le cas B, C, B, B, &c.

Ces objections, sur-tout la derniere, méritent sans-doute beaucoup d'attention. Cependant il me paroît toûjours difficile de bien expliquer pourquoi & comment l'avantage peut être triple, lorsqu'il n'y a que deux coups favorables ; & on conviendra du-moins que la méthode ordinaire par laquelle on estime les probabilités dans ces sortes de jeux, est très-fautive, quand même on prétendroit que le résultat de cette méthode seroit exact ; c'est ce que nous examinerons plus à fond aux articles JEU, PARI, PROBABILITE, &c. (O)

GAGEURE, (Jurisprud.) est une convention sur une chose douteuse & incertaine, pour raison de laquelle chacun dépose des gages entre les mains d'un tiers, lesquels doivent être acquis à celui qui a gagné la gageure.

On fait des gageures sur des choses dont l'exécution dépend des parties, comme de faire une course en un certain tems fixé, ou sur des faits passés, présens, ou à venir, mais dont les parties ne sont pas certaines.

Les gageures étoient usitées chez les Romains ; on les appelloit sponsiones, parce qu'elles se faisoient ordinairement par une promesse réciproque des deux parties, per stipulationem & restipulationem ; au lieu que dans les autres contrats, l'un stipuloit, l'autre promettoit.

En France on appelle ce contrat gageure, parce qu'il est ordinairement accompagné de consignation de gages ; car gager signifie proprement bailler des gages ou consigner l'argent, comme on dit gager l'amende, gager le rachat. Néanmoins en France on fait aussi les gageures par simples promesses réciproques sans déposer de gages ; & ces gageures ne laissent pas d'être obligatoires, pourvû qu'elles soient faites par des personnes capables de contracter & sur des choses licites, & que s'il s'agit d'un fait, les deux parties fussent également dans le doute.

Les Romains faisoient aussi comme nous des gageures accompagnées de gages ; mais les simples sponsions étoient plus ordinaires.

Ces sortes de sponsions étoient de deux sortes, sponsio erat judicialis aut ludicra.

Sponsio judicialis étoit lorsque dans un procès le demandeur engageoit le défendeur à terminer plus tôt leur différend, le provoquoit à gager une certaine somme, pour être payée à celui qui gagneroit sa cause, outre ce qui faisoit l'objet de la contestation.

Cette premiere sorte de gageure se faisoit ou par stipulation & restipulation, ou per sacramentum. On trouve nombre d'exemples de gageures faites par stipulations réciproques dans les oraisons de Cicéron pour Quintius, pour Ceccina contre Verrès, dans son livre des offices ; dans Varron, Quintilien, & autres auteurs.

La gageure per sacramentum est lorsque l'on déposoit des gages in aede sacrâ. Les Grecs pratiquoient aussi ces sortes de gageures, comme le remarque Budée. Ils déposoient l'argent dans le prytanée ; c'étoit ordinairement le dixieme de ce qui faisoit l'objet du procès, lorsque la contestation étoit entre particuliers, & le cinquieme dans les causes qui intéressoient la république, comme le remarque Julius Pollux. Varron explique très-bien cette espece de gageure ou consignation dans son livre II. de la langue latine. C'est sans-doute de là qu'on avoit pris l'idée de l'édit des consignations, autrement appellé de l'abréviation des procès, donné en 1563, & que l'on vouloit renouveller en 1587, par lequel tout demandeur ou appellant devoit consigner une certaine somme proportionnée à l'objet de la contestation ; & s'il obtenoit à ses fins, le défendeur ou intimé étoit obligé de lui rembourser une pareille somme.

L'usage des gageures judiciaires fut peu-à-peu aboli à Rome ; on y substitua l'action de calomnie, pro decimâ parte litis, dont il est parlé aux instit. de poenâ temerè litigant. ce qui étant aussi tombé en non-usage, fut depuis rétabli par la novelle 112 de Justinien.

On distinguoit aussi chez les Romains deux sortes de gageures, ludicres. L'une qui se faisoit par stipulation réciproque, & dont on trouve un exemple mémorable dans Pline, liv. IX. chap. xxxv. où il rapporte la gageure de Cléopatre contre Antoine ; & dans Valere Maxime, liv. II. où est rapportée la gageure de Valerius contre Luctatius. Il est aussi parlé de ces gageures en la loi 3. au digeste de aleo lusu & aleat. qui dit, licuisse in ludo qui virtutis causâ fit sponsionem facere ; suivant les lois, Cornelia & Publicia, alias non licuisse.

L'autre sorte de gageure, ludicre, se faisoit en déposant des gages, comme on voit dans une églogue de Virgile.

Depono, tu dic mecum quo pignore certes.

Il en est parlé dans la loi si rem, au digeste de praescriptis verbis, par laquelle on voit qu'on mettoit assez ordinairement les anneaux en gage, comme étant plus en main que toute autre chose : si quis, dit la loi, sponsionis causâ annulos acceperit, nec reddat victori, praescriptis verbis adversus eum actio competit. Planude rapporte que Xantus maître d'Esope, ayant parié qu'il boiroit toute l'eau de la mer, avoit donné son anneau en gage. Cette sorte de gageure per depositionem pignorum étoit la seule usitée chez les Grecs, comme il résulte d'un passage de Démosthene ; lequel en parlant d'une gageure, dit qu'elle ne pouvoit subsister, parce que l'on avoit retiré les gages.

On ne doit pas confondre toutes sortes de gageures avec les contrats aléatoires, qui sont proscrits par les lois ; & c'est une erreur de croire que toutes sortes de gageures soient défendues, qu'il n'y ait point jamais d'action en justice pour les gageures, à-moins que les gages ne soient déposés. Ce n'est pas toûjours le dépôt des gages qui rend la gageure valable ; c'est plutôt ce qui fait l'objet de la gageure : ainsi elles ont été rejettées ou admises en justice, selon que les personnes qui avoient fait ces gageures étoient capables, ou non, de contracter, & que l'objet de la gageure étoit légitime.

Mornac sur la loi 3. au digeste, & sur la loi si rem de praescriptis verb. de aleat. dit qu'elles sont permises in rebus honestis, veluti ob spem futuri eventûs, & similibus.

Boniface, tome I. liv. VIII. titre xxjv. chapit. v. Despeisses, tome I. part. I. tit. xviij. Catelan, tom. II. rapportent plusieurs arrêts qui ont déclaré des gageures valables.

L'exemple le plus récent que l'on connoît d'une gageure assez considérable, dont l'exécution fut ordonnée au conseil du Roi, est celui d'une gageure de 30000 liv. que M. le maréchal d'Estrées & le sieur Law contrôleur général, avoient faite ensemble par un écrit double du 14 Mars 1720, au sujet du cours que pourroit avoir dans cette année le change avec Londres & Amsterdam. M. le maréchal d'Estrées ayant gagné la gageure, les directeurs des créanciers du sieur Law furent condamnés à lui payer les 30000 liv. quoique la somme n'eût pas été déposée. (A)


GAGIERE(Jurisprud.) en quelques pays signifie un mort-gage ou un gage, qui ne s'acquite point de ses issues & de ses fruits. Ce mot vient de gageria, qui se trouve en ce sens dans le chap. iij. extra de feudis. Voyez l'article 88 des ordonnances de Metz, le 38 des anciennes coûtumes de Bar ; le 42 de celle de S. Mihel ; la coûtume de Lorraine, titre xvij, articles 1 & 3. Ducange, Spelman, & Vossius. Voyez ci-devant au mot gage l'article MORT-GAGE, & l'article suivant GAGIERES. (A)

GAGIERES, s. f. sont aussi dans la même coûtume de Mets des acquisitions faites à ce titre, c'est-à-dire avec déclaration qu'on entend les posséder & en disposer comme de gagieres.

Ces sortes de biens ont été ainsi nommés, parce qu'autrefois pour avoir la liberté de disposer des biens que l'on acquéroit, comme d'un meuble, on mettoit le contrat sous le nom d'un ami, dont on paroissoit créancier. Cet ami se reconnoissoit debiteur du prix, & à l'instant donnoit ce même fond acquis à titre de gagerie & mort-gage, avec faculté d'en joüir & d'en percevoir tous les fruits & profits.

Au moyen de ces formalités, l'héritage étoit réputé meuble ; au lieu que si le véritable acquéreur paroissoit lui-même avoir acquis l'héritage, il étoit réputé immeuble. Mais cet ancien usage fut aboli par l'article 88 des ordonnances de Metz de l'an 1564, qui dispense de prendre ce circuit, & permet à celui qui veut acquérir à titre de gagerie, de le faire en son propre nom.

Les héritages acquis à ce titre sont toûjours réputés meubles quant à la liberté d'en disposer, & immeubles quant à l'hypotheque. Voyez le traité des acquêts de gagieres, par M. Ancillon. (A)


GAGLIARDI(chevilles de) Anat. Gagliardi a donné une anatomie des os, qui contient plusieurs nouvelles découvertes. Il a donné son nom aux petites chevilles qu'il a découvertes, & qui tiennent les différentes couches dont les of paroissent composés, unies ensemble. Son ouvrage a pour titre, Gagliardi anatome ossium. Leid. 1724, 8°. &c. (L)


GAGNABLEadj. (Jurisprud.) les terres gagnables dans la coûtume de Normandie, art. 162, sont terres incultes, sauvages, ou sauvées de la mer. (A)


GAGNAGES. m. (Jurisprud.) dans plusieurs coûtumes signifie les fruits de la terre ; quelquefois les gagnages sont pris pour les terres mêmes dont on perçoit les fruits. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot GAGNAGE. (A)

GAGNAGES, s. m. (Venerie) ce sont les endroits chargés de grains où les cerfs vont faire leurs viandis.


GAGNE-DENIERS. m. (Commerce) homme fort & robuste dont on se sert à Paris pour porter des fardeaux & marchandises en payant une certaine somme, dont on convient à l'amiable. On les nomme aussi porte-faix, crocheteurs, forts, hommes de peine, plumets, garçons de la pelle, tireurs de moulins, &c.

Ils servent pour la plûpart sur les ports, & ont leurs salaires reglés par les prevôt des Marchands & échevins : ils composent différentes communautés, & ont leurs officiers, confrairies, & maîtres de confrairies.

L'ordonnance de la ville de 1712 a reglé plusieurs points de police qui concernent ces gagne-deniers.

On appelle du même nom à la Douanne de Paris, des gens à qui seuls il appartient de travailler pour la décharge & recharge des marchandises, ballots, balles, tonneaux, &c. qui y sont portés ou qui y arrivent par les carrosses, coches, chariots, charrettes, & autres voitures publiques.

Ils sont choisis par les fermiers généraux, font une espece d'apprentissage, & ne peuvent être reçûs qu'en payant certains droits qui montent à près de huit cent livres.

Ce sont eux qui exécutent les ordres des principaux commis de la douanne, particulierement de l'inspecteur général des manufactures & des visiteurs pour l'ouverture des balles & ballots, & pour l'envoi des draperies à la halle aux draps, des livres à la chambre syndicale des Libraires, & des toiles à la halle de cette marchandise.

Leur nombre n'excede guere celui de vingt ; leurs salaires ne sont pas fixés pour la plûpart, & ils font bourse commune, partageant entr'eux tous les soirs ce qu'ils ont reçû. Dictionnaires de Commerce & de Trévoux. (G)


GAGNÉE(liberté) Manege. voyez LIBERTE, voyez MORS.


GAGNERverbe actif, & quelquefois neutre. La principale signification de ce mot est relative à l'idée d'accroissement & de profit ; un marchand gagne beaucoup, lorsqu'il vend beaucoup & cher. On gagne sur un marché, lorsque la chose est achetée au-dessous de son prix ; un ouvrier gagne tant par jour : gagner se dit alors de son salaire. On gagne l'estime, l'amitié, la bienveillance, la confiance, l'esprit des autres. On gagne un juge, soit en le fléchissant, lorsqu'il est trop severe, soit en le corrompant, lorsqu'il est inique ; on livre un combat, & on gagne une bataille ou du terrein, un prix, une partie, une gageure. Le feu gagne le toît de la maison ; l'eau gagne les caves : dans ces cas, gagner est synonyme à atteindre. On gagne le vent ; voyez GAGNER (Marine.) On gagne l'épaule ou la volonté du cheval ; voyez GAGNER (Manege.) On gagne du tems ; on gagne sa vie, &c. Ce verbe a une infinité d'acceptions différentes. Voyez les articles suivans, & l'article GAIN.

GAGNER LE VENT, GAGNER LE DESSUS DE VENT, (Marine) c'est prendre l'avantage du vent sur son ennemi ; ce qui se fait en courant plusieurs bordées, en changeant promtement de bord, lorsque le vent a donné, & en faisant bien gouverner. Voyez VENT.

Gagner au vent, monter au vent, c'est lorsqu'un vaisseau qui étoit sous le vent se trouve au vent par la bonne manoeuvre qu'il a faite.

Gagner sur un vaisseau, c'est lorsqu'on cingle mieux que lui, & que l'on s'en est approché ou qu'on l'a dépassé. (Z)

GAGNER, (Jardinage) c'est un terme reçû chez les Fleuristes, pour dire que la graine qu'on a semée a produit un nouvel oeillet, une oreille d'ours, une renoncule, une anemone, & autres. (K)

GAGNER l'épaule du cheval, (Manége) expression qui suppose dans le jeu, dans le mouvement, & dans l'action de cette partie, un défaut quelconque que l'on réprime, ou que l'on corrige par le secours de l'art ; soit que ce défaut provienne de la nature & de la conformation de l'animal, soit qu'on puisse le regarder comme un de ces vices acquis, & nés de l'ignorance de celui qui l'exerce & qui le travaille.

Cette maniere de s'exprimer est encore usitée, relativement aux parties mobiles de l'arriere-main, lorsque le cavalier leur imprime un mouvement auquel elles se refusent.

On ne sauroit prévenir avec trop de soin & d'attention les mauvaises habitudes que la plûpart des chevaux peuvent contracter dans les leçons qu'ils reçoivent, sur-tout quand elles sont données sans ordre, sans méthode, sans choix, & qu'on ne conduit point exactement l'animal, selon les gradations & l'enchaînement ; d'où résulte inévitablement en lui la facilité de l'exécution. (e)

GAGNER la volonté du cheval, (Manége) c'est de la part du cavalier la faire plier sous le joug de la sienne. Cette définition annonce que l'expression dont il s'agit, est spécialement & particulierement adoptée, dans le cas où nous triomphons d'une opposition marquée, & d'une résistance véritable de la part de l'animal.

Pour contraindre & pour gêner en lui l'acte ou l'exercice de cette puissance avec quelqu'avantage, la patience & la douceur suffisent ; la force & la rigueur augmentent son opiniâtreté, & l'avilissent plutôt qu'elles ne changent ses déterminations. (e)


GAGO(Géog.) royaume d'Afrique dans la Nigritie. Il est situé au couchant de celui de Guiber, dont il est séparé par un desert de cent lieues : M. de Lisle appelle ce desert plaines sablonneuses : l'on en apporte l'or à Maroc. La capitale Gago, située sur une petite riviere qui va grossir le Sénégal, est, suivant le même géographe, par le 19d de longit. & par le 19d de latitude. (D.J.)


GAIadj. (Gramm.) voyez l'article GAIETE.

GAI, en Musique, se dit du mouvement d'un air, & répond au mot italien allegro. Voyez ALLEGRO.

Ce mot peut aussi s'entendre du caractere de la musique, indépendamment du mouvement. (S)

GAI, couleurs gaies, en Peinture, ne se dit guere qu'en parlant du paysage, pour exprimer la sérénité de l'air qui regne dans un tableau.

GAI, en termes de Blason, se dit d'un cheval nud & sans harnois.

Du Gué, d'azur au cheval gai & passant d'or, au chef de même.


GAIANS. m. turdus, (Hist. nat. Ichtiolog.) poisson de mer du genre des tourds ; on l'a aussi appellé auriol ; c'est le plus grand de tous les poissons de ce genre ; il a une couleur rougeâtre avec des taches noires & de couleur plombée, qui est celle du ventre. Rond. hist. des poissons, liv. VI. chap. vj. Voyez POISSON. (I)


GAIANITESS. m. pl. (Théologie) nom de secte qui étoit une branche des Eutychiens. Voyez EUTYCHIENS.

Cette secte étoit plus ancienne que Gaian ou Gaien, évêque d'Alexandrie dans le vj. siecle, dont elle prit le nom. Elle suivit les erreurs de Julien d'Halicarnasse, chef des Incorruptibles ou des Phantastiques ; ensuite ces hérétiques prirent ou on leur donna le nom de Gaian, qui se mit à leur tête. Ils nioient que Jesus-Christ après l'union hypostatique, fût sujet aux infirmités de la nature humaine. Voyez INCORRUPTIBLE. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


GAIETÉS. f. (Morale) la gaieté est le don le plus heureux de la nature. C'est la maniere la plus agréable d'exister pour les autres & pour soi. Elle tient lieu d'esprit dans la société, & de compagnie dans la solitude. Elle est le premier charme de la jeunesse, & le seul agrément de l'âge avancé. Elle est opposée à la tristesse, comme la joie l'est au chagrin. La joie & le chagrin sont des situations ; la tristesse & la gaieté sont des caracteres. Mais les caracteres les plus suivis sont souvent distraits par les situations ; & c'est ainsi qu'il arrive à l'homme triste d'être ivre de joie, à l'homme gai d'être accablé de chagrin. On trouve rarement la gaieté où n'est pas la santé. Scarron étoit plaisant ; j'ai peine à croire qu'il fût gai. La véritable gaieté semble circuler dans les veines avec le sang & la vie. Elle a souvent pour compagnes l'innocence & la liberté. Celle qui n'est qu'extérieure est une fleur artificielle qui n'est faite que pour tromper les yeux. La gaieté doit présider aux plaisirs de la table ; mais il suffit souvent de l'appeller pour la faire fuïr. On la promet par-tout, on l'invite à tous les soupers, & c'est ordinairement l'ennui qui vient. Le monde est plein de mauvais plaisans, de froids bouffons, qui se croyent gais parce qu'ils font rire. Si j'avois à peindre en un seul mot la gaieté, la raison, la vertu & la volupté réunies, je les appellerois philosophie.


GAIETou GAETE, caieta, (Géogr.) ancienne ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, avec une forteresse, une citadelle, un port, & un évêché suffragant de Capouë, mais exempt de sa jurisdiction. Elle est au pié d'une montagne proche la mer, à 12 lieues E. de Capouë, 15 de Naples, 28 de Rome. Long. 31. 12. lat. 41. 30.

Vio (Thomas de) théologien, cardinal, beaucoup plus connu sous le nom de Cayetan (mais qu'il ne faut pas confondre avec celui qui par ses intrigues vouloit faire tomber la couronne de France à l'infante d'Espagne), naquit à Gaiete le 20 Février 1469, & mourut à Rome le 9 Août 1534. Il a composé un grand nombre d'ouvrages théologiques qu'on ne lit plus ; cependant ses commentaires sur l'Ecriture imprimés à Lyon en 1539 en 5 vol. in-fol. entrent encore dans quelques bibliotheques, en faveur du nom de l'auteur, & des emplois dont il a été décoré. (D.J.)


GAIGNE COÛTUMIERE(Jurisprud.) dans la coûtume d’Auvergne, ch. xij. art. 16. c’est ce que le [424] survivant des conjoints par mariage gagne selon la coûtume sur les biens du prédécédé : ainsi gaigne est un mot corrompu, dérivé de gain coûtumier. (A)


GAILLACGalliacum, (Géogr.) petite ville du haut Languedoc dans l'Albigeois, assez remarquable par le commerce de ses vins, & plus encore par son abbaye de Bénédictins, dont on ne trouve cependant aucune mention avant l'an 972. Cette abbaye fut sécularisée en 1536, & forme à présent un chapitre. La ville de Gaillac est sur le Tarn, à trois lieues O. d'Albi, 6 N. de Lavaur. Long. 19. 30. lat. 43d. 50'. (D.J.)


GAILLARDadj. ce mot differe beaucoup de gai. Il présente l'idée de la gaieté jointe à celle de la bouffonnerie, ou même de la duplicité dans la personne, de la licence dans la chose ; c'est un gaillard, ce conte est un peu gaillard : il se dit aussi quelquefois de cette espece d'hilarité ou de galanterie libertine qu'inspire la pointe du vin : il étoit assez gaillard sur la fin du repas. Il est peu d'usage ; & les occasions où il puisse être employé avec goût, sont rares. On dit très-bien il a le propos gai, & familierement il avoit le propos gaillard. Un propos gaillard est toûjours gai ; un propos gai n'est pas toûjours gaillard. On peut avoir à une grille de religieuses le propos gai : si le propos gaillard s'y trouvoit, il y seroit déplacé.


GAILLARDES. f. (Musiq.) espece de danse dont l'air est à trois tems gai. On la nommoit autrefois romanesque, parce qu'elle nous est, dit-on, venue de Rome, ou du-moins d'Italie.

Cette danse est hors d'usage depuis long-tems ; il ne reste dans la danse qu'un pas qu'on appelle pas de gaillarde. Voyez la suite de cet article. (S)

GAILLARDE, (Fonderie en caracteres) cinquieme corps des caracteres d'Imprimerie. Sa proportion est d'une ligne trois points, mesure de l'échelle ; son corps double est le gros-romain.

Voyez PROPORTIONS DES CARACTERES D'IMPRIMERIE, & l'exemple à l'article CARACTERE.

La gaillarde est un entre-corps, & on employe souvent pour le faire l'oeil de petit-romain sur le corps de gaillarde, qui n'est que de peu de chose plus foible. Voyez MIGNONE.

GAILLARDE, (pas de) Danse, il est composé d'un pas assemblé, d'un pas marché, & d'un pas tombé. Le pas de gaillarde se fait en-avant & de côté.

Le pas en-avant se fait ayant le pié gauche devant à la quatrieme position, & le corps posé sur le talon du pié droit levé ; de-là on plie sur le pié gauche ; la jambe droite se leve, & on se releve pour sauter. La jambe se croise devant à la troisieme position, en retombant de ce saut sur les deux piés les genoux étendus ; & cette jambe qui a croisé devant, se porte à la quatrieme position en-avant. On laisse poser le corps dessus en s'élevant du même tems ; par ce moyen on attire la jambe gauche derriere la droite, & à peine la touche-t-elle que le pié se pose à terre, & le corps se posant dessus, fait plier le genou gauche par son fardeau : ce qui oblige la jambe droite de se lever. Dans le même moment le genou gauche qui est plié en voulant s'étendre, renvoye le corps sur la gauche, qui se pose à terre, en faisant un saut que l'on appelle jetté-chassé. Mais en se laissant tomber sur le pié droit, la jambe gauche se leve, & le corps étant dans son équilibre entierement posé sur le pié droit, l'on peut en faire autant du pié gauche.

Ce pas se fait aussi de côté en allant sur une même ligne, mais différemment de celui en-avant. Ayant le corps posé sur le pié gauche, vous pliez & vous vous élevez en sautant & assemblant le pié droit auprès du gauche à la premiere position, en tombant sur les deux pointes, mais le corps posé sur le gauche, parce que du même tems vous portez le droit à côté à la deuxieme position en vous élevant dessus pour faire votre pas tombé, qui fait la seconde partie dont le pas de gaillarde est composé.


GAILLARDELETTESS. f. ou GALANS, s. m. (Mar.) quelques navigateurs donnent ce nom aux pavillons qu'on arbore sur le mât de misene & sur l'artimon, mais il n'est guere d'usage. (Q)


GAILLARDETS. m. (Marine) c'est une sorte de petite giroüette échancrée en maniere de cornette. (Q)


GAILLARDou CHATEAUX, s. m. pl. (Mar.) ce sont des étages ou des ponts qui ne s'étendent point de toute la longueur du vaisseau, mais qui se terminent à une certaine distance de l'étrave & de l'étambot. Les gaillards d'avant & d'arriere sont placés sur le pont le plus élevé, & la dunette est au-dessus du gaillard d'arriere. L'étendue des gaillards & dunette varie suivant la grandeur des vaisseaux. On communique du gaillard d'arriere au gaillard d'avant par une espece de couroir qu'on établit basbord & stribord, & qu'on appelle le passe-avant. Voyez, Planche I. de Marine, le dessein du vaisseau, le gaillard d'arriere coté H H, & le gaillard d'avant coté L. (Q)


GAILLON(Géog.) bourg de France en Normandie, au diocese d'Evreux, renommé par sa situation, par un palais appartenant aux archevêques de Roüen, & par la Chartreuse qui en est voisine. Il est dans un lieu charmant près de la Seine, à deux lieues d'Andely, & sept de Roüen. Long. 19. lat. 49. 18. (D.J.)


GAINS. m. profit que l'on tire de son travail, de son industrie, de son jeu. Il est l'opposé de perte. Voyez l'article GAGNER.

GAIN, (Jurispr.) ce terme s'applique dans cette matiere à plusieurs objets différens.

GAIN D'UNE CAUSE, INSTANCE ou PROCES, c'est lorsqu'une partie obtient à ses fins. (A)

GAIN DE LA DOT, est le droit que le mari a dans certains pays & dans certains cas de retenir pour lui en tout ou partie la dot de sa femme prédécédée.

Ce gain ou avantage est aussi nommé gain de nôces desunies, droit de rétention & contr'augment, parce qu'il est opposé à l'augment de dot que la femme survivante gagne sur les biens de son mari. Voyez ci-devant CONTR'AUGMENT & DOT.

Voyez aussi les questions de lucro dotis de Roland, Duval, & Phannucius de phannuccis, en son comm. sur les statuts de la ville de Lucques, sive tract. de lucro dotis, lib. II. cap. xjx. (A)

GAIN CONVENTIONNEL, est un gain de nôces & quelquefois aussi de survie, qui est fondé ou reglé sur le contrat de mariage. Voyez ci-après GAINS NUPTIAUX. (A)

GAIN COUTUMIER, est le gain de nôces & de survie que le mari ou la femme qui a survécu à son conjoint, gagne suivant la coûtume ou l'usage sur les biens de ce conjoint prédécédé. Voyez ci-après GAIN STATUTAIRE. (A)

GAIN DE NOCES, est un avantage qui est acquis au mari ou à la femme, à cause du mariage sur les biens de l'autre conjoint.

Il y a des avantages qui sont tout-à-la-fois gains de nôces & de survie, d'autres qui sont gains de nôces simplement. Voyez ci-après GAIN NUPTIAL & GAIN DE SURVIE. (A)

GAIN NUPTIAL, est un avantage qui revient au mari ou à la femme sur les biens de l'autre conjoint, & qui lui est accordé en faveur du mariage.

Ces sortes de gains sont fondés sur la loi, ou sur le contrat de mariage, ou sur un usage non écrit qui a acquis force de loi.

Par le terme de gains nuptiaux pris dans un sens étendu, on comprend quelquefois généralement tous les avantages qui ont lieu entre conjoints en faveur de mariage.

Mais le terme de gains nuptiaux est usité plus particulierement dans les pays de droit écrit, pour exprimer l'augment ou agencement, le contr'augment, les bagues & joyaux & autres avantages qui ont lieu entre conjoints, soit en vertu de la loi ou de l'usage, ou en vertu du contrat. On les appelle aussi gains de survie, parce qu'il faut survivre pour les gagner. Il y a néanmoins des cas où l'un des conjoints peut les demander du vivant de l'autre : comme en cas de faillite, séparation, mort civile.

Les avantages qui ont lieu en pays coûtumier, sont compris sous le nom de reprises & conventions matrimoniales.

L'usage de différentes provinces de droit écrit n'est pas uniforme sur les gains nuptiaux.

Lorsqu'ils sont reglés par le contrat de mariage, il faut se conformer au contrat.

S'il n'y a point de contrat ou qu'il n'en parle point, en ce cas on suit la loi ou l'usage du lieu où les conjoints ont d'abord établi leur domicile.

Les gains nuptiaux pour la femme se reglent communément à proportion de sa dot, & pour le mari à proportion du gain que doit avoir la femme.

Lorsque ces gains n'excedent point ce qui est fixé par la loi ou par l'usage, ils ne sont pas réductibles pour la légitime, mais ils sont sujets au retranchement de l'édit des secondes nôces.

Ils ne sont ordinairement exigibles qu'un an après la mort du conjoint prédécédé ; les intérêts n'en sont dûs que du jour de la demande, excepté au parlement de Paris, où ils sont dûs de plein droit, du jour du décès ; leur hypotheque est du jour du mariage ou du contrat, s'il y en a un qui les regle.

Ces sortes de gains sont ordinairement reversibles aux enfans, à-moins qu'il n'y ait clause au contraire.

Dans le cas où ils sont reversibles, le survivant doit donner caution, mais il a une virile en propriété dont il peut disposer comme bon lui semble.

Si le survivant se remarie ayant des enfans, il perd tout droit de propriété dans les gains nuptiaux, même dans la virile, & est obligé de reserver le tout à ses enfans.

Le survivant qui ne poursuit pas la vengeance de la mort du prédécédé, ou qui est lui-même auteur de sa mort, est privé des gains nuptiaux ; les femmes en sont encore privées lorsqu'elles sont convaincues d'adultere, ou qu'elles ont quitté leur mari sans cause légitime, ou qu'elles se remarient à des personnes indignes, qu'elles se remarient dans l'an du deuil, ou qu'elles vivent impudiquement après la mort de leur mari.

Les enfans n'ont aucun droit certain dans les gains nuptiaux du vivant de leurs pere & mere, quand on les fait renoncer d'avance à ces sortes de gains nuptiaux ; il faut que la renonciation en fasse mention nommément, parce que ces gains sont un troisieme genre de biens que les enfans ont droit de prendre, quoiqu'ils ne soient point héritiers de leurs pere & mere. Voyez mon traité des gains nuptiaux & de survie. (A)

GAIN DE SURVIE, est celui qui n'est acquis que par le prédécès de quelqu'un ; on comprend sous ce terme toutes les donations qui sont faites à condition de survivre au donateur ; mais ce terme est plus usité dans les pays de droit écrit, pour exprimer les gains nuptiaux qu'on appelle aussi quelquefois simplement gains de survie, parce qu'il faut survivre pour les gagner. Voyez ci-devant GAIN DE NOCES & GAIN NUPTIAL. (A)


GAINES. f. étui de plusieurs instrumens en acier ou autre métal ; il se dit de presque toutes les pieces de coutellerie : on le disoit même autrefois des épées, & de-là sont venus les termes de dégaîner, de rengaîner, & quelques autres qui sont en usage parmi les gens d'épée.

Le mot de gaîne a donné son nom à une des communautés de Paris. Voyez GAINIER.

La gaîne se fait avec des mandrins, de la forme de l'instrument auquel on destine la gaîne. On ajuste à la lime & à la rape des éclisses sur ces mandrins, de la figure, longueur, largeur, épaisseur, concavité, convexité convenables ; on double ces éclisses en-dedans de papier ou de parchemin colorés & quelquefois d'étoffe ; on les fixe ensemble avec de la bonne colle-forte ; on les couvre en-dessus d'un parchemin sur lequel on colle de la peau, du chagrin, de la roussette, du chien-de-mer, &c. Pendant tout ce travail, on tient le mandrin entre les éclisses, & les éclisses fixées sur l'une contre l'autre & sur le mandrin, par des cordes bien serrées, qu'on ne détache que quand on est assûré que les éclisses tiennent fortement ensemble ; c'est alors qu'on applique la couverture à la gaîne ou à l'étui. Cet art qui ne paroît rien & qui est assez peu de chose en lui-même, demande une propreté, une habileté, une main-d'oeuvre, & une habitude particuliere. Avec ces talens, on fait des ouvrages très-agréables ; & l'on en a beaucoup à faire. Il y a peu de commerce plus étendu que la Gainerie.

GAINE DE TERME, en Architecture, c'est la partie inférieure d'un terme, qui va diminuant du haut en-bas, & porte sur une base.

GAINE DE SCABELLON, en Architecture, c'est la partie ralongée qui est entre la base & le chapiteau d'un scabellon, & qui se fait de diverses manieres, & avec différens ornemens. Voyez SCABELLON. (P)

GAINE DE FLAMME, (Marine) c'est une maniere de fourreau de toile, dans lequel on fait passer le bâton de la flamme.

De pavillon, c'est une bande de toile cousue dans toute la grandeur du pavillon : les rubans y sont passés.

De giroüette, ce sont des bandes de toile par où l'on coud les giroüettes au fût. (Z)

* GAINE ou GAIGNE, terme de Potier d'étain, c'est un trou quarré qui traverse les empreintes ou calibres qui servent à tourner ; on pratique à ces outils de bois un trou rond avec une tariere ou un gros vilbrequin, qui les traverse d'un bout à l'autre ; on y place le mandrin de l'arbre du tour ; & après avoir fait plusieurs autres petits trous autour du gros, qui y communiquent, & placé le mandrin, on jette de l'étain fondu sous la forme d'un trou quarré, juste au mandrin ; on a soin de marquer un côté du mandrin sur la gaîne avant de le retirer, afin de remettre l'empreinte dans la même situation où étoit le mandrin lorsque la gaîne a été faite, & que toutes les fois qu'on aura besoin de remonter l'empreinte sur le tour, elle se trouve toûjours ronde. Lorsque la gaîne est jettée, on met l'empreinte ou calibre sur le tour, & avec des crochets on lui donne telle forme qu'il lui faut. Voyez TOURNER L'ETAIN.


GAINIERS. m. siliquastrum, (Bot.) genre de plante à fleur légumineuse, dont les deux pétales latérales sont plus élevées que la pétale supérieure ; la partie inférieure est composée de deux pétales ; il sort du calice un pistil entouré d'étamines qui devient une silique applatie, membraneuse, & remplie de semences, dont la figure approche de celle d'un rein ; les feuilles de la plante sont alternes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On met au rang des principales especes le gaînier à fleur blanche, le gaînier à grande silique, le gaînier du Canada, le gaînier de la Caroline, outre le gaînier ordinaire qu'il suffira de décrire ici ; il est nommé siliquastrum par Tournefort, inst. 647. Boerh. ind. alt. 2. 23, & autres.

Sa racine est grosse, dure, ligneuse, vivace ; elle pousse un tronc qui devient un arbre de moyenne grosseur & grandeur, divisé en branches éloignées les unes des autres, couvertes d'une écorce purpurine noirâtre ; sur ses branches naissent au premier printems & avant les feuilles, des fleurs légumineuses, belles, agréables, purpurines, amassées plusieurs ensemble, attachées à des courts pédicules noirs ; ses fleurs sont composées de cinq pétales, dont les deux inférieurs surpassent en grandeur les supérieurs, ce qui est le contraire des fleurs légumineuses de plusieurs autres plantes ; leur goût est doux, un peu aigrelet ; ensuite naissent le long des branches des feuilles seules & alternes, rondes comme celles du cabaret, mais beaucoup plus grandes, moins charnues, nerveuses, vertes en-dessus, blanchâtres en-dessous : quand les fleurs sont passées, il leur succede de longues gousses d'environ six pouces, très-applaties, membraneuses, & en quelque sorte transparentes, purpurines, faites comme des gaînes à couteaux, d'où vient en françois le nom de gaînier, qu'on donne à la plante. Ces gousses renferment entre les cosses plusieurs semences, presqu'ovales, plus grosses que des lentilles, dures, & rougeâtres.

Cet arbre croît dans les pays chauds, en Espagne, en Italie, en Languedoc, en Provence, soit dans les vallées, soit sur les montagnes. Il fleurit en Avril & Mai ; il n'est d'aucun usage en Medecine, mais on le cultive dans les jardins des curieux pour la beauté de ses fleurs ; il réussit par des soins habiles dans les climats tempérés. Le gaînier d'Amérique donne en Angleterre de très-belles fleurs couleur de rose & en grappes ; il porte ses graines à maturité, & s'éleve jusqu'à la hauteur de 20 piés.

Sa culture n'est pas même difficile ; on le multiplie de graine, qu'on seme sur couche au printems, dans une terre franche, mêlée d'un peu de fumier chaud ; on couvre la plante avec des paillassons dans les orages pluvieux ; on l'arrose dans les grandes chaleurs : on la transporte l'année suivante dans un bon terrein, où on la laisse pendant quelques années ; on a soin de la nettoyer des mauvaises herbes, & d'amollir la terre avec la bêche, pour que les racines puissent s'étendre ; au bout de quatre à cinq ans que l'arbuste a séjourné dans une bonne pépiniere, on le transplante avec précaution, ou dans des bosquets, ou dans des endroits sauvages, parmi les autres arbres qui viennent à la même hauteur que celui-ci. On le place au-devant de ceux qui s'élevent davantage, & l'on observe dans l'arrangement de ces sortes de plantations une gradation subsistante, dont l'ensemble paroissant en forme d'amphitéatre, forme un spectacle symmétrique qui plaît à la vûe. (D.J.)

GAINIER, s. m. (Arts méchan.) artisan qui fait des gaînes : les autres ouvrages que font les maîtres Gaîniers, sont des boîtes, des écritoires, des tubes de lunettes d'approche, des coffres, & cassettes, des fourreaux d'épée & de pistolets, & autres semblables ouvrages couverts de chagrin, de maroquin, de veau, & de mouton : ils travaillent aussi à faire des flacons, des bouteilles, & autres pareils ouvrages de cuir bouilli.

Les Gaîniers de la ville de Paris sont qualifiés par leurs statuts maîtres Gaîniers, Fourreliers, & ouvriers en cuir bouilli.

Ils sont érigés en corps de jurande, dès l'an 1323 ; mais ce n'est proprement que par les reglemens du 21 Septembre 1560, donnés sous le regne de François II. que leur communauté a reçu sa derniere perfection.

Suivant leurs statuts, aucun ne peut être reçû maître Gaînier, s'il n'a été apprenti pendant six ans chez un maître de Paris, & fait chef-d'oeuvre tel qu'il lui a été prescrit par les jurés de la communauté.

Ceux qui ont appris le métier de Gaînier dans quelque ville de France, ne peuvent être reçûs maîtres à Paris, s'ils n'ont auparavant servi les maîtres de cette ville l'espace de quatre années, & fait chef-d'oeuvre, de même que les autres apprentis.

Les fils de maîtres sont exempts du chef-d'oeuvre, & peuvent être admis à la maîtrise après une legere expérience, pourvû qu'ils ayent appris leur métier pendant six ans chez leur pere ou autre maître de la communauté.

Il est défendu à tout maître gaînier, sous peine de confiscation & d'amende, d'employer aucuns vieux cuirs dans leurs ouvrages.

Chaque maître ne peut tenir qu'une seule boutique ouverte.

Tous ceux qui se font recevoir à la maîtrise, doivent faire choix d'une marque pour marquer leurs ouvrages ; l'empreinte de laquelle doit être mise sur la table de plomb gardée dans la chambre du procureur du roi du châtelet.

Les veuves des maîtres Gaîniers peuvent pendant leur viduité, tenir boutique ouverte, & joüir des priviléges, suivant les ordonnances, à la reserve de faire des apprentis.

Enfin les marchandises foraines concernant l'état de Gaînier, qui viennent à Paris pour y être vendues, doivent être vûes & visitées, lors de leur arrivée, par les jurés Gaîniers, & ensuite lotties entre les maîtres. Dictionn. & réglem. du Comm.


GAIVESadj. f. (Jurisprud.) choses gaives, dans l'ancienne coûtume de Normandie, & dans la nouvelle, ch. xjx. art. 604. & dans la charte aux Normands, sont choses égarées & abandonnées, qui ne sont appropriées à aucun usage d'homme, ni réclamées par aucun : ces choses doivent être gardées pendant un an & jour, & rendues à ceux qui font preuve qu'elles leur appartiennent ; & après l'an & jour, elles appartiennent au roi ou aux seigneurs, quand elles ont été trouvées sur leurs fiefs. Voyez Couvel, liv. II. tit. j. Lauriere, gloss. au mot gaives. (A)


GALS. m. poisson, voyez DOREE.


GALACHIDEou GARACHIDE, s. f. (Hist. nat.) pierre dont parlent quelques auteurs, & dont ils ne donnent point de description, sinon qu'elle est noirâtre. On lui attribuoit plusieurs vertus merveilleuses, comme entr'autres de garantir celui qui la tenoit, des mouches & autres insectes : pour en faire l'épreuve, on frottoit un homme de miel pendant l'été, & on lui faisoit porter cette pierre dans la main droite ; quand cette épreuve réussissoit, on reconnoissoit qu'elle étoit véritable ; & on prétendoit qu'en la portant dans sa bouche, on découvroit les pensées des autres. Voyez le supplément de Chambers.

Cette pierre fabuleuse se trouve encore nommée garatide, céranite, & gérachide ou gératide, dans les différens auteurs qui en ont parlé.


GALACTITEou GALAXIE, s. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une pierre que Wallerius croit avoir été une espece de jaspe blanc. Pline, liv. XXXVII. chap. x. dit qu'elle est remplie de veines rouges ou blanches.


GALACTOPHAGEGALACTOPOTE, s. m. & f. qui vit de lait, qui boit habituellement du lait ; on a donné ces noms à des peuples entiers, dont le lait étoit la principale nourriture, soit comme aliment, soit comme boisson. Voyez le dictionn. de Trév.

Ces mots ont été quelquefois employés par les Medecins pour désigner les malades qui sont à la diete blanche, c'est-à-dire qui ne vivent presque que de lait, par régime & par remede.

Ces termes sont grecs ; ils sont formés du mot commun à tous les deux, , génitif de , lac, lait ; du mot , edax, mangeur, pour l'un, & de , potor, buveur, pour l'autre : d'où galactophage & galactopote.


GALACTOPHORE(Anat.) qui porte du lait. Voyez LAIT.


GALACTOPOIESES. f. , lactificatio, c'est la faculté qu'ont les mammelles de servir à l'élabora ion, à la secrétion du lait. Voyez LAIT, MAMMELLE.


GALACTOPOSIE, s. f. se dit du traitement des différentes maladies, par le moyen du lait. Voyez LAIT, GOUTTE, PHTHISIE, &c.


GALACTOSES. f. changement en lait, production du lait : ce terme est dérivé de , qui signifie se changer en lait ; & de-là, , galactosis, employé pour désigner l'élaboration, la secrétion par laquelle le chyle, dans la masse des humeurs, est changé en lait par l'action de la vie, & séparé dans les mammelles avec les qualités du lait.

Les Médecins se servent du terme de galactose, & il se trouve dans le journal des Sc. de 1665. Dict. de Trév. (d)


GALACZAxiopolis, (Géog.) ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie près du Danube, entre les embouchures du Pruth & du Séret ou Moldawa. M. de Lisle écrit Galasi. (D.J.)


GALAIQUEgalaïcos, s. f. (Hist. nat.) nom donné par Pline à une pierre qu'il dit ressembler à l'argyrodamas, c'est-à-dire, selon quelques-uns au talc ; excepté que Pline dit qu'elle est d'un blanc plus sale.


GALAIou GALOIS, s. m. pl. (Jurisprud.) sont en Poitou des épaves ou choses trouvées, & qui ne sont avoüées de personne. Voyez Constant, sur l'article 99 de cette coûtume. (A)


GALANGAS. m. poisson, voyez BAUDROIE.

GALANGA, (Botan. exot.) racine des Indes orientales, qui est d'usage en Medecine.

On trouve deux especes de galanga dans les boutiques, le petit & le grand, tous deux décrits avec soin par M. Geoffroy. Le petit galanga, galanga minor, ou galanga sinensis off. est une racine tubéreuse, noüeuse, genouillée, tortue, repliée & recourbée comme par articulations de distance en distance, divisée en branches, & entourée de bandes circulaires : cette racine est inégale, dure, solide, de la grosseur du petit doigt, de couleur brune en-dehors & rougeâtre en-dedans, d'une odeur vive, aromatique : sa saveur un peu amere, pique & brûle le gosier, comme font le poivre & le gingembre. On nous apporte cette racine séchée, coupée par tranches ou en petits morceaux ; on la tire de la Chine & des Indes orientales, où elle croît d'elle-même, & où les habitans la cultivent : il faut la choisir saine, nourrie, compacte, odorante, d'un goût piquant.

La plante qui s'éleve de cette racine est appellée lagundi par les Indiens. On assûre qu'elle est composée de feuilles graminées, comme le gingembre ; que les fleurs, extrêmement odorantes, sont blanches & faites en maniere de casque ; & que son fruit a trois loges pleines de petites graines arrondies.

Le grand galanga, galanga major, galanga javanensis off. est une racine tubéreuse, noüeuse, inégale, genouillée, semblable à celle du petit galanga, mais plus grande, de la grosseur d'un ou de deux pouces, d'une odeur & d'un goût bien plus foibles & moins agréables, d'un brun rougeâtre en-dehors & pâle en-dedans. La plante qui produit cette racine s'appelle aux Indes bangula ; & c'est tout ce que nous en savons.

Le grand & le petit galanga ont été également inconnus aux Grecs anciens & modernes, ainsi qu'aux Arabes : ces deux racines contiennent un sel volatil, huileux, aromatique, mais en plus grande abondance dans le petit galanga que dans le grand.

Le petit galanga passe sur-tout pour être propre à fortifier l'estomac relâché par l'atonie des fibres : on peut alors l'employer comme stomachique, jusqu'au poids d'une dragme en poudre, & jusqu'à trois dragmes en infusion dans un véhicule convenable. Les Indiens se servent des deux racines pour assaisonner leur nourriture, & nos Vinaigriers pour donner de la force à leurs vinaigres : les Droguistes vendent quelquefois l'un & l'autre galanga pour la racine d'acorus : cependant cette derniere n'a pas une adstriction si considérable.

L'huile pure des fleurs de galanga, qu'on tire aux Indes orientales, est aussi rare que précieuse : M. Tronchin en reçut en 1749 du gouverneur de Batavia, une très-petite quantité, mais d'une qualité si parfaite, que je parfumai, j'embaumai deux livres de thé avec une seule goutte de cette huile admirable. (D.J.)


GALANTadj. pris subst. (Gramm.) ce mot vient de gal, qui d'abord signifie gaieté & réjouissance, ainsi qu'on le voit dans Alain Chartier & dans Froissard : on trouve même dans le roman de la rose, galandé, pour signifier orné, paré.

La belle fut bien atornée

Et d'un filet d'or galandée.

Il est probable que le gala des Italiens & le galan des Espagnols, sont dérivés du mot gal, qui paroît originairement celtique ; de-là se forma insensiblement galant, qui signifie un homme empressé à plaire : ce mot reçut une signification plus noble dans les tems de chevalerie, où ce desir de plaire se signaloit par des combats. Se conduire galamment, se tirer d'affaire galamment, veut même encore dire, se conduire en homme de coeur. Un galant homme, chez les Anglois, signifie un homme de courage : en France, il veut dire de plus, un homme à nobles procédés. Un homme galant est tout autre chose qu'un galant homme ; celui-ci tient plus de l'honnête homme, celui-là se rapproche plus du petit-maître, de l'homme à bonnes fortunes. Etre galant, en général, c'est chercher à plaire par des soins agréables, par des empressemens flatteurs. Voyez l'article GALANTERIE. Il a été très-galant avec ces dames, veut dire seulement, il a montré quelque chose de plus que de la politesse : mais être le galant d'une dame, a une signification plus forte ; cela signifie être son amant ; ce mot n'est presque plus d'usage aujourd'hui que dans les vers familiers. Un galant est non-seulement un homme à bonne fortune ; mais ce mot porte avec soi quelque idée de hardiesse, & même d'effronterie : c'est en ce sens que la Fontaine a dit :

Mais un galant chercheur de pucelage.

Ainsi le même mot se prend en plusieurs sens. Il en est de même de galanterie, qui signifie tantôt coquetterie dans l'esprit, paroles flatteuses, tantôt présent de petits bijoux, tantôt intrigue avec une femme ou plusieurs ; & même depuis peu il a signifié ironiquement faveurs de Vénus : ainsi dire des galanteries, donner des galanteries, avoir des galanteries, attraper une galanterie, sont des choses toutes différentes. Presque tous les termes qui entrent fréquemment dans la conversation, reçoivent ainsi beaucoup de nuances qu'il est difficile de démêler : les mots techniques ont une signification plus précise & moins arbitraire. Article de M. DE VOLTAIRE.


GALANTERIES. f. (Morale) on peut considérer ce mot sous deux acceptions générales ; 1°. c'est dans les hommes une attention marquée à dire aux femmes, d'une maniere fine & délicate, des choses qui leur plaisent, & qui leur donnent bonne opinion d'elles & de nous. Cet art qui pourroit les rendre meilleures & les consoler, ne sert que trop souvent à les corrompre.

On dit que tous les hommes de la cour sont polis ; en supposant que cela soit vrai, il ne l'est pas que tous soient galans.

L'usage du monde peut donner la politesse commune : mais la nature donne seule ce caractere séduisant & dangereux, qui rend un homme galant, ou qui le dispose à le devenir.

On a prétendu que la galanterie étoit le leger, le délicat, le perpétuel mensonge de l'amour. Mais peut-être l'amour ne dure-t-il que par les secours que la galanterie lui prete : seroit-ce parce qu'elle n'a plus lieu entre les époux, que l'amour cesse ?

L'amour malheureux exclud la galanterie ; les idées qu'elle inspire demandent de la liberté d'esprit ; & c'est le bonheur qui la donne.

Les hommes véritablement galans sont devenus rares ; ils semblent avoir été remplacés par une espece d'hommes avantageux, qui ne mettant que de l'affectation dans ce qu'ils font, parce qu'ils n'ont point de graces, & que du jargon dans ce qu'ils disent, parce qu'ils n'ont point d'esprit, ont substitué l'ennui de la fadeur aux charmes de la galanterie.

Chez les Sauvages, qui n'ont point de gouvernement reglé, & qui vivent presque sans être vêtus, l'amour n'est qu'un besoin. Dans un état où tout est esclave, il n'y a point de galanterie, parce que les hommes y sont sans liberté & les femmes sans empire. Chez un peuple libre, on trouvera de grandes vertus, mais une politesse rude & grossiere : un courtisan de la cour d'Auguste seroit un homme bien singulier pour une de nos cours modernes. Dans un gouvernement où un seul est chargé des affaires de tous, le citoyen oisif placé dans une situation qu'il ne sauroit changer, pensera du-moins à la rendre supportable ; & de cette nécessité commune naîtra une société plus étendue : les femmes y auront plus de liberté ; les hommes se feront une habitude de leur plaire ; & l'on verra se former peu-à-peu un art qui sera l'art de la galanterie : alors la galanterie repandra une teinte générale sur les moeurs de la nation & sur ses productions en tout genre ; elles y perdront de la grandeur & de la force, mais elles y gagneront de la douceur, & je ne sais quel agrément original que les autres peuples tâcheront d'imiter, & qui leur donnera un air gauche & ridicule.

Il y a des hommes dont les moeurs ont tenu toûjours plus à des systèmes particuliers qu'à la conduite générale ; ce sont les philosophes : on leur a reproché de n'être pas galans ; & il faut avoüer qu'il étoit difficile que la galanterie s'alliât chez eux avec l'idée sévere qu'ils ont de la vérité.

Cependant le philosophe a quelquefois cet avantage sur l'homme du monde, que s'il lui échappe un mot qui soit vraiment galant, le contraste du mot avec le caractere de la personne, le fait sortir & le rend d'autant plus flatteur.

2°. La galanterie considérée comme un vice du coeur, n'est que le libertinage auquel on a donné un nom honnête. En général, les peuples ne manquent guere de masquer les vices communs par des dénominations honnêtes. Les mots galant & galanterie ont d'autres acceptions. Voyez l'article précédent.


GALARICIDEou GALARICTE, (Hist. nat.) nom d'une terre ou pierre grise ou de couleur de cendre, que l'on trouvoit dans le Nil en Egypte, qui étant écrasée, avoit, à ce qu'on prétend, le goût & la blancheur du lait ; on ajoûte qu'en la tenant dans sa bouche, elle troubloit l'esprit ; qu'attachée au cou, elle augmentoit le lait ; & que placée sur la cuisse, elle facilitoit l'accouchement ; en la pulvérisant & la mêlant avec du sel & de l'eau, ce mêlange privoit les brebis de leur lait, & les guérissoit de la gale. Quoi qu'il en soit de ces propriétés fabuleuses, M. Hill, qui apparemment a eu occasion de la voir, & qui la nomme galactites, dit qu'elle n'est point soluble dans les acides, & qu'elle blanchit par la calcination ; que les Medecins s'en servoient dans les maladies des yeux. Voyez Hill, hist. nat. des fossiles, & Boetius de Boot. (-)


GALASOGalaesus, (Géog.) ou comme Horace s'exprime, Galaesi flumen, ainsi que Virgile disoit, urbs Patavii ; petite riviere de la terre d'Otrante, qui passe à Castavillanella, & tombe dans le golfe de Tarente : ses eaux sont belles, & son cours fort lent. Horace à dit :

Si Parcae prohibent iniquae,

Dulce pellitis ovibus Galaesi

Flumen petam.

" Si les injustes Parques me refusent cette faveur, je me retirerai dans le pays où le Galaso serpente à-travers de gras pâturages, & où les troupeaux sont chargés de riches toisons ". (D.J.)


GALATAChrisoseras, cornu Byzantiorum, (Géog.) petite ville de la Turquie en Europe, sur le port & vis-à-vis de Constantinople, dont elle passe pour un des fauxbourgs ; les Chrétiens y ont quelques églises. (D.J.)


GALATÉE(Mythologie) nymphe de la mer, fille de Nérée & de Doris, selon les Poëtes, qui la nommerent Galathée, soit à cause de sa blancheur, soit suivant Eustathe, parce qu'elle étoit la mer même dont l'écume fait blanchir les flots. Quoi qu'il en soit, cette charmante nymphe fut en même tems aimée par le berger Acis, pour lequel elle eut le retour le plus tendre, & par l'affreux Polyphème qu'elle détesta souverainement. Si vous me demandiez, dit-elle dans Ovide, si je n'avois pas autant de haine pour le cyclope que d'amour pour Acis, je vous répondrois que la chose étoit bien égale. Acis fut la victime des sentimens de Galatée : un jour le cyclope le surprit avec son amante, & lança sur lui un rocher d'une grosseur immense dont il l'écrasa ; la nymphe pénétrée de douleur, changea le sang du fils de Faune en un fleuve qui prit son nom ; ensuite elle se jetta de desespoir dans la mer, & rejoignit pour toûjours ses soeurs les Néréïdes. Il paroît que cette fable n'a d'autre fondement que l'imagination des Poëtes, ou quelque avanture dans laquelle un rival puissant & furieux aura fait périr l'amant & la maîtresse. (D.J.)


GALATIE(Géog. anc.) c'étoit une grande contrée de l'Asie mineure, bornée à l'est par la Cappadoce, au sud par la Pamphilie, à l'oüest par la grande Phrygie, & au nord par le Pont-Euxin. Ce pays étoit divisé en trois contrées, la Paphlagonie, l'Isaurie, & la Galatie propre, autrement dite Gallo-Grece, située au milieu des deux autres. Ses peuples originaires étoient les Troêmes, les Proserliminitains, les Bycênes, & les Orondices. Les Gaulois qui s'établirent parmi eux portoient les noms de Tectosages, de Tolistobogiens, de Votures, & d'Ambians. Aujourd'hui on appelle la Galatie propre, le Chiangare ; sa capitale, qu'on nommoit anciennement Ancyre, s'appelle maintenant Angouri. (D.J.)


GALAUBANGALAUBANS, GALEBANS, GALANS, s. m. (Marine) les deux derniers sont peu en usage.

Les galaubans sont des cordages fort longs qui prennent du haut des mâts de hune, & qui descendent jusqu'aux deux côtés du vaisseau ; ils servent à tenir ces mâts, & secondent l'effet des haubans. Chaque mât de hune a deux galaubans, l'un à stribord & l'autre à basbord. Voyez Pl. I. à la cotte 64. les galaubans du grand hunier.

Les galaubans sont très-utiles quand on fait vent-arriere, parce qu'ils affermissent les mats de hune, & les empêchent de pancher trop vers l'avant : la grosseur de ce cordage doit être les trois quarts de celle de l'étai de leur mât de hune. (Z)


GALAXIES. f. terme d'Astronomie ; c'est cette longue trace blanche & lumineuse, qui occupe une grande partie du ciel, & qui se remarque aisément dans une nuit claire & sereine, sur-tout quand il ne fait point de lune.

Les Grecs l'appelloient ainsi du mot grec , lait, à cause de sa couleur blanche : les Latins, pour la même raison, l'appelloient via lactea, & c'est pour cela que nous l'appellons voie lactée : cette derniere dénomination est aujourd'hui la plus en usage.

Elle s'étend du Sagittaire aux Gémeaux, en passant à-travers ou auprès de différentes autres constellations, & semble diviser toute la région du ciel en deux parties : sa largeur est inégale ; en quelques endroits elle est double & se divise comme en deux branches.

Plusieurs Astronomes, entr'autres Galilée, ont dit que quand on dirige un bon télescope vers quelque partie que ce soit de la voie lactée, on découvre une multitude innombrable de petites étoiles dans le même endroit où on ne voyoit auparavant qu'une blancheur confuse ; & que ces étoiles sont si éloignées, que l'oeil nud les confond ensemble. On prétend qu'on observe la même chose dans ces autres taches appellées étoiles nébuleuses ; & que si on les examine avec un télescope, elles paroissent distinctement n'être qu'un amas de petites étoiles trop foibles pour que chacune puisse se laisser appercevoir séparément à la vûe simple. Telle est l'opinion commune aujourd'hui sur la voie lactée, & qui a été répétée en une infinité d'endroits ; mais elle n'est point encore adoptée de tous les astronomes. M. le Monnier assûre qu'en employant des lunettes de 15 & de 25 piés, on n'y découvre pas plus d'étoiles que dans les autres régions du ciel : on remarque seulement dans la voie lactée une blancheur que l'on pourroit conjecturer, selon lui, venir d'une matiere semblable à celle qui compose les étoiles nébuleuses. Inst. astr. p. 60. (O)


GALAXIESGalaxia, (Antiq. greq.) fête en l'honneur d'Apollon, suivant Meursius ; elle prenoit son nom d'un gâteau d'orge cuit avec du lait, qui faisoit en ce jour-là la matiere principale du sacrifice.


GALBAS. m. (Hist. nat. bot.) arbres très-communs aux Antilles. Il y en a beaucoup aussi à la Martinique. Ils y forment des allées presque impénétrables aux rayons du soleil. Le galba a la feuille de moyenne grandeur, ovale, & d'un verd gai. Il donne un fruit de la grosseur d'une petite noix, exactement rond, uni, & couvert d'une peau dure & ligneuse. Il n'a point de tubercules comme la noix de galle, à laquelle il ressemble beaucoup d'ailleurs, quant à la figure, mais non quant aux propriétés. Il renferme une substance dont on peut tirer de l'huile. Les Sauvages s'en servent quelquefois pour frotter leurs especes de meubles. Ils l'employent au défaut de celle de grougrou.


GALBANUMS. m. (Hist. des drogues, Mat. med. Pharm.) suc résineux & gommeux, fort connu des anciens, & qui distille d'une plante férulacée. C'est le chêne des Arabes, le de Dioscoride, le , chalbane des Hébreux, mot tiré de chalbanah, qui signifie gras, onctueux, gommeux ; & c'est aussi bien clairement du mot grec ou hébraique latinisé, que le terme françois prend son origine.

Cette gomme-résine entroit dans la composition du parfum qui devoit être brûlé sur l'autel d'or. Le Seigneur dit à Moyse, prenez des parfums, du stacte, de l'onix, du galbanum odoriférant, avec de l'encens le plus pur, & que tout soit du même poids ; vous ferez un parfum composé avec soin du mélange de toutes ces choses. Exod. ch. xxx. vers. 34. Ce parfum ne déplairoit point aujourd'hui à nos femmes hystériques, & à nos hommes hypochondriaques ; peut-être ne seroit-il pas difficile de trouver les mêmes causes analogiques qui le rendoient autrefois agréable ou nécessaire au peuple juif, par son influence sur leur genre nerveux, également affoibli comme le nôtre : mais cette discussion me meneroit trop loin.

Le galbanum est une substance grasse, ductile comme de la cire, à demi-transparente, brillante, dont la nature tient en quelque maniere le milieu entre la gomme & la résine ; car elle s'allume au feu comme la résine, se dissout dans l'eau, le vin, le vinaigre, comme les gommes, & point ou difficilement dans les huiles, sa couleur est blanchâtre & presque transparente lorsqu'elle est récente, ensuite jaunâtre ou rousse, d'un goût amer, acre, d'une odeur forte.

On trouve deux especes de galbanum chez les droguistes & dans les boutiques d'apothicaires ; l'un est en larmes, l'autre en pains ou en masse.

Le premier est le meilleur ; on l'estime quand il est récent, pur, gras, médiocrement visqueux, inflammable, formé de grumeaux blanchâtres & brillans, d'un goût amer & d'une odeur forte. Le galbanum en masse doit être choisi le plus net qu'il sera possible, sec, & d'une odeur forte. On jette celui qui est brun, sordide, mêlé de matieres étrangeres, de sable, de terre, de bois, ou autres parties de la plante qui le produit. Il paroît cependant ne différer du galbanum en larmes, qu'à cause de la négligence & du peu de soin qu'on a eu à le recueillir. Pour le nettoyer, on le met dans l'eau bouillante ; & quand il est fondu, on en ôte facilement les ordures qui surnagent. On l'adultere quelquefois avec de la résine, des feves blanches concassées, & de la gomme ammoniaque. Le meilleur moyen d'éviter cette sofistiquerie est de le tirer de bonne main.

Les anciens Grecs ont connu cette larme. Dioscoride dit qu'elle découle d'une certaine férule, qui s'appelloit métopion. En effet elle découle d'elle-même ou par incision, d'une plante férulacée ou ombellifere que M. de Tournefort a rapportée au genre d'oreoselinum, par la structure de son fruit, & dont voici les synonymes :

Oreoselinum africanum galbaniferum, frutescens, anisi folio, I. R. H. 319. Ferula africana, galbaniferae, ligustici foliis, & facie, Par. Bat. 163. Raii, hist. 3. 252. Boerh. Ind. alt. 65. Till. Hort. pis. 61. Anisum africanum frutescens, folio & caule colore coeruleo tinctis, Pluk. Phytog. 12. f. 12. Anisum fruticosum africanum, galbaniferum, hist. oxon. 3. 297. Oreoselinum anisoides, arborescens, ligustici foliis & facie, flore luteo, capitis Bonae-spei, Breyn. prod. 2. 79. Ferula galbanifera syriaca, offic.

Cette plante est toûjours verte. Sa racine est grosse, ligneuse, pâle, partagée en quelques branches ou fibres. Les tiges sont de la grosseur d'un pouce ; elles s'élevent à la hauteur de plus de deux ou trois coudées ; elles subsistent & sont ligneuses, rondes, genouillées, remplies d'une moelle blanchâtre un peu dure, & partagées en quelques rameaux. Chaque espace entre les noeuds des tiges & des rameaux, est couvert d'un feuillet membraneux, d'où sortent les feuilles semblables à celles de l'anis, mais plus amples, plus fermes, & découpées plus aigu, de couleur de verd de mer, d'une saveur & d'une odeur acres. Les tiges, les rameaux & les feuilles sont couverts d'une rosée de la même couleur.

Les fleurs naissent au sommet des tiges, disposées en parasol ; elles sont petites, à cinq pétales, en rose de couleur jaune. Quand elles sont tombées, il leur succede des graines presque rondes, applaties, d'un brun roussâtre, cannelées & bordées tout-autour d'une aîle mince & membraneuse ; elles ont un goût acre, aromatique & piquant ; elles ressemblent aux graines de la livêche, hormis qu'elles ne sont pas sillonnées si profondément, & qu'elles ont une poudre membraneuse que n'ont point les graines de livêche.

Toute cette plante est remplie d'un suc visqueux, laiteux, clair, qui se condense en une larme, qui répond au galbanum par tous ces caracteres ; il découle de cette plante en petite quantité par incision, & quelquefois de lui-même, des noeuds des tiges qui ont trois ou quatre ans : mais on a coûtume de couper la tige à deux ou trois travers de doigt de la racine, & le suc découle goutte-à-goutte ; quelques heures après il s'épaissit, se durcit, & on le recueille.

Cette plante croît en Arabie, en Syrie, dans la Perse, & dans différens pays de l'Afrique, sur-tout dans la Mauritanie.

Quelques curieux la font venir aussi dans des serres, & elle a poussé heureusement durant quelques années dans le jardin royal de Paris. Pour réussir dans sa culture, il faut semer sa graine d'abord après qu'elle est mûre, dans un pot de bonne terre, qu'on placera dans un lit chaud durant l'hyver pour la préserver du froid. On transportera ensuite la plante dans de plus grands pots, à mesure qu'elle s'élevera, ce qu'on exécutera dans le mois de Septembre. On la tiendra toûjours en hyver dans une serre ; on l'arrosera fréquemment en été, & alors on lui procurera de l'air autant qu'il sera possible. Au reste tous ces soins ne sont que pour la curiosité, car cette férule ne donne de larme que dans les lieux de sa naissance.

La plante que Lobel appelle ferula galbanifera, Lob. icon. 779. est bien différente de celle dont il s'agit ici ; car la férule de Lobel, malgré le nom qu'il lui a imposé, ne produit point le galbanum, comme M. de Tournefort l'a observé, mais une autre sorte de gomme fort rouge, & dont l'odeur n'est point forte.

Le galbanum se dissout dans le vin, le vinaigre & dans l'eau chaude ; mais difficilement dans l'huile, ou l'esprit-de-vin. Il abonde en sel tartareux, & en une huile épaisse, fétide, que l'esprit-de-vin, comme trop délié, n'extrait qu'à peine, tandis qu'elle s'enleve & se dégage avec le vinaigre, le vin, & l'eau chaude.

Les auteurs modernes n'ont fait que copier ce que Dioscoride a dit de ses vertus, dont il a parlé fort au long & en général assez bien contre son ordinaire. Sa saveur est acre, amere, nauséabonde ; son odeur forte & desagréable, dépendantes de son huile & de son sel tartareux, indiquent que ses propriétés sont analogues à celles des autres gommes de son espece, le bdellium, l'opopanax, le sagapenum, l'assa foetida & la gomme ammoniaque, qui sont échauffantes, pénétrantes, stimulantes, résolutives, propres pour les maladies froides du genre nerveux. Cependant le galbanum est plus foible que la gomme ammoniaque pour purger ; mais il resserre ensuite un peu davantage.

On l'employe intérieurement & extérieurement. Il faut en user avec reserve pour l'intérieur. Sa dose en substance est depuis un scrupule jusqu'à demi-dragme : on le mêle comme on veut avec les autres gommes & purgatifs, & on en fait des pilules, dont je donnerai tout-à-l'heure des exemples.

Le galbanum est un très-bon médicament en qualité d'anti-hystérique, d'emmenagogue & de fondant, quand il n'y a point d'inflammation, & qu'il est besoin d'échauffer, de stimuler, de dissoudre une pituite tenace, glutineuse, abondante, qui cause des obstructions dans les intestins, dans l'utérus, & dans les autres parties du corps ; ce qui est fort commun dans les pays septentrionaux.

En ce cas on peut prendre galbanum, gomme ammoniaque, de chacun deux onces ; vitriol de mars de riviere demi-once ; diagrede trente grains ; du sirop de nerprun, s. q. faire d'abord une masse de pilules dont la dose sera depuis cinq grains jusqu'à vingt, quand il s'agira de fondre des humeurs, de desobstruer, d'exciter les regles, &c. Ou bien alors dans les mêmes cas, prenez galbanum, assa foetida, myrrhe, de chacun une dragme ; camphre, sel de succin, de chacun demi-scrupule ; borax deux scrupules ; sirop d'armoise s. q. faire d'abord une masse de pilules, dont la dose sera d'un scrupule. S'il est besoin d'agir plus puissamment, prenez galbanum un scrupule ; succin pulvérisé douze grains ; scammonée dix grains ; formez-en un bol avec conserve de fleurs de chicorée, s. q. En un mot on peut diversifier le mélange du galbanum avec les autres gommes & purgatifs à l'infini, suivant les vûes qu'on se propose.

Le galbanum s'employe extérieurement sans danger & sans limites ; il incise, il attire puissamment, il amollit, & fait mûrir : c'est pour cela qu'on le mêle dans la plûpart des emplâtres émolliens, digestifs & résolutifs. Appliqué sur la région du bas-ventre en maniere d'emplâtre, il adoucit quelquefois les maladies hystériques, & les mouvemens spasmodiques des intestins. C'est dans la même intention qu'on prend parties égales de galbanum, d'assa foetida, de castoreum, dont on forme des trochisques, pour en faire des fumigations dans les accès hystériques.

On peut aussi dissoudre le galbanum dans l'huile d'aspic, & en faire un liniment nervin. On se sert aussi beaucoup de l'emplâtre de galbanum dans plusieurs cas, & du galbanetum de Paracelse dans des commencemens de paralysie. Or voici comme on prépare le galbanetum de Paracelse, qui passe pour un bon remede externe dans la contraction des nerfs & la suspension de leur action. Prenez une livre de galbanum, demi-livre d'huile de térébenthine, deux onces d'huile d'aspic ; digérez le tout pendant deux ou trois jours ; distillez-le ensuite dans la cornue, & gardez la liqueur distillée dans un vase bien bouché pour l'usage.

On employe le galbanum dans la thériaque, le mithridat, le diascordium, l'onguent des apôtres, l'onguent d'althaea, le diachylon avec les gommes, l'emplâtre de mucilage, le manus-Dei, le divin, l'oxicroceon, le diabotanum & autres ; car cette larme gommeuse n'est d'usage qu'en Medecine. Il en arrive du Levant chaque année trente ou quarante quintaux, par la voie de Marseille en France, dont elle fait en partie la consommation, & en partie la vente dans les pays étrangers. (D.J.)


GALBES. m. (Architecture) c'est le contour des feuilles d'un chapiteau ébauché, prêtes à être refendues. Ce mot se dit aussi du contour d'un dôme, d'un vase, d'un balustre, & de tout ornement dont le galbe est l'ame. C'est pour parvenir à donner à tous morceaux d'architecture de forme réguliere ou irréguliere un beau galbe, qu'il faut savoir dessiner l'ornement, la figure, &c. afin que par ce secours on puisse éviter les jarrets, & donner à chaque forme le caractere & l'expression qui lui convient. Voyez DESSINATEUR. (P)


GALES. f. (Medecine) maladie qui corrompt la peau par l'écoulement de certaines humeurs acres & salines, qui s'amassent en forme de pustules, & occasionnent des demangeaisons.

Il y a deux especes de gale, la seche & l'humide : la premiere est appellée gale canine, scabies canina, parce que les chiens y sont sujets ; ou seche, sicca, à cause qu'elle suppure peu ; prurigineuse, pruriginosa, à pruritu, demangeaison ; car elle en cause une qui est très-importune ; gratelle, parce qu'on se gratte sans-cesse : on lui donne encore les noms d'impetigo, lichen, mentagara : la seconde est nommée grosse gale ou gale humide, scabies crassa & humida, parce qu'elle est plus grosse que la premiere, & qu'elle forme des pustules circonscrites qui suppurent comme autant de petits phlegmons qui dégenerent en abcès. On attribue ordinairement la premiere à une humeur atrabilaire, & la derniere à une pituite saline ; elles sont toutes deux contagieuses. Voyez l'art. suiv.

Le docteur Bononio prétend avoir beaucoup mieux expliqué la cause de cette maladie, qu'aucun de ceux qui l'ont précédé : voici son hypothèse.

Il examina plusieurs globules de matiere, qu'il fit sortir avec une épingle des pustules d'une personne qui étoit attaquée de cette maladie, avec un microscope, & les trouva remplis de petits animaux vivans semblables à une tortue, fort agiles, ayant six piés, la tête pointue, & deux petites cornes au bout du museau. Fondé sur cette découverte, il ne craint pas d'attribuer la cause de cette maladie contagieuse aux morsures continuelles que ces animaux font à la peau, & qui donnant passage à une partie de la sérosité, occasionnent de petites vessies, dans lesquelles ces insectes continuant à travailler, ils obligent le malade à se gratter, & à augmenter par-là le mal, en déchirant non-seulement les petites pustules, mais encore la peau & quelques petits vaisseaux sanguins ; ce qui occasionne la gale, les croûtes, & les autres symptomes desagréables dont cette maladie est accompagnée.

On voit par-là d'où vient que la gale se communique si aisément ; car ces animaux peuvent passer d'un corps dans un autre avec beaucoup de facilité, par le simple attouchement. Comme leur mouvement est extrèmement rapide, & qu'ils se glissent aussi-bien sur la surface du corps que sous l'épiderme ; ils sont très-propres à s'attacher à tout ce qui les touche ; & il suffit qu'il y en ait un petit nombre de logés, pour se multiplier en peu de tems.

On voit donc par-là d'où vient que les lixiviels, les bains, & les onguens faits avec les sels, le soufre, le mercure, &c. ont la vertu de guérir cette maladie ; car ils ne peuvent que tuer la vermine qui s'est logée dans les cavités de la peau ; ce qu'on ne sauroit faire en se grattant, à cause de leur extrème petitesse, qui les dérobe aux ongles. Que s'il arrive quelquefois dans la pratique que cette maladie revienne lorsqu'on la croit tout-à-fait guérie par les onctions, on n'en doit pas être surpris : car quoique les onguens puissent avoir tué tous ces animaux, il n'est pas cependant probable qu'ils ayent détruit tous les oeufs qu'ils ont laissés dans la peau, comme dans un nid où ils éclosent de nouveau pour renouveller la maladie. Chambers.

On peut, sans manquer à la Medecine, ne pas se déclarer partisan de cette opinion, & regarder la gale comme une indisposition de la peau, par l'altération de l'humeur séreuse des glandes de cette partie, dont le vice se communique bien-tôt à toute la masse du sang. L'humeur cutanée peut être viciée par contagion, en couchant avec un galeux, ou dans le même lit où il a couché : on a même des exemples de personnes qui ont gagné la gale parce que leur linge avoit été lavé avec celui d'un galeux.

La stagnation de l'humeur cutanée peut acquérir par son séjour la nature d'un levain acre & en quelque sorte corrosif, qui cause non-seulement la gale, mais souvent des éruptions ulcéreuses. De-là vient que sans communiquer avec des galeux, ceux qui ont été détenus long-tems en prison, ceux qui ont mené une vie sédentaire, les personnes mal-propres, celles enfin qui ont été exposées aux ordures, &c. sont sujets à contracter cette maladie.

Les principales indications se réduisent à corriger le vice de l'humeur des glandes de la peau, & à rectifier cet organe. Les applications locales peuvent l'effectuer ; & lorsque la maladie est récente ou nouvellement contractée, elle est souvent guérie avec sûreté par les seuls topiques : mais si le vice a pénétré, & qu'il ait été transmis dans le sang par les voies de la circulation, il y a du danger à guérir la gale sans les préparations convenables : il faut d'abord travailler à la dépuration du sang par la saignée, les purgatifs, & les altérans convenables, tels que le petit-lait avec le suc de fumeterre, la creme de tartre mêlée avec la fleur de soufre, les bouillons de vipere, &c. Dans les gales opiniâtres, on est quelquefois obligé, après l'usage des bains, de faire usage des remedes mercuriels.

La gale scorbutique demande l'administration des remedes propres à détruire le vice du sang dont elle est un symptome.

Il y a beaucoup de bons auteurs qui ont traité de la gale ; on ne peut faire trop d'attention aux observations qu'ils rapportent ; & quoique cette maladie soit souvent confiée sans danger aux soins de personnes peu éclairées, les suites fâcheuses d'un traitement mauvais ou négligé devroient avoir appris par de tristes expériences, à se mettre en garde contre les gens qui conseillent & administrent des remedes sans connoissance de cause.

Les remedes qui dessechent les pustules de gale, sans prendre des précautions par l'usage des médicamens intérieurs, peuvent n'avoir aucun inconvénient, lorsque le caractere de la maladie est doux, qu'elle est récente & gagnée par contagion : il n'en est pas de même, lorsque la gale est occasionnée ou entretenue par quelque disposition cacochymique du sang & des humeurs : dans ce cas, la répercussion de l'humeur nuisible peut causer plusieurs indispositions mortelles, parce qu'elle se porte sur le poumon, sur le cerveau, & autres parties nobles. Plusieurs personnes ont eu le genre nerveux attaqué par l'usage de la ceinture mercurielle.

Les pauvres gens se traitent & se guérissent de la gale en se faisant saigner & purger ; ils prennent ensuite de la fleur de soufre dans un oeuf ou dans du petit-lait ; & ils en mêlent dans du beurre ou de la graisse, pour se frotter les pustules galeuses : on sait qu'elles se manifestent principalement entre les doigts, où est le siége propre & pathognomonique de la maladie, aux jarrets, sur les hanches, & autres parties du corps, où l'humeur acre retenue, produit des tubercules qui excitent une démangeaison qui porte à se gratter jusqu'à la douleur. (Y)

GALE, (Manége & Maréchallerie) maladie prurigineuse & cutanée ; elle se manifeste par une éruption de pustules plus ou moins volumineuses, plus ou moins dures, précédées & accompagnées d'une plus ou moins grande démangeaison.

Nous pouvons admettre & adopter ici la distinction reçûe & imaginée par les Medecins du corps humain, c'est-à-dire reconnoître deux especes de gale ; l'une que nous nommerons, à leur imitation, gale seche, & l'autre que nous appellerons gale humide.

Les productions pustuleuses qui annoncent la premiere, sont en quelque façon imperceptibles ; leur petitesse est extrème ; elles suppurent peu & très-rarement ; elles provoquent néanmoins la chûte des poils dans les lieux qu'elles occupent & qui les environnent ; & le prurit qu'elles excitent est insupportable.

Les exanthèmes qui décelent la seconde sont toûjours sensibles ; ils sont plus ou moins élevés, & paroissent comme autant de petits abcès contigus, d'où suinte une matiere purulente, dont le desséchement forme la sorte de croûte qui les recouvre : dans celle-ci, le sentiment incommode qui résulte de l'irritation des fibres nerveuses répandues dans le tissu de la peau, n'affecte pas aussi vivement l'animal que dans la gale seche, & la demangeaison est beaucoup moindre.

Nous ne voyons point en général que cette maladie s'étende sur toute l'habitude du corps du cheval, elle se borne communément à de certaines parties ; la gale seche n'en épargne cependant quelquefois aucune : mais cet évenement n'est pas ordinaire ; & le plus souvent ses progrès sont limités, tantôt dans un espace & tantôt dans un autre.

La gale humide attaque l'encolure, la tête, les épaules, les cuisses, elle se fixe aussi dans la criniere. Voyez ROUVIEUX ; & dans le tronçon de la queue. Voyez EAUX, maladie.

Dès que la gale n'est point universelle dans les chevaux, comme dans l'homme, il est assez inutile de multiplier les divisions, & d'assigner, à l'exemple des auteurs en Chirurgie, le nom particulier de dartre à telle ou telle gale, sous le prétexte d'un local, qui d'ailleurs doit nous être d'autant plus indifférent, que toutes ces productions psoriques ne sont, à proprement parler, qu'une seule & même maladie, que les mêmes causes occasionnent, & dont le même traitement triomphe.

Bononius séduit par le raisonnement de quelques écrivains, a crû devoir s'efforcer d'accréditer leur opinion sur le principe essentiel de cette affection cutanée. Nous trouvons dans les Transactions philosophiques, n°. 283. une description singulierement exacte des petits animaux qu'on a supposés y donner lieu ; ils y sont représentés sous la forme & sous la ressemblance d'une tortue ; le micrographe se flatte même d'en avoir découvert & distingué les oeufs : mais tous les détails auxquels il s'abandonne, bien loin de mettre le fait hors de doute, n'offrent qu'une preuve très-évidente de la foiblesse de ses sens, de la force de ses préjugés, & de son énorme penchant à l'erreur.

La source réelle & immédiate de la gale réside véritablement dans l'acreté & dans l'épaississement de la lymphe : l'un & l'autre de ces vices suffisent à l'explication de tous les phénomenes qui assûrent l'existence de cette maladie, & qui en différentient les especes.

Si l'on suppose d'abord que cette humeur soit imprégnée d'une quantité de particules salines qui ne peuvent que la rendre acre & corrosive, mais qui noyées dans le torrent de la circulation, sont, pour ainsi dire dans l'inertie & sans effet : on doit présumer que lorsqu'elle sera parvenue dans les tuyaux destinés à l'issue de l'insensible transpiration & de la sueur, ces mêmes particules qu'elle y charrie s'y réuniront en masse ; de-là l'engorgement des tuyaux à leurs extrémités ; de-là les exanthèmes ou les pustules. Plus la lymphe sera ténue, moins les exanthèmes seront volumineux & les exulcérations possibles ; l'évaporation en sera plus promte, elle ne laissera après elle nul sédiment, nulle partie grossiere ; les sels plus libres & plus dégagés s'exerceront sans contrainte sur les fibrilles nerveuses ; & tous les symptomes d'une gale seche se manifesteront d'une maniere non équivoque. La viscosité est-elle au contraire le défaut prédominant ? les engorgemens seront plus considérables, les pustules plus saillantes & plus étendues ; & conséquemment le nombre des tuyaux sanguins qui éprouveront une compression, & des canaux blancs qui seront dilatés & forcés, sera plus grand. La lymphe arrêtée dans ceux-ci, & subissant d'ailleurs un froissement résultant du jeu & de l'oscillation de ceux-là, acquerra inévitablement plus ou moins d'acrimonie ; elle corrodera les vaisseaux qui la contiennent : cette corrosion sera suivie du suintement d'une matiere purulente, qui jointe à beaucoup de parties sulphureuses, sera bien-tôt desséchée par l'air, & ces mêmes parties embarrassant les sels & s'opposant à leur activité, leur impression sera plus legere. C'est ainsi que la gale humide se forme & se montre avec tous les signes qui la caractérisent.

Le virus psorique est contagieux ; il se communique par l'attouchement immédiat, par les couvertures, les harnois, les étrilles, les brosses, les époussettes, &c. de quelque maniere qu'il soit porté à la surface du cuir d'un cheval sain ; il s'y unit, il s'y attache, soit par l'analogie qu'il a avec l'humeur perspirante, soit par sa ténuité & sa disposition à s'introduire dans les pores. A peine s'y est-il insinué, qu'il fomente l'épaississement de la matiere qu'il y rencontre ; il y séjourne néanmoins quelque tems sans s'y développer sensiblement ; mais la chaleur naturelle & le mouvement des vaisseaux artériels excitant ensuite son action, nous appercevons bien-tôt des pustules qui se renouvellent & se reproduisent, selon qu'il a pénétré dans la masse. Nous devons donc regarder les parties salines exhalées du corps du cheval galeux par la transpiration & par la sueur, ou contenues dans l'humeur suppurée qui flue des exanthèmes, comme la cause prochaine externe de la maladie dont il s'agit.

Tout ce qui peut troubler la dépuration des sucs vitaux, donner lieu à la corruption des humeurs, & leur imprimer des qualités plus ou moins pernicieuses, doit être mis au rang de ses causes éloignées : ainsi de mauvais fourrages, qui ne fournissent qu'un chyle crud & mal digéré ; des travaux qui occasionnent une dissipation trop forte ; le défaut des alimens nécessaires à la réparation des fluides & à l'entretien de la machine ; un air humide & froid qui ralentit la marche circulaire ; l'omission du pansement ; & en conséquence le séjour d'une crasse épaisse qui obstrue & bouche les pores cutanés, sont autant de circonstances auxquelles on peut rapporter ces différentes éruptions.

Quoiqu'elles nous indiquent toûjours un vice dans la masse, elles ne présagent néanmoins rien de dangereux ; & les suites n'en sont point funestes, pourvû que le traitement soit méthodique, & que l'on attaque le mal dans sa source & dans son principe.

Il est quelquefois critique & salutaire ; car il débarrasse le sang de quantité de parties salines & hétérogenes qui auroient pû donner lieu à des maux plus formidables : nous remarquons même très-souvent dans les chevaux qui n'ont jetté qu'imparfaitement, que la nature cherche à suppléer & supplée en effet par cette voie à l'impuissance dans laquelle elle a été d'opérer une dépuration entiere & nécessaire, par les émonctoires qui dans l'animal semblent particulierement destinés à l'écoulement de l'humeur & de la matiere dont le flux décele communément la gourme.

La gale seche est plus rébelle & plus difficile à dompter que la gale humide ; des sucs acres & lixiviels ne sont point aisément délayés, corrigés, emportés : elle attaque plus ordinairement les chevaux d'un certain âge & les chevaux entiers, que les chevaux jeunes & que les chevaux hongres ; les premiers à raison de la prédominance des sels, de la plus grande force & de la plus grande rigidité de leurs fibres ; les seconds conséquemment sans-doute au repompement de l'humeur séminale, qui passant en trop grande abondance dans le sang, peut l'échauffer & exciter l'acrimonie, lorsqu'ils ne servent aucune jument ; ou à raison de l'acreté qui est une suite de l'appauvrissement de la masse, lorsqu'ils en servent un trop grand nombre. Nous dirons aussi que dans la jeunesse elle cede plus facilement aux remedes, parce qu'il est certain qu'alors la transpiration est plus libre, les pores de la peau plus ouverts & les fibres plus souples.

La gale humide résiste moins à nos efforts : sa principale cause consistant dans l'épaississement, & non dans un vice capable d'entretenir un levain, une salure qui pervertit les nouveaux sucs à mesure qu'il en aborde & qu'il s'en forme : si les jeunes chevaux y sont réellement plus sujets, c'est qu'en eux le tissu des solides est moins fort & moins propre à atténuer les fluides.

Nous observerons encore que toute maladie exanthémateuse prise par contagion, qui n'adhere qu'à la surface du corps, & qui n'a pas poussé, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, de profondes racines, n'est point aussi opiniâtre que celle qui doit son existence à la dépravation du sang & des humeurs ; & l'expérience prouve qu'une gale récente est plus susceptible de guérison qu'une gale ancienne & invéterée.

Pour ne point errer dans la maniere de traiter l'affection cutanée dont il est question, il est important d'en considérer l'espece, & de n'en pas perdre de vûe la cause & le principe.

Dans la gale seche notre objet doit être d'adoucir, de briser, d'évacuer les sels, de relâcher le tissu de la peau. Dans la gale humide, nous devons chercher à atténuer les particules salines & sulphureuses dont elle se charge, à favoriser enfin la transpiration. Si la maladie participe en même tems & de l'épaississement & de l'acrimonie, le maréchal y aura égard & tiendra un juste milieu dans le choix & dans l'administration des médicamens.

Son premier soin sera de séparer le cheval malade des autres chevaux, & de le placer dans une écurie particuliere ; non que j'imagine que le virus psorique soit assez subtil pour s'étendre de lui-même d'un lieu à un autre, & pour se communiquer ainsi : mais cette précaution devient essentielle, lorsque l'on réfléchit sur la facilité de la contagion par les harnois & par les couvertures, & sur la paresse ainsi que sur l'imprudence des palefreniers.

La saignée est nécessaire dans tous les cas : elle sera même répétée dans le besoin : dans tous les cas aussi on doit tenir l'animal au son & à l'eau blanche, & jetter dans cette même eau une décoction émolliente faite avec les feuilles de mauve, de guimauve, pariétaire, &c. Ce régime sera observé plus long-tems par le cheval atteint d'une gale seche, que par celui qui sera atteint d'une gale humide : on purgera ensuite l'animal une ou plusieurs fois avec le séné, l'aloës, l'aquila alba ou le mercure doux, après l'avoir néanmoins préparé à cette purgation par des lavemens émolliens : on en reviendra à l'usage de la décoction émolliente ; & s'il s'agit de la premiere espece de gale, on humectera soir & matin le son, que l'on donnera au cheval avec une tisane composée, dans laquelle entreront les racines de patience, de chicorée sauvage, d'althaea, & les feuilles de scabieuse, de fumeterre, &c. S'il refuse de manger le son ainsi humecté, on pourra lui donner cette boisson avec la corne : j'y ai plusieurs fois heureusement substitué des feuilles de grosse laitue que je trempois dans du lait, & que l'animal mangeoit avec avidité. Dans la circonstance d'une gale humide, on mouillera le son avec une décoction de gayac & de salsepareille, en mêlant à cet aliment des fleurs de genêt, & une demi-once de crocus metallorum. Le soufre, le cinnabre naturel, l'aethiops minéral, les poudres de viperes, de cloportes, de chamaedris & de fumeterre donnés à tems & administrés avec circonspection, sont d'une très-grande ressource contre toutes sortes de gales : celles qui sont les plus rébelles & les plus invétérées disparoissent souvent lorsque l'on abandonne l'animal dans les prairies, & qu'il est réduit au vert pour tout aliment ; les plantes différentes qu'il y rencontre & dont il se nourrit excitant d'abord des évacuations copieuses & salutaires, & fournissant ensuite à la masse des sucs plus doux capables d'amortir l'acreté des humeurs.

La plûpart des Maréchaux ne font que trop souvent un usage très-mal entendu des topiques, sans-doute parce qu'ils n'en connoissent pas le danger : il est inutile néanmoins de chercher dans Agendornius, dans Hoechstellerus & dans une foule d'auteurs qui traitent des maladies de l'homme, quels en sont les funestes effets. La matiere morbifique répercutée & poussée de la circonférence au centre, produit dans le corps de l'animal des désordres terribles, & dont ils ont sûrement été les témoins sans s'en appercevoir & sans s'en douter : j'ai vû ensuite d'une pareille répercussion des chevaux frappés d'apoplexie, de phthisie, atteints d'un abcès dans les reins, & de plusieurs autres maux qui les conduisoient à la mort. On ne doit donc recourir aux remedes extérieurs qu'avec prudence, & qu'après avoir combattu la cause.

Je ne ferai point une ample énumération des onguens, des lotions, des linimens que l'on peut employer ; il suffira de remarquer ici que le soufre & ses préparations sont d'une efficacité non moins merveilleuse en cosmétiques que donnés intérieurement. On peut faire un mélange de ses fleurs avec la chaux, & incorporer le tout avec suffisante quantité d'huile d'olive : ces mêmes fleurs, l'onguent de nicotiane, l'aquila alba, & l'huile d'hypéricon, composeront un liniment dont on retirera de très-grands avantages ; l'aethiops minéral mêlé avec du sain-doux, ne sera pas moins salutaire, &c. on en met sur toutes les parties que les exanthèmes occupent.

On doit encore avoir attention que le cheval ne se frotte point contre les corps quelconques qui l'environnent ; ce qui exciteroit une nouvelle inflammation, obligeroit le sang de s'insinuer dans les petits canaux lymphatiques, & donneroit bien-tôt lieu à une suppuration. Du reste, si le tems & la saison sont propices, on menera, après la disparition des pustules, l'animal à la riviere ; les bains ne pouvant que relâcher & détendre les fibres cutanées ; & il importe extrèmement de l'éloigner par un régime convenable, de tout ce qui peut susciter & reproduire en lui cette maladie. (e)

GALE, s. f. en latin galla, (Physique) excroissance contre nature qui se forme en divers pays, sur divers chênes, & entr'autres sur le rouvre, à l'occasion de la piquûre de quelques insectes : ces sortes d'excroissances s'appellent plus communément, quoiqu'improprement, noix de galle ; mais comme c'est l'usage, & que l'usage fait la loi, voyez NOIX DE GALLE. (D.J.)

* GALE, (Rubanier) s'entend de toutes les inégalités qui se trouvent tant sur l'ouvrage qu'aux lisieres, & qui sont occasionnées par les bourres, noeuds, &c. qui sont dans les soies de chaîne ou de trame, si l'ouvrier n'a soin de les nettoyer : ces gales sont encore le plus souvent occasionnées, sur-tout aux lisieres, par le mauvais travail ou la négligence de l'ouvrier.


GALÉS. m. (Botanique) genre de plante dont voici les caracteres. Ses feuilles sont alternes ; ses fleurs mâles sont portées sur des pédicules qui sortent des parties latérales des feuilles, & sont arrangées sur la tige en forme de longues pointes ; ses fleurs sont nues & ornées seulement de six étamines qui y forment comme des branches. L'ovaire est situé à un autre endroit de la même plante sur un pédicule beaucoup plus court logé dans un calice découpé en quatre parties, & foiblement attaché à son pédicule ; il est environné d'autres fleurs mâles : sa forme est sphérique, écailleuse, inégale en plusieurs endroits, & contient une seule graine dans chaque écaille.

Miller compte trois especes de galé ; savoir, galé srutex odoratus septentrionalium, en anglois sweet-willow, ou duthe-myrtle ; cette espece se plaît dans les bruyeres & dans les terres incultes. On s'en sert chez les bourgeois pour garnir les croisées & les cheminées des appartemens, à cause de la bonne odeur des fleurs & des boutons : on en met aussi dans les armoires pour les parfumer, & pour en éloigner les teignes.

Les deux autres especes de galé sont étrangeres, natives d'Amérique, & bien supérieures à celles de l'Europe ; l'une est le galé caroliniensis baccata, fructu racemoso, sesseli monopyreno, Pluck Phyt. l'autre est le galé caroliniensis humilior, foliis latioribus & magis serratis ; Catesby, hist. nat. Carol. les Anglois les nomment candle-berry-trie, & les cultivent beaucoup soit de graine soit de bouture.

Ces deux especes de galé s'élevent chez eux en buisson à la hauteur de cinq piés, & sont toûjours vertes ; leurs feuilles broyées dans la main répandent une odeur suave, telle que celle de myrthe. Les Américains préparent une cire des baies, dont ils font des bougies qui brûlent à merveille, & qui jettent une agréable odeur : une de ces deux especes de galé a produit du fruit dans le jardin d'un curieux de Londres en 1729 ; & toutes les deux donnent communement des fleurs. (D.J.)


GALÉAIRES. m. (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient aux goujats ou valets des soldats. Voyez Végece, III. vj. & Saumaise, sur le iij. ch. de la vie d'Hadrien par Spartien : on le donnoit d'abord aux soldats armés de casques, du mot latin galea, casque, armure de tête.


GALÉANTROPIES. f. (Maladies) , est un mot grec composé de , felis, chat, & de , homo, homme, qui sert à exprimer une sorte de délire mélancolique, dans lequel les personnes qui en sont affectées se croyent changées en chats ; comme dans la lycantrophie & la cynantrophie, elles se croyent changées en loups, en chiens, & imitent les manieres des animaux auxquels elles s'imaginent être devenues semblables. V. MELANCOLIE. Sennert & Bellini font mention de la galéantropie ; le premier rapporte même une observation concernant ce symptome singulier de maladie d'esprit. (d)


GALÉASSES. f. (Marine) c'est un bâtiment qui égale les plus grands vaisseaux en longueur & en largeur ; mais il n'est pas, à beaucoup près, aussi haut de bord, allant à voile & à rame, & ressemblant assez à la galere, dont il differe cependant considérablement ; car la galéasse a trois mâts, qui sont un artimon, un mestre, & un trinquet, qui sont fixes, c'est-à-dire ne peuvent se desarborer ; au lieu que la galere n'en a que deux & point d'artimon, & qu'elle peut les mettre bas quand il est nécessaire.

La galéasse a trente-deux bancs & 6 à 7 forçats, à chacun ; l'équipage est de 1000 à 1200 hommes ; elle a trois batteries à l'avant ; la plus basse est de deux pieces de 36 livres de balle ; la seconde, de deux pieces de 24 ; & la troisieme, de deux pieces de 18 livres.

Il y a deux batteries à poupe, chacune de trois pieces par bande, & du calibre de 18 liv. de balle.

Ce bâtiment n'est guere d'usage ; les Vénitiens en avoient autrefois ; & elles ne pouvoient être commandées que par un noble, qui s'obligeoit par serment & répondoit sur sa tête, de ne pas refuser le combat contre ving-cinq galeres ennemies. (Z)


GALÉES. f. ustensile d'Imprimerie, est une espece de petite tablette placée sur le haut de casse, du côté des petites capitales, où elle est arrêtée par deux chevilles de cinq ou six lignes de long. Le compositeur y pose sa composition ligne à ligne, ou plusieurs lignes à-la-fois, suivant la hauteur du composteur dont il se sert. La galée est composée de deux pieces ; le corps & la coulisse : le corps est une planche de chêne de six à sept lignes d'épaisseur, de la figure d'un quarré long & plus ou moins grande, suivant le format de l'ouvrage pour lequel elle est employée : aux extrémités de cette planche, sont attachés à angles droits trois tringles de bois de la même épaisseur que la planche, entaillées par-dessous pour recevoir & maintenir la coulisse, qui est une autre planche très-unie, de deux lignes d'épaisseur, & de la figure du corps de la galée, portant un manche pris dans le même morceau de planche. Les tringles donnent à la galée un rebord de cinq à six lignes de haut, qui acote & maintient les lignes de composition en état. Quand le compositeur a formé une page, il la lie avec une ficelle ; tire du corps de la galée la coulisse sur laquelle la page se trouve posée ; la met sur une tablette qui est sous sa casse ; & remet une autre coulisse dans le corps de la galée, pour former une autre page ; ces sortes de galées ne servent que pour l'in-folio & l'in-4°. Pour l'in-8°. & les formes au-dessus, on se sert de petites galées sans coulisses, dont les tringles ou rebords n'ont que quatre à cinq lignes d'épaisseur. Voyez nos Planches d'Imprimerie ; voyez aussi COULISSE DE GALEE.

On dit aussi dans l'Imprimerie aller en galée, c'est faire de la composition dans des galées, sans folio & sans signature, jusqu'à-ce que la matiere qui précede soit finie, à la suite de laquelle on met ce qui est en galée, avec les folio & les signatures.


GALEGAS. m. (Botan.) genre de plante à fleur légumineuse : le pistil sort du calice, & devient une silique presque cylindrique, remplie de semences ordinairement oblongues, dont la figure ressemble en quelque façon à celle d'un rein. Les feuilles de la plante sont attachées par paires à une côte qui est terminée par une seule feuille. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Boerhaave compte quatre especes de galega, & Tournefort, cinq ; il suffira de décrire la principale, nommée des Botanistes, galéga commune à fleurs bleues.

Ses racines sont menues, ligneuses, blanches, fibrées, longues, éparses de tous côtés ; & quelques-unes d'elles germent tous les ans au printems : ses tiges sont hautes de deux coudées, & plus cannelées, creuses, & fort branchues ; ses feuilles sont semblables à celles de la vesse, mais plus longues, aîlées, & terminées par une feuille impaire, munies d'une petite épine molle à leur extrémité, d'une saveur légumineuse. Ses fleurs sont portées sur des pédicules qui naissent des aisselles des feuilles ; elles forment un long épi, sont pendantes, légumineuses, de couleur blanche, ou d'un blanc tirant sur le violet : il leur succede des gousses presque cylindriques, menues, longues, droites, qui contiennent plusieurs graines oblongues faites en forme de rein : cette plante est assez commune dans les pays chauds, où elle vient sans culture. (D.J.)

GALEGA, (Mat. med.) cette plante est appellée un alexipharmaque & un sudorifique très-célébre, propre à dissiper puissamment le poison, sur-tout celui qui est pestilentiel. On en recommande l'usage dans les petechies ; les autres maladies pestilentielles & la peste même, la rougeole, l'épilepsie des enfans, les morsures des serpens, & les lombrics. On la mange crue ou cuite, ou on en donne le suc jusqu'à une ou deux cuillerées ; on la prescrit dans les bouillons & les apozemes alexiteres à la dose d'une poignée. Geoffroy, mat. méd.


GALEMBOULE(Géog.) M. de Lisle écrit guallenboulon, anse de la côte orientale de Madagascar, très-grande, mais d'un fond dangereux, à cause des roches qui sont sous l'eau ; cette anse est à deux lieues au nord de la riviere d'Ambato, à 7d. 30'. de latit. méridionale. (D.J.)


GALENES. f. (Hist. nat. Minéralogie) nom générique donné par plusieurs auteurs à la mine-de-plomb, & sur-tout à celle qui est composée de grands cubes, galena tessulata. On ne sait pas trop l'origine du mot galena ; les Allemands expriment la même chose par glantz, qui signifie éclat. Galena sterilis, est le crayon ou la mine-de-plomb. Voyez l'article BLEY-GLANTZ. Voyez aussi PLOMB.

Il y a encore la galene martiale que les mineurs allemands nomment eysen-glantz ; elle ressemble à la galene ou mine-de-plomb en cubes, excepté qu'elle n'a point l'éclat de cette derniere ; elle est plus noire & plus dure qu'elle ; il est très-difficile d'en tirer le fer ; elle paroît composée de fer, d'arsenic, & de soufre. Voyez Lehman, traité des mines. (-)


GALÉNIQUEadj. (Medecine) ce terme est employé dans les écrits des medecins modernes ; 1°. pour désigner la maniere de raisonner en Medecine, & de traiter les maladies selon la théorie & la pratique fondées sur les principes du fameux Galien ; ce qui forme la medecine galénique, la doctrine galénique, comme on appelle hippocratiques la medecine, la doctrine fondées sur les principes du prince des Medecins ; voyez GALENISME (Medecine) 2°. pour distinguer une des deux parties principales de la Pharmacie ; qui consiste dans la préparation des médicamens faite par une simple action méchanique, par le seul mélange de leur substance, sans égard aux principes dont elle est composée : en quoi on a voulu dans les écoles que cette sorte de pharmacie, telle que l'enseigne Galien, fût différente de celle qui est appellée chimique, dont toutes les opérations se font par des moyens physiques, & dans laquelle on a principalement pour objet la recherche des différens principes des parties intégrantes, qui entrent dans la composition des médicamens. Ainsi la premiere a été sans-doute nommée galénique, parce qu'elle se pratique de la maniere qui étoit seule en usage parmi les disciples de Galien, qui n'avoient vraisemblablement aucune connoissance de la Chimie, ou au-moins ne l'avoient pas introduite dans la pratique de la Medecine ; cette distinction cependant n'a été faite que lorsqu'il y a eu des medecins chimistes, pour établir la différence de ceux qui restoient attachés à la doctrine de Galien, d'avec ceux qui formoient la secte chimique. Voyez PHARMACIE, CHIMIE, MEDICAMENT.


GALENISMES. m. (Medecine) se dit de la doctrine de Galien, l'auteur après Hippocrate le plus célebre parmi les medecins, & qui a eu même plus d'empire dans les écoles que le pere de la Medecine.

Galien naquit sous l'empereur Adrien, l'an de N. S. 131 ; il avoit quatre à cinq ans lorsque ce prince mourut : il étoit de Pergame, dans l'Asie mineure, ville fameuse à divers égards, & particulierement par son temple d'Esculape. Il étoit fils de Nicon, homme de bien, riche & savant, qui n'épargna rien pour l'éducation de son fils.

Le jeune Galien, après avoir appris tout ce qu'on avoit alors coûtume d'enseigner dans les écoles, tourna toutes ses pensées vers la Medecine, y étant déterminé par un songe, selon qu'il le dit lui-même. Il étoit pour lors âgé de 17 ans : deux ans après il se mit à étudier pendant quelque tems sous un disciple d'Athenée, & ensuite sous différens maîtres d'un mérite distingué, comme il paroît par ce qu'il en dit en divers endroits de ses ouvrages : il s'attacha néanmoins très-peu au premier de ces professeurs ; il s'étoit bien-tôt rebuté de le suivre, parce que celui-ci faisoit gloire d'ignorer la Logique, bien loin de la croire nécessaire à un medecin. Il goûta beaucoup la secte des Péripatéticiens, quoiqu'il maltraite Aristote en quelques endroits ; en voulant faire croire que ce qu'il y a de meilleur dans la physique de ce philosophe, est tiré des oeuvres d'Hippocrate.

Après ses études, Galien se mit à voyager ; il fit un long séjour à Alexandrie, où toutes les sciences fleurissoient ; à l'âge de 28 ans il retourna à Pergame ; sa santé qui jusqu'alors avoit été chancelante, devint meilleure, selon ce qu'il en dit lui-même, & fut même très-vigoureuse tout le reste de sa vie ; il parvint à une extrème vieillesse. Il avoit 32 ans lorsqu'il parut à Rome, où il trouva de la part des medecins la plus grande opposition, à ce qu'il pût exercer librement sa profession : aussi prétendoit-il savoir ce qu'ils n'avoient jamais sû & ce qu'ils ne vouloient point apprendre. Une prétention de cette espece a toûjours fait, & fera toûjours un grand nombre d'ennemis parmi ceux qui ont le même objet d'ambition, quelque bien fondé que puisse être celui qui veut s'attribuer une pareille supériorité de lumieres.

Cependant Galien parvint à plaire aux grands de Rome par ses exercices anatomiques, par le succès de sa pratique, & sur-tout par celui des prognostics. Le préteur Sergius Paulus fut un de ses plus zélés partisans, aussi-bien que Barbarus, oncle de l'empereur Lucius Verus, & Severe : ce qui contribua le plus à augmenter les clameurs & les plaintes des autres medecins, au point qu'il fut forcé de sortir de cette ville, & de se retirer dans sa patrie, d'où les empereurs Marc-Aurele & Lucius Verus le firent bien-tôt revenir à Rome, & depuis ce tems-là il n'en sortit plus, selon ce qui paroît : il ne cessa pendant toute sa vie de travailler avec beaucoup de soin à s'instruire dans les Belles-Lettres, dans la Philosophie, & dans la Medecine ; & comme il joignoit le talent à l'étude, il réussit très-bien. Il s'acquit la juste réputation d'un grand philosophe & d'un grand medecin ; il avoit beaucoup de facilité à s'énoncer, & une éloquence sans affectation ; mais comme son style est extrèmement diffus & étendu, à la maniere de celui des Asiatiques, cela est cause qu'on a quelquefois de la peine à le suivre, ou qu'on le trouve obscur en divers endroits.

Le grand nombre de livres que nous avons de cet auteur célébre, & ceux qui se sont perdus, font bien voir qu'il ne lui coûtoit guere d'écrire. Suidas dit que Galien avoit composé des ouvrages non-seulement sur la Medecine, sur la Philosophie, mais encore sur la Géometrie, sur la Grammaire. L'on comptoit plus de cinq cent livres de sa façon concernant la Medecine seule, & environ la moitié autant concernant les autres sciences. Il a fait lui-même deux livres contenant la seule énumération des différens sujets sur lesquels il avoit travaillé.

On peut dire que Galien fut le plus grand medecin de son siecle, soit pour la théorie, soit pour la pratique. On ne peut disconvenir qu'il n'ait écrit des choses admirables sur la Medecine en particulier. Il a été le grand restaurateur de la medecine d'Hippocrate contre celle des méthodiques, qui jusqu'à son tems s'étoit toûjours soûtenue avec distinction ; toutes les autres sectes de medecine subsistoient même encore du tems de Galien. Il y avoit des dogmatiques, des empiriques, des épisynthétiques, des éclectiques, des pneumatiques, &c. mais les méthodiques avoient la plus grande vogue ; les dogmatiques étoient fort divisés entr'eux ; les uns tenoient pour Hippocrate, les autres pour Aristote, & d'autres encore pour Asclépiade.

Galien ne se déclara pour aucune de ces sectes, & les étouffa toutes. Son principal but fut néanmoins de leur substituer la doctrine d'Hippocrate (voyez HIPPOCRATISME) ; personne ne l'avoit étudiée, ne l'avoit saisie comme lui. C'étoit sur les idées du pere de la Medecine qu'il avoit formé les siennes, principalement pour ce qui concerne la nature, les crises, le pouvoir de l'attraction, &c. mais (dit M. Quesnay, en portant son jugement sur la secte des Galénistes, dans son traité des fievres continues tom. I.) Galien quitta la voie qui pouvoit conduire à de nouvelles connoissances dans l'économie animale. Au lieu d'insister sur l'observation, & de se conformer à celui qu'il se proposoit pour modele, il assujettit la science encore naissante de l'art de guérir, à quelques idées générales, qui en arrêterent le progrès ; il la présenta aux medecins sous un aspect si simple, si uniforme, & si commode, qu'elles furent généralement adoptées pendant une longue suite de siecles. Non-seulement Galien rapportoit comme Hippocrate les maladies aux intempéries des quatre premieres qualités, le chaud, le froid, le sec & l'humide ; mais contre le sentiment d'Hippocrate & des medecins de l'antiquité, il rapporta aussi à ces qualités les causes des maladies, & les vertus des remedes. Voyez MALADIE, INTEMPERIE, QUALITE, MEDICAMENT.

Ce système borna entiérement les recherches des Medecins, parce que fixés à des idées par lesquelles ils croyoient pouvoir expliquer tous les phénomenes, ils étoient persuadés que toute la science de la Medecine se réduisoit à de tels principes ; cependant l'observation & l'expérience leur présentoit beaucoup d'inductions fort opposées à ces principes ; pour les concilier ou pour éluder les difficultés, ils avoient recours à des distinctions, à des interprétations, & à des subtilités qui amusoient inutilement les esprits, & qui multiplioient beaucoup les livres. Resserrés dans les bornes de leur système, ils y ramenoient toutes les connoissances qu'ils pouvoient acquérir dans la pratique de la Medecine ; les lumieres qu'elles y portoient étoient obscurcies par les erreurs qui abondent nécessairement dans une doctrine dont les principes sont faux ou insuffisans, ou trop étendus. Tels sont & tels doivent être absolument ceux sur lesquels Galien a établi sa doctrine, dans un tems où la science de la Medecine étoit encore bien imparfaite.

Pour réduire à un système vrai & juste, sur-tout à un système général, une science assujettie à l'expérience, il faut avoir auparavant toutes les connoissances qui peuvent nous conduire au vrai principe de cette science : car ce sont ces connoissances elles-mêmes, qui toutes ensemble doivent nous les indiquer. Avant qu'on soit arrivé là, on ne doit s'appliquer qu'à étendre ces connoissances, qu'à tirer des unes & des autres les portions de doctrine que l'on peut en déduire avec certitude ; autrement on s'égare, & on retarde extrèmement le progrès des sciences.

C'est-là, continue l'auteur qui vient d'être cité, c'est-là ce qu'on reproche à Galien, qui d'ailleurs étoit un medecin fort savant, très-intelligent, très-pénétrant dans la pratique, très-exact & très-clairvoyant dans l'observation ; il s'est tenu à la doctrine d'Hippocrate sur l'organisme ; il s'est entiérement fixé aux facultés sensitives & actives des organes dirigées par la nature, dans la santé & dans les maladies ; ainsi il ne paroît pas même qu'il ait eu intention de s'élever jusqu'au méchanisme physique de l'animal. Tout se réduit de la part des organes à des facultés & à un principe dirigeant, qu'il n'a point dévoilés ; & de la part des liquides à des qualités qui ne lui étoient connues que par leurs effets & par les sensations qu'elles excitent. Ce ne seroit pas un grand défaut dans sa doctrine, si ces connoissances obscures qu'il a admises pour principes, avoient été réellement des principes suffisans, c'est-à-dire les vrais principes génératifs & immédiats de toute la science de la Medecine. Car malgré toutes nos recherches & tous nos efforts, il nous faudra toûjours admettre de tels principes. Le dernier terme du méchanisme des corps est absolument inaccessible à nos sens, & par conséquent hors de la sphere des connoissances sûres & intelligibles que nous pouvons acquérir en physique.

Le chaud & le froid sont véritablement les causes primitives les plus générales des phénomenes physiques ; par-là elles peuvent être regardées en Medecine de même que la pesanteur, le mouvement, &c. comme des principes primitifs de la Medecine communs à toutes les autres sciences physiques. Ainsi dans le système de Galien, on pouvoit ramener bien ou mal à ces principes toutes les connoissances de la Medecine : mais de tels principes ne sont que des principes éloignés ; ils ne sont point les principes propres & immédiats de cette science.

Le chaud & le froid sont des causes générales, qui dans l'économie animale sont déterminées par des causes immédiates & particulieres au méchanisme du corps, par des causes qui sont les principes propres & génératifs des effets physiques, qui s'operent dans la santé & dans la maladie ; telle est, par exemple, l'action organique du coeur & des arteres, qui engendre la chaleur naturelle & les intempéries chaudes ou froides, selon qu'elle est suffisante, excessive, ou insuffisante. Or sans la connoissance des causes propres & immédiates, on ne peut appercevoir la liaison méchanique des effets avec des causes plus générales & plus éloignées. Le rapport qu'il y a entre de telles causes & leurs effets, ne sont donc ni connus, ni concevables, & ne seroient pas même instructifs ; ceux que l'on pourroit supposer seroient incertains, obscurs, erronés, & ne pourroient servir qu'à en imposer, à introduire des erreurs, & à retarder les progrès de la science.

Telles ont été en effet les productions du système de Galien ; car quoique ce système soit très-riche en fait de connoissances tirées d'observations & de l'expérience, il est encore plus abondant en faux raisonnemens sur la physique de l'art. Du reste, la doctrine des qualités se réduisoit à un jargon fort simple & fort commode. Une cause produisoit une maladie, parce qu'elle étoit chaude ou froide, seche ou humide ; les remédes qui y convenoient guérissoient, parce qu'ils avoient un degré de chaud ou de froid, de sec ou d'humide, opposé à cette cause. La méthode curative consistoit donc à employer le chaud & l'humide contre le froid & le sec, & à mettre en usage le froid & le sec contre le chaud & l'humide, &c. Ainsi toute la pratique se ramenoit à des idées familieres, simples, & commodes, qui favorisoient la paresse & cachoient l'ignorance des praticiens, qui négligeoient la véritable étude de la science de la Medecine. C'est par cette raison sans-doute que la secte de Galien a été si généralement suivie, & a conservé son empire pendant tant de siecles.

Il est donc bien facile d'appercevoir les défauts de cette doctrine, & le mal qu'elle a produit, sans qu'on puisse alléguer en compensation qu'elle ait apporté de nouvelles connoissances physiques dans la Medecine. Les quatre qualités qui servent de base à ce système, les quatre élémens auxquels on les attribue, les humeurs, c'est-à-dire le sang, la bile, la mélancolie, la pituite, dont chacune a été caractérisée par quelques-unes de ces qualités ; les quatre tempéramens dominans, par les unes ou les autres de ces qualités ; les quatre intempéries qui forment des maladies par l'excès de ces différentes qualités ; toutes ces choses se trouvent déjà établies, & au-delà même de leurs justes bornes dans les écrits d'Hippocrate. Ainsi tout ce que Galien a fait de plus, c'est de les étendre encore davantage, & de multiplier les erreurs dans son système, à proportion qu'il a plus abusé de l'application des quatre qualités tactiles aux connoissances de la Medecine.

Ainsi, en distinguant le système physique de Galien d'avec ce qui appartient à Hippocrate, on voit que ce système porte à faux par-tout ; qu'il n'a aucune réalité ; qu'il n'a par conséquent contribué en rien au progrès de la science de la Medecine. Ce qu'on peut y appercevoir de moins défectueux, c'est qu'il n'étoit pas absolument incompatible avec la doctrine d'Hippocrate, & que les grands maîtres de la secte de Galien ont pû profiter de toutes les connoissances de ces deux célebres medecins, & y rapporter celles qu'ils ont pû acquérir eux-mêmes dans la pratique.

Mais une des choses qu'on peut reprocher avec le plus de fondement à la secte galénique, c'est d'avoir répandu beaucoup d'obscurité dans la supputation des jours critiques ; parce qu'ils ont voulu assujettir des connoissances acquises par l'expérience, par l'observation, à des opinions frivoles ; les uns ont crû avoir trouvé la cause de la force de ces jours dans l'influence des astres, & particulierement de la lune ; les autres l'ont rapportée à la puissance ou à la vertu des nombres ; cependant ils auroient dû l'appercevoir manifestement dans celle de la maladie même, c'est-à-dire dans les efforts, dans les exacerbations qui operent visiblement la coction, & qui sont eux-mêmes des causes très-remarquables de la gradation, des progrès de cette coction, qui regle les jours critiques. La puissance prétendue de ces jours n'est que la force des mouvemens extraordinaires, des exacerbations de ces mêmes jours ; & la violence qu'ils attribuoient à la crise, n'est que la véhémence des symptomes, de l'exacerbation décisive. Ainsi c'est dans le méchanisme de la maladie que réside l'efficacité des jours critiques, & de la cause irritante qui l'excite ; car c'est de-là que dépend la durée des fievres & le nombre de leurs exacerbations. Cette cause se présente à l'esprit bien plus évidemment que toutes les idées obscures & chimériques du Galenisme. Voyez EFFORT, COCTION, CRISE, FIEVRE.

Il est vrai que les medecins de cette secte ignoroient le travail des vaisseaux, sur les humeurs, dans les fievres ; mais ils connoissoient du-moins l'excès de la chaleur, dans lequel ils faisoient consister l'essence de la fievre. Or c'étoit connoître l'effet immédiat de la vraie cause des opérations successives de la coction, puisque c'est de l'action même des vaisseaux que dépend la chaleur animale, soit naturelle, soit contre nature : cause qui semble si dédaignée & si peu connue encore aujourd'hui de la plûpart des medecins, & même des medecins organiques, qui ne l'envisagent que confusément, & qui ne sont attentifs qu'aux altérations, aux dégénérations de la masse des liquides, presque sans égard aux vices qu'elle contracte, aux changemens qu'elle éprouve ; aux vices qu'elle contracte, en tant qu'elle est exposée à l'action des solides. Voyez COCTION, CRISE.

Telle est l'idée générale que l'on peut donner ici de la doctrine de Galien & de ses sectateurs ; d'où il résulte que ce qui vient d'être dit à ce sujet, n'est pas suffisant pour faire juger complete ment du prix des ouvrages de cet auteur, & pour indiquer exactement ce qu'il y a de bon & de mauvais dans le système de Medecine de cet auteur, & dans l'usage que l'on en a fait après lui. Pour suppléer un peu à ce qui manque ici à cet égard, on peut recourir à l'article MEDECINE. La seule liste des écrits de Galien occuperoit ici trop de place ; ils sont si nombreux, comme il a déjà été dit, qu'ils peuvent à peine être contenus dans six volumes in-fol. Il y en a eu vingt-trois différentes éditions : la premiere a été faite à Venise, en 1525. La meilleure est celle de Paris, 13 vol. in-fol. grec & latin, publiée en 1639.

On peut trouver différens précis de la medecine galénique dans les abrégés qui ont été donnés de cette doctrine, comme dans l'histoire de la Medecine de le Clerc ; dans la préface du dictionnaire de Medecine traduit de l'anglois de James ; dans l'ouvrage intitulé état de la Medecine ancienne & moderne, aussi traduit de l'anglois de Clifton.

D'ailleurs, il se trouve des occasions dans ce dictionnaire ci-même, de traiter séparément de bien des parties importantes de la théorie de Galien, sous les différens mots qui en dépendent, ou qui y ont rapport, tels que FACULTE, QUALITE, TEMPERAMENT, INTEMPERIE, NATURE, MALADIE, MEDICAMENT, &c. (d)


GALÉNISTEadj. c'est l'épithete par laquelle on désigne les medecins de la secte de Galien, ou qui sont attachés à sa doctrine ; on employe aussi ce terme substantivement, pour indiquer ces mêmes medecins. Voyez GALENISME. (d)


GALEOPSISS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale & labiée, qui a la levre supérieure concave comme une cuilliere, & l'inférieure divisée en trois parties, dont celle du milieu est pointue ou obtuse, mais toûjours la plus grande. Le pistil sort du calice, & est attaché à la partie postérieure de la fleur, & entourée de quatre embryons, qui deviennent des semences oblongues, & renfermées dans une capsule en forme d'entonnoir, & divisée en cinq parties. Cette capsule vient du calice de la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le galéopsis a une odeur de bitume & d'huile fétide, un goût herbeux un peu salé & astringent ; il ne teint pas le papier bleu, ce qui fait présumer que son sel est enveloppé dans une grande quantité de soufre & de terre.

Boerhaave compte quatorze especes de galéopsis, auxquelles il est inutile de nous arrêter. Il suffira de dire que les trois principales especes employées en Medecine sous ce nom, sont la grande ortie puante, la petite ortie puante, & l'ortie morte à fleurs jaunes. Le lecteur en trouvera la description au mot ORTIE. (D.J.)


GALÉOTESS. m. pl. (Hist. anc.) c'étoient certains devins de Sicile & d'Afrique, qui se disoient descendus du fils d'Apollon dont ils portoient le nom. Cicéron raconte que la mere de Denis I. tyran de Syracuse, étant grosse de son fils, songea qu'elle accouchoit d'un petit satyre. Les galéotes qui se mêloient d'interprêter les songes, ayant été consultés sur celui-ci, répondirent que l'enfant qui viendroit au monde seroit long-tems le plus heureux homme de la Grece. Ils auroient bien deviné, s'ils eussent prédit le contraire. Il paroît que Denis n'a jamais joüi d'aucun bonheur, ni dans sa jeunesse, ni dans un âge mûr ; la nature de son caractere y mettoit un obstacle invincible. Il fut encore plus malheureux dans un âge avancé ; enfin il périt de mort violente 386 ans avant J. C. Il habitoit pendant les dernieres années de sa vie, une maison soûterreine, où personne, pas même sa femme & son fils, ne pouvoient entrer sans avoir quitté leurs habits ; ce tyran trembloit sans-cesse qu'ils n'eussent des armes cachées dessous pour le poignarder. (D.J.)


GALERES. f. (Marine) c'est un bâtiment plat, long & étroit, bas de bord, & qui va à voiles & à rames. On lui donne communément vingt à vingt-deux toises de longueur, sur trois de largeur ; elle a deux mâts qui se desarborent quand il est nécessaire ; l'un s'appelle la mestre, & l'autre le trinquet, qui portent deux voiles latines. Les galeres ont de chaque côté ving-cinq à trente bancs, sur chacun desquels il y a cinq ou six rameurs. On y met cinq pieces de canon, savoir deux bâtardes, deux plus petites, & un coursier qui est placé sur l'avant pour tirer pardessus l'éperon : c'est une piece de gros calibre d'environ 34. livres de balle.

Pour faire connoître ce bâtiment, j'ai cru que des desseins exacts frapperoient davantage que de longues descriptions, qu'il est presqu'impossible de rendre claires, & qui sont presque toûjours très-ennuyantes. Voyez la Planche II. qui représente le dessein d'une galere à la rame, avec toute sa chiourme & ses mâts ; & la Planche IV. fig. 2. la coupe d'une galere dans toute sa longueur, où l'on voit la distribution & le détail de son intérieur. Et pour rendre cet article plus complet, je joindrai à la fin de cet article un état de ce qui entre dans la construction & armement d'une galere.

Les galeres faisoient autrefois un corps séparé de la Marine ; elles avoient leur commandant & leurs officiers : mais aujourd'hui ce corps est réuni à celui de la Marine, & les officiers des vaisseaux du roi commandent également les galeres quand il en est besoin. Il y avoit un général des galeres, des lieutenans généraux, chefs d'escadre, capitaines-lieutenans & enseignes.

Parmi les galeres on distinguoit la réale & la patrone. La réale portoit l'étendard royal & trois fanaux posés en ligne droite. Elle étoit montée par le général des galeres. La patrone étoit montée par le lieutenant général ; elle portoit deux fanaux & un étendard quarré long à l'arbre de mestre.

La France n'est pas la seule puissance qui a des galeres ; le Pape, les Vénitiens, les Génois, le roi de Naples & Malthe en ont qui ne sortent point de la mer Méditerranée. La France est la seule qui en a fait passer dans l'Océan ; & actuellement il y en a dans le port de Brest.

Etat d'armement d'une galere. Arboratures. L'arbre de mestre de 28 goues (a) de long, de quatre pans de rondeur au petit bout, & de six à sept pans de rondeur au gros bout.

Pour l'antenne de mestre, il faut qu'elle ait 32 goues de long, & son quart 28 goues, & le tout quatre pans & demi de rondeur.

L'arbre de trinquet de 21 goues de long, de quatre pans & demi de grosseur au gros bout, & trois pans au petit bout ; l'antenne de 28 goues de long, & trois pans de rondeur, avec son quart de 18 goues de long & de ladite rondeur.

Manoeuvres de la mestre. Il faut 160 brasses de cordages de cinq pouces, pour faire les cinq costieres par bande, pesant 10 quintaux.

Trente brasses de six pouces faites en gumenettes pour costieres, pesant deux quintaux 75 livres.

Cent trente brasses de cordages de deux pouces & demi, pour garnir les douze palanquinettes pour les costieres, pesant 200 livres.

Une veste de mestre de quatre pouces & de 80 brasses, pesant quatre quintaux 25 livres.

Une autre semblable.

L'amande mestre de sept pouces & de 30 brasses, pesant environ six quintaux.

Une piece de quatre pouces de 80 brasses pour faire l'oste, pesant quatre quintaux.

Pour le bragot de l'oste de 25 pouces & de 24 brasses, pesant un quintal & demi.

Pour faire les deux oncquits, 120 brasses de trois pouces & demi, pesant quatre quintaux & demi.

Pour les cargues d'avant, 60 brasses de cordages de quatre pouces, pesant quatre quintaux.

Pour le bragot des cargues d'avant, il faut 20 brasses de cordages de 5 pouces, pesant un quintal.

Pour l'orfe nouvelle, 50 brasses de quatre pouces, pesant trois quintaux.

Pour les deux trosses, 12 brasses de quatre pouces, pesant 75 livres.

Pour le caruau, 80 brasses de trois pouces & demi, pesant trois quintaux & demi.

Pour les deux orsepoupes, 80 brasses de quatre pouces, pesant quatre quintaux.

Pour faire les trinquets, 24 brasses de trois pouces, pesant 40 livres.

Pour le prodou de mestre, 160 brasses de cinq pouces, pesant dix quintaux.

Pour l'estrop du prodou, 15 brasses de huit pouces, pesant deux quintaux.

Quatorze chaînes avec leurs bandes & ganches, pour tenir les sarties de mestre, pesant chacune 20 livres.

Deux autres chaînes pour les cargues de la mestre, appellées rides, pesant chacune 20 livres.

Manoeuvres du trinquet. Il faut une piece de cordage de 100 brasses, de quatre pouces de grosseur, pour quatre sarties par bande dudit trinquet, pesant cinq quintaux.

Quatre-vingt brasses de deux pouces & demi, pour les huit palanguinettes dudit trinquet, pesant un quintal & demi.

Pour l'isson, une piece de cordage de 80 brasses & de trois pouces & demi, pesant trois quintaux & demi.

Pour l'aman, 20 brasses de quatre pouces & demi, pesant un quintal & demi.

Pour les deux anquis, une piece de 70 brasses & de trois pouces, pesant deux quintaux & demi.

Pour les deux trosses, 20 brasses de trois pouces, pesant 80 livres.

Pour cargue d'avant, 30 brasses de cordages de quatre pouces, pesant un quintal & demi.

Pour les deux orses-poupes, 70 brasses de trois pouces, pesant deux quintaux & demi.

Pour les deux bragots d'orse-poupe, 12 brasses de quatre pouces, pesant 60 livres.

Pour les carguettes, 40 brasses de trois pouces, pesant un quintal & demi.

Pour les deux ostes, 80 brasses de trois pouces, pesant trois quintaux.

Pour le bragot de l'oste, deux brasses de quatre pouces, pesant 60 livres.

Pour le prodou du trinquet, 80 brasses de quatre pouces, pesant quatre quintaux.

Huit chaînes avec les bandes & gandes, pour tenir les sarties dudit trinquet, pesant chacune 20 livres.

Tailles & poulies de mestre. Vingt-quatre tailles, appellées couladoux, garnies de leurs poulies.

Deux tailles pour l'orse-devant, & une pour l'orse-nouvelle.

Quatre masseprets pour les ostes & pour les orses à poupe.

Deux masseprets pour les carvaux.

Les deux tailles de l'arbre de mestre.

Les partegues du tabernacle.

Les deux poulies desdits partegues de bronze, avec leurs chevilles de fer.

Trois bigotes & vingt-quatre pattes pour les anquis de mestre.

Deux partegues pour arborer l'arbre de mestre.

Les poulies desdits partegues seront de bronze.

Pour les moisselas où passent les vestes dans le coursier, six pouces de bronze.

Le cousset de l'arbre de mestre aura ses deux poulies de bronze.

Deux partegues pour tirer le caïe de la galere dedans.

Une partegue pour le carvau de la mestre vers le fougon.

(a) On nomme en Provence goue la mesure dont on se sert pour la construction des galeres. La goue a 3 pans ou 3 palmes, & chaque palme revient à 9 pouces, de sorte que la goue fait 2 piés 3 pouces.

Deux partegues pour l'orse à poupe, qui s'attachent sur les apostis.

Les deux tailles du prodou.

Quatre masseprets pour le timon.

Tailles & poulies de trinquet. Seize couladoux pour les sarties de l'arbre du trinquet.

Quatre tailles pour les anquis du trinquet, avec ses bigots & pastres.

Un massepret pour les cargues devant.

Deux masseprets pour les ostes.

Deux masseprets pour les orses à poupe.

Deux autres pour les carvaux.

Deux tailles pour guinder le trinquet.

Deux poulies pour les tailles, qui seront de bronze.

Deux tailles pour le prodou du trinquet.

Deux partegues de retour du trinquet.

Les poulies du cousset du trinquet de bronze, avec son per de fer.

Quatre tailles pour casser la tante.

Soixante-quinze anneaux tant grands que petits.

Voiles de mestre. Le marabou, pour lequel il faut 540 cannes de cotonnine double.

Le maraboutin, pour lequel il faut 360 cannes de ladite cotonnine.

Le tréou, pour lequel 180 cannes de ladite cotonnine.

La bourde, pour laquelle il faut 680 cannes de ladite cotonnine.

Toiles de trinquet. Le trinquet, pour lequel il faut 340 cannes de ladite cotonnine.

La mesanne, pour laquelle il faut 380 cannes de ladite cotonnine.

Pour coudre toutes lesdites voiles, mestre & trinquet, il faut un quintal & demi de fil de voile.

Seize livres de cire pour cirer ledit fil.

Cent quarante journées de femmes pour coudre lesdites voiles.

Un maître qui coupe lesdites voiles, & qui a l'oeil pendant qu'elles se font.

Une voile pour le caïe, y compris la toile, fil & façon.

Cordages pour garnir les voiles de mestre. Pour garnir le marabou, un cap de 50 brasses & de sept pouces au gros bout, à queue de rat, pesant trois quintaux.

Pour le maraboutin, un cap de cinq pouces au gros bout, & de 45 brasses, pesant deux quintaux & demi.

Pour garnir le tréou, un cap de quatre pouces & de 40 brasses, pesant deux quintaux & 20 livres.

Pour garnir la boude, un cap de 60 brasses & de huit pouces, pesant cinq quintaux.

Pour escottes de mestre, il en faut deux de sept pouces au gros bout, & de 30 brasses chacune, les deux pesant ensemble six quintaux.

Un cap pour le palan à carguer l'escotte de 40 brasses & de 3 pouces & demi, pesant un quintal.

Pour mataffions & tasserots pour toutes les voiles, il faut quatre quintaux de menu cordage.

Cordages pour garnir les voiles de trinquet. Pour garnir le grand trinquet, un cap de 36 brasses & de cinq pouces au gros bout, pesant deux quintaux.

Pour garnir le petit trinquet ou mesanne, un cap de 32 brasses & de quatre pouces au gros bout, pesant un quintal & demi.

Pour l'escotte du trinquet, un cap de 20 brasses & de quatre pouces & demi, pesant 120 livres.

Pour carguer l'escotte du trinquet, une piece de 30 brasses & de trois pouces, pesant un quintal.

Pour les mataffions & tasserots desdites voiles, deux quintaux de menu cordage.

Ancres, gumes, gumenettes, & autres caps pour l'ormieg. Quatre grandes ancres dits raissons, pesant chacun 14 quintaux.

Une petite ancre pour le caïe, pesant 60 livres.

Une gume de 12 pouces & de 80 brasses, pesant 14 quintaux.

Une autre semblable.

Une autre d'onze pouces & 80 brasses, pesant 12 quintaux.

Une autre semblable.

Une gumenette de sept pouces & 80 brasses, pesant sept quintaux.

Une autre semblable.

Un cap de poste de six pouces & 80 brasses, pesant six quintaux & demi.

Un autre semblable.

Un cap de grapi de cinq pouces & 80 brasses, pesant cinq quintaux.

Un autre semblable.

Une piece de cordage de trois pouces & demi & de 80 brasses, pour mettre le caïe en galere & le remorguer, pesant trois quintaux.

Pour faire bosses, une piece de cinq pouces & 40 brasses, pesant deux quintaux.

Cordages du timon & pour lever l'échelle. Pour les deux palanquinets du timon, 12 brasses de deux pouces, pesant 20 livres.

Pour la brague du timon, quatre brasses de cordages de quatre pouces, pesant 20 livres.

Pour lever l'échelle de poupe, 12 brasses de cordages de trois pouces, pesant 40 livres.

Tantes & tandelets. Pour une tante d'erbage & un tandelet de même pour la poupe, il faut 380 cannes d'erbage.

Pour une tante de cotonnine & un tandelet, 440 cannes.

Pour le mesamin auxdites deux tantes, doubler les tandelets & faire les gumes, il faut 150 cannes de toile.

Soixante livres de fil de voile pour coudre lesdites deux tantes.

Pour un tandelet d'écarlate, pour la poupe avec ses franges & houpes de soie.

Un tandelet de guérite de drap.

Une amirade pour couvrir la poupe & timoniere lorsqu'il pleut.

Douze pieces de cabrit avec leurs anneaux, pour porter lesdites tantes.

Cordages pour garnir les tantes & tandelets. Pour passer dans le mesamin de la tante d'erbage, un cap de 30 brasses & de quatre pouces, pesant un quintal & 20 livres.

Pour garnir ladite tante d'erbage, une piece de 160 brasses & de deux pouces, pesant un quintal & 40 livres.

Pour gourdins & gourdiniers de ladite tante, quatre pieces de neuf & 12 fils, pesant ensemble deux quintaux.

Une piece de 80 brasses & de trois pouces pour le bout des cabris, pesant trois quintaux.

Pour passer dans le mesamin de la tante de cotonnine, un cap de 30 brasses & quatre pouces, pesant un quintal & 20 livres.

Pour garnir ladite tante, 160 brasses de cordages de deux pouces, pesant un quintal & 40 livres.

Pour gourdins & gourdiniers de ladite tante, trois pieces de neuf fils, pesant ensemble un quintal & demi.

Pour deux cargues pour carguer lesdites tantes à la poupe, 12 brasses de cordages de quatre pouces, pesant 75 livres.

Pour deux cargues de proue, 40 brasses de trois pouces, pesant un quintal & 30 livres.

Pour lever le tandelet de la poupe, 12 brasses de deux pouces, pesant 10 livres.

Palemente & ce qui en dépend. Cinquante-une rames.

Douze rames pour la caïe.

Cinquante-un cuirs de vache de Russie pour couvrir les bancs.

Vingt autres pour cloüer le long des apôts, & pour les sarties de mestre & trinquet.

Cordages pour ladite palemente. Un cap de trois pouces de grosseur & de 120 brasses, pesant quatre quintaux.

Pour farnes, un cap de 120 brasses d'un pouce & demi, pesant un quintal.

Cinq quintaux de filasse pour garnir les estropes.

Ustensiles de l'argousin. Cinquante-une brancades d'un quintal chacune.

Douze chaussettes, pesant ensemble 3 quintaux.

Deux aiguilles.

Deux enclumes.

Deux marteaux.

Un taille-fer.

Un pié de porc.

Six pelles de fer.

Six picostes.

Trois aissadoux.

Une aissade.

Cinquante manilles avec leurs pers, pour respiech (ou rechange), pesant un quintal & demi.

Six brancades de respiech, pesant ensemble six quintaux.

Douze chaussettes, aussi de respiech.

Pavois, bandiers & flammes. Soixante cannes de cordillat rouge, pour faire pavois, pour mettre le long en long de la galere.

La garniture, le fil à les coudre, & la façon.

Deux bandieres, savoir une pour mettre sur la mestre avec les armes de France, & l'autre sur le triquet avec les armes du capitaine.

Une bandiere de poupe, avec les armes du général.

Deux flammes de taffetas, pour mettre aux deux bouts des deux antennes.

Deux autres semblables, pour mettre sur les bouts desdites deux antennes.

Vingt-cinq banderolles de taffetas, pour mettre le long en long des fierets, à 24 pans chacune, ayant neuf pans de long & huit de large chacune, avec les quênes de treillis, la soie & la façon.

Canons, armes & munitions de guerre. Un canon de coursier de fonte verte de 33 livres de balle, pesant environ 60 quintaux.

Deux moyens aussi de fonte verte de 12 livres de balle chacun, & pesant chacun cinq quintaux.

Les affuts desdits trois canons avec leurs services.

Quatre gros pierriers de fonte, chacun avec deux boîtes, pesant ensemble six quintaux.

Cent boulets de coursier de 33 livres chacun, faisant ensemble 33 quintaux poids de marc.

Deux cent boulets pour les moyens de 12 livres chacun, faisant ensemble 24 quintaux.

Cent mousquets avec leurs bandolieres.

Cinquante piques.

Vingt-cinq bâtons ferrés.

Trente rondaches ou targues.

Cinquante quintaux de poudre à canon.

Douze quintaux de poudre à mousquet.

Huit quintaux de meche.

Six quintaux de balles de mousquet.

Quatre cent balles de pierre pour les pierriers.

Cordages pour les canons. Un cap pour les canons de quatre pouces & de 80 brasses pour le coursier, pesant quatre quintaux.

Pour les vettes des deux moyens, un cap de trois pouces & de 120 brasses.

Pour faire bragues, 16 brasses de cordages de six pouces, pesant deux quintaux.

Ustensiles de cuisine & compagne. Une grande chaudiere de cuivre pour la chiourme.

Une plus petite pour les soldats & matelots.

Une plus petite pour les officiers.

Une autre pour les malades.

Deux broches de fer.

Une poesle à frire.

Un gril.

Deux contre-hatieres.

Une lechefrite.

Quatre barrils à eau pour tenir dans la compagne.

Deux tonnes pour cent mille rôles de vin.

Une barrique pour l'huile.

Une autre pour le vinaigre.

Quatre barriques pour la chair salée.

Les tinettes & pintes.

Quatre broquets.

Deux fontaines de bois.

Six seillots pour la compagne.

Douze autres moindres pour le suif.

Cinquante autres pour les bannes.

Quatre cent barrils à eau pour tenir par les bannes.

Une balance avec coup & poids, pour peser le biscuit & autres denrées.

Un quintal de vaisselle d'étain.

En linge, pour la poupe & cuisine.

GALERE, (Jurisprud.) ce terme est pris dans cette matiere pour la peine que doivent subir ceux qui sont condamnés aux galeres ; c'est-à-dire à servir de forçats sur les galeres du Roi.

On compare ordinairement la peine des galeres à celle des criminels, qui chez les Romains étoient condamnés ad metalla, c'est-à-dire aux mines. Cette comparaison ne peut convenir qu'aux galeres perpétuelles ; car la condamnation ad metalla ne pouvoit être pour un tems limité, au lieu que les galeres peuvent être ordonnées pour un tems ; auquel cas, elles ont plus de rapport à la condamnation ad opus publicum, qui privoit des droits de cité, sans faire perdre la liberté.

Quelques auteurs ont cru que la peine des galeres étoit connue des Romains. Entr'autres Cujas, Paulus, Suidas, & Josephe ; la plûpart sont fondés sur un passage de Valere Maxime, lequel en parlant d'un imposteur, qui se disoit fils d'Octavie, soeur d'Auguste, dit que cet empereur le fit attacher à la rame de la galere publique, mais cela signifie qu'il y fut pendu, & non pas condamné à ramer. La plus saine opinion est que la peine des galeres n'étoit point usitée chez les Romains, ainsi que le remarque Anne Robert ; & en effet, on ne trouve dans le droit aucun texte qui fasse mention de la peine des galeres ; ce qui vient sans-doute de ce que les Romains avoient beaucoup d'esclaves & de prisonniers de guerre qu'ils employoient sur les galeres.

On pourroit plutôt croire que la peine des galeres étoit usitée chez les Grecs, suivant ce que dit Plutarque in Lysandro, que Philocle avoit persuadé aux Athéniens de couper le pouce droit à tous leurs prisonniers de guerre, afin que ne pouvant plus tenir une pique, ils pussent néanmoins faire mouvoir une rame.

La condamnation aux galeres n'est pas fort ancienne en France ; car Charles IV. fut le premier de nos rois qui commença à avoir sur mer des galeres.

La premiere ordonnance que j'aye trouvée qui fasse mention de la peine des galeres, est celle de Charles IX. faite à Marseille en Novembre 1564, qui défend tant aux cours souveraines qu'à tous autres juges, de condamner dorénavant aux galeres pour un tems moindre de dix ans, à laquelle peine ils pourront condamner ceux qu'ils trouveront le mériter.

Un des objets de cette ordonnance paroît avoir été d'autoriser l'usage de la condamnation aux galeres qui se pratiquoit déjà plus anciennement. En effet, M. de la Roche-Flavin rapporte un arrêt de 1535, portant condamnation aux galeres ; & Carondas en ses pandectes en rapporte un autre de 1532, qui défendit aux juges d'église de condamner aux galeres.

En Espagne les juges d'église ne condamnent jamais les clercs aux galeres, & cela pour l'honneur du clergé ; mais ils peuvent y condamner les laïcs sujets à leur jurisdiction.

En France les ecclésiastiques ont voulu obtenir le pouvoir de condamner aux galeres : la chambre ecclésiastique des états de 1614 estima que pour contenir dans le devoir les clercs incorrigibles, il conviendroit que les juges d'église pussent les condamner aux galeres ; cela fit le sujet de l'article 28 des remontrances que cette chambre présenta à Louis XIII. Malgré ces remontrances, on a toûjours tenu pour principe que les juges d'église ne peuvent condamner aux galeres, qu'autrement il y auroit abus.

On doutoit autrefois si les juges de seigneurs pouvoient condamner aux galeres ; mais suivant la derniere jurisprudence, tous juges séculiers peuvent prononcer cette condamnation.

Après la peine de la mort naturelle, & celle de la question, à la reserve des preuves en leur entier, la plus rigoureuse est celle des galeres perpétuelles, laquelle emporte mort civile & confiscation de biens dans les pays où la confiscation a lieu. Cette peine est aussi plus rigoureuse que celle du bannissement perpétuel, & que la question sans reserve des preuves & autres peines plus legeres.

On ne suit pas l'ordonnance de 1564, en ce qu'elle défend de prononcer la peine des galeres pour un tems moindre de dix ans ; on peut y condamner pour un moindre tems.

Lorsque cette condamnation n'est prononcée que pour un tems limité, elle n'emporte point mort civile ni confiscation, & elle est réputée plus douce que le bannissement perpétuel, lequel emporte mort civile ; & même que la question sans reserve des preuves, parce que la mort peut s'ensuivre de la question par la confession & les éclaircissemens qui peuvent être tirés de la bouche de l'accusé.

Suivant la déclaration du 4 Mars 1724, ceux qui sont condamnés aux galeres doivent être préalablement fustigés & flétris d'un fer chaud contenant ces trois lettres, G A L, afin que s'ils sont dans la suite accusés de quelques crimes, on puisse connoître qu'ils ont déjà été repris de justice.

La déclaration du 4 Septembre 1677 prononce peine de mort contre ceux qui, étant condamnés aux galeres, auront mutilé leurs membres pour se mettre hors d'état de servir sur les galeres.

Dans les cas où la peine des galeres est ordonnée contre les hommes, la peine du foüet & du bannissement à tems ou à perpétuité doit être ordonnée contre les femmes selon la qualité du fait.

L'article 200 de l'ordonnance de Blois porte, qu'il ne sera accordé aucun rappel de ban ou de galeres à ceux qui auront été condamnés par arrêt de cour souveraine ; que si par importunité ou autrement, il en étoit accordé avec clause d'adresse à d'autres juges, ils ne doivent y avoir aucun égard ni en prendre connoissance, quelque attribution de jurisdiction qui puisse leur en être faite ; & néanmoins il est défendu très-étroitement à tous capitaines de galeres, leurs lieutenans, & tous autres, de retenir ceux qui y seront conduits outre le tems porté par les arrêts ou sentences de condamnation, sur peine de privation de leurs états.

L'ordonnance de 1670, titre xvj. article 5, veut que les lettres de rappel de galeres ne puissent être scellées qu'en la grande chancellerie. On les adresse aux juges naturels du condamné ; l'arrêt ou jugement de condamnation doit être attaché sous ces lettres, & ces lettres sont entérinées sans examiner les charges & informations.

On commue quelquefois la peine des galeres en une autre, lorsque le condamné est hors d'état de servir sur les galeres. Voyez CHAINE, RAPPEL DE GALERES. Voyez aussi GALERIEN. (A)

GALERE, s. f. (Chymie philosoph.) espece de fourneau long, en usage chez les Distillateurs, pour distiller une grande quantité de liqueurs à-la-fois. Voyez FOURNEAU.

GALERE, (Lutherie) sorte de rabot dont se servent les Facteurs d'orgues pour raboter les tables d'étain & de plomb dont les tuyaux d'orgues sont faits. Cet outil représenté dans les Planches d'orgue à la fig. 63, est composé du corps A B, de bois en tout semblable à celui des Menuisiers. La semelle qui est la face qui porte sur l'ouvrage que l'on rabote, est une plaque de fer bien dressée & policée, qui est attachée au-dessous du corps avec des vis à tête perdue, c'est-à-dire qui sont arasées à la plaque qui sert de semelle. La partie antérieure du corps est traversée par une cheville D C, par laquelle un ouvrier tire la galere à lui, pendant que son compagnon la pousse comme un rabot ordinaire par la partie B. Le fer de cet instrument doit être debout, comme on voit en E, le biseau tourné vers la partie suivante B, ensorte qu'il ne fait que gratter ; ou si on l'incline comme aux rabots ordinaires, le biseau G doit être tourné en-dessus vers la partie précedente A de l'outil ; ce qui produit le même effet, puisque la face du biseau G est perpendiculaire à la semelle. Voyez au mot ORGUE la maniere de travailler le plomb & l'étain pour toutes sortes de jeux.


GALERICA(Hist. nat.) nom donné par les anciens à une pierre qui étoit d'un verd pâle.


GALERIES. f. (Archit. & Hist.) c'est en Architecture un lieu beaucoup plus long que large, vouté ou plafonné, & fermé de croisées. Ducange dérive ce mot de galeria, qui signifie un appartement propre & bien orné. Du-moins, c'est de nos jours l'endroit d'un palais, que l'on s'attache le plus à rendre magnifique, & que l'on embellit davantage, surtout des richesses des beaux Arts ; comme de tableaux, de statues, de figures de bronze, de marbre, d'antiques, &c.

Il y a dans l'Europe des galeries fameuses par les seules peintures qui y sont adhérentes, & alors on désigne ces ouvrages pittoresques, par la galerie même qui en est décorée. Ainsi l'on dit, la galerie du palais Farnèse, la galerie du Luxembourg, la galerie de Versailles, la galerie de Saint-Cloud. Tout le monde les connoît, nous n'en parlerons donc pas ici ; mais avec le secours de M. l'abbé Fraguier, (mém. de l'acad. des inscript. tome IX.) nous pouvons entretenir le lecteur de la galerie de Verrès, qui valoit bien celles dont on réimprime si souvent les descriptions. Le rival d'Hortensius signala sa jeunesse à en tracer le tableau, lorsqu'il accusa & convainquit le possesseur de cette galerie, de n'être qu'un voleur public. Le goût curieux de ce voleur public embrassoit les plus rares productions de l'art & de la nature ; il n'y avoit rien de trop beau pour lui ; sa maison étoit superbe, ses cours & ses jardins n'offroient que marbre & statues : mais ce qu'il avoit rassemblé de plus précieux par ses rapines, remplissoit sa galerie. Joüissons du spectacle qu'en donne Ciceron ; il entre dans un des objets les plus importans & les plus curieux de ce Dictionnaire, la connoissance des ouvrages de l'antiquité.

La statue de Jupiter étoit une des plus apparentes qu'on vît dans la galerie de Verrès ; elle représentoit Jupiter surnommé , le dispensateur des vents favorables. On ne connoissoit dans tout le monde que trois statues de Jupiter avec ce titre ; l'une étoit au Capitole, où Quintus Flaminius l'avoit consacrée des dépouilles de la Macédoine ; l'autre dans un ancien temple bâti à l'endroit le plus étroit du Bosphore de Thrace ; la troisieme avoit été apportée de Syracuse dans la galerie de Verrès.

La Diane de Ségeste n'étoit pas moins remarquable ; c'étoit une grande & belle statue de bronze. La déesse étoit voilée à la maniere des divinités du premier ordre, pedes vestis defluxit ad imos ; mais dans cette grande taille, & avec une draperie si majestueuse, on retrouvoit l'air & la legereté de la jeunesse. Elle portoit le carquois attaché sur l'épaule ; de la main droite elle tenoit son arc, & de la main gauche elle avoit un flambeau allumé. L'antiquité chargeoit de symboles les figures de ses dieux, pour en exprimer tous les différens attributs ; en quoi elle n'a peut-être pas eu toûjours assez d'égard au tout-ensemble. Cette statue de toute antiquité, avoit appartenu à Ségeste, ville de Sicile fondée par Enée ; elle en étoit en même tems un des plus beaux ornemens, & la plus célebre dévotion ; les Carthaginois l'avoient enlevée. Quelques siecles s'étant écoulés, le jeune Scipion vainqueur de Carthage la rendit aux Ségestains : on la remit sur sa base avec une inscription en grands caracteres, qui marquoit & le bienfait & la piété de Scipion ; Verrès peu scrupuleux se l'appropria.

Deux statues de Cerès qu'on voyoit ensuite, étoient en ce genre l'élite de celles de tous les temples de la Sicile, où Verrès avoit commandé pendant trois ans ; l'une venoit de Catane, l'autre d'Enna, deux villes qui gravoient sur leurs monnoies la tête de Cerès. Celle de Catane avoit de tous tems été révérée dans l'obscurité d'un lieu saint, où les hommes n'entroient point ; les femmes & les filles étoient chargées d'y célebrer les mysteres de la déesse : la Cerès d'Enna étoit encore plus remarquable.

Mercure chez Verrès n'étoit que trop à sa place ; c'étoit celui-là même à qui les Tyndaritains offroient tous les ans des sacrifices reglés : la statue étoit d'un très-grand prix ; Scipion vainqueur de l'Afrique l'avoit rendue au culte de ses peuples ; Verrès sans victoires, la leur enleva.

L'Apollon étoit revenu de même à ceux d'Agrigente ; il étoit dans leur temple d'Esculape. Myron, ce fameux statuaire si connu, y avoit épuisé tout son art ; & pour rendre son nom éternel, il l'avoit écrit sur l'une des cuisses en petits caracteres d'argent. On sent combien le nom de Myron, mis contre la défense dans quelque pli de cette statue, en rehaussoit le prix dans la fantaisie des curieux.

L'Hercule de Verrès étoit de la main du même artiste ; son Cupidon étoit de la main de Praxitele ; & Pline le met au rang des chefs-d'oeuvre de ce grand maître.

Auprès de ces divinités, on voyoit les Canéphores, qui avoient tant de part dans la pompe des fêtes athéniennes. On appelloit Canéphores à Athenes, comme on l'a dit sous ce mot, de jeunes filles, qui parées superbement, marchoient dans les processions solemnelles, portant sur leurs têtes & soûtenant avec leurs mains des corbeilles remplies de choses destinées au culte des dieux ; telles on voyoit celles-ci : c'étoient des figures de bronze, dont la beauté répondoit à l'habileté & à la réputation de Polyclete.

Je glisse sur l'Aristée, le Péon, & le Ténès, autres statues très-précieuses qui se trouvoient dans cette riche galerie ; parce qu'au milieu des dieux de toute espece qui la décoroient, on admiroit encore davantage la Sapho de bronze de Silanion : rien de plus fini que cette statue ; c'étoit non un poëte, mais la Poésie ; non une femme passionnée, mais la passion en personne : Verrès l'avoit tirée du prytanée de Syracuse.

Quantité d'autres statues que l'orateur de Rome n'a pas décrites, ornoient la galerie de Verrès ; Scio, Samos, Perge, la Sicile, le monde entier, pour ainsi dire, avoient servi tous ses goûts. Cicéron prétend que la curiosité de Verrès avoit plus coûté de dieux à Syracuse, que la victoire de Marcellus n'y avoit coûté d'hommes.

Un morceau unique que j'oubliois de citer, & que Verrès ne montroit qu'à ses amis, c'étoit la statue du joüeur de lyre d'Aspende, dont la maniere de toucher cet instrument avoit fondé un proverbe parmi les Grecs.

Entre les raretés de goût d'un autre genre, que Verrès avoit en grand nombre dans sa galerie, on pourroit mettre plusieurs petites victoires, telles que nous les voyons dans les médailles sur la main des divinités : il y en avoit de toutes sortes d'endroits ; celles-ci avoient été tirées des statues de Cérès ; celles-là d'un ancien temple de Junon bâti sur le promontoire de Malte.

Un grand vase d'argent en forme de cruche, hydria, ornoit une magnifique table de bois de citre : ce grand vase étoit de la façon de Boëthus, carthaginois, dont Pline nous a transmis la gloire, avec la liste de ses principaux ouvrages. A côté de ce vase, on en voyoit un autre encore plus admirable ; c'étoit une seule pierre précieuse creusée avec une adresse & un travail prodigieux : cette piece venoit d'Orient ; elle étoit tombée entre les mains de Verrès, avec le riche candélabre dont nous parlerons dans la suite.

Il n'y avoit point alors en Sicile, disent les historiens, de maison un peu accommodée des biens de la fortune, qui n'eût son argenterie pour servir au culte des dieux domestiques ; elle consistoit en patenes de toutes grandeurs, soit pour les offrandes soit pour les libations, & en cassolettes à faire fumer l'encens. Tout cela prouvoit que les Arts dans la Sicile avoient été portés à un haut degré de perfection. Verrès aidé de deux grecs qui s'étoient donnés à lui, l'un peintre, l'autre statuaire, avoit choisi parmi tant de richesses, ce qui convenoit le mieux pour l'ornement de sa galerie. Ici c'étoit des coupes de formes ovales, scaphia, chargées de figures en relief, & de pieces de rapport ; là c'étoit des vases de Corinthe posés sur des tables de marbre, soûtenues sur trois piés, à la maniere du sacré trépié de Delphes, & qu'on appelloit pour cela mensae delphicae.

Nous ne parlerons pas de plusieurs autres raretés de cette galerie, qui ne laissoient pas que de l'embellir ; comme de cuirasses, de casques, de grandes urnes d'airain de Corinthe ciselé ; des dents d'éléphans d'une grandeur incroyable, sur lesquelles on lisoit en caracteres puniques, que le roi Massinissa les avoit renvoyées à Malte au temple de Junon, d'où le général de la flotte les avoit enlevées : on y trouvoit jusqu'à l'équipage du cheval qui avoit appartenu au roi Hiéron. A côté de cet équipage, deux petits chevaux d'argent placés sur deux pié-d'estaux ; offroient un nouveau spectacle aux yeux des connoisseurs.

Quoique les vases d'or que Verrès avoit semés dans sa galerie en très-grand nombre, fussent modernes, il avoit sçû les rendre & plus beaux & aussi respectables que l'antique ; il avoit établi à Syracuse, dans l'ancien palais des rois, un grand attelier d'orfevrerie, où pendant huit mois, tous les ouvriers qui ont rapport à cet art, soit pour dessiner les vases, soit pour y ajoûter des ornemens, travailloient continuellement pour Verrès, & ne travailloient qu'en or.

Toutes les tapisseries de cette galerie étoient rehaussées de ce métal dont la mode venoit d'Attalus, roi de Pergame ; le reste des meubles y répondoit : la pourpre de Tyr y éclatoit de tous côtés. Verrès pendant le tems de son gouvernement, avoit établi dans les meilleures villes de Sicile, & à Malte, des manufactures où l'on ne travailloit qu'à ses meubles : toutes les laines étoient teintes en pourpre. Il fournissoit la matiere, dit Cicéron ; la façon ne lui coûtoit rien.

Outre quantité de tableaux très-précieux qu'il avoit tirés du temple de Minerve à Syracuse, pour sa galerie, il y avoit placé vingt-sept portraits des anciens rois de Sicile, rangés par ordre, & qu'il avoit aussi tirés du même temple.

La porte de la galerie étoit richement historiée ; Verrès dépouilla pour son usage celle du temple de Minerve à Syracuse, la plus belle porte qui fût à aucun temple : plusieurs auteurs grecs en ont parlé dans leurs écrits ; & tous conviennent que c'étoit une merveille de l'art. Elle étoit décorée d'une maniere également convenable & au temple de la déesse des Beaux-Arts, & à une galerie qui renfermoit ce que les Beaux-Arts avoient produit. Verrès avoit enlevé des portes du même temple, de gros clous dont les têtes étoient d'or, bullas aureas, & en avoit orné la porte de sa galerie.

A côté de la porte, on trouvoit deux très-grandes statues, que Verrès avoit enlevées du temple de Junon à Samos ; elles pouvoient être d'un Théodore de Samos, habile peintre & statuaire, dont parle Pline, & dont Platon fait mention en quelque endroit.

Enfin la galerie étoit éclairée par plusieurs lustres de bronze, mais sur-tout par un candélabre merveilleux, que deux princes d'Orient avoient destiné au temple de Jupiter Capitolin. Comme ce temple avoit été brûlé par le feu du ciel, & que Q. Catullus le faisoit réédifier plus superbe qu'auparavant, les deux princes voulurent attendre qu'il fût achevé de bâtir, pour y consacrer leur offrande ; un des deux, qui étoit chargé du candélabre, passa par la Sicile pour regagner la Comagene. Verrès commandoit en Sicile : il vit le candélabre ; il l'admira, il l'emprunta, il le garda : c'étoit un présent digne & des princes qui le vouloient offrir au temple de Jupiter, & de ce temple même, le lieu de toute la terre le plus auguste, si l'on en excepte le temple du vrai Dieu.

Telles étoient les richesses de la galerie de Verrès. Cependant quelque curieuse, quelque magnifique qu'elle fût, ce n'étoit ni la seule, ni vraisemblablement la plus belle qu'il y eût à Rome. Personne n'ignore que dès que les conquêtes des Romains eurent exposé à leurs yeux ce que l'Asie, la Macédoine, l'Achaïe, la Béotie, la Sicile, & Corinthe, avoient de beaux ouvrages de l'art ; ce spectacle leur inspira l'amour passionné de ce genre de magnificence : ce fut à qui en orneroit le plus ses maisons à la ville & à la campagne. Le moyen le moins criminel qu'ils mirent en oeuvre, fut d'acheter à vil prix des choses qui n'avoient point de prix : le gouvernement des pays conquis leur en offroit l'occasion ; l'avidité des uns enlevoit tout, sans qu'il fût question de payement ; les autres plus mesurés dans leurs démarches, sous des prétextes plausibles, empruntoient des villes ou des particuliers ce que ces particuliers & ces villes possédoient de plus exquis ; & si quelqu'un avoit le soin de le leur restituer, la plûpart se l'approprioient.

Mais enfin quoique les Romains ayent orné leurs palais de tous les précieux ouvrages de la Grece, ils n'eurent en partage ni le goût ni la noble émulation qui avoit animé les Grecs ; ils ne s'appliquerent point comme eux à l'étude des mêmes Arts dont ils admiroient les productions ; & nous le prouverons invinciblement quand il s'agira de parler des Grecs, de leurs talens, & de leur génie. Voyez ci-après l'article GRECS. (D.J.)

GALERIE, s. f. en terme de Fortification, est une petite allée de charpente qu'on fait pour passer un fossé, qui est couvert de grosses planches de bois, chargées de terre & de gason.

Les côtés de la galerie doivent être à l'épreuve du mousquet ; ils sont composés d'un double rang de planches, comme de plaques de fer pour résister aux pierres & aux artifices dont l'ennemi se sert. Chamb.

On se servoit autrefois de ces galeries pour faciliter l'approche du mineur à la face du bastion ; elles portoient sur le fossé qu'on avoit soin de combler auparavant de barriques, de sacs à terre, & de fascines, lorsqu'il étoit plein d'eau. Pendant ce comblement, on démontoit l'artillerie des flancs opposés : cette galerie s'appelloit aussi traverse. Voyez TRAVERSE : elle n'est plus d'usage à présent. Le mineur parvient au corps de l'ouvrage attaqué, ou par une galerie soûterreine qu'il pratique sous le fossé lorsque la nature du terrein le permet, ou à la faveur de l'épaulement qui couvre le passage du fossé. Voyez PASSAGE DU FOSSE.

On appelle encore galerie le conduit d'une mine, c'est-à-dire le chemin qu'on pratique sous terre pour aller jusque sous le terrein des ouvrages qu'on a dessein de faire sauter. Voyez MINE, RAMEAU, ARAIGNEE, &c.

Les assiégeans & les assiégés poussent aussi des galeries sous terre pour éventer réciproquement leurs mines, & les détruire après qu'ils les ont trouvées.

GALERIES D'ECOUTE. On appelle ainsi de petites galeries construites le long des deux côtés des galeries ordinaires : on y pratique de distance en distance de petits espaces pour contenir un homme. L'emploi de cet homme est d'écouter avec attention ce qui se fait dans les environs du lieu où il est placé, afin de donner avis du travail de l'ennemi. (Q)

GALERIE, (Hist. nat. Minéralogie) on nomme ainsi dans les mines métalliques les chemins que les mineurs font sous terre, pour percer le sein des montagnes & en détacher les filons. Voyez l'art. MINES.

GALERIE, (Marine) Les galeries dans les vaisseaux sont des balcons couverts ou découverts avec appui, qui font saillie vers l'arriere du vaisseau : ces balcons ne se font pas seulement pour l'ornement, mais encore pour la commodité de la chambre du capitaine. En 1673, le roi de France ordonna que les vaisseaux de cinquante canons & au-dessous n'auroient plus de galeries ni de balcons.

Les navires anglois ont de grandes & superbes galeries ; les hollandois n'en ont que de très-petites. Voyez Pl. I. de Marine, la galerie cotée E ; voyez la Pl. III. fig. 1. représentant la poupe d'un vaisseau, où la galerie est cotée G. Voyez aussi la Planche IV. fig. 1. la galerie cotée 139.

GALERIE DU FOND DE CALE ; c'est un passage large de trois piés pratiqué le long du serrage de l'avant à l'arriere des vaisseaux qui sont au-dessous de 50 pieces de canon : cette galerie donne moyen aux charpentiers de remédier aux voies d'eau que causent les coups de canon donnés à l'eau. Ceux qui sans ordre vont aux galeries qui joignent les fontes, doivent être condamnés aux galeres, suivant l'ordonnance de 1689. (Z)

GALERIE, terme de Riviere, espace de trois piés de largeur, faite en avant de la travure d'un bateau foncet.

GALERIE, (Peinture) terme d'Architecture, que la Peinture a emprunté pour exprimer une suite de compositions dont les galeries sont quelquefois ornées : c'est dans ce sens que l'on appelle les tableaux dans lesquels Rubens a représenté l'histoire de Marie de Médicis, la galerie de Rubens ou la galerie du Luxembourg.

Si quelque chose peut rendre sensible les ressemblances si bien établies entre la Poésie & la Peinture, c'est sans-doute les rapports qu'ont entr'eux les différens genres de productions de ces deux Arts. Je dirai au mot GENRE, les ressemblances principales qu'on peut admettre dans les ouvrages de Peinture & dans ceux de Poésie ; je vais en emprunter un seul trait, qui me paroît convenir particulierement à l'article GALERIE.

Les compositions dont la Poésie se fait plus d'honneur, sont les poëmes composés de plusieurs parties, qui susceptibles d'une beauté particuliere, exigent que cette beauté ait une juste convenance avec l'ouvrage entier, & une liaison combinée avec les parties qui précedent ou qui suivent. Dans la Peinture, un seul tableau, quelque grand qu'en soit le sujet, ne semble pas répondre parfaitement à cette idée : mais un assemblage de tableaux qui indépendamment des convenances particulieres auxquelles ils sont astreints, auroient entr'eux des rapports d'action & d'intérêt qui les lieroient les uns aux autres, seroit une image sensible des poëmes dont je viens de parler. Une galerie décorée par un célebre artiste, dans laquelle les momens différens d'une histoire sont partagés avec l'intelligence nécessaire pour les rendre dépendans les uns des autres, est à la Peinture ce qu'est à la Poésie un poëme excellent, où tout marche & se suit. Despréaux, ce législateur des Poëtes, ajoûte qu'une composition de cette espece

N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit ;

Il veut du tems, des soins....

Il veut plus que tout cela, un véritable génie.

Quelle machine, en effet, à concevoir, à disposer, à créer, à animer enfin ! c'est à des ouvrages de cette espece qu'on reconnoît le caractere de divinité par lequel ce qu'on appelle génie a mérité dans tous les âges & méritera toûjours l'hommage des hommes. Il est un point de perfection où les Arts sont tellement au-dessus du méchanisme qui leur est propre, que leurs productions ne paroissent plus être que du ressort de l'ame. Mais pour revenir à l'art de la Peinture, je crois que les ouvrages de l'espece de ceux qu'on nomme galerie, ainsi que le plafond, sont les moyens les plus propres à entretenir & à étendre ses progrès. A la vérité, les occasions d'entreprendre ces poëmes pittoresques sont encore rares ; mais il ne faut, pour les rendre plus communs, qu'un simple desir du souverain, & quelques exemples. Les arts plus goûtés & plus connus, ont déjà fait naître une espece de luxe qui est prêt à l'emporter sur l'étalage de ces superfluités qui n'ont d'autre merite que de venir de fort loin. Il arrivera peut-être que non-seulement des princes, mais des particuliers, pour satisfaire leurs penchans tolérés pour la somptuosité, donneront à des artistes distingués l'occasion d'entreprendre des poëmes pittoresques de différens genres, dans lesquels le génie de la Peinture prenant un libre essor, étendra les limites de l'art, & les portera aussi loin qu'il pourra lui-même s'élever. Eh, pourquoi dirigeant à un but honnête & même utile, ces effets de la prodigalité, ne consacreroit-on pas ces compositions à la loüange & à l'encouragement des vertus ? Si les descendans de ces maisons illustres auxquelles leurs chefs ont transmis une juste gloire, peuvent faire représenter dans les galeries de leurs palais les actions de ceux de leurs ayeux dont ils tiennent une distinction plus flatteuse que celle qui ne provient que d'une date éloignée, les particuliers moins illustres, en faisant retracer dans leurs maisons des actions moins éclatantes, pourroient rappeller les traits non moins honorables de la vie de leurs peres, de leurs amis, ou de leurs bienfaiteurs. Serions-nous moins sensibles à voir en action la générosité, la justice, l'attendrissement vertueux, que la majesté, la gloire, la vengeance, & ces inscriptions simples qu'on liroit au bas d'un tableau ? le ressentiment étouffé ou l'amitié éprouvée, ne parleroient-elles pas autant au coeur & à l'esprit dans leur genre, que celles dans lesquelles on annonce des ennemis vaincus & des places assiégées ?

Il seroit donc très-possible de lier ensemble les compositions des tableaux qui orneroient un simple cabinet, comme on voit unis & dépendans les uns des autres, ceux qui décorent les galeries des rois ; & des évenemens particuliers intéressans ou agréables, produiroient un plaisir vif à ceux qui connoîtroient particulierement ceux qui en seroient les acteurs, & un intérêt assez grand aux personnes indifférentes, à l'aide d'une courte inscription.

Il seroit aisé d'appuyer cette idée de raisonnemens & de preuves ; mais les raisonnemens & les preuves influent peu sur des usages que souvent le simple hasard introduit dans un tems ; tandis que dans un autre, des volumes de dissertations ne pourroient les faire adopter.

L'usage des galeries est encore d'y rassembler des tableaux de différens artistes anciens & modernes. Ces collections, loüables en elles-mêmes parce qu'elles contribuent à la conservation des chefs-d'oeuvre des Arts, demanderoient sans-doute une intelligence quelquefois rare dans ceux qui les forment, pour que chaque composition fût dans la place la plus favorable aux beautés qui font son mérite. Il en est des tableaux comme des hommes ; ils se font valoir ou se détruisent par les diverses oppositions de leurs caracteres. Un coloriste rigoureux est un voisin redoutable pour un dessinateur fin & correct, qui n'a pas assez entendu la magie de la couleur. Un homme dont l'esprit est plein d'images & la conversation brillante, n'obscurcit-il pas celui dont la raison moins colorée, pour ainsi dire, se montre sous des formes justes, mais avec moins d'éclat ? Article de M. WATELET.

* GALERIES, terme de Fonderie, sont des espaces séparés par des murs de grès maçonnés d'argille, élevés de deux assises de seize pouces d'épaisseur chacune, & d'un pié de hauteur : on les pose au fond de la fosse sur un massif de deux rangs de brique l'un sur l'autre : sur ces murs de galerie on applique des plates-bandes de fer de quatre pouces de large sur huit lignes d'épaisseur, entaillées aux endroits où elles se croisent : elles servent de base à l'armature. Voyez les Planches de la Fonderie des figures équestres.

GALERIE, (Jardinage) il y en a de verdure ; elles sont formées par des arcades des deux côtés ; ce qui les distingue des berceaux.

GALERIES D'EAU ; ce sont deux rangs de jets perpendiculaires qui tombent dans des rigoles ou goulettes de pierre ou de plomb, séparées ou contiguës sur deux lignes paralleles : on en voit une à Sceaux, ornée de bustes de marbre & de niches de treillages du dessein du fameux Lebrun. Voy. JET D'EAU. (K)

GALERIE, terme de jeu de Paume ; c'est un passage qui borde celui des côtés d'un jeu de paume, qui est tout ouvert depuis la hauteur de trois piés jusqu'au toît : ce côté ouvert est séparé par des poteaux qui le divisent en six parties à-peu-près égales, dont il y en a trois de chaque côté de la longueur du jeu. La premiere division, qui regne depuis la corde jusque & compris la porte ou passage par lequel on entre dans le jeu, se nomme le premier ; l'espace compris depuis la porte jusqu'au poteau suivant, est appellé le second ; & le reste de l'ouverture est appellé le dernier.


GALÉRIENS. m. (Jurisprud. Marine) criminel condamné à servir de forçat sur les galeres du roi pendant un nombre d'années limité, ou à perpétuité : au premier cas, la condamnation à la peine des galeres avec flétrissure, emporte infamie, sans confiscation de corps ni de biens : au second, elle emporte mort civile, confiscation de biens dans les provinces où la confiscation a lieu, & privation de tous effets civils.

Les fraudeurs & contrebandiers condamnés aux galeres faute de payement & par conversion d'amende, ne sont plus flétris & marqués (déclaration du Roi de 1744) ; ils sont admis à payer l'amende après le jugement de conversion, même après qu'ils ont commencé à subir la peine contr'eux prononcée, & doivent être aussi-tôt remis en liberté ; le jugement de conversion de peine demeurant en ce cas sans effet, & comme non avenu. Déclaration du Roi de 1756.

La peine des galeres a été sagement établie ; elle conserve au service de l'état, sans danger pour la société, des sujets que leurs crimes auroient expatriés ou conduits au supplice : elle est d'ailleurs plus conforme aux lois de l'humanité.

Les galériens ne furent d'abord appliqués qu'au service de la mer, suivant l'esprit de la loi : mais la méchanceté des hommes en général, l'ignorance de plusieurs juges, l'avidité des suppôts des fermes, peut-être le vice de quelques lois pénales, porterent bien-tôt le nombre de ces malheureux au-delà de ce qu'exigeoit le service des galeres, ils sont encore employés aux divers travaux des ports : c'est principalement dans ceux de Brest & de Marseille qu'on les rassemble de toutes les provinces du royaume, où les officiers & gardes de la chaîne vont les prendre dans les mois d'Avril & de Mai de chaque année. Rendus dans les ports, ils sont partagés par chiourmes avec les esclaves, & renfermés enchaînés dans des bagnes ou salles de force ; & à défaut, logés à-bord des vaisseaux hors de service, sous la police des intendans ou ordonnateurs, & la discipline des comites, argousins, & autres bas officiers préposés pour la faire observer.

Les forçats, galériens, ou esclaves, sont nourris dans les bagnes & salles de force, à la même ration que sur les galeres dans le port.

Ils sont employés de deux semaines l'une, & à tour de rôle, aux travaux de fatigue des arsenaux, suivant les ouvrages auxquels ils peuvent être destinés. On en accorde pour les manufactures utiles à la Marine, dans les différens ports ; & aux fabriquans & artisans, pour travailler chez eux, aux soûmissions usitées pour leur sûreté.

On permet aux forçats d'établir des baraques en-dehors des bagnes ; d'y travailler de leur métier ; & d'y vendre les ouvrages qu'ils ont faits, les jours qu'ils n'ont pas été destinés à la fatigue de l'arsenal.

Les forçats ouvriers dans les baraques, & ceux travaillant en ville, ne peuvent être exempts de la fatigue de l'arsenal à leur tour, qu'en payant un autre forçat pour remplir leur service ; & ce payement est fixé au moins à cinq sols.

En cas d'armement, les chiourmes font le service des galeres pendant la campagne ; au défaut d'armement, il doit être établi chaque année des galeres d'exercice, pour former & entretenir les forçats, tant au séjour sur la galere, qu'à la fatigue de la rame & aux autres manoeuvres.

Les chiourmes sont dispensées, pendant leur tems d'exercice, de la fatigue de l'arsenal, & peuvent s'occuper, hors des heures d'exercice, à divers ouvrages à leur profit : moyennant quoi, il ne leur est donné que la ration ordinaire dans le port. Voyez l'ordonnance du Roi du 27 Septembre 1748, portant réunion du corps des galeres à celui de la Marine.

Quoique les galériens & les esclaves confondus dans le partage des chiourmes, ne composent qu'un même corps de forçats, associés aux mêmes travaux & au même service, il faut pourtant distinguer leur état. Les premiers sont des criminels condamnés par nos lois ; les autres sont des hommes pris en guerre sur les infideles : suivant le droit de la guerre, ceux-ci ne devroient être regardés que comme prisonniers ; mais nous les réduisons dans une sorte d'esclavage par droit de représailles. Article de M. DURIVAL le jeune.


GALERNES. f. (Marine) vent de galerne ; c'est celui qui souffle entre le couchant & le septentrion, qu'on nomme le nord-oüest. Voyez VENT. (Z)


GALETS. m. (Hist. nat.) c'est un caillou de mer & de riviere, ordinairement rond ou plat, & fort poli, qu'on trouve sur la greve, sur-tout dans les ports & havres, & souvent en si grande abondance, qu'ils les gâtent & les comblent, à cause que la mer les pousse d'un côté & le courant de l'autre.

Il est aisé de comprendre que la figure & le poli des galets leur viennent d'avoir été long-tems battus, agités par les flots, & usés les uns contre les autres ; mais il s'en trouve aussi dans les terres, les vallées, & les montagnes. Un physicien assûre que les montagnes de Bonneil, de Broye, & du Quesnoy, situées à environ 18 lieues de la mer, sont remplies de ces sortes de cailloux. Il s'en trouve aussi une très-grande quantité en Dauphiné, &c.

Parmi les galets qu'on rencontre dans les terres, il s'en voit plusieurs qui ont une surface inégale, irréguliere, & hérissée de pointes ; & de plus cette surface est une espece d'écorce, différente du reste de leur substance. Il paroît que c'est-là leur état naturel, car une cause étrangere ne peut guere les avoir revêtus de cette écorce, au contraire elle peut les en avoir dépouillés ; & cette cause pourroit être un frottement long & violent. Il est d'ailleurs probable que ces sortes de galets sont de la même espece que les cailloux qui ont une pareille écorce, assez épaisse, & toute de craie ; mais nous n'avons garde d'insister sur de telles conjectures, quoique rapportées dans l'histoire de l'académie des Sciences, année 1707.

On prétend que parmi les galets que la mer roule sur les côtes de Normandie, il y en a quelques-uns, dans lesquels on trouve d'assez beaux crystaux de différentes couleurs. Cet article de Lithologie n'est pas encore épuisé. (D.J.)


GALETASS. m. terme d'Architecture, étage pris dans un comble éclairé par des lucarnes, & lambrissé de plâtre sur un lattis, pour en cacher la charpente, les tuiles, ou les ardoises. Lat. subtegulanea contignatio. Voyez MANSARDE. (P)


GALETTES. f. (Marine) c'est en général un gâteau de pâte cuite sous la cendre ; mais dans la Marine on donne ce nom à un biscuit rond & plat qu'on distribue aux Matelots. (Z)


GALICES. f. (Géog.) province d'Espagne bornée au N. & à l'O. par l'Océan, au S. par le Portugal, dont le Minho la sépare ; à l'E. par les Asturies, & par le royaume de Léon. L'air y est tempéré le long des côtes : ailleurs il est froid & humide. Saint-Jacques de Compostelle est la capitale de cette province. Elle a plusieurs ports qui sont très-bons, mais sans commerce ; des mines de fer, de plomb, & de vermillon, dont on ne tire rien ; des forêts remplies de bois pour la construction des vaisseaux, mais qu'on laisse dépérir ; du vin, du lin, des citrons, des oranges, mais dont on ne fait point d'exportations avantageuses ; enfin une quarantaine de villes dépeuplées, qu'on nommeroit ailleurs de misérables villages. La Galice a été érigée en royaume en 1060 par Ferdinand, roi de Castille, & est ensuite redevenue province jusqu'à ce jour. (D.J.)

GALICE, (la nouvelle) Géog. contrée de l'Amérique septentrionale, que les Espagnols appellent aussi guadalajara. Voyez GUADALAJARA.


GALIEN(veine de) Anatom. l'on remarque dans chaque portion latérale du plexus choroïde un tronc de veine, dont les ramifications sont dispersées par toute l'étendue de ces deux portions. Ces deux troncs se rapprochent vers la glande pinéale, s'unissent derriere cette glande, & vont s'abaisser avec le torcular Herophili. On donne à ce tronc commun des deux veines le nom de veine de galien. Voyez TORCULAR, &c.


GALIERANS. m. Voyez BUTOR & FREUX.


GALILÉENSS. m. pl. (Théolog.) nom de secte parmi les Juifs. Ils eurent pour chef Judas de Galilée, lequel croyant qu'il étoit indigne que les Juifs payassent tribut à des étrangers, soûleva ceux de son pays contre l'édit de l'empereur Auguste, qui ordonnoit de faire le dénombrement de ses sujets. Voyez DENOMBREMENT, &c.

Le prétexte de ces séditieux étoit que Dieu seul devoit être reconnu pour maître, & appellé du nom de Seigneur. Du reste les Galiléens avoient les mêmes dogmes que les Pharisiens ; mais comme ils ne croyoient pas qu'on dût prier pour les princes infideles, ils se séparoient des autres Juifs pour offrir leurs sacrifices en particulier. Voyez PHARISIEN.

J. C. & ses apôtres étoient de Galilée ; c'est la raison pour laquelle on les soupçonna d'être de la secte des Galiléens ; & les Pharisiens lui tendirent un piége en lui demandant s'il étoit permis de payer le tribut à César, afin d'avoir occasion de l'accuser s'il le nioit. Voyez Josephe, antiq. jud. lib. XVIII. Dict. de Trévoux & de Chambers. (G)


GALIMATHIASS. m. (Belles-Lettres) discours obscur & embrouillé, où l'on ne comprend rien, où il n'y a que des mots sans ordre & sans liaison.

On n'est pas d'accord sur l'origine de ce mot. Quelques-uns le dérivent de polymathie, qui signifie diversité de sciences, parce que ceux dont la mémoire est chargée de plusieurs sortes de sciences, sont d'ordinaire confus, & s'expriment obscurément. M. Huet croit que ce mot a la même origine qu'alibosum, & qu'il a été formé dans les plaidoyers qui se faisoient autrefois en latin. Il s'agissoit d'un coq appartenant à une des parties qui avoit nom Matthias. L'avocat à force de répéter les noms de gallus & de Matthias, se brouilla, & au lieu de dire gallus Matthiae, dit galli Matthias ; ce qui fit ainsi nommer dans la suite tous les discours embrouillés. Au reste nous ne donnons cette origine que comme vraisemblable, & en citant notre auteur, qui n'en garantit point du tout la vérité. Dictionn. de Trévoux. (G)


GALINS. m. en termes de Cornetier, s'entend de l'ergot de boeuf encore brut, & tel qu'il sort du pié de l'animal.


GALINSECTES. f. (Hist. nat.) genre d'insecte à six jambes, différent des progallinsectes, suivant la distinction qu'en fait M. de Réaumur. Les galinsectes, dit-il, ont le corps très-lisse quand elles sont grandes, au lieu que les progallinsectes y conservent des sortes de rides ou d'articulations qui les font mieux reconnoître pour des insectes, & pour être moins ressemblantes à des galles que ce qu'il appelle galinsectes. Voyez PROGALLINSECTES.

Il y a plusieurs especes de galinsectes ; les plus grandes qu'on connoisse ne parviennent guere qu'à la grosseur d'un pois médiocre ; lorsqu'elles sont très-petites, elles agissent & courent avec vivacité ; mais les femelles devenues plus fortes, se fixent à quelqu'endroit de la plante ou de l'arbre dont elles sucent la substance ; elles y croissent ensuite considérablement, sur-tout en grosseur, & y perdent avec la faculté de pouvoir changer de place, presque toute la figure extérieure d'un animal, prenant celle à-peu-près d'une gale, dans laquelle on diroit qu'elles se sont métamorphosées.

C'est dans cette situation immobile qu'elles reçoivent la compagnie du mâle, qui transformé en une très-petite mouche, est un animal actif, qui ne ressemble en rien à la femelle. Celles-ci après l'accouplement pondent, sans changer de place, un très-grand nombre d'oeufs, qu'elles savent faire glisser sous leur ventre ; elles meurent sur leur ponte, & leur corps qui y reste fixé, lui sert de couverture pour la garantir contre les injures de l'air, jusqu'à-ce que ces petits éclos sortent de cet abri cadavéreux pour se transporter ailleurs.

M. de Réaumur, dans son IV. tome sur les insectes, détaille amplement tous ces faits. Mais sur de pareilles matieres, il faut se fixer dans cet ouvrage à de simples généralités.

On juge sans peine que les galinsectes se nourrissent du suc de la plante, & que le peu qu'elles en peuvent tirer du petit endroit où elles sont toûjours attachées, leur doit suffire. La trompe dont elles se servent pour sucer la plante, seroit certainement difficile à appercevoir.

Parvenues à leur derniere grandeur, elles n'ont plus qu'à pondre ; & non-seulement elles pondent sans changer de place, mais sans qu'il paroisse aucunement qu'elles ayent pondu. La galinsecte étoit appliquée par son ventre contre l'arbre, & n'offroit aux yeux que son dos, de sorte qu'elle avoit la figure d'un bateau renversé. Quand elle pond, elle fait passer ses oeufs entre son ventre & l'arbre à mesure qu'ils sortent, & les pousse du côté de sa tête ; son ventre s'éleve donc toûjours soûtenu par les oeufs sortis, & se rapproche du dos ; & comme toute la galinsecte n'étoit presque qu'un paquet d'oeufs, il ne reste d'elle après sa ponte, que son ventre attaché à son dos.

Les oeufs de plusieurs especes de galinsectes se trouvent posés sur un duvet cotonneux, qu'on peut appeller un lit, ou nid ; tout le tas en est de même enveloppé en partie, si ce n'est qu'il y en a quelques-uns répandus dans ce duvet, comme au hasard. D'où peut venir cette matiere, car assûrement les galinsectes ne l'ont pas filée, aussi privées de mouvement qu'elles le sont ? M. de Réaumur pense qu'elles l'ont transpirée, & l'histoire de l'académie des Scienc. année 1737, rapporte d'autres exemples de pareils faits. Il sort donc naturellement de la galinsecte même, un lit qui la tient plus mollement & plus commodément couchée sur l'arbre, & dans la suite ce lit devient nid pour les oeufs.

Mais la grande difficulté est de savoir comment les galinsectes ont été fécondées. M. de Réaumur croit encore avoir découvert le mystere. Il a vû, dit-il, de très-petites mouches se promener sur le corps des galinsectes, dont chacune est pour elle un assez grand terrein, y chercher avec un aiguillon un endroit qu'elles veulent piquer, le trouver vers l'anus de la galinsecte, à une fente bien marquée, & alors plus ouverte, & y porter son aiguillon. Ces mouches seroient donc les mâles de cette espece, malgré leur grande différence de figure & de volume avec les femelles.

Il est certain d'ailleurs que des mouches, quelles qu'elles soient, ne commencent pas par être mouches ; il faut qu'elles ayent passé auparavant par quelque métamorphose. Parmi des galinsectes du même âge, on en voit de fort petites par rapport aux autres ; & ce qui est plus remarquable, on trouve souvent que ce ne sont plus des galinsectes, mais seulement des coques vuides d'où l'animal est sorti. Cet animal se sera métamorphosé, & devenu mouche, il fécondera des femelles de l'espece dont il tire son origine. Il y a toute apparence que les mouches qui fécondent les femelles d'une ponte, ont été des galinsectes d'une ponte précédente ; il faut leur donner le tems de la métamorphose.

Quand les oeufs des galinsectes éclosent, il en sort des petits très-vifs & très-agiles, qui se dispersent ça & là pour chercher quelque plante qui leur convienne ; s'y fixent pour toûjours, & deviennent enfin sédentaires. (D.J.)


GALIONSS. m. pl. (Marine) on donne ce nom à de grands vaisseaux dont les Espagnols se servent pour le voyage des Indes occidentales. Ils ont 3 ou 4 ponts, & sont fort élevés. Autrefois on appelloit aussi en France galions, de grands vaisseaux de guerre, mais cela n'est plus d'usage.

Les galions : on entend par cette expression un nombre de vaisseaux que les Espagnols envoyent à Carthagene & à Portobello pour rassembler toutes les richesses du Pérou & de la Terre-ferme, d'où ils reviennent en Espagne par la route de la Havane. Les galions sont ordinairement huit ou dix vaisseaux de guerre, qui servent de convoi à douze ou quinze vaisseaux marchands. Ils vont en droiture à Carthagene, où se tient la premiere foire, de-là à Portobello, autre foire la plus célebre & la plus riche de l'univers, reviennent de nouveau à Carthagene, où il y a une troisieme foire. Ils vont ensuite à la Havane, dans l'île de Cuba, d'où ils reviennent en Espagne. De galions, on a fait les mots de galionistes & flottistes. Les galionistes sont les marchands qui font le commerce des Indes espagnoles par les galions ; & les flottistes, ceux qui le font par la flotte. (Z)


GALIOTES. f. (Marine) petit bâtiment de charge, ou qui sert à porter des ordres. Il y a aussi des galiotes à bombes qui sont principalement en usage en France, qui n'ont que deux coursives, & dont les mortiers sont établis sur un fardage de cables qui s'étend jusqu'au fond de cale.

La galiote va à voile & à rame ; elle n'a qu'un mât, & pour l'ordinaire 16 ou 20 bancs à chaque bande avec un seul homme à chaque rame ; elle est montée de deux ou trois pierriers ; les matelots y sont soldats, & prennent le fusil en quittant la rame : on ne se sert guere de cette sorte de bâtiment que dans la mer Méditerranée.

Les Hollandois donnent le nom de galiote à des bâtimens de moyenne grandeur, mâtés en heu : leur longueur ordinaire est de 85 à 90 piés, quoiqu'on en construise de moindres & de beaucoup plus grands : ils s'en servent pour faire de grandes traversées, & même jusqu'aux Indes.

Pour donner une idée de cette sorte de bâtiment, voici le devis d'une galiote ordinaire, tiré des Hollandois.

Devis d'une galiote de 85 piés de long de l'étrave à l'étambord, 21 piés de bau, & 11 piés de creux. L'étrave avoit un pié d'épaisseur & 10 piés de quête : l'étambord avoit la même épaisseur & un pié de quête. La quille avoit 14 pouces quarré. Le franc bordage jusqu'à la premiere préceinte étoit de 3 planches de Prusse ou de Pologne. Le plafond avoit 15 piés & un quart de large, & s'élevoit de 2 pouc. vers les côtés.

Les varangues avoient 8 pouces & demi d'épais, & les genoux leur étoient proportionnés, mais ils n'avoient que demi-pié d'épaisseur par le haut contre le franc bordage. La carlinge avoit 2 piés de large & 9 pouces d'épais ; les allonges avoient un demi-pié d'épaisseur par le bas, & 4 pouces & demi par le haut.

La vraige d'empâture avoit 4 pouces d'épais, & 13 ou 14 pouces de large, & le reste du ferrage du fond depuis le fond jusqu'à la serre-bauquiere, étoit de planches de 2 pouces d'épaisseur. La serre-bauquiere avoit 4 pouces d'épais ; les baux 1 pié d'épais & onze, douze, ou treize pouces de large ; ils étoient posés à 3 piés & demi l'un de l'autre. Chaque bau avoit 2 courbatons posés de haut en-bas. Il y avoit les baux proches du mât, 2 par-devant & 2 par-derriere ; & chacun avoit le courbaton : 2 posés de haut en-bas, & 2 en-travers ; les serre-gouttieres avoient 4 pouces d'épais.

Il y avoit des barrotins de planches de chêne de 2 pouces, en-travers sous le tillac. L'écoutille avoit 7 piés de long & 6 pouces de large. Les deux plus basses préceintes avoient 5 pouces d'épais, & la fourrure entre-deux avoit un pié de large ; la plus haute préceinte avoit 9 pouces de large & 3 pouces d'épais, & la fourrure qui étoit dessous un pié de large ; & celle qui étoit au-dessus 9 pouces ; la lisse de vibord avoit 6 pouces de large & 3 pouces d'épais, & terminoit les côtés du vaisseau par le haut, ainsi que c'est l'ordinaire dans les galiotes.

Le mât tomboit un peu plus vers l'arriere, qu'il ne fait dans les flûtes, pour empêcher que les voiles qui sont à de tels bâtimens, & qui donnent aux mâts beaucoup de poids en-avant, ne le fît trop pancher de ce côté-là : ce qui pourroit faire tomber le vaisseau sur leng.

La chambre de proue s'étendoit à 11 piés de l'étrave ; & la chambre de poupe à 11 piés & demi de l'étambord, descendant de 3 piés & demi au-dessous du tillac, & s'élevant de 2 piés & demi au-dessus. Le bâtiment avoit 5 piés de relevement à l'avant, & 8 piés & demi à l'arriere.

Le petit mât d'artimon que le bâtiment portoit, étoit posé justement devant la place du timonnier, ou 2 piés & demi devant la chambre de poupe. Le grand mât étoit placé à un tiers de la longueur du vaisseau à prendre de l'avant.

Le gouvernail avoit par le bas la même largeur que l'étambord, mais par le haut il étoit plus étroit ; la barre passoit au-dessus de la petite voûte qui couvroit la chambre de l'arriere, en sorte qu'on la pouvoit tourner & faire joüer hors le bord, & ce qui a fait aussi donner à ces sortes de bâtimens le nom de tourne hors le bord.

Quelquefois on leur donne à l'arriere la figure d'une flûte, & alors on les appelle bots ; c'est au haut de leur avant qu'ils ont leur plus grande largeur ; les dernieres planches du haut de l'arriere avancent un peu hors le vaisseau, de même que dans les sémales, afin que le gouvernail se puisse arrêter plus facilement, & qu'il ne s'éleve pas en-haut ; auquel effet on y met aussi une planche de travers, qui sert encore de banc pour s'asseoir.

On bâtit une autre sorte de petits vaisseaux en Hollande, qui ont la forme de galiotes par le bas, & celle de pinasses par le haut, avec un demi-pont ; l'on s'en sert pour des voyages de long cours. Ils ont un véristant & une grande écoutille qui s'emboîte ; mais ils n'ont point de dunette ; la gardiennerie qui est suspendue & fort bas d'étage, sert de soute aux poudres & au biscuit ; & l'on y ménage encore assez d'autres commodités pour les provisions, par rapport à sa grandeur. La chambre de proue sert de cuisine, & il y a des cabanes & des aisemens de même qu'à l'arriere dans la chambre du capitaine, où il y a aussi une petite cheminée.

Les galiotes destinées pour servir d'yachts d'avis, & non pour porter des cargaisons, comme sont celles ci-dessus mentionnées, sont un peu différentes des autres dans la forme. Ce sont des bâtimens ras à l'eau, & foibles de bois par le haut ; le plafond s'éleve moins vers les côtés, & elles sont plus aiguës que les autres galiotes & ont moins de largeur, mais leurs mâts sont plus épais, & portent plus de voiles.

Celles dont on se sert pour la pêche sont aussi d'une forme différente des autres ; elles sont plus petites, & le fond de cale est séparé en divers retranchemens pour y mettre le poisson.

Pour construire une galiote telle qu'elle est décrite dans le devis ci-dessus, il faut douze bonnes planches pour le fond, 50 varangues, 12 guerlands & barres d'arcasses, 16 baux pour le pont, 2 vaigres d'empâture, 100 allonges, 32 courbatons, 3 planches pour le franc-bord, 2 préceintes, une autre préceinte avec la fermure de sabord & la lisse de vibord, 100 allonges de revers.

Le mât d'une galiote de 85 à 88 piés, c'est-à-dire le grand mât, doit avoir 58 à 60 piés de long, & le tout doit être de 18 à 20 piés & 20 palmes de diamêtre. Le mât de hune ou perroquet doit avoir 14 piés de hauteur au-dessus du ton du grand mât, & 10 palmes de diamêtre ; la vergue qui est à corne doit avoir 44 à 46 piés de long, & 10 à 11 palmes de diamêtre. Le beaupré doit avoir 46 à 48 piés de long & 12 palmes de diametre. Le mât d'artimon doit avoir 36 à 40 piés de haut au-dessus du pont, & 53 à 55 piés à fond de cale, & 9 pouces de diamêtre. La vergue de misene & de la fogue de misene doit avoir 40 à 42 piés.

Le grand étai doit avoir 12 brasses de long & 9 pouces & demi d'épaisseur. L'étai du mât de hune 14 brasses de long à 6 pouces d'épaisseur. Chaque couple de haubans 18 brasses de long, & six pouces d'épaisseur. Le prudour & la caliorne, 45 brasses de long & 5 pouces d'épaisseur. Les prudours du bras, 8 brasses & demi de long & 3 pouces un quart d'épaisseur. Les garauts du bras 26 brasses de long. La drisse de misene 37 brasses de long. La drisse de la fogue de beaupré 37 brasses. Les deux galaubans 21 brasses de long & 6 pouces d'épaisseur. La corde qui descend comme étai du haut du mât à l'étrave, 15 brasses de long & 3 pouces d'épaisseur. La grande écoute 20 brasses de long & 3 pouces & demi d'épaisseur. L'écoute d'artimon 10 brasses de long. Les galaubans de perroquet d'artimon 15 brasses de long. Les gros cables chacun 100 brasses de long & 9 pouces & demi d'épaisseur. Une haussiere 120 brasses de long & 3 pouces d'épaisseur. Le palan & son teaugue 11 brasses de long, & le garau 24 brasses.

Les galiotes & les bours sont ordinairement montés de 5 ou 6 hommes, & quelquefois plus, quelquefois moins, selon leur grandeur. C'est le maître ou patron qui y commande, & qui prend soin de tout ce qui regarde la charge du bâtiment. (Z)


GALITE(Géog.) petite île d'Afrique sur la côte de Barbarie, au royaume de Tunis, à dix lieues de l'île de Tabarca. C'est peut-être la Calathé ou Aegimurus des anciens (D.J.)


GALL(SAINT) fanum Sancti-Galli, Géog. ville de Suisse dans le haut-Thurgow, avec une riche & célebre abbaye. Cette ville forme depuis long-tems une petite république indépendante. Elle s'allia l'an 1454 avec les cantons de Zurich, de Berne, de Lucerne, de Schwitz, de Zug & de Glaris ; & elle embrassa la réformation l'an 1529. Sa situation est dans un vallon étroit & stérile, entre deux montagnes, & sur deux petites rivieres, à 14 lieues N. E. de Zurich, deux du lac de Constance, 46 N. de Berne, 25 N. E. de Lucerne. Long. 27. 10. lat. 47. 38.

Cette ville a produit quelques gens de Lettres connus, comme Vadianus (Joachim) littérateur du seizieme siecle, dont on a des commentaires sur Pomponius Mela. Il naquit à Saint-galll en 1484, & mourut en 1551.

L'abbaye de Saint-galll a pris son nom d'un moine irlandois, qui en 646 vint s'établir dans ce pays-là, y bâtit un petit monastere dans lequel il vécut religieusement, & qu'on appella par cette raison après sa mort, la cella de Saint-galll. Cette cella s'accrut comme il arrive à tous les monasteres, & finalement son abbé devint prince de l'Empire. Depuis la réformation, il fait sa résidence à Wyle, bourg de Thurgow. (D.J.)


GALLAPAGOS(LES ILES DE) Géog. nom de plusieurs îles de la mer du Sud, sous la ligne, & qui ont été découvertes par les Espagnols, à qui elles appartiennent. Elles ne sont habitées que par quantité d'oiseaux & d'excellentes tortues qui aiment la chaleur. (D.J.)


GALLÉ(PUNTA DE) Geog. fort de l'île de Ceylan, appartenant aux Hollandois qui en ont chassé les Portugais en 1640. Il est sur un rocher dans un territoire assez fertile, mais infecté de fourmis blanches. Long. 97. lat. 6. 30. (D.J.)


GALLESS. m. pl. galli, (Litt.) prêtres de Cybele, qui avoient pris leur nom, ou du fleuve Gallus en Phrygie, parce qu'ils bûvoient de ses eaux qui leur inspiroient je ne sai quelle fureur ; ou plûtôt de leur premier prêtre qui s'appelloit Gallus. Vossius propose ces deux étymologies, & paroît pancher davantage pour la seconde, qui est celle qu'Etienne le géographe a embrassée. Ovide favorise la premiere ; mais Ovide est un poëte.

Quoique les galles se donnassent le titre de prêtres de la mere des dieux, c'étoient néanmoins des gens de la lie du peuple, qui couroient de ville en ville joüant des cymbales & des crotales, & portant avec eux des images de leur déesse. Ils disoient sur leur route la bonne-avanture, & prédisoient l'avenir ; ils menoient aussi dans leur compagnie de vieilles enchanteresses, qui faisoient des charmes pour séduire les gens simples : c'est de cette maniere qu'ils trouvoient le secret de rassembler des aumônes pour leur subsistance.

Cependant l'institution des galles, après avoir commencé en Phrygie, se répandit dans toute la Grece, dans la Syrie, dans l'Afrique, & dans l'empire romain. La cérémonie qu'ils faisoient en Syrie, pour recevoir de nouveaux galles dans leur société, est ainsi décrite par Lucien. " A la fête de la déesse, se rend un grand nombre de gens, tant de la Syrie que des régions voisines ; tous y portent les figures & les marques de leur religion. Au jour assigné, cette multitude s'assemble au temple, quantité de galles s'y trouvent & y célebrent leurs mysteres ; ils se tailladent les coudes & se donnent mutuellement des coups de foüet sur le dos. La troupe qui les environne, joue de la flûte & du tympanum ; d'autres saisis comme d'un enthousiasme, chantent des chansons qu'ils composent sur le champ. Tout ceci se passe hors du temple, & la troupe qui fait toutes ces choses n'y entre pas. C'est dans ces jours-là qu'on crée des galles ; le son des flûtes inspire à plusieurs des assistans une espece de fureur ; alors le jeune homme qui doit être initié, quitte ses vêtemens, & poussant de grands cris, vient au milieu de la troupe où il tire une épée, & se fait eunuque lui-même. Il court ensuite par la ville, portant entre ses mains les marques de sa mutilation, les jette dans une maison, dans laquelle il prend l'habit de femme.

Quand un galle vient à mourir, ajoûte le même Lucien, ses compagnons l'emportent aux fauxbourgs, déposent la biére & le corps du défunt sur un tas de pierres, se retirent, & ne peuvent entrer dans le temple que le lendemain après s'être purifiés ".

Quant à leurs autres usages, c'est assez de remarquer qu'ils n'immoloient point de cochons, mais des taureaux, des vaches, des chevres, & des brebis ; qu'ils faisoient pendant leurs sacrifices des contorsions violentes de tout le corps, tournant rapidement la tête de toutes parts, & se heurtant du front les uns contre les autres à la façon des béliers.

Plutarque étoit sur-tout irrité de ce qu'ils avoient fait tomber les vrais oracles du trépié. Ces gens-là, dit-il, pour y parvenir, se sont avisés de chanter des vers par tous pays ; de rendre des oracles, les uns sur le champ, les autres en les tirant au sort ; après quoi ils les ont vendus à des femmelettes, qui ont été ravies d'avoir des oracles en vers & en cadence.

Il y avoit deux galles à Rome, un homme & une femme, pour le service des autels de Cybele, qu'on honoroit sous le nom d'Idaea mater. Voyez ce mot. Il étoit même permis par la loi des douze tables, à cet ordre de prêtres, de demander l'aumône dans certains jours de l'année, à l'exclusion de tout autre mendiant. Vous trouverez de plus grands détails à ce sujet, dans Rosinus, antiq. rom. liv. II. chap. jv. Godwin, Anthol. rom. lib. II. Vossius, & autres.

J'ajoûterai seulement que les galles tout méprisables qu'ils étoient, avoient un chef très-considéré qu'on appelloit archigalle, ou souverain prêtre de Cybele. Ce chef étoit vêtu de pourpre, & portoit la tiare. Voyez ARCHIGALLE. Il y a des inscriptions antiques qui font mention de l'archigalle ; Lilius Gyraldus, Onuphrius & Gruter, se sont donné la peine de les recueillir. (D.J.)

GALLES, (le pays de) Géog. autrefois nommé Cambrie, en latin Cambria, Vallia, & en anglois Wales ; principauté d'Angleterre, bornée à l'est par les comtés de Chester, de Shrop, de Hereford, & de Montmouth ; à l'oüest & au nord par la mer d'Irlande, & au midi par le canal de Saint-Georges.

Les Romains maîtres de la Grande-Bretagne, la divisoient en trois parties ; savoir Britannia maxima Caesariensis, contenant la partie septentrionale ; Britannia prima, contenant la méridionale ; & Britannia secunda, contenant le pays de Galles. Ce dernier pays étoit alors habité par les peuples Silures, Dimetae & Ordovices.

La plûpart des Bretons s'y retirerent pour y être à couvert des Saxons, lorsqu'ils envahirent l'Angleterre ; & depuis il a toûjours été habité par leur postérité, les Gallois, qui ont eu leurs princes particuliers jusqu'à la fin du treizieme siecle. Alors Edoüard premier les réduisit sous son obéissance, & leur pays devint par conquête l'apanage des fils aînés des rois d'Angleterre, avec titre de principauté. Cependant ces peuples ne furent jamais vraiment soûmis, que quand ils virent un roi Breton sur le throne de la Grande-Bretagne ; je veux parler d'Henri VII. qui réunit les droits de la maison de Lancastre & de d'Yorck, & conserva la couronne qu'il avoit acquise par un bonheur inoüi.

Enfin sous Henri VIII. les Gallois furent déclarés une même nation avec l'angloise, sujette aux mêmes lois, capable des mêmes emplois, & joüissant des mêmes priviléges.

Leur langue est l'ancien breton ; & c'est peut-être la langue de l'Europe où il y a le moins de mots étrangers. Elle est gutturale ; ce qui en rend la prononciation rude & difficile. Passons au pays.

Il se divise en douze provinces ; six septentrionales, qui forment le North-Wales ; & six méridionales, qui constituent le South-Wales. Les Géographes vous indiqueront les noms & les capitales de ces douze provinces.

L'air qu'on y respire est sain, & l'on y vit à bon prix. Le sol placé entre le neuvieme & le dixieme climat septentrional, est en général fort montagneux : cependant quelques-unes des vallées sont très-fertiles, & produisent une grande quantité de blé & de pâturages ; de sorte que ses denrées principales consistent en bestiaux, peaux, harengs, coton, beurre, fromage, miel, cire, & autres choses semblables.

Ce pays contient aussi de grandes carrieres de pierres de taille, & plusieurs mines de plomb & de charbon. Voyez-en le détail dans l'histoire naturelle de Childrey, Paris, 1667. in-12.

Son étendue fait à-peu-près la cinquieme partie de l'Angleterre ; elle comprend cinquante-huit bourgs à marché, & environ trois cent cinquante mille ames, qui payent pour la taxe des terres quarante-trois mille sept cent cinquante-deux livres sterlin. Son port de Milford, Milford-Haven, est un des plus sûrs & des plus grands qu'il y ait en Europe.

Le pays de Galles a produit des gens illustres dans les Sciences, parmi lesquels je me contenterai de nommer Guillaume Morgan, traducteur de la Bible en gallois ; Jean Owen poëte latin, connu par ses épigrammes ; & le lord Herbert de Cherbury : ce dernier né en 1581, & mort en 1648, fut tout-ensemble un grand homme de guerre, un habile ministre d'état, & un écrivain très-distingué par ses ouvrages ; son histoire du regne & de la vie d'Henri VIII. est un morceau précieux. (D.J.)

GALLES, (les) Géog. peuples d'Afrique dans l'Ethiopie à l'orient, au midi & au couchant de l'Abyssinie : de-là vient qu'il faut les distinguer en orientaux, occidentaux, & méridionaux.

Ces peuples ennemis de la paix, ne vivent que de leurs brigandages, & sont continuellement en course contre les Abyssins. Ils ne cultivent ni ne moissonnent ; contens de leurs troupeaux, soit en paix, soit eu guerre, ils les chassent devant eux dans d'excellens pâturages ; ils en mangent la chair souvent crue & sans pain ; ils en boivent le lait, & se nourrissent de cette maniere, soit au camp, soit chez eux. Ils ne se chargent point de bagages ni de meubles de cuisine ; des gamelles pour recevoir le lait, voilà tout ce qu'il leur faut. Continuellement prêts à envahir le bien des autres, ils ne craignent point les représailles, dont la pauvreté les met à couvert. Dès qu'ils se sentent les plus foibles, ils se retirent avec leurs bestiaux dans le fond des terres, & mettent un desert entr'eux & leurs ennemis. C'est ainsi qu'on vit autrefois les Huns, les Avares, les Goths, les Vandales, les Normands, répandre la terreur chez les nations policées de l'Europe, & les Tartares orientaux se rendre maîtres de la Chine. De même les Galles choisissent un chef tous les huit ans pour les commander ; & ce chef ne se mêle d'aucune autre affaire. Son devoir est d'assembler le peuple, & de fondre sur l'ennemi, pour y acquérir de la gloire & y faire du butin.

Telle est cette nation terrible qui a si bien affoibli le royaume de l'Abyssinie, qu'il en reste à peine au roi la moitié des états que ses ancêtres ont possédés. Les Galles l'auroient conquis entierement, si la mesintelligence ne s'étoit pas mise entr'eux, & s'ils ne se fussent pas mutuellement affoiblis. Voyez l'histoire d'Ethiopie du savant Ludolf. (D.J.)


GALLIAMBES. m. (Belles-Lettres) terme de Poësie ; sorte de vers fort agréables que les galles ou prêtres de Cybele chantoient en l'honneur de cette déesse.

Ce mot est formé de gallus, nom des prêtres de Cybele ; & d'ïambus, sorte de pié fort usité dans la poësie greque & latine. Voyez IAMBE.

GALLIAMBE, se dit aussi d'un ouvrage en vers galliambiques. Voyez GALLIAMBIQUE. Dictionnaire de Trévoux & Chambers.


GALLIAMBIQUE(Belles-Lettr.) terme de l'ancienne Poësie. On appelloit poëme gallïambique, un poëme composé de vers galliambiques. Voyez GALLIAMBE.

Le vers gallïambique étoit composé de six piés ; 1°. un anapeste, ou un spondée ; 2°. un ïambe, ou un anapeste, ou un tribraque ; 3°. un ïambe, ensuite deux dactyles, & enfin un anapeste.

On peut encore mesurer autrement le vers gallïambique, & faire un arrangement de syllabe qui donnera des piés d'une autre espece. Les anciens n'avoient guere égard dans le vers galliambique qu'au nombre des tems ou des intervalles, parce qu'on chantoit ces sortes de vers en dansant, & que d'ailleurs on s'y mettoit peu en peine de l'espece des piés qu'on faisoit entrer dans sa composition. Vossius croit qu'ils imitoient fort le desordre & l'obscurité des dithyrambes. Voyez DITHYRAMBE. Dictionn. de Trévoux & Chambers.


GALLIANA(Hist. nat.) pierre que quelques auteurs croyent avoir été la même que Pline appelle callaïna, & dont par corruption on a fait galliana. On croit que c'est la turquoise. Voyez le supplément du dictionnaire de Chambers.


GALLICANEadj. f. (Hist. mod.) ce mot ne s'employe que dans les matieres ecclésiastiques, & même en peu d'occasions.

L'Eglise gallicane est l'assemblée des prélats de France. Voyez EGLISE.

Le breviaire gallican, c'est le breviaire particulier qu'avoit l'église de Gergenti en Sicile, & que les auteurs modernes de ce pays-là nomment le breviaire gallican.

Apparemment qu'ils le nomment ainsi, parce qu'il y fut introduit par S. Gerland, qui fut fait évêque de Gergenti après que le comte Roger en eut chassé les Sarrasins, & par les autres évêques françois que les Normands y attirerent. Voyez BREVIAIRE.

La liturgie gallicane, c'est la maniere dont on célébroit autrefois le service divin dans les Gaules. Voyez LITURGIE. Voyez le P. Mabillon, 1. lyturg. gall. ch. v. &c. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

Sur les libertés de l'Eglise gallicane, voyez l'article LIBERTES.


GALLICANUS SALTUS(Géog.) autrement dit dans les auteurs latins Massicus & Gaurus ; trois noms synonymes d’une montagne de la Campanie heureuse. On l’appelle présentement Gerro. Elle est dans la terre de Labour au royaume de Naples. (D. J.)


GALLICISMES. m. (Gramm.) c'est un idiotisme françois, c'est-à-dire une façon de parler éloignée des lois générales du langage, & exclusivement propre à la langue françoise. Voyez IDIOTISME.

" Lorsque dans un livre écrit en latin, dit le dictionnaire de Trévoux sur ce mot, on trouve beaucoup de phrases & d'expressions qui ne sont point du-tout latines, & qui semblent tirées du langage françois, on juge que cet ouvrage a été fait par un françois ; on dit que cet ouvrage est plein de gallicismes ". Cette maniere de parler semble indiquer que le mot gallicisme est le nom propre d'un vice de langage, qui dans un autre idiome vient de l'imitation gauche ou déplacée de quelque tour propre à la langue françoise ; qu'un gallicisme en un mot est une espece de barbarisme. On ne sauroit croire combien cette opinion est commune, & combien on la soupçonne peu d'être fausse : elle a même surpris la sagacité de cet illustre écrivain, que la mort vient d'enlever à l'Encyclopédie ; ce grammairien créateur à qui nous avons eu la témérité de succéder, sans jamais oser nous flater de pouvoir le remplacer ; ce philosophe exact & profond qui a porté la lumiere sur tous les objets qu'il a traités, & dont les vûes répandues abondamment dans les parties qu'il a achevées, feront le principal mérite de celles que nous avons à remplir ; en un mot M. du Marsais lui-même paroît n'avoir pas été assez en garde contre l'impression de ce préjugé. Voici comme il s'explique à l'article ANGLICISME. " Si l'on disoit en françois foüetter dans de bonnes moeurs (whip into good manners), au lieu de dire foüetter afin de rendre meilleur, ce seroit un anglicisme ". Ne semble-t-il pas que M. du Marsais veuille dire que le tour anglois n'est anglicisme que quand il est transporté dans une autre langue ? C'est une erreur manifeste, & que ceux même qui paroissent l'insinuer ou la répandre ont sentie : la définition que les auteurs du dictionnaire de Trévoux ont donnée du mot gallicisme, & celle que M. du Marsais a donnée du mot anglicisme, en fournissent la preuve.

L'essence du gallicisme consiste en effet à être un écart de langage exclusivement propre à la langue françoise. Le gallicisme en françois est à sa place, & il y est ordinairement pour éviter un vice ; dans une autre langue, c'est ou une locution empruntée qui prouve l'affinité de cette langue avec la nôtre, ou une expression figurée que l'imitation suggere à la passion ou au besoin, ou une expression vicieuse qui naît de l'ignorance : mais par-tout & dans tous les cas, le gallicisme est gallicisme dans le sens que nous lui avons assigné.

Chacun a son opinion, c'est un gallicisme où l'usage autorise la transgression de la syntaxe de concordance, pour ne pas choquer l'oreille par un hiatus desagréable. Le principe d'identité exigeoit que l'on dît sa opinion ; l'oreille a voulu qu'on fît entendre sonn-opinion, & l'oreille l'a emporté suavitatis causâ.

Elles sont toute déconcertées ; c'est un gallicisme, où l'usage qui met le mot toute en concordance de genre avec le sujet elles, n'a aucun égard à la concordance de nombre, pour éviter un contre-sens qui en seroit la suite : toute est ici une sorte d'adverbe qui modifie la signification de l'adjectif déconcertées, comme si l'on disoit, elles sont totalement déconcertées ; au contraire toutes au pluriel seroit un adjectif collectif, qui détermineroit le sujet elles, comme si l'on disoit, il n'y en a pas une seule qui ne soit déconcertée : c'est donc à la netteté de l'expression que la loi de concordance est ici sacrifiée.

Vous avez beau dire, c'est un gallicisme, où l'usage permet à l'ellipse d'altérer l'intégrité physique de la phrase (voyez ELLIPSE), pour y mettre le mérite de la briéveté. Un françois qui sait sa langue entend cette phrase aussi clairement & avec plus de plaisir, que si on employoit l'expression pleine, mais diffuse, lâche & pesante, vous avez un beau sujet de dire ; c'est ici une raison de briéveté.

Il est incroyable le nombre de vaisseaux qui partirent pour cette expédition ; c'est un gallicisme, où l'usage consent que l'on soustraye les parties de la phrase à l'ordre qu'il a lui-même fixé, pour donner à l'ensemble un sens accessoire que la construction ordinaire ne pourroit y mettre. On auroit pu dire, le nombre de vaisseaux qui partirent pour cette expédition est incroyable ; mais il faut convenir qu'au moyen de cet arrangement, aucune partie de la phrase n'est plus saillante que les autres : au lieu que dans la premiere, le mot incroyable qui se présente à la tête, contre l'usage ordinaire, paroît ne s'y trouver que pour fixer davantage l'attention de l'esprit sur le nombre des vaisseaux, & pour en exagérer en quelque sorte la multitude ; raison d'énergie.

Nous venons d'arriver, nous allons partir ; ce sont des gallicismes, où l'usage est forcé de dépouiller de leur sens naturel les mots nous venons, nous allons, & de les revêtir d'un sens étranger, pour suppléer à des inflexions qu'il n'a pas autorisées dans les verbes arriver & partir, non plus que dans aucun autre : nous venons d'arriver, c'est-à-dire nous sommes arrivés dans le moment ; expression détournée d'un prétérit récent, auquel l'usage n'en a point accordée d'analogique : nous allons partir, c'est-à-dire nous partirons dans le moment ; expression équivalente à un futur prochain, que l'usage n'a point établi. Ces sortes de locutions ont pour fondement la raison irrésistible du besoin.

Nous ne prétendons pas donner ici une liste exacte de tous les gallicismes ; nous ne le devons pas, & l'exécution de ce projet ne seroit pas sans de grandes difficultés.

Il est évident en premier lieu qu'un recueil de cette espece doit faire la matiere d'un ouvrage exprès, dont l'exécution supposeroit une patience à l'épreuve des difficultés & des longueurs, une connoissance exacte & réfléchie de notre langue & de ses origines, & une philosophie profonde & lumineuse ; mais dont le succès, en enrichissant notre grammaire d'une branche qu'on n'a pas assez cultivée jusqu'à présent, assûreroit à l'auteur la reconnoissance de toute la nation, & une réputation aussi durable que la langue même. Si cette matiere pouvoit entrer dans un dictionnaire, elle ne pourroit convenir qu'à celui de l'académie, & nullement à l'Encyclopédie. On ne doit y trouver, en fait de Grammaire, que les principes généraux & raisonnés des langues, ou tout au plus les principes, qui, quoique propres à une langue, sont pourtant du district de la Grammaire générale ; parce qu'ils tiennent plus à la nature de la parole, qu'au génie particulier de cette langue ; qu'ils constituent ce génie plûtôt qu'ils n'en sont une suite ; qu'ils prouvent la fécondité de l'art ; qu'ils peuvent passer dans les langues possibles, & qu'ils étendent les vûes du grammairien. Mais tout détail qui concerne le pur matériel de quelque langue que ce soit, doit être exclu de ce Dictionnaire, dont le plan ne nous laisse que la liberté de choisir des exemples dans telle langue que nous jugerons convenable. Nos scrupules à cet égard vont jusqu'à nous persuader qu'on auroit dû omettre l'article anglicisme, qui ne devoit pas plus paroître ici que l'article arabisme qu'on n'y a point mis, & mille autres qui n'y seront point. L'article idiotisme qui les comprend tous, est le seul article encyclopédique sur cet objet ; & nous ne donnons celui-ci que pour céder aux instances qui nous en ont été faites. Les articles A (mot) ad, anti, ce, di ou dis, elle, en & dans, es, futur (adj.) sont encore bien plus déplacés ; on ne devoit les trouver que dans une grammaire françoise ou dans un simple vocabulaire.

Nous ajoûtons en second lieu, que le projet de détailler tous les gallicismes ne seroit pas sans de grandes difficultés. Le nombre en est prodigieux, & plusieurs habiles gens ont remarqué que, si l'on en excepte les ouvrages purement didactiques, plus un auteur a de goût, plus on trouve dans son style de ces irrégularités heureuses & souvent pittoresques, qui ne paroissent violer les lois générales du langage que pour en atteindre plus sûrement le but. D'ailleurs, à-moins de bien connoître les langues anciennes & modernes où la nôtre a puisé, il arriveroit souvent de prendre pour gallicismes, des expressions qui seroient peut-être des hellénismes, latinismes, celticismes, teutonismes, ou idiotismes de quelque autre genre ; & la précision philosophique que l'on doit sur-tout envisager dans cet ouvrage, ne permet pas qu'on s'y expose à de pareilles méprises. (E. R. M.)


GALLINS. m. poisson, Voyez MORRUDE.


GALLIPOLI(Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre d'Otrante, avec un évêché suffragant d'Otrante, un fort, & un port. Elle est sur un rocher tout environnée de la mer, à 12 lieues d'Otrante, & 18 de Tarente. Long. 35. 45. lat. 40. 20. (D.J.)

GALLIPOLI, (Géog.) ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, à l'embouchure de la mer de Marmora, avec un havre, & un évêché suffragant d'Héraclée. Elle est habitée par des turcs, des grecs, & des juifs. Soliman la prit en 1357 ; c'est la résidence d'un bacha. Elle est sur le détroit de même nom, autrement appellé le détroit des Dardanelles, à 16 lieues de Rodisto, 42 de Constantinople, 18 d'Imbro. Voyez sur Gallipoli, (car c'est son ancien nom) Thévenot, Tournefort, & Wheler. Longit. 44d. 34'. lat. 40d. 30'. 12". (D.J.)


GALLIUMS. m. (Bot.) genre de plante de la famille des étoilées. Ses feuilles, selon le système de Tournefort, lisses & sans poils, sortent du noeud des tiges, au nombre de cinq ou six en forme d'étoiles ; sa fleur est monopétale, divisée en cinq parties ; son fruit consiste en un couple de semences seches, qui ont d'ordinaire la figure d'un croissant.

Dans le système de Linnaeus, le calice du gallium est divisé en quatre segmens, & situé sur le germe ; les étamines sont quatre filamens plus courts que la fleur ; les antheres sont simples ; le germe du pistil est double ; le stile est très-délicat, & de la même longueur que les étamines ; les stigmates sont sphériques.

Tournefort compte treize especes de gallium, dont la plus commune est le gallium luteum C. B. que nous appellons en françois caille-lait, parce que dans les pays septentrionaux on s'en sert en guise de presure pour faire prendre le lait. Les bons medecins l'employent fort rarement en Medecine ; mais aucun d'eux ne la donne pour l'épilepsie. Ses fleurs contiennent un acide qu'on peut en séparer par la distillation : toutes les autres especes de gallium ne sont d'aucun usage. Il y en a cependant de curieuses pour les Botanistes, & M. de Jussieu a décrit deux de ces especes dans les mém. de l'acad. des Sciences, ann. 1714. (D.J.)


GALLOGLASSES. f. (Hist. mod.) nom d'une milice d'Irlande. Cambden dans ses annales d'Irlande, page 792, dit que la milice des Irlandois est composée de cavaliers, qu'on appelle galloglasses, qui se servent de haches très-aigues, & d'infanterie qu'on nomme kermés. Chambers. (Q)


GALLONS. m. (Comm.) mesure des liquides en Angleterre ; le gallon contient huit pintes de Londres, ce qui revient à quatre pintes mesure de Paris : 63 gallons font le muid ou la barrique ; 126 la pipe, & 252 le tonneau. Les gallons pour le vin sont d'un cinquieme plus petits que ceux qui servent à l'aile ou à la biere ; ensorte que quatre gallons de l'une ou de l'autre de ces liqueurs en font cinq de vin. Les 63 gallons anglois font douze steckannes hollandoises ; l'huile se vend aussi au gallon à Londres, le gallon pesant environ sept livres & demie. Dans la province de Cornoüailles, c'est au gallon que les Etamiers mesurent leur étain noir, c'est-à-dire la pierre de mine réduite en poudre. Le gallon en cette occasion est une espece de boisseau : un pié cube d'étain noir fait deux gallons. Cette sorte de gallon dont on se sert pour les grains, graines, légumes, & autres corps solides, est plus grand que le gallon de vin, mais plus petit que celui de l'aile & de la biere. Ce dont il surpasse le premier est comme de 33 à 27, & ce qu'il a de moins que le second, est comme de 33 à 35 ; il pese environ huit livres poids de troy. Deux de ces gallons font un peck ou picotin ; quatre pecks font un boisseau, quatre boisseaux un comb ou carnok, deux carnoks une quarte, & dix quartes un lest qui tient cinq mille cent-vingt pintes, ou autant de livres pesant poids de troy. M. Chambers remarque sur la continence des différentes sortes de gallons, que le gallon de vin contient 231 pouces cubiques, & huit livres avec du poids d'eau pure ; que le gallon de biere & d'aile contient 282 pouces cubiques, & que le gallon de grain & de farine contient 272 pouces cubiques, & neuf livres treize onces d'eau commune.

Gallon se dit encore en quelques lieux de France, mais particulierement en Normandie, du côté de Caen, d'une mesure des liqueurs contenant deux pots ou la moitié d'un septier. Ce gallon n'est guere différent de celui d'Angleterre, & il y a même de l'apparence qu'il y a passé de Normandie avec Guillaume le Conquérant. Voyez l'article précédent. Gallon, boîte ou petit boisseau qui sert en Touraine pour mettre les prunes seches qu'on appelle pruneaux. On n'y met ordinairement que ceux qui sont les plus beaux, & qui sont l'élite de ces fruits secs. Voyez PRUNEAU. Gallon. Les Epiciers appellent aussi gallons, certaines boîtes rondes & peintes de diverses couleurs qui viennent de Flandres, dans lesquelles ils enferment plusieurs sortes de marchandises, sur-tout les drogues & épiceries. Chaque gallon a un cartouche ou étiquette, qui marque en gros caracteres la drogue ou les marchandises qui y sont. Dictionn. de Commerce & de Chambers.


GALLOWAYGallovidia, Galdia, (Géog.) province considérable de l'Ecosse méridionale, avec titre de comté, sur la mer d'Irlande, qui la baigne au sud & à l'oüest ; elle est bornée à l'est par le Nithardale ; au nord, par les provinces de Kyle & de Carrick : son terroir est tout cultivé ; on en tire quantité de laines & de chevaux petits, trapus, courts, forts & estimés. C'est un pays montueux ; & par-là plus propre à nourrir des bestiaux qu'à recueillir des grains. Cambden croit que le Galloway est une partie du pays des anciens Novantes ; & c'est pour cela que quelques-uns l'ont appellé Novantum & Chersonerus. Withern est la capitale de cette province. (D.J.)


GALOCHES. f. (Cordonn.) ce nom a différentes significations : c'est une chaussure de cuir qui couvre le soulier, qui le tient propre & le pié sec ; c'est une espece de sandale à semelle de bois.

GALOCHE, (Marine) c'est une poulie dont le moufle est fort plat, sur-tout d'un côté : on l'applique sur la grande vergue & sur la vergue de misene, afin d'y passer des cargues-boulines.

On appelle aussi galoche une piece de bois en forme de demi-rond, qui sert à porter les taquets d'écoutes.

On donne encore ce nom à un trou à demi couvert par une petite piece de bois voûtée qu'on fait dans le panneau d'une écoutille, pour faire passer un cable. (Z)


GALOISS. m. pl. (Hist. de la Chevalerie) nom que les historiens donnent aux membres d'une espece de confrairie qui parut en Poitou dans le quinzieme siecle, & qu'on pouvoit appeller la confrairie des pénitens d'amour. Les femmes, aussi-bien que les hommes, entrerent dans cette confrairie, & se disputerent à qui soûtiendroit le plus dignement l'honneur de ce fanatisme d'imagination, dont l'objet étoit de prouver l'excès de son amour par une opiniâtreté invincible à braver les rigueurs des saisons. Voici ce qu'ajoûte M. de Saint-Palaye, dans son curieux traité de la chevalerie.

Les chevaliers, les écuyers, les dames & demoiselles qui embrasserent cette réforme, devoient, suivant leur institut, pendant les plus ardentes chaleurs de l'été, se couvrir chaudement de bons manteaux & chapperons doublés, & avoir de grands feux auxquels ils se chauffoient comme s'ils en eussent eu grand besoin : enfin ils faisoient en été tout ce qu'on fait en hyver ; peut-être pour faire allusion au pouvoir de l'amour, qui suivant nos anciens poëtes, opere les plus étranges métamorphoses. L'hyver répandoit-il ses glaces & ses frimats sur toute la nature, l'amour alors changeoit l'ordre des saisons ; il brûloit de ses feux les plus ardens les amans qui s'étoient rangés sous ses lois ; une petite cotte simple avec une cornette longue & mince, composoit tout leur vêtement : c'eût été un crime d'avoir fourrure, manteau, housse, ou chapperon double, & de porter un chapeau, des gants, & des mouffles ; c'eût été une honte de trouver du feu dans leurs maisons ; la cheminée de leurs appartemens étoit garnie de feuillages ou autres verdures, si l'on pouvoit en avoir, & l'on en jonchoit aussi les chambres. Une serge legere étoit toute la couverture qu'on voyoit sur le lit.

A l'entrée d'un galois dans une maison, le mari soigneux de donner au cheval de son hôte tout ce qu'il lui falloit, le laissoit lui-même maître absolu dans la maison, où il ne rentroit point que le galois n'en fût sorti : éprouvoit à son tour, s'il étoit de la confrairie des galois, la même complaisance de la part du mari, dont la femme associée à l'ordre sous le nom de galoise, étoit l'objet de ses soins & de ses visites. Si dura cette vie & ces amourettes grant piece (long-tems), dit l'auteur (le chevalier de la Tour) en terminant ce récit, jusques à tant que le plus de ceux en furent morts & périlz de froit : car plusieurs transissoient de pur froit, & mouroient tout roydes de lez leurs amyes, & aussi leurs amyes de lez eulx, en parlant de leurs amourettes, & en eulx mocquant & bourdant de ceulx qui étoient bien vesttus : & aux autres, il convenoit desserrer les dents de cousteaulx, & les chauffer & frotter au feu comme roy des & engellez... Si ne doubte point que ces galois & galoises, qui moururent en cet état, ne soyent martyrs d'amour, &c. (D.J.)


GALONS. m. (Rubanier) tissu étroit qui se fabrique avec l'or, l'argent, la soie, & quelquefois avec le fil seul.

Les galons d'or & d'argent servent aux habillemens des personnes riches : on s'en sert aussi pour orner les ornemens d'église & les meubles somptueux.

Les galons d'or & d'argent, qui ne servent qu'aux habillemens, aux ornemens d'église, & des meubles, se nomment bords ou bordés : les Chapeliers appellent bords les galons qu'ils mettent sur les chapeaux.

Les galons de soie se font à Lyon ; il y en a de deux largeurs différentes, distinguées par le n°. 2 & le n°. 3. le n°. 2 porte sept lignes de largeur, & le n°. 3 en a 9 ; les pieces des uns & des autres sont de 60 aunes, qui se partagent en deux demi-pieces de 30 aunes.

Le galon de laine est une espece de ruban large qui doit avoir 36 fils de chaîne, & dont la piece doit contenir 36 aunes : ce galon se fait à Amiens par des ouvriers qu'on appelle Passementiers.

Les galons de livrée sont des tissus veloutés de laine ou de soie de diverses couleurs & façons dont on orne les habits des domestiques, pour faire connoître la qualité & la maison des maîtres.

Ce sont les Tissutiers-Rubaniers qui fabriquent toutes sortes de galons de livrée, & qui les vendent aux maîtres qui les ont commandés. Voyez RUBANIER.

Le mot galon vient des pieces que l'on met aux habits, pour en couvrir les trous ou les taches : ainsi les galons sont devenus l'ornement & la parure des riches, après avoir été un des signes de la pauvreté.

Nous ne nous étendons pas davantage ici sur la fabrique des galons. On en saura suffisamment, lorsqu'on aura lu ce que nous avons à dire de la toile, de la gaze, du ruban, & des autres étoffes figurées. Voyez ces articles. Le galon n'est qu'une exécution de ces ouvrages en petit. Voyez aussi nos Planches, & leur explication ; vous y verrez le métier à galon, & les autres instrumens propres au Galonnier.

GALONS, en terme de Confiseur, ce sont des boîtes rondes dont on se sert pour serrer les dragées & autres confitures seches : on leur donne peut-être ce nom, parce qu'elles sont bordées en-haut & en-bas d'une espece de galon ou dentelle en peinture.


GALONNIER(Rubann.) se dit, quoiqu'imparfaitement, des Rubaniers-Frangers, qui fabriquent toutes sortes de galons. Voyez RUBANIERS.


GALOPS. m. (Manége) terme qui, selon Budé, Saumaise, Vossius, Bourdelot, Ménage, & tous les étymologistes, est tiré du grec ou , d'où dérivent : de ceux-ci les Latins ont dit calpare & calapere, & les François galoper, galop. Telle est l'origine & la filiation de ce mot consacré à l'expression de la plus élevée & de la plus diligente des allures naturelles du cheval.

Cette allure consiste proprement dans une répétition & une suite de sauts en-avant : il suffit de considérer un cheval qui galope, pour s'appercevoir qu'elle n'est effectuée que conséquemment à des élancemens successifs & multipliés, qui ne sont & ne peuvent être opérés qu'autant que les parties postérieures, chargées d'abord du poids de la masse, font proportionnément aux flexions qu'elles subissent, un effort pour chasser les portions antérieures qui sont détachées de terre ; & les ayant déterminées en effet, se portent & prennent elles-mêmes après chacune des foulées & des relevées de l'avant-main, & plus ou moins près de la direction perpendiculaire du centre de gravité de l'animal, un appui au moyen duquel elles sollicitent, par de nouvelles percussions, la continuation de cette action, dans laquelle, & à chaque pas complet, il est un instant où toute la machine est visiblement en l'air.

Si les piés qui terminent les extrémités de l'arriere-main ne parviennent pas, lors des foulées, extrèmement près de ce centre, la flexion de ces mêmes extrémités est moindre, leur détente se fait dans une direction plus oblique de l'arriere à l'avant : l'animal s'allonge donc davantage ; il embrasse plus de terrein : mais son allure étant moins raccourcie, est aussi moins haute ; & c'est ce qui arrive dans le galop ordinaire, qui ne nous fait entendre que trois battues exécutées, par exemple, à main droite, l'une par la jambe du montoir de derriere ; l'autre par les jambes droite de derriere & gauche de devant ensemble ; la troisieme, par la jambe de devant de dedans. Si au contraire la flexion des reins, ou, pour parler plus exactement, la flexion des vertebres lombaires est telle, que le derriere soit considérablement abaissé, & que les angles qui résultent des articulations des extrémités postérieures soient rendus très-aigus, les foulées de ces extrémités étant beaucoup plus rapprochées de la direction du centre dont il s'agit, la masse entiere est plus élevée que chassée ; l'action est moins allongée, mais elle est plus soûtenue ; & de-là les différens genres de galop plus ou moins trides, plus ou moins sonores, plus ou moins cadencés, & dans lesquels notre oreille est frappée du son de quatre battues très-distinctes, dont la premiere est fournie par la jambe de derriere de dehors, la seconde par la jambe qui est avec celle-ci, compose le bipede postérieur ; la troisieme, par la jambe postérieure de devant de dehors ; & la quatrieme, par la jambe qui l'avoisine. Voyez MANEGE.

Ici la succession harmonique des mouvemens des membres du cheval, differe de l'ordre observé par ces mêmes membres dans les autres allures naturelles. Les foulées des bipedes postérieur & antérieur ne sont pas mutuellement interrompues & diagonalement entrecoupées les unes par les autres, ainsi qu'on le remarque à l'action du pas. Chaque jambe du bipede antérieur n'agit pas & ne foule pas toûjours diagonalement avec celle du bipede postérieur, ainsi qu'on le voit dans le trot uni. La battue d'une jambe de l'une de ces bipedes est constamment suivie de celle de l'autre jambe de ce même bipede ; & de plus, un des bipedes latéraux doit toûjours devancer l'autre : je m'explique. Soit un cheval galopant à main droite ; les jambes droites, qui forment un bipede latéral, doivent régulierement outre-passer les jambes gauches dans leur marche & dans leurs foulées ; comme lorsque l'animal galope à gauche ; les jambes gauches, qui forment ensemble un autre bipede latéral, doivent outre-passer les jambes droites. Dans cet état, le galop est réputé juste & uni ; la justesse dépendant spécialement de la jambe de devant qui outre-passe sa voisine, c'est-à-dire qui mene ou qui entame : car l'allure est falsifiée, si à droite, la jambe gauche, & à gauche, la jambe droite devancent, & l'union ne naissant que de l'accord des membres de derriere & de devant ; celui de derriere étant nécessairement astreint à suivre le mouvement de la jambe à laquelle il répond latéralement : ensorte que l'une de devant entamant, celle de derriere du même côté doit entamer aussi ; sans cette condition, l'animal est desuni, & sa marche est d'ailleurs chancelante & peu sûre. Voyez MANEGE.

Quelque notable que soit la différence de l'arrangement des membres au trot, l'expérience nous apprend que si le cheval est pressé au-delà de la vîtesse de cette allure, l'ordre en est bien-tôt interverti par la foulée plus promte de l'un des piés de derriere, dont la chûte accélérée hâte celle de l'autre pié du même bipede postérieur, qui au moment où il se meut & se porte en-avant pour effectuer sa battue, mene & entame d'accord avec le pié de devant du même côté ; de maniere que dès-lors les quatre jambes procedent par une suite de mouvemens qui n'a rien de dissemblable, & qui est précisément la même que celle qui constitue véritablement le galop.

Pour découvrir la raison de ce changement subit & indispensable, il suffit d'observer que dans un trot médiocrement vîte, l'intervalle où le pié de devant doit se détacher de terre à l'effet de livrer la place qu'il occupoit sur le sol au pié de derriere qui le suit immédiatement, est en quelque façon imperceptible. Or soit sensiblement diminué, à raison d'une augmentation considérable de célérité, l'espace de tems nécessaire & accordé pour l'accomplissement des deux doubles foulées diagonales qui caractérisent cette allure ; il est évident que l'instant donné à chaque bipede latéral pour complete r son action, sera si court & si limité, que le pié antérieur qui doit toûjours céder le terrein, ne pouvant assez promtement s'élever, & étant conséquemment atteint, rencontré & heurté à chaque pas par le pié postérieur qui le chasse, la chûte de l'animal sera inévitable : telles sont donc les bornes prescrites à la rapidité du trot, que si elle est portée à un extrème degré, le cheval, par une espece d'instinct, passe de lui-même à une autre allure, dans laquelle les jambes qui composent les bipedes latéraux, fournissant ensemble & de concert au mouvement progressif, ne peuvent absolument s'entrenuire, & qui lui donnant encore, au moyen des percussions plus obliques, l'aisance de porter par l'effort de chacun de ces membres, dont l'action n'est néanmoins pas réellement plus promte ; la masse totale de son corps beaucoup plus avant, le met en état de répondre & de satisfaire sans crainte & sans danger à l'excès de vîtesse dont le trot n'est pas susceptible.

Mais parce que cette interversion forcée & suggérée par la nature, a constamment & généralement lieu dans tous les chevaux qui trottent, lorsque leur marche est vivement hâtée, s'ensuit-il que l'allure née de cette même interversion doive toûjours essentiellement reconnoître pour fondement celle à laquelle elle succede dans cette circonstance ? le duc de Newcastle l'a pensé ; & j'avoue qu'une déférence trop aveugle pour ses sentimens m'a induit en erreur, dans un tems où par un défaut de philosophie, de réflexions & de lumiere, je jugeois indiscrettement & sans examen du mérite d'une opinion, sur la foi du nom & de la réputation de son auteur. Voyez le nouv. Newkastle, édit. 1744. Conclure du changement qui résulte de la véhémence du trot, que cette action est le principe du galop, c'est avancer & soûtenir que la célérité seule en est la base : or rien de plus faux que cette maxime. Nous voyons en effet, que quelque lente que soit l'allure de l'animal, pourvû qu'elle soit soûtenue, elle est plus prochaine du degré requis pour le porter à ce mouvement promt & pressé, que celle qui étant abandonnée, est dans un plus grand degré de vîtesse. Supposons, par exemple, un cheval dans l'action tardive d'un pas parfaitement écouté, ou d'un trot exactement uni ; il est incontestable que, malgré la lenteur de la progression dans l'un & dans l'autre de ces cas, ses forces se trouvant rassemblées, il sera plus libre & plus disposé à passer de ces mouvemens à une action rapide & diligente, que du pas allongé ou de campagne, ou que d'un trot simplement déterminé : il faut donc nécessairement convenir que le fondement & la condition réelle d'un vrai galop se rencontrent principalement dans le point d'union d'où naît la possibilité & la plus grande facilité que l'animal a de percuter & de s'enlever, & non dans une célérité qui, s'éloignant de cet ensemble, ne sauroit produire qu'une action basse, rampante, & également précipitée sur les épaules & sur l'appui.

C'est sur cette vérité que porte évidemment la regle qui nous prescrit de ne point galoper un cheval qu'il ne se présente aisément & de lui-même à cette allure, & qui fixant d'une maniere positive les progrès qui dans l'école doivent précéder cette leçon, nous astreint à ne l'y exercer qu'autant qu'il a acquis la franchise, la souplesse & l'obéissance qui doivent en favoriser l'intelligence & l'exécution : il est tems alors de l'y solliciter, l'action du galop étant infiniment moins coûteuse & moins pénible à l'animal par le droit, qu'en tournant on le travaillera d'abord sur des lignes droites.

La difficulté qu'il éprouve sur des cercles, est néanmoins une ressource dont un homme de cheval profite habilement dans une foule d'occurences. Il est des chevaux naturellement ardens, qui s'animent toûjours de plus en plus en galopant, qui s'appuient & qui tirent de maniere qu'à peine le cavalier peut les maîtriser ; il en est encore, qui doüés de beaucoup d'agilité & de finesse, se desunissent souvent : plusieurs, non moins fins & non moins sensibles que ceux-ci, mais dont le corps peche par trop de longueur, communément falsifient ; quelques-uns ne partent jamais du pié qui doit mener. Le moyen d'appaiser la vivacité des premiers, de donner aux seconds l'habitude de la justesse des hanches, & aux autres celle de la justesse des épaules, est de les entamer préférablement sur un rond dont l'espace soit toûjours relatif à leur aptitude & aux vûes que l'on se propose ; parce que la piste circulaire exigeant une plus grande réunion de forces, & occupant, pour ainsi parler, toute l'attention de l'animal, en modere la fougue, & captive tellement ses membres, qu'il ne peut que ressentir une peine extrème, lorsqu'il veut se livrer aux mouvemens desordonnés d'une allure fausse & desunie. Après qu'ils ont été exercés ainsi, & lorsqu'ils sont parvenus au point desiré de tranquillité & d'assûrance, il est bon de les galoper devant eux, de même que de porter insensiblement sur les cercles ceux que l'on a commencé par le droit ; car l'aisance & la perfection de cette action dans un cheval qui d'ailleurs y a été préparé, dépend véritablement de la succession & même du mélange éclairé des leçons sur ces terreins diversement figurés.

Le trot a paru en général, eû égard aux premieres instructions, l'allure la plus propre & la plus convenable pour partir, & pour enlever l'animal : elle est telle en effet, quand elle est soûtenue ; parce que la vîtesse & l'ensemble étant alors réunis, pour peu que les aides ajoûtent au degré de percussion que l'une & l'autre suscitent, le cheval est bien-tôt & facilement déterminé. Il importe cependant d'en mesurer & d'en régler avec art la véhémence & le soûtien ; elle ne doit être abandonnée dans aucun cas : mais relativement à des chevaux qui tiennent du ramingue, ou qui sont pourvus d'une union naturelle, ou qui n'ont pas une certaine finesse, elle doit être plus ou moins allongée ; sa célérité ne pouvant que combattre la disposition qu'ils ont à se retenir, & suppléer dans ceux qui n'ont point assez de sensibilité, à la force que l'on seroit obligé d'employer, pour les résoudre à l'action qu'on leur demande. S'il s'agit de chevaux chargés d'épaules, ou bas du devant, ou longs de corps, ou qui ont de l'ardeur, & qui sont conséquemment enclins, les uns à s'appuyer considérablement sur la main, les autres à s'étendre & à peser, & les derniers à tirer, à s'échapper & à fuir ; il faut qu'elle soit proportionnément raccourcie. Il arrive souvent, j'en conviens, que l'impatience & la vivacité de ceux-ci leur rendant insupportable la contrainte la plus legere, ils se gendarment & s'enlevent continuellement & plusieurs fois à la même place, sans se porter en-avant. On ne peut pas néanmoins favoriser, en les pressant, leur penchant à se dérober : mais il est essentiel, dans ces momens de défense, de rendre la main avec assez de délicatesse & de subtilité pour les engager à suivre l'action entamée du galop ; à-moins qu'on ne les parte de l'allure modérée du pas, plûtôt que du trot, dont la promtitude les anime toûjours davantage ; cette voie étant la meilleure & la plus courte pour les tenir dans le calme, & pour obtenir d'eux l'application qui en assûre l'obéissance.

C'est sur la connoissance de la méchanique du galop, que doit être fondée la science des aides, qui peuvent en suggérer & en faciliter les moyens. Renfermez le cheval en arrondissant la main, & en tournant les ongles en haut ; ce qui opérera une tension & un racourcissement égal des deux rênes ; & approchez dans le même instant vos jambes du corps de l'animal : vous déterminerez infailliblement l'une & l'autre de ses extrémités à un mouvement contraire : car le devant étant retenu, & le derriere étant chassé, l'antérieure sera nécessairement détachée de terre, tandis que l'extrémité postérieure, occupée du poids de la masse, sera baissée & pliera à raison de ce même poids ; l'antérieure est en l'air : mais les foulées des deux jambes qui la recevront dans sa chûte, doivent être successives & non simultanées ; l'action de votre main & de vos jambes, action que vous avez dû proportionner au plus ou moins de sensibilité, au plus ou moins de souplesse du cheval, & à la réunion plus ou moins intime de ses membres, lors de l'instant qui précédoit le partir, sera donc subitement suivie du port de votre rêne droite à gauche, & de votre rêne gauche à vous, s'il s'agit d'un galop à droite ; ou de votre rêne gauche à droite, & de votre rêne droite à vous, s'il s'agit d'un galop à gauche. L'effet des unes ou des autres de ces rênes s'imprime sur l'épaule à laquelle elles répondent. Or l'épaule de dedans étant mûe sur le côté où la main la conduit, & celle de dehors étant arrêtée, le devant se trouve retréci, & la retombée en sera incontestablement fixée sur la jambe de dehors, dont la battue précedera celle de la jambe de dedans, qui, attendu le rejet de l'épaule sur le dehors, sera forcée dans la progression d'entamer, c'est-à-dire de devancer l'autre ; en même tems que le retrécissement du devant a lieu, l'élargissement du derriere s'effectue ; l'extrémité antérieure ne pouvant être portée d'un côté, que l'extrémité postérieure ne se meuve du côté contraire ; & les hanches en étant sollicitées dans cette circonstance, non-seulement par l'opération des rênes dont l'impression s'est manifestée sur l'épaule de dehors & sur celle de dedans, mais par l'appui de votre jambe de dehors, dans laquelle le premier degré de force a dû subsister dans son entier, à la différence de celui qui résidoit dans l'autre, & qui a dû sensiblement diminuer. De cette détermination de la croupe dans un sens opposé à celle de l'avant-main, il résulte que la jambe de derriere de dehors est gênée, & que celle de dedans étant en liberté, accompagnera exactement celle avec laquelle elle forme un bipede latéral ; de maniere que les deux jambes de dehors ne pouvant qu'être chargées, & celles-ci mener ensemble la précision & la justesse, en ce qui concerne l'arrangement & l'ordre successif des membres, seront inévitables.

Considérons-le encore cet arrangement. L'épaule de dedans est beaucoup plus avancée que celle de dehors, & la jambe de dehors de l'extrémité postérieure, beaucoup plus en-arriere que celle de dedans. La premiere de ces jambes est toûjours occupée du fardeau de la masse ; l'autre, au moment du renversement de l'épaule, s'est approchée de la direction du centre de gravité ; elle a été déchargée de celui qu'elle supportoit, & n'a pû en être chargée de nouveau, vû son extrême flexion ; aussi les suites de leur percussion sont-elles différentes. Celle de la jambe de dehors, qui d'ailleurs est invitée par l'aide de la jambe du cavalier à une extension subite & violente, s'exécutera d'abord ; mais par elle le corps du cheval sera porté seulement en-avant, tandis que la seconde percussion opérée par l'appui de la jambe de dedans sur le sol élevera ce même corps, & donnera une nouvelle vîtesse au mouvement progressif qu'il a déjà reçû ; après quoi les deux jambes de devant, qui, dès que vous rendrez legerement la main & que vous passerez à l'appui doux, percuteront à leur tour & effectueront à chaque battue, le soûtien du corps lors de sa chûte, & la relevée de l'avant-main après cette chûte tombant, alternativement, toute l'action se trouvera pleinement accomplie. Sa durée dépendra, non de l'application constante de toutes les forces étrangeres qui l'ont produite, puisqu'elle peut se soûtenir sans ce continuel secours, mais de la fermeté liante de votre corps, dont l'équilibre doit être tel que l'avant & l'arriere-main dans leur élévation se chargent eux-mêmes de son poids, & de l'adresse avec laquelle vous préviendrez dans l'animal le ralentissement des efforts des parties qui en conséquence du premier mouvement imprimé, se pressent mutuellement & sont contraintes d'accourir en quelque façon pour étayer successivement la machine. Soyez à cet effet attentif au moment de la descente des épaules, & sur-tout à l'instant précis où les piés atteignent le sol ; si dans ce même instant le cheval est legerement renfermé, & si vos rênes agissent en raison du tems de la percussion de chacun des membres qu'elles dirigent, la relevée du devant étant aidée, la masse sera plus sûrement & plus facilement rejettée sur le derriere, & les flexions étant par conséquent entretenues & occasionnant toûjours une vélocité à-peu-près égale dans les détentes, vous serez dispensé d'employer sans-cesse vos jambes, dont l'usage non interrompu endurcit l'animal, & dont l'approche réitérée n'est réellement utile & nécessaire que sur des chevaux mous, pesans, foibles, paresseux, indéterminés, & qui traînent leur allure.

La leçon du galop bornée à une seule & unique main, ne rempliroit pas toutes nos vûes. Le cheval n'est propre aux différens airs, qu'autant qu'il est en quelque façon ambidextre, c'est-à-dire qu'autant qu'il a une même souplesse, une même legereté, & une même liberté dans les deux épaules & dans les deux hanches. On ne doit donc pas se contenter de le travailler sur une même jambe, & nous sommes indispensablement obligés de lui faire entamer le chemin tantôt de l'une, & tantôt de l'autre. Après l'avoir quelque tems exercé à droite, & lorsqu'il s'y présente avec quelque franchise, on peut, ou le partir à main gauche, ou le conduire de la premiere sur celle-ci. Les chevaux qui demandent à être partis, sont ceux en qui l'on observe, lorsqu'on les galope à droite, un penchant extrême à la falsification & à la desunion ; on les y confirmeroit en les faisant changer de pié dans le cours & dans la suite de l'action ; & l'on doit attendre qu'ils commencent à être assûrés aux deux mains, avant d'exiger d'eux qu'ils y fournissent sans interruption. Nous avons au surplus suffisamment expliqué les moyens de ce départ, & l'on se rappellera que pour le galop à gauche, la rêne gauche par son croisement opere le renversement de l'épaule sur le dehors ; la rêne droite retient l'épaule contraire, & la jambe droite du cavalier aide principalement.

Les conditions du changement méritent que nous nous y arrêtions. Ce seroit trop entreprendre que de le tenter d'abord sur la ligne droite parcourue. On l'abandonnera pour en décrire une diagonale plus ou moins longue, d'une seule piste, & au bout de laquelle l'animal passant à l'autre main, tracera une ligne semblable à celle qu'il a quittée. Ici la rêne gauche agira ; elle déterminera le cheval à droite & sur cette diagonale, mais il est à craindre que le port de cette rêne en-dedans ne charge les parties droites, & délivre les parties gauches de la contrainte dans laquelle elles sont ; or, obviez à cet inconvénient par une action semblable, mais plus legere de l'autre rêne, où par l'action mixte & suivie de la premiere que vous croiserez & que vous mettrez à vous d'un seul & même tems ; & soûtenez, s'il en est besoin, de votre jambe de dehors, le tout pour contenir le derriere & pour le resserrer ; car dès que vous gênerez la croupe & que vous l'empêcherez de tourner, de se jetter, & de sortir, il est certain que, conséquemment au rapport, à la relation intime, & à la dépendance mutuelle de la hanche & de l'épaule gauche, où même des deux épaules & des hanches, les jambes gauches demeureront asservies, & dans cet état de sujétion qui leur ravit la faculté de devancer & de mener. Ce principe doit vous être présent encore au moment où, parvenu à l'extrémité de la ligne dont il s'agit, vous chercherez à gagner l'autre, & à effectuer le passage médité. Saisissez l'instant qui précede la chûte du devant, pour détourner l'épaule avec la rêne de dehors, & pour retenir celle de dedans avec la rêne droite, & substituez votre jambe du même côté à la jambe gauche qui aidoit ; l'épaule & la hanche qui étoient libres, cesseront infailliblement de l'être, & les autres membres seront indispensablement astreints à entamer.

Soit que les changemens de main s'exécutent sur les cercles, ou d'une ligne droite sur une autre ligne pareille, ou sur un terrein quelconque plus ou moins vaste & plus ou moins limité ; les aides doivent être les mêmes. Je sai que des écuyers qui ne pratiquent & n'enseignent cependant que d'après une routine, qui ne leur a procuré qu'une connoissance très-superficielle de ces opérations, m'objecteront qu'elles tendent à traverser le cheval, & à provoquer par conséquent une allure défectueuse, puisque dèslors le derriere sera tellement élargi, que la jambe de dedans qui en dépend se trouvera écartée de l'autre, & hors de la piste de celle avec laquelle elle mene, tandis que leurs battues & leurs foulées devroient être marquées sur une seule ligne ; l'action dont je traite exigeant que les hanches suivent exactement celle des épaules. Je conviendrai de la vérité & de la solidité de cette maxime, mais je répondrai que l'animal ne peut arriver à la perfection que par des voies insensibles ; & que l'ignorant seul a le droit de se persuader très-souvent qu'il l'y conduit, dans le tems même qu'il l'en éloigne : les premieres leçons sont uniquement destinées à rompre, pour ainsi dire, le cheval, à lui donner l'intelligence nécessaire ; & nous ne saurions être trop occupés du soin de lui en rendre l'exécution facile ; or, rien n'est plus capable de satisfaire à ces divers objets, que des aides qui ne lui suggerent d'abord que des mouvemens conformes à ceux auxquels nous voyons que la nature l'engage, quand il se livre de lui-même au galop, & qu'il change de pié sans la participation de celui qui le monte. Sa volonté est-elle gagnée ? part-il librement ? commence-t-il a être affermi à droite & à gauche dans l'union & dans la justesse de cette allure relativement à l'ordre dans lequel les membres doivent se succéder ? alors mettez à vous la rêne de-dedans, mais observez que sa tension soit en raison des effets qu'elle doit produire sur la hanche du même côté, sans altérer notablement l'action de l'épaule qui mene ; & pour rencontrer cette proportion, multipliez en la cherchant les tems de votre main ; dès que vous l'aurez atteint, le derriere sera retréci ; & après avoir redressé ainsi & peu-à-peu l'animal dans le cours de sa progression, vous parviendrez à le partir exactement droit & devant lui.

Il est deux manieres de procéder pour l'y déterminer. L'élévation du devant & l'abaissement de l'extrémité opposée s'operent dans tous les cas par les moyens que j'ai déja prescrits ; mais les aides qui doivent accompagner la chûte de l'extrémité antérieure, different ici de celles que nous avons indiquées. Si vous croisez, ainsi que je l'ai dit, la rêne de dedans, & que vous mettiez l'autre rêne à vous dans l'intention de contraindre le pié de dehors à fouler le premier, le tems de ces rênes doit être moins fort : & bien loin de diminuer le secours que la hanche de dedans attend & doit recevoir de votre jambe de ce côté, l'approche en sera telle qu'elle puisse obvier à ce que l'arriere-main cede & se meuve, conséquemment à l'action combinée de la main ; tandis que d'une autre part vous modérerez l'appui de votre autre jambe, qui contrarieroit infailliblement les effets que vous pouvez vous promettre de celui de la premiere, si vous n'en borniez la puissance au simple soûtien, d'où résulte la plus grande facilité de la détente de la hanche qui est chargée. Il est essentiel de remarquer que malgré la rapidité de cet instant, les unes & les autres de ces aides doivent être distinctes & se suivre ; car les rênes & la jambe de dedans du cavalier agissant ensemble, & au même moment, l'avant & l'arriere-main entrepris participeroient d'une roideur extrême, & l'animal partiroit faux ou desuni, selon celle de ces forces qui l'emporteroit.

La seconde façon de pratiquer qui nous mene au même but, & à laquelle il est néanmoins bon de ne recourir qu'après s'être assuré des succès de l'autre par l'obéissance du cheval, ne demande pas moins de finesse & de précision. Elle consiste uniquement quand le devant est en l'air, & à la fin de son soûtien, à retenir subtilement, au moyen de la tension de la rêne de dehors, le membre qui doit atteindre d'abord le sol, tandis que l'on diminue par degrés celle de la rêne de dedans qui dirige celui qui doit entamer. Le membre retenu tombant nécessairement le premier en-arriere, & celui que l'on cesse de contraindre, ne frappant que la seconde battue & embrassant plus de terrein ; tous sont suivant l'arrangement desiré, d'autant plus que les hanches de dehors & de dedans n'auront pû que se ressentir l'une de la sujétion, & l'autre de la liberté des parties de l'extrémité antérieure auxquelles elles correspondent. Il n'est question ensuite que de maintenir l'animal sur la ligne droite, & de l'empêcher de la fausser en se traversant, soit du devant, soit du derriere. Je suppose que l'épaule se porte en-dedans, croisez la rêne de dedans ; je suppose que la croupe s'y jette, mettez à vous cette même rêne. Agissez ainsi de la rêne de dehors dans les cas contraires : & si malgré cette action de votre part, qui doit avoir lieu précisément dans l'instant où vous sentez que l'une ou l'autre de ces extrémités se dérobent pour abandonner la piste, le cheval résiste & ne répond point, aidez la rêne mise à vous en croisant l'autre, & avec votre jambe de dedans, ou fortifiez la rêne croisée par le secours de l'autre rêne mise à vous, & par l'approche de votre jambe de dehors.

Le passage d'une main à l'autre exécuté d'abord à la faveur du rejet forcé de l'épaule, s'effectue d'après ces différentes manieres de partir l'animal ; & le changement qui arrive & qu'elles occasionnent, ne le contraint point dèslors à une sorte d'obliquité qui en rend la marche imparfaite & desagréable. Saisissez pour réussir plus sûrement le moment imperceptible où toute la machine est en l'air ; non-seulement vous conduirez à votre gré les membres du cheval sur les cercles & sur toutes les lignes possibles, mais vous le maîtriserez alors, au point de le faire entamer successivement de l'une & de l'autre bipede sur la longueur d'une seule ligne droite, & même à chaque pas complet du galop, sans vicier la cadence, c'est-à-dire sans troubler l'ordre & la justesse des mouvemens & des tems.

Ces tems & ces mouvemens ne sont pas les mêmes dans tous les chevaux. Ils varient naturellement dans les uns & dans les autres, par le plus ou le moins de hauteur, d'allongement, de raccourcissement, de lenteur, & de vîtesse ; & c'est ce qu'il importe de distinguer, pour ne pas les précipiter dans le desordre, & pour ne rien exiger au-delà de leur pouvoir, en réglant leur allure. Tel cheval ne peut soûtenir l'élévation & l'ensemble que demande un galop, dont chaque pas est marqué par quatre battues ; tel autre est susceptible du galop le plus sonore & le plus cadencé ; contentez-vous de mettre insensiblement le premier au moyen de la tension proportionnée de la rêne de dedans à vous, dans le pli leger qui doit unir & perfectionner son action ; & augmentez aussi par degré la tension de cette même rêne, dont vous dirigerez & dont vous aiderez encore l'effet par l'appui de votre jambe de dehors, pour raccourcir de plus en plus les tems des seconds, & pour en fixer la mesure. Celui-ci ne déploye pas toutes les forces que vous lui connoissez : vous n'appercevez point dans le jeu de ses ressorts la prestesse & le tride dont ils sont capables ; hâtez à diverses reprises plus ou moins vivement la cadence, & faites qu'il la presse, qu'il la ralentisse, & qu'il revienne alternativement ; il acquerra d'une part plus de franchise, & de l'autre, cette diligence dans les hanches, d'où naît la plus brillante, la plus réguliere, & la plus belle exécution. Celui-là s'éleve extrêmement du devant ; cet autre du derriere ; modérez tous ces excès, soit en secourant des gras de jambes, & en rendant la main, soit en renfermant & en pinçant plus ou moins en-arriere ; mais ne perdez jamais de vûe le point où vous devez vous arrêter, & que vous ne pourriez franchir qu'en avilissant l'animal, puisque vous en forceriez la disposition & la nature.

A toutes ces différentes leçons, vous pouvez faire succéder celles qui préparent le cheval à galoper de deux pistes. Si l'on se rappelle les principes que j'ai détaillés, en parlant des moyens de l'instruire à cheminer de côté (voyez FUIR LES TALONS), les regles les plus essentielles à observer pour déterminer à cette allure, seront bientôt connues, & l'on ne pensera pas que la sujétion des hanches dans cette action ne puisse être dûe qu'à l'effort de celle des jambes du cavalier qui les pousse, ou qui communément & très mal-à-propos les chasse dans le sens où elles sont portées. Représentons-nous la ligne diagonale, à l'extrémité de laquelle nous avons induit l'animal à changer ; c'est dans le cours de cette même ligne que nous devons commencer à engager legerement & de tems en tems la croupe, soit à l'une, soit à l'autre main, en croisant d'abord foiblement la rêne de dedans pour lui suggérer une obliquité imperceptible, & en le remettant droit aussi-tôt qu'il a fourni quelques pas. A mesure que nous entrevoyons de l'obéissance & de la facilité, nous multiplions & nous continuons les tems de cette même rêne, & nous en augmentons peu-à-peu la force & la direction sur le dehors, dans l'intention de le solliciter à ce juste biais dans lequel il doit être. Cette force pouvant jetter les épaules dans une telle contrainte qu'elles seroient dans l'impossibilité de devancer les hanches, nous la proportionnons encore avec soin aux effets que nous nous proposons de produire, & nous en contrebalançons la puissance par l'action de la rêne opposée, de maniere que le moment de la relevée de l'avant-main est celui du port de la premiere en-dehors, comme le moment de sa retombée est celui du port de la seconde sur le dedans. Je remarquerai au surplus que ces mouvemens, d'ailleurs si subits qu'ils sont inappercevables, ne sont efficaces qu'autant qu'ils dérivent du véritable appui, & que la main agit dans un certain rapprochement du corps ; car si elle en étoit éloignée, ils tendroient à déplacer l'animal. Quant à nos jambes, nous n'en ferons usage que lorsqu'il sera question de l'affermir dans son allure, d'en prévenir & d'en empêcher le ralentissement, ou de suppléer à l'impuissance des rênes, qui seules doivent diriger la machine ; ainsi, par exemple, dans les cas où il se retient, où il pese, où il mollit, nous les approcherons également pour le déterminer, pour l'unir, pour l'animer, tandis que la main sera toûjours chargée de régler l'action des membres ; & dans celui-ci, où la rêne de dedans croisée & même aidée de la rêne de dehors à nous, éprouveroit une résistance de la part de la croupe, nous nous servirons de la jambe de dehors, dont le soûtien deviendra dès-lors un secours nécessaire.

Telles sont les voies qui conduisent le plus sûrement à une observation non forcée des hanches ; dans l'allure promte & pressée du galop. Plus ce mouvement raccourci, diligent, & écouté, qui occupe toûjours considérablement les reins & le derriere de l'animal, doit être pénible, plus il importe de ne l'y inviter que par une longue répétition de ceux qui insensiblement l'y disposent ; l'habitude en étant acquise nous parvenons bien-tôt & sans violence à en obtenir l'exécution sur toutes sortes de plans. S'agira-t-il en effet d'obliger le cheval à fournir ainsi un changement de main large ? Il l'entamera sans difficulté : premierement, si vous formez un demi-arrêt qui ne peut que l'unir davantage ; secondement, si une legere tension de la rêne de dehors à vous, tension qui ne doit en aucune maniere lui faire abandonner le pli dans lequel je suppose que vous l'avez placé, fixe subtilement & à tems le poids de son corps sur la hanche du même côté, ce qui augmentant la flexion des parties de cette extrémité en sollicitera une plus violente détente. Troisiemement, si le croisement subit & suivi de cette même rêne sur le dedans met les épaules sur le chemin qu'elles doivent décrire, il le continuera dès que la rêne de dedans portée sur le dehors, assujettira successivement le derriere dans le sens où les épaules seront successivement déterminées par l'autre, & dès que l'on s'opposera soigneusement à ce qu'il dévuide ou à ce qu'il s'entable, ou à une altération quelconque de la mesure & des distances ; à ce qu'il dévuide par la force sur le champ accrûe de la rêne qui captive les hanches, par le changement de direction de celle qui régit le devant & qui sera fixée pour le moment au corps du cavalier, & par l'appui de la jambe de dehors ; à ce qu'il s'entable par des actions semblables, mais opérées par les rênes & par la jambe opposées ; à ce que les mesures & les distances soient altérées par l'approche des deux jambes, & la modération de l'effet de la main, si le degré de vîtesse diminue, & si l'animal n'embrasse pas assez de terrein ; par le raffermissement de la main seule, s'il se porte trop en-avant & si la vîtesse augmente ; par son relâchement, si les hanches sont entreprises & trop chargées ; par son soûtien & celui des jambes ensemble, s'il n'y a plus d'union, &c. il le fermera avec précision, lorsque l'on sera exact en employant ces différentes aides, selon la nécessité & les circonstances, à le maintenir dans son attitude & dans sa marche jusqu'à la ligne qui termine l'espace qu'il parcourt obliquement ; & il reprendra enfin avec justesse en entrant sur cette même ligne, dès qu'il y sera invité par l'un ou par l'autre des moyens qui le sollicitent à changer, ou à partir droit & devant lui.

L'efficacité de celui qui n'exige que la simple attention de retenir les jambes du bipede qui entame, & de laisser à l'autre la liberté de s'étendre & de devancer, est sur-tout évidente, si du galop d'une piste sur une volte, vous passez à une autre volte éloignée & semblable, par un changement de deux pistes que vous entreprenez, & que vous entretenez à la faveur des secours indiqués : alors ne fermez pas au mur ou à la barriere du manege ; occupez & interrompez les lignes diagonales tracées dans sa longueur, à quelques pas de ce même mur, par l'action de la rêne de dedans mise à vous, & de la rêne de dehors dont vous tempérerez insensiblement la tension. Dans ce même instant, & si vous avez agi dans celui où toute la machine est détachée du sol, les jambes de dedans se trouveront chargées, & celles de dehors qui dans l'accomplissement de la nouvelle volte sur laquelle vous êtes arrivé, deviendront les jambes de dedans, meneront infailliblement. Pliez ensuite l'animal dans le centre, comme il étoit à l'autre main ; formez un second changement, & revenez plusieurs fois sur le premier cercle quitté, en opérant toûjours de même ; vous vous convaincrez par votre propre expérience de la solidité d'une théorie confirmée par les succès des éleves mêmes qui s'y conforment, mais que l'on sera peut-être intéressé à condamner, parce que le sacrifice d'une ancienne routine, & l'obligation d'adopter de nouveaux principes, après avoir vieilli, ne peuvent que coûter infiniment, & blessent toûjours l'amour-propre.

On conçoit au surplus que toutes les aides dont j'ai parlé, conviennent également au galop de deux pistes sur la ligne du mur, sur les changemens étroits, ainsi que sur les voltes. A l'égard des contre-changemens, on les entame de même que les changemens, & ils seront effectués par la rêne de dedans à vous, & par le croisement soudain de cette même rêne, qui portera l'épaule à se mouvoir du côté contraire à celui sur lequel elle étoit mûe, & qui faisant par conséquent l'office de la rêne de dehors, sera contrebalancée dans ses effets par l'autre rêne, qui sera dès-lors la rêne de dedans.

Nous terminerons cet article par l'examen & la solution des deux points suivans.

1°. Quel est le tems juste qu'il faut prendre pour enlever le cheval du pas, du trot & de l'amble même au galop ?

2°. Quels sont les moyens que l'on pourroit employer pour le remettre, dans le cas où il se desuniroit & falsifieroit ?

La premiere de ces questions n'offrira rien de difficile & d'épineux à quiconque considérera, que le tems qu'il s'agit ici de découvrir, n'est & ne peut être que l'instant où les membres du cheval, dans les unes ou les autres des allures supposées, & d'où l'on souhaite le partir, se trouvent disposés à-peu-près comme ils le sont lors de l'action à laquelle on se propose de le conduire.

Soit donc saisi, à l'effet de l'enlever sur la main droite, le moment où la jambe du devant se détachera de terre ; dans ce même moment la jambe de derriere du même côté est encore en mouvement pour se porter en-avant ; la jambe du montoir de devant se pose à terre, plus en-arriere que celle de devant du hors montoir, & la jambe de derriere du montoir est encore moins avancée que celle de dedans. Voyez la Planche des allures naturelles, & l'échelle podométrique qu'elle contient. Or si dans cet état & lors de cet arrangement du derriere, qui est le seul à la faveur duquel il soit possible de substituer aux actions intercalaires des membres au pas, les actions successives qui effectuent le galop ; vous aidez par un demi-arrêt proportionné, la levée de l'avant-main qu'operent principalement la battue & la percussion de la jambe gauche de devant qui s'est posée, & vous rejettez le poids du corps du cheval sur les hanches : le soûtien de l'extrémité antérieure sera le premier moment de l'intervention sollicitée, & la nouvelle disposition des quatre jambes étant précisément la même que celle qui est requise pour l'accomplissement du mouvement pressé, auquel vous desirez de porter l'animal, le tems recherché & qui doit être tiré de sa progression naturelle & de sa premiere allure, sera incontestablement pris.

La vîtesse du trot abrégeant infiniment la durée de l'action de chaque membre, ce tems par une conséquence nécessaire, fuit & s'échappe avec une extrême rapidité : de-là la plus grande difficulté d'agir dans une précision parfaite. Aussi-tôt que la jambe de devant de dedans se leve, la jambe gauche de derriere va se détacher de terre, & elle est encore plus en-arriere que la droite de l'arriere-main, qui étoit prête à se poser près de la direction du centre de gravité, au moment où l'autre alloit s'enlever. Voyez l'échelle podométrique de la même Planche. Cette position est donc encore conforme à celle de ces deux jambes au galop à droite. Or entreprenez dans ce même instant de détacher du sol le devant, la chûte de la jambe gauche de cette extrémité, ou sa foulée sur le terrein, favorisera l'effet de vos aides ; la droite sa voisine qui quittoit la terre pour se porter en-avant, s'y portera réellement en attendant la retombée de l'avant-main. La droite de derriere sera fixée sur le terrein, moins avant qu'elle ne s'y seroit fixée elle-même, mais plus avant que la gauche, qui demeurera à l'endroit où vous l'aurez surpris ; & vous trouverez enfin dans la situation des membres de l'animal, tout ce qui peut vous assûrer de la justesse du tems saisi.

Quant à l'amble, personne n'ignore que cette action est beaucoup plus basse que celle du pas & du trot ; elle ne peut être telle, qu'autant que les reins & tout l'arriere-main baisseroit davantage. Le tems qu'exige le passage de cette allure au galop, ne differe en aucune maniere de celui que nous venons d'indiquer ; parce que dès que ce tems n'est autre chose, ainsi que nous l'avons observé, que l'instant où les jambes du cheval figurent, s'il m'est permis d'user de cette expression, comme elles figurent lors de l'instant du partir, il ne peut être qu'invariable. Il se présente aussi bien plus aisement, attendu le plus de rapport du mouvement de l'animal ambulant avec le mouvement de celui qui galope ; mais on doit admettre quelque distinction, eu égard aux aides. Celle de la main sera modifiée ; parce que le derriere de l'animal fléchissant au point que chaque pié de derriere outrepasse dans sa portée la piste de celui de devant qu'il chasse, le poids réside naturellement sur les hanches, & l'extrémité antérieure doit être conséquemment plus aisément enlevée. D'ailleurs, outre que l'effort de la main doit diminuer, l'action des jambes doit être plus vive ; & dès-lors le cheval embrassera plus de terrein. Que si les aides étoient les mêmes que celles que l'on doit mettre en usage pour passer du pas au galop ; & si le tems de la main & des jambes étoit en égalité de force, il est certain que ses piés de derriere n'opéreroient en percutant que l'élevation, & non le transport du corps en-avant, comme si l'appui des jambes ne l'emportoit pas sur la force de la main, ou couroit risque de provoquer sa chûte en l'acculant.

On peut encore enlever l'animal du moment de parer, de l'instant du repos, de l'action de reculer, & de tous les airs bas & relevés auxquels il manie ; mais quelqu'intéressans & quelque curieux que soient & que puissent être les détails auxquels la discussion des tems & des moyens de le partir, dans les uns & dans les autres de ces cas, nous assujettiroit ; nous les sacrifions au desir & à la nécessité d'abreger, & nous nous bornerons aux réflexions que nous suggere la seconde difficulté que nous nous sommes proposés d'éclaircir.

L'obligation de rappeller à la justesse & à l'union un cheval dont le galop est irrégulier & défectueux, suppose d'abord dans le cavalier une connoissance parfaite de l'ordre exact & précis, dans lequel les membres de l'animal doivent agir & se succéder, & un sentiment intime né de l'impression, ou de la sorte de réaction de leurs divers mouvemens sur lui. Cette connoissance infructueuse, si elle n'est jointe à ce sentiment, est bien-tôt acquise, mais ce sentiment inutile aussi, s'il n'est joint à cette connoissance, est infiniment tardif dans la plûpart des hommes ; & l'on peut dire qu'il en est même très-peu qui parviennent au degré de finesse, nécessaire pour juger du vice de l'action du cheval dans le premier moment, c'est-à-dire dans celui où le soûtien de devant doit être suivi de sa retombée & de sa chûte. Quelle est donc la cause de cette extrême difficulté de discerner l'accord ou le défaut de consentement des parties mûes dans un animal que l'on monte ? Elle réside moins dans l'inaptitude des éleves, que dans le peu de lumieres des maîtres, dont le plus grand nombre est incapable de les habituer à écouter, dans les leçons qui doivent précéder celle-ci, des tems, sans la science & sans l'observation desquels on ne peut maîtriser le cheval, en accompagner l'aisance & en développer les ressorts, & qui négligent encore de leur faire appercevoir dans cette allure, par la comparaison du sentiment qui les affecte quand l'animal est juste, & de celui qu'ils éprouvent quand il est faux, la différence qui doit les frapper dans l'instant & dans le cours de la falsification & de la desunion. Le cheval galope-t-il dans l'exactitude prescrite ? il est certain que votre corps suit & se prête à son action avec une facilité singuliere, & que votre épaule de dedans reçoit en quelque façon la principale impression de sa battue. La jambe de dedans de devant n'entame-t-elle pas ? l'incommodité qui en résulte s'étend jusqu'à votre poitrine, & il vous paroît même que l'animal se retient & chemine près de terre ; ce qui arrive réellement sur les cercles, car son épaule étant hors du mouvement & de la proportion naturelle du terrein, il ne peut se porter en-avant & se relever que difficilement. La jambe qui doit mener mene-t-elle, mais n'est-elle pas accompagnée par la hanche ? vos reins & toutes les parties qui reposent sur la selle en ressentent une atteinte desagréable ; la mesure cesse de s'imprimer sur votre épaule de dedans, & votre épaule de dehors est sollicitée à se mouvoir, à s'avancer & à marquer malgré vous la fin de chaque pas. Enfin le bipede qui devoit entamer reste-t-il totalement en-arriere, tandis que l'autre mene ? la cadence vous semble juste, mais vous reconnoissez que cette justesse prétendue est dans les parties de dehors ; & si le cheval n'est pas aussi accoûtumé à galoper à cette main qu'à l'autre, il est impossible que la dureté de son allure ne vous en apprenne l'irrégularité. Voilà des faits sur lesquels, lorsque les disciples n'ont point été instruits à sentir & à distinguer dans des actions plus lentes, le lever, le soûtien, le poser, & l'appui de chaque membre, il seroit du-moins plus avantageux d'arrêter leur attention, que de leur permettre de se déplacer, pour considérer dans l'extrémité antérieure des mouvemens, dont l'appréciation même la plus vraie ne détermine rien de positif, relativement à ceux du bipede postérieur auquel les yeux du cavalier ne peuvent atteindre. Il faut avoüer cependant que ces diverses réactions sont tantôt plus foibles, & tantôt plus fortes ; elles sont moins sensibles de la part des chevaux qui ont beaucoup d'union, de legereté, & une grande agilité de hanches ; elles sont plus marquées de la part de ceux dont les battues sont étendues, peu promtes & abandonnées ; mais l'habitude d'une exécution refléchie sur les uns & sur les autres, ne peut que les rendre également familieres. Il est encore des circonstances où elles nous induisent en erreur ; un instant suffit alors pour nous détromper. Que l'animal jette, par exemple, la croupe hors la volte, l'effet que le premier tems produira sur nous, sera le même que celui qui nous avertit que le cheval est faux, & nous serons obligés d'attendre le second pour en décider ; parce que dans ce même second tems, les hanches étant déjà dehors, & l'animal continuant à galoper déterminément, dès qu'il est demeuré juste, nous n'appercevons aucun changement dans notre assiette.

Quoi qu'il en soit, & à quelque étude que l'on se livre pour acquérir cette faculté nécessaire de percevoir & de sentir, il est de plus absolument essentiel de s'attacher à celle de la nature du cheval que l'on travaille. Les déréglemens de l'animal dans l'action dont il s'agit, comme dans toutes les autres, proviennent en général & le plus souvent de la faute des maîtres qui l'y exercent inconsidérément & trop tôt, ou du peu d'assûrance du cavalier dont l'irrésolution de la main & l'incertitude des jambes & du corps occasionnent ses desordres : mais il est certain que les voies dont il se sert pour se desunir & pour falsifier, sont toûjours relatives à sa conformation, à son inclination, à son plus ou moins de vigueur, de souplesse, de legereté, de finesse, de volonté, d'obéissance & de courage. Un cheval chargé d'épaules & de tête, ou bas du devant, falsifiera ou se desunira en s'appuyant sur la main, & en haussant le derriere. Un cheval long de corps en s'allongeant davantage, pour diminuer la peine qu'il a à rassembler ses forces & à s'unir : un cheval foible de reins, en mollissant & en ralentissant son mouvement : un cheval qui a beaucoup de nerf & de legereté, en se portant subitement en-avant : un cheval qui a du courage & de l'ardeur, en augmentant encore plus considérablement la véhémence de son allure : un cheval entier ou moins libre à une main qu'à l'autre, en portant la croupe en-dedans : un cheval qui tient du ramingue, en la portant en-dehors : un cheval qui joue vivement des hanches & qui est fort & nerveux d'échine, en la jettant tantôt d'un côté & tantôt d'un autre : un cheval d'une grande union, en se retenant & en se rassemblant de lui même, &c. Or comment, si l'on n'est pas en état de suivre & d'observer toutes ces variations, faire un choix prudent & éclairé des moyens qu'il convient d'employer pour le remettre ? Il est des chevaux tellement fins & sensibles, que le mouvement le plus leger & le plus imperceptible porte atteinte à l'ordre dans lequel leur progression s'effectue ; si les aides qui tendent à les faire reprendre, ne sont administrées avec une précision & une subtilité inexprimables, elles ne servent qu'à en augmenter le trouble, & l'on est contraint de les faire passer à une action plus lente, & même quelquefois de les arrêter pour les repartir. Il en est encore qui falsifient quelques instans, & qui reviennent d'eux-mêmes à la justesse, on doit continuer à les galoper sans aucune aide violente ; & comme ils pechent par trop d'union, ils demandent à être étendus dans les commencemens, & à être ramenés ensuite & insensiblement à une allure soûtenue & plus écoutée. Nous en voyons dont l'action n'est telle qu'elle doit être, qu'autant que nous les avons échappés ; parce que, constitués par la falsification dans un défaut réel d'équilibre, ils ressentent dans la course une peine encore plus grande que dans la battue d'un galop ordinaire, & que la fatigue qu'ils éprouvent, les oblige à chercher dans la succession harmonique & naturelle de leurs mouvemens, l'aisance & la sûreté qui leur manquent : c'est ce que nous remarquons dans le plus grand nombre des chevaux qui galopent faux par le droit & aux passades ; ils reprennent sans y être invités aussi-tôt qu'ils entrent sur la volte & qu'ils l'entament. Quelques-uns au contraire, & qui ne sont point confirmés, deviennent faux lorsqu'on les échappe. Plusieurs ne se rejettent sur le mauvais pié & ne se desunissent, que parce qu'ils jouissent d'une grande liberté. En un mot il est une foule & une multitude de causes, d'effets, d'exceptions & de cas particuliers, que le véritable maître a seul le droit de discerner, & qui ne frappent point la plûpart des hommes vains qui s'arrogent ce titre, parce qu'il en est peu qui ayent une notion même legere des difficultés qu'il faut vaincre pour le mériter.

Dans l'impossibilité où nous sommes de nous abandonner à toutes les idées qui s'offrent à nous, nous simplifierons les objets, & nous nous contenterons de tracer ici en peu de mots des regles sûres & générales, 1° pour maintenir le cheval dans la justesse de son allure, 2° pour l'y appeller.

Il est incontestable en premier lieu que l'action de falsifier & de se desunir est toûjours précédée dans l'animal d'un tems quelconque, qui en altere plus ou moins imperceptiblement la cadence, ou qui change en quelque maniere & plus ou moins sensiblement la direction de son corps ; sans ce tems quelconque, il seroit dans l'impuissance absolue & totale de fausser sa battue, & son allure seroit infailliblement & constamment fournie dans une même suite & un même ordre de mouvemens. Or ce principe étant certain & connu, pourrions-nous indiquer un moyen plus assuré de l'entretenir dans ce même ordre, que celui d'en prévenir l'interversion en saisissant subtilement ce même tems, à l'effet de le rompre par le secours des aides qui doivent en empêcher l'accomplissement ?

En second lieu, si nous supposons, ensuite de l'omission de cet instant à saisir, la fausseté ou la desunion du cheval, & si nous considérons que l'irrégularité à réprimer en lui est toûjours accompagnée, ainsi que nous l'avons observé, de quelque action relative à sa disposition, aux vices & aux qualités qui sont propres ; il est indubitable que nous ne pourrons le remettre qu'autant que nous le solliciterons d'abord à une action contraire : ainsi se précipite-t-il sur les épaules, s'appuie-t-il ? vous le rejetterez sur le derriere, & vous le releverez : mollit-il ? vous l'animerez : ralentit-il sa mesure ? vous la presserez : fuit-il ? vous le retiendrez : se retient-il ? vous le chasserez : se traverse-t-il ? vous le replacerez sur la ligne droite : le tout pour assûrer l'efficacité des aides qui le rectifieront, & qui, soit qu'elles doivent provenir de la main seule, ou de la main & des jambes ensemble, ne different ni par le tems, ni par l'ordre dans lequel elles doivent être données, de celles dont nous faisons usage lors du partir, car elles sont positivement les mêmes. (e)

GALOP GAILLARD : on appelle proprement de ce nom un galop dont la cadence est intervertie & la suite interrompue par des sauts auxquels se livre l'animal. Ces sauts sont souvent l'effet de sa gaieté, ou une preuve de la vigueur de son échine, de sa legereté naturelle, & du mauvais emploi qu'il fait de l'une & de l'autre pour peu qu'il soit animé, & qu'on entreprenne de le renfermer & de le retenir inconsidérément. Quelques auteurs ont très-mal-à-propos confondu cette allure avec l'air du pas & le saut ; elle doit d'autant moins être mise au rang de ce que nous nommons airs de manege, que dans cette action l'animal maîtrise plutôt le cavalier, que le cavalier ne maîtrise le cheval. (e)

GALOP DE CONTRE-TEMS, allure dans laquelle le devant procede de la même maniere qu'au galop, & le derriere de la même maniere qu'aux courbettes, l'une des jambes du bipede postérieur étant néanmoins un peu plus avancée dans sa battue que l'autre. Plusieurs écuyers italiens admirent cette action & la regardent comme une des plus belles que le cheval puisse fournir, sur-tout si les épaules s'élevent beaucoup plus haut que les hanches. (e)

GALOP DE CHASSE, galop aisé, uni, étendu, ni trop relevé, ni trop près de terre, & dans lequel le cheval déploye librement ses membres. (e)


GALOPADE s. f. (Man.) terme spécialement employé pour désigner & pour exprimer d'un seul mot ce que nous appellons un véritable galop de Manege ; c'est-à-dire un galop qui, fourni par un cheval qui a de beaux mouvemens, & dont tous les ressorts sont mis en jeu, est parfaitement sonore & cadencé. Voyez GALOP & MANEGE. (e)


GALOPERv. neut. (Manege) ce cheval galope faux, il galope uni.

Il est encore d'usage en un sens actif : galoper un cheval. Voyez le diction. de l'acad. Voyez GALOP. (e)


GALREDAS. m. (Pharmacie) suc épais & visqueux, tiré à force de bouillir des parties cartilagineuses des animaux : on l'appelle communément gelée. Voyez GELEE.


GALUPSou ACONS, terme de Riviere, sorte de bateau en usage sur la côte de Bretagne.

Les galupses dont on se sert sur les eaux de tous les étangs qui bordent cette côte sont de petits bateaux que l'on peut réduire à l'espece des acons ; ils sont plats par-dessous, comme les semelles dont se servent la plûpart des bâtimens hollandois ; quarrés par l'arriere, pointus à l'avant, faits de planches ; d'environ quatre piés de large sur sept à huit de long, & au plus vingt-deux pouces à deux piés de haut : deux seules planches en font tout le bordage, & ils n'ont que deux hommes d'équipage dans la pêche. Celui qui gouverne avec la rame, est placé à l'arriere ; & celui qui tend le filet, à l'avant.

Le bachet est un diminutif de la galupse.


GALWAY(Géograph.) quelques-uns écrivent Galloway, mais mal. C'est une contrée d'Irlande dans la province de Connaught, avec titre de Comté, d'environ 30 lieues de long sur 16 de large ; ce comté est borné au nord par ceux de Maye & de Roscommon, au sud par celui de Clark, à l'orient par l'Océan Atlantique. Il y a plusieurs lacs ; il abonde en grains & en pâturages. Galway en est la capitale. (D.J.)


GAMBES. f. se disoit autrefois pour jambe.

GAMBES DE HUNE, (Marine) ce sont, suivant quelques-uns, des petites cordes qui sont tenues à une hauteur déterminée des haubans des deux grands mâts, & qui se terminent près de la hune à des barres de fer plates, dont l'usage est de retenir les mâts ; mais, suivant d'autres, ce sont des crochets & des bandes de fer qui entourent les caps de mouton des haubans de hune, & qui sont attachés à la hune. On dit aussi jambes de hune. (Z)


GAMBESOou GOBESON, s. m. (Hist. mod.) terme usité dans l'ancienne milice. Il signifioit une espece de cotte d'arme ou de grand jupon qu'on portoit sous la cuirasse, pour qu'elle fût plus facile à porter, & moins sujette à blesser. Chambers.

Le gambeson étoit fait de taffetas ou de cuir, & bourré de laine, d'étoupes, ou de crin, pour rompre l'effort de la lance, laquelle, sans pénétrer la cuirasse, auroit néanmoins meurtri le corps, en enfonçant les mailles de fer dont elle étoit composée.

Dans un compte des baillis de France, de l'an 1268, il est dit : Expensa pro cendatis & bourra ad gambesones, c'est-à-dire pour le taffetas & la bourre pour faire des gambesons. Hist. de la milice françoise, par le P. Daniel. (Q)


GAMBIE(Geog.) petite ville d'Afrique dans la Nigritie, fertile en bétail, gibier, grains, & éléphans.

La riviere de Gambie se jette dans la mer entre le cap Sainte-Marie au sud, & l'île aux Oiseaux au nord ; & quand on est plus avancé, entre la pointe de Barre au nord, & la pointe de Bagnon au sud. Le milieu de son embouchure est par les 13d 20' de lat. septentrionale.

Il faut toûjours avoir la sonde à la main dès qu'on est entré dans cette riviere, & observer de se tenir toûjours plus près des bancs du nord que de ceux du sud ; cependant les Portugais, les François & les Anglois trafiquent beaucoup sur ce fleuve. Mais ce n'est, à proprement parler, que depuis les bouches de Gambie jusqu'au royaume d'Angola inclusivement, que les Anglois commercent en Afrique : leurs comptoirs, assez bien fortifiés, envoyent à Jamesfort du riz, du miel qui est le sorgo des Africains, de l'ivoire, de la cire, & des esclaves très-estimés, qui leur viennent en partie des terres dépendantes du Senégal. (D.J.)


GAMBITS. m. c'est, aux Echecs, une méthode particuliere de joüer, selon laquelle, après avoir poussé le point du roi ou de la dame deux cases le premier coup qu'on joue, on fait ensuite avancer également de deux cases le pion de leur fou ; c'est ce que le Calabrois appelle gambetto dans son traité sur les échecs, où il rassemble toutes les manieres de jouer le gambetto. Le traducteur françois a rendu le mot italien par celui de gambit, que nos joüeurs d'échecs ont adopté, tout barbare qu'il est dans notre langue. (D.J.)


GAMELIES. f. (Hist. anc.) fête nuptiale, ou plutôt un sacrifice que les anciens Grecs faisoient dans leur famille la veille d'un mariage.

Cette fête fut ainsi appellée du mot , mariage ; d'où est venu aussi Gamelios, épithete ou surnom donné à Jupiter & à Junon, que l'on regardoit comme présidant aux mariages. Le mois de Janvier, qui commençoit au solstice d'hyver chez les Athéniens, & pendant lequel on célébroit cette fête, en fut nommé Gamélion. Chambers. (G)


GAMELIONS. f. (Belles-Lettr.) en latin gamelium ; poëme ou composition en vers sur le sujet d'un mariage : c'est ce qu'on appelle aujourd'hui épithalame. Voyez EPITHALAME. Ce mot est dérivé du grec , mariage. (G)


GAMELLES. f. (Marine) est en général une jatte de bois. Celle des marins est fort creuse, & sans bord ; on y met le potage, ou ce qui est destiné pour le repas de chaque plat des gens de l'équipage. Voyez PLAT DE L'EQUIPAGE.

Le nombre de gens qui doivent manger à un même plat n'est pas fixé ; on met six, sept ou huit personnes à chaque gamelle.

Les matelots malades ou blessés sont soignés & servis par ceux qui mangeoient avec eux à la même gamelle.

Manger à la gamelle, c'est être réduit à manger avec les matelots ; ce que l'on ordonne quelquefois comme une punition de fautes legeres, à ceux qui mangeoient à la table du capitaine.

Dans les fontaines salantes, l'écuelle qui sert à puiser l'eau salée dans les poëles, pour s'assûrer si la mure ou muire est bonne, s'appelle aussi une gamelle. (Z)


GAMITEou GEMITES, (Hist. nat.) pierre dont il est parlé dans Pline & dans d'autres auteurs anciens. On prétend qu'elle étoit blanche, & que l'on y voyoit deux mains qui se joignoient ; ce qui lui a fait donner le nom qu'elle porte, qui signifie pierre de mariage. Il y a lieu de croire que cette pierre étoit factice, du moins elle est entierement inconnue des modernes, qui n'ont peut-être pas l'imagination assez vive pour remarquer les mêmes choses que voyoient les anciens.


GAMMES. f. GAMM'UT ou GAMMA-UT, est en Musique une table ou échelle inventée par Guy Aretin, sur laquelle on apprend à nommer & à entonner juste les degrés de l'octave par les six notes de musique ut, ré mi, fa, sol, la, suivant toutes les différentes dispositions qu'on peut leur donner ; ce qui s'appelle solfier.

La gamme a aussi été nommée main harmonique, parce que Guy employa d'abord la figure d'une main, sur les différens doigts de laquelle il rangea ses notes, pour montrer le rapport de ses hexacordes avec les tétracordes des Grecs. Cette main a été en usage pour apprendre à nommer les notes, jusqu'à l'invention du si, qui a aboli chez nous les muances, & par conséquent la main harmonique qui sert à les expliquer.

Guy Aretin ayant, selon l'opinion commune, ajoûté au diagramme des Grecs un tétracorde à l'aigu & une corde au grave ; ou plutôt, selon Meibomius, ayant par ces additions rétabli ce diagramme dans son ancienne étendue, il appella cette corde grave, hypoproslambanomenos, & la marqua par le des Grecs ; & comme cette lettre se trouve à la tête de l'échelle, en commençant par les sons graves, selon la méthode des anciens, elle a fait donner à cette échelle le nom barbare de gamme.

Cette gamme donc, dans toute son étendue, étoit composée de vingt cordes ou notes, c'est-à-dire de deux octaves & d'une sixte majeure. Ces cordes étoient représentées par des lettres & par des syllabes. Les lettres désignoient invariablement chacune une corde déterminée de l'échelle, comme elles font encore aujourd'hui ; mais comme il n'y avoit que sept lettres, & qu'il falloit recommencer d'octave en octave, on distinguoit ces octaves par les figures des lettres. La premiere octave se marquoit par des lettres majuscules, de cette maniere, . A. B. &c. la seconde par des caracteres ordinaires, g, a. b, &c. & la sixte surnuméraire se désignoit par des lettres doubles, gg, aa, bb, &c.

Pour les syllabes, elles ne représentoient que les noms qu'il falloit donner aux notes en les chantant : or comme il n'y avoit que six noms pour sept notes, c'étoit une nécessité qu'au moins un même nom fût donné à deux différentes notes, ensorte que ces deux notes mi, fa, ou la, fa, tombassent sur les semi-tons ; par conséquent dès qu'il se présentoit un dièse ou un bémol qui amenoit un nouveau semi-ton, c'étoit encore des noms à changer ; ce qui faisoit donner, non-seulement le même nom à différentes notes, mais différens noms à la même note, selon le progrès du chant ; & c'est-là ce qu'on appelloit les muances.

On apprenoit donc ces muances par la gamme. A la gauche de chaque degré on voyoit une lettre qui indiquoit la corde précise qui appartenoit à ce degré : à la droite, dans les cases, on trouvoit les différens noms que cette même note devoit porter en montant ou en descendant par béquarre ou par bémol, selon le progrès.

Les difficultés de cette méthode ont fait faire en divers tems des changemens à la gamme. La figure 10. Pl. I. Musiq. représente cette gamme, telle qu'elle est aujourd'hui en usage en Angleterre. C'est à-peu-près la même chose en Allemagne & en Italie, si ce n'est que chez les uns on trouve à la derniere place la colonne de béquarre qui est ici la premiere, ou quelqu'autre legere différence aussi peu importante.

Pour se servir de cette échelle, si l'on veut chanter au naturel, on applique ut à G ou à de la premiere colonne, le long de laquelle on monte jusqu'au la ; après quoi passant à droite dans la colonne du bé naturel, on nomme fa : on monte au la de la même colonne, puis on retourne dans la précédente à mi, & ainsi de suite. Ou bien on peut recommencer par ut au C de la seconde colonne ; arrivé au la, passer à mi dans la premiere colonne, puis repasser dans l'autre colonne au fa. Par ce moyen une de ces transitions forme toûjours un semi-ton ; savoir la, fa, & l'autre toûjours un ton, la, mi. Par bémol on peut commencer à l'ut en C ou F, & faire les transitions de la même maniere, &c.

En descendant par béquarre, on quitte l'ut de la colonne du milieu, pour passer au mi de celle par béquarre, ou au fa de celle par bémol ; puis descendant jusqu'à l'ut de cette nouvelle colonne, on en sort par fa de la gauche à droite, par mi de droite à gauche, &c. Les Anglois n'employent pas toutes ces syllabes, mais seulement les quatre premieres, ut, ré, mi, fa ; changeant ainsi de colonne de quatre en quatre notes, par une méthode semblable à celle que je viens d'expliquer, si ce n'est qu'au lieu de la, fa, & de la, mi, ils muent par fa, ut, & par mi, ut,

Toutes ces gammes sont toûjours de véritables tortures pour ceux qui veulent s'en servir pour apprendre à chanter. La gamme françoise, qu'on a aussi appellée gamme du si, est incomparablement plus aisée ; elle consiste en une simple échelle de sept degrés sur deux colonnes, outre celle des lettres. Voyez fig. 2. Planche I.

La premiere colonne à gauche est pour chanter par bémol, c'est-à-dire avec un bémol à la clé ; la seconde, pour chanter au naturel. Voilà tout le mystere de notre gamme.

Aujourd'hui que les musiciens françois chantent tout au naturel, ils n'ont que faire de gamme ; C-sol-ut, ut & C ne sont pour eux que la même chose : mais dans le système de Guy ut est une chose, & C en est une autre fort différente ; & quand il a donné à chaque note une syllabe & une lettre, il n'en a pas prétendu faire des synonymes. (S)

Nous joindrons à cet article quelques observations. Les sons, ou, ce qui revient au même, les cordes des instrumens chez les Grecs, n'étoient à la rigueur, selon M. Burette, qu'au nombre de quinze, dont l'assemblage formoit tout le système de l'ancienne musique. Ce grand système se partageoit naturellement en quatre petits systèmes ou tétracordes, composés chacun de quatre sons ou cordes, qui faisoient l'étendue d'une quarte.

La quatrieme corde du premier tétracorde étoit la premiere du second, & la quatrieme corde du troisieme étoit la premiere du quatrieme ; mais le second & le troisieme n'avoient point de corde commune. Chaque corde étoit désignée par un nom particulier ; ces noms étant très-difficiles à retenir, nous y substituerons ceux qui leur répondent dans la musique d'aujourd'hui. Les quatre tétracordes dont il s'agit étoient les suivans, en montant du grave à l'aigu.

1er tétracorde, ou le plus grave, si, ut, ré, mi.

Second, mi, fa, sol, la.

Troisieme, si, ut, ré, mi.

Quatrieme, mi, fa, sol, la.

Ce qui fait en tout quatorze sons. Pour avoir le quinzieme son & compléter les deux octaves, on ajoûtoit un son la au-dessous du si du premier tétracorde. Voyez PROSLAMBANOMENE.

Il y avoit une seconde maniere d'entonner le troisieme tétracorde ; c'étoit de lui substituer celui-ci, la, si , ut, ré, qui avoit son premier son la commun avec le tétracorde précédent, & qui donnoit au système un si de plus, & par conséquent une seizieme corde.

Les noms de chacune des cordes du système étant longs & embarrassans, ne pouvoient servir pour ce que nous appellons solfier. Pour y suppléer, les Grecs désignoient les quatre cordes de chaque tétracorde, en montant du grave à l'aigu, par ces quatre monosyllabes, té, ta, tê, tô. Voyez les mémoires de M. Burette, dans le recueil de l'acad. des Belles-Lettr. Par-là on voit aisément la différence du système des Grecs & de celui de Guy.

On sait que les notes ut, ré, mi, &c. de la gamme de Guy, sont prises des trois premiers vers de l'hymne de S. Jean ; mais on ne sait pas précisément quelle raison a déterminé Guy à ce choix. Il est certain que dans cette hymne, telle qu'on la chante aujourd'hui, les syllabes ré, mi, fa, &c. n'ont point, par rapport à la premiere syllabe ut, les sons qu'elles ont dans la gamme. Ainsi ce n'est point cette raison qui a déterminé Guy, à-moins qu'on ne veuille dire qu'alors le chant de l'hymne étoit différent de celui qu'elle a aujourd'hui, ce qu'on ne peut ni prouver, ni nier.

Il n'est pas inutile de remarquer que la gamme est une des inventions dûes aux siecles d'ignorance ; Guy vivoit en 1009. Il publia sur son système une lettre dans laquelle il dit : j'espere que ceux qui viendront après nous prieront Dieu pour la rémission de nos péchés, puisqu'on apprendra maintenant en un an, ce qu'on pouvoit à peine apprendre en dix. On a vû par ce qui précede, que celui qui a inventé la gamme françoise ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, appellée gamme du si, étoit encore plus en droit de se flater de la reconnoissance de la postérité, puisque la gamme de Guy a été par ce moyen très-simplifiée. (O)

Nous joindrons à ces remarques un écrit que M. le président de Brosses, correspondant-honoraire de l'académie royale des Belles-Lettres, a bien voulu nous communiquer sur la gamme de Guy d'Arezzo. Il y examine par quelle suite d'idées ce musicien est parvenu à la former, & ses successeurs à la perfectionner.

" Les Grecs, dit-il, marquoient les caracteres de leur Musique par une grande quantité de lettres & de figures différentes, que les Latins réduisirent depuis aux quinze premieres lettres de l'alphabet, dont ils formerent une tablature. Mais quoique le gamma fût une de ces lettres, il est douteux que les Latins se soient jamais servi du mot gamma, comme le dit M. Saverien, pour nommer leur tablature : il faut s'en tenir à ce qu'il ajoûte dans la suite, sur le tems où ce mot fut en usage. Guy d'Arezzo forma, vers le commencement de l'onzieme siecle, un nouveau système de Musique : alors on se servoit de l'ancien système des Grecs, autrefois composé de deux tétracordes conjoints, représentés par des lettres, & égaux à ceux-ci, si, ut, ré, mi ; mi, fa, sol, la, dans lesquels on peut remarquer que tous deux commencent par une tierce mineure, & qui plus est par un intervalle de sémi-ton : ou plutôt tous deux sont de vrais tricordes du mode majeur, comprenant chacun une tierce majeure, au-dessous de laquelle les Grecs avoient savamment ajoûté la note sensible du ton, qui représente à son octave la septieme du même ton, c'est-à-dire la principale dissonnance du ton. Il y a grande apparence que Guy d'Arezzo, lorsqu'il commença de concevoir son nouveau système, ayant égard à ce que les deux tétracordes des Grecs commençoient par deux tierces mineures, composa le sien de deux tricordes disjoints faisant chacun une tierce mineure ; & qu'il les exprima de la maniere suivante, par les six premieres lettres de l'alphabet latin, a, b, c ; d, e, f, équivalentes à la, si, ut ; ré, mi, fa. Dans la suite, il conçut l'échelle diatonique de six sons, commençant par une tierce majeure, telle que nous l'avons aujourd'hui, & mit pour les trois premieres notes de son échelle, c, d, e, qui seules, laissant entre chacune l'intervalle d'un ton entier, lui donnoient la tierce majeure.

Je ne doute pas que ce ne soit le sens du premier vers de l'hymne de saint Jean.

Ut queant laxis resonare fibris,

qui a déterminé l'auteur à tirer de cette strophe le nom de ces six cordes qu'il vouloit faire sonner à vuide, resonare laxis fibris. C'est donc ici la cause occasionnelle de l'étymologie déjà connue des six premiers sons de la gamme.

Pour imiter & perfectionner les deux tétracordes grecs, on ajoûta à l'échelle des six tons précédens, une septieme note, que l'on nomma si, & l'octave ou répétition du premier ton nommé de même, ut. De cette sorte, l'échelle diatonique se trouva contenir une octave complete , dirigée selon la plus grande conformité avec la voix humaine, qui ne peut facilement faire trois tons entiers de suite, tels que seroient ut, ré, mi, fa # ; mais qui après deux tons entiers, aime à se reposer par l'intonation succédante d'un sémi-ton ; ainsi ut, ré, mi, fa, &c. Cette échelle est en même tems composée de deux tétracordes disjoints & à-peu-près pareils, ut, ré, mi, fa ; sol, la, si, ut. En suivant toûjours la méthode des Grecs usitée de son tems (car les inventeurs mêmes travaillent d'exemple), Guy d'Arezzo joignit aux syllabes qu'il prenoit pour noms des sons, les lettres A, B, C, D, E, F, qui les nommoient ci-devant : mais A représentoit la, premiere note de ses deux tricordes, & non pas ut, premiere note de son échelle d'octave : tellement que pour nommer les tons, en joignant la lettre à la syllabe, & y ajoûtant entre deux le nom de la dominante du ton qui en marque toute la modulation & les subséquences, on a dit, en suivant l'ordre des tricordes, A mi la, B fa si, C sol ut, D la ré, E si mi, F ut fa. De-là viennent aussi ces anciennes expressions familieres aux Musiciens, le premier en A mi la ; le quint en E si mi. Il manquoit une lettre au septieme ton ; l'inventeur, suivant son plan, prit la septieme de l'alphabet latin G, qu'il écrivit en grec , gamma, quoique le se trouve la troisieme de l'alphabet grec : de cette maniere, le septieme ton fut nommé G ré sol ; & le caractere grec plus singulier dans la tablature que les caracteres vulgaires, donna le nom de gamma à toute l'échelle diatonique. Pour imiter toûjours l'ancienne méthode greque, dont le tétracorde commençoit par un sémi-ton ou note sensible, l'inventeur baissa d'un demi-ton l'intervalle A, B de son premier tricorde A, B, C ; ensorte qu'au lieu d'un ton entre A & B, & d'un demi-ton entre B & C, il se trouva un demi-ton entre A & B, & un ton complet entre B & C : pour avertir de ce changement, il joignit un signe particulier au B ; & comme le son du B devenoit par-là plus doux & plus mou, on nomma ce signe B mol : or le B étant le si, de-là vient que le premier bémol en Musique se pose sur le si. Usant du même artifice sur son second tricorde, quand il voulut le faire commencer comme le grec, il baissa d'un demi-ton l'intervalle du ré au mi : de-là vient que le second bémol en Musique se pose sur le mi : s'il voulut remettre son premier tricorde A, B, C, dans le premier état naturel où il l'avoit composé, il joignit au B un signe quarré angulaire à-peu-près de cette figure , pour avertir que l'intervalle d'A à B étoit d'un ton dur & entier ; & ce signe fut nommé B quarre. Il s'étoit occupé sur ses tricordes mineurs de l'abaissement des sons qui convient au mode mineur : revenant à son échelle d'octave modulée selon le mode majeur, il s'occupa de l'élévation des sons convenable à ce mode ; il éleva d'un demi-ton de plus le premier intervalle de sémi-ton qui se trouve dans l'ordre de son échelle, c'est-à-dire celui du mi au fa ; & en fit autant sur le second intervalle semblable, c'est-à-dire sur celui du si à l'ut : de-là vient que dans la Musique le premier dièse se pose sur le fa, & le second sur l'ut. Cette expérience dut lui paroître très-heureuse, & d'autant plus conforme à la suite des sons dans la nature, que le fa # annonçoit la modulation du sol, dont il est la note sensible ; & qu'en effet, la modulation de sol est engendrée dans les corps sonores par la modulation d'ut, dont sol est la note dominante. L'inventeur, pour avertir qu'il vouloit mettre l'intervalle d'un ton entier entre mi & fa, joignit au fa un signe quarré #, de figure à-peu-près semblable au béquarre, parce que l'effet des deux signes étoit le même : on appella ce signe dièse, du mot grec , division, parce qu'il divisoit en deux l'intervalle du ton entre fa & sol ; & parce que dans les instrumens grecs, entre deux cordes formant entr'elles un intervalle d'un ton, on en mettoit un autre qui les séparoit, & formoit le sémi-ton intermédiaire. L'échelle diatonique ainsi formée avec adjonction de deux dièses par ut, ré, mi, fa #, sol, la, si, ut #, est suivie progressivement par l'échelle suivante, ré, mi, fa #, sol, la, si, ut #, ré, entierement semblable dans l'ordre de ses intervalles à l'échelle naturelle de l'octave ut, sans aucun dièse. Or en continuant de procéder selon le mode majeur, en élevant le premier intervalle de semi-ton qui se rencontre dans la nouvelle octave ré entre fa # & sol, pour la rendre pareille en intervalle à l'octave ut avec deux dièses, il en résulte ré, mi, fa #, sol #, la, si, ut #, ré # : de-là vient que dans la Musique le troisieme dièse se pose sur le sol, & le quatrieme sur le ré.

Guy d'Arezzo s'appercevant que les sept lettres ou les sept syllabes dont il se servoit pour tracer les sons musicaux au-dessus des paroles, n'exprimoient qu'un octave, & ne distinguoient pas si le son étoit d'une octave plus basse ou plus aiguë que la moyenne, s'avisa d'un troisieme expédient plus commode, à ce qu'il lui parut, que les lettres ou les syllabes ; ce fut de tracer sur le papier de longues raies paralleles, probablement pour imiter la figure des cordes tendues de la lyre, qu'il fut forcé de disposer horisontalement, non verticalement ; sans quoi, il n'auroit pû y joindre avec facilité l'écriture des paroles chantées, qui parmi nous est horisontale & non verticale. Il traça donc plusieurs lignes les unes sur les autres, représentant les degrés & les intervalles des sons plus ou moins aigus ; il figura sur les lignes & les entre-lignes de petites notes noires, chaque ligne & entre-ligne immédiats représentant l'intervalle d'un demi-ton. D'autres musiciens ont depuis distingué la vîtesse ou la lenteur du chant, & fixé la durée intrinseque de chaque note, en traçant les notes blanches, noires, à queue, crochues, doublement crochues, &c. d'autres ont ensuite inventé divers autres signes, pour représenter les tremblemens & les renflemens du son, le tems, la mesure à deux, trois, & quatre gestes, les silences, &c. ces derniers s'appellent pauses & soupirs, parce qu'ils donnent au chanteur le tems de se reposer, de respirer, & de reprendre haleine. Quant aux clés placées au commencement de chaque ligne, soit qu'on les y voye seules, soit qu'elles soient accompagnées de dièses & de bémols, elles ouvrent l'intelligence de la modulation traitée dans l'air : elles montrent tout-d'un-coup quelle est l'octave employée dans cet air ; si c'est la basse, la moyenne, ou l'aiguë ; & par-là elles font voir à portée de quel genre de voix l'air est composé. Nous répétons la clé au commencement de chaque ligne ; mais les Italiens se contentent de la figurer une fois pour toutes au commencement de la premiere ligne. Il y a sept clés, c'est-à-dire autant que de sons dans l'échelle diatonique : dans la regle, les sept clés devroient porter le nom des sept sons, & chacune se trouver posée au commencement de la ligne sur la place de la tonique de l'air qu'elle indique. Mais comme les clés ont été introduites moins encore pour montrer le ton final & principal de l'air, que pour indiquer si l'air est grave, moyen, ou aigu ; & comme l'inventeur ne considéroit alors que son échelle naturelle de l'octave ut, il n'a donné que trois noms aux clés, sçavoir, fa, ut, sol ; parce que dans cette échelle de son octave ut, la note tonique, c'est-à-dire le son principal, final, & moyen, est ut, ayant pour dominante aiguë sol, & pour sous-dominante grave fa. Sur ce principe, il s'est déterminé à indiquer le chant grave par la clé de fa ; le chant moyen, par la clé d'ut ; le chant aigu, par la clé de sol. Cette observation étoit très-heureuse de la part de l'inventeur, soit qu'il y ait été conduit par force de génie, ou par hasard ; car elle indiquoit en même tems tout le plan de l'harmonie, tant consonnante que dissonnante. Elle s'est trouvée d'accord avec le fameux principe de la basse fondamentale par quintes, découvert depuis par le célebre Rameau, & qui sert de base à sa profonde théorie. Un chant, dit ce savant homme, composé du ton ut & de ses deux quintes fa & sol, l'une au-dessous, l'autre au-dessus, donne le chant ou la suite des quintes fa, ut, sol, que j'appelle basse fondamentale d'ut par quintes. Les trois sons qui forment cette basse & les harmoniques de chacun de ces trois sons, composent tout le mode majeur d'ut, & en même tems toute la gamme diatonique inventée par Guy d'Arezzo, comme nous le verrons encore mieux ci-après.

Telle est la suite des procédés & des idées qu'a eu dans la tête l'inventeur de notre gamme, en réformant la méthode greque. Ces procédés sont si connexes, si bien liés, si dépendans les uns des autres, qu'on ne peut douter qu'il n'ait eu de telles pensées dans l'esprit, & à-peu-près dans le même ordre que je viens de les décrire. C'est ainsi qu'un soigneux examen des noms imposés aux choses, en nous apprenant la cause de leur imposition, nous fait remonter aux choses mêmes ; nous donne lieu de pénétrer leurs causes & leurs effets ; nous remet sur les voies des premiers principes des Arts & de leurs progrès successifs ; nous fait suivre les opérations de l'inventeur à la trace des termes appellatifs, qu'il a mis en usage.

Au reste, notre méthode d'usage actuel inventé par Guy d'Arezzo, de tracer la Musique sur le papier par des notes noires disposées sur les lignes & les entre-lignes de cinq raies, quoique très-ingénieuse, n'est pas fort bonne : elle est compliquée de figures embarrassantes & nombreuses. On sent assez que, soit que l'on se servît de raies, de notes, de lettres, de chiffres, ou des sept couleurs, il seroit facile d'inventer dix méthodes différentes d'écrire les chants, plus simples, plus courtes, & plus commodes, sur-tout pour la musique vocale : car l'instrumentale plus chargée de chants, présenteroit peut-être un peu plus de difficulté. L'ancienne tablature greque par lettres étoit, p. ex. meilleure que la nôtre. Mais à quoi serviroit d'introduire une nouvelle méthode plus parfaite, aujourd'hui que nous avons tant d'ouvrages célebres imprimés selon l'ancienne ? On ne supprimera pas tout ce que nous avons de Musique gravée, imprimée, manuscrite, pour le publier de nouveau sur une nouvelle tablature. Ainsi la nouvelle introduction auroit le plus grand inconvénient qu'elle puisse avoir ; c'est celui de ne pas abolir l'ancienne, & de ne procurer aux hommes qu'un travail de plus. Il faudroit que ceux qui savent lire notre Musique apprissent à lire une seconde fois ; & que ceux à qui l'on enseigneroit à lire selon la nouvelle réforme, apprissent aussi l'ancienne maniere, pour pouvoir joüir des ouvrages écrits avec nos figures actuelles. Ceci soit dit en passant, pour tous les projets de cette espece tendant à introduire une réforme sur des choses où il n'est pas possible de supprimer les grands établissemens déjà faits sur l'ancien pié ".

Nous avons donné au mot ÉCHELLE, la comparaison de la gamme ou échelle diatonique des Grecs avec notre gamme moderne. Nous avons fait voir comment ces gammes se formoient par le moyen des sons fa, ut, sol, & de leurs harmoniques : ces trois sons sont le fondement des deux gammes, par la raison suivante. Le son ut fait résonner sa douzieme au-dessus sol, & fait frémir sa douzieme au-dessous fa. Voyez FONDAMENTAL. Or au lieu des douziemes, on peut prendre ici les quintes, qui en sont les octaves ou répliques. Voyez OCTAVE & REPLIQUE. Ainsi on peut aller indifféremment du son ut à ses deux quintes sol & fa, quoiqu'avec un peu plus de prédilection pour sol, & révenir de même de fa & de sol à ut. Ces trois sons forment la basse fondamentale la plus simple du mode d'ut (Voyez MODE) ; & ces trois sons avec leurs harmoniques, c'est-à-dire leurs tierces majeures & leurs quintes (Voyez FONDAMENTAL), composent toute la gamme d'ut.

Le son fondamental ut renfermant en lui-même sa tierce majeure & sa quinte (Voyez FONDAMENTAL), il s'ensuit que le chant le plus naturel en partant d'ut, est ut, mi, sol, ut : mais le chant diatonique le plus naturel, c'est-à-dire celui qui procede par les moindres degrés naturels à la voix, est celui de la gamme, soit des anciens, soit des modernes.

Nous avons vû au mot ÉCHELLE, que pour former la basse fondamentale de notre gamme moderne, il faut ou répéter deux fois le son sol dans cette gamme ; ou, ce qui revient au même, faire porter à ce seul son deux notes de basse fondamentale, savoir ut & sol ; ou en faisant porter à chaque note de la gamme une seule note de basse, introduire dans la basse des accords de septieme, savoir, sol, si, ré, fa, & ré, fa, la, ut ; & dans tous les cas, introduire dans la basse la note ré, & par conséquent, le mode de sol. Voyez MODE. C'est cette introduction du mode de sol dans la basse fondamentale, qui fait que les trois tons fa, sol, la, si, peuvent se succéder immédiatement dans notre gamme ; ce qui n'a pas lieu dans celle des Grecs, parce que sa basse fondamentale ne porte & ne peut porter que les sons fa, ut, sol. De plus on ne peut entonner facilement ces trois tons qu'à la faveur d'un repos exprimé ou sous-entendu après le son fa ; ensorte que ces trois tons fa, sol, la, si, sont censés appartenir à deux tétracordes différens. La difficulté d'entonner naturellement trois tons de suite, vient donc de ce qu'on ne le peut faire sans changer de mode.

Pour former la gamme du mode mineur, il faut dans la gamme des Grecs, substituer des tierces mineures au lieu des tierces majeures que portent les sons de la basse fondamentale. Prenons pour exemple cette basse fondamentale ré, la, mi, du mode mineur de la ; il faudra faire porter le fa & l'ut au ré & au la, au lieu du fa dièse & de l'ut dièse, qu'ils porteroient si le mode étoit majeur. A l'égard de la dominante mi (Voyez DOMINANTE), elle portera toûjours la tierce majeure sol dièse, lorsque ce sol montera au la : on en dira la raison, d'après M. Rameau, au mot NOTE SENSIBLE ; & on peut, en attendant, la voir dans nos élémens de Musique, art. 77. Ainsi la gamme des Grecs, dans le mode mineur de la, est

sol #, la, si, ut, ré, mi, fa.

Mais dans le même mode mineur de la, la gamme des modernes sera

la, si, ut, ré, mi, fa #, sol #, la,

dans laquelle le mi porte ou est censé porter deux notes de basse fondamentale, la, mi, & dans laquelle le fa est dièse, parce qu'il est quinte du si de la basse ; la basse fondamentale de cette gamme étant

la, mi, la, ré, la, mi, si, mi, la.

Ainsi la gamme des modernes dans le mode mineur, differe encore plus de celle des Grecs, que dans le mode majeur, puisqu'il se trouve dans celle-là un fa #, qui n'est point & ne doit point être dans celle-ci.

La gamme du mode majeur en descendant, est la même qu'en montant ; & nous avons vû, au mot ÉCHELLE, quelle est alors la basse fondamentale de cette gamme : on peut encore lui donner celle-ci.

ut, sol, ré, sol, ut, fa, ut, sol, ut,

qui est la même (renversée) que la basse fondamentale de la gamme en montant, & dans laquelle le son sol de la gamme porte à-la-fois les deux sons sol, ut, de la basse. Au moyen de cette basse, qui est la même, soit que la gamme monte, soit qu'elle descende, on peut expliquer un fait qui seroit peut-être difficile à expliquer autrement, sçavoir pourquoi la gamme s'entonne aussi naturellement en descendant qu'en montant.

La difficulté est plus grande pour la gamme du mode mineur ; car on sait que cette gamme n'est pas la même en descendant qu'en montant : la gamme de la mineur, par exemple, est en montant, comme on l'a déjà vû,

la, si, ut, ré, mi, fa #, sol #, la ;

& cette gamme en descendant, est,

la, sol, fa, mi, ré, ut, si, la,

qui n'a plus ni sol ni fa dièse. La basse fondamentale de cette gamme est fort difficile à trouver : car le sol ne peut porter que mi, & le fa que ré : or deux sons mi, ré, immédiatement consécutifs, sont exclus par les regles de la basse fondamentale. Voyez BASSE FONDAMENTALE, HARMONIE & MODE. M. Rameau détermine cette basse, en retranchant de l'échelle le son sol, en cette sorte :

la, fa, mi, ré, ut, si, la,

dont la basse fondamentale est

la, ré, la, ré, la, mi, la,

C'est ce qu'on peut dire de plus plausible là-dessus ; & c'est aussi ce que nous avons dit, d'après M. Rameau, dans nos élémens de Musique : mais on doit avoüer que cette solution ne satisfait pas pleinement, puisqu'il faut, ou ne point faire porter d'harmonie à sol, ou anéantir l'ordre diatonique de la gamme ; deux partis dont chacun a ses inconvéniens. Cet aveu donnera lieu à une autre observation que nous avons quelque droit de faire, ayant eu l'honneur d'être du nombre des juges de M. Rameau dans l'académie des Sciences, & ensuite ses interpretes auprès du public ; c'est que cette compagnie n'a jamais prétendu approuver le système de Musique de M. Rameau, comme renfermant une science démontrée *, mais seulement comme un système beaucoup mieux fondé, plus clair, plus simple, mieux lié, & plus étendu qu'aucun de ceux qui avoient précédé ; mérite d'autant plus grand, qu'il est le seul auquel on puisse prétendre dans cette matiere, où il ne paroît pas possible de s'élever jusqu'à la démonstration. Tout le système de M. Rameau est appuyé sur la résonnance du corps sonore : mais les conséquences qu'on tire de cette resonnance n'ont point & ne sauroient avoir l'évidence des théorèmes d'Euclide ; elles n'ont pas même toutes un égal degré de force & de liaison avec l'expérience fondamentale. Voyez HARMONIE, NOTE SENSIBLE, MODE MINEUR, SEPTIEME, &c. Aussi M. Rameau dit-il très-bien au sujet de la dissonnance, qui est une branche étendue de la Musique : " c'est justement parce que la dissonnance n'est pas naturelle à l'harmonie, quoique l'oreille l'adopte, que pour satisfaire la raison sur ce point, autant qu'il est possible, on ne sauroit trop multiplier les rapports, les analogies, les convenances, même les métamorphoses, s'il y en a ". D'où il s'ensuit, qu'il ne range sa théorie musicale que dans la classe des probabilités. C'est aussi uniquement comme un système très-supérieur aux autres, que nous avons expliqué cette théorie dans un ouvrage particulier ; très-disposés en même tems à recevoir tout ce qui pourra nous venir de bon d'ailleurs. Voyez FONDAMENTAL.

Sur les différences de la gamme des Grecs dans les genres diatonique, chromatique, & enharmonique, voyez GENRE. (O)


GAMUTOS. m. (Commerce) espece de chanvre qu'on tire du coeur de quelques palmiers des Indes ; on en fait des cordages, mais que l'eau détruit facilement. Les Espagnols & les autres Européens, excepté les Hollandois, en achetent des insulaires des Philippines. Les Hollandois les tirent de Mendanao.


GANACHES. f. (Maréchallerie) On appelle en général de ce nom l'os qui compose la mâchoire postérieure. Cet of est partagé en deux branches dans le poulain. Dans le cheval elles sont tellement unies, qu'il ne reste qu'une legere trace de leur jonction ; trace que l'on observe à la partie inférieure, & qui forme la symphise du menton. L'espace qu'elles laissent entr'elles contient intérieurement un canal dans lequel la langue est logée, & extérieurement un autre canal nommé proprement l'auge.

Celui-ci doit être tel, qu'il puisse admettre & recevoir une portion de l'encolure, dans le moment où l'animal est déterminé à se placer. S'il n'est point assez évidé, si supérieurement les deux branches sont trop rapprochées, si elles ont trop de volume & trop de rondeur aux angles de la mâchoire, ce qui rend d'ailleurs la ganache quarrée, & la tête difforme & pesante ; il est fort à craindre que l'animal ne se ramene point & porte constamment au vent.

Il importe donc d'examiner attentivement la conformation de cette partie, lorsque l'on achete un cheval, & de rechercher encore dans le canal extérieur, si les glandes maxillaires & sublinguales ne sont point sensibles au tact, c'est-à-dire si elles sont non-appercevables & dans leur état naturel. Lorsqu'elles se manifestent aux doigts, elles sont gorgées d'une lymphe épaissie ; & selon qu'elles sont plus ou moins dures, plus ou moins grosses, plus ou moins adhérentes ou mobiles, & que le cheval est plus ou moins âgé, elles présagent des maladies plus ou moins dangereuses & plus ou moins funestes. (e)


GANCHES. m. (Hist. mod.) sorte de potence dressée pour servir de supplice en Turquie. Le ganche est une espece d'estrapade dressée ordinairement à la porte des villes. Le bourreau éleve les condamnés par le moyen d'une poulie ; & lâchant ensuite la corde, il les laisse tomber sur des crochets de fer, où ces misérables demeurent accrochés tantôt par la poitrine, tantôt par les aisselles, ou par quelqu'autre partie de leur corps. On les laisse mourir en cet état, & quelques-uns vivent encore deux ou trois jours. On rapporte qu'un pacha passant devant une de ces potences en Candie, jetta les yeux sur un de ces malheureux, qui lui dit d'un ton ironique : Seigneur, puisque tu es si charitable, suivant ta loi, fais-moi tirer un coup de mousquet pour finir cette tragédie. (D.J.)


GANDGandavum, (Géogr.) ville capitale de la Flandre autrichienne, avec un fort château bâti par Charles-Quint pour tenir en bride les habitans, & un évêché suffragant de Malines, érigé par Paul IV. en 1559. L'Escaut, la Lys, la Lieve, & la Moëre, coupent cette ville en plusieurs îles. Elle est située à 9 lieues S. O. d'Anvers, 11. O. de Malines, 10 N. O. de Bruxelles, 8 S. E. de Middelbourg.

Cette ville si souvent prise, reprise, & cédée par des traités, perd tous les jours de son lustre & de sa force. Les Gantois étoient plus libres dans le XV. siecle sous leurs souverains, que les Anglois même ne le sont aujourd'hui sous leurs rois. Personne n'ignore que le mariage de leur princesse qu'ils conclurent avec Maximilien, fut la source de toutes les guerres qui ont mis pendant tant d'années la maison de France aux mains avec celle d'Autriche.

Charles-Quint, rival de François I. plus puissant & plus fortuné, mais moins brave & moins aimable, naquit à Gand le 24 Février 1500. On le vit, dit M. de Voltaire, en Espagne, en Allemagne, en Italie, maître de tous ces états sous des titres différens, toûjours en action & en négociation, heureux long-tems en politique & en guerre, le seul empereur puissant depuis Charlemagne, & le premier roi de toute l'Espagne depuis la conquête des Maures, opposant des barrieres à l'empire ottoman, faisant des rois, & se dépouillant enfin de toutes les couronnes dont il étoit chargé, aller mourir en triste solitaire, après avoir troublé l'Europe, & n'ayant pas encore 59 ans.

La patrie de Charles-Quint n'a pas été féconde en gens de lettres célebres. Je ne me rappelle parmi les littérateurs que Levinius Torrentius : ce savant, après s'être distingué par quelques ouvrages en vers & en prose, & sur-tout par une édition de Suétone accompagnée de bonnes notes, mourut le 26 Avril 1695.

La longitude de Gand, suivant Cassini, est 21d. 26'. 30". latit. 51d. 3'. (D.J.)


GANDERSHEIM(Géogr.) petite ville d'Allemagne au cercle de la basse Saxe, dans le duché de

* N. B. La démonstration du principe de l'harmonie, par M. Rameau, ne portoit point ce titre quand elle a été présentée à l'académie, & n'a point aussi été annoncée sous ce titre dans le rapport qui en a été fait.

Brunswic, à 6 lieues de Goslar, remarquable par son abbaye de filles nobles, fondée l'an 852. Cette ville est aujourd'hui protestante sous la protection du duc de Brunswic-Wolffenbuttel. Long. 28. 10. lat. 51. 50. (D.J.)


GANERBINAT(Hist. mod. Jurisprud.) en allemand gan-erbschafft. C'est ainsi qu'on nomme dans l'empire d'Allemagne une convention faite entre des familles nobles & illustres, sous de certaines clauses & avec l'approbation du suserain, pour se défendre mutuellement contre les invasions & les brigandages qui ont eu lieu pendant fort long-tems en Allemagne, & qui étoient des conséquences funestes du gouvernement féodal. On y stipuloit aussi que lorsqu'une famille viendroit à s'éteindre, sa succession tomberoit aux descendans de celle avec qui le pacte de ganerbinat avoit été fait. Ces conventions s'appellent aussi pactes de confraternité. (-)


GANESBOROUGH(Géogr.) ville à marché d'Angleterre en Lincoln-Shire sur le Frent, à quatre lieues N. O. de Lincoln, 38 N. E. de Londres. Long. 16. 45. lat. 53. 20.

Patrick (Simon) naquit dans cette ville en 1626, & mourut évêque d'Ely en 1707. On a de lui un grand nombre d'ouvrages écrits en anglois, tous pleins d'érudition ; tels sont en particulier ses commentaires sur le Pentateuque, & sur d'autres livres de l'Ecriture sainte. (D.J.)


GANFO(Géogr.) ville de la Chine dans la province de Kiangsi, au département de Kiegan, neuvieme métropole de cette province. Elle est de 3d. 10'. plus occidentale que Pekin, & sa latitude est de 27d. 55' (D.J.)


GANGE(LE) Géogr. la plus célébre riviere de l'Asie ; elle prend sa source dans les montagnes du Caucase, aux confins des états du Mogol, traverse du septentrion au midi toute l'Inde qu'elle divise en Inde en-deçà & Inde en-delà du Gange ; & après avoir reçu plusieurs rivieres, elle se décharge dans le golfe de Bengale par plusieurs embouchures.

Seleucus Nicanor est le premier qui ait pénétré jusqu'au Gange, & qui ait découvert le golfe de Bengale où se jette ce fleuve. Selon M. de Lisle, la source du Gange est vers le 96d. de longit. & le 35d. 45'. de latit. & son embouchure occidentale vers le 106. de long. & le 21d. 15' de lat. son embouchure orientale est vers le 108d. 25'. & par le 22. de latit. Son cours, selon le calcul de Varenius, est de 3000 milles d'Allemagne.

Ses eaux sont très-belles, & fournissent de l'or & des pierres précieuses ; les Indiens prétendent même qu'elles ont une vertu sanctifiante, & que ceux qui meurent sur ses bords doivent habiter, après leur décès, une région pleine de délices. Delà vient qu'ils envoyent des lieux les plus reculés des urnes pleines de cendres de leurs morts, pour les jetter dans le Gange. Qu'importe qu'on vive bien ou mal, on fera jetter ses cendres dans le Gange, & l'on joüira d'un bonheur infini. " Toute religion qui justifie par de telles pratiques, perd inutilement le plus grand ressort qui soit parmi les hommes ". Réflexion bien importante de l'auteur de l'esprit des lois. (D.J.)


GANGEA(Géog.) une des meilleures villes de Perse, dans la Géorgie, capitale de la province de même nom. Les bazars ou marchés y sont magnifiques, & les maisons entre-coupées de bocages délicieux. Gangea est dans une grande plaine agréable & fertile, à 66 lieues d'Erivan, 42 S. de Teflis. Long. 65. 10. lat. 41. 32. (D.J.)


GANGITE(Hist. nat.) nom donné par les anciens naturalistes au jayet ou jais. Voyez cet article.


GANGLIONS. m. en Anatomie, nom de certaines tumeurs naturelles qu'on observe dans quelques nerfs. Voyez NERF.

M. Lancisi est l'auteur qui paroît s'être le plus attaché à la recherche de la structure des ganglions des nerfs, & de la conformation singuliere qu'il croit y avoir découverte ; il conclut que les ganglions sont propres à modérer & à diriger le mouvement des esprits animaux. Ut quoniam, dit-il, ganglia nihil aliud esse deprehendimus quam muscularia sui generis corpora, quae tendineis nervis sanguinea praesertim vasa & musculorum fibras veluti claviculis sic apprehendunt, ut ad dirigendum, moderandumque animalis arbitrio liquidorum in illa influxum comparata fuisse videantur.

Si les observations particulieres que j'ai faites sur les ganglions ne détruisent point celles de M. Lancisi, au-moins font-elles naître de si grands doutes, que les observations de cet auteur paroissent exiger un examen plus scrupuleux & plus recherché ; en effet l'Anatomie nous apprend que, toutes choses d'ailleurs égales, les ganglions sont plus petits dans le fétus que dans les jeunes sujets, dans les jeunes sujets que dans les adultes. C'est un fait que j'ai confirmé par la dissection de cadavres de différens âges, & j'ai souvent observé que lorsque les trois ganglions supérieurs du nerf intercostal étoient plus gros que l'ordinaire dans les adultes, dans ce cas-là même les ganglions de ce nerf qui s'observent ordinairement sur les parties latérales des vertebres du dos & des lombes, & sur celles de l'os sacrum, n'étoient presque pas sensibles, pour ne pas dire point-du-tout. Au reste aucun anatomiste n'ignore que rien ne varie plus que ces sortes de tumeurs ; & il n'est pas qu'on n'ait remarqué que les filets que le nerf intercostal puise au coeur, s'unissent & s'enchaînent quelquefois les uns avec les autres, de maniere qu'il se trouve un petit ganglion dans chaque endroit de leur union ; j'en ai même observé jusqu'à trois dans chaque endroit.

Observons en second lieu que les ganglions sont tous en général situés dans des endroits où ils paroissent le plus exposés au tiraillement & au frottement ; la tumeur même dans certains nerfs ne paroît saillir que dans la partie du nerf qui y est la plus exposée. C'est ainsi, par exemple, que dans les nerfs qui partent de la moëlle épiniere, & sont formés par des filets qui se détachent de la partie antérieure, & d'autres qui partent de la partie postérieure ; c'est ainsi, dis-je, que dans ces nerfs la tumeur se trouve vis-à-vis des apophyses obliques des vertebres lorsqu'ils passent les trous de l'épine, & même le ganglion ne s'observe que dans le cordon formé des filets qui naissent de la partie postérieure de l'épine, & cette tumeur est immédiatement placée sur l'articulation des deux apophyses obliques ; les ganglions du nerf intercostal sont aussi situés de façon qu'il y a tout lieu de présumer que ses noeuds sont un produit du frottement, du tiraillement, &c.

Disons en troisieme lieu que la structure des ganglions paroît bien moins compliquée que M. Lancisi ne l'a voulu faire entendre dans les descriptions & les figures qu'il en a données ; en effet lorsqu'on examine dans le fétus les ganglions vertébreux, on observe distinctement que chaque filet postérieur qui concourt à former le cordon est gonflé, & que chacun d'eux se sépare facilement l'un de l'autre, parce qu'alors le tissu cellulaire qui les unit, est bien moins fort & moins serré qu'il ne l'est dans les adultes. Je serois volontiers porté à croire que c'est-là la cause pour laquelle ces filets sont si intimement unis dans les adultes, qu'on soupçonneroit d'abord lorsqu'on les a ouverts, qu'ils sont musculeux ; cependant on vient à bout par la macération de relâcher le tissu cellulaire, & de séparer les uns des autres ces filets nerveux gonflés.

Ajoûtons en quatrieme lieu, que presque tous les auteurs ont dit unanimement que les nerfs liés ne se gonfloient point ; cependant M. Molinelli dit dans les commentaires de l'académie de Boulogne, qu'après avoir lié le même nerf dans deux endroits différens & fort près l'un de l'autre, le nerf se gonfle entre les deux ligatures ; mais dans les expériences que j'ai faites, je l'ai vû gonflé au-dessus de la ligature ; il est bien vrai que cela n'arrive pas aussi-tôt & aussi sensiblement que dans les vaisseaux sanguins.

Ceci est confirmé par les observations que j'ai eu occasion de faire sur les cadavres de deux malades auxquels on avoit amputé à l'un la jambe, & à l'autre la cuisse. J'ai vû les nerfs sensiblement gonflés dans l'endroit où ils avoient été liés, & j'ai même observé la même disposition dans leurs filets gonflés que dans ceux des ganglions vertébreux. J'ai outre cela trouvé dans le cadavre d'un homme mort paralytique, une tumeur ganglioforme de la longueur de 7 à 8 lignes sur 4 à 5 de diametre dans la huitieme paire, un peu au-dessus de l'endroit où le nerf recurrent se détache de cette paire ; les glandes jugulaires étoient gonflées au-dessus de cette tumeur ; le malade avoit perdu l'usage de la parole quelque tems avant sa mort ; cependant la huitieme paire du côté opposé paroissoit dans son état naturel ; j'ouvris cette tumeur, & j'observai deux membranes très-distinctes qui enveloppoient un corps transparent, comme de la gelée, mais beaucoup plus solide. J'ai eu d'ailleurs occasion de voir plusieurs fois les ganglions extraordinairement gonflés, mais les glandes conglobées qui les environnoient l'étoient aussi.

Tout ceci ne donne-t-il pas lieu de présumer que le tiraillement, le frottement, la compression, ou d'autres mouvemens méchaniques font former ces tumeurs ? & ne sembleroit-t-il pas même qu'on pourroit en déduire la présence d'un fluide, tel qu'il puisse entrer dans les nerfs ? (L)

GANGLION, (Chir.) tumeur circonscrite, mobile, sans douleur, & sans changement de couleur à la peau, qui vient dans les parties membraneuses sur les articulations des of du carpe & du tarse. Ces tumeurs sont du genre des enkistées. Elles se forment communément sans qu'il ait précédé aucun accident. Si elles ne se dissipent pas d'elles-mêmes, ce qui arrive quelquefois, ou qu'on ne les détruise point par les secours convenables, lorsqu'elles sont encore récentes, elles parviennent souvent à une grandeur considérable. Elles deviennent alors incommodes, en gênant le mouvement de la partie, & le rendant pénible & douloureux.

La cause de ces tumeurs est une lymphe retenue dans une cellule du tissu folliculeux qui est entre les tendons & les of du poignet. Les contusions, les distensions violentes, les coups, les chûtes en sont ordinairement les causes occasionnelles. La mobilité de la tumeur montre bien qu'originairement elle ne tient ni aux os, ni aux tendons.

Les remedes résolutifs, discussifs, & fondans ne sont pas de grande utilité dans la cure de cette maladie, quoique les auteurs rapportent en avoir éprouvé de bons effets dans les ganglions récemment formés. La compression a communément plus de succès. On recommande aux personnes qui en ont, de les frotter fortement avec le pouce plusieurs fois par jour. Ces attritions répétées usent le kiste ; & il est ordinaire de sentir enfin la tumeur se dissiper absolument sous l'action du doigt qui la frottoit.

C'est pour favoriser l'ouverture du kiste & l'évacuation de l'humeur lymphatique, qu'on fait porter une plaque de plomb bien serrée sur la tumeur. On la fait frotter de vif-argent du côté qui touche à la peau ; ce qui ne paroît pas donner à cette plaque plus de vertu. On a des exemples de guérisons subites des ganglions par une forte compression qui rompoit ou faisoit crever le kiste. Muys vouloit qu'on la fit avec le pouce ; Job à Mecustren recommandoit que la main fût posée sur une table, & qu'on frappât plusieurs fois le ganglion à coups de poing ; d'autres se sont servis avec succès d'un marteau de bois pour cette percussion : Sollingen, fameux chirurgien hollandois, propose l'extirpation des ganglions ; d'autres auteurs rejettent cette opération ; elle n'est pas sans inconvénient, par rapport aux parties circonvoisines. Mais comme il est constant par toutes les cures qu'on a faites en comprimant, qu'il suffit que la membrane soit ouverte en un point quelconque de sa circonférence, pour laisser échapper l'humeur qu'elle renferme ; on ne couroit aucun risque de piquer le kiste avec une lancette, comme on ouvre une veine en saignant. M. Warner, de la société royale & chirurgien de l'hôpital de Guy à Londres, vient de nous donner dans un recueil d'observations de Chirurgie le détail de deux cures de ganglions très-considérables, qu'il a jugé à-propos d'extirper ; ils étoient devenus adhérens aux tendons des doigts ; il a été obligé de couper dans son opération le ligament transversal du carpe : les malades qui ne pouvoient plus fermer la main, ni mouvoir les doigts, ont recouvré parfaitement l'usage de ces parties, après la guérison qui fut accomplie en 40 jours. L'auteur convient que ces opérations peuvent être suivies d'inflammation & d'abcès ; il ajoûte qu'il ne connoit point de cas où ils se soient mal terminés.

Parlerons-nous des moyens superstitieux auxquels quelques personnes ont la foiblesse d'avoir confiance pour la cure des ganglions ? L'application de la main d'un homme à l'agonie, jusqu'à ce qu'il soit mort, & tant qu'il conserve encore de la chaleur. Frotter la tumeur avec la chemise d'un homme qui vient de mourir, & qui est encore moite par la sueur de son corps. J'ai connu qu'on ne persuadoit pas de la sottise de ces moyens les gens qui s'étoient proposé d'y avoir recours ; je me suis plusieurs fois prêté dans les hôpitaux à ces tentatives ridicules, après avoir perdu mes raisons pour en détourner. (Y)


GANGRENES. f. terme de Chirurg. est la mort d'une partie, c'est-à-dire l'extinction ou l'abolition parfaite du sentiment & de toute action organique dans cette partie. Les auteurs mettent communément la gangrene au rang des tumeurs contre nature ; quoiqu'il y ait des gangrenes sans tuméfaction, comme Ambroise Paré, fameux chirurgien du xvj. siecle, l'avoit remarqué ; & c'est ce que les praticiens plus modernes ont reconnu par la division si utile qu'ils ont faite de la gangrene, en humide & en seche. L'on a aussi confondu la gangrene avec la pourriture. Cependant les parties peuvent être mortes sans être atteintes de putréfaction. Il est vrai que la pourriture dans bien des cas succede très-promtement à la mortification ; d'un autre côté la pourriture des chairs est toûjours accompagnée de mortification : mais la pourriture a des signes certains & très-sensibles, qui sont la dissolution putride & la puanteur cadavéreuse, qui ne se trouvent pas dans toutes les especes de gangrene. Il est donc important d'examiner cet état si différent suivant ses différentes causes, dont les effets variés produisent autant de maladies distinctes, qui fournissent des indications très-opposées.

La cause prochaine de la gangrene est l'extinction du principe vital dans les parties qui en sont atteintes. S'il y a de l'engorgement, la gangrene est humide. L'abondance des sucs arrêtés dans la partie qui tombe en mortification, est le caractere distinctif de cette gangrene. C'est l'engorgement qui la rend susceptible de pourriture, & qui est la principale source des indications particulieres que ce genre de gangrene fournit.

Les causes éloignées de la gangrene humide, sont les inflammations, l'étranglement, l'nfiltration, les contusions & stupéfactions, la morsure des bêtes venimeuses, le froid excessif, la brûlure & la pourriture. La gangrene seche vient ordinairement du défaut des sucs nourriciers.

De la gangrene par inflammation. La vie ne subsiste que par le cours des fluides des arteres dans les veines. Toute inflammation suppose un obstacle dans les extrémités artérielles, par le moyen duquel le passage du liquide, qui doit traverser les vaisseaux, est intercepté. Lorsque cet obstacle a lieu dans tous les vaisseaux d'une partie, le mouvement vital y est entierement aboli, elle tombe en gangrene. Les signes qui caractérisent cette espece de gangrene sont assez faciles à saisir. L'inflammation qui étoit l'état primitif de la maladie, diminue à mesure que l'engorgement devient excessif ; le jeu des arteres est empêché par le sang qui les remplit ; la chaleur s'affoiblit de plus en plus : elle ne suffit plus pour entretenir la fluidité du sang : la tumeur s'affaisse, la rougeur vive de l'inflammation devient plus foncée : les sucs stagnans se putréfient : la partie exhale une odeur fétide & cadavéreuse ; effets de la pourriture qui détruit les parties solides.

L'essentiel de la cure des inflammations qui tendent à dégénérer en gangrene par un engorgement extrême, est de débarrasser au-plutôt la partie malade. La diete & la saignée se présentent d'elles-mêmes pour satisfaire à cette intention ; mais lorsque ces secours poussés aussi loin qu'il est possible, ne réussissent pas, & qu'on voit la tumeur s'affaisser, la chaleur s'éteindre, la rougeur s'obscurcir, l'élasticité s'anéantir, les chairs devenir compactes & un peu pâteuses, qui sont les signes de la cessation de l'action organique des vaisseaux engorgés ; les saignées sont inutiles aussi-bien que les topiques, qui ne peuvent agir que par l'entremise de l'action des solides. Or dans ce cas les vaisseaux ont perdu toute action ; ils ne sont donc plus capables de déplacer les humeurs arrêtées. Les scarifications produisent alors un dégorgement efficace ; les cataplasmes résolutifs & antiputrides donnent aux vaisseaux le ton nécessaire pour détacher les parties mortifiées. Il se fait dans les parties vives une suppuration purulente ; les chairs animées se distinguent, & l'ulcere se cicatrise suivant la marche ordinaire que tient la nature dans la réunion des plaies avec perte de substance. Voyez INCARNATION & ULCERE.

M. Quesnay ne croit pas qu'il puisse survenir gangrene par excès d'inflammation simplement ; il pense que c'est plutôt la malignité qui accompagne l'inflammation ou les étranglemens qu'elle suscite, lorsqu'elle occupe ou qu'elle avoisine des parties nerveuses qui attirent cette gangrene.

A l'égard de la malignité qui accompagne les inflammations, il y en a une qui se déclare d'abord par l'extinction du principe vital : à peine l'inflammation se saisit-elle d'une partie, qu'elle la fait périr sur le champ. Les malades perdent presque tout-à-coup la sensibilité ; ils sont ordinairement assez tranquilles, le pouls est petit & sans vigueur ; il s'affoiblit peu-à-peu, & les malades périssent lorsque la gangrene est fort étendue. Il y a de la ressource lorsque cette sorte de gangrene est circonscrite & bornée à un certain espace. L'inflammation maligne qui la précede est causée par un hétérogene pernicieux répandu dans la masse des humeurs, & qui fait périr l'endroit où il se rassemble. L'indication qui se présente le plus naturellement, c'est de fortifier & de ranimer le principe vital affoibli & languissant, afin qu'il puisse résister à la malignité de l'humeur gangréneuse. Les saignées ne conviennent point dans ce cas, puisqu'elles diminuent la force de l'action organique : loin d'arrêter les effets funestes de cette malignité, elles peuvent au contraire les accélerer. C'est vraisemblablement, selon M. Quesnay, dans de pareils cas que Boerhaave dit que dans certaines inflammations épidémiques, on a vû les malades périr presqu'aussi-tôt qu'ils ont été saignés, & plus ou moins promtement, selon qu'on leur tiroit plus ou moins de sang. On ne doit donc pas trop legerement recourir à ce remede dans ces inflammations languissantes qui tendent si fort à la gangrene : il y a des exemples sans nombre de fievres malignes & pestilentielles, de petites véroles, & de fievres pourprées, & autres maladies inflammatoires causées par des substances malignes qui tendent immédiatement à éteindre le principe vital, dans lesquelles la saignée, si utile dans d'autres cas, n'a d'autre effet que celui d'accélerer la mort.

Les Chirurgiens qui voyent à découvert les effets de la malignité des inflammations dont il s'agit, pensent plutôt à défendre & à ranimer la partie mourante, qu'à répandre le sang du malade. Cependant si ces inflammations arrivent dans des corps pléthoriques, si elles ne dégénerent pas d'abord en gangrene, ou si elles sont fort ardentes, comme le sont souvent les érésipeles malignes, quelques saignées paroissent alors bien indiquées pour faciliter le jeu des vaisseaux, & tempérer un peu, s'il est possible, l'inflammation & la fievre ; mais lorsque la gangrene est décidée par l'oedématie pâteuse, accompagnée de phlyctaines & de taches livides, la saignée est inutile.

Il faut considérer ces inflammations sous deux états différens ; savoir, lorsqu'elles font encore du progrès, & lorsqu'elles sont entierement dégénérées en gangrene. Dans le premier état, loin de s'opposer au progrès de cette inflammation, il faut la ranimer ; elle dépend d'une cause maligne qu'on doit laisser déposer entierement. On se sert avec succès des topiques résolutifs fort actifs, & quelquefois même des sinapismes les plus animés. Lorsque la mortification s'est emparée de la partie qui a été frappée d'inflammation maligne, il faut soûtenir les forces du malade par des cordiaux ; & s'il reste de l'espérance pour la vie, on pense à procurer la séparation des chairs mortes d'avec les chairs vives. Cette séparation dépend plus de la nature que de l'art ; on favorise l'action vitale en emportant une partie des escares gangréneuses, sans intéresser les chairs vives, en touchant la circonférence des chairs mortes avec une dissolution de mercure dans l'esprit de nitre ; c'est un remede que Belloste vantoit beaucoup. Son efficacité vient de ce qu'il raffermit l'escare, & qu'il suscite au bord des chairs vives voisines une petite inflammation, d'où résulte une suppuration purulente bien conditionnée, par laquelle se doit faire la séparation du mort d'avec le vif. Ce procédé, ou tout autre équivalent, a lieu dans toutes les gangrenes de causes humorales bornées, pour appeller la suppuration lorsqu'elle ne se déclare point, ou qu'elle est languissante.

L'étranglement est une des principales causes de la gangrene, & c'est celle qui a été le plus ignorée. M. Quesnay en a parlé savamment dans son traité de la gangrene ; on range sous le genre d'étranglement toutes les causes capables de comprimer ou de serrer assez les vaisseaux pour y arrêter le cours des liquides. Les anciens ne rapportoient à ce genre de cause que les compressions sensibles, qui empêchoient la distribution du sang ou des esprits dans une partie, comme une forte ligature, une tumeur, un of de plaie, ou une autre cause sensible qui comprimoit les nerfs ou les arteres d'une partie.

Les étranglemens qui arrêtent le sang dans les veines, peuvent être suivis d'engorgemens prodigieux, sans inflammation considérable ; M. Vanswieten rapporte d'après Boerhaave, le cas d'un jeune homme qui s'endormit les coudes appuyés sur la fenêtre étant ivre. Ses jarretieres étoient si étroitement serrées, que le sang retenu avoit enflé les jambes ; le mouvement vital des humeurs ayant entierement été suffoqué, la gangrene survint ; elle gagna promtement les deux cuisses, & causa la mort.

Les étranglemens capables de causer la gangrene, ne sont pas même toûjours accompagnés d'engorgemens bien sensibles ; l'inflammation qui se fait sur les parties aponévrotiques ne produit pas une tuméfaction apparente : mais les arteres étranglées ne portent bien-tôt plus les sucs nourriciers à la partie ; elle devient oedémateuse, parce que les sucs graisseux sont arrêtés par l'extinction de la vie ou de l'action organique. Ces sucs croupissant se dépravent, & détruisent promtement le foible tissu qui les contient. L'espece de gangrene cachée dont nous parlons, est fort redoutable, parce qu'elle s'étend, sans presque qu'on s'en apperçoive, fort au loin dans les tissus graisseux.

C'est l'étranglement qui rend les plaies des parties nerveuses & aponévrotiques si dangereuses. On a commis des fautes considérables dans la pratique, parce qu'on n'a pas connu la véritable cause de ces desordres, & qu'on a ignoré qu'ils fussent l'effet d'un étranglement causé par la construction des parties blessées. On s'étoit bien apperçu qu'en débridant par des incisions assez étendues une aponévrose blessée, les enflures qui dépendoient de cette plaie se dissipoient aussi sûrement, que celles qui sont causées par des ligatures trop serrées, se dissipent facilement lorsqu'on coupe ces ligatures. Mais combien de fois n'a-t-on pas reconnu cette cause, en attribuant les accidens à un vice des humeurs, ou à un excès d'inflammation, pour lequel on croyoit avoir épuisé les ressources de l'art, en faisant de grandes scarifications sur la partie tuméfiée consécutivement, lorsqu'il auroit suffi de faire un leger débridement aux parties membraneuses qui occasionnoient tout le desordre par leur tension ? Une piquûre d'épine au doigt, forme une plaie imperceptible, qui suscite des étranglemens suivis d'engorgemens gangreneux très-funestes. Les morsures des animaux produisent souvent les mêmes effets, surtout lorsqu'elles sont petites : on a imaginé que l'animal portoit dans la plaie quelque malignité particuliere. Cependant nous avons les exemples de morsures très-considérables qui n'ont eu aucunes suites fâcheuses, sans-doute parce que la grande déchirure ne donne pas lieu à l'étranglement comme une plaie étroite. Les sucs qui s'épanchent dans ces sortes de plaies, & qui n'ont point d'issue, le dépravent aussi sur les parties nerveuses ; ils les irritent, & excitent des étranglemens qui seroient bien-tôt suivis d'engorgemens prodigieux, si l'on ne procuroit pas un écoulement à ces sucs épanchés.

On voit que le point essentiel dans la cure des étranglemens est de lever l'obstacle que la tension des parties met au libre cours du sang. C'est aux connoissances anatomiques bien précises, à éclairer le chirurgien sur ces cas, & à diriger ses opérations ; s'il ne connoît pas bien toutes les cloisons que les parties membraneuses & aponévrotiques fournissent aux muscles des parties engorgées, il risquera d'opérer au hasard & infructueusement.

Quand l'étranglement est levé, il reste encore à satisfaire aux indications de l'engorgement qu'il a causé ; & elles sont différentes, selon les différens états ou les différens degrés où il est parvenu. Si les sucs arrêtés n'ont point encore perdu leur chaleur & leur fluidité, ni affoibli l'action organique des solides, dès qu'il n'y a plus d'obstacle à la circulation, la partie engorgée peut se débarrasser facilement : on peut aider l'action des vaisseaux par des fomentations avec le vin aromatique ou l'eau-de-vie camphrée. Mais si l'action organique du tissu cellulaire est entierement éteinte, on ne doit plus espérer de dégorgement par la résolution ; il ne se peut faire que par la suppuration ; & dans ce cas, la suppuration même ne peut se faire que par la pourriture. Or il est extrêmement dangereux d'attendre qu'une suppuration putride s'ouvre elle-même une voie, parce qu'elle fait un grand progrès dans la partie avant que d'avoir fourni à l'extérieur une issue suffisante aux sucs arrêtés & aux tissus cellulaires tombés en mortification. Il faut donc hâter ce dégorgement par des scarifications qui penetrent le tissu des parties, & qu'elles soient assez étendues, pour emporter facilement par lambeaux ce tissu, dès que la suppuration commencera à la corrompre & à la détacher. On peut favoriser ce commencement de pourriture par les suppuratifs & digestifs ; mais à mesure qu'ils produiront leur effet, il faut que le Chirurgien soit attentif à emporter tout le tissu qui commencera à s'attendrir par la pourriture, & à pouvoir être détaché facilement. On voit bien qu'on procure ici la pourriture des débris du tissu cellulaire, pour prévenir celle de toute la partie. C'est un mal qui sert de remede ; on fait usage de la pourriture pour en prévenir les mauvaises suites. Lorsqu'on aura à-peu-près toutes les graisses que la suppuration devoit détruire, on se sert de digestifs moins pourrissans ; on les anime par le mélange de substances balsamiques & antiputrides, telles que l'onguent de stirax, le camphre, l'esprit de térébenthine, &c. On travaille ensuite à déterger l'ulcere. Voyez DETERSIF.

Si la mortification avoit fait des progrès irréparables, & que tout le membre en fût attaqué, cet état connu sous le nom de sphacele, exige l'amputation. Voyez SPHACELE & AMPUTATION.

L'infiltration des humeurs cause la gangrene en suffoquant le principe vital par la gêne de la circulation ; le sang épanché dans les cellules du tissu adipeux à l'occasion de la plaie d'une veine ou d'une artere, occasionne par sa masse une compression sur les vaisseaux qui intercepte le cours du sang. Cela arrive principalement dans l'anevrysme faux, si l'on n'a pas recours assez promtement aux moyens que l'art indique. Voyez ANEVRYSME. La collection de lymphe sereuse dans les oedemes des cuisses, des jambes & du scrotum, attire la gangrene sur ces parties, en les macérant, & y éteignant insensiblement le principe vital : quelquefois cette eau devient acrimonieuse. Le pannicule adipeux considérablement distendu se corrompt facilement, sur-tout lorsque l'air a quelque accès dans la partie à l'occasion de scarifications faites imprudemment pour l'évacuation des humeurs infiltrées. Il faut se contenter de trois legeres mouchetures qui n'intéressent que l'épiderme ; on applique des compresses avec l'eau de chaux qui est un excellent antiseptique ; la matiere s'évacue, la partie reprend son ressort, & l'on ne craint point la gangrene. Lorsque par quelque occasion que ce soit, la gangrene survient aux oedemes, ce n'est point la croûte gangréneuse qu'il faut scarifier. On fera sur la partie les legeres mouchetures que je viens d'indiquer pour la cure radicale de la maladie, & l'on aura recours aux cataplasmes faits avec les farines résolutives cuites dans l'oximel, ou avec ces farines & les poudres de plantes aromatiques cuites dans du vin. Ces cataplasmes conservent plus la chaleur qu'on leur donne que de simples fomentations, & il faut les étendre fort épais. Ils se refroidissent facilement par l'écoulement de l'humeur qui forme l'oedeme ; aussi recommande-t-on bien dans ces cas d'entretenir la chaleur des médicamens par quelques bouteilles d'eau bouillante, des linges & des briques chaudes, placées proche de la partie malade, ou des sachets remplis de sable échauffé. Les parties débarrassées de la lymphe reprenant du ressort, il se fait à la circonférence de l'escare une suppuration purulente qui détache ce qui est gangrené. Le chirurgien seconde la nature, & conduit le malade à une parfaite guérison par les moyens que nous avons déjà indiqués.

Dans les contusions, le froissement des chairs affoiblit ou détruit l'action organique des vaisseaux. Si l'organisation des chairs est entierement ruinée, ces parties doivent être déjà regardées comme mortes, c'est-à-dire gangrenées ; leur substance écrasée se laisse pénétrer & remplir excessivement de sucs, dont la corruption attire bien-tôt celle de toute la partie. C'est le seul cas où l'engorgement succede à la gangrene. La contusion est souvent accompagnée de commotion ; c'est-à-dire d'un ébranlement interne & violent, qui s'étend quelquefois fort loin dans les nerfs, & qui ralentit le mouvement des esprits. La stupeur que produit cette commotion suspend l'action des vaisseaux, & interdit la circulation dans toute la partie frappée. Cet accident est d'une grande considération dans les plaies d'armes-à-feu. L'effet de la commotion ne se borne pas toûjours à la partie blessée ; elle se communique quelquefois par le moyen du genre nerveux jusqu'au cerveau, & en dérange les fonctions. Les sucs arrêtés dans les chairs mortes ou stupéfiées, ne sont plus défendus contre la pourriture par l'action des vaisseaux. Ces sucs pervertis irritent les parties nerveuses, & suscitent quelquefois des étranglemens, suivis d'un engorgement gangreneux. Nous avons parlé de cette cause de gangrene. Il suffit de remarquer ici que souvent c'est la dépravation des sucs, qui seule fait périr immédiatement les parties engorgées ; parce que les sucs corrompus irritent, enflamment & éteignent le principe vital. La contagion putride contribue ensuite aux progrès de la gangrene, en infectant les sucs des chairs voisines ; progrès que l'action vigoureuse des vaisseaux pourroit empêcher : mais cette action est affoiblie dans les parties qui ont souffert commotion ; aussi la gangrene fait-elle des progrès fort rapides dans cette complication de causes.

Dans toutes les gangrenes humides, il faut procurer l'évacuation des sucs corrompus, & emporter les chairs qui ne sont pas en état de pouvoir être revivifiées. Quelque précieuse que soit la partie, les chairs mortes ne prescrivent aucun ménagement ; elles n'appartiennent plus au corps vivant, elles ne peuvent plus par leur séjour que lui être nuisibles à cause de l'infection & de la malignité de la pourriture. Ce sera sur ces vûes générales que le chirurgien dirigera ses opérations. Si le voisinage de quelque partie qu'il seroit dangereux d'intéresser, l'empêche d'emporter bien exactement les parties corrompues, il doit défendre ce qui en reste par le moyen des anti-putrides les plus pénétrans & les plus puissans. Le sel ammoniac & le sel marin sont des dissolvans anti-putrides, qui prouvent efficacement le dégorgement des chairs. On peut aussi réduire les chairs en escares, par le feu, l'huile bouillante, des esprits acides concentrés, seuls ou dulcifiés avec l'esprit-de-vin, suivant les parties sur lesquelles on doit les appliquer. L'huile de térébenthine suffit pour le cerveau, &c. L'inflammation des parties circonvoisines, & l'établissement d'une bonne suppuration, donnent des espérances qu'on pourra conserver le membre. Lorsque le desordre est fort considérable dans les of & dans les chairs, les accidens viennent quelquefois si brusquement & sont si funestes, qu'on se repent de n'avoir pas emporté le membre. Il est certain qu'on risque souvent la vie du malade, en voulant éviter l'opération ; & il n'est pas douteux qu'on ampute beaucoup de membres qu'on auroit pû guérir. Dans les cas mêmes où l'opération est nécessaire, il y en a qui exigent que l'amputation ne soit pas faite sur le champ. L'académie royale de Chirurgie a cru cette question très-importante ; elle en a fait le sujet d'un prix. Les auteurs qui ont concouru, ont exposé une fort bonne doctrine sur ce point délicat, qu'il faudra lire dans le troisieme volume des mémoires des prix de cette académie.

La stupeur est un effet des corps contondans, qui frappent avec beaucoup de violence. Cet accident, auquel on sera dorénavant plus attentif dans la cure des plaies d'armes-à-feu, depuis les solides réflexions qu'on doit à M. Quesnay, prescrit de la modération dans les incisions. On croit souvent avoir bien débridé une plaie par de grandes incisions extérieures, qui ne l'est point-du-tout ; parce que l'on n'a point eu d'égard aux parties tendues & qui brident dans le trajet du coup. C'est en portant le doigt dans la plaie, qu'on juge s'il n'y a point d'étranglement ; & il y a des personnes qui n'en veulent juger que par la vûe. La stupeur exige des remedes pénétrans & fortifians ; des cataplasmes vulnéraires & aromatiques. S'il survient engorgement qui oblige à faire quelques scarifications, elles doivent se borner aux graisses, & être disposées de la façon la plus favorable à procurer le dégorgement.

La morsure des animaux venimeux produit la gangrene par la faculté déletere du virus, manifestée par le grand abattement, les syncopes, les sueurs froides, les vomissemens, les ardeurs d'entrailles qui accompagnent la morsure de la plûpart des serpens. Dans la partie blessée, il y a une douleur fort vive, avec douleur, tension & inflammation, qui dégénerent en une mollesse oedémateuse. Il se forme de grandes taches d'un rouge violet très-foncé, qui annoncent une mortification prochaine.

Les desordres qui troublent toute l'économie animale, dépendent de l'impression funeste que fait le venin sur le genre nerveux. Cette pernicieuse substance attaque directement le principe de la vie ; aussi n'a-t-on pas cru qu'il y ait d'autre indication à remplir dans la cure de ces plaies, que de combattre la malignité du venin par des remedes pris intérieurement, & appliqués extérieurement. Les anciens, dans la piquûre de la vipere, faisoient prendre une forte dose des sels volatils & de la poudre de vipere, & frottoient la blessure avec des eaux thériacales & spiritueuses. L'alkali volatil passe actuellement pour un spécifique contre cette morsure. M. Quesnay examine à fond, dans son traité de la gangrene, toutes les cures empyriques des morsures faites par des animaux venimeux. Peut-être réussiroit-on mieux par un procédé méthodique, en s'attachant aux indications prises de l'état manifeste de la tumeur, plutôt que de la cause particuliere qui la produit. Les accidens paroissant un effet de l'étranglement des incisions, aussi profondes que les piquûres faites par les dents de l'animal, changeroient la nature de la plaie & pourroient empêcher l'action du virus. Ambroise Paré proposoit le cautere actuel, ou le potenciel. Tous les grands praticiens ont recommandé cette méthode. Il faut essentiellement observer si la morsure n'est point placée dans un endroit où quelque aponévrose ou tendon pourroit avoir été piqué ; car une telle piquûre seroit aussi dangereuse que le venin ; & alors, comme l'observe judicieusement M. Quesnay, la maniere ordinaire de traiter ces morsures ne réussiroit certainement pas seule. Toutes les réflexions rappellent à donner la préférence à la cure rationelle sur l'empyrique.

Le froid cause la gangrene, en congelant les sucs dans les vaisseaux. Il n'est pas même nécessaire que nos parties soient exposées à un froid trop vif, pour que les liqueurs s'arrêtent. Les repercussifs employés indiscrettement sur une partie enflammée, y causent la gangrene. Plusieurs personnes ont été attaquées d'une esquinancie gangreneuse, pour avoir bû de l'eau fraîche étant fort échauffées. Ambroise Paré rapporte qu'il a vû un si grand froid, que des malades couchés à l'Hôtel-Dieu eurent le nez mortifié sans aucune pourriture. Il le coupa à quatre, deux guérirent. Ce n'étoit point l'amputation de la partie gelée qu'il falloit faire dans ce cas ; il falloit avoir recours à l'expédient dont se servent les habitans des pays septentrionaux, où ces sortes de maux sont assez fréquens. Fabrice de Hilden dit qu'en retournant le soir à leur maison, ils se frottent d'abord les mains de neige, les extrémités du nez & les oreilles, avant que d'approcher du feu ; s'ils se chauffoient sans cette précaution, les parties saisies du froid tomberoient en pourriture. C'est ce qu'on voit arriver aux pommes gelées ; si on les approche du feu & qu'on les laisse geler une seconde fois, elles perdent tout leur goût & se corrompent bien-tôt : si au contraire on les plonge à plusieurs reprises dans de l'eau très-froide, étant ensuite bien essuyées & bien séchées, elles jouissent encore de leur premiere saveur, & peuvent être long-tems conservées. L'application de la neige ou de l'eau froide fait sortir les particules frigorifiques que la chaleur mettroit en mouvement, & qui détruiroit par-là le tissu des vaisseaux de la partie dans laquelle elles ont pénétré.

Fabrice de Hilden raconte qu'un voyageur qui étoit tombé roide de froid dans un chemin, ayant été porté à une hôtellerie comme un homme presque mort, fut sur le champ plongé par l'aubergiste dans de l'eau froide. Ayant après cela avalé un grand verre d'hydromel, avec de la canelle, du maïs & du gérofle, réduits en poudre, on le mit au lit pour provoquer la sueur. Il recouvra la santé, ayant cependant perdu les derniers phalanges des piés & des mains. On peut donc espérer de revivifier une partie actuellement saisie de froid ; & l'expérience a découvert une voie à laquelle la théorie n'auroit peut-être jamais conduit. Suivant le grand axiome que les maladies guérissent par leur contraire, la chaleur auroit paru seule capable de dissiper un mal que produit un froid actuel : mais toutes les voies de la circulation étant fermées, la raréfaction des sucs retenus trop étroitement romproit les vaisseaux, & feroit périr la partie qu'on voudroit dégeler, avant que les sucs fussent en état de passer librement dans les vaisseaux voisins.

La brûlure un peu profonde attire une inflammation fort vive autour des parties que le feu a détruites, & un engorgement, que le défaut d'action dans les solides ne peut pas faire suppurer. Les sucs arrêtés se dépravent, & deviennent fort susceptibles de pourriture. Il faut dans ce cas, à raison de la vive douleur, joindre aux remedes adoucissans des anodyns volatils & un peu actifs, comme le camphre, les fleurs de sureau. Les oignons cuits corrigent la suppuration putride ; l'esprit-de-vin est employé utilement pour résister à la pourriture. On suit d'ailleurs dans ces cas les indications générales, qui sont de faire dégorger par les scarifications, les sucs arrêtés dans les chairs mortes, ou prêtes à tomber en mortification ; de procurer la séparation des escares, en excitant une suppuration purulente dans les chairs vives.

La pourriture qui précede la gangrene humide, en est la principale cause. Lorsqu'elle vient de la dissolution putride de la masse des humeurs, les malades périssent en peu de jours. Les sucs vicieux & putrides que fournissent les vieux ulceres cacoethes, sont aussi une cause de gangrene, qu'on reprime par des détersifs irritans, lorsqu'ils dependent du vice local. L'eau phagedénique, l'aegyptiac, le sublimé corrosif, détruisent les chairs gangrenées. Les anciens avoient recours au feu pour cautériser les mauvaises chairs.

Les ulceres scorbutiques sont fort sujets à la gangrene. Les remedes anti-scorbutiques doivent être pris intérieurement pour corriger le vice de la masse du sang ; & l'on panse aussi avec grand succès les ulceres, dont on touche les chairs gangreneuses avec l'esprit ardent des plantes anti-scorbutiques, & les couvrant ensuite de remedes anti-putrides ordinaires.

Nous parlerons des hernies avec gangrene au mot HERNIE.

La gangrene seche est celle qui n'est point accompagnée d'engorgement, & qui est suivie d'un desséchement, qui préserve la partie morte de tomber en dissolution putride ; la partie commence à devenir froide ; la chaleur cesse avec le jeu des arteres ; ces vaisseaux se resserrent par leur propre ressort ; les chairs mortifiées deviennent plus fermes, plus coriaces, & plus difficiles à couper que les chairs vives. Les parties sont mortes bien auparavant qu'elles ne se dessechent. J'ai vû emporter plusieurs membres beaucoup plus haut que ce qui en paroissoit gangrené. Les malades ne sentoient rien ; les chairs étoient sans pourriture, comme celles d'un homme récemment mort ; il ne sortit qu'un peu de sang noirâtre. Les malades éprouvent quelquefois un sentiment de chaleur brûlante, quoique la partie soit actuellement froide ; quelquefois ils sentent un froid très-douloureux ; & il y a des gangrenes seches qui s'emparent d'une partie sans y causer de douleur. Les malades s'apperçoivent seulement d'un sentiment de pesanteur & d'engourdissement. Cette maladie peut venir de la paralysie des arteres. M. Boerhaave parle d'un jeune homme qui avoit eu l'artere axillaire coupée. Son bras étoit devenu sec & aride, ensorte qu'il étoit en tout semblable à une momie d'Egypte.

Le progrès des gangrenes seches est ordinairement fort lent : quelquefois il est très-rapide. Il y a des gangrenes seches critiques ; elles sont salutaires, lorsqu'elles se placent avantageusement & qu'elles ne s'étendent pas trop ; car il est impossible d'en arrêter le progrès. L'amputation ne peut avoir lieu qu'après que toute la cause morbifique est déposée, que la mortification s'est fixée, & qu'on en connoît manifestement les bornes.

Parmi les causes qui éteignent l'action organique des vaisseaux artériels, & qui par cette extinction causent ensuite la perte de la partie, il y en a qui s'introduisent par la voie des alimens ; tel est l'usage du blé ergoté : le virus vénérien & le scorbutique produisent assez souvent de pareilles gangrenes. Les causes des maladies aiguës en se portant sur une partie, peuvent la faire tomber subitement en mortification, sans y causer aucun engorgement ni inflammation précédente.

Cette maladie présente trois indications générales : prévenir le mal, en arrêter les accidens, le guérir lorsqu'il est arrivé.

L'épuisement & la caducité qui donnent lieu à cette maladie dans les vieillards, n'empruntent de la Médecine que quelques remedes fortifians, presque toûjours assez inutiles. On peut opposer au vice vénérien le spécifique connu, & l'on peut combattre avec avantage les causes qui dépendent de tout autre vice humoral, qui éteint immédiatement l'action organique des vaisseaux artériels d'une partie ; j'entends parler de l'usage du quinquina. Des auteurs respectables assûrent que les essais qu'on a faits en France de ce remede, n'ont que confirmé les succès équivoques, rapportés dans les observations qu'on a rendues publiques en Angleterre.

Les succès seroient équivoques, si les auteurs ne nous avoient communiqué les cures qu'ils ont faites que pour se faire honneur du succès, si l'on ne voyoit pas des observateurs attentifs à démêler les effets de la nature d'avec ceux de l'art, & qu'ils n'eussent pas exposés scrupuleusement plusieurs phénomenes, sur lesquels ils ont connu qu'il étoit important d'être éclairés. Le quinquina donne du ressort aux vaisseaux, il corrige dans le sang les sucs putrides, qui sont les causes de la gangrene. C'est M. Rushworth chirurgien à Northampton, qui a fait cette découverte en 1715. MM. Amyand & Douglas, chirurgiens de Londres, ont confirmé la vertu de ce remede. M. Shipton aussi chirurgien anglois, a parlé dans les transactions philosophiques, des bons effets qu'il lui a vû produire. On lit dans les essais de la société d'Edimbourg, plusieurs observations sur l'efficacité du quinquina dans la gangrene interne : l'on y voit l'interruption de l'usage du remede marquée par un ralentissement de séparation dans les escares, & cette séparation se rétablir en reprenant le quinquina. Dans un autre malade, toutes les fois qu'il arrivoit qu'on laissoit plus de huit heures d'intervalle entre chaque prise de quinquina, on étoit sûr de trouver une suppuration moins abondante & d'une plus mauvaise qualité. M. Monro a confirmé cette observation par sa propre expérience, & il a étendu l'usage du quinquina à beaucoup de cas, en conséquence d'effets si marqués, qu'on ne peut établir aucun doute pour les infirmer. On ne doit point toucher aux escares ; c'est à la nature à les détacher ; les tentatives indiscrettes sont dangereuses. On irrite les chairs vives, & la gangrene seche qui n'est pas contagieuse, peut le devenir ; & au lieu d'arrêter la mortification, on contribue à ses progrès. Les chairs vives découvertes doivent être pansées avec les digestifs balsamiques, comme toutes les plaies avec perte de substance. On peut aider à la séparation du membre, & même accélérer cette opération de la nature, en coupant le membre qui embarrasse au-dessous de la ligne de séparation, & préservant le moignon de pourriture avec des remedes balsamiques. Le bout du moignon se séparera comme une escare, & plus facilement que le membre entier. On doit lire principalement, sur la gangrene, le traité de Fabricius Hildanus ; les commentaires de M. Vanswieten sur les aphorismes de Boerhaave, & le traité de M. Quesnay. (Y)

GANGRENE, (Manége & Maréchall.) Voyez sa définition à l'article précédent.

Cette maladie est infiniment moins funeste & moins commune dans le cheval que dans l'homme, dont les humeurs, conséquemment à un mauvais régime & aux différentes impuretés fournies par les substances souvent nuisibles dont il se nourrit, sont exposées à divers genres de dépravation & de perversion que nous n'observons point dans les fluides de l'animal.

Nous ne la considérerons ici que sous le caractere distinctif de gangrene humide, produite par des causes extérieures, & capables par elles-mêmes de priver une partie des sucs qui l'entretiennent ; telles sont les ligatures, les étranglemens, les compressions sur quelques vaisseaux considérables : ou de la suffoquer & d'éteindre en elle le mouvement & la vie ; tels sont un air pestilentiel qui occasionne des charbons, & la morsure des bêtes venimeuses : ou de la détruire enfin ; telles sont les fortes contusions & les brûlures.

Les effets de ces causes qui réduisent plus ou moins promtement la partie affligée à un véritable état de mort, se manifestent différemment.

Supposons un obstacle à la liberté du mouvement circulaire, à l'occasion d'une ligature extrêmement serrée, ou de la formation d'une tumeur dure & voisine de quelques gros tuyaux, ou du déplacement d'un os, ou de l'étranglement que peuvent éprouver des vaisseaux, conséquemment à une irritation & à une inflammation des parties nerveuses ou membraneuses. Si cet obstacle intercepte totalement le passage des liqueurs dans le canal artériel & dans le canal veineux, la partie perd bien-tôt le mouvement, la chaleur, & même le sentiment, dans le cas où le nerf se ressent de la compression. Le gonflement qui survient est médiocre ; la peau & les chairs sont molles & dénuées d'élasticité ; le poil tombe, l'épiderme se sépare, on apperçoit un suintement d'une sérosité putréfiée, enfin une couleur verdâtre ou livide, & une puanteur cadavéreuse, annoncent la mortification absolue. Au contraire si l'empêchement est tel que le sang puisse encore se frayer une route par la voie des arteres, l'engorgement a d'abord lieu dans les veines, une moindre opposition suffisant pour arrêter ce fluide dans son retour ; il s'y accumule, il force ces tuyaux, & les artériels ensuite ; l'enflure & la douleur sont excessives, la chaleur subsiste & se maintient dans la partie, tant que les pulsations du coeur & l'action des arteres peuvent y influer, & l'inflammation est véritable & réelle : mais quelque tems après la vie s'éteint totalement, les humeurs croupies se putréfient, les fibres tombent en dissolution, & l'épiderme enlevé nous présente une peau & des chairs dans une entiere pourriture. Il arrive aussi quelquefois, & le plus souvent dans les étranglemens produits par l'irritation d'une partie membraneuse ou aponévrotique, ainsi qu'on l'observe dans certaines blessures, que les arteres conservent assez de mouvement & de jeu pour déterminer une suppuration : alors il se forme des dépôts, des fusées, & la gangrene ne se montre qu'en quelques points de la portion qui est affectée.

Celle qui suit la morsure des bêtes venimeuses n'offre pas d'abord les mêmes symptomes ; la substance ou l'humeur maligne, qui est introduite & versée dans la plaie, fait une impression subite sur les fluides & sur les solides ; elle coagule les uns, elle irrite & crispe les autres : de-là la douleur, la tension & la promte inflammation de la partie ; tandis que d'une autre part le venin se dispersant & s'insinuant dans la masse, porte dans l'économie animale un trouble que décelent un grand abattement, des syncopes, des sueurs froides, quelquefois des tranchées & un dérangement dans toutes les secrétions, également produit par l'éréthisme des solides & par l'état des liqueurs. C'est à ces divers accidens qu'il est possible de distinguer dans l'animal, privé de la faculté de se plaindre, la cause & la nature du mal, sur lequel il n'est plus permis de former aucun doute, lorsque l'enflure subsistant malgré la diminution de la tension & de la douleur, la partie lesée devient froide, molle, pâteuse, & d'un rouge extrêmement foncé en plusieurs endroits.

Les charbons causés par la peste sont toûjours accompagnés d'une escare, que l'on doit envisager comme une portion gangrenée. Cette gangrene a sa source dans l'acrimonie très-active des corpuscules pestilentiels, mêlés avec les humeurs, & qui se déposent particulierement en un lieu quelconque. Là ils suscitent aussi-tôt la douleur, la tension & l'inflammation, à laquelle nous voyons succéder la pourriture & la mort de toute la partie sur laquelle le virus s'est spécialement fixé.

Dans les fortes contusions, d'un côté les solides sont écrasés & dénués de leur ressort & de leur élasticité ordinaires ; de l'autre les fluides extravasés entre les fibres dilacerées & macerées, croupissent au point de se pervertir totalement. Si cet accident ne cede point à l'action des résolutifs, ou des autres moyens par lesquels on pourroit tenter d'y remédier, il n'est pas douteux que la douleur & la chaleur s'évanoüiront, & que l'inflammation dégénérera en une mollesse oedémateuse, à laquelle nous ne pouvons méconnoître une gangrene commençante, suivie de beaucoup plus d'humidité que les autres, attendu l'abord & l'accumulation continuelle des sucs, que la partie, dont l'action organique est en quelque façon abolie, ne sauroit dominer & renvoyer.

Enfin, de tous ces différens agens pernicieux, celui qui agit le plus simplement, est le feu. En même tems qu'il crispe & qu'il resserre les parties molles, il raréfie les fluides, il en dissipe les parties les plus subtiles ; les plus grossieres restent, elles se coagulent, elles se fixent dans les vaisseaux, dont les fibres sont elles-mêmes tellement resserrées, qu'elles ne font plus avec cette matiere coagulée qu'une masse informe. Les parties voisines de cette masse se ressentent aussi de l'impression de ce corps brûlant ; elles éprouvent une inflammation, un engorgement, qui portant atteinte à leur jeu, ne leur permettent pas de changer en un pus loüable les sucs arrêtés, & contribuent à une mortification qui ne differe en rien, par son caractere & par ses suites, d'une gangrene véritablement humide.

La connoissance de la maniere dont une cause morbifique affecte & frappe une partie, & de l'état de cette même partie, conséquemment à l'effet de cette cause, conduit aisément à celle des ressources que l'art nous suggere & nous fournit pour aider la nature, & pour triompher des obstacles qui peuvent en gêner les opérations.

Dans la circonstance de l'interruption de la circulation, ou l'on ôtera les ligatures, ou l'on remettra l'os déplacé qui comprime, ou l'on débridera les membranes tendues & crispées d'où résulte l'étranglement ; ou l'on détruira la tumeur qui produit le mal, si elle n'est pas intérieure, inaccessible, & pourvû qu'elle n'adhere pas à quelque vaisseau qu'il seroit dangereux d'intéresser ; à moins qu'on ne veuille, après avoir vainement recouru à des fondans, toûjours inefficaces en pareil cas, risquer une extirpation, qui ne peut à la vérité avoir des suites plus fâcheuses que celles d'une compression, qui occasionnera inévitablement la perte d'un membre que nous n'aurons sans-doute garde d'amputer, dans le dessein & dans l'espérance de conserver les jours d'un animal dès-lors inutile.

S'il s'agit d'une gangrene qui se manifeste ensuite de la morsure d'une bête venimeuse, ce qui prouve que la blessure a été négligée dans les commencemens, il est fort à craindre que les ravages & les desordres que le venin a produits, tant au-dedans qu'au-dehors, ne rendent tous nos secours infructueux : on fera néanmoins des scarifications jusqu'au vif, à l'effet de favoriser l'évacuation des humeurs coagulées ; & l'action des médicamens aromatiques & spiritueux, qui, s'ils pénetrent très-avant, amortiront peut-être celle de la liqueur funeste qui a été introduite dans la plaie, ranimeront les parties qui sont encore susceptibles d'oscillations & des mouvemens, & pourront borner ainsi le cours de la contagion.

A l'égard de la pourriture qui arrive après des charbons pestilentiels, la cautérisation est la voie la plus courte & la plus sûre d'en arrêter le progrès, & de surmonter les effets du virus qui la provoque. On doit d'abord ouvrir la tumeur, quand elle est en état d'être ouverte, par un bouton de feu appliqué vivement, & de maniere qu'il se fraye une route jusque dans le centre & dans le foyer. Lorsque la suppuration est bien établie, on peut la cerner avec quelques raies de feu donné en façon de rayons, afin de limiter l'escare, d'en accélérer & d'en faciliter la chûte, par l'abondance de la matiere suppurée dont le flux succede à cette application. Nous ne parlons point au surplus ici du traitement intérieur qu'exige cette maladie, & qui principalement dans ce cas, ainsi que dans le précédent, consiste dans l'administration des médicamens alexiteres & cordiaux, capables d'atténuer le sang & les humeurs, & de faire passer par la voie de la transpiration & des urines, ce qui pourroit les fixer de plus en plus.

Quant à la gangrene par contusion, il n'importe pas moins de solliciter la séparation des parties mortes & l'écoulement de tous les sucs putréfiés. On pourra y parvenir en soûtenant & en augmentant l'action des parties voisines par des remedes spiritueux, en même tems que par d'amples scarifications. On ménagera à ces mêmes remedes les moyens de faire des impressions salutaires & profondes ; aux sucs extravasés, ceux de s'évacuer ; & aux parties saines, ceux d'occasionner promtement la chûte des fibres détruites.

Enfin dans la gangrene par brûlure on aura attention de mettre des défensifs, tels que ceux qui résultent des médicamens savonneux mêlés avec le vin, sur les portions qui avoisinent la partie brûlée, tandis qu'on employera sur celle-ci des émolliens & des suppuratifs pour hâter la séparation du mort d'avec le vif par une suppuration purulente, qui, trop tardive quelquefois, nous impose l'obligation de faire dégorger par des taillades les sucs arrêtés dans les chairs mortes, & de la provoquer par ce moyen.

Tels sont les remedes auxquels nous avons recours dans toutes les affections gangreneuses qui procedent des causes externes. Il en est d'autres qui tendent à regénérer les chairs, à les dessécher, à les cicatriser ; à détruire des dépôts ; à fortifier les parties après la cure, à les assouplir, à les rétablir dans leur mouvement & dans leur jeu. Mais outre que tous ces objets nous entraîneroient trop loin, il seroit assez difficile de tracer sur ces points divers, des regles certaines, chaque cas exigeant quelques différences dans le traitement ; ce qui constitue conséquemment le maréchal dans la nécessité de faire usage des lumieres particulieres qu'il doit avoir, ou qu'on ne sauroit trop le presser d'acquérir.


GANGUE(Hist. nat. minéral.) Ce nom est allemand, & signifie en cette langue filon ou veine métallique. Il a été adopté par les naturalistes françois, pour désigner la pierre ou substance qui sert d'enveloppe ou de matrice au minéral, & de laquelle on le sépare quand on veut en faire l'exploitation, & traiter le mineral dans les travaux de la Métallurgie. On sent que cette pierre varie considérablement, étant tantôt du quartz, tantôt du spath, de l'ardoise, de la pierre à chaux, &c. (-)


GANJAM(Géogr.) ville commerçante d'Asie dans le Mogolistan, à 34 lieues de Bampour. Sa grandeur est médiocre, ses rues sont étroites & mal disposées ; mais le peuple y est nombreux. Elle est située à la hauteur de 19d 30' nord, sur une petite élevation le long du Tapete, à un quart de lieue de son embouchure.

Ganjam est célébre par sa pagode, qui est une tour de pierre massive, de figure polygone, haute d'environ 80 piés, sur 30 à 40 de base. A cette masse de pierre est jointe une espece de salle, où est placée l'idole qui s'appelle Coppal. Elle est servie par des sacrificateurs & des devadachi, c'est-à-dire par des esclaves des dieux. Ce sont des filles prostituées, dont l'emploi est de danser & de sonner de petites cloches en cadence, en chantant des chansons infames, soit dans la pagode, quand on y fait des sacrifices ; soit dans les rues, quand on promene l'idole en cérémonie.

Il regne à Ganjam un déréglement de moeurs qui n'a rien de semblable dans toute l'Inde : le libertinage y est si public, que l'on y crie souvent à son de trompe, qu'il y a du péril à aller chez les devadachi qui demeurent dans la ville, mais qu'on peut voir en toute sûreté celles qui desservent le temple de Coppal. (D.J.)


GANKING(Géog.) ville de la Chine, riche & marchande, dans la province de Nanking, dont elle étoit la dixieme métropole : elle est de 20 degrés plus orientale que Peking, c'est-à-dire au 31d 20' de latitude sur le bord septentrional du fleuve Kiang, & aux confins de la province Kiansi. (D.J.)


GANOterme de Jeu : à l'hombre à trois, il signifie laissez venir à moi ; ainsi demander gano, c'est avertir qu'on ne prenne pas la carte joüée. Celui qui fait joüer ne peut pas demander gano.


GANSES. f. (Rubanier) espece de petit cordonnet d'or, d'argent, de soie ou de fil plus ou moins gros, rond, & même quelquefois quarré, qui se fabrique sur un oreiller ou coussin avec des fuseaux, ou sur un métier avec la navette.

Les ganses servent de boutonnieres pour arrêter & boutonner les boutons ; on en décore aussi les habits, sur-tout aux environs des boutonnieres.

Les Chapeliers s'en servent pour retrousser les chapeaux, & les femmes pour lacer leurs corps & corsets.

On fait un commerce assez considérable de ganses en France : les marchands Merciers les vendent ; mais ce sont les Tissutiers-Rubaniers & les Passementiers-Boutonniers qui les fabriquent.

* GANSE, (Manufact. en soie) petite poignée de gavassines auxquelles les lacs sont arrêtés, & que la tireuse attache avec une corde. Faire les ganses, c'est arrêter la même poignée de gavassines, afin que tous les lacs ne tombent pas sur la main de la tireuse.


GANTS. m. (Art méchan.) espece de vêtement d'hyver, destiné à défendre les mains du froid. Les anciens en ont eu qu'ils appelloient chiroteques. Ils étoient de cuir fort. Les paysans s'en servirent pour se garantir les mains de la piquûre des épines ; ensuite le reste de la nation en prit en hyver contre le froid. Il y en avoit de deux especes. Les uns étoient sans doigts, & les autres avec des doigts. On les fit de drap, & on les garnit quelquefois par les bords avec de la soie. Les gants s'introduisirent dans l'Eglise vers le moyen âge. Les prêtres en porterent en célébrant. Le don du gant marqua le transport de propriété. Le gant jetté fut un cartel ; le gant relevé, un cartel accepté. Il étoit autrefois défendu aux juges royaux de siéger les mains gantées, & aujourd'hui on n'entre ni dans la grande ni dans la petite écurie du Roi, sans se déganter.

Les gants se font de peaux d'animaux passées en huile ou en mégie. Voyez l'article MEGISSIER. Ces peaux sont celles du chamois, de la chevre, du mouton, de l'agneau, du daim, du cerf, de l'élan, &c. On fait des gants à l'aiguille ou sur le métier, avec la soie, le fil, le coton, &c. Il y en a de velours, de satin, de taffetas, de toile, & d'autres étoffes.

Ce sont les Gantiers qui fabriquent les gants de peau, les Bonnetiers qui font les gants au tricot & à l'aiguille, & les marchands de modes qui vendent les gants d'étoffes & autres.

Voici le travail du Gantier. Cette profession est une de celles qui exigent le plus de propreté. Les instrumens de cet ouvrier sont le ciseau de Tailleur, ou la force ; le couteau à doler, le tourne-gant, &c.

Le Gantier ne prépare point ses peaux, il les prend chez le mégissier ; il doit seulement apporter quelques précautions dans l'achat qu'il en fait, surtout lorsque la partie de peaux qu'il achete est considérable. On les lui présente en douzaine, sans être parées. Celui qui les lui vend, répand toûjours deux ou trois peaux de rebut sur chaque douzaine de peaux de recette. Le gantier intelligent en fera le triage, & les achetera séparément ; ou il les examinera bien avant que de les prendre, comme on dit, les unes dans les autres, & il comptera le plus exactement qu'il lui sera possible ce qu'elles peuvent toutes lui fournir d'ouvrage. Toute peau percée est censée de rebut, quoique le gantier habile puisse assez souvent en tirer le même parti que si elle n'avoit aucun défaut. Son art doit alors consister à placer dans la coupe les trous entre les fentes des doigts, ou à l'enlevûre qui se pratique pour le pouce de la main.

Le gantier commence par faire parer ses peaux, ou à en ôter le pelun. S'il a à couper des chevreaux en blanc, & que ces peaux soient un peu plus épaisses au dos qu'à la tête, ou sur les flancs, il commence par lever une petite lisiere de la seconde peau, vers la tête. A l'aide de son pouce & de son ongle, il suit la coupe de cette portion de sa peau dans toute sa longueur. C'est ainsi qu'il la rend d'égale épaisseur, & plus maniable. C'est ce qu'on appelle effleurer à la main. Cela fait, il a une brosse de crins rudes ; il brosse chacune de ses peaux du côté de la chair, pour en ôter ce qu'il peut y avoir de crasse & de velu. Il range toûjours ses peaux la fleur sur la chair. Il en place un grand nombre sur une table bien nettoyée. Il a une éponge qu'il trempe dans de l'eau fraîche. Il passe cette éponge le plus legerement qu'il peut sur chaque peau. Il prend sa peau par les pattes de derriere ; il la retourne, & l'étend sur une autre table du côté où elle a été mise en humide, sur la fleur. Il éponge une seconde peau qu'il étend sur la premiere, chair contre chair. Il en éponge une troisieme qu'il étend sur la seconde, fleur contre fleur, & ainsi de suite, un côté humide d'une peau toûjours sur un côté humide de la suivante, & la chair de l'une toûjours contre la chair d'une autre.

Après cette premiere manoeuvre, il roule toutes ses peaux & en fait un paquet rond, ce qu'il appelle les mettre en pompe. Il les tient dans cet état jusqu'à ce qu'il soit assûré que ses peaux ont bû assez d'eau. Alors il ouvre le paquet. Il prend une de ces peaux qui a conservé un peu de son humidité. Il tire la tête à deux mains, l'étend & la met sur son large ; il continue de la manier ainsi & mettre sur son large de la tête à la culée, & il cherche à en tirer le plus d'ouvrage qu'il est possible. C'est l'étendue de la peau qui décidera de la longueur des gants. Si l'ouvrier est un mal-adroit, & que sa coupe soit mal entendue, il perd beaucoup, & les ouvriers disent alors que les forces ont dîné avant le maître.

Après qu'il a tiré la peau sur son large, il la manie & la tire sur son long ; il la dépece, & donne à ses étavillons la forme & les dimensions convenables. On appelle étavillons, les grandes pieces d'un gant coupé. Il renferme ses étavillons dans une nappe, où ils conservent encore un peu de leur humidité, jusqu'à ce qu'il puisse les dresser. Il les assortit de pouces & de fourchettes. Il observe de donner à la peau du pouce un peu plus d'épaisseur qu'à celle de l'étavillon, & un peu moins à la fourchette. Il colle ses fourchettes trois à trois les unes sur les autres. Il reprend les étavillons, les dresse, les fend ; observant que la fente du milieu détermine la longueur & les autres dimensions du gant. La fente est d'autant plus longue que le gant doit être plus large, & les fentes suivent l'ordre de celles des doigts de la main ; c'est-à-dire que la fente du premier au second doigt est un peu moins profonde que celle du second au troisieme, celle-ci un peu moins profonde que celle du troisieme au quatrieme, & cette derniere un peu moins profonde que celle du quatrieme au cinquieme. Il faut les dégager toutes, selon la douceur de la peau.

Vos enlevûres faites à une distance proportionnée pour placer le pouce, vous pratiquez vos arriere-fentes ; vous repliez votre étavillon ; vous posez le pouce ; vous donnez aux doigts leur longueur ; vous les rafilez ; vous posez les pieces aux rebras ; vous pliez votre gant en deux ; vous le garnissez de ses fourchettes, & vous l'envoyez à la couturiere.

Les gants se cousent avec de la soie, ou avec une sorte de fil très-fort qu'on appelle fil à gant.

Il ne faut perdre ni le pelun ni les retailles ; le pelun se vend aux Tissiers ; les retailles de peaux blanches, aux Blanchisseurs de murailles.

Les gants, au retour de chez la couturiere, sont vergettés paire par paire avec une brosse qui ne soit ni dure ni molle ; dure, elle endommageroit la couture ; molle, elle ne nettoyeroit pas. On prend ensuite du blanc d'Espagne, & non de la céruse, qui brûle la peau. On en répand avec la brosse sur toute la surface du gant. On fait prendre ce blanc à la peau. On ôte le superflu en battant les gants par un tems sec, sur une escabelle, six paires à six paires, jusqu'à ce qu'ils n'en rendent plus. On les brosse, & alors les gants sont prêts à être gommés.

Pour cet effet, ayez de la gomme adragant la plus blanche & la plus pure ; deux ou trois jours avant le blanchissage, versez sur cette gomme un peu d'eau ; que l'eau couvre à peine la gomme. A mesure que la gomme se dissout, ajoûtez de l'eau : quand votre gomme sera bien fluide, passez-la à-travers un linge blanc & serré ; recevez la gomme passée dans un petit pot de fayence bien net ; foüettez-la avec des verges ; à-mesure que vous la foüettez, elle blanchit & s'épaissit : redélayez-la par une petite addition d'eau. Quand elle vous paroît avoir une consistance legere, étendez votre gant sur un marbre ; trempez dans la gomme dissoute une éponge fine, & gommez votre gant à toute sa surface : c'est ainsi que vous y attacherez le blanc qu'il a reçû.

A mesure que vous gommez, vous jettez les gants, paire par paire, sur une petite ficelle tendue : quand ils sont à moitié secs, vous les pliez en deux ; vous les dressez, vous veillez à ce qu'il ne s'y forme point d'écailles, c'est-à-dire qu'il n'y ait point d'endroits où la gomme paroisse : vous les renformez sur le large ; vous les dressez encore ; vous les rétendez sur les cordeaux, d'où vous les portez au magasin.

La premiere fois qu'on les dresse au sortir de dessus le cordeau, il faut qu'ils soient encore humides. Si les gants gommés étoient trop secs, il seroit impossible de les bien dresser : alors il faudroit les tenir en presse pendant vingt-quatre heures, avant que de les mettre en paquets.

Lorsqu'il s'agit de mettre des peaux de chamois en humide, on se contente de les exposer au brouillard pendant quelques heures, ou de les suspendre en un lieu frais ; elles y prendront assez d'eau.

Tout ce que nous venons de dire des peaux d'agneaux ou de moutons, doit s'entendre des autres : seulement s'il arrivoit qu'on eût à en employer de trop épaisses, on se serviroit du couteau à doler, pour les rendre plus minces en tout ou en partie.

Il y a un grand nombre de sortes de gants ; ceux de canepin sont faits de la superficie déliée qu'on enleve de la peau des agneaux & chevreaux passés en mégie : on en fait aisément tenir la paire dans une coque de noix.

Les gants de Blois sont de peaux de chevreaux bien choisies, & sont cousus à l'angloise ; ils portent le nom de la ville d'où on les tire.

Les Parfumeurs appellent gants de castor des gants de peau de chamois ou de chevre, apprêtée d'une maniere si douce qu'on peut aisément s'y tromper.

Le gant de Fauconnier est un gros ouvrage fait de peau de cerf ou de bufle qui couvre la main & la moitié du bras ; on le fait de peau forte, pour garantir de la serre de l'oiseau.

On appelle gants fournis ceux qui sont faits de peaux auxquelles on a laissé pour le dedans du gant le poil ou la laine de l'animal.

Les Parfumeurs préparent les gants glacés, de la maniere suivante : ils battent des jaunes d'oeuf avec de l'huile d'olive ; ils arrosent ensuite le mélange d'esprit-de-vin & d'eau, & passent les gants dans ce mélange, du côté de la chair. Cela fait, ils reprennent du même mélange, mais sans eau, & ils foulent les gants pendant un quart-d'heure.

Les gants se parfument d'une maniere assez simple ; en les tenant enfermés bien exactement dans des boîtes, avec les odeurs qu'on veut qu'ils prennent.

GANTS, (Droit coûtumier) droit seigneurial qui dans la plûpart de nos coûtumes, est dû à chaque mutation ; ce droit est reglé à une petite somme, savoir deux sous en quelques lieux, & en d'autres, quatre deniers, qui suivant la coûtume de Dunois, art. 36. doivent être payés par l'acheteur, huit jours après le contrat de vente. Je n'en savois guere davantage sur ce terme de coûtume : mais M. Aubert, dans ses additions au Richelet, m'a éclairé complete ment & agréablement : je vais transcrire sa glose, pour n'y pas renvoyer le lecteur.

" Le droit de gants, dit-il est ancien, selon Galant, dans son traité du franc-aleu : il est dit dans la coûtume de Lorris, art. 4. tit. des cens, &c. aucunes censives sont à droit de lods & ventes, les autres, à gants & ventes. Les coûtumes d'Orléans, art. 106. de Chartres, art. 47. & plusieurs autres, s'expliquent de même ; & Boutillier, dans sa somme, ch. v. en fait mention en ces termes : gants blancs pour les deux livres de tenure ".

Ces gants étoient une reconnoissance de l'investiture accordée par le seigneur au nouvel acquéreur. La tradition réelle se faisoit autrefois de différentes manieres, ou par un fétu de bois ou de paille, ou par un morceau de terre, ou par des gants, que le seigneur féodal recevoit comme une marque de la gratitude de son vassal, ou de son emphitéote : on en voit la formule dans Marculphe ; & l'on seroit sans doute ennuyeux, si l'on rapportoit ici toutes les preuves que l'on trouve dans plusieurs auteurs de cet ancien usage. Je me contenterai, ajoûte M. Aubert, de cet endroit du roman de la Rose, où l'amante parle :

Vienne, dit-elle, à point aux gants.

L'amant répond,

Aux gants, dame, ains vous dis sans lobe,

Que vous aurez mantel & robe.

Le glossaire latin de Ducange est à consulter sur le fréquent usage de la délivrance d'un gant, pour marque de l'investiture. Si aliquam territorii partem, dit une loi anglo-saxonne, venundari contigerit, domini venditiones (les ventes) habebunt, scilicet tot denarios quot venditor indè habuerit solidos : major verò terrae illius, pro wantis (les gants) accipiet duos denarios. Il arriva de cette loi, que les gants devinrent un droit personnel au bailli du fief du seigneur : de-là s'établit encore la coûtume, dans la plûpart des marchés, de donner aux domestiques de l'argent pour une paire de gants. (D.J.)

GANTS DE NOTRE-DAME, digitalis (Botan.) Voyez DIGITALE.

GANTS DE NOTRE-DAME, aquilegia, (Botan.) Voyez ANCOLIE.

GANT, (Géog.) bourg de France dans le Béarn, à deux lieues de la ville de Pau : nous n'en parlons que parce qu'il est la patrie de M. de Marca (Pierre), un des plus célébres prélats de l'église gallicane. On sait qu'après avoir été conseiller d'état & marié, il eut plusieurs enfans, devint veuf, & entra dans l'église ; obtint l'archevêché de Toulouse ; & étoit nommé à celui de Paris, lorsqu'il mourut en 1662, âgé de 68 ans. Son livre, intitulé Marca hispanica, est plein de savantes observations géographiques ; & son traité de la concorde de l'empire & du sacerdoce, de concordiâ sacerdotii & imperii, est très estimé ; il faut l'avoir de l'édition de M. Baluze. Enfin son histoire de Béarn est la meilleure que nous ayons. L'abbé Faget a écrit la vie de M. de Marca ; on peut la consulter. (D.J.)


GANTANS. m. (Commerce) poids dont on se sert à Bantam, une des capitales de l'île de Java, & dans quelques autres endroits des Indes orientales : le gantan revient environ à trois livres poids de Hollande. Gantan est aussi une mesure de continence, ou espece de litron pour mesurer le poivre ; il en contient trois livres juste. Il faut dix-sept gantans pour faire le baruth, autre mesure des Indes. Voyez BARUTH. Dictionn. de Comm. & de Trév.

GANTAS, s. m. (Commerce) poids dont on se sert à Quéda, ville située dans les Indes orientales sur le détroit de Malaca. Voyez HALI, & les dictionn. de Comm. & de Trév.


GANTELÉES. f. (Botaniq.) espece de campanule, nommée campanula vulgatior, foliis urticae, major & asperior, par C. B. Pin. 94. J. Bauh. ij. 805. hist. oxon. 459. Buxb. 52. Boërh. ind. A. 249. Tournefort, inst. 109. élém. bot. 90. Raii, synops. iij. 276. trachelium majus, par Ger. 369. émac. 448. Raii, hist. j. 742. Meret, Pin. 119. campanula radice esculentâ, flore caeruleo. H. L.

Sa racine est vivace, assez grosse, longue, branchue, blanche, d'un goût aussi agréable que celui de la raiponce ; elle pousse plusieurs tiges hautes de deux à trois piés, quelquefois grosses comme le petit doigt, anguleuses, cannelées, creuses, rougeâtres, velues ; ses feuilles disposées alternativement le long des tiges, sont semblables à celles de l'ortie commune, d'un verd foncé, rudes au toucher, pointues sans être piquantes, garnies de poils ; celles d'en-bas sont attachées à de longues queues, au lieu que celles d'en-haut tiennent à des queues courtes. Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles ; elles sont velues en-dedans, faites en cloches évasées, & découpées sur les bords en cinq parties, de couleur bleue ou violette, quelquefois blanche ; elles sont soûtenues chacune par un petit calice découpé aussi en cinq parties ; elles ont dans leur milieu cinq étamines capillaires très-courtes, à sommet long & applati. Lorsque la fleur est tombée, le calice devient un fruit membraneux, arrondi, anguleux, divisé en plusieurs loges trouées latéralement, & qui contiennent beaucoup de semences menues, luisantes, roussâtres.

Cette plante, qui donne du lait quand on la coupe, croît fréquemment dans les bois taillis, dans les hauts bois, dans les haies, dans les prés, aux lieux secs comme aux lieux sombres & ombrageux ; elle fleurit en été ; & sa graine mûrit vers l'automne. On la cultive dans quelques jardins potagers, à cause de sa racine, qui peut tenir lieu de raiponce dans les salades, au commencement du printems : mais les curieux ont trouvé l'art de faire porter à cette plante, de belles fleurs doubles blanches, doubles bleues, même triples & quadruples.

On peut, sans se servir de graines, multiplier la gantelée ainsi que la raiponce, le raifort sauvage, & plusieurs autres plantes de cette famille, par de petites tranches coupées de ses racines, qu'on met en terre. On sait comment cela s'exécute ; d'abord après avoir tiré de la terre avec adresse & sans dommage la racine de ces sortes de plantes, pendant que cette racine est dans sa vigueur, on la taille par tranches ou par roüelles, de l'épaisseur de trois ou quatre lignes : on remet ensuite chacune de ces roüelles séparément dans une terre convenable ; & elles produisent chacune de la même espece.

Si lorsque M. Marchand, botaniste de ce siecle, rapporta cette expérience très-vraie à l'académie des Sciences, il crut lui parler d'une nouvelle découverte qu'il avoit faite, il se trompa beaucoup ; car long-tems avant lui, les fleuristes d'Angleterre, d'Hollande, & de Flandres, ne connoissoient pas de meilleure méthode pour multiplier leurs belles fleurs à racine tubéreuse ; méthode qu'ils continuent toûjours de pratiquer avec succès, & qui prouve assez ce que peut l'industrie pour arracher les secrets de la nature. (D.J.)


GANTELETS. m. terme de Chirurgie, bandage qui enveloppe la main & les doigts comme un gant, d'où vient son nom ; il est de deux sortes, le gantelet entier & le demi-gantelet.

Le gantelet entier se fait avec une bande large d'un pouce, longue de quatre à cinq aunes, roulée à un chef. On arrête d'abord la bande par deux circulaires, autour du poignet ; on la passe obliquement sur le métacarpe, & l'on enveloppe les doigts successivement l'un après l'autre par des doloires, depuis le bout jusqu'en haut, en faisant des croisées sur les articulations des premieres phalanges avec le métacarpe, & des renversés où il est nécessaire, pour éviter les godets ; ensuite on arrête la bande autour du poignet.

Ce bandage est en usage dans les luxations & les fractures des doigts, pour les maintenir réduits ; & dans les brûlures, pour les empêcher de s'unir & de se cicatriser ensemble.

Le demi-gantelet ne differe du précédent, qu'en ce qu'il n'enveloppe que les premieres phalanges des doigts.

Ces bandages font un assez bel effet sur une main saine, par les circonvolutions symmétriques de la bande ; mais ils sont fort embarrassans à faire sur une main malade & douloureuse. C'est principalement à l'occasion du gantelet, qu'on peut rapporter le précepte général qu'Hippocrate nous a donné dans son traité de officinâ medici.

" Le bandage le plus propre & le plus convenable est celui qui donne beaucoup de soulagement au malade, & qui aide beaucoup le chirurgien : toute sa science consiste principalement à savoir serrer où il faut & lâcher où il faut, mais on doit sur-tout avoir égard à la saison, pour voir s'il faut couvrir ou non, c'est-à-dire mettre des linges & des compresses sous les bandes, & faire un bandage serré ou lâche, afin qu'on ne peche point en couvrant & en serrant une partie foible trop ou trop peu. Il faut mépriser les bandages ajustés & qui ne sont faits que pour l'ostentation & pour la pompe ; car ils sont ridicules & sentent le charlatan : souvent même ils font beaucoup de tort aux malades ; & il faut se souvenir que les malades cherchent du secours & non pas de l'ornement ". (Y)

GANTELET, (Hist. mod.) espece de gros gant de fer dont les doigts étoient couverts de lames par écailles, & qui faisoit partie de l'ancienne armure du gendarme. (Q)

GANTELET, terme de Bourrelier, c'est une bande ou large courroie de cuir fort, mais maniable, avec deux trous aux deux extrémités, par lesquels ils passent le pouce de la main droite. Cette courroie, qui fait deux tours autour de la main & qui la couvre presque toute entiere, sert à garantir l'ouvrier de l'impression du fil, lorsqu'il le tire pour serrer ses coutures.

GANTELET, (Reliûre) les Relieurs se servent d'un morceau de peau de mouton double, dont ils garnissent leur main pour foüetter les livres plus fort ; & cette peau s'appelle un gantelet.


GANTERIASS. f. (Marine) c'est ainsi que les Levantins appellent les barres de hune ; ce mot n'est guere d'usage. Voyez BARRES DE HUNE. (Z)


GANTERIES. f. (Comm.) marchandise de gants, le métier de les faire, ou la faculté de les vendre. La ganterie fait partie du commerce des marchands merciers.

Les maîtres Gantiers-Parfumeurs de Paris ne peuvent vendre leur marchandise de ganterie que dans leurs boutiques ; & il leur est défendu de la contre-porter ou faire contre-porter par la ville & fauxbourgs de Paris, sous peine d'amende ; c'est la disposition de l'art. 23. de leurs nouveaux statuts du mois de Mars 1656.


GANTIERS. m. (Art méchan.) est un ouvrier & marchand qui fait & qui vend des gants, mitaines, &c.

Les maîtres Gantiers de Paris forment une communauté assez considérable, dont les anciens statuts remontent jusqu'en 1190, & ont été depuis confirmés en 1357 par le roi Jean, & le 27 Juillet 1582, par Henri III.

Suivant ces statuts, ils ont le titre de maîtres & marchands Gantiers-Parfumeurs.

Comme Gantiers, ils peuvent faire & vendre toutes sortes de gants & mitaines d'étoffes, & de peaux de toutes les sortes.

Comme Parfumeurs, ils peuvent mettre sur les gants & débiter toutes sortes de parfums & odeurs, & même vendre des peaux lavées & cuirs propres à faire des gants.

Les aspirans doivent avoir fait quatre ans d'apprentissage, servi les maîtres trois autres années en qualité de compagnon, & faire chef-d'oeuvre : mais les fils de maîtres sont exempts de toutes ces formalités, & sont reçûs sur une simple expérience.

Les veuves peuvent tenir boutique, & faire travailler pour leur compte ; mais elles ne peuvent point avoir d'apprentis.

Cette communauté a quatre jurés, dont les deux plus anciens sortent de charge tous les ans ; & à leur place on en élit deux autres en présence du procureur du roi au châtelet. Dictionn. & réglem. du Comm.


GANXUNG(Géog.) cité de la Chine dans la province de Quiecheu ; elle est de 12d. 6'. plus occidentale que Pékin, & compte 25d. 35'. de lat. (D.J.)


GANYMEDE(Mytholog.) Homere déclare que c'étoit le plus beau de tous les hommes, & que les dieux le ravirent par cette raison : si l'on en croit les autres poëtes, il fut aimé du seul Jupiter, qui en fit son échanson, depuis le mariage d'Hébé avec Hercule. Un jour, disent-ils, que ce charmant phrygien chassoit sur le mont Ida, l'aigle de Jupiter ou Jupiter lui-même sous la forme d'un aigle, l'enleva dans l'olympe pour lui servir à boire, & le plaça au nombre des douze signes du Zodiaque, sous le nom de verseau : tel est l'usage des Poëtes, dit Cicéron, de transporter aux dieux les passions des hommes, au lieu qu'il seroit à souhaiter qu'ils eussent appliqué aux hommes les vertus des dieux.

La fable de Ganymede paroît fondée sur un fait historique, mais qui est narré diversement par les anciens. Les uns prétendent que Tros ayant envoyé en Lydie son fils Ganymede avec quelques seigneurs de sa cour, pour offrir des sacrifices dans un temple consacré à Jupiter, Tantale qui étoit souverain du pays, ignorant les projets du roi de Troie, prit cette troupe pour des espions, arrêta le jeune Ganymede, le retint prisonnier, ou peut-être le fit servir d'échanson à sa table.

D'autres racontent que Ganymede fut enlevé par Tantale, qui en étoit amoureux ; qu'Ilus marcha contre le ravisseur pour arracher son frere de ses mains ; qu'on en vint à un combat très-vif, où les troupes de Tantale portoient un aigle sur leurs enseignes, & où Ganymede perdit la vie ; son corps que l'on chercha ne s'étant point trouvé, on feignit que Jupiter l'avoit enlevé.

Quoi qu'il en soit, la fable de Ganymede brille dans un ancien monument qui s'est conservé jusqu'à nous ; on y voit un aigle avec les aîles déployées, ravissant un beau jeune homme, qui tient de la main droite une pique, symbole du dieu qui l'enleve, & de la main gauche une urne à verser de l'eau, marque de l'office d'un échanson. Aussi le nom de Ganymede désignoit tout valet qui donne à boire ; tu getulum Ganymedem respice quùm sities : mais ce même mot désignoit principalement un efféminé.

La statue de Ganymede fut transportée de la Grece à Rome, au temple de la paix ; & Juvénal y a fait allusion : nuper enim, dit-il, repeto fanum Isidis, & Ganymedem hic facis. (D.J.)


GAOGAS. m. (Géogr.) Quelques-uns écrivent Kangha, province du Desert, à l'extrémité orientale de la Nigritie, qui a pour ville unique connue Goaga. Au nord de cette ville, on voit encore quelques vestiges de l'ancienne Cyrene, capitale de la Lybie cyrénaïque, & qui étoit autrefois une des villes principales du fameux Pentapolis. Le lac de Gaoga est par le 43d. de long. & le 16d. de lat. septentrionale. (D.J.)


GAONSS. m. (Théologie) nom qu'on donne à une secte ou ordre de docteurs juifs, qui parurent en orient après la clôture du Talmud. Le nom de gaons signifie excellent, sublime. Ils succéderent aux Sebunéens ou Opinans, vers le commencement du vj. siecle, & eurent pour chef Chanaro Merichka. Il rétablit l'académie de Pundebita, qui avoit été fermée pendant trente ans, vers l'an 763. Judas l'aveugle qui étoit de cet ordre, enseignoit avec réputation. Les Juifs le surnommoient plein de lumiere, & ils estiment beaucoup quelques leçons qu'ils lui attribuent. Scherira du même ordre parut avec beaucoup d'éclat à la fin du même siecle. Il se dépouilla de sa charge pour la céder à son fils Hai, qui fut le dernier des excellens. Celui-ci vivoit au commencement du xj. siecle, & il enseigna jusqu'à sa mort, qui arriva en 1037. L'ordre des Gaons finit alors après avoir duré 280 ans selon les uns, 350 ou même 448 selon d'autres. On a de ces docteurs un recueil de demandes & de réponses, c'est-à-dire de questions & de solutions, au nombre d'environ 400. Ce livre a été imprimé à Prague en 1575, & à Mantoue en 1597. Wolf, biblioth. hebr. Calmet, dictionn. supplém. de Moréry. (G)


GAPVapincum, (Géog.) De Vapincum s'est formé Gap, comme gâter de vastare. Valois, notit. gall. p. 584. C'est une ancienne ville de France en Dauphiné, capitale du Gapençois, avec un évêché suffragant d'Aix. Le Gapençois, Vappencensis pagus, a titre de comté, & l'on sait que le parlement de Provence a inutilement reclamé cette petite contrée, comme usurpée par le parlement de Grenoble. Gap est au pié d'une montagne, sur la petite riviere de Beny, à 9 lieues de Sisteron, 7 d'Embrun, 20 de Grenoble. Long. 23d. 44'. 23". lat. 44d. 35'. 9". (D.J.)


GARAC(Géog.) île du golfe persique, à-peu-près également éloignée des côtes de Perse & de l'Arabie, à 18 lieues ou environ de l'embouchure de l'Euphrate ; on y fait la pêche des perles. Long. 67. 15. lat. 28. 45. (D.J.)


GARAMANTESS. m. pl. Garamantae, (Géogr. ancienne) anciens peuples de la Lybie, c'est-à-dire de l'intérieur de l'Afrique, qui s'étendoient depuis les sources du Bragadas jusqu'aux marais de Nuba, selon Ptolomée. Ils avoient la Gétulie à l'oüest, la Cyrénaïque au nord, l'Ethiopie intérieure au midi.

Pline, liv. V. ch. v. fait de grands détails de ces peuples au sujet du triomphe de Balbus ; mais tout ce que nous savons d'eux & de leur pays aujourd'hui, c'est que Zaara ou le desert qui fait une partie de l'ancienne Lybie, étoit la demeure des Gétuliens & des Garamantes de Pline. (D.J.)


GARAMANTICUS LAPIS(Hist. nat.) nom que Pline donne à une pierre précieuse que Wallerius croit être le grenat. Voyez GRENAT.


GARANCES. f. rubia, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur campaniforme, ouverte, découpée, & ordinairement percée dans le fond. Son calice devient un fruit composé de deux baies succulentes. Ce fruit renferme une semence qui a communément un ombilic. Les feuilles de la garance sont verticellées. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE.

On compte quatre especes de garance. Mais la principale que nous allons décrire, est désignée par rubia tinctorum, ou rubia tinctorum sativa. Sa racine est vivace, de la grosseur du petit doigt, rampante, tortueuse, cassante, d'un goût d'abord douçâtre, puis amer & austere. Si ses racines sont vieilles, on les verra rousses à l'extérieur ; si elles sont nouvelles, rouges. Elles tracent & s'étendent beaucoup sans s'enfoncer fort avant dans la terre.

Cette garance pousse plusieurs tiges sarmenteuses, quadrangulaires, rudes au toucher, noüeuses, jettant d'espace en espace cinq à six feuilles oblongues pointues, plus larges au milieu qu'à l'extrémité, & hérissées de poil. Le verd en est obscur. Les fleurs sortent de leurs aisselles par épis. Ces fleurs sont jaunes, petites, d'une seule piece, & découpées en quatre parties, & quelquefois en cinq. Le calice qui les soûtient devient un fruit composé de deux baies qui se touchent, de la grosseur des baies du genevrier, d'abord vertes, puis rouges, enfin noirâtres quand elles sont tout-à-fait mûres, alors succulentes. On y trouve une semence arrondie faite en nombril. Il arrive quelquefois à une de ces semences d'avorter & au fruit de n'avoir plus qu'une baie.

Maniere de cultiver la garance. Il faut d'abord la choisir en rejettons ou en meres-plantes. On s'en tient toûjours aux rejettons dans le pays ; il faudroit préférer les meres-plantes pour les pays éloignés. Elles soûtiendroient plus aisément le transport. Pour être bonne, il la faut pleine & cassante à tous égards. La racine en meres-plantes a été taxée dans la châtellenie de Lille à 7 liv. 10. s. le faix, pesant environ 180 ou 200 liv. de 14 onces, avec la terre dont elle est chargée. Mais on peut estimer les rejettons sur le pié de 4. s. le cent. Trente-quatre mille rejettons suffiront pour garnir un cent de terre, ou deux cent cinquante-quatre toises, trois piés, quatre lignes quarrées ; mesure à laquelle il faut rapporter tout ce que nous allons dire. Ainsi à un sou le cent, il en coûteroit 68 liv. Si l'on plantoit en meres-plantes, il en faudroit environ 8 faix à 7 liv. 10 s. le faix, c'est-à-dire 60 liv.

Il n'y a point de terrein qu'on ne puisse approprier à la garance par les engrais & le fumier. Il faut seulement qu'ils ayent du fond, qu'ils ne soient pas pierreux, & qu'ils soient rendus legers. Il n'y en auroit point de meilleur qu'un marais sec, défriché. Jusqu'à-présent on a cru que la même terre ne pouvoit donner qu'une bonne dépouille de garance en six ans ; quelques-uns même ont dit douze ans. D'autres au contraire ont prétendu qu'on en continueroit sans interruption la culture dans un même lieu. Mais le fait est que pour profiter de son travail & de sa dépense, il faut changer de terrein. Celui qui a porté de la garance, se trouve pour l'année suivante engraissé & propre à fournir toute autre chose. C'est un engrais gagné par des renouvellemens alternatifs, un laboureur trouvera ses terres conduites insensiblement à l'état du meilleur rapport.

Il n'y faut pas épargner le fumier, & fumer avec celui de vache par préférence. On en répandra plus ou moins selon la qualité de la terre, qu'on retournera à la charrue pour lui faire prendre nourriture. On peut donner jusqu'à six charretées de fumier, chacune pesant environ 1400 liv. poids de marc, par cent de terre.

Les uns font ce travail en Novembre, & ne remuent plus la terre de tout l'hyver. D'autres attendent le mois de Mars. Les premiers font mieux, mais quelle que soit la culture qu'on suive, il faut en Mars labourer quatre à cinq fois pour adoucir la terre, & l'ameublir par le moyen de la herse & du cylindre ; préparations qu'on lui donnera en tems sec.

On plantera les rejettons au commencement de Juin, ou même plûtôt, si le tems doux précipite la pousse. On les enlevera des meres-plantes avec une broche de fer, grosse d'un doigt, & pointue ; les détachant legerement avec la pointe, de maniere qu'ils emportent avec eux un peu de racine. Il faut bien se garder d'endommager la mere, ce qui pourroit arriver, si l'on se servoit d'un instrument plat & tranchant comme le couteau. Chaque rejetton doit avoir un pié de longueur. On plante au cordeau chaque rejetton à trois doigts de son voisin, couché comme le porreau, à la distance d'un pié entre chaque ligne. La terre qu'on leve pour la seconde ligne sert à couvrir la premiere, & ainsi des autres. Quant aux meres-plantes, il faudroit aussi les planter au cordeau dans le mois d'Octobre, toutes aboutissantes les unes aux autres, à cinq piés de distance ; on coucheroit les rejettons dans cet intervalle, à mesure qu'ils grandiroient, de maniere que tout se rempliroit. Il est sous-entendu que pour planter dans ce mois, il faut engraisser la terre aussi-tôt après la moisson.

Ainsi les cinq charretées de fumier évaluées à 15 liv. les cinq labours à 3 liv. 8. s. 9 d. les trois herses à 9 s. les trois passages de cylindre à 9 s. le tirage des rejettons à 2 liv. 10 s. & la plantation à 3 liv. 15 s. le tout reviendra à 25 liv. 11 s. 9 d.

Quand la garance est plantée, voici les façons qu'il faut lui donner. On a dû laisser de 15 en 15 piés une distance d'un pié & demi d'un bout à l'autre de la terre, pour y pratiquer au mois de Mars une rigole profonde d'un pié & demi, dont la terre servira à couvrir les plantes, en la dispersant à droite & à gauche, comme pour le colsat. Voyez COLSAT. Au mois de Juillet, lorsque la pousse sera relevée d'un pié, on la couchera de nouveau, la couvrant de la terre tirée des intervalles laissés entre chaque ligne, & l'on observera de creuser legerement sous la racine, qui tirera de-là du soulagement, de la force, de la liberté, & provignera facilement. Il en coûtera pour les rigoles 18 s. pour le provin 2. liv. 10 s.

Si l'on demande quelle autre précaution il y a à prendre avant la récolte, je dirai de laisser amortir la fanne de la premiere année, de couper au mois d'Août celle de la seconde, & d'enlever le chaume restant adroitement jusqu'à la racine ; on peut donner aux vaches de cette fanne, mais en petite quantité.

Le tems sec est celui qui est le plus favorable pour la garance. On en fait la récolte en Novembre de la seconde année. Si on la laissoit en terre plus longtems, elle pourroit à la vérité profiter en grossissant ; mais on est persuadé qu'il en pourriroit une bonne partie, dommage qui ne seroit point compensé ; à quoi il faut ajoûter la perte d'une année.

La récolte se fait soit à la beche, soit à la charrue. On laboure en ligne droite assez profondément pour détacher les racines sans les endommager. Cependant on préfere la beche. L'usage en est plus sûr ; mais le tems est plus long. A mesure que des travailleurs détachent les racines, d'autres les retirent sur le terrein avec des fourches. Dès le lendemain ou sur le champ on peut les enlever. On peut évaluer la récolte à 5 liv. par mesure, qui avec la dépense précédente font 38 liv. 19 s. 9. d.

On retire par cent de terre une année dans l'autre, depuis quatre jusqu'à dix ou douze faix au plus, ou année commune, huit faix, qui pourront peser 15 à 1600 livres, qui se réduiront à 200 livres à la sortie des étuves. On aura à-peu-près le même poids en poudre.

Quand la plante donneroit graine, les rejettons qu'on a en abondance produisant tous les deux ans une dépouille, on n'auroit garde d'employer une semence dont la plante ne seroit recueillie qu'au bout de cinq à six ans.

On la placera après la récolte hors des hangards, où on la laissera à l'abri de la pluie sécher pendant quelques mois. On pourra, si l'on aime mieux, la tenir dans des lieux fermés, amoncelée comme le foin, mais très-perméable à l'air.

Quand elle sera séchée on la lavera, ou si l'on veut la battre, on la battra pour en ôter la terre ; on la portera ensuite au séchoir, & de-là au moulin. On fait des séchoirs de mille manieres différentes. La construction d'un moulin peut coûter depuis 1000 liv. sans autre bâtiment, jusqu'à 20000 liv. selon sa grandeur. Il y en avoit un à Tournay qui ne servoit plus, qu'on disoit avoir coûté au-moins 20000 écus. On voit que l'entretien en est proportionné à sa grandeur. Pour le servir, il faut un homme qui tamise, dans un moulin à six pilons, & un cheval qui tourne. Il faudroit un second cheval pour relever le premier, dans un moulin qui tourneroit tous les jours de l'année. On peut donner 20 s. par jour au tamiseur, & estimer l'entretien du cheval au même prix.

Un moulin de six pilons broyera 400 liv. & sur ce pié, si la dépouille d'un cent de terre se réduit à 200 liv. de poudre, comme nous l'avons dit, ce moulin pourra broyer en 24 heures la dépouille d'un 100 de terre, & par conséquent en 64 fois 24 heures, la dépouille de huit boniers, c'est-à-dire le produit total de presque toute la quantité de terre cultivée en garance dans la châtellenie de Lille.

Toute la poudre n'est pas d'un prix égal. On distingue la robée, dont on peut évaluer à 45 ou 50 l. le cent ; la non-robée, à 30 ou 32 liv. la fine-grappe, à 62 ou 63 liv. & le son à 10 liv.

Si l'on ramasse toute dépense faite ci-dessus depuis le commencement de la dépouille jusqu'à la fin de la récolte, on trouvera pour deux années 33 liv. 11 s. 9 d.

La récolte de 8 faix à 7 10 s. produira 60 liv. il restera donc 16 liv. 8 s. 3 d. ou 13 l. 4 s. 1 d. par an ; sur quoi il faut diminuer le loyer de la terre, les rentes foncieres, & autres charges, les impositions ou tailles, l'inconvénient que le laboureur compte pour quelque chose de ne pouvoir dépouiller tous les ans.

Si l'on ajoûte à cela 60 liv. pour l'achat des meres-plantes, ou 68 liv. pour celui des rejettons, ce qui est indispensable pour la premiere plantation, on trouvera une perte certaine dans les deux premieres années, & l'on ne peut espérer de joüir entierement qu'au bout de quatre ans.

Ainsi il n'est pas étonnant que, quoiqu'on ait accordé dans la châtellenie de Lille une gratification au-dessus de l'exemption, cette culture ait bien de la peine à s'y ranimer.

La garance d'un an passe pour la meilleure ; celle qui reste trop perd de sa vivacité.

De quelques phénomenes singuliers sur la garance. En 1737 un chirurgien anglois appellé Belchier, remarqua que les of d'un pourceau qu'on avoit nourri avec du son chargé d'un reste d'infusion de racine de garance, étoient teints en rouge. Il fit prendre de la racine pulvérisée à un coq, dont les of se teignirent aussi de la même couleur. M. Duhamel est revenu sur ces expériences qu'il a réitérées avec le même succès que Belchier, sur les poulets, les dindons, les pigeonneaux, & autres animaux. Dès le troisieme jour un pigeon avoit ses of teints. Ni tous les of dans un même animal, ni les mêmes of en différens animaux ne prennent pas la même nuance. Les cartilages qui doivent s'ossifier, ne se teignent qu'en s'ossifiant. Si on cesse de donner en nourriture les particules de garance, les of perdront peu-à-peu leur teinture. Les of les plus durs se coloreront le mieux. Ils soûtiendront les débouillis. Ils ne sont cependant pas intacts à l'action de l'air. Les plus rouges y perdent de leur couleur ; les autres blanchissent tout-à-fait en moins d'un an. La moëlle de ces of teints, & toutes les autres parties molles de l'animal conservent leur couleur naturelle.

La garance que prennent ces animaux, agit aussi sur leur jabot & sur leurs intestins, du-moins dans la volaille ; ils en sont teints ; pour peu qu'on les tienne à ces alimens, ils tombent en langueur & meurent ; on leur trouve quand ils sont morts, les of plus gros, plus moëlleux, plus spongieux, plus cassans. On peut demander pourquoi les parties colorantes ne se portent qu'aux os. Mizaldus qui a fait imprimer en 1566 un mauvais livre intitulé memorab. jucund. & utilium cent. IX. a dit le premier de la garance qu'elle teignoit en rouge les of des animaux vivans. On voit dans le recueil de l'acad. des Scien. année 1746. qu'elle n'est pas la seule plante qui ait cette propriété.

La racine de garance est aussi d'usage en Médecine. Quelques auteurs la comptent parmi les cinq racines apéritives mineures. On a dit qu'elle résolvoit puissamment le sang épanché, les obstructions des visceres, & sur-tout celle des reins & des voies urinaires. Mais si l'on tire des expériences précédentes les conséquences naturelles qu'elles présentent, on en inférera que l'usage de la garance est tout-au-moins mal-sain.

Nous nous sommes fort étendus sur cette plante, à cause de son importance dans la teinture. On s'en sert pour fixer les couleurs déjà employées sur les toiles de coton. Il y a un grand nombre de cas où le succès des opérations demande qu'on garance. Voyez l'article TEINTURE.


GARANTadj. pris subst. (Hist.) est celui qui se rend responsable de quelque chose envers quelqu'un, & qui est obligé de l'en faire joüir. Le mot garant vient du celte & du tudesque warrant. Nous avons changé en g tous les doubles v, des termes que nous avons conservés de ces anciens langages. Warant signifie encore chez la plûpart des nations du nord, assûrance, garantie ; & c'est en ce sens qu'il veut dire en anglois édit du roi, comme signifiant promesse du roi. Lorsque dans le moyen âge les rois faisoient des traités, ils étoient garantis de part & d'autre par plusieurs chevaliers, qui juroient de faire observer le traité, & même qui le signoient, lorsque par hasard ils savoient écrire. Quand l'empereur Frédéric Barberousse céda tant de droits au pape Alexandre III. dans le célebre congrès de Venise en 1177, l'empereur mit son sceau à l'instrument, que le pape & les cardinaux signerent. Douze princes de l'Empire garantirent le traité par un serment sur l'évangile ; mais aucun d'eux ne signa. Il n'est point dit que le doge de Venise garantit cette paix qui se fit dans son palais.

Lorsque Philippe-Auguste conclut la paix en 1200 avec Jean roi d'Angleterre, les principaux barons de France & ceux de Normandie en jurerent l'observation comme cautions, comme parties garantes. Les François firent serment de combattre le roi de France s'il manquoit à sa parole, & les Normands de combattre leur souverain s'il ne tenoit pas la sienne.

Un connétable de Montmorenci ayant traité avec un comte de la Marche en 1227, pendant la minorité de Louis IX. jura l'observation du traité sur l'ame du roi.

L'usage de garantir les états d'un tiers, étoit très-ancien, sous un nom différent. Les Romains garantirent ainsi les possessions de plusieurs princes d'Asie & d'Afrique, en les prenant sous leur protection, en attendant qu'ils s'emparassent des terres protégées.

On doit regarder comme une garantie réciproque, l'alliance ancienne de la France & de la Castille de roi à roi, de royaume à royaume, & d'homme à homme.

On ne voit guere de traité où la garantie des états d'un tiers soit expressément stipulée, avant celui que la médiation de Henri IV. fit conclure entre l'Espagne & les Etats-Généraux en 1609. Il obtint que le roi d'Espagne Philippe III. reconnût les Provinces-Unies pour libres & souveraines ; il signa, & fit même signer au roi d'Espagne la garantie de cette souveraineté des sept provinces, & la république reconnut qu'elle lui devoit sa liberté. C'est sur-tout dans nos derniers tems que les traités de garantie ont été plus fréquens. Malheureusement ces garanties ont quelquefois produit des ruptures & des guerres ; & on a reconnu que la force est le meilleur garant qu'on puisse avoir. Article de M. DE VOLTAIRE.

GARANT, (Jurispr.) Voyez l'article précédent.

GARANT ABSOLU, au style du pays de Normandie, est celui qui prend le fait & cause du garanti, & qui le fait mettre hors de cause.

GARANT CONTRIBUTEUR, suivant le même style, est celui qui prend la garantie pour partie seulement, & non pour le tout.

GARANT DE DROIT ou NATUREL, est celui qui est tenu à la garantie par la loi & l'équité, sans qu'il y ait aucune stipulation de garantie. Voy. l'art. suiv.

GARANT DE FAIT, est celui qui est garant de la solvabilité du débiteur, ou de la bonté & qualité de la chose vendue ; à la différence du garant de droit qui est seulement garant que la somme lui est dûe, & que la chose lui appartient.

GARANT FORMEL, est celui qui est non-seulement tenu de l'éviction d'une chose envers une autre personne, mais qui est tenu de prendre son fait & cause, comme le vendeur à l'égard de l'acheteur, le propriétaire à l'égard du locataire : au lieu que le garant simple est celui qui est tenu de faire raison de l'éviction, sans néanmoins être obligé de prendre le fait & cause ; comme cela a lieu entre co-héritiers, associés & autres, qui sont obligés ensemble solidairement au payement de quelque dette.

GARANT NATUREL, voyez GARANT DE DROIT.

GARANT SIMPLE, est opposé à garant formel. Voyez GARANT FORMEL, RANTIENTIE. (A)

GARANT, s. m. (Marine) c'est le bout des cordages qui passent par les poulies, ou qui servent à amarrer quelque chose. On hale sur les garants pour faire joüer le reste du cordage.

GARANT DE PALAN. Tenir en garant, c'est tenir le bout de la corde qui leve ou traîne quelque fardeau, en la tournant deux ou trois tours autour du morceau de bois ou de quelqu'autre chose, au moyen de quoi on la retient plus aisément, & l'on empêche la pesanteur du fardeau de faire trop de force contre celui qui tient la corde. (Z)

GARANTI, (Jurispr.) est celui dont le garant a pris le fait & cause. Voyez l'ordonnance de 1667, titre des garants. (A)


GARANTIES. f. (Jurisprud.) est l'obligation de faire joüir quelqu'un d'une chose, ou de l'acquiter & indemniser du trouble ou de l'éviction qu'il souffre par rapport à cette même chose ou partie d'icelle.

On distingue plusieurs sortes de garanties ; savoir 1°. celle de droit, & celle de fait ou conventionnelle.

La garantie de droit, qu'on appelle aussi garantie naturelle, est celle qui est dûe de plein droit par les seules raisons de justice & d'équité, quand même elle n'auroit pas été stipulée : telle est la garantie que tout vendeur ou cédant doit à l'acquéreur, pour lui assûrer la propriété de la chose vendue ou cédée. L'action résultant de cette garantie dure trente ans, à compter du jour du trouble.

La garantie conventionnelle est celle qui n'a lieu qu'en vertu de la convention. On l'appelle aussi garantie de fait, pour la distinguer de la garantie de droit, en ce que celle-ci ne concerne que la propriété de la chose ; au lieu que la garantie de fait regarde la solvabilité du débiteur, ou la bonté & la qualité de la chose vendue. Elle est appellée en droit redhibition ou action redhibitoire, parce qu'elle tend à faire résilier le contrat ; au lieu que dans la garantie de droit, le contrat subsiste toûjours ; du-moins le garanti en demande d'abord l'exécution, & ne demande une indemnité que subsidiairement.

Le vendeur n'est tenu de la garantie de fait, qu'autant qu'elle est stipulée, à-moins qu'il ne s'agît de défauts ou vices dont il soit garant par quelque disposition expresse des lois.

L'action résultante de la garantie de fait, ne dure que trente ans, à compter du jour du contrat. Voy. au digeste de aedilitio edicto, & au code de aedilitiis action.

La garantie est formelle ou simple.

On appelle garantie formelle, celle où le garant est obligé de prendre le fait & cause du garanti, même de le faire mettre hors de cause : telle est l'obligation du vendeur appellé en garantie par l'acquéreur.

La garantie simple est celle qui oblige seulement à faire raison de l'éviction, soit pour le tout ou pour partie, sans assujettir le garant à prendre le fait & cause du garanti : telle est la garantie que les co-héritiers se doivent les uns aux autres pour la sûreté de leurs lots.

Le transport d'une dette, rente, ou autre effet, peut être fait sans garantie, ou avec garantie.

Quand la garantie y est stipulée, elle peut l'être de quatre manieres différentes ; savoir,

1°. Lorsque le cédant ne promet la garantie que de ses faits & promesses, c'est-à-dire que la chose lui appartient légitimement ; clause qui est toûjours sousentendue, mais elle n'emporte point de garantie de la solvabilité du débiteur.

2°. Le cédant peut promettre la garantie de tous troubles & empêchemens quelconques ; ce qui emporte tout-à-la-fois une garantie de la propriété de la chose, & de la solvabilité du débiteur au tems du transport.

3°. Si le cédant a promis de garantir, fournir & faire valoir, il est tenu de l'insolvabilité du débiteur, quand même elle seroit survenue depuis le transport, à moins qu'il ne s'agisse d'une dette mobiliaire à une fois payer ; car en ce cas il suffit que le débiteur fût solvable au tems du transport : c'est au cessionnaire à s'imputer de n'avoir pas alors exigé son payement.

Enfin si le cédant promet de garantir, fournir & faire valoir, même payer après un simple commandement, cette clause décharge le cessionnaire de faire une plus ample discussion de la personne & biens du débiteur.

Dans tous les contrats, chacun est garant de son dol & des fautes grossieres qui approchent du dol. Pour ce qui est des fautes appellées moindres & très-legeres, dans quelques contrats on est tenu des unes & des autres ; dans d'autres on n'est pas tenu des fautes legeres. Voyez DOL & FAUTE.

Pour ce qui est des cas fortuits & des forces majeures, personne en général n'en est tenu, à-moins que cela ne soit expressément stipulé par le contrat.

On n'est pas non plus garant des faits du prince, à-moins que cela ne soit stipulé. Voyez le titre de evictionibus, au digeste ; & le titre des garants, de l'ordonnance de 1667. (A)

GARANTIE DE FIEF, est dans quelques coûtumes l'obligation où est l'aîné d'acquiter ses puînés de la foi & hommage, pour la portion qu'ils tiennent du fief dont il a le surplus comme aîné. (A)

GARANTIE, en ce qui concerne la vente des chevaux. Il faut distinguer, suivant l'article précédent, la garantie de droit, la garantie conventionnelle, & la garantie d'usage.

La garantie de droit ne s'exprime point ; elle a lieu constamment, & quelles que puissent être les circonstances de la vente. Tout homme qui vend un cheval est nécessairement astreint à répondre que l'animal lui appartient ; c'est une loi immuable & de rigueur, à laquelle il ne sauroit se soustraire ; parce qu'on ne peut, sous aucun prétexte & sans blesser les bonnes moeurs, transmettre une propriété que l'on n'a pas.

La garantie conventionnelle s'étend à tous les engagemens pris par le vendeur ; il en est indispensablement tenu.

Enfin la garantie d'usage, ut mos regionis postulabat, est relative aux vices déclarés par les maximes usitées & reçûes, être de nature à annuller la vente.

Ces vices ont été restreints parmi nous à la pousse, à la morve & à la courbature. Voyez les coûtumes de Sens, art. 160 ; de Bar, art. 205 ; d'Auxerre, art. 151 ; de Bourbonnois, art. 87, &c. Dès que le cheval est atteint de l'une de ces maladies, l'acheteur est en droit de contraindre le vendeur à reprendre l'animal, & à lui restituer le prix donné : redhibere, est facere ut rursus habeat venditor quod habuerit.

On ne doit point être étonné que la facilité de dérober & de pallier pour quelque tems, & au moyen de certains médicamens, les signes caractéristiques de l'espece de courbature, qu'un flux considérable d'humeurs par les nasaux décele, ainsi que les symptomes évidens de la pousse & de la morve, qui d'ailleurs ont été regardées comme des maladies incurables, ait suggéré une disposition qui obvie aux fraudes que cette même facilité peut occasionner ; mais il est surprenant que la Jurisprudence varie & differe sur la durée de l'action redhibitoire, admissible dans ces trois cas. Il est des pays où l'acheteur doit se pourvoir dans les huit jours, à compter de celui de la délivrance du cheval. Voyez la coûtume de Bourbonn. art. 87 ; Coquille, instit. au droit franç. l'ancienne ordonnance de la police de Paris, &c. Il en est d'autres où l'usage est d'en accorder quarante, après lesquels le vendeur est à couvert & à l'abri de toutes recherches. Voyez la coûtume de Bar, article 205. Voyez les commentaires de Basnage, sur la coûtume de Normandie, de l'acte en garantie, &c.

Quoique la fixation du plus court de ces délais soit autorisée sur le risque des évenemens qui peuvent arriver dans l'espace & dans la circonstance d'un terme plus long, il est certain qu'elle n'en est ni plus juste, ni moins illusoire. En premier lieu, la condition de l'acheteur est assez favorable pour qu'on ne doive pas craindre de prendre tous les partis & toutes les voies capables de réprimer dans le vendeur des infidélités qu'il commet, encore avec plus de hardiesse, lorsque la loi même qui la condamne ne lui interdit pas toutes les exceptions captieuses qu'il peut employer pour en abuser. S'il est vrai, en second lieu, qu'il soit possible de faire disparoître, au-delà des huit jours prescrits & pendant le cours d'un mois entier, les symptomes principaux & univoques des maladies dont il s'agit, par le secours de quelques remedes que je n'indiquerai point ici, parce qu'il seroit dangereux de mettre de pareilles armes dans des mains qui ne sont que trop disposées à s'en servir, il faut nécessairement convenir que les coûtumes & les ordonnances qui prescrivent l'action en redhibition, quand elle n'est pas intentée dans la huitaine, non-seulement ne remplissent pas l'objet qu'elles semblent & qu'elles doivent s'être d'abord proposé, mais favorisent en quelque maniere la mauvaise foi du vendeur. Il seroit donc à souhaiter que tous les tribunaux, auxquels de semblables contestations sont déférées, prononçassent uniformément & d'après un principe généralement établi pour l'entiere sûreté des acheteurs, tel que celui qui est suivi rigoureusement au parlement de Roüen. Voyez Basnage.

Persuadé au surplus de l'inutilité de nos réflexions sur toutes les ruses & sur tous les artifices pratiqués par la plus grande partie des marchands de chevaux, nous ne nous y livrerons point. Eh, comment espérer de mettre un frein au dol, dès que des personnes de tous les états ne rougissent pas de les imiter, & sur-tout lorsqu'une portion considérable de la noblesse même, par une sorte d'exception des regles de la probité & des sentimens d'honneur, qui néanmoins sont, après ses titres, ce qu'elle vante ordinairement le plus, dispute publiquement & sans remords à des ames viles & mercenaires, la gloire ou plûtôt la honte d'avoir porté aussi loin qu'elles l'art & la science funeste de la fraude & du mensonge ? A l'aspect de tous les détours odieux, qu'il nous seroit aisé de dévoiler, & qui seroient peut-être moins communs si, conformément à la police observée par les Romains & à l'édit fameux des édiles, tout vendeur étoit obligé de déclarer les défauts & les imperfections de l'animal qu'il vend, & n'avoit pas même la faculté de s'excuser sur son ignorance, le philosophe ne peut que s'écrier avec Montagne : La vertu assignée aux affaires de ce monde est une vertu à plusieurs plis, encoigneures & coudes, pour s'accommoder à l'humaine foiblesse. (e)


GARATRONIUSGARATRONIUS LAPIS, ou GAGATRONIUS, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une espece d’astroïte. Voyez ASTROÏTE.


GARBELAGES. m. (Comm.) terme usité à Marseille, & qui signifie une espece de petit droit de quatorze sols par quintal, qui se compte parmi les frais qu'on fait pour les marchandises envoyées dans les échelles du Levant. Dictionn. de Commerce.


GARBINS. m. (Marine) on donne ce nom sur la Méditerranée au vent du sud-oüest. Voy. VENT. (Z)


GARCETTESS. f. plur. (Marine) ce sont des cordes faites avec le fil de carret des vieux cordages ; on en fait de différentes grosseurs, suivant les usages à quoi l'on les destine.

Les garcettes de fourrure de cables sont celles qui servent à sauver les cables.

Maîtresse garcette, est celle qui étant au milieu de la vergue, sert à ferler le fond de la voile.

Garcettes de ris, ce sont celles qui servent à prendre les ris dans les voiles quand il y a trop de vent ; ces cordes sont plus grosses par le milieu, & vont en diminuant par les bouts.

Garcettes de tournevire, elles servent à joindre le cable au cordage appellé tournevire, quand on leve l'ancre. Celles-ci sont d'une égale grosseur par-tout.

Garcettes de voiles, ce sont celles qui servent à plier les voiles ; elles ont une boucle à un bout, & vont en amincissant vers l'autre.

Garcettes de bonnettes, ce sont de petites cordes qui amarrent les bonnettes à la voile.

Serre la garcette ou bonne garcette, terme de commandement, pour dire de bien faire joindre la tournevire au cable lorsqu'on leve l'ancre. (Z)


GARCIS(Géog.) petite ville d'Afrique assise sur un roc, près la riviere de Malacan dans la province de Cutz, au royaume de Fez. Elle est dans les cartes de la Lybie de Ptolomée, à 11d. de long. & à 32d. 40. de lat. sous le nom de Galafa. (D.J.)


GARÇONS. m. (Gramm. & Comm.) enfant mâle à qui cette dénomination demeure tant qu'il reste dans le célibat ; ainsi il y a des garçons de tout âge.

On appelle chez les Marchands garçons de boutique, ou garçons de magasin, ou simplement garçons, des apprentis qui, ayant fait le tems de leur apprentissage, servent encore chez les Marchands le tems marqué par les statuts de chaque corps, avant que de pouvoir être reçûs à la maîtrise & de faire le commerce pour eux-mêmes. Il y a des apprentis qui, quoique reçûs maîtres, se fixent à la qualité de garçons, & qui par leur intelligence sont très-utiles aux maîtres qui les employent & qui les gagent, au lieu que les apprentis payent à leurs maîtres.

Ces garçons aident à ranger, à plier, à remuer & à vendre les marchandises dans la boutique ou dans le magasin ; ils les portent même en ville lorsqu'il en est besoin. Ce sont eux qui vont recevoir & faire accepter les lettres & billets de change, qui tiennent les livres, en tirent des extraits pour dresser les mémoires & parties des débiteurs, &c.

Les Banquiers donnent toûjours à ceux qui les aident dans leur commerce le nom de commis, & jamais celui de garçons. Les Marchands donnent quelquefois à leurs garçons le nom de facteurs & commis, mais improprement.

Garçons, se dit aussi des compagnons ou apprentis qui travaillent chez les artisans ; un garçon menuisier, un garçon perruquier, &c. Dict. de Comm.

Garçons de bord, (Marine) ce sont de jeunes garçons au-dessous de dix-huit ans, mais plus grands & plus âgés que les mousses, qui servent sur les vaisseaux & commencent de travailler à la manoeuvre ; les garçons de bord qui ont servi sur les marchands ou les pêcheurs, sont réputés matelots à l'âge de dix-huit ans, & les maîtres ne peuvent plus les retenir comme garçons de bord : les garçons de bord ne gagnent que peu au-dessus des mousses. (Z)

Garçons de pelle, sont des manouvriers ou gagne-deniers qui se tiennent sur le port de la Greve ou autres ports de Paris où arrivent les bateaux de charbon. Ce sont eux qui avec de grandes pelles de bois ferrées remplissent les mines & minots dans lesquels on mesure & distribue cette marchandise. Voyez GAGNE-DENIER. Dictionn. de Commerce.


GAR(PONT-DU) Architect. Voyez PONT-DU-GARD.


GARDES. f. (Grammaire) dans un sens général, signifie défense ou conservation de quelque chose ; action par laquelle on observe ce qui se passe, afin de n'être point surpris ; soin, précaution, attention que l'on apporte pour empêcher que quelque chose n'arrive contre notre intention ou notre volonté.

GARDE ou GARDIEN, s. m. (Hist. ecclés.) nom qu'on trouve dans les auteurs ecclésiastiques appliqué à différentes personnes chargées de diverses fonctions.

1°. On appelloit gardes ou gardiens des églises, custodes ecclesiarum, certaines personnes spécialement chargées du soin & des réparations des églises. Bingham croit que c'étoient les mêmes officiers, qu'on nommoit communément portiers, ce qui paroît revenir à ce que nous appellons marguilliers ou fabriciens. C'étoient des économes ou des administrateurs qui veilloient à la régie des biens temporels de l'Eglise. Le même auteur remarque dans un autre endroit que ces gardiens recevoient non-seulement les revenus des églises, mais encore en gardoient les thrésors, les vases, l'argenterie ; qu'ils n'étoient pas tirés du clergé, mais d'entre les principaux du peuple, & quelquefois du corps des magistrats. On a une lettre de S. Augustin à l'église d'Hippone, intitulée clero, senioribus & universae plebi ; & M. Laubepine dans ses notes sur Optat, fait aussi mention de ces anciens ou gardiens des églises. Peut-être étoit-ce en Afrique la même charge que celle des défenseurs en Orient & en Europe. Voyez DEFENSEURS.

2°. On nommoit gardes ou gardiens des saints lieux, custodes sanctorum locorum, ceux à qui l'on avoit confié la garde des lieux sanctifiés par la présence du Sauveur, comme le lieu où il étoit né en Bethléem, le Calvaire, la montagne des Oliviers, le saint Sépulcre, &c. Cet emploi n'étoit pas toûjours confié à des ecclésiastiques ; mais ceux qui l'exerçoient joüissoient des mêmes priviléges que les clercs, & étoient exemts de tributs, d'impositions, & des autres charges publiques, comme il paroît par le code théodosien, lib. XVI. tit. xj. leg. 26. Ce sont aujourd'hui les Franciscains ou Cordeliers qui ont la garde du saint Sépulcre, sous le bon plaisir du grand-seigneur. Bingham, orig. eccles. tom. I. lib. II. cap. xjx. §. 19. & tom. II. lib. III. cap. xiij. §. 2. (G)

GARDE, (LA-) Hist. anc. elle se faisoit jour & nuit chez les Romains ; & les vingt-quatre heures se divisoient en huit gardes.

Premierement, le consul étoit gardé par sa cohorte ordinaire ; puis chaque corps posoit la garde autour de son logement : en outre on posoit trois gardes, l'une au logis du questeur, & les deux autres au logis des deux lieutenans du consul.

Les tergiducteurs ou chefs de la queue conduisoient les gardes, lesquelles tiroient au sort à qui commenceroit : les premiers à qui étoit échû de commencer, étoient menés au tribun en exercice, lequel distribuoit l'ordre de la garde, & donnoit outre cela à chaque garde une petite tablette avec une marque ; toutes les gardes ensuite se posoient de la même façon.

Les rondes se faisoient par la cavalerie, dont le chef en ordonnoit quatre pour le jour & quatre pour la nuit. Les premiers alloient prendre l'ordre du tribun, qui leur donnoit par écrit quelle garde ils devoient visiter.

Le changement & visite des gardes se faisoit huit fois en vingt-quatre heures, au son de la trompette ; & c'étoit le premier centurion des Triaires qui avoit charge de les faire marcher au besoin.

Quand la trompette les avertissoit, les 4 mentionnés tiroient au sort, & celui à qui il échéoit de commencer prenoit avec lui des camarades pour l'accompagner. Si en faisant la ronde, il trouvoit les gardes en bon état, il retiroit seulement la marque que le tribun avoit donnée, & la lui rapportoit le matin : mais s'il trouvoit la garde abandonnée, quelques sentinelles endormies, ou autre desordre, il en faisoit son rapport au tribun, avec ses témoins ; & aussi-tôt on assembloit le conseil pour vérifier la faute, & châtier le coupable selon qu'il le méritoit.

Les vélites faisoient la garde autour du retranchement, par le dehors, par le dedans, & aux portes.

L'on ne trouve point dans les auteurs le nombre des corps-de-garde des Romains ; la maniere dont ils posoient leurs sentinelles autour du camp ; & combien on avoit de journées franches de la garde. (D.J.)

GARDE PRETORIENNE, voyez Cohorte prétorienne au mot COHORTE.

GARDE, en terme de Guerre, est proprement un certain nombre de soldats d'infanterie & de cavalerie, destinés à mettre à couvert une armée ou une place des entreprises de l'ennemi. Il y a plusieurs especes de gardes.

GARDE AVANCEE, est un corps de cavaliers ou de fantassins qui marchent à la tête d'une armée, pour avertir de l'approche de l'ennemi.

Quand une armée est en marche, les grandes gardes qui devoient être de service ce jour-là, servent de garde avancée à l'armée.

On donne le nom de garde avancée à un détachement de quinze ou vingt cavaliers, commandés par un lieutenant, postés au-delà de la grande garde du camp. Chambers.

Les officiers généraux de l'armée ont chacun une garde particuliere pour leur faire honneur & veiller à leur sûreté dans les différens logemens qu'ils occupent. La garde des maréchaux de France est de cinquante hommes avec un drapeau ; celle des lieutenans généraux, de trente ; des maréchaux de camp, de quinze ; & celle des brigadiers, de dix. Voyez le tome III. du code militaire de M. Briquet, pag. 7. & suiv. Voyez aussi GARDE D'HONNEUR.

GARDES DU CAMP, c'est dans l'infanterie une garde de quinze hommes ou environ par bataillon, qui se porte à-peu-près à soixante pas ou environ en-avant du centre de chaque bataillon de la premiere ligne, & à même distance en-arriere du centre des bataillons de la seconde.

Dans la cavalerie, il y a une garde à pié par régiment, laquelle se tient à la tête du camp.

Des grands-gardes ou gardes ordinaires qui forment l'enceinte du camp. Ces gardes sont d'infanterie & de cavalerie.

Les gardes d'infanterie se placent toûjours dans quelque lieu défendu par une espece de fortification, soit naturelle ou artificielle.

On regarde comme fortification naturelle une église, un cimetiere, un jardin fermé de tous côtés, un endroit entouré de haies fortes & difficiles à percer, &c. & on regarde comme fortifications artificielles celles dans lesquelles il est besoin de quelque précaution pour les former, comme un abatis d'arbres dont on se fait une espece d'enceinte, un fossé dont la terre sert de parapet, &c.

Tous les hommes qui composent ces gardes doivent être absolument dans leur poste, & n'en sortir qu'avec la permission du commandant. Les fusils doivent être placés de maniere que tous les soldats puissent les prendre ensemble & commodément ; pour cet effet, on le place dans le lieu que chaque homme doit occuper en cas d'attaque.

Ces gardes ont des sentinelles devant elles ou sur le retranchement, ou de tous les côtés par où les ennemis peuvent pénétrer ; elles avertissent aussi-tôt qu'elles apperçoivent quelque chose dans la campagne : alors tout le monde prend les armes pour être en état de combattre en moins de tems qu'il ne faut à l'ennemi, depuis sa découverte par les sentinelles, pour arriver au poste occupé par la garde. Les gardes doivent faire ferme, & tenir dans l'endroit où elles sont placées, jusqu'à ce qu'elles soient secourues du camp. C'est pour favoriser cette défense, qu'on les place dans les villages & autres lieux fourrés, où il est aisé, avec quelque connoissance de la fortification, de se mettre en état de soûtenir les attaques des partis qui veulent les enlever.

Des gardes de cavalerie. Comme les gardes de cavalerie peuvent se mouvoir avec plus de vîtesse que celles de l'infanterie, elles sont ordinairement placées dans les plaines, ou dans d'autres endroits découverts ; elles ont des vedettes placées encore en-avant, qui découvrent au loin tous les objets de la campagne. On appelle vedettes dans le service à cheval ce que l'on nomme sentinelle dans le service à pié. Voyez VEDETTE.

Comme les vedettes sont placées d'autant plus avantageusement qu'elles découvrent plus de terrein devant elles, on les avance quelquefois à une assez grande distance de la troupe ; & on les place sur les lieux les plus avantageux pour cette découverte, comme les hauteurs à portée de la grande garde.

Pour la sûreté des vedettes, & pour que la garde soit informée promtement de ce qu'elles peuvent découvrir, on place à une petite distance de ces vedettes, c'est-à-dire entr'elles & la garde, un corps d'environ huit cavaliers ; on le nomme petit corps-de-garde ; il est commandé par un cornette ou autre officier alternativement. Ce corps doit être toûjours à cheval, & très-attentif aux vedettes ; il doit par conséquent être à-portée de les voir ; & il doit aussi être vû de la grande garde : mais il n'est pas nécessaire qu'il découvre lui-même le terrein, comme les vedettes ; il est seulement destiné à les soûtenir & à veiller à ce qu'elles fassent leur devoir : aussi arrive-t-il quelquefois que les vedettes sont sur le sommet d'une hauteur, & que le petit corps-de-garde est derriere à une distance médiocre, & caché par la hauteur, pendant que la grande garde est encore dans un lieu plus bas, d'où elle découvre seulement le petit corps-de-garde.

On éloigne aussi les vedettes les unes des autres, pour qu'elles soient à-portée de découvrir un plus grand espace de terrein, sans qu'il soit besoin de trop avancer les troupes de la garde, & par-là de les exposer à être enlevées. Lorsque les vedettes sont dans des endroits dangereux, il les faut doubler, c'est-à-dire en mettre deux ensemble ou dans le même lieu.

S'il paroît des ennemis, ou quelque corps de troupes que ce puisse être, les vedettes en avertissent ; & suivant que le commandant de la troupe le juge à-propos, ou suivant les ordres qu'il a, il fait rester les vedettes à leur poste, & il ordonne au corps-de-garde d'avancer pour les soûtenir ; lui-même marche avec sa troupe pour joindre ce corps, & s'opposer ensemble aux ennemis ; ou bien le commandant fait replier ses vedettes sur les corps-de-garde ; celui-ci sur sa troupe ; & cette troupe sur quelqu'autre poste, ou enfin sur le camp, s'il le juge nécessaire.

Les commandans de ces gardes doivent prendre les mêmes précautions par rapport à leurs troupes, que les généraux d'armée par rapport à leur armée ; ce sont les mêmes principes appliqués à un grand objet ou à un petit ; c'est pourquoi ils doivent avoir pour premieres regles de disposer les vedettes de maniere qu'après qu'elles ont averti de ce qu'elles ont découvert, elles ayent le tems de former leur troupe, & de se mettre en état de combattre avant l'arrivée de l'ennemi.

Le commandant d'une garde ordinaire, ou en général de troupes détachées, à la guerre, peut faire mettre pié à terre à un rang de sa troupe, pour reposer les hommes & faire manger les chevaux, suivant le tems qu'il juge nécessaire à une troupe ennemie pour qu'elle approche de lui, depuis le moment de sa découverte par les vedettes : mais il faut toûjours que chaque cheval soit prêt à être bridé dans un instant, & que le cavalier soit à-portée pour monter dessus au premier ordre.

Il y a des circonstances où les commandans peuvent faire mettre pié à terre aux deux rangs que forme leur troupe ; mais ce n'est qu'après s'être bien assûré que l'ennemi sera découvert dans un assez grand éloignement, pour qu'il soit plus de tems à parcourir l'espace découvert par les vedettes, qu'il n'en faut pour faire monter toute la troupe à cheval : c'est pourquoi la maniere de faire la guerre à l'ennemi qu'on combat, doit faire prendre à cet égard des mesures au commandant pour n'être point surpris. Ainsi si l'on a affaire à un ennemi qui manoeuvre avec une grande vîtesse comme les Turcs, les Tartares, &c. il faut, pour n'en être point surpris, prendre plus de précautions que contre les Allemands ou les Hollandois, quoique les troupes de ces deux nations soient supérieures à celles des Turcs.

Il suit des observations qu'on vient de voir, que moins une troupe ou ses vedettes découvrent de terrein, plus elle doit redoubler son attention, pour être en état d'être formée le plus promtement qu'il est possible ; & qu'au contraire, lorsqu'elle découvre un espace de terrein assez grand pour avoir le tems de se former avant que l'ennemi puisse le parcourir, le commandant peut profiter de cette position pour donner plus de repos aux hommes & aux chevaux.

Si les sentinelles de l'infanterie sont placées ordinairement dans les lieux moins favorables que les vedettes de la cavalerie, pour découvrir beaucoup de terrein ; il faut aussi moins de tems à des gens à pié pour prendre un fusil & se mettre en défense, qu'il n'en faut à des cavaliers qui sont pié à terre, pour brider leurs chevaux, monter dessus, & se former en ordre de bataille. Essai sur la castramétation. (Q)

GARDE DE FATIGUE, (Art milit.) c'est celle qui est commandée pour conduire les travailleurs, les fourrageurs ; mener les soldats au bois, à la paille, & autres choses semblables. Pour ces sortes de gardes, que les troupes font successivement, le tour n'en passe jamais : soit que l'officier commandé soit absent ou de service ailleurs, il doit toûjours le reprendre après son retour au camp. Ordonnance du 17 Février 1753.

Les gardes de fatigue sont aussi appellées gardes de corvées. (Q)

GARDE DE PIQUET, (Art milit.) c'est celle qui est faite par les officiers & les soldats de piquet. Voy. PIQUET.

Celui dont le tour vient de marcher à un détachement armé, pendant qu'il est de piquet, le quittera & sera censé l'avoir fait, pourvû que le détachement passe les gardes ordinaires ; & à l'instant qu'il sera commandé, on le remplacera par celui de ses camarades qui le suivra dans le tour du piquet. Ordonn. du 17 Février 1753. (Q)

GARDE D'HONNEUR, (Art militaire) c'est à la guerre la garde accordée aux officiers généraux & à plusieurs autres officiers relativement à leur grade militaire. Celui dont le tour viendra de marcher à un détachement armé, pendant qu'il sera à une garde d'honneur, demeurera à cette garde. Ordonn. du 17 Février 1753. (Q)

GARDES-DU-CORPS, (Hist. mod. & Art milit.) c'est en France un corps de cavalerie destiné à la garde du Roi.

Les gardes-du-corps ont le premier rang dans la gendarmerie de France, par une ordonnance de Louis XIV. donnée en 1667. Ils sont divisés en quatre compagnies, dont une qui étoit autrefois écossoise, & qui en porte encore le nom, est toûjours la premiere ; les trois autres prennent rang ensemble suivant l'ancienneté de leurs capitaines.

Chaque compagnie est divisée en six brigades ; ce qui forme, à quelques différences près, comme des compagnies dans un régiment. C'est le Roi qui choisit lui-même ses gardes. Ils sont habillés de bleu avec des galons d'argent, & une bandouliere, qui est la marque de garde-du-corps ou de garde-du-Roi.

Les capitaines des gardes-du-corps, ainsi que ceux des gendarmes, chevaux-legers de la garde, & mousquetaires, sont premiers mestres-de-camp de cavalerie, c'est-à-dire qu'ils ont rang avant les autres mestres-de-camp, & qu'ils les commandent indépendamment de leur ancienneté dans ce grade. Les lieutenans & les enseignes ont rang de mestres-de-camp, & les exempts ont rang de capitaines de cavalerie.

On appelle exempts dans les gardes-du-corps des officiers qui sont au-dessous des enseignes. Ce mot vient de ce qu'originairement ils étoient gardes-du-corps exempts de faire faction. Les simples gardes-du-corps, gendarmes, chevaux-legers de la garde, & mousquetaires, ont d'abord rang de lieutenant de cavalerie : lorsqu'ils ont quinze ans de service, ils obtiennent la commission de capitaine de cavalerie *.

Les lieutenans des gardes-du-corps n'ont pas coûtume de monter au grade de capitaine de leurs compagnies ; mais ils parviennent à celui de maréchal-de-camp & de lieutenant géneral à leur rang, sans être obligés de quitter leurs emplois.

Les enseignes montent par ancienneté à la lieutenance.

Pour remplir les places d'enseigne, Louis XIV. prenoit alternativement un exempt de la compagnie & un colonel de cavalerie.

Les places d'exempt sont données alternativement à un brigadier de la compagnie & à un capitaine de cavalerie : pour celles de brigadier & sous-brigadier, elles sont toûjours données à de simples gardes-du-corps.

Les étendarts ne sont point portés par les enseignes, mais par d'anciens gardes, à qui on donne le nom de porte-étendarts, & qui ont une paye un peu plus forte que les autres. Il en est de même pour les étendarts de toutes les autres compagnies de la gendarmerie.

Comme il y a dans toutes les compagnies des gardes-du-corps six brigadiers & six étendarts, & que chaque compagnie ne forme que deux escadrons, il y a trois étendarts par escadron, & trois brigades.

Dans la compagnie écossoise, il y a vingt-quatre gardes qu'on nomme gardes de la manche ; lorsque Sa Majesté est à l'église, il y en a toûjours deux à ses côtés qui ont des halebardes, & qui sont revêtus d'une cotte-d'armes à l'antique. (Q)

GARDES A PIE de la maison du roi. Sous ce titre sont compris les cent-suisses, les gardes-françoises, & les gardes-suisses.

Les cent-suisses sont une compagnie de cent-hommes divisée en six escoüades, sous dix-huit officiers ; ils portoient autrefois la livrée ; mais ils ont depuis quelques années un habit bleu avec des galons d'or, & un ceinturon qu'ils portent par-dessus leur habit ; ils sont armés, outre leur épée, d'une pertuisane ou halebarde : dans les solennités, ils ont conservé l'habit antique, savoir le pourpoint à manches tailladées, la fraise, le chapeau de velours noir orné d'une plume blanche, les hauts-de chausses très-amples, & les souliers garnis de noeuds de ruban ; ils sont de la création de Louis XI. en 1481, approchent de très-près de la personne du roi, marchent à la portiere de son carosse : ils doivent être suisses naturels, & joüissent en France de plusieurs priviléges.

GARDES-FRANÇOISES ; c'est un régiment d'infanterie créé par Charles IX. en 1563, composé de trente-trois compagnies divisées en six bataillons. Tout le corps est commandé par un colonel ; chaque compagnie par un capitaine, qui a sous lui un lieutenant, un sous-lieutenant, un enseigne, & quatre sergens, à l'exception de la colonelle, où l'on compte trois lieutenans, autant de sous-lieutenans, deux enseignes, six sergens : chaque bataillon a outre cela son commandant, son major, & ses aides-majors. Les gardes-françoises tiennent toûjours la droite sur les gardes-suisses ; & leurs officiers portent le hausse-col

* Cette derniere distinction ne leur est accordée que depuis quelques années.

doré ; au lieu que ceux des gardes-suisses le portent d'argent. Ils ont aussi leur juge particulier, qu'on nomme le prevôt des bandes. Leur uniforme est bleu, paremens rouges, avec des agrémens blancs, leurs drapeaux bleus traversés d'une croix blanche & parsemés de fleurs-de-lis d'or. Plusieurs compagnies montent la garde chez le roi, & sont relevées par autant d'autres au bout de quatre jours. Ils gardent les bâtimens extérieurs du louvre, les cours & avant-cours, où ils se rangent en haie, lorsque le roi ou la reine doivent sortir ; ils restent dehors jusqu'à la rentrée du roi ou de la reine ; les tambours battent au champ pendant leur passage. Ils appellent pour les enfans de France, & ils rendent le même honneur à leur colonel. On les employe aussi à différentes gardes dans Paris, où ils sont logés dans les fauxbourgs, & ont divers corps-de-garde ; & lorsque le roi n'est pas à Versailles, ils fournissent toûjours un certain nombre d'hommes pour la garde de la reine & des enfans de France.

GARDES-SUISSES, régiment d'infanterie composé de douze compagnies en quatre bataillons. Leur uniforme est rouge avec des paremens bleus & des agrémens blancs. Ce corps a ses officiers de justice ; mais la compagnie colonelle a son juge particulier, qui ne dépend que du colonel-général. Les gardes-suisses montent la garde chez le roi, conjointement avec les gardes-françoises. Il faut remarquer ici que pour désigner les officiers de ces différens corps, on dit capitaine des gardes-du-corps, pour les commandans des quatre compagnies des gardes-du-corps ; capitaine aux gardes, pour les commandans de celles des gardes-françoises ; & pour les suisses, capitaine aux gardes-suisses.

Capitaine des gardes, exempt des gardes, brigadier des gardes, colonel des gardes, capitaine aux gardes ; Voyez CAPITAINE, EXEMPT, BRIGADIER, COLONEL, &c.

GARDE DU DEDANS, & GARDE DU DEHORS ; ce sont deux parties de la garde du roi, ainsi nommées l'une & l'autre du poste qu'elles occupent, & des lieux où elles servent. La garde du dedans est composée des gardes-du-corps, dont quelques-uns sont gardes de la manche, des cent-suisses, des gardes de la porte, & des gardes du grand-prevôt de l'hôtel. La garde du dehors est de gendarmes, chevaux-legers, mousquetaires, deux régimens des gardes, l'un françois & l'autre suisse.

GARDES DE LA MANCHE ; ce sont vingt-quatre gentilshommes, gardes du corps, de la compagnie écossoise, qui servent toûjours au côté du Roi. On y a joint le premier homme d'armes qui fait le vingt-cinquieme. Ils ne servent que deux-à-deux, sinon dans les jours de cérémonie où ils sont six. Leur service est d'un mois. Ils ont sur le just-au-corps un corcelet ou hoqueton à fond blanc brodé d'or, avec la devise du Roi. Ils sont armés de l'épée qu'ils ont au côté, & d'une pertuisane dont le bois est semé de clous d'or, & le haut frangé : ils l'ont à la main droite. Ils se tiennent toûjours debout, excepté à l'élévation. Aux funérailles des rois, ils sont debout aux côtés du lit. Ils déposent le corps dans le cercueil, & le cercueil au lieu qui lui est destiné.

GARDES DE LA PORTE ou DES PORTES, hommes d'armes qui veillent jour & nuit aux portes intérieures du palais où est le Roi. Il y en a cinquante. Ils sont armés de l'épée, de la carabine, avec la bandouliere chargée de deux clés en broderie, & just-au-corps bleu comme les gardes du corps, mais les galons & les ornemens différens. Ils ont un chef & quatre lieutenans qui les commandent ; on appelle le chef capitaine des portes. Ils servent par quartier. Ils se placent aux portes du dedans du logis où est le Roi : le matin à six heures, ils relevent les gardes du corps, & n'en sont relevés que le soir.

GARDES DE LA PREVOTE DE L'HOTEL, hommes d'armes qui sont exécuter la police où demeure le Roi. Ils sont commandés par le prevôt de l'hôtel, qui est aussi grand-prevôt de France, & par quatre lieutenans qui servent par quartier. Quand le Roi marche en carrosse à deux chevaux, ils précedent les cent-suisses qui sont devant le carrosse. Ils arrêtent les malfaiteurs qui s'introduisent dans les lieux qu'habite le Roi. Ils portent le hoqueton incarnat-bleu-blanc, avec broderie, & la devise d'Henri IV. ou la massue, & ces mots, erit haec quoque cognita monstris.

GARDE ou QUART, (Marine) Voyez QUART.

GARDES-CORPS, (Marine) ce sont des nattes ou des tissus que l'on fait avec des cordages tressés, & qu'on met sur le haut des vaisseaux de guerre de chaque côté pour couvrir les soldats & les garantir des coups de mousquet de l'ennemi. Ces gardes-corps sont hauts de deux piés & demi, & ont quatre à cinq pouces d'épaisseur ; ils sont soûtenus par des épontilles & recouverts de pavois par-dessus. On les fait ordinairement de gros cables nattés ; ils ne descendent pas jusque sur le pont, afin de laisser l'espace pour tirer le mousquet. (Z)

GARDES-COTES. Ces gardes sont composés des communes des villages les plus proches de la mer ; les habitans des villages destinés à la garde-côte ne tirent point à la milice.

Les gardes-côtes sont distribués par capitaineries. Le commandant de la province leur fait donner des armes & des munitions en tems de guerre ; le major de la capitainerie répond des armes, & les fait reporter dans les arsenaux à la paix.

Les capitaineries & la nomination des officiers dépendent du ministre de la Marine ; les capitaines & les principaux officiers sont toûjours choisis parmi les gens de condition de la province qui servent ou qui ont servi.

Par des arrangemens particuliers faits sous les ordres de l'intendant de la province, ces troupes ont des gratifications en tems de guerre, & ont presque toutes des uniformes de serge ou de grosse toile avec des paremens de différentes couleurs ; elles ont aussi des drapeaux.

Les gardes-côtes sont très-utiles pour épargner le service aux troupes du Roi ; & lorsqu'une capitainerie est bien tenue, comme celles du Calaisis, de Verton, du Crotoy, & de Cayeux, qui ont fort bien servi pendant la derniere guerre, elles sont suffisantes pour la défense de la côte, dont elles connoissent les plages & les points où l'ennemi pourroit aborder pour faire un coup-de-main.

Cependant nous croyons que l'ordre établi dans le Boulonnois, est meilleur que celui des capitaineries gardes-côtes. Le Boulonnois en tout tems a cinq régimens d'infanterie & trois de cavalerie, dont les colonels & les officiers sont brevetés par le Roi. Ces troupes sont sous les ordres du ministre de la guerre. Chaque village ou hameau fournit un nombre de cavaliers & de soldats, proportionné aux fermes & aux habitans qui le composent.

En tems de guerre on choisit dans ce nombre trois ou quatre bataillons, qui sont armés, équipés & entretenus par le Roi, comme les autres régimens d'infanterie. Ces régimens ont leur inspecteur particulier ; ils servent en garnison à Boulogne & dans les places maritimes voisines, & prennent rang dans l'infanterie du jour de leur création.

On assemble à Bologne deux compagnies de cavalerie, armées, montées, équipées & payées comme le reste de la cavalerie. Ces compagnies servent à envoyer des détachemens à la découverte le long de l'Estran ; & en cas d'alerte elles fournissent des ordonnances pour envoyer en différens bourgs & villages du Boulonnois, pour commander aux régimens de s'assembler & de marcher aux rendez-vous généraux, tant au-delà qu'en-deçà de la Lyane.

Cette opération est d'une exécution facile & promte ; & en douze heures l'officier général qui commande en Boulonnois, peut être sûr d'avoir 7 à 8 mille hommes sous les armes. L'ordre établi en Boulonnois est très-bon, n'est point à charge au pays : l'esprit militaire s'y conserve. Cette province, la plus voisine de l'Angleterre, peut se garder par ses propres forces, sans que la culture des terres en souffre.

Pendant la derniere guerre les troupes enrégimentées étoient fort belles, ont bien servi, & étoient très-bien composées en officiers.

Nous avons plusieurs provinces maritimes où le même ordre seroit très-utile à établir.

En tems de guerre tous les postes des gardes-côtes ont un signal qui peut être apperçû des postes de droite & de gauche. Ces signaux s'exécutent pendant le jour avec des drapeaux & des flammes, telles que celles des galeres ; pendant la nuit avec des fanaux & des feux. Dans le Boulonnois, le Roi entretient en tems de guerre un guetteur sur la montagne du Grinéz & sur celle du Blanéz. Ces deux montagnes forment les pointes de la petite baie de Willan, que l'on croit être l'ancien port d'Ictium des Romains ; mais qui n'est plus aujourd'hui d'aucun usage, par la quantité de sables qui l'ont comblé, & qui ont même entierement couvert tout le terrein où l'ancienne ville de Willan étoit bâtie.

Le guetteur du Grinéz se trouve dans le cap de France le plus proche de l'Angleterre : le trajet en droite ligne n'est que de cinq lieues & demie, à 2400 toises la lieue. Ce guetteur découvre avec sa lunette la moindre barque qui sort du port de Douvres : deux cavaliers d'ordonnance restent de garde au Grinéz, pour faire leur rapport à Boulogne.

Le guetteur du Blanéz découvre tout ce qui sort des Dunes, & double la pointe de Danjeneasse ; des ordonnances du Calaisis y restent de garde, & font leur rapport à Calais.

De la tour de Dunkerque le guetteur découvre tout ce qui sort de la Tamise ; toute cette partie des côtes de France voit à l'instant ce qui se passe sur les bords opposés, d'où l'on ne peut découvrir nos manoeuvres, nos côtes étant plus basses, & la mer les couvrant ; ce qui se définit, en terme de marine, en disant que la mer mange la côte. Les capitaines des gardes-côtes doivent connoître tous les sondages de l'étendue de la côte qu'ils ont à garder, pour juger sûrement des endroits où il est possible de faire une descente.

Cette connoissance est très-facile à prendre sur les côtes de la Méditerranée, où le flux le plus haut ne monte pas à un pié ; mais sur les côtes de l'Océan il faut évaluer toutes les différentes hauteurs des marées, qui varient selon les saisons & les tems des équinoxes, & deux fois tous les mois régulierement, en suivant les quartiers de la lune ; ce qui fait deux changemens considérables en vingt-huit jours. Les gens de mer nomment ces flux réglés, vive-eau & morte-eau. Tel petit port des côtes de l'Océan ne pourroit recevoir de morte-eau un bâtiment de 60 tonneaux, qui peut en recevoir un de 300 de vive-eau. Cette connoissance paroît avoir été négligée ; cette évaluation est cependant très-importante à faire, soit lorsqu'on médite quelqu'embarquement, soit lorsqu'on peut craindre quelque descente.

D'espace en espace il y a des batteries & des redoutes sur le bord de la mer ; quelques-unes sont armées en bronze ; & les canons, leur service & leur garde appartiennent à l'artillerie & aux troupes de terre ; les autres sont armées en fer & appartiennent à la marine, & sont gardées & servies par des détachemens de troupes de la marine ou des gardes-côtes. En tems de guerre les unes & les autres sont également sous les ordres de l'officier général commandant dans la province.

Ces batteries sont placées, le plus qu'il est possible, dans les endroits où la mer fait échoir, terme dont les Marins se servent pour indiquer un point de la côte où le fond est assez profond pour que la mer reste près de la côte à basse mer, même pendant le tems de morte-eau.

Il seroit à desirer qu'on mît plus d'uniformité dans le service des gardes-côtes ; il est facile aussi de perfectionner ce service, qui devient quelquefois très-important : il le sera toûjours beaucoup en tems de guerre, de mettre ce service au point que les côtes puissent être défendues par leurs propres forces, & que les armées en campagne ne soient point obligées de détacher des brigades ou des régimens pour remplacer ce qui manque à la défense des côtes. Article de M. le comte de TRESSAN.

GARDE-COTES, (Marine) on donne ce nom à des vaisseaux de guerre ou des frégates que le Roi fait croiser le long de nos côtes pour la sûreté du Commerce, & protéger les marchands contre les corsaires qui pourroient troubler leur navigation.

GARDE-COTES, CAPITAINERIES GARDE-COTES ; c'est un nombre de villages voisins de la mer, qui sont sujets à la garde d'une certaine étendue de côtes reglées par des ordonnances du Roi, qui fixent l'étendue de chaque capitainerie, & les lieux qui y sont compris. Chaque capitainerie a son capitaine, un lieutenant, & un enseigne : en tems de guerre, ces compagnies sont obligées de faire le guet, & de marcher aux endroits où les ennemis voudroient tenter quelques descentes, ou faire quelques entreprises. Voyez ci-devant GARDES-COTES.

GARDE DE FEUX, (Marine) ce sont des caisses de bois qui servent à mettre les gargousses, après qu'on les a remplies de poudre pour la charge des canons, & à les garder dans le fond de cale.

GARDE-MAGASIN, (Marine) c'est un commis chargé de tenir état de tout ce qui entre & sort des magasins qui sont dans un port, soit pour la construction, armement ou desarmement des vaisseaux. L'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de la marine, du 15 Avril 1689, regle les fonctions des gardes-magasins, & leur prescrit ce qu'ils doivent observer. (Z)

GARDES DE LA MARINE, ou GARDES-MARINE ; ce sont de jeunes gentilshommes choisis & entretenus par le Roi dans ses ports pour apprendre le service de la marine, & en faire des officiers.

Ils sont par compagnies, distribuées dans les ports de Brest, de Toulon, & de Rochefort.

Le Roi paye des maîtres pour les instruire de tout ce qu'il est nécessaire de savoir pour faire de bons officiers ; ils en ont pour les Mathématiques, le Dessein, l'Ecriture, la Fortification, la Construction, l'Hydrographie, la Danse, l'Escrime, &c.

On les embarque sur les vaisseaux du Roi, où ils servent comme soldats, & en font toutes les fonctions ; & pour entretenir & cultiver pendant qu'ils sont à la mer les connoissances qu'ils auront prises dans les ports, leur commandant de concert avec le capitaine du vaisseau, marque quatre heures destinées à leurs différens exercices. La premiere pour le Pilotage & l'Hydrographie, la seconde pour l'exercice du mousquet & les évolutions militaires, la troisieme pour l'exercice du canon, la quatrieme pour l'exercice de la manoeuvre quand le tems le permettra, qui sera commandée par le capitaine en chef, ou le capitaine en second, & qui la fera commander aussi par les gardes chacun à son tour. Ce sont de ces compagnies que l'on tire tous les officiers de la marine.

GARDE-MENAGERIE, (Marine) c'est celui qui a soin des volailles & des bestiaux qu'on embarque pour la table du capitaine & les besoins de l'équipage. (Z)

GARDE, (Jurisprud.) signifie confirmation & administration ; ce terme s'applique aux personnes & aux choses.

Il y a pour les personnes plusieurs sortes de garde ; savoir la garde des enfans mineurs, que l'on distingue en garde noble & bourgeoise, garde royale & seigneuriale.

Il y a aussi la garde-gardienne pour la conservation des priviléges de certaines personnes.

On donne aussi en garde la justice & plusieurs autres choses ; c'est de-là que certains juges ne sont appellés que juges-gardes ou gardes simplement de telle prevôté.

Enfin, plusieurs autres officiers ont le titre de garde, comme garde des Sceaux, garde des rôles, garde marteau, &c. Nous allons expliquer ces différentes sortes de gardes, en commençant par la garde des personnes.

GARDE D'ENFANS MINEURS, appellée dans la basse latinité bailia, ballum, warda, & en latin plus correct custodia, est l'administration de leur personne pendant un certain tems, & le droit qui est accordé au gardien pour cette administration, de joüir des biens du mineur ou d'une partie d'iceux, sans en rendre compte, aux charges prescrites par la coûtume.

Quelques-uns prétendent trouver l'origine de la garde jusque chez les Romains, & citent à ce sujet la loi 6 au code de bonis quae liberos, qui fait mention du droit d'usufruit accordé au pere ou ayeul sur les biens du fils de famille étant en sa puissance. Cet usufruit est accordé comme une suite du droit de puissance paternelle, avec lequel la garde a en effet quelque rapport ; mais elle differe en ce que la puissance paternelle n'est accordée qu'aux peres & ayeuls, au lieu que la garde est aussi accordée aux meres & ayeules, & même en quelques coûtumes aux collatéraux. L'usufruit que donne la puissance paternelle ne finit que par l'émancipation du fils de famille, à la différence de la garde, qui finit à un certain âge, qui est toûjours avant la majorité.

D'autres comparent la garde à l'administration que les meres avoient de leurs enfans étant en pupillarité, lorsque le pere ou ayeul étoit décédé. Séneque en son livre de la consolation ad Martiam, dit : pupillus relictus est usque ad quatuordecimum annum sub matris custodia ; à quoi il rapporte aussi ce que dit Horace, liv. I. de ses épîtres.

Ut piger annus

Pupillis, quos dura premit custodia matrum.

Pontanus sur la coûtume de Blois, tit. ij. art. 4. tient que la garde est une espece de tutele qui vient des moeurs & coûtumes des Gaulois.

Mais il est plus vraisemblable que l'origine de la garde vient des fiefs ; qu'elle fut établie en faveur des vassaux mineurs qui n'étoient point en âge de faire le service de leurs fiefs. Le Roi ou autre seigneur dont le fief relevoit, prenoit sous sa garde & protection le vassal mineur ; & comme il avoit soin de son éducation, & qu'il faisoit desservir le fief par un autre, il joüissoit pour cela des revenus du fief, jusqu'à-ce que le vassal fût en âge de faire la foi, sans être tenu d'en rendre aucun compte.

Lorsque le Roi avoit la garde, on l'appelloit garde royale ; lorsqu'elle appartenoit au seigneur, elle étoit appellée garde seigneuriale.

Quelquefois le Roi ou le seigneur la cédoient aux pere, mere, ou autres ascendans ou parens du mineur : & comme en ce tems on ne donnoit les fiefs qu'aux nobles, qu'il n'y avoit presque point de noble qui n'eût quelque fief, & que les roturiers auxquels on permit dans la suite d'en posséder, devenoient nobles par la possession de ces fiefs lorsqu'ils se soûmettoient à en faire le service ; on appella garde noble, la garde de tous les mineurs nobles ou possédant fiefs, & à l'imitation de cette garde noble, on accorda dans la suite aux pere & mere non nobles la garde bourgeoise de leurs enfans mineurs.

La premiere source de la garde se trouve donc dans le droit féodal des Saxons, où il est dit article xviij. §. 6. dominus etiam est tutor pueri in bonis quae de ipso tenet infrà annos pueriles, dum nulli contulit hoc emolumentum, & debet inde reditus accipere, donec puer ad annos perveniat suprà scriptos, infrà quos puer se negligere non valebit, si à domino non potuerit investiri.

Quelques-uns prétendent qu'il est parlé de la garde dans les capitulaires de Charlemagne ; mais il est constant que le droit de garde est moins ancien en France, & qu'il ne commença d'y être usité, que lorsque les fiefs devinrent héréditaires ; ce qui n'arriva, comme on sait, que vers le commencement de la troisieme race, ou au plutôt vers la fin de la seconde.

En effet, tant que les fiefs ou bénéfices ne furent qu'à vie, il ne falloit point de gardien pour administrer ces sortes de biens, parce qu'on ne les donnoit jamais qu'à des gens en état de porter les armes & d'administrer leurs biens.

Ce ne fut donc que quand les fiefs commencerent à devenir héréditaires, que les seigneurs prévoyant que ces fiefs pourroient échoir à des mineurs qui ne seroient pas en état de faire le service militaire dû à cause des fiefs, se réserverent en quelques lieux la joüissance de ces fiefs, lorsque ceux auxquels ils appartenoient, n'étoient pas en âge de remplir leurs devoirs de vassaux ; savoir lorsque les mâles n'avoient pas vingt ou vingt-un ans accomplis, parce qu'avant cet âge, ils n'étoient pas réputés capables de porter les armes, comme il est dit dans Fleta, liv. I. chap. xj. §. 3. & à l'égard des filles, elles tomboient en garde pour leurs fiefs jusqu'à-ce qu'elles eussent atteint l'âge de puberté, parce que jusque-là elles n'étoient point en état de prendre un mari pour servir le fief.

De-là vint la garde royale & seigneuriale ; la garde royale étoit dévolue au Roi pour les fiefs mouvans immédiatement de lui, qui appartenoient à des mineurs ; & le Roi dans ce cas joüissoit non-seulement des fiefs mouvans de lui, mais aussi des arriere-fiefs ; au lieu que les autres seigneurs ne joüissoient que des fiefs qui étoient mouvans d'eux immédiatement, comme il est dit dans les articles 215. & 216. de la coûtume de Normandie.

Dans quelques endroits les seigneurs, au lieu de se réserver cette joüissance, permirent aux parens les plus proches des mineurs du côté dont les fiefs leur étoient échûs, de desservir ces fiefs ; ils choisissoient même quelquefois entre ces parens celui qui étoit le plus propre à s'acquiter de ce devoir, comme on voit dans la chronique de Cambrai & d'Arras, liv. XXXIII. ch. lxvj. où la garde est nommée custodia : hujus custodiae puerum cum bono ejus commisit, dit cette chronique ; & en françois cette commission fut nommée bail ou garde ; & les parens qui en étoient chargés furent appellés bails ou baux, & baillistres, du latin bajulus, qui dans la moyenne & basse latinité signifioit gouverneur, administrateur.

Dans quelques coûtumes on distinguoit la garde du bail ; la garde proprement dite n'étoit accordée qu'aux ascendans, le bail aux collatéraux. D'autres ont refusé à ces derniers la garde ou le bail, comme on voit dans la coûtume de Châteauneuf en Thimerais, art. 139. qui porte que dans cette baronie bail de mineurs n'aura plus lieu, mais qu'il sera pourvû de tuteurs & curateurs, sinon que les peres ou meres eussent pris la garde d'iceux mineurs.

Les anciennes ordonnances ont compris sous le terme de bail l'administration des ascendans aussi-bien que celle des collatéraux ; l'une & l'autre est nommée ballum dans une ordonnance de saint Louis du mois de Mai 1246. Cette même ordonnance distingue néanmoins la garde du bail ; la garde paroît prise pour le soin de la personne, & le bail pour l'administration des biens. En effet cette même ordonnance veut que le collatéral héritier présomptif du fief du mineur en ait le bail, mais que la garde de la personne du mineur appartienne au collatéral qui est dans le degré suivant.

Les Anglois qui ont emprunté comme nous la garde du droit féodal, nous en fournissent des exemples fort anciens. Malcome II. roi d'Ecosse, qui monta sur le throne en 1004, traita avec ses sujets auxquels il donna les terres qu'ils possédoient, à la charge de les tenir de lui à foi & hommage, & tous les barons lui accorderent le relief & la garde ; & omnes barones concesserunt sibi wardam & relevium de haerede cujuscumque baronis defuncti ad sustentationem domini regis. La charte des libertés d'Angleterre de l'an 1215, fait aussi mention de la garde.

En France l'acte le plus ancien que je connoisse où il soit parlé du bail ou garde des mineurs, c'est une charte de l'an 1227, rapportée par Duchesne dans ses preuves de l'histoire de la maison de Chatillon.

Matthieu Paris en parle aussi aux années 1231, 1245 & 1257, où l'on voit que le roi vendoit ou donnoit la garde des mineurs à qui bon lui sembloit.

La plus ancienne ordonnance qui concerne le bail & la garde, est celle de saint Louis du mois de Mai 1246, qui a pour objet de régler le bail & le rachat dans les coûtumes d'Anjou & du Maine.

Le chap. xvij. des établissemens faits par ce même prince en 1270, porte que la mere noble a le bail de son hoir mâle jusqu'à 21 ans, & celui de la fille jusqu'à 15, au cas qu'il n'y ait pas d'hoir mâle. Il paroît résulter de-là que quand il y avoit un enfant mâle, la fille ne tomboit pas en garde ou en bail, l'aîné étoit apparemment saisi de toute la succession, & gagnoit les fruits jusqu'à-ce que ses puînés l'eussent sommé de leur en faire partage.

Le chap. cxvij. de cette même ordonnance veut que la garde du fief soit donnée à celui qui en est héritier présomptif, & la garde de la personne à un autre parent, de crainte que l'héritier ne desirât plutôt la mort que la vie des enfans ; & l'on ne donnoit joüissance de la terre du mineur à celui qui avoit la garde de sa personne, qu'autant qu'il en falloit pour le nourrir.

A l'égard des roturiers, les pere & mere étoient les seuls qui eussent le bail de leurs enfans ; & en cas qu'ils fussent tous deux décédés, l'héritier présomptif pouvoit bien tenir les enfans ; mais ils avoient la liberté d'aller demeurer chez un autre parent ou même chez un étranger qui avoit le soin de leurs personnes & de leurs biens.

Le roi Jean qui étoit bail & garde du duc de Bourgogne, étant prisonnier en Angleterre, son fils aîné, comme le représentant, fit les fonctions de bail, & en cette qualité donna des bénéfices dont la nomination appartenoit au duc de Bourgogne.

Anciennement il n'y avoit que les fruits des héritages féodaux qui tombassent en garde, ce qui s'observe encore dans les coûtumes de Vermandois & de Melun.

La garde n'étoit point considérée comme un avantage ; mais insensiblement les gardiens étendirent leurs droits au préjudice des mineurs. Ces usages furent reçus diversement dans les coûtumes.

Quelques-unes n'usent que du terme de garde pour designer cette administration, comme celle de Paris ; d'autres l'appellent simplement bail, comme celle du Maine ; d'autres disent garde ou bail indifféremment, telle que la coûtume de Peronne.

D'autres distinguent la garde du bail. Celle d'Orléans dit que les ascendans sont gardiens, que les baillistres sont la mere ou ayeule remariée & les collatéraux ; celles de Melun & de Mantes déferent le bail aux collatéraux ; celle de Rheims dit que bail d'enfant n'a lieu, & elle ne défere la garde qu'aux ascendans.

La coûtume de Blois joint ensemble les termes de garde, gouvernement, & administration.

Quelques coûtumes, comme celles de Mantes & d'Anjou, n'admettent la garde que pour les nobles, & non pour les roturiers ; d'autres, comme Paris, admettent l'une & l'autre.

En Normandie il y a garde royale & garde seigneuriale.

En Bretagne les enfans tomboient aussi en la garde du duc & des autres seigneurs ; mais ce droit fut changé en rachat par accord fait entre Jean duc de Bretagne, fils de Pierre Mauclerc, & les nobles du pays.

Quelques coûtumes, comme celle de Châlons, n'admettent ni garde ni bail.

Enfin quelques-unes n'en parlent point, & ont pourvû en diverses autres manieres à l'administration des mineurs & de leurs biens, & aux droits des pere, mere, & autres ascendans.

Le droit commun & le plus général que l'on suit présentement par rapport à la garde qui a lieu pour les pere, mere, & autres parens, est qu'on la considere comme un avantage accordé au gardien, parce qu'ordinairement il y trouve du bénéfice, & qu'il ne l'accepte que dans cette vûe.

Elle participe de la tutele, en ce que le gardien est chargé de nourrir & entretenir les mineurs selon leur condition, & qu'il a l'administration de leurs biens qui tombent en garde : mais le pouvoir du tuteur est beaucoup plus étendu.

Les pere & mere mineurs ont la garde de leurs enfans, aussi-bien que les majeurs : mais on donne un tuteur ou curateur au gardien, lorsqu'il est mineur.

Les dispositions entre-vifs ou testamentaires, par lesquelles les ascendans ordonneroient que leurs enfans ne tomberont pas en garde, ne seroient pas valables, parce qu'ils ne peuvent pas ôter ce droit au survivant, qui le tient de la coûtume.

La garde n'est jamais ouverte qu'une fois à l'égard des mêmes enfans ; quand on ne l'a pas prise lorsqu'elle étoit ouverte, on ne peut plus y revenir ; & elle ne se réitere point, c'est-à-dire que les enfans ne tombent jamais deux fois en garde.

Si les ascendans ont laissé créer un tuteur à leurs enfans ou petits-enfans, ils ne peuvent plus en prendre la garde, quand même ce seroit eux qui seroient tuteurs, à-moins qu'ils ne se soient reservé expressément la faculté de prendre la garde.

La garde doit être acceptée en personne, & non par procureur.

L'acceptation ne peut pas être faite au greffe, mais en jugement, c'est-à-dire l'audience tenante. L'usage est que le gardien se présente assisté d'un procureur, qui requiert lettre de ce que sa partie accepte la garde ; ce que le juge lui accorde.

Les juges de privilége ne peuvent pas déférer la garde ; c'est au juge ordinaire du domicile du défunt à la déférer. Cette regle ne reçoit d'exception qu'à l'égard des princes & princesses du sang, auxquels la garde est déférée par le parlement ; & il est bon à ce propos de relever une fausse tradition qui a eu cours à ce sujet, savoir, que lorsque Gaston, frere de Louis XIII. voulut prendre la garde noble de ses filles ; pour le dispenser d'aller au châtelet, le roi rendit une déclaration, par laquelle il transféra le châtelet pour vingt-quatre heures au palais d'Orléans, dit Luxembourg, où demeuroit Gaston ; que le châtelet y tint son audience, pendant laquelle Gaston vint en personne accepter la garde. Cependant il est certain qu'il y a arrêt du parlement du 2 Septembre 1627, qui montre que l'acceptation de la garde noble y fut véritablement faite par Gaston duc d'Orléans.

Dans les coûtumes qui ne fixent point le tems pour accepter la garde, elle peut toûjours être demandée tant qu'il n'y a pas de tuteur nommé.

L'acceptation de la garde faite rebus integris, a un effet rétroactif au jour de l'ouverture de la garde.

Celui qui a une fois accepté la garde ne peut plus s'en démettre que du consentement de ses mineurs ; mais il peut s'en démettre malgré ses créanciers.

Le gardien même mineur n'est point relevé de son acceptation, sous prétexte de minorité, lésion, ou autrement.

Dans les coûtumes où le gardien, soit noble ou roturier, gagne les meubles, il n'en fait point d'inventaire : mais il doit toûjours faire inventorier les titres & papiers, pour en constater la quantité & la valeur, afin que l'on ne puisse pas lui en demander davantage : cet inventaire doit être fait avec le tuteur ou subrogé-tuteur des enfans.

Si le gardien est en communauté de biens avec ses enfans, il faut que l'inventaire soit fait & clos dans le tems & la forme prescrits par la coûtume ; autrement la communauté continueroit, & le bénéfice de la garde y seroit confondu jusqu'à-ce qu'il y ait un inventaire clos.

Le gardien doit aussi, pour sa sûreté, faire un procès-verbal de l'état des immeubles, pour les rendre au même état de grosses réparations.

La tutele n'appartient pas de plein droit au gardien ; ainsi il ne peut, sans être tuteur, recevoir le remboursement volontaire ou forcé des rentes dûes à ses mineurs ; il ne peut aliéner leurs immeubles, & on ne peut en faire le decret sur lui ; il ne peut déduire en jugement aucunes actions réelles de ses mineurs, soit en demandant ou en défendant, ni même y déduire d'autres actions personnelles que celles qui concernent la joüissance qu'il a droit d'avoir comme gardien.

Lors donc qu'il s'agit de quelque acte que le gardien ne peut pas faire, on crée un tuteur ou curateur au mineur.

Si le mineur n'a pas d'autres biens que ceux compris dans la garde, le gardien doit avancer au tuteur l'argent nécessaire pour exercer les droits du mineur, quand ce seroit pour procéder contre le gardien lui-même, sauf à celui-ci à répéter ces avances après la fin de la garde, s'il y a lieu.

Quant à l'émolument de la garde, c'est un statut réel qui se regle par chaque coûtume pour les biens qui y sont situés.

Les coûtumes ne sont pas uniformes sur ce point ; les unes donnent au gardien les meubles en propriété ; d'autres ne les donnent qu'au gardien noble ; d'autres n'en donnent que l'administration.

La coûtume de Paris & plusieurs autres donnent au gardien l'administration des meubles, & le gain de tous les fruits des immeubles pendant la garde ; à la charge de payer les dettes & arrérages des rentes que doivent les mineurs ; les nourrir, alimenter & entretenir selon leur état & qualité ; payer & acquiter les charges annuelles que doivent les héritages, & entretenir lesdits héritages de toutes réparations viageres.

D'autres coûtumes ne donnent la joüissance que des héritages nobles. Voyez les commentateurs sur les titres des coûtumes où il est parlé de la garde noble & bourgeoise, & le traité qu'en a fait de Renusson. (A)

GARDE BOURGEOISE, est celle qui est déférée par la coûtume au pere ou mere bourgeois & non nobles.

Quelques auteurs ont écrit que ce privilége fut accordé aux bourgeois de Paris par Charles V. par des lettres-patentes du 9 Août 1371 : mais en examinant avec attention ces lettres, on voit que l'usage de la garde bourgeoise étoit plus ancien, & que Charles V. ne fit que le confirmer. On voit en effet dans ces lettres, que les bourgeois de Paris représenterent au roi, que dans les tems passés, tant de son regne que de celui de ses predécesseurs, ils avoient joüi des droits de garde & baux de leurs enfans & cousins, consanguineorum ; ce qui suppose qu'alors la garde avoit lieu à Paris au profit des collatéraux ; Charles V. les confirma dans tous leurs priviléges, sans les spécifier.

Ce droit de garde bourgeoise n'a lieu dans la coûtume de Paris, qu'en faveur des bourgeois de la ville & fauxbourgs de Paris, & non pour les bourgeois des autres villes ; mais il a été étendu dans d'autres coûtumes aux bourgeois de certaines villes.

Les ayeux & ayeules ne peuvent prétendre la garde bourgeoise.

Pour regler la capacité de celui qui prétend la garde bourgeoise, on ne considere pas le domicile du gardien, mais la coûtume du lieu où le défunt qui a donné ouverture à la garde, avoit son dernier domicile ; & cette garde n'a son effet que sur les biens situés dans la coûtume qui accorde la garde, & ne comprend pas ceux qui seroient dans d'autres coûtumes, quand même elles accorderoient aussi la garde bourgeoise, parce qu'elle n'est donnée qu'à ceux qui sont domiciliés dans la coûtume ; & que le défunt ne pouvoit pas être domicilié à-la-fois dans plusieurs coûtumes. Voyez les arrêtés de M. de Lamoignon, tit. j. art. 29.

La garde bourgeoise ne dure que jusqu'à quatorze ans pour les mâles, & douze ans pour les filles, excepté dans la coûtume de Rheims, où elle dure jusqu'à vingt-cinq ans, tant pour les mâles que pour les femelles.

Du reste le pouvoir & les droits du gardien bourgeois sont les mêmes que ceux du gardien noble. Voyez ci-après GARDE NOBLE. (A)

GARDE COUTUMIERE, est la garde soit royale ou seigneuriale, noble ou bourgeoise, des enfans mineurs, qui est déférée à certaines personnes par les coûtumes, à la différence de la garde royale ou sauve-garde accordée à certaines personnes par des lettres-patentes. (A)

GARDE NOBLE, est celle qui appartient au pere, mere, ou autres ascendans nobles.

Par rapport à l'origine de cette garde, voyez ce qui a été dit ci-devant sur la garde des enfans mineurs en général.

L'émolument de cette garde est reglé diversement. Quelques coûtumes donnent au gardien les meubles en propriété ; d'autres ne lui en donnent que l'administration.

Dans quelques coûtumes, le gardien ne gagne que les fruits des fiefs du mineur ; dans d'autres, il a les revenus de tous leurs biens, même roturiers ; d'autres les chargent de rendre compte de tous les fruits.

L'âge auquel finit la garde noble est le même que celui de la majorité féodale, lequel est reglé diversement par les coûtumes. Voyez ci-devant GARDE BOURGEOISE, & ci-après GARDE ROYALE ET SEIGNEURIALE.

GARDE ROYALE, en Normandie, est celle qui appartient au roi sur les enfans mineurs à cause des fiefs nobles qu'ils possedent, mouvans immédiatement du roi, soit à cause de sa couronne ou à cause de son domaine.

Cette espece particuliere de garde, qui est propre à la province de Normandie, paroît avoir eu la même origine que la garde seigneuriale, & conséquemment la même origine que la garde noble, c'est-à-dire de suppléer au service militaire que les vassaux mineurs n'étoient pas en état de faire.

Nous croyons par la même raison que l'usage de la garde royale est aussi ancien que celui de la garde seigneuriale ou garde noble dans les autres coûtumes.

Mais il y a aussi lieu de croire que cette garde fut d'abord ducale avant d'être royale ; les fiefs ayant commencé à devenir héréditaires vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, c'est-à-dire dans le dixieme siecle. Rollo qui fut premier duc de Normandie en 910, ou quelqu'un de ses successeurs ducs, établit sans-doute la garde seigneuriale ou ducale, à l'imitation des autres seigneurs. Ceux-ci la remirent ensuite aux parens, moyennant un droit de rachat ; au lieu que les ducs de Normandie continuerent de joüir par eux-mêmes du droit de garde : aussi Terrien, qui a travaillé sur l'ancienne coûtume, ne parle-t-il pas de la garde royale, mais seulement de la garde d'orphelins, qu'il divise en deux especes, savoir celle qui appartient au duc de Normandie, & celle qui appartient aux autres seigneurs de la même province.

Cette garde ducale devint royale, soit lorsque Guillaume II. dit le Bâtard & le Conquérant, septieme duc de Normandie, eut conquis le royaume d'Angleterre, ce qui arriva l'an 1066 ; ou bien lorsque la Normandie fut réunie à la couronne de France par Philippe-Auguste.

Mais Terrien s'est trompé, en supposant que la garde avoit été introduite en Angleterre depuis que les ducs de Normandie en ont été rois : car les barons d'Ecosse accorderent le relief & la garde à Malcome II. qui monta sur le throne d'Ecosse en 1004.

Il n'y a en Normandie que deux sortes de garde, savoir la garde royale & la garde seigneuriale ; la garde bourgeoise n'y a pas lieu.

Le privilége de la garde royale est que le roi fait les fruits siens, non-seulement de ce qui échet pour raison des fiefs nobles tenus immédiatement de lui, & pour raison desquels on tombe en garde : mais il a aussi la garde, & fait les fruits siens de tous les autres fiefs, rotures, rentes, & revenus, tenus d'autres seigneurs que lui, médiatement ou immédiatement ; au lieu que la garde seigneuriale ne s'étend que sur les fiefs nobles ou qui relevent immédiatement des seigneurs particuliers, & non sur les autres fiefs nobles ou autres héritages relevans & mouvans d'autres seigneurs que d'eux. La raison de cette différence est que la majesté royale seroit blessée de souffrir un partage avec d'autres seigneurs qui sont les sujets du roi.

Si les arriere-vassaux du roi viennent à tomber en garde noble, pour raison des fiefs nobles qui relevent immédiatement des mineurs tombés en la garde noble royale, le roi fait pareillement siens les fruits & revenus de ces arriere-fiefs, tant que dure la garde noble royale des vassaux immédiats, & que les arriere-vassaux sont mineurs : de sorte que si la minorité de ceux-ci duroit encore après la garde noble royale finie, ils tomberoient en la garde du seigneur immédiat pour le restant de leur minorité, & ne seroient plus dans la garde royale.

La garde royale ne s'étend point sur des fiefs & biens situés dans une autre coûtume que celle de Normandie, à-moins qu'elle n'eût quelque disposition semblable.

Les apanagistes ni les engagistes du domaine n'ont point la garde royale ; c'est un droit de la couronne qui est inaliénable.

Le roi ne tire aucun bénéfice de la garde noble royale ; il en gratifie ordinairement les mineurs, ou leurs pere ou mere, ou quelqu'un de leurs parens ou amis : mais le droit de patronage qui appartient aux mineurs étant en la garde du roi, n'est point compris dans le don ou remise que le roi fait de la garde.

S'il n'y a qu'un seul bénéfice, le roi y présente à l'exclusion de la doüairiere qui joüit du fief ; mais s'il y en a plusieurs, la doüairiere présente au bénéfice dont le patronage est attaché au fief dont elle joüit.

La garde royale ou seigneuriale ne commence que du jour qu'elle est demandée en justice, si ce n'est par rapport à la présentation aux bénéfices.

Elle finit à l'âge de vingt-un ans accomplis, pour les mâles ; au lieu que la garde seigneuriale finit à vingt ans, tant pour les mâles que pour les filles.

La garde royale finit à l'âge de vingt ans accomplis pour les filles, & même plus tôt si elles sont mariées du consentement de leur seigneur & des parens & amis : c'est la même chose, à cet égard, pour la garde seigneuriale.

Les charges de la garde royale sont les mêmes que celles de la garde seigneuriale & de la garde noble en général.

Ceux auxquels le roi a fait don ou remise de la garde royale, sont en outre obligés d'en rendre compte aux mineurs lorsque la garde est finie, excepté lorsque le donataire est étranger à la famille.

Le donataire de la garde qui est parent du mineur, est seulement exempt des intérêts pupillaires ; il ne peut demander que ses voyages & séjours, & non des vacations.

Le don ou remise de la garde fait à la mere, quoiqu'elle ne soit pas tutrice, ou au tuteur depuis son élection, est réputé fait au mineur, au profit duquel ils sont obligés de tenir compte des intérêts pupillaires ; ce qui a lieu pareillement quand lors de l'élection le tuteur ne s'est point réservé à joüir de la garde qui lui étoit acquise avant sa tutele. Art. 36. du réglement de 1666.

En concurrence de plusieurs donataires de la garde royale, celui qui est parent est préféré à l'étranger ; & entre parens, c'est le plus proche. Voyez ci-après GARDE SEIGNEURIALE ; & les commentateurs de la coûtume de Normandie, sur les articles 214. & suiv. (A)

GARDE SEIGNEURIALE, en Normandie, est la garde noble des enfans mineurs, qui appartient aux seigneurs particuliers de fiefs, à cause des fiefs qui relevent immédiatement d'eux. L'origine de ce droit est la même que celle de la garde royale & de la garde noble en général.

Cette garde ne s'étend point sur les autres fiefs & biens des mineurs ; quand même ces biens seroient aussi situés en Normandie.

Le seigneur qui a la garde fait les fruits siens, sans être obligé d'en rendre compte, ni de payer aucun reliquat.

Le devoir du seigneur est de veiller sur la personne & sur les intérêts du mineur ; de ne rien faire à son préjudice ; enfin d'en user comme un bon pere de famille : autrement, si le seigneur abusoit de la garde, on pourroit l'en faire décheoir.

Il est libre au seigneur, quoiqu'il ait accepté la garde, d'y renoncer dans la suite, s'il reconnoît qu'elle lui soit plus onéreuse que profitable.

Le seigneur n'est obligé à la nourriture, & n'entretient des mineurs sur les biens compris en la garde, qu'au cas qu'ils n'ayent point d'ailleurs de revenu suffisant.

On donne un tuteur au mineur pour les biens qui n'entrent pas dans la garde.

Mais si le tuteur & les parens du mineur abandonnent au seigneur la joüissance de tous les biens des mineurs, alors il est obligé d'entretenir le mineur selon son état & eu égard à la valeur des biens, de contribuer au mariage des filles, de conserver le fief en son intégrité, & d'acquiter les arrérages des rentes foncieres hypothécaires & charges réelles.

S'il y a plusieurs seigneurs ayant la garde noble à cause de divers fiefs appartenans au mineur, chacun contribue aux charges de la garde pour sa quote-part ; & si les seigneurs y manquoient, les tuteurs ou parens pourroient les y contraindre par justice.

Le seigneur qui a la garde doit entretenir les biens comme un bon pere de famille.

Si pendant que le mineur est en la garde de son seigneur, ceux qui tiennent quelque fief noble de ce mineur tombent aussi en garde, elle appartient au mineur, & non à son seigneur ; à la différence de la garde royale, qui s'étend sur les arriere-fiefs.

La garde seigneuriale sinit à l'âge de vingt ans accomplis, tant pour les mâles que pour les filles ; & pour la faire cesser, il suffit de faire signifier au seigneur le passé-âgé, c'est-à-dire que le mineur est devenu majeur.

Elle peut finir plus tôt à l'égard des filles par leur mariage, pourvû qu'il soit fait du consentement du seigneur gardien & des parens & amis.

Si la fille qui est sortie de garde épouse un mineur, elle retombe en garde.

La femme mariée ne retombe point en garde encore que son mari meure avant qu'elle ait l'âge de 20 ans.

Celui qui sort de garde ne doit point de relief à son seigneur.

La fille aînée mariée, qui n'a pas encore vingt ans accomplis, ne tire point ses soeurs puînées hors de garde jusqu'à-ce qu'elles soient mariées ou parvenues à l'âge de vingt ans ; sauf à la fille aînée à demander partage au tuteur de ses soeurs. Voyez les commentateurs de la coûtume de Normandie, sur les art. 214. & suiv. jusque & compris l'art. 234 ; & ci-devant GARDE ROYALE. (A)

GARDE, (DROIT DE-) droit qui se levoit anciennement par les seigneurs, & que les titres appellent garda ou gardagium ; il est souvent nommé conjointement avec le droit de guet. Les vassaux & autres hommes du seigneur étoient obligés de faire le guet & de monter la garde au château pour la défense de leur seigneur. Ce service personnel fut ensuite converti en une redevance annuelle en argent ou en grains. Il y en a des titres de l'an 1213, 1237, & 1302, dans l'histoire de Bretagne, tome I. pp. 334, 372, & 452 : il y en a aussi des exemples dans l'histoire de Dauphiné par M. de Valbonnais.

La plûpart des seigneurs s'arrogerent ces droits, sous prétexte de la protection qu'ils accordoient à leurs vassaux & sujets dans les tems des guerres privées & des incursions que plusieurs barbares firent dans le royaume : dans ces cas malheureux, les habitans de la campagne se retiroient avec leurs femmes, leurs enfans, & leurs meilleurs effets, dans les châteaux de leurs seigneurs, lesquels leur vendirent cette garde, protection ou avoüerie, le plus cher qu'ils purent ; ils les assujettirent à payer un droit de garde en blé, vin, ou argent, & les obligerent de plus à faire le guet.

On voit dans le chap. liij. des établissemens de S. Louis, que dans certains lieux les sujets étoient obligés à la garde avec leurs femmes ; en d'autres, ils n'étoient pas obligés de mener leurs femmes avec eux ; & quand ils n'en avoient pas, ils devoient mener avec eux leurs sergens, c'est-à-dire leurs serviteurs ou leur ménage. La garde ou le guet obligeoient l'homme à passer les nuits dans le chateau du seigneur, lorsqu'il y avoit nécessité ; & l'homme avoit le jour à lui. Ces droits de guet & de garde furent dans la suite reglés par nos rois ? Louis XI. les regla à cinq sols par an. Voyez ci-après GUET ; & le gloss. de M. de Lauriere, aux mots lige-étage & guet & garde. (A)

GARDE, (DENIER DE-) est une modique redevance de quelques deniers, qui se paye au seigneur pour les années qu'une terre labourable se repose ; & la rente, champart, terrage, agrier, ne se paye que pour les autres années où la terre porte des fruits. Il est parlé de ce droit dans plusieurs anciens baux passés sous le scel de la baillie de Mehun-sur-Yevre, qui ont été faits à la charge de rente fonciere & de garde. On voit dans le procès-verbal de la coûtume du grand Perche, que ce droit est prétendu par le baron de Loigny : il en est aussi fait mention en la quest. jx. des décisions de Grenoble. (A)

GARDE DES EGLISES, est la protection spéciale que le roi ou quelqu'autre seigneur accorde à certaines églises ; nos rois ont toûjours pris les églises sous leur protection.

S. Louis confirma en 1268 toutes les libertés, franchises, immunités, prérogatives, droits & priviléges accordés, tant par lui que par ses prédécesseurs, aux églises, monasteres, lieux de piété, & aux religieux & personnes ecclésiastiques.

Philippe-le-Bel, par son ordonnance du 23 Mars 1308, déclara que son intention étoit que toutes les églises, monasteres, prélats, & autres personnes ecclésiastiques, fussent sous sa protection.

Le même prince déclara que cette garde n'empêchoit pas la jurisdiction des prélats : lorsque cette garde emportoit une attribution de toutes les causes d'une église à un certain juge, elle étoit limitée aux églises qui étoient d'ancienneté en possession de ce droit ; & Philippe-le-Bel déclara même que dans la garde des églises & monasteres, les membres qui en dépendent n'y étoient pas compris.

Il étoit défendu aux gardiens des églises, ou aux commissaires députés de par le roi & par les sénéchaux, de mettre des panonceaux ou autres marques de garde royale sur les biens des églises, à-moins qu'elles n'en fussent en possession paisible, ou à-peu-près telle. Lorsqu'il y avoit quelque contestation sur cette possession, le gardien ou le commissaire faisoit ajourner les parties devant le juge ordinaire ; & cependant il leur faisoit défense de rien faire au préjudice l'un de l'autre : il ne poursuivoit personne pro fractione gardiae, c'est-à-dire, pour contravention à la garde, à-moins que cette garde ne fût notoire, telle qu'est celle des cathédrales & de quelques monasteres qui sont depuis très-long-tems sous la garde du roi, ou que cette garde n'eût été publiée dans les assises, ou signifiée à la partie.

Philippe VI. dit de Valois, promit par rapport à certaines sénéchaussées qui étoient par-delà la Loire, qu'il n'accorderoit plus de garde dans les terres des comtes & barons, ni dans celles de leurs sujets, sans connoissance de cause, les nobles appellés, excepté aux églises & monasteres, qui de toute ancienneté sont sous la garde royale, & aux veuves, pupilles, & aux clercs vivant cléricalement, tant qu'ils seroient dans cet état ; que si dans ces sénéchaussées, les sujets des hauts-justiciers ou autres violoient une garde, les juges royaux connoîtroient de ce délit, mais qu'ils ne pourroient condamner le délinquant qu'à la troisieme partie de son bien ; que la poursuite qu'ils feroient contre lui, n'empêcheroit pas le juge ordinaire du haut-justicier de procéder contre le délinquant, comme à lui appartiendroit ; mais que si le crime étoit capital, il ne pourroit rendre sa sentence que les juges royaux n'eussent rendu la leur au sujet de la sauve-garde.

On voit aussi dans les lettres du même prince de 1349, qu'il y avoit des personnes qui étoient immédiatement en la garde du roi, d'autres qui n'y étoient que par la voie de l'appel.

Le roi Jean déclara en 1351, que les Juges royaux pourroient tenir leurs assises sur les terres des seigneurs, quand le roi y avoit droit de garde. Ce même prince donnant à Jean son fils les duchés de Berry & d'Auvergne, retint la garde & les régales des églises cathédrales & des églises de fondation royale.

Le temporel de l'abbaye de Lagny fut saisi en 1364, à la requête du receveur de Meaux, pour payer la somme de 800 livres dûe par cette abbaye pour les arrérages de la garde dûe au roi.

Par des lettres du mois de Juillet 1365, Charles V. déclara que toutes les Eglises de fondation royale sont de droit sous la sauve-garde royale.

Quand Charles VI. donna le duché de Touraine à Jean son second fils, il se réserva la garde de l'église cathédrale de Tours, & de celles qui sont de fondation royale, ou en pariage, ou qui sont tellement privilégiées, qu'elles ne peuvent être séparées du domaine de la couronne. Il fit la même réserve lorsqu'il lui donna le duché de Berri & le comté de Poitou : il en usa aussi de même lorsqu'il donna le comté d'Evreux au duc d'Orleans son frere. Voyez CONSERVATEURS ROYAUX & APOSTOLIQUES. (A)

GARDE ENFREINTE, est lorsqu'un tiers fait quelque acte contraire au droit de garde, ou sauve-garde accordé par le roi à quelqu'un. (A)

GARDE-FAITE, est défini par l'article 531 de la coûtume de Bourbonnois, quand celui qui est commis à la garde du bétail est trouvé gardant le bétail en l'héritage auquel le dommage est fait, ou que le gardien est près du bétail, de maniere qu'il le puisse voir, & ne fait néanmoins diligence de le mettre dehors, ou lorsqu'il mene & conduit le bétail dans l'héritage, ou qu'il l'a déclos & débouché afin que son bétail y puisse entrer, & qu'ensuite par ce moyen le bétail y soit entré.

Quand le bétail qui a fait le dommage n'étoit pas gardé, le maître du bétail peut l'abandonner pour le délit ; mais quand le bétail étoit à garde-faite, le maître doit payer le dommage. Voyez Despommiers sur l'article 531 de la coutume de Bourbonnois. Voyez aussi l'article 309 de celle de Melun, celle d'Amiens, article 206 & suivant. (A)

GARDE-GARDIENNE, ce sont des lettres accordées par le roi à des abbayes, chapitres, prieurés, & autres églises, universités, colléges, & autres communautés, par lesquelles le roi déclare qu'il prend en sa garde spéciale ceux auxquels il les accorde, & pour cet effet leur assigne des juges particuliers, pardevant lesquels toutes leurs causes sont commises ; le juge auquel cette jurisdiction est attribuée, s'appelle juge conservateur de leurs priviléges. Ceux qui ont droit de garde gardienne peuvent, en vertu de ces lettres, attirer leur partie adverse qui n'a point de privilége plus éminent, hors de la jurisdiction naturelle, soit en demandant ou défendant, pourvû que les lettres de garde-gardienne ayent été vérifiées au parlement où le juge conservateur ressortit.

On entend quelquefois par le terme de garde-gardienne, le privilége résultant des lettres d'attribution.

L'usage des gardes-gardiennes est fort ancien, surtout pour les églises cathédrales, & autres de fondation royale, que nos rois ont toujours prise sous leur protection ; ce que l'on appelloit alors simplement garde ou sauve-garde, ou bien garde royale. Dans la suite on se servit du terme de garde-gardienne, soit parce que cette garde étoit administrée par un gardien ou juge conservateur, ou bien pour distinguer cette espece particuliere de garde, de la garde royale des enfans mineurs qui a lieu en Normandie.

Les priviléges de garde-gardienne furent confirmés par l'article 9 de l'édit de Cremieu, qui veut que les baillifs & sénéchaux ayent la connoissance des causes & matieres des églises de fondation royale, auxquelles ont été & seront octroyées des lettres en forme de garde-gardienne, & non autrement.

Cet article a été confirmé par l'article 3 d'un édit du mois de Juin 1559, qui restraint cependant les priviléges des gardes-gardiennes, en ce qu'il ordonne qu'il n'y aura que ceux qui sont du corps commun de l'église à laquelle elles ont été accordées, qui en jouiront, & qu'elles ne s'étendront pas aux bénéfices étant de sa collation.

L'ordonnance de 1669, titre 4 des committimus & gardes-gardiennes, ordonne article 18, que les églises, chapitres, abbayes, prieurés, corps & communautés qui prétendent droit de committimus, soient tenus d'en rapporter les titres pour être examinés, & l'extrait envoyé aux chancelleries près les parlemens, & que jusqu'à ce il ne leur soit expédié aucunes lettres.

L'article 18 permet aux principaux des colléges, docteurs, régens, & autres du corps des universités qui tiennent des pensionnaires, de faire assigner de tous les endroits du royaume, pardevant le juge de leur domicile, les redevables des pensions & autres choses par eux fournies à leurs écoliers, sans que leurs causes en puissent être évoquées ni renvoyées devant d'autres juges, en vertu de committimus ou autre privilége.

L'article suivant porte, que les recteurs, régens & lecteurs des universités exerçant actuellement, ont leurs causes commises en premiere instance devant les juges conservateurs des priviléges des universités, auxquels l'attribution en a été faite par les titres de leur établissement ; & qu'à cet effet il sera dressé par chacun an un rôle par le recteur de chaque université, pour être porté aux juges conservateurs de leurs priviléges.

Les écoliers étudians dans une université, ont un autre privilége qu'on appelle privilége de scholarité. Voyez SCHOLARITE. COMMITTIMUS, CONSERVATEUR, CONSERVATION. (A)

GARDE-LIGE, est le service qu'un vassal lige doit à son seigneur ; on entend aussi quelquefois par ce terme le vassal même qui fait ce service, & qui est obligé de garder le corps de son seigneur avec armes suffisantes. (A)

GARDE ou PROTECTION, dans le tems des incursions des Barbares & des guerres privées, les habitans de la campagne, & même ceux des villes, se mettoient sous la garde & protection de quelque seigneur puissant qui avoit droit de château & forteresse, pour les mettre en sûreté, & les défendre des violences auxquelles ils étoient exposés ; & comme il se faisoit à ce sujet un contrat entre le seigneur & ses sujets, & que ceux-ci s'engageoient par reconnoissance à certains droits & devoirs envers le seigneur, cette garde devenoit aussi par rapport au seigneur un droit qu'il avoit sur ses sujets. C'est pourquoi dans des lettres du roi Jean, du mois d'Août 1354, portant confirmation des priviléges des habitans de Jonville-sur-Sône ; il est dit que ces habitans ne pourront, sans le consentement de leur seigneur, se mettre sous la garde & protection d'un autre, si ce n'est contre les violences de gens qui ne seroient pas soumis à leurs seigneurs ; mais que dans ce cas ils seront tenus d'exprimer dans les lettres de garde qu'ils obtiendront de ces seigneurs étrangers, le nom des gens contre les violences desquels ils demandent protection. Et dans des lettres de Charles V. du mois d'Août 1366, il est dit que la garde de quelques lieux appartenant à l'abbaye de Molesme, ne pourra être mise hors la main des comtes de Champagne ; & l'on voit que ce droit de garde emportoit une jurisdiction sur les personnes qui étoient en la garde du seigneur. (A)

GARDE ROYALE DES EGLISES. Voyez ci-devant GARDES DES EGLISES.

GARDE SEIGNEURIALE ou PROTECTION. Voyez ci-devant GARDE ou PROTECTION.

GARDE DES ABLEES, ou GRAINS PENDANS PAR LES RACINES. Charles V. par des lettres du 19 Juin 1369, permit aux mayeurs & échevins d'Abbeville d'en établir, avec pouvoir à ce garde de saisir les charrois & bestiaux qui causeroient du dommage dans les terres, & de condamner en l'amende ceux qui les conduiroient. Voyez MESSIER. (A)

GARDE-BOIS. Voyez ci-après GARDE DES EAUX ET FORETS.

GARDE DES DECRETS & IMMATRICULES, & ita est, du Châtelet. Cet officier a trois fonctions ; comme garde des decrets, il doit garder les decrets du châtelet 24 heures en sa possession depuis qu'ils sont signés, recevoir les oppositions s'il en survient, sinon donner son certificat sur lesdits decrets, & les remettre au scelleur pour les sceller. Comme garde des immatricules, il doit faire immatriculer & signer sur son registre les notaires & huissiers qui sont immatriculés au Châtelet, & qui en cette qualité ont le droit d'instrumenter par tout le royaume : enfin comme ita est, il a le droit d'expédier les grosses que les notaires qui ont reçu les minutes n'ont pû expédier, soit par mort ou par vente ; il signe au milieu, en mettant au-dessus de sa signature ita est, qui veut dire collationné à la minute, que le successeur à l'office & pratique lui représente ; ce successeur signe à droite, & le notaire en second à gauche. (A)

GARDE DES DROITS ROYAUX de souveraineté de ressort & des exemptions dans la ville de Limoges ; cette qualité étoit donnée à des sergens que le sénéchal de Limoges commettoit pour être les conservateurs des priviléges de ceux qui étoient en la sauve-garde du roi. Voyez les lettres de Charles V. du 22 Janvier 1371, pour le chapitre de Limoges. (A)

GARDES DES FERMES. Voyez ci-devant FERMES GENERALES.

GARDES ou MAITRES DES FOIRES, ou DES PRIVILEGES DES FOIRES, étoient ceux qui avoient l'inspection sur la police des foires, & la manutention de leurs priviléges. L'ordonnance de Philippe-le-Bel ; du 23 Mars 1302, porte que les gardes des foires de Champagne seront choisis par délibération du grand-conseil ; c'étoient les mêmes officiers qui ont depuis été appellés juges conservateurs des priviléges des foires. (A)

GARDES DES GABELLES. Voyez ci-devant GABELLES.

GARDE D'UN GREFFE. Voyez ci-devant GARDE DE JUSTICE.

GARDES ou GREFFIER DES PRISONS : cette qualité est donnée au greffier des prisons du châtelet dans une ancienne ordonnance. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. III. à la table. (A)

GARDE ou JUGE-GARDE DES MONNOIES, est un juge qui veille sur tout le travail de la monnoie. Voyez au mot MONNOIE, où il en sera parlé plus amplement. (A)

GARDE DE JUSTICE, est le nom que l'on donne à certains juges, qui sont considérés comme n'ayant la justice qu'en dépôt & en garde. Par exemple, le prevôt de Paris n'est, selon quelques-uns, que garde de ladite prevôté, parce que c'est le roi qui en est le premier juge & prevôt : c'est pourquoi il y a un dais au-dessus du siége du prevôt de Paris. M. le procureur-général est garde de la prevôté de Paris, le siége vacant ; ce qui signifie qu'il n'a cette prevôté qu'en dépôt, & non en titre d'office. Voyez PREVOT DE PARIS.

On disoit aussi donner en garde une prevôté ou autre justice, les sceaux ou un greffe. Anciennement on les donnoit à ferme ; mais cet abus fut reformé, & on les donna en garde, c'est-à-dire seulement par commission révocable ad nutum, jusqu'au tems de Charles VIII. lequel, en 1493, ordonna qu'il seroit pourvû aux prevôtés en titre d'office de personnes capables, par élection des praticiens du siége ; & depuis ce tems les prevôts ne s'intitulerent plus simplement garde de la prevôté, mais prevôts simplement. Voyez Loiseau des offices, lib. III. ch. j. n. 75. & suiv.

GARDES-MANEURS, sont des gardiens que l'on établit à une saisie de meubles. On appelle aussi quelquefois de ce nom des sergens ou archers, que l'on met en garnison chez un débiteur jusqu'à-ce qu'il ait satisfait ou donné caution. Voy. GARNISON & MANGEURS. (A)

GARDES DES MARCHANDS ET DE CERTAINS ARTS ET METIERS, sont des personnes choisies entre les maîtres dudit état, pour avoir la manutention des statuts & priviléges de leur corps. Chaque corps de marchands & artisans a ses jurés & préposés, qui exercent à-peu-près les mêmes fonctions que les gardes : mais il n'est pas permis à ces jurés de prendre le titre de corps ; cela n'appartient qu'aux préposés des six corps des marchands, & à quelques autres corps de marchands, qui ont ce privilége par leurs statuts.

Il est parlé des gardes & jurés dans des ordonnances fort anciennes ; ils sont nommés en latin magistri & custodes, dans des lettres de Philippe-de Valois de 1329 ; & dans d'autres lettres de Philippe VI. du mois de Mars 1355, pour les Parmentiers de Carcassonne, ils sont nommés supra positi.

Les gardes font des visites annuelles chez tous les marchands & maîtres de leur état, pour voir si les statuts sont observés. Ils en font aussi en cas de contravention, chez ceux qui, sans qualité, s'ingerent de ce qui appartient à l'état, sur lequel ces gardes sont établis pour dresser les procès-verbaux de contravention. Ils se font assister d'un huissier, & même quelquefois d'un commissaire, lorsqu'il s'agit de faire ouverture des portes. Voyez JURES & MAITRES. (A)

GARDE-MARTEAU, est un officier établi dans chaque maîtrise particuliere des eaux & forêts, pour garder le marteau avec lequel on marque le bois que l'on doit couper dans les forêts du roi. Quand on fait des ventes, il assiste aux audiences en la chambre du conseil, & au jugement des affaires, où il a voix délibérative avec les autres officiers ; & en leur absence il administre la justice. Il doit vaquer en personne au martelage, & ne peut confier son marteau à autrui, sinon en cas d'empêchement légitime. Il assiste aux visites des grands-maîtres, à celles des maîtres particuliers, & autres officiers. Il en fait aussi de particulieres. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. vij. (A)

GARDE-NOTE, est un des titres que prennent les notaires ; ce qui vient de ce qu'anciennement ils ne gardoient qu'une simple note des conventions en abregé. Voyez NOTAIRES. (A)

GARDES DES PORTS ET PASSAGES, sont des personnes établies pour empêcher que l'on ne fasse entrer ou sortir quelque chose contre les ordonnances. Ils sont nommés dans quelques ordonnances, gardes des passages & détroits. Les baillifs & sénéchaux avoient anciennement le droit d'établir de ces gardes sur les ports & passages des frontieres du royaume, aux lieux accoûtumés, pour empêcher que l'on ne fît sortir de l'or & de l'argent hors du royaume, ou que l'on n'y fît entrer de la monnoie fausse ou contrefaite. Ces gardes avoient la cinquieme partie des confiscations. Ils avoient au-dessus d'eux un maître ou garde général des ports & passages, qui fut supprimé en 1360. (A)

GARDES DES ROLES DES OFFICES DE FRANCE, (Jurisprud.) sont des officiers de la grande-chancellerie, dépositaires des rôles arrêtés au conseil des taxes de tous les offices, tant par résignation, vacation, que nouvelle création ou autrement.

Les rôles étoient anciennement gardés par le chancelier ou par le garde des sceaux, lorsqu'il y en avoit un.

En 1560, le chancelier de l'Hôpital commit Gilbert Combant son premier secrétaire, à la garde de ces rôles & registres des offices de France.

Cette fonction fut ainsi exercée par des personnes commises par le chancelier ou par le garde des sceaux, jusqu'à l'édit du mois de Mars 1631, par lequel Louis XIII. les mit en titre d'office.

Par cet édit il créa en titre d'office formé, quatre offices de conseillers du roi, gardes des rôles des offices de France, pour être exercés par les pourvûs chacun par quartier, comme sont les grands-audienciers. Il attribua à ces offices, privativement à tous autres, la fonction qui se faisoit auparavant par commission, de présenter aux chanceliers & gardes des sceaux, toutes les lettres & provisions d'offices qui s'expédient & se scellent en la chancellerie de France, sur les quittances des thrésoriers des parties casuelles, hérédité, & sur toutes sortes de nominations de quelque nature qu'elles soient.

Pour cet effet, les thrésoriers des parties casuelles doivent remettre aux gardes des rôles durant leur quartier, les doubles des rôles arrêtés au conseil des offices, tant par résignation, vacation, que nouvelle création ou autrement.

Les secrétaires du roi doivent aussi leur remettre les provisions, qu'ils expédient en vertu de ces quittances, hérédité, & sur toute sorte de nominations, ensemble celles qui sont à réformer pour quelque cause & occasion que ce soit.

L'édit de création leur attribuoit des gages, tant sur l'émolument du sceau que sur le marc-d'or, & en outre les six cent livres qui se payoient au thrésor royal, pour l'entretien de la charrette commune, destinée à transporter à la suite du conseil les coffres où se mettoient les rôles & provisions d'offices. Ces différens droits ne subsistent plus, au moyen des autres droits qui ont été attribués aux gardes des rôles par différens édits & déclarations postérieurs, dont on va parler dans un moment.

Leurs honneurs, prérogatives & priviléges, sont les mêmes que ceux des grands-audienciers & contrôleurs de la grande-chancellerie.

Leur place en la grande-chancellerie est à côté du chancelier ou garde des sceaux, où ils font le rapport des provisions après le grand-audiencier & le grand-rapporteur.

Après que M. le chancelier ou M. le garde des sceaux a ouvert la cassette qui renferme les sceaux, c'est le garde des rôles, qui est de service en la chancellerie, auquel appartient le droit de tirer les sceaux de la cassette, pour les mettre entre les mains du scelleur ; & le sceau fini, il est chargé de les retirer de lui pour les replacer dans la cassette.

Le roi en créant ces offices ne se reserva que la premiere finance qui en devoit provenir, & accorda au chancelier & garde des sceaux la nomination de ces offices pour l'avenir, avec la finance qui en proviendroit, vacation advenant d'iceux par mort, résignation ou autrement. Ensuite le roi Louis XIV. par édit du mois d'Octobre 1645, statua qu'en confirmant le pouvoir accordé par le roi Louis XIII. son prédécesseur, aux chanceliers & gardes des sceaux de France, de nommer aux offices de gardes des rôles contrôleurs généraux de l'augmentation du sceau, comme il vient d'être dit, ils auroient aussi celui d'en accorder dorénavant & à toûjours, le droit de survivance à ceux qui en seroient pourvûs, sans être tenus par ceux-ci de payer aucune finance au roi, attendu la liberté accordée auxdits chanceliers & gardes des sceaux, de disposer desdits offices.

Par un autre édit du mois d'Avril suivant, le même prince ordonna que les gardes des rôles auroient la clé du coffre où se mettent les lettres scellées ; qu'ils tiendroient le registre & contrôle, qui avoit été jusqu'alors tenu par commission, de la valeur des droits & émolumens, provenant de l'augmentation du sceau ; qu'ils feroient chaque mois l'état & rôle des gages & bourses, appartenant aux officiers assignés sur icelle : après le payement desquels il est dit que les gardes des rôles prendront chacun pendant le quartier de leur exercice, cinq cent livres par forme de bourse. C'est en conséquence de cet édit, que les gardes des rôles ont depuis aussi été qualifiés de contrôleurs généraux de l'augmentation du sceau.

Cet édit accorde aussi aux gardes des rôles l'entrée dans les conseils du roi, afin qu'ils puissent le servir avec plus de connoissance & utilité en leurs charges.

Ce sont les gardes des rôles qui reçoivent les oppositions que l'on forme au sceau ou au titre des offices ; toutes oppositions formées ailleurs seroient nulles. Il a même été défendu aux thrésoriers des parties casuelles, commis au contrôle général des finances & autres, d'en recevoir aucunes, ni de s'y arrêter ; & il leur est enjoint de déclarer aux parties qu'elles ayent, si bon leur semble, à se pourvoir au bureau des gardes des rôles.

Lorsqu'il se trouve quelque opposition au sceau ou au titre d'un office, le garde des rôles qui est de quartier, doit en faire mention sur le repli des provisions qu'il présente au sceau, soit pour les faire sceller à la charge des oppositions, quand ce sont des oppositions pour deniers, soit pour faire commettre un rapporteur, quand ce sont des oppositions au titre ; ces dernieres empêchant formellement le sceau des provisions qui en sont chargées.

Ces officiers ont prétendu joüir seuls, à l'exclusion des grands-audienciers, du droit de registre de toutes les lettres d'offices, attributions de qualités, priviléges, taxations, gages & droits qui payent charte (on appelle charte, suivant le tarif du sceau de 1704 & 1706, une patente qui accorde un droit nouveau & à perpétuité). Il y eut à ce sujet une transaction passée entr'eux le 6 Janvier 1633, qui fut homologuée par lettres patentes du roi ; portant que les gardes des rôles auront le tiers du droit de registre de toutes les lettres de charte qui seroient scellées en la grande chancellerie de France, tant de lettres de rémission, abolition, naturalité, ennoblissement, amortissement, érection de duché, comté, marquisat, baronie, châtellenie, fiefs, justice, fourches patibulaires, foires, marchés, pont-levis, dispense de mariage, & autres de nature à être visés ; & les grands audienciers les deux autres tiers. Mais le réglement du 24 Avril 1672, fait en conséquence de l'édit du même mois, article 62. attribue aux gardes des rôles en quartier une bourse de préférence de quatre mille livres, & aux quatre gardes des rôles une bourse ordinaire de secrétaire du roi, chacun par quartier, conformément à l'article 69 du même réglement, pour tenir lieu du registrata dont ils joüissoient conjointement avec les grands-audienciers, suivant la transaction de 1633.

L'édit de création des offices de gardes des rôles leur avoient attribué les mêmes droits qu'aux grands-audienciers ; mais comme on n'avoit pas exprimé nommément qu'ils seroient en conséquence secrétaires du roi, ils ne joüissoient point du droit de signature & expédition des lettres de chancellerie : c'est pourquoi Louis XIII. en interprétant l'édit de création des offices de gardes des rôles, par un autre édit du mois de Décembre 1639, déclara qu'ils joüiroient comme les grands-audienciers & contrôleurs, du titre, droits, fonctions, qualités & priviléges de ses conseillers & secrétaires, pour signer & expédier en la chancellerie de France & autres chancelleries, tant en exercice que hors d'icelui, toutes sortes de lettres, sans que le titre de secrétaire du roi pût être desuni de leurs charges ; lequel édit de 1639 a été confirmé par autre edit du mois d'Octobre 1641, vérifié au parlement le 26 Juillet 1642, & en la cour des aides le 8 Janvier 1643.

Au mois de Septembre 1644, on créa en titre d'office quatre commis attachés aux quatre charges de gardes des rôles, pour soulager ces officiers & servir sous eux durant leur quartier. L'édit porte qu'ils recevront dans le bureau du garde des rôles, toutes les lettres d'offices & dépendantes d'iceux, qui leur seront apportées par les secrétaires du roi ou autres, pour être par eux vûes & paraphées au dos, & vérifier les oppositions qui pourroient être sur icelles, tant au titre que pour deniers ; qu'elles seront après par eux portées aux gardes des rôles, pour les présenter au chancelier : que ces commis tiendront registre de toutes les oppositions qui seront faites sur les offices, tant au titre que pour deniers ; qu'ils parapheront les originaux des exploits qui seront faits par les huissiers ; & que si les originaux des oppositions ne sont paraphés par eux, ou par les gardes des rôles, les exploits seront nuls. L'édit ayant permis aux gardes des rôles de tenir ces charges de commis conjointement ou séparément avec la leur, avec pouvoir de les faire exercer par telles personnes que bon leur sembleroit, à la charge de demeurer responsables de leurs exercices & fonctions, les gardes des rôles ont acquis en corps ces charges, & les font exercer par un commis amovible.

Le nombre des gardes des rôles & de leurs commis devoit être augmenté de deux, suivant un édit de Décembre 1647, qui ordonnoit une semblable augmentation pour tous les offices du conseil, de la chancellerie & des cours : mais il fut révoqué pour ce qui concernoit la grande-chancellerie seulement, par un autre édit du mois de Mars suivant.

Au mois de Mai 1655, Louis XIV. donna un édit registré au sceau le 5, portant attribution aux grands-audienciers, contrôleurs généraux, gardes des rôles, & leurs commis, de la joüissance, par droit de bourse, des droits & augmentations établis sur les lettres de chancellerie par les édits de Mars & Avril 1648, nonobstant la suppression qui avoit été faite des offices nouvellement créés pour la grande-chancellerie.

L'édit du mois de Mai 1697, leur attribue en outre à chacun une bourse d'honoraire ou d'expédition.

Il y eut encore une semblable création de deux gardes des rôles & de deux commis en titre, faite par édit du mois d'Octobre 1691 ; de maniere que les gardes des rôles tant anciens que nouveaux, ne devoient plus servir que deux mois de l'année : mais par édit du mois de Novembre suivant, ces offices furent encore supprimés, & les droits en furent attribués aux anciens moyennant finance.

Les gardes des rôles ont été maintenus & confirmés dans leurs priviléges par plusieurs édits & déclarations, notamment par ceux des mois d'Avril 1631, Décembre 1639, Avril 1664, & Avril 1672, & tout récemment par l'édit du mois de Décembre 1743, au moyen du supplément de finance par eux payé en exécution de cet édit. (A)

GARDE-SACS, greffier garde-sacs, est celui qui est dépositaire des sacs & productions des parties dans les affaires appointées. Il y a de ces greffiers au conseil & au parlement.

L'établissement de ces sortes d'officiers remonte jusqu'au tems des Romains ; on les appelloit custodes. Leur office principal étoit de tenir les boîtes ou sacs, dans lesquels on gardoit les pieces des procès : c'étoit sur-tout pour les matieres criminelles, pour empêcher la collusion entre l'accusateur & l'accusé. Voyez le mercure de France de Nov. 1753. p. 21. (A)

GARDES DE SALINES, voyez FERMES, GABELLES, SALINES & SEL.

GARDE DES SCEAUX DE FRANCE, (Hist. & Jur.) est un des grands officiers de la couronne, dont la principale fonction est d'avoir la garde du grand sceau du roi, du scel particulier dont on use pour la province de Dauphiné, & des contre-scels de ces deux sceaux ; il avoit aussi autrefois la garde de quelques autres scels particuliers, tels que ceux de Bretagne & de Navarre, qui depuis la réunion de ces pays à la couronne, furent pendant quelque tems distingués de celui de France ; ces sceaux particuliers ne subsistent plus. Il avoit aussi la garde des sceaux de l'ordre royal & militaire de S. Louis, établi en 1693 ; mais le roi ayant, par édit du mois d'Avril 1719, créé un grand-croix chancelier de cet ordre, lui a donné la garde des sceaux de ce même ordre.

C'est lui qui scelle toutes les lettres qui doivent être expédiées sous les sceaux dont il est dépositaire.

Il a aussi l'inspection sur les sceaux des chancelleries établies près des cours & des présidiaux.

L'anneau ou scel royal a toujours été regardé chez la plûpart des nations, comme un attribut essentiel de la royauté, & la garde & apposition de ce scel ou anneau comme une fonction des plus importantes.

Les rois de Perse avoient leur anneau ou cachet dont ils scelloient les lettres qu'ils envoyoient aux gouverneurs de leurs provinces.

Alexandre le Grand se voyant près de mourir, commanda que l'on portât son anneau sigillaire à celui qu'il désignoit pour son successeur.

Aman, favori & ministre d'Assuerus, étoit dépositaire de l'anneau de ce prince ; mais ayant abusé de la faveur de son maître, & fini ses jours d'une maniere ignominieuse, Assuerus donna à Mardochée le même anneau que portoit auparavant Aman, pour marque de la confiance dont il honoroit Mardochée, & du pouvoir qu'il lui donnoit d'administrer toutes les affaires de son état.

Pharaon pratiqua la même chose, lorsqu'il établit Joseph viceroi de toute l'Egypte : tulit annulum de manu suâ, & dedit eum in manu ejus.

Enfin Balthazar dernier roi de Babylone, avoit aussi confié la garde de son anneau à Daniel.

Les Romains ne connoissoient point anciennement l'usage des sceaux publics ; ainsi l'institution de la charge de garde des sceaux n'a point été empruntée d'eux : les édits des empereurs n'étoient point scellés ; ils étoient seulement souscrits par eux d'une encre de couleur de pourpre, appellée sacrum encautum, composée du sang du poisson murex, dont on faisoit la pourpre ; nul autre que l'empereur ne pouvoit user de cette encre sans commettre un crime de leze-majesté, & sans encourir la confiscation de corps & de biens ; en sorte que cette encre particuliere tenoit en quelque sorte lieu de sceau.

Auguste avoit à la vérité un sceau ou cachet, dont en son absence & pendant les guerres civiles, ses amis se servirent pour sceller en son nom des lettres & des édits ; mais ce qui fut pratiqué dans ce cas de nécessité ne formoit pas un usage ordinaire, & les empereurs ne se servoient communément de leur cachet que pour clorre leurs lettres particulieres, & non pour leurs édits & autres lettres qui devoient être publiques.

Justinien ordonna seulement par sa novelle 104, que tous les rescrits signés de l'empereur seroient aussi souscrits ou contre-signés par son questeur, auquel répond en France l'office de chancelier.

En France au contraire, dès le commencement de la monarchie, nos rois au lieu de souscrire ou sceller leurs lettres, les scelloient ou faisoient sceller de leur sceau, soit parce que les clercs & les religieux étoient alors presque les seuls qui eussent l'usage de l'écriture, ou plutôt parce que les rois ne voulant pas alors s'assujettir à signer eux-mêmes toutes les lettres expédiées en leur nom, chargerent une personne de confiance de la garde de leur sceau, pour en apposer l'empreinte à ces lettres au lieu de leur signature.

Celui qui étoit dépositaire du sceau du roi, du tems de la premiere race, étoit appellé grand référendaire, parce qu'on lui faisoit le rapport de toutes les lettres qui devoient être scellées ; & comme sa principale fonction étoit de garder le scel royal qu'il portoit toujours sur lui, on le désignoit aussi souvent sous le titre de garde ou porteur du scel royal : gerulus annuli regalis, custos regii sigilli.

Le premier qui soit designé comme chargé du scel royal est Amalsindon, lequel se trouve avoir scellé du sceau de Thierri premier roi de Metz, la charte portant dotation du monastere de Flavigny, au diocèse d'Autun ; sigillante, est-il dit, perillustri viro Amalsindone sigillo regio. Le titre de perillustris que l'on donne à cet officier, marque en quelle considération étoit dès-lors celui qui avoit la garde du sceau.

Gregoire de Tours, liv. V. ch. iij. fait mention de Siggo référendaire qui gardoit l'anneau de Sigebert premier, roi d'Austrasie, qui annulum Sigeberti tenuerat ; & que Chilperic roi de Soissons, sollicita d'accepter auprès de lui le même emploi qu'il avoit eu près de son frere.

Sous Clotaire II. Ansbert archevêque de Rouen fut chargé de cette fonction, ainsi qu'il est dit en sa vie, écrite par Angrade ou Aigrade religieux bénédictin, qui fait mention que ce prélat étoit conditor regalium privilegiorum, & gerulus annuli regalis quo eadem signabantur privilegia.

Surius en la vie de S. Oüen, qui fut grand référendaire de Dagobert premier, & ensuite de Clovis II. son fils, dit qu'il gardoit le scel ou anneau du roi pour sceller toutes les lettres & édits qu'il rédigeoit par écrit : ad obsignanda scripta vel edicta regia quae ab ipso conscribebantur, sigillum vel annulum regis custodiebat. Aimoin, liv. IV. ch. xlj. & le moine Sigebert en sa chronique de l'année 637, font aussi mention que S. Oüen avoit la garde de l'anneau ou scel royal dont il scelloit toutes les lettres du roi qui devoient être publiques.

On lit en la vie de S. Bonit évêque de Clermont en Auvergne, qu'étant aimé très-particulierement de Sigebert III. roi d'Austrasie, il fut pourvu de l'office de référendaire, en recevant de la main du roi son anneau, annulo ex manu regis accepto.

Du tems de Clotaire III. la même fonction étoit remplie par un nommé Robert : quidam illustris Robertus nomine, generosa ex stirpe proditus, gerulus fuerat annuli regii Clotarii ; c'est ainsi que s'explique Aigrard qui a écrit la vie de Ste Angradisine sa fille.

Il paroît par ces différens exemples, que tous ceux qui remplissoient la fonction de référendaire sous la premiere race de nos rois, étoient tous en même tems chargés du scel ou anneau royal.

Il en fut de même sous la seconde race, des chanceliers qui succéderent aux grands-référendaires ; quoiqu'on n'ait point trouvé qu'aucun d'eux prît le titre de garde du scel royal, il est néanmoins certain qu'ils étoient tous chargés de ce scel.

Sous la troisieme race de nos rois, la garde des sceaux du roi a aussi le plus souvent été jointe à l'office de chancelier, tellement que la promotion de plusieurs chanceliers des premiers siecles de cette race, n'est désignée qu'en disant qu'on leur remît le sceau ou les sceaux, quoiqu'ils fussent tout-à-la-fois chanceliers & gardes des sceaux.

On voit aussi dans les historiens de ce tems, qu'en parlant de plusieurs chanceliers qui se démirent volontairement de leurs fonctions, soit à cause de leur grand âge ou indisposition, ou qui furent destitués pour quelque disgrace, il est dit simplement qu'ils remirent les sceaux ; ce qui dans cette occasion ne signifie pas simplement qu'ils quittoient la fonction de garde des sceaux, mais qu'ils se démettoient totalement de l'office de chancelier que l'on désignoit par la garde du sceau, comme en étant la principale fonction. Aussi voit-on que les successeurs de ceux qui avoient ainsi remis les sceaux, prenoient le titre de chanceliers, même du vivant de leur prédécesseur ; comme le remarque M. Ribier conseiller d'état, dans un mémoire qui est inséré dans Joli, des off. tom. I. aux addit.

On ne parlera donc ici ni de ceux auxquels on donna les sceaux avec l'office de chancelier, ni de ceux qui les quitterent en cessant totalement d'être chanceliers ; mais seulement de ceux qui sans être pourvus de l'office de chancelier, ont tenu les sceaux, soit avec le titre de garde des sceaux, ou autre titre équipollent.

Depuis la troisieme race, il y a eu plus de quarante gardes des sceaux ; les uns pendant que l'office de chancelier étoit vacant, les autres dans le tems même que cet office étoit rempli, lorsque nos rois ont jugé à propos pour des raisons particulieres, de séparer la garde de leur sceau de la fonction de chancelier ; on comprend dans cette seconde classe plusieurs chanceliers qui ont tenu les sceaux séparément, avant de parvenir à la dignité de chancelier.

On fera aussi mention des vices-chanceliers, attendu qu'ils ont fait la fonction de garde des sceaux.

Les rois de la premiere & de la seconde race n'avoient qu'un seul sceau ou anneau, dont le chancelier ou le garde du scel royal étoit dépositaire. Pour le conserver avec plus de soin, & afin que personne ne pût s'en servir furtivement, il le portoit toujours pendu à son cou : cet usage avoit passé de France en Angleterre. En effet, Roger vice-chancelier de Richard I. roi d'Angleterre, ayant péri sur mer par une tempête, on reconnut son corps parce qu'il avoit le scel du roi suspendu à son cou.

Depuis que l'on se servit en France de sceaux plus grands, & que le nombre en fut augmenté, il ne fut pas possible au chancelier ou garde des sceaux de les porter à son cou ; il n'en a plus porté que les clés qu'il a toûjours sur lui dans une bourse.

Anciennement le coffre des sceaux étoit couvert de velours azuré, semé de fleurs-de-lis d'or ; & dans les cérémonies ce coffre étoit porté sur une hacquenée qu'un valet-de-pié conduisoit par la main : autour de cette hacquenée chevauchoient les hérauts & poursuivans du roi, & autres seigneurs qui étoient présens ; d'autres disent que c'étoient des archers, d'autres les appellent des chevaliers vêtus de livrée : cela se trouve ainsi rapporté par Alain Chartier, sous l'an 1449 & 1451, & par Monstrelet au troisieme volume, en parlant des entrées faites par le roi Charles VII. à Roüen & à Bordeaux.

On trouve ailleurs que quand le chancelier alloit en voyage, c'étoit le chauffe-cire qui portoit le scel royal sur son dos, ainsi qu'il est dit dans un hommage rendu par Philippe archiduc d'Autriche, au roi Louis XII. le 5 Juillet 1499, pour les comtés de Flandre, Artois & Charolois.

Présentement le roi donne pour renfermer les sceaux un grand coffre couvert de vermeil, lequel est distribué en trois cases, contenant chacune une petite cassette fermante à clef.

La premiere qui est couverte de vermeil renferme le grand sceau de France & son contre-scel.

La seconde qui est couverte de velours rouge, parsemée de fleurs-de-lys & de dauphins de vermeil, contient le sceau particulier dont on use pour la province de Dauphiné, & son contre-scel.

La troisieme cassette contenoit le sceau & le contre-sceau de l'ordre de S. Louis, établi en 1693 ; mais présentement cette cassette est vuide, les sceaux de cet ordre ayant été donnés en 1719 au chancelier garde des sceaux créé pour cet ordre, par édit du mois d'Avril de la même année.

Comme il n'y a plus que les deux premieres cassettes qui servent, le garde des sceaux pour les transporter plus facilement, a fait faire un petit coffre de bois dans lequel ces deux cassettes sont renfermées ; & lorsqu'il marche par la ville ou qu'il va en voyage, il fait toujours porter avec lui ce coffre dans son carrosse.

Ce fut vers le commencement de la troisieme race que le nombre des sceaux du roi fut multiplié, que le roi garda lui-même depuis ce tems son petit scel ou anneau, qu'on appelloit le petit signet du roi, dont il scelloit lui-même toutes les lettres particulieres qui devoient être closes ; & au lieu de ce scel ou anneau, on donna au chancelier ou au garde des sceaux d'autres sceaux plus grands, pour sceller les lettres qui devoient être publiques, & que par cette raison l'on envoyoit ouvertes, ce que l'on a depuis appellé lettres-patentes.

Le premier exemple que j'aye trouvé de ces grands sceaux, est dans une charte du tems de Louis-le-Gros, datée de l'an 1106, pour l'église de S. Eloy de Paris ; elle est scellée de deux grands sceaux appliqués sur le parchemin de la lettre : dans l'un le roi est assis sur son throne, dans l'autre il est à cheval, & à l'entour sont écrits ces mots, Philippus gratiâ Dei Francorum rex ; ce qui prouve que ces sceaux étoient en usage dans le tems de Philippe I.

Depuis que l'on se servit ainsi de plusieurs sceaux, il étoit naturel que celui qui en étoit dépositaire fût appellé garde des sceaux ; cependant on continua encore long-tems à l'appeller simplement garde du scel royal, comme si le scel du roi étoit unique ; ce qui feroit croire que le second sceau dont on a parlé, représentant le roi à cheval, n'étoit autre chose que le revers du premier sceau : mais on n'étoit point encore dans l'usage d'appliquer ce second sceau par forme de contre-scel, c'est-à-dire, derriere le premier.

Le scel fabriqué du tems de Philippe I. étant beaucoup plus grand que le sceau ou anneau dont on s'étoit servi jusqu'alors, fut nommé le grand scel, & celui qui en étoit chargé étoit quelquefois appellé le porteur du grand scel du roi.

Cette distinction du grand scel fut sans-doute établie, tant à cause du cachet ou sceau privé du roi, qu'à cause du contre-scel ou scel secret, qui fut établi sous Louis VII. & qui étoit porté par le grand chambellan.

La chancellerie étoit vacante en 1128, suivant une charte de Louis-le-Gros pour S. Martin-des-Champs, à la fin de laquelle il est dit cancellario nullo ; ce qui peut d'abord faire penser qu'il y avoit alors quelqu'un commis pour tenir le grand scel du roi, mais il n'en est point fait mention ; & il est plutôt à croire que pendant cette vacance le roi tenoit lui-même son sceau, comme plusieurs de nos rois l'ont pratiqué en pareille occasion. On trouve plusieurs chartes du douzieme siecle, que les rois faisoient sceller en leur présence, & à la fin desquelles il y a ces mots, data per manum regiam vacante cancellariâ ; ce qui fait de plus en plus sentir la dignité attachée à la fonction de garde des sceaux, puisque nos rois ne dédaignent point de tenir eux-mêmes le sceau en certaines occasions.

La chancellerie étoit dite vacante lorsqu'il n'y avoit ni chancelier ni garde des sceaux.

Hugues de Chamfleuri fut nommé chancelier de France en 1151, mais sa disgrace le fit destituer de cet office ; de sorte que la chancellerie vaqua durant les années 1172, 1173, 1174, 1175, 1176 & 1177. Il paroît néanmoins que Hugues fut rétabli dans ses fonctions en 1175, qui est l'année de sa mort.

La chancellerie vaqua encore en 1179, comme il paroît par un titre du cartulaire de S. Victor.

Elle vaqua pareillement durant tout le regne de Philippe-Auguste, si l'on en excepte les années 1180 & 1185, où il est parlé de Hugues de Puiseaux en qualité de chancelier, l'année 1201, où Gui d'Athies vice-chancelier pendant la vacance de la chancellerie, fit la fonction de garde des sceaux, & les années 1203, 1204, 1205 & 1207, où frere Guerin, chevalier de l'ordre de S. Jean de Jérusalem, fit la même fonction de garde des sceaux, vacante cancellariâ ; il fut depuis élevé à la dignité de chancelier dont il releva beaucoup l'éclat.

Il paroît par une charte de l'année 1226, qui est la premiere du regne de S. Louis, que frere Guerin faisoit encore les fonctions de chancelier : mais depuis il n'y en eut point pendant tout le regne de S. Louis ; il se contenta de commettre successivement différentes personnes à la garde du sceau.

Suivant une cédule de la chambre des comptes au mémorial A, qui est sans date ; & une autre cédule au mémorial E, fol. 132. Philippe d'Antogni portoit le grand scel du roi S. Louis : il prenoit pour soi, ses chevaux & valets à cheval, sept sous parisis par jour pour l'avoine & pour toute autre chose, excepté son clerc, & son valet qui le servoit en la chambre, qui mangeoient à la cour ; & leurs gages étoient doubles aux quatre fêtes annuelles.

La derniere des deux cédules dont on vient de parler, fait aussi mention de Philippe de Nogaret qui portoit le grand scel du roi.

Nicolas, doyen & archidiacre de Chartres, chapelain & conseiller du roi S. Louis, fut choisi en 1249 pour porter le sceau du roi dans le voyage de la Terre-Sainte ; il mourut en Egypte après la prise de Damiette, en 1250.

Gilles, archevêque de Tyr en Phénicie, aussi conseiller du roi S. Louis, avoit la garde du sceau de ce prince en 1253, comme on l'apprend de l'histoire de Joinville, & de la vie de S. Louis écrite par Guillaume de Nangis.

Raoul de Piris, doyen de S. Martin de Tours, fut fait garde des sceaux au retour de la Terre-Sainte, & évêque d'Evreux en 1256 ; il fut cardinal & légat, & mourut l'an 1270 : il se trouve un titre pour l'abbaye de S. Remi de Rheims, scellé par lui, où on lit ces mots : & has litteras dominus episcopus ebroïcensis, tunc decanus turonensis, sigillavit.

Plusieurs titres de S. Denis & du prieuré de S. Sauveur-lez-Bray sur Seine, font mention que la chancellerie vaqua en 1255 & 1258.

Mais dans cette même année 1258, Raoul de Gros-Parmy, thrésorier de l'église de S. Frambaud de Senlis, fut fait garde du sceau du roi. Tessereau, en son histoire de la chancellerie, cite à ce sujet le registre olim de la chambre des comptes de ladite année, où on lit, dit-il : Radulphus Gros-Permius, thesaurarius sancti Framboldi sylvanectensis, qui deferebat sigillum domini regis ; & le fait rapporté par Tessereau est véritable : mais il faut qu'il y ait erreur dans la citation qu'il fait du registre olim de la chambre des comptes, n'y ayant jamais eu dans cette chambre de registre ainsi appellé : ce registre est au parlement, & contient en effet mot pour mot les termes rapportés par Tessereau.

La chronique de S. Martial de Limoges fait mention de Simon de Brion ou de Brie, thrésorier de S. Martin de Tours, qui fut garde des sceaux du roi depuis 1260 jusqu'en l'année suivante, qu'il fut créé cardinal, & envoyé légat en France : il fut élu pape le 22 Février 1281, sous le nom de Martin IV. & mourut le 22 Mars 1285.

La chancellerie vaqua en 1261 & 1262, comme il est dit dans quelques titres de ce tems ; & l'on ne voit point à qui la garde du sceau fut confiée jusqu'en 1270, que le roi S. Louis, avant de s'embarquer à Aigues-mortes le premier Juillet, laissa le gouvernement de son royaume à Matthieu de Vendome, abbé de S. Denis, & à Simon de Neesle, & leur donna un sceau particulier dont ils scelloient les lettres en son absence ; ce sceau n'avoit qu'une couronne simple sans écusson, & ces mots à l'entour : S. Ludovici, dei gratiâ Francorum regis, in partibus transmarinis agentis ; le contre-scel avoit un écusson sans couronne, semé de fleurs-de-lis.

La chancellerie vaqua sous le regne de Philippe III. dit le Hardi, pendant les années 1273 & 1274, comme le prouve la charte de confirmation des priviléges de la ville de Bourges, du mois de Mars 1274.

Du tems de Philippe-le-Bel, Etienne de Suicy, appellé l'archidiacre de Flandres, qui fut chancelier de France en 1302, après Pierre Flotte, avoit été garde du scel royal au mois de Janvier 1290, comme il paroît par une ordonnance du roi donnée à Vincennes, datée desdits mois & an, au sujet de l'état de sa maison, où il y a un article concernant les gages ou appointemens de l'archidiacre de Flandres, qui porte, est-il dit, le scel à 6 sous par jour, outre la bouche à cour pour lui & les siens ; & quand il seroit à Paris, à 20 sous par jour pour toutes choses, en mangeant chez lui. Il falloit que le prix des denrées fût moindre alors qu'il n'étoit du tems de S. Louis, sous lequel Philippe d'Antogny avoit 7 s. parisis par jour, outre le droit de bouche à cour ; au lieu que celui-ci n'avoit que six sous : on voit aussi par-là que le droit de bouche à cour pour le garde des sceaux & pour tous les siens, n'étoit évalué qu'à quatorze sous par jour, puisqu'on ne lui donnoit que cela de plus lorsqu'il étoit à Paris & mangeoit chez lui. Ce même Etienne de Suicy fut archidiacre de Bruges en l'église de Tournay, chancelier de France en 1302, & cardinal en 1305 ; il mourut en 1311.

Pierre Flotte, qui fut nommé chancelier en 1302, prenoit indifféremment la qualité de chancelier ou de garde des sceaux, comme il paroît par un titre pour l'archevêque de Bordeaux du mercredi avant Pâques de l'an 1302, où on lui donne la qualité de garde des sceaux.

Après sa mort arrivée dans la même année, Guillaume de Nogaret, seigneur de Calvisson, fut fait pour la premiere fois garde des sceaux, ainsi qu'on l'apprend d'une ordonnance de l'an 1303, portant qu'il y aura au parlement treize clercs & treize lais ; que les treize clercs seront Me Guillaume de Nogareth, qui porte le grand scel ; & Philippe le Bel, dans le parlement qu'il établit à Paris en 1302, lui donna rang immédiatement après un évêque & un prince du sang, & avant tous autres juges.

Dans une autre ordonnance de 1304, le roi dit : " Or est notre entente, que cil qui portera notre grand scel ordonne de bailler ou envoyer aux enquêtes de langue d'oc & de la langue françoise des notaires, tant comme il verra à faire pour les besognes dépêcher ".

Pierre de Belleperche, qui fut nommé chancelier en 1306, paroît être le premier qui ait joint au titre de chancelier celui de garde du sceau royal.

Les sceaux furent rendus à Guillaume de Nogaret en 1307, comme il paroît par un registre du thrésor ; traditum fuit sigillum domino Guillelmo de Nogareto. Il n'avoit pour son plat à la suite du roi, que " dix soudées de pain, trois septiers de vin, l'un pris devers le roi, & les deux autres du commun, & quatre pieces de chair, & quatre pieces de poulaille ; & au jour de poisson à l'avenant ; & ne prenoit que six provendes d'avoine, couste, feurres, busches, chandelles, & point de forge ".

Gilles Aicelin de Montagu, archevêque de Narbonne, fut garde des sceaux depuis le 27 Févr. 1309 jusqu'au mois d'Avril 1313, suivant le registre 45e du thrésor, où il est qualifié, habens sigillum.

Il eut pour successeur en cette fonction Pierre de Latilly, archidiacre de l'église de Châlons-sur-Marne : le registre 49 du thrésor porte : tradidit dominus rex.... magnum sigillum suum magistro Petro de Latilliaco.

L'état de la maison du roi arrêté le 2 Décembre 1306 par Philippe-le-Long, regle les droits du chancelier, à l'instar de ce qui avoit été accordé à Guillaume de Nogaret, garde des sceaux ; ensorte que les droits du garde des sceaux furent assimilés à ceux du chancelier.

Il sembloit même que le chancelier ne tirât ses plus grands priviléges que de la garde du sceau : en effet, les habitans de la ville de Laon ayant prétendu recuser le chancelier Pierre de Chapes, comme leur étant suspect, il fut décidé dans le conseil tenu en présence du roi le lundi avant l'ascension de l'année 1318, que le chancelier ne devoit être tenu pour suspect ; d'autant que par le moyen de l'office du sceau, il étoit personne publique & tenu à une spéciale fidélité au roi.

Il y avoit deux gardes des sceaux au mois de Juillet 1320, suivant un mémorial de la chambre des comptes, coté H, portant que le 9 dudit mois Pierre le Mire, chauffe-cire, avoit prêté serment pour cet office " entre les mains des deux préposés à la garde du sceau ".

Au mois de Février suivant, Philippe-le-Long fit un réglement sur le port & état du grand scel & sur la recette des émolumens d'icelui. Suivant ce réglement, tous les émolumens, tant du grand sceau que des chancelleries particulieres de Champagne, de Navarre, & des Juifs, devoient à l'avenir appartenir au roi.

Jean de Marigni, chantre de l'église de N. D. de Paris, évêque de Beauvais en 1312, tint les sceaux après Matthieu Ferrand, chancelier, depuis le dernier Avril 1329 jusqu'au 6 Juillet de la même année, qu'il les rendit ; il les eut encore depuis le 7 Septembre jusqu'à la S. Martin 1329, qu'il en fut déchargé, & les remit ès mains de Guillaume de Sainte-Maure, doyen de Tours.

Après la mort de Guillaume de Sainte-Maure, chancelier, arrivée en 1334, Pierre Rogier, abbé de Fécamp, reçut les sceaux, & en fut déchargé lorsqu'il eut l'archevêché de Sens : il ne se trouve cependant aucun acte qui marque qu'il ait été chancelier ni garde des sceaux ; il fut depuis archevêque de Roüen, cardinal, & pape sous le nom de Clément VI.

Foulques Bardoul, conseiller au parlement de Paris, fut garde de la chancellerie pendant la prison du roi Jean, après la destitution du chancelier Pierre de la Forêt ; il y avoit déjà été employé sous Philippe de Valois, pendant un voyage du chancelier Cocquerel, & l'étoit au mois de Mars 1356, comme il se voit par le journal du thrésor du 24 Mars de cette année, & par une lettre du 15 Juin 1357 : ce qui cessa lorsque le régent donna les sceaux à Jean de Dormans. On ne voit pas au surplus qu'il eût le titre de garde des sceaux.

Jean de Dormans fut aussi d'abord commis seulement au fait de la chancellerie de France le 18 Mars 1357, par Charles, régent du royaume ; il exerçoit la charge de chancelier au traité de Brétigni, le 9 Mai 1360. Le roi Jean lui donna les sceaux le 18 Septembre 1361, & l'institua chancelier de France après la mort du cardinal de la Forêt.

Le parlement ayant été transféré à Poitiers, & la grande chancellerie établie dans la même ville, Jean de Bailleul, président au parlement, tint pendant ce tems les sceaux.

Quelques manuscrits supposent qu'Adam Fumée, chevalier, seigneur des Roches, maître des requêtes, fut commis à la garde des sceaux de France depuis l'an 1479 jusqu'en 1483 ; à quoi il y a néanmoins peu d'apparence, vû que pendant ce tems Pierre d'Oriole exerçoit l'office de chancelier : mais il est du-moins certain qu'il fut commis à la garde des sceaux après la mort du chancelier Guillaume de Rochefort, arrivée le 12 Août 1492. Dans quelques actes il est qualifié de garde des sceaux ; & comme il ne tenoit cette charge que par commission, il conserva toûjours celle de maître des requêtes, & exerça l'une & l'autre jusqu'à sa mort arrivée au mois de Novemb. 1494.

Robert Briçonnet, archevêque de Rheims, exerça la fonction de garde des sceaux après le décès d'Adam Fumée, & fut ensuite pourvû de l'office de chancelier de France au mois d'Août 1495.

Etienne Poncher, évêque de Paris, fut pareillement commis à la garde des sceaux de France en 1512, & les tint jusqu'au 2 Janvier 1515.

François I. ayant dans la même année nommé Antoine Duprat pour chancelier, & ordonné qu'il passeroit les monts avec lui, Messire Mondot de la Marthonie, premier président au parlement de Paris, fut chargé de la garde du petit sceau en l'absence du grand.

Ce même prince allant à Lyon en 1523, & laissant à Paris le chancelier Duprat, il commit M. Jean Brinon, premier président du parlement de Rouen, pour avoir près de S. M. la garde du petit scel, en l'absence du grand.

Le chancelier du Bourg étant mort en 1538, la garde des sceaux fut donnée en commission à Matthieu de Longuejoue, chevalier, seigneur d'Yverni, évêque de Soissons, en attendant que Guillaume Poyet eût ses provisions de chancelier ; il reçut les sceaux pour la seconde fois après la mort de François Erraut en 1544, & en fut déchargé l'année suivante.

Lorsque le chancelier Poyet fut emprisonné en 1542, François de Montholon, premier du nom, président au parlement, fut commis à la garde des sceaux de France par des lettres du 9 Août de ladite année ; il prêta serment entre les mains du cardinal de Tournon, le 22 du même mois : le dauphin l'établit aussi garde des sceaux du duché de Bretagne, par des lettres du 7 Septembre de la même année ; ce qui est remarquable, en ce que l'office de chancelier de Bretagne avoit été supprimé dès l'an 1494. Le premier Juin 1543, le roi lui fit remettre tous les papiers & enseignemens concernant les principales affaires du royaume, qui avoient été trouvés dans les coffres du chancelier Poyet, afin qu'il prît une plus grande connoissance des affaires de S. M. il mourut le 15 dudit mois de Juin 1543.

François Erraut, seigneur de Chemans, maître des requêtes & président en la cour de parlement de Thurin, lui succéda en la charge de garde des sceaux, & conserva ses autres charges : le roi lui fit remettre les mêmes papiers & enseignemens qu'avoit eus son prédécesseur ; il fut destitué en 1544. Ce fut alors que Matthieu de Longuejoue reçut pour la seconde fois les sceaux, comme on l'a déjà dit.

Le chancelier Olivier étant tombé en paralysie, les sceaux furent mis entre les mains de Jean Bertrand ou Bertrandi, président au parlement de Toulouse ; lequel sans lettres de commission, les garda & scella jusqu'à ce que le chancelier crût être en état de reprendre ses fonctions : mais ayant perdu la vûe, il fut déchargé des sceaux le 2 Janvier 1550.

Par un édit donné à Amboise au mois d'Avril suivant, le roi érigea un état de garde des sceaux de France en titre d'office, sans désignation d'aucune personne, avec attribution des honneurs & autorités appartenans à un chancelier de France, même de présider au parlement & au grand-conseil ; pour être ledit office supprimé après la mort du chancelier Olivier, & subrogé à icelui.

Cet édit fut vérifié contre les conclusions du procureur-général, & publié en l'audience le 8 Mai 1551.

Bertrandi fut pourvû de cet office de garde des sceaux par lettres du 22 du même mois, vérifiées le 14 Août suivant ; il fut archevêque de Sens, cardinal, & mourut à Venise, faisant la fonction d'ambassadeur, le 4 Décembre 1560.

Il joüit paisiblement de son office de garde des sceaux ; présida souvent au parlement de Paris, tant en la grand-chambre, qu'aux grandes cérémonies des lits de justice, & processions générales, comme il paroît par les registres de ladite cour des 12 Novembre, 12, 15, 16, 17, & 18 Février, 28 Mars 1551, 13 Juin 1552, & autres.

Durant le voyage du roi en Allemagne, il demeura avec le conseil-privé établi à Châlons près de la reine régente, où il rendit pour elle en sa présence & en plein conseil les réponses nécessaires aux remontrances des députés du parlement. Il faisoit les mêmes fonctions que si le roi y eût été, comme il se voit par les registres du parlement du 13 Juin 1552 ; il exerça l'office de garde des sceaux jusqu'à la mort d'Henri II. arrivée le 10 Juillet 1559.

Le roi François II. remit alors le chancelier Olivier dans l'exercice de son office : mais étant mort le 30 Mars 1560, & le cardinal Bertrandi ayant donné sa démission de l'office de garde des sceaux, le roi nomma pour chancelier Michel de l'Hôpital, auquel en 1568 il fit redemander les sceaux, attendu que le chancelier étoit indisposé & hors d'état de suivre le roi, qui se disposoit à faire un grand voyage.

Les sceaux furent aussi-tôt donnés à Jean de Morvilliers, évêque d'Orléans, auquel François II. les avoit déjà offerts dès 1560 ; il les garda sans commission jusque sur la fin de l'année 1570. Jamais personne n'avoit gardé les sceaux si long-tems sans aucun titre. Il obtint étant évêque d'Orléans, le 13 Mai 1557, des lettres-patentes portant qu'il auroit séance & voix délibérative au parlement, tant aux jours de plaidoirie que de conseil, comme conseiller d'état, en conséquence de l'édit fait en faveur de tous les conseillers du conseil-privé, nonobstant les modifications qui y avoient été apportées pour l'exclusion des jours de conseil ; lesquelles lettres-patentes furent vérifiées au parlement le 13 Janvier suivant, à la charge de ne pouvoir présider en l'absence des présidens : en 1570, étant accablé d'infirmités, il obtint la permission de se démettre des sceaux.

Charles IX. les donna à René de Biragues, président, qui les garda quelques années sans avoir non plus aucunes provisions du roi ; & pendant ce tems, Jean de Morvilliers qui s'étoit démis des sceaux, retint toûjours comme plus ancien conseiller d'état, le rang & la préséance sur le sieur de Biragues, & présida au conseil en l'absence du roi, comme il avoit fait auparavant, quoique le sieur de Biragues eût les sceaux, & qu'il eût voulu tenir le rang de garde des sceaux au-dessus du premier président du parlement, à l'entrée du roi à Paris le 6 Mars suivant. Ledit sieur de Morvilliers continua d'avoir la principale direction des affaires, même après que le président de Biragues fut garde des sceaux en titre, & même depuis qu'il eut été nommé chancelier en 1573.

Le chancelier de Biragues ayant obtenu sa décharge des sceaux en 1573, Philippe Huraut, comte de Chiverny, commandeur de l'ordre du S. Esprit, fut fait garde des sceaux de France ; ses provisions furent expédiées en forme d'édit, portant création & provision en sa faveur de l'office de garde des sceaux, aux mêmes honneurs & préséances des autres gardes des sceaux de France, sous la réserve du titre de chancelier audit sieur de Biragues ; & à la charge que vacation avenant dudit état & titre de chancelier, il seroit joint & réuni avec celui de garde des sceaux. Ces lettres qui sont du mois de Septembre, furent vérifiées au parlement le 9 Décembre de la même année. Le comte de Chiverny fut fait chancelier après la mort du cardinal de Biragues ; il quitta les sceaux en 1588 : mais il fut rappellé à la cour par Henri IV. qui lui rendit les sceaux en 1590, & il les tint jusqu'à sa mort arrivée en 1599.

François de Montholon II. du nom, avocat au parlement, fils de François de Montholon, qui avoit été garde des sceaux de France sous le regne de François I. fut nommé pour remplir la même fonction par des lettres du 6 Septembre 1588, par lesquelles le roi le commit à l'exercice de la charge & état de son chancelier, sous le nom & titre toutefois de garde des sceaux, aux honneurs & prérogatives des précédens gardes des sceaux, & aux gages de 4000 écus par an ; & ce par commission seulement, & pour tant qu'il plairoit audit seigneur roi : avant de procéder à la vérification de ces lettres, la cour députa vers le chancelier de Chiverny, pour lui en donner communication ; ces lettres furent présentées à l'audience par de Fontenay, avocat, le 29 Novembre suivant, & registrées oüi & consentant le procureur-général du roi. Le garde des sceaux de Montholon harangua au lit de justice que le roi Henri III. tint à Tours le 23 Mars 1589, pour y rétablir son parlement, & interdire celui de Paris.

Henri IV. étant parvenu à la couronne par la mort d'Henri III. arrivée le premier Août 1589, Montholon se démit volontairement des sceaux entre les mains de Charles de Bourbon, cardinal de Vendôme, qui se trouva alors chef du conseil du roi ; il revint ensuite au palais, où il continua la profession d'avocat, comme il faisoit avant d'être garde des sceaux.

Le cardinal de Vendôme garda les sceaux jusqu'au mois de Décembre suivant, tems auquel le roi les lui fit redemander & retirer de ses mains par le sieur de Beaulieu Ruzé, conseiller d'état & secrétaire de ses commandemens, qui porta les sceaux au roi à Mantes.

Le roi tint pendant quelque tems le sceau en personne, ou le fit tenir par son conseil, auquel présidoit le maréchal de Biron. Quand le roi faisoit sceller en sa présence, il mettoit lui-même le visa sur les lettres, ou le faisoit mettre par le sieur de Lomenie, conseiller d'état secrétaire des commandemens de Navarre & du cabinet, qui avoit la garde des clés du sceau.

Quand le roi avoit d'autres affaires, il laissoit à son conseil le soin de tenir le sceau, ou bien il faisoit commencer à sceller en sa présence, & laissoit continuer le sceau par son conseil. Quoique le maréchal de Biron y présidât, il ne mettoit pourtant pas le visa sur les lettres ; c'étoit le sieur de Lomenie qui y demeuroit pour cet effet ; & après que le sceau étoit levé, il retiroit les sceaux, les remettoit dans le coffre & en gardoit les clés. L'adresse des lettres qui a coûtume de se faire au chancelier, se faisoit alors aux conseillers d'état de S. M. ayant la garde des sceaux près de sa personne, & les sermens se faisoient entre les mains du plus ancien conseiller. Cet ordre fut gardé jusqu'au mois d'Août 1590, que le roi rendit les sceaux au chancelier de Chiverny, qui les garda jusqu'à son décès.

Du tems du chancelier de Bellievre, le Roi créa à sa priere, par des lettres en forme d'édit du mois de Décembre 1604, vérifiées au parlement le 14 Mars 1605, un office de garde des sceaux de France, en faveur de Nicolas Brulart, seigneur de Sillery, aux mêmes honneurs, prérogatives, autorités, & pouvoirs des autres gardes des sceaux de France, pour le tenir & exercer en cas d'absence, maladie, ou autre empêchement dudit chancelier, à condition que vacation advenant de l'office de chancelier, il demeureroit joint & uni avec celui de garde des sceaux, sans qu'il fût besoin de prendre de nouvelles lettres de provisions ni de confirmation.

Le sieur Brulart de Sillery prêta serment le 3 Janvier 1605 : on vit alors une chose qui n'avoit point encore eu d'exemple ; c'est que le garde des sceaux fut quatre ou cinq mois sans avoir les sceaux, parce que le chancelier les retint jusqu'au voyage que le roi fit en sa province de Limosin. Cependant le garde des sceaux siégeoit dans le conseil au-dessous du chancelier, quoiqu'il n'eût point les sceaux. Mais le roi étant arrivé à Tours, fit retirer les sceaux des mains du chancelier, pour les mettre en celles du garde des sceaux, lequel les garda toûjours depuis, & en fit la fonction tant que le chancelier vécut, sans souffrir même qu'il reçût les sermens des officiers, ni qu'il disposât des offices & autres droits dépendans de la charge de chancelier ; & le chancelier de Bellievre étant mort en 1607, sa place fut donnée au garde des sceaux.

Pendant que la cour étoit à Blois au mois de Mai 1616, le chancelier de Sillery ayant pressenti que le sieur du Vair avoit été mandé pour le faire garde des sceaux, il remit les sceaux au roi en présence de la reine sa mere, se contentant de supplier S. M. de lui laisser seulement ceux de Navarre, ce qui lui fut accordé. On voit par-là que l'on usoit encore alors de sceaux particuliers pour le royaume de Navarre, ce qui ne se pratique plus. Les sceaux de France furent donnés à Guillaume du Vair, évêque de Lizieux, qui avoit été premier président au parlement de Provence. Il avoit reçu divers commandemens du roi pour venir recevoir les sceaux, & s'en étoit long-tems excusé. Enfin étant venu, le roi lui en fit expédier des lettres en forme d'édit, signées, & visées de la propre main de S. M. & scellées en sa présence, données à Paris au mois de Mai 1616, portant reserve au chancelier de Sillery, sa vie durant, de ses droits, gages, états, pensions, avec création & don audit sieur du Vair d'un état de garde des sceaux de France, pour le tenir & exercer aux honneurs, pouvoirs, prééminences, gages, pensions, droits, dont les gardes des sceaux avoient joüi, & qui lui seroient ordonnés & attribués, & de faire toutes fonctions avec pareille autorité que les chanceliers, même de présider en toutes cours de parlemens & autres compagnies souveraines, & sur icelles, & sur toutes autres justices, avoir l'oeil & surintendance comme un chancelier, à condition que vacation advenant de l'office de chancelier, il demeureroit uni à celui de garde des sceaux, sans aucunes lettres de confirmation ni de provision ; il en fit le serment entre les mains du roi le 16 du....

Du Vair ayant fait présenter ses lettres au parlement de Paris, elles y furent vérifiées & registrées le 17 Juin 1616, sans approbation de la clause d'y présider, quoique pareille clause y eût été passée autrefois sans difficulté aux offices des gardes des sceaux Bertrandi & de Biragues. Il ne laissa pourtant pas nonobstant cette modification d'y prendre la place des chanceliers aux piés du roi, au lit de justice tenu le 7 Septembre suivant, lors de l'arrêt de M. le Prince ; d'y recueillir les voix & opinions, & d'y prononcer comme président : mais en entrant dans la grand-chambre avant le roi, il ne se plaça point dans le banc des présidens, il alla tout droit s'asseoir dans la chaire des chanceliers.

Le 25 Novembre suivant, il remit les sceaux au roi ; il ne laissa pas de faire présenter ses lettres de provisions à la chambre des comptes de Paris, pour valider les payemens qu'il avoit reçus de ses gages. Elles y furent registrées sans approbation de la clause de présider en toutes cours. Les sceaux lui furent rendus le 25 Avril 1617 ; il les garda jusqu'au jour de son décès, arrivé le 3 Août 1621.

Le même jour qu'il remit les sceaux, c'est-à-dire le 25 Novembre 1616, Claude Mangot, conseiller & secrétaire d'état, fut pourvû de l'office de garde des sceaux de France, comme vacant par la démission volontaire du sieur du Vair, pour le tenir & exercer aux mêmes honneurs, autorités, & droits, dont lui & les autres gardes des sceaux de France avoient joüi. Ses provisions contenoient les mêmes clauses que celles de son prédécesseur, à l'exception toutefois du droit de présider au parlement ; & il fut dit que c'étoit sans diminution des droits, gages, états, & pensions, tant du garde des sceaux du Vair, que du chancelier de Sillery que S. M. vouloit leur être continués leur vie durant. Il prêta serment le 26 Novembre, & quelque tems après fit présenter ses lettres au parlement, où elles furent vérifiées le 17 Décembre de la même année, après néanmoins qu'on eut député le doyen du parlement, rapporteur de ces lettres, & quelques autres conseillers, vers le sieur du Vair, pour apprendre de sa bouche la vérité de sa démission.

Le sieur Mangot garda les sceaux jusqu'au 24 Avril 1617 ; le maréchal d'Ancre ayant été tué ce jour-là, le sieur Mangot qui tenoit le sceau chez lui, fut mandé au louvre, où il remit les sceaux au roi ; le lendemain le roi les renvoya au sieur du Vair par le sieur de Lomenie secrétaire d'état, avec de nouvelles lettres de déclaration & de jussion datées du 25 du même mois, par lesquelles S. M. déclaroit que " son intention étoit que le sieur du Vair exerçât la charge de garde des sceaux, & en joüit pleinement & entierement avec tous les honneurs, autorités, &c. à icelle appartenans, en vertu de ses premieres lettres de provision, nonobstant toutes autres lettres contraires ; mandant S. M. aux gens de son parlement, chambre des comptes, &c. de faire lire, publier, & registrer, si fait n'avoit été, lesdites lettres de déclaration & provision, & d'obéir audit sieur du Vair ès choses touchant ladite charge de garde des sceaux ". Et alors lesdites provisions furent purement & simplement registrées sans modification, pour en joüir suivant lesdites lettres de déclaration, qui furent lûes & publiées le dernier Juillet suivant.

Le chancelier de Sillery ayant été rappellé par le roi dans le même mois d'Avril 1617, pour présider dans ses conseils, le garde des sceaux du Vair lui laissa par honneur la réception des sermens des conseillers du grand-conseil, & retint la signature des arrêts, conjointement avec lui ; & comme les guerres civiles qui affligeoient alors la France, obligerent le roi de faire plusieurs voyages dans les provinces les plus éloignées, le garde des sceaux suivoit & présidoit au conseil qui étoit à la suite de S. M. & le chancelier qui étoit demeuré à Paris, présidoit au conseil des parties & des finances, sans toutefois avoir eu aucun pouvoir ni commission expresse pour cela, comme il s'étoit pratiqué autrefois. Les arrêts qui se rendoient dans les conseils tenus à Paris, étoient scellés du sceau de la chancellerie du palais, en l'absence du grand sceau qui étoit près de S. M. L'union de la couronne de Navarre ayant été faite à celle de France, la charge de chancelier de Navarre fut supprimée ; il est probable que ce fut aussi alors que l'on cessa d'user d'un sceau particulier pour la Navarre.

Au lit de justice tenu par le roi au parlement de Paris le 18 Février 1620, pour la publication de quelques édits, le garde des sceaux du Vair recueillit les opinions, comme il avoit fait en 1616. Il fit aussi la même fonction au lit de justice tenu à Rouen le 11 Juillet 1620, & à celui tenu à Bordeaux le 8 Septembre de la même année.

Le garde des sceaux du Vair mourut le 3 Août 1621, étant à la suite du roi au siége de Clairac. Le sieur Ribier, conseiller d'état, son neveu, s'étant trouvé près de lui, porta les sceaux à Sa Majesté, qui les donna à Charles d'Albert, duc de Luynes, pair & connétable de France, lequel étoit alors chef du conseil du roi. Il les garda jusqu'à son décès, arrivé le 14 Décembre suivant. Il scelloit ordinairement en présence des conseillers d'état qui étoient près de Sa Majesté. L'adresse des lettres qu'on avoit coûtume de faire au chancelier ou au garde des sceaux, se faisoit au connétable, quelquefois avec la qualité de tenant le sceau du roi, ou bien ayant la garde des sceaux du roi ; & d'autres fois sans l'y mettre. Il recevoit les sermens avec telle plénitude de fonction pour ce regard, qu'un officier qui se trouva à Paris, voulant y prêter serment entre les mains du chancelier de Sillery, fut obligé d'obtenir des lettres, non-seulement de simple relief d'adresse, mais de commission particuliere pour recevoir ce serment ; & le danger des chemins pendant la guerre, servit de prétexte pour obtenir ces lettres, & pour dispenser l'impétrant d'aller prêter le serment entre les mains du connétable.

Après la mort du connétable, arrivée le 15 Décembre 1621, le roi tint le sceau en personne, & fit sceller diverses fois en présence de son conseil, jusqu'au 24 du même mois, qu'étant alors à Bordeaux, il donna les sceaux à Meric de Vic, Seigneur d'Ermenonville, conseiller d'état, & intendant de justice en Guienne. Les lettres de don ou provision de l'office de garde des sceaux, vacant par la mort de Guillaume du Vair, sont datées du 24 Décembre 1621. Elles contenoient presque les mêmes clauses que celles dudit du Vair, à l'exception seulement de la clause contenant droit de succéder en la charge de chancelier, vacation avenant, & de celle de présider & avoir la surintendance de la justice du royaume ; où on ajoûta que ce seroit seulement en l'absence du chancelier de Sillery, auquel S. M. réservoit tous les honneurs & prééminences qui lui appartenoient, tout ainsi qu'il en avoit joui depuis la promotion dudit du Vair.

Le sieur de Vic conserva les sceaux jusqu'à son décès, qui arriva le 2 Septembre 1622. Les sceaux furent portés au roi par l'abbé du Bec, fils du sieur de Vic. Le roi, en attendant qu'il eût choisi un autre garde des sceaux, commit verbalement les sieurs de Caumartin, de Preaux, de Léon, & d'Aligre, conseillers au conseil d'état ; & les sieurs Godard & Machault, maîtres des requêtes de son hôtel, qui se trouvoient alors à sa suite, pour, quand il faudroit sceller, se transporter au logis du roi, & vaquer à la tenue du sceau, ainsi qu'ils aviseroient pour raison. Lorsqu'ils y étoient arrivés, Galleteau, premier valet-de-chambre du roi, tiroit le coffret des sceaux hors les coffres du roi, & le leur portoit avec les clés : M. de Caumartin, comme le plus ancien, en faisoit l'ouverture, & tenoit la plume pour mettre le visa. Le sceau étant levé, on remettoit les sceaux dans le coffret, & on le rendoit audit Galleteau, avec les clés. Cet ordre s'observa jusqu'au 23 dudit mois. Les conseillers d'état & maîtres des requêtes qui tenoient le sceau, firent demander au roi une commission par des lettres-patentes, pour leur décharge ; mais ils ne purent l'obtenir.

Le 13 du même mois le chancelier de Sillery obtint des lettres-patentes qui furent publiées au sceau le 22, portant qu'il joüiroit sa vie durant de tous les honneurs, droits, prérogatives, prééminences, fruits, profits, revenus & émolumens qui appartiennent à la charge de chancelier de France, tout ainsi qu'il faisoit lorsqu'il avoit la fonction & exercice des sceaux, sans y rien changer ou innover, & spécialement de la nomination, présentation aux offices, tant de la chancellerie de France, que des autres chancelleries établies près les cours & présidiaux ; réception de tous les sermens des officiers pourvûs par le roi ; foi & hommage, & autres sermens que les chanceliers ont accoûtumé de recevoir ; droits de bourse, & autres droits dont il jouissoit pendant la fonction & exercice des sceaux, encore qu'il en fût pour lors déchargé ; & sans que celui ou ceux auxquels le roi commettroit dans la suite la garde des sceaux, puissent prétendre leur appartenir aucune chose desdits droits, pouvoirs & émolumens, que le roi déclare appartenir à la charge de chancelier de France, privativement à tous autres. L'adresse de ces lettres est : " A nos amés & féaux les conseillers d'état & maîtres des requêtes ordinaires de notre hôtel, & autres tenant les sceaux de la grande & petite chancellerie ".

Le 23 Septembre 1622, le roi donna la garde des sceaux à Louis Lefebvre, sieur de Caumartin, président au grand-conseil. Les lettres de provision de cet office énoncent qu'il étoit vacant par le décès du garde des sceaux de Vic, & contiennent les mêmes clauses que celles du garde des sceaux du Vair, avec droit de présider en toutes les cours de parlement, grand-conseil, & autres cours souveraines ; avoir l'oeil & la surintendance, comme un chancelier, sur toutes les justices & jurisdictions du royaume ; & que vacation avenant de l'office de chancelier, il demeureroit joint & uni avec ledit état de garde des sceaux, pour en user par ledit sieur de Caumartin, en la même qualité, titre & dignité, & tout ainsi qu'avoient accoûtumé de joüir les autres chanceliers de France, sans qu'il eût besoin de prendre de nouvelles lettres de provision ni de confirmation ; qu'il joüiroit dèslors des gages, états & pensions attribués audit office de garde des sceaux, sans diminution toutefois des droits, gages, états & pensions du chancelier de Sillery, que Sa Majesté entendoit lui être payés & continués sa vie durant : voulant aussi qu'il joüît des droits réservés par les lettres-patentes du 13 Septembre, dont on a parlé ci-devant, comme ledit chancelier en joüissoit avant qu'il eût été déchargé des sceaux.

M. de Caumartin étant mort le 21 Janvier 1623, le même jour les sceaux furent apportés au roi par le président de Boissy, son fils aîné, accompagné de l'évêque d'Amiens, son second fils, & autres parens, le président de Boissy portant la parole. Le roi les fit mettre dans ses coffres par son premier valet-de-chambre, & le lendemain il les renvoya par le sieur de Lomenie, secrétaire d'état, au chancelier de Sillery, sans aucunes nouvelles lettres.

Le 2 Janvier 1624, le chancelier de Sillery ayant appris que le roi se disposoit à faire un voyage dans lequel sa santé ne lui permettoit pas d'accompagner Sa Majesté, il demanda d'être déchargé de la garde des sceaux, & les renvoya au roi par le sieur de Puisieux son fils, secrétaire d'état. Le roi les donna à son premier valet-de-chambre pour les mettre dans les coffres du roi, dont il avoit les clés.

Le 6 du même mois, le roi ordonna au sieur de la Ville-aux-Clercs, secrétaire de ses commandemens, d'expédier des provisions de garde des sceaux, le nom en blanc ; & le roi les ayant signées & visées de sa main, les fit remplir de la personne d'Etienne d'Aligre, qui avoit été conseiller au grand-conseil, & étoit pour-lors conseiller d'état & finances, lequel prêta serment entre les mains du roi immédiatement après que ses provisions furent scellées. Ses provisions portoient que c'étoit pour tenir led. office, aux honneurs, droits, &c. dont les gardes des sceaux de France avoient ci-devant joüi, ou qui lui seroient attribués par S. M. & généralement de toutes les fonctions qui dépendoient dudit office, avec pareille autorité & pouvoir que celui dont les chanceliers de France avoient accoûtumé d'user & de joüir, même de présider en toutes les cours de parlement, grand-conseil & autres cours souveraines ; pour sur icelles, & toutes autres justices & jurisdictions du royaume, avoir l'oeil & surintendance, comme un chancelier pouvoit & devoit faire, à cause de sondit office & dignité : & encore qu'avenant vacation dudit office de chancelier, il demeureroit joint & uni avec ledit état de garde des sceaux, pour en joüir comme les chanceliers de France, sans qu'il eût besoin d'autres lettres de provision ni de confirmation ; sans diminution toutefois des droits, gages, états & pensions du chancelier de Sillery, que S. M. voulut lui être continués sa vie durant.

Le chancelier de Sillery s'étoit retiré en sa maison de Sillery, suivant l'ordre qu'il en avoit reçu du roi le 4 Février 1624 ; il y mourut le premier Octobre suivant : le roi donna le 3 de nouvelles provisions de chancelier à M. d'Aligre, éteignant & supprimant l'office de garde des sceaux dont il étoit pourvû.

Le premier Juin 1626 le chancelier d'Aligre rendit les sceaux au roi, qui lui ordonna de se retirer en sa maison du Perche, où il demeura jusqu'à son décès. Les sceaux furent donnés le même jour à Michel de Marillac, conseiller d'état & surintendant des finances, lequel prêta serment entre les mains de S. M. Ses provisions portoient création & érection en sa faveur, d'un office de garde des sceaux de France, pour l'exercer aux mêmes honneurs & droits que les autres gardes des sceaux, avec pareille autorité & pouvoir que les chanceliers ; même de présider dans toutes les cours souveraines, pour sur icelles, & toutes autres jurisdictions, avoir l'oeil & surintendance comme un chancelier ; & que vacation avenant de l'office de chancelier, il fût joint & uni avec ledit état de garde des sceaux, sans qu'il eût besoin d'autres provisions ni confirmations ; sous la reserve néanmoins des gages, droits, états & pensions du sieur d'Aligre, sa vie durant.

Toutes les grandes qualités & les services du sieur de Marillac n'empêcherent pas ses ennemis d'exciter le roi à lui ôter les sceaux, qu'il avoit lui-même souvent voulu remettre. Le 12 Novembre 1630, le roi envoya le sieur de la Ville-aux-Clercs, secrétaire d'état, retirer les sceaux des mains du sieur de Marillac, lequel fut conduit à Caen, puis à Lisieux, & enfin à Châteaudun, où il mourut le 7 Août 1632.

Deux jours après que les sceaux eurent été ôtés au sieur de Marillac, le roi les donna à Charles de l'Aubespine, marquis de Châteauneuf, commandeur & chancelier de l'ordre du Saint-Esprit, conseiller d'état & finances. Il prêta le serment accoûtumé entre les mains du roi. Ses provisions contenoient les mêmes clauses que celles du sieur de Marillac. Etant venu au parlement pour y présider, & les présidens ne s'étant pas levés à son arrivée, le roi, par une lettre adressée au procureur général, déclara que sa volonté étoit que les présidens se levassent lorsque le garde des sceaux viendroit au parlement. Cet ordre ayant été réïtéré aux présidens de la bouche même du roi, & le garde des sceaux étant entré en la grand'chambre le 12 Août 1632, avant l'arrivée du roi qui vint tenir son lit de justice, les présidens se leverent ; mais le premier président lui dit que ce qu'ils en faisoient n'étoit que par le très-exprès commandement du roi ; que cela n'étoit pas dû à sa charge, & qu'il en seroit fait registre.

Le 25 Février 1633, le sieur de la Vrilliere, secrétaire des commandemens, eut ordre du roi d'aller retirer les sceaux des mains de M. de Châteauneuf, lequel remit aussi-tôt le coffre où étoient les sceaux ; & M. de la Vrilliere l'ayant remis au roi, retourna demander à M. de Châteauneuf la clé du coffre, qu'il avoit pendue à son cou : il fut ensuite conduit à Angoulesme.

Pierre Seguier, président au parlement, reçut les sceaux de la main du roi le dernier du même mois. Ses provisions portoient érection & création en sa faveur d'un état & office de garde des sceaux, & toutes les autres clauses que celles des sieurs de Châteauneuf & de Marillac. Après la mort de M. le chancelier d'Aligre, arrivée en 1635, il fut choisi pour le remplacer, & prêta le serment accoûtumé le 19 Décembre 1635. Il obtint aussi des lettres d'érection de la baronie de Villemor en duché. Lorsque Louis XIV. fut parvenu à la couronne, les sceaux furent refaits à l'effigie de S. M. par l'ordre du chancelier Seguier, lequel, après qu'ils furent achevés, fit rompre les vieux en plusieurs pieces, & les donna aux chauffes-cire, comme leur appartenans.

Le premier Mars 1650, le sieur de la Vrilliere secrétaire d'état, eut ordre du roi d'aller retirer les sceaux des mains du chancelier Seguier ; le lendemain ils furent rendus au sieur de Châteauneuf, qui les avoit quittés en 1633. Ils lui furent redemandés par le sieur de la Vrilliere le 3 Avril 1651, & donnés le lendemain à Matthieu Molé, premier président au parlement de Paris, qui prêta serment le même jour. Celui-ci les garda jusqu'au 13 dud. mois, qu'ils furent remis au chancelier Seguier, auquel on les retira encore le 7 Septembre suivant ; & le 8 du même mois, le roi fit sceller en sa présence trois lettres ; celle de duc & pair pour le maréchal de Villeroi, son gouverneur ; les provisions de garde des sceaux pour le premier président Molé, & la commission de sur-intendant des finances pour le marquis de la Vieuville. Ensuite il envoya les sceaux à M. Molé, avec de nouvelles provisions, portant " que S. M. ayant par ses lettres patentes, en date du mois d'Avril 1651, pour les causes y contenues, fait don de la charge de garde des sceaux de France au sieur Molé chevalier, premier président en son parlement de Paris, & l'état de ses affaires l'ayant obligé après de les retirer, elle avoit depuis ce tems attendu le moment pour les remettre entre ses mains, prenant assûrance de sa conduite par tant d'actions passées qui avoient témoigné son courage & sa fidélité ; S. M. déclaroit & vouloit que ledit sieur Molé joüît de la charge de garde des sceaux de France, & qu'il l'exerçât avec tous les honneurs qui lui étoient dûs, conformément à ses lettres patentes précédentes, sans qu'il fût tenu de prêter nouveau serment, attendu celui qu'il avoit ci-devant fait entre ses mains ". Il conserva depuis les sceaux jusqu'à sa mort, arrivée le 3 Janvier 1656.

Le lendemain quatre, les sceaux furent rendus au chancelier Seguier, lequel les garda depuis sans aucune interruption jusqu'à son décès, arrivé le 28 Janvier 1672.

Le roi jugea alors à-propos de tenir lui-même le sceau, à l'exemple de ses prédécesseurs, jusqu'à ce qu'il eût fait choix d'une personne qui eût les qualités requises ; & en conséquence il fit un réglement daté du même jour 4 Février 1672, pour la maniere dont le sceau seroit tenu en sa présence. Il nomma les sieurs d'Aligre, de Seve, Poncet, Boucherat, Pussort & Voisin, conseillers d'état ordinaires, pour avoir séance & voix délibérative dans ce conseil, avec six maîtres des requêtes, dont S. M. feroit choix au commencement de chaque quartier, & le conseiller du grand-conseil, grand-rapporteur en semestre. Il fut ordonné que les conseillers d'état seroient assis selon leur rang ; les maîtres des requêtes & le grand-rapporteur debout, autour de la chaise de S. M. Il y eut un certain nombre de secrétaires du roi, députés pour assister aux divers sceaux qui furent tenus par S. M. à Saint-Germain & à Versailles. Le premier sceau fut tenu à Saint-Germain le 6 Février 1672, en la chambre du château, où le conseil a coûtume de se tenir.

Le roi voulant marcher en personne à la tête de ses armées, nomma le 3 Avril 1672 pour garde des sceaux, messire Etienne d'Aligre second du nom, alors doyen du conseil d'état, lequel fut depuis chancelier. Il étoit fils d'Etienne d'Aligre premier du nom, aussi chancelier & garde des sceaux de France. Ses provisions contiennent les mêmes clauses que les précédentes, c'est-à-dire création de l'office de garde des sceaux, avec les honneurs & droits dont les précédens garde des sceaux & chanceliers avoient joüi, même le droit de présider dans les cours, & d'avoir la sur-intendance sur toute la justice du royaume. Il prêta serment le 24, & ses lettres furent registrées au parlement le 19 Septembre 1672, & à la chambre des comptes le 14 Juin 1673.

MM. Boucherat, de Pontchartrain, Voisin & d'Aguesseau, qui furent successivement chanceliers après M. d'Aligre, eurent tous les sceaux en même tems qu'ils furent nommés chanceliers. Leurs provisions ne leur donnent néanmoins d'autre titre que celui de chanceliers.

Marc-René de Voyer de Paulmy marquis d'Argenson, conseiller d'état, lieutenant-général de police, chancelier garde des sceaux de l'ordre royal & militaire de S. Louis, fut créé garde des sceaux de France, par édit du mois de Janvier 1718. Il prêta serment entre les mains du roi le 28 du même mois. Il remit les sceaux entre les mains du roi le 7 Juin 1720, qui lui en conserva les honneurs. Les sceaux furent alors rendus à M. le chancelier d'Aguesseau.

Joseph-Jean-Baptiste Fleuriau d'Armenonville secrétaire d'état, fut créé garde des sceaux par lettres du 28 Février 1722. Il prêta serment entre les mains du roi le premier Mars suivant. Il représenta & fit les fonctions de chancelier au sacre du roi, le 25 Octobre 1722 ; se trouva au lit de justice pour la majorité de S. M. Ses provisions de garde des sceaux de France font mention que l'état & office de garde des sceaux étoit vacant par la mort de M. d'Argenson. Du reste elles sont conformes à celles de ses prédécesseurs, & furent registrées au parlement le 12 Février 1723. Il se trouva encore au lit de justice que le roi tint au parlement de Paris le 8 Juin 1725, pour l'enregistrement de différens édits & déclarations ; remit les sceaux le 15 Août 1727, & mourut le 27 Novembre 1728.

Germain Louis Chauvelin président à mortier, fut nommé garde des sceaux de France le 17 Août 1727. Ses provisions contiennent la clause, que vacation arrivant de l'office de chancelier, il demeureroit réuni à celui de garde des sceaux, sans nouvelles provisions & sans nouveau serment. Du reste elles sont conformes à celles de ses prédécesseurs, si ce n'est qu'elles ne détaillent point les droits que le roi lui attribue ; il est dit seulement que c'est pour en joüir aux honneurs, autorités, prééminences & droits, dont les pourvûs dudit office ont ci-devant joüi & usé. Il prêta serment le 18 du même mois. Le roi lui donna ensuite la charge de secrétaire d'état, avec le département des affaires étrangeres, & le fit ministre d'état. Les sceaux lui furent redemandés le 20 Février 1737, lorsqu'il fut exilé à Gros-Bois ; il y eut alors un édit de suppression de la charge de garde des sceaux créée en sa faveur. Le 21 du même mois, ils furent rendus à M. d'Aguesseau chancelier, qui les garda jusqu'au 27 Novembre 1750, qu'il les remit à M. de Saint-Florentin secrétaire d'état.

M. de Lamoignon ayant été nommé chancelier de France le neuf Décembre suivant, M. de Machault d'Arnouville, ministre d'état, conseiller au conseil royal, contrôleur-général des finances, & commandeur des ordres du roi, fut nommé garde des sceaux. Ses provisions portent que c'est pour en joüir avec pareille autorité que les chanceliers ; elles furent scellées par le roi même, qui écrivit de sa main le visa en ces termes. " Visa, LOUIS, pour création de la charge de garde des sceaux de France, en faveur de J. B. de Machault ". Il prêta serment le dix, & donna sa démission le premier Février 1757 ".

La forme du serment des chanceliers & gardes des sceaux de France a changé plusieurs fois.

Celle qui se trouve dans les registres du parlement en l'année 1375, ne contient rien qui soit relatif singulierement à la garde du sceau.

Mais le serment qui fut prêté par le chancelier du Prat, entre les mains du roi, le 7 Janvier 1514, est remarquable en ce qui concerne la fonction de garde des sceaux. " Quand on vous apportera, est-il dit, à sceller quelque lettre signée par le commandement du roi ; si elle n'est de justice & de raison, vous ne la scellerez point, encore que ledit seigneur le commandât par une ou deux fois : mais viendrez devers icelui seigneur, & lui remontrerez tous les points par lesquels ladite lettre n'est raisonnable ; & après que aura entendu lesdits points, s'il vous commande de la sceller, la scellerez, car lors le péché en sera sur ledit seigneur & non sur vous : exalterez à votre pouvoir les bons, savans, & vertueux personnages, les promouverez & ferez promouvoir aux états & offices de judicature, dont avertirez le roi quand les vacations d'iceux offices arriveront, &c. "

La forme particuliere du serment pour la charge & commission de garde des sceaux, est telle :

" Vous jurez Dieu votre créateur, & sur la part que vous prétendez en paradis, que bien & loyaument vous servirez le roi à la garde des sceaux qu'il vous a commise & commet présentement par moi, ayant de lui suffisant pouvoir en cette partie ; que vous garderez & observerez, & ferez garder, observer & entretenir inviolablement les autorités & droits de justice, de sa couronne & de son domaine, sans faire ni souffrir faire aucuns abus, corruptions & malversations, ne autre chose que ce soit ou puisse être, directement ou indirectement, contraire, préjudiciable, ni dommageable à iceux ; que vous n'accorderez, expédierez, ne ferez sceller aucunes lettres inciviles & déraisonnables, ni qui soient contre les commandemens & volontés dudit seigneur, ou qui puissent préjudicier à ses droits & autorités, priviléges, franchises & libertés de son royaume ; que vous tiendrez la main à l'observation de ses ordonnances, mandemens, édits, & à la punition des transgresseurs & contrevenans à iceux ; que vous ne prendrez ni n'accepterez d'aucun roi, prince, potentat, seigneurie, communauté, ne autre personnage particulier, de quelque qualité & condition qu'il soit, aucuns états, pensions, dons, présens & bienfaits, si ce n'est des grés & consentement dudit seigneur ; & si aucuns vous en avoient jà été promis, vous les quitterez & renoncerez ; & généralement vous ferez, exécuterez, & accomplirez en cette charge & commission de garde des sceaux du roi, en ce qui la concerne & en dépend, tout ce qu'un bon, vrai & loyal chancelier de France, duquel vous tenez le lieu, peut & doit faire pour son devoir en la qualité de sa charge : & ainsi vous le promettez & jurez ".

Le garde des sceaux prête serment entre les mains du roi. Ses provisions lui donnent le titre de chevalier ; elles sont enregistrées au parlement, au grand-conseil, en la chambre des comptes, & en la cour des aides.

Son habillement est le même que celui du chancelier ; & aux Te Deum, il a un siége de la même forme que celui du chancelier, mais placé à sa gauche. Il porte toûjours sur lui la clé du sceau.

Il a au-dessus de ses armes le mortier à double galon, semblable à celui du chancelier ; derriere ses armes le manteau & deux masses passées en sautoir, en signe de celles que les huissiers de la chancellerie portent devant lui dans les cérémonies.

Lorsqu'il va par la ville ou en voyage, il est toûjours accompagné d'un lieutenant de la prevôté de l'hôtel, qu'on appelle le lieutenant du sceau ; & de deux hocquetons ou gardes de la prevôté de l'hôtel, qui ont des charges particulieres attachées à la garde du sceau.

Il siége au conseil du roi immédiatement après le chancelier.

Sa fonction à l'égard de la grande-chancellerie, consiste à présider au sceau, lequel se tient chez lui pour les lettres de grande-chancellerie. Il est juge souverain de la forme & du fond de toutes les expéditions que l'on présente au sceau. C'est à lui que l'on fait le rapport de toutes les lettres ; & il dépend de lui de les accorder ou refuser : le scelleur n'appose le sceau sur aucune que de son ordre.

Il a droit de visa sur toutes les lettres qui sont sujettes, appellées lettres de charte, qui sont adressées à tous, présens & à venir.

Il a aussi inspection sur toutes les autres chancelleries établies près des cours, conseils & présidiaux. Il nomme à tous les offices de ces chancelleries ; ses nominations sont intitulées de son nom, signées par lui, contre-signées de son secrétaire, scellées de son sceau & contre-sceaux particuliers. Les principaux officiers lui doivent à leur réception un droit de robe & un droit de serment, pour le serment qu'ils prêtent entre ses mains, ou entre celles de la personne qu'il commet à cet effet sur les lieux. Enfin il a sur ces offices le droit de survivance & le droit de casualité ; au moyen de quoi ceux qui ont les offices sujets à ce droit, lui payent la paulette.

C'est lui qui reçoit le serment des gouverneurs particuliers de toutes les villes du royaume.

C'est lui qui accorde toutes les lettres de pardon, rémission, abolition, commutation de peine, érection en marquisat, comté, baronie, & autres graces dépendantes du sceau.

Il a le droit de placer les indults sur les collateurs du royaume.

Ceux qui voudront en savoir davantage sur les honneurs, fonctions, droits & prérogatives attachés à la dignité de garde des sceaux, peuvent consulter l'histoire de la chancellerie par Tessereau ; Joly, des offices de France, tome I. liv. II. tit j. Fontanon, tome I. liv. I. tit. j. &c. (A)

GARDES DES SCEAUX DES APANAGES, ou GARDES DES SCEAUX DES FILS ET PETITS-FILS PUINES DE FRANCE, ET PREMIER PRINCE DU SANG POUR LEUR APANAGE, sont des officiers publics créés par le roi pour l'apanage, & pourvûs par le prince apanagiste pour garder les sceaux & en faire sceller toutes les provisions, commissions, & autres lettres qui émanent du prince pour son apanage.

Cette fonction de gardes des sceaux est ordinairement jointe à celle de chancelier de l'apanage : néanmoins elle en a été quelquefois séparée, de même que la garde des sceaux de France l'a été plusieurs fois & l'est encore présentement de l'office de chancelier de France.

Les chanceliers & gardes des sceaux des fils & petits-fils de France, prennent tout-à-la-fois le titre de chancelier & garde des sceaux du prince & de son apanage. Il en est de même des chanceliers & gardes des sceaux d'un prince du sang qui est régent du royaume, lequel a droit d'avoir un sceau particulier comme les fils & petits-fils de France : mais les chanceliers & gardes des sceaux des autres princes du sang apanagistes non-régens du royaume, ne prennent point le titre de chancelier & garde des sceaux du prince ; ils sont seulement chanceliers & gardes des sceaux de l'apanage, parce qu'en ce cas le sceau est moins un droit attaché à la personne du prince, qu'un droit dont il joüit à cause de l'apanage.

On a déjà parlé dans le troisieme volume de cet ouvrage, des chanceliers d'apanage en général ; c'est pourquoi l'on ne s'attachera ici principalement qu'à ce qui concerne singulierement la fonction de garde des sceaux de l'apanage, soit lorsque les sceaux sont tenus par le chancelier, soit lorsque la garde en est confiée à quelque autre personne.

L'institution des chanceliers des princes de la maison de France est presque aussi ancienne que la monarchie : on les appelloit au commencement custodes annuli ou sigilli ; ce qui fait voir que la garde du sceau du prince étoit leur principale fonction, & qu'ils ont porté le titre de garde des sceaux avant de porter celui de chancelier. On les appelloit aussi référendaires, parce que c'étoient eux qui faisoient le rapport des lettres auxquelles on appliquoit le sceau. L'apposition de ce sceau servoit à donner l'authenticité à l'acte ; & cette formalité étoit d'autant plus importante, que pendant long-tems elle tint lieu de signature : c'est pourquoi les princes avoient leur sceau, comme le roi avoit le sien.

Sous la premiere race & pendant une partie de la seconde, lorsque le royaume étoit partagé entre plusieurs enfans mâles du roi défunt, chacun tenoit sa part en souveraineté, & avoit son garde-scel ou référendaire, appellé depuis chancelier, & ensuite chancelier garde des sceaux.

Lorsque les puînés cesserent de prendre leur part à titre de souveraineté, & qu'ils reçurent leur légitime en fiefs & seigneuries, ils avoient comme tous les grands vassaux de la couronne leur chancelier garde des sceaux, dont la fonction s'étendoit dans toutes leurs seigneuries.

Enfin lorsque la coûtume de donner des apanages aux puînés fut introduite, ce qui arriva, comme on sait, dès le tems de Philippe-Auguste, vers l'an 1206, les princes apanagistes continuerent d'avoir leur chancelier garde des sceaux. Il est fait mention en plusieurs endroits de ces chanceliers gardes des sceaux des princes apanagistes, dès le milieu du xjv. siecle, entr'autres des chanceliers des comtes de Poitiers, de ceux des comtes d'Anjou & de la Marche, &c.

Le dauphin de France avoit aussi son chancelier garde des sceaux pour le Dauphiné, comme les dauphins de Viennois en avoient auparavant. Charles V. étant dauphin de France & duc de Normandie, avoit un chancelier particulier pour cette province, comme les anciens ducs de Normandie en avoient eu.

Présentement le dauphin n'ayant plus d'apanage, n'a point de chancelier ni de garde des sceaux ; il en est de même du fils aîné du dauphin & des autres princes du sang qui n'ont point d'apanage : les princesses n'ont point non plus d'apanage ni de chancelier & garde des sceaux, à l'exception de la reine qui a son chancelier garde des sceaux, comme on l'a dit en son lieu. Les grands vassaux de la couronne n'ont plus aussi de chancelier ni de garde des sceaux ; de sorte que les fils & petits-fils de France, les princes du sang apanagistes ou régens du royaume, sont les seuls qui ayent comme le roi & la reine leur chancelier & garde des sceaux. Il y a néanmoins quelques églises, académies & autres corps qui ont leur chancelier particulier, mais ces chanceliers sont d'un ordre différent ; & il n'y a pas d'exemple que la garde des sceaux dont ils sont chargés ait jamais été séparée de leur office.

On ne voit point si dans les premiers tems de l'établissement des apanages, les princes apanagistes ont eu des gardes des sceaux autres que leurs chanceliers, c'étoit ordinairement le chancelier qui portoit le scel du prince ; mais comme la garde des sceaux de France sur le modele de laquelle se regle celle des apanages, a été depuis la troisieme race plusieurs fois séparée de l'office de chancelier, il se peut faire aussi que dès l'institution des apanages, le prince ait quelquefois séparé la garde de son scel de l'office de chancelier : on en a trouvé des exemples assez anciens dans la maison d'Orleans. Le sieur Joachim Seigliere de Boisfranc, garde des sceaux de Monsieur, frere du roi Louis XIV. & Thimoleon Gilbert de Seigliere son fils qui étoit reçu en survivance, ayant eu ordre de s'abstenir de leurs charges, Monsieur tint lui-même son sceau depuis le mois de Septembre jusqu'au 29 Décembre 1687, qu'il donna des provisions de cet office à M. de Bechameil de Nointel ; & assez récemment dans la même maison, les sceaux furent donnés à M. Baille conseiller au grand-conseil, qui les a depuis remis à M. de Silhouette ; & par la démission de celui-ci, ils ont été remis à M. l'abbé de Breteuil, actuellement chancelier garde des sceaux : ainsi ce qui s'est pratiqué dans cette maison en ces occasions & autres semblables, a pû se pratiquer de même long-tems auparavant dans les différentes maisons des princes apanagistes.

Ce qui pourroit d'abord faire douter si l'office de garde des sceaux peut être séparé de celui de chancelier, est que le roi semble n'établir pour l'apanage qu'un seul office, qui anciennement n'étoit désigné que sous le titre de chancelier, & présentement sous celui de chancelier garde des sceaux ; & comme il n'appartient qu'au roi de créer des offices dans son royaume, le prince apanagiste ne peut pas multiplier ceux que le roi a établis pour l'apanage. Mais comme l'office de chancelier simplement ou de chancelier garde des sceaux, renferme toûjours deux fonctions différentes, l'un de chancelier, l'autre de garde des sceaux, & que ces deux fonctions ont été considérées comme deux offices différens, réunis en la personne du chancelier, l'usage a introduit que le prince apanagiste peut, quand bon lui semble, faire exercer ces deux offices ou fonctions par deux personnes différentes.

Les chanceliers & gardes des sceaux des apanages sont des officiers publics créés par le roi ; car lorsqu'il établit par édit ou lettres patentes, un apanage pour quelqu'un des princes de sa maison, il donne ensuite d'autres lettres patentes par lesquelles il crée, érige & établit en titre d'office, les officiers nécessaires pour la direction de l'apanage, dont le premier est le chancelier garde des sceaux ; les autres officiers inférieurs sont un controleur de la chancellerie, deux secrétaires des finances, un audiencier-garde des rôles des offices, un chauffe-cire, & deux huissiers de la chancellerie.

Tous ces officiers sont attachés principalement au sceau, de sorte que quand la garde des sceaux est séparée de l'office de chancelier, c'est le garde des sceaux qui tient les sceaux du prince pour l'apanage, & qui fait sceller tout ce qui concerne l'apanage ; & dans ces cas les autres officiers inférieurs font leurs fonctions près du garde des sceaux.

La premiere création du chancelier garde des sceaux est ordinairement faite par le même édit qui établit l'apanage, ou par un édit donné dans le même tems : ces offices une fois créés doivent naturellement subsister aussi long-tems que l'apanage pour lequel ils ont été établis ; le décès du prince apanagiste par le moyen duquel sa maison se trouve éteinte, ne devroit pas régulierement éteindre les offices de chancelier & de garde des sceaux, ni les autres offices créés pour l'apanage, de sorte que ces offices n'auroient pas besoin d'être créés de nouveau pour le prince qui succede à l'apanage ; il est néanmoins d'usage que quand l'apanage passe d'un prince à un autre par succession, sous prétexte que la maison du défunt est éteinte par son décès, le roi par des lettres patentes crée de nouveau un chancelier garde des sceaux, & autres officiers pour l'apanage qui passe à un autre prince : mais par les dernieres lettres patentes du mois de Février 1752, portant création d'un chancelier garde des sceaux, & autres officiers pour l'apanage de Louis-Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, premier prince du sang, cette création n'a été faite qu'en tant que besoin seroit.

Quoique ces différentes créations d'officiers soient faites par le roi, on ne peut pas néanmoins les regarder comme des officiers royaux ; car le roi crée bien l'office, mais ce n'est pas lui qui y pourvoit : il laisse au prince apanagiste la nomination, provision & institution du chancelier & garde des sceaux, & des autres officiers attachés au sceau. Chaque prince apanagiste a la liberté de les changer quand bon lui semble ; & s'il continue le même chancelier garde des sceaux, & autres officiers qu'avoir son prédécesseur, il ne laisse pas de leur donner de nouvelles provisions.

On trouve néanmoins que quand Louis XIII. forma un apanage pour Gaston son frere, il pourvut en 1617 M. de Verdun premier président du parlement, de l'office de chancelier de Gaston, qu'on appelloit alors duc d'Anjou, & que le 11 Septembre 1625, il donna des provisions du même office à M. le Coigneux président de la chambre des comptes, mais c'étoit peut-être à cause de la minorité de ce prince ; & l'on voit même que le 25 Septembre 1625, Gaston donna à M. le Coigneux des provisions sur celles du roi, & qu'il continua depuis d'en donner seul. Lorsqu'il y eut des mutations par rapport à cet office, les premiers chanceliers de ce prince ne joignoient point le titre de garde des sceaux à celui de chancelier, quoiqu'ils eussent en effet les sceaux ; mais dans la suite ceux qui remplirent cette place, joignirent les deux titres de chancelier garde des sceaux, à l'imitation des chanceliers de France qui les prennent de même depuis quelque tems lorsqu'ils ont les sceaux : ainsi les sceaux de Gaston étant vacans par la démission de M. de Chavigny ministre d'état, M. de Choissy par ses provisions du 27 Avril 1644, fut nommé chancelier garde des sceaux.

Il en a été de même pour l'apanage de Monsieur fils de France, établi par édit du mois de Mars 1661. M. de.... comte de Seran qui étoit son chancelier garde des sceaux, ayant donné sa démission en 1670, le 2 Janvier 1671, il en fut donné des provisions sous le même titre à M. du Housset ; la garde du sceau qui avoit été séparée pendant quelque tems de l'office de chancelier, comme on l'a dit ci-devant, y fut réunie en faveur de Gaston J. B. Terrat, suivant ses provisions du 3 Février 1688.

M. Terrat fut aussi chancelier garde des sceaux de M. le duc d'Orléans régent du royaume, jusqu'à son décès arrivé le 19 Mars 1719.

M. le Pelletier de la Houssaye conseiller d'état lui succéda ; il mourut au mois de Septembre 1723. Mre Pierre-Marc de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson, grand croix & chancelier de l'ordre royal & militaire de S. Louis, alors lieutenant général de police, succéda en cet emploi à M. de la Houssaye le 20 Septembre, suivant les provisions qui lui en furent données le 24 Septembre 1723.

Après la mort de ce prince arrivée le 2 Décembre 1723, M. d'Argenson fut choisi par Louis duc d'Orleans, premier prince du sang, pour remplir la même place, laquelle sur sa démission fut donnée en 1741 à Mre René-Louis de Voyer de Paulmy d'Argenson, conseiller d'état, son frere. Mre Julien-Louis Bidé de la Grandville conseiller d'état, lui succéda en 1745 ; & sur sa démission qu'il donna au mois de Mars 1748 entre les mains de Louis duc d'Orleans, ce prince n'étant pas pour lors dans le dessein de pourvoir à l'office de chancelier garde des sceaux vacant par ladite démission, donna le 14 du même mois la commission de garde des sceaux à Mre Nicolas Baille, conseiller-honoraire du roi en son grand-conseil. Le prince ayant dans la suite révoqué cette commission, tint lui-même son sceau depuis le 26 Juillet 1748, jusqu'au 6 Août suivant, qu'il donna une semblable commission à Mre Etienne de Silhoüette, maître des requêtes de l'hôtel du roi ; & le 5 Décembre suivant le prince tint encore lui-même son sceau, à l'effet de donner au même Mre Etienne de Silhoüette des provisions de l'office de chancelier garde des sceaux de son apanage. Le 15 Mars 1752 Louis-Philippe duc d'Orleans lui donna de nouvelles provisions dudit office, comme il est d'usage d'en donner à tous les officiers de l'apanage, lorsque la maison du prince est renouvellée après le décès de son prédécesseur.

Louis XIV. ayant par des lettres patentes du mois de Juin 1710 établi un apanage pour Charles de France duc de Berry, créa aussi pour lui un office de chancelier garde des sceaux ; cet office subsista peu de tems, le duc de Berry étant décédé sans enfans le 4 Mai 1714.

Les sceaux des princes apanagistes dont la garde est confiée à leur chancelier ou au garde des sceaux, sont de deux sortes, savoir le grand sceau & le contre-scel ou petit sceau ; ils sont l'un & l'autre enfermés dans un coffret couvert de velours, dont le chancelier ou le garde des sceaux a toûjours la clé sur lui.

Le grand sceau est ainsi appellé pour le distinguer tant du contre-scel ou petit sceau qui est beaucoup plus petit, que du sceau ou cachet particulier du prince.

Les princes apanagistes usent de cire rouge molle pour leur sceau & contre-sceau, de même que le roi en use pour le Dauphiné.

L'empreinte du grand sceau représente le prince à cheval, armé de pié en cap, & la légende contient ses noms & qualités ; par exemple sur le sceau de M. le duc d'Orleans, il y a Louis-Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, de Valois, de Chartres, &c. Il y a aussi ordinairement une inscription sur la tranche du sceau ; par exemple sur celui de M. le duc d'Orleans, on lisoit ces mots, vox muta Philippi.

Le contre-scel qui est beaucoup plus petit que le grand sceau est aux armes du prince ; on l'applique au revers du grand sceau ou séparément : il ne faut pas le confondre avec le sceau particulier ou cachet du prince, quoique l'empreinte & la grandeur soient à-peu-près de même. Le cachet ou sceau particulier qui est gardé par le secrétaire des commandemens du prince, ne sert que pour les brevets & autres dépêches particulieres qui concernent la maison du prince, ou ses terres & seigneuries autres que celles qui composent l'apanage ; il s'applique comme un cachet ordinaire sur le papier ou parchemin, avec un papier qui recouvre la cire ou pâte qui en reçoit l'empreinte, au lieu que le sceau & le contre-scel sont en cire rouge non couverte ; & ces sceaux s'appliquent de maniere qu'ils sont pendans.

Le sceau se tient ordinairement un certain jour de chaque semaine chez le chancelier ou chez le garde des sceaux, lorsqu'il y en a un ; chez M. le duc d'Orleans c'est le mercredi.

L'audiencier-garde des rôles fait le rapport des lettres qui sont présentées au sceau.

Le controleur de la chancellerie assiste au sceau.

Le scelleur chauffe-cire applique le sceau lorsque le chancelier ou le garde des sceaux l'ordonne.

On scelle du sceau du prince toutes les provisions & commissions d'office de judicature & autres pour l'apanage, même pour les officiers qui ont le titre d'officiers royaux ; mais pour les cas royaux le prince n'a que la simple nomination des officiers, & sur ces lettres de nomination scellées du sceau de l'apanage, le roi donne à l'officier des provisions.

Quoique les chanceliers & gardes des sceaux des princes apanagistes ne soient établis principalement que pour l'apanage, néanmoins le prince n'a qu'un seul sceau & qu'un même dépositaire de son sceau : le chancelier ou garde des sceaux donne aussi par droit de suite toutes les provisions & commissions nécessaires dans les terres patrimoniales du prince apanagiste.

Il n'est pas d'usage chez les princes apanagistes de sceller sur des lacs de soie, mais seulement en queue de parchemin.

Ce qui est de plus essentiel à remarquer par rapport au sceau des apanages, c'est qu'il est proprement une portion du scel royal, ou du-moins il y est subrogé, & opere le même effet, soit pour l'authenticité & l'autorité, soit pour purger les priviléges & hypotheques qui peuvent être affectés sur des offices, soit royaux, municipaux ou autres de l'apanage : aussi l'audiencier-garde des rôles de la chancellerie de l'apanage est-il consideré comme un officier public dont les registres font foi, tant ceux qu'il tient pour les rôles des offices qui se taxent au conseil, que pour les provisions des offices ; & ceux qu'il tient pour les oppositions qui peuvent être formées entre ses mains, pour raison des offices de l'apanage, soit au sceau ou au titre : ces oppositions se forment au sceau de l'apanage de même qu'au sceau du roi, & elles ont le même effet qui est de conserver le droit de l'opposant. Les huissiers de la chancellerie de l'apanage semblent avoir le caractere nécessaire pour former ces sortes d'oppositions ; cependant pour prévenir toute difficulté sur la capacité de ces officiers, on est dans l'usage de former ces sortes d'oppositions par le ministere des huissiers des conseils du roi, de même que pour les autres oppositions aux offices qui ne sont point de l'apanage.

Les chanceliers gardes des sceaux de l'apanage étant les premiers officiers de l'apanage & de la maison du prince, joüissent en conséquence de tous les priviléges accordés par le roi aux officiers du prince qui sont sur l'état arrêté par le roi ; & en conformité duquel le prince fait son état qui est mis & reçû au greffe de la cour des aides. Ces priviléges sont les mêmes que ceux dont joüissent les officiers, domestiques & commensaux de la maison du roi, comme on peut voir par les lettres patentes du mois de Février 1752, concernant les offices de l'apanage du défunt prince Louis duc d'Orleans ; ceux qui étoient attachés au prince défunt joüissent des mêmes priviléges leur vie durant ; leurs veuves en joüissent pareillement tant qu'elles demeurent en viduité : c'est ce que porte la déclaration du roi du 20 Février 1752, registrée en la cour des aides le 21 Avril 1752, qui conserve aux officiers de feu M. le duc d'Orleans lesdits priviléges, franchises & exemptions, nonobstant qu'ils ne soient pas spécifiés ni déclarés par cette loi. (A)

GARDES DES SCEAUX DES CHANCELLERIES ETABLIES PRES LES COURS, sont les officiers qui sont chargés de la garde du petit sceau, dont on use dans ces chancelleries.

La garde du petit sceau aussi-bien que du grand, appartient naturellement au chancelier ou au garde des sceaux de France, lorsque la garde des sceaux est séparée de l'office de chancelier.

En l'absence du chancelier ou du garde des sceaux de France, s'il y en a un, la garde des petits sceaux des chancelleries établies près les cours souveraines, appartient aux maîtres des requêtes, lorsqu'ils se trouvent dans la ville où la chancellerie est établie.

A Paris, c'est toûjours un maître des requêtes qui tient le sceau en la chancellerie du palais : c'est pourquoi il n'y a point de garde des sceaux. Mais comme ces magistrats ne résident point ordinairement dans les autres villes de province où il y a de semblables chancelleries, nos rois ont établi un officier dans chacune de ces chancelleries, pour garder les sceaux en l'absence des maîtres des requêtes ; & ce sont ces officiers auxquels le nom de gardes des sceaux de ces chancelleries est propre.

Il y a eu de ces officiers aussi-tôt que l'on a établi des chancelleries particulieres dans les provinces.

Il y en avoit un en la chancellerie de Toulouse dès 1490, suivant l'ordonnance de Charles VIII. du mois de Décembre de ladite année, où il est nommé garde-scel.

Les autres gardes des sceaux ont été établis à mesure que l'on a établi chaque chancellerie près des parlemens, conseils supérieurs, cours des aides, &c.

Dans celles de Navarre, de Bretagne, de Dauphiné, & de Normandie, ils ont pris la place des chanceliers particuliers de ces chancelleries, qui ont été supprimés.

Ils furent tous supprimés par un édit du mois de Février 1561, portant que le sceau de ces chancelleries seroit tenu par le plus ancien conseiller, chacun en son rang, par semaine ou par mois ; ils ont depuis été rétablis par différens édits. Dans les parlemens semestres, tels que celui de Bretagne & celui de Metz, il a été créé un second garde-des-sceaux, pour servir l'un & l'autre par semestre ; ce qui a été étendu à toutes les chancelleries près des cours qui sont semestres, par un édit du mois de Juin 1715.

En quelques endroits ces offices furent unis à un office de conseiller de la cour près de laquelle est établie la chancellerie, ou ne peuvent être possédées que par un conseiller.

Par exemple, la déclaration du roi du 20 Janvier 1704, ordonna que l'office de garde-scel du conseil supérieur d'Alsace seroit possédé par un conseiller de ce conseil.

L'édit du mois d'Octobre suivant supprima les titres & fonctions des gardes-scels des chancelleries, unis aux offices des conseillers des cours supérieures, & créa un office de garde-scel en chacune des chancelleries établies près desdites cours.

La déclaration du 31 Mars 1705 ordonna que les sceaux de ces chancelleries près les cours, seroient remis aux officiers nommés par M. le chancelier, jusqu'à ce que les officiers de gardes-scels créés par édit du mois d'Octobre 1704, fussent remplis.

Dans quelques villes où il y a deux chancelleries, une près le parlement & une autre près la cour des aides, comme à Rouen & à Bordeaux, il y a ordinairement un garde des sceaux en chaque chancellerie. Cependant l'édit du mois de Juin 1704 a attribué au garde-scel de la chancellerie près le parlement de Roüen, les fonctions de garde-scel de celle près la cour des aides de la même ville, & a desuni cet office de garde-scel de la chancellerie près ladite cour des aides, de l'office de conseiller en icelle.

Quand un maître des requêtes arrive dans une ville où il y a chancellerie, le garde des sceaux est tenu de lui porter les sceaux ; & l'audiencier, contrôleur, ou commis, la clé.

Le maître des requêtes ou le garde des sceaux qui tient le sceau, ne peut sceller que les lettres qui s'expédient ordinairement dans ces chancelleries ; ils ne peuvent sceller aucunes rémissions, si ce n'est pour homicides involontaires, & pour ceux qui sont commis dans une légitime défense de la vie, & quand l'impétrant aura couru risque de la perdre. Voyez CHANCELLERIES PRES LES COURS.

Le garde des sceaux est chargé de tenir la main au sceau & à la taxe des lettres, & de pourvoir aux contestations qui peuvent survenir pendant la tenue du sceau, ou à l'occasion d'icelui : il peut rendre en cette matiere des ordonnances & jugemens, sauf l'appel devant M. le chancelier ou devant M. le garde des sceaux de France, lorsqu'il y en a un.

L'édit du mois de Juin 1715 attribue aux gardes des sceaux des chancelleries près les cours, la noblesse au premier degré, droit de committimus, exemption de logement de gens de guerre, tutele, curatelle, guet & garde, & de droits seigneuriaux dans la mouvance du roi. (A)

GARDES DES SCEAUX DES CHANCELLERIES PRESIDIALES ou DES PRESIDIAUX, sont des officiers qui ont la garde du sceau dont on scelle toutes les expéditions des chancelleries présidiales & les jugemens des présidiaux.

Henri II. ayant établi en 1551 des siéges présidiaux dans plusieurs villes du royaume, avoit alors laissé aux greffiers des présidiaux la garde du scel, ordonnés pour sceller les expéditions de ces nouveaux tribunaux : mais comme ces greffiers n'avoient pas communément les connoissances nécessaires pour juger du mérite des requêtes civiles & autres lettres qui leur étoient présentées pour sceller, Henri II. par édit du mois de Décembre 1557, établit des conseillers gardes des sceaux près des présidiaux : il ordonna que quant aux lettres de chancellerie qui ne peuvent être concédées que par S. M. comme requêtes civiles, propositions d'erreur, restitutions en entier, relief d'appel, desertions, anticipations, acquiescemens, & autres semblables, qui ont accoûtumé être dépêchées ès chancelleries au nom du roi, seroient dépêchées par les gardes des sceaux des présidiaux, signées & expédiées par les secrétaires du roi, & en leur absence par le greffier d'appeaux de chaque siége présidial, ou par leur commis.

Il fut ordonné que ces expéditions seroient scellées de cire jaune, d'un scel qui seroit fabriqué aux armes du roi à trois fleurs-de-lis, qui seroient de moindre grandeur que celles des autres chancelleries ; & qu'autour de ce scel seroit écrit, le scel royal du siége présidial de la ville de, &c.

La garde de ce scel est attribuée à un conseiller & garde des sceaux créé par cet édit dans chaque présidial, avec les mêmes droits que les autres conseillers.

Il fut en même tems créé un clerc & commis à l'audience, pour sceller les expéditions & recevoir les émolumens provenans dudit scel.

Le roi déclare néanmoins que par l'attribution faite aux gardes des sceaux des présidiaux, il n'entend point empêcher ses sujets de se pourvoir pour les lettres dont ils auront besoin en la grande chancellerie ou en celles établies près les cours de parlement, comme ils faisoient auparavant.

Il déclare aussi que par cet édit il n'entend point préjudicier aux droits, prééminences, & autorités, tant des maîtres des requêtes que des secrétaires du roi, lesquels il veut demeurer dans le même ordre qu'ils ont tenu ci-devant avec les officiers des cours & siéges présidiaux.

Ces gardes des sceaux furent supprimés, ainsi que les clercs commis à l'audience, par un édit du mois de Février 1561, qui permit néanmoins à ceux qui étoient pourvûs de ces offices, d'en joüir leur vie durant, à-moins qu'ils ne fussent plutôt remboursés. Le même édit ordonna qu'après la suppression de ces gardes des sceaux par mort ou remboursement, le sceau seroit tenu par les lieutenant général, particulier, & conseillers présidiaux, chacun par mois & l'un après l'autre, à commencer par le lieutenant général ; que le lieutenant ou conseillers qui tiendront le sceau, auront la garde du coffre, & le fermier, la clé.

Les troubles survenus dans le royaume furent cause que cet édit fut mal observé ; de sorte que l'usage ne fut pas par-tout uniforme : mais Henri III. par édit du mois de Février 1575, rétablit les conseillers gardes des sceaux, dans les présidiaux près desquels il y a une chancellerie présidiale, conformément à l'édit de 1561.

Enfin par un édit du mois de Juin 1715, tous les offices de conseillers-gardes des sceaux ou de conseillers-gardes-scel, par quelques édits qu'ils eussent été créés, tant dans les chancelleries près les cours, que dans les chancelleries présidiales, furent supprimés ; & par le même édit, il fut créé dans chaque chancellerie présidiale, un nouvel office de conseiller du roi garde-scel, avec le privilége de noblesse au premier degré, en consideration de l'honneur qu'il a d'être dépositaire du sceau du roi, pour en joüir par les pourvûs, leurs veuves & descendans, comme les officiers des chancelleries près les cours. L'édit les décharge de toute recherche pour la noblesse ; leur accorde droit de committimus, exemption de logement de gens de guerre, tutele, curatelle, guet & garde.

En conséquence de cet édit, les conseillers-gardes-scel des présidiaux font dans les chancelleries présidiales les mêmes fonctions que les gardes des sceaux des chancelleries établies près les cours, font dans ces chancelleries.

Par un arrêt du conseil du 22 Janvier 1697, ils ont été maintenus dans le droit de sceller tous les actes, sentences, & jugemens rendus dans les cas présidiaux. A l'égard des sentences, jugemens, & actes des bailliages & sénéchaussées auxquels les présidiaux sont joints, ils doivent être scellés par les conseillers gardes-scels des bailliages & sénéchaussées, suivant l'édit du mois de Novembre 1696. (A)

GARDE DES SCEAUX AUX CONTRATS, sont ceux qui ont la garde du petit sceau dont on scelle les actes passés devant notaires & tabellions royaux.

Anciennement c'étoit le juge qui scelloit les contrats de même que les jugemens, parce que les contrats sont censés passés sous son autorité, & que les notaires n'étoient considérés que comme les greffiers du juge pour la jurisdiction volontaire.

Dans la suite les sceaux furent joints au domaine & donnés à ferme ; au moyen de quoi, le scel des contrats aussi-bien que des jugemens, fut remis au fermier du sceau, lequel par lui ou son commis, scelloit tous les jugemens & contrats.

En 1568, Charles IX. créa dans toutes les jurisdictions royales des gardes des sceaux, tant pour les contrats que pour les sentences.

Ces offices furent supprimés par édit du mois de Novembre 1696, qui créa en même tems des offices de conseillers-garde-scels, pour faire la même fonction.

Mais par une déclaration du 18 Juin 1697, Louis XIV. desunit les offices & droits de gardes-scels des contrats & actes des notaires & tabellions royaux, de ceux des sentences & actes des jurisdictions royales, pour être vendus séparément.

L'exécution de cette déclaration ayant souffert plusieurs difficultés de la part des notaires & tabellions royaux, il y eut d'abord une déclaration du mois d'Avril 1697, qui desunit l'office de garde-scel aux contrats de celui de garde-scel aux sentences, pour la ville & prevôté de Paris, & créa vingt notaires au châtelet, qui auroient seuls droit de sceller tous les actes ; mais la communauté acheta ces vingt charges : au moyen de quoi tous les notaires de Paris sont garde-scels, & ont droit de sceller eux-mêmes les actes qu'ils reçoivent.

A l'égard des gardes-scels aux contrats pour les autres villes, par une autre déclaration du 17 Septembre 1697, on rétablit tous les offices de garde-scels des contrats des notaires & tabellions, qui avoient été supprimés par l'édit du mois de Novembre précédent ; à l'exception de ceux de la ville de Paris, qui étoient déjà unis au corps des notaires. Ces offices de garde-scels ainsi rétablis, furent aussi unis au corps des notaires ; & dans les lieux où les notaires ne formoient pas de communauté, le droit de garde-scel fut donné à chaque notaire en particulier : & en conséquence de cette union, la déclaration permet à tous notaires, dans les villes où il y a parlement ou autres siéges présidiaux, de prendre le titre de conseiller du roi garde-scel, soit qu'ils ayent acheté les offices en commun ou en particulier ; de sorte que dans les lieux où la communauté n'a pas acheté ces offices, il faut envoyer sceller l'acte chez celui qui est garde-scel. (A)

GARDES-SCELS DES JURISDICTIONS ROYALES ET SUBALTERNES, sont ceux qui ont la garde du petit scel dont les expéditions du tribunal doivent être scellées.

Anciennement chaque juge avoit son sceau ou cachet particulier, dont il scelloit lui-même tous les jugemens & autres actes émanés de sa jurisdiction, & même les contrats & autres actes que l'on vouloit mettre à exécution.

Le châtelet de Paris fut le premier siége qui commença à user du scel royal, du tems de S. Louis.

Il y avoit dès-lors au châtelet un officier appellé scelleur, dont la fonction étoit d'apposer le scel aux jugemens & mandemens émanés du tribunal ; ce qui subsiste encore présentement.

On donna aussi aux autres siéges royaux des sceaux aux armes du roi, pour sceller tous les jugemens & autres actes passés dans le détroit de la jurisdiction. Mais Charles IX. étant informé que dans plusieurs jurisdictions royales les juges apposoient encore leurs sceaux, marques, cachets, ou signatures, au lieu du scel royal, ou bien les sceaux des villes, & qu'il se commettoit encore d'autres abus, créa par édit du mois de Juin 1568, des gardes des sceaux dans toutes les jurisdictions royales, excepté dans les chancelleries & présidiaux, pour sceller tous les jugemens & contrats que l'on veut mettre à exécution.

Cet édit fut interprété & confirmé par plusieurs autres des 8 Février 1571, Mai & Décembre 1639, Juin 1640, & autres ; en conséquence desquels il fut établi des gardes des sceaux dans la plûpart des jurisdictions royales.

Depuis, par édit du mois de Novembre 1696, Louis XIV. supprima tous ces offices de gardes-scels, soit qu'ils eussent été établis en conséquence des édits de Juin 1568 & autres postérieurs, ou que lesdits offices ou les titres & fonctions d'iceux, eussent été joints & unis à d'autres offices rétablis ou réunis au domaine du roi ; à l'exception néanmoins des offices de gardes-scels créés depuis l'année 1688 : & au lieu de ces offices de gardes-scels simplement, il créa par le même édit dans toutes les jurisdictions royales un conseiller du roi garde-scel, pour sceller tous les jugemens & autres expéditions, contrats & actes des notaires & tabellions royaux, qui furent joints & attribués au garde-scel, avec attribution des mêmes fonctions, autorités, priviléges, droits, rang, séance, voix délibérative, part aux épices & distribution des procès, que les autres conseillers & officiers des jurisdictions royales.

Par une déclaration du 18 Juin 1697, les offices & droits de garde-scels des contrats & actes des notaires & tabellions royaux, furent desunis de ceux des sentences & actes des jurisdictions royales, pour être vendus séparément. Voyez GARDE-SCEL AUX CONTRATS.

Enfin par une autre déclaration du 17 Décembre suivant, Louis XIV. rétablit tous les offices de garde-scels qui étoient établis avant l'édit du mois de Novembre 1696, dans les bailliages, sénéchaussées, vicomtés, prevôtés, vigueries, châtellenies, & autres jurisdictions royales ordinaires, à l'exception de ceux du châtelet & des autres jurisdictions de la ville de Paris, pour laquelle l'exécution de l'édit de 1696 fut ordonnée.

La même déclaration ordonna que les propriétaires des anciens offices de garde-scels en joüiroient, comme ils faisoient avant l'édit de 1696, sans être tenus d'acquérir ni de se faire pourvoir, si bon ne leur sembloit, des offices de conseillers-garde-scels créés par le même édit de 1696 ; desquels offices de conseillers le roi se réserva de disposer comme il jugeroit à-propos, avec faculté néanmoins aux propriétaires des anciens offices de garde-scels, aux compagnies, ou autres particuliers, d'acquérir ces offices de conseillers.

A l'égard des jurisdictions des provinces & généralités, où les offices & droits de garde-scels n'étoient pas rétablis avant l'édit du mois de Novembre 1696, le roi par la déclaration du 17 Septembre 1697, unit aux corps des jurisdictions lesdits offices de conseillers-gardes-scels créés par édit du mois de Novembre 1696, avec faculté auxdites jurisdictions de joüir desdits offices en commun, ou de les vendre, même les droits attachés.

Il a été défendu aux gardes-scels des jurisdictions royales, par plusieurs réglemens, & notamment par une déclaration du 16 Mars 1576, de sceller aucun des actes qui sont du fait des chancelleries établies près des cours ou présidiaux. (A)

GARDE DES COFFRES, ou THRESORIER DE L'éPARGNE, (Hist. mod.) c'est un des principaux officiers dans la cour du roi d'Angleterre, immédiatement après le contrôleur ; lequel dans la cour du tapis-verd, & quelquefois ailleurs, a la charge ou l'inspection particuliere des autres officiers de la maison, afin qu'ils tiennent une bonne conduite, ou qu'ils fassent avec exactitude les fonctions de leurs offices : c'est lui qui paye leurs gages. Chambers.

GARDES DES FOIRES, officiers établis dans les foires pour en conserver les franchises, & juger des contestations en fait de commerce survenues pendant la durée de ces foires ; on les nomme plus ordinairement juges-conservateurs. Voyez JUGES & CONSERVATEURS. Dictionnaire de Commerce.

GARDES DE NUIT, petits officiers de ville à Paris, commis par les prevôt des marchands & échevins, pour veiller la nuit sur les ports à la conservation des marchandises qui y ont été mises à bord, & répondre à leurs frais des dégats ou dommages qui par leur faute ou négligence seroient arrivés à ces marchandises, pourvû que dans les vingt-quatre heures les propriétaires des effets détournés ou gâtés intentent action contre ces gardes : telle est la disposition de l'ordonnance de la ville de 1672, art. 7. ch. jv. Dictionn. de Commerce.

GARDE NOIRE, (Commerce) on nomme ainsi à Bordeaux une escoüade d'archers qui veille pendant la nuit pour empêcher qu'il n'entre dans la ville, ou qu'il n'en sorte aucune marchandise en fraude ; elle est composée d'un capitaine, d'un lieutenant, & de neuf soldats. Dictionn. de Commerce.

GARDE-VISITEUR, (Commerce) on appelle de la sorte à Bordeaux un commis qui accompagne le visiteur d'entrée de mer, lorsqu'il va faire sa visite sur les navires & barques qui arrivent dans le port de cette ville, & dont il est comme le contrôleur.

Les fonctions du garde visiteur sont, 1°. en accompagnant le visiteur, de faire mention sur son portatif du nom des navires & de celui des maîtres, du lieu d'où ils viennent, & du nombre & qualité des marchandises : 2°. de donner chaque jour au receveur de la comptablie, un état des vaisseaux & barques visités : 3°. de fournir un pareil état aux receveur & contrôleur du convoi des barques de sel, de leur nom, de celui de leurs maîtres, de leur port, & de la quantité & qualité des sels dont elles sont chargées : 4°. de transcrire tous les jours les déclarations qui se font au bureau. Dictionn. de Commerce.

GARDE, s. f. en terme de Commerce, signifie conservation, durée en un même état, comme dans les phrases suivantes.

Les marchandises sujettes à la corruption ne sont pas de garde : on dit d'un vin foible, qu'il n'est pas de garde.

On appelle aussi dans le commerce, garde-boutique, garde-magasin, une étoffe dont la couleur est éteinte, qui est fripée, piquée de vers, tarée ou hors de mode. Dictionn. de Commerce.

GARDE, (Commerce) Dans les six corps des marchands de Paris, on appelle maîtres & gardes ceux qui sont élus & choisis parmi les maîtres de chaque corps pour tenir la main à l'exécution des statuts & réglemens de chaque corps en particulier, & pour en soûtenir les privileges.

Chez les artisans, il n'y a point de maîtres & gardes, mais simplement des jurés. Voyez JURE. Dictionn. de Commerce.

GARDE-MAGASIN, (Commerce) celui qui a soin des marchandises renfermées ou déposées dans un magasin. Voyez MAGASIN.

GARDE-MAGASIN, (Art milit.) dans l'Artillerie, c'est un préposé par le grand-maître pour veiller au magasin des armes & des munitions des places, & tenir un état de tout ce qui entre & qui en sort. (Q)

GARDE-CHASSE, (Vénerie) celui qui est chargé de la conservation du gibier dans un canton limité.

Un garde-chasse a deux objets sur lesquels il doit particulierement veiller, les braconniers & les bêtes carnacieres : avec de l'attention & quelquefois de la hardiesse, il arrête les entreprises des uns ; il y a un art particulier à se défaire des autres, qui demande de l'adresse, quelques connoissances, & sur-tout un goût vif pour les occupations de ce genre. Sans ce goût, il ne seroit pas possible qu'un garde-chasse soutînt les fatigues, les veilles, & la vigilance minutieuse qu'exige la destruction des animaux ennemis du gibier. Voyez PIEGE.

Les gens qui ont des gardes-chasse, ne peuvent prendre trop de précautions pour qu'ils soient sages & d'une probité à toute épreuve. On ne sauroit croire combien de détails sourds de tyrannie s'exercent par eux : ils sont armés & crûs sur leur parole, cela est nécessaire pour l'exercice de leurs fonctions. Mais s'ils ne portent pas, dans l'usage qu'ils font de ces droits, l'exactitude jusqu'au dernier scrupule, combien ne sont-ils pas à craindre pour le paysan ? Ils deviennent sur-tout dangereux, s'ils reconnoissent en leur maître un goût vif pour la chasse : alors ils n'épargnent rien pour flater en lui une passion qui, comme toutes les autres, voit injustement ce qui la favorise ou ce qui la blesse. Article de M. LE ROI, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

GARDES-ÉTALON, (Manége) on appelle de ce nom tous particuliers auquel la garde d'un étalon est confiée, ou qui se chargent eux-mêmes de l'achat & de l'entretien d'un cheval propre à servir les jumens, d'un arrondissement quelconque : les uns & les autres joüissent de certains priviléges. Voyez HARAS. (e)

GARDE-MEUBLE, (Manége) lieu de dépôt, & où l'on enferme les selles, les harnois, les couvertures, les émouchoirs, les brides, les licols, les caveçons, &c. & tous les divers instrumens qui sont propres au manége, à l'écurie, & nécessaires dans un équipage. Lorsqu'on ne perd point de vûe l'objet pour lequel on le destine, on le construit de maniere qu'il soit à la portée de tous les besoins. Il faut surtout qu'il soit à l'abri de la chaleur excessive, du grand froid, de l'humidité, & de toutes odeurs fétides ; autrement les cuirs & tous les ouvrages en bois, en métaux & en dorures qu'il contiendra, seront bien-tôt desséchés, gersés, pourris, décolorés, rouillés & changés, quelqu'attention que l'on puisse apporter à leur conservation. On y dispose différemment des armoires ; on y pratique divers arrangemens tendans à garantir les meubles de la poussiere & des injures des rats, ou autres animaux malfaisans, & dans des tems où l'humidité s'étend, se fait jour & perce par-tout ; on en garantit le garde-meuble, à l'aide d'un feu plus ou moins considérable, ou ce qui convient encore mieux, à l'aide d'un poële médiocrement chauffé. (e)

GARDE-MEUBLE, (Manége) on appelle de ce nom l'officier auquel on confie le soin & la garde de tous les meubles d'une écurie, d'un manége, & d'un équipage.

Son devoir consiste à tenir un compte fidele de tout ce qui lui est remis, à faire attention à ce qu'il distribue, à conserver l'état dans lequel les choses lui sont rendues, à n'en recevoir aucunes qui n'ayent été parfaitement nettoyées, à faire exactement réparer celles qui ont souffert quelqu'atteinte, à être d'une assiduité extrême, & toûjours prêt à fournir ce dont on peut avoir besoin ; enfin, à faire soigneusement arranger ce qu'on lui rapporte, selon l'ordre établi dans le garde-meuble, à la propreté duquel il doit constamment & scrupuleusement veiller. (e)

GARDE, s. f. en termes de Fourbisseur, se dit de la partie qui est auprès de la poignée d'une épée, pour empêcher que la main ne soit offensée par l'ennemi. Voyez éPEE & POIGNEE.

GARDE-SALE, (Escrime) Voyez PREVOST.

GARDES, (être en) Escrime. C'est être dans une attitude aussi avantageuse pour se défendre que pour attaquer.

Il y a deux façons de se mettre en garde, qui sont la garde ordinaire ou la garde basse, & la garde haute. Elles se pratiquent toutes deux, suivant les différentes occasions.

GARDE-HAUTE, (Escrime) est celle où l'on tient le poignet plus haut que la pointe.

Façon de se mettre en cette garde : 1°. vous placerez le bras gauche, les piés & le corps, comme il est enseigné dans la garde ordinaire ; 2°. vous leverez le bras droit, & mettrez le poignet à la hauteur du noeud de l'épaule ; 3°. vous pourrez faire descendre la pointe de votre épée jusqu'au niveau de la ceinture, & jamais plus ; mais il est mieux de la tenir entre l'épaule & la ceinture.

GARDE ORDINAIRE ou GARDE-BASSE, (Escrime) est celle où le poignet est plus bas que la pointe.

Façon de se mettre en cette garde : 1°. tournez la tête & le pié droit en face de l'ennemi ; 2°. portez le talon gauche à deux longueurs de piés de distance du talon droit ; 3°. mettez le pié gauche perpendiculaire au droit ; 4°. alignez les piés, desorte que le droit puisse passer derriere le talon gauche, sans laisser d'intervalle ; 5°. alignez les épaules sur le pié droit, ou ce qui est le même, mettez-les perpendiculaires au pié gauche ; 6°. pliez le jarret gauche en avançant le genou, jusqu'à ce qu'il soit sur l'à-plomb du bout de son pié (ceux qui ont le pié petit, peuvent un peu passer cet à-plomb) ; 7°. portez tout le corps sur le jarret gauche, & enfoncez-le dans les hanches ; 8°. étendez le genou droit sans le roidir, au contraire il faut en avoir l'articulation flexible ; 9°. posez le tronc du corps bien à-plomb, & ne tendez ni le ventre ni le derriere ; 10°. levez le bras gauche, & arrondissez-le, ensorte que la naissance de la main soit au niveau & vis-à-vis le noeud de l'épaule, & la distance de la naissance de la main à ce noeud doit être de la longueur de l'humerus ; 11°. levez le coude à la hauteur de l'oeil pour diminuer le poids du bras ; 12°. avancez la main droite jusqu'à ce que le pouce soit sur l'à-plomb du bout de son pié : 13°. tournez la main droite de façon que le plat de la lame fasse un angle de 45 degrés avec l'horison ; 14°. mettez le pommeau à hauteur de la ceinture ; 15°. tenez la pointe de votre épée à hauteur du noeud de l'épaule, & jamais plus. Nota. Que les jointures de votre bras soient souples sans être trop pliées.

GARDE-CORPS, en Architecture, c'est une balustrade ou un parquet à hauteur d'appui, ordinairement le long d'un quai, d'un fossé, ou aux côtés d'un pont de pierre. C'est aussi un assemblage de charpente aux bords d'un pont de bois, pour empêcher de tomber dans l'eau. Le mot latin par lequel on exprime le garde-corps, est peribolus. Les ouvriers l'appellent garde-fou.

GARDE-MANGER, en latin cella promptuaria, (Architect.) c'est un petit lieu près d'une cuisine, pour serrer les viandes de la desserte de la table, le gibier, la volaille, &c. Il faut que ce lieu soit sec & muni de quelques tables, corps d'armoires, & autres ustensiles à son usage. Voyez le garde-manger, n°. 14. Planc. XI. Architect. qui est échauffé l'hyver par la cheminée de la cuisine, & l'été rafraîchi par la croisée qui donne sous le peristile ; les provisions que ces sortes de pieces contiennent étant sous la garde du chef de cuisine, il leur faut ménager une issue du côté de la cuisine.

GARDE-MEUBLE, (Architecture) c'est dans une maison une grande piece ou galerie, le plus souvent dans le comble, où l'on serre les meubles d'été pendant l'hyver, & ceux d'hyver pendant l'été. (P)

GARDE, (Commerce) se dit de certaines membrures ou pieces qui font partie de la balance romaine, autrement dite peson ou crochet. Dans la composition de cette balance, il y a trois sortes de gardes, la garde du crochet, la garde forte, & la garde foible. Voyez BALANCE. Dictionn. de Commerce.

GARDE-CORDE, terme d'Horlogerie. Voyez GUIDE-CHAINE.

GARDE : les Relieurs appellent garde une bande de parchemin de la longueur du livre qu'ils mettent à moitié en-dedans du carton ; l'autre moitié est entaillé par bandes pour passer sur le dos dans les entre-nerfs où on les colle ; on colle la bande du dedans, lorsque le livre est prêt à dorer : il y en a des deux côtés du livre. Quelquefois on se contente de deux ou trois bandes de parchemin qui passent du carton sur le dos, pour le renforcer & mieux assûrer le carton. Voyez ENDOSSER.

GARDES, (Rubanier) ce sont deux bandes de fort papier pliées en trois, de la hauteur du peigne, & qui servent à le tenir fixe dans le battant ; d'ailleurs ces gardes servent encore à garnir les vuides qui resteroient aux deux côtés du peigne, & au-travers desquels la navette passeroit sans cette précaution. Les gardes ont encore une autre utilité, qui est de recevoir la navette quand elle ne travaille pas ; il y a des ouvriers curieux & propres qui font ces gardes de toile cirée, dont on mot le ciré en-dehors : ces gardes, outre la propreté & la durée, ont encore l'avantage de tenir les doigts de l'ouvrier dans une fraîcheur qui lui est nécessaire sur-tout en été.

GARDES, (Verrerie) on nomme gardes dans l'art de la Verrerie les morceaux de verre que l'on place perpendiculairement dans la poële, lorsqu'on procede à la calcination du verre. Ces gardes servent à faire connoître quand l'opération est achevée ; car lorsqu'ils commencent à plier & à fondre par la chaleur, il ne faut plus pousser le feu. Voyez VERRE.

GARDES, termes de Tisserand ; les gardes sont deux morceaux de bois placés aux deux bouts des rots ou peignes, qui assujettissent les broches ou dents & les empêchent de s'écarter. Voyez PEIGNE.

GARDE-MALADE, ou simplement GARDE, s. fém. (Médecine) c'est le nom que l'on donne à des femmes, dont la profession est de garder & soigner les malades dans les maisons particulieres où elles sont appellées ; il s'en faut beaucoup que cet état obscur soit indifférent pour la société. En effet ces femmes, par leur habitude & leur expérience dans les cas de maladies, sont plus intelligentes, plus adroites, & infiniment plus propres que toutes autres personnes, à prévenir & soulager les besoins des malades qui leur sont confiés ; elles remplissent auprès d'eux les mêmes fonctions que les infirmiers ou infirmieres dans les hôpitaux. Voyez INFIRMIER.


GARDELEBEN(Géogr.) petite ville d'Allemagne dans la vieille marche de Brandebourg, sujette au roi de Prusse. Son commerce principal consiste en houblon & en biere. Elle est sur la Bise, à 15 lieues de Magdebourg, 22 de Brunswic. Long. 29. 30. lat. 52. 44. (D.J.)


GARDERGARDER le chamois en chaleur, terme de Chamoiseur ; c’est échauffer les peaux qui ont été passées en huile, en les mettant sous des couvertures de laine ; ce qui se nomme plus ordinairement mettre les peaux en chaleur. Voyez CHAMOIS.

GARDER AU LIQUIDE, terme de Confiseur ; c'est confire un fruit quel qu'il soit, de façon qu'on puisse le conserver toûjours liquide.


GARDEROBES. f. ou PETIT-CYPRÈS, santolina ; genre de plante à fleur en fleurons ramassés en boule, qui est composée de plusieurs fleurons découpés & portés sur les embryons, séparés les uns des autres par de petites feuilles pliées en gouttieres, & soûtenus par un calice écailleux de figure hémisphérique ; les embryons deviennent des semences qui n'ont point d'aigrettes. Les fleurs de cette plante sont plus grandes que celles de l'absynthe & de l'aurone. Tournef. instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Cette plante s'appelle aussi santoline, de son nom latin. Ainsi voyez SANTOLINE (Matiere med.)

GARDE-ROBE, (Architecture) s'entend du lieu où l'on tient les aisances, les cabinets de toilette, ceux où l'on serre les habits, le linge, & où couchent les domestiques que l'on veut tenir près de soi. Voyez les pieces marquées C dans le plan de la Pl. XI. Architect. Ce sont ces garde-robes que M. Perrault entend dans Vitruve par cella familiarica. On appelle garde-robe, chez le roi & les princes, un appartement où l'on tient les habits, mais où logent même les officiers qui y servent ; en latin vestiarium. Le mot de garderobe se prend chez les Italiens pour garde-meuble.

Garde-robe de bain ; c'est près d'un bain le lieu où l'on se deshabille, & que Vitruve appelle apoditerium. Voyez la piece marquée I dans le plan de la Planche XI. Architecture.

Garde-robe de théatre ; c'est derriere ou à côté de la scene d'un théatre un lieu qui comprend plusieurs petits cabinets, où s'habillent séparément les acteurs & les actrices. C'est aussi l'endroit où l'on tient les habits, où l'on dispose tout ce qui dépend de l'appareil de la scene, & où se font les petites répétitions. Vitruve nomme cette partie du théatre choragium. (P)

GARDE-ROBE, (grand-maître de la) Hist. mod. Cette charge a été créée le 26 Novembre 1669. Alexandre duc de la Rochefoucault la possede depuis 1718. Il prête serment de fidélité entre les mains du Roi, & le reçoit des autres officiers de la garde-robe. Sa charge est de faire faire & d'avoir soin des habits, du linge, & de la chaussure du Roi. Il dispose de toutes les hardes lorsque le roi ne veut plus s'en servir. Le grand-maître de la garde-robe donne la chemise à Sa Majesté, en l'absence des princes du sang ou légitimés, du grand-chambellan, & des premiers gentilshommes de la chambre. Le matin quand le Roi s'habille, il lui met la camisole, le cordon bleu, & le just-au-corps. Quand Sa Majesté se deshabille, il lui présente la camisole de nuit, le bonnet, le mouchoir, & lui demande quel habit il lui plaira de prendre pour le lendemain. Les jours de grandes fêtes, le grand-maître de la garde-robe met au Roi le manteau & le collier de l'ordre, fait les fonctions de chambellan & des deux premiers gentilshommes de la chambre, en leur absence. Il a son appartement. Les jours d'audience aux ambassadeurs, il a place derriere le fauteuil de S. M. à côté du premier gentilhomme ou du grand-chambellan, & prend la gauche du fauteuil du Roi. Il y a d'ancienne création deux maîtres de la garde-robe servant par année. Ils font serment de fidélité entre les mains du Roi. En l'absence des princes du sang ou légitimés, du grand-chambellan, des premiers gentilshommes de la chambre, & du grand-maître de la garde-robe, ils donnent la chemise au Roi. Ils se trouvent aussi aux audiences des ambassadeurs, & montent sur l'estrade ou le haut-dais. Celui qui est d'année a un appartement. C'est lui qui présente la cravate au Roi, son mouchoir, ses gants, sa canne, & son chapeau. Lorsque Sa Majesté quitte un habit, & qu'il vuide ses poches dans celles de l'habit qu'il prend, le maître de la garde-robe lui présente ses poches pour les vuider le soir. Lorsque le Roi sort de son cabinet, il donne ses gants, sa canne, son chapeau, son épée au maître de la garde-robe ; & après que Sa Majesté a prié Dieu, elle vient se mettre sur son fauteuil, & acheve de se deshabiller. Le maître de la garde-robe tire le just-au-corps, la veste, le cordon bleu, & reçoit aussi la cravate. Ces deux charges sont possédées, l'une par M. le maréchal de Maillebois depuis 1736, ayant M. le comte de Maillebois pour survivancier ; & l'autre par M. le marquis de Souvré, depuis 1748. Les officiers de garde-robe sont : quatre premiers valets de garde-robe servant par quartier, seize valets de garde-robe servant aussi par quartier, un porte-malle, quatre garçons ordinaires de la garde-robe, trois tailleurs-chaussetiers & valets-de-chambre, un empeseur ordinaire, & deux lavandiers du linge de corps. Etat de la France, édit. 1749.

GARDE-ROBES, (Layetier) les maîtres Coffretiers-Malletiers appellent ainsi les plus grands coffres qu'ils font, soit peut-être parce qu'ils les font pour être placés dans les garde-robes, soit aussi parce qu'ils veulent faire entendre que ces coffres sont capables de servir seuls de garde-robes. Il y a aussi des demi-garde-robes ; & les unes & les autres sont rondes ou plates, c'est-à-dire ont le couvercle, ou arrondi en forme de demi-cercle, ou simplement applani.


GARDIEou CUSTODE, s. m. custos, (Hist. ecclés.) est le nom qu'on donne parmi les Franciscains au supérieur de chaque maison particuliere. Ainsi l'on dit le gardien des cordeliers de Paris, le gardien des récollets de Montargis, le gardien des capucins du Marais, le gardien des pénitens de Picpus. Les autres ordres mendians ou rentés ont conservé les titres de prieur, recteur, ministre, supérieur, &c. (G)

GARDIEN, (Jurisprud.) est celui qui a la garde de quelque personne ou de quelque chose.

Gardien bourgeois ; c'est le pere ou la mere non-nobles qui ont la garde bourgeoise de leurs enfans. Voyez ci-devant GARDE BOURGEOISE.

Gardien noble ; est celui des pere ou mere, ou autres ascendans, & même, dans quelques coûtumes, des collatéraux, qui a la garde noble d'un enfant mineur. Voyez ci-devant GARDE NOBLE. (A)

GARDIEN DES MEUBLES, est celui qui s'est chargé de la garde des meubles saisis sur un débiteur.

L'huissier ne doit établir pour gardien qu'une personne solvable & de facile discussion, qui est ce que l'on appelle un gardien bon & solvable.

On ne doit établir pour gardien, ni les parens de l'huissier, ni le saisi, sa femme, enfant, ou petits-enfans ; mais on peut établir pour gardiens les freres, oncles, & neveux, pourvû qu'ils y consentent.

Celui qui accepte la commission de gardien, doit signer sur le procès-verbal, ou déclarer qu'il ne peut signer.

Si l'huissier ne trouve pas de gardien solvable, il doit établir garnison.

Il n'est pas permis d'empêcher l'établissement du gardien, ni de le troubler, à peine de payer le double de la valeur des meubles saisis, & de 100 livres d'amende, sans préjudice des poursuites extraordinaires.

Le gardien suit ordinairement la foi de celui sur qui la saisie est faite, c'est-à-dire qu'il laisse la partie saisie en possession des meubles ; il peut néanmoins requérir l'huissier qui en fait la saisie de le mettre en possession de ces meubles, & de les enlever.

Lorsqu'il fait enlever les meubles, il ne doit ni s'en servir, ni les loüer à personne ; il doit les conserver fidelement comme un dépositaire, à peine de tous dommages & intérêts.

Les gardiens étant dépositaires de justice, sont contraignables par corps à la représentation des meubles saisis, soit pour être vendus à la requête du créancier, soit pour être restitués à la partie saisie, lorsqu'il y a eu déplacement, & que la partie saisie a obtenu main-levée.

La contrainte par corps n'a lieu néanmoins qu'en vertu d'un jugement qui la prononce.

S'il survient des oppositions qui retardent la vente, le gardien est déchargé deux mois après qu'elles ont été jugées ; ou si elles ne le sont pas, il est déchargé au bout d'un an : mais s'il a été mis en possession réelle des meubles, il en est chargé pendant trente ans. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. xjx. & xxxiij. (A)

GARDIEN ; ce titre étoit quelquefois donné au lieu de celui de garde, à certains juges établis par le roi pour la manutention des priviléges accordés à certaines églises, villes, ou autres communautés : par exemple, après l'abolition de la commune de Laon, il y fut établi par le roi un gardien pour rendre la justice, comme il est dit en l'ordonnance de Philippe de Valois du mois de Décembre 1331. (A)


GARDIENNES. f. (Jurispr.) voyez ci-devant GARDIEN & GARDE-GARDIENNE.


GARDIENNERIES. f. (Marine) chambre des canonniers. Voyez SAINTE-BARBE.


GARDIENSS. m. pl. (Marine) matelots gardiens ; ce sont des matelots commis dans un port pour la garde des vaisseaux & pour veiller à la conservation des arsenaux de Marine. On partage les matelots gardiens en trois brigades égales en nombre & force, suivant le rôle qui est arrêté par le capitaine du port ; chaque brigade est conduite par un maître des matelots choisi par le capitaine du port. Sur les vaisseaux du premier rang il doit y avoir huit matelots gardiens ; sur ceux du second rang, six ; sur ceux du troisieme, quatre ; sur ceux du quatrieme & cinquieme, trois ; sur les frégates, brûlots, flûtes, & autres bâtimens, deux ou un, selon le besoin. Dans le nombre des gardiens, il doit y avoir le quart qui soient calfats ou charpentiers ; l'ordonnance de la Marine de 1689 regle tout ce qui concerne les gardiens. (Z)

GARDIENS DE LA FOSSE AUX LIONS, (Marine) c'est le matelot qu'on y met de garde pour fournir ce qu'on y demande pour le service du vaisseau. (Z)


GARDIERS. m. (Hist. de France) officier supérieur établi autrefois dans quelques villes du royaume, comme à Lyon, à Vienne, &c. pour faire payer à ceux que le souverain avoit mis sous leur sauvegarde, les impositions dûes pour cela ; pour leur faire rendre justice des vexations qu'on pouvoit exercer contre eux ; pour donner l'investiture des biens mouvans du domaine ; enfin pour connoître par lui-même ou par ses officiers, des infractions à tous ces égards.

Il falloit que cet emploi fût une dignité de confiance, puisque Gui dauphin ne dédaigna pas d'être gardier dans la ville & cité de Lyon ; & pour le dire en passant, ce Gui dauphin n'est point ce malheureux chevalier templier, brûlé à Paris avec le grand maître Jacques de Molay, comme l'ont écrit la plûpart de nos historiens, Nicole Gille, Paul Emile, Dupleix, Mezerai, le P. Labbé, & M. Dupuy lui-même, sur l'autorité de Villani. Gui dauphin, gardier de Lyon, baron de Montauban, & frere de Jean dauphin de Viennois, étoit le troisieme fils d'Humbert premier, seigneur de la Tour & de Coligni, appellé en 1282 à la souveraineté du Dauphiné. Ce fils Gui fut marié avec Beatrix de Baux, & mourut en 1318. (D.J.)


GARDONS. m. leucisci species prima, (Hist. nat. Ichthiologie) poisson de riviere semblable au meunier par la figure des écailles, par le nombre & par la position des nageoires : mais il a la tête plus petite & le corps plus large. Le dos est bleu, la tête verdâtre, & le ventre blanc ; les yeux sont grands, & il n'y a point de dents à la bouche. Ce poisson a la chair molle. Rondelet, hist. des poiss. de riviere, chap. xiij. Voyez POISSON. (I)


GARES. m. (Marine) les mariniers donnent ce nom à des lieux préparés sur une riviere étroite, pour y ranger leurs bateaux lorsqu'ils en rencontrent d'autres qui embarrasseroient la navigation, la riviere n'étant pas assez large pour qu'il en puisse passer deux en même tems sans courir risque de s'endommager. (Z)


GARED(Géog.) nouvelle petite ville d'Afrique dans la Barbarie, au royaume de Maroc, dans la province de Suz, remarquable par ses moulins à sucre. Elle a été bâtie par le cherif Abdalla qui regnoit du tems de Marmol. Long. 8. 40. lat. 29. 11. (D.J.)


GARENNES. f. (Chasse) on appelle ainsi tout espace peuplé d'une grande quantité de lapins. Cependant les garennes proprement dites sont enfermées de murs, & par cette raison on les nomme garennes forcées. Celles qui ne sont pas forcées font trop de tort à leur voisinage, pour qu'il dût être permis d'en avoir.

On établit une garenne pour avoir commodément des lapins pour son usage, ou pour les donner à loyer : dans l'un & dans l'autre cas, les intérêts & les soins sont les mêmes.

Une garenne n'est avantageuse qu'autant que les lapins y sont bons, qu'ils y multiplient beaucoup, & que les lapreaux y sont hâtifs. Pour cela, il faut que le terrein soit sec, qu'il produise des herbes fines & odoriférantes, comme le serpolet, &c. & qu'il soit exposé au midi ou au levant. Le lapin est de tous les animaux celui dont la chair garde le mieux le goût des herbes dont il s'est nourri. Une odeur rebutante décele ceux qui ont mangé des choux, & les autres nourritures que la domesticité met dans le cas de leur donner. L'eau ne vaut rien non plus pour les lapins. Les près humides, ceux où l'herbe se charge d'une grande quantité de rosée, leur donnent une constitution mal-saine & un goût déplaisant. Il faut donc pour asseoir une garenne, choisir un lieu élévé. L'exposition que nous avons indiquée n'est pas moins nécessaire pour avancer la chaleur des bouquins & la fécondation des hazes.

Une garenne n'étant bonne qu'autant qu'elle est hâtive, il s'ensuit que tous les soins du propriétaire ou du fermier doivent concourir à la rendre telle. Pour cela, il faut qu'elle ne contienne qu'une quantité de lapins proportionnée à son étendue, qu'ils y soient bien nourris pendant l'hyver, & qu'il n'y reste que le nombre de bouquins nécessaire. Il ne faut pas moins que deux à trois arpens pour une centaine de lapins de fond ; ainsi dans une garenne de cent arpens, il n'en faudra jamais laisser pendant l'hyver plus de quatre mille. Malgré cet espace il faudra les nourrir un peu pendant les gelées, & beaucoup lorsque l'herbe sera couverte de neige ou de givre. Si les lapins manquent de nourriture pendant trois ou quatre jours, ils maigriront à l'excès ; & la premiere portée, qui est à tous égards la plus avantageuse, en sera considérablement retardée. Le meilleur fourrage qu'on puisse leur donner, c'est le regain de luserne, ou celui du treffle : on peut aussi leur jetter des branches de saule & de tremble, dont l'écorce leur plaît & les nourrit bien.

Pour ne rien perdre du fourrage, qui souvent est assez cher, on peut le leur donner sur de petits rateliers faits en forme de berceau comme ceux des bergeries & élevés d'un demi-pié. On les place à-portée des terriers. On peut les couvrir aussi d'un petit toît de planches, pour garantir l'herbe de la pluie & de la neige. La faim y accoûtume les lapins en peu de jours. Il ne faut d'abord que les affriander ; & lorsqu'il ne reste rien aux rateliers, on augmente peu-à-peu.

Pour joüir des lapins ou en ôter le superflu, il y a trois moyens ; le fusil, les panneaux, & les furets. Le premier est infidele & dangereux ; on tue quelquefois des hazes ; & d'ailleurs pour peu qu'un lapin qui a été tiré ait encore de vie, il rentre au terrier, y meurt & l'infecte. Les garenniers intelligens ne laissent tirer dans leurs garennes qu'avec beaucoup de précautions : cependant depuis les premiers lapreaux jusqu'à la fin de Juillet, il est difficile de s'en dispenser : mais dès qu'on le peut, il vaut mieux recourir aux panneaux & aux furets. Depuis le mois d'Août jusqu'au mois de Novembre, le panneau est à préférer, parce que c'est un moyen plus facile & plus promt. Pour s'en servir on a une petite route couverte, si l'on peut, d'un côteau ou d'un revers de fossé, & tracée entre les terriers & l'espace dans lequel les lapins s'écartent pour aller au gagnage pendant la nuit ; on file un panneau le long de cette route ; on l'attache à des fiches ou piquets de deux piés de haut ; on a soin d'enfoncer ces fiches assez pour qu'un lapin ne les renverse pas, & elles sont placées à six toises les unes des autres. Un homme reste à ce panneau ; deux autres parcourent l'espace dans lequel les lapins sont répandus ; l'effroi les faisant revenir aux terriers, ils sont arrêtés par le filet, & saisis par celui qui le garde : c'est-là ce qu'on appelle faire le rabat. Dans une garenne un peu étendue, on en peut faire jusqu'à trois dans une nuit en commençant deux heures après la nuit fermée. Lorsqu'on a le vent faux, ou qu'il fait clair de lune, les rabats ne réussissent guere. On voit que de cette maniere les lapins étant pris vivans, il est aisé de ne tuer que les bouquins, & de laisser aller les hazes : cela est d'autant plus avantageux, qu'il ne doit pas rester dans la garenne plus d'un bouquin pour quatre ou cinq hazes. On a le même avantage pendant l'hyver, en faisant sortir les lapins du terrier avec des furets emmuselés, & les prenant avec des bourses, qu'on adapte aux gueules. Voyez FURETER.

Si le terrein d'une garenne est sablonneux, il faut que les murs qui l'entourent ayent des fondemens très-profonds, afin que les lapins ne percent point au-dessous. Ces murs doivent avoir sept à huit piés de haut, & être garnis au-dessous du chaperon d'une tablette saillante, qui rompe le saut des renards. Si on est forcé de laisser des trous pour l'écoulement des eaux, il faut les griller de maniere que les belettes même ne puissent y passer.

Il est presque nécessaire que dans une garenne les lapins trouvent de-tems-en-tems du couvert. On ne peut pas espérer d'y élever du bois ; il faut donc y entretenir des bruyeres, des genêts, des genievres qui font ombre, & que les lapins ne dévorent pas comme le reste. Lorsque rien n'y peut croître, on est contraint de former un couvert artificiel. On assemble plusieurs branches d'arbres, des genêts, &c. on les couche, & elles servent de retraite aux lapreaux, que les vieux lapins tourmentent dans les terriers pendant l'été.

On devra à ces soins réunis, tout l'avantage qu'on peut tirer d'une garenne, si l'on y joint une attention continuelle à écarter & à détruire toutes les bêtes carnassieres qui sont ennemies des lapins. Les murs peuvent garantir des renards, des blairaux, des putois, & même des chats ; mais il faut des précautions journalieres pour se défendre des foüines, que les murs n'arrêtent pas ; des belettes, auxquelles le plus petit trou donne passage, &c. Voyez PIEGE. Il est donc inutile d'avoir une garenne, si l'on n'en confie pas le soin à un garennier très-intelligent & très-exercé. Cet article est de M. LE ROY, lieutenant des chasses du parc de Versailles.


GARER(Géog.) contrée d'Afrique dans la Barbarie, au royaume de Fez. Melilla, Chasaca, Tesota & Maggéa, en sont les villes principales. Cette province baignée au nord par la Méditerranée, est bornée E. par la riviere de Mulvia, qui la sépare de la province d'Errif. Le Garet a de bonnes mines de fer, & des montagnes au centre qui sont cultivées. Voyez Marmol, liv. IV. chap. xcxvj. (D.J.)


GARGAN(Géog. anc.) montagne d'Italie au pays nommé autrefois la Pouille Damienne, & maintenant la Capitanate, au royaume de Naples, près de Manfrédonie. Pomponius Méla & Pline le nomment garganus mons. Il étoit couvert de forêts de chênes : aquilonibus querceta Gargani laborant, dit Horace. Cette montagne s'appelle aujourd'hui le mont Saint-Ange, monte di Sant'Angelo ; & le promontoire de cette montagne qui s'avance dans la mer Adriatique, capo viestice. (D.J.)


GARGANCYoiseau. Voyez SARCELLE.


GARGARA(Géog. anc.) le plus haut promontoire du mont Ida dans la Troade, & l'un des quatre qui partant de cette montagne s'avançoient dans la mer. Jupiter y avoit un temple & un autel ; c'est-là que ce Dieu, dit Homere toûjours géographe dans ses écrits, c'est-là que ce dieu vint s'asseoir pour être tranquille spectateur du combat entre les Grecs & les Troyens. Le Gargara ne manqua pas de se peupler insensiblement, & tenoit déja son rang parmi les villes oeoliques, du tems de Strabon. Il ne faut pas confondre Gargara avec Gargarum, qui étoit une autre ville de l'Asie mineure, selon Etienne le géographe. (D.J.)


GARGARISER(SE) c'est l'action de se laver la bouche & l'entrée du gosier avec quelque liqueur. On se gargarise ordinairement avec de l'eau simple, par propreté : cette ablution enleve les matieres limoneuses qui pendant la nuit s'attachent à la langue, au voile du palais, & dans le fond de l'arriere-bouche. Lorsqu'on fait usage de gargarismes dans des maladies du fond de la bouche, on a coûtume de porter la tête en-arriere ; on retient la liqueur, & on l'agite en lui faisant faire un gargouillement. Ce mouvement de l'air avec l'eau peut irriter les parties, & empêche l'action du médicament. Il opéreroit plus efficacement si l'on retenoit la liqueur sans aucune agitation, de façon qu'elle baignât simplement les parties malades. Voy. GARGARISME. (Y)


GARGARISMES. m. terme de Chirurgie, forme de médicament topique, destiné à laver la bouche dans les différentes affections de cette partie.

On compose différemment les gargarismes, suivant les diverses intentions qu'on a à remplir. La décoction des racines, feuilles, fleurs, fruits ou semences, se fait dans de l'eau, dans du vin blanc ou rouge, dans du lait : des eaux distillées sont aussi quelquefois la base des gargarismes. On ajoûte à la liqueur des sirops, des mucilages, des élixirs. En général la formule d'un gargarisme admet sur six onces de décoction, deux onces de sirop, deux ou trois dragmes de poudre, & des substances mucilagineuses à une quantité bornée, pour ne pas ôter à la composition la fluidité qu'elle doit avoir. On a l'attention de ne point faire entrer dans les gargarismes, de drogue, qu'il seroit dangereux d'avaler : le collyre de Lanfranc, par exemple, est un excellent détersif dans les ulceres putrides de la bouche ; mais quand on s'en sert, ainsi que de différens esprits acides & caustiques, tels que l'esprit de sel qui arrête puissamment le progrès des escares gangreneuses, on touche avec précaution les parties, avec un pinceau chargé du médicament irritant ; & on fait ensuite laver la bouche & gargariser avec un liquide convenable, avant que de permettre au malade d'avaler sa salive. Les drogues fort ameres, telles que l'agaric blanc & la coloquinte, sont communément proscrites de la formule des gargarismes ; la décoction & le sirop d'absynthe sont exceptés : on en fait de bons gargarismes détersifs dans les aphtes putrides. La décoction de quinquina & de sommités de sapin, avec de l'esprit de vitriol jusqu'à une agréable acidité, donne une liqueur anti-septique, fort convenable dans les esquinancies gangreneuses.

Les gargarismes émolliens & anodyns, se font avec les racines d'althaea, les feuilles de mauves, les semences de lin & de fenugrec, cuites dans de l'eau ou dans du lait. La décoction de figues grasses est adoucissante & maturative. La décoction des plantes vulnéraires avec du miel, & à laquelle on ajoûte du sirop de roses seches, est un gargarisme détersif pour les ulceres de la bouche qui n'ont aucune malignité. Lorsqu'il est question de resserrer & de fortifier, on fait bouillir ces plantes dans du vin. Les gargarismes astringens se font avec l'écorce de grenades, les balaustes, le sumach, & les roses rouges, cuites dans du gros vin. Les gargarismes rafraîchissans se font avec la décoction d'orge & du sirop de mûres, en y ajoûtant quelques gouttes d'esprit de vitriol. On préfere l'esprit de cochléaria dans les gargarismes anti-scorbutiques. Voyez SCORBUT. Le vinaigre & l'eau donnent une liqueur rafraîchissante très-simple. Il n'y a point de maladies plus communes que les maux de gorge inflammatoires. Voyez ESQUINANCIE. Les gargarismes repercussifs dont on se sert quelquefois imprudemment dans cette maladie, sont une cause de métastase sur le poumon : M. Recolin qui a lû un mémoire sur cette matiere intéressante, à la séance publique de l'academie royale de Chirurgie, en 1756, joint son expérience aux observations des plus grands maîtres, pour démontrer le danger des gargarismes repercussifs dans ce cas. Il remarque que les anciens qui recommandoient en général les topiques qui ont cette vertu dans le commencement de toutes les inflammations, ont posé pour exception les cas où la métastase étoit à craindre. Pourquoi ne pas faire l'application d'un principe si lumineux & si sûr aux esquinancies inflammatoires ? Les remedes froids dont on use impunément dans les inflammations legeres, font presque toûjours refluer l'humeur sur le poumon, lorsque la fluxion a saisi vivement. Voyez ci-devant au mot GARGARISER, la façon de se servir des gargarismes. (Y)

GARGARISME, (Man. Maréchall.) médicament liquide, & propre à humecter les parties de la bouche & de l'arriere-bouche de l'animal. C'est une espece d'infusion ou de décoction, ou de suc exprimé, ou de mixture moyenne, &c. & il offre de véritables ressources dans des cas d'inflammation, de sécheresse, de tumeurs, d'ulceres, d'aphtes dans l'une ou l'autre de ces cavités.

Son efficacité ne sauroit être rapportée ni à une collution réelle, car nous ne connoissons aucun moyen de forcer l'animal d'agiter la liqueur dans sa bouche, de maniere que toutes les parties en soient imbibées, détergées & pénétrées ; ni au séjour que le remede y fait, car il nous est impossible de le contraindre à l'y retenir long-tems : il ne peut donc être salutaire que par l'attention que l'on a d'en renouveller souvent l'usage.

L'impuissance, où nous serions encore d'inviter avec succès l'animal à prendre le fluide que nous lui présenterions, ne nous laisse que la voie des injections. Nous poussons le gargarisme avec une seringue dont l'extrémité de la cannule ou du syphon, qui présente une forme ovalaire & legerement arrondie, est percée de plusieurs trous, semblables à ceux dont sont percés les arrosoirs ; & pour l'adresser plus sûrement au lieu qu'il importe de baigner, nous faisons ouvrir la bouche du cheval par le secours d'un pas-d'âne ou autrement, s'il s'agit néanmoins d'humecter les parties qu'elle renferme. Lorsqu'il est question de porter la liqueur dans l'arriere-bouche & au-delà de la cloison du palais, nous dirigeons notre injection dans les nazeaux, à l'aide d'un syphon percé d'une seule ouverture ; & cette route l'y conduit directement, parce qu'elle enfile les arriere-narines. Cette pratique est sans-doute préférable à celle d'introduire des médicamens jusque dans le fond du gosier par le moyen d'un nerf de boeuf, aux risques d'estropier l'animal, & d'augmenter tous les accidens qu'un ignorant s'efforce toûjours vainement de combattre.

Au surplus, le choix des matieres à injecter dépend du genre de maladie ; ainsi il est des gargarismes antiseptiques, antiphlogistiques, résolutifs, rafraîchissans, émolliens, détersifs, consolidans, &c. & l'on doit ne faire entrer dans leur composition aucune chose qui, prise intérieurement, pourroit nuire & préjudicier au cheval. (e)


GARGOUGES(Art milit.) voyez CARTOUCHES.


GARGOUILLADES. f. (Danse) Ce pas est consacré aux entrées de vents, de démons, & des esprits de feu ; il se forme en faisant du côté que l'on veut, une demi-piroüette sur les deux piés. Une des jambes, en s'élevant, forme un tour de jambe en-dehors, & l'autre un tour de jambe en-dedans, presque dans le même tems. Le danseur retombe sur celle des deux jambes qui est partie la premiere, & forme cette demi-piroüette avec l'autre jambe qui reste en l'air. Voyez TOUR DE JAMBE.

Ce pas est composé de deux tours. Il est rare qu'on puisse faire ce tour également bien des deux côtés.

Le célebre Dupré faisoit la gargouillade très bien lorsqu'il dansoit les démons ; mais il lui donnoit une moindre élevation que celle qu'on lui donne à-présent : on l'a vûe plus haute & de la plus parfaite prestesse dans le quatrieme acte de Zoroastre.

Mlle Lyonnois qui y dansoit le rôle de la Haine, & qui y figuroit avec le Desespoir, est la premiere danseuse qui ait fait ce pas brillant & difficile.

Dans les autres genres nobles la gargouillade est toûjours déplacée ; & fut-elle extrêmement bien faite, elle dépare un pas, quelque bien composé qu'il puisse être d'ailleurs.

Dans la danse comique on s'en sert avec succès, comme un pas qu'on tourne alors en gaieté ; au lieu qu'il ne sert qu'à peindre la terreur dans les entrées des démons, &c. (B)


GARGOUILLES. f. terme d'Architect. c'est un canal rond & étroit que l'on construit entre des murs, pour faciliter l'entrée & la sortie des eaux, lorsque l'on bâtit en des lieux sujets à des inondations, ou qui sert à dégager une terrasse.

Gargouille est aussi à une fontaine ou cascade, un mascaron d'où sort de l'eau. C'est encore, dans un jardin, une petite rigole où l'eau coule de bassin en bassin, & qui sert de décharge. Ce mot peut venir du latin gurgulio, le gosier.

On appelle aussi gargouilles les petites ouvertures-cimaises d'une corniche, par où les eaux qui tombent dessus sa saillie, s'échappent ; & qui auparavant de tomber, s'assemblent dans une goulotte pratiquée sur le talud ou revers d'eau de la corniche, tel qu'il est pratiqué à celle du pérystile du louvre. Ces gargouilles sont souvent ornées de masques, de têtes d'animaux, particulierement de mufles de lion. (P)

GARGOUILLE, terme d'Eperonnier, espece d'anneau diversement contourné, qui termine les branches des mors. Communément sa partie la plus basse présente une sorte de plate-forme ronde, legere, & percée dans son milieu d'un trou que l'on nomme l'oeil du touret. Ce trou est pratiqué dans la direction de la ligne du banquet, ou parallelement à cette même direction, selon que la branche est droite, hardie ou flasque. Quelquefois aussi cette plate-forme est placée en-arriere, & dans la direction que doivent avoir les rênes.

Outre l'oeil destiné à loger le touret, c'est-à-dire la demi-S, qui supérieurement est terminé par une tête ronde dont le contour repose librement sur la plate-forme, tandis que l'anneau résultant inférieurement de sa courbure, reçoit un autre anneau rond & beaucoup plus considérable, auquel on boucle la rêne ; il en est encore un plus petit, placé tantôt dans la partie supérieure de la gargouille, plus ou moins près du lieu où elle commence, & où finit la branche ; tantôt dans sa partie inférieure, immédiatement au-dessus de la plate-forme, mais toûjours postérieurement : celui-ci reçoit la chaînette par un autre touret plus délié. Voyez MORS. (e)


GARGOUILLEMENTS. m. on se sert de ce terme, en Chirurgie, pour exprimer le bruit qu'on entend quand l'intestin rentre d'une tumeur herniaire dans sa place naturelle. Ce bruit est formé par l'air que contient la portion du canal intestinal déplacé. On doit être fort attentif à ce bruit, car le gargouillement est un signe pathognomatique que la hernie est intestinale. L'épiploon ne rentre qu'avec lenteur, & sans bruit. On connoît que la hernie est composée, c'est-à-dire qu'elle est formée par l'intestin & par l'épiploon, quand après l'intestin réduit (ce que le gargouillement a manifesté), la tumeur n'est que diminuée & ne disparoît pas entierement. Voyez HERNIE. (Z)


GARGOULETTES. f terme de relation. La gargoulette est un vase de terre de Mexique, extrêmement legere & transparente. Ce vase est double, c'est-à-dire qu'il y en a deux en partie l'un dans l'autre. Le premier, ou supérieur, a la forme d'un entonnoir qui n'est pas percé, dont le bout est enchâssé dans le second, ou inférieur. Celui-ci a un petit goulot, comme une théyere, pour rendre la liqueur qu'il a reçû. C'est dans le supérieur qu'on verse la liqueur, d'où elle passe en filtrant dans celui de dessous. On met une attache aux ances de la gargoulette, pour la suspendre à l'ombre, & l'eau y devient d'une grande fraîcheur.

On a voulu imiter ces vases en Europe, & particulierement en Italie ; mais on n'a pas pû y réussir jusqu'à-présent : c'est la terre qui en fait toute la bonté, & ils sont d'une commodité merveilleuse au Mexique. On n'y met pour l'ordinaire que de l'eau pure, parce que le vin est trop chargé de corpuscules hétérogenes qui ne passeroient pas au-travers des pores de la terre, ou qui les rempliroient bientôt ; au lieu que l'eau étant plus homogene, se filtre avec facilité, & se rafraîchit considérablement par le moyen de l'air frais qui pénetre les pores des deux vaisseaux.

Mais les gargoulettes des Indes orientales, faites avec la terre de Patna, sont encore au-dessus de celles du Mexique. Ce sont des bouteilles assez grandes, capables de contenir autant de liqueur qu'une pinte de Paris ; cependant elles sont si minces & si legeres, qu'elles pourroient être enlevées en l'air, étant vuides, par le souffle seul, comme les boules d'eau de savon que font les enfans. On se sert de ces sortes de vases pour rafraîchir l'eau dans un lieu frais, & l'on dit que dans le pays cette eau y contracte une odeur & un goût très-agréable. L'on ajoûte que les dames indiennes, après avoir bû l'eau, mangent avec délices le vase qui la contenoit ; ensorte qu'il y a telle femme grosse au Mogol, qui, si on ne l'en empêchoit, dévoreroit en peu de tems les plats, les pots, les caraffes, les bouteilles, & tous les autres ustensiles de la terre de Patna qu'elle trouveroit sous sa main. (D.J.)


GARIDELLES. f. garidella, (Bot.) genre de plante à fleur en rose, qui a plusieurs pétales voûtés, divisés en deux parties, & disposés en rond. Le calice est composé de plusieurs feuilles ; il en sort un pistil qui devient une sorte de bouquet fait de plusieurs capsules à deux panneaux, & oblongues, qui renferment une semence ordinairement arrondie. Tournef. inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


GARIEURS. m. (Jurisp.) dans quelques coûtumes signifie la même chose que garant. Voy. Poitou, art. 94. 95. S. Jean d'Angely, 115. la Bourt, tit. xviij. art. 6. 7. 8. & 9. la coût. loc. de Saint-Sever, tit. j. art. 19. & 20. (A)


GARILLAN(LE) Géogr. en italien Garigliano, riviere d'Italie au royaume de Naples. Elle étoit connue des anciens sous le nom de Clanis & de Liris : Horace l'appelle Taciturnus, qui coule sans bruit ses eaux paisibles. Il traversoit autrefois le pays des Herniques, des Volsques & des Ausoniens. Sa source est dans l'Abruzze & son embouchure dans la terre de Labour. Il passe à Sora ; & reçoit le Sacco, qui est le Trevus des Latins. Enfin, après s'être accrû par beaucoup de petites rivieres, il se jette dans la mer à l'orient de Gaïette. (D.J.)


GARIMENTS. m. (Jurisprud.) terme usité dans quelques coûtumes, au même sens que garantie. Voyez ce dernier.


GARITESS. f. pl. (Marine) ce sont des pieces de bois plates & circulaires qui entourent la hune, étant posées sur leur plat tout-autour du fond ; au lieu que les cercles sont sur les côtés en forme de cerceaux. C'est dans ces pieces de bois qu'on passe les cadenes des haubans. Voyez HUNE. (Z)


GARIZIM(Géogr. sacrée) mont de la Palestine près de Sichem, dans la tribu d'Ephraïm, & dans la province de Samarie. Cette montagne étoit célebre par le temple que les Samaritains y avoient construit pour l'opposer à celui de Jérusalem. Hircan renversa de-fond-en-comble ce temple, deux cent ans après qu'il avoit été bâti par Manassés sous le regne d'Alexandre-le-Grand. Les curieux doivent lire la dissertation de M. Réland sur le mont Garizim, (D.J.)


GARLETS. m. poisson ; voyez CARRELET.


GARNESEY(L'ILE DE) Sarnia, Géogr. île de la Manche sur la côte de France, appartenant aux Anglois. Elle a environ dix lieues de long, & la forme d'un luth. Sa capitale s'appelle S. Pierre. On fait dans cette île un commerce assez considérable ; on y trouve l'éméril, qui est d'un grand usage pour polir l'acier, le fer, le verre, & les pierres les plus dures. Garnesey est située à 6 lieues de l'île de Gersey, 8 du Cotentin, 15 de Saint Malo. Long. 14. 48-15. 5. lat. 49. 28. 36. (D.J.)


GARNIGARNIR, GARNITURE, (Gramm.) Voyez ce dernier.

GARNI, s. m. (Chimie) enduit qu'on applique dans l'intérieur d'un fourneau de tôle pour y conserver la chaleur, & pour le garantir de l'action du feu ; cet enduit se fait ordinairement d'un pouce ou d'un pouce & demi d'épais : la composition qu'on employe à ce sujet est de l'argile bien lavée & nettoyée des matieres étrangeres qu'elle peut contenir, à laquelle on ajoûte du sable, ou du verre pilé, ou des caillous calcinés, ou des creusets cassés, ou enfin des substances apyres, mais non crétacées ; on en fait une pâte ferme qu'on détrempe ensuite avec du sang de boeuf, étendu de trois ou quatre parties d'eau. Avant que de l'appliquer on garnit le dedans du fourneau de clous qu'on y rive, ou bien de petits morceaux de tôle qu'on y cloue, & l'on en humecte les parois d'une détrempe claire d'argile ; à mesure qu'il seche on le casse avec un maillet, afin que les gersures soient en moindre quantité & moins considérables : & quand il est bien sec, on y passe une détrempe composée d'un peu d'argile, de verre pilé & de minium pour en vitrifier l'extérieur ; on répare avec la même composition les trous qui peuvent s'y faire ; on y allume un petit feu pour le secher peu-à-peu. Article de M. DE VILLIERS.

GARNI ou REMPLISSAGE, s. m. en Architecture, s'entend de la maçonnerie qui est entre les carreaux, &c. les boutisses d'un gros mur ; il y en a de moilon, de brique, &c. Il y en a aussi de caillous ou de blocage employé à sec, qui sert derriere les murs de terrasse pour les conserver contre l'humidité, comme il a été pratiqué à l'orangerie de Versailles. (P)

GARNI, en terme de Blason, se dit d'une épée dont la garde ou la poignée est d'autre émail.

Boutin, d'azur, à deux épées d'argent en sautoir garnies d'or, accompagnées de quatre étoiles de même.


GARNIRvoyez les articles suivans, & l'article GARNITURE.

GARNIR UN VAISSEAU, (Marine) c'est y placer toutes les pieces qui servent à la manoeuvre. Voyez AGREER.

Garnir le cabestan, c'est y passer la tournevire & les barres pour s'en servir.

GARNIR, (Jardinage) on dit qu'un espalier est bien garni, lorsqu'il couvre de ses feuillages tout un mur ; un buisson est dit mal garni, lorsque dans la circonférence il y a des vuides.

GARNIR, (Art méch.) il se dit chez les Couteliers & autres ouvriers des ouvrages ornés d'argent, or, & autres matieres précieuses.

GARNIR, en terme de Piqueur en tabatiere, c'est remplir les trous qu'on a faits à une tabatiere, de clous d'or, d'argent, ou même de fil de l'un ou l'autre de ces métaux ; on se sert dans le premier cas d'un poussoir, (voyez POUSSOIR) & dans le second de tenailles qui coupent le fil. Voyez TENAILLES.


GARNISONS. f. (Art. milit.) corps de soldats qu'on met dans une place forte pour la défendre contre les ennemis, ou pour tenir les peuples dans l'obéissance, ou pour subsister pendant le quartier d'hyver. Voyez FORTERESSE.

Du Cange dérive ce mot de garnicio, dont se sont servi les auteurs de la basse latinité, pour signifier tous les vivres, armes & munitions nécessaires pour défendre une place & soutenir un siége.

Ces mots de garnison & de quartier d'hyver, se prennent quelquefois indifféremment pour une même chose, quelquefois on les prend dans un sens différent ; & alors garnison marque un lieu où les troupes sont établies pour le garder, & où elles font garde, comme les villes frontieres, les citadelles, les châteaux, &c. La garnison doit être plus forte que les bourgeois.

Quartier d'hyver, marque un lieu où les troupes sont durant l'hyver, sans y faire la garde & le service de guerre : les soldats aiment mieux être en quartier d'hyver qu'en garnison. Voyez PLACE & QUARTIER d'HYVER. Chambers.

Dans les premiers tems de la monarchie françoise, on ne mettoit point de garnison dans les villes, excepté en tems de guerre, ou lorsqu'on craignoit les entreprises de quelque prince voisin : dans la paix les bourgeois des villes, ou ceux qui en étoient seigneurs, prétendoient que c'étoit violer leurs priviléges que de les charger d'une garnison. Louis XI. par les fréquentes guerres qu'il eut sur les bras, accoûtuma les villes à avoir de plus grosses garnisons ; ses successeurs par la même raison en userent de même.

Les habitans d'Amiens sous Henri IV. ayant refusé, sous prétexte de leurs priviléges, une garnison, & leur ville ayant été ensuite surprise par Portocarrero gouverneur espagnol de Dourlens, cela fit que pour le bien de l'état, quand la ville fut reprise, on n'eut plus tant d'égards pour ces sortes de priviléges, & qu'on mit de fortes garnisons dans toutes les villes où elles paroissoient nécessaires.

Ce qui rendoit les villes difficiles à recevoir des garnisons, étoit la licence des gens de guerre ; mais depuis que les rois se sont mis en possession de multiplier les troupes dans les villes frontieres, ils y ont pour la plûpart maintenu la discipline ; & l'on peut dire que la France s'est distinguée par-là de toutes les autres nations. Rien sur-tout n'est plus beau que les reglemens & les ordonnances qui ont été faites par Louis XIV. sur ce sujet, & qui ont eu leur exécution. Les casernes qu'il a fait bâtir dans les villes de guerre pour les soldats, délivrent les bourgeois de l'incommodité de les loger, si ce n'est dans les passages des troupes ; ce qui se fait par billets, & avec un très-grand ordre. Voyez LOGEMENT. Voyez aussi dans les ordonnances militaires le service des troupes dans les garnisons.

Il n'est pas aisé de fixer le nombre des troupes d'infanterie & de cavalerie dont il faut composer la garnison des places ; il dépend de la grandeur des places, de leur situation, & de ce qu'elles ont à craindre, tant de la part de l'ennemi, que de celle des habitans. M. le maréchal de Vauban prétend dans ses mémoires, que dans une place fortifiée suivant les regles de l'art, avec de bons bastions, demi-lunes & chemins couverts, il faut en infanterie cinq ou six cent hommes par bastion.

Ainsi si l'on a une place de huit bastions, elle doit, suivant cet illustre ingenieur, avoir 4000 ou 4800 hommes d'infanterie ; à l'égard de la cavalerie il la regle à la dixieme partie de l'infanterie.

Cette fixation qui a pour objet la garnison d'une place pour soûtenir un siege, ne peut pas convenir également à toutes les villes ; d'ailleurs en tems de paix les garnisons peuvent être moins fortes que pendant la guerre : si elles ne le sont pas, c'est que la plûpart des princes de l'Europe entretenant presque autant de troupes en paix qu'en guerre, ils se trouvent obligés de les distribuer dans les différentes villes de leurs états, sans égard au nombre qu'il conviendroit pour la sûreté & la conservation de ces villes.

Comme l'on n'a pas dans la guerre un grand nombre de places exposées à être assiégées dans le même tems, ce sont celles pour lesquelles on craint, qu'on doit particulierement fortifier de bonnes garnisons. Les places frontieres ou en premiere ligne doivent avoir aussi des garnisons plus nombreuses que les autres, & d'autant plus fortes qu'elles se trouvent plus à portée des entreprises de l'ennemi, & plus éloignées des autres places.

Ce n'est pas une chose indifférente pendant la guerre, de savoir réduire les garnisons des places au seul nombre d'hommes nécessaire pour leur sûreté ; on a déja observé que les garnisons des places affoiblissent les armées : c'est un inconvénient que produit le trop grand nombre de places fortifiées qu'il faut garder ; mais aussi dans les évenemens malheureux, ces places & leurs garnisons vous donnent le loisir de racommoder vos affaires pendant le tems que l'ennemi employe à en faire la conquête.

" Le royaume d'Angleterre, remarque Montecuculli, étant sans forteresses, a été trois fois conquis en six mois ; & Frédéric palatin qui avoit été proclamé roi de Boheme, perdit tout ce royaume par la perte de la seule bataille de Prague. Si quelque prince barbare, dit cet auteur, se fiant à ses armées nombreuses, s'imagine qu'il n'en a pas besoin, il se trompe ; il faut qu'il ait continuellement une armée sur pié, ce qui est insupportable, ou qu'il soit exposé aux courses de ses voisins. "

Dès que les places de guerre sont jugées nécessaires pour la sûreté & la conservation des états, les garnisons le sont également, & elles doivent être proportionnées à la grandeur des places & au nombre des ouvrages de leur fortification ; car ce ne sont point les murailles qui défendent les villes, mais les hommes qui sont dedans. Voyez FORTERESSE. (Q)


GARNISSEURS. m. (Art méch.) on appelloit Selliers-Garnisseurs ceux qui étoffoient, garnissoient & montoient les corps des carrosses, coches, &c. par opposition aux Lormiers-Eperoniers qu'on appelloit ouvriers de forge ; parce que ceux-ci forgeoient les ouvrages de leur métier ; ces deux communautés n'en faisoient qu'une autrefois, mais elles ont été séparées vers le milieu du dix-septieme siecle.


GARNITUREGARNITURE

GARNITURE, (Artificier) se dit des petits artifices dont on remplit les pots des fusées volantes, les pots à feu, à aigrettes, & les ballons.

GARNITURE, en terme de Bijoutier, est une tabatiere dont l'encadrement seulement est d'or : il y en a de deux sortes. La premiere se nomme cage : les moulures, fermetures, charnieres & revétissement des coins sont d'or ; & les dessus, dessous & bastes sont de cailloux, nacres, écailles, émaux, porcelaines, lacqs, ou autres choses qui ne sont point d'or ; cette sorte de tabatiere forme le tableau encadré sur ses six parties. Voyez CAGE. La seconde se nomme simplement garniture ou garniture à cuvette, parce que ce n'est qu'une fermeture garnie de sa charniere, surmontée d'une moulure, & qui encadre deux morceaux de cailloux, porcelaines ou émaux dont le dessous est taillé en cuvette ; quand ces sortes de cuvettes ne sont pas assez hautes pour former une tabatiere de hauteur raisonnable, on soude à la fermeture une demi-boîte d'or, au bas de laquelle est attachée la sertissure qui doit encadrer la cuvette ; dans le cas où ces cuvettes sont de hauteur desirée, la sertissure se trouve attachée au bas de la fermeture.

GARNITURE, en terme de Bottier, s'entend d'une piece de cuir ajoûtée sur le devant de la tige, pour préserver le corps de la botte du dommage que le frottement continuel de l'étrier pourroit y faire ; il y en a à oreilles, rondes, quarrées, &c. Voyez ces mots à leurs articles. Les garnitures à oreilles, en terme de Bottier, c'est une garniture dont les deux extrémités plus longues que dans les garnitures, sont arrondies, & représentent assez bien l'oreille d'un chien.

GARNITURE ou FOURNITURE, (Cuisine) mot dont on se sert communément pour exprimer les assortimens nécessaires à plusieurs choses pour s'en servir, ou pour les orner. Voyez APPAREIL.

La garniture d'un service de viande ou de mets consiste en un certain nombre de choses qui l'accompagnent, ou comme parties, ou comme ingrédiens ; en ce sens les marinades, les mousserons, les huîtres, sont des garnitures : quelquefois la garniture est un ornement ou un accompagnement ; comme quand on met autour d'un service, des feuilles, des fleurs, des racines, pour recréer ou pour amuser les yeux,

On se sert aussi du mot fourniture pour signifier les fines herbes, les fruits, &c. que l'on met autour d'une salade, comme citron, pistaches, grenades, jaunes d'oeufs durs, culs d'artichaux, capres, truffes, ris de veau, &c.

GARNITURE D'éPEE, terme de Fourbisseur, c'est la garde, le pommeau, la branche & la poignée. Voyez éPEE.

GARNITURE DE DIAMANS, DE RUBIS, D'émeraudes, &c. (Lapidaire) c'est chez les Jouailliers certains assortimens de quelques-unes de ces pierreries en particulier, ou de toutes ensemble, dont les hommes garnissent leurs just-au-corps, & les femmes leurs robes & leurs têtes. Les garnitures de pierreries pour les habits des hommes ne consistent ordinairement qu'en boutons de just-au-corps, en boucles de chapeaux, de manchons & de souliers, & en poignées de cannes & d'épées ; celles des habits des femmes dépendent de la mode & du goût qui regne.

GARNITURE DE ROBE, terme de Marchand de Modes. L'on a commencé à garnir les robes il y a environ quatorze ou quinze ans, avec de la même étoffe qui étoit coupée & taillée par bandes plus étroites par en-haut que par en-bas ; cette garniture étoit posée & cousue sur le collet, & descendoit sur le parement de la robe jusqu'à la ceinture : pour la poser, on la fronce par le milieu en la plissant avec du fil ; cette façon de garnir les robes s'appelle bavaroise.

Depuis l'on a garni les robes en plein, c'est-à-dire tout-du-long & dessus les bottes ; ensuite l'on a ajoûté plusieurs noeuds de ruban qui se posent sur les bottes, dans les festons de la garniture, &c. l'on a encore découpé tout-autour cette garniture ; & l'on en a posé sur toutes les coutures des côtés de la robe.

L'on garnit aussi les jupons d'un grand morceau de même étoffe découpé & posé en feston tout-autour & au bas du jupon : l'on y a ajoûté ensuite plusieurs falbalas qui se posent par rang & au-dessus les uns des autres ; mais ils ne garnissent que le devant : entre ces falbalas, l'on y pose des noeuds de même étoffe & de ruban, des pompons, des franges, des clinquans, &c.

Autrefois au lieu de ces falbalas, l'on mettoit au bas des jupons de longues franges de soie de la même couleur ; ensuite l'on en a mis par rang, comme les falbalas d'aujourd'hui.

L'on garnit les robes avec des blondes, des réseaux d'or, d'argent, des gazes, des sourcils d'hanneton, des rubans, des pompons, des dentelles de la même étoffe découpée, & quelquefois de la mousseline.

Il y a environ trente-cinq ou quarante ans que l'on garnissoit les robes avec des gances & des boutons, des guipures, &c.

* GARNITURE, (Serrurerie) on comprend sous ce mot les roüet, rateau, pertuis, planches, bouterolles, & en un mot toutes les pieces qui dans une serrure empêchent les différentes clés de pouvoir l'ouvrir, & la rendre propre à la seule clé qu'on lui a faite.

GARNITURE DE CHAMBRE, (Tapissier) les maîtres Tapissiers & les Fripiers appellent ainsi ce qui meuble une chambre ordinaire, comme la tapisserie, le lit, les chaises, & la table : garniture se dit aussi parmi eux de ce qui compose un lit, comme le matelas, le lit de plume, le traversin, la couverture, la paillasse, & les rideaux. Quelquefois encore par le mot de garniture de lit, on n'entend que les rideaux, pentes, soubassemens, bonnes graces, & courte-pointes, aussi-bien que les doublures de toutes ces pieces.


GAROCHOIRou CORDE DE MAIN TORSE, (Corderie) ce cordage differe des autres en ce qu'on en tord les torons dans le même sens que les fils.


GARONNE(LA-) Garumna, Varumna, (Géog.) grande riviere qui prend sa source aux Pyrénées dans le Cousérans, près de la Catalogne ; elle baigne une partie de la Gascogne, du haut Languedoc, & toute la Guienne ; elle se jette enfin dans la mer au-dessus de Bordeaux, après s'être jointe à la Dordogne. Depuis le village de Gironde, elle porte le nom de Gironde : c'est sur cette riviere que de tems à autre il y remonte de la mer une espece de reflux d'eau, qu'on nomme dans le pays le mascaret. Voyez MASCARET.

La Garonne, selon l'ancienne géographie, séparoit le pays des Celtes de celui des Aquitains, & avoit son cours dans le pays des Bituriges, dont les Aquitains faisoient partie. Voyez là-dessus M. de Valois, notit. Gall. p. 221, &c. (D.J.)


GAROUS. m. thymelaea, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en quelque façon infundibuliforme, & divisée en quatre parties : le pistil sort du fond de la fleur, & devient un fruit qui a la figure d'un oeuf, qui est succulent dans quelques especes & sec dans d'autres, & qui renferme une semence oblongue. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE (I).

GAROU, THYMELEE DE MONTPELLIER, TRENTANEL, (Mat. médic.) les anciens medecins se servoient, pour purger les sérosités, des feuilles de cette plante & de ses fruits, qui étoient connus sous le nom de granum chidium, selon plusieurs auteurs ; car d'autres pensent que ces grains étoient les baies de lauréole. Voyez LAUREOLE.

Ce purgatif est si violent, qu'on a fait sagement de le bannir de l'usage de la Medecine, du-moins pour l'intérieur. Ce seroit un fort mauvais raisonnement, & dont on se trouveroit très-mal, de se rassûrer contre le danger que nous annonçons ici, parce qu'on sauroit que les perdrix & quantité d'autres oiseaux sont très-friands de ce fruit, & qu'ils n'en sont point incommodés : l'analogie des animaux ne prouve rien sur le fait des poisons. Voyez POISON.

La racine de cette plante prise intérieurement, est un poison mortel, selon Camérarius ; on s'en sert quelquefois extérieurement, lorsqu'elle est seche, pour faire couler les sérosités dans les migraines & dans les fluxions sur les yeux. Dans ces cas, on perce l'oreille, & on y passe un petit morceau de cette racine ; mais l'emplâtre épipastique ordinaire préparé avec les cantharides, appliqué derriere l'oreille ou à la nuque du cou, fournit un secours de la même classe, plus efficace & moins dangereux. Voyez VESICATOIRE. (b)


GARROTS. m. clangula Gesn. (Hist. nat.) oiseau de mer du genre des canards ; il est plus petit que le canard ordinaire ; il a le corps plus épais & plus court ; la tête est grosse & d'un verd obscur, ou d'un verd noirâtre mêlé de pourpre. Il y a de chaque côté de la tête, près des coins de la bouche, une marque blanche assez grande & arrondie ; c'est pourquoi les Italiens ont appellé cet oiseau quatre-yeux, quatroocchi. L'iris est de couleur d'or ; le cou, les épaules, la poitrine, & le ventre, sont blancs ; l'entre-deux des épaules & le bas du dos ont une couleur noire ; les aîles sont mêlées de noir & de blanc. La membrane des piés est brune ou noirâtre, & les jambes sont courtes & jaunes. Raii, synop. avium, p. 142. Voyez OISEAU (I)

GARROT, (Manége, Maréchall.) partie du corps du cheval ; elle est supérieure aux épaules, postérieure à l'encolure, & formée principalement par les apophyses épineuses des huit premieres vertebres dorsales.

Le garrot est parfaitement conformé, lorsqu'il est haut & tranchant.

Dans le premier cas, l'encolure est beaucoup plus relevée, & la selle a moins de facilité de couler en-avant, & d'incommoder les épaules.

Dans le second, il n'est point aussi sujet aux accidens dont il est menacé, quand il est trop garni de chair ; car cette partie est dès-lors fort aisément foulée, meurtrie, & blessée, soit que des arçons trop larges ou trop ouverts occasionnent la descente de l'arcade de la selle, soit que l'animal éprouve la morsure d'un autre cheval, quelques coups, ou un frottement violent contre des corps durs.

Il est certain que les blessures du garrot peuvent avoir des suites très-funestes, sur-tout lorsque le traitement en est confié à des maréchaux incapables d'en prévoir & d'en redouter le danger. Les apophyses épineuses dont j'ai parlé sont recouvertes par le ligament cervical ; ligament qui soûtient & affermit la tête des quadrupedes : il en est deux autres attachés à ces mêmes apophyses, servant conjointement avec les muscles, à suspendre les omoplates & à leur donner un point d'appui stable, fixe, & déterminé. Or s'il y a plaie dans cette partie, ou que la tumeur survenue dégenere en plaie, dès qu'elle sera considérable, il est évident qu'à-moins qu'on ne favorise l'écoulement de la matiere, elle cavera dans le garrot ; elle y creusera des sinus & des clapiers, qui ne pourront être alors que très-difficilement susceptibles de contre-ouverture ; elle intéressera le ligament cervical, les muscles, les apophyses ; elle détruira les ligamens suspensoires ; & l'animal sera véritablement égarroté. Voyez PLAIES, TUMEURS, FISTULE (e).

GARROT, s. m. (Jardinage) c'est un bâton fort court passé entre les deux branches d'un jeune arbre, pour en contraindre une troisieme qui est au milieu, & est le véritable montant de l'arbre ; ce qui s'appelle garroter un arbre (K).


GARSOTES. f. oiseau. Voyez SARCELLE.


GARTZGartia, (Géog.) ville d'Allemagne dans la Poméranie, aux confins de la Marche de Brandebourg, & sujette au roi de Prusse. Barnime premier, duc de Poméranie, en fit une ville murée en 1258, & lui donna des terres. Longit. 38. 45. latit. 53. 13. (D.J.)


GARUMS. m. (Littérature) saumure très-précieuse chez les Grecs & les Romains, qui en faisoient grand cas pour la bonne-chere : mais ou la composition de cette saumure n'étoit pas par-tout la même ; ou, ce qui est fort vraisemblable, elle a souvent changé pour l'apprêt ; & c'est le moyen le plus simple de concilier les auteurs qui la décrivent si diversement.

Quelques modernes nous disent que le garum n'étoit autre chose que des anchois fondus & liquéfiés dans leur saumure, après en avoir ôté la queue, les nageoires, & les arêtes ; que cela se faisoit en exposant au soleil le vaisseau qui les contenoit ; ou bien, quand on vouloit en avoir promtement, en mettant dans un plat des anchois sans les laver, avec du vinaigre & du persil, on portoit ensuite le plat sur la braise allumée ; & on remuoit le tout, jusqu'à ce que les anchois fussent fondus.

Mais les anciens auteurs ne parlent point d'anchois. Quelques-uns d'eux prétendent qu'on employoit à cette saumure les maquereaux, scombri, que l'on pêchoit près des côtes d'Espagne : d'où vient qu'Horace dit, garum de succis piscis Iberi, en parlant de la méchante saumure de thon, que Nasidienus vouloit faire passer pour de la saumure de maquereau ; & suivant Pline, c'étoit-là la saumure la plus estimée de son tems.

Cependant d'autres auteurs assûrent que le garum étoit fait de la pourriture des tripes du poisson nommé par les Grecs garos, & que Rondelet croit être le picarel, qui a conservé son nom de garon sur les côtes d'Antibes. On gardoit les tripes de ce poisson jusqu'à ce que la corruption les eût fondues, & on les conservoit ainsi fondues dans une espece de saumure. La couleur en étoit si brune, que Galien & Aétius l'appellent noire. Ce ragoût, qu'on est venu à détester dans les derniers siecles, a fait long-tems les délices des gens les plus sensuels.

Enfin l'on composa le garum des entrailles de différens poissons confites dans le vinaigre ou dans l'eau, le sel, & quelquefois dans l'huile, avec du poivre & des herbes fines.

Une chose certaine, c'est que le vrai garum du tems de Pline étoit une friandise tellement estimée, que son prix égaloit celui des parfums les plus précieux : on s'en servoit dans les sauces, comme nous nous servons de verjus ou de jus de citron ; mais on n'en voyoit que sur les tables des grands seigneurs.

Au reste, il paroît que pour bien entendre les auteurs anciens, il faut distinguer les deux mots garus & garum. Le premier étoit ordinairement le poisson, des intestins duquel on faisoit la saumure, le second étoit la saumure même ; & quoiqu'on la fît d'un poisson différent que le garus, ou de plusieurs poissons, elle conservoit toûjours le même nom. (D.J.)


GASS. m. pl. (Chim.) terme créé par Vanhelmont pour exprimer une vapeur invisible & incoercible qui s'éleve de certaines substances, par ex. des corps doux actuellement fermentans, du charbon embrasé, du soufre brûlant, du sel ammoniac auquel on applique de l'acide vitriolique ou des substances alkalines, &c. Vanhelmont a compris encore sous le nom de gas les exhalaisons produites dans des soûterreins profonds, tels que les galeries des mines, ou sortant de certains creux, grottes, ou fentes de la terre, telles que la grotte du chien ; le prétendu esprit des eaux minérales ; les odeurs fortes & suffocantes ; en un mot toutes les vapeurs sur lesquelles M. Halles a fait les expériences rapportées dans son VI. chapitre de la statique des végétaux, & dans l'appendice qui termine cet ouvrage. Quelques auteurs avoient auparavant appellé ces vapeurs spiritus sylvestres, esprits sauvages.

Comme nous n'avons point de dénomination commune pour désigner ces substances, il sera commode de retenir celle de gas, & de désigner sous ce nom générique toutes les vapeurs invisibles & incoercibles qui sont capables de fixer l'air, de détruire son élasticité, ou plûtôt de le dissoudre, pour parler le langage chimique, qui étant respirées par les animaux, gênent singulierement le jeu de leurs poumons, au point même de les suffoquer quelquefois subitement, qui éteignent la flamme, qui se décelent d'ailleurs par une odeur plus ou moins fétide, & souvent en irritant les yeux jusqu'à en arracher des larmes.

Les vapeurs connues qui produisent tous ces effets, sont, outre celles dont nous avons déjà parlé, la vapeur des bougies, des chandelles, des lampes allumées, c'est-à-dire la fumée des substances huileuses brûlantes ; celles de toutes les substances végétales & animales brûlantes ; celles des corps pourrissans ; certains clissus ; les acides minéraux volatils, & les alkalis volatils, sur-tout ceux qui sont animés par la chaux.

M. Halles a pensé que le phénomene de la suffocation des animaux n'étoit qu'une suite de la fixation de l'air ou de la destruction de son élasticité ; c'est-à-dire qu'un animal frappé de la foudre ou placé dans une atmosphere infectée par le gas du vin ou par celui du charbon, mouroit " parce que l'élasticité de l'air qui environne l'animal venant à manquer tout-d'un-coup, les poumons sont obligés de s'affaisser ; ce qui suffit pour causer une mort subite ". Statique des végétaux, traduct. franç. p. 221.

Cette explication, quoique très-séduisante par sa simplicité, ne paroît pas satisfaire entierement à toutes les circonstances qui accompagnent ce phénomene : il nous paroît que la considération suivante suffit pour nous empêcher de l'admettre. Les gas suffoquent en plein air, quoique leur action soit moins énergique sur les animaux, en ce cas, que lorsqu'ils les respirent dans des lieux fermés : or comment imaginer que l'atmosphere qui environne immédiatement un animal, étant détruite ou supprimée, l'air voisin ne la répare pas soudainement ? Peut-on penser qu'un animal seroit suffoqué parce qu'on établiroit devant sa bouche & ses narines une espece de pompe qui absorberoit à chaque instant autant de piés cubiques d'air qu'on voudra supposer ? Je crois que M. Roüelle est le premier qui a réfuté publiquement ce sentiment de M. Halles.

Les gas sont des êtres encore fort inconnus pour nous : nous n'avons jusqu'à-présent bien observé que les qualités génériques que nous venons de rapporter ; & vraisemblablement leur incoercibilité les soustraira encore long-tems à nos recherches.

Becher tenta inutilement de ramasser du gas de vin, en appliquant des chapiteaux armés de réfrigérant, au bondon d'un gros tonneau plein de moût actuellement fermentant : on a exposé en vain différens aimans à la bouche des latrines les plus puantes ; on n'a retenu aucun principe sensible : on sait que la nature de la mouffette de la grotte du chien s'est refusée aux fameuses expériences de M. l'abbé Nollet. Voyez EXHALAISONS, MOFFETE, CHARBON, SOUFRE, CLISSUS, FERMENTATION, PUTREFACTION, VIN, VINAIGRE.

Vanhelmont a donné encore le nom de gas à l'esprit vital, à un prétendu baume ennemi de la putréfaction, &c. mais ce n'est ici, comme on voit, qu'une expression figurée, ou qu'une chimere. (b)


GASCOGNE(LA) Vasconia, (Géog.) grande province de France qui fait une partie du gouvernement général de la Guienne ; elle est entre la Garonne, l'Océan, & les Pyrénées : les Géographes l'étendent plus ou moins & la divisent en haute & basse, ou en Gascogne proprement dite, & Gascogne improprement dite. La Gascogne proprement dite comprend, suivant plusieurs auteurs, les Landes, la Chalosse, le Tursan, le Mursan, & le pays d'Albret : la Gascogne improprement dite ajoûte à ces pays le Basque, le Béarn, la Bigorre, le Comminges, l'Armagnac, le Condommois, le Bazadois, & le Bourdelois. On comprend aussi quelquefois sous le nom de Gascogne, le Languedoc & la Guienne entiere.

La Gascogne a pris ce nom des Gascons ou Vascons, peuples de l'Espagne tarragonoise, qui s'en emparerent ; ils descendirent sous les petits-fils de Clovis, sur la fin du sixieme siecle, des montagnes qu'ils habitoient dans le voisinage des Pyrénées, se rendirent maîtres de la Novempopulanie, & s'y établirent sous un duc de leur nation. Théodebert & Thierri les attaquerent en 602, & les vainquirent ; mais ils se révolterent ensuite plusieurs fois, & ne céderent qu'à Charlemagne. Voyez les détails dans l'abbé de Longuerue, descript. de la France ; dans Hadrien de Valois, notit. Galliae ; & dans M. de Marca, hist. de Béarn.

Grégoire de Tours est le premier écrivain dans lequel on trouve le nom de Gascogne. Ces peuples ont apporté d'Espagne l'habitude qu'ils ont encore de confondre l'V & le B ; & c'est ce qui a donné lieu à la plaisanterie de Scaliger : felices populi, quibus bibere est vivere. (D.J.)


GASCONS. m. poisson. Voyez SAUREL.


GASETTESvoyez ce que c'est à l'art. FAYENCE.


GASFOTSS. m. pl. terme de Pêche ; ce sont des petits crocs de fer qui servent à ramasser des crabes de toute espece, des homards, & même des congres, que les Pêcheurs retirent d'entre les roches avec cet instrument.


GASPÉSIE(LA) Géog. province de l'Amérique septentrionale dans la Nouvelle-France, bornée par les monts Notre-Dame ; au nord, par les golfes de S. Laurent ; au sud, par l'Acadie ; à l'oüest, par le Canada : elle est habitée par des sauvages robustes, adroits, & d'une extrême agilité ; ils campent sans-cesse d'un lieu à un autre, vivent de la pêche, se barbouillent de noir & de rouge, se font percer le nez, & y attachent des grains en guise de pendans. Ce pays comprend environ cent-dix lieues de côté, & s'avance beaucoup dans les terres. Le P. Leclerc récollet, en a donné une description qui paroît plus romanesque que vraie. (D.J.)


GASTALDou CASTALDE, s. m. (Hist. mod.) nom d'un officier de la cour de différens princes. Le gastalde étoit ce qu'on appelle en Italie & en Espagne, majordome : il étoit comte ; ce qui prouve que sa charge étoit considérable. Voyez COMTE.

Gastalde ne signifie quelquefois que courier, dans les actes qui regardent l'Italie. On donnoit aussi ce nom à un officier ecclésiastique ; ce qui faisoit craindre qu'il n'y eût simonie à acheter cette charge. Dict. de Trév. & Chambers.


GASTERS. m. (Medec.) c'est le mot grec , qui signifie ventre en général, la capacité du bas-ventre, & qui se prend quelquefois pour l'estomac, le ventricule, en particulier. Thevenin, diction. des mots grecs de Medecine. (d)


GASTERANAXS. m. (Phys.) c'est un terme composé du grec , inventé & employé par Dolaeus, pour signifier la faculté dans l'animal, que les anciens appelloient digestive & nutritive ; parce qu'ils établissoient son siége dans l'estomac & dans les intestins, c'est-à-dire dans les principaux visceres du bas-ventre, dont la fonction principale est de servir à la digestion des alimens & à la préparation du chyle, qui doit ensuite fournir le suc nourricier.

Le même Dolaeus entendoit aussi par son gasteranax l'ame végétative, qui préside à toutes les fonctions nécessaires pour la nourriture & l'accroissement de l'animal. Voyez sur ces différentes significations l'encyclopédie médicale de cet auteur. (d)


GASTIERS. m. (Jurisprud.) en Auvergne est celui qui est commis par justice pour la garde des fruits des héritages du lieu, pour empêcher qu'on n'y fasse aucun dégât. Voyez l'édit d'Henri II. de 1559, art. 5. la coûtume d'Auvergne, chap. xxxj. article 69. (A)


GASTINES. f. (Jurisprud.) terme de coûtume qui signifie terre inculte & stérile : il est synonyme à landes. C'est de ce vieux mot qu'a été fait le nom de la province de Gatinois. Voyez ci-après GATINOIS. Son étymologie est sans-doute le mot suivant.


GASTI(Jurisprudence) terme qui se trouve employé dans de vieilles coûtumes, pour signifier quelque dévastation arrivée aux biens de la terre.


GASTRILOQUES. m. & f. se dit de ceux qui parlent en inspirant, de maniere qu'il semble que la voix se forme & se fait entendre dans le ventre. Voyez ENGASTREMITHE.


GASTRIQUEadj. en Anatomie, c'est un nom qu'on donne à plusieurs parties relatives de l'estomac. Voyez ESTOMAC.

La plus grande veine gastrique s'insere dans la veine splénique, & la petite s'unit au tronc de la veine-porte.

L'artere gastrique droite vient de l'artere hépatique, la gauche vient de la splénique. Voyez HEPATIQUE & SPLENIQUE.

On donne aussi le nom de gastrique au suc qui est séparé par les glandes de l'estomac. Voyez ESTOMAC. (L)


GASTRO-COLIQUEen Anatomie, se dit de ce qui a rapport à l'estomac & au colon. Voyez ESTOMAC & COLON.


GASTROCNÉMIENSen Anatomie, nom de deux muscles de la jambe appellés aussi jumeaux. Voyez JUMEAUX.


GASTROMANTIES. f. (Divinat.) on dit aussi gastromance ; sort qui se tiroit par des fiolles à large ventre. Cette espece de divination ridicule, à laquelle le peuple seul ajoûtoit créance, consistoit à placer entre plusieurs bougies allumées, des vases de verre de figure ronde, & pleins d'eau claire. Ceux qui se mêloient de tirer le sort, après avoir interrogé les démons, faisoient considérer la surface de ces vases à un jeune garçon ou une jeune femme grosse. Ensuite, en regardant eux-mêmes le milieu des vases, ils prétendoient découvrir le sort de ceux qui les consultoient, par la réfraction des rayons de lumiere dans l'eau des bouteilles. La forme ronde de ces bouteilles, & le soin que prenoit le prétendu devin, de regarder avec attention au-travers du corps du vase, fit donner à cet art chimérique, le nom de gastromantie, tiré des mots grecs , ventre, & , divination. Voyez DIVINATION. On appliqua le même nom de gastromantie à la prétendue divination, que d'autres fourbes nommés engastremithes exerçoient, en faisant semblant de parler du ventre, & de ne pas desserrer les levres. Voy. ENGASTREMITHE & VENTRILOQUE. (D.J.)


GASTRORAPHIES. f. terme de Chirurgie, suture qu'on fait pour réunir les plaies du bas-ventre qui pénetrent dans sa capacité. Ce mot est grec, , composé de , venter, ventre, & de , sutura, couture.

La réunion des plaies pénétrantes du bas-ventre n'est praticable qu'après qu'on a fait la réduction des parties contenues, si elles étoient sorties. Voyez PLAIES DU BAS-VENTRE.

On fait autant de points qu'on le juge nécessaire, suivant l'étendue de la plaie : il faut préparer pour chaque point deux aiguilles courbes enfilées du même cordonnet, composé de plusieurs brins de fil ciré, unis & applatis, ensorte qu'ils forment un ruban d'un pié & demi ou de deux piés de long. Une aiguille sera placée au milieu de ce fil, & les deux bouts seront passés à-travers l'oeil de l'autre aiguille : c'est celle-ci qu'il faut tenir dans la main, & c'est avec elle qu'il faut commencer chaque point.

Pour pratiquer la gastroraphie, l'opérateur met le doigt index de la main gauche dans la plaie sous la levre la plus éloignée de son corps. Ce doigt est contre le péritoine, pour pincer & soulever toutes les parties contenantes, conjointement avec le pouce, qui appuie extérieurement sur la peau. De l'autre main on introduit une des aiguilles dans le ventre, en conduisant sa pointe sur le doigt index, pour éviter de piquer l'épiploon ou les intestins. On perce de-dedans en-dehors le bord de la plaie, environ à un pouce de distance, plus ou moins selon l'épaisseur des parties, en poussant le talon de l'aiguille avec les doigts de la main droite, pendant que le pouce de la main gauche qui appuie extérieurement, facilite le passage de la pointe. Dès qu'elle est suffisamment sortie, on acheve de la tirer avec la main droite, qui à cet effet abandonne le talon de l'aiguille pour en aller prendre la pointe. Sans ôter du ventre le doigt index de la main gauche, on le retourne vers l'autre levre de la plaie ; on prend de la main droite l'aiguille qui contient l'anse du fil ; on conduit cette aiguille le long du doigt index ; on perce du-dedans au-dehors, comme on a fait à l'autre levre, & à pareille distance, à la faveur du pouce qui appuie extérieurement la peau contre la pointe de l'aiguille. Lorsque le fil est passé à-travers les deux levres de la plaie, on ôte les aiguilles ; il faut couper l'anse pour retirer celle qui a servi la derniere.

On fait alors rapprocher les levres de la plaie par un aide-chirurgien, & on se dispose à noüer les fils. On ne doit point les arrêter à un des côtés de la plaie par un noeud simple soûtenu d'une rosette, ce qui formeroit une suture entre-coupée ; parce que l'action continuelle des muscles du bas-ventre pourroit causer le déchirement des parties comprises dans le trajet du fil, & sur-tout dans la levre opposée au côté où se seroit fait le noeud, en réunissant les deux extrémités du cordonnet. On préfere de diviser en deux chaque bout du lien, pour mettre dans cet écartement un petit rouleau de taffetas ciré ou de toile gommée, qu'on assujettit par un double noeud de chaque côté de la plaie (Planche XXXI. figure 2.). On ne craint point que cette suture manque, parce que l'action des muscles ne peut pas la fatiguer, l'effort du fil portant entierement sur les chevilles de taffetas ou de toile gommée. Cette suture se nomme enchevillée : les anciens s'en servoient ; mais au lieu de petits rouleaux flexibles que nous employons, ils avoient des vraies chevilles de bois auxquelles on a substitué après des tuyaux de plume. On sent que ces corps pouvoient occasionner des contusions & autres accidens par leur dureté & le défaut de souplesse.

Le pansement consiste dans l'application des remedes & de l'appareil : on met sur la plaie un plumaceau trempé dans un baume vulnéraire ; on fait une embrocation sur tout le bas-ventre avec l'huile rosat tiede. On a trois petites compresses de la longueur de la plaie, aussi larges que la distance qu'il y a entre les deux chevilles : deux doivent être un peu plus épaisses que les chevilles pour se mettre à chaque côté extérieurement, & la troisieme un peu moins épaisse pour mettre entre deux. On applique une ou deux compresses d'un pié en quarré sur la plaie, & une plus longue & aussi large qu'on nomme ventriere ; le tout soûtenu du bandage de corps & du scapulaire. Voyez BANDAGE DE CORPS & SCAPULAIRE.

La cure demande des attentions différentes, suivant les diverses complications de la plaie. Voyez PLAIES DU BAS-VENTRE.

S'il est permis au malade d'être dans la situation qui lui paroîtra la plus commode, & qu'il ait à se retourner dans le lit, il est bon qu'il ne s'aide en aucune maniere, & qu'il se laisse remuer par des gens assez forts & adroits. Lorsque la réunion est faite, on ôte les points de suture en coupant avec des ciseaux les fils qui embrassent une des chevilles ; & on retire l'anse soûtenue par la cheville opposée. Il se forme quelquefois une hernie ventrale à la suite de ces plaies pénétrantes, parce que les parties contenantes ne sont point capables d'une aussi grande résistance dans cet endroit qu'ailleurs, à raison du péritoine, qui ne se cicatrise point avec lui-même ; chaque levre de sa plaie contractant adhérence avec les parties musculeuses les plus voisines.

On fait ordinairement la gastroraphie à la suite de l'opération césarienne. Voyez CESARIENNE.

On convient en général que les sutures sont des moyens violens, auxquels on ne doit avoir recours que dans les cas où il ne seroit pas possible de maintenir les levres de la plaie rapprochées par la situation & à l'aide d'un bandage méthodique. M. Pibrac croit ces circonstances extrèmement rares : il est entré dans un grand détail sur cette matiere, dans un excellent mémoire sur l'abus des sutures, inséré dans le troisieme volume de l'académie royale de Chirurgie. Nous en parlerons plus amplement au mot SUTURE. Il rapporte sur les plaies du bas-ventre deux observations intéressantes de guérison obtenue par un appareil & un bandage méthodiques. Les auteurs qui ont parlé de l'opération césarienne, disent que la suture a été pratiquée. On voit par le détail de leurs observations, que les points ont manqué ; on a été obligé de se contenter du bandage, & les malades sont guéris. Ces raisons ne nous avoient point échappé en composant l'article CESARIENNE, & nous y avions déjà proscrit la suture. Il y a cependant peu de plaies au bas-ventre d'une plus grande étendue, si l'on en excepte une éventration telle que j'en ai vû une par un coup de corne de taureau, qui ouvrit presqu'entierement le ventre d'une femme. Dans un cas de cette nature, il seroit bien à-propos de faire quelques points de suture ; & cela suffit pour justifier le détail dans lequel je suis entré sur l'opération de la gastroraphie. (Y)

GASTRORAPHIE, (Maréchall.) voyez PLAIES DU BAS-VENTRE & SUTURE.


GASTROTOMIEterme de Chirurgie, ouverture qu'on fait au ventre par une incision qui pénetre dans sa capacité, soit pour y faire rentrer quelque partie qui en est sortie, soit pour en extraire quelques corps. Ce mot est grec, , composé de , venter, ventre, & de , sectio, incision, du verbe , seco, je coupe.

On a pratiqué avec succès la gastrotomie, pour donner issue au sang épanché dans le bas-ventre, à la suite des plaies pénétrantes de cette partie. On en peut lire plusieurs observations très-détaillées dans un mémoire de feu M. Petit le fils sur les épanchemens, inséré dans le premier volume de ceux de l'académie royale de Chirurgie.

L'opération césarienne & la lythotomie par le haut appareil, sont des especes de gastrotomie. Dans le premier cas, on fait ouverture au bas-ventre pour pouvoir inciser la matrice, afin d'en tirer un fétus qui n'a pu passer par les voies ordinaires. Voyez CESARIENNE (OPERATION). Dans le second cas, on pénetre dans la vessie au-dessus de l'os pubis pour en tirer la pierre. Voyez LITHOTOMIE.

La gastrotomie a été mise en usage pour tirer au moyen d'une incision à l'estomac, des corps étrangers arrêtés dans ce viscere. L'histoire de Prusse & plusieurs auteurs rapportent qu'un paysan prussien qui sentoit quelques douleurs dans l'estomac, s'enfonça fort avant dans le gosier un manche de couteau pour s'exciter à vomir ; que ce couteau lui échappa des doigts, & glissa dans l'estomac.

Tous les medecins & chirurgiens de Konigsberg jugerent que pour prévenir les accidens fâcheux auxquels cet homme étoit exposé, il falloit faire une incision aux parties contenantes du bas-ventre & à l'estomac pour retirer le corps étranger. Cette opération fut faite par Daniel Schwaben, chirurgien lythotomiste, & le malade fut parfaitement guéri en peu de tems. On conserve le couteau dans la bibliotheque électorale de Konigsberg, où l'on voit aussi le portrait du paysan à qui l'accident est arrivé. Voyez PLAIES DE L'ESTOMAC.

Il y a plusieurs exemples de pareils cas où la gastrotomie a été pratiquée avec succès. M. Hevin après avoir établi la possibilité & la nécessité de cette ouverture sur plusieurs expériences, donne des regles fondées sur le méchanisme de l'estomac, pour assûrer le succès de l'opération. Les remarques judicieuses qu'il fait sur l'état de plénitude ou de vacuité de l'estomac sont très-importantes, & la méthode qu'il propose est fort sûre. Voyez le premier volume des mémoires de l'acad. royale de Chirurgie, à l'article des corps étrangers de l'oesophage.

L'incision du bas-ventre peut aussi être pratiquée pour tirer des corps étrangers arrêtés dans les intestins. Voyez ENTEROTOMIE (Y).


GATE(LES MONTAGNES DE) Géog. longue chaîne de montagnes en Asie, dans la presqu'île en-deçà du Gange, qu'elle divise dans toute sa longueur, en deux parties fort inégales. Celle qui est au couchant est appellée la côte de Malabar. Les voyageurs nous disent que le pays séparé par cette chaîne de montagnes, a deux saisons très-différentes dans le même tems ; par exemple, tandis que l'hyver regne sur la côte de Malabar, la côte de Coromandel qui est au même degré d'élévation, & qui en quelques endroits n'est éloignée que de vingt à trente lieues de celle de Malabar, joüit d'un agréable printems : mais cette diversité de saisons dans un même tems & en des lieux si voisins, n'est pas particuliere à cette presqu'île. La même chose arrive aux navires qui vont d'Ormus au cap de Rosalgate, ou en passant le cap, ils passent tout-à-coup d'un très-beau ciel à des orages & des tempêtes effroyables. Des montagnes de Gate, il sort un grand nombre de rivieres qui arrosent la presqu'île, ou qui se jettent à l'orient. (D.J.)


GATEAUS. m. (Pâtisserie) c'est un morceau de pâte façonné & cuit au four sans autre appareil. Il y en a d'une infinité de façons, selon les différens ingrédiens qu'on unit à la pâte, ou dont on fait même des gâteaux en entier : tels sont les gâteaux d'amandes, faits d'amandes, de sucre & d'oeufs ; les gâteaux de Compiegne, qui ne different des gateaux d'amandes que par un levain particulier ajoûté aux autres ingrédiens, &c. Les gâteaux prennent aussi des noms différens de la maniere dont ils sont travaillés ; ainsi il y a des gâteaux feuilletés, ou dont la pâte extrèmement pliée & repliée sur elle-même, se sépare en cuisant, & se met en feuillets menus & legers ; les gâteaux à la reine, &c.

GATEAU, terme de Chirurgie, petit matelas fait avec de la charpie, pour couvrir la plaie du moignon dans les pansemens, après l'amputation des membres. On étend sur le gâteau les médicamens digestifs, mondifians, détersifs, &c. que prescrit l'état des chairs, & la nature de la suppuration. L'on se sert encore d'un gâteau ou grand plumaceau, pour panser la plaie qui reste après l'extirpation d'une mammelle : mais dans l'un & dans l'autre cas, les praticiens rationnels préferent aujourd'hui l'usage de plusieurs plumaceaux moins étendus ; on les ajuste mieux aux différentes inégalités de la plaie, qu'un grand plumaceau d'une seule piece ; on n'est pas obligé de la découvrir tout-à-la-fois en entier, & de l'exposer par-là aussi long-tems à l'action de l'air, toûjours pernicieux aux plaies trop long-tems découvertes, quelque précaution qu'on puisse prendre pour en prévenir les mauvais effets (Y).

GATEAU, (Chimie métalliq.) on nomme ainsi les lingots en plaque. Voyez LINGOT.

* GATEAU, (Fond.) les Fondeurs appellent ainsi les portions de métal qui se figent dans le fourneau après avoir été fondues. Cet accident vient, ou de ce que le métal est tombé à froid dans le fourneau où il y en avoit déjà de fondu, ou bien de ce qu'il est entré dedans une fumée noire, épaisse & chargée de beaucoup d'humidité ; ou bien de ce que la chaleur s'est ralentie dans le fourneau ; ou enfin de ce qu'un air trop froid, qui a passé à-travers les portes du fourneau, a rafraîchi tout-à-coup le métal. Le gâteau se forme encore lorsque l'aire du fourneau se trouve au rez-de-chaussée & sur un terrein humide ; & pour lors il ne reste d'autre remede que de le rompre, pour en tirer le métal & le faire fondre de nouveau. Voyez FONDERIE.

GATEAU, (Sculpture). Les Sculpteurs nomment ainsi les morceaux de cire ou de terre applanis, dont ils remplissent les creux & les pieces d'un moule où ils veulent mouler les figures.


GATERv. act. c'est occasionner quelque défaut dans une chose où l'on n'en remarquoit pas, où l'on en remarquoit moins. Il se prend au simple & au figuré. On gâte un tableau d'un grand maître, en le faisant retoucher par un mauvais artiste ; on gâte une belle action, par quelque circonstance où l'on n'a pas montré toute la délicatesse possible ; on gâte le métier, en ne soûtenant pas son ouvrage à un haut prix, ou en en développant inconsidérément le mystere.


GATINOIS(LE) Vastinium, Géog. province de France d'environ dix-huit lieues de longueur, sur douze dans sa plus grande largeur, bornée au nord par la Beauce, au sud par l'Auxerrois, à l'est par le Sénonois, à l'oüest par le Hurepois, & la riviere de Vernison. Cette province se divise en Gatinois françois, & en Gatinois orléanois, qui abonde en prairies, pâturages, rivieres, & en excellent safran.

Remarquons en passant que le Gatinois tire son nom du mot gastine, qui signifie lieu d'une forêt où le bois a été abattu, vastum, vastare, ravager. De ces mots latins, nos vieux François en firent les mots de gast, guast, guaster, d'où sont venus les mots de dégât & de gâter. Ensuite il est arrivé qu'après que plusieurs lieux incultes ont commencé à être cultivés, on leur a conservé le nom de gastine, assez commun en Touraine, Beauce, le Maine, &c.

Le Gatinois du tems des Romains avoit une bien plus vaste étendue qu'il n'a présentement ; il étoit alors presque tout couvert de bois & de pâturages.

D. Guillaume abbé de Ferrieres, a fait l'histoire générale du pays de Gatinois, Sénonois & Hurepois : c'est un ouvrage curieux, & qui mérite d'être lu. (D.J.)


GATTEJATTE, AGATHE, s. f. (Mar.) c'est une enceinte ou retranchement fait avec planches vers l'avant du vaisseau, pour recevoir l'eau qui tombe du cable quand on leve l'ancre, & celle qui peut entrer par les écubiers, lorsqu'elle y est poussée par un coup de mer. Voyez la situation de la gatte, Planc. IV. fig. 1. cotte 90. Il est fait d'un bordage de trois à quatre pouces d'épaisseur, soûtenu par quatre courbatons ; on y perce deux dalots, pour laisser échapper l'eau qui s'y amasse.

GATTES : on donne aussi ce nom aux planches qui sont à l'encoignure ou à l'angle commun, que font le plat-bord & le pont. Voyez GOUTTIERES. (Z)


GAUGO, GOW, ou GOU, (Géog.) canton ou contrée distinguée par ses propres bornes des cantons ou contrées du voisinage, mais qui d'ordinaire faisoit partie d'un autre peuple. Ce que les Celtes, c'est-à-dire les Gaulois, les Germains, appelloient Gan, Go, Gow, ou Gou, les Latins le nommoient Pagi ; le peuple entier se nommoit civitas, & se divisoit in pagos : c'est dans ce sens que Jules César dit que les Helvétiens étoient partagés in quatuor pagos, en quatre cantons.

De ces Gau, Go, Gow, Gou, est venue la terminaison à plusieurs noms géographiques : telle est par exemple l'origine de la distinction établie en Frise, d'Ostergo & de Westergo, c'est-à-dire le canton oriental & le canton occidental. Il faut rapporter à la même origine le nom de Rheingau, donné au canton qui est entre Mayence & Baccharach ; celui de Brisgaw que porte le canton situé entre le Rhin, la Soüabe & la forêt Noire ; celui de Sundgau, qui signifie le pays situé entre le Rhin, l'évêché de Bâle & l'Alsace, &c. Remarquez que cette terminaison en Gou, ou Gau, est particuliere à l'Allemagne & aux pays dont la langue est un dialecte de l'allemand.

Ces Gau ou Pagi avoient anciennement leurs chefs, qui tous ensemble en choisissoient un d'entre eux pour commander la nation. Les Francs & les Allemands ayant établi chez eux l'état monarchique & héréditaire, conserverent l'ancienne coûtume de donner à chaque canton un chef, mais avec de nouveaux titres ; & c'est par cette raison qu'avec le tems cette premiere division a disparu dans beaucoup d'endroits, quoique dans le fond elle ait été conservée sous d'autres noms, comme de duché, de comté, &c. Voyez FIEF, (Droit politiq.) (D.J.)


GAUCHEadj. en Anatomie, se dit de toutes les parties situées à la gauche du plan qu'on peut imaginer diviser le corps de devant en-arriere & de haut en-bas, en deux parties égales & symmétriques. (L)

GAUCHE, (Coupe des pierres) il se dit de toute surface qui n'a pas quatre angles dans un même plan ; ensorte qu'étant regardée en profil, les côtés opposés se croisent. Telle est une portion de la surface d'une vis & de la plûpart des arriere-voussures. Ce terme est de tous les Arts, tant de Maçonnerie que de Charpenterie & Menuiserie ; d'où l'on a fait gauchir.


GAUCHIRv. n. (Menuiserie) il se dit des faces ou paremens de quelque piece de bois ou ouvrage, lorsque toutes les parties n'en sont pas dans un même plan ; ce qui se connoît en présentant une regle d'angle en angle : si l'angle ne touche point par-tout en la promenant sur la face de l'ouvrage, l'on dit que cette face a gauchi. Une porte est gauche ou voilée, si quand on la présente dans ses feuillures qui sont bien d'à-plomb, elle ne porte point par-tout également.


GAUDAGES. m. (Teint.) Voyez l'article suivant GAUDE.


GAUDES. f. luteola, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur polypétale & anomale, car elle est composée de plusieurs pétales différens les uns des autres ; il sort du calice un pistil qui devient un fruit presque rond, creux & rempli de semences arrondies. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La gaude ou la luteola salicis folio des Botanistes, Bauh. Tournef. Boerh. &c. est le reseda foliis simplicibus lanceolatis integris, de Linnaeus, hort. cliff. 212.

Sa racine est ordinairement grosse comme le petit doigt, quelquefois de la grosseur du pouce, simple, ligneuse, blanche, garnie d'un très-petit nombre de fibres, d'un goût âcre, approchant du cresson ; elle pousse des feuilles oblongues, étroites, lisses, entieres & sans crénelures, quelquefois un peu frisées ; il s'éleve d'entr'elles des tiges à la hauteur de trois piés, rondes, dures, lisses, verdâtres, rameuses, revêtues de feuilles plus petites que celles d'en-bas, & garnies le long de leurs sommités de petites fleurs composées chacune de trois pétales inégaux, d'une belle couleur jaune verdâtre. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des capsules presque rondes, terminées par trois pointes, renfermant plusieurs semences menues, arrondies, noirâtres.

Lacuna, Gesner, Honorius Belus & Dale, se sont persuadés que la gaude est le strathium des anciens ; mais vraisemblablement nous ignorerons toûjours ce que c'étoit que leur strathium dont ils ont tant parlé, & qu'ils n'ont point décrit. Voyez STRATHIUM.

La gaude fleurit en Mai, & sa graine mûrit en Juin & en Juillet. Cette plante croît d'elle-même dans presque toutes les provinces du royaume, à cinq ou six lieues de Paris, & particulierement à Pontoise : il paroît qu'elle aime les lieux incultes, le long des chemins, les bords des champs, les murailles & les décombres ; mais la gaude qu'on cultive est bien meilleure que celle qui vient naturellement, & on y donne beaucoup de soin à cause de son utilité pour la teinture, car on n'en fait point d'usage en Medecine.

On la seme claire au mois de Mars ou de Septembre, dans des terres legeres & bien labourées, & elle se trouve mûre au mois de Mai ou de Juillet ; il faut seulement la sarcler quand elle leve. Dans les pays chauds, comme en Languedoc, elle est souvent assez seche lorsqu'on la recueille ; mais dans les pays tempérés, comme en Normandie, en Picardie & en plusieurs autres lieux, il est essentiel de la faire sécher exactement. Il faut encore observer de ne la point couper qu'elle ne soit mûre, & d'empêcher qu'elle ne se mouille quand elle est cueillie. En la cueillant, il faut la couper à fleur de terre.

Les Teinturiers regardent la gaude la plus menue & la plus roussette comme la meilleure ; ils la font bouillir avec de l'alun, pour teindre les laines & les étoffes en couleur jaune & en couleur verte ; savoir les blanches en jaune, & en verd les étoffes qui ont été préalablement mises au bleu. Suivant les réglemens de France, les céladons, verd de pomme, verd de mer, verd naissant & verd gai, doivent être alunés, ensuite gaudés avec gaude ou sarrelle, & puis passés sur la cuve d'inde. (D.J.)


GAUDENS(SAINT-) fanum Sancti-Gaudentii, (Géog.) petite ville de France, capitale du Nébousan. Les états du pays s'y tiennent. C'est la patrie de S. Rémond, fondateur de l'ordre de Calatrava, en Espagne. Elle est sur la Garonne, à deux lieues N. de Saint-Bertrand. Longit. 18d. 36'. latit. 43d. 8'. (D.J.)


GAUDRONS. m. en termes de Metteur-en-oeuvre, d'Orfevre, de Serrurier, &c. est une espece de rayon droit ou tournant, fait à l'échope sur le fond d'une bague ou d'un cachet qui part du centre de ce fond & se termine à la sous-batte. Il y en a de creux & de relevés.


GAUDRONNERen termes d'Epinglier, c'est l'action de tourner les têtes sur le moule à l'aide du roüet, qui fait tourner la broche & le moule, & de la porte qui conduit le fil le long de ce moule. Voyez les articles MOULE, TETE. Voyez aussi les Planches de l'Epinglier, & leur explication, qui représentent la premiere la tête du roüet AE ; D les deux potenceaux, entre lesquels est la bobine traversée, comme les deux potenceaux, par la broche. La corde sans fin du roüet passe autour de cette bobine. F est la partie représentée séparément, fig. 10. n° 2. I une poignée de bois ; K la porte ; M une pointe qui retient le moule G I sur la poignée L. G H l'extrémité antérieure de la broche, sur laquelle est lié le moule G I, autour duquel s'entortille le fil dont les têtes doivent être formées. Ce fil passe par la porte K, pour aller sur le tourniquet dont il vient s'entortiller sur le moule G I. On éloigne la poignée L de la broche G, à mesure que l'ouvrage s'avance.


GAUFRERv. act. (Gramm. Grav. & Manuf. d'étoffes) c'est en général par le moyen de deux corps, sur l'un desquels on a tracé quelques traits en creux, imprimer ces mêmes traits sur une étoffe ou sur quelque matiere interposée. Le mot de gaufrer vient d'un mets de pâte legere & friande qu'on étend fluide entre deux plaques de fer qui sont assemblées à tenaille, & sur lesquelles on a gravé quelque dessein, que la pâte mince pressée entre ces plaques chaudes, prend en se cuisant. Ce mets s'appelle une gaufre.

Les velours d'Utrecht & ceux qui sont fil & coton, sont les étoffes particulieres que l'on gaufre ; comme elles sont épaisses & velues, la partie solide du corps gravé contre lequel on les presse, entre profondément & donne beaucoup de relief au reste. Nous nous contenterons d'expliquer la machine à gaufrer : cette machine bien entendue, on aura compris le reste de la manoeuvre.

A A est un chassis de charpente, dont l'assemblage doit être solide.

B un gros rouleau de bois, ou un cylindre tournant sur un essieu, auquel est attachée la puissance K : c'est entre ce rouleau & le petit cylindre de fonte, que nous allons décrire que passe l'étoffe à gaufrer.

C petit cylindre de fonte, creux dans toute sa longueur, pour recevoir deux, trois, ou quatre barres de fer, qu'on fait rougir au feu : c'est sur ce cylindre de fonte que sont gravés & ciselés les ornemens & fleurons, qui doivent paroître en relief sur l'étoffe.

D piece de bois horisontale, mobile de haut en-bas, entre les montans du chassis, & portant par ses extrémités sur les deux tasseaux E.

E tasseaux, ayant chacun à la partie inférieure une échancrure, qui saisit & embrasse le collet pratiqué à chaque bout du petit cylindre de fonte.

F deux grosses vis, dont l'usage est de presser la piece de bois mobile D sur les deux tasseaux E, qui doivent aussi serrer le petit cylindre de fonte contre le gros cylindre de bois ; celui-ci porte sur son essieu ; n'a de mouvement qu'autour de son axe, & il faut observer qu'il communique son mouvement au petit cylindre de fer, & le fait tourner en sens contraire.

G l'étoffe à gaufrer, qui doit être prise & serrée entre les deux cylindres ; mais avant que de l'engager, on a soin d'étendre par-dessous & immédiatement sur le gros cylindre, une autre étoffe de laine commune, qui sert comme de lit à l'étoffe à gaufrer. La souplesse de ce lit fait que les ornemens gravés sur le petit cylindre s'impriment mieux, plus profondément & plus correctement.

H plusieurs bâtons ou petits rouleaux de bois, entre lesquels les deux étoffes sont enlassées, de maniere qu'il en resulte un frottement qui les étend, les bande un peu, les arrête & les empêche de passer trop vîte entre les cylindres B C.

I forme des barres de fer dont l'usage est de remplir le petit cylindre de fonte & de l'échauffer ; elles ont à leur extrémité un oeil ou trou rond, dans lequel on passe un crochet de fer : c'est avec ce crochet & par cet oeil qu'on les prend & qu'on les porte de dessus un brasier, dans l'intérieur du petit cylindre.

L crochet de fer à prendre les barres quand elles sont rouges.

Au sortir d'entre les cylindres, l'étoffe porte une empreinte si forte du dessein tracé sur le petit cylindre de fer, qu'elle ne la perd presque jamais, à moins qu'elle ne soit mouillée. On se sert beaucoup de ces velours & autres étoffes gaufrées, pour les meubles, les carrosses, &c.


GAUFRUREGAUFRURE de carton pour Ecrans, Boîtes à poudre, soit de toilette ou autres, Portefeuilles, Bonnets, couvertures de Livres ou d’Almanachs, &c. papier d’Eventails, &c. dorés ou argentés. Pour gaufrer le carton, on se sert de moules ou de bois, ou de corne, ou d’autres matieres ; il faut graver le dessein en creux & en dépouille sur la planche ; que les portées plates soient comme imperceptiblement arrondies ou adoucies sur les bords, afin qu’il ne s’y trouve point d’angles ou de vives arêtes qui puissent casser ou couper le carton en le gaufrant. La planche C est en cet état ; si elle est petite, elle pourra entrer dans une autre planche B de même épaisseur, troüée à queue d’aronde, & terminée de la même maniere, pour qu’on la puisse placer dans une entaille, qui a en profondeur l’épaisseur de cette planche, & qui est pratiquée dans une table de presse d’imprimeur en taille-douce. Voyez les figures, Planche de la gaufrure de carton, figures 1. 2. & 3. A, B, C, l’on ajustera la planche gravée C dans la planche B, & cette derniere avec l’autre dans l’entaille A de la table, qu’on placera entre les rouleaux de la presse, à environ demi-pié du bout ou de l’entrée de la table, avec deux ou trois langes tout prêts, relevés sur le rouleau, & destinés à la même fonction que ceux de l’imprimeur en taille-douce, qui va tirer une planche de cuivre. Avec ces précautions, l’on aura des cartons unis blancs, & point trop épais ; avec une éponge trempée dans l’eau, on les mouillera par l’envers ; & lorsqu’ils paroîtront un peu moites, on en prendra un que l’on posera sur la planche gravée C ; on rabattra les langes dessus, & on passera le tout sous la presse entre ses rouleaux ; puis ayant de l’autre côté relevé les langes & le carton, l’on trouvera ce carton gaufré de tout le dessein de la gravure en relief dessus : on l’ôtera & on le laissera sécher sur une table. L’on comprend qu’il faut que la presse soit garnie à-propos pour faire cette opération. Voyez, fig. 4. la planche gravée, & celle dans laquelle elle se place, montées & mises toutes les deux dans l’entaille de la table, où l’on fait entrer par le côté la grande planche B.

Si l'on veut que le carton soit doré ou argenté, il faut avoir du papier doré ou argenté tout uni d'Allemagne, le coller sur le carton, & sur le champ, même avant que l'or ou l'argent se détache à cause de l'humidité, mettre le carton sur la planche gravée, le passer aussi-tôt sous la presse, lever promtement, & mettre à plat sécher, comme on a dit ci-dessus. Mais si l'on veut que la dorure ne se verdegrise pas & puisse se garder ; au lieu de papier uni d'Allemagne qui n'est que cuivré, il faut sur une feuille de papier jaune que l'on aura collée sur le carton & laissé sécher, y coucher un mordant, soit de gomme claire, d'adragant, arabique ou autre, y appliquer de l'or en feuille, faire bien sécher, humecter legerement par l'envers, mettre sur le champ du bon côté sur la planche, passer sous la presse, & l'ôtant ensuite promtement, de peur que l'or ne quitte & ne s'attache au creux de la planche. Si l'on veut mettre or & argent ensemble, or au fond & argent aux fleurs & bordures, l'on piquera un patron exact des places où l'on veut de l'argent ; l'on poncera ce patron sur le carton doré, & l'on couchera dans ces places avec le pinceau un mordant, qu'on laissera sécher ; après quoi on y appliquera l'argent en feuille ; on laissera sécher ; l'on humectera avec l'éponge le derriere du carton ; on le posera sur la planche gravée ; on le passera sous la presse, & on retirera aussi-tôt.

Pour éventails, écrans, ou autres ouvrages gaufrés, à fleur d'or & fond d'argent, ou à fleurs d'argent & fond d'or, il faut avoir deux moules ou planches gravées en bois, à rentrées bien justes du même dessein, dont l'une ait les fleurs mattes & de relief, & l'autre le fond mate & pareillement de relief, & imprimer sur du papier ce dessein en or & en argent moulu, avec les balles & le rouleau, comme on imprime les papiers de tapisserie. Voyez PAPIER DE TAPISSERIE. Ces impressions étant seches, l'on collera le papier sur le carton, & aussitôt on le posera par l'endroit de la dorure & argenture sur une autre planche gravée comme en C, du même dessein que les autres planches, mais les fleurs creusées & en dépouille, & placées dans celle marquée B ; puis les langes rabattus sur le tout, on passera sous la presse, & l'on gaufrera le carton, que l'on retirera promtement pour le mettre sécher. Si l'on vouloit épargner, ne point employer d'or, & cependant avoir une gaufrure d'or & d'argent, il ne faudroit que passer sous la presse avec cette troisieme planche seulement, le carton sur lequel l'on auroit collé du papier d'argent fin d'Allemagne, le gaufrer ; & lorsqu'il seroit sec, mettre avec le pinceau sur les fleurs ou l'or, le fond qu'on voudroit qui parût or, une couche de vernis fait avec la terra merita, & l'argent paroîtra-là aussi beau & de la même couleur que l'or.

Pour des écrans gaufrés des deux côtés & d'un même tour de presse, voici comment M. Papillon pere s'y prenoit. Il gravoit deux planches en creux & de dépouille de desseins différens, faits néanmoins de façon que ce qui étoit de relief & mate à l'une de ces planches & servoit de fond, étoit opposé aux parties du dessein creusées dans l'autre planche, afin que les planches posées l'une sur l'autre bien juste, gravure contre gravure, & le carton entr'elles, elles pussent sans se nuire le gaufrer des deux côtés. Et sur une planche unie comme en B, fig. 2. il avoit percé des trous chantournés en forme d'écrou. Il plaçoit d'abord dans chaque trou une planche, fig. 6. la gravure en-dessus ; il en avoit quatre à cet effet pour creuser avec plus de célérité deux écrans à-la-fois ; ses cartons étoient chantournés de même forme, dorés & argentés ; il les colloit deux ensemble par l'envers, & tandis qu'ils étoient moites de cette collure, il les portoit sur ces planches gravées, déjà mises dans les trous ; & par-dessus il plaçoit les autres planches, la gravure du côté du carton ; & ces planches & les autres ne passoient pas la superficie & le plan de la grande planche troüée : alors les langes rabattus, il passoit le tout sous la presse comme ci-dessus, & le carton pressé entre deux planches se trouvoit gaufré des deux côtés ; il levoit promtement, crainte que l'or & l'argent ne se détachassent. Il faisoit sécher. Il ne restoit qu'à border au pinceau avec de l'or moulu, & mettre les bâtons. Il prenoit à cet effet des cartons bien minces ou à boutonnieres, afin que deux collés ensemble ne fussent pas trop durs à gaufrer.

Nous avons fait encore des écrans qui n'étoient gaufrés que d'un côté, mais avoient au milieu une estampe qui s'imprimoit du même tour de presse ou de rouleau, en même tems que la gaufrure se faisoit. Pour ce travail, les planches gravées, pour les gaufrer, étoient précisément de l'épaisseur de la grande planche B, fig. 5. & au milieu de ces planches il y avoit un creux fait exprès, à pouvoir mettre la planche de cuivre destinée à imprimer l'estampe ou passe-partout, comme en D, fig. 7. On encroit cette planche de cuivre, on l'essuyoit bien, & on la mettoit dans la planche de bois à gaufrer, placée dans la grande planche B, comme il est représenté en E, fig. 8. puis le carton humecté par l'envers & posé sur le tout ; la place de l'estampe non-dorée & laissée blanche, on passoit sous la presse, & la gaufrure & l'impression en taille-douce se faisoient en même tems & du même tour de moulinet ou croisée de la presse.

Ces manieres de gaufrer le carton sont plus expéditives & beaucoup moins fatigantes que celles de le gaufrer par le frottement avec la dent de loup ou de sanglier, sur le moule de corne, comme se poussent les couvertures d'almanachs dont l'on parlera bientôt. Pour ces couvertures il seroit facile en troüant & creusant à cet effet la planche à queue d'aronde B, d'y mettre demi-douzaine de moules, soit de bois ou de corne, lesquels gaufreroient autant de couvertures d'almanachs ou autre chose, comme boîtes, porte-feuilles, &c.

Si l'on vouloit faire des éventails, écrans ou autre chose à fleurs d'or & fond de couleur comme les couvertures de livres, il faudroit que les planches fussent de cuivre jaune, épaisses de demi-pouce au-moins, & évidées dans les champs, soit en y laissant mordre l'eau-forte, soit en échopant avec de forts & larges burins ; & que les mattes de fleurs & de figures en relief fussent gravées & ombrées avec le burin : & pour accélérer l'ouvrage, il seroit à-propos d'en avoir deux, afin que tandis qu'une passeroit sous la presse avec la feuille d'éventail ou d'écran, &c. l'autre pût chauffer. En suivant cette manoeuvre, l'on dore premierement à l'eau froide le papier que l'on veut gaufrer, appliquant les feuilles d'or en plein par-tout, par-dessus la couleur du papier ; & quand le papier est un peu sec ainsi que l'or, la planche de cuivre un peu chaude & placée dans la table entaillée en A, fig. prem. le papier mis sur cette planche du côté de la dorure, les langes rabattus dessus, & le tout passé sous la presse, l'impression de cette dorure est faite. Par-tout où le cuivre aura appuyé & marqué, l'or ou l'argent en feuille seront attachés au papier. Le verre séché peu après, s'épouste avec la patte de lievre, ou avec du coton, & quitte le papier ou le carton, ensorte qu'il ne reste dessus l'un ou l'autre que les fleurs & les figures, comme l'on voit aux papiers dorés d'Allemagne. Si l'on vouloit imprimer en même tems à ces sortes d'ouvrages, des estampes gravées à certains endroits, l'on creuseroit la planche de cuivre jaune, pour y placer celle de cuivre rouge & gravée au burin ; on l'encreroit, on l'essuyeroit, on la placeroit comme a été dit plus haut sur semblable opération, & l'on passeroit le tout ensemble sous la presse.

Quant à la maniere de gaufrer le carton avec les moules de corne, l'on fait graver de relief ou plûtôt ciseler le dessein le plus proprement qu'il est possible : ayant amolli la corne, on tire avec cette corne le creux du dessein qu'on a fait ciseler, donnant environ demi-pouce d'épaisseur à ces moules ; puis aux quatre coins l'on met à force des pointes de laiton ou de fer, que l'on rive par dessous, comme il est représenté fig. 9. pour servir de repaires ou de guides à tenir en respect le carton que l'on voudra gaufrer. Cela fait, le carton doré ou argenté, coupé & préparé de la grandeur un peu excédante du moule, on le place de maniere que les pointes du moule le fixent en le traversant ; l'endroit est tourné sur le moule, & tout de suite avec la dent pointue, emmanchée à pouvoir être commodément remuée, l'on frotte fermement le carton par-tout, appuyant & repassant souvent la dent où l'on voit que le carton fléchit & entre dans les creux du moule ; après quoi on le retire d'entre les pointes. Si par hasard l'on remarque quelques endroits de la gaufrure manqués, ou peu marqués, on replace le carton dans les pointes, aux endroits déjà troüés, on le refrotte où il est nécessaire, on le retire, & l'on en pousse un autre si l'on veut. C'est ainsi communément que se font les couvertures d'almanachs de carton doré & argenté, qui se vendent à Paris, que l'on enjolive, qu'on découpe, & auxquels on donne des fonds de couleur : si on les a gaufré en blanc, on peut les peindre à volonté, & les vernir ensuite. Pour faire quelque chose de plus riche, j'avois imaginé des couvertures dont le fond étoit de velours. Voici comme je les exécutois : j'avois un fer de relief de même forme que les masses du dessein des gaufrures de carton découpé dont je me servois ; je faisois chauffer ce fer assez pour qu'en le posant sur le velours que j'avois collé auparavant avec de la gomme ou colle-forte sur un carton mince, je brûlasse tout le poil du velours qu'il touchoit ; de sorte qu'il m'étoit facile ensuite de placer dessus ma couverture de carton doré, argenté & découpé, & d'y faire entrer, & pour ainsi dire, incruster le dessein. L'effet en étoit très-joli. Cet article est de M. PAPILLON, graveur en bois.


GAULAN(Géog. sacrée) Gaulan ou Gaulon, étoit une ville de Judée capitale de la Gaulonitide, petit pays situé vers les montagnes de Galaad, le long du Jourdain, à environ 15 lieues de la mer de Galilée. Voyez Reland de Palaest. tom. I. lib. I. cap. xxiij. (D.J.)


GAULou LES GAULES. (Géog.) L'ancienne Gaule a été une des plus célebres régions de l'Europe ; elle avoit au levant la Germanie & l'Italie, les Alpes la séparant de celle-ci, & le Rhin de celle-là. La mer d'Allemagne & celle de Bretagne la baignoient au nord, l'océan Aquitanique ou occidental au couchant, & la mer Méditerranée au midi ; les montagnes des Pyrénées la séparoient de l'Espagne entre le midi & le couchant.

Cette région n'étoit pas une monarchie particuliere ; elle étoit possédée par un grand nombre de peuples indépendans les uns des autres : ses plus considérables montagnes étoient les Alpes, les Pyrénées, le Mont-Jura & les Cevennes ; ses principales rivieres le Rhin, la Meuse, la Seine, la Loire, la Garonne, le Rhone & la Saone. Elle renfermoit le royaume de France, tel qu'il est aujourd'hui, la Savoie, la Suisse, le Piémont, une partie du pays des Grisons, & toute la partie d'Allemagne & des Pays-bas qui sont au couchant du Rhin.

C'étoit-là la vraie Gaule, mais les Gaulois ayant passé les Alpes, & conquis une partie de l'Italie, ils donnerent le nom de Gaule à leurs conquêtes ; ce qui fit naître la division de la Gaule en Gaule cisalpine ou citérieure, & en transalpine & ultérieure, dont la premiere fut encore subdivisée en cispadane & en transpadane : la transalpine le fut aussi en Gaule chevelue ou comata, & en Gaule bracatte ; & après qu'elle eut été conquise par les Romains, en Gaule narbonnoise, aquitanique, lyonnoise & belgique ; ce fut à cause de ces différentes parties qu'on fit de la Gaule, qu'elle reçut fort souvent le nom de Gaules au pluriel.

Tous ces différens noms viennent des divisions qui s'en firent sous les empereurs romains ; divisions qui changerent plusieurs fois, comme changent aujourd'hui nos gouvernemens & nos généralités.

A la mort de César toute la Gaule étoit romaine, & consistoit en quatre parties principales au nord des Alpes ; ces quatre parties étoient la Gaule narbonnoise, la Gaule aquitanique, la Gaule celtique, & la Gaule belgique. Auguste devenu arbitre souverain de Rome & de tout l'Empire, continua de partager la Gaule en quatre grandes régions, auxquelles il conserva leurs anciens noms, hormis celui de celtique, qui paroissant appartenir à la Gaule entiere, fut abrogé, & cette partie fut nommée la lyonnoise ; & parce que ces parties étoient trop inégales, il ôta à quelques-unes pour donner à d'autres. On peut consulter la table que le P. Briet a dressée des peuples distribués dans ces quatre grandes provinces.

La division de la Gaule en quatre provinces par Auguste, est attestée par tant d'auteurs qu'il n'est pas possible d'en douter. Dion-Cassius, Ammien-Marcellin, & quantité d'autres anciens en ont parlé ; de-plus elle est décrite par Strabon, Mela, Pline & Ptolomée. Il paroît cependant par des monumens incontestables, que dans la Gaule même on persista à ne compter que les trois provinces de Jules-César.

Il se fit un nouveau partage des Gaules vers le tems de Constantin, suivant l'opinion générale ; toûjours est-il sûr que nous en avons une ancienne notice publiée par le P. Sirmond dans les conciles de l'église gallicane, par Duchesne dans ses écrivains de l'histoire de France, & par Hadrien de Valois dans la préface de sa notice des Gaules. On croit qu'elle a été dressée vers le tems d'Honorius, lorsque c'étoit l'usage de distinguer les Gaules des sept provinces.

Selon cette notice dont on peut tirer de grands avantages pour la connoissance de l'histoire ecclésiastique & politique, il y avoit dix-sept provinces dans la distribution de la Gaule, & cent quinze cités, dont seize joüissoient du rang de métropole ; au lieu qu'avant Constantin on ne connoissoit que quatorze provinces & quatre métropoles.

Dans la suite des tems, les papes & les rois ont fait tant de changemens à cette distribution de provinces par l'érection de nouveaux évêchés & archevêchés, outre le changement du gouvernement civil des provinces qui ont été unies ou démembrées en introduisant de nouveaux noms, que la géographie de l'ancienne Gaule, pour ne parler ici que de la G aule françoise, est actuellement un cahos indéchiffrable ; c'est peine perdue de chercher à le débrouiller. (D.J.)

GAULE, s. f. (Manége) On appelle ainsi dans l'école la branche de bouleau mince, legere & effeuillée, dont la main droite de chaque cavalier est armée ; de-là la dénomination particuliere de main de la gaule pour désigner cette même main.

La gaule doit avoir quatre piés ou environ de longueur ; lorsqu'elle en a davantage, on s'en sert moins commodément & avec moins de grace.

Les commençans sont assujettis à la tenir la pointe en l'air à la hauteur de leurs yeux, & au-dessus de l'oreille gauche du cheval ; les éleves avancés la tiennent de même, ou la pointe en bas & le long de l'épaule de l'animal, ou la pointe en arriere au-dessus de sa croupe, ou différemment, selon leur volonté, l'usage qu'ils se proposent d'en faire, & la plus grande facilité de leur action, relativement aux effets qu'elle peut produire. L'habitude de la porter de la main droite dispose d'ailleurs le cavalier à se servir ensuite de son épée avec liberté, & à manier, quoique cette main en soit saisie, toûjours son cheval avec aisance.

Par le moyen de la gaule, tantôt nous prévenons les fautes, & tantôt nous les corrigeons ; nous l'employons donc ou comme aide ou comme châtiment. Si on en frappe vigoureusement le cheval on le punit par l'impression douloureuse qui en résulte, tandis que des coups legers ne sont que des moyens de l'inviter avec douceur & sans l'étonner à des mouvemens que l'on desire de lui ; c'est dans ce dernier sens que la gaule est véritablement une aide.

Nous touchons de la gaule sur l'épaule d'un cheval que nous voulons lever à courbettes, dont nous souhaitons tirer des pesades, qui dans les sauts se montre trop leger du derriere. Nous aidons le sauteur qui s'accroupit, qui balotte, qui n'épare point, en adressant nos coups sur la place du trousse-queue ; nous sollicitons des croupades en les dirigeant au-dessus des jarrets, &c.

Le sens du toucher n'est pas le seul que la gaule affecte, ses aides s'impriment encore sur ceux de l'oüie & de la vüe : l'action de la faire siffler en avant & en arriere, ou d'en frapper les murs, chasse le cheval en avant, & l'effraye même quelquefois trop, puisqu'elle le détermine à fuir, sur-tout quand il n'est pas accoûtumé à ce bruit ; celle de la porter tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, lui indique celui sur lequel il doit se mouvoir, soit dans les changemens, soit dans les contre-changemens de main de deux pistes, & dans lesquels les hanches sont observées : mais on doit bannir des manéges bien réglés cette aide prétendue qui confirme les chevaux dans une mauvaise routine, & qui est fort éloignée des principes que les éleves doivent recevoir. Du reste, rien n'est plus pitoyable que de voir des maîtres harceler eux-mêmes sans-cesse les chevaux avec la gaule, & abuser misérablement d'un moyen utile dans de certains cas, mais qui dans d'autres est aussi desagréable aux spectateurs que fatiguant pour l'animal.

Gaule d'écuyer, est une gaule semblable à celle des éleves, à l'exception qu'elle est un peu plus forte, & beaucoup plus longue ; le maître en fait usage sur les chevaux des piliers.


GAULISsubst. m. (Jardinage) veut dire bois marmentaux ou de touche, que l'on pratique dans les beaux jardins, lesquels forment de la moyenne futaie. (K)


GAULOISS. m. (Hist. anc.) habitans de l'ancienne Gaule. Ceux qui ont cherché curieusement l'étymologie du mot, ont commencé par perdre leur tems & leurs peines. L'un tire cette étymologie du grec, l'autre du cimbrique, & un troisieme la trouve dans l'ancien breton. Cluvier est venu jusqu'à se persuader que Gallus dérive du celtique Gallen, qu'on dit encore en allemand, & qu'on écrit Wallen, qui signifie voyager ; & là-dessus il suppose qu'on donna ce nom aux Gaulois lorsqu'ils sortirent de leur pays, & qu'ils s'emparerent d'une partie de la Germanie, de l'Italie & de la Grece. César moins savant que Cluvier dit simplement, qui ipsorum linguâ celtae, nostrâ Galli appellantur.

Mais ce n'est pas à l'étymologie du mot que se borne ici nôtre ignorance, c'est à tout ce qui concerne les Gaulois ; nous ne savons rien par nous-mêmes de l'état de l'ancienne Gaule, de l'origine de ses peuples, de leur religion, de leurs moeurs & de leur gouvernement : le peu qu'on en connoît se recueille de quelques passages échappés, comme par hasard, à des historiens de la Grece & de Rome. Si nous assûrons qu'il y a eu des Gaulois voisins des Alpes, qui joints aux habitans de ces montagnes, se sont une fois établis sur les bords du Tessin & de l'éridan ; si nous savons que d'autres Gaulois vinrent jusqu'à Rome l'année 363 de sa fondation, & qu'ils assiégerent le capitole, ce sont les historiens romains qui nous l'ont appris. Si nous savons encore que de nouveaux Gaulois, environ cent ans après, entrerent dans la Thessalie, dans la Macédoine, & passerent sur le rivage du Pont-Euxin, ce sont les historiens grecs qui le racontent, sans nous dire même quels étoient ces Gaulois, & quelle route ils prirent : en un mot il ne reste dans notre pays aucun vestige de ces émigrations qui ressemblent si fort à celles des Tartares ; elles prouvent seulement que la nation celtique étoit très-nombreuse, qu'elle quitta par sa multitude un pays qui ne pouvoit pas la nourrir, & chercha pour subsister des terres plus fertiles, suivant la remarque de Plutarque : je ne le cite guere que sur ce point ; car ce qu'il nous débite d'ailleurs sur les premiers Gaulois qui se jetterent en Italie, & sur leurs descendans qui assiegerent Rome, est chargé d'exagérations, d'anachronismes ou d'anecdotes populaires ; ainsi nous devons nous borner aux témoignages de Tite-Live & de César.

Ce fut, selon Tite-Live, liv. V. chap. xxxjv. sous le regne de l'ancien Tarquin, l'an de Rome 165, qu'une grande quantité de Gaulois transalpins passerent les monts, sous la conduite de Bellovese & de Sigovese, deux neveux d'Ambigate chef de cette partie de la nation. Les deux freres tirerent au sort les pays où ils se porteroient ; le sort envoya au-delà du Rhin Sigovese, qui prenant son chemin par la forêt Hercinienne, s'ouvrit un passage par la force des armes, & s'empara de la Boheme & des provinces voisines. Bellovese eut pour son partage l'Italie ; ce dernier prit avec lui tout ce qu'il y avoit de trop chez les Bituriges, les Arverniens, les Sénonois, les Eduens, les Ambarres, les Carnutes & les Aulerques qui voulurent tenter fortune : il passa les Alpes avec cette multitude de différens Gaulois, qui ayant vaincu les Toscans assez près du Tessin, se fixerent dans cet endroit, & y bâtirent une ville qu'ils nommerent Milan.

Quelque tems après une autre bande de Cenomans conduits par un chef nommé Elitovius, marchant sur les traces déja frayées, passa les Alpes par le même chemin, & fut aidée des troupes du même Bellovese qui avoit amené les premiers Gaulois dans le Milanès ; ces derniers venus s'arrêterent dans le Bressan & dans le Véronois. Quelques auteurs leur attribuent l'origine & la fondation de Vérone, Padoue, Bresse, & autres villes de ces belles contrées qui subsistent encore aujourd'hui.

A la suite de ces deux émigrations se fit celle des Boyens & des Lingons qui vinrent par le grand Saint-Bernard, & qui trouvant occupé tout l'espace qui est entre les Alpes & le Pô, passerent ce fleuve, chasserent les Ombriens, de même que les Etrusques, & se tinrent néanmoins aux bords de l'Apennin. Les Sénonois qui leur succéderent se placerent depuis le Montoné jusqu'à l'Esino.

Environ deux cent ans après les premiers établissemens des Gaulois cisalpins, ils attirerent les transalpins, & leur donnerent entrée sur les terres de Rome ; tous ensemble marcherent à la capitale dont ils se rendirent les maîtres l'an 363 de sa fondation, & n'en firent qu'un monceau de ruines. Sans Manlius le capitole auroit été pris, & sans Camille on alloit leur payer de grandes contributions ; on pesoit déja l'or quand il parut à la tête des troupes du sénat : " Remportez cet or au capitole, dit-il aux députés ; & vous Gaulois, ajouta-t-il, retirez-vous avec vos poids & vos balances ; ce n'est qu'avec du fer que les Romains doivent recouvrer leur pays ". A ces mots on prit les armes de part & d'autre ; Camille défit Brennus & ses Gaulois, qui furent la plûpart tués sur la place, ou dans la fuite par les habitans des villages prochains.

Une nouvelle nuée de Gaulois rassemblés des bords de la mer Adriatique, s'avança vers Rome l'an 386 de sa fondation, pour vanger cette défaite de leurs compatriotes ; mais la victoire des romains ne fut ni difficile ni douteuse sous ce même Camille élevé pour la cinquieme fois à la dictature. Il périt un grand nombre de Gaulois sur le champ de bataille ; & le reste dispersé par la fuite, & sans se pouvoir rallier, fut assommé par les paysans.

L'on vit encore l'an 404 de Rome une armée de Gaulois se répandre sur les terres des Romains pour les ravager ; mais au combat particulier d'un de leurs chefs vaincu par Valerius surnommé Corvus, succéda le combat général qui eut les mêmes revers pour l'armée gauloise.

Depuis cette derniere époque, les Gaulois ne firent que de foibles & stériles efforts pour s'opposer à l'accroissement des Romains ; ceux-ci après les avoir éloignés de leur territoire, leur enleverent Picenum, le Milanès, le Bressan, le Véronois & la Marche d'Ancone. Si les succès d'Annibal ranimerent les espérances des Gaulois, ils furent bientôt contraints de les abandonner, & de partager pour toûjours le sort de cet allié : Rome maîtresse de Carthage porta ses armes en orient & en occident, & au milieu de ses triomphes subjugua toute la Gaule ; Jules-César eut l'honneur d'en consommer la conquête.

Il est vrai cependant que les Gaulois furent d'abord les ennemis les plus redoutables de Rome, & qu'ils soutinrent opiniâtrément les guerres les plus vives contre les Romains. L'amour de la gloire, le mépris de la mort, l'obstination pour vaincre, étoient les mêmes chez les deux peuples ; mais indépendamment des progrès rapides & merveilleux que les Romains firent dans l'art de la guerre, les armes étoient bien différentes ; le bouclier des Gaulois étoit petit, & leur épée mauvaise, aussi succomberent-ils sans-cesse ; & ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces peuples que les Romains rencontrerent dans presque tous les lieux & dans presque tous les tems, se laisserent détruire les uns après les autres, sans jamais connoître, chercher & prévenir la cause de leurs malheurs. Ils ne songerent point à se réunir pour leur défense mutuelle, & à se regarder comme formant une nation dont les intérêts étoient inséparables.

Enfin, la seule chose qui ait subsisté de tous les peuples Gaulois qui furent soûmis après leur établissement en Italie, c'est la conservation des noms de leurs divers pays que nous reconnoissons encore. Par exemple, nous voyons assez clairement que les Bituriges habitoient le Berry, les Arverniens l'Auvergne, les Sénonois Sens, Auxerre, & autres endroits voisins jusqu'à Paris ; les Eduens la Bourgogne, les Ambarres les environs de Châlons-sur-Saone, les Carnutes le pays Chartrain, les Aulerques une portion de la Bretagne, les Insubriens un canton de la Bourgogne, les Saliens la Provence, les Cénomans le Maine, les Salluviens le long du Rhône, les Boïens le Bourbonnois, les Lingons le pays de Langres, & les Vénetes le canton de Vannes en Bretagne.

Mais tous ces divers peuples étoient aussi barbares les uns que les autres ; la colonie des Grecs qui fonda Marseille six cent ans avant l'ere vulgaire, ne put ni polir ses voisins, ni étendre sa langue au-delà du territoire de la ville. Les dialectes du langage celtique étoient affreux ; l'empereur Julien sous qui ce langage se parloit encore, dit qu'il ressembloit au croassement des corbeaux.

On ignore jusqu'aux noms des dieux que se forgerent les Gaulois ; & si César donne à leurs divinités les noms qu'on leur donnoit à Rome, ce n'est sans-doute que parce qu'il avoit remarqué dans quelques-unes, quelque attribut ou quelque symbole ressemblant à ceux des dieux de son pays ; car dans le fond, les divinités des anciens Gaulois devoient être bien inconnues, soit aux Grecs, soit aux Romains, puisque Lucien dans un de ses dialogues fait dire à Mercure, qu'il ne sait comment s'y prendre pour inviter les dieux des Gaulois à se trouver à l'assemblée des autres dieux, parce qu'ignorant leur langue, il ne peut ni les entendre, ni se faire entendre d'eux. Il est vrai que depuis la conquête des Gaules par les Romains, tous les dieux d'Athènes & de Rome s'y introduisirent insensiblement, & prirent la place des anciens dieux du pays, ou du-moins se confondirent avec eux ; mais ce ne fut-là qu'un accroissement de superstitions.

Les moeurs des Gaulois du tems de César, étoient la barbarie même ; ils faisoient voeu, s'ils réchappoient d'une dangereuse maladie, d'un péril éminent, d'une bataille douteuse, d'immoler à leurs divinités tutélaires, des victimes humaines, persuadés qu'on ne pouvoit obtenir des dieux la vie d'un homme, que par la mort d'un autre. Ils avoient des sacrifices publics de ce genre, dont les Drüides qui gouvernoient la nation, étoient les ministres ; ces sacrificateurs brûloient des hommes dans de grandes & hideuses statues d'ozier faites exprès. Les drüidesses plongeoient des couteaux dans le coeur des prisonniers, & jugeoient de l'avenir par la maniere dont le sang couloit : de grandes pierres un peu creuses qu'on a trouvées sur les confins de la Germanie & de la Gaule, sont, à ce qu'on prétend, les autels où l'on faisoit ces sacrifices. Si cela est, voilà tous les monumens qui nous restent des Gaulois. Il faut, comme le dit M. de Voltaire, détourner les yeux de ces tems horribles qui font la honte de la nature. (D.J.)

* GAULOIS, (philosophie des) Voyez l'article CELTES, où l'on a exposé en même tems les opinions des Gaulois, des habitans de la grande-Bretagne, des Germains, & des nations septentrionales. Consultez aussi l'article DRUIDE.


GAUMINES. f. (Jurisprud.) mariage à la gaumine. On appelle ainsi les mariages contractés en présence du curé à la vérité, mais malgré lui, & sans aucune bénédiction, ni de lui, ni d'un autre. Mém. au sujet des mariages des protestans de France, 1755, page 82.


GAURES(LES) Littérat. sectateurs de Zoroastre en Perse & aux Indes ; ils ont pour cet ancien philosophe de l'antiquité la plus profonde vénération, le regardant comme le grand prophete que Dieu leur a envoyé pour leur communiquer sa loi, & les instruire de sa volonté. Disons un mot de leur état & de leur caractere.

Ceux de cette secte sont qualifiés en Perse du nom odieux de gaure, qui en arabe signifie infidele ; on le leur donne comme si c'étoit leur nom de nation, & c'est sous ce nom seul qu'ils sont connus dans ce pays-là. Quand on y parle d'un gaure, on entend toûjours un adorateur du feu, un ignicole, un idolatre par excellence.

Ils ont un fauxbourg à Ispahan capitale de Perse, qui est appellé Gaurabad ou la ville des G aures, & où ils sont employés aux plus basses & aux plus viles occupations. Quelques-uns sont dispersés en d'autres endroits de Perse, où l'on s'en sert aux mêmes offices ; mais le pays où il s'en trouve davantage, c'est le Kerman : comme cette province est la plus stérile & la plus mauvaise de toute la Perse, & que personne n'y veut demeurer, les mahométans leur ont permis d'y vivre librement, & d'y joüir des exercices de leur religion. Par-tout ailleurs les Perses les traitent avec le dernier mépris, & les regardent, par rapport à leur croyance, comme les pires de tous ceux qui différent d'eux ; c'est une chose admirable de voir avec quelle douceur, avec quelle patience, ces honnêtes gens-là supportent leur oppression.

Il y a quelques siecles que plusieurs gaures se refugierent aux Indes, & s'y fixerent aux environs de Surate, où leur postérité subsiste encore. Il y en a une colonie établie à Bombain, île de ces quartiers-là, qui appartient aux Anglois, & où plus que par-tout ailleurs, ils jouïssent d'une entiere liberté, sans être troublés le moins du monde dans l'exercice de leur religion.

Les Gaures sont ignorans, pauvres, simples, patiens, superstitieux à divers égards, d'une morale rigide, d'un procédé franc & sincere, & du reste très-zélés pour leurs rites. Ils font profession de croire la résurrection, le jugement dernier, & de n'adorer que Dieu seul. Quoiqu'ils pratiquent leur culte en présence du feu, & en se retournant vers le soleil levant, ils déclarent hautement qu'ils n'adorent ni l'un ni l'autre ; mais que ces deux êtres étant les symboles les plus exprès de la divinité, ils l'adorent en se tournant vers eux, & s'y tournent toûjours par cette seule raison. Si vous desirez de plus grands détails, voyez les voyages de Thévenot, de Tavernier, & sur-tout Thomas Hyde, rel. vet. Pers. c. xxjv. Il n'est point de persan qui ait mieux connu que ce savant anglois la religion de Zoroastre. (D.J.)

GAURE, (PAYS DE-) Gaurensis ou Verodunensis comitatus, (Géog.) contrée de la Gascogne dans l'Armagnac, renfermant le petit pays de Lomagne, dont Verdun est la capitale : ce pays est séparé du haut Languedoc par la Garonne. Selon quelques géographes, c'est le pays des Garites de César ; d'autres prétendent que les Garites étoient dans le territoire de Lectoure. M. de Valois n'a osé prendre parti entre ces deux opinions : des savans plus téméraires ou plus éclairés, pourront décider. (D.J.)


GAUTES. f. (Comm.) espece de boisseau dont les Maures se servent en quelques endroits des côtes de Barbarie, particulierement les Anledalis, tribus de Maures qui ne sont pas éloignées du Bastion de France. Il faut trente gautes pour faire une mesure qui est d'un cinquieme plus grande que celle de Genes. Dictionn. de Commerce, tome II. p. 1450.


GAUTIERSS. m. pl. terme de Riviere, voyez PERTUIS.


GAVASSINESS. f. pl. partie du métier d'étoffe de soie. La gavassine est une ficelle de moyenne grosseur, d'une aune de long, à laquelle on fait une boucle dans le milieu, pour le passage d'une corde de bonne grosseur, qu'on appelle gavassiniere. La gavassine a deux bouts, entre lesquels on place une petite corde qui fait partie de la gavassiniere, & qui sert à faciliter la tireuse dans le choix du lac.


GAVASSINIERES. f. partie du métier d'étoffe de soie ; c'est ainsi qu'on appelle l'assemblage d'une grosse corde & d'une petite qui descendent à côté du semple, auxquelles on enfile les gavassines. La gavassiniere est attachée à l'arbaleste.


GAVE(LE) Géog. ce nom est commun à plusieurs rivieres de Béarn, qui toutes ont leurs sources dans les Pyrénées, aux confins de l'Aragon : telles que sont le Gave d'Aspe, le Gave d'Ossan, le Gave d'Oléron, le Gave de Pau. La rapidité de ces Gaves est cause qu'ils ne portent point de bateaux ; mais ils sont très-poissonneux. (D.J.)


GAVETTES. f. (Tireur-d'or) c'est le nom qu'on donne au lingot d'or, après qu'il a déjà reçû quelques-unes des préparations qui doivent le mettre en fil-d'or.


GAVITEAUS. m. (Mar.) terme dont on se sert sur les côtes de Provence pour dire une bouée ; c'est un morceau de bois qu'on attache à l'orin de l'ancre, & qu'on laisse flotter pour faire connoître l'endroit où elle est mouillée. Voyez BOUEE.


GAVOTTES. f. (Musique) sorte de danse dont l'air a deux reprises, chacune de quatre, de huit, ou de plusieurs fois quatre mesures à deux tems ; chaque reprise doit toûjours commencer avec le second tems, & finir sur le premier. Le mouvement de la gavotte est ordinairement gracieux, souvent gai, quelquefois aussi tendre & lent. (S)

M. Rameau parmi nous a beaucoup réussi dans les gavottes.


GAYACS. m. gayacum. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit charnu & arrondi. Ce fruit renferme un ou plusieurs noyaux ovoïdes & revêtus d'une pulpe fort tendre. Plumier, nova plant. americ. gener. Voyez PLANTE. (I)

GAYAC, (Botan. exot.) genre de plante dont la fleur est en rose, c'est-à-dire composée de plusieurs pétales disposés en rose. Du milieu du calice s'éleve un pistil qui se change ensuite en un fruit charnu & arrondi, plein d'un ou de plusieurs osselets en forme d'oeufs, & enveloppés d'une pulpe très-tendre.

Le P. Plumier ne rapporte que deux especes de gayac, qu'il décrit dans son histoire manuscrite des plantes d'Amérique.

La premiere espece s'appelle gayac à fleurs bleues, dont le fruit est arrondi, guaiacum flore caerulaeo, fructu subrotundo, Plum. nov. gen. 39. ou guaiacum tetraphyllum, fructu singulari, ejusdem histor. mss. 86. pruno vel evonymo affinis arbor, folio alato, buxeo, subrotundo ; flore pentapetalo, cerulaeo, racemoso ; fructu aceris cordato, cujus cortex luteus, corrugatus, semen unicum, majusculum, nigricans, nullo ossiculo tectum operit. Sloane Cat. pl. Jamaïc.

Cette espece de gayac devient quelquefois un très-grand arbre ; quelquefois aussi n'est-il que médiocre ; différence qui procéde de la fertilité du terroir où il croit. Son tronc est le plus souvent cylindrique ; mais ceux qui se trouvent dans l'île de Saint-Domingue, du côté du port de Paix, ne sont pas tout-à-fait cylindriques ; car si on les coupe transversalement, leur section représente la figure d'une poire. Lorsqu'on regarde ces arbres de loin, ils ressemblent à nos chênes ; les jeunes sont couverts d'une écorce un peu ridée : ceux qui sont vieux ont l'écorce lisse, un peu épaisse, & se séparant en des lames minces ; elle est variée, ou de couleur pâle, parsemée de taches verdâtres & grisâtres. Le tronc de cet arbre a peu d'aubier, qui est pâle ; le coeur est de couleur verte d'olive, foncée & brune ; son bois est très-solide, huileux, pesant, d'une odeur qui n'est pas desagréable ; d'un goût amer & un peu acre. Ses branches ont beaucoup de noeuds ; & le plus souvent elles sont partagées en deux petits rameaux aussi noüeux, lesquels portent à chaque noeud deux petites côtes opposées, longues d'environ un pouce, & chargées de deux paires de feuilles, savoir, deux feuilles à l'extrémité, & deux autres vers le milieu. Chaque feuille est arrondie, longue d'environ un demi-pouce, large presque d'un pouce, lisse, ferme, compacte comme du parchemin, d'un vert pâle ; elles ont dessous cinq petites nervures un peu saillantes ; elles n'ont point de queue, si ce n'est la côte commune sur laquelle elles sont rangées ; leur couleur est un peu rouge à l'endroit de leur attache ; leur goût un peu acre & amer.

Les fleurs naissent à l'extrémité des rameaux ; elles sont en grand nombre, entiérement semblables & égales à celles du citronnier ; car elles sont composées de cinq feuilles de couleur bleue, disposées en rose sur un calice qui a aussi cinq feuilles verdâtres, du fond duquel s'éleve un pistil dont la figure est celle d'un coeur terminé en pointe, porté sur un pédicule un peu long. Ce pistil est accompagné d'environ vingt étamines bleues, qui ont chacune un petit sommet jaune : ce pistil devient dans la suite un fruit de la grandeur de l'ongle, charnu, qui a la figure d'un coeur, & un peu creusée en maniere de cuillier, d'une couleur de vermillon ou de cire rouge. Ce fruit renferme une seule graine dure, de la forme d'une olive, qui contient une amande plus petite que celle de l'olive, & enveloppée d'une pulpe fort tendre.

On trouve cet arbre à la Jamaïque, dans presque toutes les îles Antilles, & sur-tout dans celles de Saint-Domingue & de Sainte Croix, & en général dans la partie de l'Amérique qui est située sous la zone torride.

La seconde espece de gayac du P. Plumier, se nomme gayac à fleurs blanches dentelées, dont le fruit est quadrangulaire, gayacum flore caerulaeo, fimbriato, fructu tetragono, Plumier, nova plant. amer. jx. 39. ou guaiacum polyphyllum, fructu singulari, tetragono, ejusd. hist. mss. 87. hoaxacam seu lignum sanctum, Hernand. Les naturels d'Amérique le nomment hajacan, d'où est venu le nom de gayac qu'on lui donne en Europe.

Cette espece est moins haute que la précédente ; son bois est aussi solide & aussi pesant, mais de couleur de boüis : son écorce qui est un peu plus épaisse, est noirâtre en-dehors, parsemée de plusieurs taches grises & sillonnées de rides réticulaires & transversales ; elle est pâle au-dedans, & d'un goût legerement amer.

Ses branches sont disposées de la même maniere que dans la premiere espece ; elles sont de même noüeuses, & portent quatre ou cinq paires de feuilles plus minces, plus petites, & plus pointues, sur-tout les jeunes, soûtenues sur des côtes très-minces, vertes, & longues d'environ deux pouces.

Les fleurs sont entierement semblables & égales à celles de la premiere espece ; mais elles sont bleues & un peu dentelées. Les fruits sont de couleur de cire, quadrangulaires comme ceux de nôtre fusain, partagés intérieurement en quatre loges, dans chacune desquelles est contenue une seule graine osseuse, rouge, qui a presque la figure d'une olive.

Cette seconde espece de gayac est très-fréquente dans l'île de Saint-Domingue, aux environs du port de Paix. Ces arbres fleurissent au mois d'Avril, & donnent des fruits mûrs au mois de Juin.

On ne réussit qu'avec bien de la peine & du tems à élever cette plante dans nos climats. Il faut d'abord pour le succès, que sa graine semée sur les lieux dans un petit pot de terre allongé, nous parvienne en été. Il faut éviter soigneusement de les trop arroser en route ; à leur arrivée, il faut ôter du petit pot la jeune plante, en conservant un peu de terre autour de ses racines : ensuite on la transportera de cette façon dans un nouveau pot rempli de terre préparée, riche, & fraîche ; on plongera ce pot dans un lit de tan propre à faire pousser les petites racines, afin qu'elles puissent subsister & passer l'hyver. Dès le mois de Septembre ou d'Octobre, on mettra la plante dans la serre, & on la placera à une chaleur qui soit de vingt degrés au-dessus du tempéré. Les arrosemens seront fréquens, mais très-legers ; on nettoyera les feuilles de tems en tems de la saleté qui se loge sur leur surface. Au commencement de l'été, on donnera de l'air à la plante, en ouvrant les fenêtres de la serre à moitié, & seulement dans le fort de la chaleur : mais on ne sortira point les pots de la serre, à moins que ce ne soit pour peu d'heures ; & on n'y manquera pas dans le tems des ondées de pluies chaudes qui la feront prospérer.

Voilà les soins & les précautions avec lesquelles Miller est parvenu à élever des arbres de gayac dans le jardin de medecine de Chelséa : il en avoit déjà quelques-uns assez avancés en 1726. On sait que dans le pays natal même, ils croissent très-lentement ; ils ne jettent point de résine dans nos climats.

Personne n'ignore l'usage qu'on fait en Europe du bois, de l'écorce & des larmes résineuses qui découlent des gayacs d'Amérique ; lisez à ce sujet les articles suivans. (D.J.)

GAYAC, (Chim. Mat. med.) le gayac ou bois saint, lignum sanctum, a été connu en Europe à-peu-près dans le même tems que la maladie vénérienne, par le secours qu'on en tira contre cette maladie, avant que l'on eût trouvé la maniere de la traiter plus efficacement par le mercure. On nous assure que dans les pays chauds, dans l'Amérique méridionale, par exemple, le gayac est un spécifique aussi éprouvé contre la vérole, que le mercure l'est dans nos climats. Quoi qu'il en soit, nous ne l'employons que dans le traitement des maladies vénériennes legeres ou particulieres à certains organes, dans celles qui sont censées n'avoir point infecté la masse entiere des humeurs, ou du-moins n'y avoir répandu qu'une petite quantité de virus qui peut être évacué par les couloirs de la peau : c'est cette excrétion que le gayac détermine particulierement. Ce remede est un sudorifique très-actif ; il fait la base ou le principal ingrédient des remedes sudorifiques composés, que l'on employe dans les traitemens de diverses maladies chroniques, comme dartres, tumeurs froides, oedèmes, fleurs-blanches, rhûmatisme, paralysie, vieux ulceres humides & sanieux. Voyez ces articles & l'art. MALADIES VENERIENNES. C'est sous la forme de tisane qu'on le prescrit ordinairement dans ces derniers cas, aussi-bien que dans les maladies vénériennes (voyez TISANE) : on l'ordonne ou seul ou mêlé avec d'autres sudorifiques, & même avec des purgatifs (voyez SUDORIFIQUE & PURGATIF) ; on le fait entrer dans ces tisanes composées, ou dans la décoction simple depuis deux gros jusqu'à demi-once par livre d'eau ; & le malade convenablement préparé, en prend trois, quatre, ou cinq verres par jour.

Le bois de gayac est très-résineux, & contient une fort petite quantité d'extrait proprement dit. Voyez EXTRAIT & RESINE. Ceci a fait croire à quelques chimistes que l'eau ne pouvoit point se charger des parties médicamenteuses de ce corps, & qu'on le feroit bouillir en-vain dans les menstrues aqueux : cette prétention est démentie par l'expérience ; une courte ébullition suffit pour obtenir du gayac, par le moyen de l'eau, une substance d'un goût vif & piquant, & qui étant retirée par l'évaporation, séchée, & pulvérisée, est sternutatoire, selon l'observation d'Hoffman. Voyez Fr. Hoffman, observat. physico-chimic. l. I. observat. xxj. Selon cet auteur, l'extrait de gayac est d'une odeur balsamique & agréable, & d'une saveur vive & piquante. Il est en petite quantité en comparaison de la résine que l'on retire du gayac par l'application de l'esprit-de-vin : car le gayac fournir plus de deux onces de résine par livre ; au lieu qu'il fournit à peine un ou deux gros d'extrait, par des décoctions longues & répétées : cela n'empêche point que la décoction & l'extrait de gayac ne soient des remedes plus actifs que sa résine ou sa teinture ; le goût & la vertu sternutatoire de l'extrait décident en sa faveur, aussi-bien que l'expérience. La résine du gayac est presque insipide, & elle n'est point sternutatoire ; elle a passé pourtant pour un préservatif contre les maladies vénériennes, summum adversus luis venereae virus praesidium alexipharmacum, dit Hoffman dans la dissertation que nous venons de citer.

On réduit le bois de gayac en rapure, lorsqu'on veut en faire la décoction, ou en tirer la teinture.

On trouve encore dans les boutiques l'écorce de gayac, que quelques-uns assûrent avoir les mêmes vertus que le bois, & même de plus grandes, nous nous en servons fort peu, quoique vraisemblablement elle puisse très-bien suppléer au bois.

On nous apporte aussi une résine qui découle de l'arbre de gayac, & que l'on appelle improprement dans les boutiques gomme de gayac ; elle est brune en-dehors, quelquefois blanche, tantôt roussâtre & tantôt verdâtre en-dedans, d'un goût un peu acre, d'une odeur très-agréable quand on la brûle ; elle est fort analogue avec celle qu'on tire du gayac par le moyen de l'esprit-de-vin.

L'extrait de gayac entre dans les pilules de Bécher, & la résine dans la thériaque céleste.

Le gayac donne dans la distillation à la violence du feu un phlegme insipide, un esprit qui donne des marques d'acidité & d'alkalicité, une huile ténue, limpide, jaune, qui nage sur l'eau ; une huile noire, très-épaisse, plus pesante que l'eau ; une grande quantité d'air, & une quantité considérable d'un charbon dur & sonnant. Nous ne ferons point ici des observations sur cette analyse, parce que c'est celle-la même que nous choisirons au mot VEGETAL, pour exemple de l'analyse des bois durs. Voyez VEGETAL. (b)

GAYAC, (GOMME DE-) Hist. des drogues ; nom impropre qu'on donne dans les boutiques des Droguistes, à la résine qui découle de l'arbre gayac ; cette résine bien choisie doit être nette, luisante, transparente ; elle est brune en-dehors, blanche en-dedans, tantôt roussâtre, tantôt verdâtre, friable, d'un goût un peu acre, d'une odeur agréable de résine quand on l'écrase ou quand on la brûle, & qui approche de celle du bois de gayac ; sa dose est depuis un scrupule jusqu'à trois ; elle passe pour exciter puissamment la transpiration insensible, & pour être propre aux maladies de la peau qui naissent de l'obstruction des glandes miliaires.

On peut tirer aussi du gayac une substance gommeuse, en faisant bouillir long-tems dans de l'eau commune, de la rapure de gayac. Alors après avoir fait épaissir cette décoction sur le feu, il reste au fond du vaisseau une résine épaisse, d'une odeur balsamique, & d'un goût legerement acre. Cette substance sechée, pulvérisée, & tirée par le nez, irrite vivement la membrane pituitaire, & fait évacuer le phlegme qui est logé dans cet endroit. Hoffman préféroit ce remede à tous les sternutatoires, & lui attribuoit en même tems une vertu corroborative : mais Hoffman vantoit beaucoup tous les remedes qu'il composoit lui-même. (D.J.)


GAYERterme de Riviere, pour exprimer combien un bateau prend d'eau : le grand-maître gaye sept piés d'eau.


GAZAILLE(Jurisprud.) en quelques pays signifie un bail de bestiaux. Voyez la coûtume de Saint-Sever, tit. iij. art. 13. le for de Navarre, tit. xvj. art. dernier ; la Roche-Flavin, des droits seigneur. p. 90. Caseneuve, au mot gain. (A)


GAZES. f. (Manufactur.) tissu leger ou tout de fil, ou tout de soie, ou fil & soie, travaillé à claire voie, & percé de trous comme le tissu de crin dont on fait les cribles : la fabrication de cette espece d'étoffe ou de toile est très-ingénieuse ; ceux qui en ont parlé n'ont pas considéré le métier d'assez près ; & à juger de la gaze par ce qu'on en lit dans le dictionnaire du Commerce, il est bien difficile de la distinguer de la toile ou du satin.

Pour fabriquer la gaze, il faut commencer par disposer la chaîne comme si on avoit à fabriquer une autre étoffe de soie ; je veux dire la devider sur l'ourdissoir (Voyez l'article OURDISSOIR) ; la porter de l'ourdissoir sur le plioir (Voyez l'article PLIOIR) ; & du plioir sur les ensuples ; l'encroiser, & achever le montage du métier.

Le métier du gazier ne differe guere des autres métiers de la fabrique des étoffes en soie, soit unies soit figurées ; & il se monte exactement de la même maniere. Il y a lecture du dessein ; gravassine, gravassiniere, lacs, semple, rame, tirage, &c. Voyez à l'art. SOIE, le travail des étoffes en soie ; voyez sur-tout l'article VELOURS CISELE, FRISE, & de plusieurs couleurs.

Quoique nous renvoyons ici à un grand nombre d'articles étrangers à la gaze, cela n'empêchera point que nous ne fassions entendre très-distinctement la différence qu'il y a entre la fabrication de cette étoffe & celle de la toile ou du satin. Pour cet effet, laissant-là toutes les manoeuvres qui sont communes au gazier, au tisserand, & au manufacturier d'étoffes en soie, nous nous attacherons à celles qui lui sont propres ; & nous insisterons sur la partie qui distingue son métier des autres métiers à ourdir.

Cette partie est une lisse qui porte des petits grains de chapelets qu'on appelle des perles. C'est la fonction de cette lisse qui empêche que la gaze unie ne soit une toile ou un satin, & qui en fait une gaze : c'est ce que nous allons démontrer de la maniere la plus simple & la plus claire.

Si vous comparez nos Planches I. & II. du Gazier avec nos Planches du Manufacturier en soie, vous appercevrez d'un coup-d'oeil ce qu'il y a de commun entre le métier à gaze & les autres métiers à ourdissage : mais pour bien entendre la fabrication de la gaze, il suffit de s'occuper de la III. Pl. Voyez donc cette Planche.

Les cylindres A B, a b, (fig. 1. Pl. IV.) sont les ensuples ; A B est celle de devant ; a b une de celles de derriere. 1, 2 ; 1, 2 ; 1, 2 ; 1, 2, sont les fils de la chaîne portés sur les deux ensuples : c, c ; c, c ; c, c, &c.... représentent les dents du peigne : d, d, e, e, e, e, la lisse avec ses perles ; f, f, g, g, g, g, une autre lisse avec des annelets de verre qu'on appelle des maillons ; h h, i i, les bâtons d'encroix.

On voit que les fils de chaîne 1, 1, 1, &c. passent dans les perles e, e, e, e, & dans les maillons g, g, g, g, & qu'ils sont placés sur les ensuples de maniere qu'ils se croisent aux points k, k, k, k. D'où il suit que, si nous supposons que la lisse d, d, soit levée, les fils de chaîne restant dans leurs situations relatives ; les fils 1, 1, 1, 1, feront angle avec les fils 2, 2, 2, 2, le fil 1 devant le fil 2, le fil 1 devant le fil 2, le fil 1 devant le fil 2, & ainsi de suite, comme ils sont rangés sur les ensuples. Donc, si le fil l, l, l, l, l, m, m, m, m, m, &c. représente un fil de trame, & que le gazier ait donné un coup de navette de droite à gauche, ce fil de trame sera pris en l, l, l, l, entre les fils de chaîne, comme on voit fig. 2. même Pl.

Mais si on laisse retomber la lisse d d, & qu'on fasse lever la lisse f, f, comme on voit fig. 2. même Pl. qu'arrivera-t-il ? que les fils de chaîne 1, 1, 1, 1, &c. ne garderont plus leurs situations relatives avec les fils 2, 2, 2, 2, que ces fils 1, 1, 1, 1, passeront de l'autre côté des fils 2, 2, 2, 2 ; que les fils 2, 2, 2, 2 ; feront angle avec les fils 1, 1, 1, 1, le fil 2 devant le fil 1, le fil 2 devant le fil 1, le fil 2 devant le fil 1, & ainsi de suite ; & que, si l'ouvrier donne un second coup de navette de gauche à droite, le fil de trame l, l, l, l, m, m, m, m, &c. sera pris entre les fils de chaîne, comme on le voit fig. 2. en m, m, m, m ; il y aura donc entre ces deux coups de navette, ou la portion du fil de trame l, l, l, l, & la portion du même fil m, m, m, m, une espece d'encroix 0, 0, 0, 0, ou de tour des fils de chaîne 1, 1, 1, 1, sur les fils de chaîne 2, 2, 2, 2, qui tient les portions de fil de trame séparées, & qui ne leur permet jamais de s'approcher, & de former un tissu serré comme il est à la toile & au satin : c'est ce tour ou cet encroix & le déplacement alternatif des fils de chaîne qui écartent les coups de navette ou les portions de fil de trame ; & c'est cet écart qui forme les trous ou claires voies de la gaze.

Qu'on laisse retomber la lisse f f, & qu'on fasse lever la lisse d d, comme on la voit fig. 3. même Pl. les fils de chaîne reprendront leur position relative aussi-tôt que la lisse f f sera retombée, & les fils 1, 1, 1, 1, feront angle avec les fils 2, 2, 2, 2 ; de maniere que le fil 1 soit devant le fil 2, le fil 1 devant le fil 2, le fil 1, devant le fil 2, & ainsi de suite, comme il est arrivé figure 1. Donc si l'ouvrier donne un troisieme coup de navette de droite à gauche, le fil de trame se trouvera pris, comme on le voit figure 3. en n, n, n, n ; ensorte que la portion m, m, m, m, de ce fil se trouvera séparée de la portion n, n, n, comme celle-ci l'étoit de la premiere l, l, l, l, par un tour ou espece d'encroix p, p, p, p, qui empêchera que le coup de battant ne puisse tenir les portions de trame m, m, m, m, & n, n, n, n, approchées ; ce qui donnera lieu à une nouvelle rangée de trous.

Ainsi à chaque coup de navette, chaque fil de chaîne 1, 1, 1, 1, faisant par le moyen de la lisse à perle & de la lisse à maillon, sur chaque autre fil de chaîne 2, 2, 2, 2, une espece de tour ou d'encroix, ces fils ne pourront jamais être serrés ; ces tours ou encroix les tiendront séparés ; & à l'aide de ces séparations, il y aura à chaque coup de navette une rangée de petits espaces vuides entre chaque portion de fil de trame & de chaîne ; ce qui fera la claire voie de la gaze.

Voici en un mot tout le mystere de la gaze expliqué, sans même qu'il soit besoin de figures. Imaginez des fils horisontaux & paralleles les uns aux autres, comme sur le métier du tisserand ; soit le premier de ces fils nommé a, le second b, le troisieme a, le quatrieme b, le cinquieme a, le sixieme b, & ainsi de suite : si vous faites lever tous les fils a, a, a, a, les fils b, b, b, b, restant horisontaux & paralleles, & que vous donniez un coup de navette, ou que vous passiez un fil de trame ; que vous fassiez baisser les fils a, a, a, a ; & que les laissant horisontaux & paralleles, vous fassiez lever les fils b, b, b, b ; & que vous donniez un second coup de navette, ou que vous passiez un fil de trame ; il est clair que le battant pressera l'une contre l'autre ces deux portions des fils de trame ; & que vous ferez de la toile, en continuant toûjours ainsi.

Mais si, après avoir fait lever les fils a, a, a, a ; laissé les fils b, b, b, b, dans la situation horisontale & parallele ; donné un coup de trame, & laissé retomber les fils a, a, a, a ; au lieu de lever les fils b, b, b, b, vous levez une seconde fois a, a, a, a, mais en les faisant passer de l'autre côté des fils b, b, b, b : ensorte qu'au lieu de se trouver dans la situation a b, a b, a b, a b, comme au premier coup de navette, ils se trouvent au second coup de navette dans la situation b a, b a, b a, b a ; il est évident que les fils b, b, b, b, seront toûjours restés immobiles & paralleles ; mais que les fils a, a, a, a, auront perpétuellement serpenté sur eux une fois en-dessus, une fois en-dessous ; une fois en-dessus ; une fois en-dessous, de gauche à droite, de droite à gauche ; & que ces petits serpentemens des fils a, a, a, a, empêcheront les fils de trame lancés à chaque coup de navette, de se serrer, & d'être voisins ; ce qui fera une toile à claire voie.

Or c'est précisément là ce qui s'exécute par le moyen de la lisse à perle & de la lisse à maillon : aussi ces perles sont-elles enfilées dans des brins de fil ou de soie d'une certaine longueur ; afin que quand on leve la lisse à maillon 7 comme on voit fig. 2. ces brins de fils puissent faire boucle autour des fils de chaîne qui restent immobiles, ne point gêner ces fils, & leur laisser bien leur parallélisme.

Outre ces deux lisses, il y en a une troisieme au métier de tisserand ; cette lisse est pour le fond. L'on distingue donc dans la fabrication de la gaze trois pas ; le pas de gaze, le pas de fond, & le pas dur.

Voilà pour les gazes unies ; & ce qu'il falloit savoir pour distinguer le métier & la manoeuvre du gazier de tout autre ourdissage.

Quant aux gazes figurées, brochées, elles s'exécutent comme toutes les autres étoffes figurées, tantôt à la petite tire, tantôt à la grande tire. Le brocher se fait à l'espolin à l'ordinaire : il faut autant d'espolins que de couleurs : les couleurs se placent par le moyen de la lecture, du rame, & du semple, ainsi que nous l'avons dit & que nous le démontrerons avec clarté aux étoffes de la manufacture en soie ; le brocher se fait en-dessus.

Comme les fils du brocher s'étendent sur toute la largeur de l'étoffe, quoiqu'ils ne soient pas entre les fils de chaîne qu'en quelques endroits ; on n'apperçoit point le dessein, & toutes les façons ou figures sont cachées, tant que la piece de gaze est sur le métier : mais quand la piece est levée de dessus le métier, on la donne à des ouvrieres appellées coupeuses, qui étendent la piece sur deux ensuples placées & retenues aux deux extrémités d'un chassis de bois qu'on voit Pl. III. & qu'on appelle le découpoir : elles se rangent assises autour du découpoir comme autour d'une table ; & avec des forces ou ciseaux d'un demi-pié de long, elles enlevent toutes les soies inutiles ou portions de fils non compris entre les fils de chaîne, & font paroître la figure.

Ces lacis ou portions de fils non compris entre les fils de chaîne & superflus, s'appellent recoupes ; c'est une belle matiere ; c'est tout fil, ou c'est du fil & de la soie mêlés : on ne lui a encore trouvé aucun usage. J'ai bien de la peine à croire qu'elle n'en puisse avoir aucun, & que l'industrieuse économie des Chinois ne parvînt pas à en tirer parti : on en feroit des magasins à très-peu de frais dans ce pays-ci où les ouvrieres la brûlent.

Celui qui imagina la lisse à perle ; qui fit serpenter ainsi un fil de chaîne sur son voisin ; & qui vit que ce serpentement écartoit les fils de chaîne les uns des autres ; empêchoit les fils de trame d'être approchés par le coup de battant, & formoit de cette maniere un tissu criblé de trous, eut le génie de son art.

GAZE DE COS, (Hist. anc. des Arts) coa vestis, dans Tibulle & dans Properce, qui dit, & tenues coâ veste movere sinus : Horace l'appelle coa purpura. Cette gaze avoit été inventée par une femme nommée Pamphila ; car, selon la remarque de Pline, il ne faut pas frustrer cette femme de la gloire qui lui appartient, d'avoir trouvé ce merveilleux secret de faire que les habits montrent les femmes toutes nues, non fraudanda gloria excogitatae rationis, ut denudet feminas vestis, hist. nat. lib. XI. cap. xxij.

En effet, cette étoffe étoit si déliée, si transparente, qu'elle laissoit voir le corps comme à nud ; c'est pourquoi Varron appelloit les habits qui en étoient faits, vitreas togas : Publius Syrus les nomme joliment ventum textilem, du vent tissu, & nebulam lineam, une nuée de lin ; aequum est, dit-il, induere nuptam ventum textilem, & palàm prostare nudam in nebulâ lineâ ; " Est-il honnête qu'une femme mariée porte " des habits de vent, & paroisse nue sous une nuée de lin ? Cependant les femmes & les filles d'Orient, & en particulier celles de Jérusalem, étoient vêtues d'habits semblables à la gaze de Cos, & qu'Isaïe nomme , interlucentes laconicas.

On faisoit la gaze de Cos d'une soie très-fine qu'on teignoit en pourpre avant que de l'employer, parce qu'après que la gaze étoit faite, elle n'avoit pas assez de corps pour souffrir la teinture ; c'étoit à Misiras, aujourd'hui Mascari, tout auprès de l'île de Cos, qu'on pêchoit les huîtres qui produisoient cette pourpre dont on teignoit la gaze, pour en rendre encore les habits plus précieux.

Il est vrai qu'il n'y avoit dans les commencemens que les courtisannes qui osassent mettre à Rome de tels habits ; mais les honnêtes femmes ne tarderent pas à les imiter ; la mode en subsistoit même encore du tems de S. Jerôme : car écrivant à Loeta sur l'éducation de sa fille, il recommande ut talia vestimenta paret quibus pellatur frigus, non quibus vestita corpora nudentur.

Horace dans une de ses odes, ode 13. liv. IV. traite Lycé, une de ses anciennes maîtresses, de ridicule, de ce qu'elle portoit des habits transparens de Cos, pour faire la jeune : nec coae referunt jam tibi purpurae ; " croyez-moi, lui dit-il, ces habits de gaze de Cos ne vous conviennent plus ". (D.J.)

GAZE, (Géog.) ancienne ville d'Asie dans la Palestine, à environ une lieue de la mer, avec un port qu'on appelle la nouvelle Gaze, Majama, & Constantia. Il y a près de la ville un château qui est la résidence d'un pacha ; elle est à vingt lieues de Jérusalem. Long. 52. 30. latit. 31. 28.

Nous avons encore des médailles de Gaze, qui prouvent que quand S. Luc (Act. VIII. vers. 26.) dit que cette ville étoit , ce mot ne doit point signifier deserte, mais comme l'entend Hesychius, , c'est-à-dire démantelée. Gaze en hébreu signifie forte, fortifiée, & munie. En effet la ville de Gaze étoit très-forte, au rapport de Méla, d'Arrien, & de Quinte-Curce, liv. IV. (D.J.)


GAZELLES. f. gazella, animal quadrupede à pié fourchu ; il y en a de différentes espèces. M. Perraut a donné la description de sept gazelles d'Afrique, dont la plus grande étoit de la taille & de la figure d'un chevreuil ; elles avoient le poil aussi court. Cet animal étoit blanc sur le ventre & sur l'estomac, noirâtre sur la queue, & brun le long d'une bande, qui s'étendoit depuis l'oeil jusqu'au museau, & fauve sur tout le reste du corps. La peau étoit très-noire & très-luisante. Toutes ces gazelles avoient les oreilles grandes & pelées en-dedans, où la peau étoit noire & polie comme de l'ébene ; les yeux étoient grands & noirs ; les cornes étoient aussi noires, cannelées en-travers, creuses jusqu'à la moitié de leur longueur, pointues à l'extrémité, assez droites, mais un peu tournées en-dehors vers le milieu ; elles se rapprochoient par le bout, comme les branches d'une lyre ; elles avoient quinze pouces de longueur & dix lignes de diametre par le bas ; elles étoient rondes dans les femelles, un peu applaties dans les mâles, & plus recourbées en-arriere : le museau ressembloit au museau des chevres ; celui des mâles étoit plus camus que celui des femelles. Il y avoit sur le palais une peau dure en forme d'écailles, & au-dedans des levres, quantité de papilles.

Les gazelles ruminent ; celles dont il s'agit ici n'avoient point de dents incisives à la mâchoire supérieure ; les dents du bas étoient au nombre de huit, plus larges à l'extrémité qu'à la racine : les deux du milieu avoient autant de largeur que les six autres prises ensemble. La queue des femelles étoit garnie d'un poil long & noirâtre, plate & large à son origine, plus étroite à l'extrémité, dont le poil descendoit jusqu'au jarret & étoit dur comme du crin : dans les mâles, il se trouvoit plus doux & seulement un peu plus long que le poil du reste du corps. Il y avoit sur les jambes de devant, au-dessous du genou, un poil plus dur & plus long que celui du reste de la jambe ; il étoit couché à droite & à gauche comme l'épi d'un cheval ; & dans cet endroit la peau étoit plus épaisse qu'ailleurs. Le devant des piés étoit formé par les ergots, & le derriere par la peau qui formoit la plante du pié, & n'étoit pas défendue par la corne des ergots, comme dans le cerf, le chevreuil, & les autres animaux à pié fourchu. Les piés des gazelles étoient fendus d'une maniere particuliere ; les deux ergots pouvoient s'éloigner beaucoup l'un de l'autre, & étoient joints par une peau qui s'étendoit aisément ; il n'y avoit que deux mammelles & deux mamelons. Il se trouvoit à côté & au-dessous de chaque mammelle, dans les aînes, deux cavités ou poches peu profondes dont la peau étoit sans poil & parsemée de grains formés par de petites glandes, & percées dans le milieu d'où il sortoit une matiere onctueuse. Mém. pour servir à l'hist. naturelle des anim. premiere partie. (I)


GAZETIERS. m. (Hist. mod.) celui qui écrit une gazette ; un bon gazetier doit être promtement instruit, véridique, impartial, simple & correct dans son style ; cela signifie que les bons gazetiers sont très-rares.


GAZETTES. f. (Hist. mod.) relation des affaires publiques. Ce fut au commencement du xvije. siecle que cet usage utile fut inventé à Venise, dans le tems que l'Italie étoit encore le centre des négociations de l'Europe, & que Venise étoit toûjours l'asyle de la liberté. On appella ces feuilles qu'on donnoit une fois par semaine, gazettes, du nom de gazetta, petite monnoie revenante à un de nos demi-sous, qui avoit cours alors à Venise. Cet exemple fut ensuite imité dans toutes les grandes villes de l'Europe.

De tels journaux étoient établis à la Chine de tems immémorial ; on y imprime tous les jours la gazette de l'empire par ordre de la cour. Si cette gazette est vraie, il est à croire que toutes les vérités n'y sont pas. Aussi ne doivent-elles pas y être.

Le medecin Théophraste Renaudot donna en France les premieres gazettes en 1631 ; & il en eut le privilége, qui a été long-tems un patrimoine de sa famille. Ce privilége est devenu un objet important dans Amsterdam ; & la plûpart des gazettes des Provinces-Unies sont encore un revenu pour plusieurs familles de magistrats, qui payent les écrivains. La seule ville de Londres a plus de douze gazettes par semaine. On ne peut les imprimer que sur du papier timbré, ce qui n'est pas une taxe indifférente pour l'état.

Les gazettes de la Chine ne regardent que cet empire ; celles de l'Europe embrassent l'univers. Quoiqu'elles soient souvent remplies de fausses nouvelles, elles peuvent cependant fournir de bons matériaux pour l'Histoire ; parce que d'ordinaire les erreurs d'une gazette sont rectifiées par les suivantes, & qu'on y trouve presque toutes les pieces authentiques que les souverains mêmes y font insérer. Les gazettes de France ont toûjours été revûes par le ministere. C'est pourquoi les auteurs ont toûjours employé certaines formules qui ne paroissent pas être dans les bienséances de la société, en ne donnant le titre de monsieur qu'à certaines personnes, & celui de sieur aux autres ; les auteurs ont oublié qu'ils ne parloient pas au nom du Roi. Ces journaux publics n'ont d'ailleurs été jamais souillés par la médisance, & ont été toûjours assez correctement écrits. Il n'en est pas de même des gazettes étrangeres. Celles de Londres, excepté celles de la cour, sont souvent remplies de cette indécence que la liberté de la nation autorise. Les gazettes françoises faites en pays étranger ont été rarement écrites avec pureté, & n'ont pas peu servi quelquefois à corrompre la langue. Un des grands défauts qui s'y sont glisses, c'est que les auteurs, en voyant la teneur des arrêts du conseil de France qui s'expriment suivant les anciennes formules, ont cru que ces formules étoient conformes à notre syntaxe, & ils les ont imitées dans leurs narrations ; c'est comme si un historien romain eût employé le style de la loi des douze tables. Ce n'est que dans le style des lois qu'il est permis de dire, le Roi auroit reconnu, le Roi auroit établi une loterie. Mais il faut que le gazetier dise, nous apprenons que le Roi a établi, & non pas auroit établi une loterie, &c... nous apprenons que les François ont pris Minorque, & non pas auroient pris Minorque. Le style de ces écrits doit être de la plus grande simplicité, les épithetes y sont ridicules. Si le parlement a une audience du Roi, il ne faut pas dire, cet auguste corps a eu une audience, ces peres de la patrie sont revenus à cinq heures précises. On ne doit jamais prodiguer ces titres ; il ne faut les donner que dans les occasions où ils sont nécessaires. Son altesse dîna avec Sa Majesté, & Sa Majesté mena ensuite son altesse à la comédie, après quoi son altesse joüa avec Sa Majesté ; & les autres altesses & leurs excellences messieurs les ambassadeurs assisterent au repas que Sa Majesté donna à leurs altesses. C'est une affectation servile qu'il faut éviter. Il n'est pas nécessaire de dire que les termes injurieux ne doivent jamais être employés, sous quelque prétexte que ce puisse être.

A l'imitation des gazettes politiques, on commença en France à imprimer des gazettes littéraires en 1665 ; car les premiers journaux ne furent en effet que de simples annonces des livres nouveaux imprimés en Europe ; bien-tôt après on y joignit une critique raisonnée. Elle déplut à plusieurs auteurs, toute modérée qu'elle étoit. Nous ne voulons point anticiper ici l'art. JOURNAL ; nous ne parlerons que de ces gazettes littéraires, dont on surchargea le public, qui avoit déjà de nombreux journaux de tous les pays de l'Europe, où les sciences sont cultivées. Ces gazettes parurent vers l'an 1723 à Paris sous plusieurs noms différens, nouvelliste du Parnasse, observations sur les écrits modernes, &c. La plûpart ont été faites uniquement pour gagner de l'argent ; & comme on n'en gagne point à loüer des auteurs, la satyre fit d'ordinaire le fonds de ces écrits. On y mêla souvent des personnalités odieuses ; la malignité en procura le débit ; mais la raison & le bon goût qui prévalent toûjours à la longue, les firent tomber dans le mépris & dans l'oubli. ARTICLE DE M. DE VOLTAIRE.

Une espece de gazette très utile dans une grande ville, & dont Londres a donné l'exemple, est celle dans laquelle on annonce aux citoyens tout ce qui doit se faire dans la semaine pour leur intérêt ou pour leur amusement ; les spectacles, les ouvrages nouveaux en tout genre ; tout ce que les particuliers veulent vendre ou acheter ; le prix des effets commerçables, celui des denrées ; en un mot tout ce qui peut contribuer aux commodités de la vie. Paris a imité en partie cet exemple depuis quelques années. Article de M. DE VOLTAIRE.


GAZIES. f. (Hist. mod.) nom que les princes mahométans donnent à l'assemblée des troupes qu'ils levent pour la propagation de leur religion ; comme les Chrétiens ont appellé croisades leurs guerres saintes. Ils arborent l'étendard de la religion ; & c'en est assez pour lever en peu de tems des armées formidables. Vers l'an 1200 Almansor II. passa d'Afrique en Espagne avec une armée de quatre cent mille hommes qu'il avoit assemblés de cette maniere.


GAZIERle fabriquant ou le marchand de gaze. Ceux qui fabriquent la gaze à Paris sont du nombre des Ferrandiniers, qui, quoique formant un même corps, sont divisés en deux sociétés : savoir, ceux qui ne font que des ferrandines, & qui ont retenu le nom de Ferrandiniers, & ceux qui ne travaillent qu'en gazes, & qui se font appeller Gaziers ou Gazetiers. Voyez FERRANDINES.


GAZNAH(Géog.) ville d'Asie en Perse, & dans la province de Zablestan. Nassir Edden & Vlug Beig lui donnent 104d. 20'. de long. & 33.d. 35'. de latit. (D.J.)


GAZONS. m. (Agricult.) motte plus ou moins grande de terre fraîche, molle, garnie d'une herbe courte & touffue. Le gazon est l'objet de la campagne le plus agréable aux yeux ; c'est le plus grand ornement des parterres & des jardins de propreté.

Il naît de lui-même dans un terrein favorable, ou bien il vient par culture ; la culture se fait de graine ou de placage. Parlons de ces deux manieres de culture, & tirons nos instructions du pays qui joüit des plus beaux gazons du monde.

Pour faire un gazon de graine, on prépare en Angleterre le terrein qu'on destine à ce gazon. On le nivelle, on l'épierre, on le beche, on le laboure, en sorte que la terre en soit bien ameublie ; on la passe au rateau, on en casse les mottes, on en unit la surface, & on répand dessus un ou deux pouces d'épaisseur de bon terreau, pour faciliter encore mieux la levée du gazon.

La semence ordinaire du gazon est de graine de bas-pré, choisie dans les plus belles communes, & dans celles où l'herbe est la plus fine & la moins mélangée. On seme dans la terre préparée cette graine fort épaisse, afin que le gazon qui en naîtra le soit aussi. On couvre d'un peu de terre humide cette graine, pour empêcher qu'elle ne soit point dissipée par les vents.

On choisit même un tems calme pour semer le gazon, parce que lorsqu'il vente, la graine qui est fort legere, s'envole, & tombe sur terre par tas, au lieu d'être également distribuée.

On seme le gazon au milieu du jour, & quand le tems est à la pluie, parce qu'il épargne la peine des arrosemens ; outre que la pluie venant à tomber, plombe la terre, & fait lever la graine beaucoup plutôt.

On préfere, pour semer du gazon, le commencement du printems ou de l'automne, c'est-à-dire des mois de Mars ou de Septembre, avant & après les grandes chaleurs de l'été.

On s'estime très-heureux, si le gazon qu'on a semé dans un tems favorable, & qui vient de monter, se trouve pur, épais, & d'un beau verd ; mais néanmoins, comme on sait qu'il périroit bien-tôt, si on l'abandonnoit à lui-même, on prend grand soin de l'entretenir. Ce soin consiste à le tondre très-souvent, tous les huit ou tous les quinze jours. Plus l'herbe est coupée fréquemment, plus elle s'épaissit & devient belle. Ensuite on seme chaque année de la nouvelle graine dans tous les endroits où le gazon est trop clair, afin de l'épaissir, le rafraîchir & le renouveller.

On lui donne tous les arrosemens nécessaires ; on n'oublie pas de le battre, quand il s'éleve trop, & de rouler continuellement par-dessus un rouleau de bois, de pierre, ou de fer, afin d'affaisser, d'arrasier l'herbe de bien près, & d'empêcher qu'un brin ne passe l'autre.

Malgré toutes ces précautions, les Anglois ont remarqué que leur gazon semé de graine n'avoit point une certaine beauté uniforme, qu'il ne venoit point pur, qu'il étoit toûjours mêlé d'herbes qui le déparoient, & que ces herbes dégénéroient encore chaque année. Ils ont long-tems tâché d'y remédier, en arrachant ces mauvaises herbes, & en semant à leur place de la nouvelle graine. Mais tous ces remedes ne répondant point à leurs desirs, ils ont enfin imaginé l'art de gazonner, & l'ont mis en pratique avec un succès surprenant.

Cet art de gazonner consiste à enlever des plus belles pelouses des carreaux de gazon, & à les appliquer ailleurs. Voici comme on se conduit pour réussir. Après avoir préparé la terre de la même maniere, que s'il s'agissoit de la semer de graine, on prend une beche pour enlever le gazon qu'on a choisi d'avance dans un pré, ou dans quelque riche pelouse toute pleine d'herbes fines. On taille ce gazon par pieces quarrées de l'épaisseur d'environ trois pouces & de la largeur d'environ dix-huit pouces ; ensuite on couche la beche presque sur la surface de la terre, on la pousse contre les pieces de gazon taillées, on les coupe entre deux terres, on les enleve, on les porte au lieu qui leur est destiné, on les place proprement à l'endroit qu'il s'agit de gazonner, & on les arrange pressées les unes contre les autres, comme font nos carreleurs quand ils carrelent un appartement.

S'il s'agit de gazonner un espace de terrein considérable, on commence à bien niveller le terrein préparé ; ensuite on place le long d'un cordeau les pieces équarries de gazon qu'on a levées, on les joint ensemble très-exactement ; & pour cimenter les joints, des plaqueurs applatissent uniment le placage avec leurs battes. Quand le gazon est nivelé, joint, plaqué, on l'arrose amplement pour le réunir encore à la terre, à laquelle il est appliqué ; & enfin on y passe divers rouleaux pour l'affermir. Tous ces moyens font que le gazon s'attache inébranlablement à la nouvelle terre, s'incorpore avec elle, y jette ses racines de toutes parts, & s'en nourrit. Il ne s'agit plus pour la conservation du gazon, que de le tondre, le rouler, & l'entretenir.

Telle est la maniere dont les Anglois gazonnent, non-seulement des bordures, des rampes, des talus, des glacis, mais des boulingrins, des parterres, des allées, des promenades entieres ; c'est un spectacle admirable que ces beaux tapis ras & unis de velours verd qu'on voit dans toutes leurs campagnes, & que les autres nations n'ont encore pu se procurer. On a tenté vainement de les imiter en France ; on y seme, il est vrai, d'assez grandes pieces de gazon ; on en plaque çà & là quelques massifs ; on fait venir à ce dessein de la graine & des carreaux de gazon d'Angleterre : mais le gazon qui leve en France n'est ni fin, ni garni, ni d'un beau verd ; il fait de larges jets, pousse des touffes séparées, de mauvaises herbes, dégénere en chien-dent ; & d'ailleurs il n'est ni roulé, ni tondu avec le soin & l'intelligence nécessaires. En un mot, à l'exception peut-être du gazon du palais royal, tous les autres gazons du royaume, comparés à ceux d'Angleterre, ne paroissent que des compartimens ou des pieces d'un pré nouvellement fauché. (D.J.)

GAZONS, en terme de Fortification, sont des especes de mottes de terre de pré, coupées ou taillées en forme de coin, dont la base a quinze ou seize piés de longueur ou de queue sur six de largeur. La hauteur est de six pouces ; elle va se terminer en glacis à l'extrémité de la base, en sorte que le profil ou la coupe du gazon, pris selon sa longueur, est un triangle rectangle. Le gazon, pour être bon, doit être coupé dans un terrein gras qui produit beaucoup d'herbes ; on en forme quelquefois le côté extérieur du rempart des ouvrages de la fortification ; & l'on dit alors que ces ouvrages sont revêtus de gazons. Voyez REVETEMENT. (Q)

GAZON D'OLYMPE ou DE MONTAGNE, (Botan.) voyez STATICE.


GAZONNERv. act. voyez ci-devant GAZON.


Gou Jé, s. m. (Comm.) mesure de longueur d'usage au Mogol ; elle n'est pas réelle, elle n'est que de compte : Savary l'évalue à 34 aunes 1/2 de Hollande. Voyez le dictionn. du Comm.


GEADAGEDA, GETA, (Mythol.) ce sont trois différens noms d'un même dieu honoré par les anciens Bretons.


GEAIS. m. pica glandularia, gracculus, garrulus, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau. Celui qui a été décrit par Willughby, pesoit sept onces ; il avoit onze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des pattes, & treize pouces jusqu'au bout de la queue ; l'envergure étoit de vingt pouces : il avoit le bec noir, fort, & long presque d'un pouce & demi depuis la pointe jusqu'à l'angle que forment les deux pieces du bec ; la langue noire, mince, transparente, & fourchue à l'extrémité ; & l'iris des yeux de couleur blanchâtre. Les plumes de cet oiseau sont plus fines & plus élevées qu'elles ne le sont ordinairement sur les autres. Il y avoit deux taches noires auprès de la partie inférieure du bec ; le menton & le bas-ventre étoient blanchâtres ; les plumes qui se trouvoient entre ces deux parties, avoient une couleur rousse-cendrée ; le croupion étoit blanc, & le dos étoit roux & mêlé d'une teinte de bleu ; les plumes de la tête étoient tachetées de noir & de blanc. Le geai a vingt grandes plumes dans les aîles ; la premiere étoit plus courte de moitié que la seconde ; la quatrieme avoit plus de six pouces de longueur : la premiere étoit noire, à l'exception du bas de la plume, qui avoit une couleur blanche ; les barbes extérieures des six plumes suivantes étoient cendrées : la huitieme, la neuvieme & la dixieme plumes avoient une couleur plus foncée que les précédentes, & les trois suivantes étoient teintes de bleu. Il y avoit sur la partie inférieure de ces plumes, des taches transversales, dont les unes étoient noires, & les autres bleues ; les barbes extérieures des cinq plumes qui suivent, étoient en partie noires & en partie blanches ; les barbes extérieures de la seizieme avoient depuis le bas jusqu'au milieu, des taches transversales de couleur blanche, noire & bleue ; la dix-septieme plume étoit noire, à l'exception d'une ou deux taches bleues ; la dix-huitieme avoit une couleur noire, mêlée d'une teinte de roux ; la dix-neuvieme étoit rousse, excepté l'extrémité, qui avoit une couleur noire : elles étoient toutes brunes sur la face intérieure, excepté la derniere, qui avoit sur la face intérieure la même couleur que sur l'extérieure. Les petites plumes qui sont au-dessus des quinze premieres grandes plumes, étoient très-belles, & bigarrées de lignes transversales bleues, blanches & noires ; les autres petites plumes qui suivoient celles qui avoient du bleu, étoient noires : la queue avoit la même couleur ; elle étoit longue de six pouces & demi, & composée de douze plumes : les piés & les doigts avoient une couleur de rouille foncée : le doigt du milieu étoit le plus long ; l'extérieur étoit égal à celui de derriere, qui avoit un ongle plus grand que les autres : la premiere phalange du doigt extérieur n'est pas séparée du doigt du milieu. Les oeufs du geai sont cendrés, avec des taches plus apparentes. Il se trouve des glands dans l'estomac de cet oiseau ; c'est parce qu'il s'en nourrit, qu'on l'a appellé pica glandularia. Il mange aussi des groseilles, des cerises, & les fruits de la ronce : il n'y a presqu'aucune différence entre le mâle & la femelle. Le geai apprend à parler, & articule comme la pie. Willughby, Ornithol. Voyez OISEAU.

On donne le nom de geai à plusieurs autres oiseaux, sur-tout à ceux que l'on appelle geai de Bengale & geai de Boheme.

Le geai de Bengale est plus grand que le geai commun ; il a le sommet de la tête bleu, le cou & la poitrine de couleur cendrée, mêlée de brun-clair & de rouge ; les aîles, le dessous du ventre & les cuisses bleues ; le dos & le croupion d'un verd-obscur ; la queue noire ou noirâtre près du corps, bleuâtre dans le milieu, & de couleur obscure vers l'extrémité ; les piés de couleur brune-jaunâtre, & les ongles noirs.

Le geai de Boheme est de la grandeur d'un merle ; il a le bec de couleur cendrée, verdâtre sur la plus grande partie de sa longueur, & noirâtre près de la racine ; la tête est droite, de couleur de châtaigne, & surmontée par une hupe de même couleur qui se renverse en-arriere ; les yeux sont d'un beau rouge, & environnés de noir : il y a sur la gorge une tache noire bordée de blanc de chaque côté ; le dessus du cou & le dos sont de couleur d'ambre : les grandes plumes des aîles ont une teinte noirâtre ; la moitié de ces plumes sont jaunes à la pointe, les autres plumes des aîles ont des taches rouges & blanches ; la queue est composée de douze plumes noirâtres, excepté la pointe, qui est jaune. Cet oiseau se nourrit de fruits, sur-tout de raisins : on l'apprivoise aisément. Hist. nat. des oiseaux par Derham, tom. I. pag. 16. & tom. II. pag. 19. (I)


GÉANTS. m. (Hist. anc. & mod.) homme d'une taille excessive, comparée avec la taille ordinaire des autres hommes.

La question de l'existence des géants a été souvent agitée. D'un côté, pour la prouver, on allegue les témoignages de toute l'antiquité, laquelle fait mention de plusieurs hommes d'une taille demesurée qui ont paru en divers tems ; l'Ecriture-sainte en parle aussi : les poëtes, les historiens profanes & les anciens voyageurs s'accordent à en dire des choses étonnantes. De plus, pour donner un poids décisif à cette opinion, on rapporte des découvertes de squeletes ou d'ossemens si monstrueux, qu'il a fallu que les hommes qui les ont animés ayent été de vrais colosses : enfin on le confirme par le récit des navigateurs.

Cependant, d'un autre côté, lorsqu'on vient à examiner de près tous ces témoignages : à prendre dans leur signification la plus naturelle les paroles du texte sacré ; à réduire les exagérations orientales ou poétiques à un sens raisonnable ; à peser le mérite des auteurs ; à ramener les voyageurs d'un certain ordre, aux choses qu'ils ont vûes eux-mêmes, ou apprises de témoins irréprochables ; à considérer les prétendus ossemens de squeletes humains ; à apprécier l'autorité des navigateurs dont il s'agit ici, & à suivre la sage analogie de la nature, presque toûjours uniforme dans ses productions, le problème en question ne paroît plus si difficile à résoudre. Suivons pour nous éclairer, la maniere dont on le discute.

On remarque d'abord au sujet du texte sacré, que les mots employés de nephilim & de gibborim, que les septante ont traduits par celui de gigantes, & nous par le mot géans, signifient proprement des hommes tombés dans des crimes affreux, & plus monstrueux par leurs desordres que par l'énormité de leur taille. C'est ainsi que ces termes hébreux ont été interprétés par Théodoret, S. Chrysostome, & après eux par nos plus savans modernes.

On dit ensuite que le fondement sur lequel Josephe, & quelques peres de l'Eglise après lui, ont crû qu'il y avoit eu des géans, est manifestement faux, puisqu'ils supposent qu'ils étoient sortis du commerce des anges avec les filles des hommes ; fable fondée sur un exemplaire de la version des septante & sur le livre d'Enoch, qui au lieu des enfans de Dieu, c'est-à-dire des descendans de Seth, qui avoient épousé les filles de Caïn, ont rendu le mot hébreu par celui d'anges.

On observe, en troisieme lieu, qu'il n'est pas question dans le Deutéronome (ch. iij. v. 2.) de la taille gigantesque d'Og, roi de Basan ; il ne s'agit que de la longueur de son lit, qui étoit de neuf coudées ; c'est-à-dire, suivant l'appréciation de quelques modernes, de treize piés & demi. Si présentement l'on considere que les Orientaux mettoient leur faste en vastes lits de parade, l'on trouvera que l'exemple le plus respectable qu'on allegue d'un géant, ne porte que sur la grandeur d'un lit qui servoit à sa magnificence.

Pour ce qui regarde Goliath, on croit qu'il seroit très-permis de prendre les six coudées & une palme que l'auteur du premier livre des Rois lui donne, pour une expression qui ne désigne autre chose qu'une grande taille au-dessus de l'ordinaire ; elle étoit telle dans Goliath, qu'il paroissoit avoir plus de six coudées : il sembloit grand comme une perche de six coudées & une palme. Notre foi n'est point intéressée dans le plus ou le moins d'exactitude du récit des faits qui ne la concernent point.

Si l'on passe aux témoignages des auteurs profanes allégués en faveur de l'existence des géans, on pense qu'il n'est pas possible de s'y laisser surprendre, quand on se donnera la peine de faire la discussion du caractere de ces auteurs, & des faits qu'ils avancent.

Dans cette critique, Hérodote, accusé en général d'erreur & même de mensonge par Strabon, en cent choses de sa connoissance, l'est en particulier par ce géographe & par Aulu-Gelle, au sujet de douze piés & un quart que cet historien donne au squelete d'Oreste qu'on avoit découvert je ne sais où.

Plutarque doit être repris avec raison d'avoir copié de Gabinius, écrivain tenu pour suspect de son tems même, la fable de 60 coudées qu'il dit que Sertorius reconnut sur le cadavre du géant Antée, qu'il fit déterrer dans la ville de Tanger.

Le passage dans lequel Pline semble attribuer au squelete d'Orion trouvé en Candie, xlvj. coudées, s'il est bien examiné, ne peut qu'être altéré par quelque copiste, qui aura placé au-devant du chiffre vj. celui de xl, car il n'est pas naturel que l'ordre d'une gradation, comme celle qui paroît qu'a voulu suivre cet auteur, en comptant depuis vij. jusqu'à jx. coudées, se trouve interrompu par le nombre de xlvj. placé au milieu de la gradation.

La variation de Solin sur le même fait, ne lui donne pas plus de crédit qu'à Pline, dont on sait qu'il n'est que le copiste.

Phlégon sera sifflé dans la relation de son géant Macrosyris, par le ridicule de cinq mille ans de vie qu'il lui donne dans l'épitaphe qu'il en rapporte.

Apollonius, Antigonus, Caristius, & Philostrate le jeune, auteurs déjà décrédités par le faux merveilleux dont ils ont rempli leurs écrits, le deviennent bien davantage par leur fable d'un géant de cent coudées.

Quantité d'autres narrations de ce caractere se trouvent détruites par les seules circonstances dont les auteurs les ont accompagnées. Plusieurs nous disent que d'abord qu'on s'est approché des cadavres de ces géans, ils sont tombés en poussiere ; & ils le devoient, pour prévenir la curiosité de ceux qui auroient voulu s'en éclaircir.

Où y a-t-il plus de contradictions & d'anachronismes que dans la prétendue découverte du corps de Pallas, fils d'Evandre ? la langue dans laquelle est faite son épitaphe, son style, cette lampe qui ne s'éteignit, après 2300 ans de clarté, que par l'accident d'un petit trou, & autres puérilités de ce genre, ne sont qu'une preuve de la simplicité de Fostat, évêque d'Avila, qui a pris pour vrai un conte de la chronique du moine Hélinand, forgé dans un siecle d'ignorance.

Les corps des Cyclopes qui ont été trouvés dans différentes cavernes, avoient, selon Fazel, 20 ou 30 coudées de hauteur ; & le P. Kircher, qui a vû & mesuré toutes ces cavernes, ne donne à la plus grande de toutes que 15 à 20 palmes.

Pour ce qui regarde les découvertes de dents, de côtes, de vertebres, de fémur, d'omoplates, qu'on donne, attendu leur grandeur & leur grosseur, pour des of de géans, que tant de villes conservent encore, & montrent comme tels, les Physiciens ont prouvé que c'étoient des os, des dents, des côtes, des vertebres, des fémurs, des omoplates d'éléphans, de vraies parties de squeletes d'animaux terrestres, ou de veaux marins, de baleines, & d'autres animaux cétacés, enterrés par hasard, par accidens, en différens lieux de la terre ; ou quelquefois d'autres productions de la nature, qui se joue souvent en de pareilles ressemblances.

Ces os, par exemple, qu'on montroit à Paris en 1613, & qui furent ensuite promenés en Flandres & en Angleterre, comme s'ils eussent été de Teutobochus dont parle l'histoire Romaine, se trouverent des of d'éléphans. On envoya en 1630 à MM. de Peyresc une grosse dent qu'on lui donna pour être celle d'un géant ; il en prit l'empreinte sur de la cire ; & quand on vint à la comparer à celle d'un éléphant qui fut déterré dans le même tems à Tunis, elles se trouverent de la même grandeur, figure, & proportion. La fourberie n'est pas nouvelle : Suétone remarque dans la vie d'Auguste, que dès ce tems-là, l'on avoit imaginé de faire passer de grands ossemens d'animaux terrestres pour des of de géans ou des reliques de héros. Tout concouroit à tromper le peuple à ces deux égards. Quoique Séneque parle des géans comme d'êtres imaginaires, son discours prouve que le peuple en admettoit l'existence. La coûtume des anciens de représenter leurs héros beaucoup plus grands que nature, avoit nécessairement le pouvoir sur l'imagination, de la porter à admettre dans certains hommes au-dessus du vulgaire, une taille demesurée. Les statues de nos rois ne nous en imposent-elles pas encore tous les jours à cet égard ? il est vraisemblable que parmi ceux qui considéreront dans quatre ou cinq cent ans la figure de bronze qui représente Henri IV. sur le pont-neuf, si cette statue subsiste encore, la plus grande partie se persuaderont que ce monarque immortel par ses exploits & ses rares qualités, étoit un des hommes de la plus haute taille.

Cependant quelques modernes assez philosophes pour connoître les sources de nos illusions, assez versés dans la critique pour démêler la vérité du mensonge, assez sages pour ne donner aucune confiance ni aux prétendus ossemens humains ni à toutes les relations de l'antiquité sur l'existence des géans, ne laissent pas que d'être ébranlés par les récits de plusieurs navigateurs, qui rapportent qu'à l'extrémité du Chily vers les terres Magellaniques, il se trouve une race d'hommes dont la taille est gigantesque, ce sont les Patagons. M. Frezier dit avoir appris de quelques espagnols, qui prétendoient avoir vû quelques-uns de ces hommes, qu'ils avoient quatre varres de hauteur, c'est-à-dire neuf à dix piés.

Mais on a très-bien observé que M. Frezier ne dit pas avoir vû lui-même quelques-uns de ces géans : & comme les relations vagues des Portugais, des Espagnols, & des premiers navigateurs hollandois, ne sont point confirmées par des voyageurs éclairés de ce siecle ; que de plus elles sont remplies d'exagérations ou de faussetés en tant d'autres choses, on ne sauroit trop s'en défier.

Enfin il est contre toute vraisemblance, comme le remarque l'auteur de l'histoire naturelle, " qu'il existe dans le monde une race d'hommes composée de géans, sur-tout lorsqu'on leur supposera dix piés de hauteur ; car le volume du corps d'un tel homme seroit huit fois plus considérable que celui d'un homme ordinaire. Il semble que la hauteur ordinaire des hommes étant de cinq piés, les limites ne s'étendent guere qu'à un pié au-dessus & au-dessous ; un homme de six piés est en effet un homme très-grand, & un homme de quatre piés est très-petit : les géans & les nains qui sont au-dessus & au-dessous de ces termes de grandeur, doivent donc être regardés comme des variétés très-rares, individuelles & accidentelles ".

L'expérience nous apprend que lorsqu'il se rencontre quelquefois parmi nous des géans, c'est-à-dire des hommes qui ayent sept à huit piés, ils sont d'ordinaire mal conformés, malades, & inhabiles aux fonctions les plus communes.

Après tout, si ces géans des terres Magellaniques existent, ce que le tems seul peut apprendre, " ils sont du-moins en fort petit nombre ; car les habitans des terres du détroit & des îles voisines sont des sauvages d'une taille médiocre ".

On lit dans les journaux que le P. Joseph Tarrubia, espagnol, a fait imprimer tout récemment (1756) une giganthologie, dans lequel ouvrage il prétend réfuter le chevalier Hans-Sloane, & prouver l'existence des géans sur des monumens d'antiquité indienne : mais en attendant que quelqu'un se donne la peine d'examiner la valeur de pareils monumens, qui selon toute apparence ne seront pas plus authentiques que tant d'autres en ce genre ; le lecteur curieux d'une bonne giganthologie physique, fera bien d'étudier celle du même chevalier Hans-Sloane, qui n'a pas plû au bon pere espagnol ; elle est insérée dans les Transact. philosoph. n°. 404 ; & par extrait, dans le suppl. du Dict. de Chambers. (D.J.)

GEANS, (Mytholog.) enfans de la Terre qui firent la guerre aux dieux : Hésiode fait naître ces géans du sang qui sortit de la plaie d'Uranus ; Apollodore, Ovide, & les autres poëtes les font fils de la terre, qui dans sa colere les vomit de son sein pour faire la guerre aux dieux exterminateurs des Titans.

Ces géans, disent-ils, étoient d'une taille monstrueuse & d'une force proportionnée à cette prodigieuse hauteur ; ils avoient cent mains chacun, & des serpens au lieu de jambes. Résolus de déthroner Jupiter, ils entreprirent de l'assiéger jusque sur son throne, & entasserent pour y réussir le mont Ossa sur le Pélion, & l'Olympe sur le mont Ossa, d'où ils essayerent d'escalader le ciel, jettant sans-cesse contre les dieux de grands quartiers de pierre, dont les unes qui tomboient dans la mer, devenoient des îles, & celles qui retomboient sur la terre faisoient des montagnes. Jupiter effrayé lui-même à la vûe de si redoutables ennemis, appella les dieux à sa défense ; mais il en fut assez mal secondé ; car ils s'enfuirent tous en Egypte, où la peur les fit cacher sous la figure de différentes especes d'animaux.

Un ancien oracle avoit prononcé que les géans seroient invincibles, & qu'aucun des dieux ne pourroit leur ôter la vie, à-moins qu'ils n'appellassent quelque mortel à leur secours. Jupiter ayant défendu à l'Aurore, à la Lune & au Soleil d'annoncer ses desseins, devança la Terre qui cherchoit à soûtenir ses enfans, & par l'avis de Pallas fit venir Hercule pour combattre avec lui ; à l'aide de ce héros, il extermina les géans Encélade, Polybetès, Alcyonée, Porphyrion, les deux Aloïdes, Ephialte, Othus, Eurytus, Clytius, Tithyus, Pallas, Hippolitus, Agrius, Thaon, & le redoutable Typhon, qui lui seul, dit Homere, donna plus de peine aux dieux que tous les autres géans ensemble. Jupiter après les avoir défaits, les précipita jusqu'au fond du Tartare, ou, suivant d'autres poëtes, il les enterra vivans, soit sous le mont Ethna, soit en différens pays ; Encélade fut enseveli sous la Sicile, Polybetès sous l'île de Lango, Othus sous l'île de Candie, & Typhon sous l'île d'Ischia.

Ces prétendus géans de la fable n'étoient, suivant plusieurs de nos Mythologistes, que des brigands de Thessalie qui vinrent attaquer Jupiter sur le mont Olympe où ce prince avoit fait bâtir une forte citadelle : ce mont Olympe, ajoûtent-ils, a été pris par les plus anciens poëtes pour le Ciel, & parce que les monts Ossa & Pélyon, qui sont peu éloignés de l'Olympe, servoient de retraite à ces bandits qui s'y étoient fortifiés, & qui de-là tenoient en respect la garnison de l'Olympe, on imagina de leur faire entasser montagnes sur montagnes, pour atteindre jusqu'au ciel.

Mais quoique cette explication soit généralement adoptée, je croirois plutôt que toute la fable des géans n'est qu'une tradition défigurée de l'histoire de Typhon & d'Osiris. On sait qu'il y avoit en Egypte des monumens plus anciens que les fables des Grecs, des villes fondées & un culte établi en l'honneur des mêmes animaux dont leurs poëtes nous disent que les dieux prirent la figure, en se retirant de frayeur dans ce pays-là. (D.J.)

GEANS, (ossemens de) Hist. nat. Voyez OSSEMENS FOSSILES.

GEANS, (pavé des) Hist. nat. Lythol. en anglois Giant's causeway. Voyez PAVE.


GÉARON(Géog.) ville de Perse au Tarsistan, entre Schiras & Bander-Congo, dans un terrein qui produit les meilleures dattes de toute la Perse. Long. 72. 32. latit. 28. 25. (D.J.)


GEASTERS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante ronde, composée de deux écorces, dont la premiere est découpée jusqu'à la base en forme d'étoile à plusieurs rayons ; l'autre n'est ouverte qu'au sommet par un orifice étoilé, rayonné, ou frangé : la substance du fruit adhere à la seconde écorce, & se trouve placée avec des semences & des filamens dans plusieurs cellules. Ajoûtez au caractere de ce genre, que dans le tems de la maturité la substance du fruit & les semences sortent au-dehors, comme dans le lycoperdon, par l'ouverture dont il a été fait mention. N ova plantar. americ. genera, &c. par M. Micheli. (I)


GEBHA(Géog.) ancienne ville ruinée de Barbarie au royaume de Fez dans la province d'Errif, à huit lieues de Vélez du côté du levant. Il y a tout près de cette ville un cap que les anciens nommoient le cap des oliviers, à cause de la quantité d'oliviers sauvages qui y sont. Ptolomée donne à Gebha 9d. de long. & 34d. 56'. de latit. (D.J.)


GEDENGS. m. (Commerce) mesure d'usage aux Indes, où l'on s'en sert à mesurer le poivre & autres denrées de la même nature : Savari dit qu'elle contient quatre livres pesant de poivre, la livre sur le pié de seize onces. Voyez le dict. de Comm.


GÉDROSIE(Géog. anc.) grande province d'Asie qui s'étendoit depuis la Carmanie jusqu'à l'Inde, & avançoit beaucoup vers le nord. Les peuples les plus remarquables de ce pays étoient les Arbites, les Orites, & les Ichtyophages, ou mangeurs de poisson : Arrien donne en étendue à cette province 450 milles de côtes. La Gédrosie est présentement le pays de Mekran, qui en renferme la plus grande partie. (D.J.)


GEELAEUM(Hist. nat.) ce mot qui signifie huile de la terre, a été employé par quelques anciens auteurs, pour désigner la même chose que nous appellons petrole. Voyez cet article.


GÉELMUYDEN(Géog.) petite ville des Pays-Bas dans l'Overyssel, à l'embouchure du Wecht dans le Zuydersée, à une lieue de Kampen. Longit. 23d. 28'. latit. 53d. 37'. (D.J.)


GÉGENBACH(Géog.) petite ville libre impériale d'Allemagne dans la Soüabe au Mordenaw, sous la protection de la maison d'Autriche ; elle est sur le Kintsig, à six lieues S. de Strasbourg, dix N. E. de Fribourg. Lon. 25. 40. 58. latit. 48. 24. 50. (D.J.)


GEHENNES. f. (Théolog.) terme de l'Ecriture qui a fort exercé les critiques ; il vient de l'hébreu gehinnon, c'est-à-dire la vallée de Hinnon : cette vallée étoit dans le voisinage de Jérusalem ; & il y avoit un lieu appellé tophet, où des Juifs alloient sacrifier à Moloch leurs enfans qu'on faisoit passer par le feu. Pour jetter de l'horreur sur ce lieu & sur cette superstition, le roi Josias en fit un cloaque où l'on portoit les immondices de la ville & les cadavres auxquels on n'accordoit point de sépulture ; & pour consumer l'amas de ces matieres infectes, on y entretenoit un feu continuel. Ainsi en rapportant au mot gehenne toutes ces idées, il signifieroit une caverne remplie de matieres viles & méprisables, consumées par un feu qui ne s'éteint point ; & par une métaphore assez legere, on l'auroit employé à désigner le lieu où les damnés seront détenus.


GÉHON(LE-) Géog. sacrée, fleuve dont parle Moyse dans la description du paradis terrestre : " Le nom du second fleuve, dit-il, est Géhon ; c'est celui qui tournoye dans la terre de Chus ".

On sait combien l'explication des quatre fleuves de Moyse embarrasse les savans, & en particulier combien ils ont disputé sur le Géhon. Ce fleuve a passé chez les uns pour le Gange, chez les autres pour l'Oxus ; on l'a pris pour l'Araxe ou pour le Nahar-Malea, canal fait à la main afin de joindre l'Euphrate au Tigre. Josephe, la plûpart des peres de l'Eglise, & une infinité d'interpretes, veulent que le Géhon soit le Nil ; & M. Huet prétend que c'est le canal oriental du Tigre & de l'Euphrate : c'est ainsi que plusieurs critiques prévenus que le paradis terrestre étoit auprès du Tigre & de l'Euphrate, cherchent le Géhon dans un des bras de ces deux fleuves. M. Leclerc persuadé au contraire que le paradis terrestre étoit vers la source du Jourdain, croit que le Géhon est l'Oronte ; & par la terre de Chus, que le Géhon arrosoit, il entend la Cassiotide.

Le P. Hardoüin a un sentiment particulier ; il donne un sens nouveau à ces paroles du texte latin : Et fluvius egrediebatur de loco voluptatis ad irrigandum paradisum, qui indè dividitur in quatuor capita ; c'est-à-dire, selon le P. Hardoüin : " il sortoit de ce lieu de délices un fleuve pour arroser le paradis, qui de-là se divise en quatre têtes ou sources ".

Il trouve avec raison qu'il n'est pas commode de supposer sans nécessité que les quatre fleuves, savoir, le Phison, le Géhon, le Tigre, & l'Euphrate fussent autant de branches dérivées du fleuve qui sortoit du lieu de délices : il rapporte donc ces mots, se divise, non pas au fleuve duquel il ne s'agit plus, mais au paradis. C'est, ajoûte-t-il, comme si Moyse eût dit : " & de ce lieu de délices sortoit un fleuve pour arroser le paradis, dont la beauté ne subsiste plus entierement, mais dont on voit encore des restes autour des sources des quatres fleuves ".

Si cette explication du P. Hardoüin ne satisfait pas tout le monde, du-moins faut-il convenir qu'elle est ingénieuse, & qu'elle a l'avantage de sauver les difficultés géographiques de toutes les autres interprétations. (D.J.)


GEISLENGEN(Géog.) ville impériale d'Allemagne dans la Soüabe, à 7 lieues nord-oüest d'Ulm. Long. 27. 37. latit. 48. 38. (D.J.)


GÉLA(Géog. anc.) petite ville de Sicile qui prenoit son nom de la riviere Géla qui l'arrosoit : Virgile le dit, immanisque Géla fluvii cognomine dicta. Le nom moderne de cette riviere est fiume di Terra-Nova ; & la ville ou bourg s'appelle Terra-Nova. Il falloit que ce fût une grande ville du tems de Virgile, puisqu'il la nomme immanis. (D.J.)


GELALÉEN(CALENDRIER) Chronolog. Voyez CALENDRIER & AN.


GELÉES. f. (Physique) froid par lequel l'eau & les liquides aqueux se gelent naturellement, se convertissent d'eux-mêmes en glace dans un certain canton, dans toute une région déterminée. La gelée est opposée au dégel, qui est proprement ce relâchement du grand froid, cet adoucissement qui rend à l'eau sa liquidité, & qui détrempe la terre en fondant les glaces & les neiges dans tout un pays. Voyez FROID, GLACE, CONGELATION, GELEGEL.

L'eau & les liquides aqueux sont les seuls fluides dont on ait dû faire mention dans les deux définitions précédentes : ce n'est pas que d'autres liqueurs, l'huile d'olive, par exemple, ne gelent plus facilement & plus promtement que l'eau, & à de moindres degrés de froid : mais tant que la froideur de l'air n'opere que la congelation des huiles grasses, & que l'eau se maintient dans sa liquidité ordinaire, l'usage autorise à dire qu'il ne gele point. La gelée n'arrive dans un pays, que quand l'eau & les liqueurs aqueuses qui ne sont pas trop agitées, se glacent d'elles-mêmes à l'air libre ; c'est-là le premier & le moindre degré de la gelée. On verra ailleurs (artic. GLACE), comment la grande agitation d'un liquide peut mettre obstacle à sa congelation. Si le froid augmente, la gelée sera plus forte ; des fluides dont la liquidité résiste au degré de froid qui fait geler l'eau, se convertiront en glace ; il gelera dans l'intérieur des maisons & jusque dans les chambres les plus exactement fermées ; les rivieres les plus rapides obéissant à l'impression du froid, se glaceront en partie, ou même entierement jusqu'à une certaine profondeur : tout ceci est facile à concevoir. Ce qui est important de bien remarquer, c'est ce qu'on a dit du caractere essentiel & distinctif de la gelée, laquelle a toûjours lieu quand l'eau ou tranquille ou peu agitée se glace d'elle-même à l'air libre dans tout un pays.

Nous connoissons divers agens capables d'opérer dans une certaine étendue de pays la congelation naturelle de l'eau : on peut consulter sur ce sujet les articles FROID, GLACE, & CONGELATION. La gelée ayant un rapport marqué à la température de l'air & à la constitution de l'atmosphere, c'est principalement sous ce rapport que nous devons d'abord la considérer dans cet article.

Il se présente une question que l'observation seule pourra résoudre : on demande si dans tous les pays du monde l'eau se gele constamment par le même degré de froid ; ou si le climat, dont l'influence est si sensible sur une infinité de phénomenes, met ici de la diversité. Plusieurs physiciens célebres parmi lesquels on compte le savant M. Musschenbroeck, ont adopté ce dernier sentiment ; ils pensent que dans les pays méridionaux, en Italie, par exemple, il gele assez constamment à un degré de froid fort inférieur à celui qui en France, en Allemagne, en Angleterre, &c. est nécessaire pour ôter à l'eau sa liquidité. Les preuves de cette assertion se réduisent à quelques observations faites à Naples par M. Cyrillo, professeur en Medecine, & rapportées dans les Transactions philosophiq. n°. 430. mais, comme l'a fait voir M. de Mairan, ces observations ne sont rien moins que décisives ; elles sont même démenties par des observations postérieures, dont nous sommes redevables à M. Taitbout, ci-devant consul de la nation françoise à Naples, par lesquelles il paroît que la glace ne se forme dans cette ville que quand le thermometre est au degré qui indique à Paris & ailleurs le commencement de la gelée. Une infinité d'observations pareilles faites dans d'autres villes de l'Europe, s'accordent toutes à donner la même conclusion. On peut donc assûrer que l'eau se gele par-tout au même degré de froid, & qu'elle ne se convertit naturellement en glace, que quand la température de l'air ou du milieu quelconque qui l'environne, est parvenue à ce degré. Ceux qui ont crû voir le contraire ont été certainement trompés par quelque circonstance particuliere qui leur a échappé. M. de Mairan, dissertation sur la glace, II. part. 2. sect. ch. vj. & vij.

Le degré de froid nécessaire pour la formation naturelle de la glace, est celui auquel s'arrête la liqueur d'un thermometre, dont on a plongé la boule dans de l'eau qui commence à se geler, ou ce qui revient au même, dans de la glace ou de la neige prête à se fondre. C'est le degré marqué zéro sur le thermometre de M. de Reaumur ; 32, sur celui de Fahrenheit, &c. Il ne gele point avant que la liqueur du thermometre soit descendue à ce degré. Lorsqu'elle y est parvenue, si la froideur de l'air se soûtient ou qu'elle augmente pendant quelque tems, la glace paroît, à-moins que des circonstances particulieres ou certains accidens, dont nous ferons mention ailleurs, n'empêchent sa formation. Remarquons que la glace ne fond pas toûjours, lorsque la température de l'air fait remonter le thermometre de quelques degrés au-dessus du terme ordinaire de la congelation ; ce qui s'accorde avec d'autres expériences qui prouvent que la glace est communément beaucoup plus de tems à se fondre, qu'elle n'en a employé à se former. Voyez ci-après GLACE.

La gelée dépendant principalement de la froideur de l'air, il est évident que, toutes choses d'ailleurs égales, la gelée sera d'autant plus forte, que le froid sera plus vif.

Dans notre hémisphere boréal le froid se fait sentir d'ordinaire par les vents de nord ; communément aussi ces mêmes vents nous donnent les gelées. On imagine aisément que les vents de sud doivent produire un semblable effet dans l'hémisphere opposé.

Le vent de nord est sec, & nous lui devons le plus souvent le beau tems ; c'est la raison pour laquelle, généralement parlant, il gele plus souvent quand l'air est sec & assez serein, que dans des tems humides & couverts.

Les gelées qui arrivent dans des tems sereins, sont connues sous le nom de belles gelées.

Lorsqu'il gele très-fortement, le soleil paroît un peu pâle, & la sérénité de l'air n'est pas si grande que dans certains jours d'hyver, où l'on n'a que des gelées médiocres. C'est que d'une part l'évaporation des liquides est considérable dans les grandes gelées, & que de l'autre les vapeurs qui s'élevent alors, ne peuvent arriver dans l'atmosphere à une médiocre hauteur, sans y rencontrer un froid qui les force de se réunir, sinon en nuages épais, du-moins en petites masses assez sensibles, pour diminuer la transparence de l'air qui ne transmet dans ces circonstances que des rayons foibles & languissans. Ceci fait comprendre pourquoi les belles gelées sont moins fréquentes dans le voisinage des lacs & des grandes rivieres, le froid & la glace y étant assez souvent accompagnés de brouillards.

Les grands vents, tant par l'agitation qu'ils communiquent aux liquides exposés à leur action, que parce qu'ils diminuent toûjours un peu l'intensité du froid, sont un obstacle à la formation de la glace. Ainsi, quoique le vent du nord nous amene d'ordinaire la gelée, ce n'est point à beaucoup près lorsqu'il souffle avec le plus de violence, qu'il gele le plus fortement. L'air dans les fortes gelées est tranquille ou médiocrement agité. Nous ferons voir en parlant de la glace, qu'un petit vent sec accélere toûjours la congelation.

Le vent de nord & la sérénité de l'air étant souvent réunis avec le froid & la gelée, l'air dans ces circonstances est plus dense, plus pesant ; il soûtient le mercure dans le barometre à d'assez grandes hauteurs : on peut même regarder le dégel comme très-prochain, quand on voit le mercure baisser considérablement & promtement après quelques jours de gelée ; cet abaissement étant causé par le vent de sud, qui en hyver nous donne communément le tems doux.

Nous avons dit que l'évaporation des liquides étoit considérable pendant les gelées ; elle l'est même d'autant plus, qu'il gele plus fortement. Voyez sur ce sujet les articles EVAPORATION & GLACE.

La sécheresse qui accompagne les fortes gelées, rend certains jours d'hyver très-favorables aux expériences de l'électricité. Voyez ELECTRICITE.

Les effets de la gelée sur les végétaux méritent une attention particuliere. On connoît une infinité de plantes que la moindre gelée fait périr : ce sont celles qui, ne croissant naturellement que dans les pays chauds, ne sauroient résister à un degré de froid qui approche beaucoup du terme de la glace. En se bornant aux plantes de nos climats, plus robustes & plus vigoureuses, on ne peut nier que les fortes gelées ne leur soient nuisibles par le grand froid qui les accompagne. De plus, quand l'humidité de la terre est congelée à une certaine profondeur, quantité de plantes sont privées d'une partie des sucs nécessaires à leur entretien. On les voit alors languir ; & ce n'est qu'au dégel qu'elles reprennent leur premiere vigueur. Il en est qui périssent entierement ; d'autres perdent leurs parties les plus délicates, telles que les boutons de fleurs, les fruits naissans, &c. Celles qui ont dans leurs racines une ample provision de seve, résistent beaucoup mieux à la gelée & au froid.

Jamais une forte gelée ne produit de plus funestes effets sur les plantes & sur les arbres, que quand elle succede tout-à-coup à un dégel, à de longues pluies, à une fonte de neiges ; car dans ces circonstances toutes les parties des végétaux se trouvent imbibées de beaucoup d'eau, qui, venant à se glacer dans les petits tuyaux où elle s'étoit glissée, écarte les fibres & toutes les parties organiques des arbres même, dont le bois est le plus dur, y cause une violente distension & les rompt. C'est la raison pour laquelle la plûpart des oliviers, & beaucoup d'autres arbres, périrent en Languedoc & en Provence dans le rigoureux hyver de 1709. Les arbres les plus forts & les plus vieux moururent en plus grande quantité, parce que leurs fibres moins flexibles se prêtoient moins à l'effort que faisoit l'eau gelée en se dilatant. Ce phénomene a donc pour cause la dilatation & la force expansive de la glace dont nous parlerons ailleurs ; & il est parfaitement semblable à celui de la rupture des vaisseaux, causée par la congelation de l'eau qui y étoit contenue. Voyez ci-après GLACE.

Tout le monde sait que les fruits se gelent & se durcissent pendant les hyvers qui sont un peu rudes. Dans cet état ils perdent ordinairement tout leur goût ; & lorsque le dégel arrive, on les voit le plus souvent tomber en pourriture. Les parties aqueuses que les fruits contiennent en grande quantité, étant changées en autant de petits glaçons, dont le volume augmente, brisent & crevent les petits vaisseaux qui les renferment, ce qui détruit l'organisation.

On observe quelque chose de semblable sur les animaux mêmes qui habitent les pays froids. Il n'est pas rare d'y voir des gens qui ont perdu le nez ou les oreilles, pour avoir été exposés à une forte gelée. Ces accidens ne sont pas sans exemple dans les climats tempérés.

Quand un membre a été gelé, on ne peut espérer de le sauver, qu'en le faisant dégeler fort lentement, en le tenant, par exemple, quelque tems dans la neige, avant que de l'exposer à un air plus doux. On prévient de la même maniere la perte d'un fruit gelé. Voyez sur ce sujet l'article GLACE. La lenteur du dégel est absolument nécessaire. Une fonte trop brusque, qui ne laisseroit pas aux parties d'un corps gelé le tems de reprendre l'ordre qu'elles ont perdu, détruiroit dans ce corps l'organisation qu'on y veut conserver.

Il suit de-là que les fruits qui se sont gelés sur les arbres, sont perdus sans ressource, s'il survient un dégel trop considérable & trop promt. Un pareil dégel n'est guere moins nuisible qu'une forte gelée, qui succede tout-à-coup à une très-grande humidité.

Tous les pays ne ressentent point les funestes effets de la gelée. On sait qu'il ne gele jamais sous la zone torride, ni aux extrémités des zones tempérées voisines des tropiques ; au contraire il gele dans les zones glaciales pendant presque toute l'année. Les zones tempérées ont des vicissitudes de gelée & de dégels, qui, paroissant au premier coup-d'oeil n'avoir rien de réglé, sont pourtant moins irrégulieres qu'on ne pense. Dans la Nature, dit à ce sujet M. de Mairan, tout tend à une espece d'équilibre & d'uniformité, & on ne peut douter que l'inconstance même n'y ait ses lois.

Dans le milieu des zones tempérées on a des hyvers sans glace, mais qui, en comparaison des hyvers où il gele, sont en petit nombre. On y voit des printems & des automnes où la gelée se fait sentir vivement ; il y gele très-rarement en été. Les plus fortes gelées arrivent, comme le plus grand froid, environ un mois après le solstice d'hyver.

Quand on distingue les pays où il gele de ceux où il ne gele point, on a simplement égard à ce qui a lieu sur la surface de notre globe ; car en s'éloignant de cette superficie, on rencontre dans tous les pays du monde, & sous l'équateur même, un froid suffisant pour glacer l'eau : on arrive même à une hauteur, au-delà de laquelle, jusqu'à une distance qui nous est inconnue, il ne dégele jamais. Il est évident que cette hauteur est moindre dans les pays septentrionaux, & plus froids par leur situation. Peut-être est-elle nulle sous les poles, qui dans ce cas seroient couverts d'une croute de glace qui ne se fondroit jamais. M. Bouguer, relation du Pérou.

Le froid qui devient toûjours plus vif, à-mesure qu'on s'éleve à une plus grande hauteur dans l'atmosphere, n'augmente pas de même quand on pénetre dans l'intérieur de la terre, la chaleur étant constamment assez considérable à soixante-dix piés de profondeur. De-là vient que la congelation ne gagne point dans les terres aussi avant qu'on pourroit se l'imaginer. En France, en Allemagne, & dans les pays situés au milieu de l'Europe, la glace ne pénetre guere dans les grandes gelées au-delà de deux piés de profondeur ; elle va en Moscovie à six & à dix piés. M. de Mairan, dissertation sur la glace ; M. Musschenbroeck, essais de Physique ; leçons de Physique de M. l'Abbé Nollet, tome IV. &c. Cet article est de M. DE RATTE.

GELEE BLANCHE, (Physique) c'est le nom que l'on donne à une multitude de petits glaçons fort menus qu'on apperçoit le matin vers la fin de l'automne, en certains jours d'hyver, quelquefois même dans le printems, sur le gazon, sur les toîts des bâtimens, &c. où ils forment une couche, dont la blancheur égale presque celle de la neige. La gelée blanche, lorsqu'elle paroît, tient la place de l'humidité, dont la rosée mouille en d'autres tems la plûpart des corps terrestres. Il faut plus de froid pour la production de la gelée blanche, que pour humecter la terre de rosée. A cela près, la disposition de l'atmosphere est absolument la même dans l'un & l'autre cas. La gelée blanche n'est donc qu'une rosée congelée. Voyez ROSEE.

Toutes les especes de rosée peuvent se réduire à deux, dont l'une tombe de l'air, & l'autre s'éleve de la terre. Chacune de ces deux especes peut être changée en gelée blanche.

Les particules d'eau qui composent l'une & l'autre rosée, sont invisibles dans l'atmosphere ; ou, si elles s'y rendent sensibles, c'est seulement sous la forme d'un brouillard peu épais : en un mot elles sont dans l'air en forme de vapeurs. Elles ne se réunissent en gouttes sensibles que sur la surface des corps, qui attirent avec une certaine force l'humidité de l'air. Or l'eau réduite en vapeurs, soit visibles, soit invisibles, ne se gele point tant qu'elle est dans cet état. C'est une vérité constante par toutes les observations, & qui doit passer pour un principe d'expérience. L'eau, quand elle se convertit en neige ou en grêle, n'est plus en état de vapeurs. Voyez NEIGE & GRELE. Il suit évidemment de-là que la rosée ne se gele point dans l'air, mais sur la surface de la terre, & de la plûpart des corps terrestres, lorsqu'elle y rencontre un froid suffisant pour la glacer.

Une autre preuve que la rosée ne se gele point dans l'air, c'est que la gelée blanche adhere sensiblement à la surface des corps sur lesquels on l'apperçoit le matin. Or la glace n'adhere d'une maniere sensible aux autres corps solides, que quand l'eau dont elle est formée s'est glacée sur ces corps mêmes, qu'elle mouilloit auparavant. La neige & la grêle n'adherent point aux corps sur lesquels elles tombent, lorsque ces corps sont bien secs, & qu'elles ne s'y fondent point pour geler de nouveau. De Chales, cursus mathemat. tome IV. de meteoris.

Ce que nous venons de dire, que la rosée se convertit en gelée blanche sur la surface des corps terrestres, & non dans l'air, est reconnu de tous les Physiciens.

On a donc de la gelée blanche toutes les fois que les petites gouttes d'eau, dont la rosée couvre les corps solides par lesquels elle est attirée, trouvent sur la surface de ces corps un froid assez considérable pour ôter à ces gouttelettes leur liquidité, & les changer en autant de petits glaçons. Celles de ces différentes gouttes qui se sont formées les premieres, sont aussi les premieres à se geler. A celles-ci il en succede d'autres qui se glacent de même, & ainsi de suite. Toutes ces particules d'eau très-déliées, & qui, comme nous venons de le dire, se sont glacées séparément, s'unissent en un corps rare & leger. L'arrangement qu'elles prennent est sujet à plusieurs variétés, au-travers desquelles il est facile d'appercevoir quelque chose de constant. La gelée blanche est toûjours composée de plusieurs filets oblongs, diversement inclinés les uns par rapport aux autres, ce qu'on observe dans toutes les autres congelations.

Chacun des petits glaçons qui composent la gelée blanche, étant vû séparement au microscope, est transparent ; cependant la gelée blanche considérée en total ne l'est point ; les intervalles très-peu réguliers que laissent entr'eux les petits glaçons qui se touchent par un petit nombre de points, donnent lieu à une forte réflexion de la lumiere : de-là l'opacité & la blancheur. C'est ainsi que le verre est blanc, quand il est pulvérisé. La blancheur de la neige dépend de la même cause. Voyez NEIGE.

Vers la fin de l'automne l'atmosphere se refroidit ; bien-tôt ce refroidissement se communique à la terre, qui par-là acquiert la froideur nécessaire pour la formation de la gelée blanche. Pendant l'hyver la terre est souvent froide au terme de la glace, & au-dessous ; lorsque le tems s'adoucit après quelques jours de gelée, la froideur de l'air sur passe pendant quelque tems celle de l'atmosphere, parce que les corps plus denses s'échauffent plus difficilement. Dans ces circonstances, si l'air est chargé de particules d'eau, on aura de la gelée blanche.

La gelée blanche doit être mise, comme la rosée, au nombre des météores aqueux. Voyez METEORE.

Les corps que la rosée ne mouille point, ne se couvrent point de gelée blanche ; ainsi on n'en voit jamais sur les métaux polis, au contraire elle est fort abondante sur le verre & la porcelaine, sur les plantes, & sur tous les autres corps qui attirent puissamment l'humidité de l'air. Voyez dans le recueil de l'académie des Sciences, année 1751. un excellent mémoire de M. le Roy docteur en Medecine, sur la suspension de l'eau dans l'air & sur la rosée. L'article EVAPORATION est du même auteur.

Dès que le soleil commence à faire sentir sa chaleur, la gelée blanche ne manque pas de se fondre & de se dissiper. Lorsqu'elle est fondue, elle se dissipe en deux manieres ; ou elle entre dans les terres arides & dans les corps poreux, qui ont de la disposition à l'absorber ; ou, ce qui est plus ordinaire, elle se réduit en vapeurs & s'éleve dans l'air.

La gelée blanche participe aux qualités souvent nuisibles de la rosée qui a servi à la former. De plus, par le froid qui l'accompagne, elle nuit à plusieurs plantes, sur-tout dans le printems, où les parties de la fructification qui alors commencent à paroître dans la plûpart des végétaux, sont fort tendres & fort délicates. Dans la même saison un soleil vif & ardent succede tout-à-coup à la grande froideur du matin ; & ce contraste, toutes proportions gardées, n'est pas moins nuisible que celui que forme en hyver un dégel considérable & promt après une forte gelée. Voyez ci-devant GELEE.

La gelée blanche ne differe pas essentiellement de ce qu'on appelle givre ou frimat. Voyez ci-après GIVRE. De Chales, Musschenbroeck, Hamberger, Gersten, &c. Article de M. DE RATTE.

GELEE, (Medecine) les effets de la gelée sur le corps humain ont été expliqués en traitant de ceux du froid dans l'économie animale. Voyez FROID.

GELEE, (Pharm. Art culin. Art du Confitur.) suc de substances animales ou végétales qu'on réduit par l'art, en consistance d'une colle claire & transparente.

Les gelées de substances animales sont de fortes décoctions de cornes, d'os, de piés d'animaux, bouillies dans de l'eau, au point d'acquérir étant froides, une consistance ferme & gélatineuse.

Les gelées de végétaux sont des décoctions de fruits mûrs cuits avec du sucre, jusqu'à consistance convenable.

Les gelées de pain sont des décoctions de la croute de pain, ou du biscuit de mer qu'on fait bouillir dans de l'eau à petit feu, jusqu'à ce que la décoction ait acquise la forme d'une gelée froide.

La maniere de tirer des gelées de substances animales appartient à l'art culinaire ; celle des fruits est du ressort du confiseur ; mais le medecin sait profiter des unes & des autres pour la guérison des maladies.

La gelée de substances animales se tire ordinairement des extrémités des parties d'animaux, de volaille, & autres viandes qu'on juge convenables. On fait cuire ces viandes dans une certaine quantité d'eau proportionnée ; quand les viandes sont presque défaites, on les exprime, on en coule le bouillon par l'étamine ou un linge fort dans une casserolle ; on dégraisse ce bouillon soigneusement avec des aîles de plume ; on y ajoûte quelquefois du sucre, un peu de canelle, de cloux de girofle, de l'écorce de citron, ou tel autre ingrédient approprié ; on fait un peu recuire le tout ensemble ; ensuite on le clarifie avec des blancs d'oeufs ; on y joint pour l'agrément du jus de citron : on passe le tout par la chausse ; on le porte dans un lieu froid où il se fige.

On fait aussi de la gelée d'os qu'on amollit avec la machine industrieuse de Papin. Voyez ce que c'est que cette machine au mot DIGESTEUR.

L'art de la cuisine s'étend encore à masquer la couleur naturelle des gelées animales : on les blanchit avec les amandes pilées & passées à l'ordinaire ; on les jaunit avec des jaunes d'oeufs ; on les rougit avec du suc de bette-rave ; on les verdit avec du jus de poirée, qu'on fait cuire dans un plat pour en ôter la crudité, &c.

La gelée qu'on fait avec des piés de veau, de la volaille, des amandes douces blanchies, de la farine de ris, du sucre, & quelques gouttes d'eau de fleur d'orange, est ce qu'on nomme blanc-manger, nourriture avantageuse dans les cas où l'on se propose de tempérer l'âcreté des humeurs. Voyez BLANC-MANGER.

On se conduit de la même maniere pour le blanc-manger de corne de cerf, & pour la gelée simple de corne de cerf qu'on employe fréquemment en Medecine. Voyez CORNE DE CERF.

La gelée de poisson se tire de divers poissons qu'on vuide, qu'on dégraisse, qu'on fait bouillir, & dont on passe le bouillon par une étamine, après quoi on le met dans un pot pour l'usage ; mais on n'employe guere en Medecine que la gelée de viperes, & c'est peut-être encore assez mal-à-propos.

Toutes les gelées de substances animales sont alkalescentes, mais moins lorsqu'on les assaisonne de jus de limon & de sucre. Elles ne conviennent en qualité de remede, que quand l'acidité domine dans les premieres voies. Il faut toûjours les avoir fraîchement faites & nouvelles, parce qu'elles se gâtent promtement : en général elles sont plus alimenteuses & restaurantes, que médicamenteuses.

On faisoit autrefois entrer dans ces gelées des drogues medicinales en forme de poudres ou d'extraits, & on les appelloit gelées composées ; mais ces sortes de gelées ridicules ne sont plus d'usage aujourd'hui ; on n'a conservé que la seule gelée d'avoine simplifiée. Voyez GELEE D'AVOINE.

Passons aux gelées de fruits dont la consommation est immense dans toute l'Europe. On fait généralement de la gelée de fruits de la maniere suivante. On prend telles sortes de fruits qu'on veut ; on coupe les uns par morceaux, on presse les autres, on en ôte les grains, on les fait cuire dans de l'eau plus ou moins à-proportion de la dureté des fruits. Quand ils sont cuits, on les passe dans des linges ; on ôte en les passant le plus de décoction qu'il est possible ; on met cette décoction dans un poëlon ou dans une bassine à confiture avec une livre de sucre, plus ou moins, sur chaque pinte d'eau. On fait cuire le tout ensemble jusqu'à ce que la gelée soit bien formée ; ce qu'on connoît facilement, si en prenant de cette gelée dans une cuilliere, & la versant dans la bassine ou sur une assiette, elle tombe par flocons, & non pas en coulant ou en filant. C'est ainsi qu'on fait les gelées d'abricots, de cerises, de coins, d'épine-vinette, de framboises, de grenades, de groseilles, de poires, de pommes, de verjus.

Il faut seulement observer que les gelées rouges & vertes doivent cuire à petit feu, & être couvertes pendant qu'elles cuisent ; au lieu que les gelées blanches se cuisent à grand feu & découvertes. Il faut aussi plus de sucre à certains fruits qu'à d'autres ; enfin le confiseur a son art de manipulation qu'on ne sauroit décrire, & qui ne s'apprend que par le coup d'oeil & la pratique.

Les gelées de fruits sont agréables, rafraîchissantes, savonneuses, acescentes, propres dans plusieurs maladies, & toûjours avantageuses dans l'alkalescence & la putridité des humeurs. On les dissout, on les bat dans de l'eau, on en use en boisson ou d'autre maniere. (D.J.)

GELEE D'AVOINE, (Pharm.) gelatina avenacea, préparation d'avoine recommandée par plusieurs medecins dans les maladies naissantes de consomption. On prend une grande quantité d'avoine mondée, par exemple une livre & demie, de la rapure de corne de cerf deux onces, de raisins de Corinthe trois onces, un bon jarret de veau coupé par morceaux, & dont les of ont été rompus. On fait bouillir le tout ensemble à petit feu dans un vaisseau bien fermé pendant un tems suffisant ; on dégraisse ce bouillon s'il en est besoin ; on le coule, & sur le champ il se convertit en gelée, dont on avale plusieurs fois par jour quelques cuillerées dissoutes, soit dans le bouillon leger des mêmes ingrédiens, soit dans du bouillon de limaçons, d'écrevisses, soit dans quelqu'autre véhicule convenable. On en continue long-tems l'usage, & d'ordinaire avec succès. (D.J.)


GELINOTTEGELINOTTE DE BOIS, s. f. gallina corylorum, Attagen Gesneri, oiseau plus gros que la perdrix, & presqu'aussi gros qu'une poule. Willughby a décrit une gelinotte mâle qui avoit quatorze pouces de longueur depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout de la queue, & vingt pouces d'envergure. Le bec en étoit noir, & avoit presqu'un pouce de longueur ; la piece du dessus étoit un peu arquée ; il y avoit au-dessus des yeux à l'endroit des sourcils une membrane dégarnie de plumes & rougeâtre ; cette membrane étoit d'une couleur moins foncée dans la femelle ; les jambes étoient nues jusqu'à environ la moitié de leur longueur. Les deux doigts extérieurs tenoient l'un à l'autre par une membrane jusqu'à la premiere jointure ; ils avoient de chaque côté un feuillet dentelé ; l'ongle du doigt du milieu étoit tranchant sur le côté intérieur ; le ventre & la poitrine étoient blancs avec des taches noires sur le milieu des plumes de la poitrine ; le jabot avoit une couleur rousse, & la gorge une couleur noire environnée d'une bande blanche ; la gorge de la femelle n'étoit pas noire ; le mâle avoit une ligne blanche qui s'étendoit depuis les yeux jusqu'à l'occiput ; la tête étoit d'une couleur cendrée mêlée d'une teinte de roux ; le dos & le croupion avoient une couleur cendrée plus foncée comme sur les perdrix ; la partie inférieure du jabot avoit des bandes transversales de couleur noirâtre ; les plumes des côtés de la poitrine au-dessous des épaules étoient rousses ou fauves, à l'exception de la pointe qui avoit une couleur blanche ; les grandes plumes qui s'étendoient sur le dos depuis les épaules étoient blanches ; il y avoit vingt-quatre grandes plumes dans les aîles ; les barbes extérieures des premieres étoient brunes & blanches, & les barbes intérieures entierement brunes ; les petites plumes avoient des couleurs rousses, noires, & blanchâtres ; la queue étoit composée de seize plumes longues de cinq pouces ; les sept premieres de chaque côté étoient d'un blanc sale à la pointe ; il y avoit du noir au-dessus de ce blanc, & le reste de la plume étoit mêlé de blanc & de noir ; les deux plumes du milieu avoient la même couleur que le corps, avec des bandes transversales blanches & parsemées de petites taches brunes. La chair de la gelinotte devient blanche par la cuisson, & elle est fort tendre & très-délicate. Willughby, Ornith. Il y a beaucoup de gelinottes dans les Ardennes, dans la Lorraine, dans le Forès, dans le Dauphiné, dans les Alpes, &c. Voyez OISEAU. (I)

GELINOTTE, ou GELINOTTE DE BOIS, (Diete) La viande de cet oiseau est aussi salutaire qu'elle est délicieuse au goût ; elle doit être rangée, comme objet diététique, avec celle du faisan, du coq de bruyere, de la perdrix, &c. Voyez FAISAN & VIANDE. (b)


GELIVURES. f. (Agricult.) défaut, maladie, dommage qui arrive aux arbres par de fortes gelées.

La physique des végétaux, & sur-tout des principaux végétaux, qui sont les arbres, se porte même à la connoissance des accidens qui arrivent extraordinairement ; tels sont ceux que produisent les fortes gelées d'hyver. Elles font quelquefois fendre les arbres, suivant la direction de leurs fibres, & même avec bruit ; c'est ce que les Forestiers appellent gelivures, terme expressif qu'on ne trouve point dans nos meilleurs dictionnaires, & dont il faut pourtant enrichir notre langue.

Nos forêts ont été attaquées de maladies considérables par le froid de 1709 ; & quoique cette énorme gelée paroisse être très-ancienne, elle a produit dans les arbres du royaume des défauts ineffaçables.

Telles sont les gelivures, c'est-à-dire les fentes, les gerçures considérables des arbres dans toute la direction de leurs fibres. Ces arbres ainsi fendus ou gercés, sont marqués d'une arête ou éminence formée par la cicatrice qui a recouvert les gerçures qui restent dans l'extérieur de ces arbres sans se réunir, parce qu'il ne se fait jamais de réunion dans les fibres ligneuses, sitôt qu'elles ont été séparées. On conçoit fort bien que la seve, qui augmente de volume, comme toutes les liqueurs aqueuses, lorsqu'elle vient à geler, produit nécessairement des gelivures ; mais ne pourroit-il pas y en avoir qui fussent quelquefois occasionnées par d'autres causes, comme par une trop grande abondance de seve, ou autres vices de l'arbre ?

Quoi qu'il en soit, on a trouvé de ces défectuosités d'arbres dans tous les terroirs, & à toutes les expositions ; & même on a trouvé quantité d'arbres qui non-seulement étoient gelivés, mais qui avoient même une portion de bois mort renfermée dans de bon bois ; ce que les gens des forêts appellent gelivure entre-lardée. Alors les arbres ainsi malades étant sciés horisontalement, découvrent une portion de l'aubier mort & de l'écorce, entierement recouverte par le bois vif. Quand ce défaut n'occupe pas toute la longueur du tronc, il y a telles pieces carriées qui paroissent très-saines, & dont on n'a reconnu la gelivure que par hasard ; savoir, quand on a refendu ces pieces équarries, pour en faire des planches & des membrures. Voyez le mémoire de MM. Duhamel & de Buffon sur cette matiere, ann. 1737, de l'acad. des Sciences.

On peut tirer une utilité de ces faits ; c'est qu'il faut rebuter pour les ouvrages de conséquence, tous les bois attaqués de gelivures. Il n'y a ni terroir, ni exposition, ni art, qui puisse détourner le tort que les fortes gelées font aux arbres des forêts ; mais ce qui doit nous tranquilliser, c'est que l'évenement est très-rare. La gelée de 1709 a été accompagnée des circonstances d'un faux dégel, & de sur-gelées plus fortes que la premiere, qui sont des hasards si singuliers, que l'histoire ne parle guere que de trois à quatre hyvers semblables. (D.J.)


GELNHAUSENGelnusa, (Géogr.) petite ville impériale d'Allemagne, dans la Wétéravie, sous la protection de l'électeur Palatin, avec un château bâti par l'empereur Frédéric I. Elle est sur le Kintzig, à 10 lieues N. de Hanau, & 10 N. d'Aschaffenbourg. Long. 26. 48. lat. 50. 20. (D.J.)


GELONSS. m. pl. Gelonii, Gelones, (Géog. anc.) peuples d'Europe & d'Asie. Les Lithuaniens remplacent aujourd'hui les anciens Gelons européens, qui faisoient partie des Scythes, & qui étoient voisins des Sarmates. Les Gelons asiatiques habitoient la mer Noire & la mer Caspienne, proche des Melancténiens & des Colques. Ils buvoient du sang de cheval avec du lait caillé, comme les petits Tartares font encore aujourd'hui. Ils avoient aussi la réputation d'être d'excellens archers, & c'étoit-là l'épithete qu'on joignoit souvent à leur nom, sagittiferi Gelones. (D.J.)


GELOSCOPIES. f. (Divinat.) Ce mot vient de , ris, & de , je considere. C'est une espece de divination qui se tiroit du ris de la personne : on prétendoit acquérir ainsi la connoissance de son caractere & ses penchans, bons ou mauvais. Voyez l'article PHYSIONOMIE.


GEMAAJEDID(Géog.) ville & place forte d'Afrique, bâtie sur une haute montagne ; elle est marchande, assez bien peuplée, & située à vingt-cinq milles de Maroc. Au milieu de la ville est une belle mosquée, & le palais du prince. On nourrit force troupeaux de chevres sur la montagne, & c'est une des plus riches habitations du mont Atlas ; elle paye tous les ans avec ses villages 35 mille pistoles à son prince. (D.J.)


GEMARES. f. (Théol.) seconde partie du Talmud de Babylone. Voyez TALMUD. Il signifie supplément, ou plutôt complément.

Les rabbins appellent le Pentateuque simplement la loi. Ils nomment bischna ou seconde loi, la premiere partie du Talmud, qui n'est qu'une explication & une application de cette loi aux cas particuliers, avec les décisions des anciens rabbins sur ces cas : & la seconde partie, qui est une explication plus étendue de la même loi, & une collection des décisions des rabbins, postérieure à la mischna, ils la nomment gemara, c'est-à-dire perfection, complément, achevement, parce qu'ils la regardent comme un achevement de la loi, & une explication après laquelle il n'y a plus rien à souhaiter. Voyez MISCHNA.

La gemare se nomme aussi ordinairement Talmud, du nom commun de tout l'ouvrage. Il y a deux gemares ou deux Talmuds, celui de Jérusalem & celui de Babylone. La gemare n'est autre chose que l'explication de la mischna donnée par des docteurs juifs dans leurs écoles, à-peu-près comme les commentaires de nos théologiens sur le maître des sentences, ou sur S. Thomas, sont des explications des livres de ces deux auteurs.

M. de Tillemont prétend que la mischna a été commentée par un certain Johanan, que les Juifs mettent vers la fin du second siecle ; mais le P. Morin prouve qu'il n'a été écrit au plutôt que sous l'empire d'Héraclius, vers l'an 620, un peu avant l'hégire ; c'est ce qu'on appelle la gemare ou Talmud de Jérusalem, que les Juifs lisent & estiment peu, parce qu'il est fort obscur.

Ils font bien plus de cas de la gemare ou du Talmud de Babylone, commencé par un nommé Asa, discontinué pendant 73 ans, à cause des guerres des Sarrasins & des Perses, & achevé par Josa au commencement du vij. siecle.

Quoiqu'on comprenne sous le nom de Talmud, & la mischna & les deux gemares, néanmoins ce n'est proprement qu'à l'ouvrage d'Asa & de Josa qu'on donne ce nom.

Les Juifs l'estiment plus que tous leurs autres livres ; ils l'égalent à l'Ecriture, & lui donnent une autorité absolue, malgré les fables & les rêveries dont il est rempli. Ils le regardent comme la parole de Dieu venue par tradition de Moyse, & conservé par tradition constante jusqu'à ce que R. Jehuda, & ensuite R. Johanan, R. Asa & R. Josa, craignant qu'elle ne se perdît, à cause de la dispersion des Juifs, l'ont recueillie dans la mischna & dans la gemare. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


GEMATRIou GAMETRIE, s. f. (Théol.) nom de la premiere espece de cabale artificielle des Juifs. Voyez CABALE.

La gématrie est une espece d'explication géométrique & arithmétique des mots, qui se fait en deux manieres, ce qui forme deux especes de gématries : la premiere tient plus de l'Arithmétique, & la seconde a plus de rapport à la Géométrie.

Celle-là consiste à prendre la valeur numérique de chaque lettre dans un mot ou dans une phrase, & à donner à ce mot la signification d'un autre mot ou d'une autre phrase, dont les lettres prises de même pour des chiffres, font le même nombre ; car on sait que chez les Hébreux, comme chez les Grecs, il n'y a point d'autres chiffres que les lettres de l'alphabet. Voyez LETTRE & CARACTERE.

Ainsi un cabaliste ayant trouvé que les lettres de la phrase hébraïque il a créé au commencement, présentent le même nombre que les lettres de cette autre phrase hébraïque, il a été créé au commencement de l'année, il en conclura que le monde a été créé au commencement de l'année.

Ainsi c'est une opinion reçue chez les Cabalistes, que le monde a été créé au mois Thisri, qui étoit autrefois le premier de l'année. C'est le premier mois d'automne, qui répondoit à-peu-près à notre mois de Septembre. De même dans la prophétie de Jacob, Genes. 49. 10. où il est dit, celui qui est envoyé viendra, ils disent que celui qui est promis là est le Messie, parce que les lettres font le même nombre que celles du nom qui signifie Messiah, Messie ; car les unes & les autres font le même nombre 358.

La seconde espece de gématrie est plus difficile & plus obscure, aussi est-elle plus rare : elle s'occupe à chercher des significations abstruses & cachées dans les masures des édifices dont il est fait mention dans l'Ecriture, en divisant, multipliant ces grandeurs les unes par les autres. En voici un exemple pris de quelques cabalistes chrétiens.

L'Ecriture dit que l'arche de Noé étoit longue de 300 coudées, large de 50, & haute de 30. Le cabaliste prend pour la base de ses opérations la longueur de l'arche, 300 ; c'est en hébreu un : il divise cette longueur par la hauteur, qui est 30 : il trouve 10, qui en hébreu s'exprime par un , qu'il met à droite du : il divise ensuite la même longueur par la largeur, qui est 50 ; ce qui lui donne pour quotient 6, qui en hébreu s'exprime par un , qui étant mis au côté gauche du , fait avec les deux autres lettres le nom de Jesus, . Ainsi par les regles de la cabale il s'ensuit qu'on ne peut se sauver que par Jesus-Christ, comme au tems du déluge personne ne fut sauvé hormis ceux qui étoient dans l'arche.

On trouve de même le nom de Jesus dans les dimensions du temple de Salomon. Mais c'est faire tort à la religion, que de l'appuyer de ces vaines subtilités. Voyez FIGURE. Diction. de Trév. & Chamb. (G)


GEMBLOURSGeminiacum, (Géogr.) petite ville des Pays-Bas dans le Brabant, distinguée par une abbaye qui est remarquable par son ancienneté, & pour avoir donné des hommes illustres à l'Eglise. L'abbé joüit du titre de comte, & tient le premier rang dans les états de Brabant. Dom Juan d'Autriche gagna près de Gemblours une bataille sur l'armée des Etats-Généraux en 1578. Elle est sur l'Orne au diocèse de Namur, à 7 lieues de Louvain, 4 N. O. de Namur, 9 S. de Bruxelles. Long. 22. 20. lat. 50. 32. (D.J.)


GEMEAUX(LES) en Astronomie, sont une constellation ou signe du Zodiaque : ils représentent dans la fable Castor & Pollux. Ce signe est le troisieme. Voyez SIGNE & CONSTELLATION.

Les Gemeaux ont 24 étoiles dans Ptolomée, 29 dans Tycho, 89 dans le catalogue britannique. (O)


GEMELLES. f. (Marine) voyez JUMELLE.

GEMELLES, en termes de Blason, se dit des barres que l'on porte par paires ou par couples sur un écu d'armoiries. Il porte de gueules, au chevron d'argent, trois barres gemelles de sable. Voyez BARRE & nos Planches de Blason.


GEMINInom latin de la constellation des Gemeaux. Voyez GEMEAUX.


GÉMINY(LE) Géog. grande riviere des Indes, qui a sa source dans les montagnes qui sont au nord de Dehli, prend sa pente vers cette ville, devient ensuite un fleuve considérable, passe à Agra, & se jette enfin dans le Gange : c'est vraisemblablement le Jomanes de Pline. (D.J.)


GEMIRv. n. c'est exprimer sa douleur ou sa peine par une voix languissante, foible & inarticulée. Il se prend au simple & au figuré : au simple, comme dans cet exemple, je poussois de longs gémissemens : au figuré, il fait gémir les coussins sous le poids de son corps.


GEMITESvoyez GAMITES.


GEMME(SEL) Hist. nat. Voyez SEL.


GEMMINGENGimminga, (Géog.) petite ville d'Allemagne dans le palatinat du Rhin, sujette à l'électeur Palatin, entre Hailbron & Philipsbourg. Long. 26. 56. lat. 9. 7. (D.J.)


GEMONIESS. f. pl. (Hist.) les gemonies étoient chez les Romains à-peu-près ce que sont les fourches patibulaires en France. Voyez GIBET. Elles furent ainsi nommées, ou de celui qui les construisit, ou de celui qui y fut exposé le premier, ou du verbe gemo, je gémis.

D'autres disent gemoniae scalae, ou gradus gemonii. C'étoit, selon Publius Victor ou Sextus Rufus, un lieu élevé de plusieurs degrés, d'où l'on précipitoit les criminels. D'autres les représentent comme un lieu où l'on exécutoit & où l'on exposoit les malfaiteurs. Les gemonies étoient dans la dixieme région de la ville, auprès du temple de Junon. C'est Camille qui, l'an de Rome 358, destina ce lieu à exposer le corps des criminels à la vûe du peuple ; ils étoient gardés par des soldats, de peur qu'on ne vînt les enlever pour les enterrer ; & lorsqu'ils tomboient de pourriture, on les traînoit de-là avec un croc dans le Tibre, Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


GEMUND(Géog.) ville d'Allemagne dans la haute Autriche, considérable par ses salines. Cluvier pense que cette ville est le Laciacum d'Antonin. Elle est sur le Draun au nord d'un lac de même nom, que l'on croit être le lacus Foelix des anciens dans la Norique ripeuse, & qui prit le nom de Foelix, de la troisieme légion qui y avoit ses quartiers d'hyver. Long. 31. 40. lat. 47. 45.

Remarquons ici que les Allemands ont souvent donné le nom de Gémund, de Gmund, Gmuind ou Mund, aux lieux qui étoient à l'entrée ou à la sortie d'une eau coulante. Le mot mund signifie bouche ou embouchure. Tel est notre Gémund, Uzermund, dans la Marche ; Travemund dans le Holstein, &c. (D.J.)

GEMUND, Gemunda, (Géog.) petite ville impériale d'Allemagne dans la Soüabe. Son principal commerce consiste en chapelets, & la seule religion catholique romaine y est soufferte. Cette ville étoit originairement une abbaye de bénédictins. L'empereur Frédéric le Borgne l'entoura de murailles vers l'an 1090 ; & Frédéric Barberousse la fit ville impériale. Voyez Zeyler, suev. topogr. (D.J.)

GEMUND, (Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de Franconie, dans l'évêché de Wurtzbourg, sur le Mein. Long. 27. 20. lat. 50. 8.

Il y a encore d'autres lieux de ce nom dont il est inutile de parler dans ce Dictionnaire. (D.J.)


GENABUM(Géog. anc.) ancienne ville de la Gaule sur la Loire, au pays des Carnutes, c'est-à-dire au pays chartrain. Cette ville dont César fit le siége avant que d'aller à son expédition du Berri, est vraisemblablement Orléans & non pas Gien. Voyez-en les preuves dans une dissertation de M. Lancelot, mém. de littérat. tom. XII. (D.J.)


GENALadj. en Anatomie, ce qui appartient aux joues. La glande génale est une glande conglomérée, & comme une appendice de la parotide : il n'est donc pas surprenant que son canal s'insere toûjours dans celui de la parotide. Voyez PAROTIDE. (L)


GENAou GENEP, Genapium, (Géog.) petite ville franche & mairie du Brabant autrichien : elle est sur la Dyle à une lieue de Nivelle, sept de Louvain, six de Bruxelles. Longit. 22. 4. latit. 50. 36. (D.J.)


GENAUNESS. m. plur. Genauni, (Géog. anc.) Strabon dit que les Génaunes & les Brennes habitoient la partie extérieure des Alpes, avec les Noriques & les Vindéliciens. On place les Génaunes au val d'Anagnia, entre le lac de Côme & l'Adige ; & les Brennes au val Bregnia vers les sources du Tessin, sur les frontieres du Vallais & du canton d'Uri. (D.J.)


GENCIVES. f. en Anatomie, se dit de la chair ferme & immobile, qui occupe le dessus des alvéoles ou petits trous, dans lesquels les dents sont comme enchâssées. Voyez DENT.

Maladies chirurgicales des gencives. Les personnes saines ont les gencives fermes, vermeilles, & bien collées autour de la couronne de chaque dent, dont elles fortifient l'union dans l'alvéole. Les gencives sont sujettes à se tuméfier dans différentes affections contre nature ; elles deviennent lâches & molles, quelquefois elles s'enflamment & deviennent noirâtres ; elles s'ulcerent & exhalent une odeur putride & gangreneuse : c'est ce qu'on voit principalement dans le scorbut.

Lorsque le vice des gencives vient de la mauvaise disposition du sang, il faut y remédier en attaquant la cause par les remedes convenables. Voyez CACHEXIE & SCORBUT. Les remedes topiques ne doivent pas être négligés. Dans la tension inflammatoire des gencives, on se sert de gargarismes adoucissans & relâchans : lorsqu'elles sont molles, blanches & disposées à l'extubérance, on met en usage les gargarismes fortifians & astringens : si elles sont gonflées & engorgées de sang à un certain point, on est obligé de les scarifier avec une lancette, pour en procurer le dégorgement ; on met alors en usage les gargarismes vulnéraires. Dans le gonflement scorbutique sans ulcération, lorsqu'il est leger, le suc des limons est un excellent topique. L'eau-de-vie camphrée fortifie les gencives, & est fort utile contre la disposition à l'ulcération putride ; & dans le cas d'ulcération gangreneuse, on a recours aux anti-putrides, parmi lesquels l'esprit de cochléaria, la teinture de gomme laque, &c. sont fort recommandés.

Fabrice d'Aquapendente prescrit de cautériser legerement, avec un fer mince, les gencives tuméfiées, livides & pourries ; il les frottoit ensuite avec du miel, & faisoit gargariser avec du vin miellé.

Il survient quelquefois autour des dents une excroissance charnue, dont il a été parlé au mot EPULIDE. Pour complete r cet article, nous dirons que de tous les moyens proposés, l'extirpation par l'instrument tranchant est le plus convenable ; mais que pour obtenir la guérison parfaite de cette tumeur, il faut presque toûjours la cautériser. Les épulis sont susceptibles de grossir au point d'empêcher le malade de parler & de manger. Ambroise Paré dit en avoir emporté de si considérables, qu'elles sortoient en partie de la bouche, & qu'il a été obligé de cautériser à différentes fois la racine de la tumeur, parce qu'elle répulluloit ; il n'a obtenu la consolidation parfaite de l'ulcere, qu'après avoir détruit la portion cariée de l'os maxillaire, sur laquelle cette excroissance avoit végété.

La carie de l'os est presque toûjours la cause ou l'effet des épulis. La plûpart des observations qu'on a sur cette maladie, montrent que la carie de la dent en est fréquemment la premiere cause, comme nous le remarquerons plus bas. Job à Meerkréen fameux chirurgien d'Amsterdam, rapporte qu'un homme vigoureux & de la meilleure constitution, se fractura la mâchoire inférieure par une chûte. Il survint une excroissance fongueuse, du volume du poing ; elle empêchoit le malade de parler & de manger, & le rendoit fort difforme. L'amputation de cette tumeur parut indispensable ; mais l'opérateur voyant en commençant son incision qu'il ne sortoit pas une goutte de sang, il jugea qu'il falloit nécessairement procéder à l'extirpation éradicative de la tumeur ; ce qui fut exécuté sur le champ. L'ouverture de la bouche n'étoit point assez grande pour permettre l'issue de cette excroissance ; il fallut la couper ensuite pour la tirer en différentes parties. On se servit de gargarismes vulnéraires & détersifs, convenables à la mondification de l'os carié. Le surlendemain de l'opération, on sentit deux esquilles vacillantes, & assez fortes ; on en fit l'extraction, & le malade guérit en très-peu de tems.

Il est à-propos que les Chirurgiens soient prévenus que l'amputation des épulis peut être accompagnée d'une hémorrhagie assez considérable. L'auteur que je viens de citer, en donne un exemple remarquable. Une jeune demoiselle étoit sujette à des fluxions à la tête, aux oreilles, & aux dents. Il lui survint au palais une tumeur blanchâtre, grosse comme un gland, qu'on crut pleine de pus. L'ouverture ne donna issue qu'à du sang vermeil, & en grande quantité. L'hémorrhagie fut arrêtée par une compression avec le doigt, continuée assez long-tems. Cinq ou six jours après, la tumeur avoit acquis un volume plus considérable qu'auparavant ; personne ne doutoit plus qu'elle ne contînt véritablement du pus : on en fit l'ouverture ; le sang sortit avec beaucoup d'impétuosité & d'abondance. On se servit de linge brûlé pour arrêter cette seconde hémorrhagie, & l'on ne jugea plus devoir revenir à l'opération, qu'après qu'on auroit des signes certains de purulence. Pour la procurer, l'on fit user de gargarismes avec la décoction d'oignons de lis & de racines d'althaea, de feuilles de mauve & de guimauve, de graines de lin & de figues ; on ajoûtoit une once de sirop d'althaea à une livre de cette décoction. La malade en tenoit fréquemment dans sa bouche : la tumeur diminua de volume, elle s'ouvrit d'elle-même ; mais la guérison ne fut parfaite qu'après l'exfoliation de l'os.

Scultet parle d'une excroissance fongueuse à la partie antérieure du palais, derriere les dents incisives, qui rendoit du sang abondamment, pour peu que la malade la poussât avec la langue. Il fit diminuer cette tumeur en la touchant avec un mélange d'esprit de vitriol rectifié, de suc de pourpier, & de teinture de roses : il extirpa le reste en l'arrachant avec des pinces à polype ; la cure fut terminée radicalement en dix jours. Dans ce dernier cas, l'os n'étoit point altéré ; mais s'il y avoit carie, il faudroit après l'extirpation avoir recours au cautere actuel. Ruisch rapporte, dans la quarante-huitieme de ses observations anatomiques & chirurgicales, une très-belle cure d'une excroissance fongueuse au palais, avec carie de l'os maxillaire, & opérée par les moyens que je viens de citer.

La carie des dents produit souvent des maladies du sinus maxillaire, qui s'annoncent quelquefois par une tumeur fongueuse aux gencives. Une femme, au rapport de Ruisch, observat. 77. étoit très-mal d'une tumeur à la joue, avec excroissance maligne aux gencives. Après l'extirpation de cette excroissance & l'arrachement de quelques dents molaires, d'habiles chirurgiens porterent le cautere actuel jusque dans le sinus maxillaire, dont on tira quelques jours après avec le petit doigt, quantité de tubercules polypeux de la grosseur d'un pois ou environ.

La carie des dents étant la cause la plus fréquente des maladies du sinus maxillaire, leur extraction, si bien indiquée par le mal même dont elles sont attaquées, devient aussi nécessaire par le traitement des maladies du sinus : on peut même arracher une dent saine pour procurer l'issue du pus & déterger le sinus. Drake chirurgien anglois, traitant un homme qui avoit un ozene dont le siége étoit dans le sinus maxillaire, voyant que la matiere acre & purulente ne sortoit par le nez qu'en très-petite quantité, lorsque le malade étoit couché sur le côté sain, il prit le parti de tirer la seconde des dents molaires ; il perça ensuite avec un instrument convenable, le fond de l'alvéole, & parvint ainsi dans le sinus même. La matiere prit son cours de ce côté ; on fit des injections spiritueuses, & le malade guérit radicalement.

Il peut rester à la suite de l'extraction d'une dent par l'alvéole, de laquelle on a pénétré dans le sinus, un écoulement de sérosité muqueuse, fournie par les tuyaux excréteurs de la membrane qui tapisse le sinus. Higmar, qui a décrit avec tant d'exactitude le sinus maxillaire, qu'on a donné son nom à ce sinus, dit qu'une dame avoit un écoulement continuel d'une humeur séreuse à la suite de l'extraction d'une dent canine, avec laquelle une portion de la mâchoire supérieure fut emportée, de sorte qu'il y avoit un passage libre dans le sinus. Cette dame fut un jour fort effrayée en cherchant l'origine de cet écoulement. Elle introduisit un stilet d'argent dans l'alvéole, & il entra jusque vers l'orbite ; elle prit ensuite une petite plume dont elle avoit ôté les barbes, & la passa presque toute entiere dans le sinus, quoiqu'elle eût plus de six travers de doigts de longueur : elle croyoit l'avoir portée jusqu'au cerveau. Higmar qu'elle consulta, reconnut que la plume avoit tourné en spirale dans le sinus, & il la tranquillisa en lui faisant voir l'étendue de cette cavité sur un of maxillaire préparé ; mais il ne donna aucun conseil sur l'incommodité dont cette personne se plaignoit.

J'ai vû au mois de Mai 1751, avec M. Morand, une dame de 45 à 50 ans, à qui l'on avoit arraché dix ans auparavant la premiere dent molaire de la mâchoire supérieure du côté droit. La racine étoit restée, ou du-moins la pointe de la racine. Il y avoit dix mois, que fatiguée de douleurs & de fluxions, accompagnées d'une issue de pus fétide par le nez dont quelques gouttes coulerent enfin par l'alvéole de la dent arrachée, cette dame consulta à Compiegne M. de la Martiniere & différens medecins & chirurgiens de la cour. M. le premier chirurgien conseilla l'extraction de la seconde molaire, quoiqu'elle fût saine. M. Capperon dentiste du roi, extirpa la dent ; il sortit beaucoup de pus par l'alvéole : il est resté une ouverture dont il distilloit une eau salée. Cette-dame se plaignoit qu'en se mouchant, l'air entroit par l'alvéole dans le sinus maxillaire, & l'incommodoit. Nous avons sondé ce trou, & avons jugé que les parties molles qui en tapissent la circonférence & l'intérieur, étant bien consolidées, ce trou ne se fermeroit jamais naturellement, & qu'on pouvoit obtenir le bon effet d'une réunion parfaite par l'usage d'un bouchon de cire.

J'ai lû depuis dans le quatrieme volume du recueil de dissertations anatomiques, publié par M. de Haller, une these de M. Reininger sur les cavités des of de la tête ; il y donne une observation de M. Trew, laquelle a beaucoup de rapport avec le cas dont je viens de parler. Un homme de quarante ans étoit tourmenté depuis plusieurs années d'une douleur de dents, avec un gonflement de la joue. La troisieme dent molaire étoit entierement cariée, & il y avoit à sa base un trou dans lequel le stilet entroit de la longueur d'un travers de doigt. L'application d'un cataplasme émollient sur la tumeur, détermina une suppuration par ce trou ; on arracha la dent, & il sortit beaucoup de matieres purulentes, dont le foyer étoit dans le sinus. Les injections qu'on y fit pour le mondifier, sortoient en partie par le nez, lorsque le malade panchoit la tête en-devant. L'ouverture de l'os ne se consolida point ; & pour empêcher les alimens & l'air de pénétrer dans le sinus & d'incommoder, on conseilla un obturateur fait avec de la cire, à laquelle on ajoûtoit de la poudre de corail, afin de lui donner plus de consistance. Par ce moyen la personne n'a plus éprouvé la moindre incommodité. Scultet a tenté avec succès l'application du cautere actuel pour obtenir une cure absolument radicale dans un cas de cette nature. Il avoit fait des injections dans le sinus maxillaire, après l'extraction d'une dent cariée : ennuyé de ce que l'ouverture ne se fermoit point, il porta un fer rouge dans l'alvéole, & en cautérisa assez fortement la circonférence. A la chûte de l'escare, l'os lui parut carié ; il le toucha trois ou quatre fois avec les fers chauds, & se servit de remedes dessicatifs : après l'exfoliation, l'ulcere se consolida fort exactement. Si l'auteur ne s'est pas mépris sur la carie, en prenant pour une altération primitive ce qui n'étoit que l'effet du cautere actuel & de la chûte de l'escare, il auroit épargné de la douleur à son malade, en lui faisant porter un obturateur, comme dans les cas précédens.

Quand la maladie du sinus manifestée par les signes propres, n'est point accompagnée de dent cariée, c'est la troisieme molaire qu'il faut arracher, si aucune circonstance ne détermine qu'on en tire une autre, parce qu'elle répond plus précisément au centre du sinus : mais si les dents étant tombées depuis du tems, & l'arcade alvéolaire diminuée dans toutes ses dimensions & en partie effacée, la substance osseuse étoit devenue plus compacte & plus serrée dans cet endroit, on pourroit ouvrir le sinus dans sa paroi extérieure, au-dessus de l'arcade alvéolaire, à l'endroit où répondoit la racine de la troisieme dent molaire. Il n'est pas difficile de concevoir les instrumens convenables pour pratiquer cette opération. (Y)


GENDARMES. m. (Hist. mod. & Art milit.) c'étoit autrefois un cavalier armé de toutes pieces, c'est-à-dire qui avoit pour armes défensives le casque, la cuirasse, & toutes les autres armures nécessaires pour couvrir toutes les parties du corps. Le cheval du gendarme avoit la tête & les flancs aussi couverts d'armes défensives. Les cavaliers armés de cette maniere, furent d'abord appellés hommes d'armes, & ensuite gendarmes. Voyez HOMME D'ARMES.

" De tout tems les hommes d'armes ou gendarmes, dit le P. Daniel, ont été regardés comme la plus noble partie de la milice françoise. Depuis l'institution des compagnies d'ordonnance par Charles VII. les grands seigneurs, les maréchaux de France, les connétables, les princes du sang, se sont fait honneur de commander ces sortes de compagnies ; & dans la suite les rois mêmes ont voulu en avoir une dont ils se faisoient les capitaines ". Hist. de la milice franç. tom. II. pag. 182.

Le poids considérable des armes du gendarme qui le rendoit propre à soûtenir un choc & à combattre de pié ferme, ne lui permettoit pas de poursuivre l'ennemi lorsqu'il étoit rompu ; il y avoit pour y suppléer une autre espece de cavalerie plus legerement armée, qu'on appelloit par cette raison cavalerie legere.

Quoique cette différente maniere d'armer la cavalerie ait été totalement abolie sous le regne de Louis XIV. on a conservé néanmoins le nom de gendarmerie à plusieurs corps qui avoient autrefois l'armure du gendarme ; & l'on a appellé cavalerie legere, tous les autres corps de la cavalerie.

Le corps de la gendarmerie de France est divisé en troupes particulieres, appellées compagnies.

Les compagnies sont de deux sortes : les unes sont destinées à la garde du roi, & elles forment le corps qu'on appelle la maison du roi ; les autres, qui n'ont pas le même objet, retiennent l'ancien nom de gendarmerie, ou de compagnies d'ordonnance.

Les compagnies du corps de la gendarmerie qui composent la maison du roi, sont les quatre compagnies des gardes-du-corps, celle des gendarmes de la garde, celle des chevau-legers, & les deux compagnies de mousquetaires. La compagnie des grenadiers-à-cheval est toûjours à la suite de ce corps, mais elle n'en fait pas partie.

Dans l'usage ordinaire, lorsqu'on veut exprimer un maître ou un cavalier des gendarmes de la maison du roi, on lui donne le titre de gendarme de la garde : on se sert simplement de celui de gendarme pour tous les maîtres des compagnies d'ordonnance.

La compagnie des gendarmes de la garde avoit autrefois le premier rang dans la maison du roi. Les gardes-du-corps obtinrent ensuite ce privilége vers l'an 1665. " Sa majesté étant à Vincennes, dit le P. Daniel, fit une revûe des troupes de sa maison, où les gendarmes qui avoient toûjours eû la droite sur les gardes-du-corps, eurent ordre de passer à la gauche. La volonté du roi, & la grande ancienneté des quatre compagnies des gardes du roi, en comparaison des autres compagnies de la maison du roi, furent alors & ont été depuis, leur titre de préséance ". Hist. de la milice franç. t. II. p. 190.

Le même auteur prétend que c'est le roi Louis XIII. qui à son avenement à la couronne, voulant donner à la compagnie des gendarmes une marque particuliere de confiance, la mit dans le corps de troupes destinées à sa garde.

Cette compagnie est de deux cent maîtres ; on l'augmente quelquefois jusqu'à deux cent quarante en tems de guerre. C'est le roi qui en est capitaine. Le commandant a le titre de capitaine-lieutenant, comme l'ont tous les autres commandans des compagnies qui composent le corps de la gendarmerie de France.

Les gendarmes de la garde ont, après le commandant, deux officiers supérieurs qui ont le titre de capitaines-sous-lieutenans. Ils ont de plus trois officiers, qui ont chacun le titre d'enseigne, & trois autres qui ont celui de guidon.

Il y a dix maréchaux-des-logis dans cette compagnie, parmi lesquels on en choisit deux pour remplir les fonctions de major, sous le titre d'aides-major.

Les deux sous-lieutenans des gendarmes de la garde ont, en qualité de capitaines-sous-lieutenans, la préséance & le commandement dans le service de la maison du roi, sur les lieutenans des gardes-du corps : c'est un privilége que n'ont point les autres sous-lieutenans des compagnies de la maison du roi.

La compagnie des gendarmes de la garde est divisée en quatre brigades. Il y en a une de service chaque quartier chez le Roi. Cette compagnie a rang immédiatement après les gardes-du-corps. A l'armée, son camp ferme la gauche de celui de la maison du roi.

Il y a quatre étendarts dans cette compagnie, savoir un à chaque brigade. Ils sont de satin blanc relevé en broderie d'or. Leurs devises sont des foudres qui tombent du ciel, avec ces mots pour ame, quo jubet iratus Jupiter. Ces étendarts sont déposés dans la ruelle du lit de Sa Majesté ; la compagnie les envoye prendre par un détachement lorsqu'elle en a besoin, & on les reporte au même lieu escortés par un pareil détachement.

La compagnie des chevau-legers de la garde du roi joüit de ce même privilége, pour le dépôt de ses étendarts.

L'uniforme des gendarmes de la garde est d'écarlate avec des galons d'or sur toutes les tailles ; les paremens de l'habit sont de velours noir. Il y a quatre trompettes & un tymbalier à la suite de la compagnie.

Les gendarmes de la garde, ainsi que les autres maîtres de la maison du roi, ont d'abord le grade de lieutenant de cavalerie ; après quinze ans de service ils obtiennent celui de capitaine de cavalerie. Voyez GARDES-DU-CORPS.

Les compagnies d'ordonnance auxquelles on donne en particulier le nom de gendarmerie, sont au nombre de seize, qui forment huit escadrons.

Les quatre premieres compagnies sont, 1°. les gendarmes écossois, 2°. les gendarmes anglois, 3°. les gendarmes bourguignons, 4°. les gendarmes flamands ; ces quatre premieres compagnies sont celles du roi.

Les autres compagnies portent le nom des princes qui les commandent. Les gendarmes de la reine, les chevau-legers de la reine ; les gendarmes de M. le dauphin, les chevau-legers de M. le dauphin ; les gendarmes de Bourgogne, les chevau-legers de Bourgogne, &c. Chaque compagnie de gendarmes ou de chevau-legers est divisée en deux brigades ; le capitaine-lieutenant en entretient une, & le sous-lieutenant l'autre. Outre ces deux officiers il y a dans les compagnies des gendarmes pour troisieme & quatrieme officier un enseigne & un guidon ; & dans les compagnies de chevau-legers un premier cornette & un second cornette.

Les gendarmes & les chevau-legers sont armés comme la cavalerie. Ils sont habillés de rouge, avec quelques galons d'argent, & ils ont des bandoulieres qui distinguent les compagnies.

Les capitaines-lieutenans des gendarmes ont rang de mestre-de-camp, aussi-bien que tous les sous-lieutenans, l'enseigne & le guidon des écossois. Ce rang a été fixé par une ordonnance du premier Mars 1718, laquelle accorde aussi aux enseignes & guidons des autres compagnies, le rang de lieutenant-colonel. Les maréchaux-des-logis de ce corps ont rang parmi les capitaines de cavalerie ; mais ils ne montent point aux charges supérieures de leurs compagnies. Tous les emplois, jusqu'à ceux des guidons compris, se vendent avec l'agrément & la permission du roi.

La compagnie des gendarmes écossois est très-ancienne ; elle étoit sur pié dès le tems de Charles VII. Elle étoit autrefois composée d'écossois ; mais il y a du tems qu'elle ne l'est plus que de françois, comme les autres compagnies. Il lui reste encore pour priviléges particuliers, celui d'avoir rang avant les deux compagnies de mousquetaires : elle monte la garde à cheval chez le roi avant ces deux compagnies, lorsque sa majesté est à l'armée ou en voyage.

La gendarmerie forme à la guerre huit escadrons ; les huit premieres compagnies sont les premieres de chaque escadron, & les huit dernieres achevent chaque escadron.

Toutes les compagnies de la maison du roi & de la gendarmerie sont subordonnées au commandant de la cavalerie, mais elles font corps entr'elles : elles ont un même commandant, qui a sous lui deux brigadiers ; savoir, l'un pour la maison du roi, & l'autre pour la gendarmerie. A l'armée la maison du roi & la gendarmerie campent ensemble. La gendarmerie est à la gauche des gendarmes de la garde ; son camp en est seulement séparé par un intervalle de vingt ou vingt-cinq toises.

La gendarmerie a la droite sur tous les régimens de cavalerie de l'armée. " C'est le corps, comme le dit le P. Daniel, le plus distingué après la maison du roi. Les quatre officiers supérieurs des compagnies sont toûjours des personnes de naissance. Ce corps s'est souvent signalé & a beaucoup contribué au gain des batailles, comme à Senef, à Cassel, à la Marsaille, à Spire, & sur-tout il s'acquit beaucoup de gloire à la journée de Fleurus ". Hist. de la milice franç. tome II. page 233. (Q)


GENDRES. m. terme de relation, celui qui épouse, devient le gendre du pere & de la mere de la femme qu'il prend ; & le pere & la mere sont, l'un son beau-pere, & l'autre sa belle-mere.


GÉNÉALOGIES. f. (Hist.) mot tiré du grec, & qui n'a que la terminaison françoise. Il est composé de , race, lignée, & de , discours, traité.

On entend ordinairement par généalogie, une suite & dénombrement d'ayeux, ou une histoire sommaire des parentés & alliances d'une personne ou d'une maison illustre, tant en ligne directe qu'en ligne collatérale. Voyez LIGNE DIRECTE, COLLATERAL, DEGRE, &c.

Il faut prouver sa noblesse par sa généalogie, quand on entre dans des ordres nobles & militaires, ou dans certains chapitres, & c'est ce qu'on appelle faire ses preuves. On est aussi quelquefois obligé de faire apparoir de sa généalogie dans un procès où il s'agit de succession. Voyez PREUVES & NAISSANCE.

On forme d'une généalogie une espece d'arbre. Voyez l'article suivant.

L'étude des généalogies est d'une extrème importance pour l'histoire ; outre qu'elles servent à distinguer les personnages historiques du même nom & de même famille, elles montrent les liaisons de parenté, les successions, les droits, les prétentions. Mais il faut être en garde contre les absurdités de certains historiens, qui par adulation font remonter jusqu'aux tems héroïques, l'origine des maisons ou des princes en faveur de qui ils écrivent ; comme il arriva à un auteur espagnol, qui vouloit faire la cour à Philippe II. Il le faisoit descendre en ligne directe d'Adam, depuis lequel jusqu'à ce prince, il comptoit cent dix-huit générations sans lacune ou interruption. Il n'est guere de nation qui n'ait ses fables à cet égard.

Si l'on avoit la généalogie exacte & vraie de chaque famille, il est plus que vraisemblable qu'aucun homme ne seroit estimé ni méprisé à l'occasion de sa naissance. A peine y a-t-il un mendiant dans les rues qui ne se trouvât descendre en droite ligne de quelque homme illustre, ou un seul noble élevé aux plus hautes dignités de l'état, des ordres & des chapitres, qui ne découvrît au nombre de ses ayeux, quantité de gens obscurs. Supposé qu'un homme de la premiere qualité, plein de sa haute naissance, vît passer en revûe sous ses yeux, toute la suite de ses ancêtres, à-peu-près de la même maniere que Virgile fait contempler à Enée tous ses descendans, de quelles différentes passions ne seroit-il pas agité, lorsqu'il verroit des capitaines & des pastres, des ministres d'état & des artisans, des princes & des goujats, se suivre les uns les autres, peut-être d'assez près, dans l'espace de quatre mille ans ? De quelle tristesse ou de quelle joie son coeur ne seroit-il pas saisi à la vûe de tous les jeux de la fortune, dans une décoration si bigarrée de haillons & de pourpre, d'outils & de sceptres, de marques d'honneur & d'opprobre ? Quel flux & reflux d'espérances & de craintes, de transports de joie & de mortification, n'essuyeroit-il pas, à-mesure que sa généalogie paroîtroit brillante ou ténébreuse ? Mais que cet homme de qualité, si fier de ses ayeux, rentre en lui-même, & qu'il considere toutes ces vicissitudes d'un oeil philosophique, il n'en sera point altéré. Les générations des mortels, alternativement illustres & abjectes, s'effacent, se confondent, & se perdent comme les ondes d'un fleuve rapide, rien ne peut arrêter le tems qui entraîne après lui tout ce qui paroît le plus immobile, & l'engloutit à jamais dans la nuit éternelle. (D.J.)

Quand les familles modernes remontent jusqu'au tems des premieres croisades, & qu'à partir de-là elles prennent pour tige un homme dejà illustre ou de quelque considération, leur généalogie peut être regardée comme respectable. On peut s'aider sur ces matieres des généalogies anciennes de Claude de l'Isle, & d'un livre du P. Buffier, intitulé les souverains de l'Europe, & pour la maison de France en particulier, de l'histoire généalogique qu'en a donné M. le Gendre de Saint-Aubin.


GÉNÉALOGIQUE(ARBRE) Art héraldique, stemma dans Séneque, grande ligne au milieu de la table généalogique, qu'elle divise en d'autres petites lignes, qu'on nomme branches, & qui marquent tous les descendans d'une famille ou d'une maison ; les degrés généalogiques se tracent dans des ronds rangés au-dessus, au-dessous, & aux côtés les uns des autres, ce que nous avons imité des Romains, qui les appelloient stemmata, d'un mot grec qui veut dire une couronne de branches de fleurs.

C'est un amusement pour un philosophe, que de voir l'arbre généalogique d'un gentilhomme buriné sur une grande feuille de vélin ; vous trouvez toûjours cet arbre taillé, émondé, cultivé, sans mousse, sans bois-mort, & sans aucune branche pourrie ; vous êtes encore presque sûr de trouver à la tête de la plûpart des arbres généalogiques, un grand ministre d'état, ou un célebre militaire. L'honnête artisan qui a donné la naissance à cet homme illustre, dont on prétend descendre, est retranché de l'arbre généalogique, avec tous ses ancêtres d'une vie frugale, & vous diriez que le fondateur de la maison n'a jamais eu de pere. Mais si nous remontions plus haut vers la source de plusieurs nobles de tout pays, nous les perdrions peut-être dans une foule d'artisans ou de fermiers, sans espérance de les en voir sortir, à-peu-près comme la voie appienne des anciens Romains, qui après avoir couru plusieurs milles, s'alloit perdre dans un marais. (D.J.)

Table généalogique, est la table des ancêtres de quelqu'un. On dispose ces tables en colonnes ou en arbres. Voyez ci-dessus ARBRE GENEALOGIQUE.


GÉNÉALOGISTES. m. (Art hérald.) faiseur de généalogies, qui décrit l'histoire sommaire des parentés & des alliances d'une personne, ou d'une maison illustre, qui en établit l'origine, les branches, les emplois, les décorations. C'est une science toute moderne, faite par M. d'Hozier en France ; c'est lui qui a débrouillé le premier les généalogies du royaume, & qui les a tirées des plus profondes ténebres.

D'Hozier (Pierre) dont il s'agit ici, étoit fils d'un avocat, & nâquit à Marseille en 1592. Le pur hasard le jetta dans le goût des recherches généalogiques, lorsqu'il y pensoit le moins, & uniquement pour rendre service à M. Créqui de Bernieulle, qui avoit des raisons personnelles d'être au fait de sa généalogie. M. d'Hozier après y avoir travaillé longtems, publia pour son coup d'essai, la généalogie de la maison de Créqui-Bernieulle ; le succès qu'il eut, fit sa réputation & sa fortune. Louis XIII. lui conféra en 1641 la charge de juge d'armes de France, vacante par la mort de François de Chevrier de Saint-Mauris, qui exerça le premier cette fonction en 1614 ; mais M. d'Hozier laissa son prédécesseur bien loin derriere lui, en réduisant la connoissance de tous les titres des nobles, en principes & en art. Alors la noblesse du royaume desira d'avoir une généalogie dressée de sa main ; on lui remit les armes, les noms, les sur-noms, & les contrats de chaque famille : à son travail prodigieux il joignoit une mémoire étonnante en ce genre. M. d'Ablancourt disoit qu'il falloit qu'il eût assisté à tous les mariages & à tous les baptêmes du royaume. Louis XIV. à son avenement à la couronne, avoit créé en sa faveur la charge de généalogiste de France, & lui donna en 1651 un brevet de conseiller d'état. Il mourut comblé de faveurs le premier Décembre en 1660, & laissa trois fils qui marcherent sur ses traces.

Louis-Roger d'Hozier son fils ainé, fut non-seulement pourvû en 1666 de l'emploi de généalogiste & de juge d'armes de France, mais encore d'une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, & du collier de l'ordre de S. Michel.

Louis-Pierre d'Hozier son second fils eut les mêmes titres & les mêmes graces.

Enfin Charles d'Hozier, autre fils de Pierre d'Hozier, trouva dans les mémoires de son pere, quantité de matériaux pour augmenter le nobiliaire de France, & dressa toutes les généalogies des maisons anciennes & illustres, sous le titre de GRAND NOBILIAIRE, qu'il publia à Châlons. Il réduisit dans une forme nouvelle les preuves de noblesse pour les pages du roi, ceux de ses écuries, & les demoiselles de saint Cyr. Sa majesté le gratifia des mêmes titres qu'avoient eu ses freres, & d'une pension de deux mille livres. M. le duc de Savoie l'honora de la croix de la religion, & des ordres militaires de S. Maurice & de S. Lazare.

Parmi les généalogistes les plus accrédités, l'on peut mettre au premier rang M. de Clérambault, spécialement chargé des généalogies & preuves des personnes nommées chevaliers des ordres du roi. (D.J.)


GÉNEHOou GHENIOA, (Géog.) pays d'Afrique dans la Nigritie, le long du Niger ; il abonde en coton, orge, ris, troupeaux & poisson. La province de Gualata le borne au nord, la riviere du Sénéga au sud, & l'Océan atlantique le baigne au couchant ; c'est-là du-moins en gros ce qu'en disent les voyageurs, qui ont successivement copié Leon l'affriquain. Les cartes de Dapper, celles de Sanson, de Nolin & autres, conservent le pays de Génehoa, au nord du Niger ; les nouvelles cartes nomment ce même pays, le pays de Sénega. (D.J.)


GÉNEP(Géogr.) Genepum, ville d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, au duché de Cleves, sujette au roi de Prusse, avec un château & titre de comté. Les Hollandois la prirent en 1641, & les François en 1672 ; elle est sur la Néers, proche la Meuse, à deux lieues sud-oüest de Cleves, cinq sud-oüest de Nimegue, dix nord-oüest de Venlo. Long. 23. 25. lat. 51. 52. Voyez GENAP. (D.J.)


GÊNERv. act. vient de mettre à la gêne, questionner, tourmenter, donner la torture ; il se dit même encore en ce sens : si l'on eût gêné violemment ce criminel, croit-on qu'il n'eût pas nommé ses complices ? Mais il se prend en deux autres sens assez différens ; l'un au moral, comme dans cet exemple ; les juges ont été gênés dans leur conduite, dans leur procédure ; & l'autre en physique, comme dans celui-ci : cette piece gêne celle-ci, & l'empêche de se mouvoir librement. Toutes les expressions telles que celles-ci ont été empruntées des phénomenes sensibles, & ce sont les obstacles au mouvement des corps qu'on a d'abord designés, ensuite les mêmes dénominations ont été transportées aux mouvemens de l'ame.


GÉNÉRALadj. (Gram.) on désigne par cet adjectif quelque chose de commun à tout ce qui peut être considéré sous un même point de vûe ; ainsi on dit en Physique de la pesanteur, que c'est une propriété générale de la matiere ; en Métaphysique de la sensibilité, que c'est une propriété générale des animaux ; en Mathématique d'un théorème, d'un problème, d'où résultent un grand nombre de conséquences & d'applications, & qui s'étendent quelquefois sur presque toute une science, qu'ils sont généraux : on dit aussi d'une formule qui comprend un très-grand nombre de cas, & dont on peut tirer plusieurs autres formules particulieres, qu'elle est générale. Voyez FORMULE. Lorsque d'une formule particuliere, on s'éleve à une formule générale, cela s'appelle généraliser la formule. (O)


GÉNÉRAL D'ARMÉE(Hist. anc.) chef ou commandant de l'armée. Chez les Grecs, on le nommoit polémarque, & c'étoit à Athènes l'un des archontes ; à Rome sous la république, c'étoient les consuls, les préteurs ou les pro-consuls, qui commandoient les armées, en conséquence des decrets du sénat ; ils avoient un ou plusieurs lieutenans sous leurs ordres. Quoique la cavalerie eût un chef particulier nommé magister equitum, il étoit toûjours subordonné aux consuls. S'il y avoit un dictateur, ce premier magistrat nommoit le général de la cavalerie, lequel faisoit exécuter ses ordres, & lui servoit de lieutenant ; mais Jules-César s'étant servi de la dictature, pour faire revivre en sa personne le gouvernement monarchique, il abolit la charge de général de la cavalerie.

Dans les campemens & les marches, le général de l'armée romaine se plaçoit ordinairement au centre, entre les princes & les triaires, accompagné de ses gardes & de ses véterans, s'il en avoit ; car quelquefois il jugeoit à-propos de les distribuer dans les rangs, pour animer & soûtenir les autres soldats.

Quelquefois avant que de combattre, il haranguoit ses troupes, soit pour leur inspirer plus de courage, soit pour les instruire de ses projets. Il est vrai qu'il ne pouvoit pas être entendu de toute l'armée ; mais il suffisoit qu'il le fût de ceux qui étoient les plus près de sa personne, des tribuns, des centurions, & d'autres officiers subalternes des cohortes ; ceux-ci faisoient passer jusque aux derniers soldats, le précis ou l'objet de la harangue.

Le général des armées romaines avoit le droit, entr'autres prérogatives, de porter le paludamentum, ou la cotte d'armes teinte en pourpre ; il la prenoit en sortant de Rome, & la quittoit avant que d'y rentrer.

Il avoit seul le pouvoir de dévoüer un de ses soldats pour le salut de l'armée ; & ce qui est plus étonnant, il se dévoüoit quelquefois lui-même, avec certaines cérémonies qu'il étoit obligé de suivre, & que nous avons exposées au mot DEVOUEMENT.

S'il avoit remporté quelque grande victoire, il ne manquoit guere d'envoyer au sénat des lettres ornées de feuilles de laurier, par lesquelles il lui rendoit compte du succès de ses armes, & lui demandoit qu'il voulût bien décerner en son nom, des supplications & des actions de graces aux dieux. Le décret du sénat étoit souvent une assûrance du triomphe pour le vainqueur, triumphi praerogativa. Ce fut cet honneur du triomphe, qui dans les beaux jours de la république, anima tant de ses généraux à faire les plus grands efforts pour obtenir la victoire.

Mais dès qu'ils eurent passé les Alpes & les mers, & qu'ils eurent séjourné plusieurs campagnes avec les légions dans les pays qu'ils soûmettoient, ils sentirent leurs forces, disposerent des armées, & s'arrogerent le triomphe, sans daigner le demander au sénat. Les soldats à leur tour commencerent à ne reconnoître que leur général, à fonder sur lui toutes leurs espérances, & à regarder la ville de loin : ce ne furent plus les soldats de la république, mais de Sylla, de Pompée, de César. Rome douta quelquefois, si celui qui étoit à la tête d'une armée dans une province, étoit son général ou son ennemi.

Enfin, quand les empereurs eurent succédé à la république, ils garderent pour eux les triomphes, & donnerent à des gens qui leur marquoient un dévoüement inviolable, le commandement des armées ; alors ceux qui furent nommés généraux, craignant d'entreprendre de trop grandes choses, en firent de petites. Ils modérerent aisément leur gloire que rien ne soûtenoit, & se conduisirent de maniere qu'elle ne réveillât que l'attention, & non pas la jalousie des empereurs, afin de ne point paroître devant leur throne avec un éclat que leurs yeux ne pouvoient souffrir. (D.J.)

GENERAL, s. m. (Art milit. & Hist. mod.) en France le général est ordinairement le maréchal de France, qui a sous lui des lieutenans généraux & des maréchaux de camp pour l'aider dans ses fonctions : ces derniers officiers sont appellés officiers généraux, parce qu'ils n'appartiennent à aucun corps particulier, & qu'ils commandent indifféremment tout le corps de l'armée sous les ordres du général en chef.

On ne peut guere se dispenser d'entrer ici dans quelque détail sur les qualités qu'exige l'emploi de général : mais l'on fera parler sur ce sujet M. le maréchal de Saxe. C'est aux grands maîtres, comme cet illustre général, qu'il appartient de prescrire les regles & les préceptes pour marcher sur leurs traces & servir avec la même distinction.

" La premiere de toutes les qualités du général, dit le célebre maréchal que nous venons de nommer, est la valeur, sans laquelle je fais peu de cas des autres, parce qu'elles deviennent inutiles : la seconde est l'esprit ; il doit être courageux & fertile en expédiens : la troisieme est la santé.

Le général doit avoir le talent des promtes & heureuses ressources ; savoir pénétrer les hommes, & leur être impénétrable ; la capacité de se prêter à tout ; l'activité jointe à l'intelligence ; l'habileté de faire en tout un choix convenable ; & la justesse du discernement.

Il doit être doux, & n'avoir aucune espece d'humeur ; ne savoir ce que c'est que la haine ; punir sans miséricorde, & sur-tout ceux qui lui sont les plus chers ; mais jamais ne se fâcher ; être toûjours affligé de se voir dans la nécessité de suivre à la rigueur les regles de la discipline militaire ; & avoir toûjours devant les yeux l'exemple de Manlius ; s'ôter de l'idée que c'est lui qui punit ; & se persuader à soi-même & aux autres, qu'il ne fait qu'administrer les lois militaires. Avec ces qualités, il se fera aimer, craindre, & sans-doute obéir.

Les parties d'un général sont infinies. L'art de savoir faire subsister une armée, de la ménager ; celui de se placer de façon qu'il ne puisse être obligé de combattre que lorsqu'il le veut ; de choisir ses postes, de ranger ses troupes en une infinité de manieres, & savoir profiter du moment favorable qui se trouve dans les batailles, & qui décide de leur succès. Toutes ces choses sont immenses & aussi variées que les lieux & les hasards qui les produisent.

Il faut pour les voir, qu'un général ne soit occupé que de l'ennemi un jour d'affaire : l'examen des lieux & celui de son arrangement pour ses troupes, doit être promt comme le vol d'un aigle ; sa disposition doit être courte & simple. Il s'agit de dire, par exemple, la premiere ligne attaquera, la seconde soûtiendra ; ou tel corps attaquera & tel soûtiendra.

Il faudroit que les généraux qui sont sous lui fussent bien bornés pour ne pas savoir exécuter cet ordre, & faire faire la manoeuvre qui convient chacun à sa division : ainsi le général ne doit pas s'en occuper ni s'en embarrasser ; car s'il veut faire le sergent de bataille & être par-tout, il sera précisément comme la mouche de la fable, qui croyoit faire marcher un coche.

Il faut donc qu'un jour d'affaire un général ne fasse rien ; il en verra mieux ; il se conservera le jugement plus libre, & il sera plus en état de profiter des situations où se trouve l'ennemi pendant la durée du combat ; & quand il verra sa belle, il devra baisser la main pour se porter à toutes jambes dans l'endroit défectueux ; prendre les premieres troupes qu'il trouve à portée, les faire avancer rapidement, & payer de sa personne : c'est ce qui gagne les batailles & les décide. Je ne dis point où ni comment cela se doit faire, parce que la variété des lieux & celle des dispositions que le combat produit, doivent le démontrer ; le tout est de le voir & d'en savoir profiter.

Bien des généraux en chef ne sont occupés un jour d'affaire, que de faire marcher les troupes bien droites ; de voir si elles conservent bien leurs distances ; de répondre aux questions que les aides de camp leur viennent faire ; d'en envoyer par-tout, & de courir eux-mêmes sans-cesse ; enfin ils veulent tout faire, moyennant quoi ils ne font rien. Je les regarde comme des gens à qui la tête tourne, & qui ne voyent plus rien ; qui ne savent faire que ce qu'ils ont fait toute leur vie, je veux dire, mener des troupes méthodiquement. D'où vient cela ? c'est que très-peu de gens s'occupent des grandes parties de la guerre ; que les officiers passent leur vie à faire exercer des troupes, & croyent que l'art militaire consiste seulement dans cette partie : lorsqu'ils parviennent au commandement des armées, ils y sont tout neufs ; & faute de savoir faire ce qu'il faut, ils font ce qu'ils savent.

L'une de ces parties est méthodique, je veux dire, la discipline & la maniere de combattre ; & l'autre est sublime : aussi ne faut-il point choisir pour celle-ci des hommes ordinaires pour l'administrer.

L'on doit, une fois pour toutes, établir une maniere de combattre que les troupes doivent savoir, ainsi que les généraux qui les menent : ce sont des regles générales, comme, par exemple, qu'il faut garder ses distances dans la marche ; que lorsqu'on charge, il faut le faire vigoureusement ; que s'il se fait des troüées dans la premiere ligne, c'est à la seconde à les boucher ; il ne faut point d'écritures pour cela, c'est l'a b c des troupes : rien n'est si aisé ; & le général ne doit pas y donner toute son attention, comme la plûpart le font. Mais ce qui mérite toute son attention, c'est la contenance de l'ennemi, les mouvemens qu'il fait, & où il porte ses troupes : il faut chercher à lui donner de la jalousie dans un endroit, pour lui faire faire quelque fausse démarche, le déconcerter ; profiter des momens, & savoir porter le coup de mort où il faut. Mais pour tout cela, il faut se conserver le jugement libre, & n'être point occupé de petites choses ". Rêveries, ou mémoires sur la Guerre, par M. le maréchal de Saxe.

Si l'on veut s'instruire plus particulierement de tout ce qui concerne l'emploi de général, on pourra consulter Vegece, le commentaire sur Polybe du chevalier Folard, les réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Cruz, &c. (Q)

GENERAL DES DRAGONS, (Art milit.) c'est le colonel général de ce corps auquel on donne souvent ce titre dans l'usage ordinaire. " M. de Boufflers a le régiment des gardes vacant par la mort de M. de la Feuillade, & vend sa charge de général des dragons au comte de Tessé ". Abrégé chronologique de l'histoire de France, par M. le président Hénault.

Le corps des dragons a un autre chef, c'est le mestre de camp général : en l'absence de ces deux officiers, c'est le plus ancien brigadier du corps qui en a le commandement.

Lorsque les dragons sont mêlés dans les brigades de cavalerie, ils doivent obéir à celui qui commande ; s'il arrive que ce soit un officier de dragons, il est en ce cas sous les ordres du général de la cavalerie ; s'il se trouve dans les brigades mêlées de cavalerie & de dragons, un brigadier de ce dernier corps, il roule avec les brigadiers de cavalerie ; & il est obligé de reconnoître le général ou le commandant de la cavalerie. Les officiers de cavalerie & de dragons de pareils grades, tiennent rang entr'eux de la date de leurs commissions ; lorsqu'elles sont datées du même jour, l'officier de cavalerie commande celui de dragons. S'il arrive que par ancienneté, le brigadier, colonel ou autre officier de dragons, se trouve commander un corps ou un détachement composé de cavalerie & de dragons, l'officier de dragons doit, en ce cas, après avoir rendu compte au général de l'armée, le rendre ensuite au général de la cavalerie ou à celui qui la commande, comme étant le premier corps, & ensuite au commandant des dragons. Dans tout autre service qui concerne les dragons, les officiers de ce corps n'ont aucun compte à rendre ni aucun ordre à recevoir de celui qui commande la cavalerie ; les dragons faisant un corps distinct & séparé. Code milit. par M. Briquet.

Ce qu'on vient d'ajoûter à l'article GENERAL DES DRAGONS, doit servir de supplément & de rectification au mot DRAGONS, où l'on ne s'est pas expliqué exactement sur ce qui concerne ce corps : on y dit, que le major général des dragons reçoit l'ordre du maréchal général des logis de la cavalerie ; il falloit dire, que les ordres du général lui sont remis par le maréchal général des logis de la cavalerie, verbalement ou par écrit. (Q)

GENERAL DE LA CAVALERIE, (Art militaire) est l'officier qui commande la cavalerie ; ce grade est le premier dans l'armée après celui de maréchal de camp : la cavalerie a trois autres chefs, qui sont le colonel général, le mestre de camp général, & le commissaire général ; en l'absence de ces trois officiers, c'est le plus ancien brigadier du corps qui la commande.

Les princes ont ordinairement le commandement de la cavalerie dans leur seconde campagne. (Q)

GENERAL DES GALERES, (Marine) c'est celui qui les commande & qui est à la tête du corps. Lorsque les galeres faisoient un corps particulier, la place de général des galeres étoit considérable ; & tout ce qui concernoit le service des galeres étoit sous ses ordres : mais depuis que le corps des galeres a été réuni à celui de la Marine, la place de général des galeres a été supprimée. (Z)

GENERAL, (Hist. ecclésiastique) est usité parmi les moines pour signifier le chef d'un ordre, c'est-à-dire de toutes les maisons & congrégations qui sont sous la même regle. Voyez ORDRE.

Nous disons dans ce sens le général des Cisterciens, des Franciscains, &c. Voyez FRANCISCAINS, &c.

Le P. Thomassin fait venir l'origine des généraux des ordres, des priviléges que les anciens patriarches avoient accordés aux monastères de leurs villes capitales, par le moyen desquels ils étoient exempts de la jurisdiction de l'évêque, & soûmis immédiatement au seul patriarche. Voyez EXEMPTION. (G)

GENERALE, s. f. (Art milit.) on se sert de ce mot pour signifier une marche particuliere ou une certaine maniere de battre le tambour, par laquelle on avertit les troupes de se tenir prêtes à marcher ou à combattre. Voyez TAMBOUR. Ainsi faire battre la générale, c'est faire battre le tambour pour que tout le monde prenne les armes. (Q)


GÉNÉRALISSIMES. m. (Hist. anc.) c'est ce que les Grecs appelloient archistratégos. Les Romains n'ont eu de dignité semblable que dans la personne du dictateur.

Le titre de généralissime est en usage parmi les modernes, sur-tout quand une armée composée de diverses nations alliées, outre les chefs particuliers, a un général qui commande également à tous les autres, & du consentement de toutes les puissances intéressées : c'est ainsi que dans la guerre de 1733 le maréchal de Villars étoit généralissime de l'armée des trois couronnes en Italie. (G)

On donne aussi le nom de généralissime à un général qu'on veut mettre au-dessus des autres généraux ou commandans ordinaires des armées : ainsi en France lorsqu'on envoye un prince commander une armée où il y a des maréchaux de France, on lui donne le nom de généralissime ; Walstein obtint la qualité de généralissime des troupes de l'Empereur ; Montecuculli & le prince Eugene ont eu le même titre. (Q)


GENÉRALITÉS. f. (Politique) est une certaine étendue de pays déterminée par la jurisdiction d'un bureau des finances. L'établissement de ces bureaux, & les divisions des provinces en généralités, ont eu pour objet de faciliter la régie des finances du Roi. C'est aux généraux des finances qu'est dûe l'origine des généralités.

Sous les deux premieres races, nos rois n'avoient point d'autres recettes que les revenus de leurs propres domaines ; bien avant sous la troisieme, on ne parloit point de généralités, parce qu'il n'existoit point de receveurs généraux. Il n'y avoit alors qu'un seul officier qui avoit l'intendance & l'administration du domaine, c'étoit le grand trésorier de France.

Ce fut à l'occasion des guerres pour la Religion, que Louis le jeune le premier obtint la vingtieme partie du revenu de ses sujets pour quatre ans. Il commença à lever cette taxe en 1145 pour le voyage de la Terre-Sainte ; Philippe-Auguste son fils, se fit donner la dixme des biens-meubles des laïcs, & le dixieme du revenu des biens de l'Eglise. En 1188 saint Louis établit une aide dans le royaume, & leva en 1247 le vingtieme du revenu. En 1290 (a) Philippe-le-Bel mit une aide sur les marchandises qu'on vendoit dans le royaume. Philippe-le-Long introduisit le droit de gabelle sur le sel en 1321 ; ces subsides continuerent sous Charles-le-Bel, & sous Philippe de Valois.

Jusques-là les impositions furent modiques & passageres ; il n'y avoit pour veiller à cette administration que le grand trésorier : Philippe de Valois en ajoûta un second.

Ce ne fut que sous le roi Jean, que les aides & gabelles prirent une forme, qui encore ne fut rendue stable & fixe que par Charles VII.

Le roi Jean pour prévenir les cris du peuple, donna un édit daté du 28 Décembre 1355, par lequel il établit certains receveurs & neuf personnes, trois de chaque ordre, que les trois états, du consentement du roi, choisissoient & nommoient, pour avoir l'intendance & la direction des deniers de subside.

On nommoit élus & grenetiers, ceux qui devoient veiller sur les aides & gabelles particulieres des provinces ; on appelloit les autres généraux, parce qu'ils avoient l'inspection générale de ces impositions partout le royaume. Voilà l'époque du parfait établissement des généraux des finances : ils furent établis alors tant pour la direction des deniers provenans des aides, que pour rendre la justice en dernier ressort, sur le fait des aides (b).

Aux états tenus à Compiegne en 1358 sous le régent Charles, pendant la prison du roi Jean son pere, on élut trois généraux dans chacun des trois ordres. Les états les nommoient ; le roi les confirmoit ; c'étoit entre ses mains ou de ses officiers, qu'ils faisoient le serment de remplir leurs fonctions avec honneur & fidélité.

Charles V. parvenu à la couronne, outre les aides, sorte d'imposition sur les marchandises, établit par feux l'impôt qu'on nomma foüage, par lettres du 20 Novembre 1379. Alors il supprima tous les receveurs généraux des aides, & n'en laissa qu'un résident à Paris. Depuis ce fut toûjours le roi qui institua & destitua les généraux à sa volonté.

Ce qu'on appelloit foüage sous Charles V. on le nomma taille sous Charles VI. La commission de lever ces deniers étoit donnée aux favoris du prince ; c'étoient les personnes les plus qualifiées de la cour, les plus distinguées dans l'état ecclésiastique & parmi la noblesse, qui les remplissoient. Charles V. par ordonnance du 17 Avril 1364 rétablit trois généraux des finances, à qui il donna un pouvoir universel pour gouverner les finances du royaume ; il fixa leurs fonctions le 22 Février 1371.

Ce fut vers ce tems que les généraux des finances, pour mieux veiller à la direction des deniers, & pour prendre une connoissance plus exacte du domaine de la couronne, se départirent en Languedoc, en Languedouy, en outre Seine & Yonne, & en Normandie ; ce qui composoit alors tout le royaume. Voilà la premiere notion qu'on puisse donner des généralités, qui étoient au nombre de quatre.

Dans leurs tournées les généraux s'informoient de la conduite des élus, receveurs, & autres officiers soûmis à leur jurisdiction. Ils examinoient s'ils se comportoient avec équité tant envers le roi, que par rapport à ses sujets ; ils avoient le pouvoir d'instituer & de destituer les élus, grenetiers, contrôleurs, receveurs, & sergens des aides.

Dès le tems de Charles VI. on commença à mettre quelque distinction entre les généraux des finances, & les généraux de la justice, comme il paroît par l'ordonnance du 9 Février 1387, où le roi nomma quatre généraux, deux pour la finance, & deux pour la justice (c). Cette distinction de généraux

(a) Il est le premier qui jugea à propos d'assembler les états de son royaume, pour dédommager un peu le peuple de ces impositions.

(b) Il en falloit quatre, ou trois au moins, pour la répartition & direction des deniers : deux suffisoient pour rendre la justice, même avec force d'arrêt.

(c) On peut fixer à cette division l'origine de la cour des aides, & ses distinctions avec les trésoriers de France.

des finances des aides, & généraux de la justice des aides, dura jusques vers la fin du regne de François premier, qui au mois de Juillet 1543, érigea ces offices en cour souveraine, sous le nom de cour des aides. Les officiers furent nommés conseillers généraux sur le fait des aides, nom qu'ils ont conservé jusqu'en 1654.

Le même roi François premier créa 16 recettes générales pour toutes sortes de deniers, soit du domaine, des tailles, aides, gabelles, ou subsides. Ces recettes furent établies dans les villes de Paris, Châlons, Amiens, Roüen, Caën, Bourges, Tours, Poitiers, Issoire, Agen, Toulouse, Montpellier, Lyon, Aix, Grenoble & Dijon. Dans chacune de ces villes, le roi nomma un receveur général ; voilà déjà seize généralités formées.

Henri second créa un trésorier de France & un général des finances dans chaque recette générale établie par son prédécesseur. Il créa une dix-septieme généralité à Nantes ; il réunit dans un même office les charges de trésoriers de France & de généraux des finances, & voulut que ceux qui en seroient revétus fussent appellés dans la suite trésoriers généraux de France, ou trésoriers de France & généraux des finances.

Par édit du mois de Septembre 1558, le même roi créa deux autres recettes générales ; l'une à Limoges, composée d'un démembrement des généralités de Riom & de Poitiers ; l'autre à Orléans, démembrée de la généralité de Bourges. Ces deux généralités furent supprimées bien-tôt après, & ne furent rétablies que sous Charles IX. au mois de Septembre 1573.

Sur les remontrances des états généraux tenus à Orléans, Charles IX. au mois de Février 1566 réduisit les dix-sept anciennes recettes générales au nombre de sept, qui étoient Paris, Roüen, Tours, Nantes, Lyon, Toulouse & Bordeaux ; mais la réduction n'eut pas d'effet.

Henri III. établit des bureaux des finances dans chaque généralité, au mois de Juillet 1577. Par lettres-patentes du six Avril 1579, le roi réduisit les dix-neuf généralités (celles de Limoges & d'Orléans étoient rétablies) au nombre de huit ; & le 26 du même mois, il les rétablit. La généralité de Limoges fut encore supprimée au mois de Décembre 1583, & rétablie au mois de Novembre 1586.

Ce fut encore Henri III. qui créa la généralité de Moulins au mois de Septembre 1587. Henri IV. au mois de Novembre 1594 érigea une nouvelle généralité à Soissons ; en 1598 il supprima tous les bureaux des finances, & les rétablit au mois de Novembre 1608.

Au mois de Novembre 1625, Louis XIII. créa des bureaux des finances & des généralités à Angers, à Troyes, à Chartres, à Alençon, & à Agen (d), qu'il supprima au mois de Février 1626. Il en érigea une à Grenoble pour le Dauphiné au mois de Décembre 1627 (la généralité dans cette ville lors de la grande création par Henri second, avoit été supprimée) : le même roi créa un bureau des finances & une recette générale à Montauban, au mois de Février 1635 ; il établit aussi une nouvelle généralité à Alençon au mois de Mai 1636 ; au mois d'Avril 1640, il en avoit institué une à Nîmes, qu'il supprima au mois de Janvier 1641.

Louis XIV. aux mois de Mai & de Septembre 1645, créa des généralités à la Rochelle, à Chartres & à Angers : elles furent supprimées bien-tôt après. Il en établit encore une dans la ville de Beaucaire au mois de Juin 1636, qu'il révoqua tout de suite. Il en érigea une à Metz, au mois de Novembre 1661, une autre à Lille au mois de Septembre 1691. Par même édit du mois d'Avril 1694, le roi rétablit la généralité de la Rochelle, & créa celle de Rennes. Au mois de Février 1696, il établit celle de Besançon, mais les charges des trésoriers furent réunies à la chambre des Comptes de Dole. Par édit du mois de Septembre 1700, le roi supprima le bureau des finances qu'il avoit rétabli à Rennes, & qui depuis avoit été transféré à Vannes. Louis XIV. avoit encore érigé une généralité à Ypres pour la Flandres occidentale au mois de Février 1706.

Louis XV. par un édit du mois d'Avril 1716, registré en la chambre des comptes de Paris le 6 Mai suivant, créa un bureau des finances & une généralité à Ausch pour la province de Gascogne. Il composa cette généralité d'élections démembrées des généralités de Bordeaux & de Montauban.

Il y a actuellement en France vingt-cinq généralités ; dix-neuf dans les pays d'élection, & six dans les pays d'états : les premieres sont Paris, Châlons, Soissons, Amiens, Bourges, Tours, Orléans, Roüen, Caën, Alençon, Poitiers, Limoges, la Rochelle, Bordeaux, Montauban, Lyon, Riom, Moulins, & Ausch ; les autres sont Bretagne, Bourgogne, Dauphiné, Provence, Montpellier, & Toulouse.

Dans chaque généralité il y a plusieurs élections ; chaque élection est composée de plusieurs paroisses.

Sous Louis XIII. en 1635, on commença à envoyer dans les généralités du royaume des maîtres des requêtes en qualité d'intendans de justice, police, & finances ; on les nomme aussi commissaires départis dans les provinces pour les intérêts du roi & le bien du public dans tous les lieux de leurs départemens.

Il n'y a dans la France considérée comme telle, que vingt-quatre intendans pour vingt-cinq généralités, parce que celles de Montpellier & de Toulouse sont sous le seul intendant de Languedoc. Mais il y en a encore sept départis dans la Flandre, le Haynaut, l'Alsace, le pays Messin, la Lorraine, la Franche-Comté, & le Roussillon. Voyez l'article INTENDANT.

Il y a aussi dans chaque généralité deux receveurs généraux des finances, qui sont alternativement en exercice ; ils prennent des mains des receveurs des tailles les deniers royaux, pour les porter au trésor royal.

La division du royaume en généralités, comprend tout ce qui est soûmis en Europe à la puissance du roi. Comme cette division a sur-tout rapport aux impositions, de quelque nature qu'elles soient, aucun lieu n'en est excepté ; il en est cependant où le roi ne leve aucune imposition, & dont, par des concessions honorables, les seigneurs joüissent de plusieurs droits de la souveraineté : telle est en Berry la principauté d'Enrichemont, appartenant à une branche de la maison de Béthune ; en Bresse, celle de Dombes ; & telle étoit aussi la principauté de Turenne, avant que le Roi en eût fait l'acquisition. Dans ces principautés, les officiers de justices royales, les intendans ni les bureaux des finances n'ont aucune autorité directe.

Comme les généralités ont été établies, supprimées, réunies, divisées en différens tems sans rapport à aucun projet général ; que le royaume a aussi changé de face en différens tems par les conquêtes de nos rois & les traités avec les princes voisins, & enfin par les différentes natures de droits & d'impôts qui ont été établis en différentes circonstances, & avec des arrondissemens particuliers, suivant la différente nature du pays, & autres impositions plus anciennes auxquelles on les assimiloit pour une plus facile perception ; il n'est pas surprenant que les généralités soient aussi mal arrondies qu'elles le sont : les unes sont trop fortes pour qu'un seul homme puisse

(d) La généralité créée à Agen en 1551, avoit été transférée à Bordeaux avant 1566.

porter par-tout une attention égale, & sur-tout depuis que les besoins de l'état ont obligé à augmenter les charges du peuple ; d'autres sont trop petites eu égard aux premieres ; & ces dernieres cependant sont bien suffisantes pour occuper tout entier un homme attentif & laborieux. Dans la même généralité, il se trouve des cantons tout entiers où certaines natures de droits se perçoivent sous l'autorité du commissaire départi d'une autre province : il y a même des paroisses dont une partie est d'une généralité, & l'autre partie d'une autre ; ce qui donne souvent lieu à des abus & des difficultés. Maintenant que le royaume paroît avoir pris toute la consistance dont il est susceptible, il seroit à souhaiter qu'il se fît un nouveau partage des généralités, qui les réduiroit à une presque-égalité, & dans lequel on auroit égard aux bornes que la nature du pays indique, à la nature des impositions, & aux formes d'administration particulieres à chaque province. S'il ne s'agissoit dans ce partage que de dispenser entre un certain nombre d'intendans l'administration de toutes les parties, ce seroit une opération fort aisée ; comme ils n'ont que des commissions, on leur feroit à chacun telle part de cette administration qui conviendroit le mieux au bien des affaires : mais la multitude des charges relatives aux impositions, & dont les finances ont été fixées eu égard aux droits ou à l'étendue de jurisdiction qui leur étoient accordés sur ces impositions mêmes, ou sur un nombre déterminé de paroisses ; telles que les charges de receveurs généraux des finances, receveurs des tailles, trésoriers de France, élus, officiers de greniers à sel, & autres pareils offices : cette multitude de charges, dis-je, donneroit lieu à de grandes difficultés : & c'est sans-doute le motif qui empêche le conseil d'y penser.

Voyez, pour l'établissement & succession des généralités, Pasquier, recherches de la France, liv. VII. & VIII. Miraumont, Fournival ; les registres de la chambre des comptes ; les mémoires sur les priviléges & fonctions des trésoriers généraux de France, imprimés à Orléans en 1745 ; l'état de la France, imprimé à Paris en 1749, tome V. à l'article des généralités ; le Dictionnaire encyclopédique, tome IV. au mot COUR DES AIDES.


GÉNÉRATEURGÉNÉRATRICE, subst. terme de Géométrie, se dit de ce qui engendre par son mouvement, soit une ligne soit une surface, soit un solide : ainsi on appelle cercle générateur de la cycloïde, le cercle qui dans son mouvement trace la cycloïde par un des points de sa circonférence. Voyez CYCLOÏDE. On appelle ligne génératrice d'une surface, la ligne droite ou courbe qui par son mouvement engendre cette surface, &c. Voyez GENERATION. (O)


GÉNÉRATIONS. f. en Géométrie, est la formation qu'on imagine d'une ligne, d'un plan, ou d'un solide, par le mouvement d'un point, d'une ligne, ou d'une surface. Voyez LIGNE, POINT, SURFACE. Par exemple, on peut imaginer qu'une sphere est formée par le mouvement d'un demi-cercle autour de son diametre : on appelle pour lors ce diametre, axe de révolution ou de rotation. De même on peut regarder un parallélogramme comme engendré par le mouvement d'une ligne droite qui se meut toûjours parallelement à elle-même, & dont tous les points se meuvent en ligne droite : dans ce dernier cas, la ligne suivant laquelle le mouvement se fait, s'appelle quelquefois la directrice. Voyez DIRECTRICE & ENGENDRER.

GENERATION, en Physique, c'est en général l'action de produire ce qui n'existoit point auparavant ; ou, pour parler plus exactement, c'est le changement d'un corps en un autre, qui ne conserve aucun reste de son état précédent. Car, à proprement parler, la génération ne suppose point une production de nouvelles parties, mais seulement une nouvelle modification de ces parties : c'est en cela que la génération differe de ce que nous appellons création. Voyez CREATION.

Génération differe d'altération, en ce que dans celle-ci le sujet paroît toûjours le même ; les accidens seuls & les affections sont changés ; comme quand un animal en santé tombe malade, ou quand un corps qui étoit rond devient quarré.

Enfin génération est opposé à corruption, qui est la destruction d'une chose qui existoit ; comme lorsque ce qui étoit auparavant bois ou oeuf, n'est plus ni l'un ni l'autre. Les anciens philosophes concluoient de-là que la génération d'une chose est proprement la corruption d'une autre. V. CORRUPTION. Chambers.

La génération des corps en général, est un mystere dont la nature s'est reservé le secret. Pour savoir comment les corps s'engendrent, il faudroit résoudre des questions qui sont fort au-dessus de notre portée. Il faudroit savoir 1°. si les parties d'un corps quelconque, d'une plante, par exemple, sont différentes des parties d'un autre corps, comme d'une pierre ; en sorte que les parties qui composent une plante, combinées comme on voudra, ne puissent jamais faire une pierre : ou si les parties de tous les corps, les premiers élémens qui les composent, sont les mêmes, & produisent par la seule diversité de leur arrangement, les différens corps que nous voyons. 2°. Quand cette question seroit décidée, le mystere de la génération n'en seroit pas plus clair. Il faudroit ensuite savoir comment il arrive qu'un grain de blé, par exemple, étant mis en terre, ce grain de blé aidé par l'action des sucs terrestres, attire & dispose d'une maniere convenable, pour former l'épi, ou les parties de blé qui sont dans le sein de la terre, ou les parties de terre, & d'autres substances, qui par une nouvelle modification deviennent des parties de blé. Que répondre à ces questions ? se taire & admirer les ressources de la nature : sans-doute on peut faire sur ce sujet des systèmes, des raisonnemens à perte de vûe, de grands discours ; mais que nous apprendront-ils ? rien. (O)

GENERATION, en Théologie, se dit de la procession ou de la maniere dont le Fils de Dieu procede du Pere éternel ; on l'appelle génération, au lieu que la procession du S. Esprit retient le nom de procession. Voyez TRINITE.

On dit en ce sens, que le Pere produit son Verbe & son Fils de toute éternité, par voie de génération ; expression fondée sur plusieurs textes précis de l'écriture, & qui attache au mot génération une idée particuliere ; elle signifie une progression réelle quant à l'entendement divin, qui produit un terme semblable à lui-même en nature ; parce qu'en vertu de cette progression, le verbe devient semblable à celui dont il tire son origine ; ou, comme S. Paul l'exprime, il est la figure ou l'image de sa substance, c'est-à-dire de son être & de sa nature.

Les anciens peres grecs appelloient cette génération , en latin prolationem, terme qui pris à la lettre signifie l'émanation d'une chose de la substance d'une autre chose. Cette expression fut d'abord rejettée par l'abus qu'en faisoient les Valentiniens pour expliquer la prétendue génération de leurs éons. Voyez ÉONS. Aussi voit-on qu'Origene, S. Athanase, S. Cyrille, ne veulent pas qu'on se serve de ce mot pour expliquer la génération éternelle du Verbe : mais depuis on fit réflexion que ce terme pris en lui-même & en écartant les idées d'imperfection qu'emporte avec soi le mot génération appliqué aux hommes, n'avoit rien de mauvais ; & l'on ne balança plus à s'en servir, comme il paroît par Tertullien, dans son ouvrage contre Praxée, chap. viij. par S. Irénée, liv. II. chap. xlviij. & par S. Grégoire de Nazianze, orat. 35.

Les scholastiques définissent la génération, l'origine d'un être vivant d'un autre être vivant par un principe conjoint en ressemblance de nature ; définition dont tous les termes sont inintelligibles : voici celle qu'en donne M. Witasse, un des auteurs les plus estimés sur cette matiere.

On l'appelle, dit-il, origine, c'est-à-dire émanation, procession ; nom commun à toute production.

2°. D'un être vivant ; parce qu'il n'y a que ce qui est vivant qui soit proprement engendré.

3°. D'un autre être vivant ; parce qu'il n'y a point de génération proprement dite, si ce qui engendre n'est vivant : ainsi, ajoûte cet auteur, on dit qu'Adam fut formé du limon, mais non pas engendré du limon.

4°. Par un principe conjoint ; ce qui signifie deux choses. 1°. Que cet être vivant d'où procede un autre être vivant, doit être le principe actif de la production de celui-ci : par cette raison, Eve ne peut point être appellée proprement la fille d'Adam, parce qu'Adam ne concourut pas activement, mais seulement passivement, à la formation d'Eve : 2°. que cet être vivant qui produit un autre être vivant, doit lui être conjoint ou uni par quelque chose qui lui soit propre ; comme les peres, quand ils engendrent leurs enfans, leur communiquent quelque partie de leur substance.

5°. En ressemblance de nature ; termes qui emportent encore deux idées ; 1°. que la génération exige une communion de nature au-moins spécifique ; 2°. que l'action qu'on nomme génération doit par elle-même tendre à cette ressemblance de nature ; car le propre de la génération est de produire quelque chose de semblable à celui qui engendre.

De-là ils concluent que la procession du Verbe doit seule être appellée génération, & non procession ; & que la différence qui se trouve entre cette génération & la procession du S. Esprit vient de ce que le Verbe procede du Pere par l'entendement, qui est une faculté affirmative, c'est-à-dire qui produit un terme semblable à elle-même en nature ; au lieu que le S. Esprit procede du Pere & du Fils par la volonté, qui n'est pas une faculté assimilative ; ce que S. Augustin a exprimé ainsi, lib. IX. de trinit. c. xij. mens notitiam suam gignit cum se novit ; & amorem suum non gignit cum se amat. Cependant il faut convenir que les anciens peres n'ont pas poussé si loin que les théologiens leurs recherches sur ces matieres mystérieuses ; & S. Augustin lui-même avoüe qu'il ignore comment on doit distinguer la génération du fils de la procession du S. Esprit, & que sa pénétration succombe sous cette difficulté : distinguere inter illam generationem & hanc processionem nescio, non valeo, non sufficio. lib. II. contrà Maxim. c. xjv. n°. 1.

GENERATION, se dit encore, quoique un peu improprement, pour signifier généalogie, ou la suite des enfans & des descendans qui sortent tous d'une même tige. Ainsi l'évangile de S. Matthieu commence par ces mots, liber generationis Jesu-Christi, que les traducteurs les plus exacts rendent par ceux-ci, le livre de la généalogie de Jesus-Christ. Voyez GENEALOGIE. (G)

GENERATION, (Hist. anc. & mod.) est synonyme à peuple, race, nation, sur-tout dans les traductions littérales de l'Ecriture-sainte, dans laquelle on rencontre presque par-tout le mot génération, où le latin porte generatio, & le grec ou : ainsi, " c'est une génération méchante & perverse qui demande des miracles, &c. ".

Une génération passe, & il en vient une autre.

GENERATION, se dit aussi de l'âge ou de la vie ordinaire de l'homme. Voyez AGE.

De-là nous disons, jusqu'à la troisieme & quatrieme génération : en ce sens les Historiens comptent ordinairement une génération pour l'espace de trente-trois ans ou environ. Voyez SIECLE.

Hérodote met trois générations pour cent ans ; & ce calcul, selon les auteurs modernes de l'arithmétique politique, paroît assez juste. Voyez ARITHMETIQUE POLITIQUE & CHRONOLOGIE.

GENERATION, (Physiologie) on entend en général par ce terme, la faculté de se reproduire, qui est attaché aux êtres organisés, qui leur est affectée, & qui est par conséquent un des principaux caracteres par lequel les animaux & les végétaux sont distingués des corps appellés minéraux.

La génération actuelle est donc, par rapport au corps végétant & vivant, la formation d'un individu semblable par sa nature à celui dont il tire son origine, à raison des principes préexistans qu'il en reçoit, c'est-à-dire de la matiere propre & de la disposition à une forme particuliere que les êtres générateurs fournissent pour la préparation, le développement & l'accroissement des germes qu'ils produisent ou qu'ils contiennent. Voyez GERME.

C'est donc par le moyen de la génération que se forme la chaîne d'existences successives d'individus, qui constitue l'existence réelle & non interrompue des différentes especes d'êtres, qui n'ont qu'une durée limitée relativement à l'état d'organisation qui donne une forme déterminée & propre aux individus de chaque espece.

C'est par la disposition même des parties en quoi consiste cette organisation, que celle-ci est bornée dans sa durée ; disposition que l'auteur de la nature a établie de telle maniere, que ce qui est dans les êtres organisés le principe de leur existence comme tels, c'est-à-dire de la vie végétante ou animée dont ils joüissent entant qu'il y entretient l'action, le mouvement des parties solides & fluides dont ils sont composés, tend continuellement à devenir sans effet, & par conséquent à détruire la vie par l'exercice même des moyens vivifians ; parce qu'après avoir employé un certain tems à procurer à ces êtres le degré de consistance soit absolue soit respective qui en fait la perfection essentielle, il ne peut continuer à agir sans augmenter cette consistance à un point où elle devient excessive, & forme un défaut radical en rendant les organes toûjours moins propres à perpétuer le jeu qui leur est affecté, entant qu'il les prive insensiblement de la flexibilité qui leur est nécessaire pour cet effet, & qu'il laisse perdre la fluidité des parties, qui ne la conservoient que par accident, par l'effet de l'action à laquelle elles étoient exposées, de cette action qui dépend de la flexibilité dont on vient de dire que les organes étoient enfin privés.

C'est cette considération qui a fait dire à un ancien, que vivere est continuò rigescere ; c'est-à-dire que la condition de tous les corps organisés est de prendre par degré de la solidité, de se durcir, de se rendre roides de plus en plus, & de devenir ainsi dans la suite toûjours moins propres à entretenir la vie par les mêmes effets qui ont d'abord formé ces corps, & qui les font subsister : d'où il s'ensuit dans les individus tant végétaux qu'animaux, le changement d'état qu'on appelle mort, qui n'est autre chose que la cessation du mouvement propre à ces individus entant que vivans, qui ne présente pour toute différence qu'une inaction commune à tout corps privé d'organisation, ou dont l'organisation n'est pas actuellement vivifiée : par conséquent, cet état laisse les corps organisés, comme tous ceux qui ne le sont pas, exposés aux impressions des agens destructeurs de toutes les formes particulieres qui dégradent l'organisation, & réduisent la matiere qui l'avoit reçûe à la condition de la matiere brute, informe, jusqu'à ce que ces matériaux des corps organisés soient de nouveau tirés du cahos & mis en oeuvre pour servir à la construction d'un corps vivifié, à la reproduction d'un végétal ou d'un animal.

Cette disposition, qui sans cesser d'être la même essentiellement, produit dans le même individu des effets si contraires en apparence : cette disposition, qui commence, entretient & finit la vie dans les êtres organisés, est sans-doute un ouvrage bien merveilleux ; mais quelque étonnant, quelque admirable qu'il nous paroisse, ce n'est pas dans la maniere dont existe chaque individu qu'est la plus grande merveille, c'est dans la succession, dans le renouvellement & dans la durée des especes, que la nature paroît tout-à-fait inconcevable, qu'elle présente un sujet d'admiration tout opposé dans cette vertu procréatrice, qui s'exerce perpétuellement sans se détruire jamais ; dans cette faculté de produire son semblable, qui réside dans les animaux & dans les végétaux, qui forme cette espece d'unité toûjours subsistante. C'est pour nous un mystere dont on a si peu avancé jusqu'à-présent à sonder la profondeur, que les tentatives les plus multipliées semblent n'avoir servi qu'à convaincre de plus en plus de leur inutilité ; ensorte même que c'est, pour ainsi dire, violer le sein de la pudeur, où la nature cache son travail, que d'oser seulement tenter de chercher à en appercevoir la moindre ébauche. Aussi ayant à traiter dans cet article d'une matiere si difficile & si délicate, nous ne ferons point de recherches nouvelles, nous nous bornerons à faire un exposé simple & aussi discret qu'il est possible, des moyens évidens qu'elle a voulu employer pour préparer ce travail secret, & du peu de phénomenes que de hardis observateurs ont pû dérober à cette chaste ouvriere.

Ces moyens, c'est-à-dire les opérations méchaniques qui servent à la reproduction des végétaux & des animaux, sont de differente espece, par rapport à ces deux genres d'êtres & à chacun d'eux en particulier. Généralement les animaux ont deux sortes d'organisations, essentiellement distinctes, destinées à l'ouvrage de la reproduction. Cette organisation constitue ce qu'on appelle les sexes. Voyez SEXE. C'est par l'accouplement ou l'union des deux sexes, que les individus de ce genre se multiplient le plus communément ; au lieu qu'il n'y a aucune sorte d'union, d'accouplement sensible des individus générateurs, dans le genre végétal ; la reproduction s'y fait en général par le développement des graines ou des semences qui ont été fécondées par le moyen des fleurs. Voyez VEGETAL, PLANTE, FLEUR. Ce développement des semences s'opere entierement hors de l'individu qui les fournit : la reproduction des végétaux s'opere aussi par l'extension d'une portion de plante, qui, lorsqu'elle est une branche vivante, ou portion de branche séparée du tronc, du corps de la plante, & en tant qu'elle est destinée à cet usage, s'appelle bouture. Voyez BOUTURE. Et lorsqu'elle est une partie détachée de la racine de la plante, elle porte le nom de cayeu.

Il vient d'être dit que l'accouplement ou l'union des sexes dans les animaux est le moyen le plus commun par lequel se fait la multiplication des individus ; ce qui suppose qu'il n'est par conséquent pas l'unique. En effet il y a des animaux qui se reproduisent comme les plantes & de la même maniere. La génération des pucerons qui se fait sans accouplement, est semblable à celle des plantes par les graines, qui sont fécondées & disposées au développement sans le concours de deux individus ; & celle des polypes, qui peut se faire en les coupant par pieces, ressemble à la reproduction des végétaux par boutures. Mais ces mêmes animaux avec la faculté particuliere de se multiplier à la maniere des plantes, sans accouplement, ne laissent pas d'avoir aussi la faculté commune à tous les autres animaux, de se reproduire par l'accouplement qui est la plus ordinaire pour ceux-là, comme elle est unique pour la plûpart de ceux-ci ; ce qui fait aussi que c'est celle que l'on désigne spécialement par le mot de génération, & qui doit faire le sujet de cet article. Pour ce qui est donc des autres manieres mentionnées dont se reproduisent ou peuvent se reproduire les animaux & les végétaux, manieres qui établissent à cet égard quelques rapports particuliers entr'eux, voyez les articles ANIMAL, VEGETAL, PLANTE, REPRODUCTION, SEMENCE, GRAINE, BOUTURE, PUCERON, POLYPE.

La génération de l'homme entre tous les animaux étant celle qui nous intéresse le plus, est par conséquent celle qui doit nous servir d'exemple, & qui va faire ici le principal objet des recherches dont nous allons rendre compte ; d'autant plus que ce qui peut être dit sur ce sujet par rapport à l'espece humaine, convient presqu'entierement à toutes les autres especes d'animaux, pour la reproduction desquels il est nécessaire que se fasse le concours de deux individus, c'est-à-dire qu'un mâle & une femelle exercent ensemble la faculté qu'ils ont de produire un troisieme, qui a constamment l'un ou l'autre des deux sexes. Ces sexes consistant dans une disposition particuliere d'organes destinés à la génération, il est nécessaire d'avoir une connoissance exacte de la structure de ces organes & des rapports qui existent entr'eux : mais cette exposition étant faite dans les différens articles appartenant aux noms de ces organes, elle ne sera pas répétée ici. On la peut consulter si on en a besoin, pour l'intelligence de ce qui va être dit ici concernant la génération.

L'âge auquel l'homme commence à être propre à se reproduire, est celui de la puberté : jusqu'alors la nature paroît n'avoir travaillé qu'à l'accroissement & à l'affermissement de toutes les parties de cet individu ; elle ne fournit à l'enfant que ce qui lui est nécessaire pour se nourrir & pour augmenter de volume ; il vit, ou plutôt il ne fait encore que végéter d'une vie qui lui est particuliere, toûjours foible, renfermée en lui-même, & qu'il ne peut communiquer : mais bien-tôt les principes de vie se multiplient en lui ; il acquiert de plus en plus non-seulement tout ce qu'il lui faut pour son être, mais encore dequoi donner l'existence à d'autres êtres semblables à lui. Cette surabondance de vie, source de la force & de la santé, ne pouvant plus être contenue au-dedans, cherche à se répandre au-dehors.

L'âge de la puberté est le printems de la nature, la saison des plaisirs ; mais sur-tout de ceux que l'usage de nouveaux sens peut procurer : tous ceux dont l'homme est doüé, se forment avec lui & s'exercent dès qu'il joüit de la vie ; parce qu'ils lui sont tous nécessaires ou utiles pour l'exciter ou pour l'aider à satisfaire aux différens besoins attachés à la conservation de son individu. Les organes susceptibles du sentiment qui le porte à s'occuper des moyens par lesquels il peut contribuer à la propagation de son espece, sont les seuls qui ne se développent, & n'ont de fonctions que lorsque l'individu est presque parvenu à son dernier degré d'accroissement, & que toutes les parties ont acquis la fermeté, la solidité qui en fait la perfection : ces organes n'étant pas destinés à son propre service, il convenoit qu'il fut pourvû de tout ce qui peut contribuer à sa durée, avant qu'il contribuât lui-même à sa reproduction. Ainsi le développement des parties destinées à la génération, tant dans l'individu masculin que dans le féminin, est, pour ainsi dire, une nouvelle production qui s'annonce par plusieurs signes, & principalement par les premieres impressions de l'appétit vénérien : d'où s'ensuit le sentiment, qui fait connoître dans chaque individu la différence des deux sexes, d'une maniere plus caractérisée qu'elle n'avoit été jusqu'alors. Voyez PUBERTE, ORGASME.

Le sentiment du desir dont il vient d'être fait mention ; cet appétit qui porte les individus des deux sexes, ordinairement de même espece, à se faire réciproquement une tradition de leurs corps pour l'acte prolifique, est attaché à une disposition physique de l'animal, qui consiste dans une sorte d'érétisme des fibres nerveuses des organes de la génération. Cet érétisme est produit par la qualité stimulante des humeurs particulieres qu'ils contiennent, ou par la dilatation des vaisseaux qui entrent dans leur composition, remplis, distendus au-delà de leur ton naturel ; effet d'un abord de fluides plus considérable, tout étant égal, qu'il ne se fait dans les autres vaisseaux du corps, ou par tout attouchement, tout contact propre à exciter une sorte de prurit dans ces organes ; ou par les effets de l'imagination dirigée vers eux, effets qui y produisent les mêmes changemens que le prurit. D'où s'ensuit une sorte de fievre dans ces parties, une sorte d'inflammation commençante qui les rend susceptibles d'impressions propres à ébranler tout le genre nerveux, à rendre ses vibrations plus vives, à redoubler le flux & le reflux qui s'en fait du cerveau à ces organes, & de ces organes au cerveau ; ensorte que l'animal dans cet état ne sent presque plus son existence, que par celle de ce sens voluptueux, qui semble alors devenu le siége de son ame, de toute sa faculté sensitive, à l'exclusion de toute autre partie, c'est-à-dire qui absorbe toute la sensibilité dont il est susceptible, qui en porte l'intensité à un point qui rend cette impression si forte, qu'elle ne peut être soûtenue long-tems sans un desordre général dans toute la machine. En effet la durée de ce sentiment fait naître une sorte d'agitation, d'inquiétude, qui porte l'animal à en chercher le remede comme par instinct, dans ce qui peut tirer de cette intensité même des efforts propres à en détruire la cause, en produisant une excrétion des humeurs stimulantes, en faisant cesser l'érétisme, & par conséquent en faisant tomber dans le relâchement les fibres nerveuses & tous les organes, dont la tension étoit auparavant comme l'aliment même de la volupté.

Telle est donc la disposition physique que l'auteur de la nature a voulu employer pour porter l'homme par l'attrait du plaisir, à travailler à se reproduire, comme il l'a engagé par le même moyen à se conserver, en satisfaisant au sentiment qui le porte à prendre de la nourriture ; il ne s'occupe dans l'un & l'autre cas, que de la sensation agréable qu'il se procure, tandis qu'il remplit réellement l'objet le plus important qu'ait pu se proposer le conservateur suprème de l'individu & de l'espece.

La secrétion de la liqueur spermatique ; la reserve de cette liqueur toûjours renouvellée, mais en même tems toûjours retenue en suffisante quantité pour remplir plus ou moins les vésicules séminaires ; la disposition constante à ce que le membre viril acquierre l'état d'érection, qui peut seul le rendre propre à être introduit dans le vagin, & à y être mis en mouvement à différentes reprises, pour donner lieu au frottement de l'extrémité de ce membre, doüée d'un sentiment exquis, contre les plis veloutés des parois de ce canal, resserrées & lubrifiées (comme sont dans le vivant celles d'un boyau vuide), pour continuer ce frottement jusqu'à ce qu'il excite par communication, dans toutes les parties relatives, une sorte de prurit convulsif, d'où s'ensuive l'éjaculation : telles sont dans l'homme les conditions réquises pour qu'il soit habile à la fonction appellée coït ou copulation, par laquelle il concourt essentiellement à l'oeuvre de la génération. Voyez SEMENCE (Physiolog.), TESTICULE, VESICULE SEMINALE, VERGE, ERECTION, EJACULATION.

Le coït ou la copulation n'étant autre chose que l'acte par lequel l'homme s'unit à la femme par l'intromission de la verge dans le vagin, & par lequel s'opere la fécondation, moyennant le concours des dispositions efficaces pour le succès de cette oeuvre ; elles consistent ces dispositions de la part de la femme, en ce que le canal dans lequel doit se faire cette intromission, en soit susceptible ; qu'il puisse être dilaté ; que ses parois se laissent écarter & pénétrer sans de grands obstacles, jusqu'à l'orifice de la matrice, & qu'elles résistent cependant assez pour donner lieu au frottement nécessaire, qui doit produire dans les parties génitales de l'homme qui en sont susceptibles, le prurit & l'émission convulsive de la liqueur séminale dans ce même canal, ensorte que cette liqueur puisse y être retenue, pour opérer ensuite les effets auxquels elle est destinée.

Ce frottement excité dans le coït entre la verge & le vagin, ne donne pas seulement lieu au prurit, qui s'excite en conséquence dans les parties génitales de l'homme : il produit aussi cet effet dans celles de la femme, attendu le sentiment délicat dont est doüé ce canal ; sentiment qui par le moyen des nerfs correspondans, se communique à tous les organes qui concourent au même usage ; d'où s'ensuit une véritable érection du clitoris, un gonflement & une tension générale dans toute l'étendue des membranes spongieuses & nerveuses du vagin & de la matrice ; une sorte de constriction spasmodique dans le cercle des fibres musculaires qui entourent le vagin ; d'où suit un retrécissement du canal & un plus grand resserrement de la verge qui y est actuellement contenue ; d'où suit encore vraisemblablement en même tems une autre sorte d'érection dans les trompes de Fallope, qui les applique à ce qu'on appelle les ovaires, pour les effets qui seront expliqués dans la suite. Ce sont ces différentes dispositions qui constituent le plus grand degré d'orgasme, qui n'est autre chose qu'un érétisme commun à toutes ces parties, par l'effet duquel, s'il est suffisamment continué, les glandes qui ont leur conduit excrétoire dans les cavités du vagin & de la matrice, étant fortement exprimées, y répandent l'humeur dont leurs vaisseaux sont remplis ; & cette effusion se fait comme celle de la semence dans l'homme, par une sorte d'action convulsive qui la rend semblable à l'éjaculation, & n'a pas peu contribué sans-doute à faire regarder cette liqueur de la femme comme une vraie semence, une liqueur aussi prolifique que celle de l'homme. Voyez SEMENCE (Physiol.).

C'est parce que la copulation produit cet orgasme, cette tension du genre nerveux dans les organes de la génération de l'un & de l'autre sexe, tension qui se communique, s'étend souvent à toutes les parties du corps, au point d'y causer aussi des secousses, des agitations comme convulsives, que Démocrite a comparé les phénomenes qui accompagnent le coït, à ceux que l'on observe dans de legeres attaques d'épilepsie. Voyez ORGASME.

Telle est l'exposition abregée que l'on a cru devoir placer ici, du méchanisme qui dispose à l'oeuvre de la génération, & de ce qui est relatif à ce méchanisme : mais cette oeuvre ne dépend elle-même essentiellement d'aucune opération méchanique, tout y est physique : la nature employe les moyens les plus secrets, les moins susceptibles de tomber sous les sens pour opérer elle-même la fécondation, dont les individus des deux sexes n'ont fait par la copulation que lui fournir les matériaux, ou, pour parler plus exactement, rassembler ceux qu'elle avoit préparés elle-même dans chacun de ces individus. C'est dans la maniere dont elle les met en oeuvre ces matériaux, que consiste le grand mystere de la génération, qui a excité dans tous les tems la curiosité des Physiciens, & les a portés à faire tant de recherches pour parvenir à le pénétrer, tant d'expériences pour réussir à prendre la nature sur le fait ; c'est pour révéler son secret que l'on a imaginé tant de différens systèmes, qui se sont détruits les uns les autres, sans que du choc des opinions si long-tems & si violemment répété, il en ait résulté plus de lumieres sur ce sujet : au contraire il semble que l'on ne fait que se convaincre de plus en plus, que le voile derriere lequel la nature se cache, est essentiellement impénétrable aux yeux de l'esprit le plus subtil, & qu'il faut ranger la cause de la formation de l'animal parmi les causes premieres, telles que celles du mouvement & de la pesanteur, dont nous ne pourrons jamais connoître que les résultats, sans-doute parce qu'il n'y a que cette connoissance qui nous soit utile.

Nous nous bornerons donc à faire ici l'histoire des différentes idées par lesquelles les Philosophes ont tenté de représenter l'ouvrage de la nature dans la génération (ouvrage qu'ils n'ont jamais vû) ; & afin qu'il ne manque dans cet article rien de ce qui appartient aux connoissances humaines sur ce sujet, ou pour mieux dire, aux efforts que l'on a faits dans tous les tems pour étendre ces connoissances sur toute sorte de matieres, il sera joint à cette exposition des principaux systèmes sur la reproduction de l'homme, un précis des raisons qui ont été employées ou qui peuvent l'être, pour réfuter ou pour faire sentir l'insuffisance de ces explications.

Platon, dans le Timée, établit que la génération de l'homme, des animaux, des plantes, des élémens, & même celle du ciel & des dieux, se fait par des simulacres réfléchis, & par des images extraites de la Divinité créatrice, lesquelles par un mouvement harmonique, se sont arrangées selon les propriétés des nombres, dans l'ordre le plus parfait. L'essence de toute génération consiste donc, selon ce philosophe, dans l'unité d'harmonie du nombre trois, ou du triangle ; celui qui engendre, celui dans lequel on engendre, & celui qui est engendré : c'est pour cela qu'il a fallu deux individus pour en produire un troisieme : c'est-là ce qui constitue l'ordre essentiel du pere & de la mere, & la relation de l'enfant.

Quelle idée plus sublime, s'écrie à cette occasion le célebre auteur moderne de l'histoire naturelle ! quelles vûes plus nobles ! mais quel vuide, quel desert de spéculations ! Nous ne sommes pas en effet de pures intelligences ; d'ailleurs le réel peut-il être produit par l'abstrait ? Prendre les nombres pour des êtres effectifs, dire que l'unité numérique est un individu général, qui non-seulement représente en effet tous les individus, mais même qui peut leur communiquer l'existence ; prétendre que cette unité numérique a de plus l'exercice actuel de la puissance d'engendrer réellement une autre unité numérique, à-peu-près semblable à elle-même ; constituer par là deux individus, deux côtés d'un triangle qui ne peuvent avoir de lien & de perfection que par le troisieme côté de ce triangle, par un troisieme individu qu'ils engendrent nécessairement : n'est-ce pas le plus grand abus que l'on puisse faire de la raison ? Mais quand on accorderoit au divin Platon que la matiere n'existe pas réellement, en peut-il résulter que nos idées soient du même ordre que celles du créateur ; qu'elles puissent en effet produire des existences ? la supposition d'une harmonie triangulaire peut-elle faire la substance des élémens ? le pere & la mere n'engendrent-ils un enfant que pour terminer un triangle ? Ces idées platoniciennes, grandes au premier coup-d'oeil, ont deux aspects bien différens ; dans la spéculation, elles semblent partir de principes nobles & sublimes ; dans l'application, elles ne peuvent arriver qu'à des conséquences fausses & puériles, puisque nos idées ne viennent que par les sens, & que par conséquent bien loin qu'elles puissent être les causes des choses, elles n'en sont que des effets, & des effets très-particuliers, &c. On peut voir une exposition plus étendue de ce système si singulierement métaphysique, à l'article où il sera traité de la philosophie de Platon en général. Voyez PLATONISME.

Les autres anciens philosophes, tels qu'Epicure, au lieu de se perdre comme Platon dans la région des hypothèses, s'appuient au contraire sur des observations, rassemblent des faits, & parlent un langage plus intelligible. L'homme & la femme ayant l'un & l'autre la faculté de répandre une liqueur dans le congrès, elle fut d'abord regardée comme prolifique en tant que leur mélange se présenta naturellement à l'esprit, pour expliquer l'origine de l'homme : c'est pourquoi tel fut le premier système physique sur la génération, qui est reproduit de nos jours sous differentes combinaisons. Lucrece l'a décrit aussi clairement qu'aucun philosophe de l'antiquité.

Et commiscendo, cum semen forte virile

Foemina commulsit subitâ vi, corripuitque ;

&c....

Semper enim partos duplici de semine constat.

&c....

Lib. IV. de naturâ rerum.

Selon ce grand poëte philosophe lui-même, non-seulement le sperme viril doit être mêlé avec celui de la femme pour qu'elle conçoive, mais il ajoûte encore deux singularités frappantes par le rapport qu'elles ont avec quelques systèmes modernes ; c'est que chacune de ces semences a un caractere qui lui est propre, relativement au sexe de l'individu qui la fournit ; ensorte que si dans le mélange qui s'en fait dans le corps de la femme ; la qualité de sa semence contribue plus à la formation de l'enfant, il a beaucoup de ressemblance avec elle ; de même qu'il tient beaucoup du pere, si c'est sa semence qui est prédominante par ses effets ; & si l'ouvrage se forme également des deux liqueurs, il arrive que le résultat de cette tendre alliance est le portrait du pere & de la mere : d'ailleurs pour la construction des différentes parties du corps, les deux semences étant composées de parties hétérogenes, le concours de celles qui ont de l'analogie entr'elles, forme les différens organes, comme le concours des atomes en général a pu former les différentes parties de l'univers.

Hippocrate paroît avoir adopté ce qu'il y a d'essentiel dans le système d'Epicure, pour en former le sien, avec quelques legeres différences, qui consistent principalement en ce qu'il fait de plus grandes recherches sur les causes & sur les effets. Il suppose que la semence vient de toutes les parties du corps, mais particulierement de la tête, d'où il la fait descendre par la moëlle épiniere dans les reins ; & en admettant donc la liqueur prolifique de chaque sexe, il prétend que ces deux semences sont chacune de deux qualités différentes, dont l'une est forte, a plus de chaleur, c'est-à-dire plus d'esprits ; l'autre foible, chargée d'humidité, moins active ; que les mâles se forment lorsque la semence, tant du mâle que de la femelle, se trouve forte ; & les femelles, lorsque les semences dominantes sont foibles ; & pour la ressemblance de l'enfant au pere & à la mere, elle dépend, comme dans le système précédent, du plus ou du moins de semence que l'un ou l'autre fournit.

Hippocrate, d'après le maître de Lucrece, appuie son hypothèse sur le fait suivant ; savoir, que plusieurs femmes, qui d'un premier mari, n'ont produit que des filles, d'un second ont produit des garçons ; & que ces mêmes hommes, dont les premieres femmes n'avoient produit que des filles, ayant pris d'autres femmes, ont engendré des garçons, selon, dit ce médecin philosophe, que la semence forte ou foible du mâle ou de la femelle est prédominante dans ces differens cas ; mais s'il arrive que le mélange des liqueurs prolifiques se fasse en quantité & qualité égales, qui contribuent par conséquent autant l'une que l'autre à l'oeuvre de la génération, l'enfant participera-t-il également à la ressemblance & au sexe de son pere & de sa mere ? Et d'ailleurs, dans le cas même le plus ordinaire à supposer, où cette égalité dans les semences n'existe pas, & où la liqueur séminale d'un des deux individus générateurs prédomine & influe le plus sur la ressemblance, pourquoi cette ressemblance n'est-elle pas autant dans le sexe, que dans les traits du visage ? L'expérience démontre que ces deux choses se rencontrent très-rarement ensemble ; ainsi cela seul sembleroit suffisant pour faire rejetter cette opinion de l'existence des deux semences dans chaque sexe, & même d'une seule semence prolifique dans la femme en particulier ; ce qui dans la suite de cet article sera encore réfuté par d'autres raisons.

Voici comment se fait, selon Hippocrate, la formation du fétus : les liqueurs séminales s'étant mêlées dans la matrice, s'y épaississent par la chaleur du corps de la mere ; le mélange reçoit & tire l'esprit de la chaleur ; & lorsqu'il en est tout rempli, l'esprit trop chaud sort au-dehors : mais par la respiration de la mere, il arrive un esprit froid ; & alternativement il entre un esprit froid, & il sort un esprit chaud dans le mélange, ce qui lui donne la vie, & fait naître une pellicule à la surface du mélange, qui prend une forme ronde ; parce que les esprits agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matiere. Il se forme peu-à-peu une autre pellicule, de la même façon que la premiere pellicule s'est formée ; le sang menstruel dont l'évacuation est supprimée, fournit abondamment à la nourriture : ce sang fourni par la mere au fétus, se coagule par degrés, & devient chair ; cette chair s'articule à mesure qu'elle croit, & c'est l'esprit qui donne cette forme à la chair : chaque chose prend sa place. Les parties solides se joignent aux parties solides ; celles qui sont humides aux parties humides : chaque chose cherche à s'unir à celle qui lui est semblable ; & le fétus est enfin entierement formé par ces causes & ces moyens.

Aristote, qui est celui de tous les anciens qui a le plus écrit sur la reproduction des êtres organisés, & qui a traité de ce sujet le plus généralement, établit pour principe à cet égard, que la matiere n'étant qu'une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent ; & par rapport aux animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, & que la femelle ne donne rien qu'on puisse regarder comme tel. Voyez les oeuvres de ce philosophe, de generatione, lib. I. cap. xx. & lib. II. cap. jv. Car quoi qu'il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle dans le coït répand une liqueur au-dedans d'elle-même, il paroit qu'il ne regarde pas cette liqueur comme un principe prolifique ; & cependant selon lui, la femelle fournit toute la matiere nécessaire à la génération. Cette matiere est le sang menstruel, qui sert à la formation, à la nourriture & au développement du fétus ; mais le principe efficient existe seulement dans la liqueur séminale, laquelle n'agit pas comme matiere, mais comme cause.

Averroès, Avicenne & plusieurs autres philosophes, qui ont suivi le sentiment d'Aristote, ont cherché des raisons pour prouver que les femelles n'ont point de liqueur prolifique. Ils ont dit que comme les femelles ont la liqueur menstruelle, & que cette liqueur est nécessaire & suffisante à la génération, il ne paroît pas naturel de leur en accorder une autre, & qu'on peut penser que le sang menstruel est en effet la seule liqueur fournie par les femelles pour la génération, puisqu'elle ne commence à paroître que dans le tems de la puberté ; comme la liqueur prolifique du mâle ne paroît aussi que dans ce tems. D'ailleurs, disent-ils, si la femelle a réellement une liqueur séminale & prolifique, comme celle du mâle, pourquoi les femelles ne produisent-elles pas d'elles-mêmes, & sans l'approche du mâle, puisqu'elles contiennent le principe de fécondation, aussi-bien que la matiere nécessaire pour former l'embryon ? Cette raison métaphysique est une difficulté très-considérable contre tous les systèmes de la génération, dans lesquels on admet une semence prolifique, propre à chaque individu des deux sexes. M. de Buffon en traitant de ce sujet, dans son grand ouvrage de l'histoire naturelle, témoigne avoir senti toute la force de cette difficulté, à l'égard même de son système, qui est un de ceux de ce genre ; mais cette objection peut être encore étayée par bien d'autres que font les Aristotéliciens. Ils ajoûtent donc, que s'il existoit une liqueur prolifique dans les femelles, elle ne pourroit être répandue que par l'effet du plaisir vénérien, comme il arrive à l'égard de celle du mâle ; mais qu'il y a des femmes qui conçoivent sans aucun plaisir ; que ce n'est pas le plus grand nombre des femmes qui répandent de la liqueur dans l'acte de la copulation ; qu'en général celles qui sont brunes, & qui ont l'air hommasse, ne répandent rien, & cependant n'engendrent pas moins que celles qui sont blanches, & dont l'air est plus féminin, qui répandent beaucoup ; qu'ainsi on peut conclure aisément de toutes ces raisons, que la liqueur que les femmes répandent, ou qu'elles ont la faculté de répandre dans le coït, n'est point essentielle à la génération ; qu'elle n'est par conséquent point prolifique.

N'est-il pas en effet plus vraisemblable qu'elle n'est que comme une salive excrémenteuse, destinée à lubrifier les cavités du vagin & de la matrice ; que lorsqu'elle est répandue d'une maniere sensible, ce n'est que par l'effet d'une plus forte expression des glandes ou vaisseaux qui la contiennent, excitée par la tension ou la constriction convulsive qu'y opere le prurit vénérien ?

Mais pour revenir aux raisonnemens des Péripatéticiens, ils pensent absolument que les femelles ne fournissent rien que le sang menstruel, qui est la matiere de la génération, dont la liqueur séminale du mâle est la cause efficiente, entant qu'elle contient le principe du mouvement ; qu'elle communique aux menstrues une espece d'ame, qui donne la vie ; que le coeur est le premier ouvrage de cette ame ; que cet organe contient en lui-même le principe de son accroissement ; qu'il a la puissance d'arranger, de réaliser successivement tous les visceres, tous les membres ; qu'ainsi les menstrues contiennent en puissance toutes les parties du fétus.

Voilà le précis du système sur la génération, proposé par Aristote, & étendu par ses sectateurs : Hippocrate & lui ont eu chacun les leurs. Presque tous les philosophes scholastiques, en adoptant la philosophie d'Aristote, ont aussi pensé comme lui à l'égard de la réproduction des animaux, presque tous les médecins ont suivi le sentiment d'Hippocrate sur ce sujet ; & il s'est passé dix-sept ou dix-huit siecles sans qu'il ait plus rien paru de nouveau sur cette matiere, attendu la stupide vénération pour ces deux maîtres, que l'on a conservée pendant tout cet espace de tems, au point de regarder leurs productions comme les bornes de l'esprit humain : ensorte qu'il ne pouvoit pas être permis même de tenter de les franchir, parce qu'on le croyoit impossible ; jusqu'à Descartes qui a été heureusement assez osé pour prouver le contraire, & pour convaincre par ses succès, qu'il falloit l'imiter, en secoüant comme lui le joug de l'autorité, pour n'être soûmis qu'à celui de la raison.

Cependant ce même Descartes a cru, comme les anciens, que l'homme étoit formé du mélange des liqueurs que répandent les deux sexes. Ce grand philosophe, dans son traité de l'homme, a cru pouvoir aussi expliquer, comment par les seules lois du mouvement & de la fermentation, il se formoit un coeur, un cerveau, un nez, des yeux, &c. Voyez l'homme de Descartes, & la formation du fétus dans ses oeuvres.

Le sentiment de Descartes sur cette formation a quelque chose de remarquable, & qui préviendroit en sa faveur, dit l'auteur de la Vénus physique, si les raisons morales pouvoient entrer ici pour quelque chose ; car on ne croira pas qu'il l'ait embrassé par complaisance pour les anciens, ni faute de pouvoir imaginer d'autres systèmes.

En effet, au renouvellement des sciences, quelques anatomistes ayant fait des recherches plus particulieres sur les organes de la génération, elles firent découvrir auprès de la matrice, au lieu de deux testicules qu'y avoient vûs les anciens, deux corps blanchâtres, formés de plusieurs vesicules rondes, remplies d'une liqueur semblable à du blanc d'oeuf ; l'analogie s'en empara ensuite. On regarda ces deux corps dans l'espece humaine & dans toutes les especes d'animaux où ils se trouvoient, comme faisant le même office, que ce qu'on appelle les ovaires dans les oiseaux ; & les vesicules dont étoient composés ces corps, parurent être de véritables oeufs. Sténon fut le premier qui assûra que les testicules des femelles sont de vrais ovaires ; ils furent après lui plus particulierement examinés par Wanhorne & Graaf. Mais c'est principalement au fameux Harvey & au célébre Malpighi, que l'on doit les observations qui ont le plus contribué à établir le nouveau système sur la génération, d'après la découverte des oeufs ; mais comme ils sont placés au-dehors de la matrice, comment les oeufs, quand ils seroient détachés de l'ovaire, pourront-ils être portés dans la cavité de la matrice, dans laquelle, si l'on ne veut pas que le fétus se forme, il est du-moins certain qu'il prend son accroissement ? Fallope avoit trouvé deux tuyaux dépendans de la matrice, qui furent bientôt jugés propres à établir une communication entre les deux sortes d'organes dont il s'agit : on vit bientôt que les extrémités des deux tuyaux flottantes dans le bas-ventre, qui se terminent en forme de trompe par des especes de membranes frangées, peuvent par l'effet d'une sorte d'érection s'approcher des ovaires, les embrasser, recevoir l'oeuf, & servir à le transmettre dans la matrice, où ces especes de tuyaux ont leur embouchure.

Dans ce tems donc, dit l'auteur de la Vénus physique (en faisant l'exposition des differens systèmes sur la génération), dans ce tems la Physique renaissoit, ou plutôt prenoit un nouveau tour : on vouloit tout comprendre, & on croyoit le pouvoir. La formation du fétus par le mélange des deux liqueurs, ne satisfaisoit plus les savans : des exemples de développement que la nature offre par-tout à nos yeux, firent penser que les fétus sont peut-être contenus, & déja tous formés dans chacun des oeufs ; que ce qu'on prenoit pour une nouvelle production, n'est que le développement des parties contenues dans le germe, rendues sensibles par l'accroissement. Il suivoit de-là que la fécondité retombe presque toute sur les femelles, puisque dans cette hypothèse, les oeufs destinés à fournir les rudimens des corps des mâles, ne contiennent chacun qu'un seul mâle ; & que l'oeuf d'où doit sortir une femelle, contient non-seulement cette femelle entiere, mais la contient avec ses ovaires, dans lesquels d'autres femelles contenues & déja toutes formées, sont une source de générations à l'infini : car toutes les femelles contenues ainsi les unes dans les autres, & de grandeur toûjours diminuante, dans le rapport de la premiere à son oeuf, n'allarment que l'imagination. La matiere divisible, au-moins à l'indéfini, peut avoir aussi distinctement dans l'oeuf la forme du fétus qui naîtra dans mille ans, que celle du fétus qui doit naître dans neuf mois : la petitesse qui cache le premier à nos yeux, ne le dérobe point aux lois, suivant lesquelles le chêne qu'on voit dans le gland, se développe & couvre la terre de ses branches.

Cependant quoique tous les hommes soient déjà formés dans les oeufs de mere en mere, ils y sont sans vie : ce ne sont que de petites statues renfermées les unes dans les autres, comme les ouvrages du tour, où l'ouvrier s'est plû à faire admirer l'adresse avec laquelle il conduit son ciseau en formant cent boëtes, qui se contenant les unes les autres, sont toutes contenues dans la derniere. Il faut pour que ces petites statues deviennent des hommes, quelqu'agent nouveau, quelqu'esprit subtil, qui s'insinue dans leurs organes, leur donne le mouvement, la végétation & la vie. Cet esprit est fourni par le mâle dans la liqueur qu'il répand avec tant de plaisir dans la copulation ; liqueur dont les effets sont semblables à ceux du feu, que les poëtes ont feint que Prométhée avoit dérobé au ciel, pour donner l'ame à des hommes qui n'étoient auparavant que des automates.

Mais avant de passer outre concernant ce système de la génération, par le moyen des oeufs, il faut observer que les Anatomistes n'ont pas cependant d'abord tous entendu la même chose par le mot oeuf. Lorsque le fameux Harvey a pris pour devise, omnia ex ovo, ce n'est qu'en tant qu'il pensoit que le premier produit de la conception dans les vivipares, comme dans les ovipares, est une espece d'oeuf : il croyoit avoir vû cet oeuf se former comme un sac sous ses yeux, après la copulation du mâle & de la femelle ; cet oeuf, selon lui, ne venoit pas par conséquent de l'ovaire, ou du testicule de la femelle. On voit bien qu'il n'y a rien là qui soit semblable à ce qu'on entend ordinairement par le mot oeuf, si ce n'est que la figure d'un sac peut-être celle d'un oeuf sans coquille, comme celle d'un tel oeuf peut être celle d'un sac.

Cet auteur établit que la génération est l'ouvrage de la matrice ; qu'elle conçoit le fétus par une espece de contagion que la liqueur du mâle lui communique, à peu-près comme l'aimant communique au fer la vertu magnétique : non-seulement cette contagion masculine agit sur la matrice, mais elle se communique encore à tout le corps féminin qui est fécondé en entier, quoique dans toute la femelle il n'y ait que la matrice qui ait la faculté de concevoir le fétus, comme le cerveau a seul la faculté de concevoir les idées ; & ces deux sortes de conceptions se font de la même façon. Les idées que conçoit le cerveau sont semblables aux images des objets qu'il reçoit par les sens ; le fétus qui est l'idée de la matrice, est semblable à celui qui le produit ; & c'est par cette raison que le fils ressemble au pere, &c. (Cette explication paroît si étrange, qu'elle semble n'être propre qu'à humilier ceux qui veulent pénétrer les secrets de la nature). Ensuite cet auteur, au lieu de représenter l'animal croissant par l'intussusception d'une nouvelle matiere, comme il devroit arriver, s'il étoit formé dans l'oeuf de la femelle, paroit être persuadé que c'est un individu qui se forme par la juxta position de nouvelles parties ; & après avoir vû, comme il a été dit, se former le sac qui doit contenir l'embryon, il pense que ce sac, au lieu d'être la membrane d'un oeuf qui se dilateroit, se fait sous ses yeux comme une toile dont il observe les progrès. Il ne parle point de la formation du sac intérieur ; mais il a vû l'animal qui y nage se former de la maniere suivante. Ce n'est d'abord qu'un point, mais un point qui a la vie, punctum saliens, & autour duquel toutes les autres parties venant s'arranger, achevent bientôt la formation de l'animal.

Tel est le précis du système de ce grand anatomiste, qu'il semble avoir formé d'après le plus grand appareil d'expériences ; d'où il ne résulte cependant presqu'autre chose, sinon qu'Aristote l'a guidé plus que l'observation : car à tout prendre, il a vû dans l'oeuf de la matrice tout ce que le philosophe a dit ; & il n'a pas vû beaucoup au-delà. D'ailleurs la plûpart des observations essentielles qu'il rapporte, ne sont qu'une confirmation de celles qui avoient été faites avant lui par Parisanus, Volcher-Coïter, Aquapendente. Il est bon ensuite de remarquer, pour juger sainement de la valeur des autres expériences de l'anatomiste anglois, qu'il y a grande apparence qu'il ne s'est pas servi du microscope qui n'étoit pas perfectionné de son tems ; & qu'ainsi il ne peut qu'avoir mal vû, puisque la plûpart de ses observations sont si peu conformes à la vérité. Il ne faut pour s'en assûrer, que répéter les expériences sur les oeufs, ou seulement lire avec attention celles de Malpighi (Malpighii pullus in ovo), qui ont été faites environ trente-cinq ou quarante-ans après celles de Harvey ; d'où il résulte que ce dernier n'a pas fait les siennes, à beaucoup près, avec autant de succès : car s'il avoit vû ce que Malpighi a vû, il n'auroit pas assûré, comme il l'a fait, que la cicatricule d'un oeuf infécond & celle d'un oeuf fécond, n'ont aucune différence ; tandis que Malpighi ayant examiné avec soin cette partie essentielle de l'oeuf, l'a trouvée grande dans tous les oeufs féconds, & petite dans les oeufs inféconds. Harvey n'auroit pas dit que la semence du mâle ne produit aucune altération dans l'oeuf, & qu'elle ne forme rien dans la cicatricule : il n'auroit pas dit qu'on ne voit rien avant la fin du troisieme jour ; & que ce qui paroît le premier est un point animé, dans lequel il croit que s'est changé le point blanc. Il auroit vû que ce point blanc étoit une bulle qui contient l'ouvrage entier de la génération, & que toutes les parties du fétus y sont ébauchées, au moment que la poule a eu communication avec le coq : il auroit reconnu de même, que sans cette communication, elle ne contient qu'une mole qui ne peut devenir animée, que lorsqu'elle est pénétrée des parties vivifiantes de la semence du mâle. Il paroît d'ailleurs que Harvey s'est trompé sur plusieurs autres choses essentielles. Il assûre que cette liqueur prolifique n'entre pas dans la matrice de la femelle, & même qu'elle ne peut pas y entrer ; cependant Verheyen a trouvé une grande quantité de semence du mâle dans la matrice d'une vache, disséquée seize heures après l'accouplement. Verheyen sup. anat. tract. V. cap. iij. Le célébre Ruysch assûre avoir disséqué la matrice d'une femme, (qui ayant été surprise en adultere, avoit été assassinée sur le champ), & avoit trouvé non-seulement dans la cavité de la matrice, mais aussi dans les deux trompes, une grande quantité de la liqueur séminale du mâle. Ruysch. thes. anat. tab. VI. On ne peut guere douter après le témoignage positif de ces grands anatomistes, que Harvey ne se soit trompé sur ce point important, à-moins que l'on ne dise que ce qu'ils ont pris pour de la liqueur du mâle, n'étoit en effet que de la prétendue semence de la femelle ; mais son existence n'est pas assez bien établie, comme il a été déjà dit (& il en sera encore fait mention), pour entrer en opposition avec des observations d'un si grand poids. Harvey qui a disséqué tant de femelles vivipares, assûre encore qu'il n'a jamais apperçû d'altération dans leurs testicules après la fécondation : il les regarde même comme de petites glandes tout-à-fait inutiles à la génération ; tandis que ces testicules sont des parties fort considérables dans la plûpart des femelles, & qu'il y arrive des changemens & des altérations très-marquées, ainsi qu'on peut le voir aisément dans les vaches sur-tout. Ce qui a trompé Harvey, c'est que ce changement n'est pas à-beaucoup-près si marqué dans les biches & dans les daines. Conrad-Peyer qui a fait plusieurs observations sur les testicules des daines, croit avec quelque raison, que la petitesse des testicules dans les daines & dans les biches, est cause que Harvey n'y a pas remarqué de changement : Conrad-Peyer myrecolog. Enfin, si ce fameux observateur anglois eût été aussi exact dans ses recherches que ceux qui l'ont suivi, & particulierement encore Malpighi, il se seroit convaincu que dès le moment de la fécondation, par l'effet de la semence du mâle, l'animal paroît formé tout entier ; que le mouvement y est encore imperceptible, & qu'il ne se découvre qu'au bout de quarante heures d'incubation. Il n'auroit pas assuré que le coeur est formé le premier ; que les autres parties viennent s'y joindre extérieurement, puisqu'il est évident par les observations de l'anatomiste italien, que les ébauches de toutes les parties sont toutes formées d'abord, mais que ces parties ne paroissent qu'à mesure qu'elles se développent.

Les observations de Malpighi ont donc ainsi contribué principalement à rectifier les idées d'Harvey sur les premiers faits de la génération par le moyen des oeufs ; & à faire regarder, d'après la confirmation de ses expériences par celles de Graaf & de Valisnieri, les testicules des femelles comme de vrais ovaires, & les oeufs comme contenant véritablement les rudimens du fétus, qui n'ont besoin, pour être vivifiés d'un mouvement qui leur soit propre, que de l'influence de la semence du mâle dardée dans le vagin, pompée par l'orifice de la matrice, & élevée dans les trompes (au-moins quant à sa partie la plus atténuée) par une sorte de suction semblable à celle des tubes capillaires des points lacrymaux supérieurs ; ou par l'effet d'un mouvement péristaltique que l'on prétend avoir observé dans ces conduits ; en sorte que cette liqueur prolifique pénetre & est portée jusqu'aux ovaires, sur lesquels elle est versée, pour y féconder un ou plusieurs des oeufs qui sont le plus exposés à la contagion. Ce système auroit emporté le suffrage unanime de tous les Physiciens, si dans le tems même où on étoit le plus occupé à perfectionner cette maniere d'expliquer la génération, pour l'espece humaine sur-tout, & à la rendre incontestable, on n'eût pas mis au jour une autre opinion fondée sur une nouvelle découverte qui avoit fait voir, par le moyen du microscope, des corpuscules singuliers paroissant animés dans la liqueur spermatique de la plûpart des animaux ; corpuscules que l'on crut d'abord devoir regarder aussi comme de vrais animaux : & comme on n'en trouva pas d'abord dans les autres humeurs du corps, on ne put pas se refuser à l'idée que ces animalcules découverts dans la seule semence des mâles, étoient de vrais embryons, auxquels il étoit réservé de reproduire les différentes especes d'animaux ; car malgré leur petitesse infinie & leur forme de poisson, le changement de grandeur & de figure coûte peu à concevoir au physicien, & encore moins à exécuter à la nature : mille exemples de l'un & de l'autre sont sous nos yeux, d'animaux dont le dernier accroissement ne semble avoir aucune proportion avec leur état au tems de leur naissance, & dont les premieres figures se perdent totalement dans les figures nouvelles qu'ils acquierent. Qui pourroit reconnoître le même animal dans le ver dont se forme ensuite le papillon ? &c.

Cette découverte des animalcules dans la semence, qu'on doit à Leuwenhoeck principalement, & à Hartsoëker, fut confirmée ensuite par Valisnieri, Andry, Bourguet, & plusieurs autres observateurs. Ces animalcules sont, disoient-ils, de différente figure dans les différentes especes d'animaux ; cependant ils ont tous cela de commun, qu'ils sont longs, menus, sans membres : ils sont en si grand nombre, que la semence paroît en être composée en entier, & Leuwenhoeck prétend en avoir vû plusieurs milliers dans une goutte plus petite qu'un grain de sable. Selon les observations d'Andry, ils ne se trouvent que dans l'âge propre à la génération, que dans la premiere jeunesse ; & dans la grande vieillesse ils n'existent point. Ils se remuent avec beaucoup de vîtesse dans la semence des animaux sains ; ils sont languissans dans ceux qui sont incommodés, sur-tout dans la semence des vérolés : ils n'ont aucun mouvement dans la semence des impuissans. Ces vers dans l'homme ont la tête, c'est-à-dire l'une des deux extrémités par lesquelles se termine leur corps, plus grosse, par rapport à l'autre extrémité, qu'elle ne l'est dans les autres animaux ; ce qui s'accorde, dit le même Andry, avec la figure du fétus, dont la tête en effet est beaucoup plus grosse, à proportion du corps, que celle des adultes.

D'après ces différentes observations, la plûpart de ceux qui les avoient faites crurent être bien fondés à renoncer au système des oeufs, & à s'y opposer de toutes leurs forces. Ils disoient que les femelles ne fournissant rien de pareil aux animalcules de la semence des mâles, qui avoient été trouvés par Leuwenhoeck dans la matrice même & dans les trompes d'une chienne, peu de tems après avoir été couverte ; il étoit évident que la fécondité qu'on attribuoit aux femelles de tous les animaux, appartenoit au contraire aux mâles ; que n'y ayant que la semence de ceux-ci dans laquelle on puisse découvrir quelque chose de vivant, ce fait seul avançoit plus l'explication de la génération, que tout ce qu'on avoit imaginé auparavant, puisqu'en effet ce qu'il y a de plus difficile à concevoir dans la génération, c'est la production de l'être qui a vie, l'origine de la vie elle-même ; que tout le reste est accessoire, & qu'ainsi on ne pouvoit pas douter que ces petits animaux de la semence humaine ne fussent destinés à devenir des hommes, comme ceux de la semence des autres animaux à devenir des animaux parfaits dans chaque espece. Et lorsqu'on opposoit aux partisans de ce système, qu'il ne paroît pas naturel d'imaginer que de plusieurs millions d'animalcules, dont chacun pouvoit devenir un homme ou un autre animal parfait, il n'y eût qu'un seul de ces animalcules qui eut cet avantage ; lorsqu'on leur demandoit pourquoi cette profusion inutile de germes d'hommes, ils répondoient que c'étoit la magnificence & la profusion ordinaire de la nature ; que dans les plantes & dans les arbres on voyoit bien que de plusieurs millions de graines qu'ils produisent naturellement, il n'y en a qu'un très-petit nombre employées à la reproduction de l'espece ; & qu'ainsi on ne devoit point être étonné de celui des animaux spermatiques, quelque prodigieux qu'il fût. Tout concourt donc, concluoient-ils, à favoriser le système qui leur attribue d'être les principaux agens de la génération, & à faire rejetter celui des oeufs.

Cependant, disoient quelques-uns, si l'on veut absolument leur attribuer encore quelqu'usage pour l'oeuvre de la fécondation, & qu'ils soient employés dans les femelles des vivipares comme dans celles des ovipares, ces oeufs, dans les unes & dans les autres, peuvent être admis, comme un reservoir qui contient la matiere nécessaire pour fournir à l'accroissement du ver spermatique : il y trouve une nourriture préparée à cet effet ; & lorsqu'il y est une fois entré, après avoir rencontré l'ouverture du pédicule de l'oeuf, & qu'il s'y est logé, un autre ne peut plus y entrer, parce, disent-ils, que celui qui s'y est introduit, bouche absolument le passage, en remplissant la cavité ; ou bien parce qu'il y a une soupape à l'ouverture du pédicule, qui peut joüer lorsque l'oeuf n'est pas absolument plein, mais qui ne peut plus s'ouvrir lorsque l'animalcule a achevé de remplir l'oeuf. Cette soupape est d'ailleurs imaginée là fort à-propos, parce que s'il prend envie au nouvel hôte de sortir de l'oeuf, elle s'y oppose ; il est obligé de rester & de se transformer. Le ver spermatique est alors le vrai fétus, la substance de l'oeuf le nourrit, les membranes de cet oeuf lui servent d'enveloppe ; & lorsque la nourriture contenue dans l'oeuf commence à manquer, que l'oeuf lui-même a grossi par l'humidité qu'il pompe dans la matrice, comme une graine dans la terre, il s'applique à la surface intérieure de ce viscere, s'y attache par des racines, & tire par leur moyen sa nourriture & celle du fétus, du sang de la mere, jusqu'à-ce qu'il ait pris assez d'accroissement & de force pour rompre enfin ses liens, & sortir de la prison par sa naissance.

Par ce système des vers spermatiques en général, ce n'est plus la premiere femme qui renfermoit les races passées, présentes & futures ; mais c'est le premier homme qui en effet contenoit toute sa postérité. Les germes préexistans ne sont plus des embryons sans vie, renfermés comme de petites statues dans des oeufs contenus à l'infini les uns dans les autres ; ce sont de petits animaux, de petits homuncules, par exemple, réellement organisés & actuellement vivans, tous renfermés les uns dans les autres, auxquels il ne manque rien, & qui deviennent parfaits par un simple développement aidé d'une transformation semblable à celle que subissent les insectes avant d'arriver à leur état de perfection.

Cette transformation, qui ne fut d'abord proposée que comme une conjecture, que comme le résultat d'un raisonnement fait par analogie, parut ensuite être prouvée, démontrée par la prétendue découverte concernant les animalcules de la semence de l'homme, publiée dans les nouvelles de la république des Lettres (année 1669), sous le nom de Dalempatius, qui assûroit qu'ayant observé cette liqueur prolifique, il y avoit trouvé des animaux semblables aux têtards, qui doivent devenir des grenouilles ; que leur corps lui parut à-peu-près gros comme un grain de froment ; que leur queue étoit quatre ou cinq fois plus longue que le corps ; qu'ils se mouvoient avec une grande agitation, & frappoient avec la queue la liqueur dans laquelle ils nageoient. Mais, chose plus merveilleuse, il ajoûtoit qu'il avoit vû un de ces animaux se développer, ou plûtôt quitter son enveloppe ; que ce n'étoit plus un animal tel qu'auparavant, mais un corps humain, dont il avoit très-bien distingué les deux bras, les deux jambes, le tronc, & la tête, à laquelle l'enveloppe servoit de capuchon. Il ne manquoit à cette observation, pour les conséquences qu'on vouloit en tirer, que la vérité du fait. L'auteur, qui étoit, sous le nom emprunté de Dalempacius, M. de Plantade, secretaire de l'académie de Montpellier, a souvent avoüé que toute cette prétendue découverte est absolument supposée, & qu'il n'avoit eu, en la produisant, d'autre dessein que de s'amuser aux dépens des admirateurs, trop crédules, de ces sortes d'observations ; en quoi il ne réussit que trop bien dans le tems où il voulut ainsi en imposer au monde savant, de sorte qu'il ne contribua même pas peu à faire adopter au grand Boerhaave le système des animalcules, avec toutes ses dépendances.

Les deux opinions sur la génération, qui viennent d'être rapportées ; c'est-à-dire celle des oeufs, comme contenant les rudimens du fétus ; & celle des vers spermatiques, comme formant eux-mêmes ces rudimens, ont partagé presque tous les Physiciens depuis environ un siecle. La plûpart de ceux qui ont écrit nouvellement sur ce sujet, ont embrassé l'un ou l'autre de ces sentimens ; mais le système qui attribue aux oeufs presque tous les principes de la génération, a été le plus reçu, & est resté le dominant dans les écoles. Il est donc important de rapporter ici les principales raisons qui ont été employées pour soûtenir, pour défendre ce système, & pour combattre celui des animalcules.

On a commencé par objecter contre la destination des animalcules, qu'il ne paroît pas vraisemblable que l'Auteur de la nature ait voulu les employer en si grande quantité (en tant qu'une seule goutte de semence versée dans la matrice, en contient un nombre infini), pour les sacrifier tous, selon la supposition de quelques partisans des vers, au plus fort d'entr'eux, qui parvient à en faire un massacre général avant que de s'emparer seul de la matrice ou de l'oeuf ; ou, selon que l'ont imaginé d'autres, pour faire périr presque tous ces animalcules dans l'une de ces deux cavités, en tant qu'elles ne sont propres à fournir asyle qu'à un ou deux animalcules tout-au-plus ; tandis que tout le reste se trouvant pour ainsi dire dans un climat qui lui est contraire, ne peut pas s'y conserver, & qu'il n'y a que les plus robustes qui résistent. On oppose ensuite le défaut de proportion entre le volume des animalcules, observé dans la semence des différens animaux, & les animaux même qui sont supposés devoir en être produits. En effet Leuwenhoeck avoue qu'il n'a point trouvé de différence entre les animalcules de la semence des plus petits insectes, & ceux de la semence des grands animaux ; d'où on peut, ce semble, assez raisonnablement inférer qu'ils ne sont point destinés à changer d'état, & qu'ils sont simplement habitans de la liqueur séminale, comme ils le sont dans bien d'autres humeurs animales, où il en a aussi été découvert, telles que la salive, à l'égard de laquelle Leuwenhoeck dit qu'il avoit trouvé que sa bouche contenoit plus de ces animalcules que la Hollande ne contient d'habitans. On prétend encore prouver que les animalcules ne sont point destinés à joüer le principal rôle dans la génération, de ce qu'il ne s'en trouve point dans la semence de plusieurs animaux, tels que les petits cochons d'Inde, & le coq surtout, cet animal si porté à travailler à la multiplication de son espece, tandis qu'il se trouve de ces animalcules dans la prétendue semence de la femme, selon que le rapporte Valisnieri, d'après l'observation certaine d'un docteur italien de ses amis, nommé Buono, qui s'étoit permis des recherches à ce sujet.

On remarque enfin, contre les animalcules considérés comme propres à former le fétus dans tous les animaux, que quoiqu'ils ayent été facilement observés dans la semence du mâle tirée de ses propres reservoirs, il n'est aucun observateur, selon le témoignage même de Valisnieri, qui ait jamais assûré les avoir retrouvés dans cette semence, lorsqu'elle a été injectée dans la matrice, où il devroit y en avoir au-moins quelqu'un qui parût plus sensiblement & avec plus de vigueur, à proportion qu'il seroit plus disposé à changer de forme. Il ne conste pas davantage que l'on en ait découvert dans les trompes & dans les ovaires, où l'imagination seule d'Andry les a fait pénétrer, puisque les meilleurs microscopes ne les y ont pû faire appercevoir.

Pour achever de renverser l'opinion des animalcules prolifiques, on demande de quelle maniere ils se reproduisent eux-mêmes ; ce qui ramene la difficulté commune à tous les systèmes, pour trouver en quoi consiste le premier principe vivifiant dans l'ordre physique de la fécondation ; principe qu'on ne peut attribuer aux animalcules, qu'en remontant de ceux qui contiennent d'autres animalcules dans leur semence, à ceux qui y sont contenus, & ainsi de ceux-ci à d'autres, par un progrès de diminution à l'infini qui paroît absurde, d'autant plus qu'il ne décide rien.

Mais ne peut-on pas douter même si ces prétendus animalcules sont véritablement des êtres organisés, vivans ? M. Lieberkuhn, célebre observateur microscopique de Berlin, prétend être fondé à le nier ; ainsi il ne resteroit plus aucun fondement au système qui les fait regarder comme les propagateurs de la vie animale.

Enfin on a observé des animalcules, ou de petits êtres crûs tels, dans l'infusion de plusieurs sortes de plantes : il ne s'ensuit pas cependant qu'ils soient des embryons de plantes, & qu'ils servent à la reproduction des végétaux.

C'est donc d'après ces différentes raisons, si propres à faire rejetter le système des animalcules dans l'oeuvre de la génération, que la plûpart des medecins & autres physiciens se sont plus fortement attachés au système des oeufs fournis par les testicules des femelles, fécondés par la liqueur séminale des mâles, sans qu'elle opere autre chose que de mettre en jeu les rudimens du fétus, déja délinéés dans l'oeuf. Ils ont crû devoir préférer ce système, qui est fondé sur un grand nombre d'expériences, qu'il semble étonnant que l'on puisse se refuser aux apparences de certitude qu'il présente, s'il y a quelque chose de bien certain en fait d'observations physiques.

En effet, les partisans des oeufs alleguent pour fondement de leur opinion, 1°. que l'on ne peut pas douter que les petites bulles qui composent ce que les anciens appellent les testicules des femelles vivipares, ne soient de vrais oeufs, comme dans les femelles ovipares ; que ces oeufs ne renferment les rudimens du fétus, puisqu'il a été trouvé des oeufs encore attachés à leur ovaire, qui n'ayant pû s'en détacher après y avoir été fécondés, y avoient pris leur accroissement, au point que l'embryon y étoit apperçû sensiblement, ayant toutes ses parties bien formées : tel est le cas rapporté par M. Littre, mém. de l'acad. 1707. Valisnieri rapporte un exemple pareil, d'après un journal de Medecine de 1663. Selon plusieurs auteurs cités par M. de Haller dans ses notes sur les commentaires des institutions de Boerhaave, on a vû des oeufs adhérans à l'ovaire, qui contenoient des portions de fétus, telles que des os, des dents, des cartilages qui s'y étoient formés, c'est-à-dire qui y avoient pris accroissement par une suite de fécondation imparfaite.

2°. Que l'on a trouvé plusieurs fétus de différentes grandeurs, qui étoient attachés par leur placenta à quelque partie du bas-ventre, de la même maniere qu'ils doivent être naturellement attachés aux parois de la matrice ; & qui n'avoient pû s'être égarés ainsi, qu'en tant que des oeufs avoient été détachés de l'ovaire après la fécondation, sans avoir été reçûs par les trompes de Fallope, pour être portés dans la matrice. Il y a une infinité d'exemples de conceptions suivies de grossesses, dans lesquelles les fétus étoient placés hors de la matrice, dans les enveloppes qui leur sont propres. On peut consulter à ce sujet, entr'autres ouvrages, l'histoire de l'académie de 1716 ; les éphémerides des curieux de la nature, Déc. II. année. Santorinus fait mention d'une femme qui ne laissa pas de concevoir, quoiqu'elle eût dans le ventre un enfant qu'elle portoit depuis vingt-trois ans ; ce qui fit juger que cet enfant n'étoit pas dans la matrice, comme on s'en convainquit ensuite.

3°. Qu'il y a un grand nombre d'observations de conceptions qui se sont faites dans les trompes de Fallope, dans lesquelles les oeufs fécondés ont pris leur accroissement, & les fétus ont grossi comme dans la matrice. Riolan, Duverney, Mauriceau, Dionis, Douglas, & bien d'autres auteurs, rapportent des exemples de grossesses tubales. Mais outre ce que des accidens, des écarts de la nature ont appris à cet égard, on ne doit pas omettre ce que l'art a confirmé sur ce sujet par la fameuse expérience faite & rapportée par Nuck (adenogr. curios.), qui ayant lié la trompe d'une chienne trois jours après la copulation, assûre avoir trouvé le vingt-unieme jour deux fétus entre l'ovaire & la ligature, tandis que la portion de la trompe entre la ligature & la matrice se trouvoit absolument vuide. L'accord de ce fait avec ceux qui viennent d'être allégués, qui ont un rapport très-direct à celui-ci, ne laissent aucun doute sur la vérité du résultat.

4°. Que l'érection des trompes, l'application du pavillon aux ovaires, le mouvement péristaltique de ces conduits, concourent à annoncer qu'ils sont destinés à recevoir les oeufs détachés des ovaires & à les transporter dans la matrice. Toutes ces propriétés étant prouvées par les observations de plusieurs anatomistes célebres, tels que Graaf, Malpighi, Valisnieri, Bohn, &c. semblent ne devoir laisser aucun doute sur les effets qui doivent s'ensuivre, sans lesquels on ne verroit point de quel usage peuvent être ces organes dans l'économie animale. Voy. OVAIRE, OEUF, TROMPE DE FALLOPE. (Anat.)

5°. Que la qualité alkalescente halitueuse, qui est reconnue dans la partie subtile de la semence du mâle (voyez SEMENCE), la rend très-propre à pénétrer la substance de l'oeuf, à produire une sorte de dissolution dans les différentes humeurs du petit corps de l'embryon qu'il contient, qui, comme elles ne participoient auparavant que d'une maniere fort éloignée aux effets du principe du mouvement commun à toutes les parties de l'individu femelle, ne pouvoient avoir que peu de fluidité, & se mouvoir qu'avec une extrème lenteur ; ensorte que, ayant acquis par l'influence de la liqueur séminale une plus grande disposition à circuler, qu'elles n'avoient, étant laissées à elles-mêmes, l'ame ou la puissance motrice, telle qu'elle puisse être, que le Créateur place en même tems dans cette petite machine, y met tous les organes en jeu, & commence une vie qui est propre à l'embryon, dont les effets tendent dès-lors à convertir en sa substance les sucs nourriciers renfermés dans l'oeuf, à le faire croître par ce moyen, & à en former un animal parfait.

6°. Que l'on ne peut pas douter que la semence ne puisse être portée jusqu'à l'ovaire, par le moyen de la matrice & des trompes en érection. Si l'on fait attention que cette liqueur n'est pas d'une gravité spécifique plus considérable que celle des parois de la matrice & des trompes ; qu'elle peut par conséquent contracter adhésion avec la surface intérieure de ces organes, & qu'elle peut être attirée de proche en proche jusqu'à l'extrémité des trompes par une suction semblable à celle des tubes capillaires ; qu'on peut aussi se représenter le transport de la semence dans les cavités de la matrice & des trompes, comme étant fait par un méchanisme semblable à celui de la déglutition dans l'oesophage, par une sorte de mouvement péristaltique que l'on a dit ci-devant avoir été observé dans les trompes, qui devient antipéristaltique, pour porter en sens opposé les oeufs de l'ovaire dans la matrice, qui, quoiqu'ils soient d'un plus grand diametre que celui des trompes, dilatent ces conduits, comme le bol alimentaire fait à l'égard de l'oesophage dans la déglutition.

7°. Que la comparaison se soûtient à tous égards entre ce qui se passe pour la génération des animaux vivipares & des animaux ovipares ; que comme les oeufs de ceux-là ont besoin de l'incubation, pour que la chaleur y prépare les sucs nourriciers de l'embryon qui y est contenu, & le dispose à prendre de l'accroissement, à se fortifier assez pour sortir de sa prison & devenir ensuite un animal parfait ; de même les oeufs fécondés dans les vivipares sont retenus dans la matrice, pour y être gardés & exposés à une véritable incubation au même degré de chaleur pendant un tems plus ou moins long, pour les mêmes effets que le poulet, par exemple, éprouve dans l'oeuf couvé.

8°. Que cette analogie, à l'égard de la génération entre les animaux ovipares & les vivipares, paroît bien complete , sur-tout en raisonnant d'après les expériences nombreuses & rapportées par plusieurs auteurs (vid. comment. instit. medic. Boerhaav. §. 669. not. 20. Haller), qui prétendent que les femmes, & par conséquent les femelles de la plûpart des autres animaux vivipares, ont non-seulement des oeufs susceptibles d'être portés dans la matrice, après avoir été fécondés, mais encore de ceux qui peuvent y être portés, sans être fécondés : que ceux-ci ont la faculté de grossir assez, par la seule nourriture qui leur est fournie, de l'individu femelle dont ils font partie, pour se détacher de l'ovaire, être reçûs dans les trompes, portés dans la matrice, & en sortir avec le sang menstruel, ou même avec la liqueur qui s'en répand dans les actes voluptueux, comme le coït, & les autres moyens propres à exciter l'orgasme vénérien ; dans lesquels oeufs inféconds on n'observe cependant aucune trace de l'embryon contenu, parce qu'il est imperceptible tant qu'il ne joüit pas d'une vie qui lui soit propre, & qui puisse commencer à rendre sensible le développement de ses parties.

9°. Enfin que l'analogie conduit à adopter le sentiment des oeufs à l'égard de la génération, non-seulement par rapport aux animaux ovipares, mais encore par rapport aux plantes, qui, selon l'observation des plus habiles botaniologistes, tels que MM. Linnaeus, de Sauvages, se reproduisent toutes par le moyen d'une trompe qui sert à porter dans l'amas de graines, que l'on peut regarder comme un ovaire, la poussiere séminale pour les féconder ; ensorte que cette trompe étant liée, & cette poussiere n'y pouvant pénétrer, elles restent infécondes.

Quelques auteurs ont prétendu qu'il n'est pas absolument nécessaire que la semence du mâle entre dans la matrice pour parvenir aux ovaires, & pour rendre par cette voie la femelle féconde ; parce que, selon quelques observations, des femelles bouclées, qui n'avoient par conséquent pu recevoir cette liqueur, ou d'autres, qui de fait ne l'avoient point reçue dans le vagin, mais seulement sur les bords de son orifice extérieur, n'avoient pas laissé que d'être imprégnées. Ils ont imaginé que pour résoudre cette difficulté, il suffit de supposer que la semence ainsi versée sur les bords du vagin, est reçue dans les vaisseaux absorbans qui la portent dans les veines ; d'où elle est bien-tôt mêlée dans toute la masse du sang, & portée par la circulation jusqu'aux ovaires ; ensorte que l'oeuf disposé à être fécondé, n'est fait tel, qu'après que toute la masse des humeurs de la femelle a été, pour ainsi dire, fécondée elle-même.

C'est à ce mélange de la liqueur séminale du mâle dans le sang de la femelle, que M. Fizes, qui entr'autres a adopté ce sentiment (exercitatio de generat. homin. perioch. III.), attribue tous les desordres, dont sont fatiguées, tourmentées la plûpart des femmes nouvellement enceintes. On peut en voir une raison plus vraisemblable dans l'article EQUILIBRE (Economie animale).

Mais, d'après cette idée de fécondation procurée par le moyen de la circulation ; il devroit s'ensuivre que cette oeuvre admirable pourroit être opérée, par quelque voie que la semence soit introduite dans la masse du sang, & que les oeufs des ovaires devroient être rendus féconds tous à-la-fois, ce qui est contre l'expérience.

Quoi qu'il en soit, de quelque maniere que l'oeuf soit fécondé ; soit que la semence du mâle portée immédiatement jusqu'à lui, par la voie de la matrice ou des trompes de Fallope, en pénetre la substance ; soit que délayée dans la masse des humeurs, elle n'y parvienne que par les routes de la circulation vers les ovaires : cette semence ou cet esprit séminal ayant la propriété d'exciter l'irritabilité des parties de l'embryon imperceptible, qui sont déjà toutes formées dans l'oeuf, y met ainsi en jeu le principe du mouvement qui leur est particulier, & les dispose à se développer, à se rendre sensibles. L'oeuf jusque-là fixement attaché à l'ovaire, s'étend en tous sens, sort de la cavité qui ne peut plus le contenir, rompt son pédicule, se détache par conséquent de l'ovaire : il est reçu dans le canal de la trompe, dont l'extrémité appellée le pavillon, embrasse alors l'ovaire pour recevoir cet oeuf, qui delà est porté dans la matrice par le méchanisme dont il a été fait mention ci-devant. Alors semblable aux graines des plantes ou des arbres, lorsqu'elles sont reçues dans un terrein propre à les faire germer & végéter, l'oeuf pousse des racines de la surface des membranes dont il est composé, qui, pénétrant dans les pores de la matrice jusqu'à s'anastomoser avec les vaisseaux de cet organe, en tirent les sucs nourriciers nécessaires pour son accroissement, & pour celui de l'embryon qu'il contient, & qui fait un tout avec lui ; ensorte qu'il se nourrit du sang de sa mere, comme les plantes des sucs de la terre, & qu'il commence à vivre par une véritable végétation. Voyez ci-après GROSSESSE.

Au reste, qu'une espece de solidité, de dureté qui se trouve ordinairement dans l'enveloppe extérieure des oeufs des oiseaux, n'empêche pas de comparer à ces oeufs les sacs dans lesquels sont enfermés les embryons des vivipares ; les oeufs de plusieurs animaux, des tortues, des serpens, des lésards, & des poissons, n'ont point d'enveloppe dure, & n'en ont qu'une mollasse & flexible ; ce ne sont pas moins des oeufs, comme plusieurs de ceux que font bien des poules, qui sont sans coquille. Ainsi il est bien des animaux qui confirment cette analogie par rapport aux enveloppes respectives des embryons ; on peut même rapprocher encore davantage la génération des animaux vivipares de celle des ovipares, si l'on fait attention qu'il n'y a pas d'autre différence, qu'en ce que dans ceux-ci les oeufs n'éclosent que quelque tems après être sortis du corps de la femelle ; au lieu que dans les vivipares les oeufs éclosent immédiatement en sortant du corps de la mere : d'où il s'ensuit que l'incubation qui est nécessaire pour le développement des parties de l'embryon, tout formé dès la fécondation, se fait dans le corps à l'égard des vivipares & hors le corps des ovipares, & que par conséquent ces deux sortes de générations reviennent au même. Voyez OEUF, INCUBATION.

Quelque bien fondé que paroisse, par toutes ces raisons, le système des oeufs, on n'a pas laissé de le trouver encore susceptible de bien des difficultés, tant générales que particulieres : celles-ci regardent principalement l'existence réelle des oeufs & leur forme, à l'égard desquels on propose des doutes, des questions, qui ne semblent pas aisées à résoudre. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans ce détail. Voyez OVAIRE, OEUF. Quant aux difficultés du premier genre, une de celles que l'on ne doit pas omettre ici, d'autant plus que l'on la regarde comme étant des plus fortes ; c'est la ressemblance des enfans, tantôt au pere, tantôt à la mere, & quelquefois à tous les deux ensemble. Si le fétus est préexistant dans l'oeuf de la mere, comment se peut-il que l'enfant ressemble à son pere ? Cette objection passe communément pour être insurmontable ; mais ne pourroit-on pas la faire cesser d'être telle, en répondant que la disposition des organes de l'embryon, avant & après la fécondation, dépend beaucoup de l'activité plus ou moins grande, avec laquelle s'exerce, s'entretient la vie de la mere, & de l'influence de cette activité, pour qu'il soit conformé de telle sorte ou de telle maniere, analogue à celle dont cette même action de la vie (vis vitae) dans la mere a conformé ses propres organes, & que cette même disposition des parties de l'embryon ne peut que dépendre aussi plus ou moins de la force avec laquelle elles ont été mises en jeu par l'effet de l'esprit séminal du pere, dont elles ont été imprégnées : d'où il s'ensuit que la ressemblance tient plus ou moins du pere ou de la mere, selon que l'un ou l'autre a plus ou moins influé, par cela même qu'il fournit dans la génération & la formation ou le développement du fétus, sur le principe de vie & l'organisation de l'embryon, qui en reçoit à-proportion une forme plus ou moins approchante de celle du pere ou de la mere ; ce qui peut rendre raison, non-seulement de ce qu'on observe par rapport à la ressemblance quant à la figure, mais encore par rapport à celle du caractere.

Une autre des difficultés générales que l'on propose, qui est plus embarassante que la précédente, c'est le progrès à l'infini par rapport aux embryons contenus dans les oeufs ; de maniere que la premiere femme devoit renfermer tous les embryons des hommes qui ont été, qui sont & qui seront, & de ceux qui par la fécondation auroient pû, peuvent, & pourroient être. On ne peut pas se dissimuler que cette difficulté ne soit d'un très-grand poids, malgré l'idée de la divisibilité possible de la matiere à l'infini ; parce que ce n'est qu'une idée, qui lorsqu'on essaye de la réduire en acte par le calcul, étonne l'imagination autant qu'elle paroissoit d'abord la contenter. En effet, selon la supputation que l'on trouve dans l'histoire naturelle de M. de Buffon, tome III. chap. v. l'homme seroit plus grand par rapport à l'embryon contenu dans l'oeuf de la sixieme génération en remontant, que la sphere de l'univers ne l'est par rapport au plus petit atome de matiere qu'il soit possible d'appercevoir au microscope. Que seroit-ce, dit cet illustre auteur, si l'on poussoit ce calcul seulement à la dixieme génération ; calcul qui peut s'appliquer aux vers spermatiques, comme aux oeufs ? Il faut encore convenir que l'expansibilité des matieres odoriférantes, de la lumiere même, ne fait pas évanoüir ce que cette supputation présente de fort contre la vraisemblance du progrès à l'infini.

C'est pour éviter cet écueil, que quelques physiciens modernes ont crû devoir chercher dans les opinions des anciens des explications plus satisfaisantes du mystere de la génération, comme on a fait à l'égard de celles de la formation de l'univers, que l'on a pour la plûpart renouvellées des Grecs, & sur-tout d'Epicure : c'est ainsi que le savant auteur de la Vénus physique a commencé par proposer de revenir au mélange des deux semences, fait de celle qui est attribuée à la femme, comme de celle de l'homme ; & pour rendre raison du résultat de ce mélange, il a recours à l'attraction : pourquoi, dit-il, si cette force existe dans la nature, n'auroit-elle pas lieu dans la formation des animaux ? Qu'il y ait dans chacune des semences des parties destinées à former le coeur, les entrailles, la tête, les bras, & les jambes ; & que ces parties ayent chacune un plus grand rapport d'union avec celle qui pour la formation de l'animal, doit être sa voisine, qu'avec toute autre, le fétus se formera ; & fût-il encore mille fois plus organisé qu'il n'est, ajoûte ce physicien, il se formeroit ; ce qu'il assûre comme une induction, par comparaison de ce qui se passe dans la formation de l'arbre de Diane, qui se fait par un pareil principe du rapport d'affinité ; d'après lequel il ne s'agit, dans le phénomene de cette végétation, que de rapprocher des parties métalliques absolument sans organisation, qui ne forment après tout dans cette réunion, rien de plus admirable que ce qui se passe à l'égard de la formation de la glace dans de petites lames d'eau, dans lesquelles la congelation commence toûjours par former de petites ramifications de glace absolument semblables à des branches de fougere.

Mais dans l'un & l'autre cas, ce sont des particules de matiere homogenes qui s'unissent les unes aux autres d'une maniere assez uniforme dans la disposition & la substance de toutes ces ramifications ; au lieu que dans la formation des animaux, il n'y a point d'uniformité dans l'arrangement & dans la consistance des parties qui le composent. La force qui unit les molécules nécessaires pour les parois d'un conduit dans le corps animal, doit être de nature à éviter d'attirer de ces molécules dans l'espace qui doit former la cavité de ce vaisseau. Cette force doit attirer & unir entr'elles un plus grand nombre de molécules pour les parties d'une substance plus dense, comme les os, que pour les parenchymes. Voilà des modifications nécessaires dont on ne trouve point le principe dans l'attraction, qui forme l'arbre de Diane ou les ramifications de la glace : d'ailleurs les parties élémentaires du corps humain étant vraisemblablement les mêmes pour tous les organes qui le composent, & ne différant dans les différens aggrégés qui en résultent, que par la différence de leur position différemment combinée ; il s'ensuit que la force qui distribue ces parties intégrantes, ne peut pas être soumise à une seule loi, telle que celle du rapport de l'affinité. Il y a des vaisseaux de différente espece dans chaque partie du corps ; il y a des muscles, des tendons, des nerfs, des of dans les doigts ; il y a de toutes ces parties dans les orteils ; cependant chacun de ces organes est différemment combiné tant dans l'un que dans l'autre ; quoique les parties élémentaires d'un muscle du doigt puissent vraisemblablement entrer dans la composition d'un muscle du pié, & réciproquement. Ainsi le total des parties composées des mains, est un tout hétérogene, mais seulement par rapport à la différence des organes qui entrent dans la composition des mains : la différence n'étant donc que dans l'organisation, de ce qu'un principe particulier de mouvement peut seul donner une forme déterminée à un corps, mais sans organisation, il ne s'ensuit pas qu'il puisse être suffisant pour la formation d'un corps organisé : ainsi le système de la Vénus physique semble manquer essentiellement par son propre fondement, quelque spécieux qu'il paroisse d'abord, sur-tout pour rendre raison des ressemblances des enfans aux peres & meres, des conformations monstrueuses, & de la plûpart des autres phénomenes relatifs à la génération, dont l'explication est si difficile à donner.

Peu de tems après que ce dernier système a été mis au jour, il en a paru un autre d'une nature approchante, mais plus compliqué ; c'est celui du célebre auteur de l'histoire naturelle générale & particuliere. Il admet d'abord que les femelles, ainsi que le système précédent, ont une liqueur séminale prolifique, tout comme les mâles ; il admet encore, d'après un grand nombre d'expériences & d'observations microscopiques, que cette liqueur, dans chacun des deux sexes, contient des corpuscules en mouvement ; mais il prétend être fondé à assûrer que ces petits corps ne sont pas de vrais animaux, mais seulement des parties des molécules qu'il appelle organiques, parce qu'elles ont la propriété exclusive de pouvoir entrer dans la composition des corps organisés ; il les regarde cependant comme vivantes, quoique prises séparément elles soient sans organisation. Selon cet auteur, tous les animaux mâles & femelles, tous ceux qui sont pourvus des deux sexes ou qui en sont privés ; tous les végétaux, de quelque espece qu'ils soient ; tous les corps, en un mot, vivans & végétans, sont composés de parties organiques qu'il prétend que l'on peut démontrer aux yeux de tout le monde. Ces parties organiques sont en grande quantité dans les liqueurs séminales des animaux, dans les germes des amandes des fruits, dans les graines, enfin dans les parties les plus substantielles de l'animal ou du végétal.

C'est de la réunion des parties organiques renvoyées de toutes les parties du corps de l'animal ou du végétal, entant qu'elles composent le superflu de celles qui sont destinées à la nutrition & au développement de l'individu, que se fait la reproduction de ces êtres toûjours semblables à celui dans lequel elle s'opere ; parce que la réunion de ces parties organiques ne se fait qu'au moyen du moule intérieur, c'est-à-dire dans l'ordre que produit la forme du corps de l'animal ou du végétal ; & c'est en quoi consiste l'essence de l'unité & de la continuité des especes qui dès-lors d'elles-mêmes ne doivent jamais s'épuiser.

Pour un plus grand détail des idées de notre naturaliste sur ces parties organiques & le moule où elles s'arrangent, il faut recourir à son ouvrage même, & à l'art. ORGANIQUES (PARTIES), où on en trouvera l'exposition abrégée qui donneroit trop d'étendue à celui-ci.

Comme l'organisation de l'homme & des animaux est la plus parfaite & la plus composée, dit M. de Buffon, leur reproduction est aussi la plus difficile & la moins abondante ; il prend pour exemple celle de l'homme. Il conçoit que le développement ou l'accroissement des différentes parties de son corps, se faisant par une force propre à faire pénétrer intimement dans le moule intérieur des organes, les molécules organiques analogues à chacune de ces parties ; force qui ne peut être autre que celle de l'attraction : toutes ces molécules organiques sont absorbées dans le premier âge, & entierement employées au développement : par conséquent il n'y en a que peu ou point de superflues, tant que le développement n'est pas achevé : c'est pour cela que les enfans sont incapables d'engendrer ; mais lorsque le corps a pris la plus grande partie de son accroissement, il commence à n'avoir plus besoin d'une aussi grande quantité de molécules organiques pour se développer ultérieurement. Le superflu de ces mêmes molécules qui ne peut pas trouver à se faire un établissement local en pénétrant les parties du corps organisé, parce que celles-ci ont reçû tout ce qu'elles pouvoient recevoir, est donc renvoyé de chacune des parties du corps dans des réservoirs destinés à les recevoir ; ces reservoirs sont les vésicules séminales dans l'homme, & dans la femme les testicules, dont les corps glanduleux contiennent ainsi une vraie liqueur séminale qui distille continuellement sur la matrice & la pénetre, & qui y est même aussi portée par les trompes ensuite de leur érection, dans les circonstances propres à l'exciter. Les molécules organiques forment dans ces différens réservoirs la liqueur prolifique, qui dans l'un & l'autre sexe est, comme l'on voit, une espece d'extrait de toutes les parties du corps ; ensorte que la liqueur séminale du mâle répandue dans le vagin, & celle de la femelle répandue dans la matrice, sont deux matieres également actives, également chargées de molécules organiques propres à la génération : ces deux liqueurs ont entre elles une analogie parfaite ; puisqu'elles sont composées toutes les deux de parties non-seulement similaires par leur forme, mais encore absolument semblables dans leur mouvement & dans leur action : ainsi par le mélange des deux liqueurs séminales, cette activité des molécules organiques de chacune des liqueurs, est comme fixée par l'action contre-balancée de l'une & de l'autre ; de maniere que chaque molécule organique venant à cesser de se mouvoir, reste à la place qui lui convient ; & cette place ne peut-être que celle de la partie qu'elle occupoit auparavant dans le moule intérieur de l'animal, ou plutôt dont elle a été renvoyée avec les dispositions propres à entrer dans la composition de cette partie : ainsi toutes les molécules qui auront été renvoyées de la tête de l'animal, se disposeront & se fixeront dans un ordre semblable à celui dans lequel elles ont en effet été renvoyées ; & il en est de même de toutes les autres parties du corps : par conséquent cette nouvelle disposition des molécules organiques formera nécessairement par leur réunion un petit être organisé semblable en tout à l'animal dont elles sont l'extrait.

On doit observer, continue notre naturaliste, que ce mélange des molécules organiques des deux individus mâle & femelle, contient des parties semblables & des parties différentes. Les parties semblables sont les molécules qui ont été extraites de toutes les parties communes aux deux sexes ; les parties différentes ne sont que celles qui ont été extraites des parties par lesquelles les mâles different des femelles. Ainsi il y a dans ce mélange le double des molécules organiques pour former, par ex. la tête ou le coeur, ou telle autre partie commune dans les deux individus ; au lieu qu'il n'y a que ce qu'il faut pour former les parties du sexe. Or les parties semblables peuvent agir les unes sur les autres, sans se déranger, & se rassembler comme si elles avoient été extraites du même corps : mais les parties dissemblables ne peuvent agir les unes sur les autres ni se mêler intimement, parce qu'elles ne sont pas semblables. Dès-lors ces parties seules conserveront leur nature sans mélange, & se fixeront d'elles-mêmes les premieres, sans avoir besoin d'être pénétrées par les autres ; & toutes celles qui sont communes aux deux individus se fixeront ensuite indifféremment & indistinctement, soit celles du mâle, soit celles de la femelle ; ce qui formera un être organisé, qui par les parties sexuelles ressemblera parfaitement à son pere si c'est un mâle, & à sa mere si c'est une femelle ; mais qui, à l'égard des autres parties du corps, pourra ressembler à l'un ou à l'autre, ou à tous les deux, par le mélange plus ou moins dominant des molécules organiques qui proviennent de l'un ou de l'autre individu.

Il suit de tout ce qui vient d'être dit, que les mêmes molécules qui sont destinées à la nutrition & au développement du corps animal, servent aussi à la reproduction ; que l'une & l'autre s'operent par la même matiere & par les mêmes lois : se nourrir, se développer, & se reproduire, sont donc les effets d'une seule & même cause. Le corps organisé se nourrit par les parties organiques des alimens qui lui sont analogues ; il se développe par la susception intime des molécules organiques qui lui conviennent ; & il se reproduit parce qu'il contient un superflu de ces mêmes parties organiques qui lui ressemblent, en ressemblant à celles qui forment les organes dont il est composé.

Tel est le précis du système de M. de Buffon, qui présente autant de difficultés dans toutes ses parties, qu'il fournit de preuves du génie & de la sagacité de son auteur. En effet, peut-on bien concevoir & conçoit-il bien lui-même ce que sont les molécules organiques sans organisation ; des parties vivantes, sans la condition essentielle qui peut seule rendre la matiere susceptible des effets auxquels on a attaché l'idée de la vie ? Peut-on aisément se rendre raison pourquoi les molécules organiques superflues par rapport à la nutrition & au développement, & destinées à la reproduction, après avoir néanmoins pénétré comme les autres dans le moule intérieur, par la force attractive, n'y sont pas retenues par cette même force, à l'égard de laquelle on ne voit rien qui doive en suspendre l'effet ? pourquoi & comment elles acquierent la liberté d'être portées dans les réservoirs ? Si tous les matériaux qui doivent servir à la construction d'un nouvel animal, se trouvent réunis dans les reservoirs de chacun des individus mâle & femelle ; pourquoi la formation d'un fétus ne se fait-elle pas dans le corps du mâle & dans celui de la femelle, indépendamment l'un de l'autre, comme cette formation se fait dans les animaux qui ont les deux sexes dans chaque individu, tels que les limaçons ? ce qui exclut le point d'appui fourni par les molécules organiques provenues des parties sexuelles ? Peut-on se contenter de la solution que donne l'auteur à cette difficulté, après avoir examiné bien des réponses qu'il ne trouve pas satisfaisantes ? suffit-il de dire avec lui, que c'est uniquement faute d'organes, de local propre à la formation, à l'accroissement du fétus, que le mâle ne produit rien par sa propre vertu ? Mais s'il s'est formé des fétus dans les petites bulles des testicules des femelles que l'on a prises pour des oeufs, pourquoi ne s'en pourroit-il pas former dans les vésicules séminales des mâles, qui ont bien plus de capacité que ces bulles ? D'ailleurs, pour faire sentir en un mot l'insuffisance de cette solution ; pourquoi les femelles qui ont tous les organes nécessaires pour servir de local à l'oeuvre de la reproduction, ne se suffisent-elles pas à elles-mêmes, au moins pour former d'autres individus de même sexe, sans le concours de la liqueur séminale des mâles ? M. de Buffon paroît porté à croire que chaque liqueur séminale, soit du mâle soit de la femelle, peut seule produire quelque chose d'organisé : pourquoi ne peut-elle pas produire un animal parfait ? Mais en admettant même que les molécules organiques dissemblables fournies par les parties sexuelles, puissent former un centre de réunion pour les parties semblables ; pourquoi le mélange des liqueurs séminales des deux sexes ne produit-il pas toûjours la formation d'un mâle & d'une femelle en même tems ; puisqu'il se trouve toûjours dans ce mélange des matériaux suffisans au-moins pour la reproduction d'un individu de chacun des sexes ?

Mais si la formation du fétus se fait par la réunion des molécules organiques, dans le même ordre que celui des parties d'où elles ont été renvoyées, quelles seront les parties organiques destinées à former le placenta & la double membrane qui forme la double enveloppe du fétus ? Il n'y a ni dans le mâle ni dans la femelle aucun moule intérieur qui ait pû préparer les matériaux de ces organes accessoires ; il n'y en a aucun par conséquent qui ait renvoyé dans les reservoirs des matériaux propres à former ces organes particuliers & à déterminer l'ordre dans lequel ils doivent être formés : comment se forme donc le placenta & la double enveloppe du fétus ? c'est ce que notre auteur n'explique point & ce qui paroît inexplicable dans ce système, contre lequel on peut d'ailleurs alléguer la difficulté commune à tous les systèmes qui admettent le mélange des deux liqueurs séminales dans la copulation, & par conséquent l'existence d'une vraie semence fournie par les femelles, à l'égard de laquelle on n'est pas même d'accord sur les organes qui sont supposés destinés à la préparer & à lui servir de reservoir. Voyez SEMENCE, TESTICULES. Mais sans s'arrêter à cette difficulté, & sans entrer dans la discussion à laquelle elle peut donner lieu, ne semble-t-il pas suffisant pour faire sentir le peu de fondement de l'idée d'une vraie semence dans les femmes, de demander pourquoi, si elles ont de la semence entierement semblable à celle de l'homme, elle ne produit pas les mêmes effets, les mêmes changemens dans le corps des filles, qu'elle produit dans celui des garçons à l'âge de puberté ? Voyez PUBERTE, EUNUQUE.

Il suit donc de tout ce qui vient d'être rapporté du système sur la génération, proposé dans la nouvelle histoire naturelle, qu'il ne sert qu'à prouver de plus en plus que le mystere sur ce sujet est impénétrable de sa nature ; puisque les lumieres de l'auteur n'ont pû dissiper les ténebres dans lesquelles la faculté reproductrice semble être enveloppée. Le peu de succès des tentatives que les plus grands hommes ont faites pour l'en tirer, n'a cependant pas rendu nos physiciens plus réservés à cet égard.

En effet, à la derniere opinion dont on vient de faire l'exposition, il n'a pas tardé d'en succéder une autre qui se trouve dans l'ouvrage intitulé Idée de l'homme physique & moral (Paris 1755.). Comme la théorie de l'économie animale a toûjours éprouvé ses révolutions, ses changemens, conséquemment à ceux qu'éprouve la Physique en général ; la philosophie de Newton ayant influé essentiellement sur la maniere dont on a tâché d'expliquer la réproduction des individus organisés, & particulierement de l'espece humaine dans la Venus physique, & dans l'Histoire naturelle, par le principe des forces attractives & des affinités qu'on y a principalement mises en jeu : il convenoit bien aussi que les découvertes faites au sujet de l'électricité, qui avoient déjà porté bien des écrivains à introduire cette nouvelle puissance dans la physique du corps humain, & même dans la partie médicale, fissent encore naître l'idée d'en faire une application particuliere à l'oeuvre de la génération. C'est ce que l'on voit dans l'ouvrage qui vient d'être cité ; l'auteur y propose donc ainsi son sentiment.

La propriété, dit-il, qu'ont les organes excrétoires de la liqueur séminale de devenir au moment de l'émission de cette liqueur le centre de presque tout mouvement & tout sentiment du corps, est un phénomene trop considérable, pour qu'il soit permis de restreindre une telle révolution au seul méchanisme de l'excrétion de la liqueur séminale. On ne sauroit disconvenir, selon cet auteur, que le fluide éthérien ou électrique, ne doive être considéré dans chaque animal, comme une atmosphere active, qui embrasse également toutes les parties extérieures & intérieures du corps, depuis les plus simples jusqu'aux plus composées. Or on peut concevoir conséquemment que ce fluide doit par la révolution générale qui arrive au moment de l'émission, se réfléchir de toutes les parties du corps vers les organes de la génération, & s'imprimer dans la liqueur séminale, à-peu-près comme les rayons de lumiere, qui étant réfléchis d'un objet, dont en quelque maniere ils portent l'image, se peignent sur divers foyers, & notamment sur la rétine ; avec la différence par rapport au fluide éthérien, qu'étant réfléchi dans l'acte de la génération, il est déterminé avec beaucoup plus de force, & concentré en beaucoup plus grande quantité que la matiere de la lumiere ne l'est dans les faisceaux de rayons qui tombent sur la rétine, & que la liqueur séminale dans laquelle le fluide éthérien porte son impression, est autrement disposée par sa nature, par sa chaleur & sa fluidité, à recevoir & à conserver la force & l'étendue de l'impression de ce fluide, que ne l'est la rétine, qui n'est susceptible que de quelques ébranlemens peu durables.

Or, poursuit notre auteur, que le fluide électrique puisse, suivant la sorte d'esquisse qu'il reçoit dans le corps du pere & de la mere, tracer des linéamens & déterminer une organisation dans la liqueur séminale ; on en a presque la preuve dans la formation de ces toiles membraneuses, ou pour mieux dire, de cette espece de tissu qui se fait dans le lait chaud, qu'on laisse refroidir. On ne peut chercher la cause de cette formation, que dans les propriétés du fluide électrique.

Ainsi dans ce système, la liqueur séminale du mâle parvenue dans la matrice avec l'esquisse qui y a été destinée, de la maniere qui a été rapportée, reçoit encore des modifications ultérieures, soit par l'addition d'une nouvelle matiere séminale fécondée, c'est-à-dire chargée aussi de son esquisse, soit par des mouvemens particuliers de la matrice, dans laquelle la matiere électrique accumulée pendant la copulation, doit probablement recevoir des déterminations particulieres par l'action propre de cet organe, qui doivent s'accorder avec celles qui lui viennent des différens foyers qui constituent l'esquisse imprimée dans la liqueur séminale du mâle & de la femelle ; ensorte que dans la formation des empreintes que reçoit la liqueur séminale, il y a des endroits dans lesquels l'impression est plus forte ou plus marquée que dans d'autres ; parce qu'il est à présumer que les organes du corps qui sont les plus actifs, & par conséquent les plus chargés de matiere électrique, sont aussi ceux qui envoyent à la liqueur séminale une plus grande quantité de rayons, dont la force supérieure fait de plus fortes impressions que les rayons qui partent des autres organes. Ainsi le cerveau & la moëlle épiniere étant regardés comme les principales sources de l'action du corps, les impressions faites dans la liqueur séminale par leur irradiation, sont celles qui sont le mieux marquées : d'où il doit s'ensuivre que conformément aux observations de Malpighi & de Valisnieri, de semblables organes sont les premiers à se former dans cette liqueur par des especes de coalitions, qui sont les élémens des parties solides, & qui sont comme des points fixes d'où la matiere électrique se réfléchit & en entraîne des filamens, qui devenant à leur tour de nouveaux foyers, déterminent les réflexions différemment combinées pour qu'il en résulte la formation successive des différentes parties du corps, à mesure que le fluide électrique étend les traits de l'esquisse, selon les diverses attractions & répulsions des foyers, & selon le concours de l'action de la matrice.

Au reste, selon notre auteur, le plus ou le moins de force des traits imprimés dans l'une des deux semences, doit déterminer la production d'un mâle ou d'une femelle : les traits plus ou moins imprimés, selon le divers concours effectif du pere & de la mere, décident les ressemblances ou les dissemblances des enfans à l'égard de leurs parens, soit dans la forme du corps, soit dans le caractere. Il trouve aussi dans son principe des raisons à donner des phénomenes de la génération les plus difficiles à expliquer.

Mais la seule exposition des fondemens de ce système, tout ingénieux qu'il paroisse d'abord, suffit pour faire sentir combien l'homme est le joüet de son imagination, lorsqu'il n'a d'autre guide qu'elle dans les recherches de la vérité. En effet, la comparaison proposée entre les modifications ou l'action de la lumiere qui peint les objets sur la rétine & les modifications ou l'action du fluide électrique réfléchi des différentes parties du corps sur la semence dans ses reservoirs, pour y imprimer l'esquisse de toutes ces parties ; cette comparaison qui paroît avoir fourni seule le fondement de l'explication dont il s'agit sur la génération, n'auroit-elle pas dû au contraire faire sentir à l'auteur, avec un peu de réflexion, combien une idée aussi singuliere est peu suffisante pour remplir cet objet ? car la lumiere ne donne à aucune portion de matiere la forme des choses sensibles qu'elle représente à l'ame : elle affecte seulement les organes par des impressions de différens degrés de force, qui portent à l'ame l'image de l'objet, non par la ressemblance qu'elles ont avec lui, mais sans laisser aucune trace, & par le seul effet des lois de l'union de l'ame avec le corps, conséquemment auquel effet il est attaché à tel degré d'impression de représenter telle chose, sans qu'il y ait aucun rapport absolu entre cette impression & l'idée qui en résulte. Ainsi les impressions de la lumiere ne produisant aucune modification intrinseque dans les parties qui composent la rétine, si la matiere électrique n'agit sur la semence que comme la lumiere sur cet organe, il ne doit s'ensuivre aucun effet propre à donner à la matiere séminale la disposition nécessaire pour qu'elle acquiere l'organisation. La modification produite dans le lait, pour qu'il s'en forme des toiles, ne suppose qu'une adunation de parties huileuses homogenes, qui surnageant le reste du fluide, se rapprochent avec une certaine force de cohésion, à-mesure que le feu, ou même la seule chaleur de l'été, fait évaporer les parties aqueuses, hétérogenes, intermédiaires. La construction du corps animal est-elle aussi simple que cela ? Peut-on, de bonne foi, trouver quelque ressemblance dans la production de ces différens phénomenes ?

Mais en admettant l'irradiation de la matiere électrique sur la semence, comment peut-on concevoir si celle du mâle en a reçu quelque modification dans ses reservoirs, qu'elle conserve cette modification, malgré les secousses violentes qu'elle a à éprouver dans l'éjaculation qui la divise en plusieurs parties, puisqu'elle est lancée à plusieurs reprises ? Quelle est la portion modifiée, chargée de l'empreinte ? sortira-t-elle entiere ? peut-elle sortir telle ? si elle se partage, que résulte-t-il des deux portions ? s'il en reste une dans le reservoir, quelle confusion pour les nouvelles impressions électriques qui y seront ajoûtées avant une nouvelle éjaculation ? Mais en supposant la semence du mâle déposée dans la matrice avec son empreinte entiere, comment se conservera-t-elle cette empreinte dans le mélange des deux semences ? Si elles reçoivent encore de nouvelles impressions de l'irradiation électrique dans la matrice, à quoi serviront-elles ? qu'ajoûteront-elles aux premieres qui leur soit nécessaire ? Comment conçoit-on que la force plus ou moins grande avec laquelle elles sont produites, pouvant agir indistinctement sur tous les points de l'empreinte, puisse décider de la production particuliere des organes de l'un ou de l'autre sexe ? La différence de cette organisation peut-elle dépendre du plus ou moins de force dans la puissance qui l'opere ?

Enfin, pour abréger & terminer d'une maniere décisive les objections contre ce système singulier, il suffit de demander comment on peut se former l'idée de la formation de l'embryon, d'après des effets qui ne portent que sur la surface des matieres à modifier pour cette formation, qui demande assûrément, quelle que soit la puissance modifiante, des arrangemens, des dispositions, des altérations intrinseques, pour qu'il en résulte une organisation ou un développement de parties déjà organisées.

Le jugement qu'on peut porter en général de ce système, c'est qu'il semble ajoûter à l'obscurité de la matiere qui en est l'objet, dans les ténebres de laquelle se sont égarés de grands génies qui s'y sont plongés, pour tenter de les dissiper ; ensorte que l'auteur de l'idée de l'homme physique & moral, n'a fait que grossir le nombre de ceux qui ont éprouvé un pareil sort, comme feront vraisemblablement encore dans la suite bien d'autres, c'est-à-dire tous ceux qui entreront dans la même carriere.

En fait de recherches physiques, nous ne pouvons marcher & juger de ce qui nous environne, qu'en aveugles, quand nous sommes dénués des secours des sens, comme dans le cas où il est question de sonder la profondeur du mystere de la génération, dont la plûpart des phénomenes ne sont que le résultat de différentes opérations, qui de leur nature se dérobent constamment à la lumiere ; ensorte que de tous les faits qu'on a pû recueillir à cet égard d'après les expériences, les observations les plus nombreuses & faites avec le plus d'exactitude, il n'a pû résulter encore assez de connoissances pour qu'on puisse seulement déterminer en quoi consiste l'acte qu'on appelle la conception, & pour donner une définition précise de ce mot si ancien, dont il seroit important pour l'histoire naturelle des animaux, & de l'homme sur-tout, de fixer le vrai sens : on a été borné jusqu'à présent à ne pouvoir en donner qu'une idée vague, & à dire avec Boerhaave, que c'est l'action par laquelle ce en quoi le mâle concourt à la reproduction des individus de son espece, se joint à ce que la femelle fournit pour la même opération : de maniere que la réunion de ces différens moyens se faisant dans le corps de la femelle, il en résulte la formation d'un ou de plusieurs des êtres organisés destinés à perpétuer le genre animal. Voilà toute l'idée qu'on a, & peut-être toute celle qu'il est possible d'avoir de la conception. Ce que la femelle éprouve de la part du mâle ; ce qu'il y a de passif dans les changemens qui se font en elle dans l'acte principal efficace de la génération, est appellé la fécondation ; & ce qui s'opere de la part de la femelle dans cet acte, ou par une suite de cet acte, entant qu'elle retient ce que le mâle lui a communiqué d'effectif, est donc proprement la conception, , conceptio. Mais qu'est-ce que le mâle lui communique essentiellement ? en quoi contribuent-ils précisément l'un & l'autre à la génération ? ont-ils chacun quelque chose de prolifique à four nir ? quel est spécialement l'organe de la femelle où se fait la conception, la fécondation, &c ? Tous ces problèmes sont encore à résoudre, malgré tout ce qui a été écrit sur ce sujet, dont on n'a donné dans cet article, tout long qu'il est, qu'un très-petit abregé, eu égard aux ouvrages immenses ou au-moins très-nombreux, qui ont été mis au jour sur cette matiere ; ouvrages qui n'ont presque servi, & ne serviront encore que de monumens pour l'histoire des erreurs de l'esprit humain, & de preuves de l'obscurité dans laquelle le principe de la vie semble obstiné à rester enveloppé, pour se dérober aux regards des mortels, d'autant que sa connoissance ne leur seroit d'aucune utilité. Voyez le recueil d'une bonne partie des systèmes sur la génération, & de ce qui y a rapport, dans la bibliotheque anatomique de Manget ; les oeuvres fort détaillées de Schurigius, sur le même sujet ; la Physiologie de M. de Sénac, sur l'anatomie d'Heister ; les institutions médicales de Boerhaave, avec leur commentaire & les notes savantes de M. de Haller ; la Vénus physique ; l'Histoire naturelle, générale & particuliere de M. de Buffon ; l'ouvrage intitulé Idée de l'homme physique & moral. C'est de la plûpart de ces derniers ouvrages qu'a été extraite une bonne partie des matériaux de cet article. (d)

GENERATION, (maladies concernant la) Les lésions des fonctions qui servent à la génération dans l'espece humaine, doivent être considérées par rapport à chacun des sexes.

Ainsi il peut y avoir, dans les hommes, excès ou défaut dans les dispositions & dans les conditions qui sont nécessaires pour la génération. Telles sont la séparation de la semence & sa préparation dans les testicules, l'érection du membre viril, l'éjaculation de la liqueur spermatique. Voyez TESTICULE, SEMENCE, VERGE, PRIAPISME, SATYRIASIS, IMPUISSANCE, FRIGIDITE.

A l'égard des femmes, les vices physiques dont elles sont susceptibles relativement à la génération, regardent principalement les déréglemens du flux menstruel, les défauts de conformation de la matrice & du vagin, le tempérament trop ou trop peu sensible. Voyez MENSTRUES, MATRICE, VAGIN, TEMPERAMENT, SALACITE, STERILITE, FLEURS-BLANCHES, FUREUR UTERINE, FAUX-GERME, MOLE, &c. (d)


GÉNÉREUXadj. GÉNÉROSITé, s. f. (Mor.) La générosité est un dévoüement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels. En général, au moment où l'on relâche de ses droits en faveur de quelqu'un, & qu'on lui accorde plus qu'il ne peut exiger, on devient généreux. La nature en produisant l'homme au milieu de ses semblables, lui a prescrit des devoirs à remplir envers eux : c'est dans l'obéissance à ces devoirs que consiste l'honnêteté, & c'est au-delà de ces devoirs que commence la générosité. L'ame généreuse s'éleve donc au-dessus des intentions que la nature sembloit avoir en la formant. Quel bonheur pour l'homme de pouvoir devenir ainsi supérieur à son être, & quel prix ne doit point avoir à ses yeux la vertu qui lui procure cet avantage ! On peut donc regarder la générosité comme le plus sublime de tous les sentimens, comme le mobile de toutes les belles actions, & peut-être comme le germe de toutes les vertus ; car il y en a peu qui ne soient essentiellement le sacrifice d'un intérêt personnel à un intérêt étranger. Il ne faut pas confondre la grandeur d'ame, la générosité, la bienfaisance & l'humanité : on peut n'avoir de la grandeur d'ame que pour soi, & l'on n'est jamais généreux qu'envers les autres ; on peut être bienfaisant sans faire de sacrifices, & la générosité en suppose toûjours ; on n'exerce guere l'humanité qu'envers les malheureux & les inférieurs, & la générosité a lieu envers tout le monde. D'où il suit que la générosité est un sentiment aussi noble que la grandeur d'ame, aussi utile que la bienfaisance, & aussi tendre que l'humanité : elle est le résultat de la combinaison de ces trois vertus ; & plus parfaite qu'aucune d'elles, elle peut y suppléer. Le beau plan que celui d'un monde où tout le genre humain seroit généreux ! Dans le monde tel qu'il est, la générosité est la vertu des héros ; le reste des hommes se borne à l'admirer. La générosité est de tous les états : c'est la vertu dont la pratique satisfait le plus l'amour-propre. Il est un art d'être généreux : cet art n'est pas commun ; il consiste à dérober le sacrifice que l'on fait. La générosité ne peut guere avoir de plus beau motif que l'amour de la patrie & le pardon des injures. La libéralité n'est autre chose que la générosité restreinte à un objet pécuniaire : c'est cependant une grande vertu, lorsqu'elle se propose le soulagement des malheureux ; mais il y a une économie sage & raisonnée qui devroit toûjours régler les hommes dans la dispensation de leurs bienfaits. Voici un trait de cette économie. Un prince * donne une somme d'argent pour l'entretien des pauvres d'une ville, mais il fait ensorte que cette somme s'accroisse à mesure qu'elle est employée, & que bien-tôt elle puisse servir au soulagement de toute la province. De quel bonheur ne joüiroit-on pas sur la terre, si la générosité des souverains avoit toûjours été dirigée par les mêmes vûes ! On fait des générosités à ses amis, des libéralités à ses domestiques, des aumônes aux pauvres **.


GÉNÉRIQUEadj. Les noms établis pour présenter à l'esprit des idées générales, pour exprimer des attributs qui conviennent à plusieurs especes ou à plusieurs individus, sont nommés appellatifs par le commun des Grammairiens. Quelques-uns trouvant cette dénomination peu expressive, peu conforme à l'idée qu'elle caractérise, en ont substitué une autre, qu'ils ont cru plus vraie & plus analogue ; c'est celle de génériques ; & il faut convenir que si cette derniere dénomination n'est pas la plus convenable, la premiere, quand on l'a introduite, devoit le paroître encore moins. Autant qu'il est possible, l'étymologie des dénominations doit indiquer la nature des choses nommées : c'est un principe qu'on ne doit point perdre de vûe, quand la découverte d'un objet nouveau exige qu'on lui assigne une dénomination nouvelle ; mais une nomenclature déjà établie doit être respectée & conservée, à-moins qu'elle ne soit absolument contraire au but même de son institution : en la conservant, on doit l'expliquer par de bonnes définitions ; en la réformant, il faut en montrer le vice, & ne pas tomber dans un autre, comme a fait M. l'abbé Girard, lorsqu'à la nomenclature ordinaire des différentes especes de noms, il en a substitué une toute nouvelle.

Les noms se divisent communément en appellatifs & en propres, & il semble que ces deux especes soient suffisantes aux besoins de la Grammaire ; cependant, soit pour lui fournir plus de ressources, soit pour entrer dans les vûes de la Métaphysique, on soûdivise encore les noms appellatifs en noms génériques ou de genre, & en noms spécifiques ou d'espece. " Les premiers, pour employer les propres termes de M. du Marsais, conviennent à tous les individus ou êtres particuliers de différentes especes ; par exemple, arbre convient à tous les noyers, à tous les orangers, à tous les oliviers, &c. Les derniers ne conviennent qu'aux individus d'une seule espece ; tels sont noyer, olivier, oranger, &c. ". Voyez APPELLATIF.

M. l'abbé Girard, tom. I. disc. v. pag. 219. partage les noms en deux classes, l'une des génériques, & l'autre des individuels ; c'est la même division générale que nous venons de présenter sous d'autres expressions. Ensuite il soûdivise les génériques en appellatifs, abstractifs & actionnels, selon qu'ils servent, dit-il, à dénommer des substances, des modes, ou des actions. Mais on peut remarquer d'abord que le mot appellatif n'est pas appliqué ici plus heureusement que dans le système ordinaire, & que l'auteur ne fait que déroger à l'usage, sans le corriger. D'autre part, la soûdivision de l'académicien n'est ni ne peut-être grammaticale, & elle devoit l'être dans son livre. La diversité des objets peut fonder, si l'on veut, une division philosophique ; mais une division grammaticale doit porter sur la diversité des services d'une même sorte de mots ; & cette diversité de service dépend, non de la nature des objets,

* Il s'agit dans cet endroit du Roi de Pologne Duc de Lorraine : ce Prince a donné aux magistrats de la ville de Bar dix mille écus qui doivent être employés à acheter du blé, lorsqu'il est à bas prix, pour le revendre aux pauvres à un prix médiocre, lorsqu'il est monté à certain point de cherté. Par cet arrangement, la somme augmente toûjours ; & bien-tôt on pourra la répartir sur d'autres endroits de la province.

** Ce n'est là qu'une partie des idées qui étoient renfermées dans un article sur la générosité, qu'on a communiqué à M. Diderot. Les bornes de cet Ouvrage n'ont pas permis de faire usage de cet article en entier.

mais de la maniere dont les mots les expriment. Ainsi la division des noms appellatifs en génériques & spécifiques, peut-être regardée comme grammaticale, en ce que les noms génériques conviennent aux individus de plusieurs especes, & que les noms spécifiques qui leur sont subordonnés, ne conviennent, comme on l'a déjà dit, qu'aux individus d'une seule espece ; ce qui constitue deux manieres d'exprimer bien différentes : animal convient à tous les individus, hommes & brutes ; homme ne convient qu'aux individus de l'espece humaine.

Si l'on avoit appellé communs les noms auxquels on a donné la dénomination d'appellatifs, on auroit peut-être rendu plus sensible tout-à-la-fois & leur nature intrinseque & leur opposition aux noms propres : mais nous croyons devoir nous en tenir aux dénominations ordinaires, les mêmes que M. du Marsais paroît avoir adoptées ; parce qu'elles sont autorisées par un usage, qui au fond n'a rien de contraire aux vûes légitimes de la Grammaire, & que de plus elles sont en quelque sorte l'expression abrégée de la génération de nos idées, & des effets merveilleux de l'abstraction dans l'entendement humain. Voyez ABSTRACTION.

On peut voir au mot APPELLATIF une sorte de tableau raccourci de cette génération d'idées qui sert de fondement à la division des mots ; mais elle est amplement développée au mot ARTICLE, t. I. p. 722.

Nous y ajoûterons quelques observations qui nous ont paru intéressantes, parce qu'elles regardent la signification des noms appellatifs, & qu'elles peuvent même produire d'heureux effets, si, comme nous le présumons, on les juge applicables au système de l'éducation.

On peut remonter de l'individu au genre suprême, ou descendre du genre suprême à l'individu, en passant par tous les dégrés différentiels intermédiaires : Médor, chien, animal, substance, être, voilà la gradation ascendante ; être, substance, animal, chien, Médor, c'est la gradation descendante. L'idée de Médor renferme nécessairement plus d'attributs que l'idée spécifique de chien ; parce que tous les attributs de l'espece conviennent à l'individu, qui a de plus son suppôt particulier, ses qualités exclusivement propres & incommunicables à tout autre. Par une raison semblable & que l'on peut appliquer à chaque dégré de cette progression, l'idée de chien renferme plus d'attributs que l'idée générique d'animal, parce que tous les attributs du genre conviennent à l'espece, & que l'espece a de plus ses propriétés différencielles & caractéristiques, incommunicables aux autres especes comprises sous le même genre.

La gradation ascendante de l'individu à l'espece, de l'espece au genre prochain, de celui-ci au genre plus éloigné, & successivement jusqu'au genre suprême, est donc une véritable décomposition d'idées que l'on simplifie par le secours de l'abstraction, pour les mettre en quelque sorte plus à la portée de l'esprit ; c'est la méthode d'analyse.

La gradation descendante du genre suprême à l'espece prochaine, de celle-ci à l'espece plus éloignée, & successivement jusqu'aux individus, est au contraire une véritable composition d'idées que l'on réunit par la réflexion, pour les rapprocher davantage de la vérité & de la nature ; c'est la méthode de synthèse.

Ces deux méthodes opposées peuvent être d'une grande utilité dans des mains habiles, pour donner aux jeunes gens l'esprit d'ordre, de précision, & d'observation.

Montrez-leur plusieurs individus ; & en leur faisant remarquer ce que chacun d'eux a de propre, ce qui l'individualise, pour ainsi dire, faites-leur observer en même tems ce qu'il a de commun avec les autres, ce qui le fixe dans la même espece ; & nommez-leur cette espece, en les avertissant que quand on désigne les êtres par cette sorte de nom, l'esprit ne porte son attention que sur les attributs communs à toute l'espece, & qu'il tire en quelque sorte hors de l'idée totale de l'individu, les idées singulieres qui lui sont propres, pour ne considérer que celles qui lui sont communes avec les autres. Amenez-les ensuite à la comparaison de plusieurs especes, & des propriétés qui les distinguent les unes des autres, qui les spécifient ; mais n'oubliez pas les propriétés qui leur sont communes, qui les réunissent sous un point de vûe unique, qui les constituent dans un même genre ; & nommez-leur ce genre, en y appliquant les mêmes observations que vous aurez faites sur l'espece ; savoir que l'idée de genre est encore plus simplifiée, qu'on en a séparé les idées différencielles de chaque espece, pour ne plus envisager que les idées communes à toutes les especes comprises sous le même genre. Continuez de même aussi loin que vous pourrez, en faisant remarquer avec soin toutes les abstractions qu'il faut faire successivement, pour s'élever par dégrés aux idées les plus générales. N'en demeurez pas là ; faites retourner vos éleves sur leurs pas ; qu'à l'idée du genre suprême ils ajoûtent les idées différencielles constitutives des especes qui lui sont immédiatement subordonnées ; qu'ils recommencent la même opération de degrés en degrés, pour descendre insensiblement jusqu'aux individus, les seuls êtres qui existent réellement dans la nature.

En les exerçant ainsi à ramener, par l'analyse, la pluralité des individus à l'unité de l'espece & la pluralité des especes à l'unité du genre, & à distinguer, par la synthese, dans l'unité du genre la pluralité des especes & dans l'unité de l'espece la pluralité des individus ; ces idées deviendront insensiblement précises & distinctes, & les élémens des connoissances & du langage se trouveront disposés de la maniere la plus méthodique. Quel préjugé pour la facilité de concevoir & de s'exprimer, pour la netteté du discernement, la justesse du jugement, & la solidité du raisonnement !

Seroit-il impossible, pour l'exécution des vûes que nous proposons ici, de construire un dictionnaire où les mots seroient rangés par ordre de matieres ? Les matieres y seroient divisées par genres, & chaque genre seroit suivi de ses especes : le genre une fois défini, il suffiroit ensuite d'indiquer les idées différencielles qui constituent les especes. Il y a lieu de croire que ce dictionnaire philosophique, en apprenant des mots, apprendroit en même tems des choses, & d'une maniere d'autant plus utile, qu'elle seroit plus analogue aux procédés de l'esprit humain.

Quoi qu'il en soit, il résulte des principes que nous venons de présenter sur la composition & la décomposition des idées, que les noms qui les expriment ont une signification plus ou moins déterminée, selon qu'ils s'éloignent plus ou moins du genre suprême ; parce que les idées abstraites que l'esprit se forme ainsi, deviennent plus simples, & par-là plus générales, plus vagues & applicables à un plus grand nombre d'individus ; les noms plus ou moins génériques qui en sont les expressions, portent donc aussi l'empreinte de ces divers dégrés d'indétermination : la plus grande indétermination est celle du nom le plus générique, du genre suprême ; elle diminue par dégrés dans les noms des especes inférieures, à mesure qu'elles s'approchent de l'individu, & disparoît entierement dans les noms propres qui ont tous un sens déterminé.

On tire cependant les noms appellatifs de leur indétermination, pour en faire des applications précises. Les moyens abrégés qu'on employe à cette fin dans le discours, sont quelquefois des équivalens de noms propres qui n'existent pas ou qu'on ignore ; cette pierre, mon chapeau, cet homme. D'autres fois on supplée par cet artifice à une énumération ennuyeuse & impossible de noms propres ; les philosophes de l'antiquité, au lieu du long étalage des noms de tous ceux qui dans les premiers siecles ont fait profession de philosophie.

Il y a diverses manieres de restreindre la signification d'un nom générique : ici c'est l'apposition d'un autre nom, le prophete roi : là c'est un autre nom lié au premier par une préposition, ou sous une terminaison choisie à dessein ; la crainte du supplice, metus supplicii : dans une occasion c'est un adjectif mis en concordance avec le nom ; un homme savant, vir doctus : dans une autre c'est une phrase incidente ajoûtée au nom ; la loi qui nous soûmet aux puissances : souvent plusieurs de ces moyens sont combinés & employés tout-à-la-fois. C'est ainsi que l'esprit humain a su trouver des richesses dans le sein même de l'indigence, & assujettir les termes les plus vagues aux expressions les plus précises. (E. R. M.)


GÈNES(L'ÉTAT DE) Géog. hist. République d'Italie, dont Gènes est la capitale ; elle comprend la côte de Gènes, en latin ligustica littora, l'île de Corse, & l'île de Capraïa vis-à-vis la côte de Toscane.

De tous les états qui partagent l'Europe, il n'y en a peut-être pas qui ait éprouvé autant de révolutions que celui de Gènes. Connu dans l'histoire plus de deux siecles avant J. C. il a été successivement exposé aux entreprises des Romains jusqu'à la chûte de leur empire ; des Goths, jusqu'à-ce que Narsès eut renversé le nouveau royaume qu'ils avoient formé ; des Lombards sous Rotharis, de Charlemagne, & de ses descendans en Italie.

Les Sarrasins qui ont ravagé la côte à plusieurs reprises, ont considérablement inquiété la ville jusqu'au dixieme siecle ; mais comme c'étoit un port commerçant, le négoce qui l'avoit fait fleurir, servit à la soûtenir. En peu de tems même les Génois furent en état de chasser les Arabes de leurs côtes, & de reprendre sur eux l'île de Corse dont ils s'étoient emparés.

Les richesses & les autres avantages de la navigation mirent cette nouvelle république à portée de donner de puissans secours aux princes armés dans les croisades : envain les Pisans lui déclarerent la guerre en 1125 ; l'avantage fut entierement du côté des Génois. Enfin l'enthousiasme de la liberté rendit cet état capable des plus grandes choses, & il parvint à concilier l'opulence du commerce avec la supériorité des armes. Dans le treizieme siecle il remporta de telles victoires contre Pise & Venise réunies ensemble, que les Pisans ne se releverent jamais de leurs défaites, & que les Vénitiens furent obligés de demander la paix.

Malheureusement les esprits échauffés d'abord par l'amour de la patrie, ne le furent dans la suite que par la jalousie & par l'ambition. Ces deux cruelles passions n'arrêterent pas seulement les progrès de la république de Gènes, elles la remplirent cent fois d'horreur & de confusion par la part que prirent dans ses troubles les empereurs Robert roi de Naples, les Visconti, les marquis de Monferrat, les Sforces, & la France, qui y furent successivement appellés par les différens partis qui la divisoient. Enfin André Doria ayant eu le bonheur & l'habileté de réunir les esprits de ses concitoyens, il parvint en 1528 à établir dans Gènes l'ordre du gouvernement aristocratique qui y subsiste encore aujourd'hui, & qui est connu de tout le monde. Ce grand homme qui auroit pu peut-être s'emparer de la souveraineté, se contenta d'avoir affermi la liberté, & procuré la tranquillité si nécessaire à sa patrie.

Gènes dans ses tems florissans possédoit plusieurs îles de l'Archipel, & plusieurs villes sur les côtes de la Grece & de la mer Noire ; Pera même, un des fauxbourgs de Constantinople, étoit sous sa domination : mais l'aggrandissement de la puissance ottomane lui ayant fait perdre toutes ces possessions là, son commerce du Levant en a tellement souffert, qu'à peine voit-on paroître à-présent quelqu'un de ses vaisseaux dans les états du grand-seigneur.

Son principal commerce consiste en soies greges & en matasses qu'elle tire de toute l'Italie ; en velours, damas, satins, tapis, draps d'or & d'argent, papeteries, fer en oeuvre, & autres manufactures considérables. La construction des vaisseaux, tant pour sa propre navigation que pour l'usage des étrangers, est encore un objet fort important. La république entretient cinq galeres & quelques frégates, & autres bâtimens, en course contre les Barbaresques, avec lesquels elle est habituellement en guerre.

Gènes & Venise long-tems rivales, sont aujourd'hui revenues à une espece d'égalité pour le négoce ; avec cette différence que les Vénitiens en font un plus considérable dans le Levant ; & les Génois un plus grand que les Vénitiens en France, en Espagne, en Portugal, & ailleurs. Une grande partie des particuliers génois trafiquent en banque, ou autrement ; & leur opulence est communément d'une grande ressource à l'état. (D.J.)

GENES, (Géog.) Genua ; & dans les siecles ignorans du moyen âge, Janua, comme si Janus en étoit le fondateur ; ancienne, forte, riche ville, & l'une des principales d'Italie, capitale de la république de Gènes, avec un archevêché & un bon port. Les églises, les édifices publics & les palais y sont magnifiques : les palais se suivent sans être joints avec des maisons ordinaires ; ce qui fait le plus bel effet qu'on puisse desirer. Cette ville commerçante est presque au milieu de l'état de Gènes, en partie dans la plaine, & en partie sur une colline près de la Méditerranée, dans une heureuse & riante situation, à 28 lieues sud-oüest de Milan, 25 sud-est de Turin, 26 fud-oüest de Parme, 45 nord-oüest de Florence, 90 nord-oüest de Rome. Long. suivant Salvego, Cassini & le pere Grimaldi, 26d. 7'. 15". latit. 44d. 25'. 0". (D.J.)


GENESES. f. (Théolog.) premier livre de l'ancien testament où la création & l'histoire des premiers patriarches est écrite.

Le livre de la Genese est à la tête du Pentateuque, & Moyse en est l'auteur. Quelques-uns croyent qu'il l'a écrit avant la sortie d'Egypte ; mais il est plus vraisemblable qu'il l'a composé depuis la promulgation de la loi. Il comprend l'histoire de 2369 ans ou environ, qui s'étendent depuis le commencement du monde jusqu'à la mort de Joseph. Il est défendu chez les Juifs de lire les premiers chapitres de la Genese & ceux d'Ezéchiel avant l'âge de trente ans. Voyez BIBLE, ÉCRITURE. (G)


GENESTROLLES. f. (Botan.) genista tinctoria, C. Bauh. Pin. 395. Tournef. instit. 643. Boerh. ind. A. 2. 25. genistella tinctoria. Ger. Emac. 1136. Raü hist. 2. 1725. synops. 3. 474. &c.

Le port de cette plante herbeuse est le même que celui du genêt dont elle est la plus petite espece, & vient beaucoup moins haut ; ses verges sont plus minces & plus courtes ; ses feuilles, ses fleurs & ses gousses sont aussi plus petites.

La genestrolle croît naturellement & sans culture, ce qui lui a donné le nom de genêt, de pâturage ou d'herbe de pâturage ; elle sert quelquefois aux Teinturiers pour teindre en jaune les choses de peu de conséquence, & c'est pour cela qu'on l'appelle en françois comme en latin, le genêt des Teinturiers. Cette herbe ne se peut garder que quand elle a été cueillie en maturité ; mais si l'on veut s'en servir aussi-tôt après l'avoir cueillie, il n'importe pas qu'elle soit si mûre. (D.J.)


GENETS. m. genista, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur légumineuse, dont le pistil sort du calice, & devient une silique applatie qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences en forme de rein. Les feuilles de la plante sont alternes ou verticillées. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

GENET COMMUN, (Botan.) genista vulgaris, Park. theat. 228. Merete, bot. 1. 37. Phyt. britst. 43. &c. arbrisseau qui s'éleve quelquefois à la hauteur d'un homme ; sa racine est dure, ligneuse, longue, pliante, s'enfonçant profondément en terre, jaune, garnie en quelques endroits de fibres obliques. Les tiges sont serrées, jettant plusieurs autres menues verges anguleuses, vertes, flexibles, que l'on peut entrelacer facilement, & qui sont souvent partagées en d'autres verges plus greles ; sur les tiges naissent plusieurs petites feuilles pointues, velues, d'un verd foncé, dont les premieres sont trois-à-trois, & les autres seules-à-seules ; elles tombent de bonne heure.

Ses fleurs viennent aussi sur les verges ; elles sont papilionacées d'une belle couleur jaune, larges, garnies d'étamines, recourbées & surmontées de sommets jaunes. Il succede à ces fleurs des gousses applaties, larges, noirâtres, quand elles sont mûres, à deux cosses remplies de graines plates, dures, roussâtres, faites en forme de rein.

Cette plante croît par-tout en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Portugal & en France ; elle est cultivée aux environs de Paris, parce que ses verges y sont d'un grand débit pour des balais. Quelques medecins font usage de cette plante ; & ce qui vaut peut-être mieux, on tire de ses fleurs par artifice une belle laque jaune, recherchée des Peintres & des Enlumineurs. Voyez l'article suivant pour la matiere médicale, & pour la Peinture LAQUE ARTIFICIELLE. (D.J.)

GENET D'ESPAGNE, (Botan. & Agric.) genista juncea, J. Bauh. 1. 395. spartiam arborescens, C. B. p. 396. en anglois, spanish broom.

C'est un arbrisseau qui s'éleve à la hauteur de cinq à six piés, & par une bonne culture à douze & quatorze piés ; son tronc est de la grosseur du bras. Il en sort des jets cylindriques, plians, verdâtres, sur lesquels lorsque la plante est en fleur & encore jeune, se trouvent quelques feuilles oblongues, étroites, semblables aux feuilles de l'olivier qui tombent, & qui sont presque de la couleur des branches.

Les fleurs naissent comme en épi au sommet des rameaux, & en grand nombre ; elles sont légumineuses, amples, d'un jaune doré, très-odorantes & agréables au goût.

Leur pistil se change en une gousse à deux cosses droites, longues de quatre ou cinq pouces, applaties, un peu courbes, presque de couleur de chataigne ; elle contient des graines quelquefois au nombre de vingt, souvent en moindre nombre, plates en forme de rein, rougeâtres, luisantes, d'une saveur légumineuse qui approche de celle des pois.

Cet arbuste vient de lui-même dans les pays chauds, en Languedoc, en Italie, en Espagne, en Portugal ; on le cultive dans les jardins des curieux. Il se distingue du genêt commun par sa grandeur, par l'odeur suave de ses fleurs, par ses branches pleines d'une moëlle fongueuse, & par ses feuilles qui ne sont point posées au nombre de trois sur une même queue.

On le multiplie de graine dont on seme une ou deux dans un pot, pour ensuite déplanter l'un ou l'autre des deux piés qu'elles auront produit, & les replanter dans un autre pot qu'on aura rempli d'une terre à potager bien criblée ; il aime une belle exposition, mais point trop chaude. Quand ceux qu'on aura plantés seront devenus trop grands pour être contenus dans des pots, on les dépotera ; on les plantera en pleine terre en lieu convenable. La fleur que donne cet arbrisseau fait un bel effet dans un grand parterre, ou dans de longues plates-bandes. On a remarqué qu'elle est émétique, & que la graine pilée prise en moindre dose qu'une dragme, est un cathartique qui irrite & picote les membranes des intestins.

Bradley dit que les jardiniers ont bien de la peine à assujettir le genêt d'Espagne à aucune forme ; il conseille de le planter dans les bosquets parmi les autres arbrisseaux à fleurs, entre lesquels il figure fort bien. Il produit tous les ans quantité de fleurs d'un jaune agréable, résiste au froid de l'Angleterre, & y perfectionne sa graine. Miller enseigne la maniere de le cultiver dans les pepinieres ; il ne faut pas l'y garder plus de trois ans, après lequel tems il seroit dangereux de l'en retirer, parce que c'est un des arbustes à fleurs des plus difficiles à transplanter quand il est parvenu à une certaine grosseur. (D.J.)

GENET, (Mat. Med.) on employe en Pharmacie deux sortes de genêt, le commun & celui d'Espagne ; leur vertu passe pour être à-peu-près la même. On se sert à Paris du premier qui est fort commun dans les environs ; mais dans nos provinces méridionales, on employe indifféremment celui-ci ou celui d'Espagne qui y croît fort abondamment.

L'infusion ou plûtôt la lessive des cendres de genêt, est un remede très-employé dans la leucophlegmatie & dans l'hydropisie ; les medecins de Montpellier s'en servent beaucoup dans ce cas. Ce remede évacue en effet très-efficacement par les couloirs du ventre & par les voies des urines ; mais on ne voit point pourquoi on le préféreroit à la lessive des cendres de tout autre végétal qui fourniroit à-peu-près la même quantité d'alkali fixe & de sel neutre qu'on retire de la plus grande partie des végétaux par la combustion. Les cendres de genêt paroissent avoir tiré leur célébrité particuliere de la proprieté qu'a la plante inaltérée, & sur-tout sa semence, d'exciter puissamment les selles & les urines, selon l'observation de Mathiole, de Lobel, de Rai & plusieurs autres medecins.

La fleur de genêt est un vomitif doux selon Lobel ; quoi qu'il en soit, nous employons fort peu les feuilles, les sommités, les graines & les fleurs de genêt, parce que nous avons des hydragogues & des émétiques plus sûrs.

Sa cendre ou plutôt son sel lixiviel n'a, comme nous l'avons insinué déjà, que les propriétés communes des sels lixiviels. Voyez SEL LIXIVIEL. (b)

GENET-CYTISE, s. m. (Hist. nat. bot.) cytiso-genista, genre de plante qui differe du genêt & du cytise, en ce qu'elle a des feuilles seules, & d'autres qui sont trois ensemble. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

GENET EPINEUX, (Botan. & Agric.) genista spinosa vulgaris, Ger. Emacul. genista ou eartium majus, aculeatum. Tournef. en anglois, the, common, furz, wheins ou gorse.

Les épines dont cet arbrisseau est couvert le distinguent des autres genêts ; ses fleurs en épis sont succédées par des gousses applaties, courbes, contenant trois ou quatre graines faites en forme de rein. Le grand & le petit genêt épineux sont communs dans les montagnes & bruyeres d'Angleterre, & l'on en voit de cultivés dans leurs jardins qui y font une belle figure, & qui ne le cedent point aux meilleurs arbrisseaux toûjours verds. On les tond comme l'if, mais ils les surpassent à tous égards ; car ils fleurissent dans toutes les saisons de l'année, & gardent long-tems toutes leurs fleurs. Quand ils sont bien taillés & soignés, ils forment des haies impénétrables ; on observe seulement de ne les point tailler dans un tems fort sec, ni trop tôt au printems, ni trop tard en automne. Leur culture est la même que celle du genêt d'Espagne ; ils se plaisent dans une terre seche & sablonneuse. On les multiplie de graine, car les boutures ne reprennent point ; & on ne réussiroit pas mieux en coupant leurs branches : comme ils ont peu de parties spongieuses, il leur faut peu d'eau ; enfin on ne doit pas les transplanter plus tard qu'au bout de l'an. (D.J.)

GENET, (Econ. rust.) Quoique quelques genêts méritent d'être cultivés, cependant comme la plûpart perdent les bonnes terres où ils pullulent, il ne faut pas alors hésiter de les détruire, parce qu'ils jettent de profondes racines, qui sucent le sel de ces terres précieuses. La bonne méthode pour parvenir à leur entiere destruction, est de brûler ces terres, les labourer profondément, & les fumer ensuite, soit avec du fumier & des cendres, soit en y répandant de la marne & de l'urine des bestiaux. Si c'est un terrein de pâturage, le meilleur parti seroit de couper les genêts raz terre au mois de Mai, qui est le tems de leur seve ; ensuite d'y jetter du bétail qui fourragera l'herbe, & dont l'urine fera mourir les racines des genêts, outre qu'ils ne viennent point dans un lieu qui est bien foulé par les piés des animaux. Au reste cette plante pernicieuse dans les cas dont nous venons de parler, n'est pas toûjours nuisible au laboureur ; au contraire il peut quelquefois en tirer un parti fort utile, comme par exemple en former du chaume, qui fait avec art est aussi durable qu'excellent pour la couverture des granges. (D.J.)

GENET, (Manége) Quelques personnes prétendent que ce mot, qui est aujourd'hui très-peu usité parmi nous, est dérivé du grec , bene natus : d'autres avancent qu'il n'a d'autre origine que le terme espagnol ginette, cavalier, homme de cheval ; d'où ces derniers concluent que les François l'ont transporté de l'animal à l'homme, puisqu'il s'applique spécialement à certains chevaux d'Espagne qui sont d'une petite taille & parfaitement bien conformés. Il paroît aussi que du tems de Louis XI. cette espece de chevaux étoit en usage, & servoit de monture à des cavaliers qui étoient nommés génétaires.

On a dit encore genêt de Portugal, genêt de Sardaigne.

Je me déchargerai d'un faix que je dédaigne,

Suffisant de crever un genêt de Sardaigne. Regn.

Voyez Ménage. Voyez aussi le dictionn. de Trévoux, de l'autorité duquel on ne me reprochera pas d'abuser. (e)


GENETER UN FER(Manége & Maréchallerie) c'est en courber les éponges sur plat en contre-haut. Voyez FER, FERRURE. (e)


GÉNETHLIAQUEPOEME, (Poesie) on nomme ainsi, comme on l'a remarqué dans le Dictionnaire, les pieces de vers qu'on fait sur la naissance des rois & des princes, auxquels on promet par une espece de prédiction, toute sorte de bonheur & de prospérités, prédiction que le tems dément presque toujours. Sophocle, loin de s'amuser à des poésies de ce genre également basses & frivoles, finit son Oedipe, ce chef-d'oeuvre de l'art, par une réflexion toute opposée à celles des poëmes génethliaques. Voici la morale qu'il met dans la bouche du dernier choeur ; elle est digne des siecles les plus éclairés & les plus capables de goûter la vérité. " O Thébains, vous voyez ce roi, cet Oedipe, dont la pénétration développoit les énigmes du sphinx ; cet Oedipe, dont la puissance égaloit la sagesse ; cet Oedipe, dont la grandeur n'étoit point établie sur les faveurs de la fortune ! vous voyez en quel précipice de maux il est tombé. Apprenez, aveugles mortels, à ne tourner les yeux que sur les derniers jours de la vie des humains, & à n'appeller heureux que ceux qui sont arrivés à ce terme fatal ". (D.J.)


GENETHLIAQUESS. m. pl. terme d'Astrologie, c'étoit le nom qu'on donnoit dans l'antiquité aux astrologues qui dressoient des horoscopes, ou qui prédisoient ce qui devoit arriver à quelqu'un par le moyen des astres, qu'ils supposoient avoir présidé à sa naissance. Voyez HOROSCOPE & ASTROLOGIE.

Ce mot est formé du grec , origine, génération, naissance.

Les anciens appelloient ces sortes de devins Chaldaei, & en général Mathematici. Les lois civiles & canoniques que l'on trouve contre les Mathématiciens, ne regardent que les Généthliaques ou Astrologues. Voyez GEOMETRIE.

L'assûrance avec laquelle ces insensés osoient prédire l'avenir, faisoit qu'ils trouvoient toûjours des dupes ; & qu'après avoir été chassés par arrêt du sénat, ils savoient encore se ménager assez de protections pour demeurer dans la ville. C'est ce que disoit un ancien : hominum genus quod in civitate nostra semper & vetabitur & retinebitur. Voyez DIVINATION.

Antipater & Archinapolus ont prétendu que la Généthliogie devroit être plutôt fondée sur le tems de la conception, que sur celui de la naissance. Qu'en savoient-ils ? Chambers. (G)

GENETHLIAQUE, (Poëme) Littérat. espece de poëme qu'on fait sur la naissance de quelque prince ou quelqu'autre personne illustre, à laquelle on promet de grands avantages, de grandes prospérités, des succès & des victoires, par une espece de prédiction : c'est sur-tout dans ces sortes de pieces que les Poëtes se livrent à l'enthousiasme, & qu'ils prononcent des oracles que leurs héros n'ont pas toûjours soin de justifier.

Telle est l'églogue de Virgile sur la naissance du fils de Pollion, qui commence ainsi :

Sicelides Musae, paulò majora canamus.

On appelle aussi discours généthliaques, ceux qu'on fait à l'occasion de la naissance de quelque prince ou autre personne d'un rang très-distingué. (G)


GENETHLIE(Myth.) c'étoit une solennité d'usage chez les Grecs, en mémoire d'une personne morte ; & Genetyllis étoit une grande fête célébrée par toutes les femmes de la Grece en l'honneur de Genetyllis, la déesse du beau sexe. Poter, archaeol. Graec. lib. II. cap. xx. Voy. GENETYLLIDES. (D.J.)


GÉNETHLIOLOGIES. f. (Astrolog.) art frivole qui consiste à prédire l'avenir par le moyen des astres en les comparant avec la naissance, ou, selon d'autres, avec la conception des hommes. On sait que ce terme est formé des deux mots grecs , génération, origine, & , raisonnement, discours. Voilà comme l'esprit foible se livrant à de vaines spéculations, a cru trouver des rapports qui n'ont jamais existé dans la nature, & néanmoins cette erreur a si longtems regné sur la terre, que c'est presque de nos jours seulement que l'Europe s'en est entierement détrompée. Mais nous exposons ici les noms des sciences chimériques, pour être à jamais le triste témoignage de l'imbécillité & de la longue superstition des malheureux mortels. (D.J.)


GENETTES. f. genetta, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede qui a beaucoup de rapport aux foüines, mais qui est plus gros. Il a une couleur mêlée de jaune & de noir, avec des taches noires. Gesner a fait la description d'une peau de genette qui avoit sur la queue huit anneaux noirs & huit de couleur blanchâtre. Cet animal ne monte pas sur les lieux élevés, il reste le long des rivieres. On dit qu'il se trouve en Espagne. Belon a vû à Constantinople des genettes qui étoient apprivoisées dans les maisons comme des chats. La peau a une bonne odeur qui approche de celle du musc. Raii, synop. anim. quadrup. pag. 201. Voyez QUADRUPEDE. (I)

GENETTE, s. f. (Man.) embouchure autrefois en usage. Il y avoit des genettes vraies ; il y en avoit de bâtardes : elles étoient employées dans l'intention d'assûrer la tête du cheval, de lui former l'appui, de l'empêcher de peser, de tirer, &c.

Pour concevoir une idée de cette sorte de mors, qui differe peu de celui que l'on nomme mors à la turque, il suffit de se représenter d'une part un canon non-brisé, ayant assez de montant pour s'élever à la hauteur de l'oeil du banquet, & de l'autre un anneau de fer d'une seule piece, mobilement engagé dans le sommet de ce montant, & diversement contourné pour embrasser la barbe de l'animal & tenir lieu de gourmette.

La genette tient une place distinguée parmi cette foule d'embouchures & d'instrumens effrayans, que les anciens avoient imaginés, & que nous avons rejettés avec d'autant plus de raison, que nous ne les devions qu'à leur ignorance. (e)


GENETYLLIDESS. f. pl. (Myth.) Pausanias qui a parlé seul de ces divinités, se contente de nous apprendre que c'étoient des déesses qui avoient des statues dans le temple de la Vénus Colliade.


GENEVE(Hist. & Politiq.) Cette ville est située sur deux collines, à l'endroit où finit le lac qui porte aujourd'hui son nom, & qu'on appelloit autrefois lac Leman.
La situation en est très-agréable ; on voit d'un côté le lac, de l'autre le Rhone, aux environs une campagne riante, des côteaux couverts de maisons de campagne le long du lac, & à quelques lieues les sommets toûjours glacés des Alpes, qui paroissent des montagnes d'argent lorsqu'ils sont éclairés par le soleil dans les beaux jours. Le port de Genève sur le lac avec des jettées, ses barques, ses marchés, &c. & sa position entre la France, l'Italie & l'Allemagne, la rendent industrieuse, riche & commerçante. Elle a plusieurs beaux édifices & des promenades agréables ; les rues sont éclairées la nuit, & l'on a construit sur le Rhone une machine à pompes fort simple, qui fournit de l'eau jusqu'aux quartiers les plus élevés, à cent piés de haut. Le lac est d'environ dix-huit lieues de long, & de quatre à cinq dans sa plus grande largeur. C'est une espece de petite mer qui a ses tempêtes, & qui produit d'autres phénomenes curieux. Voyez TROMBE, SEICHE, &c. & l'hist. de l'acad. des Sciences des années 1741 & 1742. La latitude de Genève est de 46d. 12'. sa longitude de 23d. 45'.

Jules César parle de Genève comme d'une ville des Allobroges, alors province romaine ; il y vint pour s'opposer au passage des Helvétiens, qu'on a depuis appellés Suisses. Dès que le Christianisme fut introduit dans cette ville, elle devint un siége épiscopal, suffragant de Vienne. Au commencement du v. siecle, l'empereur Honorius la céda aux Bourguignons, qui en furent dépossédés en 534 par les rois francs.
Lorsque Charlemagne, sur la fin du jx. siecle, alla combattre le roi des Lombards & délivrer le pape (qui l'en récompensa bien par la couronne impériale), ce prince passa à Genève, & en fit le rendez-vous général de son armée. Cette ville fut ensuite annexée par héritage à l'empire germanique, & Conrad y vint prendre la couronne impériale en 1034. Mais les empereurs ses successeurs occupés d'affaires très-importantes, que leur susciterent les papes pendant plus de 300 ans, ayant négligé d'avoir les yeux sur cette ville, elle secoüa insensiblement le joug, & devint une ville impériale qui eut son évêque pour prince, ou plutôt pour seigneur, car l'autorité de l'évêque étoit tempérée par celle des citoyens. Les armoiries qu'elle prit dès-lors exprimoient cette constitution mixte ; c'étoit une aigle impériale d'un côté, & de l'autre une clé représentant le pouvoir de l'Eglise, avec cette devise, post tenebras lux. La ville de Genève a conservé ces armes après avoir renoncé à l'église romaine, elle n'a plus de commun avec la papauté que les clés qu'elle porte dans son écusson ; il est même assez singulier qu'elle les ait conservées, après avoir brisé avec une espece de superstition tous les liens qui pouvoient l'attacher à Rome ; elle a pensé apparemment que la devise post tenebras lux, qui exprime parfaitement, à ce qu'elle croit, son état actuel par rapport à la religion, lui permettoit de ne rien changer au reste de ses armoiries.

Les ducs de Savoie voisins de Genève, appuyés quelquefois par les évêques, firent insensiblement & à différentes reprises des efforts pour établir leur autorité dans cette ville ; mais elle y résista avec courage, soûtenue de l'alliance de Fribourg & de celle de Berne : ce fut alors, c'est-à-dire vers 1526, que le conseil des deux-cens fut établi. Les opinions de Luther & de Zuingle commençoient à s'introduire ; Berne les avoit adoptées : Genève les goûtoit, elle les admit enfin en 1535 ; la papauté fut abolie ; & l'évêque qui prend toûjours le titre d'évêque de Genève sans y avoir plus de jurisdiction que l'évêque de Babylone n'en a dans son diocèse, est résident à Annecy depuis ce tems-là.

On voit encore entre les deux portes de l'hôtel-de-ville de Genève, une inscription latine en mémoire de l'abolition de la religion catholique. Le pape y est appellé l'antechrist ; cette expression que le fanatisme de la liberté & de la nouveauté s'est permise dans un siecle encore à demi-barbare, nous paroît peu digne aujourd'hui d'une ville aussi philosophe. Nous osons l'inviter à substituer à ce monument injurieux & grossier, une inscription plus vraie, plus noble, & plus simple. Pour les Catholiques, le pape est le chef de la véritable église, pour les Protestans sages & modérés, c'est un souverain qu'ils respectent comme prince sans lui obéir : mais dans un siecle tel que le nôtre il n'est plus l'antechrist pour personne.

Genève pour défendre sa liberté contre les entreprises des ducs de Savoie & de ses évêques, se fortifia encore de l'alliance de Zurich, & sur-tout de celle de la France. Ce fut avec ces secours qu'elle résista aux armes de Charles Emmanuel & aux thrésors de Philippe II. prince dont l'ambition, le despotisme, la cruauté & la superstition, assûrent à sa mémoire l'exécration de la postérité. Henri IV. qui avoit secouru Genève de 300 soldats, eut bien-tôt après besoin lui-même de ses secours ; elle ne lui fut pas inutile dans le tems de la ligue & dans d'autres occasions : de-là sont venus les priviléges dont les Génevois joüissent en France comme les Suisses.

Ces peuples voulant donner de la célébrité à leur ville, y appellerent Calvin, qui joüissoit avec justice d'une grande réputation, homme de lettres du premier ordre, écrivant en latin aussi-bien qu'on le peut faire dans une langue morte, & en françois avec une pureté singuliere pour son tems ; cette pureté que nos habiles grammairiens admirent encore aujourd'hui, rend ses écrits bien supérieurs à presque tous ceux du même siecle, comme les ouvrages de MM. de Port-Royal se distinguent encore aujourd'hui par la même raison, des rapsodies barbares de leurs adversaires & de leurs contemporains. Calvin jurisconsulte habile & théologien aussi éclairé qu'un hérétique le peut être, dressa de concert avec les magistrats, un recueil de lois civiles & ecclésiastiques, qui fut approuvé en 1543 par le peuple, & qui est devenu le code fondamental de la république. Le superflu des biens ecclésiastiques qui servoient avant la réforme à nourrir le luxe des évêques & de leurs subalternes, fut appliqué à la fondation d'un hôpital, d'un collége & d'une académie : mais les guerres que Genève eut à soûtenir pendant près de soixante ans, empêcherent les Arts & le Commerce d'y fleurir autant que les Sciences. Enfin le mauvais succès de l'escalade tentée en 1602 par le duc de Savoie, a été l'époque de la tranquillité de cette république. Les Génevois repousserent leurs ennemis qui les avoient attaqués par surprise ; & pour dégoûter le duc de Savoie d'entreprises semblables, ils firent pendre treize des principaux généraux ennemis. Ils crurent pouvoir traiter comme des voleurs de grand-chemin, des hommes qui avoient attaqué leur ville sans déclaration de guerre : car cette politique singuliere & nouvelle, qui consiste à faire la guerre sans l'avoir déclarée, n'étoit pas encore connue en Europe ; & eût-elle été pratiquée dèslors par les grands états, elle est trop préjudiciable aux petits, pour qu'elle puisse jamais être de leur goût.

Le duc Charles Emmanuel se voyant repoussé & ses généraux pendus, renonça à s'emparer de Genève. Son exemple servit de leçon à ses successeurs ; & depuis ce tems, cette ville n'a cessé de se peupler, de s'enrichir & de s'embellir dans le sein de la paix. Quelques dissensions intestines, dont la derniere a éclaté en 1738, ont de tems en tems altéré legerement la tranquillité de la république ; mais tout a été heureusement pacifié par la médiation de la France & des Cantons confédérés ; & la sûreté est aujourd'hui établie au dehors plus fortement que jamais, par deux nouveaux traités, l'un avec la France en 1749, l'autre avec le roi de Sardaigne en 1754.

C'est une chose très-singuliere, qu'une ville qui compte à peine 24000 ames, & dont le territoire morcelé ne contient pas trente villages, ne laisse pas d'être un état souverain, & une des villes les plus florissantes de l'Europe : riche par sa liberté & par son commerce, elle voit souvent autour d'elle tout en feu sans jamais s'en ressentir ; les évenemens qui agitent l'Europe ne sont pour elle qu'un spectacle, dont elle joüit sans y prendre part : attaché aux François par ses alliances & par son commerce, aux Anglois par son commerce & par la religion, elle prononce avec impartialité sur la justice des guerres que ces deux nations puissantes se font l'une à l'autre, quoiqu'elle soit d'ailleurs trop sage pour prendre aucune part à ces guerres, & juge tous les souverains de l'Europe, sans les flater, sans les blesser, & sans les craindre.

La ville est bien fortifiée, sur-tout du côté du prince qu'elle redoute le plus, du roi de Sardaigne. Du côté de la France, elle est presqu'ouverte & sans défense. Mais le service s'y fait comme dans une ville de guerre ; les arsénaux & les magasins sont bien fournis ; chaque citoyen y est soldat comme en Suisse & dans l'ancienne Rome. On permet aux Génevois de servir dans les troupes étrangeres ; mais l'état ne fournit à aucune puissance des compagnies avoüées, & ne souffre dans son territoire aucun enrôlement.

Quoique la ville soit riche, l'état est pauvre par la répugnance que témoigne le peuple pour les nouveaux impôts, même les moins onéreux. Le revenu de l'état ne va pas à cinq cent mille livres monnoie de France ; mais l'économie admirable avec laquelle il est administré, suffit à tout, & produit même des sommes en reserve pour les besoins extraordinaires.

On distingue dans Genève quatre ordres de personnes : les citoyens qui sont fils de bourgeois & nés dans la ville ; eux seuls peuvent parvenir à la magistrature : les bourgeois qui sont fils de bourgeois ou de citoyens, mais nés en pays étranger, ou qui étant étrangers ont acquis le droit de bourgeoisie que le magistrat peut conférer ; ils peuvent être du conseil général, & même du grand-conseil appellé des deux-cens. Les habitans sont des étrangers, qui ont permission du magistrat de demeurer dans la ville, & qui n'y sont rien autre chose. Enfin les natifs sont les fils des habitans ; ils ont quelques priviléges de plus que leurs peres, mais ils sont exclus du gouvernement.

A la tête de la république sont quatre syndics, qui ne peuvent l'être qu'un an, & ne le redevenir qu'après quatre ans. Aux syndics est joint le petit conseil, composé de vingt conseillers, d'un thrésorier & de deux secrétaires d'état, & un autre corps qu'on appelle de la justice. Les affaires journalieres & qui demandent expédition, soit criminelles, soit civiles, sont l'objet de ces deux corps.

Le grand-conseil est composé de deux cent cinquante citoyens ou bourgeois ; il est juge des grandes causes civiles, il fait grace, il délibere sur ce qui doit être porté au conseil général. Ce conseil général embrasse le corps entier des citoyens & des bourgeois, excepté ceux qui n'ont pas vingt-cinq ans, les banqueroutiers, & ceux qui ont eu quelque flétrissure. C'est à cette assemblée qu'appartiennent le pouvoir législatif, le droit de la guerre & de la paix, les alliances, les impôts & l'élection des principaux magistrats, qui se fait dans la cathédrale avec beaucoup d'ordre & de décence, quoique le nombre des votans soit d'environ 1500 personnes.

On voit par ce détail que le gouvernement de Genève a tous les avantages & aucun des inconvéniens de la démocratie ; tout est sous la direction des syndics, tout émane du petit-conseil pour la délibération, & tout retourne à lui pour l'exécution : ainsi il semble que la ville de Genève ait pris pour modele cette loi si sage du gouvernement des anciens Germains ; de minoribus rebus principes cousultant, de majoribus omnes, ita tamen, ut ea quorum penes plebem arbitrium est, apud principes praetractentur. Tacite, de mor. Germ.

Le droit civil de Genève est presque tout tiré du droit romain, avec quelques modifications : par exemple, un pere ne peut jamais disposer que de la moitié de son bien en faveur de qui il lui plaît ; le reste se partage également entre ses enfans. Cette loi assûre d'un côté la dépendance des enfans, & de l'autre elle prévient l'injustice des peres.

M. de Montesquieu appelle avec raison une belle loi, celle qui exclut des charges de la république les citoyens qui n'acquitent pas les dettes de leur pere après sa mort, & à plus forte raison ceux qui n'acquitent pas leurs dettes propres.

L'on n'étend point les degrés de parenté qui prohibent le mariage, au-delà de ceux que marque le Lévitique : ainsi les cousins-germains peuvent se marier ensemble ; mais aussi point de dispense dans les cas prohibés. On accorde le divorce en cas d'adultere ou de désertion malicieuse, après des proclamations juridiques.

La justice criminelle s'exerce avec plus d'exactitude que de rigueur. La question, déjà abolie dans plusieurs états, & qui devroit l'être par-tout comme une cruauté inutile, est proscrite à Genève ; on ne la donne qu'à des criminels déjà condamnés à mort, pour découvrir leurs complices, s'il est nécessaire. L'accusé peut demander communication de la procédure, & se faire assister de ses parens & d'un avocat pour plaider sa cause devant les juges à huis ouverts. Les sentences criminelles se rendent dans la place publique par les syndics, avec beaucoup d'appareil.

On ne connoît point à Genève de dignité héréditaire ; le fils d'un premier magistrat reste confondu dans la foule, s'il ne s'en tire par son mérite. La noblesse ni la richesse ne donnent ni rang, ni prérogatives, ni facilité pour s'élever aux charges : les brigues sont séverement défendues. Les emplois sont si peu lucratifs, qu'ils n'ont pas de quoi exciter la cupidité ; ils ne peuvent tenter que des ames nobles, par la considération qui y est attachée.

On voit peu de procès ; la plûpart sont accommodés par des amis communs, par les avocats même, & par les juges.

Des lois somptuaires défendent l'usage des pierreries & de la dorure, limitent la dépense des funérailles, & obligent tous les citoyens à aller à pié dans les rues : on n'a de voitures que pour la campagne. Ces lois, qu'on regarderoit en France comme trop séveres, & presque comme barbares & inhumaines, ne sont point nuisibles aux véritables commodités de la vie, qu'on peut toûjours se procurer à peu de frais ; elles ne retranchent que le faste, qui ne contribue point au bonheur, & qui ruine sans être utile.

Il n'y a peut-être point de ville où il y ait plus de mariages heureux ; Genève est sur ce point à deux cent ans de nos moeurs. Les réglemens contre le luxe font qu'on ne craint point la multitude des enfans ; ainsi le luxe n'y est point, comme en France, un des grands obstacles à la population.

On ne souffre point à Genève de comédie ; ce n'est pas qu'on y desapprouve les spectacles en eux mêmes, mais on craint, dit-on, le goût de parure, de dissipation & de libertinage que les troupes de comédiens répandent parmi la jeunesse. Cependant ne seroit-il pas possible de remédier à cet inconvénient, par des lois séveres & bien exécutées sur la conduite des comédiens ? Par ce moyen Genève auroit des spectacles & des moeurs, & joüiroit de l'avantage des uns & des autres : les représentations théatrales formeroient le goût des citoyens, & leur donneroient une finesse de tact, une délicatesse de sentiment qu'il est très-difficile d'acquérir sans ce secours ; la littérature en profiteroit, sans que le libertinage fît des progrès, & Genève réuniroit à la sagesse de Lacédémone la politesse d'Athenes. Une autre considération digne d'une république si sage & si éclairée, devroit peut-être l'engager à permettre les spectacles. Le préjugé barbare contre la profession de comédien, l'espece d'avilissement où nous avons mis ces hommes si nécessaires au progrès & au soûtien des Arts, est certainement une des principales causes qui contribue au déréglement que nous leur reprochons : ils cherchent à se dédommager par les plaisirs, de l'estime que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un comédien qui a des moeurs est doublement respectable ; mais à peine lui en sait-on quelque gré. Le traitant qui insulte à l'indigence publique & qui s'en nourrit, le courtisan qui rampe, & qui ne paye point ses dettes, voilà l'espece d'hommes que nous honorons le plus. Si les comédiens étoient non-seulement soufferts à Genève, mais contenus d'abord par des réglemens sages, protégés ensuite, & même considérés dès qu'ils en seroient dignes, enfin absolument placés sur la même ligne que les autres citoyens, cette ville auroit bientôt l'avantage de posséder ce qu'on croit si rare, & ce qui ne l'est que par notre faute, une troupe de comédiens estimable. Ajoûtons que cette troupe deviendroit bientôt la meilleure de l'Europe ; plusieurs personnes pleines de goût & de disposition pour le théatre, & qui craignent de se deshonorer parmi nous en s'y livrant, accourroient à Genève, pour cultiver non-seulement sans honte, mais même avec estime, un talent si agréable & si peu commun. Le séjour de cette ville, que bien des François regardent comme triste par la privation des spectacles, deviendroit alors le séjour des plaisirs honnêtes, comme il est celui de la Philosophie & de la liberté ; & les étrangers ne seroient plus surpris de voir que dans une ville où les spectacles décens & réguliers sont défendus, on permette des farces grossieres & sans esprit, aussi contraires au bon goût qu'aux bonnes moeurs. Ce n'est pas tout : peu-à-peu l'exemple des comédiens de Genève, la régularité de leur conduite, & la considération dont elle les feroit jouïr, serviroient de modele aux comédiens des autres nations, & de leçon à ceux qui les ont traités jusqu'ici avec tant de rigueur & même d'inconséquence. On ne les verroit pas d'un côté pensionnés par le gouvernement, & de l'autre un objet d'anathème ; nos prêtres perdroient l'habitude de les excommunier, & nos bourgeois de les regarder avec mépris ; & une petite république auroit la gloire d'avoir réformé l'Europe sur ce point, plus important peut-être qu'on ne pense.

Genève a une université qu'on appelle académie, où la jeunesse est instruite gratuitement. Les professeurs peuvent devenir magistrats, & plusieurs le sont en effet devenus, ce qui contribue beaucoup à entretenir l'émulation & la célébrité de l'académie. Depuis quelques années on a établi aussi une école de dessein. Les avocats, les notaires, les medecins &c. forment des corps auxquels on n'est aggrégé qu'après des examens publics ; & tous les corps de métier ont aussi leurs réglemens, leurs apprentissages, & leurs chefs-d'oeuvre.

La bibliotheque publique est bien assortie ; elle contient vingt-six mille volumes, & un assez grand nombre de manuscrits. On prête ces livres à tous les citoyens, ainsi chacun lit & s'éclaire : aussi le peuple de Genève est-il beaucoup plus instruit que par-tout ailleurs. On ne s'apperçoit pas que ce soit un mal, comme on prétend que ç'en seroit un parmi nous. Peut-être les Génevois & nos politiques ont-ils également raison.

Après l'Angleterre, Genève a reçû la premiere l'inoculation de la petite vérole, qui a tant de peine à s'établir en France, & qui pourtant s'y établira, quoique plusieurs de nos medecins la combattent encore, comme leurs prédécesseurs ont combattu la circulation du sang, l'émétique, & tant d'autres vérités incontestables ou de pratiques utiles.

Toutes les Sciences & presque tous les Arts ont été si bien cultivés à Genève, qu'on seroit surpris de voir la liste des savans & des artistes en tout genre que cette ville a produits depuis deux siecles. Elle a eu même quelques fois l'avantage de posséder des étrangers célebres, que sa situation agréable, & la liberté dont on y joüit, ont engagés à s'y retirer ; M. de Voltaire, qui depuis trois ans y a établi son séjour, retrouve chez ces républicains les mêmes marques d'estime & de considération qu'il a reçûes de plusieurs monarques.

La fabrique qui fleurit le plus à Genève, est celle de l'Horlogerie ; elle occupe plus de cinq mille personnes, c'est-à-dire plus de la cinquieme partie des citoyens. Les autres arts n'y sont pas négligés, entr'autres l'Agriculture ; on remédie au peu de fertilité du terroir à force de soins & de travail.

Toutes les maisons sont bâties de pierre, ce qui prévient très-souvent les incendies, auxquels on apporte d'ailleurs un promt remede, par le bel ordre établi pour les éteindre.

Les hôpitaux ne sont point à Genève, comme ailleurs, une simple retraite pour les pauvres malades & infirmes : on y exerce l'hospitalité envers les pauvres passans ; mais sur-tout on en tire une multitude de petites pensions qu'on distribue aux pauvres familles, pour les aider à vivre sans se déplacer, & sans renoncer à leur travail. Les hôpitaux dépensent par an plus du triple de leur revenu, tant les aumônes de toute espece sont abondantes.

Il nous reste à parler de la religion de Genève ; c'est la partie de cet article qui intéresse peut-être le plus les philosophes. Nous allons donc entrer dans ce détail ; mais nous prions nos lecteurs de se souvenir que nous ne sommes ici qu'historiens, & non controversistes. Nos articles de Théologie sont destinés à servir d'antidote à celui-ci, & raconter n'est pas approuver. Nous renvoyons donc nos lecteurs aux mots EUCHARISTIE, ENFER, FOI, CHRISTIANISME, &c. pour les prémunir d'avance contre ce que nous allons dire.

La constitution ecclésiastique de Genève est purement presbytérienne ; point d'évêques, encore moins de chanoines : ce n'est pas qu'on desapprouve l'épiscopat ; mais comme on ne le croit pas de droit divin, on a pensé que des pasteurs moins riches & moins importans que des évêques, convenoient mieux à une petite république.

Les ministres sont ou pasteurs, comme nos curés, ou postulans, comme nos prêtres sans bénéfice. Le revenu des pasteurs ne va pas au-delà de 1200 liv. sans aucun casuel ; c'est l'état qui le donne, car l'église n'a rien. Les ministres ne sont reçus qu'à vingt-quatre ans, après des examens qui sont très-rigides, quant à la science & quant aux moeurs, & dont il seroit à souhaiter que la plûpart de nos églises catholiques suivissent l'exemple.

Les ecclésiastiques n'ont rien à faire dans les funérailles ; c'est un acte de simple police, qui se fait sans appareil : on croit à Genève qu'il est ridicule d'être fastueux après la mort. On enterre dans un vaste cimetiere assez éloigné de la ville, usage qui devroit être suivi par-tout. Voyez EXHALAISON.

Le clergé de Genève a des moeurs exemplaires : les ministres vivent dans une grande union ; on ne les voit point, comme dans d'autres pays, disputer entr'eux avec aigreur sur des matieres inintelligibles, se persécuter mutuellement, s'accuser indécemment auprès des magistrats : il s'en faut cependant beaucoup qu'ils pensent tous de même sur les articles qu'on regarde ailleurs comme les plus importans à la religion. Plusieurs ne croyent plus la divinité de Jesus-Christ, dont Calvin leur chef étoit si zélé défenseur, & pour laquelle il fit brûler Servet. Quand on leur parle de ce supplice, qui fait quelque tort à la charité & à la modération de leur patriarche, ils n'entreprennent point de le justifier ; ils avouent que Calvin fit une action très-blâmable, & ils se contentent (si c'est un catholique qui leur parle) d'opposer au supplice de Servet cette abominable journée de la S. Barthélemy, que tout bon françois désireroit d'effacer de notre histoire avec son sang, & ce supplice de Jean Hus, que les Catholiques mêmes, disent-ils, n'entreprennent plus de justifier, où l'humanité & la bonne-foi furent également violées, & qui doit couvrir la mémoire de l'empereur Sigismond d'un opprobre éternel.

" Ce n'est pas, dit M. de Voltaire, un petit exemple du progrès de la raison humaine, qu'on ait imprimé à Genève avec l'approbation publique (dans l'essai sur l'histoire universelle du même auteur), que Calvin avoit une ame atroce, aussi-bien qu'un esprit éclairé. Le meurtre de Servet paroît aujourd'hui abominable ". Nous croyons que les éloges dûs à cette noble liberté de penser & d'écrire, sont à partager également entre l'auteur, son siecle, & Genève. Combien de pays où la Philosophie n'a pas fait moins de progrès, mais où la vérité est encore captive, où la raison n'ose élever la voix pour foudroyer ce qu'elle condamne en silence, où même trop d'écrivains pusillanimes qu'on appelle sages, respectent les préjugés qu'ils pourroient combattre avec autant de décence que de sûreté ?

L'enfer, un des points principaux de notre croyance, n'en est pas un aujourd'hui pour plusieurs ministres de Genève ; ce seroit, selon eux, faire injure à la divinité, d'imaginer que cet être plein de bonté & de justice, fût capable de punir nos fautes par une éternité de tourmens : ils expliquent le moins mal qu'ils peuvent les passages formels de l'Ecriture qui sont contraires à leur opinion, prétendant qu'il ne faut jamais prendre à la lettre dans les Livres saints, tout ce qui paroît blesser l'humanité & la raison. Ils croyent donc qu'il y a des peines dans une autre vie, mais pour un tems ; ainsi le purgatoire, qui a été une des principales causes de la séparation des Protestans d'avec l'Eglise romaine, est aujourd'hui la seule peine que plusieurs d'entr'eux admettent après la mort : nouveau trait à ajoûter à l'histoire des contradictions humaines.

Pour tout dire en un mot, plusieurs pasteurs de Genève n'ont d'autre religion qu'un socinianisme parfait, rejettant tout ce qu'on appelle mysteres, & s'imaginant que le premier principe d'une religion véritable, est de ne rien proposer à croire qui heurte la raison : aussi quand on les presse sur la nécessité de la révélation, ce dogme si essentiel du Christianisme, plusieurs y substituent le terme d'utilité, qui leur paroît plus doux : en cela s'ils ne sont pas orthodoxes, ils sont au-moins conséquens à leurs principes. Voyez SOCINIANISME.

Un clergé qui pense ainsi doit être tolérant, & l'est en effet assez pour n'être pas regardé de bon oeil par les ministres des autres églises réformées. On peut dire encore, sans prétendre approuver d'ailleurs la religion de Genève, qu'il y a peu de pays où les théologiens & les ecclésiastiques soient plus ennemis de la superstition. Mais en recompense, comme l'intolérance & la superstition ne servent qu'à multiplier les incrédules, on se plaint moins à Genève qu'ailleurs des progrès de l'incrédulité, ce qui ne doit pas surprendre : la religion y est presque réduite à l'adoration d'un seul Dieu, du moins chez presque tout ce qui n'est pas peuple : le respect pour J. C. & pour les Ecritures, sont peut-être la seule chose qui distingue d'un pur déisme le christianisme de Genève.

Les ecclésiastiques font encore mieux à Genève que d'être tolérans ; ils se renferment uniquement dans leurs fonctions, en donnant les premiers aux citoyens l'exemple de la soûmission aux lois. Le consistoire établi pour veiller sur les moeurs, n'inflige que des peines spirituelles. La grande querelle du sacerdoce & de l'empire, qui dans des siecles d'ignorance a ébranlé la couronne de tant d'empereurs, & qui, comme nous ne le savons que trop, cause des troubles fâcheux dans des siecles plus éclairés, n'est point connue à Genève ; le clergé n'y fait rien sans l'approbation des magistrats.

Le culte est fort simple ; point d'images, point de luminaire, point d'ornemens dans les églises. On vient pourtant de donner à la cathédrale un portail d'assez bon goût ; peut-être parviendra-t-on peu-à-peu à décorer l'intérieur des temples. Où seroit en effet l'inconvénient d'avoir des tableaux & des statues, en avertissant le peuple, si l'on vouloit, de ne leur rendre aucun culte, & de ne les regarder que comme des monumens destinés à retracer d'une maniere frappante & agréable les principaux évenemens de la religion ? Les Arts y gagneroient sans que la superstition en profitât. Nous parlons ici, comme le lecteur doit le sentir, dans les principes des pasteurs génevois, & non dans ceux de l'Eglise catholique.

Le service divin renferme deux choses, les prédications, & le chant. Les prédications se bornent presqu'uniquement à la morale, & n'en valent que mieux. Le chant est d'assez mauvais goût, & les vers françois qu'on chante, plus mauvais encore. Il faut espérer que Genève se réformera sur ces deux points. On vient de placer une orgue dans la cathédrale, & peut-être parviendra-t-on à loüer Dieu en meilleur langage & en meilleure musique. Du reste la vérité nous oblige de dire que l'être suprème est honoré à Genève avec une décence & un recueillement qu'on ne remarque point dans nos églises.

Nous ne donnerons peut-être pas d'aussi grands articles aux plus vastes monarchies ; mais aux yeux du philosophe la république des abeilles n'est pas moins intéressante que l'histoire des grands empires, & ce n'est peut-être que dans les petits états qu'on peut trouver le modele d'une parfaite administration politique. Si la religion ne nous permet pas de penser que les Génevois ayent efficacement travaillé à leur bonheur dans l'autre monde, la raison nous oblige à croire qu'ils sont à-peu-près aussi heureux qu'on le peut être dans celui-ci :

O fortunatos nimiùm, sua si bona norint ! (O)


GENEVOIS(LE) Géog. petit état entre la France, la Savoie & la Suisse ; il est extrêmement fertile, beau & peuplé. Genève en est la capitale. Voyez ci-devant GENEVE. (D.J.)


GENEVRETTES. f. (Econ. rustiq.) c'est le vin de genievre, dont la boisson est agréable, saine & peu coûteuse. Voyez GENIEVRE. Cette boisson tient lieu de vin aux pauvres, & seroit un bon médicament pour les riches. On fait la genevrette avec six boisseaux de baies de genievre pilées & concassées, que l'on met infuser & fermenter dans cent pintes d'eau pendant trois semaines ou un mois, au bout duquel tems la liqueur est bonne à boire ; mais en vieillissant davantage, elle acquiert encore du goût & de la force : on peut en laisser tomber le marc, & la tirer au clair ; on y mêle aussi quelquefois trois ou quatre poignées d'absynthe. Le journal historique (Avril 1710) enseigne la maniere de faire de bonne genevrette ; mais simplifiez sa maniere, & vous réussirez encore mieux. (D.J.)


GENEVRIERS. m. juniperus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs petites feuilles qui ont des sommets. Cette fleur est sterile. Le fruit est une baie qui renferme des osselets anguleux, dans lesquels il se trouve une semence oblongue. Les feuilles de la plante sont simples & plates. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

Cet arbrisseau, quelquefois arbre, est connu de tout le monde ; parce qu'il croît dans toute l'Europe, dans les pays septentrionaux & dans ceux du midi, dans les forêts, dans les bruyeres, & sur les montagnes. Il est sauvage ou cultivé, plus grand ou plus petit, stérile ou portant du fruit, domestique ou étranger.

On a autrefois confondu sous le même nom, les cedres & les genévriers. Théophraste nous dit que quoiqu'il y eût deux sortes de cedres, le licien & le phénicien, néanmoins c'étoient l'un & l'autre des arbres de même nature que le genévrier, avec cette seule différence que le genévrier s'élevoit plus haut, & que ses feuilles étoient douces ; au lieu que celles du cedre étoient dures, pointues & piquantes : c'est à-peu-près le contraire, mais cette confusion de noms qui étoit plus ancienne que Théophraste, & qui ne changea pas de son tems s'est perpétuée d'âge en âge. Les Grecs appelloient indifféremment thion, l'un & l'autre de ces deux arbres ; de sorte que le thion, le cedre & le genévrier devinrent synonymes. Ces mêmes Grecs nommoient aussi genévrier, le cyprès sauvage ; & les Arabes à leur tour ont appellé genévrier, le cedre sauvage : non-seulement Myrespse en agit ainsi ; mais il les confond tous les deux avec le citre des Romains. Quelques auteurs depuis la découverte de l'Amérique, sont tombés dans la même faute, en donnant le nom de cedres atlantiques aux genévriers des Indes occidentales. Les Espagnols comprennent sous le nom d'énebro, toute espece de genévrier & de cyprès. Enfin il y a plus, on appelle en anglois cedres de Virginie & des Bermudes, les genévriers de ces pays-là.

Mais heureusement les noms vulgaires ne peuvent causer des erreurs, depuis qu'on a décrit & caractérisé le genévrier d'une maniere à le distinguer infailliblement du cedre, du cyprès, & de tout autre arbre. Ses feuilles sont longues, étroites & piquantes ; ses fleurs mâles sont de petits chatons qui ne produisent point de fruit ; le fruit est une baie molle, pulpeuse, contenant trois osselets qui renferment chacun une graine oblongue.

Entre les especes de genévriers que comptent nos Botanistes, il y en a deux générales & principales ; le genévrier commun arbrisseau, & le genévrier commun qui s'éleve en arbre.

Le genévrier arbrisseau se trouve par-tout ; c'est le juniperus vulgaris, fruticosa, de C. B. P. 488. J. R. H. 588. Ses racines sont nombreuses, étendues de tout côté ; & quelques-unes sont plongées profondément dans la terre. Son tronc s'éleve quelquefois à la hauteur de cinq ou six piés ; il n'est pas gros, mais branchu & fort touffu. Son écorce est raboteuse, rougeâtre, & tombe par morceaux. Son bois est ferme, un peu rougeâtre, sur-tout quand il est sec ; il sent bon & jette une odeur agréable de résine. Ses feuilles sont pointues, très-étroites, longues d'un pouce, souvent plus courtes, roides, piquantes, toûjours vertes, placées le plus souvent trois à trois autour de chaque noeud. Ses fleurs sont des chatons qui paroissent au mois d'Avril & de Mai, à l'aisselle des feuilles ; ils sont longs de deux ou trois lignes, panachés de pourpre & de couleur de safran, formés de plusieurs écailles, dont la partie inférieure est garnie de trois ou quatre bourses plus petites que la graine de pavot, remplies d'une poussiere dorée très-fine : ces sortes de fleurs sont stériles. Les fruits viennent en grand nombre sur d'autres especes de genévriers qui n'ont pas d'étamines ; ce sont des baies ordinairement sphériques, contenant une pulpe huileuse, aromatique, d'un goût résineux, âcre & doux.

Le genévrier commun qui s'éleve en arbre, ou le grand genévrier, juniperus vulgaris, arbor, de C. B. P. Tournef. juniperus vulgaris, celsior, de Clusius, ne differe du petit genévrier qu'on vient de décrire, que par sa hauteur, qui même varie beaucoup suivant les lieux de sa naissance. On dit qu'en plusieurs pays d'Afrique, il égale en grandeur les arbres les plus élevés. Son bois dur & compact est employé pour les bâtimens. Cet arbre pousse en-haut beaucoup de rameaux, garnis de feuilles épineuses, toûjours vertes. Les chatons sont à plusieurs écailles & ne laissent aucun fruit après eux ; car les fruits naissent en des endroits séparés, quoique sur le même pié qui porte les chatons ; ils sont noirs, odorans, aromatiques, d'un goût plus doux que ceux du petit genévrier. On distingue cet arbre du cedre, non-seulement par son fruit, mais encore par ses feuilles qui sont simples & plates ; au lieu que les feuilles du cedre sont différentes, & semblables à celles du cyprès. C'est ce qui prouve que les Grecs en confondant les cyprès, les genévriers & les cedres, n'ont point connu les cedres du mont Liban.

Le grand genévrier est cultivé dans les pays chauds, comme en Italie, en Espagne & en Afrique ; il en découle naturellement ou par incision faite au tronc & aux grosses branches pendant les chaleurs, une résine qu'on appelle gomme du genévrier, ou sandaraque des Arabes. Voyez SANDARAQUE DES ARABES.

Le genévrier à baie rougeâtre, juniperus major, baccâ rubescente, de C. B. & de Tournefort, est du nombre des grands genévriers. Il est commun en Languedoc, où il porte de gros fruits rougeâtres, mais peu savoureux. On distille par la cornue son bois, pour en tirer une huile fétide, que les Maréchaux employent pour la galle & les ulceres des chevaux : c'est-là cette huile qu'ils nomment l'huile de Cade. Voyez HUILE DE CADE.

Le genévrier d'Asie à grosses baies, juniperus Asiatica, latifoliae, arborea, cerasi fructu, de Tournefort, peut être une variété du genévrier précédent. On le trouve, dit-on, sur les montagnes en Asie, & il n'y croît qu'à la hauteur de sept ou huit piés. Son fruit est gros comme une prune de damas, rouge, rempli d'une chair seche, fongueuse, de la même couleur, d'un goût doux, aigrelet, astringent, agréable, sans odeur apparente, contenant cinq ou six osselets plus gros que des pepins de raisins, durs, rouges, & oblongs.

Les genévriers de Virginie & des Bermudes sont du nombre des genévriers exotiques qu'on cultive le plus en Angleterre. On a trouvé le moyen de les élever dans cette île jusqu'à la hauteur de vingt-cinq piés, en coupant leurs branches inférieures de tems à autre, & pas trop près, pour ne point les blesser à cause de l'abondance de leur seve qui ne manqueroit pas de s'écouler. Ils font des progrès considérables au bout de quatre ans, & résistent aux plus grands froids du climat. On les multiplie de graine, qu'on retire de la Caroline ou de la Virginie. Dès que la graine est levée, ce qui n'arrive pas toûjours à la premiere année, on a soin de nettoyer la jeune plante des mauvaises herbes, & on la transporte le printems suivant avec de la terre attachée aux racines, dans une couche qu'on lui a préparée : on la laisse se fortifier dans cette couche deux ans entiers, en se contentant de couvrir le pié de terre & de gason retourné, pour le garantir de la gelée ; ensuite on transplante l'arbrisseau dans le lieu qu'on lui destine à demeure : ce lieu doit être une terre fraîche, legere & non fumée ; sans autre précaution, sans arrosement & sans amender cette terre, l'arbuste prospere, s'éleve en arbre qui, par sa hauteur & sa verdure, ne déplaît dans aucune plantation.

Le genévrier des Bermudes ne demande qu'un peu plus de soin dans les premiers tems, à cause de sa délicatesse. Le bois de l'un & de l'autre tire sur le rouge, & abonde en résine d'une odeur charmante. On honore communément leur bois, sur-tout celui des Bermudes, du nom de bois de cedre, quoiqu'il y ait dans la Grande-Bretagne d'autres bois de ce même nom, qui viennent d'arbres bien différens des Indes occidentales ; cependant c'est du bois de ces especes de genévrier, qu'on fait en Angleterre des escaliers, des boiseries, des lambris, des commodes, & meubles pareils. La durée de ce bois l'emporte sur tout autre ; ce qu'il faut peut-être attribuer à l'extrême amertume de sa résine. On l'employe dans l'Amérique à la construction des vaisseaux marchands ; c'est dommage qu'il ne convienne pas à la bâtisse des vaisseaux de guerre, parce qu'il est si cassant qu'il se fendroit au premier coup de canon.

Le bois de nos genévriers n'est d'aucun usage en charpenterie ni en menuiserie ; il ne sert qu'à être brûlé à cause de sa bonne odeur, pour corriger l'air corrompu par de mauvaises exhalaisons. Voyez donc ci-après GENIEVRE. (D.J.)

GENEVRIER, (Chimie & Mat. méd.) Toutes les parties du genévrier contiennent une huile essentielle qui se manifeste par une odeur forte : cette huile est unie dans les bois & dans les racines, à une substance résineuse qui en découle dans les pays chauds, par l'incision que l'on fait à son écorce. Cette matiere abonde sur-tout dans le grand genévrier qui croît dans les provinces méridionales du royaume, & qui y est connu sous le nom de cade.

On retire dans ces pays de cette derniere espece de genévrier, une huile empyreumatique, noire & épaisse, en distillant le tronc & les branches de cet arbrisseau dans un appareil où le fourneau sert en même tems de vaisseau contenant, & qui est construit sur les mêmes principes que celui dans lequel on prépare la poix noire. Nous décrirons cette manoeuvre à l'article POIX. Cette huile empyreumatique qui est connue sous le nom d'huile de cade, est fort usitée dans nos provinces méridionales contre les maladies extérieures des bestiaux, sur-tout dans la maladie éruptive des moutons, appellée petite vérole ou picote.

Cette huile entre dans la composition du baume vert ; elle est véritablement caustique, si l'on en touche l'intérieur d'une dent creuse, elle cautérise le nerf & calme la douleur : mais si l'on continue à l'appliquer, elle fait bien-tôt tomber la dent en pieces. Quelques-uns ont osé la donner intérieurement contre la colique & les vers ; mais on ne peut avoir recours à ce remede sans témérité. C'est-là l'unique médicament que le grand genévrier fournit à la Medecine ; médicament encore dont les usages sont très-peu étendus comme l'on voit.

C'est du petit genévrier, du genévrier commun, de celui qui croît dans toute l'Europe, que nous allons parler dans le reste de cet article. Ce sont ses baies que l'on employe principalement en Medecine.

On retire des baies de genievre une eau distillée, une huile essentielle ; on en prépare un vin & un rob ou extrait. Voyez EAU DISTILLEE, HUILE ESSENTIELLE, VIN, ROB & EXTRAIT.

Les Allemands employent fréquemment dans leurs cuisines les baies de genievre à titre d'assaisonnement. Etmuller les appelle l'aromate des Allemands. Nous en faisons un fréquent usage, mais seulement à titre de médicament. Nous les employons principalement dans les maladies de l'estomac, qui dépendent de relâchement, de foiblesse & d'un amas de glaires tenaces & épaisses. Nous les regardons comme souveraines contre les vents, les coliques venteuses, les digestions languissantes. Elles passent aussi pour déterger les reins & la vessie, pour faire chasser les glaires des voies urinaires, & pour faire sortir hors du corps les sables & les calculs. Elles sont célébrées aussi comme béchiques & comme principalement utiles dans l'asthme humide : on leur a accordé aussi la qualité sudorifique, emménagogue & alexipharmaque : c'est à ce dernier titre que quelques-uns les ont appellées la thériaque des gens de la campagne.

On prescrit les baies de genievre à la dose d'un gros ou de deux, que l'on mange de tems en tems dans la journée, ou que l'on prend en infusion dans de l'eau ou dans du vin.

L'extrait ou le rob de genievre, qui est aussi appellé la thériaque des Allemands, se prescrit dans les mêmes vûes à la dose d'un gros dans du vin d'Espagne, dans de l'eau de genievre, ou dans quelqu'autre liqueur convenable : on le fait entrer aussi avec d'autres remedes dans les électuaires magistraux.

L'eau distillée des baies de genievre est fort vantée par Etmuller pour les coliques & la néphrétique ; elle excite doucement l'excrétion de l'urine, selon cet auteur ; & elle corrige sur-tout la disposition au calcul, si on en boit à jeun pendant un certain tems quatre ou six onces. On ne sauroit compter sur l'efficacité de l'eau distillée de genievre, comme sur l'extrait ou sur le fruit même pris en substance.

On retire du vin de genievre par la distillation un esprit ardent, auquel on accorde communément des vertus particulieres ; mais on ne peut en attendre raisonnablement que les effets communs des esprits ardens. Voyez ESPRIT ARDENT.

L'huile essentielle de genievre dissoute dans l'esprit-de-vin, ou donnée sous forme d'aeleo-saccharum dans une liqueur convenable, est fort diurétique, emménagogue & carminative : mais, selon Michel Albert cité par Geoffroi, on ne doit pas en permettre trop facilement l'usage intérieur, parce qu'elle échauffe beaucoup. On peut l'employer à l'extérieur dans les onguens nervins & fortifians.

Les auteurs de Pharmacopée recommandent de brûler le marc de la préparation du rob, & d'en retirer un sel, auquel ils attribuent plusieurs vertus particulieres, & analogues pour la plûpart aux propriétés du fruit dont il est retiré : mais nous ne croyons plus que les sels préparés par la combustion des végétaux, retiennent les propriétés de la matiere qui les a fournis ; & nous ne reconnoissons dans ces sels que des qualités communes. Voyez SEL LIXIVIEL.

On fait un elixir de genievre avec l'extrait délayé dans l'esprit ardent, c'est un bon stomachique & un diurétique actif. La dose est d'une cuillerée.

Le ratafia préparé par l'infusion des baies de genievre dans de l'eau-de-vie, est un cordial stomachique fort usité, & qui produit réellement de bons effets.

M. Chomel recommande fort pour la teigne, un onguent fait avec les baies de genievre pilées & bouillies, & le saindoux.

De toutes ces vertus du genievre que nous venons de rapporter, les plus évidentes sont sa qualité stomachique, carminative & diurétique. M. Geoffroi observe très-judicieusement que si on l'employe sans distinction de cas dans toutes les maladies de l'estomac & des voies urinaires, on causera quelquefois des ardeurs ou des suppressions d'urine, des distensions dans l'estomac, des rots, & une plus grande quantité de vents qu'auparavant : mais cela même est le plus grand éloge qu'on puisse faire de ce remede ; car ces médicamens innocens qui, s'ils ne font point de bien ne peuvent jamais faire du mal selon l'expression vulgaire, peuvent être très-raisonnablement soupçonnés d'être dans tous les cas aussi inutiles que peu dangereux.

Les baies de genievre entrent dans les compositions suivantes de la pharmacopée de Paris ; savoir l'eau thériacale, l'eau générale, l'eau prophylactique, l'opiate de Salomon, l'orviétan, le trochisque de Cyphi, l'huile de scorpion composée, le baume oppodeldoc, leur extrait dans la thériaque diatessaron, l'orviétan ordinaire, l'orvietanum praestantius ; leur huile distillée dans la thériaque céleste, le baume de Leictoure, le baume verd de Metz, l'emplâtre stomacal, l'emplâtre styptique.

La résine de genievre entre dans les pilules balsamiques de Stahl.

On brûle dans les hôpitaux & dans les chambres des malades, le bois & les baies de genievre, pour en chasser le mauvais air. (b)


GENGOUX(LE ROYAL SAINT-) Géog. Gengulfinum regale, ville de France en Bourgogne au diocèse de Châlons, avec une châtellenie royale ; elle est au pié d'une montagne près de la riviere de Grône, à huit lieues nord-oüest de Mâcon, sept sud-oüest de Châlons, soixante-six sud-est de Paris. Long. 22. 8. lat. 46. 40. (D.J.)


GÉNIALadject. (Histoire anc.) mot dérivé du latin, dont on est obligé de se servir dans notre langue ; c'est une épithete que l'on donnoit dans le paganisme à quelques dieux qui présidoient à la génération.

Ils étoient ainsi appellés à gerendo, ou, selon la correction de Scaliger & de Vossius, à genendo, qui dans l'ancienne latinité signifie produire. Cependant Festus ajoûte que de-là on les nomma aussi dans la suite getuli ; ce qui demande qu'on lise à gerendo. M. Dacier prétend que gerere a le sens de .

Les dieux géniales, dit Festus, étoient l'eau, la terre, le feu, & l'air, que les Grecs appellent élémens. On mettoit aussi au nombre de ces dieux les douze signes, la lune & le soleil. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


GÉNIANES. f. (Hist. nat.) pierre fabuleuse dont il est parlé dans Pline & quelques auteurs anciens, & dont on ne trouve aucune description ; on nous dit seulement qu'elle avoit la vertu de chagriner les ennemis. Boetius de Boot.


GÉNIES. m. genius, (Mythologie. Littérat. Antiq.) esprit d'une nature très-subtile & très déliée, que l'on croyoit dans le paganisme, présider à la naissance des hommes, les accompagner dans le cours de leur vie, veiller sur leur conduite, & être commis à leur garde jusqu'à leur mort.

La tradition la plus ancienne, la plus générale, & la plus constamment répandue, puisqu'elle subsiste encore, est que le monde soit rempli de génies. Cette opinion chimérique, après avoir si souvent changé de forme, successivement adoptée sous le nom de démons, de manes, de lares, de lémures, de pénates, a finalement donné lieu à l'introduction des fées, des gnomes, & des sylphes ; tant est singuliere la propagation permanente des erreurs superstitieuses sous différentes métamorphoses ! mais nous nous arrêtons aux siecles de l'antiquité, & nous tirons le rideau sur les nôtres.

Les génies habitoient dans la vaste étendue de l'air, & dans tout cet espace qui occupe le milieu entre le ciel & la terre ; leur corps étoit de matiere aérienne. On regardoit ces esprits subtils comme les ministres des dieux, qui ne daignant pas se mêler directement de la conduite du monde, & ne voulant pas aussi la négliger tout-à-fait, en commettoient le soin à ces êtres inférieurs. Ils étoient envoyés sur la terre par un maître commun, qui leur assignoit leur poste auprès des hommes pendant cette vie, & la conduite de l'ame après leur mort.

Ces sortes de divinités subalternes avoient l'immortalité des dieux & les passions des hommes, se réjoüissoient & s'affligeoient selon l'état de ceux à qui elles étoient liées.

Les génies accordés à chaque particulier ne joüissoient pas d'un pouvoir égal, & les uns étoient plus puissans que les autres ; c'est pour cela qu'un devin répondit à Marc-Antoine, qu'il feroit sagement de s'éloigner d'Auguste, parce que son génie craignoit celui d'Auguste.

De plus on pensoit qu'il y avoit un bon & un mauvais génie attaché à chaque personne. Le bon génie étoit censé procurer toutes sortes de félicités, & le mauvais tous les grands malheurs. De cette maniere, le sort de chaque particulier dépendoit de la supériorité de l'un de ces génies sur l'autre. On conçoit bien de-là que le bon génie devoit être très-honoré. Dès que nous naissons, dit Servius commentateur de Virgile, deux génies sont députés pour nous accompagner ; l'un nous exhorte au bien, l'autre nous pousse au mal ; ils sont appellés génies fort à-propos, parce qu'au moment de l'origine de chaque mortel, cum unusquisque genitus fuerit, ils sont commis pour observer les hommes & les veiller jusqu'après le trépas ; & alors nous sommes ou destinés à une meilleure vie, ou condamnés à une plus fâcheuse.

Les Romains donnoient dans leur langue le nom de génies à ceux-là seulement qui gardoient les hommes, & le nom de junons aux génies gardiens des femmes.

Ce n'est pas-là toute la nomenclature des génies : il y avoit encore les génies propres de chaque lieu ; les génies des peuples, les génies des provinces, les génies des villes, qu'on appelloit les grands génies. Ainsi Pline a raison de remarquer qu'il devoit y avoir un bien plus grand nombre de divinités dans la région du ciel, que d'hommes sur la terre.

On adoroit à Rome le génie public, c'est-à-dire la divinité tutélaire de l'empire ; rien n'est plus commun que cette inscription sur les médailles, genius pop. rom. le génie du peuple romain, ou genio pop. rom. au génie du peuple romain.

Après l'extinction de la république, la flaterie fit qu'on vint à jurer par le génie de l'empereur, comme les esclaves juroient par celui de leur maître ; & l'on faisoit des libations au génie des césars comme à la divinité de laquelle ils tenoient leur puissance.

Mais personne ne manquoit d'offrir des sacrifices à son génie particulier le jour de sa naissance. Ces sacrifices étoient des fleurs, des gâteaux & du vin ; on n'y employoit jamais le sang, parce qu'il paroissoit injuste d'immoler des victimes au dieu qui présidoit à la vie, & qui étoit le plus grand ennemi de la mort : quand le luxe eut établi des recherches sensuelles, on crut devoir ajoûter les parfums & les essences aux fleurs & au vin ; prodiguer toutes ces choses un jour de naissance, c'est, dans le style d'Horace, appaiser son génie. " Il faut, dit-il, travailler à l'appaiser de cette maniere, parce que ce dieu nous avertissant chaque année que la vie est courte, il nous presse d'en profiter, & de l'honorer par des fêtes & des festins. " Que le génie vienne donc lui même assister aux honneurs que nous lui rendons, s'écrie Tibulle ; que ses cheveux soient ornés de bouquets de fleurs ; que le nard le plus pur coule de ses joues ; qu'il soit rassasié de gâteaux ; & qu'on lui verse du vin à pleines coupes ".

Ipse suos adsit genius visurus honores,

Cui decorent sanctas mollia serta comas,

Illius puro distillent tempora nardo ;

Atque satur libo sit madeatque mero.

Le platane étoit spécialement consacré au génie ; on lui faisoit des couronnes de ses feuilles & de ses fleurs ; on en ornoit ses autels.

Pour ce qui regarde les représentations des génies, on sait que l'antiquité les représentoit diversement, tantôt sous la figure de vieillards, tantôt en hommes barbus, souvent en jeunes enfans aîlés, & quelquefois sous la forme de serpens ; sur plusieurs médailles, c'est un homme nud tenant d'une main une patere qu'il avance sur un autel, & de l'autre un foüet.

Le génie du peuple romain étoit un jeune homme à demi-vêtu de son manteau, appuyé d'une main sur une pique, & tenant de l'autre la corne d'abondance. Les génies des villes, des colonies, & des provinces, portoient une tour sur la tête. Voyez Vaillant, numism. imper. Spon, recherches d'antiquit. dissert. ij. & le P. Kircher, en plusieurs endroits de ses ouvrages.

On trouve aussi souvent dans les inscriptions sépulcrales, que les génies y sont mis pour les manes, parce qu'avec le tems on vint à les identifier ; & le passage suivant d'Apulée le prouve : " Le génie, dit-il, est l'ame de l'homme délivrée & dégagée des liens du corps. De ces génies, les uns qui prennent soin de ceux qui demeurent après eux dans la maison, & qui sont doux & pacifiques, s'appellent génies familiers ; ceux au contraire qui errans de coté & d'autre causent sur leur route des terreurs paniques aux gens de bien, & font véritablement du mal aux méchans, ces génies-là ont le nom de dieux manes, & plus ordinairement celui de lares : ainsi l'on voit que le nom de génie vint à passer aux manes & aux lares ; enfin il devint commun aux pénates, aux lémures, & aux démons : mais dans le principe des choses, ce fut une plaisante imagination des philosophes, d'avoir fait de leur génie un dieu qu'il falloit honorer ". (D.J.)

GENIE, (Philosophie & Littér.) L'étendue de l'esprit, la force de l'imagination, & l'activité de l'ame, voilà le génie. De la maniere dont on reçoit ses idées dépend celle dont on se rappelle. L'homme jetté dans l'univers reçoit avec des sensations plus ou moins vives, les idées de tous les êtres. La plûpart des hommes n'éprouvent de sensations vives que par l'impression des objets qui ont un rapport immédiat à leurs besoins, à leur goût, &c. Tout ce qui est étranger à leurs passions, tout ce qui est sans analogie à leur maniere d'exister, ou n'est point apperçû par eux, ou n'en est vû qu'un instant sans être senti, & pour être à jamais oublié.

L'homme de génie est celui dont l'ame plus étendue frappée par les sensations de tous les êtres, intéressée à tout ce qui est dans la nature, ne reçoit pas une idée qu'elle n'éveille un sentiment, tout l'anime & tout s'y conserve.

Lorsque l'ame a été affectée par l'objet même, elle l'est encore par le souvenir ; mais dans l'homme de génie, l'imagination va plus loin ; il se rappelle des idées avec un sentiment plus vif qu'il ne les a reçûes, parce qu'à ces idées mille autres se lient, plus propres à faire naître le sentiment.

Le génie entouré des objets dont il s'occupe ne se souvient pas, il voit ; il ne se borne pas à voir, il est ému : dans le silence & l'obscurité du cabinet, il joüit de cette campagne riante & féconde ; il est glacé par le sifflement des vents ; il est brûlé par le soleil ; il est effrayé des tempêtes. L'ame se plaît souvent dans ces affections momentanées ; elles lui donnent un plaisir qui lui est précieux ; elle se livre à tout ce qui peut l'augmenter ; elle voudroit par des couleurs vraies, par des traits ineffaçables, donner un corps aux phantômes qui sont son ouvrage, qui la transportent ou qui l'amusent.

Veut-elle peindre quelques-uns de ces objets qui viennent l'agiter ? tantôt les êtres se dépouillent de leurs imperfections ; il ne se place dans ses tableaux que le sublime, l'agréable ; alors le génie peint en beau : tantôt elle ne voit dans les évenemens les plus tragiques que les circonstances les plus terribles ; & le génie répand dans ce moment les couleurs les plus sombres, les expressions énergiques de la plainte & de la douleur ; il anime la matiere, il colore la pensée : dans la chaleur de l'enthousiasme, il ne dispose ni de la nature ni de la suite de ses idées ; il est transporté dans la situation des personnages qu'il fait agir ; il a pris leur caractere : s'il éprouve dans le plus haut degré les passions héroïques, telles que la confiance d'une grande ame que le sentiment de ses forces éleve au-dessus de tout danger, telles que l'amour de la patrie porté jusqu'à l'oubli de soi-même, il produit le sublime, le moi de Médée, le qu'il mourût du vieil Horace, le je suis consul de Rome de Brutus : transporté par d'autres passions, il fait dire à Hermione, qui te l'a dit ? à Orosmane, j'étois aimé ; à Thieste, je reconnois mon frere.

Cette force de l'enthousiasme inspire le mot propre quand il a de l'énergie ; souvent elle le fait sacrifier à des figures hardies ; elle inspire l'harmonie imitative, les images de toute espece, les signes les plus sensibles, & les sons imitateurs, comme les mots qui caractérisent.

L'imagination prend des formes différentes ; elle les emprunte des différentes qualités qui forment le caractere de l'ame. Quelques passions, la diversité des circonstances, certaines qualités de l'esprit, donnent un tour particulier à l'imagination ; elle ne se rappelle pas avec sentiment toutes ses idées, parce qu'il n'y a pas toûjours des rapports entr'elle & les êtres.

Le génie n'est pas toûjours génie ; quelquefois il est plus aimable que le sublime ; il sent & peint moins dans les objets le beau que le gracieux ; il éprouve & fait moins éprouver des transports qu'une douce émotion.

Quelquefois dans l'homme de génie l'imagination est gaie ; elle s'occupe des legeres imperfections des hommes, des fautes & des folies ordinaires ; le contraire de l'ordre n'est pour elle que ridicule, mais d'une maniere si nouvelle, qu'il semble que ce soit le coup-d'oeil de l'homme de génie qui ait mis dans l'objet le ridicule qu'il ne fait qu'y découvrir : l'imagination gaie d'un génie étendu, aggrandit le champ du ridicule ; & tandis que le vulgaire le voit & le sent dans ce qui choque les usages établis, le génie le découvre & le sent dans ce qui blesse l'ordre universel.

Le goût est souvent séparé du génie. Le génie est un pur don de la nature ; ce qui produit est l'ouvrage d'un moment ; le goût est l'ouvrage de l'étude & du tems ; il tient à la connoissance d'une multitude de regles ou établies ou supposées, il fait produire des beautés qui ne sont que de convention. Pour qu'une chose soit belle selon les regles du goût, il faut qu'elle soit élégante, finie, travaillée sans le paroître : pour être de génie il faut quelquefois qu'elle soit négligée ; qu'elle ait l'air irrégulier, escarpé, sauvage. Le sublime & le génie brillent dans Shakespear comme des éclairs dans une longue nuit, & Racine est toûjours beau : Homere est plein de génie, & Virgile d'élégance.

Les regles & les lois du goût donneroient des entraves au génie ; il les brise pour voler au sublime, au pathétique, au grand. L'amour de ce beau éternel qui caractérise la nature ; la passion de conformer ses tableaux à je ne sais quel modele qu'il a créé, & d'après lequel il a les idées & les sentimens du beau, sont le goût de l'homme de génie. Le besoin d'exprimer les passions qui l'agitent, est continuellement gêné par la Grammaire & par l'usage : souvent l'idiome dans lequel il écrit se refuse à l'expression d'une image qui seroit sublime dans un autre idiome. Homere ne pouvoit trouver dans un seul dialecte les expressions nécessaires à son génie ; Milton viole à chaque instant les regles de sa langue, & va chercher des expressions énergiques dans trois ou quatre idiomes différens. Enfin la force & l'abondance, je ne sais quelle rudesse, l'irrégularité, le sublime, le pathétique, voilà dans les arts le caractere du génie ; il ne touche pas foiblement, il ne plaît pas sans étonner, il étonne encore par ses fautes.

Dans la Philosophie, où il faut peut-être toûjours une attention scrupuleuse, une timidité, une habitude de réflexion qui ne s'accordent guere avec la chaleur de l'imagination, & moins encore avec la confiance que donne le génie, sa marche est distinguée comme dans les arts ; il y répand fréquemment de brillantes erreurs ; il y a quelquefois de grands succès. Il faut dans la Philosophie chercher le vrai avec ardeur & l'espérer avec patience. Il faut des hommes qui puissent disposer de l'ordre & de la suite de leurs idées ; en suivre la chaîne pour conclure, ou l'interrompre pour douter : il faut de la recherche, de la discussion, de la lenteur ; & on n'a ces qualités ni dans le tumulte des passions, ni avec les fougues de l'imagination. Elles sont le partage de l'esprit étendu, maître de lui-même ; qui ne reçoit point une perception sans la comparer avec une perception ; qui cherche ce que divers objets ont de commun & ce qui les distingue entr'eux ; qui pour rapprocher des idées éloignées, fait parcourir pas-à-pas un long intervalle ; qui pour saisir les liaisons singulieres, délicates, fugitives de quelques idées voisines, ou leur opposition & leur contraste, sait tirer un objet particulier de la foule des objets de même espece ou d'espece différente, poser le microscope sur un point imperceptible ; & ne croit avoir bien vû qu'après avoir regardé long-tems. Ce sont ces hommes qui vont d'observations en observations à des justes conséquences, & ne trouvent que des analogies naturelles : la curiosité est leur mobile ; l'amour du vrai est leur passion ; le desir de le découvrir est en eux une volonté permanente qui les anime sans les échauffer, & qui conduit leur marche que l'expérience doit assûrer.

Le génie est frappé de tout ; & dès qu'il n'est point livré à ses pensées & subjugué par l'enthousiasme, il étudie, pour ainsi dire, sans s'en appercevoir ; il est forcé par les impressions que les objets font sur lui, à s'enrichir sans-cesse de connoissances qui ne lui ont rien coûté ; il jette sur la nature des coups-d'oeil généraux & perce ses abîmes. Il recueille dans son sein des germes qui y entrent imperceptiblement, & qui produisent dans le tems des effets si surprenans, qu'il est lui-même tenté de se croire inspiré : il a pourtant le goût de l'observation ; mais il observe rapidement un grand espace, une multitude d'êtres.

Le mouvement, qui est son état naturel, est quelquefois si doux qu'à peine il l'apperçoit : mais le plus souvent ce mouvement excite des tempêtes, & le génie est plutôt emporté par un torrent d'idées, qu'il ne suit librement de tranquilles réflexions. Dans l'homme que l'imagination domine, les idées se lient par les circonstances & par le sentiment : il ne voit souvent des idées abstraites que dans leur rapport avec les idées sensibles. Il donne aux abstractions une existence indépendante de l'esprit qui les a faites ; il réalise ses fantômes, son enthousiasme augmente au spectacle de ses créations, c'est-à-dire de ses nouvelles combinaisons, seules créations de l'homme : emporté par la foule de ses pensées, livré à la facilité de les combiner, forcé de produire, il trouve mille preuves spécieuses, & ne peut s'assûrer d'une seule ; il construit des édifices hardis que la raison n'oseroit habiter, & qui lui plaisent par leurs proportions & non par leur solidité ; il admire ses systèmes comme il admireroit le plan d'un poëme ; & il les adopte comme beaux en croyant les aimer comme vrais.

Le vrai ou le faux dans les productions philosophiques, ne sont point les caracteres distinctifs du génie.

Il y a bien peu d'erreurs dans Locke & trop peu de vérités dans milord Shafsterbury : le premier cependant n'est qu'un esprit étendu, pénétrant, & juste ; & le second est un génie du premier ordre. Locke a vû ; Shafsterbury a créé, construit, édifié : nous devons à Locke de grandes vérités froidement apperçûes, méthodiquement suivies, séchement annoncées ; & à Shafsterbury des systèmes brillans souvent peu fondés, pleins pourtant de vérités sublimes ; & dans ses momens d'erreur, il plaît & persuade encore par les charmes de son éloquence.

Le génie hâte cependant les progrès de la Philosophie par les découvertes les plus heureuses & les moins attendues : il s'éleve d'un vol d'aigle vers une vérité lumineuse, source de mille vérités auxquelles parviendra dans la suite en rampant la foule timide des sages observateurs. Mais à côté de cette vérité lumineuse, il placera les ouvrages de son imagination : incapable de marcher dans la carriere, & de parcourir successivement les intervalles, il part d'un point & s'élance vers le but ; il tire un principe fécond des ténebres ; il est rare qu'il suive la chaîne des conséquences ; il est prime-sautier, pour me servir de l'expression de Montagne. Il imagine plus qu'il n'a vû ; il produit plus qu'il ne découvre ; il entraîne plus qu'il ne conduit : il anima les Platon, les Descartes, les Malebranche, les Bacon,les Leibnitz ; & selon le plus ou le moins que l'imagination domina dans ces grands hommes, il fit éclorre des systèmes brillans, ou découvrir de grandes vérités.

Dans les sciences immenses & non encore approfondies du gouvernement, le génie a son caractere & ses effets aussi faciles à reconnoître que dans les Arts & dans la Philosophie : mais je doute que le génie, qui a si souvent pénétré de quelle maniere les hommes dans certains tems devoient être conduits, soit lui même propre à les conduire. Certaines qualités de l'esprit, comme certaines qualités du coeur, tiennent à d'autres, en excluent d'autres. Tout dans les plus grands hommes annonce des inconveniens ou des bornes.

Le sang-froid, cette qualité si nécessaire à ceux qui gouvernent, sans lequel on feroit rarement une application juste des moyens aux circonstances, sans lequel on seroit sujet aux inconséquences, sans lequel on manqueroit de la présence d'esprit ; le sang-froid qui soumet l'activité de l'ame à la raison, & qui préserve dans tous les évenemens, de la crainte, de l'yvresse, de la précipitation, n'est-il pas une qualité qui ne peut exister dans les hommes que l'imagination maîtrise ? cette qualité n'est-elle pas absolument opposée au génie ? Il a sa source dans une extrême sensibilité qui le rend susceptible d'une foule d'impressions nouvelles, par lesquelles il peut être détourné du dessein principal, contraint de manquer au secret, de sortir des lois de la raison, & de perdre par l'inégalité de la conduite, l'ascendant qu'il auroit pris par la supériorité des lumieres. Les hommes de génie forcés de sentir, décidés par leurs goûts, par leurs répugnances, distraits par mille objets, devinant trop, prévoyant peu, portant à l'excès leurs desirs, leurs espérances, ajoûtant ou retranchant sans-cesse à la réalité des êtres, me paroissent plus faits pour renverser ou pour fonder les états que pour les maintenir, & pour rétablir l'ordre que pour le suivre.

Le génie dans les affaires n'est pas plus captivé par les circonstances, par les lois & par les usages, qu'il ne l'est dans les Beaux-Arts par les regles du goût, & dans la Philosophie par la méthode. Il y a des momens où il sauve sa patrie, qu'il perdroit dans la suite s'il y conservoit du pouvoir. Les systèmes sont plus dangereux en Politique qu'en Philosophie : l'imagination qui égare le philosophe ne lui fait faire que des erreurs ; l'imagination qui égare l'homme d'état lui fait faire des fautes & le malheur des hommes.

Qu'à la guerre donc & dans le conseil le génie semblable à la divinité parcoure d'un coup d'oeil la multitude des possibles, voye le mieux & l'exécute ; mais qu'il ne manie pas long-tems les affaires où il faut attention, combinaisons, persévérance : qu'Alexandre & Condé soient maîtres des évenemens, & paroissent inspirés le jour d'une bataille, dans ces instans où manque le tems de délibérer, & où il faut que la premiere des pensées soit la meilleure ; qu'ils décident dans ces momens où il faut voir d'un coup-d'oeil les rapports d'une position & d'un mouvement avec ses forces, celles de son ennemi, & le but qu'on se propose : mais que Turenne & Marlborough leur soient préférés quand il faudra diriger les opérations d'une campagne entiere.

Dans les Arts, dans les Sciences, dans les affaires, le génie semble changer la nature des choses ; son caractere se répand sur tout ce qu'il touche ; & ses lumieres s'élançant au-delà du passé & du présent, éclairent l'avenir : il dévance son siecle qui ne peut le suivre ; il laisse loin de lui l'esprit qui le critique avec raison, mais qui dans sa marche égale ne sort jamais de l'uniformité de la nature. Il est mieux senti que connu par l'homme qui veut le définir : ce seroit à lui-même à parler de lui ; & cet article que je n'aurois pas dû faire, devroit être l'ouvrage d'un de ces hommes extraordinaires * qui honore ce siecle, & qui pour connoître le génie n'auroit eu qu'à regarder en lui-même.

GENIE, (le) s. m. (Art. milit.) ce mot signifie proprement dans notre langue la science des Ingénieurs ; ce qui renferme la fortification, l'attaque & la défense des places. Voyez FORTIFICATION, ATTAQUE, DEFENSE. Il signifie aussi le corps des Ingénieurs, c'est-à-dire des officiers chargés de la fortification, de l'attaque & de la défense des places. Voyez INGENIEUR.

C'est à M. le maréchal de Vauban que l'on doit l'établissement du génie ou du corps des Ingénieurs.

" Avant cet établissement rien n'étoit plus rare en France, dit cet illustre maréchal, que les gens de cette profession. Le peu qu'il y en avoit subsistoit si peu de tems, qu'il étoit plus rare encore d'en voir qui se fussent trouvés à cinq ou six siéges. Ce petit nombre d'ingénieurs obligé d'être toûjours sur les travaux étoit si exposé, que presque tous se trouvoient ordinairement hors d'état de servir dès le commencement ou au milieu du siége ; ce qui les empêchoit d'en voir la fin, & de s'y rendre savans. Cet inconvénient joint à plusieurs autres défauts dans lesquels on tomboit, ne contribuoit pas peu à la longueur des siéges, & autres pertes considérables qu'on y faisoit ". Attaque des places par M. le maréchal de Vauban.

Un général qui faisoit un siége avant l'établissement des corps des Ingénieurs, choisissoit parmi les officiers d'infanterie ceux qui avoient acquis quelqu'expérience dans l'attaque des places, pour en conduire les travaux ; mais il arrivoit rarement, comme le marque M. de Vauban, qu'on en trouvât d'assez habiles pour répondre entierement aux vûes du général, & le décharger du soin & de la direction de ces travaux. Henri IV. avoit eu cependant pour ingénieur Errard de Barleduc, dont le traité de fortification montre beaucoup d'intelligence & de capacité dans l'auteur. Sous Louis XIII. le chevalier de Ville servit en qualité d'ingénieur avec la plus grande distinction. Son ouvrage sur la fortification des places, & celui où il a traité de la charge des gouverneurs, font voir que ce savant auteur étoit également versé dans l'artillerie & le génie, mais ces grands hommes qui ne pouvoient agir partout trouvoient peu de gens en état de les seconder.

Dans le commencement du regne de Louis XIV. le comte de Pagan se distingua beaucoup dans l'art de fortifier. Il fut le précurseur de M. le maréchal de Vauban, qui dans la fortification n'a guere fait que rectifier les idées générales de ce célebre ingénieur ; mais qui a par-tout donné des marques d'un génie supérieur & inventif, particulierement dans l'attaque des places, qu'il a porté à un degré de perfection auquel il est difficile de rien ajoûter.

Le chevalier de Clerville paroît aussi, par les différens mémoires sur les troubles de la minorité du roi Louis XIV, avoir eu beaucoup de réputation dans l'attaque des places. M. de Vauban commença à servir sous lui dans plusieurs siéges ; mais il s'éleva ensuite rapidement au-dessus de tous ceux qui l'avoient précédé dans la même carriere.

Par l'établissement du génie, le roi a toûjours un corps nombreux d'ingénieurs, suffisant pour servir dans ses armées en campagne & dans ses places. On ne fait point de siége depuis long-tems qu'il ne s'y en trouve trente-six ou quarante, partagés ordinairement en brigades de six ou sept hommes, afin que dans chaque attaque on puisse avoir trois brigades, qui se relevant alternativement tous les vingt-quatre heures, partagent entr'eux les soins & les fatigues du travail, & le font avancer continuellement sans qu'il y ait aucune perte de tems.

C'est à l'établissement du génie que la France doit la supériorité qu'elle a, de l'aveu de toute l'Europe, dans l'attaque & la défense des places sur les nations voisines.

Le génie a toûjours eu un ministre ou un directeur général, chargé des fortifications & de tout ce qui concerne les Ingénieurs. Voyez DIRECTEUR ou INSPECTEUR GENERAL DES FORTIFICATIONS.

L'Artillerie qui avoit toûjours formé un corps particulier sous la direction du grand-maître de l'artillerie, vient, depuis la suppression de cette importante charge, d'être unie à celui du génie. Par l'ordonnance du 8 Décembre 1755, ces deux corps n'en doivent plus faire qu'un seul sous la dénomination de corps royal de l'Artillerie & du Génie. (Q)


GENIESGENIES en Architecture, figures d’enfans avec des aîles & des attributs, qui servent dans les ornemens à représenter les vertus & les passions, comme ceux qui sont peints par Raphaël dans la galerie du vieux palais Chigi à Rome. Il s’en fait de bas-reliefs, comme ceux de marbre blanc dans les trente-deux tympans de la colonnade de Versailles, qui sont par grouppes, & tiennent des attributs de l’amour, des jeux, des plaisirs, &c. On appelle génies fleuronés, ceux dont la partie inférieure se termine en naissance de rinceau de feuillages, comme dans la frise du frontispice de Néron à Rome. Voyez nos Planch. d’Archit.

On se sert aussi du mot de génie, pour désigner le feu & l'invention qu'un architecte, un dessinateur, décorateur, ou tous autres Artistes mettent dans la décoration de leurs ouvrages ; c'est une partie très-nécessaire dans l'Architecture. Un homme sans génie, quoique muni des préceptes de son art, va rarement loin : la diversité des occasions & le détail immense d'un bâtiment, exigent absolument des dispositions naturelles, qui soient aidées d'un exercice laborieux & sans relâche ; qualités essentielles à un architecte pour mériter la confiance de ceux qui lui abandonnent leurs intérêts. Voyez ARCHITECTE.

GENIE en Peinture. Voyez PEINTURE.

* M. de Voltaire, par exemple.


GENIO-HYOIDIENadj. en Anatomie, se dit d'un muscle de l'os hyoïde, qui aussi-bien que son pareil est court, épais & charnu ; ils prennent leur origine de la partie interne de la machoire inférieure qu'on appelle menton ; ils sont larges à leur origine ; ils se retrécissent ensuite, & vont s'attacher à la partie supérieure de la base de l'os hyoïde. Voyez HYOIDE. (L)


GENIO-PHARYNGIENSen Anat. se dit d'une paire de muscles du pharynx qui viennent de la symphise du menton, au-dessous des muscles genio-glosses, & qui s'attachent aux parties latérales du pharynx. Voyez PHARYNX. (L)


GENIOGLOSSEadj. pris s. en Anatomie, se dit d'une paire de muscles qui prennent leur origine de la partie interne de la symphise du menton, au-dessous des génio-hyoïdiens ; ils s'élargissent ensuite, & vont s'attacher à la base de la langue. Voyez LANGUE, MENTON. (L)


GENIPANIERS. m. (Hist. nat. bot.) genipa, genre de plante observé par le P. Plumier ; la fleur est monopétale, campaniforme, évasée ; il sort du calice un pistil qui entre dans la partie postérieure de la fleur ; le calice devient un fruit qui a ordinairement la figure d'un oeuf, qui est charnu & partagé en deux sortes de loges, & qui renferme des semences plates pour l'ordinaire. Tournef. rei herb. appendix. Voyez PLANTE. (I)


GENISTELLES. f. genistella, (Hist. nat. bot.) genre de plante qui differe du genêt en ce que ses feuilles naissent l'une de l'autre, & sont comme articulées ensemble. Tournef. inst. rei herb. & élémens de Botanique. Voyez PLANTE. (I)


GENITA-MANA(Mythol.) déesse qui présidoit aux enfantemens ; les Romains lui sacrifioient un chien, comme les Grecs en sacrifioient un à Hécate. On faisoit à cette déesse une priere conçue en termes fort singuliers : on lui demandoit la faveur que de ce qui naîtroit dans la maison rien ne devînt bon. Plutarque dans ses questions romaines, quest. 52, donne deux explications de cette façon de parler énigmatique ; l'une est de ne pas entendre la priere des personnes, mais des chiens. Alors, dit-il, l'on demandoit à la déesse que ces animaux qui naîtroient dans la maison, ne fussent pas doux & pacifiques, mais méchans & féroces ; ou bien, selon Plutarque, en appliquant la priere aux personnes, le mot devenir bon signifioit mourir ; dans ce dernier sens l'on prioit la déesse qu'aucun de ceux qui naîtroient dans la maison, ne vînt à mourir dans cette même maison. Cette derniere explication, ajoûte-t-il, ne doit pas paroître étrange à ceux qui savent que dans un certain traité de paix conclu entre les Arcadiens & les Lacédémoniens, il fut stipulé qu'on ne feroit bon, c'est-à-dire, selon Aristote, qu'on ne tueroit personne d'entre les Tégates pour les secours qu'ils auroient pû prêter aux Lacédémoniens. (D.J.)


GENITALadj. dans l'économie animale, c'est ce qui appartient à la génération. Voyez GENERATION.

Parties génitales dénotent les parties qui servent à la génération dans les deux sexes. Voyez VERGE, TESTICULE, CLITORIS, HYMEN, &c. & les Planches anatomiques.


GENITESadj. pl. pris sub. (Théolog.) c'est-à-dire engendrés ; nom qui parmi les Hébreux signifioit ceux qui descendoient d'Abraham sans aucun mélange de sang étranger, c. à. d. dont tous les ancêtres paternels & maternels étoient israëlites, & issus en droite ligne d'autres israëlites en remontant ainsi jusqu'à Abraham. Les Grecs distinguoient par le nom des genites, les Juifs nés de parens qui ne s'étoient point alliés avec les Gentils pendant la captivité de Babylone. Chambers. (G)


GÉNITIFS. m. c'est le second cas dans les langues qui en ont reçu : son usage universel est de présenter le nom comme terme d'un rapport quelconque, qui détermine la signification vague d'un nom appellatif auquel il est subordonné.

Ainsi dans lumen solis, le nom solis exprime deux idées ; l'une principale, désignée sur-tout par les premiers élemens du mot, sol, & l'autre accessoire, indiquée par la terminaison is : cette terminaison présente ici le soleil comme le terme auquel on rapporte le nom appellatif lumen (la lumiere), pour en déterminer la signification trop vague par la relation de la lumiere particuliere dont on prétend parler, au corps individuel d'où elle émane ; c'est ici une détermination fondée sur le rapport de l'effet à la cause.

La détermination produite par le génitif peut être fondée sur une infinité de rapports différens. Tantôt c'est le rapport d'une qualité à son sujet, fortitudo regis ; tantôt du sujet à la qualité, puer egregiae indolis : quelquefois c'est le rapport de la forme à la matiere, vas auri ; d'autre fois de la matiere à la forme, aurum vasis. Ici c'est le rapport de la cause à l'effet, creator mundi ; là de l'effet à la cause, Ciceronis opera. Ailleurs c'est le rapport de la partie au tout, pes montis ; de l'espece à l'individu, oppidum Antiochiae ; du contenant au contenu ; modius frumenti ; de la chose possédée au possesseur, bona civium ; de l'action à l'objet metus supplicii, &c. Par-tout le nom qui est au génitif exprime le terme du rapport ; le nom auquel il est associé en exprime l'antécédent ; & la terminaison propre du génitif annonce que ce rapport qu'elle indique est une idée déterminative de la signification du nom antécédent. Voyez RAPPORT.

Cette diversité des rapports auxquels le génitif peut avoir trait, a fait donner à ces cas différentes dénominations, selon que les uns ont fixé plus que les autres l'attention des Grammairiens. Les uns l'ont appellé possessif, parce qu'il indique souvent le rapport de la chose possédée au possesseur, praedium Terentii ; d'autres l'ont nommé patrius ou paternus, à cause du rapport du pere aux enfans, Cicero pater Tulliae : d'autres uxorius, à cause du rapport de l'épouse au mari, Hectoris Andromache. Toutes ces dénominations péchent en ce qu'elles portent sur un rapport qui ne tient point directement à la signification du génitif, & qui d'ailleurs est accidentel. L'effet général de ce cas est de servir à déterminer la signification vague d'un nom appellatif par un rapport quelconque dont il exprime le terme ; c'étoit dans cette propriété qu'il en falloit prendre la dénomination, & on l'auroit appellé alors déterminatif avec plus de fondement qu'on n'en a eu à lui donner tout autre nom. Celui du génitif a été le plus unanimement adopté, apparemment parce qu'il exprime l'un des usages les plus fréquens de ce cas ; il naît du nominatif, & il est le générateur de tous les cas obliques & de plusieurs especes de mots : c'est la remarque de Priscien même, lib. V. de casu : Genitivus, dit-il, naturale vinculum generis possidet, nascitur quidem à nominativo, generat autem omnes obliquos sequentes ; & il avoit dit un peu plus haut, Generalis videtur esse hic casus genitivus, ex quo ferè omnes derivationes, & maximè apud Graecos, solent fieri. En effet les services qu'il rend dans le système de la formation s'étendent à toutes les branches de ce système. Voyez FORMATION.

I. Dans la dérivation grammaticale, le génitif est la racine prochaine des cas obliques ; tous suivent l'analogie de sa terminaison, tous en conservent la figurative. Ainsi homo a d'abord pour génitif hom-in-is, où l'on voit o du nominatif changé en in-is ; is est la terminaison propre de ce cas, in en est la figurative ; or la figurative in demeure dans tous les cas obliques, la seule terminaison is y est changée ; hom-in-is, hom-in-i ; hom-in-em, hom-in-e, hom-ines, hom-in-um, hom-in-ibus. De même de temp-or-is, génitif de tempus, sont venus temp-or-i, temp-or-e, temp-or-a, temp-or-um, temp-or-ibus. C'est par une suite de cet usage du génitif, que ce cas a été choisi comme le signe de la déclinaison, voyez DECLINAISON. C'est le signal de ralliement qui rappelle à une même formule analogique tous les noms qui ont à ce cas la même terminaison. Il est vrai que la distinction des déclinaisons doit résulter des différences de la totalité des cas : mais ces différences suivent exactement celle du génitif, & par conséquent ce cas seul peut suffire pour caractériser les déclinaisons.

Les noms de la premiere ont le génitif singulier en ae, comme mensa (table) gén. mensae : ceux de la seconde ont le génitif en i, comme liber (livre), génit. libri. Ceux de la troisieme l'ont en is, comme pater (pere), gén. patris. Ceux de la quatrieme l'ont en ûs, comme fructus (fruit), génit. fructûs ; & ceux de la cinquieme l'ont en ei, comme dies (jour), génit. diei. On en trouve quelques-uns dont le génitif s'éloigne de cette analogie ; ce sont des noms grecs auxquels l'usage de la langue latine a conservé leur génitif originel : Andromache (Andromaque), génit. Andromaches, premiere déclinaison : Orpheus (Orphée), génit. Orphei & Orpheos, seconde déclinaison : syntaxis (syntaxe), génit. syntaxis & syntaxeos, troisieme déclinaison.

Ces exceptions sont, pour ainsi dire, les restes des incertitudes de la langue naissante. Les cas, & spécialement le génitif, n'y furent pas fixés d'abord à des terminaisons constantes, & les premieres qu'on adopta étoient greques, parce que le latin est comme un rejetton du grec ; elles s'altérerent insensiblement pour se défaire de cet air d'emprunt, & pour se revêtir des apparences de la propriété.

Ainsi as fut d'abord la terminaison du génitif de la premiere déclinaison, & l'on disoit musa, musas, comme les Doriens : outre le pater familias connu de tout le monde, on trouve encore bien d'autres traces de ce génitif dans les auteurs ; dans Ennius, dux ipse vias, pour viae ; & dans Virgile (Aenaeid. xj.) nihil ipsa, nec auras, nec sonitus memor, selon Jules Scaliger qui attribue à l'impéritie le changement d'auras en aurae. Le génitif de la premiere déclinaison fut aussi en aï, terraï, aulaï ; on lit dans Virgile, aulaï in medio, pour aulae : comme on rencontre plus d'exemples de ce génitif dans les poëtes, on peut présumer qu'ils l'ont introduit pour faciliter la mesure du vers, & qu'ils se régloient alors sur la déclinaison éolienne, où au lieu du dorien, on disoit .

Les noms des autres déclinaisons ont eu également leurs variations au génitif. On trouve plusieurs fois dans Salluste senati. Aulu-Gelle, (lib. VI. c. xvj.) nous apprend qu'on a dit senatuis, fluctuis ; & le génitif senatûs, fluctûs paroît n'en être qu'une contraction. Le génitif de dies se présente dans les auteurs sous quatre terminaisons différentes : 1°. en es, comme equites daturos illius dies paenas (Cic. pro Sext.) : 2°. en e, comme César l'avoit indiqué dans ses analogies, & comme Servius & Priscien veulent qu'on le lise dans ce vers de Virgile (j. Géorg. 208.)

Libra die somnique pares ubi fecerit horas.

3°. en ii, comme dans cet autre passage du même poëte, munera laetitiam que dii ; quod imperitiores dei legunt, dit Aulu-Gelle, lib. jx. cap. xjv. 4°. enfin en ei, & c'est la terminaison qui a prévalu.

II. Dans la dérivation philosophique le génitif est la racine génératrice d'une infinité de mots, soit dans la langue latine même, soit dans celles qui y ont puisé ; on en reconnoît sensiblement la figurative dans ses dérivés.

Ainsi du génitif des adjectifs l'on forme, à peu d'exceptions près, leurs dégrés comparatif & superlatif, en ajoûtant à la figurative de ce cas les terminaisons qui caractérisent ces degrés : docti, docti-or, docti-ssi-mus ; prudenti-s prudenti-or, prudenti-ssimus. Il en est de même des adverbes dérivés des adjectifs ; ils prennent cette figurative au positif, & la conservent dans les autres degrés : prudent-is, prudent-er, prudent-iùs, prudent-issimé.

Le génitif des noms sert à la dérivation de plusieurs especes de mots : de patris sont sortis les noms de patria, patriciatus, patratio, patronus, patrona, patruus ; les adjectifs patrius, patricius, patrimus ; l'adverbe patriè ; les verbes patrare, patrissare. On trouve même plusieurs noms dont le génitif, quant au matériel, ne differe en rien de la seconde personne du singulier du présent absolu de l'indicatif des verbes qui en sont dérivés : lex, legis ; lego, legis : dux, ducis ; duco, ducis. Quelques génitifs inusités hors de la composition, se retrouvent de même dans des verbes composés de la même racine élémentaire : tibicen, tibi-cinis ; con-cino, con-cinis ; parti-ceps, participis ; ac-cipio, ac-cipis.

Nous avons dans notre langue des mots qui viennent immédiatement d'un génitif latin ; tels sont capitaine, capitation, qui sont dérivés de capitis ; tels encore les monosyllabes, art, mort, part, sort &c. qui viennent des génitifs art-is, mort-is, part-is, sortis, dont on a seulement supprimé la terminaison latine. De-là les dérivés simples : de capitaine, capitainerie ; d'art, artiste, artistement ; de mort, mortel, mortellement, mortalité, mortuaire ; de part, partie, partiel ; de sort, sorte, sortable, &c.

III. Dans la composition, c'est encore le génitif qui est la racine élémentaire d'une infinité de mots, soit primitifs, soit dérivés. On le voit sans aucune altération dans les composés legis-lator, legis-latio ; juris-peritus, juris-prudentia ; agri-colla, agri-cultura. On en reconnoît la figurative dans patri-monium, patro-cinium, fronti-spicium, juri-stitium ; & on la retrouve encore dans homi-cidium malgré l'altération ; hom-o, c'est le nominatif ; hom-in-is, c'est le génitif dont la figurative est in ; & la consonne n de cette figurative est retranchée pour éviter le choc trop rude des deux consonnes n c, mais i est resté.

Nous appercevons sensiblement la même influence dans les mots composés de notre langue, qui ne sont pour la plûpart que des mots latins terminés à la françoise ; patri-moine, légis-lateur, légis-lation, jurisconsulte, juris-prudence, agri-culture, frontis-pice, homi-cide : & l'analogie nous a naturellement conduits à conserver les droits de ce génitif dans les mots que nous avons composés par imitation ; part-ager, as-sort-ir, res-sort-ir, &c.

On voit par ce détail des services du génitif dans la génération des mots, que le nom qu'on lui a donné le plus unanimement a un juste fondement ; quoiqu'il n'exprime pas l'espece de service pour lequel il paroît que ce cas a été principalement institué, je veux dire la détermination du sens vague du nom appellatif auquel il est subordonné.

C'est pour cela qu'en latin il n'est jamais construit qu'avec un nom appellatif, quoiqu'on rencontre souvent des locutions où il paroît lié à d'autres mots : mais on retrouve aisément par l'ellipse le nom appellatif auquel se rapporte le génitif.

I. Il est quelquefois à la suite d'un nom propre ; Terentia Ciceronis, supp. uxor ; Sophia Septimi, supp. filia.

II. D'autres fois il suit quelqu'un de ces adjectifs présentés sous la terminaison neutre, & réputés pronoms par la foule des Grammairiens ; ad id locorum, c'est-à-dire ad id punctum locorum ; quid rei est ? c'est-à-dire quod momentum rei est ?

III. Souvent il paroît modifier toute autre adjectif dont le corrélatif est exprimé ou supposé : plenus vini, lassus viarum, supp. de copiâ vini, de labore viarum. C'est la même chose après le comparatif & le superlatif ; fortior manuum, primus ou doctissimus omnium, supp. è numero manuum, è numero omnium.

IV. Plus souvent encore le génitif est à la suite d'un verbe, & les méthodistes énoncent expressément qu'il en est le régime ; c'est une erreur, il ne peut l'être en latin que d'un nom appellatif, & l'ellipse le ramene à cette construction. Il est aisé de le vérifier sur des exemples qui réuniront à-peu-près tous les cas. Est regis, c'est-à-dire est officium regis. Refert Caesaris, c'est-à-dire refert ad rem Caesaris, comme Plaute a dit (in Pers.). Quid id ad me aut ad meam rem refert ? Interest reipublicae ; est inter negotia, est inter commoda reipublicae. Manet Romae, c'est-à-dire manet in urbe Romae.

On trouve communément le génitif après les verbes poenitere, pudere, pigere, taedere, miserere ; & les rudimentaires disent que ces verbes sont impersonnels, que leur nominatif se met à l'accusatif, & leur régime au génitif. Il est aisé d'appercevoir les absurdités que renferme cette décision : nous ferons voir au mot IMPERSONNEL, que ces verbes sont réellement personnels, & que leur sujet doit être au nominatif quand on l'exprime. Nous allons montrer ici que leur prétendu régime au génitif est le régime déterminatif du nom qui leur sert de sujet ; & que ce qu'on envisage ordinairement comme leur sujet sous la dénomination ridicule de nominatif, est véritablement leur régime objectif.

On lit dans Plaute (Stich. in arg.) & me quidem haec conditio nunc non poenitet : il est évident que haec conditio est le sujet de poenitet, & que me en est le régime objectif ; & l'on pourroit rendre littéralement ces mots me haec conditio non poenitet, par ceux-ci : cette condition ne me peine point, ne me fait aucune peine ; c'est le sens littéral de ce verbe dans toutes les circonstances. Cet exemple nous indique le moyen de ramener tous les autres à l'analogie commune, en suppléant le sujet sousentendu de chaque verbe : poenitet me facti veut dire conscientia facti poenitet me, le sentiment intérieur de mon action me peine.

Pareillement dans cette phrase de Cicéron (pro domo), ut me non solum pigeat stultitiae meae, sed etiam pudeat ; c'est tout simplement, ut conscientia stultitiae meae non solum pigeat, sed etiam pudeat me.

Dans celle-ci, sunt homines quos infamiae suae neque pudeat neque taedeat (2. verr.) ; suppléez turpitudo, & vous aurez la construction pleine : sunt homines quos turpitudo infamiae suae neque pudeat neque taedeat.

De même dans cette autre qui est encore de Cicéron, miseret me infelicis familiae ; suppléez sors, & vous aurez cette phrase complete , sors infelicis familiae miseret me.

On voit donc que les mots facti, stultitiae, infamiae, familiae, ne sont au génitif dans ces phrases, que parce qu'ils sont les déterminatifs des noms conscientia, turpitudo, sors, qui sont les sujets des verbes ;

Le génitif se construit encore avec d'autres verbes ; quanti emisti ? c'est-à-dire, pro re quanti pretii emisti ? Cicéron (Attic. viij.) parlant de Pompée, dit facio pluris omnium hominum neminem ; c'est comme s'il avoit dit, facio neminem ex numero omnium hominum virum pluris momenti : c'est la même chose du passage de Térence (in Phorm.) meritò te semper maximi feci, c'est-à-dire virum maximi momenti. Mais si le régime objectif est le nom d'une chose inanimée, le nom appellatif qu'il faut suppléer, c'est res ; illos scelestos qui tuum fecerunt fanum parvi (Plaut. in Rudent.), c'est-à-dire, qui tuum fecerunt fanum rem parvi pretii. Accusare furti, c'est accusare de crimine furti ; condemnare capitis, c'est condemnare ad poenam capitis. Oblivisci, recordari, meminisse alicujus rei ; suppléez memoriam alicujus rei ; c'est ce même nom qu'il faut sous-entendre dans cette phrase de Cicéron & dans les pareilles, tibi tuarum virtutum veniat in mentem (de orat. ij. 61.) suppléez memoria.

V. Quand on trouve un génitif avec un adverbe, il n'y a qu'à se rappeller que l'adverbe a la valeur d'une préposition avec son complément, voyez ADVERBE ; & que ce complément est un nom appellatif : en décomposant l'adverbe, on retrouvera l'analogie. Ubi terrarum, décomposez ; in quo loco terrarum : nusquam gentium, c'est-à-dire in nullo loco gentium.

Il faut remarquer ici qu'on ne doit pas chercher par cette voie l'analogie du génitif, après certains mots que l'on prend mal-à-propos pour les adverbes de quantité, tels que parum, multum, plus, minus, plurimum, minimum, satis, &c. ce sont de vrais adjectifs employés sans un nom exprimé, & souvent comme complément d'une préposition également sousentendue : dans ce second cas, ils font l'office de l'adverbe : mais par-tout le génitif qui les accompagne est le déterminatif du nom leur corrélatif ; satis nivis, c'est copia satis nivis, ou copia conveniens nivis. De l'adjectif satis vient satior.

VI. Enfin on rencontre quelquefois le génitif à la suite d'une préposition ; il se rapporte alors au complément de la préposition même qui est sous-entendue. Ad Castoris, suppléez aedem ; ex Apollodori (Cic.) suppléez chronicis ; labiorum tenùs, suppléez extremitate.

Nous nous sommes un peu étendus sur ces phrases elliptiques ; premierement, parce que le génitif qui est ici notre objet principal, y paroissant employé d'une autre maniere que sa destination originelle ne semble le comporter, il étoit de notre devoir de montrer que ce ne sont que des écarts apparens, & que les assertions contraires des méthodistes sont fausses & fort éloignées du vrai génie de la langue latine : en second lieu, parce que nous regardons la connoissance des moyens de suppléer l'ellipse, comme une des principales clés de cette langue.

On doit être suffisamment convaincu par tout ce qui précede, que le génitif fait l'office de déterminatif à l'égard du nom auquel il est subordonné : mais il faut bien se garder de conclure que ce soit le seul moyen qu'on puisse employer pour cette détermination. Il faut bien qu'il y en ait d'autres dans les langues dont les noms ne reçoivent pas les inflexions appellées cas.

En françois on remplace assez communément la fonction du génitif latin par le service de la préposition de, qui par le vague de sa signification semble exprimer un rapport quelconque ; ce rapport est spécifié dans les différentes occurrences (qu'on nous permette les termes propres) par la nature de son antécédent & de son conséquent. Le créateur de l'univers, rapport de la cause à l'effet : les écrits de Cicéron, rapport de l'effet à la cause : un vase d'or ; rapport de la forme à la matiere : l'or de ce vase, rapport de la matiere à la forme, &c. En hébreu, on employe des préfixes, sortes de prépositions inséparables, dont quelqu'une est spécialement déterminative d'un terme antécédent. Chaque langue a son génie & ses ressources.

La langue latine elle-même n'est pas tellement restrainte à son génitif déterminatif, qu'elle ne puisse remplir les mêmes vûes par d'autres moyens : Evandrius ensis, c'est la même chose qu'ensis Evandri ; liber meus, c'est liber mei, liber pertinens ad me ; domus regia, c'est domus regis. On voit que le rapport de la chose possédée au possesseur, s'exprime par un adjectif véritablement dérivé du nom du possesseur, mais qui s'accorde avec le nom de la chose possédée ; parce que le rapport d'appartenance est réellement en elle & s'identifie avec elle.

Le rapport de l'espece à l'individu, n'est pas toûjours annoncé par le génitif : souvent le nom propre déterminant est au même cas que le nom appellatif déterminé, urbs Roma, flumen Sequana, mons Parnassus, &c. Mais cette concordance ne doit pas s'entendre comme le commun des Grammairiens l'expliquent : urbs Roma ne signifie point, comme on l'a dit Roma quae est urbs ; c'est au contraire urbs quae est Roma ; urbs est déterminé par les qualités individuelles renfermées dans la signification du mot Roma. Il y a précisément entre urbs Romae & urbs Roma, la même différence qu'entre vas auri & vas aureum ; aureum est un adjectif, Roma en fait la fonction ; l'un & l'autre est déterminatif d'un nom appellatif, & c'est la fonction commune des adjectifs relativement aux noms. N'est-il pas en effet plus que vraisemblable que les noms propres Asia, Africa, Hispania, Gallia, &c. sont des adjectifs dont le substantif commun est terra ; que annularis, auricularis, index, &c. noms propres des doigts, se rapportent au substantif commun digitus ? Quand on veut donc interpréter l'apposition, & rendre raison de la concordance des cas, c'est le nom propre qu'il faut y considérer comme adjectif, parce qu'il est déterminant d'un nom appellatif. Voyez APPOSITION.

La langue latine a encore une maniere qui lui est propre, de déterminer un nom appellatif d'action par le rapport de cette action à l'objet ; ce n'est pas en mettant le nom de l'objet au génitif, c'est en le mettant à l'accusatif. Alors le nom déterminé est tiré du supin du verbe qui exprime la même action ; & c'est pour cela qu'on le construit comme son primitif avec l'accusatif. Ainsi, au lieu de dire, quid tibi hujus cura est rei ? Plaute dit ; qui tibi hanc curatio est rem ?

Nous avons vû jusqu'ici la nature, la destination générale, & les usages particuliers du génitif ; n'en dissimulons pas les inconvéniens. Il détermine quelquefois en vertu du rapport d'une action au sujet qui la produit, quelquefois aussi en vertu du rapport de cette action à l'objet ; c'est une source d'obscurités dans les auteurs latins.

Est-il aisé, par exemple, de dire ce qu'on entend par amor Dei ? La question paroîtra singuliere au premier coup-d'oeil ; tout le monde répondra que c'est l'amour de Dieu : mais c'est en françois la même équivoque ; car il restera toûjours à savoir si c'est amor Dei amantis ou amor Dei amati. Il faut avoüer que ni l'expression françoise ni l'expression latine n'en disent rien. Mais mettez ces mots en relation avec d'autres, & vous jugerez ensuite. Amor Dei est infinitus, c'est amor Dei AMANTIS ; amor Dei est ad salutem necessarius, c'est amor Dei AMATI.

Cette remarque amene naturellement celle-ci. Il ne suffit pas de connoître les mots & leur construction méchanique, pour entendre les livres écrits en une langue ; il faut encore donner une attention particuliere à toutes les correspondances des parties du discours, & en observer avec soin tous les effets. (E. R. M.)


GENITOIRESS. f. pl. terme d'Anatomie, qui s'entend quelquefois des testicules de l'homme, parce qu'ils contribuent à la génération. Voyez TESTICULE. (L)


GENOUS. m. (Anat.) partie du corps humain située antérieurement entre la partie supérieure de la jambe & la partie inférieure de la cuisse, l'os du genou ou la rotule. Voyez ROTULE. (L)

GENOU, (Manége, Maréchal.) partie des jambes antérieures du cheval. Elle est formée principalement de sept of d'un très-petit volume, & qui lui sont propres & particuliers. Ces of par lesquels le cubitus ou l'avant-bras se trouve joint au canon, sont disposés de maniere qu'ils composent deux rangs ; il en est quatre au premier, & trois au second ; ils semblent néanmoins, attendu l'intimité de leur union qui est affermie par de forts ligamens, ne faire ensemble qu'un seul corps, à l'exception de l'un de ceux du premier rang qui paroît être détaché des autres, & d'où resulte une éminence en-arriere. Il sert d'attache à un ligament considérable qui se fixe encore & d'une autre part, à la partie supérieure du canon & aux petits osselets opposés à ce dernier os. De-là l'arcade ligamenteuse qui livre passage aux tendons fléchisseurs du pié, & à laquelle le petit of détaché dont il s'agit contribue, vû une sinuosité considérable que l'on observe à sa partie interne. Cet assemblage de petites pieces osseuses ne peut que rendre cette articulation extrêmement libre & mobile.

En la considérant extérieurement, on doit observer d'abord que la beauté de sa conformation dépend de la régularité de sa proportion avec la jambe. Il faut encore remarquer que la rondeur & l'enflure de cette partie annoncent presque toûjours des jambes travaillées ; il en est de même lorsqu'elle se trouve dénuée de poils dans sa partie antérieure. Si néanmoins l'animal s'est couronné en tombant, & si la chûte du poil ne peut point être attribuée à quelques accidens extraordinaires, ou à quelques heurts dans l'écurie, contre l'auge, ou ailleurs, contre un corps dur quelconque.

Souvent aussi on apperçoit une sorte d'inégalité dans l'une des portions latérales du genou, plus communément en-dedans qu'en-dehors, & à mesure de son union avec le canon. Cette inégalité est une tumeur du canon même désignée par le nom d'osselet, & dont les suites & les progrès ne peuvent être que funestes, puisqu'elle tend à détruire le mouvement articulaire, & à mettre le cheval hors d'état de servir.

Tout genou qui n'est pas effacé, c'est-à-dire, sur lequel l'os de l'avant-bras ne tombe pas perpendiculairement, est véritablement défectueux. Dans cet état l'animal est dit arqué ou brassicourt ; arqué, lorsque sa jambe n'est en quelque façon courbée en arc, que conséquemment à un travail excessif, annoncé d'ailleurs par son âge, & par une infinité de maux qu'un exercice violent & outré peut tirer & produire ; brassicourt, lorsque cette difformité lui est naturelle. Ce défaut est plus essentiel dans le premier que dans le second ; car l'un est entierement ruiné, mais il faut convenir aussi à l'égard de l'autre, que vû cette fausse position du genou, la jambe perd considérablement de la force qu'elle auroit dans une situation perpendiculaire.

Il est de plus des chevaux dont les genoux se rapprochent, & sont extrêmement serrés l'un contre l'autre, tandis que leurs piés demeurent écartés. Ces sortes de genoux sont appellés genoux de boeuf, & ce vice doit toûjours être imputé à la nature.

Enfin il n'arrive que trop fréquemment en-arriere & dans le pli de cette articulation, des especes de crevasses que l'on nomme tantôt malandres, tantôt rapes. Quelquefois la partie la plus subtile de l'humeur qui y donne lieu s'étant évaporée & dissipée par la voie de la suppuration, la partie la plus grossiere se durcit, forme une espece de tumeur capable d'embarrasser & de gêner le mouvement, assez douloureuse pour occasionner une claudication. Voyez MALANDRES &
GENOU' a>RAPES (e)

GENOU
, (Manége) Expression par laquelle nous désignons le pli ou la courbure que l'on donne quelquefois aux branches du mors en-avant, & entre le coude & la gargouille. C'est ordinairement dans la partie la plus éminente de cette courbure, que l'oeil destiné à recevoir par un touret la chainette la plus élevée, se trouve placé. Voyez MORS. (e)

GENOU (Marine) ce sont des pieces de bois trèscourbes qui s'empatent sur les varangues & fourcats, c'est-à-dire que le genou est placé à la moitié de sa longueur sur le côté de la varangue, où il est assujetti par des forts clous rivés qui percent toute l'épaisseur de la varangue & des genoux ; ainsi la varangue est allongée de la moitié de la longueur du genou, qui prolonge verticalement le contour du vaisseau.

On distingue ces pieces en genoux de fond & genoux de revers.

Les genoux de fond s'assemblent sur les varangues de fond, de façon qu'ayant leur convexité au-dehors du vaisseau, ils en augmentent les capacités.

Les genoux de revers sont assemblés sur les varangues acculées & sur les fourcats ; mais comme leur convexité est en-dedans du vaisseau, ils en diminuent la capacité. Voyez Pl. V. fig. 1. les genoux cotés 27. & dans la Pl. IV. fig. 1. cotés 27. Voyez aussi Pl. VI. fig. 65. la forme de cette piece de bois qui dans les vaisseaux du premier rang doit avoir un pié deux ou trois pouces d'épaisseur sur le droit. (Z)

GENOU, s. m. (Hydr.) est la partie au-dessous d'un niveau qui le soûtient, & qui sert à le monter au moyen des douilles où se forment de longs bâtons ferrés. Voyez DOUILLES & GENOU (Arts.) (K)

GENOU, (Econom. rustiq.) se dit en parlant des grains tels que le blé, l'avoine & autres ; ce sont des noeuds qui se voyent le long de leurs tiges & qui servent beaucoup à les faire croître, & à leur donner assez de force pour se soûtenir. (K)

* GENOU, s. m. (Arts méchaniques) espece d'assemblage de pieces de fer, de cuivre, de bois, &c. dont le nom a été pris de la nature du mouvement des pieces assemblées. Si un corps concave est fixe & se meut sur un corps convexe emboîté dans sa cavité, ces corps sont assemblés & se meuvent à genou. Quelquefois on limite ce mouvement ; en d'autres occasions on lui laisse toute l'étendue qu'il peut avoir. Le mouvement à genou est très-doux, & l'arrêt en est solide, parce qu'il dépend de l'application exacte de deux surfaces.


GENOUILLERES. f. (Art. milit.) dans l'artillerie est la partie basse de l'embrasure d'une batterie : elle a depuis la plate-forme jusqu'à l'ouverture de l'embrasure deux piés & demi de haut, & même jusqu'à trois piés. Elle se trouve immédiatement sous la volée de la piece ; son épaisseur qui est un fascinage, est la même que celle des merlons & le reste de l'épaulement. Elle se nomme genouillere, parce qu'elle se trouve à-peu-près à la hauteur du genou. Voyez BATTERIE. (Q)

GENOUILLERE, en terme de Bottier, c'est la partie d'une botte qui surpasse la tige, & enferme le genou. Il y en a de plusieurs formes, qui tirent leur nom de la chose à laquelle elles ressemblent le plus, comme à chaudrons, à bonnets, &c. Voyez nos Planches & leur explication.

GENOUILLERE, (Artifice) les genouilleres sont pour l'artifice d'eau, ce que les serpenteaux sont pour l'artifice d'air ; on les employe à garnir les pots à feu, les ballons d'eau & les barrils de trompe ; on les nomme aussi dauphins & canards ; leur effet est de serpenter sur l'eau, de s'élancer à plusieurs reprises en l'air, & de finir par éclater avec bruit. On donne aux cartouches la longueur de neuf diametres intérieurs, non compris la gorge, & on les charge sur une pointe de culot qui ait d'épaisseur le quart du même diametre. Après trois charges de composition, on y met une demi-charge de poussier, & ainsi en continuant de trois charges en trois charges, & lorsqu'on a atteint la hauteur du septieme diametre, on frappe un tampon sur la composition, on le perce avec le poinçon à arrêt, on met un peu de poussier dans le trou, & on y verse de la poudre grainée ce qu'il en peut tenir, en réservant de la place pour un tampon dont on la couvre, & pour l'étranglement. On attache ensuite le fourreau sur ce même bout de la fusée ; c'est un cartouche vuide fort mince, de même grosseur que la fusée, & fermé par un bout, soit par un étranglement, soit par un rond de carton collé dessus ; on le découpe par l'autre bout en plusieurs languettes, on fait entrer la fusée dans cette partie découpée qui sert à couder le fourreau : cette coudure doit former un angle d'environ cinquante degrés, on le lie dessus avec de gros fil, & on colle une bande de papier sur la ligature ; le fourreau, non compris la ligature, doit avoir de longueur la moitié de celle du cartouche, on les engorge & on les amorce comme les jets.

Tout artifice d'eau doit être enduit de suif pour empêcher l'eau de le pénétrer. On fait fondre du suif, & avec un gros pinceau de poil de porc, on en couvre entierement les genouilleres, elles sont alors en état d'être employées en garnitures ou d'être tirées à la main.

Le fourreau sert à soutenir sur l'eau la partie sur laquelle il est attaché ; quant à la gorge elle est soûtenue par le vuide qui se fait dans la fusée à mesure que la matiere enflammée en sort, la coudure du fourreau leur donne un mouvement inégal & tortueux, & le poussier dont on a mis une demi-charge, après trois charges de composition, les fait élancer en l'air, lorsque le feu parvient à cette matiere. Manuel de l'artificier.


GENRES. m. terme de Grammaire. Genre ou classe, dans l'usage ordinaire, sont à-peu-près synonymes, & signifient une collection d'objets réunis sous un point de vûe qui leur est commun & propre : il est assez naturel de croire que c'est dans le même sens que le mot genre a été introduit d'abord dans la Grammaire, & qu'on n'a voulu marquer par ce mot qu'une classe de noms réunis sous un point de vûe commun qui leur est exclusivement propre. La distinction des sexes semble avoir occasionné celle des genres pris dans ce sens, puisqu'on a distingué le genre masculin & le genre féminin, & que ce sont les deux seuls membres de cette distribution dans presque toutes les langues qui en ont fait usage. A s'en tenir donc rigoureusement à cette considération, les noms seuls des animaux devroient avoir un genre ; les noms des mâles seroient du genre masculin ; ceux des femelles, du genre féminin : les autres noms ou ne seroient d'aucun genre relatif au sexe, ou ce genre n'auroit au sexe qu'un rapport d'exclusion, & alors le nom de genre neutre lui conviendroit assez : c'est en effet sous ce nom que l'on désigne le troisieme genre, dans les langues qui en ont admis trois.

Mais il ne faut pas s'imaginer que la distinction des sexes ait été le motif de cette distribution des noms ; elle n'en a été tout-au-plus que le modele & la regle jusqu'à un certain point ; la preuve en est sensible. Il y a dans toutes les langues une infinité de noms ou masculins ou féminins, dont les objets n'ont & ne peuvent avoir aucun sexe, tels que les noms des êtres inanimés & les noms abstraits qu'il est si facile & si ordinaire de multiplier : mais la religion, les moeurs, & le génie des différens peuples fondateurs des langues, peuvent leur avoir fait appercevoir dans ces objets des relations réelles ou feintes, prochaines ou éloignées, à l'un ou à l'autre des deux sexes ; & cela aura suffi pour en rapporter les noms à l'un des deux genres.

Ainsi les Latins, par exemple, dont la religion fut décidée avant la langue, & qui admettoient des dieux & des déesses, avec la conformation, les foiblesses & les fureurs des sexes, n'ont peut-être placé dans le genre masculin les noms communs & les noms propres des vents, ventus, Auster, Zephyrus, &c. ceux des fleuves, fluvius, Garumna, Tiberis, &c. les noms aer, ignis, sol, & une infinité d'autres, que parce que leur mythologie faisoit présider des dieux à la manutention de ces êtres. Ce seroit apparemment par une raison contraire qu'ils auroient rapporté au genre féminin les noms abstraits des passions, des vertus, des vices, des maladies, des sciences, &c. parce qu'ils avoient érigé presque tous ces objets en autant de déesses, ou qu'ils les croyoient sous le gouvernement immédiat de quelque divinité femelle.

Les Romains qui furent laboureurs dès qu'ils furent en société politique, regardent la terre & ses parties comme autant de meres qui nourrissoient les hommes. Ce fut sans-doute une raison d'analogie pour déclarer féminins les noms des régions, des provinces, des îles, des villes, &c.

Des vûes particulieres fixerent les genres d'une infinité d'autres noms. Les noms des arbres sauvages, oleaster, pinaster, &c. furent regardés comme masculins, parce que semblables aux mâles, ils demeurent en quelque sorte stériles, si on ne les allie avec quelque autre espece d'arbres fruitiers. Ceux-ci au contraire portent en eux-mêmes leurs fruits comme des meres ; leurs noms dûrent être féminins. Les minéraux & les monstres sont produits & ne produisent rien ; les uns n'ont point de sexe, les autres en ont envain : de-là le genre neutre pour les noms metallum, aurum, aes, &c. & pour le nom monstrum, qui est en quelque sorte la dénomination commune des crimes stuprum, furtum, mendacium, &c. parce qu'on ne doit effectivement les envisager qu'avec l'horreur qui est dûe aux monstres, & que ce sont des vrais monstres dans l'ordre moral.

D'autres peuples qui auront envisagé les choses sous d'autres aspects, auront réglé les genres d'une maniere toute différente ; ce qui sera masculin dans une langue sera féminin dans une autre : mais décidés par des considérations purement arbitraires, ils ne pourront tous établir pour leurs genres que des regles sujettes à quantité d'exceptions. Quelques noms seront d'un genre par la raison du sexe, d'autres à cause de leur terminaison, un grand nombre par pur caprice ; & ce dernier principe de détermination se manifeste assez par la diversité des genres attribués à un même nom dans les divers âges de la même langue, & souvent dans le même âge. Alvus en latin avoit été masculin dans l'origine, & devint ensuite féminin ; en françois navire, qui étoit autrefois féminin, est aujourd'hui masculin ; duché est encore masculin ou féminin.

Ce seroit donc une peine inutile, dans quelque langue que ce fût, que de vouloir chercher ou établir des regles propres à faire connoître les genres des noms : il n'y a que l'usage qui puisse en donner la connoissance ; & quand quelques-uns de nos grammairiens ont suggéré comme un moyen de reconnoître les genres, l'application de l'article le ou la au nom dont est question, ils n'ont pas pris garde qu'il falloit déjà connoître le genre de ces noms pour y appliquer avec justesse l'un ou l'autre de ces deux articles.

Mais ce qu'il y a d'utile à remarquer sur les genres, c'est leur véritable destination dans l'art de la parole, leur vraie fonction grammaticale, leur service réel : car voilà ce qui doit en constituer la nature & en fixer la dénomination. Or un simple coup-d'oeil sur les parties du discours assujetties à l'influence des genres, va nous en apprendre l'usage, & en même tems le vrai motif de leur institution.

Les noms présentent à l'esprit les idées des objets considérés comme étant ou pouvant être les sujets de diverses modifications, mais sans aucune attention déterminée à ces modifications. Les modifications elles-mêmes peuvent être les sujets d'autres modifications ; & envisagées sous ce point de vûe, elles ont aussi leurs noms comme les substances.

Les adjectifs présentent à l'esprit la combinaison des modifications avec leurs sujets : mais en déterminant précisement la modification renfermée dans leur valeur, ils n'indiquent le sujet que d'une maniere vague, qui leur laisse la liberté de s'adapter aux noms de tous les objets susceptibles de la même modification : un grand chapeau, une grande difficulté, &c.

Pour rendre sensible par une application décidée, le rapport vague des adjectifs aux noms, on leur a donné dans presque toutes les langues les mêmes formes accidentelles qu'aux noms mêmes, afin de déterminer par la concordance des terminaisons, la corrélation des uns & des autres. Ainsi les adjectifs ont des nombres & des cas comme les noms, & sont comme eux assujettis à des déclinaisons, dans les langues qui admettent cette maniere d'exprimer les rapports des mots. C'est pour rendre la corrélation des noms & des adjectifs plus palpable encore, qu'on a introduit dans ces langues la concordance des genres, dont les adjectifs prennent les différentes livrées selon l'exigence des conjonctures & l'état des noms au service desquels ils sont assujettis.

Les verbes servent aussi, à leur façon, pour présenter à l'esprit la combinaison des modifications avec leurs sujets ; ils en expriment avec précision telle ou telle modification ; ils n'indiquent pareillement le sujet que d'une maniere vague qui leur laisse aussi la liberté de s'adapter aux noms de tous les objets susceptibles de la même modification : Dieu veut, les rois veulent, nous voulons, vous voulez, &c.

En introduisant donc dans les langues l'usage des genres, on a pû revêtir les verbes de terminaisons relatives à cette distinction, afin d'ôter à leur signification l'équivoque d'une application douteuse au sujet auquel elle a rapport : c'est une conséquence que les Orientaux ont sentie & appliquée dans leurs langues, & dont les Grecs, les Latins, & nous-mêmes n'avons fait usage qu'à l'égard des participes, apparemment parce qu'ils rentrent dans l'ordre des adjectifs.

C'est donc d'après ces usages constatés, & d'après les observations précédentes, que nous croyons que par rapport aux noms, les genres ne sont que les différentes classes dans lesquelles on les a rangés assez arbitrairement, pour servir à déterminer le choix des terminaisons des mots qui ont avec eux un rapport d'identité ; & dans les mots qui ont avec eux ce rapport d'identité, les genres sont les diverses terminaisons qu'ils prennent dans le discours relativement à la classe des noms leurs corrélatifs. Ainsi parce qu'il a plu à l'usage de la langue latine, que le nom vir fût du genre masculin, que le nom mulier fut du genre féminin, & que le nom carmen fût du genre neutre ; il faut que l'adjectif prenne avec le premier la terminaison masculine, vir pius ; avec le second, la terminaison féminine, mulier pia ; & avec le troisieme, la terminaison neutre, carmen pium : pius, pia, pium, c'est le même mot sous trois terminaisons différentes, parce que c'est la même idée rapportée à des objets dont les noms sont de trois genres différens.

Il nous semble que cette distinction des noms & des adjectifs est absolument nécessaire pour bien établir la nature & l'usage des genres : mais cette nécessité ne prouve-t-elle pas que les noms & les adjectifs sont deux especes de mots, deux parties d'oraison réellement différentes ? M. l'abbé Fromant, dans son supplément aux ch. ij. iij. & jv. de la II. partie de la Grammaire générale, décide nettement contre M. l'abbé Girard, que faire du substantif & de l'adjectif deux parties d'oraison différentes, ce n'est pas là poser de vrais principes. Ce n'est pas ici le lieu de justifier ce système ; mais nous ferons observer à M. Fromant, que M. du Marsais lui-même, dont il paroît admettre la doctrine sur les genres, a été contraint, comme nous, de distinguer entre substantif & adjectif, pour poser de vrais principes, au-moins à cet égard. On ne manquera pas de répliquer que les substantifs & les adjectifs étant deux especes différentes de noms, il n'est pas surprenant qu'on distingue les uns des autres ; mais que cette distinction ne prouve point que ce soient deux parties d'oraison différentes. " Car, dit M. Fromant, comme tout adjectif uniquement employé pour qualifier, est nécessairement uni à son substantif, pour ne faire avec lui qu'un seul & même sujet du verbe, ou qu'un seul & même régime, soit du verbe soit de la préposition : comme on ne conçoit pas qu'une substance puisse exister dans la nature sans être revêtue d'un mode ou d'une propriété : comme la propriété est ce qui est conçu dans la substance, ce qui ne peut subsister sans elle, ce qui la détermine à être d'une certaine façon, ce qui la fait nommer telle ; un grammairien vraiment logicien voit que l'adjectif n'est qu'une même chose avec le substantif ; que par conséquent ils ne doivent faire qu'une même partie d'oraison ; que le nom est un mot générique qui a sous lui deux sortes de noms, savoir le substantif & l'adjectif ".

Un logicien attentif doit voir & avoüer toutes les conséquences de ses principes ; mettons donc à l'épreuve la fécondité de celui qu'on avance ici. Tout verbe est nécessairement uni à son sujet, pour ne faire avec lui qu'un seul & même tout ; il exprime une propriété que l'on conçoit dans le sujet, qui ne peut subsister sans le sujet, qui détermine le sujet à être d'une certaine façon, & qui le fait nommer tel : un grammairien vraiment logicien doit donc voir que le verbe n'est qu'une même chose avec le sujet. On l'a vû en effet, puisque l'un est toûjours en concordance avec l'autre, & sur le même principe qui fonde la concordance de l'adjectif avec le substantif, le principe même d'identité approuvé par M. Fromant : le verbe & le substantif ne doivent donc faire aussi qu'une même partie d'oraison. Conséquence absurde qui dévoile ou la fausseté ou l'abus du principe d'où elle est déduite ; mais elle en est déduite par les mêmes voies que celle à laquelle nous l'opposons, pour détruire, ou du-moins pour contre-balancer l'une par l'autre ; ce qui suffit actuellement pour la justification du parti que nous avons pris sur les genres. Nous renverrons à l'article NOM, les éclaircissemens nécessaires à la distinction des noms & des adjectifs. Reprenons notre matiere.

C'est à la grammaire particuliere de chaque langue, à faire connoître les terminaisons que le bon usage donne aux adjectifs, relativement aux genres des noms leurs corrélatifs ; & c'est de l'habitude constante de parler une langue qu'il faut attendre la connoissance sûre des genres auxquels elle rapporte les noms mêmes. Le plan qui nous est prescrit ne nous permet aucun détail sur ces deux objets. Cependant M. du Marsais a donné de bonnes observations sur les genres des adjectifs. Voyez ADJECTIF. Nous allons seulement faire quelques remarques générales sur les genres des noms & des pronoms.

Parmi les différens noms qui expriment des animaux ou des êtres inanimés, il y en a un très-grand nombre qui sont d'un genre déterminé : entre les noms des animaux, il s'en trouve quelques-uns qui sont du genre commun, d'autres qui sont du genre épicene : & parmi les noms des êtres inanimés, quelques-uns sont douteux, & quelques autres hétérogenes. Voilà autant de termes qu'il convient d'expliquer ici pour faciliter l'intelligence des grammaires particulieres où ils sont employés.

I. Les noms d'un genre déterminé sont ceux qui sont fixés déterminément & immuablement, ou au genre masculin, comme pater & oculus, ou au genre féminin, comme soror & mensa, ou au genre neutre, comme mare & templum.

II. A l'égard des noms d'hommes & d'animaux, la justesse & l'analogie exigeroient que le rapport réel au sexe fût toûjours caractérisé ou par des mots différens, comme en latin aries & ovis, & en françois bélier & brebis ; ou par les différentes terminaisons d'un même mot, comme en latin lupus & lupa, & en françois loup & louve. Cependant on trouve dans toutes les langues des noms, qui, sous la même terminaison, expriment tantôt le mâle & tantôt la femelle, & sont en conséquence tantôt du genre masculin, & tantôt du genre féminin : ce sont ceux-là que l'on dit être du genre commun, parce que ce sont des expressions communes aux deux sexes & aux deux genres. Tels sont en latin bos, sus, &c. on trouve bos mactatus & bos nata, sus immundus & sus pigra ; tel est en françois le nom enfant, puisqu'on dit en parlant d'un garçon, le bel enfant ; & en parlant d'une fille, la belle enfant, ma chere enfant.

On voit donc que quand on employe ces noms pour désigner le mâle, l'adjectif corrélatif prend la terminaison masculine ; & que quand on indique la femelle, l'adjectif prend la terminaison féminine : mais la précision qu'il semble qu'on ait envisagée dans l'institution des genres n'auroit-elle pas été plus grande encore, si on avoit donné aux adjectifs une terminaison relative au genre commun pour les occasions où l'on auroit indiqué l'espece sans attention au sexe, comme quand on dit l'homme est mortel ? Il ne s'agit ici ni du mâle ni de la femelle exclusivement, les deux sexes y sont compris.

III. Il y a des noms qui sont invariablement du même genre, & qui gardent constamment la même terminaison, quoiqu'on les employe pour exprimer les individus des deux sexes. C'est une autre espece d'irrégularité, opposée encore à la précision qui a donné naissance à la distinction des genres ; & cette irrégularité vient apparemment de ce que les caracteres du sexe n'étant pas, ou étant peu sensibles dans plusieurs animaux, on a décidé le genre de leurs noms, ou par un pur caprice, ou par quelque raison de convenance. Tels sont en françois les noms aigle (a), renard, qui sont toûjours masculins, & les noms tourterelle, chauve-souris, qui sont toûjours féminins pour les deux sexes. En latin au contraire, & ceci prouve bien l'indépendance & l'empire de l'usage, les noms correspondans aquila & vulpes sont toûjours féminins ; turtur & vespertilio sont toûjours masculins. Les Grammairiens disent que ces noms sont du genre épicene, mot grec composé de la préposition , suprà, & du mot , communis : les noms épicenes ont en effet comme les communs, l'invariabilité de la terminaison, & ils ont de plus celle du genre qui est unique pour les deux sexes.

Il ne faut donc pas confondre le genre commun & le genre épicene. Les noms du genre commun conviennent au mâle & à la femelle sans changement dans la terminaison ; mais on les rapporte ou au genre masculin, ou au genre féminin, selon la signification qu'on leur donne dans l'occurrence : au genre masculin ils expriment le mâle, au genre féminin la femelle ; & si on veut marquer l'espece, on les rapporte au masculin, comme au plus noble des deux genres compris dans l'espece. Au contraire les noms du genre épicene ne changent ni de terminaison ni de genre, quelque sens qu'on donne à leur signification ; vulpes au féminin signifie & l'espece, & le mâle, & la femelle.

IV. Quant aux noms des êtres inanimés, on appelle douteux ceux qui sous la même terminaison se rapportent tantôt à un genre, & tantôt à un autre : dies & finis sont tantôt masculins & tantôt féminins ; sal est quelquefois masculin & quelquefois neutre. Nous avons également des noms douteux dans notre langue, comme bronze, garde, duché, équivoque, &c.

Ce n'étoit pas l'intention du premier usage de répandre des doutes sur le genre de ces mots, quand il les a rapportés à différens genres ; ceux qui sont effectivement douteux aujourd'hui, & que l'on peut librement rapporter à un genre ou à un autre, ne sont dans ce cas que parce qu'on ignore les causes qui ont occasionné ce doute, ou qu'on a perdu de vûe les idées accessoires qui originairement avoient été attachées au choix du genre. L'usage primitif n'introduit rien d'inutile dans les langues ; & de même qu'il y a lieu de présumer qu'il n'a autorisé aucuns mots exactement synonymes, on peut conjecturer qu'aucun n'est d'un genre absolument douteux, ou que l'origine doit en être attribuée à quelque mal-entendu.

En latin, par exemple, dies avoit deux sens différens dans les deux genres : au féminin il signifioit un tems indéfini ; & au masculin, un tems déterminé, un jour. Asconius s'en explique ainsi : Dies feminino genere, tempus, & ideò diminutivè diecula dicitur breve tempus & mora : dies horarum duodecim generis masculini est, unde hodie dicimus, quasi hoc die. En effet les composés de dies pris dans ce dernier sens, sont tous masculins, meridies, sesquidies, &c. & c'est dans le premier sens que Juvenal a dit, longa dies igitur quid contulit ? c'est-à-dire longum tempus ; & Virg. (xj. Aeneid.) Multa dies, variusque labor mutabilis aevi retulit in melius. La méthode de Port-Royal remarque que l'on confond quelquefois ces différences ; & cela peut être vrai : mais nous devons observer en premier lieu, que cette confusion est un abus si l'usage constant de la langue ne l'autorise : en second lieu, que les Poëtes sacrifient quelquefois la justesse à la commodité d'une licence, ce qui amene insensiblement l'oubli des premieres vûes qu'on s'étoit proposées dans l'origine : en troisieme lieu, que les meilleurs écrivains ont égard autant qu'ils peuvent à ces distinctions délicates, si propres à enrichir une langue & à en caractériser le génie : enfin que malgré leur attention, il peut quelquefois leur échapper des fautes, qui avec le tems font autorité, à cause du mérite personnel de ceux à qui elles sont échappées.

Finis au masculin exprime les extrémités, les bornes d'une chose étendue ; redeuntes inde Ligurum extremo fine (Tite-Live lib. XXXIII.) Au féminin il désigne cessation d'être ; haec finis Priami fatorum. (Virgil. Aeneid. ij.)

Sal au neutre est dans le sens propre, & au masculin il ne se prend guere que dans un sens figuré. On trouve dans l'Eunuque de Térence, qui habet salem qui in te est ; & Donat fait là-dessus la remarque suivante : sal neutraliter, condimentum ; masculinum, pro sapientia.

En françois, bronze au masculin signifie un ouvrage de l'art, & au féminin il en exprime la matiere. On dit la garde du roi, en parlant de la totalité de ceux qui sont actuellement postés pour garder sa personne, & un garde du roi, en parlant d'un militaire aggrégé à cette troupe particuliere de sa maison, qui prend son nom de cette honorable commission. Duché & Comté n'ont pas des différences si marquées ni si certaines dans les deux genres ; mais il est vraisemblable qu'ils les ont eues, & peut-être au masculin exprimoient ils le titre, & au féminin, la terre qui en étoit décorée.

Qui peut ignorer parmi nous que le mot équivoque est douteux, & qui ne connoît ces vers de Despréaux ?

Du langage françois bizarre hermaphrodite,

De quel genre te faire équivoque maudite,

Ou maudit ? car sans peine aux rimeurs hazardeux,

L'usage encor, je crois, laisse le choix des deux.

Ces vers de Boileau rappellent le souvenir d'une note qui se trouve dans les éditions posthumes de ses oeuvres, sur le vers 91. du quatrieme chant de l'art poëtique : que votre ame & vos moeurs peintes dans vos ouvrages, &c. & cette note est très-propre à confirmer une observation que nous avons faite plus haut : on remarque donc que dans toutes les éditions l'auteur avoit mis peints dans tous vos ouvrages, attribuant à moeurs le genre masculin ; & que quand on lui fit appercevoir cette faute, il en convint sur le champ, & s'étonna fort qu'elle eût échappé pendant si long-tems à la critique de ses amis & de ses ennemis. Cette faute qui avoit subsisté tant d'années sans être apperçue, pouvoit l'être encore plûtard, & lorsqu'il n'auroit plus été tems de la corriger ; la juste célébrité de Boileau auroit pû en imposer ensuite à quelque jeune écrivain qui l'auroit copié, pour l'être ensuite lui-même par quelqu'autre, s'il avoit acquis un certain poids dans la Littérature : & voilà moeurs d'un genre douteux, à l'occasion d'une faute contre laquelle il n'y auroit eu d'abord aucune réclamation, parce qu'on ne l'auroit pas apperçue à tems.

V. La derniere classe des noms irréguliers dans le genre, est celle des hétérogenes. R. R. , autre, & , genre. Ce sont en effet ceux qui sont d'un genre au singulier, & d'un autre au pluriel.

En latin, les uns sont masculins au singulier, & neutres au pluriel, comme sibilus, tartarus, plur. sibila, tartara : les autres au contraire neutres au singulier, sont masculins au pluriel, comme coelum, elysium, plur. coeli, elysii.

Ceux-ci féminins au singulier sont neutres au pluriel, carbasus, supellex ; plur. carbasa, suppellectilia : ceux-là neutres au singulier, sont féminins au pluriel ; delicium, epulum ; plur. deliciae, epulae.

Enfin quelques-uns masculins au singulier, sont

(a) On dit cependant l'aigle romaine, mais alors il n'est pas question de l'animal : il s'agit d'une enseigne, & peut-être y a-t-il ellipse ; l'aigle romaine, au lieu de l'aigle enseigne romaine.

masculins & neutres au pluriel, ce qui les rend tout-à-la-fois hétérogenes & douteux ; jocus, locus, plur. joci & joca, loci & loca : quelques autres au contraire neutres au singulier, sont au pluriel neutres & masculins ; fraenum, rastrum ; plur. fraena & fraeni, rastra & rastri.

Balneum neutre au singulier, est au pluriel neutre & féminin ; balnea & balneae.

Cette sorte d'irrégularité vient de ce que ces noms ont eu autrefois au singulier deux terminaisons différentes, relatives sans-doute à deux genres, & vraisemblablement avec différentes idées accessoires dont la mémoire s'est insensiblement perdue ; ainsi nous connoissons encore la différence des noms féminins, malus pommier, prunus prunier, & des noms neutres malum pomme, prunum prune ; mais nous n'avons que des conjectures sur les différences des mots acinus & acinum, baculus & baculum.

Il étoit naturel que les pronoms avec une signification vague & propre à remplacer celle de tout autre nom, ne fussent attachés à aucun genre déterminé, mais qu'ils se rapportassent à celui du nom qu'ils représentent dans le discours ; & c'est ce qui est arrivé : ego en latin, je en françois, sont masculins dans la bouche d'un homme, & féminins dans celle d'une femme : ille EGO QUI quondam, &c. ast EGO QUAE divûm incedo regina, &c. je suis certain, je suis certaine. L'usage en a déterminé quelques-uns par des formes exclusivement propres à un genre distinct : ille, a, ud ; il, elle.

" Ce est souvent substantif, dit M. du Marsais, c'est le hoc des latins ; alors, quoi qu'en disent les grammairiens, ce est du genre neutre : car on ne peut pas dire qu'il soit masculin ni qu'il soit féminin ".

Ce neutre en françois ! qu'est-ce donc que les genres ? Nous croyons avoir suffisamment établi la notion que nous en avons donnée plus haut ; & il en résulte très-clairement que la langue françoise n'ayant accordé à ses adjectifs que deux terminaisons relatives à la distinction des genres, elle n'en admet en effet que deux, qui sont le masculin & le féminin ; un bon citoyen, une bonne mere.

Ce doit donc appartenir à l'un de ces deux genres ; & il est effectivement masculin, puisqu'on donne la terminaison masculine aux adjectifs corrélatifs de ce, comme CE que j'avance est CERTAIN. Quelles pouvoient donc être les vûes de notre illustre auteur, quand il prétendoit qu'on ne pouvoit pas dire de ce, qu'il fût masculin ni qu'il fût feminin ? Si c'est parce que c'est le hoc des Latins, comme il semble l'insinuer ; disons donc aussi que temple est neutre, comme templum, que montagne est masculin comme mons. L'influence de la langue latine sur la nôtre, doit être la même dans tous les cas pareils, ou plûtôt elle est absolument nulle dans celui-ci.

Nous osons espérer qu'on pardonnera à notre amour pour la vérité cette observation critique, & toutes les autres que nous pourrons avoir occasion de faire par la suite, sur les articles de l'habile grammairien qui nous a précedé : cette liberté est nécessaire à la perfection de cet ouvrage. Au surplus c'est rendre une espece d'hommage aux grands hommes que de critiquer leurs écrits : si la critique est mal fondée, elle ne leur fait aucun tort aux yeux du public qui en juge ; elle ne sert même qu'à mettre le vrai dans un plus grand jour : si elle est solide, elle empêche la contagion de l'exemple, qui est d'autant plus dangereux, que les auteurs qui le donnent ont plus de mérite & de poids ; mais dans l'un & dans l'autre cas, c'est un aveu de l'estime que l'on a pour eux ; il n'y a que les écrivains médiocres qui puissent errer sans conséquence.

Nous terminerions ici notre article des genres, si une remarque de M. Duclos, sur le chap. v. de la ij. partie de la Grammaire générale, n'exigeoit encore de nous quelques réflexions. " L'institution ou la distinction des genres, dit cet illustre académicien, est une chose purement arbitraire, qui n'est nullement fondée en raison, qui ne paroit pas avoir le moindre avantage, & qui a beaucoup d'inconvéniens ". Il nous semble que cette décision peut recevoir à certains égards quelques modifications.

Les genres ne paroissent avoir été institués que pour rendre plus sensible la corrélation des noms & des adjectifs ; & quand il seroit vrai que la concordance des nombres & celle des cas, dans les langues qui en admettent, auroient suffi pour caractériser nettement ce rapport, l'esprit ne peut qu'être satisfait de rencontrer dans la peinture des pensées un coup de pinceau qui lui donne plus de fidélité, qui la détermine plus sûrement, en un mot, qui éloigne plus infailliblement l'équivoque. Cet accessoire étoit peut-être plus nécessaire encore dans les langues où la construction n'est assujettie à aucune loi méchanique, & que M. l'abbé Girard nomme transpositives. La corrélation de deux mots souvent très-éloignés, seroit quelquefois difficilement apperçue sans la concordance des genres, qui y produit d'ailleurs, pour la satisfaction de l'oreille, une grande variété dans les sons & dans la quantité des syllabes. Voyez QUANTITE.

Il peut donc y avoir quelqu'exagération à dire que l'institution des genres n'est nullement fondée en raison, & qu'elle ne paroît pas avoir le moindre avantage ; elle est fondée sur l'intention de produire les effets mêmes qui en sont la suite.

Mais, dit-on, les Grecs & les Latins avoient trois genres ; nous n'en avons que deux, & les Anglois n'en ont point : c'est donc une chose purement arbitraire. Il faut en convenir ; mais quelle conséquence ultérieure tirera-t-on de celle-ci ? Dans les langues qui admettent des cas, il faudra raisonner de la même maniere contre leur institution, elle est aussi arbitraire que celle des genres : les Arabes n'ont que trois cas, les Allemands en ont quatre, les Grecs en ont cinq, les Latins six, & les Arméniens jusqu'à dix, tandis que les langues modernes du midi de l'Europe n'en ont point.

On repliquera peut-être que si nous n'avons point de cas, nous en remplaçons le service par celui des prépositions (voyez CAS & PREPOSITION), & par l'ordonnance respective des mots (voyez CONSTRUCTION & REGIME) ; mais on peut appliquer la même observation au service des genres, que les Anglois remplacent par la position, parce qu'il est indispensable de marquer la relation de l'adjectif au nom.

Il ne reste plus qu'à objecter que de toutes les manieres d'indiquer la relation de l'adjectif au nom, la maniere angloise est du moins la meilleure ; elle n'a l'embarras d'aucune terminaison : ni genres, ni nombres, ni cas, ne viennent arrêter par des difficultés factices, les progrès des étrangers qui veulent apprendre cette langue, ou même tendre des piéges aux nationaux, pour qui ces variétés arbitraires sont des occasions continuelles de fautes. Il faut avouer qu'il y a bien de la vérité dans cette remarque, & qu'à parler en général, une langue débarrassée de toutes les inflexions qui ne marquent que des rapports, seroit plus facile à apprendre que toute autre qui a adopté cette maniere ; mais il faut avouer aussi que les langues n'ont point été instituées pour être apprises par les étrangers, mais pour être parlées dans la nation qui en fait usage ; que les fautes des étrangers ne peuvent rien prouver contre une langue, & que les erreurs des naturels sont encore dans le même cas, parce qu'elles ne sont qu'une suite ou d'un défaut d'éducation, ou d'un défaut d'attention : enfin, que reprocher à une langue un procédé qui lui est particulier, c'est reprocher à la nation son génie, sa tournure d'idées, sa maniere de concevoir, les circonstances où elle s'est trouvée involontairement dans les différens tems de sa durée ; toutes causes qui ont sur le langage une influence irrésistible.

D'ailleurs les vices qui paroissent tenir à l'institution même des genres, ne viennent souvent que d'un emploi mal-entendu de cette institution. " En féminisant nos adjectifs, nous augmentons encore le nombre de nos e muets ". C'est une pure maladresse. Ne pouvoit-on pas choisir un tout autre caractere ? Ne pouvoit-on pas rappeller les terminaisons des adjectifs masculins à certaines classes, & varier autant les terminaisons féminines ?

Il est vrai que ces précautions, en corrigeant un vice, en laisseroient toûjours subsister un autre ; c'est la difficulté de reconnoître le genre de chaque nom, parce que la distribution qui en a été faite est trop arbitraire pour être retenue par le raisonnement, & que c'est une affaire de pure mémoire. Mais ce n'est encore ici qu'une mal-adresse indépendante de la nature intrinseque de l'institution des genres. Tous les objets de nos pensées peuvent se réduire à différentes classes : il y a les objets réels & les abstraits ; les corporels & les spirituels ; les animaux ; les végétaux, & les minéraux ; les naturels & les artificiels, &c. Il n'y avoit qu'à distinguer les noms de la même maniere, & donner à leurs corrélatifs des terminaisons adaptées à ces distinctions vraiment raisonnées ; les esprits éclairés auroient aisément saisi ces points de vûe ; & le peuple n'en auroit été embarrassé, que parce qu'il est peuple, & que tout est pour lui affaire de mémoire. (E. R. M.)

GENRE, s. m. (Métaph.) notion universelle qui se forme par l'abstraction des qualités qui sont les mêmes dans certaines especes, tout comme l'idée de l'espece se forme par l'abstraction des choses qui se trouvent semblables dans les individus. Toutes les especes de triangle se ressemblent en ce qu'elles sont composées de trois lignes qui forment trois angles ; ces deux qualités, figure de trois lignes & de trois angles, suffisent donc pour former la notion générique du triangle. Les chevaux, les boeufs, les chiens, &c. se ressemblent par les quatre piés : voilà le genre des quadrupedes qui exprime toutes ces especes.

Le genre le plus bas est celui qui ne contient sous lui que des especes, au lieu que les genres supérieurs se subdivisent en de nouveaux genres. Le chien, par exemple, se partage en plusieurs especes, épagneuls, lévriers, &c. mais comme ces especes n'ont plus que des individus sous elles, si l'on veut regarder l'idée du chien comme un genre, c'est le plus bas de tous ; au lieu que le quadrupede est un genre supérieur, dont les especes en contiennent encore d'autres, comme l'exemple du chien vient d'en fournir la preuve.

La méthode de former la notion de ces deux sortes de genres est toûjours la même, & l'on continue à réunir les qualités communes à certains genres jusqu'à-ce qu'on soit arrivé au genre suprème, à l'être ; ces qualités s'appellent déterminations génériques. Leur nombre s'accroît à mesure que le genre devient moins étendu ; il diminue lorsque le genre s'éleve : ainsi la notion d'un genre inférieur est toujours composée de celle du genre supérieur, & des déterminations qui sont propres à ce genre subalterne. Qui dit un triangle équilatéral désigne un genre inférieur ou une espece, & il exprime la notion du genre supérieur, c. à. d. du triangle ; & ensuite la nouvelle détermination qui caractérise le triangle équilateral ; c'est la raison d'égalité qui se trouve entre les trois côtés.

Les genres & les especes se déterminent par les qualités essentielles. Si l'on y faisoit entrer les modes qui sont changeans, ces notions universelles ne seroient pas fixes, & ne pourroient être appliquées avec succès ; mais comme il n'est pas toûjours possible de saisir les qualités essentielles, on a recours en physique & dans les choses de fait aux qualités qui paroissent les plus constantes aux possibilités des modes, à l'ordre & à la figure des parties ; en un mot à tout ce qui peut caracteriser les objets qu'on se propose de réduire en certaines classes.

La possibilité des genres & des especes se découvre en faisant attention à la production ou génération des choses qui sont comprises sous ces genres ou especes ; dans les êtres composés les qualités des parties & la maniere dont elles sont liées servent à déterminer les genres & les especes. Art. de M. FORMEY.

GENRE, en Géometrie : les lignes géometriques sont distinguées en genres ou ordres, selon le degré de l'équation qui exprime le rapport qu'il y a entre les ordonnées & les abscisses. Voyez COURBE & GEOMETRIQUE.

Les lignes du second ordre ou sections coniques sont appellées courbes du premier genre, les lignes du troisieme ordre courbes du second genre, & ainsi des autres.

Le mot genre s'employe aussi quelquefois en parlant des équations & des quantités différentielles ; ainsi quelques-uns appellent équations du second, du troisieme genre, &c. ce qu'on appelle aujourd'hui plus ordinairement équations du second, du troisieme degré, &c. Voyez DEGRE & EQUATION. Et on appelle aussi quelquefois différentielles du second, du troisieme genre, &c. ce qu'on appelle plus communément différentielles du second, du troisieme ordre. Voyez DIFFERENTIEL. (O)

GENRE, en Hist. nat. Lorsque l'on fait des distributions méthodiques des productions de la nature, on désigne par le mot genre les ressemblances qui se trouvent entre des objets de différentes especes ; par exemple, le cheval, l'âne & le zébre qui sont des animaux de trois différentes especes, se rapportent à un même genre, parce qu'ils se ressemblent plus les uns aux autres qu'aux animaux d'aucune autre espece ; ce genre est appellé le genre de solipedes, parce que les animaux qu'il comprend n'ont qu'un seul doigt à chaque pié : ceux au contraire qui ont le pié divisé en deux parties, comme le taureau, le bélier, le bouc, &c. sont d'un autre genre, appellé le genre des animaux à pié fourchu, parce qu'ils ont plus de rapport les uns avec les autres qu'avec les animaux solipedes, ou avec les fissipedes qui ont plus de deux doigts à chaque pié, & que l'on rassemble sous un troisieme genre : de la même façon que l'on établit des genres en réunissant des especes, on fait des classes en réunissant des genres. Les animaux solipedes, les animaux à pié fourchu & les fissipedes sont tous compris dans la classe des quadrupedes, parce qu'ils ont plus de ressemblance les uns avec les autres qu'avec les oiseaux ou les poissons qui forment deux autres classes. Voyez CLASSE, ESPECE, METHODE. (I)

GENRE, en Anatomie. Le genre nerveux, est une expression assez fréquente dans nos auteurs, & signifie les nerfs considérés comme un assemblage ou système des parties similaires distribuées par tout le corps. Voyez NERF. Le tabac contient beaucoup de sel piquant, caustique & propre à irriter le genre nerveux ; le vinaigre pris en trop grande quantité incommode le genre nerveux. Chambers.

GENRE DE STYLE, (Littérat.) Comme le genre d'exécution que doit employer tout artiste dépend de l'objet qu'il traite ; comme le genre du Poussin n'est point celui du Teniers, ni l'architecture d'un temple celle d'une maison commune, ni la musique d'un opéra tragédie celle d'un opéra bouffon : aussi chaque genre d'écrire a son style propre en prose & en vers. On sait assez que le style de l'histoire n'est point celui d'une oraison funebre, qu'une dépêche d'ambassadeur ne doit point être écrite comme un sermon ; que la comédie ne doit point se servir des tours hardis de l'ode, des expressions pathétiques de la tragédie, ni des métaphores & des comparaisons de l'épopée.

Chaque genre a ses nuances différentes ; on peut au fond les réduire à deux, le simple & le relevé. Ces deux genres qui en embrassent tant d'autres ont des beautés nécessaires qui leur sont également communes ; ces beautés sont la justesse des idées, leur convenance, l'élégance, la propriété des expressions, la pureté du langage ; tout écrit, de quelque nature qu'il soit, exige ces qualités. Les différences consistent dans les idées propres à chaque sujet, dans les figures, dans les tropes ; ainsi un personnage de comédie n'aura ni idées sublimes ni idées philosophiques, un berger n'aura point les idées d'un conquérant, une épitre didactique ne respirera point la passion ; & dans aucun de ces écrits on n'employera ni métaphores hardies, ni exclamations pathétiques, ni expressions véhémentes.

Entre le simple & le sublime il y a plusieurs nuances ; & c'est l'art de les assortir qui contribue à la perfection de l'éloquence & de la poësie : c'est par cet art que Virgile s'est élevé quelquefois dans l'églogue ; ce vers

Ut vidi ! ut perii ! ut me malus abstulit error !

seroit aussi beau dans la bouche de Didon que dans celle d'un berger ; parce qu'il est naturel, vrai & élégant, & que le sentiment qu'il renferme convient à toutes sortes d'états. Mais ce vers

Castaneaeque nuces mea quas Amarillis amabat.

ne conviendroit pas à un personnage héroïque, parce qu'il a pour objet une chose trop petite pour un héros.

Nous n'entendons point par petit ce qui est bas & grossier ; car le bas & le grossier n'est point un genre, c'est un défaut.

Ces deux exemples font voir évidemment dans quel cas on doit se permettre le mélange des styles, & quand on doit se le défendre. La tragédie peut s'abaisser, elle le doit même ; la simplicité releve souvent la grandeur selon le précepte d'Horace.

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri.

Ainsi ces deux beaux vers de Titus si naturels & si tendres,

Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,

Et crois toûjours la voir pour la premiere fois.

ne seroient point du tout déplacés dans le haut comique.

Mais ce vers d'Antiochus

Dans l'orient désert quel devint mon ennui !

ne pourroit convenir à un amant dans une comédie, parce que cette belle expression figurée dans l'orient désert, est d'un genre trop relevé pour la simplicité des brodequins.

Le défaut le plus condamnable & le plus ordinaire dans le mélange des styles, est celui de défigurer les sujets les plus sérieux en croyant les égayer par les plaisanteries de la conversation familiere.

Nous avons remarqué déjà au mot ESPRIT, qu'un auteur qui a écrit sur la Physique, & qui prétend qu'il y a eu un Hercule physicien, ajoûte qu'on ne pouvoit résister à un philosophe de cette force. Un autre qui vient d'écrire un petit livre (lequel il suppose être physique & moral) contre l'utilité de l'inoculation, dit que si on met en usage la petite vérole artificielle, la mort sera bien attrapée.

Ce défaut vient d'une affectation ridicule ; il en est un autre qui n'est que l'effet de la négligence, c'est de mêler au style simple & noble qu'exige l'histoire, ces termes populaires, ces expressions triviales que la bienséance réprouve. On trouve trop souvent dans Mezeray, & même dans Daniel qui ayant écrit long-tems après lui, devroit être plus correct ; qu'un général sur ces entrefaites se mit aux trousses de l'ennemi, qu'il suivit sa pointe, qu'il le battit à plate couture. On ne voit point de pareilles bassesses de style dans Tite-Live, dans Tacite, dans Guichardin, dans Clarendon.

Remarquons ici qu'un auteur qui s'est fait un genre de style, peut rarement le changer quand il change d'objet. La Fontaine dans ses opéra employe ce même genre qui lui est si naturel dans ses contes & dans ses fables. Benserade mit dans sa traduction des métamorphoses d'Ovide, le genre de plaisanterie qui l'avoit fait réussir à la cour dans des madrigaux. La perfection consisteroit à savoir assortir toûjours son style à la matiere qu'on traite ; mais qui peut être le maître de son habitude, & ployer à son gré son génie ? Article de M. DE VOLTAIRE.

GENRE, en Rhétorique, nom que les rhéteurs donnent aux classes générales auxquelles on peut rapporter toutes les différentes especes de discours ; ils distinguent trois genres, le démonstratif, le délibératif, & le judiciaire.

Le genre démonstratif a pour objet la loüange ou le blâme, ou les sujets purement oratoires ; il renferme les panégyriques, les discours académiques, &c. Voyez DEMONSTRATIF. Le délibératif comprend la persuasion & la dissuasion. Il a lieu dans les causes qui regardent les affaires publiques, comme les philippiques de Démosthene, &c. Voy. DELIBERATIF. Le judiciaire roule sur l'accusation ou la demande & la défense. Voyez JUDICIAIRE. (G)

GENRE, en Musique. On appelloit genres dans la musique des Grecs, la maniere de partager le tétracorde ou l'étendue de la quarte, c'est-à-dire la maniere d'accorder les quatre cordes qui la composoient.

La bonne constitution de cet accord, c'est-à-dire l'établissement d'un genre régulier, dépendoit des trois regles suivantes que je tire d'Aristoxene ; la premiere étoit que les deux cordes extrèmes du tétracorde devoient toûjours rester immobiles, afin que leur intervalle fût toûjours celui d'une quarte juste ou du diatessaron. Quant aux deux cordes moyennes, elles varioient à la vérité ; mais l'intervalle du lichanos à la mése (voyez ces mots) ne devoit jamais passer deux tons, ni diminuer au-delà d'un ton ; de sorte qu'on avoit précisément l'espace d'un ton pour varier l'accord de lichanos, & c'est la seconde regle. La troisieme étoit que l'intervalle de la parhypate ou seconde corde à l'hypate, ne passât jamais celui de la même parhypate au lichanos.

Comme en général cet accord pouvoit se diversifier de trois façons, cela constituoit trois principaux genres, qui étoient le diatonique, le chromatique & l'enharmonique ; & ces deux derniers genres où les deux premiers intervalles du tétracorde faisoient toûjours ensemble une somme moindre que le troisieme intervalle, s'appelloient à cause de cela genres épais ou denses. Voyez EPAIS.

Dans le diatonique la modulation procédoit par un semi-ton, un ton & un autre ton, mi, fa, sol, la ; & comme les tons y dominoient, de-là lui venoit son nom. Le chromatique procédoit par deux semi-tons consécutifs, & une tierce mineure ou un ton & demi, mi, fa, fa diése, la. Cette modulation tenoit le milieu entre celles du diatonique & de l'enharmonique, y faisant pour ainsi dire sentir diverses nuances de sons, de même qu'entre deux couleurs principales on introduit plusieurs nuances intermédiaires ; & de là vient qu'on appelloit ce genre chromatique ou coloré. Dans l'enharmonique la modulation procédoit par quart de ton, en divisant, selon la doctrine d'Aristoxene, le semi-ton majeur en deux parties égales, & un diton ou tierce majeure, comme mi, mi dièse enharmonique, fa & la ; ou bien, selon les Pythagoriciens, en divisant le semi-ton majeur en deux intervalles inégaux qui formoient, l'un le sémi-ton mineur, c'est-à-dire notre dièse ordinaire, & l'autre le complément de ce même sémi-ton mineur au sémi-ton majeur ; & ensuite le diton comme ci-devant, mi, mi dièse ordinaire, fa, la. Dans le premier cas les deux intervalles égaux du mi au fa, étoient tous deux enharmoniques ou d'un quart de ton ; dans le second cas il n'y avoit d'enharmonique que le passage du mi dièse au fa, c'est-à-dire, la différence du sémi-ton mineur au sémi-ton majeur, laquelle est le dièse pythagorique dont le rapport est de 125 à 128. Voyez DIESE.

Cette derniere division enharmonique du tétracorde, dont nul auteur moderne n'a fait mention, semble confirmée par Euclide même, quoique Aristoxenien ; car dans son diagramme général des trois genres, il insere bien pour chaque genre un lichanos particulier ; mais la parhypate y est la même pour tous les trois ; ce qui ne peut se faire que dans le système des Pythagoriciens : comme donc cette modulation, dit M. Burette, se tenoit d'abord très-serrée, ne parcourant que de petits intervalles, des intervalles presqu'insensibles ; on la nommoit enharmonique, comme qui diroit bien jointe, bien assemblée, probè coagmentata.

Outre ces genres principaux, il y en avoit d'autres qui résultoient tous des divers partages du tétracorde, ou des façons de l'accorder différentes de celles dont on vient de parler. Aristoxene subdivise le genre chromatique en mol, hémiéolien & tonique ; & le genre diatonique en syntonique & diatonique mol, dont il donne toutes les différences. Aristide-Quintilien fait mention de plusieurs autres genres particuliers, & il en compte six qu'il donne pour très-anciens ; savoir, le lydien, le dorien, le phrygien, l'ionien, le mixolydien & le syntonolydien. Ces six genres qu'il ne faut pas confondre avec les tons ou modes de même nom, différoient en étendue ; les uns n'arrivoient pas à l'octave, les autres la remplissoient, les autres excédoient : on en peut voir le détail dans le musicien grec.

Nous avons comme les anciens le genre diatonique, le chromatique & l'enharmonique, mais sans aucunes subdivisions ; & nous considérons ces genres sous des idées fort différentes de celles qu'ils en avoient. C'étoit pour eux autant de manieres particulieres de conduire le chant sur certaines cordes prescrites ; pour nous ce sont autant de manieres de conduire le corps entier de l'harmonie, qui forcent les parties à marcher par les intervalles prescrits par ces genres ; de sorte que le genre appartient encore plus à l'harmonie qui l'engendre, qu'à la mélodie qui le fait sentir.

Il faut encore remarquer que dans notre musique les genres sont presque toûjours mixtes ; c. à. d. que le diatonique entre pour beaucoup dans le chromatique, & que l'un & l'autre sont nécessairement mêlés à l'enharmonique. Tout cela vient encore des regles de l'harmonie, qui ne pourroient souffrir une continuelle succession enharmonique ou chromatique, & aussi de celles de la mélodie qui n'en sauroit tirer de beaux chants ; il n'en étoit pas de même des genres des anciens. Comme les tétracordes étoient également complets, quoique divisés différemment dans chacun des trois systèmes, si un genre eût pû emprunter de l'autre d'autres sons que ceux qui se trouvoient nécessairement communs entr'eux, le tétracorde auroit eu plus de quatre cordes, & toutes les régles de leur musique auroient été confondues. Voyez DIATONIQUE, CHROMATIQUE, ENHARMONIQUE. (S)

Il est donc aisé de voir qu'il y avoit dans le système de musique des Grecs des cordes communes à tous les genres, & d'autres qui changeoient d'un genre à l'autre ; par exemple, dans le premier tétracorde si, ut, re, mi, les cordes si & mi se trouvoient dans tous les genres, & les cordes ut & re changeoient.

Les communes à tous les systèmes s'appelloient cordes stables & immobiles ; les autres se nommoient cordes mobiles : de sorte que si l'on traitoit séparément les trois genres sur des instrumens à cordes, il n'y avoit autre chose à faire que de changer le degré de tension de chaque corde mobile ; au lieu que quand on exécutoit sur le même instrument un air composé dans deux de ces genres à la fois ou dans tous les trois, il falloit multiplier les cordes selon le besoin qu'on en avoit pour chaque genre. Voyez les mem. de M. Burette dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres.

Il est possible de trouver la basse fondamentale dans le genre chromatique des Grecs ; ainsi, mi, fa, fa #, la, a ou peut avoir pour basse ut, fa, re, la. Mais il n'en est pas de même dans le genre enharmonique ; car ce chant, mi, mi dièse enharmonique, fa, n'a point de basse fondamentale naturelle, comme M. Rameau l'a remarqué. Voyez ENHARMONIQUE. Aussi ce grand musicien paroît rejetter le système enharmonique des Grecs, comme le croyant contraire à ses principes. Pour nous, nous nous contenterons d'observer, 1°. que ce genre n'étoit vraisemblablement employé qu'à une expression extraordinaire & détournée, & que cette singularité d'expression lui venoit sans-doute de ce qu'il n'avoit point de basse fondamentale naturelle ; ce qui paroît appuyer le système de M. Rameau, bien loin de l'infirmer. 2°. Qu'il n'est guere permis de douter, d'après les livres anciens qui nous restent, que les Grecs n'eussent en effet ce genre ; peut-être n'étoit-il pratiqué que par les instrumens, sur lesquels il est évidemment pratiquable, quoique très-difficile : aussi étoit-il abandonné dès le tems de Plutarque. Ce genre pouvoit produire sur les Grecs, eu égard à la sensibilité de leur oreille, plus d'effet qu'il n'en produiroit sur nous, qui tenons de notre climat ces organes moins délicats. M. Rameau, il est vrai, a prétendu depuis peu qu'une nation n'est pas plus favorisée qu'une autre du côté de l'oreille ; mais l'expérience ne prouve-t-elle pas le contraire ? & sans sortir de notre pays, n'y a-t-il pas une différence marquée à cet égard entre les françois des provinces méridionales, & ceux qui sont plus vers le Nord ?

On a vû au mot ENHARMONIQUE, en quoi consiste ou peut consister ce genre dans notre musique moderne. Il y en a proprement ou il peut y en avoir de trois sortes ; l'enharmonique simple, qui est produit par le seul renversement de l'accord de septieme diminuée dans les modes mineurs, & dans lequel, sans entendre le quart de ton, on sent son effet. Ce genre est évidemment possible, soit pour les instrumens, soit même pour les voix, puisqu'il existe sans qu'on soit obligé de faire les quarts de ton ; c'est à l'oreille à juger si son effet est agréable, ou du-moins assez supportable pour n'être pas tout-à-fait rejetté, quoiqu'il doive d'ailleurs être employé rarement & sobrement. Le second genre est le diatonique-enharmonique, dans lequel le quart de ton a lieu réellement, puisque tous les semi-tons y sont majeurs ; & le troisieme est le chromatique-enharmonique, dans lequel le quart de ton a également lieu, puisque les semi-tons y sont tous mineurs. Ce dernier genre, possible ou non, n'a jamais été exécuté : M. Rameau assûre que le diatonique-enharmonique peut l'être, & même l'a été par de bons musiciens ; mais M. le Vens, maître de musique de la métropole de Bordeaux, doute de ce fait dans un ouvrage publié en 1743. " Il est vrai, dit-il, qu'une des parties de symphonie frappe le la b dans le tems que la haute-contre frappe le sol #, & ensuite fa avec mi #. Si c'est-là en quoi consiste le genre enharmonique, il est très-aisé d'en donner, & toute la musique le deviendra, si l'on veut, puisque tout consistera dans la maniere de la copier. On me dira peut-être que réellement il y a un quart de ton de sol # à la b, & de fa à mi # : j'y consens ; mais qu'en résulte-t-il, si les deux partis disent la même chose, à la faveur du tempérament qui a rapproché ces deux notes de si près, qu'elles ne font plus qu'un seul & même son ; & si l'intervalle du quart de ton existoit réellement, il n'y a point d'oreille assez forte pour résister au tiraillement qu'elle souffriroit dans cet instant " ? Qu'opposer à ce raisonnement ? l'expérience contraire que M. Rameau assûre avoir faite, & sur laquelle c'est aux connoisseurs à décider.

L'enharmonique du premier genre, où le quart de ton n'a point lieu, & où il se fait pour ainsi dire sentir sans être entendu, a été employé par M. Rameau avec succès dans le premier monologue du quatrieme acte de Dardanus ; & nous croyons que le mélange de ce genre avec le diatonique & le chromatique, aideroit beaucoup à l'expression, sur-tout dans les morceaux où il faudroit peindre quelque violente agitation de l'ame. Quel effet, par exemple, le genre enharmonique sobrement ménagé & mêlé de chromatique, n'eût-il pas produit dans le fameux monologue d'Armide, où le poëte est si grand & le musicien si foible ; où le coeur d'Armide fait tant de chemin, tandis que Lulli tourne froidement autour de la même modulation, sans s'écarter des routes les plus communes & les plus élémentaires ? Aussi ce monologue est-il tout-à-la-fois une très-bonne leçon de composition pour les commençans, & un très-mauvais modele pour les hommes de génie & de goût. M. Rameau, il est vrai, a entrepris de le défendre contre les coups qui lui ont été portés :

.... Si Pergama dextrâ

Defendi possent, etiam hâc defensa fuissent.

Mais en changeant, comme il l'a fait, la basse de Lulli en divers endroits, pour répondre aux plus fortes objections de M. Rousseau, en supposant dans cette basse mille choses sousentendues qui ne devroient pas l'être, & auxquelles Lulli n'a jamais pensé, il n'a fait que montrer combien les objections étoient solides. D'ailleurs, en se bornant à quelques changemens dans la basse de Lulli, croit-on avoir rechauffé ou pallié la froideur du monologue ? Nous en appellons au propre témoignage de son célebre défenseur. Eût-il fait ainsi chanter Armide ? eût-il fait marcher la basse d'une maniere si pédestre & si triviale ? Qu'il compare ce monologue avec la scene du second acte de Dardanus, & il sentira la différence. Les beautés de Lulli sont à lui, ses fautes viennent de l'état d'enfance où la musique étoit de son tems ; excusons ces fautes, mais avoüons-les.

La scene de Dardanus, que nous venons de citer, vient ici d'autant plus à-propos, qu'elle nous fournit un exemple du genre chromatique employé dans le chant & dans la basse : nous voulons parler de cet endroit,

Et s'il étoit un coeur trop foible, trop sensible,

Dans de funestes noeuds malgré lui retenu,

Pourriez-vous ? &c.

Le chant y procede en montant par semi-tons, ce qui amene nécessairement le demi-ton mineur dans la mélodie, & par conséquent le chromatique ; la basse fondamentale, au premier vers, descend de tierce mineure de la tonique sol sur la dominante tonique mi, & remonte à la tonique la portant l'accord mineur, laquelle devient ensuite dominante tonique elle-même, c'est-à-dire porte l'accord majeur. Voyez DOMINANTE. Cette dominante tonique remonte à sa tonique ré, qui dans le second vers descend de tierce mineure sur la dominante tonique si, pour remonter de là à la tonique mi. Or une marche de basse fondamentale dans laquelle la tonique qui porte l'accord mineur, reste sur le même degré pour devenir dominante tonique, ou dans laquelle la basse descend de tierce d'une tonique sur une dominante, produit nécessairement le chromatique par l'effet de l'harmonie. Voyez CHROMATIQUE, & nos élémens de Musique.

Le genre chromatique qui procede par semi-tons en montant, a été employé avec d'autant plus de vérité dans ce morceau, qu'il nous paroît représenter parfaitement les tons de la nature. Un excellent acteur rendroit infailliblement le second & le troisieme vers comme ils sont notés, en élevant sa voix par semi-tons ; & nous remarquerons que si on chantoit cet endroit comme on chante le récitatif italien, sans appuyer sur les sons, sans les filer, à-peu-près comme si on parloit ou on lisoit, en observant seulement d'entonner juste, on n'appercevroit point de différence entre le chant de ce morceau & une belle déclamation théatrale : voilà le modele d'un bon récitatif.

Je ne sai, pour le dire en passant, si la méthode de chanter notre récitatif à l'italienne, seroit impraticable sur notre théatre. Dans les récitatifs bien faits, elle n'a point paru choquante à d'excellens connoisseurs devant lesquels j'en ai fait essai ; ils l'ont unanimement préférée à la langueur insipide & insupportable de notre chant de l'opéra, qui devient tous les jours plus traînant, plus froid, & d'un ennui plus mortel. Ce que je crois pouvoir assûrer, c'est que quand le récitatif est bon, cette maniere de le chanter le fait ressembler beaucoup mieux à la déclamation. J'ajoûte, par la même raison, que tout récitatif qui déplaira étant chanté de cette sorte, sera infailliblement mauvais : ce sera une marque que l'artiste n'aura pas suivi les tons de la nature, qu'il doit avoir toûjours présens. Ainsi un musicien veut-il voir si son récitatif est bon ? qu'il l'essaye en le chantant à l'italienne ; & s'il lui déplait en cet état, qu'il en fasse un autre. On peut remarquer que les deux vers du monologue d'Armide, que M. Rousseau trouve les moins mal déclamés,

Est-ce ainsi que je dois me vanger aujourd'hui ?

Ma colere s'éteint quand j'approche de lui,

sont en effet ceux qui, étant récités à l'italienne, auroient moins l'air de chant. Nous prions le lecteur de nous pardonner cette legere digression, dont une partie eût peut-être été mieux placée à RECITATIF ; mais on ne sauroit trop se hâter de dire des vérités utiles, & de proposer des vûes qui peuvent contribuer au progrès de l'art. (O)

GENRE, (Peinture) Le mot genre adapté à l'art de la Peinture, sert proprement à distinguer de la classe des peintres d'histoire, ceux qui bornés à certains objets, se font une étude particuliere de les peindre, & une espece de loi de ne représenter que ceux-là : ainsi l'artiste qui ne choisit pour sujet de ses tableaux que des animaux, des fruits, des fleurs ou des paysages, est nommé peintre de genre. Au reste cette modestie forcée ou raisonnée qui engage un artiste à se borner dans ses imitations aux objets qui lui plaisent davantage, ou dans la représentation desquels il trouve plus de facilité, n'est que loüable, & le résultat en est beaucoup plus avantageux à l'art, que la présomption & l'entêtement qui font entreprendre de peindre l'histoire à ceux dont les talens sont trop bornés pour remplir toutes les conditions qu'elle exige. Ce n'est donc point une raison d'avoir moins de considération pour un habile peintre de genre, parce que ses talens sont renfermés dans une sphere qui semble plus bornée ; comme ce n'est point pour un peintre un juste sujet de s'enorgueillir, de ce qu'il peint médiocrement dans tous les genres : pour détruire ces deux préjugés, on doit considérer que le peintre dont le genre semble borné, a cependant encore un si grand nombre de recherches & d'études à faire, de soins & de peines à se donner pour réussir, que le champ qu'il cultive est assez vaste pour qu'il y puisse recueillir des fruits satisfaisans de ses travaux. D'ailleurs le peintre de genre par l'habitude de considérer les mêmes objets, les rend toûjours avec une vérité d'imitation dans les formes qui donne un vrai mérite à ses ouvrages. D'un autre côté le peintre d'histoire embrasse tant d'objets, qu'il est très-facile de prouver & par le raisonnement & par l'expérience, qu'il y en a beaucoup dont il ne nous présente que des imitations très-imparfaites : d'ailleurs le peintre d'histoire médiocre est à des yeux éclairés si peu estimable dans ses productions ; ces êtres qu'il produit, & dans l'existence desquels il se glorifie, sont des fantômes si contrefaits dans leur forme, si peu naturels dans leur couleur, si gauches ou si faux dans leur expression, que loin de mériter la moindre admiration, ils devroient être supprimés comme les enfans que les Lacédémoniens condamnoient à la mort, parce que les défauts de leur conformation les rendoient inutiles à la république, & qu'ils pouvoient occasionner par leur vûe des enfantemens monstrueux.

C'est donc de concert avec la raison, que j'encourage les Artistes qui ont quelque lieu de douter de leurs forces, ou auxquels des tentatives trop pénibles & peu heureuses, démontrent l'inutilité de leurs efforts, de se borner dans leurs travaux, pour remplir au moins avec quelque utilité une carriere, qui par-là deviendra digne de loüange. Car, on ne sauroit trop le répéter aujourd'hui, tout homme qui déplace l'exercice de ses talens en les laissant diriger par sa fantaisie, par la mode, ou par le mauvais goût, est un citoyen non-seulement très-inutile, mais encore très-nuisible à la société. Au contraire celui qui sacrifie les desirs aveugles de la prétention, ou la séduction de l'exemple, au but honnête de s'acquiter bien d'un talent médiocre, est digne de loüange pour l'utilité qu'il procure, & pour le sacrifice qu'il fait de son amour propre. Mais ce n'est pas assez pour moi d'avoir soûtenu par ce que je viens de dire, les droits du goût & de la raison, je veux en comparant les principaux genres des ouvrages de la Peinture, avec les genres différens qui distinguent les inventions de la Poësie, donner aux gens du monde une idée plus noble qu'ils ne l'ont ordinairement des artistes qu'on appelle peintres de genre, & à ces artistes un amour propre fondé sur la ressemblance des opérations de deux arts, dont les principes sont également tirés de la nature, & dont la gloire est également établie sur une juste imitation. J'ai dit au mot GALERIE, qu'une suite nombreuse de tableaux, dans lesquels la même histoire est représentée dans différens momens, correspond en peinture aux inventions de la Poësie, qui sont composés de plusieurs chants ; tels que ces grands poëmes, l'Iliade, l'Odyssée, l'Enéide, la Jérusalem délivrée, le Paradis perdu, & la Henriade. Comme il seroit très-possible aussi que trois ou cinq tableaux destinés à orner un salon, eussent entr'eux une liaison & une gradation d'intérêt, on pourroit suivre dans la façon dont on les traiteroit quelques-uns des principes qui constituent la tragédie ou la comédie ; telle est une infinité de sujets propres à la Peinture, qui fourniroient aisément trois ou cinq situations agréables, intéressantes & touchantes. Cette unité d'action feroit naître une curiosité soûtenue, qui tourneroit à l'avantage de l'habile artiste, qui pour la nourrir mieux, réserveroit pour le dernier tableau la catastrophe touchante ou le dénouement agréable de l'action. Les suites composées pour les grandes tapisseries, présentent une partie de cette idée, mais souvent on n'y observe pas assez la progression d'intérêt sur laquelle j'insiste ; on est trop sujet à ne choisir que ce qui paroîtra plus riche, & ce qui fournira plus d'objets, sans réfléchir que les scenes où le théatre est le plus rempli, ne sont pas toûjours celles dont le spectateur retire un plaisir plus grand. J'ajoûterai encore que ces especes de poëmes dramatiques pittoresques devroient toûjours être choisis tels que les places où ils sont destinés le demandent ; il est tant de faits connus, d'histoires & de fables, de caracteres différens, que chaque appartement pourroit être orné dans le genre qui conviendroit mieux à son usage, & cette espece de convenance & d'unité ne pourroit manquer de produire un spectacle plus agréable que ces assortimens ordinaires, qui n'ayant aucun rapport ni dans les sujets, ni dans la maniere de les traiter, offrent dans le même lieu les austeres beautés de l'histoire confondues avec les merveilles de la fable, & les rêveries d'une imagination peu reglée ; mais passons aux autres genres. La pastorale héroïque est un genre commun à la Poësie & à la Peinture, qui n'est pas plus avoüé de la nature dans l'un de ces arts, que dans l'autre. En effet décrire un berger avec des moeurs efféminées, lui prêter des sentimens peu naturels, ou le peindre avec des habits chargés de rubans, dans des attitudes étudiées, c'est commettre sans contredit deux fautes de vraisemblance égales ; & ces productions de l'art qui doivent si peu à la nature, ont besoin d'un art extrême pour être tolérées. La pastorale naturelle, ce genre dans lequel Théocrite & le Poussin ont réussi, tient de plus près à la vérité ; il prête aussi plus de véritables ressources à la Peinture. La Nature féconde & inépuisable dans sa fécondité, se venge de l'affront que lui ont fait les sectateurs du genre précédent, en prodiguant au peintre & au poëte qui veulent la suivre, une source intarissable de richesses & de beautés. L'idylle semblable au paysage, est un genre qui tient à celui dont nous venons de parler (le Poussin). Un artiste représente un paysage charmant, on y voit un tombeau ; près de ce monument un jeune homme & une jeune fille arrêtés, lisent l'inscription qui se présente à eux, & cette inscription leur dit : je vivois ainsi que vous dans la délicieuse Arcadie ; ne semble-t-il pas à celui qui voit cette peinture, qu'il lit l'idylle du ruisseau de la naïve Deshoulieres ? Dans l'une & dans l'autre de ces productions les images agréables de la nature conduisent à des pensées aussi justes & aussi philosophiques que la façon dont elles sont présentées est agréable & vraie. Le nom de portrait est commun à la Poësie comme à la Peinture ; ces deux genres peuvent se comparer dans les deux arts jusque dans la maniere dont on les traite ; car il en est très-peu de ressemblans. Les descriptions en vers des présens de la nature sont à la Poësie ce qu'ont été à la Peinture les ouvrages dans lesquels Desportes & Baptiste ont si bien représentés les fleurs & les fruits : les peintres d'animaux ont pour associés les fabulistes ; enfin il n'est pas jusque à la satyre & à l'épigramme, qui ne puissent être traitées en Peinture comme en Poësie ; mais ces deux talens non seulement inutiles mais nuisibles, sont par conséquent trop peu estimables, pour que je m'y arrête. J'en resterai même à cette énumération, que ceux à qui elle plaira pourront étendre au gré de leur imagination & de leurs connoissances. J'ajoûterai seulement que les genres en Peinture se sont divisés & peuvent se subdiviser à l'infini : le paysage a produit les peintures de fabriques, d'architecture, ceux d'animaux, de marine ; il n'y a pas jusque aux vûes de l'intérieur d'une église qui ont occupé tout le talent des Pieter-nefs & des Stenwits. Article de M. WATELET.


GENSS. m. & f. (Gramm. franç.) Voici un mot si bizarre de notre langue, un mot qui signifie tant de choses, un mot enfin d'une construction si difficile, qu'on peut en permettre l'article dans ce Dictionnaire en faveur des étrangers ; & même plusieurs françois le liroient utilement.

Le mot gens tantôt signifie les personnes, les hommes, tantôt les domestiques, tantôt les soldats, tantôt les officiers de justice d'un prince, & tantôt les personnes qui sont de même suite & d'un même parti. Il est toûjours masculin en toutes ces significations, excepté quand il veut dire personnes ; car alors il est féminin si l'adjectif le précede, & masculin si l'adjectif le suit. Par exemple, j'ai vû des gens bien faits, l'adjectif bien faits après gens, est masculin. Au contraire on dit de vieilles gens, de bonnes gens ; ainsi l'adjectif devant gens est féminin. Il n'y a peut-être qu'une seule exception qui est pour l'adjectif tout, lequel étant mis devant gens, est toûjours masculin, comme tous les gens de bien, tous les honnêtes gens ; on ne dit point toutes les honnêtes gens.

Le P. Bouhours demande, si lorsque dans la même phrase, il y a un adjectif devant, & un adjectif ou un participe après, il les faut mettre tous deux au même genre, selon la regle générale ; ou si l'on doit mettre le féminin devant, & le masculin après ; par exemple, s'il faut dire, il y a de certaines gens qui sont bien sots, ou bien sotes ; ce sont les meilleures gens que j'aye jamais vûs ou vûes ; les plus savans dans notre langue croyent qu'il faut dire sots & vûs au masculin, par la raison que le mot de gens veut toûjours le masculin après soi. C'est cependant une bizarrerie étrange, qu'un mot soit masculin & féminin dans la même phrase, & ces sortes d'irrégularités rendent une langue bien difficile à savoir correctement.

Le mot gens pris dans la signification de nation, se disoit autrefois au singulier, & se disoit même il n'y a pas un siecle. Malherbe dans une de ses odes dit : ô combien lors aura de veuves, la gent qui porte le turban ; mais aujourd'hui il n'est d'usage au singulier qu'en prose ou en poésie burlesque : par exemple, Scarron nomme plaisamment les pages de son tems, la gent à gregues retroussées. Il y a pourtant tel endroit dans des vers sérieux, où gent a bonne grace, comme en cet endroit du liv. V. de l'Enéïde de M. de Segrais, de cette gent farouche adoucira les moeurs. Il se pourroit bien qu'on a cessé de dire la gent, à cause de l'équivoque de l'agent.

On demande, si l'on doit dire dix gens, au nombre déterminé, puisqu'on dit beaucoup de gens, beaucoup de jeunes gens. Vaugelas, Ménage, & le P. Bouhours, le grand critique de Ménage, s'accordent unanimement à prononcer que gens ne se dit point d'un nombre déterminé, desorte que c'est mal parler, que de dire dix gens. Ils ajoûtent qu'il est vrai qu'on dit fort bien mille gens, mais c'est parce que le mot de mille en cet endroit, est un nombre indéfini ; & par cette raison, on pourroit dire de même cent gens, sans la cacophonie. Cette décision de nos maîtres paroît d'autant plus fondée qu'ils ajoûtent, que si en effet il y avoit cent personnes dans une maison, ou bien mille de compte fait, ce seroit mal parler que de dire, il y a cent gens ici, j'ai vû mille gens dans le sallon de Versailles ; il faudroit dire, il y a cent personnes ici, j'ai vû mille personnes dans le sallon de Versailles.

Cependant quoiqu'il soit formellement décidé, que c'est mal parler que de dire dix gens, on dira fort bien, ce me semble, dix jeunes gens, trois honnêtes gens, en parlant d'un nombre préfix ; il paroît que quand on met un adjectif entre le mot gens, ou un mot quelconque devant gens, on peut y faire précéder un nombre déterminé, dix jeunes gens, trois honnêtes gens ; c'est pour cela qu'on dit, très-bien en prenant gens pour soldat ou pour domestique : cet officier accourut avec dix de ses gens ; le prince n'avoit qu'un de ses gens avec lui.

Il reste à remarquer qu'on dit en conséquence de la décision de Vaugelas, Bouhours, & Ménage, c'est un honnête homme : mais on ne dit point en parlant indéfiniment, ce sont d'honnêtes hommes, il faut dire ce sont d'honnêtes gens ; cependant on dit, c'est un des plus honnêtes hommes que je connoisse ; on peut dire aussi, deux honnêtes hommes vinrent hier chez moi. (D.J.)

GENS DE LETTRES, (Philosophie & Littérat.) ce mot répond précisément à celui de grammairiens : chez les Grecs & les Romains, on entendoit par grammairien, non-seulement un homme versé dans la Grammaire proprement dite, qui est la base de toutes les connoissances, mais un homme qui n'étoit pas étranger dans la Geométrie, dans la Philosophie, dans l'Histoire générale & particuliere ; qui sur-tout faisoit son étude de la Poésie & de l'Eloquence : c'est ce que sont nos gens de lettres aujourd'hui. On ne donne point ce nom à un homme qui avec peu de connoissances ne cultive qu'un seul genre. Celui qui n'ayant lû que des romans ne fera que des romans ; celui qui sans aucune littérature aura composé au hasard quelques pieces de théatre, qui dépourvû de science aura fait quelques sermons, ne sera pas compté parmi les gens de lettres. Ce titre a de nos jours encore plus d'étendue que le mot grammairien n'en avoit chez les Grecs & chez les Latins. Les Grecs se contentoient de leur langue ; les Romains n'apprenoient que le grec : aujourd'hui l'homme de lettres ajoûte souvent à l'étude du grec & du latin celle de l'italien, de l'espagnol, & sur-tout de l'anglois. La carriere de l'Histoire est cent fois plus immense qu'elle ne l'étoit pour les anciens ; & l'Histoire naturelle s'est accrûe à proportion de celle des peuples : on n'exige pas qu'un homme de lettres approfondisse toutes ces matieres ; la science universelle n'est plus à la portée de l'homme : mais les véritables gens de lettres se mettent en état de porter leurs pas dans ces différens terreins, s'ils ne peuvent les cultiver tous.

Autrefois dans le seizieme siecle, & bien avant dans le dix-septieme, les littérateurs s'occupoient beaucoup de la critique grammaticale des auteurs grecs & latins ; & c'est à leurs travaux que nous devons les dictionnaires, les éditions correctes, les commentaires des chefs-d'oeuvres de l'antiquité ; aujourd'hui cette critique est moins nécessaire, & l'esprit philosophique lui a succédé. C'est cet esprit philosophique qui semble constituer le caractere des gens de lettres ; & quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli.

C'est un des grands avantages de notre siecle, que ce nombre d'hommes instruits qui passent des épines des Mathématiques aux fleurs de la Poésie, & qui jugent également bien d'un livre de Métaphysique & d'une piece de théatre : l'esprit du siecle les a rendus pour la plûpart aussi propres pour le monde que pour le cabinet ; & c'est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siecles précédens. Ils furent écartés de la société jusqu'au tems de Balzac & de Voiture ; ils en ont fait depuis une partie devenue nécessaire. Cette raison approfondie & épurée que plusieurs ont répandue dans leurs écrits & dans leurs conversations, a contribué beaucoup à instruire & à polir la nation : leur critique ne s'est plus consumée sur des mots grecs & latins ; mais appuyée d'une saine philosophie, elle a détruit tous les préjugés dont la société étoit infectée ; prédictions des astrologues, divinations des magiciens, sortiléges de toute espece, faux prodiges, faux merveilleux, usages superstitieux ; elle a relegué dans les écoles mille disputes puériles qui étoient autrefois dangereuses & qu'ils ont rendues méprisables : par-là ils ont en effet servi l'état. On est quelquefois étonné que ce qui bouleversoit autrefois le monde, ne le trouble plus aujourd'hui ; c'est aux véritables gens de lettres qu'on en est redevable.

Ils ont d'ordinaire plus d'indépendance dans l'esprit que les autres hommes ; & ceux qui sont nés sans fortune trouvent aisément dans les fondations de Louis XIV. de quoi affermir en eux cette indépendance : on ne voit point, comme autrefois, de ces épîtres dédicatoires que l'intérêt & la bassesse offroient à la vanité. Voyez EPITRE.

Un homme de lettres n'est pas ce qu'on appelle un bel esprit : le bel esprit seul suppose moins de culture, moins d'étude, & n'exige nulle philosophie ; il consiste principalement dans l'imagination brillante, dans les agrémens de la conversation, aidés d'une lecture commune. Un bel esprit peut aisément ne point mériter le titre d'homme de lettres ; & l'homme de lettres peut ne point prétendre au brillant du bel esprit.

Il y a beaucoup de gens de lettres qui ne sont point auteurs, & ce sont probablement les plus heureux ; ils sont à l'abri des dégoûts que la profession d'auteur entraîne quelquefois, des querelles que la rivalité fait naître, des animosités de parti, & des faux jugemens ; ils sont plus unis entr'eux ; ils joüissent plus de la société ; ils sont juges, & les autres sont jugés. Article de M. DE VOLTAIRE.

GENS DE CORPS, ou DE POESTE, ou DE POSTE, (Jurisprud.) quasi potestatis alienae, sont des serfs ou gens main-mortables. Voyez MAIN-MORTABLES. (A)

GENS MAIN-MORTABLES, voyez MAIN-MORTABLES, MAIN-MORTE, & AFFRANCHISSEMENT.

GENS DE MAIN-MORTE, voyez AMORTISSEMENT & MAIN-MORTE.

GENS DU ROI, (Jurisprud.) est un terme générique qui dans une signification étendue comprend tous les officiers du roi, soit de judicature, de finance, ou même d'épée.

Par exemple, le roi en parlant des officiers de son parlement, les qualifie de nos gens tenant la cour de Parlement.

Dans une ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Juin 1338, on voit que ce prince donne à des trésoriers des troupes le titre de gentes nostrae.

Charles VI. dans des lettres du mois de Juin 1394, en parlant des juges royaux de Provins, les appelle les gens du roi ; & dans d'autres lettres du mois de Janvier 1395, il désigne même par les termes de gentes regias, les officiers de la sénéchaussée de Carcassonne.

Ces exemples suffisent pour donner une idée des différentes significations de ces termes, gens du roi.

Ce titre paroît venir du latin agentes nostri, qui étoit le titre que les empereurs, & après eux nos rois, donnoient aux ducs & aux comtes, dont l'office s'appelloit agere comitatum.

Du mot agentes on a fait par abréviation gentes regis, & en françois gens du roi.

Dans l'usage présent & le plus ordinaire, on n'entend communément par les termes de gens du roi, que ceux qui sont chargés des intérêts du roi & du ministere public dans un siége royal, tels que les avocats & procureurs généraux dans les cours souveraines, les avocats & procureurs du roi dans les bailliages & sénéchaussées, & autres siéges royaux.

Les substituts des procureurs généraux & des procureurs du roi, sont aussi compris sous le terme de gens du roi, comme les substituant en certaines occasions.

La fonction des gens du roi n'est pas seulement de défendre les intérêts du roi, mais aussi de veiller à tout ce qui intéresse l'église, les hôpitaux, les communautés, les mineurs, & en général tout ce qui concerne la police & le public ; c'est pourquoi on les désigne quelquefois sous le titre de ministere public, lequel néanmoins n'est pas propre aux gens du roi, leur étant commun avec les avocats & procureurs fiscaux, lesquels dans les justices seigneuriales, défendent les intérêts du seigneur comme les gens du roi défendent ceux du roi dans les jurisdictions royales, & ont au surplus les mêmes fonctions que les gens du roi pour ce qui concerne l'église, les hôpitaux, les communautés, les mineurs, la police & le public.

A la rentrée des tribunaux royaux, les gens du roi font ordinairement une harangue ; ce sont eux aussi qui sont chargés de faire le discours des mercuriales.

Ils portent la parole aux audiences dans toutes les causes tant civiles que criminelles, dans lesquelles le roi, l'église, ou le public, sont intéressés : dans quelques siéges il est aussi d'usage de leur communiquer les causes des mineurs.

Ils donnent des conclusions par écrit dans toutes les affaires civiles de même nature qui sont appointées, & dans toutes les affaires criminelles.

Ils font aussi d'office des plaintes & requisitions, lorsque le cas y échet.

Les fonctions que les gens du roi exercent étoient remplies chez les Romains par différens officiers.

Il y avoit d'abord dans la ville deux magistrats, l'un appellé comes sacrarum largitionum ; l'autre appellé comes rei privatae, qui étoient chacun dans leur district, comme les procureurs généraux de l'empereur.

Les lois romaines font aussi mention qu'il y avoit un avocat du fisc dans le tribunal souverain du prefet du prétoire, qui étoit le premier magistrat de l'empire : dans la suite, les affaires s'étant multipliées, on lui donna un collegue.

Il y avoit aussi un avocat du fisc auprès du premier magistrat de chaque province.

La fonction de ces avocats du fisc étoit d'intervenir dans toutes les causes où il s'agissoit des revenus de l'empereur, de son trésor, de son domaine, & autres affaires semblables ; les juges ne les pouvoient décider sans avoir auparavant oüi l'avocat du fisc : celui-ci étoit tellement obligé de veiller aux intérêts du prince, que si quelque droit se perdoit par sa faute, il en étoit responsable.

Il y avoit aussi dans chacune des principales villes de l'empire un officier appellé procurator Caesaris ; ses fonctions consistoient non-seulement à veiller à la conservation du domaine & des revenus du prince ; mais il étoit aussi juge des causes qui s'élevoient à ce sujet entre le prince & ses sujets, à l'exception des causes criminelles & des questions d'état de personnes, dont il ne connoissoit point, à-moins que le président ne lui en donnât la commission.

Les avocats du fisc ni les procureurs du prince n'étoient pas chargés de la protection des veuves, des orphelins, & des pauvres ; on nommoit d'office à ces sortes de personnes dans les occasions un avocat qui prenoit leur défense ; & lorsque c'étoient des pauvres, l'avocat étoit payé aux dépens du public.

Le même ordre étoit établi dans les Gaules par les Romains, lorsque nos rois en firent la conquête : mais suivant les capitulaires, il paroît qu'il y eut quelque changement. En effet, il n'y est point fait mention qu'il y eût alors des avocats du roi ou du fisc en titre d'office ; il paroît que tous les avocats en faisoient les fonctions. Lorsque les églises & personnes ecclésiastiques avoient besoin d'un défenseur, le roi leur donnoit un de ces avocats.

Pour ce qui est des procureurs du roi, il y en avoit dès les commencemens de la monarchie ; les anciennes chartes & les capitulaires en font mention sous les différens titres de actores, dominici actores fisci, actores publici, actores vel procuratores reipublicae.

Il est souvent parlé dans les registres olim, de gentes regis ; gentibus d. regis pro d. rege multa proponentibus : mais il ne paroît pas que l'on entendît par-là un procureur & des avocats du roi qui fussent attachés au parlement ; on y voit au contraire que toutes les fois qu'il étoit question de s'opposer ou plaider pour le roi, ce sont toûjours le prevôt de Paris ou les baillifs royaux qui portent la parole pour les affaires qui intéressoient le roi, dans le territoire de chacun de ces officiers : c'est de-là que le prevôt de Paris & les baillifs & sénéchaux ont encore une séance marquée en la grand'chambre du parlement, que l'on appelle le banc des baillis & sénéchaux, lequel est couvert de fleurs-de-lis. C'est peut-être aussi par un reste de cet ancien usage, que l'officier qui fait les fonctions du ministere public à l'échevinage de Dunkerque, s'appelle encore grand bailli.

On ne trouve aucune preuve qu'il y eût des avocats & procureurs du roi en titre au parlement, avant 1302 : il paroît pourtant difficile de penser que le roi n'eût pas dès-lors des officiers chargés de défendre ses droits, spécialement pour le parlement, vû que le roi d'Angleterre, comme duc de Guienne, le comte de Flandres, le roi de Sicile, &c. en avoient en titre. Il est dit dans un arrêt de 1283, que le procureur du roi de Sicile parla, procurator regis Siciliae : mais celui qui parla pour le roi Philippe III. n'est pas désigné autrement que par ces mots : verum parte d. Philippi regis.... adjiciens pars regis, &c.

Ce qui fait encore croire que le roi avoit dès-lors des gens chargés de ses intérêts au parlement, est qu'il avoit dès-lors des procureurs & quelquefois aussi des avocats dans les bailliages, comme au châtelet. Un arrêt de 1265 juge que les avocats du roi ne sont justiciables que de sa cour, tant qu'ils seront chargés de ce ministere. L'ordonnance de 1302 parle des procureurs du roi dans les bailliages & sénéchaussées ; elle leur ordonne de faire dans chaque cause le serment ordinaire, qu'ils la croyent bonne, & leur défend d'être procureurs dans aucune affaire de particuliers ; il y est même déjà parlé de leurs substituts.

Jean le Bossu & Jean Pastoureau remplissoient les fonctions d'avocats du roi au parlement, dès 1301, avant même que le parlement fût sédentaire à Paris.

Ce n'est qu'en 1308 qu'on trouve pour la premiere fois un procureur du roi parlant pour sa majesté au parlement : encore n'est-il pas certain que ce fût un magistrat attaché au parlement ; il paroît même qu'en ces occasions c'étoit le procureur du roi de tel ou tel bailliage, qui venoit au parlement défendre les droits du roi conjointement avec le bailli du lieu. On voit dans les olim, les baillis & sénéchaux, & le prevôt de Paris continuer de parler pour le roi, jusqu'en 1309 où finissent ces registres : une ordonnance de cette année les charge même expressément de cette fonction.

Une lettre de Philippe le Bel à l'archevêque de Sens fait mention du procureur du roi au parlement, qu'elle qualifie catholicum juris conditorem.

Cependant l'ordonnance de 1319 dont on a déjà parlé, semble supposer qu'il n'y avoit point alors de procureur du roi au parlement ; peut-être avoit-il été supprimé avec les autres procureurs du roi : car le roi y ordonne qu'il y ait en son parlement une personne qui ait cure de faire délivrer & avancer les propres causes du roi, & qu'il puisse être de son conseil avec ses avocats ; ce qui confirme qu'il y avoit dèslors des avocats du roi ; mais il paroît qu'ils n'étoient que pour conseiller : & supposé qu'il y eût un procureur du roi attaché au parlement, ceux des bailliages, les baillis & sénéchaux & le prevôt de Paris parloient comme lui pour le roi, chacun dans les affaires de leur territoire qui l'intéressoient.

Depuis ce tems, on trouve des preuves non équivoques qu'il y avoit deux avocats & un procureur du roi au parlement. Philippe le Bel en parlant de ces trois magistrats, les nommoit ordinairement gentes nostras, c'est-à-dire les gens du roi ; titre qui est demeuré aux avocats & procureurs généraux des cours souveraines, & qui est aussi commun aux avocats & procureurs du roi des bailliages & autres siéges royaux.

Avant la vénalité des charges, ces sortes d'officiers étoient choisis dans l'ordre des avocats ; & présentement il faut encore qu'ils ayent prêté le serment d'avocat, avant de pouvoir posséder un office d'avocat ou procureur du roi.

Les gens du roi dans les cours souveraines sont les avocats généraux & le procureur général, lequel a rang & séance après le premier avocat général : il n'y a pas de même des gens du roi au conseil, à cause que le roi est présent ou réputé présent. L'inspecteur du domaine donne son avis, & fait des requisitoires lorsqu'il y échet dans les matieres domaniales.

Dans les siéges royaux inférieurs, il y a ordinairement un avocat du roi ; dans certains siéges il y en a plusieurs ; il y a dans tous un procureur du roi, qui a rang & séance après le premier avocat du roi.

L'habillement des gens du roi est le bonnet quarré & le rabat, la robe à longues manches, la soutane, & le chaperon herminé de même que les avocats.

Les gens du roi des parlemens, cours des aydes & cours des monnoies, c'est-à-dire les avocats & procureurs généraux, portent la robe rouge dans les cérémonies : cette prérogative ne paroît point leur avoir été accordée par aucun titre particulier ; elle paroît une suite du droit que les avocats au parlement ont pareillement de porter la robe rouge, ainsi qu'on le dira en son lieu ; les avocats & procureurs du roi de quelques présidiaux joüissent aussi du même honneur ; ce qui dépend des titres & de la possession.

La place des gens du roi est ordinairement à la tête du barreau ; les avocats généraux du parlement se placent encore au premier barreau dans les petites audiences ; à l'égard de celles qui se tiennent sur les hauts siéges, le procureur général se mettoit de tout tems sur le banc qui est au-dessous des présidens & des conseillers-clercs : les avocats généraux se plaçoient autrefois à ces audiences sur le banc des baillis & sénéchaux ; ce n'est que depuis 1589 qu'ils se placent sur le banc au-dessous des présidens & des conseillers-clercs : ce changement fut fait pour la commodité du premier président de Verdun, qui tardè audiebat. Dans les cérémonies, ils marchent à la suite du tribunal, & sont précédés d'un ou deux huissiers.

Lorsque les gens du roi portent la parole, ils sont debout & couverts, les deux mains gantées. Tous ceux qui ont séance après celui d'entr'eux qui porte la parole, se tiennent aussi debout & couverts pendant tout le tems qu'il parle.

Ils ont le privilége de ne pouvoir être interrompus par les parties ni par les avocats contre lesquels ils plaident.

Le 21 Février 1721, M. l'avocat général parlant dans l'affaire du duc de la Force qui étoit présent, celui-ci l'interrompit ; M. l'avocat général dit qu'il ne pouvoit être interrompu par qui que ce soit que par M. le premier président.

Il n'est pas d'usage que les juges interrompent la plaidoirie des gens du roi, quoique l'heure à laquelle l'audience finit ordinairement vienne à sonner ; mais il y a des exemples que dans de grandes affaires les gens du roi ont eux-mêmes partagé leur plaidoirie en plusieurs audiences.

Dans les affaires où le ministere public est appellant ou demandeur, l'avocat de l'intimé ou du défendeur a la replique sur les gens du roi : mais il est aussi d'usage que ceux-ci ont la replique en dernier.

On dit communément que les gens du roi sont solidaires, c'est-à-dire qu'ils agissent & parlent toûjours en nom collectif ; ils sont présumés se concerter entr'eux pour les conclusions qu'ils doivent prendre.

Il y a néanmoins des exemples que dans la même affaire un des gens du roi n'a pas suivi les mêmes principes que son collegue, & s'est fait recevoir opposant à un arrêt rendu sur les conclusions des gens du roi. Le procureur général ou procureur du roi peut lui-même se faire recevoir opposant à un jugement rendu sur ses conclusions.

Le ministere des gens du roi est purement gratuit ; excepté que dans les affaires civiles appointées, & dans les affaires criminelles où il y a une partie civile, leurs substituts ont des épices pour les conclusions.

On n'adjuge jamais de dépens ni de dommages & intérêts aux gens du roi ; mais on ne les condamne aussi jamais à aucune amende, dépens, ni dommages & intérêts.

Les gens du roi de chaque siége ont un parquet ou chambre, dans lequel les avocats & procureurs vont leur communiquer les causes où ils doivent porter la parole : c'est aussi dans ce même lieu que l'on plaide devant eux les affaires qui doivent être vuidées par leur avis : les substituts y rapportent aussi au procureur général ou au procureur du roi, si c'est dans un siége inférieur, les affaires civiles & criminelles qui leur sont distribuées. Voyez COMMUNICATION DES GENS DU ROI, & PARQUET DES GENS DU ROI. (A)

GENS DE MER, (Marine) on donne ce nom à ceux qui s'appliquent à la navigation & au service des vaisseaux.

GENS DE L'ÉQUIPAGE, (Marine) voyez ÉQUIPAGE.


GENTGENTIL, JOLI, GENTILLESSE, (Gramm.) le premier mot est vieux, & signifie propre, net, galamment ajusté, decorus : elle a le coeur noble & gent ; & on disoit au féminin, gente de corps & d'esprit. Ce mot étoit expressif, & faisoit bien dans la poésie champêtre. Joli a pris en quelque façon la place de gentil, que nous avons perdu. Je dis en quelque façon, parce qu'il ne le remplace pas. Il n'a pas tant d'étendue qu'en avoit gentil, qui s'appliquoit aux grandes choses, aussi-bien qu'aux petites ; car on disoit autrefois un gentil exercice, une gentille action pour un noble exercice, une action glorieuse. Le substantif gentillesse, qui s'est conservé, désigne dans une personne un certain agrément qu'on remarque dans la mine, dans les manieres, dans les gestes, dans le propos, & dans les moindres actions du corps & de l'esprit. C'est un genre d'agrément très-séduisant dans une femme. (D.J.)


GENTESS. f. pl. terme de Charron ; pour les grandes roues, ce sont six pieces de bois d'orme formant un cercle entier, & jointes ensemble par des fortes chevilles : chaque partie démontée forme un sixieme de cercle. Les petites roues sont à quatre ou à cinq gentes. Voyez la fig. 2. Pl. du Charron.

GENTE DE ROND, terme de Charron, c'est une piece de bois composée de quatre gentes, & qui forme un rond qui est enchâssé sur la selette de l'avant-train. Voyez la fig. 1. Pl. du Charron.


GENTIANES. f. gentiana, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale campaniforme, évasée ou tubulée & découpée. Le pistil sort du calice, traverse le fond de la fleur, & devient un fruit membraneux, ovoïde, & pointu, composé de deux panneaux & d'une capsule, & rempli de semences ordinairement plates, rondes, & entourées d'un limbe. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Les Botanistes comptent plusieurs especes de gentiane, dont quelques-unes sont cultivées dans les jardins des curieux, entr'autres la gentianelle, qui en vaut bien la peine ; Bradley dit qu'elle est d'un si beau bleu, que l'outre-mer ne l'égale pas. On cultive aussi la grande gentiane jaune, gentiana major lutea de C. Bauh. Parkins. Tournef. Boerh. elle est employée des Medecins, & c'est celle qu'il nous suffira de décrire.

Ses racines sont longues, charnues, jaunâtres, un peu branchues, & fort ameres ; ses fleurs ressemblent à celles de l'ellébore blanc ; elles sont en grand nombre près de la racine, placées vis-à-vis les unes des autres le long de la tige, qu'elles embrassent en se réunissant par leur base ; elles ont trois ou cinq nervures, comme les feuilles de plantain ; elles sont unies, luisantes, ce qui les distingue des feuilles de l'ellébore blanc : ses tiges ont une à deux coudées, & quelquefois davantage ; elles sont simples, lisses, & portent des fleurs qui naissent par tas au nombre de huit ou dix, disposées en maniere d'anneaux ; elles sont d'une seule piece, en forme de cloche, évasées, découpées en cinq quartiers, de couleur d'un jaune-pâle, garnies d'un pistil de même couleur, qui s'éleve du fond du calice à la hauteur d'un pouce, & perce la partie inférieure de la fleur : ce pistil devient ensuite un fruit membraneux, ovale, terminé en pointe, qui n'a qu'une loge : cette loge s'ouvre en deux panneaux, & est remplie de plusieurs graines rougeâtres, rondes, applaties, & bordées d'un feuillet membraneux.

Pline prétend que cette plante doit son nom à Gentius roi d'Illyrie. Elle vient dans les Pyrénées, dans les montagnes d'Auvergne, & sur-tout dans les Alpes. Haller en donne une charmante description poétique. " C'est ici, dit-il en parlant des Alpes, que la noble gentiane éleve sa tête altiere au-dessus de la foule rampante des plantes plébéïennes ; tout un peuple de fleurs se range sous son étendard ; l'or de ses fleurs est formé en rayons, il embrasse sa tige ; ses feuilles peintes d'un verd-foncé, brillent du feu d'un diamant humide ; la nature suit chez elle la plus juste des lois, elle unit la vertu avec la beauté ". Il est du-moins vrai, pour parler plus simplement, que sa racine est d'un très-grand usage. Voyez GENTIANE, (Mat. med.)

Je n'ajoûte qu'un mot sur la petite gentiane d'Amérique, à fleur bleue, gentianella americana, flore coeruleo, parce que l'artifice & la précaution de la nature pour la conservation de son espece, paroissent en elle évidemment. Il ne faut pas douter que les capsules ne soient les meilleures défenses qu'on puisse imaginer pour la conservation des graines ; car c'est dans cet étui qu'elles demeurent garanties des injures de l'air & de la terre, jusqu'à l'approche du tems le plus propre à les faire sortir. Alors aussi les graines mûres de cette plante sont répandues & semées en terre presqu'aussi exactement que le pourroit faire le plus habile semeur. Dès que la moindre humidité touche le bout de ces capsules, elles crevent avec force, sautent subitement, & par leur vertu élastique répandent les graines à une distance où elles rencontrent un lieu propre à les recevoir. C'est une observation faite par le chevalier Hans-Sloane, pendant son séjour à la Jamaïque, sur les capsules de la gentiane de ces pays-là, & cette observation se trouve vérifiée par d'autres exemples semblables. (D.J.)

GENTIANE ou GRANDE-GENTIANE, (Matiere médic.) La racine de gentiane est la seule partie de cette plante qui soit employée en Medecine ; elle est très-amere, & elle est fort employée à ce titre, comme stomachique & vermifuge. Voyez STOMACHIQUE & VERMIFUGE. Elle est recommandée contre les obstructions des visceres du bas-ventre, contre la jaunisse, & contre les fievres intermittentes. C'étoit un des fébrifuges que l'on employoit avec le plus de succès avant la découverte du quinquina ; elle passe pour résister aux poisons & à la peste même ; elle est célebre depuis long-tems contre la morsure des animaux venimeux : c'est une des vertus que lui donne Dioscoride. Elle a été recommandée aussi contre la morsure des chiens enragés ; on peut la donner en poudre depuis demi-gros jusqu'à deux. On n'employe intérieurement ni sa décoction ni son suc, à cause de sa grande amertume, mais on les applique extérieurement pour mondifier les plaies & les ulceres. Ces liqueurs fournissent aussi de bons collyres dans les legeres inflammations des yeux.

On préparoit un extrait de gentiane dès le tems de Dioscoride. Cet extrait contient la partie vraiment médicamenteuse de la plante, qui peut être administrée très-commodément sous cette forme.

La racine de gentiane entre dans les compositions suivantes de la pharmacopée de Paris ; savoir l'eau générale, le décoctum amer, l'élixir de vitriol, le sirop de longue vie, le diascordium, l'opiate de Salomon, la thériaque, la thériaque diatessaron, le mithridate, l'orviétan ordinaire, l'orvietanum praestantius, le baume oppodeldoc, la poudre arthritique amere. L'extrait entre dans la thériaque céleste. (b)

GENTIANE, (petite) ou GENTIANE-CROISETTE, (Mat. médicale.) La racine de petite gentiane est très-estimée par les modernes, dit Ray, contre la peste & la morsure des animaux venimeux. Mathiole assûre que cette racine étant pilée & appliquée sur le bas-ventre en forme de cataplasme, est un remede éprouvé contre les vers des intestins ; & que la plante fraîche pilée ou séchée, & pulverisée, est d'une grande efficacité contre les ulceres écroüelleux.

Cette plante est absolument inusitée parmi nous.

Usage chirurgical de la racine de gentiane. C'est un fort bon dilatant pour aggrandir un ulcere fistuleux, & en entretenir l'ouverture. Voyez DILATANT & DILATATION. Pour complete r sommairement ces articles, nous devons remarquer que la dilatation des sinus fistuleux convient principalement à ceux qui sont environnés de toutes parts de parties respectables, telles que sont les nerfs, les gros vaisseaux, les tendons, les ligamens, &c. Le seul moyen de conserver une ouverture nécessaire contre les progrès de la réunion, est l'usage des dilatans. On dilate, & l'on entretient une ouverture dilatée, pour deux vûes générales ; 1°. pour attendre une exfoliation ou un corps étranger, dont l'extraction ou la sortie se doivent différer ; 2°. pour conserver dans certains cas une issue aux écoulemens, & une entrée aux secours nécessaires à la cure. Ce sont ordinairement des cannules qui remplissent cette seconde vûe. La racine de gentiane s'employe particulierement pour écarter & forcer, pour ainsi dire, la plaie ou l'ulcere à devenir plus large. Elle n'a pas l'inconvénient de l'éponge préparée, qui acquiert dans un sinus où on l'a mise, cinq ou six fois autant de volume qu'elle en avoit en l'y mettant ; & comme elle se gonfle plus où elle trouve moins de résistance, on a quelquefois beaucoup de peine à la retirer. La racine de gentiane introduite dans une plaie, se gonfle, à la vérité ; mais elle ne peut pas acquérir un si grand volume, capable de mettre trop de disproportion. Elle mérite d'ailleurs des préférences sur l'éponge préparée, parce qu'elle a une qualité détersive & antiputride ; elle détruit les chairs fongueuses & calleuses. La poudre de racine de gentiane mise sur les fontanelles ou cauteres dont la suppuration se tarit, ranime les chairs, & produit de nouveau une exudation purulente ; on peut en former des boules en forme de pois, pour mettre dans le creux de ces ulceres artificiels. (Y)


GENTIERES. f. outil de Charron ; ce sont quatre morceaux de bois enchâssés quarrément, aux quatre coins desquels sont posées quatre chevilles qui servent à embrasser plusieurs gentes accolées les unes à côté des autres, pour y percer des mortaises, après les avoir assujetties des quatre côtés avec des coins. Voyez la fig. Planche du Charron.


GENTILS. m. (Hist. anc.) payen qui adore les idoles. Voyez IDOLE, PAYEN, DIEU.

Les Hébreux appelloient gentes, nations, tous les autres peuples de la terre, tout ce qui n'étoit pas israélite ou hébreu. Il y en a qui disent que les Gentils ont été appellés de ce nom, par opposition aux Juifs & aux Chrétiens, qui ont une loi positive qu'ils suivent dans leur religion ; au lieu que les Gentils n'ont que la loi naturelle, & celle qu'ils s'imposent librement à eux-mêmes : Gentiles quia sunt & geniti fuerunt.

Les Juifs se servoient du mot de gentil dans le sens que les Chrétiens employent celui d'infidele. S. Paul est appellé le docteur & l'apôtre des Gentils ; c'est ainsi qu'il s'appelle lui-même, Rom. xj. 13. " Tant que je serai l'apôtre des Gentils, je travaillerai à rendre illustre mon ministere ".

La vocation des Gentils à la foi a été prédite dans l'ancien Testament, comme elle s'est accomplie dans le nouveau. Voyez Ps. ij. 8. Is. ij. 2. Joel, ij. 29. Matth. viij. 2. xij. 18. Act. xj. 18. xiij. 47. 48. xxviij. 28. Rom. j. 5. iij. 29 xj. 12. 13. 25. Eph. ij. Apoc. xj. 2. xxij. 2.

Dans le Droit & dans l'Histoire romaine, le nom de gentil, gentilis, signifie quelquefois ceux que les Romains appelloient barbares, soit qu'ils fussent leurs alliés ou non. Dans Ammien, dans Ausone, & dans la notice de l'Empire, il est parlé des Gentils dans le sens qui vient d'être expliqué.

Les Romains ont aussi appellé Gentils, les étrangers qui n'étoient pas sujets de l'Empire, comme on le voit dans le code théodosien, au traité de nuptiis Gentilium, où gentiles est opposé à provinciales, c'est-à-dire aux habitans des provinces de l'Empire.

Ce mot ne s'est introduit dans le latin & dans le grec, où il est aussi en usage, que depuis l'établissement du Christianisme, & il est pris de l'Ecriture. Dictionn. de Trévoux & de Chambers. (G)

* GENTILS, (philosophie des) Voyez les articles PHILOSOPHIE DES GRECS, DES ROMAINS, & l'article HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE en général.


GENTIL-DONNESS. f. pl. (Hist. ecclésiast.) religieuses de l'ordre de saint Benoît. Elles ont trois maisons à Venise. Ces maisons sont composées des filles des sénateurs & des premieres maisons de la république ; c'est ce qui les a fait appeller gentil-donnes, ou les couvents des dames nobles. Le premier fut fondé par les ducs de Venise, Ange & Justinien Partiapace, en 819.


GENTILÉS. m. (Gramm.) terme latin, que l'usage a francisé pour exprimer le nom qu'on donne aux peuples par rapport aux pays ou aux villes dont ils sont habitans.

Le gentilé d'un seul homme peut être de trois manieres & de trois sortes de dénominations : le gentilé, par exemple, du peintre Jean Rothénamer est allemand, bavarois & munichien ; allemand signifie qu'il est d'Allemagne ; bavarois, qu'il est du cercle de Baviere ; & munichien, qu'il est de Munich.

Le dictionnaire d'Etienne de Bisance enseigne le gentilé des habitans des villes, & des pays dont il parle. Notre langue manque souvent de cette sorte de richesse ; ce qui nous oblige d'employer des circonlocutions, parce que nous n'avons point de dénomination tirée du nom de plusieurs villes. On seroit bien embarrassé de désigner le gentilé des habitans d'Amiens, de Saint-Omer, d'Arras & d'autres lieux ; il est vrai cependant qu'il y a plusieurs pays & villes qui ont leur gentilé déjà fait, & que tout le monde ne connoît pas : tels sont les habitans de l'Artois, de Salé & de Candie, qui s'appellent artésiens, saletins & candiots. Mais on trouve encore dans les auteurs le gentilé des peuples de certaines provinces, qu'il est plus difficile de deviner, comme berruyers, guespins & hennuyers. La plûpart des François ignorent que ce sont les habitans de Berri, d'Orléans & du Hainaut.

Je crois que l'on pourroit former avec succès le gentilé qui nous manque de plusieurs de nos villes & provinces, & que ces sortes de dénominations faites dans la regle, & transportées ensuite dans les livres de Géographie, prendroient faveur. (D.J.)


GENTILHOMMES. m. (Jurisp.) nobilis genere, signifie celui qui est noble d'extraction, à la différence de celui qui est annobli par charge ou par lettres du prince, lequel est noble sans être gentilhomme ; mais il communique la noblesse à ses enfans, lesquels deviennent gentilshommes.

Quelques-uns tirent l'étymologie de ce mot du latin gentiles, qui chez les Romains signifioit ceux qui étoient d'une même famille, ou qui prouvoient l'ancienneté de leur race. Cette ancienneté que l'on appelloit gentilitas, étoit un titre d'honneur ; mais elle ne formoit pas une noblesse, telle qu'est parmi nous la noblesse d'extraction : la noblesse n'étoit même pas héréditaire, & ne passoit pas les petits-enfans de celui qui avoit été annobli par l'exercice de quelque magistrature.

D'autres veulent que les titres d'écuyers & de gentilshommes ayent été empruntés des Romains, chez lesquels il y avoit deux sortes de troupes en considération, appellées scutarii & gentiles. Il en est parlé dans Ammian-Marcellin, sous le regne de Julien l'Apostat, qui fut assiégé en la ville de Sens par les Sicambriens, lesquels savoient scutarios non adesse nec gentiles, per municipia distributos.

Enfin une troisieme opinion qui paroît mieux fondée, est que le terme de gentilshommes vient du latin gentis homines, qui signifioit les gens dévoüés au service de l'état, tels qu'étoient autrefois les Francs, d'où est venue la premiere noblesse d'extraction. Tacite parlant des Gaules, dit que les compagnons du prince ne traitent d'aucunes affaires qu'ils n'ayent embrassé la profession des armes ; que l'habit militaire est pour eux la robe virile ; qu'ils ne sont jusque-là que membres de familles particulieres, mais qu'alors ils appartiennent à la patrie & à la nation, dont ils deviennent les membres & les défenseurs.

Dans les anciennes ordonnances on trouve écrit tantôt gentishommes, tantôt gentilshommes.

Les gentilshommes joüissent de plusieurs priviléges qui seront expliqués au mot NOBLES. (A)

GENTILHOMME A DRAPEAU, (Hist. mod. & Art milit.) c'étoit autrefois dans le régiment des gardes, un jeune homme de condition qui portoit l'habit d'officier dans chaque compagnie. Il n'avoit point de paye ; c'étoit une espece d'officier surnuméraire, destiné à remplir les places d'enseigne dans le régiment lorsqu'elles devenoient vacantes. Il n'y a plus aujourd'hui de gentilshommes à drapeau dans ce régiment. (Q)

GENTILHOMME DE LIGNE OU DE SANG, c'est celui qui est noble d'extraction. Voyez ci-après GENTILHOMME DE QUATRE LIGNES, & GENTILHOMME DE SANG. (A)

GENTILHOMME DE NOM ET D'ARMES : l'opinion la plus naturelle & la plus suivie est, que c'est un noble d'ancienne extraction, qui justifie que ses ancêtres portoient de tems immémorial le même nom & les mêmes armoiries qu'il porte. Il y a néanmoins diverses opinions sur l'origine de ces termes noms & armes, qui sont rapportées par de la Roque en son traité de la noblesse, chap. v. (A)

GENTILHOMME DE PARAGE, étoit celui qui étoit noble par son pere. Le privilége de ces sortes de gentilshommes étoit de pouvoir être faits chevaliers ; à la différence de ceux qui n'étoient gentilshommes ou nobles que par la mere, lesquels pouvoient bien posséder des fiefs, mais non pas être faits chevaliers : ce qui est très-bien expliqué par Beaumanoir, chap. xlv. pp. 252 & 255.

GENTILHOMME DE HAUT PARAGE, est celui qui descend d'une famille illustre.

GENTILHOMME DE BAS PARAGE, est celui qui descend d'une famille moins noble. Voyez la Roque, traité de la noblesse, chap. xj. (A)

GENTILHOMME DE QUATRE LIGNES, est celui qui est en état de prouver sa noblesse par les quatre lignes paternelles & autant de lignes du côté maternel ; ce qui fait huit quartiers. Il en est parlé dans le traité de la noblesse par de la Roque, ch. x. (A)

GENTILHOMME DE SANG ou DE LIGNE, est la même chose que noble d'extraction. Les statuts de l'ordre de la jarretiere, faits par Edoüard III. roi d'Angleterre en 1347, portent que nul ne sera élû compagnon dudit ordre s'il n'est gentilhomme de sang ou de ligne. (A)

GENTILSHOMMES DE LA CHAMBRE, (Hist. de France) ils sont au nombre de quatre, & servent par année. Les deux premieres charges de gentilshommes ordinaires de la chambre furent instituées par François I. qui supprima en 1545 la charge de chambrier. Louis XIII. a créé les deux autres charges de gentilshommes de la chambre, ce qui a continué jusqu'à présent.

Les quatre premiers gentilshommes de la chambre existans sont.

M. le duc de Gesvres, depuis 1717.

M. le duc d'Aumont, depuis 1723.

M. le duc de Fleury, depuis 1741.

M. le maréchal-duc de Richelieu, depuis 1744, qui a pour survivancier depuis 1756, M. le duc de Fronsac son fils.

Les premiers gentilshommes de la chambre prêtent serment de fidélité au Roi : ils font tout ce que fait le grand-chambellan ; en son absence ils servent le Roi toutes les fois qu'il mange dans sa chambre ; ils donnent la chemise à Sa Majesté, quand il ne se trouve pas quelques fils de France, princes du sang, princes légitimés, ou le grand-chambellan. Ils reçoivent les sermens de fidélité de tous les officiers de la chambre, leur donnent les certificats de service : ils donnent l'ordre à l'huissier, par rapport aux personnes qu'il doit laisser entrer.

Les quatre premiers gentilshommes de la chambre, chacun dans son année, sont les seuls ordonnateurs de toute la dépense ordinaire & extraordinaire employée sur les états de l'argenterie pour la personne du Roi, ou hors la personne du Roi ; comme aussi sur l'état des menus plaisirs & affaires de la chambre. Ils ont sous eux les intendans & les thrésoriers généraux des menus, & les autres officiers de la chambre.

C'est aux premiers gentilshommes de la chambre à faire faire pour le Roi les premiers habits de deuil, tous les habits de masques, ballets & comédies, les théatres, & les habits pour les divertissemens de Sa Majesté.

GENTILHOMME ORDINAIRE DE LA MAISON DU ROI, (Hist. de France) ou simplement gentilshommes ordinaires. Quoiqu'ils soient réduits présentement à vingt-six, on sait qu'Henri III. les avoit créés au nombre de quarante-cinq : mais, comme M. de Voltaire le remarque, il ne faut pas les confondre avec les gentilshommes nommés les quarante-cinq, qui assassinerent le duc de Guise ; ceux-ci étoient une compagnie nouvelle formée par le duc d'Epernon, & payée au thrésor-royal sur les billets de ce duc. Encore moins faut-il dire avec le P. Maimbourg, que Lognac chef des assassins du duc de Guise, fut premier gentilhomme de la chambre du roi ; le maréchal de Rets & le duc de Villequier étoient seuls premiers gentilshommes de la chambre, parce que dans ce tems-là il n'y en avoit que deux ; Louis XIII. en créa deux autres. Voy. ci-devant GENTILSHOMMES DE LA CHAMBRE. (D.J.)

Les gentilshommes ordinaires servent par semestre ; ceux de service doivent se trouver au lever & au coucher du Roi tous les jours ; l'accompagner dans tous les lieux, afin d'être à-portée de recevoir ses commandemens. C'est au Roi seul qu'ils rendent réponse des ordres qu'ils ont exécutés de sa part : ils sont à cet effet introduits dans son cabinet. Leurs fonctions sont uniquement renfermées dans le service & dans la personne du Roi. S'il y a quelques affaires à négocier dans les pays étrangers, Sa Majesté quelquefois les y envoye avec le titre & la qualité de ministre ou d'envoyé extraordinaire. Elle s'en sert aussi s'il faut conduire des troupes à l'armée, ou les établir dans des quartiers d'hyver ; pour porter les ordres dans les provinces, dans les parlemens & dans les cours souveraines.

Le Roi se sert de ses gentilshommes ordinaires pour notifier aux cours étrangeres la naissance du dauphin & celle des princes de la famille royale, & lorsqu'il desire témoigner aux rois, aux princes souverains, qu'il prend part & s'intéresse aux motifs de leur joie ou de leur affliction.

Ce sont les gentilshommes ordinaires qui invitent de la part du Roi, les princes & les princesses de se trouver aux nôces du dauphin, & d'assister au banquet royal & aux différentes fêtes qui les suivent. Le roi les charge d'aller sur la frontiere recevoir les rois ou princes souverains, pour les accompagner & les conduire tout le tems de leur séjour en France.

C'est un gentilhomme ordinaire qui va recevoir sur la frontiere les ambassadeurs extraordinaires, ou de Perse, ou du grand-seigneur ; il est chargé aux dépens du Roi, de toutes les choses qui regardent le traitement, entretien, & les autres soins qui lui sont ordonnés pour lesdits ambassadeurs ; & il les accompagne dans leurs visites, aux spectacles, promenades, soit dans Paris ou à la campagne, même jusqu'à leur embarquement pour le départ.

Lorsque Sa Majesté va à l'armée, quatre gentilshommes ordinaires de chaque semestre ont l'honneur d'être ses aides-de-camp, & de le suivre toutes les fois qu'il monte à cheval.

Le Roi régnant ayant jugé à-propos de donner un ceinturon & une fort belle épée de guerre à ceux qui l'ont suivi dans ses glorieuses campagnes ; cette faveur de distinction fut précédée & annoncée par une lettre de M. le comte d'Argenson, ministre & secrétaire d'état de la guerre, écrite à chacun en particulier, & conçue en ces termes :

A Alost, le 5 Août 1745.

" Je vous donne avis, Monsieur, par ordre du Roi, que Sa Majesté a ordonné au sieur Antoine son porte-arquebuse, de vous délivrer une épée de guerre ; & Elle m'a chargé en même tems de vous marquer la satisfaction qu'Elle a des services que vous lui avez rendus pendant cette campagne ". Je suis très-parfaitement, Monsieur, &c.

Il y a eu dans ce corps des personnes illustres par leur naissance, leurs grades militaires, ou d'un mérite distingué : tels que le connétable de Luynes, MM. de Toiras & de Marillac, maréchaux de France & chevaliers des ordres du roi ; MM. Malherbe, Racine, de Voltaire. Article de M. DE MARGENCY, Gentilhomme ordinaire.

GENTILSHOMMES SERVANS, (Hist. de France.) Ces gentilshommes, fixés au nombre de trente-six, font journellement à la table du Roi les fonctions que font aux grandes cérémonies le grand-pannetier de France, représenté par douze de ces gentilshommes ; le grand-échanson & le grand-écuyer-tranchant, représentés aussi chacun par douze de ces gentilshommes servans : cependant ils sont indépendans de ces trois grands-officiers ; car lorsqu'il arrive à ces grands officiers d'exercer leurs charges, comme à la cene, les gentilshommes servans servent conjointement avec eux, & font alternativement leurs fonctions ordinaires : il y en a neuf par quartier, trois de chaque espece.

Ils sont nommés gentilshommes servans le Roi, parce qu'ils ne servent que Sa Majesté, les têtes couronnées, ou les princes du sang & les souverains, quand le Roi les traite, le premier maître d'hôtel ou les maîtres d'hôtel de quartier y servant alors avec le bâton de cérémonie.

Le jour de la cene ils servent conjointement avec les fils de France, les princes du sang & les seigneurs de la cour, qui présentent au Roi les plats que Sa Majesté sert aux treize enfans de la cene. Ils ont rang aux grandes cérémonies ; ils servent toûjours l'épée au côté, & ont séance immédiatement après les maîtres d'hôtel. Ils prêtent serment de fidélité au Roi entre les mains du grand-maître, ainsi que les douze maîtres-d'hôtel. Etat de la France.


GENUFLEXIONS. f. (Hist. eccl.) fléchissement de genoux.

Rosweid, dans son onomasticon, prétend que la génuflexion dans la priere est un usage très-ancien dans l'Eglise, & même dans l'ancien Testament ; que cet usage s'observoit toute l'année, excepté le dimanche, & que pendant le tems qui est depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte, elle étoit défendue par le concile de Nicée.

D'autres ont prétendu que cette différence venoit des apôtres, comme cela paroît par S. Irénée & Tertullien. L'église d'Ethiopie qui est scrupuleusement attachée aux anciennes coûtumes, a retenu celle de ne point réciter le service divin à genoux.

Les Russes regardent comme une chose indécente de prier Dieu à genoux. Les Juifs prient toûjours debout. Rosweid tire les raisons de la défense de ne point faire de génuflexion le dimanche, de S. Basile, de S. Athanase & de S. Justin.

Baronius prétend que la génuflexion n'étoit point établie l'an 58 de Jesus-Christ, à cause de ce qu'on lit de S. Paul dans les Actes xx. 36 : mais d'autres ont crû qu'on n'en pouvoit rien conclure.

Le même auteur remarque que les Saints avoient porté si loin l'exercice de la génuflexion, que quelques-uns en avoient usé le plancher à l'endroit où ils se mettoient ; & S. Jérôme dit que S. Jacques avoit par-là contracté une dureté aux genoux égale à celle des chameaux. Eusebe l'assûre de S. Jacques de Jérusalem. Dict. de Trévoux & Chambers.

Bingham, dans ses antiquités ecclésiastiques, prouve fort bien ce que prétend Rosweid, qu'à l'exception des dimanches & du tems depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte, les fideles prioient toûjours à genoux, & principalement les jours de station, c'est-à-dire les jours de jeûne. Il cite sur ce sujet plusieurs peres & conciles ; entr'autres le troisieme concile de Tours, qui s'exprime de la sorte : Sciendum est quod exceptis diebus dominicis & illis solemnitatibus quibus universalis ecclesia ob recordationem dominicae resurrectionis solet stando orare, fixis in terrâ genibus, suppliciter clementiam Dei nobis profuturam nostrorumque criminum indulgentiam deposcendum est. Bingham, orig. ecclesiastic. tom. V. lib. XIII. cap. viij. §. 4. (G)

GENUFLEXION, (Hist. mod.) marque extérieure de respect, de soûmission, de dépendance d'un homme à un autre homme.

L'usage de la génuflexion passa de l'Orient dans l'Occident, introduit par Constantin, & précédemment par Dioclétien ; il arriva de-là que plusieurs rois, à l'exemple de l'empereur d'Occident, exigerent qu'on fléchît les genoux en leur parlant, ou en les servant. Les députés des communes prirent la coûtume de parler à genoux au roi de France, & les vestiges en subsistent toûjours. Les ducs de Bourgogne tâcherent aussi dans leurs états de conserver l'étiquette des chefs de leur maison. Les autres souverains suivirent le même exemple. En un mot, un vassal se vit obligé de faire son hommage à son seigneur les deux genoux en terre. Tout cela, comme dit très-bien M. de Voltaire, n'est autre chose que l'histoire de la vanité humaine ; & cette histoire ne mérite pas que nous nous y arrêtions plus long-tems. (D.J.)


GÉNUSUS(Géog. anc.) riviere de l'Illyrie, entre Apsus & Apollonie. César & Lucain en parlent. Le P. Briet dit que le nom moderne de Génuse est l'Arzenza. (D.J.)


GÉOCENTRIQUEadj. (Astron.) se dit de l'orbite d'une planete en tant qu'on considere cette orbite par rapport à la Terre. Ce mot signifie proprement concentrique à la Terre ; & c'est un terme des anciens astronomes, qui regardoient la Terre comme le centre du monde. Mais, selon le système aujourd'hui reçû, les orbites des planetes ne sont point géocentriques ; il n'y a proprement que la Lune qui le soit. Voyez PLANETE, LUNE, &c.

Le mot géocentrique n'est en usage dans la nouvelle Astronomie que pour signifier 1°. la latitude géocentrique d'une planete, c'est-à-dire sa latitude telle qu'elle paroît étant vûe de la Terre. Cette latitude est l'angle que fait une ligne qui joint la planete & la Terre avec le plan de l'orbite terrestre qui est la véritable écliptique : ou, ce qui est la même chose, c'est l'angle que la ligne qui joint la planete & la Terre, forme avec une ligne qui aboutiroit à la perpendiculaire abaissée de la planete sur le plan de l'écliptique. Voyez LATITUDE.

Ainsi, dans les Planches d'Astronomie, figure 40. menant de la planete la ligne e perpendiculaire au plan de l'écliptique, l'angle T e est la latitude géocentrique de cette planete, lorsque la Terre est en T ; & l'angle e t est la latitude géocentrique de cette même planete, quand la Terre est en t. Voyez LATITUDE.

2°. Le lieu géocentrique d'une planete est le lieu de l'écliptique, auquel on rapporte une planete vûe de la Terre. Ce lieu se détermine en cherchant le point ou degré de l'écliptique, par lequel passe la ligne T e. On peut voir dans les instr. astronomiq. de M. le Monnier, pag. 551, la méthode de trouver le lieu géocentrique. Voyez LIEU ; voyez aussi HELIOCENTRIQUE.

3°. On appelle longitude géocentrique d'une planete, la distance prise sur l'écliptique & suivant l'ordre des signes, entre le lieu géocentrique, & le premier point d'Ariès. Voyez LONGITUDE. (O)


GÉODES. m. (Hist. nat. Minéral.) on donne ce nom à une pierre, ou brune, ou jaune, ou de couleur de fer, qui est ordinairement arrondie, mais irrégulierement, creuse par-dedans, assez pesante, & contenant de la terre ou du sable, que l'on entend remuer lorsqu'on la secoue. Wallerius regarde avec raison le géode comme une espece d'aetite, ou de pierre d'aigle, avec qui il a beaucoup de rapport ; il est comme elle formé de plusieurs couches ou croûtes de terre ferrugineuse, qui se sont arrangées les unes sur les autres, & se sont durcies. Ces croûtes ou enveloppes sont quelquefois sillonnées ; d'autres sont luisantes & lisses ; d'autres sont gersées & remplies de petites crevasses. La géode ne differe de la pierre d'aigle, que parce que le noyau que cette derniere contient est de pierre ; au lieu que le géode contient de la terre. Cette terre est ordinairement de l'ochre mêlée de sable ; & M. Hill prétend qu'elle n'est jamais de la même nature que la couche de terre dans laquelle les géodes se trouvent : d'où il conclut que ces pierres ont dû être formées dans d'autres endroits que ceux où on les rencontre actuellement. Cela peut être vrai pour les géodes d'Angleterre ; mais il s'en trouve en Normandie dans de l'ochre, où tout prouve qu'ils ont été formés.

Le même auteur compte cinq especes de géodes dans son histoire naturelle des fossiles : mais les différentes figures qu'on y remarque sont purement accidentelles ; & les géodes, ainsi que les aetites, doivent être regardées comme de vraies mines de fer. On en trouve en une infinité d'endroits de France, d'Allemagne, de Bohème, &c. (-)


GÉODÉSIES. f. (Ordre encyclop. Entendement. Raison, Philosoph. Science de la Nat. Mathématiques. Géométrie, Géodésie) c'est proprement cette partie de la Géométrie pratique qui enseigne à diviser & partager les terres & les champs entre plusieurs propriétaires. Voyez ci-après GEOMETRIE.

Ce mot vient de deux mots grecs, , terra, terre, & , divido, je divise.

Ainsi la Géodésie est proprement l'art de diviser une figure quelconque en un certain nombre de parties. Or cette opération est toûjours possible, ou exactement, ou au-moins par approximation. Si la figure est rectiligne, on la divisera d'abord en triangles, qui auront un sommet commun pris où l'on voudra, soit au-dedans de la figure, soit sur la circonférence. On calculera par les méthodes connues l'aire de chacun de ces triangles, & par conséquent on aura la valeur de chaque partie de la surface, & on connoîtra par-là de quelle maniere il faut diviser la figure ; toute la difficulté se réduira dans tous les cas à diviser un triangle en raison donnée. C'est ce qu'il est nécessaire de développer un peu plus au long.

Soit proposé, par exemple, de diviser un hexagone par une ligne qui parte d'un de ses angles, en deux parties qui soient entr'elles comme m à n ; on divisera d'abord cet hexagone en quatre triangles par des lignes qui partent du point donné ; ensuite soit A l'aire de l'hexagone, & p A, q A, r A, s A, l'aire de chacun des triangles ; comme les aires des deux parties cherchées doivent être m A & n A, supposons que soit > m/n, il s'ensuit qu'il faudra prendre dans le triangle q A une partie x A, telle que soit = m/n ; d'où l'on tire (p + q) n - (r + s) m = m x + n x, & par conséquent x = . Il s'agit donc de diviser le triangle q A en deux parties x A & (q - x) A, qui soient entr'elles comme x est à q - x, & par conséquent en raison donnée, puisque x est connue par l'équation qu'on vient de trouver. Or pour cela il suffit de diviser le côté de l'hexagone qui est la base de ce triangle q A, en deux parties, qui soient entre elles comme x à q - x ; opération très-facile. Voyez TRIANGLE.

Le problème n'auroit pas plus de difficulté, si le point donné étoit non au sommet des angles, mais sur un des côtés de la figure à volonté.

Si la figure que l'on propose de diviser est curviligne, on peut quelquefois la diviser géométriquement en raison donnée, mais cela est rare ; & en général la méthode la plus simple dans la pratique consiste à diviser la circonférence de la figure en parties sensiblement rectilignes, à regarder par conséquent la figure comme rectiligne, & à la diviser ensuite selon la méthode précédente.

Quelquefois, au lieu de diviser un triangle en raison donnée par une ligne qui passe par le sommet, il s'agit de le diviser en raison donnée par une ligne qui passe par un point placé hors du sommet, soit sur l'un des côtés, soit au-dedans du triangle, soit au-dehors ; alors le problème est un peu plus difficile ; mais la Géométrie, aidée de l'Analyse, fournit des moyens de le résoudre. Voyez dans l'application de l'Algebre à la Géométrie de M. Guisnée la solution des problèmes du second degré, vous y trouverez celui dont il s'agit. Il est résolu & expliqué fort en détail ; & il servira, comme on le va voir, à diviser une figure quelconque en raison donnée par une ligne menée d'un point donné quelconque.

Si le point par lequel passe la ligne qui doit diviser une figure quelconque en raison donnée, est situé au-dedans ou au-dehors de la figure, alors il est évident que le problème peut avoir plusieurs solutions, au-moins dans un grand nombre de cas, & quelquefois être impossible. Pour le sentir, il suffit de remarquer que si la figure, par exemple, est réguliere & d'un nombre pair de côtés, que le point donné soit le centre, & qu'il faille diviser la figure en deux parties égales, le problème est indéterminé, puisque toute ligne tirée par le centre résoudra ce problème ; que si les deux parties doivent être inégales, le problème est impossible ; & que si dans ce dernier cas le point est placé hors de la figure, soit réguliere, soit irréguliere, le problème a toûjours deux solutions, dont l'une s'exécutera par une ligne tirée à droite, & l'autre à gauche, toutes deux partant du point donné. Or menant du point donné à tous les angles de la figure des lignes, qui prolongées, s'il est nécessaire, au-dedans de la figure, partagent cette figure en quadrilateres, ce qui est toûjours possible, on voit évidemment que, comme la question s'est réduite dans le premier cas à partager un triangle en raison donnée, par une ligne qui parte d'un point donné ; de même la question se réduit ici, après avoir calculé séparément les surfaces de tous ces quadrilateres, à partager l'un d'eux en raison donnée par une ligne tirée du point donné. Il y a donc ici trois choses à trouver, 1°. quel est le quadrilatere qu'il faut partager ; 2°. quelle est la raison suivant laquelle il faut le partager ; 3°. comment on partage un quadrilatere en raison donnée par une ligne menée d'un point donné, qui se trouve au concours des deux côtés du quadrilatere. Les deux premiers de ces problèmes se résoudront par une méthode exactement semblable à celle qu'on a donnée ci-dessus, pour le cas de la division de la figure en triangles. Le troisieme demande un calcul analytique fort simple, & tout-à-fait analogue à celui que M. Guisnée a employé pour résoudre le même problème par rapport au triangle. Nous y renvoyons le lecteur, afin de lui laisser quelque sujet de s'exercer à l'analyse géométrique ; mais si l'on veut se dispenser de cette peine, on pourra réduire le problème dont il s'agit, au cas de la division du triangle de la maniere suivante. On prolongera les deux côtés du quadrilatere qui ne concourront pas au point donné, & on formera un triangle extérieur au quadrilatere qui aura un des autres côtés du quadrilatere pour base, & qui sera avec le quadrilatere en raison donnée de k à 1, k étant un nombre quelconque entier ou rompu. Cela posé, soient p A, q A les deux parties dans lesquelles il faut diviser le quadrilatere, il est évident que le quadrilatere total sera p A + q A ; que le triangle sera k (p A + q A), & que le triangle joint au quadrilatere (ce qui formera un nouveau triangle qui aura le quatrieme côté du quadrilatere pour base), sera (k + 1) (p A + q A). Il s'agit donc, en menant une ligne par le point donné, de diviser ce triangle en deux parties, dont l'une soit k (p A + q A) + p A, & l'autre q A ; c'est-à-dire que le problème se réduit à diviser un triangle connu & donné, en deux parties qui soient entr'elles comme k (p + q) + p est à q, par une ligne qui passe par un point donné hors du triangle : or on a dit ci-dessus comment on peut résoudre ce problème.

Si le point donné est placé dans la figure, on menera par ce point à tous les angles de la figure, des lignes terminées de part & d'autre à cette figure ; & on divisera par ce moyen la figure en triangles dont chacun aura son opposé au sommet. Cela posé, on cherchera les aires de ces triangles, & on aura les aires de chaque partie de la figure terminées par une des lignes tirées du point donné ; lignes qu'on peut appeller, quoiqu'improprement, diametres de la figure. Connoissant ces aires, on cherchera quels sont les deux diametres voisins qui divisent la figure, l'un en plus grande raison, l'autre en plus petite raison que la raison donnée ; & par-là on saura que la ligne cherchée doit passer dans l'angle formé par ces deux diametres : & comme il peut y avoir plusieurs diametres voisins qui divisent ainsi la figure, l'un en plus grande raison, l'autre en plus petite raison que la raison donnée, il s'ensuit que le problème aura autant de solutions possibles qu'il y aura de tels diametres. Cela posé, soit A l'aire de la figure totale ; p A l'aire d'un des triangles formé par les deux diametres voisins ; q A l'aire du triangle opposé au sommet de celui-ci, & que je suppose lui être inférieur ; m A l'aire de la partie de la figure qui est à droite de ces deux triangles ; n A l'aire de la partie qui est à gauche, on aura m A + p A + n A + q A pour l'aire de la figure entiere ; ensorte que m + p + n + q sera = 1, & il sera question de mener entre les deux diametres donnés, & par le point donné où ces diametres se coupent, une ligne qui divise les deux triangles opposés au sommet en deux parties ; savoir x A & p A - x A, d'une part, & de l'autre z A & q A - z A, & qui soient telles que m A + p A - x A + z A soit à n A + q A - z A + x A en raison donnée, par exemple de s à 1, que nous supposons être la raison demandée. On aura donc, 1° m + p - x + z : n + q - z + x : : s. 1 ; ce qui donnera une premiere équation entre x & z : or comme les triangles x A & z A sont opposés au sommet, & font partie des triangles donnés & aussi opposés au sommet p A & q A, on trouvera facilement une autre équation générale entre x & z, puisque x A étant connue, z A le sera nécessairement ; c'est pourquoi on aura deux équations en x & en z, par le moyen desquelles on trouvera x, & il ne s'agira plus que de diviser la base du triangle p A en raison de x à p ; ce qui donnera la solution complete du problème.

S'il falloit diviser une figure en raison donnée, par une ligne qui ne passât pas par un point donné, mais qui fût parallele à une ligne donnée, on commenceroit par diviser la figure en trapézoïdes, par des lignes menées de tous les angles de cette figure, parallelement à la ligne donnée, & il est évident qu'il ne s'agiroit plus que de diviser en raison donnée un de ces trapézoïdes, ce qui seroit très-facile.

Voilà la méthode générale pour diviser une figure en raison donnée, méthode qui réussira infailliblement dans tous les cas ; mais cette méthode peut être abregée en plusieurs occasions, selon la nature de la figure proposée. Ceux qui voudront en trouver des exemples, n'auront qu'à lire le traité de Géométrie sur le terrein, de M. le Clerc, imprimé à la suite de sa Géométrie pratique, ou pratique de la Géométrie sur le papier & sur le terrein, par le même auteur. Ils trouveront dans le chap. v. de ce traité de Géométrie, des pratiques abrégées pour diviser dans plusieurs cas les figures données en différentes parties. Ce chap. v. a pour titre, division des plans ; le chap. jv. qui le précede, & qui mérite aussi d'être lû, a pour objet la réduction ou transfiguration des plans, & l'auteur y enseigne principalement à changer en triangle une figure donnée ; ce qu'il exécute pour l'ordinaire fort simplement au moyen de cette proposition, que deux triangles de même base & entre mêmes paralleles, sont égaux. Un coup-d'oeil jetté sur les propositions de ce chap. jv. en apprendra plus que tout ce que nous en pourrions dire. Cette réduction ou changement des figures en triangles est fort utile à l'auteur, dans le chap. v. dont il s'agit principalement ici, pour la division des figures ; & il y fait aussi un grand usage de l'égalité des triangles de même base entre mêmes paralleles. Le chap. vj. a aussi rapport à la matiere dont nous traitons : il a pour titre, comment on peut assembler les plans, les retrancher les uns des autres, & les aggrandir ou les diminuer selon quelque quantité proposée. L'auteur résout les problèmes relatifs à cet objet, avec la même élégance que ceux des deux chapitres qui précedent.

Cet ouvrage de M. le Clerc, une des meilleures Géométries pratiques que nous connoissions, est devenu rare ; & les gravûres agréables dont l'auteur l'a accompagné, le rendent assez cher, eu égard à son volume : il seroit à souhaiter qu'on le réimprimât, en supprimant les gravûres pour diminuer le prix du livre ; l'utilité de l'ouvrage, & sa clarté, en assûreroient le débit. L'édition que nous avons sous les yeux, est celle d'Amsterdam, en 1694, qu'on pourroit prendre pour modele. On pourroit même se contenter, pour rendre l'ouvrage encore moins cher, de réimprimer le seul traité de Géométrie sur le terrein ; car la Géométrie pratique qui le précede, & qui est imprimée à Amsterdam en 1691, ne contient rien ou presque rien qu'on ne trouve dans la plûpart des élémens de Géométrie pratique.

Quoique le mot Géodésie ait principalement l'acception que nous lui avons donnée dans cet article, de la science de partager les terres, cependant il se prend aussi assez communément & en général pour la science pratique de la mesure des terreins, soit quant à leur circonférence, soit quant à leur surface ; mais cette derniere science s'appelle encore plus communément arpentage. Voyez ARPENTAGE.

La Géodésie prise en ce dernier sens, le plus étendu qu'on puisse lui donner, n'est proprement autre chose que la Géométrie pratique, dont elle embrasse toutes les parties ; ainsi les opérations géométriques ou trigonométriques nécessaires pour lever une carte, soit en petit, soit en grand, seront en ce dernier sens des opérations de Géodésie, ou pourront être regardées comme telles. C'est pour cette raison que quelques auteurs ont appellé opérations géodésiques, celles qu'on fait pour trouver la longueur d'un degré terrestre du méridien, ou, en général, d'une portion quelconque du méridien de la terre. Ils les appellent ainsi pour les distinguer des opérations astronomiques, que l'on fait pour trouver l'amplitude de ce même degré. Voyez DEGRE, FIGURE DE LA TERRE, GEOGRAPHIE, GEOGRAPHIQUE, &c. (O)


GÉODÉSIQUEadj. (Géométrie prat.) se dit de tout ce qui appartient à la Géodésie ; ainsi on dit mesure géodésique, opération géodésique : & comme on a vû au mot GEODESIE, que ce mot peut avoir différentes acceptions plus ou moins étendues, il s'ensuit que le mot géodésique a aussi différentes acceptions relatives à celles-là. (O)


GÉOGRAPHES. m. se dit d'une personne versée dans la Géographie, & plus particulierement de ceux qui ont contribué par leurs ouvrages au progrès de cette science. Voyez GEOGRAPHIE. On trouve à cet article la liste des Géographes les plus célebres. Ceux qui publient des cartes dans lesquelles il n'y a rien de nouveau, & qui ne font que copier quelquefois assez mal les ouvrages des autres, ne méritent pas le nom de géographes ; ce sont de simples éditeurs. (O)


GÉOGRAPHIES. f. (Ordre encycl. Entend. Rais. Philosophie ou Sciences, Sciences de la Nature, Mathem. Mathem. mixtes, Astron. Cosmogr. Géograph.) composé de deux mots grecs, , terre, & , peindre. La Géographie est la description de la terre. L'on ne sait guere à quel tems cette science peut remonter dans l'antiquité. Il est naturel de penser que si les premiers hommes frappés de l'éclat des astres ont été excités à en observer les cours différens, ils n'auront pas eu moins de curiosité à connoître la terre qu'ils habitoient. Ce qu'il y a de certain, c'est que les peuples qui ont eu le plus de réputation, ont reconnu l'utilité de la Géographie : en effet sans elle il n'y eût eu ni commerce étendu ni navigation florissante ; elle servit aux conquérans & aux généraux célebres, comme aux interpretes des écrivains sacrés & profanes ; elle guida toûjours l'historien & l'orateur : florissante avec les Arts, les Sciences, & les Lettres, elle s'est trouvée toûjours marcher à leurs côtés dans leurs transmigrations. Née, pour ainsi dire, en Egypte comme les autres beaux arts, on la vit successivement occuper l'attention des Grecs, des Romains, des Arabes, & des peuples occidentaux de l'Europe.

La premiere carte dont parlent les auteurs anciens, s'il faut les en croire sur des tems si éloignés, est celle que Sesostris le premier & le plus grand conquérant de l'Egypte, fit exposer à son peuple pour lui faire connoître, dit-on, les nations qu'il avoit soûmises & l'étendue de son empire, dont les embouchures du Danube & de l'Inde faisoient les bornes.

L'on reconnoît encore l'antiquité de la Géographie dans les descriptions des livres de Moyse le plus ancien des historiens, né en Egypte, & élevé à la cour par la propre fille du roi. Ce chef du peuple de Dieu & son successeur Josué ne s'en tinrent pas à des descriptions historiques, lorsqu'ils firent le partage de la terre promise aux douze tribus d'Israël. Josephe & les plus habiles interpretes de l'Ecriture, assûrent qu'ils firent dresser une carte géographique de ce pays.

La navigation contribua beaucoup aux progrès de la Géographie. Les Phéniciens les plus habiles navigateurs de l'antiquité fonderent un grand nombre de colonies en Europe & en Afrique, depuis le fond de l'Archipel ou de la mer Egée jusqu'à Gades. Ils avoient soin d'entretenir ces colonies pour conserver & même augmenter leur commerce. Le besoin que nous avons de connoître les pays où nous faisons des établissemens, doit faire croire que cette connoissance leur étoit indispensable : la nécessité a presque toûjours été l'origine de la plûpart des sciences & des arts.

Il faut convenir que quelqu'antiquité que l'on puisse donner à la Géographie, elle fut long-tems à devenir une science fondée sur des principes certains. C'est dans la suite que les Grecs asiatiques réunissant les lumieres des astronomes chaldéens & des géometres d'Egypte, commencerent à former différens systèmes sur la nature & la figure de la terre. Les uns la croyoient nager dans la mer comme une balle dans un bassin d'eau ; d'autres lui donnoient la figure d'une surface plate, entre-coupée d'eau : mais en Grece des philosophes plus conséquens jugerent qu'elle formoit avec les eaux un corps sphérique.

Thalès le Milesien fut le premier qui travailla sur ce dernier système ; il construisit un globe, & représenta sur une table d'airain la terre & la mer. Selon plusieurs auteurs, Anaximandre disciple de Thalès est le premier qui ait figuré la terre sur un globe. Hécatée, Démocrite, Eudoxe & autres adopterent les plans ou cartes géographiques, & en rendirent l'usage fort commun dans la Grece.

Aristagoras de Milet présenta à Cléomène roi de Sparte une table d'airain, sur laquelle il avoit décrit le tour de la terre avec les fleuves & les mers, pour lui expliquer la situation des peuples qu'il avoit à soûmettre successivement.

Socrate réprima l'orgueil d'Alcibiade par l'inspection d'une carte du monde, en lui montrant que les domaines dont il étoit si fier ne tenoient pas plus d'espace sur cette carte qu'un point n'en pouvoit occuper.

Scylax de Caryande publia sous le regne de Darius-Hystaspes roi de Perse, un traité de Géographie & un périple. Voyez PERIPLE.

L'on voit dans les nuées d'Aristophane un disciple de Socrate montrant à Strepsiade une description de la terre.

Ce fut sous les Grecs que la Géographie commença à profiter des secours que l'Astronomie pouvoit lui procurer ; la protection qu'elle trouvoit dans les princes contribua beaucoup à ses progrès.

Alexandre étoit toûjours accompagné de ses deux ingenieurs Diognetes & Beton, pour lever la carte des pays que leur prince traversoit. Ils prenoient exactement les distances des villes & des rivieres de l'Asie, depuis les portes Caspiennes jusqu'à la mer des Indes. Ils employoient les observations que Néarque & Onésicrite avoient faites à bord des vaisseaux qu'Alexandre leur avoit donnés pour reconnoître la mer des Indes & le golfe Persique. Ils observoient les distances des lieux, non-seulement par l'estime du chemin, mais encore par la mesure des stades, lorsque cela leur étoit possible ; & les observations astronomiques, à la vérité beaucoup moins exactes & moins nombreuses que les nôtres, pouvoient remplir à quelques égards, quoique très-imparfaitement, les vuides que causoit le défaut des mesures actuelles.

Pytheas géographe de Marseille florissoit sous Alexandre : sa passion pour la Géographie ne lui permit pas de s'en tenir aux observations faites dans son pays. Il parcourut l'Europe depuis les colonnes d'Hercule jusqu'à l'embouchure du Tanaïs. Il avança par l'Océan occidental jusque sous le cercle polaire arctique. Ayant remarqué que plus il tiroit vers le nord, plus les jours devenoient grands, il fut le premier à désigner ces différences de jour par climats. Voyez CLIMAT. Strabon croyoit ces pays inhabitables, & malgré l'opinion qu'Eratosthène & Hipparque avoient du contraire, il ne put s'empêcher d'accuser Pytheas de mensonge ; mais celui-ci fut justifié pleinement dans la suite, & sa réputation a été entierement rétablie de nos jours par un savant mémoire de M. de Bougainville membre de l'académie des Belles-Lettres.

Aristote disciple de Platon, étoit aussi versé dans la connoissance de la Géographie que dans la Philosophie. Les observations astronomiques lui servirent à déterminer la figure & la grandeur de la terre. L'on attribue à cet ancien un livre de mundo, dédié à Alexandre, dans lequel on trouve une description assez exacte des parties de la terre connues de son tems ; savoir, de l'Europe, de l'Asie & de l'Afrique.

Thimosthènes donna un traité des ports de mers, dont Pline nous a conservé des fragmens, de même que les observations de Séleucus-Nicanor qui succéda à la puissance d'Alexandre dans la haute Asie, jusque dans une partie de l'Inde.

Théophraste disciple d'Aristote, ne se contenta pas de posséder des cartes géographiques ; il ordonna par son testament que ces ouvrages qui avoient fait ses délices pendant sa vie, & dont il avoit reconnu l'importance & l'utilité, fussent attachés au portique qu'il avoit donné ordre de construire.

A cet athénien succéda Eratosthène dont la réputation répondoit à l'étendue de génie. D'après les observations qu'il avoit recueillies de plusieurs auteurs, il corrigea le premier la carte d'Anaximandre, & en publia une nouvelle qui contenoit la surface du monde entier, à laquelle il donnoit cinq cent mille stades de circuit. Le fruit de ses recherches fut trois livres de commentaires géographiques. Il combattoit dans le premier les erreurs reçûes de son tems : le second contenoit les corrections qu'il avoit faites à l'ancienne Géographie ; & le troisieme renfermoit ses nouvelles observations.

Les sciences & les arts présentent toûjours des objets à perfectionner ; aussi releva-t-on des fautes dans Eratosthène, & l'on ajoûta de nouvelles corrections à celles qu'il avoit faites. Son ouvrage eut de grandes contestations à essuyer de la part de Serapion & d'Hipparque. Ce dernier étoit, selon Pline, aussi admirable dans la critique que dans toute autre matiere ; cependant Strabon le représente d'un caractere si opiniâtre dans ses préventions, qu'il osa préferer même l'ancienne carte d'Anaximandre à celle qu'Eratosthène avoit corrigée. Ces disputes exciterent les esprits des Grecs, & leur donnerent une vive émulation qui servit à perfectionner les principes de la Géographie.

Agatharchide le Cnidien, qui florissoit sous Ptolomée-Philometor, composa un ouvrage sur le golfe arabique ; Photius nous a conservé quelques extraits de cet auteur dans sa bibliotheque.

Environ 50 ans après, Mnésias publia une description du monde entier.

Artémidore d'Ephèse donna une description de la terre en onze livres, souvent citée par Strabon, Pline & Etienne de Byzance. Marcien d'Héraclée en avoit fait un abrégé qu'on a perdu ; il ne reste de cet ouvrage que le Périple de la Bithynie & de la Paphlagonie.

Cet amour pour la Géographie ne tarda pas à passer avec les arts de la Grece à Rome. Les Romains commençoient déja à se faire connoître ; ils avoient étendu leurs conquêtes hors de l'Italie, & porté leurs armes victorieuses dans l'Afrique. Scipion-Emilien jaloux du progrès des sciences dans sa patrie autant que de l'empire qu'elle disputoit à Carthage, donna des vaisseaux à Polybe pour reconnoître les côtes d'Afrique, d'Espagne & des Gaules. Polybe poussa jusqu'au promontoire des Hespérides (le Cap verd), & fit de plus un voyage par terre pour mesurer les distances de tous les lieux qu'Annibal avoit fait parcourir à son armée en traversant les Pyrénées & les Alpes.

L'on doit conclure encore que l'usage des cartes géographiques étoit bien connu à Rome, de ce que Varron rapporte dans son livre de re rusticâ, au sujet de la rencontre qu'il fit de son beau-pere & de deux autres romains qui considéroient l'Italie représentée sur une muraille.

Sous le consulat de Jules-César & de Marc-Antoine, le sénat conçut le dessein de faire dresser des cartes de l'Empire plus exactes que celles qui avoient paru jusqu'alors. Zénodoxe, Théodore & Polyclete furent les trois ingénieurs employés à cette grande entreprise.

La conquête de la Gaule par César procura des connoissances sur l'intérieur & les parties reculées de ce pays ; le passage du Rhin & d'un détroit de mer par ce conquérant, donnerent quelques notions particulieres de la Germanie & des îles Britanniques. Ce sont en général les conquêtes & le commerce qui ont aggrandi la Géographie ; & en suivant ces deux objets, on voit successivement les connoissances géographiques se développer.

Pompée entretenoit correspondance avec Possidonius savant astronome & excellent géographe, qui mesura (assez imparfaitement à la vérité) la circonférence de la terre par des observations célestes, faites en divers lieux sous un même méridien.

Entre les auteurs qui écrivirent sur la Géographie sous Auguste & Tibere, deux se distinguerent, savoir Strabon & Denis le Periegete. Auguste contribua à la connoissance des latitudes (voyez LATITUDE) ; comme les plus hauts gnomons (voyez GNOMONS) dont on se servoit pour connoître la hauteur du soleil par la longueur de l'ombre, se trouvoient principalement en Egypte, ce prince ordonna d'en transporter plusieurs à Rome, dont un entr'autres avoit cent onze piés de hauteur sans comprendre le piédestal. Il fit travailler aussi à des descriptions particulieres de divers pays, & sur-tout de l'Italie, où l'on marqua les distances par milles le long des côtes & sur les grands chemins. Ce fut enfin sous son regne que la description générale du monde, à laquelle les Romains avoient travaillé pendant deux siecles, fut achevée sur les mémoires d'Agrippa, & mise au milieu de Rome sous un grand portique bâti exprès.

Les regnes de Tibere, de Claude, de Vespasien, de Domitien & d'Adrien, furent remarquables par le goût qui y regna pour la Géographie.

Isidore de Charax qui vivoit au commencement du premier siecle de l'ére chrétienne, avoit composé un ouvrage intitulé , stations des Parthes, intéressant pour les distances locales de dix-huit petits gouvernemens qui faisoient partie du royaume des Perses.

Pomponius-Mela parut après, qui publia un petit corps de Géographie intitulé de situ orbis.

Suétone rapporte que sous Domitien, MétiusPomposianus qui montroit au peuple la terre peinte sur un parchemin, fut la victime de l'amour qu'il avoit pour la Géographie ; le prince s'étant imaginé que ce romain aspiroit à l'empire, le sacrifia à ses soupçons & le fit mourir.

Sous le même empereur vivoit Pline le naturaliste. La Géographie qui faisoit partie de l'histoire naturelle qu'il avoit entreprise, l'engagea à faire une description des pays de la terre connus de son tems, laquelle est comprise dans les 3, 4, 5 & 6° livres de son ouvrage. Les noms des auteurs tant romains qu'étrangers qu'il avoit consultés, & dont il fait mention dans la table des chapitres, doivent faire juger par leur nombre considérable non-seulement de son exactitude, mais encore du goût qu'on avoit eu avant lui de cultiver la Géographie, & de l'utilité dont on la croyoit susceptible.

L'on voit dans Florus que du tems de Trajan la science de composer des cartes géographiques étoit en vigueur à Rome.

Marin de Tyr vint ensuite qui corrigea & augmenta de ses connoissances celles des savans qui l'avoient précédé.

Arien de Nicomédie sous l'empereur Adrien laissa deux périples, l'un du Pont-Euxin & l'autre de la mer Rouge.

La Géographie faisoit toûjours peu-à-peu quelques progrès, lorsque Ptolomée vint contribuer à sa perfection par une description du globe terrestre beaucoup plus ample & plus exacte que toutes celles qui avoient paru jusqu'alors. Cet auteur étoit de Peluse ville d'Egypte, & vivoit du tems de Marc-Aurele vers l'an 150 de l'ére chrétienne. Les Grecs le surnommerent très-divin & très-sage, à cause de la connoissance profonde qu'il possédoit des Mathématiques & de la Physique. Je ne m'arrêterai point aux ouvrages qu'il fit sur la Physique du monde ni à ses systèmes ; il me suffira de le donner comme le restaurateur & même le pere de la Géographie. Muni des cartes des anciens & des observations faites de son tems, il corrigea beaucoup de choses dans Marin de Tyr ; il réduisit les distances de tous les lieux de la terre en degrés & minutes, selon la méthode de Possidonius. Il fit usage des degrés de longitude & de latitude, & assujettit la position des lieux à des observations astronomiques. Cette méthode fut adoptée depuis par les meilleurs géographes, qui ont reconnu par expérience qu'elle est la plus exacte & la plus sûre pour la construction des cartes géographiques.

Les ouvrages des anciens jusqu'à Ptolomée sont admirables par la sagacité & la force de génie de leurs auteurs ; cependant il faut convenir que la Géographie n'étoit encore qu'ébauchée. Hipparque avoit été réformé par Possidonius ; les cartes de celui-ci le furent par Marin de Tyr, & celles de Marin de Tyr furent trouvées susceptibles de correction par Ptolomée.

Dans la suite l'on reconnut que le travail de Ptolomée devoit recevoir quelque reforme ; il s'en falloit de beaucoup que toutes les observations dont il faisoit usage fussent exactes : il étoit obligé de s'en rapporter aux relations des voyageurs, & à l'estime qu'ils faisoient des distances. Des connoissances si incertaines ne pouvoient pas donner une grande exactitude pour les longitudes & les latitudes : delà les fautes considérables qu'on a reconnues dans la Géographie de Ptolomée, tant pour la situation des îles fortunées ou canaries, & la partie septentrionale des îles britanniques, que pour la position de la capitale des Sines qu'on croit être les Chinois, qu'il mettoit à trois degrés de latitude ; enfin pour l'île de Taprobane qu'on croit être l'île de Ceylan, ou celles de Sumatra ou de Borneo. Mais ces fautes ne doivent pas empêcher qu'on ne regarde Ptolomée comme celui qui a le plus mérité dans la science dont nous parlons.

Depuis cet auteur jusqu'à la fin du bas Empire, il parut peu d'ouvrages estimables en Géographie. L'on trouve cependant encore les cartes en usage dans les troisieme & quatrieme siecles sous Dioclétien, Constance & Maximien.

L'on croit que c'est au tems de l'empereur Théodose que l'on peut fixer la rédaction de la carte provinciale & itinéraire, connue depuis sous le nom de Peutinger. Il seroit inutile de s'étendre ici sur la nature de cet ouvrage ; l'on peut consulter ce qui en est rapporté dans l'Essai sur l'Hist. de la Géographie publiée en 1755. chez Boudet, & dans lequel on trouvera ce qui en a été dit jusqu'à-présent.

Le dernier ouvrage que l'on peut mettre au rang de ceux des anciens est la notice de l'Empire, attribuée à Ethicus qui vivoit entre 400 & 450 de l'ere chrétienne ; il est précieux par les lumieres qu'il procure tant pour la Géographie que pour l'Histoire.

Les siecles de barbarie qui suivirent la décadence de l'Empire romain, envelopperent presque tous les peuples dans une ignorance profonde. Il ne se trouva, pour ainsi dire, qu'en 535 un nommé Cosme égyptien qui composa une cosmographie chrétienne ; & Hieroclès dans le même siecle qui publia une notice de l'empire de Constantinople : deux ouvrages estimables, & qui ont été toûjours recherchés.

L'amour des sciences & des arts chassé par la barbarie d'Europe en Asie, trouva chez les Arabes un accès favorable. Ces peuples avoient déjà composé plusieurs ouvrages sur leur théologie, leur droit, la Philosophie, l'Astronomie & les Belles-Lettres, lorsqu' Almamon calife de Babylone fit traduire de grec en arabe le livre de Ptolomée de la grande composition, autrement nommé almageste. C'est sous ce prince qu'on vit deux astronomes géometres parcourir par ses ordres les plaines de Sennaar, pour mesurer un degré de grand cercle de la terre.

L'on compte parmi les géographes arabes Abou Isac, Mahamed Ben Hassan, Hossen Ahmed Alkhalé, Schansedden Al Codsi, Abou Rilsan, Abou Abdallah Mohammed Edrissi, connu sous le nom de géographe de Nubie ; enfin Ismaël Abulfeda prince de Hamah ville de Syrie, qui composa une Géographie universelle.

La Perse a eu aussi ses géographes, au nombre desquels l'on peut bien mettre Nassir Edden natif de Thus en Corasan, savant dans les Mathématiques ; il avoit parcouru une partie de l'Asie. Les écrits arabes & indiens lui servirent à construire des tables géographiques.

Pendant que la Géographie étoit cultivée par les orientaux, elle commençoit à se réveiller parmi les européens ; mais il n'y avoit guere que ceux qui avoient connoissance de la sphere qui pussent dire quelque chose d'un peu sensé sur cette science. L'état des sciences en France depuis Charlemagne jusqu'au roi Robert, & depuis ce dernier jusqu'à Philippe-le-Bel, a été le sujet des recherches de M. l'abbé le Boeuf de l'académie des Belles-Lettres : l'on y voit combien les connoissances étoient grossieres non-seulement en France, mais même chez les peuples voisins.

Les voyages de Marc-Pol, de Rubruquis & de Plan-Carpin en Tartarie au treizieme siecle, furent fort utiles à la Géographie.

Dans le quatorzieme siecle l'on vit paroître en France une traduction des livres d'Aristote du ciel & du monde, que Nicolas Oresme avoit entreprise par ordre de Charles V.

En Italie François Berlinghieri florentin, publia en 1470 un poëme italien en six livres, dans lequel il expliquoit la Géographie de Ptolomée. Cet ouvrage fut dédié à Frédéric duc d'Urbin, & orné de plusieurs cartes gravées sur le cuivre.

Un vénitien nommé Dominico Mario Negro composa en 1490 une Géographie en vingt-six livres, dont l'Europe & l'Asie occupoient chacun onze livres, & l'Afrique les quatre autres.

Dans le seizieme siecle Guillaume Postel publia un traité de Cosmographie. Un voyage que ce savant avoit fait dans l'orient enrichit l'Europe de la Géographie d'Abulfeda. De retour à Venise il en laissa un abrégé à Ramusius, qui le premier cita cet ouvrage, & indiqua l'usage que l'on en pouvoit faire. Castaldo s'en servit ensuite pour corriger les longitudes & les latitudes des différens lieux ; & c'est sur la foi de ce dernier, qu'Ortelius parle d'Abulfeda dans son thrésor géographique.

Ce fut dans ce siecle que la Géographie commenca à prendre vigueur en Europe. L'art de la gravure en bois multiplia les ouvrages ; mais à cet art succéda celui de la gravure en cuivre, qui par la promtitude & la netteté, produisit encore une plus grande abondance de morceaux capables de contenter la curiosité des amateurs.

L'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, la Suede, la Russie & la France ont procuré beaucoup de travaux précieux, qui sont d'autant plus estimables, qu'ils sont les fruits de la perfection à laquelle les autres parties de Mathématiques ont été poussées.

Il seroit inutile de rapporter ici tous les savans qui ont fait leur étude particuliere de cette science. L'on connoît parmi ceux d'Allemagne les ouvrages de Cluvier, de Jean Mayer, de Matthieu Mérian, des Homann & de leurs héritiers, d'Hasius, de Wieland géometre, auteur du nouvel & grand atlas de Silésie ; & enfin de Micovini mort à Vienne en 1750, qui avoit levé géométriquement toute la Hongrie autrichienne.

En Angleterre l'on a vû Humfreid, Saxton, Speed, Timothée Pont, Robert Gordon, Petty, Ogilby, Elphinston, Douvet, &c. & sur-tout Cambden. Quoique la plûpart de ces savans ayent porté leurs vûes sur tout le monde entier, l'on est redevable cependant à plusieurs d'entr'eux de la connoissance exacte des Etats britanniques.

La Hollande & la Flandre ont eu de la réputation par les travaux considérables de Mercator & d'Ortelius ; on ne doit pas oublier Hondius, Wischer & les célebres Janson & Blaeu, dont on voit encore aujourd'hui l'amour pour la Géographie, par les dépenses considérables, qu'ils ont faites pour publier leur atlas en quatre langues différentes. L'on doit parler encore des célebres Dominique Villem Carle & Antoine Hattinga freres, ingénieurs des Etats-Généraux. Les cartes nouvelles de la Zélande, levées sur les lieux depuis 1744 jusqu'en 1752, sont si bien exécutées, qu'elles devroient bien animer ces habiles géometres à lever les autres provinces de la Hollande, ou du-moins à corriger les cartes qui en ont été publiées jusqu'à-présent.

Quant à l'Espagne, l'on ne peut pas y trouver tant de géographes ; mais le petit nombre qu'elle fournit est digne d'une estime aussi grande que ceux dont je viens de parler. On consultera, si l'on le juge à-propos, l'essai sur la Géographie cité ci-dessus. Il me suffira de dire que l'auteur qui mérite le plus d'être consulté est Rodrigo Mendez Sylva ; qu'il parut en 1739 quelques cartes de différentes parties de l'Espagne pour le tems des Romains, par le célebre D. Marc Henri Florez, docteur en Théologie, & historiographe de S. M. catholique. Un autre ouvrage pour lequel on doit avoir encore une attention particuliere, est la carte de la province de Quito, levée par D. Pedre Maldonado, gouverneur de la province de las Esmeraldas en Amérique. Cette carte en quatre feuilles, & dont le roi d'Espagne a les planches, a été dressée par M. d'Anville de l'académie royale des Belles-Lettres, & secrétaire de M. le duc d'Orléans. C'est le résultat des opérations que les académiciens espagnols & françois firent de concert pour constater la véritable figure de la terre. Si l'Espagne n'a pas été fertile en géographes comme les pays voisins, l'on en sera bien dédommagé par les nouveaux ordres du gouvernement, pour lever la carte du royaume. Des ingénieurs habiles ont déjà été envoyés par l'académie de Madrid pour cette grande entreprise. Le choix que l'on a fait doit répondre de l'exactitude d'un ouvrage si intéressant pour le progrès des connoissances géographiques.

L'Italie a toûjours été recommandable par de grands hommes en tout genre. Beaucoup d'ingénieurs ont contribué par leurs travaux particuliers à connoître en détail cette partie de l'Europe ; mais il n'y en a pas qui se soit plus signalé que Jean Antoine Magin de Padoue. Il composa à la fin du seizieme siecle une géographie ancienne & moderne, d'après la géographie de Ptolomée, comparée à l'état actuel de son tems. C'est à son fils que l'on est redevable du détail d'Italie, commencé par son pere & dédié au duc Vincent de Gonzague duc de Mantoue en 1600. Cet ouvrage composé de 61 cartes, a toûjours été très-estimé des savans.

Riccioli savant jésuite de Ferrare, publia en 1662 un livre estimable, contenant toutes les parties de Mathématiques qui ont rapport à la Géographie & à l'Hydrographie. Il a été un des premiers qui ait eu le dessein de réformer la Géographie par les observations astronomiques.

Personne n'ignore le grand ouvrage de la méridienne de Rome, entrepris par les PP. Maire & Boscovich jésuites, dont les opérations contribuant encore à déterminer la figure de la terre, doivent produire incessamment une nouvelle carte de l'état ecclésiastique.

La Suede ne compte pas beaucoup de géographes. Les connoissances qu'on avoit de ce pays du tems de Charlemagne n'étoient guere plus certaines que dans les siecles les plus reculés.

La premiere carte que l'on ait publié de la Suede, & qui ressemble en quelque façon à la configuration de ce royaume, est celle d'Olaüs Magnus archevêque d'Upsal, qui vivoit dans le seizieme siecle.

A cette carte en succéda une autre par Adrien Veno, & gravée à Amsterdam par Hondius en 1613. Elle est superieure à la précédente, en ce que l'on y reconnoît mieux la figure du pays, qu'Upsal y est porté plus à sa vraie latitude, & que les mers y prennent une situation & une forme plus approchantes de la vérité : mais ces ouvrages, malgré les degrés de perfection qu'ils ont eu successivement, étoient encore remplis d'une infinité de fautes.

Charles IX. conçut le dessein de connoître plus particulierement son royaume ; mais il avoit besoin de géometres. Il se servit d'Andreas Bureus, qu'on peut appeller avec raison le pere de la géographie suédoise. Il étoit né en 1571 ; élevé dans l'étude des Mathématiques, il y fit des progrès si rapides, qu'il eut la charge de premier architecte du royaume, & de chef des Mathématiques. Le roi le mit à la tête des arpenteurs constitués dans chaque province de son royaume, pour lever géométriquement leur district. Bureus recevant les morceaux levés par ces arpenteurs, en composa une carte générale du royaume, qui parut à Stockholm en 1625 en six grandes feuilles, gravées par Trautman.

Après la mort de Gustave Adolphe, la Géographie languissoit en Suede jusqu'à ce que Charles XI. monta sur le throne. Ce monarque non-seulement remit en vigueur les anciens établissemens, il les augmenta même & les perfectionna, en nommant une commission d'arpenteurs pour la Livonie, l'Estonie, l'Ingermanie, la Poméranie & le duché de Deux-Ponts. Le baron Charles Gripenheim fut mis à la tête de cet établissement. Il mourut en 1684, & eut pour successeur le colonel comte de Dalhberg, qui poussa si vivement les travaux, qu'en 1689 on pouvoit donner des cartes exactes de toute la Suede, lorsque par ordre du roi la publication en fut défendue. L'on reconnut bien-tôt après l'abus de ces défenses. Les cartes parurent successivement, & elles contribuent encore à étendre la réputation du bureau géographique de Stockholm.

La Russie n'a guere commencé à cultiver la Géographie avec succès, que vers la fin du dernier siecle : on avoit pourtant déjà dressé une carte sous le czar Michel Federowitz ; mais il falloit un Pierre le Grand pour faire entrer les Sciences dans ses états. Ce monarque desiroit connoître l'étendue de son empire. Il fit lever des plans & des cartes ; en 1715, le sénat fut chargé de recevoir les rapports des arpenteurs employés pour cette entreprise. Sous ce régne, la mer Caspienne changea de figure.

M. Kyrillow premier secrétaire du sénat, avoit commencé à faire rédiger & graver sous ses yeux les plans que les arpenteurs apportoient. Une carte générale de ce vaste empire, la premiere qu'on eût vûe dans ce pays, fut les prémices de ses travaux. Voulant seconder les intentions de son prince, il publia un recueil de cartes particulieres sous le titre d'atlas de l'empire des Russes, dans le dessein de l'augmenter & de le perfectionner de jour en jour ; mais ce n'étoit qu'un essai encore imparfait.

A ce travail succéda celui que l'académie de Pétersbourg avoit résolu de faire de nouveau. M. Joseph Delisle y fut appellé, non-seulement en qualité d'astronome, mais encore comme géographe. Il mit la main à cet ouvrage, dès qu'il fut arrivé à Petersbourg en 1726. Plusieurs membres de l'académie se joignirent à lui en 1740, pour accélérer l'entreprise dont l'exécution fut achevée en 1745.

Tel est l'état de la Géographie dans les différens pays de l'Europe. Il ne reste plus qu'à parler des progrès que cette science a faits en France depuis François premier, sous le regne duquel les Sciences commencerent à fleurir.

L'on y remarque dans le seizieme siecle des amateurs de la Géographie. Quelques provinces dûrent aux travaux de plusieurs savans les cartes qui en furent publiées. François de la Guillotiere natif de Bourdeaux, fut, pour ainsi dire, le premier qui profitant des lumieres des savans antérieurs & contemporains, & des siennes propres, publia en 1584 une carte générale du royaume. Il en avoit dans ses mains toutes les cartes particulieres, prêtes à être mises au jour.

Celui qui s'est le plus distingué dans le siecle suivant, fut Nicolas Sanson d'Abbeville, né en 1600 d'une famille distinguée de la Picardie. Ses ouvrages sont trop connus pour vouloir les détailler ici. Ses fils Nicolas, Guillaume & Adrien, coururent la même carriere, & soûtinrent avec honneur la réputation de leur pere. Pierre Moulard Sanson, petit-fils de Nicolas Sanson, entra aussi dans les vûes de son ayeul. Le reproche que l'on a fait à ces savans, a été de n'avoir pas mis en usage les observations astronomiques ; mais elles étoient trop récentes pour Nicolas Sanson qui mourut en 1660, & elles demandoient encore à être confirmées par d'autres, pour obliger les fils à refondre le corps complet de géographie sorti de leurs mains. Héritiers & successeurs de ces savans géographes, nous tâchons mon pere & moi, de réparer l'objet de ces reproches par la grande entreprise du nouvel atlas que nous faisons, & dont on peut voir le fondement dans l'essai sur l'histoire de la Géographie.

Du tems des Sansons, Pierre Duval d'Abbeville leur parent, fit aussi son unique occupation de la Géographie ; mais ses ouvrages étoient négligés, & n'étoient pour la plûpart que des copies des cartes des Sansons.

Le P. Briet jésuite, contemporain & compatriote de Nicolas Sanson, aimoit beaucoup la Géographie. Il en publia un excellent ouvrage, intitulé parallele de la Géographie ancienne & moderne.

Le commencement de notre siecle doit être regardé comme l'époque d'un renouvellement général de la Géographie en France, & pour ainsi dire, dans tous les autres pays de l'Europe, auxquels il semble que ce royaume ait donné le ton. L'académie des Sciences établie sous le feu roi, & protégée par son auguste successeur ; les savans dont elle a été composée, & les observations faites dans différens voyages entrepris par ordre du roi, furent favorables à la perfection de la Géographie, & procurerent la connoissance presque géométrique du globe terrestre. Jusqu'alors on ne connoissoit guere l'application qu'on pouvoit faire des observations astronomiques à la Géographie. Le P. Riccioli jésuite italien, l'avoit entrevûe : mais c'est aux Picard, aux de la Hire, aux Cassini, & autres savans de cette académie, qu'on doit la grande entreprise de la mesure de la terre. Les opérations faites pour tracer la méridienne de l'observatoire, & la prolonger depuis Dunkerque jusqu'à Collioure, firent connoître la nécessité de lever géométriquement toute la France ; ouvrage important, dont on peut voir le détail dans les ouvrages publiés à ce sujet.

Guillaume Delisle, éleve du grand Dominique Cassini, & aggrégé sous ce titre dans l'académie des Sciences, fut le premier qui fit usage des observations de ses maîtres & des autres savans avec lesquels il étoit en correspondance. Il fit un fonds considérable de cartes géographiques, dont quelques-unes de Géographie ancienne.

Je ne m'étendrai pas davantage sur les géographes françois ; il me suffit d'avoir indiqué sommairement les savans qui se sont distingués dans cette science : ce sont des modeles à ceux qui courent la même carriere. Il ne conviendroit pas de parler ici des compatriotes vivans ; leurs travaux seuls doivent servir à faire leur éloge. Il seroit inutile encore de passer en revûe tous les écrivains qui ont travaillé sur la Géographie ; je parle des auteurs d'élémens & de méthodes, auxquels on peut donner le nom de géographes méthodistes. Leur nombre est trop considérable ; il seroit à desirer qu'il s'en trouvât un certain nombre d'utiles. Je joindrai mon suffrage à celui du public en faveur de M. l'abbé de la Croix ; l'on peut dire que c'est la méthode la plus instructive, & je ne balance pas à l'indiquer aux éleves qui me sont confiés.

Il faut considérer présentement la Géographie en elle-même. Elle doit être envisagée sous trois âges différens.

1°. Géographie ancienne, qui est la description de la terre, conformément aux connoissances que les anciens en avoient jusqu'à la décadence de l'empire romain.

2°. Géographie du moyen âge, depuis la décadence de l'empire jusqu'au renouvellement des Lettres. Cette partie est très-difficile à traiter, l'incursion des Barbares ayant enveloppé tout dans une ignorance profonde. Cependant le dépouillement des chroniques, des cartulaires, &c. qui sont en grande abondance, peut fournir de grandes lumieres sur cette partie de la Géographie.

3°. Géographie moderne, qui est la description actuelle de la terre, depuis le renouvellement des Lettres jusqu'à-présent.

La Géographie considérée dans l'ancien tems, ne peut être traitée avec précision que par le secours de la moderne ; c'est par celle-ci que l'on est venu à-bout de déterminer les différentes mesures des anciens. Voyez MESURES ITINERAIRES. Quelque provision que l'on ait de lecture des anciens auteurs, si l'on n'en fait point une comparaison avec ce que les auteurs modernes rapportent, & si l'on ne consulte point les morceaux levés exactement sur les lieux, & rectifiés même par les observations astronomiques, l'on pourra bien composer une carte, mais qui sera plutôt un dépouillement des auteurs qu'on aura lûs, que le véritable état du pays tel qu'il devroit être convenablement au tems pour lequel on travaille.

Pour la Géographie moderne, il faut faire une distinction entre ceux qui la traitent. Les uns se destinent à prendre connoissance d'une partie d'un royaume ou d'une province, & ils doivent être regardés comme des auteurs originaux ; pour lors ces premiers sont appellés chorographes, ou topographes & ingénieurs, selon la différente étendue de pays qu'ils comprennent dans leurs travaux. Les autres embrassent dans leur travail la description entiere de la terre ; ces derniers sont appellés géographes, & doivent avoir recours aux premiers, & savoir combiner & discuter les matériaux précieux dont ils se servent. Les premiers ont, pour ainsi dire, le droit d'invention par l'avantage qu'ils ont de se transporter sur les lieux pour les considérer par eux-mêmes & en lever géométriquement les différentes situations réciproques. Les seconds doivent avoir un discernement juste pour l'examen des ouvrages des premiers ; souvent le géographe corrige le travail de l'ingénieur, & peut ainsi partager avec lui le droit d'invention. Guidé par les pratiques de la Géométrie & par les lumieres de l'Astronomie, il donne aux parties du globe de la terre les proportions qu'elles doivent avoir. L'astronome & le géometre ont chacun les connoissances qui leur sont propres ; mais le géographe doit les posséder toutes, & être capable de discussion pour concilier & employer à-propos les secours qu'il tire de l'un & de l'autre.

L'on voit donc par ce qui vient d'être dit, que la Géographie, a besoin de l'Astronomie ; elle en emprunte les principaux cercles imaginés pour le ciel, méridien, équateur, tropiques, cercles polaires, latitude, horison, les points cardinaux, collatéraux & les verticaux, en un mot tout ce qui se trouve dans les spheres & dans les globes ; c'est ce qu'on appelle Géographie astronomique.

L'on distingue encore la Géographie 1°. en naturelle ; c'est par rapport aux divisions que la nature a mises sur la surface du globe, par les mers, les montagnes, les fleuves, les isthmes, &c. par rapport aux couleurs des différens peuples, à leurs langues naturelles, &c.

2°. En historique, c'est lorsqu'en indiquant un pays ou une ville, elle en présente les différentes révolutions, à quels princes ils ont été sujets successivement ; le commerce qui s'y fait, les batailles, les siéges, les traités de paix, en un mot tout ce qui a rapport à l'histoire d'un pays.

3°. En civile ou politique, par la description qu'elle fait des souverainetés par rapport au gouvernement civil ou politique.

4°. En Géographie sacrée, lorsqu'elle a pour but de traiter des pays dont il est fait mention dans les Ecritures & dans l'Histoire ecclésiastique.

5°. En Géographie ecclésiastique, lorsqu'elle représente les partages d'une jurisdiction ecclésiastique, selon les patriarchats, les primaties, les diocèses, les archidiaconés, les doyennés, &c.

6°. Enfin en Géographie physique ; cette derniere considere le globe terrestre, non pas tant par ce qui forme sa surface, que par ce qui en compose la substance. Voyez l'article suivant. Article de M. ROBERT DE VAUGONDY, Géographe ordinaire du Roi.

GEOGRAPHIE PHYSIQUE, est la description raisonnée des grands phénomenes de la terre, & la considération des résultats généraux déduits des observations locales & particulieres, combinées & réunies méthodiquement sous différentes classes, & dans un plan capable de faire voir l'économie naturelle du globe, en tant qu'on l'envisage seulement comme une masse qui n'est ni habitée ni feconde.

A mesure que la Géographie & la Physique se sont perfectionnées, on a rapproché les principes lumineux de celle-ci, des détails secs & décharnés de celle-là. En conséquence de cette heureuse association, notre propre séjour, notre habitation qui ne nous avoit présenté d'autre image que celle d'un amas de débris & d'un monde en ruine, qu'irrégularités à sa surface, que desordres apparens dans son intérieur, s'offrit à nos yeux éclairés avec des dehors où l'ordre & l'uniformité se firent remarquer, où les rapports généraux se découvrirent sous nos pas. On ne s'occupa plus seulement de cette nomenclature ennuyeuse de mots bizarres, qui attestent les limites que l'ambition des conquérans a mises dans les établissemens que les différentes sociétés ont formés sur la surface de la terre ; on ne distingua les pays, les contrées que par les phénomenes qu'ils offrirent à nos observations. Phénomenes singuliers ou uniformes, tout ce qui porta les empreintes du travail de la nature, fut recueilli avec soin, fut discuté avec exactitude. On examina la forme, la disposition, les rapports des différens objets : on essaya même d'apprécier l'étendue des effets, de fixer leurs limites, en suppléant à l'observation par l'expérience. Enfin on fut curieux de parvenir jusqu'aux principes généraux, constans & réguliers. A mesure que les idées se développerent, le géographe dessinateur prit pour base de ses descriptions topographiques, l'histoire de la surface du globe, & distribua par pays & par contrées, ce que le naturaliste décrivit & rangea par classes & par ordre de collection.

Tel est le précis des progrès de la Géographie physique ; elle les doit à la réunion combinée des secours que plusieurs connoissances ont concouru à lui fournir. On ne peut effectivement trop rassembler de ressources, lorsqu'on embrasse dans ses discussions des objets aussi vastes & aussi étendus ; lorsqu'on se propose d'examiner la constitution extérieure & intérieure de la terre, de saisir les résultats généraux des observations que l'on a faites & recueillies sur les éminences, les profondeurs, les inégalités du bassin de la mer ; sur les mouvemens & les balancemens de cette masse d'eau immense qui couvre la plus grande partie du globe ; sur les substances terrestres qui composent les premieres couches des continens qu'on a pû sonder ; sur leur disposition par lits ; sur la direction des montagnes, &c. enfin sur l'organisation du globe : lorsqu'on aspire à l'intelligence des principales opérations de la nature, qu'on discute leur influence sur les phénomenes particuliers & subalternes, & que par un enchaînement de faits & de raisonnemens suivis, on se forme un plan d'explication, où l'on se borne sagement à établir des analogies & des principes.

D'après ces considérations qui nous donnent une idée de l'objet de la Géographie physique, nous croyons devoir dans cet article nous attacher à deux points importans : 1°. à développer les principes de cette science, capables de guider les observateurs qui s'occupent à en étendre de plus en plus les limites, & ceux qui voudront apprécier leurs découvertes : 2°. à présenter succinctement les résultats généraux & avérés qui forment le corps de cette science, afin d'en constater l'état actuel.

I. On peut réduire à trois classes générales les principes de la Géographie physique ; la premiere comprend ceux qui concernent l'observation des faits ; la seconde ceux qui ont pour objet leur combinaison ; la troisieme enfin ceux qui ont rapport à la généralisation des résultats & à l'établissement de ces principes féconds, qui deviennent entre les mains d'un observateur des instrumens qu'il applique avec avantage à la découverte de nouveaux faits.

Principes qui concernent l'observation des faits. Il n'est pas aussi important de montrer la nécessité de l'observation pour augmenter nos véritables connoissances en Géographie physique, que d'en développer l'usage & la bonne méthode. On est assez convaincu maintenant des inconvéniens qu'entraîne après elle cette présomption oisive qui nous porte à vouloir deviner la nature sans la consulter ; bien loin que la sagacité & la méditation puissent suppléer aux réponses solides & lumineuses que nous rend la nature lorsque nous l'interrogeons, elles les supposent au contraire comme un objet préalable vers lequel se porte leur principal effort : ne nous dissimulons jamais ces principes. Héraclite se plaignoit de ce que les philosophes de son tems cherchoient leurs connoissances dans de petits mondes que bâtissoit leur imagination, & non dans le grand. Si nous nous exposions à mériter le même reproche : si nous perdions de vûe ces conseils si sages, nous méconnoîtrions autant nos propres intérêts que ceux de la vérité. Qu'est-il resté de ces belles rêveries des anciens ? Il n'y a que le vrai & le solide qui brave la destruction des tems & les ténebres de l'oubli. Des abstractions générales sur la nature peuvent-elles entrer en comparaison d'utilité avec un seul phénomene bien vû & bien discuté ? Nous voulons donc des faits & des observateurs en état de les saisir & de les recueillir avec succès.

On comprend aisément que la premiere qualité d'un observateur est d'avoir acquis par l'étude & dans un développement suffisant, les notions préliminaires capables de l'éclairer sur le prix de ce qu'il rencontre ; de sorte qu'il ne lui échappe aucune circonstance essentielle dans l'examen des faits, & qu'il réunisse en quelque façon toutes les vûes possibles dans leur discussion ; qu'il ne les apperçoive pas rapidement, imparfaitement, sans choix, sans discernement, & avec cette stupide ignorance qui admet tout & ne distingue rien. On puise dans l'observation habituelle de la nature l'heureux secret d'admirer sans être ébloui ; mais la lecture réfléchie & attentive forme de solides préventions qui dissipent aisément le prestige du premier coup-d'oeil.

Il faut avoüer que plusieurs obstacles nous privent de ces avantages. Les personnes en état de mettre à profit leurs connoissances voyagent peu, ou pour des objets étrangers aux progrès de la Géographie physique : ceux qui se trouvent sur les lieux, à portée, par exemple, d'une fontaine singuliere périodique ou minérale, d'un amas de coquillages & de pétrifications, négligent ces objets ou par ignorance ou par distraction, ou enfin parce qu'ils ont perdu à leurs yeux ce piquant de singularité & d'importance. Les étrangers & les voyageurs, même habiles, les rencontrent par hasard, ou les visitent à dessein ; mais ils ne peuvent d'une vûe rapide acquérir une connoissance détaillée & approfondie. Des observations superficielles faites à la hâte, ne présentent les objets que d'une maniere bien imparfaite ; on ne les a pas vûs avec ce sang-froid, cette tranquillité de discussion, avec ces détails de correspondance si nécessaires aux combinaisons lumineuses. On supplée par des oui-dire, par des rapports exagérés, à ce que la nature nous montreroit avec précision, si nous la consultions à loisir. Il résulte de cette précipitation, que les observateurs les plus éclairés, frappés naturellement des premiers coups du merveilleux, sont souvent dupes de leur surprise ; ils n'ont pû se placer d'abord au point de vûe favorable ; ils défigurent la vérité parce qu'ils l'ont mal vûe ; & rendant trop fidelement de fausses impressions, ils mêlent à leurs récits des circonstances qui les ont plus séduits qu'éclairés. Si l'on est sujet à l'erreur, même quand on est maître de la nature, & qu'on la force à se déceler par des expériences, à combien plus de méprises & d'inattentions ne sera-t-on pas exposé, lorsqu'on sera obligé de parcourir la vaste étendue des continens & des mers, pour la chercher elle-même où elle se trouve, & où elle ne nous laisse appercevoir qu'une très-petite partie d'elle-même, & souvent sous des aspects capables de faire illusion ?

Un observateur qui s'est consacré à cette étude par goût ou parce qu'il est & s'est mis à portée de voir, doit commencer par voir beaucoup, envisager sous différentes faces, se familiariser avec les objets pour les reconnoître aisément par la suite & les comparer avec avantage ; tenir un compte exact de tout ce qui le frappe & de tout ce qui mérite de le frapper ; recueillir ses observations avec ordre sans trop se hâter de tirer des conséquences prématurées des faits qu'il découvre, ou de raisonner sur les phénomenes qu'il apperçoit. Cette précipitation qui séduit notre amour propre est la source de toutes les fausses combinaisons, de toutes les inductions imparfaites, de toutes les idées vagues dont l'on surcharge des objets que l'on n'a encore envisagés qu'imparfaitement ; en sorte que les parties les moins éclaircies sont par cette raison celles qui ont plus prêté à cette demangeaison de discourir.

Outre cette expérience des mauvais succès qu'ont eu les réflexions précipitées, nous avons d'autres motifs de nous en abstenir. Comme l'inspection attentive & réfléchie de notre globe nous promet une multitude infinie de lumieres & de connoissances absolument neuves, un observateur qui commence à donner un ensemble systématique à la petite portion de faits qu'il a recueillis, semble regarder comme inutiles toutes les découvertes qu'on a lieu de se promettre de ceux qui partageront son travail, ou se flater d'avoir assez de pénétration pour se passer des éclaircissemens qu'ils pourroient lui offrir.

Nous croyons aussi que l'observateur doit être en garde contre toute prévention, toutes vûes fixes & dépendantes d'un système déjà concerté : car dans ce cas, on interprete les faits suivant ce plan ; on glisse sur les circonstances qui sont peu compatibles avec les principes favoris, & l'on étend au contraire celles qui paroissent y convenir.

Nous ne prétendons pas cependant qu'on observe sans dessein & sans vûes : il n'est pas possible que le spectacle de la nature ne fasse naître une infinité de réflexions très-solides à un observateur qui a de la sagacité, & qui s'est instruit avec exactitude des découvertes de ceux qui l'ont précédé, même de leurs idées les plus bizarres : nous convenons que l'on peut avoir un objet déterminé dans ses recherches, mais avec une sincere disposition de l'abandonner dès que la nature se déclarera contre le parti que l'on avoit embrassé provisionnellement. Ainsi on ne se bornera pas à un phénomene isolé, mais on en recherchera toutes les circonstances ; on les détaillera avec ce zele de discussion qu'inspire le desir de trouver la correspondance que ce phénomene peut avoir avec d'autres. Quoique nous condamnions cette indiscrette précipitation de bâtir en observant, nous ne voulons pas qu'on oublie que les matériaux qu'on rassemble doivent naturellement entrer dans un édifice.

Telles sont les vûes par lesquelles on peut se guider dans l'examen réfléchi des faits. Mais que doit-on voir dans les dehors de notre globe ? à quoi doit-on s'attacher d'abord ? Je répons qu'il faut s'attacher aux configurations extérieures, aux formes apparentes : ainsi l'on saisira d'abord la forme des continens, des mers, des montagnes, des couches, des fossiles ; & à-mesure qu'on parcourra un plus grand nombre de ces objets, ces formes venant à s'offrir plus ou moins fréquemment à nos regards, elles produiront dans notre esprit des impressions durables, des caracteres reconnoissables qui ne nous échapperont plus, & qui nous donneront les premieres idées de la régularité de toutes ces choses. Nous tiendrons un compte exact des circonstances & des lieux où elles s'annonceront ; & enfin nous serons, par une suite de la même attention, en état de remarquer les variétés & toutes leurs dépendances.

L'examen de ces variétés réitéré & porté sur une multitude d'objets qu'on trouve sous ses pas lorsqu'on sait voir, nous fera distinguer aisément le caractere propre d'une configuration d'avec les circonstances accessoires. On discute avec bien plus d'avantage l'étendue des effets & même la combinaison des causes, lorsque l'on peut décider ce qu'elles admettent constamment, ce qu'elles négligent quelquefois, & ce qu'elles excluent toûjours.

Les irrégularités sont des sources de lumiere, parce qu'elles nous dévoilent des effets qu'une uniformité trop constante nous cachoit ou nous rendoit imperceptibles. La nature se décele souvent par un écart qui montre son secret au grand jour : mais on ne tire avantage de ces irrégularités, qu'autant qu'on est au fait de ce qui, dans telle ou telle circonstance est la marche uniforme de la nature, & qu'on peut démêler si ces écarts affectent ou l'essentiel ou l'accessoire.

Pour avoir des idées nettes sur les objets qu'on observe, on s'attache aussi à renfermer dans des limites plus ou moins précises, les mêmes effets soit réguliers soit irréguliers. On apprécie par des mesures exactes jusqu'où s'étend tel contour, telle avance angulaire dans une montagne, telle profondeur dans les vallons : soit que ceux-ci soient formés par des couches qui s'y courbent & s'y continuent en bon ordre, soit qu'ils ne soient que la suite d'un éboulement subit ; on prend les dimensions des fentes perpendiculaires, l'épaisseur des couches, &c.

Dans l'appréciation des limites assignées aux effets, il est très-utile de passer de la considération d'une extrémité à la considération de l'autre extrémité opposée ; comme de la hauteur des montagnes aux plus profonds abîmes, ou des continens ou des mers ; de la plus belle conservation d'un fossile au dernier degré de sa calcination.

Un observateur intelligent ne se bornera pas tellement dans ses savantes discussions, aux formes extérieures & à la structure d'un objet, qu'il ne prenne aussi une connoissance exacte des matieres elles-mêmes qui par leurs divers assemblages ont concouru à le produire ; il liera même exactement une idée avec l'autre. Telle matiere, dira-t-il, affecte telle forme ; il conclura l'une de l'autre, & réciproquement. Il se formera des distinctions générales des substances terrestres ; il les partagera en matieres vitrescibles & calcaires ; il les reconnoîtra à l'eau-forte ou par des réductions chimiques. Il aura lieu de remarquer que les grès sont par blocs & par masses dans leurs carrieres ; que les pierres calcaires sont par lits & par couches ; que les schites affectent la forme trapézoïdale ; que certaines crystallisations sont assujetties à la figure pyramidale ou parallelepipede ; que dans d'autres les lames crystallisées s'assemblent & s'adaptent sur une base vers laquelle elles ont une direction, comme vers un centre commun, &c. Toutes ces dépendances jettent dans des détails qui en multipliant les attentions de l'observateur, lui présentent les objets sous un nouveau jour, & donnent du poids à ses découvertes.

Il portera la plus scrupuleuse attention sur les circonstances uniformes & régulieres qui accompagnent certains effets ; elles ne peuvent lui échapper, lorsqu'il sera prévenu quelle influence leur examen peut avoir par rapport à l'appréciation des phénomenes ; cette considération entre même plus directement que toute autre dans l'objet de la Géographie physique. Ainsi, suivant ces vûes, il contemplera les ouvrages de la nature, tantôt dans l'ensemble de leur structure, tantôt dans le rapport des pieces. Un coup-d'oeil général & rapide n'apprend rien que de vague ; un mince détail épuise souvent sans présenter rien de suivi ; il faut donc soûtenir une observation par l'autre ; & c'est en les faisant succéder alternativement, que les vûes s'affermissent, même en s'étendant. " Cette étude suppose, dit M. de Buffon, les grandes vûes d'un génie ardent qui embrasse tout d'un coup-d'oeil, & les petites attentions d'un instinct laborieux qui ne s'attache qu'à un seul point ". Hist. nat. I. vol. La place qu'occupe un tel corps ou un tel assemblage de corps dans l'économie générale, sera déterminée relativement à la nature de ces corps. On subordonnera, en un mot, les détails qui concernent les substances & leurs formes à ceux qui tiennent à la disposition relative ; on remarquera exactement que certaines couches de pierres calcaires ou autres, sont d'une égale épaisseur dans toute leur longueur ; mais que celles de gravier amassées dans des vallons n'annoncent pas la même régularité ; que dans les premieres, les coquilles, & les autres corps marins pétrifiés sont à plat ; que dans les secondes, elles sont disposées assez irrégulierement ; que les fentes perpendiculaires sont plus larges dans les substances molles que dans les matieres les plus compactes, &c. Quelle que soit la multiplicité des agens que fasse mouvoir la nature, & la variété des formes qu'elle donne à ses effets, cependant tout tend à un ensemble : un corps étranger qui se trouve placé au milieu de substances de nature différente ; un amas de talc au milieu des matieres calcaires ; des blocs de grès au milieu des marnes ; des sables au milieu des glaises ; toutes ces observations sont très-essentielles pour connoître la distribution générale.

Comme un seul homme ne peut pas tout voir par soi-même, & que c'est la condition de nos connoissances de devoir leurs progrès aux découvertes & aux recherches combinées de plusieurs observateurs ; il est nécessaire de s'en rapporter au témoignage des autres : mais parmi ces descriptions étrangeres, il y a beaucoup de choix ; & dans ce discernement il faut employer une critique sérieuse & une discussion severe. L'expérience & la raison nous autorisent à nous défier généralement de tous les faits de cette nature dont les anciens seuls sont les garans ; nous ne nous y attacherons, nous n'y ferons attention que pour les vérifier, ou qu'autant qu'on l'aura fait & qu'ils seront dégagés de ce merveilleux que ces écrivains leur prêtent ordinairement ; ou enfin lorsque leurs détails rentrent dans des circonstances avérées & indubitables d'ailleurs. Mais nous croyons qu'on doit proscrire nommément tous ces fameux mensonges qui, par une négligence blâmable ou par une imbécille crédulité, ont été transmis de siecles en siecles, & qui tiennent la place de la vérité. On peut juger par l'emploi fréquent que s'en permettent les compilateurs, du tort qu'ils font aux Sciences. Cependant pour les proscrire sans retour, il faut être en état de leur substituer le vrai, qui souvent n'est qu'altéré par les idées les plus bizarres. On est entierement détrompé d'une illusion, lorsqu'on connoît les prétextes qui l'ont fait naître.

Quant à ce qui concerne les auteurs qui ont écrit avant le renouvellement des Sciences, ils ne doivent être consultés qu'avec réserve ; privés des connoissances capables de les éclairer & de les guider dans la discussion des faits, ils ne les ont observés qu'imparfaitement ou sous un point de vûe qui se rapporte toûjours à leurs préjugés. Kircher décrit, dessine, présente les coupes des réservoirs soûterreins qui servent, selon lui, à la distribution des eaux de la mer par les sources ; il nous débite de la meilleure foi du monde des détails merveilleux sur les gouffres absorbans de la mer Caspienne, sur le feu central, sur les cavernes soûterreines, comme s'il eût eu des observations suivies par rapport à tous ces objets, qui ne sont autorisés parmi nous que d'après les écrits hasardés d'écrivains aussi judicieux.

En général, les observateurs ou ignorans, ou prévenus, ou peu attentifs, qui voyent les objets rapidement, sans dessein, & sans discussion, ne méritent que très-peu de croyance : je veux trouver dans l'auteur même, dans les détails qu'il me présente, cette bonne foi, cette simplicité, cette abondance de vûes qui m'inspirent de la confiance pour son génie d'observation, & pour l'exactitude de ses récits.

Souvent l'observation nous abandonne dans certains sujets compliqués ; elle n'est pas assez précise ; elle ne montre qu'une partie des effets, ou les montre trop en grand pour qu'on puisse atteindre à quelque assertion qui mette de l'ordre dans nos idées. Alors l'expérience est indispensable ; il faut se résoudre à suivre les opérations de la nature avec une constance & une opiniâtreté que rien ne décourage, sur-tout lorsqu'on est assûré qu'on est sur la voie. Sans cette ressource, on ne peut être fondé à raisonner sur les faits avec connoissance de cause. Tous les détails de l'observation ne pourront se réunir avec cette précision si desirable dans les Sciences, & ne porteront que sur des conséquences vagues, sur des suppositions gratuites, qui présentent plûtôt nos décisions que celles de la nature. Telle est, par exemple, comme nous l'avons remarqué à l'article FONTAINE, l'observation de la quantité de pluie qui tombe sur les différentes parties de la terre, & sa comparaison avec la masse des eaux qui circulent dans la même étendue : de-là dépend le dénouement de tout ce qui concerne l'origine des fontaines, la distribution des vapeurs sur la surface des continens & les eaux courantes. On aura rassemblé tous les faits, recueilli toutes les observations les plus curieuses, on ne pourra, sans les résultats précis des expériences, rien prononcer de décisif sur ces objets importans.

Principes qui ont pour objet la combinaison des faits. Comme les faits seuls & isolés n'annoncent rien que de vague, il faut les interpréter en les rapprochant & les combinant ensemble.

On sent plus que jamais aujourd'hui, qu'il est presque aussi important de mettre de l'ordre dans les découvertes, que d'en faire ; les traits épars qui représentent la nature, nous échapperoient sans cette ressource. Presque tous les phénomenes, sur-tout ceux que nous avons en vûe, n'ont d'utilité que dans la relation qu'ils peuvent avoir avec d'autres ; comme les lettres de l'alphabet qui sont inutiles en elles-mêmes, forment par leur réunion les mots & les langues. La nature d'ailleurs ne se montre pas toute entiere dans un seul fait ou même dans plusieurs. Un phénomene solitaire ne peut être mis en réserve, que dans l'espoir qu'il se réunira quelque jour à d'autres de même espece : & comme dans le plan de la nature un tel fait est impossible, un observateur intelligent en trouvera peu de cette nature : un fait isolé, en un mot, n'est pas un fait physique ; & la vraie Philosophie consiste à découvrir les rapports cachés aux vûes courtes & aux esprits inattentifs : un exemple frappant fera sentir la justesse de ces principes. Le P. Feuillée avoit observé " que les coupes des rochers près de Coquimbo, dans le Pérou, étoient perpendiculaires au niveau ; que les unes allant de l'est à l'oüest & les autres du nord au sud, se coupoient à angles droits ; que les premieres coupes étoient paralleles à l'équateur, & les autres au méridien ". Si ce savant religieux eût été conduit par les vûes que nous indiquons ici, bien loin de remarquer, comme il le fait, que la nature avoit ainsi configuré les montagnes pour rendre cette partie du monde déjà si riche par ses mines, plus parfaite que les autres ; il auroit conçû le dessein de se procurer des observations correspondantes dans les autres continens, & ne se seroit pas borné à la considération infructueuse des causes finales. Voy. CAUSES FINALES. Cette idée bien combinée depuis valut à M. Bourguet la découverte des angles correspondans, &c.

Ainsi il est facile de sentir la nécessité de combiner les faits ; cette opération délicate s'exécute sur deux plans différens. Il y a une combinaison d'ordre & de collection ; il y a une combinaison d'analogie.

A-mesure que l'on amasse des faits & des observations, on en seroit plûtôt accablé qu'éclairé, si l'on n'avoit soin de les réduire à certaines classes déterminées plûtôt par le sujet que par leur enchaînement naturel : car les recherches n'étant pas assez multipliées, on n'a que des chaînons épars & qui n'annoncent pas encore la correspondance mutuelle qui pourra quelque jour en former une suite non interrompue. Cependant comme on a toûjours besoin d'une certaine apparence d'ordre, on arrange même dans des partitions inexactes : la vérité se fera jour plûtôt à-travers de cette petite méprise, qu'à-travers de la confusion ; le tems & les recherches rectifieront l'une, au lieu qu'ils augmenteroient l'autre.

Il faut même avoüer que ces partitions générales, quoiqu'imparfaites, seroient plus convenables à notre travail présent, qui est de recueillir pour l'usage de la postérité, & plus assorties à nos connoissances bornées & imparfaites sur certains sujets compliqués qui n'ont encore reçû que la premiere ébauche, que ces vûes tronquées auxquelles l'imagination donne la forme & l'apparence d'une théorie. Ces tables seroient comme les archives des découvertes, & le dépôt de nos connoissances acquises, ouvert à tous ceux qui se sentiroient du zele & des talens pour l'enrichir de nouveau. Les observateurs y parcouroient d'un seul coup-d'oeil & sous une précision lumineuse, ce que nous délayons quelquefois dans une confusion d'idées étrangeres & bizarres, au milieu desquelles la plus grande sagacité les démêle avec peine.

Cette premiere opération offriroit de très-grandes facilités à la seconde : en contemplant les faits simplifiés, classifiés avec un certain ordre, on est plus en état de saisir leurs correspondances mutuelles & ce qui peut les unir dans la nature ; cette distribution n'auroit pas lieu seulement pour les observations que nous aurions recueillies des autres, mais aussi pour celles que nous aurions faites par nous-mêmes.

Ainsi nous tirerions de très-grands avantages de cette classification des phénomenes, pour saisir leurs rapports : mais il faut convenir que lorsque nous nous serons familiarisés avec les objets eux-mêmes, & que nous aurons acquis l'habitude de les voir avec intelligence, ils formeront dans notre esprit de ces impressions durables, & s'annonceront à nous avec ces caracteres de correspondance qui sont le fondement de l'analogie. Nous nous éleverons insensiblement à des vûes plus générales par lesquelles nous embrasserons à-la-fois plusieurs objets : nous saisirons l'ordre naturel des faits ; nous lierons les phénomenes ; & nous parcourons d'un seul coup-d'oeil une suite d'observations analogues, dont l'enchaînement se perpétuera sans effort.

Mais une premiere condition pour parvenir à ce point de vûe, est d'avoir scrupuleusement observé chaque objet comparé ; autrement on ne peut bien saisir les justes limites des rapports qui peuvent les réunir. Si nous avons été exacts à démêler ce qui pouvoit rapprocher un fait d'un autre, & à découvrir ce qui dans les phénomenes annonçoit une tendance marquée à la correspondance d'organisation, dèslors les analogies se présenteront à notre esprit d'elles-mêmes.

On se laisse souvent séduire dans le cours de ses observations, ou bien par négligence, ou bien par une prévention de système ; en conséquence on a la présomption de voir au-delà de ce que la nature nous montre, ou bien l'on craint d'appercevoir tout ce qu'elle peut nous découvrir. D'après cette illusion, on imagine de la ressemblance entre les objets les plus dissemblables, de la régularité & de l'ordre au milieu de la confusion.

Dans toutes ces opérations, le grand art n'est pas de suppléer aux faits, mais d'en combiner les détails connus ; d'imaginer des circonstances, mais de savoir les découvrir. En effet, à-mesure qu'on étudie de plus en plus la nature, son méchanisme, son art, ses ressources, la multiplicité de ses moyens dans l'exécution, ses desordres mêmes apparens, tout nous étonne, tout nous surprend ; tout enfin nous inspire cette défiance & cette circonspection qui moderent ce penchant indiscret de nous livrer à nos premieres vûes, ou de suivre nos premieres impressions.

Afin de ne rien brusquer, il sera donc très-prudent de ne nous attacher qu'aux rapports les plus immédiats, & de nous servir de ceux qui ont été apperçûs & vérifiés exactement, pour nous élever à d'autres. Pour cela nous rangeons par ordre nos observations, & nous en faisons de nouvelles lorsque les rapports intermédiaires nous manquent. Nous avons l'attention de ne pas lier des faits sans avoir parcouru tous ceux qui occupent l'intervalle, par une induction dont la nature elle-même aura conduit la chaîne. Bien-loin de surcharger de circonstances merveilleuses ou étrangeres les objets compliqués, nous les décomposerons par une espece d'analyse, afin de nous borner à la comparaison des parties ; & à-mesure que nous avancerons dans ce travail, nous recomposerons de nouveau toutes les parties & leurs rapports, pour joüir de l'effet du tout ensemble.

Ainsi nous nous attacherons d'abord aux analogies des formes extérieures, ensuite à celles des masses ou des configurations intérieures ; enfin nous discuterons celles des circonstances. J'ai suivi les contours de deux montagnes qui courent parallelement ; j'ai remarqué la correspondance de leurs angles saillans & rentrans ; je pénetre dans leur masse, & je découvre avec surprise que les couches qui par leur addition forment la solidité de ces avances angulaires, sont assujetties à la même régularité que les couches extérieures. Je conclus la même analogie de régularité par rapport aux directions extérieures & mutuelles des chaînes, & par rapport à l'organisation correspondante des masses. Je vais plus loin : je dis que la forme extérieure des montagnes prise absolument, a un rapport marqué de dépendance avec la disposition des lits qui entrent dans leur structure intérieure. Je pousserai même mes analogies sur la nature des substances, leurs hauteurs correspondantes, & j'observerai, comme une circonstance très-remarquable, que les angles sont plus fréquens & plus aigus dans les vallons profonds & resserrés, &c.

Un point important sur lequel j'insisterai, sera de ne point perdre de vûe, ni de dissimuler les différences les plus remarquables, ou les exceptions les plus legeres qui s'offriront à mes regards dans le cours des rapports que j'aurai lieu de saisir & d'indiquer. Les rapports que j'établirai en conséquence de cette attention, seront moins vagues ; & d'après ce plan je serai même en état d'établir de nouveaux rapports & des combinaisons lumineuses entre ces variétés, lorsqu'elles s'annonceront avec les caracteres décisifs d'une ressemblance marquée. Par ce moyen je ne me permettrai aucune espece de supposition ; & bien-loin d'être tenté d'étendre des rapports au-delà de ce que les faits me présentent, dans le cas où une exception me paroîtroit figurer mal, l'espoir que j'aurai de l'employer un jour avec succès, me déterminera à ne la pas dissimuler ou négliger, comme j'aurois été tenté de le faire, si je l'eusse regardée comme inutile. Cette exception me donnant lieu d'en former une nouvelle classe de variétés assujetties à des effets réguliers, mon observation n'aura-t-elle pas été plus avantageuse pour le progrès de la Géographie physique, que si j'eusse, à l'aide d'une illusion assez facile, supposé des régularités uniformes ?

Ce n'est qu'avec ces précautions qu'on pourra recueillir une suite bien liée de faits analogues, & qu'on en formera un ensemble dans lequel l'esprit contemplera sans peine un ordre méthodique d'idées claires & de rapports féconds.

Principes de la généralisation des rapports. C'est alors que les principaux faits bien déterminés, décrits avec exactitude, combinés avec sagacité, sont pour nous une source de lumiere qui guide les observateurs dans l'examen des autres faits, & qui leur en prépare une suite bien liée. A force d'appercevoir des effets particuliers, de les étudier & de les comparer, nous tirons de leurs rapports mis dans un nouveau jour, des idées fécondes qui étendent nos vûes ; nous nous élevons insensiblement à des objets plus vastes ; & c'est dans ces circonstances délicates que l'on a besoin de méthode pour conduire son esprit. Quand il faut suivre & démêler d'un coup-d'oeil ferme & assûré les démarches de la nature en grand, & mesurer en quelque façon la capacité de ses vûes avec la vaste étendue de l'univers, ne doit-on pas avoir échaffaudé long-tems pour s'élever à un point de vûe favorable d'où l'on puisse découvrir cette immensité ? aussi avons-nous insisté sur les opérations préliminaires à cette grande opération.

La généralisation consiste donc dans l'établissement de certains phénomenes étendus, qui se tirent du caractere commun & distinctif de tous les rapports apperçûs entre les faits de la même espece.

On envisage sur-tout les rapports les plus féconds, les plus lumineux, les mieux décidés, ceux, en un mot, dont la nature nous présente le plus souvent les termes de comparaison : tels sont les objets de la généralisation. Par rapport à ses procédés, elle les dirige sur la marche de la nature elle-même, qui est toûjours tracée par une progression non interrompue de faits & d'observations, rédigés dans un ordre dépendant des combinaisons déjà apperçûes & déterminées. Ainsi les faits se trouvent (par les précautions indiquées dans les deux articles précédens) disposés dans certaines classes générales, avec ce caractere qui les unit, qui leur sert de lien commun ; caractere qu'on a saisi en détail, & qu'on contemple pour-lors d'une seule vûe ; caractere enfin qui rend palpable l'ensemble des faits, de maniere que le plan de leur explication s'annonce par ces dispositions naturelles. Dans ce point de vûe l'observateur joüit de toutes ses recherches ; il apperçoit avec satisfaction ce concert admirable, cette union, ce plan naturel, cet enchaînement méthodique qui semble multiplier un phénomene, par sa correspondance avec ceux qui se trouvent dans des circonstances semblables.

De cette généralisation on tire avec avantage des principes constans, qu'on peut regarder comme le suc extrait d'un riche fonds d'observations qui leur tiennent lieu de preuves & de raisonnemens. On part de ces principes, comme d'un point lumineux, pour éclaircir de nouveau certains sujets par l'analogie ; & en conséquence de la régularité des opérations de la nature, on en voit naître de nouveaux faits qui se rangent eux-mêmes en ordre de système. Ces principes sont pour nous les lois de la nature, sous l'empire desquelles nous soûmettons tous les phénomenes subalternes ; étant comme le mot de l'énigme, ils offrent dans une précision lumineuse plus de jeu & de facilité à l'esprit observateur, pour étendre ses connoissances. Enfin ils ont cet avantage très-important, de nous détromper sur une infinité de faits défigurés ou absolument faux ; ces faits disparoîtront ou se rectifieront à leur lumiere, comme il est facile de suppléer une faute d'impression, lorsqu'on a le sens de la chose.

Mais pour établir ces principes généraux, qui ne sont proprement que des effets généraux apperçûs régulierement dans la discussion des faits combinés, il est nécessaire que la généralisation ait été severe & exacte ; qu'elle ait eu pour fondement une suite nombreuse & variée de faits liés étroitement, & continuée sans interruption. Sans cette précaution, au-lieu de principes formés sur des faits & des réalités, vous aurez des abstractions générales d'où vous ne pourrez tirer aucun fait qui se retrouve dans la nature. De quel usage peuvent être des principes qui ne sont pas le germe des découvertes ? & comment veut-on qu'une idée étrangere à la nature, en présente le dénouement ? Ce n'est seulement que de ce que vous tirez du fonds de la nature, & de ce qu'elle vous a laissé voir, que vous pouvez vous servir comme d'un instrument sûr pour dévoiler ce qu'elle vous cache.

Si l'induction par laquelle vous avez généralisé, n'a pas été éclairée par un grand nombre d'observations, le résultat général aura trop d'étendue : il ne comprendra pas tous les faits qu'on voudra lui soûmettre ; & cet inconvénient a pour principe cette précipitation blâmable qui, au lieu de craindre des exceptions où les faits manquent, & où leur lumiere nous abandonne, se laisse entraîner sur les simples soupçons gratuits d'une régularité constante.

On voit aisément que cette méprise n'a lieu que parce que dans la discussion des faits on n'a pas distingué l'essentiel de l'accessoire, & que dans l'énumération & la combinaison des phénomenes on a formé l'enchaînement sans y comprendre les exceptions ; il falloit en tenir un compte aussi exact, que des convenances qui ont servi aux analogies.

D'un autre côté je remarque que les observations vagues & indéterminées ne peuvent servir à l'établissement d'aucun principe. Toutes nos recherches doivent avoir pour but de vérifier, d'apprécier tous les faits, & de donner sur-tout une forme de précision aux résultats : sans cette attention, point de connoissance certaine, point de généralisation, point de résultats généraux.

Les principes ont souvent trop d'étendue, parce qu'ils ont été rédigés sur des vûes ambitieuses, dictées par une hypothèse favorite ; car alors dans tout le cours de ses observations on a éludé par dissimulation ou par des distinctions subtiles, les exceptions fréquentes : on les a négligées comme inutiles, & l'on a toûjours poursuivi, au milieu de ces obstacles, la généralisation des résultats. Si dans la suite on trouve des faits contraires, on les ajuste comme s'ils étoient obligés de se prêter à une regle trop générale.

D'autres résultats se présentent souvent avec une infinité de modifications & de restrictions, qui font craindre qu'ils ne soient encore subordonnés à d'autres. Cette timidité avec laquelle on est obligé de mettre au jour ses principes, vient d'un défaut d'observations ; il n'y a d'autre parti à prendre pour leur assûrer cette solidité, cette étendue, cette précision qu'ils méritent peut-être d'acquérir, que de consulter la nature : sans cela, les principes dont la généralisation n'est pas pleine & entiere, dont l'application n'est pas fixe & déterminée, seront continuellement une source de méprises & d'illusions.

Ce n'est qu'en s'appuyant sur des faits discutés avec soin, liés avec sagacité, généralisés avec discernement, que l'on peut se flater de transmettre à la postérité des vérités solides, des résultats généraux & incontestables, enfin des principes féconds & lumineux.

II. Lorsqu'on jette un premier coup-d'oeil sur notre globe, la division la plus générale qui se présente, est celle par laquelle on le conçoit partagé en grands continens & en mers. Comme dans la partie couverte d'eau on rencontre plusieurs pointes de terre qui s'élevent au-dessus des flots, & qu'on appelle îles, de même on remarque, en parcourant les continens, des espaces couverts d'eau ; si elle y séjourne, ce sont des lacs ; si elle y circule, ce sont des fleuves ou des rivieres.

Les deux portions générales de terres fermes & de mers s'étendent réciproquement l'une dans l'autre, & en différens sens. Dans les diverses configurations relatives des limites qui circonscrivent ces deux parties de notre globe, on observe que la mer environne de tous côtés quatre grands continens, & qu'elle pénetre en plusieurs endroits dans l'intérieur des terres : ce sont des mers Méditerranées, des golfes, des baies, des anses. D'un autre côté, les continens forment des avances considérables dans le bassin de la mer ; ce sont des caps, des promontoires, des peninsules. Le canal resserré par lequel la mer coule entre deux terres pour former des golfes, se nomme détroit. Il y a trois sortes de détroits, en tant que l'on considere les terres qui forment les bords du canal ; ou ces deux lames de terre appartiennent au même continent, ou elles font partie d'un continent & d'une île, ou enfin elles sont les rivages opposés de deux îles. Les détroits, sous un autre rapport, peuvent être considérés comme formant une communication d'un bassin à un autre, & l'on en peut aussi distinguer de trois sortes ; ceux qui forment une communication d'une mer à une mer, comme celui de Magellan ; d'une mer à une baie, comme celui de Babelmandel, qui réunit le golfe arabique à la mer des Indes ; ou enfin d'une baie à une baie, comme celui des Dardanelles. Il y a des golfes qui s'étendent en longueur, d'autres s'arrondissent à leurs extrémités, & présentent une vaste ouverture sans d'autres détroits que ceux qui sont formés entre une île & un continent, ou bien entre une île & une île : tels sont ceux du Mexique, de Bengale. Enfin quelques-uns se ramifient en plusieurs branches, comme la mer Baltique.

Une lame de terre resserrée entre deux mers, se nomme isthme. Les isthmes réunissent de grandes portions de continens à d'autres, & des presqu'îles aux continens.

Je reprends ces idées, & j'oppose les continens aux mers, les îles aux lacs, les golfes aux presqu'îles, & les détroits aux isthmes. Ce sont des configurations correspondantes & opposées, qu'il est bon de saisir sous ce point de vûe d'opposition.

Dans la discussion des affections générales du globe, que nous venons de disséquer en indiquant la nomenclature de ses différentes configurations, il est nécessaire de suivre quelque plan.

1°. Nous présenterons d'abord les résultats généraux des observations qui ont un rapport direct avec l'organisation constante & réguliere du globe, & nous envisagerons cet objet sous deux points de vûe différens ; l'organisation extérieure, & l'organisation intérieure.

2°. Nous nous occuperons des phénomenes généraux qui paroissent indiquer une altération dans cette organisation constante.

3°. Enfin les affections relatives de la terre, dépendantes de l'atmosphere & des différens aspects du globe par rapport au Soleil & à la Lune, feront la matiere de la troisieme section.

Affections générales de l'organisation extérieure du globe. La terre ferme comprend quatre grands continens : 1° l'ancien : 2° le nouveau : 3° les terres australes connues ou soupçonnées : 4° les terres arctiques, dont la séparation d'avec l'Amérique n'est pas encore bien déterminée ; la configuration des terres australes est encore moins connue. Nous nous bornerons donc à raisonner sur l'ancien & le nouveau continent.

En considérant avec attention l'ancien continent & le nouveau, on observe que l'ancien est plus étendu vers le nord que vers le sud de l'équateur, & qu'au contraire le nouveau l'est plus au sud qu'au nord de l'équateur. On voit aussi que le centre de l'ancien continent se trouve à 16 ou 18 degrés de latitude nord, & celui du nouveau à 16 ou 18 degrés de latitude sud. Ce centre est déterminé par l'intersection des lignes menées sur les plus grandes longueurs & largeurs des continens.

Ils ont encore cela de remarquable, qu'ils paroissent comme partagés en deux parties qui seroient toutes quatre environnées d'eau, & formeroient des continens à part, sans deux petits isthmes ou étranglemens de terre ; celui de Suez & celui de Panama. Le premier est produit en partie par la mer Rouge, qui semble l'appendice & le prolongement d'une grande anse avancée dans les terres de l'est à l'oüest, & en partie par la Méditerranée. L'autre est de même produit par le golfe du Mexique, qui présente une large ouverture de l'est à l'oüest.

Bacon observe que ce n'est pas sans quelque raison que les deux continens s'élargissent beaucoup vers le nord, se retrécissent vers le milieu, & allongent une pointe assez aiguë vers le midi. On peut même ajoûter que les pointes de toutes les grandes presqu'îles formées par les avances des continens, regardent le midi ; que quelques-unes même sont coupées par des détroits dont le canal est dirigé de l'est à l'oüest.

Si nous voyageons maintenant sur la partie seche du globe, nous y remarquerons d'abord différentes inégalités à sa surface, de longues chaînes de montagnes, des collines, des vallons, des plaines. Nous appercevrons que les diverses portions des continens affectent des pentes assez régulieres depuis leur centre, ou depuis les sommets élevés des chaînes qui les traversent, jusque sur les côtes de la mer, ou le terrein s'abaisse sous l'eau pour former la profondeur de son bassin : réciproquement, en remontant des rivages de la mer vers le centre des continens, nous trouvons que le terrein s'éleve jusqu'à certains points qui dominent de tous côtés sur les terres qui les environnent.

Osons sonder la profondeur des mers, nous trouverons qu'elle augmente à-mesure que nous nous éloignons davantage des côtes, & qu'elle diminue au contraire à-mesure que nous nous en approchons davantage ; ensorte que le fond de la mer gagne par une élevation insensible les terres qui s'élevent au-dessus des flots. Dans le même examen nous découvrons que la vaste étendue du bassin de la mer nous offre des inégalités correspondantes à celles des continens ; il a ses vallées & ses montagnes : les roches à fleur d'eau, les îles, ne sont que les sommets les plus élevés des chaînes montueuses qui sillonnent par diverses ramifications la partie du globe que la mer recouvre.

Je remarque que les eaux de la mer, en se répandant dans de grandes vallées où le terrein est assujetti à des pentes plus rapides, ont formé les golfes, les mers Méditerranées ; & que réciproquement les terres éprouvant une irrégularité dans leur abaissement vers les côtes de la mer, & se prêtant moins à la courbure des terreins qui se plongent sous les flots, s'avancent au milieu des eaux, & forment des caps, des promontoires, des presqu'îles.

Entrons maintenant dans un plus grand détail, & examinons de plus près chaque objet dont les différentes particularités nous échappoient dans le lointain où ils ont été présentés.

Nous reconnoissons d'abord que toutes les montagnes forment différentes chaînes principales qui se lient, s'unissent, & embrassent tant par leurs troncs principaux que par leurs ramifications collatérales la surface des continens. Les montagnes, qui sont proprement les tiges principales, présentent des masses très-considérables & par leur hauteur & par leur volume ; elles occupent & traversent ordinairement le centre des continens : celles de moindre hauteur naissent de ces chaînes principales ; elles diminuent insensiblement à-mesure qu'elles s'éloignent de leur tige, & vont mourir ou sur les côtes de la mer, ou dans les plaines : d'autres se soûtiennent encore le long des rivages de la mer, ou à une certaine distance de ces rivages.

Dans une masse de montagnes prise en une partie déterminée d'un continent, il est toûjours un point d'élevation extrême d'où les sommets des autres éprouvent une dégradation sensible ; & dans la direction du prolongement de la chaîne de part & d'autre jusqu'à une certaine distance, & suivant les parties collatérales.

Les plus hautes montagnes sont entre les tropiques & dans le milieu des zones tempérées, & les plus basses avoisinent les poles. On a entre ou proche les tropiques les Cordelieres au Pérou, les pics des Canaries, les montagnes de la Lune, le grand & le petit Atlas, le mont Taurus, le mont Imaüs, les montagnes du Japon. Les Cordelieres ont presque le double de la hauteur des Alpes. L'ancien continent est traversé depuis l'Espagne jusqu'à la Chine par des chaînes paralleles à l'équateur ; mais elles jettent des branches qui se dirigeant au midi, traversent & forment différentes presqu'îles, comme l'Italie, Malaie, &c. Les Alpes se ramifient dans le nord de l'Europe, & le mont Caucase dans celui de l'Asie. Le grand & le petit Atlas sont de même paralleles à l'équateur ; mais il est à présumer qu'ils se lient aux autres chaînes qui vont se diriger aussi vers le midi, pour former la pointe du cap de Bonne-Espérance. Dans l'Amérique, le gissement des montagnes est du nord au sud.

Les pentes des montagnes, soit dans la direction de leurs chaînes, soit par rapport à leurs adossemens collatéraux, sont beaucoup plus rapides du côté du midi que du côté du nord, & beaucoup plus grandes vers l'oüest que vers l'est ; les précipices sont plus fréquens vers le midi & l'oüest ; & les plaines ont une pente insensible, ainsi que les sommets, vers l'est & le nord.

Si l'on examine en particulier la configuration de ces différentes montagnes, que nous venons de prendre en grand, on observera des phénomenes très-curieux.

Les côtés de ces chaînes présentent des adossemens considérables de terre, ou des avances angulaires dont les pointes font angle droit avec l'allongement de la chaîne montueuse : ainsi la chaîne ayant sa direction du nord au sud, les angles s'étendront d'un côté vers l'orient, & de l'autre vers l'occident.

Lorsque deux chaînes gissent & courent parallelement l'une à l'autre, elles forment dans l'entre-deux des gorges allongées & des vallons figurés, comme les bords d'un canal creusé par les eaux courantes ; ensorte que l'angle saillant de l'une se trouve opposé à l'angle rentrant de l'autre.

Les avances angulaires ou adossemens sont plus fréquens dans les gorges ou vallons profonds & étroits, & leurs pointes angulaires plus aiguës : mais lorsque la pente est plus douce, l'adossement s'appuyant alors sur une base plus large, les angles sont plus obtus ; ils sont aussi plus éloignés les uns des autres : c'est ce qui a lieu dans les vallées qui aboutissent à de larges plaines.

En général on distingue plusieurs parties dans une masse montueuse ; les parties les plus élevées sont des especes de pics ou de cones dégarnis ordinairement de terre ; au pié on trouve des plaines ou des vallons plus ou moins étendus, & qui sont proprement les sommets applatis d'autres montagnes, lesquelles présentent sur leurs croupes différens enfoncemens, & sont adossées par des collines dont les avances angulaires vont enfin se perdre dans les plaines étendues. Ainsi nous voyons qu'il y a deux sortes de plaines ; des plaines en pays bas, & des plaines en montagnes.

Si une chaîne de montagnes après avoir couru dans un continent se dirige en se soûtenant encore à une moyenne hauteur vers une certaine mer, elle s'y continue sous les flots, & va rejoindre & former par ses pointes les plus élevées, les îles qui sont ordinairement dans la suite de sa premiere direction. Les parties de la continuation de ces chaînes marines, forment des bas-fonds, des écueils, & des rochers à fleur-d'eau : ensorte que ces terres proéminentes nous tracent sensiblement la route que suivent les chaînes montueuses sous les flots : il y a quelque apparence qu'il y a peu d'interruption.

En conséquence, les détroits ne sont que l'abaissement naturel ou bien la rupture forcée des montagnes, qui forment les promontoires : aussi leur prolongement se retrouve-t-il dans les îles séparées par les détroits ; & leurs appendices sont constamment assujettis à l'alignement des chaînes qui traversent les continens. Par une suite de la même disposition, les détroits sont les endroits où la mer a le moins de profondeur, on y trouve une éminence continuée d'un bord à l'autre ; & les deux bassins que ce détroit réunit, augmentent en profondeur par une progression constante ; ce qu'on peut voir dans le Pas de Calais.

Cette correspondance des montagnes se remarque bien sensiblement dans les îles d'une certaine étendue & voisines des continens ; elles sont séparées en deux parties par une éminence très-marquée, qui les traverse dans la direction des autres îles ou des continens, & qui en diminuant de hauteur depuis le centre jusqu'à leurs extrémités de part & d'autre, s'abaisse insensiblement sous les eaux : il en est de même de tous les promontoires & des presqu'îles ; les chaînes de montagnes les traversent dans leur plus grande longueur & par le milieu ; telles sont l'Italie, la presqu'île de Malaie, &c.

Ce qui sépare deux mers & forme les isthmes, est assujetti à la même régularité. Les isthmes ne sont proprement que le prolongement des chaînes de montagnes soûtenues à une certaine hauteur, avec leurs avances angulaires ou adossemens collatéraux, mais moins considérables que les masses étendues où les continens s'élargissent & écartent les flots en s'arrondissant davantage : l'isthme de Panama est ainsi formé par l'abaissement & le retrécissement de la chaîne des Cordelieres, qui va se continuer du Pérou dans le Mexique.

C'est par une suite de la dépendance des configurations du bassin de la mer avec le prolongement & le gissement des montagnes, que sa profondeur à la côte est proportionnée à la hauteur de cette même côte ; & que si la plage est basse & le terrein plat, la profondeur est petite ; il est aisé d'en sentir les raisons. Un promontoire élevé s'abaisse sous les flots par une pente brusquée.

On distingue trois especes de côtes ; 1°. les côtes élevées qui sont de roche ou de pierres dures coupées ordinairement à-plomb à une hauteur considérable ; 2°. les basses côtes, dont les unes sont unies & d'une pente insensible, les autres ont une médiocre élévation, & sont bordées de rochers à fleur-d'eau ; 3°. les dunes formées par des sables que la mer accumule.

C'est encore une suite de la structure extérieure du globe hérissé de montagnes, qu'il se trouve entre les tropiques beaucoup plus d'îles que par-tout ailleurs : nous avons de même remarqué sur les continens les plus hautes montagnes dans cette partie du globe ; ensorte que les plus grandes inégalités se trouvent en effet dans le voisinage de l'équateur.

Ces grands amas d'îles qui présentent une multitude de pointes peu éloignées les unes des autres, sont voisins des continens, & sur-tout dans de grandes anses formées par la mer. Les îles solitaires sont au milieu de l'Océan.

Si nous examinons ce que l'Océan nous offre encore, nous y découvrirons différens mouvemens réguliers & constans qui agitent la masse de ses eaux.

Le principal est celui du flux & reflux, qui dans vingt-quatre heures éleve deux fois les eaux vers les côtes, & les abaisse par un balancement alternatif ; il a un rapport constant avec le cours de la lune ; l'intumescence des eaux est plus marquée entre les tropiques que dans les zones tempérées, & plus sensible dans les golfes ouverts de l'est à l'oüest, étroits & longs, que dans les plages larges & basses ; elle se modifie enfin suivant le gissement des terres & la hauteur des côtes.

Il résulte de ce premier mouvement une tendance continuelle & générale de toute la masse des eaux de l'Océan de l'est à l'oüest ; ce mouvement se fait sentir non seulement entre les tropiques, mais encore dans toute l'étendue des zones tempérées & froides où l'on a navigué.

On remarque certains mouvemens particuliers & accidentels dans certains parages, & qui semblent se soustraire au mouvement général du flux & reflux ; ce sont les courans : les uns sont constans & étendus tant en longueur qu'en largeur, & se dirigent en ligne droite ; souvent ils éprouvent plusieurs sinuosités & plusieurs directions ; d'autres sont rapides, d'autres lents. Ils produisent des especes de tournoyemens d'eau ou de gouffres, tels que le Maelstroom, près de la Norwége : cet effet est la suite de l'affluence de deux courans qui se rencontrent obliquement. Lorsque plusieurs courans affluent, il en résulte ces grands calmes, ces tornados où l'eau ne paroît assujettie à aucun mouvement.

Une derniere observation que nous présente l'Océan, est celle de sa salure ; toute l'eau de la mer est salée & mêlée d'une huile bitumineuse ; elle contient environ la quarantieme partie de son poids en sel, avec quelques différences pour les golfes, qui reçoivent beaucoup d'eau douce que les fleuves y versent des continens.

Cette observation nous conduit naturellement à examiner ce qui concerne les eaux qui séjournent & celles qui circulent sur la surface des continens, pour en saisir les phénomenes les plus généraux.

Je remarque d'abord que les principales sources des fleuves, & l'origine des canaux qui versent l'eau des continens dans la mer, se trouvent placées ou dans le corps des chaînes principales qui traversent les continens, ou près de leurs ramifications collatérales. J'apperçois dans différentes parties des continens des contrées élevées qui sont comme des points de partage pour la distribution des eaux qui se précipitent en suivant différentes directions dans la mer ou dans des lacs : j'en vois deux principaux en Europe, la Suisse & la Moscovie ; en Asie, le pays des Tartares Chinois ; & en Amérique, la province de Quito : outre ces principaux, il en est d'autres assujettis toûjours aux montagnes collatérales. Enfin certaines rivieres prennent leurs sources au pié & dans les cul-de-sacs des montagnes qui s'étendent le long des côtes de la mer.

Les sources ou fontaines peuvent se distinguer par les phénomenes que présente leur écoulement, & par les propriétés des eaux qu'elles versent : par rapport à leur écoulement, on en distingue de trois sortes ; 1°. de continuelles, qui n'éprouvent aucune interruption ni diminution rapide ; 2°. de périodiques intercalaires, qui sont assujetties à des diminutions régulieres sans interruption ; 3°. de périodiques intermittentes, qui ont des interruptions plus ou moins longues. Voyez FONTAINE.

Par rapport à la nature de leurs eaux, il y en a de minérales, chargées de particules métalliques, de bitumineuses, de lapidifiques chargées de particules terreuses, de claires & de troubles, de froides & de chaudes : d'autres ont une odeur & une saveur particuliere. Voyez HYDROLOGIE.

Lorsque plusieurs sources ne trouvent pas une pente favorable pour former un canal, leurs eaux s'amassent dans un bassin sans issue, & il en résulte un lac ; cette eau franchit quelquefois les bords du bassin, & se répand au-dehors ; ou bien une riviere dans son cours ne trouvant pas de pente jusqu'à la mer, l'eau qu'elle fournit recouvre un espace plus ou moins étendu suivant son abondance, & forme un lac. D'après ces considérations, nous distinguons quatre sortes de lacs ; 1°. ceux qui ne reçoivent sensiblement leurs eaux d'aucun canal, & qui ne les versent point au-dehors ; 2°. ceux qui ne reçoivent point de canal, & qui fournissent des eaux à des rivieres, à des fleuves ; 3°. ceux qui reçoivent des fleuves sans interrompre leur cours ; 4°. ceux qui reçoivent les eaux des rivieres & les rassemblent sans les verser au-dehors : tels sont la mer Caspienne, la mer Morte, le lac Morago en Perse, Titacaca en Amérique, & plusieurs lacs de l'Afrique qui reçoivent les rivieres d'une assez grande étendue de pays ; ces terreins forment une exception à la pente assez générale des continens vers la mer.

Les lacs qui se trouvent dans le cours des fleuves, qui en sont voisins, ou qui versent leurs eaux au-dehors, ne sont point salées : ceux au contraire qui reçoivent les fleuves sans qu'il en sorte d'autres, sont salés ; les fleuves qui se jettent dans ces lacs, y ont amené successivement tous les sels qu'ils ont détachés des terres. Ceux qui ne reçoivent aucun fleuve & qui ne versent point leurs eaux au-dehors, sont ordinairement salés s'ils sont voisins de la mer ; ils sont d'eau douce, s'ils en sont éloignés.

La plûpart des lacs semblent aussi dispersés en plus grand nombre près de ces especes de points de partage que nous avons observés sur les continens : en Suisse, j'en trouve jusqu'à trente-huit ; il en est de même dans le point de partage de Russie, & dans celui de la Tartarie Chinoise en Asie, &c.

Mais j'observe généralement que les lacs des montagnes sont tous surmontés par des terres beaucoup plus élevées, ou sont au pié des pics & sur la cime des montagnes inférieures.

Les rivieres se portant toûjours des lieux élevés vers les lieux bas, & des croupes de montagnes ou principales ou collatérales vers les côtes de la mer ou dans des lacs ; c'est une conséquence naturelle que la direction des sommets & des chaînes allongées soit marquée par cette suite de points où tous les canaux des eaux courantes prennent leurs sources, & par cet espace qu'ils laissent vuide entr'eux en se distribuant vers différentes mers.

Ainsi les crêtes des chaînes principales, des ramifications collatérales, des collines mêmes de moyenne grandeur, servent à former ces partages des eaux que nous avions découverts & indiqués en général : c'est ainsi que les Cordelieres distribuent les eaux vers la mer du Sud & dans les vastes plaines orientales de l'Amérique méridionale. Les Alpes de même distribuent leurs eaux vers diverses mers par quatre canaux différens, le Rhin, le Rhone, le Pô, & le Danube.

On voit sensiblement, d'après ces observations générales, que les rivieres & les fleuves sont des canaux qui épuisent l'eau répandue sur les continens. J'observe qu'au lieu de se ramifier en plusieurs branches, ils réunissent au contraire leurs eaux, & les vont porter en masse dans la mer ou dans les lacs. Je ne vois qu'une exception à cette disposition générale, c'est la communication de l'Orénoque avec une riviere qui se jette dans le fleuve des Amazones : les hommes ont senti l'avantage de cette espece d'anastomose, en liant les lits des rivieres par des canaux. Que nous diront sur cela les sectateurs des causes finales ?

La direction des fleuves dans tout leur cours est assujettie aux configurations des montagnes & des vallons où ils coulent ; de sorte qu'une des montagnes qui borde un vallon ayant une pente moins rapide que l'autre qui lui est opposée, la riviere prend son cours plus près de celle qui a une croupe plus roide & plus escarpée, & ne garde point le milieu du vallon : elle n'occupe le milieu que lorsque la pente est égale. Les fleuves ne suivent les montagnes principales d'où ils tirent leur origine, que tant qu'ils sont resserrés entre deux chaînes ; mais dès qu'ils se répandent dans les plaines collatérales, ils coulent perpendiculairement à la direction des chaînes, en suivant les vallons des montagnes de la seconde & troisieme grandeur, où ils trouvent différentes rivieres qui les enrichissent de leurs eaux. En conséquence de la plus grande pente que les fleuves trouvent en s'échappant des plaines montueuses qu'ils rencontrent ordinairement dans l'intérieur des terres, la direction de leur canal est ordinairement droite sur une certaine longueur, & leurs sinuosités ne se multiplient que lorsque l'on approche de leur embouchure dans la mer. On remarque que les grands fleuves coulent perpendiculairement à la côte où ils se jettent dans la mer, & qu'ils reçoivent de part & d'autre des rivieres qui s'y rendent, en indiquant une pente marquée des deux côtes. Dans l'arrondissement de certains golfes, vous observez un semblable arrondissement pour les rivieres qui s'y jettent en s'y portant comme vers un centre commun, leurs canaux s'épanoüissent dans tout le contour ; ils indiquent le vallon qui a formé le golfe. Cette disposition est sensible dans les rivieres qui se jettent à l'extrémité du golfe de Bothnie.

Un phénomene régulier & constant, est cet accroissement périodique qu'éprouvent un grand nombre de fleuves, & sur-tout ceux qui ont leurs sources entre les tropiques ; ils couvrent les plaines voisines de leurs eaux à une très-grande distance : les autres n'éprouvent que de ces crûes irrégulieres & brusquées qui sont la suite de la fonte des neiges ou des pluies abondantes : les unes sont rapides, d'autres roulent plus tranquillement leurs eaux ; & cela paroît, toutes choses égales d'ailleurs, dépendant de la distance de leur source à leur embouchure : ensorte que de deux fleuves qui partent du même point de partage, & qui vont à la mer par différentes routes, celui-là est le plus rapide, dont le cours est le moins étendu. Quelques autres se perdent dans les sables, ou disparoissent dans des soûterreins : enfin je remarque aux embouchures des grands fleuves, quelques îles & quelques amas de sable qui divisent leur canal en plusieurs bras.

Affections générales de la structure intérieure & réguliere du globe. Ce qui me frappe d'abord en creusant dans la terre, c'est que la masse est composée de lits & de couches, dont l'épaisseur, la direction, &c. sont assujetties à des dispositions régulieres & constantes. Quelque part que l'on fouille, on rencontre de ces couches ou des bancs de différentes épaisseurs, depuis une ligne jusqu'à cent piés ; & plus on creuse dans l'intérieur du globe, plus les couches sont épaisses. Ces bancs, ces lits recouvrent aussi une très-grande étendue de terrein en tout sens ; excepté la couche de terre végétale, toutes ces couches sont posées parallelement les unes sur les autres ; & chaque banc a une même épaisseur dans toute son étendue.

Les lits de substances terrestres qui sont paralleles à l'horison dans les plaines, s'élevent & se courbent avec les croupes des montagnes qu'elles forment & qu'elles franchissent pour aller s'abaisser ensuite dans le vallon qui se trouve au-delà. Si la pente de la montagne est douce, l'inclinaison des couches est très-grande : si la croupe de la montagne est escarpée, ou bien les couches sont coupées à-plomb & interrompues par des éboulemens, ou bien elles s'abaissent presque sans s'incliner, & gagnent la plaine.

Lorsqu'au sommet d'une montagne les couches sont de niveau, toutes les autres qui composent sa masse sont aussi de niveau ; mais les lits du sommet panchent-ils, les autres couches de la montagne suivent la même inclinaison.

Dans certains vallons étroits formés par des montagnes escarpées, les couches que l'on y apperçoit coupées à-plomb & tranchées, se correspondent par rapport à la hauteur, à l'épaisseur, à la disposition, à la matiere qui les composent ; comme si la montagne eût été séparée par le milieu.

Dans les masses des montagnes figurées, les lits intérieurs des angles saillans ou rentrans éprouvent la même disposition que les contours extérieurs : ainsi les phénomenes de la surface paroissent liés avec ceux de la configuration intérieure, & nous la découvrent.

La même régularité a lieu par rapport à deux collines qui se suivent parallelement ; les mêmes couches s'y continuent de l'une à l'autre en bon ordre, en se courbant sous le vallon. Il est bon d'observer que le niveau n'a lieu pour la hauteur des couches correspondantes, que dans le cas où les deux collines ont une même hauteur ; ce qui est assez ordinaire.

Il faut cependant remarquer que cette organisation ne se présente pas par-tout ainsi. Les montagnes les plus élevées, soit dans les continens, soit dans les îles, ne sont proprement que des pics ou cones composés de roc vif, de grès, ou de matieres vitrifiables ; celles dont les sommets sont plats contiennent des marbres, des pierres à chaux. Les collines dont la masse est de grès, présentent par-tout des pointes irrégulieres qui indiquent des couches peu suivies & un amas de décombres : celles qui sont composées de substances calcaires, de marbres, de pierres à chaux, de marnes, &c. ont une forme plus arrondie & plus réguliere.

D'après les différentes observations dont nous venons d'indiquer les résultats, on peut distinguer huit situations & formes différentes dans les couches terrestres ; 1°. de paralleles à l'horison ; 2°. de perpendiculaires ; 3°. de diversement inclinées ; 4°. de courbées en arc concave ; 5°. de courbées en arc convexe ; 6°. d'ondoyantes ; 7°. d'arrondies ; 8°. d'angulaires.

Ces différentes formes paroissent dépendantes des bases sur lesquelles les lits ou assises sont posés. En suivant l'arrangement des couches, on n'a point trouvé que les substances qui les forment soient disposées suivant leur pesanteur spécifique. Les couches de matiere plus pesante se trouvent sur des couches de matieres plus legeres ; des rochers massifs portent sur des sables ou sur des glaises.

Sous la mer, dans les détroits, & dans les îles, on retrouve les substances terrestres disposées par couches, ainsi que dans les continens. Dans certains détroits on a découvert que le fond de la mer est de la même nature de terre que les couches qui servent de base aux côtes élevées qui forment leur canal. On apperçoit des deux côtés du détroit les mêmes couches & les mêmes substances comme dans les deux croupes escarpées de deux montagnes qui forment un vallon : dans d'autres détroits, les couches des deux bords du canal s'abaissent insensiblement sous les flots, pour aller rejoindre leurs correspondantes.

On divise ordinairement les matieres qui composent les premieres couches du globe en deux classes générales : la premiere comprend les substances vitrifiables ; la seconde renferme les substances calcaires. Soit seules, soit par leur mélange, ces matieres composent les terres, les pierres, les métaux, les minéraux de toute espece ; il n'est pas de notre objet de les détailler. Nous ne nous attachons à ces diverses substances, qu'autant que nous nous occupons de leurs dispositions relatives par rapport à la structure intérieure du globe.

Les argilles, les sables, les schitz, les charbons de terre, les rocs vifs, les grès étendus, les marnes, les pierres à chaux sont posés par lits & par bancs : mais les tufs, les grès en petites masses, les cailloux, les crystaux, les métaux, les minéraux, les pyrites, les soufres, les stalactites, les incrustations, se trouvent par amas, par filons, par veines irrégulierement disposées, mais cependant assujetties à quelques formes, sur-tout les crystallisations & les sels.

Mais ce qui a singulierement attiré l'attention des observateurs parmi les substances qui composent les couches terrestres, est cette multitude considérable de fossiles en nature ou en pétrifications. On trouve des coquilles de différentes especes, des squeletes de poissons de mer qui sont parfaitement semblables aux coquilles, aux poissons actuellement vivans dans la mer. Ces fossiles par leur poli, leurs couleurs, leur émail naturel, présentent des dépouilles reconnoissables des animaux. Les coquilles sont entieres ; tout y est semblable, soit au-dedans soit au-dehors, dans leur cavité, dans leur convexité, dans leur substance ; les détails de la configuration, les plus petites articulations y sont dessinées : on trouve les coquillages de la même espece par grouppes, de petits & de jeunes attachés aux gros ; & tous sont dans leur tas & dans les lits posés sur le plat & horisontalement. Certaines coquilles paroissent avoir éprouvé une espece de calcination plus ou moins grande, & une décomposition qui en altere la forme en grande partie ; elles sont imparfaites, mutilées, par fragmens.

Les bancs qu'on a trouvés en différens endroits, ont une étendue très-considérable ; il y en a une masse de plus de cent trente millions de toises cubiques en Touraine ; dans la plûpart des carrieres de pierre, cette substance lie les autres & y domine. Quant aux pétrifications qui ne présentent que les empreintes, ou en relief ou en creux, d'animaux & de végétaux, elles sont d'une substance pierreuse, métallique, & diversement colorée ; les unes présentent une forme parfaite, d'autres sont mutilées, courbées, applaties, allongées.

On trouve enfin une multitude étonnante de fossiles ou conservés ou altérés ou pétrifiés, dans les couches des montagnes comme sous les plaines ; au milieu des continens, comme dans les îles ; dans les premiers lits, comme dans les plus profonds ; depuis le sommet des Alpes, jusqu'à cent piés sous terre dans le terrein d'Amsterdam ; dans toute la chaîne qui traverse l'ancien continent depuis le Portugal jusqu'à la Chine ; dans les matieres les plus legeres, comme dans les substances les plus dures & les plus compactes. Ces fossiles y sont incorporés, pétrifiés, & remplis constamment de la substance même qui les environne. On trouve enfin des coquilles legeres & pesantes dans les mêmes matieres ; dans un seul endroit, les especes les plus disparates ; dans les endroits les plus éloignés, les especes les plus ressemblantes, & dont les analogues, soit végétaux soit animaux, sont ou dans des mers éloignées ou dans des parages voisins, ou ne sont pas encore connus.

Il faut remarquer qu'il y a plus de coquilles & de pétrifications dans les matieres calcaires, dans les marnes, dans les pierres à chaux, &c. que dans les matieres vitrifiables : on en trouve de dispersées dans les sables. On n'a point encore vû de coquilles dans les grès & le roc vif en petites masses : enfin on n'a pû découvrir de coquilles au Pérou dans les montagnes des Cordelieres.

La disposition de toutes ces couches dont nous venons d'examiner les formes & la substance, sert à recueillir & distribuer régulierement les eaux de pluie, à les contenir en différens endroits, à les verser par les sources, qui ne sont proprement que l'interruption & l'extrémité d'un aquéduc naturel formé par deux lits de matieres propres à voiturer l'eau : car les eaux tombant sur ces couches, se filtrent par les issues & par les fréquentes interruptions qu'elles éprouvent sur-tout dans leurs courbures, elles se chargent souvent des molécules de substances ou terrestres ou métalliques qu'elles peuvent dissoudre, & acquierent par cette opération les différentes qualités que nous avons remarquées ci-devant. Les couches de glaise & d'arene qui regnent dans une grande étendue du globe, contiennent les eaux ; la pente des couches leur procure un écoulement ; & suivant la profondeur de ces couches, les eaux séjournent ou près de la surface de la terre ou à de grandes profondeurs. Un lac ne sera précisément que la réunion des eaux qui coulent entre les couches qui viennent se terminer à son bassin, & le former par leur courbure.

Phénomenes qui indiquent un travail postérieur au premier, & qui tendent à changer la face du globe. Les couches du globe même les plus solides, sont interrompues par des fentes de différente largeur, depuis un demi-pouce jusqu'à plusieurs toises ; elles sont perpendiculaires à l'horison dans les matieres calcaires, obliques & irrégulierement posées dans les carrieres de grès & de roc vif : on les trouve assez éloignées les unes des autres, & plus étroites dans les substances molles & dans les lits plus profonds : plus fréquentes & plus larges dans les matieres compactes, comme dans les marbres ou les autres pierres dures & dans les premieres couches ; souvent elles descendent jusqu'à la base depuis le sommet des masses ; d'autres fois elles pénetrent jusqu'aux lits inférieurs. Les unes vont en diminuant de largeur, d'autres ont une même largeur dans toute leur étendue.

C'est dans ces fentes que se trouvent les métaux, les minéraux, les crystaux, les soufres, les sucs épaissis ; elles sont intérieurement garnies dans les grès & les matieres vitrifiables, de crystaux, de cailloux, & de minéraux de toute espece : dans les carrieres de marbre ou de pierres à chaux, elles sont remplies de spath, de gypse, de gravier, & d'un sable terreux. Dans les argilles, dans les craies, dans les marnes, on trouve ces fentes ou vuides, ou remplies de matiere déposée par les eaux de pluie.

On peut ajoûter à ces fentes d'autres dégradations considérables qu'offrent les rochers & les longues chaînes de montagnes : telles sont ces coupures énormes, ces larges ouvertures produites par des éboulemens ou par des affaissemens qui remplissent les plaines de débris énormes de montagnes dont les bases manquent ; & ces débris offrent des grès irrégulierement semés à la surface des terres éboulées, ou bien de longues couches de terre bouleversées sans ordre. C'est de cette sorte que se présentent aux yeux des observateurs les portes qu'on trouve dans les chaînes de montagnes & dans les ouvertures de certains détroits ; comme les Thermopyles, les portes du Caucase, des Cordelieres, le détroit de Gibraltar entre les monts Calpé & Abyla, la porte de l'Hellespont, les détroits de Calais, de Palerme, &c.

Lorsque ces affaissemens n'ont agi que sur les couches intérieures, ou que les eaux seules ayant miné profondément les terres, ont entraîné de l'intérieur des montagnes les sables & les autres matieres de peu de consistance, & n'ont laissé que les voûtes formées par les rochers & les bancs de pierre, il résulte de toutes ces dégradations des cavernes : c'est dans ces conduits soûterreins que certains fleuves disparoissent, comme le Niger, l'Euphrate, le Rhone. C'est dans ces cavernes formées dans le sein des montagnes, que sont les reservoirs des sources abondantes ; & lorsque les voûtes de ces cavernes s'affaissent & les comblent, les eaux qu'elles contiennent se répandent au-dehors & produisent des inondations subites & imprévues.

Les eaux de pluie produisent aussi à la surface extérieure de grands changemens. Les montagnes diminuent de hauteur, & les plaines se remplissent par leur travail journalier ; les cimes des montagnes se dégarnissent de terre, & il ne reste que les pics. Les terres entraînées par les torrens & par les fleuves dans les plaines, y ont formé des couches extraordinaires de gravier & de sable ; on en trouve de larges amas le long des rivieres & dans les vallées qu'elles traversent. Ces couches ont cela de particulier, qu'elles éprouvent des interruptions ; qu'elles n'annoncent aucun parallélisme ni la même épaisseur ; & par l'examen des amas de gravier, on reconnoît qu'ils ont été lavés, arrondis, & déposés irrégulierement par les tournans d'eau, &c. Parmi ces sables & ces graviers, on trouve sans ordre, sans disposition réguliere, des coquilles fluviatiles, des coquilles marines brisées & isolées, des débris de cailloux, des pierres dures, des craies arrondies, des of d'animaux terrestres, des instrumens de fer, des morceaux de bois, des feuilles, des impressions de mousse ; & les différentes parties de cet assemblage se lient quelquefois avec un ciment naturel produit par la décomposition de certains graviers.

Aux environs des étangs, des lacs, & des mers, le long des rivieres, ou près des torrens, on trouve des endroits bas, marécageux, dont le fond est un mélange de végétaux imbibés de bitume : des arbres entiers y sont renversés tous suivant une même direction. Certaines couches limoneuses durcies se sont moulées sur les roseaux des marais qu'elles ont recouverts : souvent ces couches de végétaux ou en nature ou en empreinte dans la pierre ou dans la terre durcie, sont recouvertes par des amas de matiere qui forment une épaisseur de cinquante, soixante, cent piés ; ces additions & ces terres accumulées sont considérables, sur-tout au pié des hautes plaines ou des montagnes, & paroissent être des adossemens qui s'appuient & tendent vers les montagnes plus élevées.

Les rivages de la mer annoncent de même des dégradations produites par les eaux. A l'embouchure des fleuves nous trouvons des îles, des amas de sables, ou des dépôts de terres dont les eaux des rivieres se chargent, & qu'elles déposent lorsque leur cours est ralenti. Quelques observateurs ont prétendu que certains fleuves charrient le tiers de terre, ce qui est exagéré ; mais il suffit de faire envisager cette cause avec toutes les réductions qu'on jugera convenables, pour conclure l'étendue de ses effets. Certaines côtes sont minées par les flots de la mer ; elle en recouvre d'autres de sable : elle abandonne certains rivages, se jette & fait des invasions sur d'autres, ou petit-à-petit, ou par des inondations violentes & locales.

Un autre principe étendu de destruction est le feu. Certaines montagnes brûlent continuellement ; elles éprouvent par reprises des accès violens, des éruptions dans lesquelles elles lancent au loin des tourbillons de flammes, de fumée, de cendres, de pierres calcinées ; & dans la fureur de leur embrasement, les soufres, les minéraux en fusion se font jour au-travers des flancs de la montagne entr'ouverts par l'expansion des vapeurs qui redoublent la fureur du feu. Je trouve tous les volcans dans des montagnes élevées ; leur foyer est peu profond, & leur bouche est au sommet & dans le plan de l'horison. Certains volcans sont éteints, & on les reconnoît alors aux précipices énormes que des montagnes offrent à leurs sommets, qui sont comme des cones tronqués ; & aux laves ou matieres calcinées qui sont dispersées sur les croupes.

Le fond de la mer n'est pas exempt de ces tourmentes violentes ; il y a aussi de ces volcans dans les montagnes dont le sommet est sous les flots. Ils s'annoncent près des îles dont ils sont la continuation & les appendices. Ces volcans sou-marins élevent quelquefois des masses de terre énormes qui paroissent au-dessus des flots, & vont figurer parmi les îles ; ou bien ces matieres enflammées ne trouvant pas dans leurs explosions des masses contre lesquelles elles puissent agir, élevent les flots, & forment des jets immenses, des Typhons ou trombes affreuses. La mer est alors dans une grande ébullition, couverte de pierres calcinées & legeres qui y flottent sur un espace très-étendu, & l'air est rempli d'exhalaisons sulphureuses.

Tous ces effets sont ordinairement accompagnés de tremblemens de terre, phénomene qui porte au loin la desolation ou les allarmes. On peut en distinguer de deux sortes, des tremblemens locaux & des tremblemens étendus : les tremblemens locaux circonscrivent leurs commotions, s'étendent en tous sens autour d'un volcan ou de leur foyer. Les autres suivent certaines bandes de terrein, & sur-tout celles qui sont parsemées de montagnes ou composées de matieres solides ; ils s'étendent beaucoup plus en longueur qu'en largeur : ces convulsions désastreuses s'annoncent par différens mouvemens. Les uns s'exécutent par un soulevement de haut en bas ; les autres par une inclination telle que l'éprouveroit un plan incliné, soulevé par la partie la plus haute & fixé par le bas ; enfin d'autres, par un balancement qui porte les objets agités vers les différens points de l'horison, & par des reprises marquées. De ces différentes agitations résultent les commotions meurtrieres, irrégulieres, brusquées, suivies de grands desastres, & ces secousses tranquilles qui balancent les objets sans les détruire. On peut mettre parmi les effets des tremblemens de terre, les affaissemens & les éboulemens de certaines montagnes, les fentes, les précipices & les abysmes.

Les secousses se propageant par les montagnes & les chaînes qui se ramifient dans le fond de la mer, se rendent sensibles aux navigateurs, & produisent par voye de retentissement des commotions violentes aux vaisseaux sur la surface de la mer unie & paisible : souvent la mer se déborde dans les terres, après que les côtes ont éprouvé des convulsions violentes. Enfin les côtes de la mer semblent plus exposées aux tremblemens de terre que les centres des continens.

Phénomenes dépendans de l'atmosphere & de l'aspect du soleil. Cette division nous offre beaucoup de faits & peu de résultats généraux ; on peut réduire à trois points ce qui nous reste à y discuter. Le premier comprend la considération de la diverse température qui regne dans les différentes parties du globe : le second les agitations de l'atmosphere & leurs effets ; le troisieme la circulation & les modifications des vapeurs & des exhalaisons qui flottent dans l'atmosphere.

La température qu'éprouvent les différentes portions de la terre peut se représenter avec assez de régularité par les zones comprises entre les degrés de latitude ; cependant il faut y comprendre la considération du sol, du séjour plus ou moins long du soleil sur l'horison, & des vents. Toutes ces circonstances modifient beaucoup l'effet de la direction plus ou moins inclinée des rayons du soleil dans les différens pays.

L'intervalle qui se trouve entre les limites du plus grand chaud & du plus grand froid dans chaque contrée, croît à-mesure qu'on s'éloigne de l'équateur, avec quelques exceptions toûjours dépendantes du sol, & sur-tout du voisinage de la mer. Un pays habité, cultivé, desséché est moins froid : un pays maritime est moins froid à même latitude, & peut être aussi moins chaud.

A-mesure qu'on s'éleve au-dessus des plaines dans les hautes montagnes, la chaleur diminue & le froid même se fait sentir. Sur les montagnes des Cordelieres, la neige qui recouvre le sommet de quelques-unes, ne fond pas à la hauteur de 2440 toises au-dessus du niveau de la mer, & la chaleur respecte cette limite dans toute l'étendue de la Cordeliere. Dans les zones tempérées, les pays montagneux ont aussi des sommets couverts de neige, & même des amas monstrueux de glace que la chaleur des étés ne fond point entierement ; seulement la ligne qui sert de limite à la neige qui ne fond point est moins élevée dans ces zones que sous la torride.

Mais le froid ne se répand jamais dans les plaines des zones torrides, comme il fait ressentir ses effets dans l'étendue des zones tempérées & glaciales. Les fleuves gelent à la surface des continens, ainsi que les lacs dans une partie des tempérées & dans toute l'étendue des zones glaciales ; mais la salure en préserve les pleines mers à ces latitudes. Ce n'est que vers les côtes, dans les parages tranquilles, dans les golfes ou détroits des zones glaciales, que la mer gele ; & les glaces ne s'étendent pas à une vingtaine de lieues des côtes. La mer gele sur-tout dans les endroits vers lesquels les fleuves versent une grande quantité d'eau douce, ou charrient de gros glaçons, qui s'accumulant à leur embouchûre, contribuent à la formation de ces énormes montagnes de glaces qui voyagent ensuite dans les mers plus méridionales ; en sorte que les glaces qu'on trouve dans les pleines mers indiquent de grands fleuves qui ont leurs embouchûres près de ces parages. Par rapport à la température des soûterreins & de la mer à différentes profondeurs, nous ne pouvons offrir aucuns résultats bien déterminés.

Les principales agitations de l'air que nous considérons sont les vents ; en général les courans d'air sont fort irréguliers & très-variables : cependant le vent d'est souffle continuellement dans la même direction, en conséquence de la raréfaction que le soleil produit successivement dans les différentes parties de l'atmosphere. Comme le courant d'air qui est la suite de cette dilatation doit suivre le soleil, il fournit un vent constant & général d'orient en occident, qui contribue par son action au mouvement général de la mer d'orient en occident, & qui regne à 25 ou 30 degrés de chaque côté de l'équateur.

Les vents polaires soufflent aussi assez constamment dans les zones glaciales ; dans les zones tempérées il n'y a aucune uniformité reconnue. Le mouvement de l'air est un composé des vents qui regnent dans les zones collatérales, c'est-à-dire des vents d'est & de nord. A combien de modifications ces courans ne doivent-ils pas être assujettis, suivant que les vents d'est ou de nord dominent ? Le vent d'oüest paroît être même un reflux du vent d'est modifié par quelques côtes.

Sur la mer ou sur les côtes les vents sont plus réguliers que sur terre ; ils soufflent aussi avec plus de force & plus de continuité. Sur les continens, les montagnes, les forêts, les différentes bases de terreins changent, & alterent la direction des vents. Les vents réfléchis par les montagnes se font sentir dans toutes les provinces voisines ; ils sont très-irréguliers, parce que leur direction dépend de celle du premier courant qui les produit, ainsi que des contours, de la situation & de l'ouverture même des montagnes. Enfin les vents de terre soufflent par reprises & par boutades.

Au printems & en automne les vents sont plus violens qu'en hyver & en été, tant sur mer que sur terre ; ils sont aussi plus violens à-mesure qu'on s'éleve au-dessus des plaines & jusqu'au-dessus de la région des nuages.

Il y a des vents périodiques qui sont assujettis à certaines saisons, à certains jours, à certaines heures, à certains lieux ; il y en a de reglés produits par la fonte des neiges, par le flux & reflux. Quelquefois les vents viennent de la terre pendant la nuit, & de la mer pendant le jour. Nous n'avons point encore assez d'observations pour connoître s'il y a quelque rapport entre les vicissitudes de l'air dans chaque pays. Nous savons seulement par les observations du barometre, qu'il y a plus de variations dans les zones tempérées, que dans les zones torrides & glaciales ; qu'il y en a moins dans la région élevée de l'atmosphere, que dans celle où nous vivons.

En vertu de la chaleur du soleil l'air ayant acquis une certaine température, dissout l'eau & s'en charge ; c'est ce qui produit cette abondante évaporation des eaux de dessus les mers & les continens. Ces vapeurs une fois condensées forment les nuages que les vents font circuler dans une certaine région de l'air dépendante de leur densité & de la sienne ; ils les transportent dans tous les climats : les nuages ainsi voiturés ou s'élevent en se dilatant, ou s'abaissent en se condensant, suivant la température de la base de l'atmosphere qui les soûtient, lorsqu'ils rencontrent dans leur course l'air plus froid des montagnes ; ou bien ils y tombent en flocons de neige, en brouillard, en rosées, suivant leur état de densité & d'élevation ; ou bien ils s'y fixent & s'y resolvent en pluies. Le vent d'est les disperse surtout entre les tropiques ; ce qui cause & les pluies abondantes de la zone torride, & les inondations périodiques des fleuves qui ont leurs sources dans ces contrées.

Quelquefois les nuages condensés au sommet des montagnes s'en trouvent éloignés par des vents réflechis, ou autres qui les dispersent dans les plaines voisines.

Les montagnes contribuent tellement à cette distribution des eaux, qu'une seule chaîne de montagnes décide de l'été & de l'hyver entre deux parties d'une presqu'île qu'elle traverse. On conçoit aussi que le sol du terrein contribuant à l'état de l'atmosphere, il y aura des pays où il ne tombera aucune pluie, parce que les nuages s'éleveront au-dessus de ces contrées en se dilatant.

Enfin nous concevons maintenant pourquoi nous avons trouvé certains points de partage pour la distribution des eaux qui circulent sur la surface des continens : ces points de partage sont des endroits élevés & hérissés de montagnes & de pics qui raccrochent, condensent, fixent & resolvent les nuages en pluies, &c.

Lorsque des vents contraires soufflent contre une certaine masse de nuages condensés & prêts à se résoudre en pluie, ils produisent des especes de cylindres d'eau continués depuis les nuages d'où ils tombent jusque sur la mer ou la terre : ces vents donnent à l'eau la forme cylindrique en la resserrant & la comprimant par des actions contraires. On nomme ces cylindres d'eau trombes, qu'il ne faut pas confondre avec le typhon ou la trombe de mer. On peut rapporter à ces effets ceux que des vents violens & contraires produisent lorsqu'ils élevent des tourbillons de sable & de terre, & qu'ils enveloppent dans ces tourbillons les maisons, les arbres, les animaux.

Telle est l'idée générale des objets dont s'occupe la Géographie physique, & qui seront développés dans les différens articles. Il est aisé de voir par cet exposé, qu'un système de Géographie physique n'est autre chose qu'un plan méthodique où l'on présente les faits avérés & constans, & où on les rapproche pour tirer de leur combinaison des résultats généraux : opérations auxquelles préside cette sagesse, cette bonne foi qui laisse entrevoir les intervalles où la continuation de l'enchaînement est interrompue, qui ne se contente pas tellement des observations déjà faites, qu'elle ne montre le besoin de nouveaux faits & les moyens de les acquérir. Dans les théories de la terre on suit d'autres vûes ; tous les faits, toutes les observations sont rappellées à de certains agens principaux, pour remonter & s'élever de l'état présent & bien discuté à l'état qui a précédé ; en un mot des effets aux causes. L'objet des théories de la terre est grand, élevé & pique davantage la curiosité ; mais elles ne doivent être que les conséquences générales d'un plan de Géographie physique bien complet. Cet article est de M. DESMAREST.


GEOGRAPHIQUEadj. se dit de tout ce qui appartient à la Géographie ; ainsi on dit mesures géographiques, opérations géographiques, &c.

Comme la Géographie en général, qui est la description de la terre, a sous elle deux parties qui lui sont subordonnées, la Chorographie qui est la description d'un pays de quelqu'étendue comme une province, & la Topographie qui est la description d'une partie peu étendue de terrein ; il y a aussi différentes especes d'opérations géographiques : celles qui se font pour lever la carte d'une partie considérable de la terre, par exemple, de la France, de l'Angleterre, demandent plus de précision que les autres, parce que de petites erreurs qui ne sont rien sur une partie de terrein peu considérable, deviennent trop sensibles, & s'accumulent sur un grand espace ; ainsi ces cartes se levent pour l'ordinaire en liant les principaux points par des triangles dont on observe les angles avec un quart de cercle, & en calculant ensuite les côtés de ces triangles ; en faisant en un mot les mêmes opérations que pour mesurer un degré de la terre, opérations qui s'appellent aussi géographiques V. FIGURE DE LA TERRE & DEGRE. C'est ainsi qu'on a travaillé à la carte de la France dont on publie actuellement les feuilles. Quand il ne s'agit que de cartes chorographiques, & que l'on ne cherche pas une grande précision, un bon graphometre suffit pourvû qu'il soit d'une plus grande étendue que les graphometres ordinaires ; & quand on ne veut faire qu'une carte topographique, on peut se borner à la planchette. Voyez PLANCHETTE & GRAPHOMETRE. Voy. aussi CARTE.

Carte géographique se peut dire en général de toutes les cartes de géographie, puisqu'elles représentent toûjours quelque partie de la terre ; mais on ne désigne certaines cartes par le mot géographique, que pour les distinguer des cartes qu'on appelle hydrographiques, & qui servent principalement aux marins. Dans celles-ci on ne représente guere que les rivages, le gissement des côtes, les îles ; dans les autres on détaille l'intérieur des terres. Voyez HYDROGRAPHIQUE & CARTE. (O)


GEOLAGES. m. (Jurisprud.) ou droit de geole, est un droit en argent qui est dû au geolier ou concierge des prisons par chaque prisonnier, pour le soin qu'il prend de le garder, & ce à raison de tant par jour, suivant la maniere dont le prisonnier est tenu.

Les droits de gîte & geolage sont reglés par chaque parlement dans leur ressort.

Suivant le tarif fait par le parlement de Paris en 1717, les prisonniers à la paille payent un sol par jour pour gîte & geolage, sans aucun droit d'entrée ni de sortie.

Ceux auxquels le geolier fournit un lit payent cinq sols par jour s'ils sont seuls, & trois sols s'ils couchent deux dans un lit.

Les pensionnaires ne doivent payer pour nourriture, gîte & geolage au plus que trois livres par jour, s'ils ont pour eux seuls une chambre, & s'il y a une cheminée, le droit est augmenté à proportion.

Les prisonniers des chambres destinées à la pension, quand il n'y a point de pensionnaires, payent pour un lit où ils couchent seuls pour gîte & geolage quinze sols par jour ; & on voit par-là que le droit de geolage est différent de la nourriture & du gîte.

Les geoliers & autres préposés à la garde des prisons ne peuvent recevoir des prisonniers aucune avance pour nourriture, gîte & geolage, ni empêcher l'élargissement des prisonniers pour le payement des mêmes objets, mais doivent se contenter d'une obligation pour se pourvoir sur leurs biens seulement. Voyez l'ordonn. de 1670. tit. xiij. art. 22 & 30. (A)


GEOLES. f. (Jurisprud.) signifie prison. Voyez PRISON. (A)


GEOLIERS. m. (Jurisprud.) celui qui a la garde, les clés & le soin des prisons & des prisonniers. Voyez GEOLAGE.


GÉOMANTIES. f. (Hist. anc.) espece de divination par la terre ; de , terre, & de , divination. Elle consistoit tantôt à tracer par terre des lignes ou des cercles par la rencontre desquels on s'imaginoit deviner ce qu'on desiroit d'apprendre, tantôt en faisant au hasard par terre plusieurs points sans garder aucun ordre ; les figures que le hasard formoit alors fondoient le présage qu'on tiroit pour l'avenir ; tantôt en observant les fentes & les crevasses qui se font naturellement à la terre, d'où sortoient, disoit-on, des exhalaisons prophétiques comme de l'antre de Delphes.

D'autres prétendent que la géomantie consiste à marquer au hasard sur le papier plusieurs petits points sans les compter, & que les figures qui se rencontrent à l'extrémité des lignes servent à former le jugement qu'on veut porter sur l'avenir, & à décider de l'évenement de toute question proposée. Ils ajoûtent qu'elle a conservé son ancien nom de géomantie qui fait allusion à la terre, parce que dans l'origine on se servoit de petits caillous qu'on jettoit au hasard sur la terre, au lieu que maintenant on se sert de points.

Polydore Virgile définit la géomantie une divination par le moyen des fentes & des crevasses qui se font sur la surface de la terre, & il croit que les mages des Perses en ont été les inventeurs ; de invent. rerum, lib. I. cap. xxiij.

Olivier de Malmesbury, Gerard de Cremone, Barthelemy de Parme & Gaspard Peucer ont écrit des traités sur la géomantie. Corneille Agrippa avoit aussi travaillé sur la même matiere ; mais il écrivit depuis pour convenir que rien n'étoit plus vain & plus trompeur que cette prétendue science. Delrio, disq. mag. lib. IV. cap. 2. quaest. vij. sect. 3. p. 562. (G)


GÉOMÉTRALadj. (Opt.) On appelle ainsi la représentation d'un objet faite de maniere que les parties de cet objet y ayent entr'elles le même rapport qu'elles ont réellement dans l'objet tel qu'il est ; à la différence des représentations en perspective, où les parties de l'objet sont représentées dans le tableau avec les proportions que la perspective leur donne. Voyez PERSPECTIVE. Il est clair par cette définition qu'il n'est possible de représenter géométralement que des surfaces planes, comme la base ou le frontispice d'un bâtiment ; & cette représentation retombe dans le cas des projections orthographiques. Voyez PLAN GEOMETRAL, au mot PLAN, ORTHOGRAPHIQUE, & PROJECTION. (O)


GÉOMETRES. m. (Mathématiq.) se dit proprement d'une personne versée dans la Géométrie ; mais on applique en général ce nom à tout mathématicien, parce que la Géometrie étant une partie essentielle des Mathématiques, & qui a sur presque toutes les autres une influence nécessaire, il est difficile d'être versé profondément dans quelque partie des Mathématiques que ce soit, sans l'être en même tems dans la Géometrie. Ainsi on dit de Newton qu'il étoit grand géometre, pour dire qu'il étoit grand mathématicien.

Un géometre, quand il ne voudroit que se borner à entendre ce qui a été trouvé par d'autres, doit avoir plusieurs qualités assez rares ; la justesse de l'esprit pour saisir les raisonnemens & démêler les parallogismes, la facilité de la conception pour entendre avec promtitude, l'étendue pour embrasser à-la-fois les différentes parties d'une démonstration compliquée, la mémoire pour retenir les propositions principales, leurs démonstrations mêmes, ou du-moins l'esprit de ces démonstrations, & pour pouvoir en cas de besoin se rappeller les unes & les autres, & en faire usage. Mais le géometre qui ne se contentera pas de savoir ce qui a été fait avant lui, & qui veut ajoûter aux découvertes de ses prédécesseurs, doit joindre à ces différentes parties de l'esprit d'autres qualités encore moins communes, la profondeur, l'invention, la force, & la sagacité.

Je ne suis pas éloigné de penser avec quelques écrivains modernes, que l'on peut apprendre la Géométrie aux enfans, & qu'ils sont capables de s'appliquer à cette science, pourvû qu'on se borne aux seuls élémens, qui étant peu compliqués, ne demandent qu'une conception ordinaire ; mais ces qualités médiocres ne suffisent pas dans l'étude des Mathématiques transcendantes : pour être un savant géometre, & même pour n'être que cela, il faut un degré d'esprit beaucoup moins commun ; & pour être un grand géometre (car le nom de grand ne doit être donné qu'aux inventeurs), il faut plus que de l'esprit, il faut du génie, le génie n'étant autre chose que le talent d'inventer. Il est vrai que l'esprit dont nous parlons est différent de celui qu'il faut pour une épigramme, pour un poëme, pour une piece d'éloquence, pour écrire l'histoire ; mais n'y a-t-il donc d'esprit que de cette derniere espece ? Voyez ESPRIT. Et un écrivain médiocre, ou même un bon écrivain, croira-t-il avoir plus d'esprit que Newton & que Descartes ?

Peut-être nous sera-t-il permis de rapporter à cette occasion une réponse de feu M. de la Motte. Un géometre de ses amis, apparemment ignorant ou de mauvaise foi, parloit avec mépris du grand Newton, qu'il auroit mieux fait d'étudier ; Newton, disoit ce géometre, n'étoit qu'un boeuf ; cela se peut : répondit la Motte, mais c'étoit le premier boeuf de son siecle.

On pourroit demander s'il a fallu plus d'esprit pour faire Cinna, Heraclius, Rodogune, Horace, & Polieucte, que pour trouver les lois de la gravitation. Cette question n'est pas susceptible d'être résolue, ces deux genres d'esprit étant trop différens pour être comparés ; mais on peut demander s'il n'y a pas autant de mérite à l'un qu'à l'autre ; & qui auroit à choisir d'être Newton ou Corneille, feroit bien d'être embarrassé, ou ne mériteroit pas d'avoir à choisir. Au reste cette question est décidée tous les jours par quelques littérateurs obscurs, quelques satyriques subalternes, qui méprisent ce qu'ils ignorent, & qui ignorent ce qu'ils croyent savoir ; incapables, je ne dis pas d'apprécier Corneille, & de lire Newton, mais de juger Campistron & d'entendre Euclide.

Si l'esprit nécessaire au géometre n'est pas le même que celui dont on a besoin pour réussir dans la Littérature, ils ne s'excluent pas l'un l'autre. Néanmoins quand on veut loüer parmi nous un mathématicien, on dit de lui qu'il est grand géometre, & cependant homme d'esprit & de goût ; on croit lui faire beaucoup d'honneur, & on se sait quelque gré du bon mot qu'on s'imagine avoir dit. Ces façons de parler si connues, lourd comme un géometre, ignorant comme un poëte, ou comme un prédicateur, sont devenues des especes de proverbes, & presque des phrases de la langue, aussi équitables l'une que l'autre ; les exemples qui en prouvent l'injustice ne sont pas rares ; & pour ne parler ici que des Mathématiciens, Pascal à qui la Géométrie doit un si bel ouvrage sur la Cycloïde, & qui auroit peut-être été le plus grand géometre de l'univers, si une dévotion assez mal entendue ne lui eût fait abandonner son talent, Pascal étoit en même tems un très-bel esprit. Ses Provinciales sont un chef-d'oeuvre de plaisanterie & d'éloquence, c'est-à-dire un modele dans les deux genres d'écrire qui paroissent les plus opposés. On dira peut-être que Pascal n'est qu'une exception ; il est malheureux que l'exception démente si formellement la regle qu'on voudroit établir ; mais croit-on que cette exception soit la seule ? Nous ne citerons point M. de Fontenelle, qu'on voudra peut-être ne regarder que comme un bel esprit devenu géometre par accident : mais nous renverrons les détracteurs de la Géométrie aux ouvrages philosophiques de Descartes, si bien écrits pour leur tems ; à ceux de Malebranche, qui sont des chefs-d'oeuvre de style ; aux poésies de Manfredi, que M. de Fontenelle a si justement célebrées ; aux vers que M. Halley a mis à la tête des principes de Newton, & à tant d'autres que nous pourrions nommer encore. Si ces géometres n'étoient pas des hommes d'esprit, qu'on nous dise en quoi l'esprit consiste, & à quoi il se borne.

On connoît la ridicule question du P. Bouhours, si un allemand peut avoir de l'esprit ? Les Allemands y ont répondu comme ils le devoient, par cette question non moins ridicule, si un françois peut avoir le sens commun ? Ceux qui font aux Géometres le même honneur que le P. Bouhours a fait aux Allemands, mériteroient qu'on leur demandât aussi, si on peut ignorer la Géométrie, & raisonner juste ? Mais sans répondre aux injures par d'autres, opposons-y des faits. Balzac étoit sans-doute un bel esprit, dans le sens où l'on prend ordinairement ce mot ; qu'on lise les lettres de Descartes à Balzac, & celles de Balzac à Descartes, & qu'on décide ensuite, si on est de bonne foi, lequel des deux est l'homme d'esprit.

Descartes, dit-on, fit en Suede d'assez mauvais vers pour un divertissement donné à la reine Christine ; mais c'étoit en 1649 ; & à l'exception de Corneille, qui même ne réussissoit pas toûjours, quelqu'un faisoit-il alors de bons vers en Europe ? Les premiers opéras de l'abbé Perrin ne valoient peut-être pas mieux que le divertissement de Descartes. Pascal, ajoûte-t-on, a très-mal raisonné sur la Poésie ; cela est vrai, mais que s'ensuit-il de-là ? C'est que Pascal ne se connoissoit pas en vers, faute peut-être d'en avoir assez lû, & d'avoir réfléchi sur ce genre ; la Poésie est un art d'institution qui demande quelqu'exercice & quelque habitude pour en bien juger ; or Pascal n'avoit lû que des livres de Géométrie & de piété, & peut-être de mauvais vers de dévotion qui l'avoient prévenu contre la Poésie en général ; mais ses provinciales prouvent qu'il avoit d'ailleurs le tact très-fin & le goût très-juste. On n'y trouve pas un terme ignoble, un mot qui ait vieilli, une plaisanterie froide.

La Géométrie, dit-on encore, donne à l'esprit de la sécheresse ; oui, quand on y est déja préparé par la nature : en ce cas, on ne seroit guere plus sensible aux beautés des ouvrages d'imagination, quand même on n'auroit fait aucune étude de la Géométrie ; mais celui à qui la nature aura donné avec le talent des Mathématiques un esprit flexible à d'autres objets, & qui aura soin d'entretenir dans son esprit cette heureuse flexibilité, en le pliant en tout sens, en ne le tenant point toûjours courbé vers les lignes & les calculs, & en l'exerçant à des matieres de littérature, de goût, & de philosophie, celui-là conservera tout-à-la-fois la sensibilité pour les choses d'agrément, & la rigueur nécessaire aux démonstrations ; il saura résoudre un problème, & lire un poëte ; calculer les mouvemens des planetes, & avoir du plaisir à une piece de théatre.

L'étude & le talent de la Géométrie ne nuisent donc point par eux mêmes aux talens & aux occupations littéraires. On peut même dire en un sens, qu'ils sont utiles pour quelque genre d'écrire que ce puisse être ; un ouvrage de morale, de littérature, de critique, en sera meilleur, toutes choses d'ailleurs égales, s'il est fait par un géometre, comme M. de Fontenelle l'a très-bien observé ; on y remarquera cette justesse & cette liaison d'idées à laquelle l'étude de la Géométrie nous accoûtume, & qu'elle nous fait ensuite porter dans nos écrits sans nous en appercevoir & comme malgré nous.

L'étude de la Géométrie ne peut sans-doute rendre l'esprit juste à celui qui ne l'a pas ; mais aussi un esprit sans justesse n'est pas fait pour cette étude, il n'y réussira point ; c'est pourquoi si on a eu raison de dire que la Géométrie ne redresse que les esprits droits, on auroit bien fait d'ajouter que les esprits droits sont les seuls propres à la Géométrie.

On ne peut donc avoir l'esprit géometre, c'est-à-dire le talent de la Géométrie, sans avoir en même tems l'esprit géométrique, c'est-à-dire l'esprit de méthode & de justesse. Car l'esprit géometre n'est proprement que l'esprit géométrique appliqué à la seule Géométrie, & il est bien difficile quand on sait faire usage de cet esprit dans les matieres géométriques, qu'on ne puisse de même le tourner avec un succès égal vers d'autres objets. Il est vrai que l'esprit géométrique pour se développer avec toute sa force & son activité, demande quelqu'exercice ; & c'est pour cela qu'un homme concentré dans l'étude de la Géométrie, paroîtra n'avoir que l'esprit géometre, parce qu'il n'aura pas appliqué à d'autres matieres le talent que la nature lui a donné de raisonner juste. De plus si les Géometres se trompent lorsqu'ils appliquent leur logique à d'autres sciences que la Géométrie, leur erreur est plûtôt dans les principes qu'ils adoptent, que dans les conséquences qu'ils en tirent. Cette erreur dans les principes peut venir ou de ce que le géometre n'a pas les connoissances préliminaires suffisantes pour le conduire aux principes véritables, ou de ce que les principes de la science dont il traite ne sortent point de la sphere des probabilités. Alors il peut arriver qu'un esprit accoûtumé aux démonstrations rigoureuses, n'ait pas à un degré suffisant le tact nécessaire pour distinguer ce qui est plus probable d'avec ce qui l'est moins. Cependant j'ose penser encore qu'un géometre exercé à l'evidence mathématique, distinguera plus aisement dans les autres sciences ce qui est vraiment évident d'avec ce qui n'est que vraisemblable & conjectural ; & que de plus ce même géometre avec quelque exercice & quelque habitude, distinguera aussi plus aisément ce qui est plus probable d'avec ce qui l'est moins ; car la Géométrie a aussi son calcul des probabilités.

A l'occasion de ce calcul, je crois devoir faire une réflexion qui contredira un peu l'opinion commune sur l'esprit du jeu. On imagine pour l'ordinaire qu'un géometre, un savant exercé aux calculs, doit avoir l'esprit du jeu dans un dégré supérieur ; il me semble que ces deux esprits sont fort différens, si même ils ne sont pas contraires. L'esprit géometre est sans-doute un esprit de calcul & de combinaison, mais de combinaison scrupuleuse & lente, qui examine l'une après l'autre toutes les parties de l'objet, & qui les compare successivement entr'elles, prenant garde de n'en omettre aucune, & de les rapprocher par toutes leurs faces ; en un mot ne faisant à-la-fois qu'un pas, & ayant soin de le bien assûrer avant que de passer au suivant. L'esprit du jeu est un esprit de combinaison rapide, qui embrasse d'un coup d'oeil & comme d'une maniere vague un grand nombre de cas, dont quelques-uns peuvent lui échapper, parce qu'il est moins assujetti à des regles, qu'il n'est une espece d'instinct perfectionné par l'habitude. D'ailleurs le géometre peut se donner tout le tems nécessaire pour résoudre ses problèmes ; il fait un effort, se repose, & repart de-là avec de nouvelles forces. Le joüeur est obligé de résoudre ses problèmes sur le champ, & de faire dans un tems donné & très-court tout l'usage possible de son esprit. Il n'est donc pas surprenant qu'un grand géometre soit un joüeur très-médiocre ; & rien n'est en effet plus commun.

La Géométrie a parmi nous des censeurs de tous les genres. Il en est qui lui contestent jusqu'à son utilité ; nous les renvoyons à la préface si connue de l'histoire de l'académie des Sciences, où les mathématiques sont suffisamment vengées de ce reproche. Mais indépendamment des usages physiques & palpables de la Géométrie, nous envisagerons ici ses avantages sous une autre face, à laquelle on n'a peut-être pas fait encore assez d'attention : c'est l'utilité dont cette étude peut être pour préparer comme insensiblement les voies à l'esprit philosophique, & pour disposer toute une nation à recevoir la lumiere que cet esprit peut y répandre. C'est peut-être le seul moyen de faire secoüer peu-à-peu à certaines contrées de l'Europe, le joug de l'oppression & de l'ignorance profonde sous laquelle elles gémissent. Le petit nombre d'hommes éclairés qui habitent certains pays d'inquisition, se plaint amerement quoiqu'en secret, du peu de progrès que les Sciences ont fait jusqu'ici dans ces tristes climats. Les précautions qu'on a prises pour empêcher la lumiere d'y pénétrer, ont si bien réussi, que la Philosophie y est à-peu-près dans le même état où elle étoit parmi nous du tems de Louis le Jeune. Il est certain que les abus les plus intolérables d'un tribunal qui nous a toûjours si justement revoltés, ne se sont produits & ne s'entretiennent que par l'ignorance & la superstition. Eclairez la nation, & les ministres de ces tribunaux renonceront d'eux-mêmes à des excès dont ils auront les premiers reconnu l'injustice & les inconvéniens. C'est ce que nous avons vû arriver dans les pays où le goût des Arts & des Sciences & les lumieres de la Philosophie se sont conservés. On étudie & on raisonne en Italie ; & l'inquisition y a beaucoup rabattu de la tyrannie qu'elle exerce dans ces régions, où l'on fait encore prêter serment de ne point enseigner d'autre philosophie que celle d'Aristote. Faites naître, s'il est possible, des géometres parmi ces peuples ; c'est une semence qui produira des philosophes avec le tems, & presque sans qu'on s'en apperçoive. L'orthodoxie la plus délicate & la plus scrupuleuse n'a rien à démêler avec la Géométrie. Ceux qui croiroient avoir intérêt de tenir les esprits dans les ténebres, fussent-ils assez prévoyans pour pressentir la suite des progrès de cette science, manqueroient toûjours de prétexte pour l'empêcher de se répandre. Bien-tôt l'étude de la Géométrie conduira à celle de la méchanique ; celle-ci menera comme d'elle-même & sans obstacle, à l'étude de la saine Physique ; & enfin la saine Physique à la vraie Philosophie, qui par la lumiere générale & promte qu'elle répandra, sera bien-tôt plus puissante que tous les efforts de la superstition ; car ces efforts, quelque grands qu'ils soient, deviennent inutiles dès qu'une fois la nation est éclairée.

Croira-t-on que nous parlons sérieusement, si nous employons les dernieres lignes de cet article à justifier les Géometres du reproche qu'on leur fait d'ordinaire, de n'être pas fort portés à la soûmission en matiere de foi ? Nous aurions honte de répondre à cette imputation, si elle n'étoit malheureusement aussi commune qu'elle est injuste. Bayle qui doutoit & se moquoit de tout, n'a pas peu contribué à la répandre par les réflexions malignes qu'il a hasardées dans l'article Pascal, contre l'orthodoxie des Mathématiciens, & par ses lamentations sur le malheur que les Géometres ont eu jusqu'ici de ne voir aucun de leurs noms dans le calendrier ; lamentations trop peu sérieuses pour être rapportées dans un ouvrage aussi grave que celui-ci. Sans répondre à cette mauvaise plaisanterie par quelqu'autre, il est facile de se convaincre par la lecture des éloges académiques de M. de Fontenelle, par les vies de Descartes, de Pascal, & de plusieurs mathématiciens célebres, qu'on peut être géometre sans être pour ses freres un sujet de scandale. La Géométrie à la vérité ne nous dispose pas à ajoûter beaucoup de foi aux raisonnemens de la Medecine systématique, aux hypothèses des physiciens ignorans, aux superstitions & aux préjugés populaires ; elle accoûtume à ne pas se contenter aisément en matiere de preuves : mais les vérités que la révélation nous découvre, sont si différentes de celles que la raison nous apprend, elles y ont si peu de rapport, que l'évidence des unes ne doit rien prendre sur le respect qu'on doit aux autres. Enfin la foi est une grace que Dieu donne à qui il lui plaît ; & puisque l'Evangile n'a point défendu l'étude de la Géométrie, il est à croire que les Géometres sont aussi susceptibles de cette grace que le reste du genre humain. (O)


GÉOMÉTRIES. f. (Ordre encycl. Entend. Rais. Philosoph. ou Science, Science de la Nat. Mathémat. Mathémat. pures, Géométrie) est la science des propriétés de l'étendue, en tant qu'on la considere comme simplement étendue & figurée.

Ce mot est formé de deux mots grecs, ou , terre, & , mesure ; & cette étymologie semble nous indiquer ce qui a donné naissance à la Géométrie : imparfaite & obscure dans son origine comme toutes les autres sciences, elle a commencé par une espece de tâtonnement, par des mesures & des opérations grossieres, & s'est élevée peu-à-peu à ce degré d'exactitude & de sublimité où nous la voyons.

Histoire abregée de la Géométrie. Il y a apparence que la Géométrie, comme la plûpart des autres sciences, est née en Egypte, qui paroît avoir été le berceau des connoissances humaines, ou, pour parler plus exactement, qui est de tous les pays que nous connoissons, celui où les Sciences paroissent avoir été le plus anciennement cultivées. Selon Hérodote & Strabon, les Egyptiens ne pouvant reconnoître les bornes de leurs héritages confondues par les inondations du Nil, inventerent l'art de mesurer & de diviser les terres, afin de distinguer les leurs par la considération de la figure qu'elles avoient, & de la surface qu'elles pouvoient contenir. Telle fut, diton, la premiere aurore de la Géométrie. Josephe, historien zélé pour sa nation, en attribue l'invention aux Hébreux ; d'autres à Mercure. Que ces faits soient vrais ou non, il paroît certain que quand les hommes ont commencé à posséder des terres, & à vivre sous des lois différentes, ils n'ont pas été longtems sans faire sur le terrein quelques opérations pour le mesurer, tant en longueur qu'en surface, en entier ou par parties ; & voilà la Géométrie dans son origine.

De l'Egypte elle passa en Grece, où on prétend que Thalès la porta. Il ne se contenta pas d'apprendre aux Grecs ce qu'il avoit reçû des Egyptiens ; il ajoûta à ce qu'il avoit appris, & enrichit cette science de plusieurs propositions. Après lui vint Pythagore, qui cultiva aussi la Géométrie avec succès, & à qui on attribue la fameuse proposition du quarré de l'hypothénuse. Voyez HYPOTHENUSE. On prétend qu'il fut si ravi de cette découverte, qu'il sacrifia de joie cent boeufs aux Muses. Il y a apparence, dit un auteur moderne, que c'étoient des boeufs de cire ou de pâte ; car Pythagore défendoit de tuer les animaux, en conséquence de son système de la métempsycose, qui (pour un philosophe payen) n'étoit pas l'opinion du monde la plus absurde. Voyez METEMPSYCOSE. Mais il y a plus d'apparence encore que le fait n'est pas vrai ; ce qui dispense de l'expliquer. Après Pythagore, les philosophes & les écoles qu'ils formerent, continuerent à cultiver l'étude de la Géométrie. Plutarque nous apprend qu'Anaxagore de Clazomene s'occupa du problème de la quadrature du cercle dans la prison où il avoit été renfermé, & qu'il composa même un ouvrage sur ce sujet. Cet Anaxagore avoit été accusé d'impiété, pour avoir dit que les astres étoient matériels ; & il eût été condamné à mort, sans Periclès qui lui sauva la vie. On voit par cet exemple, s'il est permis de le dire en passant, que ce n'est pas d'aujourd'hui que les Philosophes sont persécutés pour avoir eu raison ; & que les prêtres grecs étoient aussi habiles que certains théologiens modernes, à ériger en articles de religion ce qui n'en étoit pas.

Platon qui donnoit à Anaxagore de grands éloges sur son habileté en Géométrie, en méritoit aussi beaucoup lui-même. On sait qu'il donna une solution très-simple du problème de la duplication du cube. Voyez DUPLICATION. On sait aussi que ce grand philosophe appelloit Dieu l'éternel géometre (idée vraiment juste & digne de l'être suprème), & qu'il regardoit la Géométrie comme si nécessaire à l'étude de la Philosophie, qu'il avoit écrit sur la porte de son école ces paroles mémorables, qu'aucun ignorant en Géométrie n'entre ici. Entre Anaxagore & Platon, on doit placer Hippocrate de Chio, qui mérite qu'on en fasse mention par sa fameuse quadrature de la lunule. Voyez LUNULE. Feu M. Cramer, professeur de Philosophie à Genève, nous a donné dans les mémoires de l'académie des Sciences de Prusse pour l'année 1748, une très-bonne dissertation sur ce géometre : on y lit qu'Hippocrate dans un voyage qu'il fit à Athenes, ayant eu occasion d'écouter les philosophes, prit tant de goût pour la Géométrie, qu'il y fit des progrès admirables ; on ajoûte que cette étude développa son talent, & qu'il avoit pour tout le reste l'esprit lent & bouché ; ce qu'on raconte aussi de Clavius, bon géometre du seizieme siecle. Il n'y a rien d'étonnant à tout cela ; mais le comble de l'ineptie est d'en faire une regle. Voyez GEOMETRE.

Euclide qui vivoit environ cinquante ans après Platon, & qu'il ne faut pas confondre avec Euclide de Megare contemporain de ce philosophe, recueillit ce que ses prédécesseurs avoient trouvé sur les élémens de Géométrie ; il en composa l'ouvrage que nous avons de lui, & que bien des modernes regardent comme le meilleur en ce genre. Dans ces élémens il ne considere que les propriétés de la ligne droite & du cercle, & celles des surfaces & des solides rectilignes ou circulaires : ce n'est pas néanmoins que du tems d'Euclide il n'y eût d'autre courbe connue que le cercle ; les Géometres s'étoient déjà apperçus qu'en coupant un cone de différentes manieres, on formoit des courbes différentes du cercle, qu'ils nommerent sections coniques. Voy. CONIQUE & SECTION. Les différentes propriétés de ces courbes, que plusieurs mathématiciens découvrirent successivement, furent recueillies en huit livres par Apollonius de Perge, qui vivoit environ 250 ans avant J. C. Voyez APOLLONIEN. Ce fut lui, à ce qu'on prétend, qui donna aux trois sections coniques les noms qu'elles portent, de parabole, d'ellipse, & d'hyperbole, & dont on peut voir les raisons à leurs articles. A-peu-près en même tems qu'Apollonius, florissoit Archimede, dont nous avons de si beaux ouvrages sur la sphere & le cylindre, sur les conoïdes & les sphéroïdes, sur la quadrature du cercle qu'il trouva par une approximation très-simple & très-ingénieuse (Voyez QUADRATURE), & sur celle de la parabole qu'il détermina exactement. Nous avons aussi de lui un traité de la spirale, qui peut passer pour un chef-d'oeuvre de sagacité & de pénétration. Les démonstrations qu'il donne dans cet ouvrage, quoique très-exactes, sont si difficiles à embrasser, qu'un savant mathématicien moderne, Bouillaud, avoue ne les avoir jamais bien entendues, & qu'un mathématicien de la plus grande force, notre illustre Viete, les a injustement soupçonnées de parallogisme, faute de les avoir bien comprises. Voyez la préface de l'analyse des infiniment petits de M. de l'Hôpital. Dans cette préface, qui est l'ouvrage de M. de Fontenelle, on a rapporté les deux passages de Bouillaud & de Viete, qui vérifient ce que nous avançons ici. On doit encore à Archimede d'autres écrits non moins admirables, qui ont rapport à la Méchanique plus qu'à la Géométrie, de aequiponderantibus, de insidentibus humido ; & quelques autres dont ce n'est pas ici le lieu de faire mention.

Nous ne parlons dans cette histoire que des Géometres dont il nous reste des écrits que le tems a épargné ; car s'il falloit nommer tous ceux qui dans l'antiquité se sont distingués en Géométrie, la liste en seroit trop longue ; il faudroit faire mention d'Eudoxe de Cnide, d'Archytas de Tarente, de Philolaüs, d'Eratosthene, d'Aristarque de Samos, de Dinostrate si connu par sa quadratrice (Voyez QUADRATRICE), de Menechme son frere, disciple de Platon, des deux Aristées, l'ancien & le jeune, de Conon, de Thrasidée, de Nicotele, de Leon, de Theudius, d'Hermotime, de Nicomede, inventeur de la conchoïde (V. CONCHOÏDE), & un peu plus jeune qu'Archimede & qu'Apollonius, & de plusieurs autres.

Les Grecs continuerent à cultiver la Philosophie, la Géométrie, & les Lettres, même après qu'ils eurent été subjugués par les Romains. La Géométrie & les Sciences en général, ne furent pas fort en honneur chez ce dernier peuple qui ne pensoit qu'à subjuguer & à gouverner le monde, & qui ne commença guere à cultiver l'éloquence même que vers la fin de la république. On a vû dans l'article ERUDITION avec quelle legereté Ciceron parle d'Archimede, qui pourtant ne lui étoit point inférieur ; peut-être même est-ce faire quelque tort à un génie aussi sublime qu'Archimede, de ne le placer qu'à côté d'un bel esprit, qui dans les matieres philosophiques qu'il a traitées, n'a guere fait qu'exposer en longs & beaux discours, les chimeres qu'avoient pensés les autres. On étoit si ignorant à Rome sur les Mathématiques, qu'on donnoit en général le nom de mathématiciens, comme on le voit dans Tacite, à tous ceux qui se mêloient de deviner, quoiqu'il y ait encore plus de distance des chimeres de la Divination & de l'Astrologie judiciaire aux Mathématiques, que de la pierre philosophale à la Chimie. Ce même Tacite, un des plus grands esprits qui ayent jamais écrit, nous donne par ses propres ouvrages une preuve de l'ignorance des Romains, dans les questions de Géométrie & d'Astronomie les plus élémentaires & les plus simples. Il dit dans la vie d'Agricola, en faisant la description de l'Angleterre, que vers l'extrémité septentrionale de cette île, les grands jours d'été n'ont presque point de nuit ; & voici la raison qu'il en apporte : scilicet extrema & plana terrarum humili umbrâ non erigunt tenebras, infràque coelum & sydera nox cadit. Nous n'entreprendrons point avec les commentateurs de Tacite, de donner un sens à ce qui n'en a point ; nous nous contenterons d'avoir montré par cet exemple, que la manie d'étaler un faux savoir & de parler de ce qu'on n'entend pas, est fort ancienne. Un traducteur de Tacite dit que cet historien regarde la Terre dans ce passage comme une sphere dont la base est environnée d'eau, &c. Nous ne savons ce que c'est que la base d'une sphere.

Si les Romains cultiverent peu la Géométrie dans les tems les plus florissans de la république, il n'est pas surprenant qu'ils l'ayent encore moins cultivée dans la décadence de l'empire. Il n'en fut pas de même des Grecs ; ils eurent depuis l'ere chrétienne même, & assez long-tems après la translation de l'empire, des géometres habiles. Ptolomée grand astronome & par conséquent grand géometre, car on ne peut être l'un sans l'autre, vivoit sous Marc-Aurele ; & on peut voir au mot ASTRONOMIE, les noms de plusieurs autres. Nous avons encore les ouvrages de Pappus d'Alexandrie, qui vivoit du tems de Théodose ; Eutocius Ascalonite, qui vivoit après lui vers l'an 540 de l'ere chrétienne, nous a donné un commentaire sur la mesure du cercle par Archimede. Proclus qui vivoit sous l'empire d'Anastase aux cinquieme & sixieme siecles, démontra les théorèmes d'Euclide, & son commentaire sur cet auteur est parvenu jusqu'à nous. Ce Proclus est encore plus fameux par les miroirs (vrais ou supposés) dont il se servit, dit-on, pour brûler la flotte de Vitalien qui assiégeoit Constantinople. Voyez ARDENT & MIROIR. Entre Eutocius & Pappus, il y a apparence qu'on doit placer Dioclès, connu par sa cissoïde (Voyez CISSOÏDE), mais dont on ne connoît guere que le nom, car on ne sait pas précisément le tems où il a vécu.

L'ignorance profonde qui couvrit la surface de la Terre & sur-tout l'Occident, depuis la destruction de l'empire par les Barbares, nuisit à la Géométrie comme à toutes les autres connoissances : on ne trouve plus guere ni chez les Latins, ni même chez les Grecs, d'hommes versés dans cette partie ; il y en eut seulement quelques-uns qu'on appelloit savans, parce qu'ils étoient moins ignorans que les autres, & quelques-uns de ceux-là, comme Gerbert, passerent pour magiciens ; mais s'ils eurent quelque connoissance des découvertes de leurs prédécesseurs, ils n'y ajoûterent rien, du-moins quant à la Géométrie ; nous ne connoissons aucun théorème important dont cette science leur soit redevable : c'étoit principalement par rapport à l'Astronomie qu'on étudioit alors le peu de Géométrie qu'on vouloit savoir, & c'étoit principalement par rapport au calendrier & au comput ecclésiastique qu'on étudioit l'Astronomie ; ainsi l'étude de la Géométrie n'étoit pas poussée fort loin. On peut voir au mot ASTRONOMIE, les noms des principaux mathématiciens des siecles d'ignorance. Il en est un que nous ne devons pas oublier ; c'est Vitellion savant polonois du treizieme siecle, dont nous avons un traité d'Optique très-estimable pour ce tems-là, & qui suppose des connoissances géométriques. Ce Vitellion nous rappelle l'arabe Alhazen, qui vivoit environ un siecle avant lui, & qui cultivoit aussi les Mathématiques avec succès. Les siecles d'ignorance chez les Chrétiens ont été les siecles de lumiere & de savoir chez les Arabes ; cette nation a produit depuis le 9e. jusqu'au 14e siecle, des astronomes, des géometres, des géographes, des chimistes, &c. Il y a apparence qu'on doit aux Arabes les premiers élémens de l'Algebre : mais leurs ouvrages de Géométrie dont il est ici principalement question, ne sont point parvenus jusqu'à nous pour la plûpart, ou sont encore manuscrits. C'est sur une traduction arabe d'Apollonius qu'a été faite en 1661 l'édition du cinquieme, du sixieme & du septieme livre de cet auteur. Voyez APOLLONIEN. Cette traduction étoit d'un géometre arabe nommé Abalphat, qui vivoit à la fin du dixieme siecle. Il n'y avoit peut-être pas alors parmi les Chrétiens un seul géometre qui fût en état d'entendre Apollonius ; il auroit fallu d'ailleurs pour le traduire savoir en même tems le grec & la Géométrie, ce qui n'est pas fort commun, même dans notre siecle.

A la renaissance des lettres, on se borna presque uniquement à traduire & à commenter les ouvrages de Géométrie des anciens ; & cette science fit d'ailleurs peu de progrès jusqu'à Descartes : ce grand homme publia en 1637 sa géométrie, & la commença par la solution d'un problème où Pappus dit que les anciens mathématiciens étoient restés. Mais ce qui est plus précieux encore que la solution de ce problème, c'est l'instrument dont il se servit pour y parvenir, & qui ouvrit la route à la solution d'une infinité d'autres questions plus difficiles. Nous voulons parler de l'application de l'Algebre à la Géométrie ; application dont nous ferons sentir le mérite & l'usage dans la suite de cet article : c'étoit là le plus grand pas que la Géométrie eût fait depuis Archimede ; & c'est l'origine des progrès surprenans que cette science a faits dans la suite.

On doit à Descartes non-seulement l'application de l'Algebre à la Géométrie, mais les premiers essais de l'application de la Géométrie à la Physique, qui a été poussée si loin dans ces derniers tems. Ces essais qui se voyent principalement dans sa dioptrique, & dans quelques endroits de ses météores, faisoient dire à ce philosophe que toute sa physique n'étoit autre chose que Géométrie : elle n'en auroit valu que mieux si elle eût eu en effet cet avantage ; mais malheureusement la physique de Descartes consistoit plus en hypothèses qu'en calculs ; & l'Analyse a renversé depuis la plûpart de ces hypothèses. Ainsi la Géométrie qui doit tant à Descartes, est ce qui a nui le plus à sa physique. Mais ce grand homme n'en a pas moins la gloire d'avoir appliqué le premier avec quelque succès la Géométrie à la science de la nature ; comme il a le mérite d'avoir pensé le premier qu'il y avoit des lois du mouvement, quoiqu'il se soit trompé sur ces lois. Voyez COMMUNICATION DU MOUVEMENT.

Tandis que Descartes ouvroit dans la Géométrie une carriere nouvelle, d'autres mathématiciens s'y frayoient aussi des routes à d'autres égards, & préparoient, quoique foiblement, cette Géométrie de l'infini, qui à l'aide de l'Analyse, devoit faire dans la suite de si grands progrès. En 1635, deux ans avant la publication de la Géométrie de Descartes, Bonaventure Cavalérius, religieux italien de l'ordre des Jésuates, qui ne subsiste plus, avoit donné sa géométrie des indivisibles : dans cet ouvrage, il considere les plans comme formés par des suites infinies de lignes, qu'il appelle quantités indivisibles, & les solides par des suites infinies de plans ; & par ce moyen, il parvient à trouver la surface de certaines figures & la solidité de certains corps. Comme l'infini employé à la maniere de Cavalérius étoit alors nouveau en Géométrie, & que ce religieux craignoit des contradicteurs, il tâcha d'adoucir ce terme par celui d'indéfini, qui au fond ne signifioit en cette occasion que la même chose. Malgré cette espece de palliatif, il trouva beaucoup d'adversaires, mais il eut aussi des partisans ; ceux-ci en adoptant l'idée de Cavalérius la rendirent plus exacte, & substituerent aux lignes qui composoient les plans de Cavalérius, des parallélogrammes infiniment petits ; aux plans indivisibles de Cavalérius, des solides d'une épaisseur infiniment petite : ils considérerent les courbes comme des polygones d'une infinité de côtés, & parvinrent par ce moyen à trouver la surface de certains espaces curvilignes, la rectification de certaines courbes, la mesure de certains solides, les centres de gravité des uns & des autres : Grégoire de Saint-Vincent, & sur-tout Pascal, se distinguerent l'un & l'autre en ce genre ; le premier, dans son traité intitulé, quadratura circuli & hyperbolae, 1647. où il mêla à quelques parallogismes de très-beaux théorèmes ; & le second, par son traité de la roulette ou cycloïde (V. CYCLOÏDE), qui paroît avoir demandé les plus grands efforts d'esprit ; car on n'avoit point encore trouvé le moyen de rendre la Géométrie de l'infini beaucoup plus facile en y appliquant le calcul.

Cependant le moment de cette heureuse découverte approchoit ; Fermat imagina le premier la méthode des tangentes par les différences ; Barrow la perfectionna en imaginant son petit triangle différentiel, & en se servant du calcul analytique, pour découvrir le rapport des petits côtés de ce triangle, & par ce moyen la sous-tangente des courbes. Voyez DIFFERENTIEL.

D'un autre côté on fit réflexion que les plans ou solides infiniment petits, dont les surfaces ou les solides pouvoient être supposés formés, croissoient ou décroissoient dans chaque surface ou solide, suivant différentes lois ; & qu'ainsi la recherche de la mesure de ces surfaces ou de ces solides se réduisoit à connoître la somme d'une série ou suite infinie de quantités croissantes ou décroissantes. On s'appliqua donc à la recherche de la somme des suites ; c'est ce qu'on appella l'arithmétique des infinis ; on parvint à en sommer plusieurs, & on appliqua aux figures géométriques les résultats de cette méthode. Wallis, Mercator, Brouncker, Jacques Grégori, Huyghens, & quelques autres se signalerent en ce genre ; ils firent plus ; ils réduisirent certains espaces & certains arcs de courbes en séries convergentes, c'est-à-dire dont les termes alloient toûjours en diminuant ; & par-là ils donnerent le moyen de trouver la valeur de ces espaces & de ces arcs, sinon exactement, au moins par approximation : car on approchoit d'autant plus de la vraie valeur, qu'on prenoit un plus grand nombre de termes de la suite ou série infinie qui l'exprimoit. Voyez SUITE, SERIE, APPROXIMATION, &c.

Tous les matériaux du calcul différentiel étoient prêts ; il ne restoit plus que le dernier pas à faire. M. Leibnitz publia le premier en 1684 les regles de ce calcul, que M. Newton avoit déjà trouvées de son côté : nous avons discuté au mot DIFFERENTIEL, la question si Leibnitz peut être regardé comme inventeur. Les illustres freres Bernoulli trouverent les démonstrations des regles données par Leibnitz ; & Jean Bernoulli y ajoûta quelques années après, la méthode de différentier les quantités exponentielles. Voyez EXPONENTIEL.

M. Newton n'a pas moins contribué au progrès de la Géométrie pure par deux autres ouvrages ; l'un est son traité de quadraturâ curvarum, où il enseigne la maniere de quarrer les courbes par le calcul intégral, qui est l'inverse du différentiel ; ou de réduire la quadrature des courbes, lorsque cela est possible, à celle d'autres courbes plus simples, principalement du cercle & de l'hyperbole : le second ouvrage est son enumeratio linearum tertii ordinis, où appliquant heureusement le calcul aux courbes dont l'équation est du 3e degré, il divise ces courbes en genres & especes, & en fait l'énumération. Voyez COURBE.

Mais ces écrits, quelque admirables qu'ils soient, ne sont rien, pour ainsi dire, en comparaison de l'immortel ouvrage du même auteur, intitulé, Philosophiae naturalis principia mathematica, qu'on peut regarder comme l'application la plus étendue, la plus admirable, & la plus heureuse qui ait jamais été faite de la Géométrie à la Physique : ce livre est aujourd'hui trop connu pour que nous entrions dans un plus grand détail ; il a été l'époque d'une révolution dans la Physique : il a fait de cette science une science nouvelle, toute fondée sur l'observation, l'expérience, & le calcul. Voyez NEWTONIANISME, GRAVITATION, ATTRACTION, &c. Nous ne parlons point de l'optique du même auteur, ouvrage non moins digne d'éloges, mais qui n'appartient point à cet article, ni de quelques autres écrits géométriques moins considérables, mais tous de la premiere force, tous brillans de sagacité & d'invention ; comme son analysis per aequationes numero terminorum infinitas ; son analysis per aequationum series, fluxiones & differentias ; sa méthode des fluxions ; sa méthode différentielle, &c. Quand on considere ces monumens immortels du génie de leur auteur, & quand on songe que ce grand homme avoit fait à vingt-quatre ans ses principales découvertes, on est presque tenté de souscrire à ce que dit Pope, que la sagacité de Newton étonna les intelligences célestes, & qu'ils le regarderent comme un être moyen entre l'homme & elles : on est du-moins bien fondé à s'écrier, homo homini quid praestat ! qu'il y a de distance entre un homme & un autre !

L'édifice élevé par Newton à cette hauteur immense, n'étoit pourtant pas encore achevé ; le calcul intégral a été depuis extrèmement augmenté par MM. Bernoulli, Cotes, Maclaurin, &c. & par les mathématiciens qui sont venus après eux. Voyez INTEGRAL. On a fait des applications encore plus subtiles, & si on l'ose dire, plus difficiles, plus heureuses & plus exactes de la Géométrie à la Physique. On a beaucoup ajoûté à ce que Newton avoit commencé sur le système du monde : c'est sur-tout quant à cette partie qu'on a corrigé & perfectionné son grand ouvrage des Principes mathématiques. La plûpart des mathématiciens qui ont contribué à enrichir ainsi la Géométrie par leurs découvertes, & à l'appliquer à la Physique & à l'Astronomie, étant aujourd'hui vivans, & nous-même ayant peut-être eu quelque part à ces travaux, nous laisserons à la postérité le soin de rendre à chacun la justice qu'il mérite : & nous terminerons ici cette petite histoire de la Géométrie ; ceux qui voudront s'en instruire plus à fond, pourront consulter les divers auteurs qui ont écrit sur ce sujet. Parmi ces auteurs il en est qui ne sont pas toûjours exacts, entr'autres Wallis, que sa partialité en faveur des Anglois, doit faire lire avec précaution, voy. ALGEBRE. Mais nous croyons qu'on trouvera tout ce qu'on peut desirer sur ce sujet dans l'histoire des Mathématiques que prépare M. de Montucla, de l'académie royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse, déjà connu par son histoire de la quadrature du cercle, publiée en 1754, & que nous avons citée au mot DUPLICATION.

L'histoire abrégée que nous venons de donner est plus que suffisante dans un ouvrage tel que le nôtre, où nous devons principalement nous attacher à faire connoître les inventeurs, non les inventeurs en détail à qui la Géométrie doit quelques propositions particulieres & isolées, mais les esprits vraiment créateurs, les inventeurs en grand qui ont ouvert des routes, perfectionné l'instrument des découvertes, & imaginé des méthodes. Au reste en finissant cette histoire, nous ne pouvons nous dispenser de remarquer à l'honneur de notre nation, que si la Géométrie nouvelle est principalement dûe aux Anglois & aux Allemands, c'est aux François qu'on est redevable des deux grandes idées qui ont conduit à la trouver. On doit à Descartes l'application de l'Algebre à la Géométrie, sur laquelle le calcul différentiel est fondé ; & à Fermat, la premiere application du calcul aux quantités différentielles, pour trouver les tangentes : la Géométrie nouvelle n'est que cette derniere méthode généralisée. Si on ajoûte à cela ce que les François actuellement vivans ont fait en Géométrie, on conviendra peut-être que cette science ne doit pas moins à notre nation qu'aux autres.

Objet de la Géométrie. Nous prierons d'abord le lecteur de se rappeller ce que nous avons dit sur ce sujet dans le Discours prélimin. Nous commençons par considérer les corps avec toutes leurs propriétés sensibles ; nous faisons ensuite peu-à-peu & par l'esprit la séparation & l'abstraction de ces différentes propriétés ; & nous en venons à considérer les corps comme des portions d'étendue pénétrables, divisibles, & figurées. Ainsi le corps géométrique n'est proprement qu'une portion d'étendue terminée en tout sens. Nous considérons d'abord & comme d'une vûe générale, cette portion d'étendue quant à ses trois dimensions ; mais ensuite, pour en déterminer plus facilement les propriétés, nous y considérons d'abord une seule dimension, c'est-à-dire la longueur, puis deux dimensions, c'est-à-dire la surface, enfin les trois dimensions ensemble, c'est-à-dire la solidité : ainsi les propriétés des lignes, celles des surfaces & celles des solides sont l'objet & la division naturelle de la Géométrie.

C'est par une simple abstraction de l'esprit, qu'on considere les lignes comme sans largeur, & les surfaces comme sans profondeur : la Géométrie envisage donc les corps dans un état d'abstraction où ils ne sont pas réellement ; les vérités qu'elle découvre & qu'elle démontre sur les corps, sont donc des vérités de pure abstraction, des vérités hypothétiques ; mais ces vérités n'en sont pas moins utiles. Dans la nature, par exemple, il n'y a point de cercle parfait ; mais plus un cercle approchera de l'être, plus il approchera d'avoir exactement & rigoureusement les propriétés du cercle parfait que la Géométrie démontre ; & il peut en approcher assez exactement pour avoir toutes ces propriétés, sinon en rigueur, au-moins à un degré suffisant pour notre usage.

On connoît en Géométrie plusieurs courbes qui s'approchent continuellement d'une ligne droite sans jamais la rencontrer, mais qui étant tracées sur le papier, se confondent sensiblement avec cette ligne droite au bout d'un assez petit espace, voyez ASYMPTOTE ; il en est de même des vérités géométriques. Elles sont en quelque maniere la limite, &, si on peut parler ainsi, l'asymptote des vérités physiques, le terme dont celles-ci peuvent approcher aussi près qu'on veut, sans jamais y arriver exactement. Mais si les théorèmes mathématiques n'ont pas exactement lieu dans la nature, ces théorèmes servent du-moins à trouver avec une précision suffisante pour la pratique, la distance inaccessible d'un lieu à un autre, la mesure d'une surface donnée, le toisé d'un solide ; à calculer le mouvement & la distance des astres ; à prédire les phénomenes célestes. Pour démontrer des vérités en toute rigueur, lorsqu'il est question de la figure des corps, on est obligé de considérer ces corps dans un état de perfection abstraite qu'ils n'ont pas réellement : en effet, si on ne s'assujettit pas, par exemple, à regarder le cercle comme parfait, il faudra autant de théorèmes différens sur le cercle, qu'on imaginera de figures différentes plus ou moins approchantes du cercle parfait ; & ces figures elles-mêmes pourront être encore absolument hypothétiques & n'avoir point de modele existant dans la nature. Les lignes qu'on considére en Géométrie, ne sont ni parfaitement droites ni parfaitement courbes, les surfaces ne sont ni parfaitement planes ni parfaitement curvilignes : mais plus elles approcheront de l'être, plus elles approcheront d'avoir les propriétés qu'on démontre des lignes exactement droites ou courbes, des surfaces exactement planes ou curvilignes. Ces réflexions suffiront, ce me semble, pour répondre à deux especes de censeurs de la Géométrie : les uns, ce sont les Sceptiques, accusent les théorèmes mathématiques de fausseté, comme supposant ce qui n'existe pas réellement, des lignes sans largeur, des surfaces sans profondeur ; les autres, ce sont les physiciens ignorans en Mathématique, regardent les vérités de Géométrie comme fondées sur des hypothèses inutiles, & comme des jeux d'esprit qui n'ont point d'application.

Division de la Géométrie. On peut diviser la Géométrie de différentes manieres :

1°. En élémentaire & en transcendante. La Géométrie élémentaire ne considere que les propriétés des lignes droites, des lignes circulaires, des figures & des solides les plus simples, c'est-à-dire des figures rectilignes ou circulaires, & des solides terminés par ces figures. Le cercle est la seule figure curviligne dont on parle dans les élémens de Géométrie ; la simplicité de sa description, la facilité avec laquelle les propriétés du cercle s'en déduisent, & la nécessité de se servir du cercle pour différentes opérations très-simples, comme pour élever une perpendiculaire, pour mesurer un angle, &c. toutes ces raisons ont déterminé à faire entrer le cercle & le cercle seul dans les élémens de Géométrie. Cependant quelques courbes, comme la parabole, ont une équation plus simple que celle du cercle ; d'autres, comme l'hyperbole équilatere, ont une équation aussi simple, V. ÉQUATION & COURBE : mais leur description est beaucoup moins facile que celle du cercle, & leurs propriétés moins aisées à déduire. On peut rapporter aussi à la Géométrie élémentaire la solution des problèmes du second degré par la ligne droite & par le cercle. Voyez CONSTRUCTION, COURBE, UATIONTION.

La Géométrie transcendante est proprement celle qui a pour objet toutes les courbes différentes du cercle, comme les sections coniques & les courbes d'un genre plus élevé. Voyez COURBE.

Cette Géométrie s'occupe aussi de la solution des problèmes du troisieme & du quatrieme degré & des degrés supérieurs. Les premiers se résolvent, comme l'on sait, par le moyen de deux sections coniques, ou plus simplement & en général par le moyen d'un cercle & d'une parabole ; les autres se résolvent par des lignes du troisieme ordre & au-delà. V. COURBE, & les art. déjà cités. La partie de la Géométrie transcendante qui applique le calcul différentiel & intégral à la recherche des propriétés des courbes, est celle qu'on appelle plus proprement Géométrie transcendante, & qu'on pourroit nommer avec quelques auteurs modernes, Géométrie sublime, pour la distinguer non-seulement de la Géométrie élémentaire, mais de la Géométrie des courbes qui n'employe pas les calculs différentiel & intégral, & qui se borne ou à la synthèse des anciens, ou à la simple application de l'analyse ordinaire. Par-là on auroit trois divisions de la Géométrie ; Géométrie élémentaire ou des lignes droites & du cercle ; Géométrie transcendante ou des courbes ; & Géométrie sublime ou des nouveaux calculs.

2°. On divise aussi la Géométrie en ancienne & moderne. On entend par Géométrie ancienne, ou celle qui n'employe point le calcul analytique, ou celle qui employe le calcul analytique ordinaire, sans se servir des calculs différentiel & intégral ; & par Géométrie moderne, on entend ou celle qui employe l'analyse de Descartes dans la recherche des propriétés des courbes, ou celle qui se sert des nouveaux calculs. Ainsi la Géométrie, entant qu'elle se borne à l'analyse seule de Descartes, est ancienne ou moderne, suivant les rapports sous lesquels on la considere ; moderne par rapport à celle d'Apollonius & d'Archimede, qui n'employoient point le calcul ; ancienne, par rapport à la Géométrie que nous avons nommée sublime, que Leibnitz & Newton nous ont apprise, & que leurs successeurs ont perfectionnée.

Des élémens de Géométrie. On a donné au mot ÉLEMENS DES SCIENCES, des principes qui s'appliquent naturellement aux élémens de Géométrie : on y a même traité des questions qui ont un rapport particulier à ces élémens ; par exemple, si on doit suivre dans les élémens d'une science l'ordre des inventeurs ; si on y doit préférer la facilité à la rigueur exacte, &c. c'est pourquoi nous renvoyons à l'article ÉLEMENS. Nous observons seulement que dans la liste d'élémens de Géométrie donnée par M. de la Chapelle, on a oublié ceux de M. Camus, de l'académie des Sciences, composés pour l'usage des ingénieurs, & qui méritent qu'on en fasse une mention honorable ; ainsi que la Géométrie de l'officier, de M. le Blond, un de nos collegues, & les élémens de Géométrie du même auteur. Ajoûtons ici quelques réflexions qui pourront n'être pas inutiles, sur la maniere de traiter les élémens de Géométrie.

Nous observerons d'abord, & ceci est une remarque peu importante, mais utile, que la division ordinaire de la Géométrie élémentaire en Longimétrie, Planimétrie, & Stéreométrie, n'est point exacte, à parler à la rigueur, puisqu'on y mesure non-seulement des lignes droites, des plans, & des solides, mais aussi des lignes circulaires & des surfaces sphériques : mais nous ne pouvons qu'approuver la division naturelle de la Géométrie élémentaire en géométrie des lignes droites & des lignes circulaires, géométrie des surfaces, géométrie des solides.

On peut voir au mot COURBE, ce que nous pensons sur la meilleure définition possible de la ligne droite & de la ligne courbe. Quoique la ligne droite soit plus simple que la circulaire, cependant il est à-propos de traiter de l'une & de l'autre, ensemble & non séparément, dans des élémens de Géométrie ; parce que les propriétés de la ligne circulaire sont d'une utilité infinie pour démontrer d'une maniere simple & facile ce qui regarde les lignes droites comparées entr'elles quant à leur position. La mesure d'un angle est un arc de cercle décrit du sommet de l'angle comme rayon. On a vû au mot DEGRE, pp. 761 & 762 du IV. vol. pourquoi le cercle est la mesure naturelle des angles. Cela vient de l'uniformité des parties & de la courbure du cercle ; & quand on dit que la mesure d'un angle est un arc de cercle décrit du sommet, cela signifie seulement que si deux angles sont égaux, les arcs décrits de leur sommet & du même rayon seront égaux : de même, quand on dit qu'un angle est double d'un autre, cela signifie seulement que l'arc décrit du sommet de l'un est double de l'arc décrit du sommet de l'autre : car l'angle n'étant, suivant sa définition, qu'une ouverture simple, & non pas une étendue, on ne peut pas dire proprement & abstraction faite de toute considération d'étendue, qu'un angle soit double d'un autre ; parce que cela ne se peut dire que d'une quantité comparée à une autre quantité homogene, & que l'ouverture de deux lignes n'ayant point de parties, n'est pas proprement une quantité. Quand on dit de même qu'un angle à la circonférence du cercle a pour mesure la moitié de l'arc compris entre ses côtés, cela signifie que cet angle est égal à un angle dont le sommet seroit au centre, & qui renfermeroit la moitié de cet arc ; & ainsi du reste.

Ces petites observations ne seront pas inutiles pour donner aux commençans des notions distinctes sur la mesure des angles, & pour leur faire sentir, ainsi que nous l'avons dit au mot ÉLEMENS, quel est le véritable sens qu'on doit donner à certaines façons de parler abrégées dont on se sert dans chaque science, & que les inventeurs ont imaginées pour éviter les circonlocutions.

La proposition très-simple sur la mesure des angles par un arc décrit de leur sommet, étant jointe au principe de la superposition, peut servir, si je ne me trompe, à démontrer toutes les propositions qui ont rapport à la Géométrie élémentaire des lignes. Le principe de la superposition n'est point, comme le disent quelques géometres modernes, un principe méchanique & grossier ; c'est un principe rigoureux, clair, simple, & tiré de la vraie nature de la chose. Quand on veut démontrer, par exemple, que deux triangles qui ont des bases égales & les angles à la base égaux, sont égaux en tout, on employe le principe de superposition avec succès : de l'égalité supposée des bases & des angles, on conclut avec raison que ces bases & ces angles appliqués les uns sur les autres, coïncideront ; ensuite de la coïncidence de ces parties, on conclut évidemment & par une conséquence nécessaire, la coïncidence du reste, & par conséquent l'égalité & la similitude parfaite des deux triangles : ainsi le principe de la superposition ne consiste pas à appliquer grossierement une figure sur une autre, pour en conclure l'égalité des deux, comme un ouvrier applique son pié sur une longueur pour la mesurer : mais ce principe consiste à imaginer une figure transportée sur une autre, & à conclure, 1°. de l'égalité supposée des parties données, la coïncidence de ces parties ; 2°. de cette coïncidence, la coïncidence du reste, & par conséquent l'égalité totale & la similitude parfaite des deux figures. On peut, par la même raison, employer le principe de la superposition à prouver que deux figures ne sont pas les mêmes. Au reste, par superposition j'entens ici non-seulement l'application d'une figure sur une autre, mais celle d'une partie, d'une figure sur une autre partie de la même figure, à dessein de les comparer entr'elles ; & cette derniere maniere d'employer le principe de la superposition, est d'un usage infini & très-simple dans les élémens de Géométrie. Voyez CONGRUENCE.

Après avoir traité de la géométrie des lignes considérées par rapport à leur position, je crois qu'on doit traiter de la géométrie des lignes considérées quant au rapport qu'elles peuvent avoir entr'elles. Elle est toute fondée sur ce théorème qu'une ligne parallele à la base d'un triangle en coupe les côtés proportionnellement. Pour cela il suffit de montrer que si cette parallele passe par le point de milieu d'un des côtés, elle passera par le point de milieu de l'autre ; car on fera voir ensuite aisément que les parties coupées sont toûjours proportionnelles, quand la partie coupée sera commensurable à la ligne entiere ; & quand elle ne le sera pas, on démontrera la même proposition par la réduction à l'absurde, en faisant voir que le rapport ne peut être ni plus grand, ni plus petit, & qu'ainsi il est égal. Nous disons par la réduction à l'absurde, car on ne peut démontrer que de cette maniere, & non d'une maniere directe, la plûpart des propositions qui regardent les incommensurables. L'idée de l'infini entre au-moins implicitement dans la notion de ces sortes de quantités ; & comme nous n'avons qu'une idée négative de l'infini, c'est-à-dire que nous ne le concevons que par la négation du fini, on ne peut démontrer directement & à priori tout ce qui concerne l'infini mathématique. Voyez DEMONSTRATION, INFINI, COMMENSURABLEABLE. Nous ne faisons qu'indiquer ce genre de démonstration ; mais il y en a tant d'exemples dans les ouvrages de Géométrie, que les mathématiciens tant-soit-peu exercés nous comprendront aisément. Pour éviter la difficulté des incommensurables, on démontre ordinairement la proposition dont il s'agit, en supposant que deux triangles de même hauteur sont entr'eux comme leurs bases. Mais cette derniere proposition elle-même, pour être démontrée en rigueur, suppose qu'on ait parlé des incommensurables. D'ailleurs elle suppose la mesure des triangles, & par conséquent la géométrie des surfaces, qui est d'un ordre supérieur à la géométrie des lignes. C'est donc s'écarter de la généalogie naturelle des idées, que de s'y prendre ainsi. On dira peut-être que la considération des incommensurables rendra la géométrie élémentaire plus difficile, cela se peut ; mais ils entrent nécessairement dans cette géométrie ; il faut y venir tôt ou tard, & le plûtôt est le mieux, d'autant plus que la théorie des proportions des lignes amene naturellement cette considération : Toute la théorie des incommensurables ne demande qu'une seule proposition, qui concerne les limites des quantités ; savoir que les grandeurs qui sont la limite d'une même grandeur, ou les grandeurs qui ont une même limite, sont égales entr'elles (voyez LIMITE, EXHAUSTION, & DIFFERENTIEL) ; principe d'un usage universel en Géométrie, & qui par conséquent doit entrer dans les élémens de cette science, & s'y trouver presque dès l'entrée.

La géométrie des surfaces se réduit à leur mesure ; & cette mesure est fondée sur un seul principe, celui de la mesure du parallélogramme rectangle qu'on sait être le produit de sa hauteur par sa base. Nous avons expliqué à la fin du mot EQUATION ce que cela signifie, & la maniere dont cette proposition doit être énoncée dans des élémens, pour ne laisser dans l'esprit aucun nuage. De la mesure du parallélogramme rectangle se tire celle des autres parallélogrammes, celle des triangles qui en sont la moitié, comme le principe de la superposition peut le faire voir ; enfin celle de toutes les figures planes rectilignes, qui peuvent être regardées comme composées de triangles. A l'égard de la mesure du cercle, le principe des limites ou d'exhaustion servira à la trouver. Il suffira pour cela de faire voir que le produit de la circonférence par la moitié du rayon est la limite de l'aire des polygones inscrits & circonscrits ; & comme l'aire du cercle est aussi évidemment cette limite, il s'ensuit que l'aire du cercle est le produit de la circonférence par la moitié du rayon, ou du rayon par la moitié de la circonférence. Voyez CERCLE & QUADRATURE.

On peut rapprocher la théorie de la proportion des lignes de la théorie des surfaces par ce théorème, que quand quatre lignes sont proportionnelles, le produit des extrèmes est égal au produit des moyennes ; théorème qu'on peut démontrer par la Géométrie sans aucun calcul algébrique ; car le calcul algébrique ne facilite en rien les élémens de Géométrie, & par conséquent ne doit pas y entrer. En rapprochant la théorie des proportions de celle des surfaces, on peut faire voir comment ces deux théories prises séparément s'accordent à démontrer différentes propositions, par exemple, celle du quarré de l'hypothénuse. Ce n'est pas une chose aussi inutile qu'on pourroit le penser, de démontrer ainsi de différentes manieres dans des élémens de Géométrie certaines propositions principales ; par ce moyen l'esprit s'étend & se fortifie en voyant de quelle maniere on fait rentrer les vérités les unes dans les autres.

Dans la géométrie des solides on suivra la même méthode que dans celle des surfaces : on réduira tout à la mesure du parallelépipede rectangle ; la seule difficulté se réduira à prouver qu'une pyramide est le tiers d'un parallelépipede de même base & de même hauteur. Pour cela on fera voir d'abord, ce qui est très-facile par la méthode d'exhaustion, que les pyramides de même base & de même hauteur sont égales ; ensuite, ce qui se peut faire de différentes manieres, comme on le peut voir dans divers élémens de Géométrie, on prouvera qu'une certaine pyramide déterminée est le tiers d'un prisme de même base & de même hauteur ; & il ne restera plus de difficulté. Par ce moyen on aura la mesure de tous les solides terminés par des figures planes. Il ne restera plus qu'à appliquer à la surface & à la solidité de la sphere, les propositions trouvées sur la mesure des surfaces & des solides ; c'est dequoi on viendra aisément à-bout par la méthode d'exhaustion, comme on a fait pour la mesure du cercle ; peut-être même pourroit-on, pour plus d'ordre & de méthode, traiter de la surface sphérique dans la géométrie des surfaces.

Nous ne devons pas oublier ici une observation importante. Le principe de la méthode d'exhaustion est simple (voyez EXHAUSTION) ; mais son application peut quelquefois rendre les démonstrations longues & compliquées. Ainsi il ne seroit peut-être pas mal-à-propos de substituer le principe des infiniment petits à celui d'exhaustion, après avoir montré l'identité de ces deux principes, & avoir remarqué que le premier n'est qu'une façon abregée d'exprimer le second ; car c'est en effet tout ce qu'il est, n'y ayant dans la nature ni infinis actuels, ni infiniment petits. Voyez INFINI, DIFFERENTIEL, EXHAUSTION, MITEMITE. Par ce moyen la facilité des démonstrations sera plus grande, sans que la rigueur y perde rien.

Voilà, ce me semble, le plan qu'on peut suivre en traitant de la géométrie élémentaire. Ce plan, & les réflexions générales que nous avons faites à la fin du mot ELEMENS DES SCIENCES, suffisent pour faire sentir qu'il n'y a aucun géometre au-dessus d'une pareille entreprise ; qu'elle ne peut même être bien exécutée que par des mathématiciens du premier ordre ; & qu'enfin pour faire d'excellens élémens de Géométrie, Descartes, Newton, Leibnitz, Bernoulli, &c. n'eussent pas été de trop. Cependant il n'y a peut-être pas de science sur laquelle on ait tant multiplié les élémens, sans compter ceux que l'on nous donnera sans-doute encore. Ces élémens sont pour la plûpart l'ouvrage de mathématiciens médiocres, dont les connoissances en Géométrie ne vont pas souvent au-delà de leur livre, & qui par cela même sont incapables de bien traiter cette matiere. Ajoûtons qu'il n'y a presque pas d'auteur d'élémens de Géométrie, qui dans sa préface ne dise plus ou moins de mal de tous ceux qui l'ont précédé. Un ouvrage en ce genre, qui seroit au gré de tout le monde, est encore à faire ; mais c'est peut-être une entreprise chimérique que de croire pouvoir faire au gré de tout le monde un pareil ouvrage. Tous ceux qui étudient la Géométrie ne l'étudient pas dans les mêmes vûes : les uns veulent se borner à la pratique ; & pour ceux-là un bon traité de géométrie-pratique suffit, en y joignant, si l'on veut, quelques raisonnemens qui éclairent les opérations jusqu'à un certain point, & qui les empêchent d'être bornées à une aveugle routine : d'autres veulent avoir une teinture de géométrie élémentaire spéculative, sans prétendre pousser cette étude plus loin ; pour ceux-là il n'est pas nécessaire de mettre une si grande rigueur dans les élémens ; on peut supposer comme vraies plusieurs propositions, dont la vérité s'apperçoit assez d'elle-même, & qu'on démontre dans les élémens ordinaires. Il est enfin des étudians qui n'ont pas la force d'esprit nécessaire pour embrasser à-la-fois les différentes branches d'une démonstration compliquée ; & il faut à ceux-là des démonstrations plus faciles, dûssent-elles être moins rigoureuses. Mais pour les esprits vraiment propres à cette science, pour ceux qui sont destinés à y faire des progrès, nous croyons qu'il n'y a qu'une seule maniere de traiter les élémens ; c'est celle qui joindra la rigueur à la netteté, & qui en même tems mettra sur la voie des découvertes par la maniere dont on y présentera les démonstrations. Pour cela il faut les montrer, autant qu'il est possible, sous la forme de problèmes à résoudre plûtôt que de théorèmes à prouver, pourvû que d'un autre côté cette méthode ne nuise point à la généalogie naturelle des idées & des propositions, & qu'elle n'engage pas à supposer comme vrai, ce qui en rigueur géométrique a besoin de preuve.

On a vû au mot AXIOME de quelle inutilité ces sortes de principes sont dans toutes les Sciences ; il est donc très-à-propos de les supprimer dans des élémens de Géométrie, quoiqu'il n'y en ait presque point où on ne les voye paroître encore. Quel besoin a-t-on des axiomes sur le tout & sur la partie, pour voir que la moitié d'une ligne est plus petite que la ligne entiere ? A l'égard des définitions, quelque nécessaires qu'elles soient dans un pareil ouvrage, il nous paroît peu philosophique & peu conforme à la marche naturelle de l'esprit de les présenter d'abord brusquement & sans une espece d'analyse ; de dire, par exemple, la surface est l'extrémité d'un corps, laquelle n'a aucune profondeur. Il vaut mieux considérer d'abord le corps tel qu'il est, & montrer comment par des abstractions successives on en vient à le regarder comme simplement étendu & figuré, & par de nouvelles abstractions à y considérer successivement la surface, la ligne, & le point. Ajoûtons ici qu'il se trouve des occasions, sinon dans des élémens, au-moins dans un cours complet de Géométrie, où certaines définitions ne peuvent être bien placées qu'après l'analyse de leur objet. Croit-on, par exemple, qu'une simple définition de l'Algebre en donnera l'idée à celui qui ignore cette science ? Il seroit donc à-propos de commencer un traité d'Algebre par expliquer clairement la marche, suivant laquelle l'esprit est parvenu ou peut parvenir à en trouver les regles ; & on finiroit ainsi l'ouvrage, la science que nous venons d'enseigner est ce qu'on appelle Algebre. Il en est de même de l'application de l'Algebre à la Géométrie, & du calcul différentiel & intégral, dont on ne peut bien saisir la vraie définition, qu'après en avoir compris la métaphysique & l'usage.

Revenons aux élémens de Géométrie. Un inconvénient peut-être plus grand que celui de s'écarter de la rigueur exacte que nous y recommandons, seroit l'entreprise chimérique de vouloir y chercher une rigueur imaginaire. Il faut y supposer l'étendue telle que tous les hommes la conçoivent, sans se mettre en peine des difficultés des sophistes sur l'idée que nous nous en formons, comme on suppose en méchanique le mouvement, sans répondre aux objections de Zenon d'Elée. Il faut supposer par abstraction les surfaces planes & les lignes droites, sans se mettre en peine d'en prouver l'existence, & ne pas imiter un géometre moderne, qui par la seule idée d'un fil tendu croit pouvoir démontrer les propriétés de la ligne droite, indépendamment du plan, & qui ne se permet pas cette hypothèse, qu'on peut imaginer une ligne droite menée d'un point à un autre sur une surface plane ; comme si l'idée d'un fil tendu, pour représenter une ligne droite, étoit plus simple & plus rigoureuse que l'hypothèse en question ; ou plûtôt comme si cette idée n'avoit pas l'inconvénient de représenter par une image physique grossiere & imparfaite une hypothèse abstraite & mathématique.

Géométrie transcendante ou des courbes. Cette Géométrie suppose le calcul algébrique. Voyez ALGEBRE & MATHEMATIQUES. On doit la commencer par la solution des problèmes du second degré au moyen de la ligne droite & du cercle ; & cette théorie peut produire beaucoup de remarques importantes & curieuses sur les racines positives & négatives, sur la position des lignes qui les expriment, sur les différentes solutions dont un problème est susceptible. Voyez au mot EQUATION la plûpart de ces remarques, qui ne se trouvent pas dans les traités de Géométrie ordinaires ; voyez aussi RACINE. On passera de-là aux sections coniques ; la meilleure maniere & la plus courte de les traiter dans un ouvrage de Géométrie (qui ne se borne pas à cette seule matiere), est, ce me semble, d'employer la méthode analytique que nous avons indiquée à la fin de l'article CONIQUE, de les regarder comme des courbes du premier genre ou lignes du second ordre, & de les diviser en especes, suivant ce qui en a été dit à l'article cité & au mot COURBE. Quand on aura trouvé l'équation la plus simple de la parabole, celle de l'ellipse, & celle de l'hyperbole, on fera voir ensuite très-aisément que ces courbes s'engendrent dans le cone, & de quelle maniere elles s'y engendrent. Cette formation des sections coniques dans le cone seroit peut-être la maniere dont on devroit les envisager d'abord, si on se bornoit à faire un traité de ces courbes ; mais elles doivent entrer dans un cours de Géométrie sous un point de vûe plus général. On terminera le traité des sections coniques par la solution des problèmes du troisieme & du quatrieme degré, au moyen de ces courbes ; sur quoi voyez CONSTRUCTION & EQUATION.

La théorie des sections coniques doit être précédée d'un traité, qui contiendra les principes généraux de l'application de l'Algebre aux lignes courbes. Voyez COURBE. Ces principes généraux consisteront, 1°. à expliquer comment on représente par une équation le rapport des abscisses aux ordonnées ; 2°. comment la résolution de cette équation fait connoître le cours de la courbe, ses différentes branches & ses asymptotes ; 3°. à donner la maniere de trouver par le calcul différentiel les tangentes & les points de maximum & de minimum ; 4°. à enseigner comment on trouve l'aire des courbes par le calcul intégral : par conséquent ce traité contiendra les regles du calcul différentiel & intégral, au-moins celles qui peuvent être utiles pour abréger un traité des sections coniques. Quelques géometres se récrieront peut-être ici sur l'emploi que nous voulons faire de ces calculs dans une matiere où l'on peut s'en passer ; mais nous les renvoyerons à ce que nous avons dit sur ce sujet au mot ELLIPSE, pag. 517 & 518. du tome V. Nous y avons fait voir par des exemples combien ces calculs sont commodes pour abréger les démonstrations & les solutions, & pour réduire à quelques lignes ce qui autrement occuperoit des volumes. Nous avons d'ailleurs donné au mot DIFFERENTIEL la métaphysique très-simple & très-lumineuse des nouveaux calculs ; & quand on aura bien expliqué cette métaphysique, ainsi que celle de l'infini géométrique (voyez INFINI), on pourra se servir des termes d'infiniment petit & d'infini, pour abréger les expressions & les démonstrations.

En traitant de l'application de l'Algebre aux courbes, on ne les représente guere que par l'équation entre les coordonnées paralleles ; mais il est encore d'autres formes, quoique moins usitées, à donner à leur équation. On peut la supposer, par exemple, entre les rayons de la courbe qui partent d'un centre, & les abscisses ou les ordonnées correspondantes ; comme aussi entre ces rayons, & la tangente, le sinus ou la sécante de l'angle qu'ils forment avec les abscisses ou les ordonnées ; on en voit des exemples au mot ELLIPSE. Toutes ces équations dans les courbes géométriques sont finies & algébriques ; mais il en est quelquefois qui se présentent ou qui peuvent se présenter sous une forme différentielle ; ce sont celles, par exemple, dans lesquelles un des membres est la différentielle de l'angle formé par le rayon & l'abscisse, & l'autre est une différentielle de quelque fonction de l'abscission ou du rayon, réductible à un arc de cercle. Par exemple, si j'avois cette équation d z = , z étant l'angle entre le rayon & l'abscisse, x le rayon, & a la valeur du rayon quand z = 0, il est évident que la courbe est géométrique. Car est la différentielle d'un angle dont le cosinus est x, & le rayon a (voyez COSINUS) ; donc x/a = cosinus z ; or, si on nomme u & y les abscisses & ordonnées rectangles, on aura u u + y y = x x ; ; & cosin. z = . C'est pourquoi l'équation différentielle d z = , qui paroît ne pouvoir être intégrée que par des arcs de cercle, donnera l'équation en coordonnées rectangles = , qui est l'équation d'un cercle dont les coordonnées ont leur origine à la circonférence. Il en est de même de plusieurs autres cas semblables.

Ces sortes d'équations méritent qu'on en fasse une mention expresse dans la Géométrie transcendante, d'autant qu'elles sont très-utiles dans la théorie des trajectoires ou courbes décrites par des projectiles, voyez TRAJECTOIRE, & par conséquent dans la théorie des orbites des planetes, voyez ELLIPSE, KEPLER (loi de), PLANETE, & ORBITE. Voyez aussi dans les mém. de l'acad. des Sciences pour l'année 1710. un mémoire de M. Bernoulli sur ce dernier sujet.

Les sections coniques achevées, on passera aux courbes d'un genre supérieur ; on donnera d'abord la théorie des points multiples, des points d'inflexion, des points de rebroussement & de serpentement. Voyez POINT MULTIPLE, INFLEXION, REBROUSSEMENT, SERPENTEMENT, &c. Ces théories sont fondées en partie sur le calcul algébrique simple, en partie & presque en entier sur le calcul différentiel ; ce n'est pas que ce dernier calcul y soit absolument nécessaire ; mais, quoi qu'on en puisse dire, il abrege & facilite extrèmement toute cette théorie. On n'oubliera pas la théorie si belle & si simple des développées & des caustiques. Voyez DEVELOPPEE, CAUSTIQUE, OSCULATEUR, &c. Nous ne pouvons & nous ne faisons qu'indiquer ici ces différens objets, dont plusieurs ont déjà été traités dans l'Encyclopédie, & les autres le seront à leurs articles particuliers. Voyez TANGENTE, MAXIMUM, &c. On entrera ensuite dans le détail des courbes des différens ordres, dont on donnera les classes, les especes, & les propriétés principales. Voyez COURBE. A l'égard de la quadrature & de la rectification de ces sortes de courbes, & même de la rectification des sections coniques, on la remettra à la Géométrie sublime.

Au reste, en traitant les courbes géométriques, on pourra s'étendre un peu plus particulierement sur les plus connues, comme le folium de Descartes, la conchoïde, la cissoide, &c. Voyez ces mots.

Les courbes méchaniques suivront les géométriques. On traitera d'abord des courbes exponentielles, qui sont comme une espece moyenne entre les courbes géométriques & les méchaniques. Voyez EXPONENTIEL. Ensuite, après avoir donné les principes généraux de la construction des courbes méchaniques, au moyen de leur équation différentielle & de la quadrature des courbes (voyez CONSTRUCTION), on entrera dans le détail des principales & des plus connues, de la spirale, de la quadratrice, de la cycloïde, de la trochoïde, &c. Voyez ces mots.

Telles sont à-peu-près les matieres que doit contenir un traité de Géométrie transcendante ; nous ne faisons que les indiquer, & que marquer, pour ainsi dire, les masses principales. Un géometre intelligent saura trouver de lui-même, & à l'aide des différens articles de ce Dictionnaire, les parties qui doivent composer chacune de ces masses.

Géométrie sublime. Après le plan que nous avons tracé pour la Géométrie transcendante, on voit que le calcul différentiel & ses usages y sont presqu'épuisés ; il ne reste plus à la Géométrie sublime que le calcul intégral, & son application à la quadrature & à la rectification des courbes. Ce calcul fera donc la matiere principale & presque unique de la Géométrie sublime. Sur la maniere dont on doit le traiter, voyez INTEGRAL.

Nous terminerons cet article par quelques réflexions générales. On a vû au mot APPLICATION des observations sur l'usage de l'analyse & de la synthèse en Géométrie. On nous a fait sur cet article quelques questions qui donneront lieu aux remarques suivantes.

1°. Le calcul algébrique ne doit point être appliqué aux propositions de la géométrie élémentaire, par la raison qu'il ne faut employer ce calcul que pour faciliter les démonstrations, & qu'il ne paroît pas y avoir dans la géométrie élémentaire aucune démonstration qui puisse réellement être facilitée par ce calcul. Nous exceptons néanmoins de cette regle la solution des problèmes du second degré par le moyen de la ligne droite & du cercle (supposé qu'on veuille regarder ces problèmes comme appartenant à la géométrie élémentaire, & non comme le passage de la géométrie élémentaire à la transcendante) ; car le calcul algébrique simplifie extrèmement la solution des questions de ce genre, & il abrege même les démonstrations. Pour s'en convaincre, il suffira de jetter les yeux sur quelques-uns des problèmes du second degré qui sont résolus dans l'application de l'Algebre à la Géométrie de M. Guisnée. Après avoir mis un problème en équation, l'auteur tire de cette équation la construction nécessaire pour satisfaire à l'équation trouvée ; & ensuite il démontre synthétiquement & à la maniere des anciens, que la construction qu'il a employée résout en effet le problème. Or la plûpart de ces démonstrations synthétiques sont assez compliquées & fort inutiles, si ce n'est pour exercer l'esprit ; car il suffit de faire voir que la construction satisfait à la solution de l'équation finale, pour prouver qu'elle donne la solution du problème.

2°. Nous croyons qu'il est ridicule de démontrer par la synthèse ce qui peut être traité plus simplement & plus facilement par l'analyse, comme les propriétés des courbes, leurs tangentes, leurs points d'inflexion, leurs asymptotes, leurs branches, leur rectification, & leur quadrature. Les propriétés de la spirale que les plus grands mathématiciens ont eu tant de peine à suivre dans Archimede, peuvent aujourd'hui se démontrer d'un trait de plume. N'y a-t-il donc pas en Géométrie assez de choses à apprendre, assez de difficultés à vaincre, assez de découvertes à faire, pour ne pas user toutes les forces de son esprit sur les connoissances qu'on peut y acquérir à moins de frais ? D'ailleurs combien de recherches géométriques auxquelles la seule analyse peut atteindre ? Les Anglois, grands partisans de la synthèse, sur la foi de Newton qui la loüoit, & qui s'en servoit pour cacher sa route, en employant l'analyse pour se conduire lui-même ; les Anglois, dis-je, semblent par cette raison n'avoir pas fait en Géométrie, depuis ce grand homme, tous les progrès qu'on auroit pu attendre d'eux. C'est à d'autres nations, aux François & aux Allemands, & sur-tout aux premiers, qu'on est redevable des nouvelles recherches sur le système du monde, sur la figure de la terre, sur la théorie de la lune, sur la précession des équinoxes, qui ont prodigieusement étendu l'Astronomie-physique. Qu'on essaye d'employer la synthèse à ces recherches, on sentira combien elle en est incapable. Ce n'est qu'à des géometres médiocres qu'il appartient de rabaisser l'analyse, comme il n'appartient de décrier un art qu'à ceux qui l'ignorent. On trouve une espece de consolation à taxer d'inutilité ce qu'on ne sait pas. Nous avons, il est vrai, exposé ailleurs quelques inconvéniens de l'Algebre. Voyez le mot EQUATION, page 850. tome V. Si la synthèse peut lever ces inconvéniens dans les cas où ils ont lieu, nous conviendrons qu'on devroit préférer la synthèse à l'analyse, du-moins en ces cas-là ; mais nous doutons, pour ne rien dire de plus, que la synthèse ait cet avantage ; & ceux qui penseroient autrement, nous obligeroient de nous desabuser.

3°. Il y a cette différence en Mathématique entre l'Algebre & l'Analyse, que l'Algebre est la science du calcul des grandeurs en général, & que l'Analyse est le moyen d'employer l'Algebre à la solution des problèmes. Je parle ici de l'analyse mathématique ; l'emploi qu'elle fait de l'Algebre pour trouver les inconnues au moyen des connues, est ce qui la distingue de l'analyse logique, qui n'est autre chose en général que l'art de découvrir ce qu'on ne connoît pas par le moyen de ce qu'on connoît. Les anciens géometres avoient sans-doute dans leurs recherches une espece d'analyse ; mais ce n'étoit proprement que l'analyse logique. Tout algébriste s'en sert pour commencer le calcul ; mais ensuite le secours de l'Algebre facilite extrèmement l'usage & l'application de cette analyse à la solution des problèmes. Ainsi, quand nous avons dit au mot ANALYSE, que l'analyse mathématique enseigne à résoudre les problèmes, en les réduisant à des équations, nous croyons avoir donné une définition très-juste. Ces derniers mots sont le caractere essentiel qui distingue l'analyse mathématique de toute autre ; & nous n'avons fait d'ailleurs que nous conformer en cela au langage universellement reçu aujourd'hui par tous les géometres algébristes.

4°. On peut appeller l'Algebre géométrie symbolique, à cause des symboles dont l'Algebre se sert dans la solution des problèmes ; cependant le nom de géométrie métaphysique qu'on a donné à l'Algebre (voyez ALGEBRE), paroît lui être du-moins aussi convenable ; parce que le propre de la Métaphysique est de généraliser les idées, & que non-seulement l'Algebre exprime les objets de la Géométrie par des caracteres généraux, mais qu'elle peut faciliter l'application de la Géométrie à d'autres objets. En effet on peut, par exemple, en Méchanique, représenter le rapport des parties du tems par le rapport des parties d'une ligne, & le mouvement d'un corps par l'équation d'une courbe, dont les abscisses représentent les tems, & les ordonnées les vîtesses correspondantes. La Géométrie, sur-tout lorsqu'elle est aidée de l'Algebre, est donc applicable à toutes les autres parties des Mathématiques, puisqu'en Mathématique il n'est jamais question d'autre chose, que de comparer des grandeurs entr'elles ; & ce n'est pas sans raison que quelques géometres philosophes ont défini la Géométrie la science de la grandeur en général, entant qu'elle est représentée ou qu'elle peut l'être par des lignes, des surfaces, & des solides.

Sur l'application de la Géométrie aux différentes sciences, voyez APPLICATION, MECHANIQUE, OPTIQUE, PHYSIQUE, PHYSICO-MATHEMATIQUE, &c. (O)

* GEOMETRIE SOUTERREINE ; ce n'est autre chose que l'application de la Géométrie élémentaire à plusieurs problèmes particuliers de l'exploitation des mines. Cette application a trois objets principaux. La dimension des filons, leur inclinaison à l'horison, & leur direction relative aux points cardinaux du monde, forment le premier ; la distance à mesurer d'un point quelconque d'une galerie à un point quelconque de la surface ou de l'intérieur de la terre, ou réciproquement la distance à mesurer d'un point quelconque de la surface ou de l'intérieur de la terre à un point quelconque d'une galerie, est le second ; la description ichnographique, orthographique & scénographique d'une mine, est le troisieme.

Déterminer les espaces dans lesquels il est permis à un particulier de chercher de la mine ; arriver aux galeries par le plus court chemin ; marquer la voie par laquelle il convient d'éloigner les eaux ; tracer la tête, la queue, l'étendue, la rencontre des veines & des filons métalliques ; faire circuler l'air dans les profondeurs de la terre, en attirer les vapeurs nuisibles ; telles sont les fonctions principales d'un conducteur de mines, & les plus grandes difficultés de son art. Voyez les articles MINE, MINEUR.

La Géométrie soûterreine a abandonné l'ancienne division de la circonférence en 360 parties ; elle y en a substitué une qui lui est plus commode, de la circonférence en 24 heures, & de chaque heure en 8 parties. La circonférence n'ayant par ce moyen que 192 parties, chacune de ces parties devient sensible sur un cercle qui n'auroit qu'un doigt ou qu'un doigt & demi de diametre ; la pointe de l'aiguille aimantée, si c'est une boussole, la montre plus distinctement, & cela est important dans le fond des entrailles de la terre, où l'on n'est éclairé qu'à la lueur des lumieres artificielles.

La circonférence du cercle de la Géométrie soûterreine a donc 192 parties ou degrés, la demi-circonférence 96, & le quart de la circonférence 48 degrés ou 6 heures. Les 6 heures qu'une des extrémités de la méridienne partage en deux, s'appellent heures septentrionales ou méridionales, selon l'extrémité & sa direction. Les 6 heures que la ligne qui coupe perpendiculairement la méridienne, & qui passe par le centre du cercle, divise en deux parties égales, s'appellent aussi, selon l'extrémité & la direction de cette ligne, heures orientales ou occidentales.

L'ouverture perpendiculaire A B (voyez la Planche soûterr. parmi celles de Minéralog.) poussée de la surface de la terre à une galerie qui sert à introduire l'air, de passage aux ouvriers, & de sortie au minerai, s'appelle une burre ou un puits. On établit en A la machine connue sous le nom de chevre ou de treuil. Voy. CHEVRE, &c. La largeur de la burre ou du puits est proportionnée à son usage ; elle varie selon que le puits ne sert que de passage aux ouvriers, ou qu'il sert en même tems de sortie aux minerais. Dans le premier cas, sa largeur est d'une demi-perche métallique ; dans le second il est de la même dimension, mais sa longueur est d'une perche entiere.

On entend en général par une galerie, une caverne artificielle pratiquée dans les entrailles de la terre : il est important d'en connoître l'obliquité, les sinuosités, les directions. On lui donne le nom d'ascendante ou de descendante, lorsque supposant une ligne horisontale tracée au point d'où on la considere, elle s'éleve au-dessus ou descend au-dessous de cette ligne ; d'où l'on voit que cette dénomination d'ascendante & de descendante n'étant relative qu'au point où le mineur est placé, & ce point pouvant varier d'un moment à l'autre, une galerie peut d'un moment à l'autre prendre le nom d'ascendante de descendante qu'elle étoit, & réciproquement.

L'aune ou la perche métallique est divisée en 8 parties ou piés, chaque huitieme partie ou chaque pié en dix doigts, & chaque doigt en dix lignes, scrupules ou minutes : ainsi la perche métallique a 800 lignes, minutes ou scrupules. Il est bon de remarquer qu'elle n'est pas la même par-tout. Ce nombre , 5', 7", 9''' signifie 4 aunes, 5 piés, 7 doigts, 9 scrupules.

Cela supposé, voici quelques exemples des regles d'Arithmétique relatives à ces mesures.

Soit à ajoûter , 7', 1", 6''' avec , 3, 5", 8''', vous direz : 8 & 6 font 14 ; je pose 4 & je retiens 1 : 5 & 1 de retenu font 6, & 1 font 7" ; 3 & 7 font 10', ou dix piés. Mais dix piés sont une aune & 2 piés : je pose donc 2' ; je retiens , qui avec les nombres 9 & 18 donne 28' ou 2 aunes. La somme est donc , 2', 7", 4'''.

Soit à soustraire , 7', 1", 6''' de , 2', 7", 4''', je dis 6 de 10, reste 4, & j'écris 4''' ; 2 de 7, reste 5, & j'écris 5" ; 7 de 2 ne se peut. Il faut ajoûter au 2 une unité ; mais que vaut cette unité ? une aune ou huit piés : ainsi je dis, 7 de 10, reste 3, & j'écris 3' ; 19 de 28, reste 9, & j'écris : le reste est donc , 3', 5", 8'''.

Soit à multiplier , 5', 7", 9''' par 6, je dis : 6 fois 9 font 54 ; je pose 4''' & je retiens 5" : 6 fois 7 font 42, & 5 de retenus font 47 ; je pose 7" & retiens 4' : 6 fois 5 font 30, & 4 de retenus font 34, ou 4 aunes de huit piés & deux piés ; donc je pose 2' & retiens . 6 fois 4 font 24, & 4 de retenus font 28 : le produit est donc , 2', 7", 4'''.

La division se fait en opérant sur la plus grande espece possible, si cela se peut ; & si cela ne se peut pas, en réduisant cette grande espece à l'espece suivante, & opérant ensuite. Ainsi, soit à diviser , 2', 7", 4''' par 8, je dis : en 28 combien de fois 8 ? fois, & j'écris 3 au quotient ; il reste au dividende 4, ou aunes de chacune 8 piés ou 32', qui avec 2' font 34'. Je dis donc : en 34 combien de fois 8 ? 4 fois, & j'écris 4' au quotient. Il reste au dividende 2', ou 2 piés de chacun 10 doigts, c'est-à-dire 20", qui font avec 7", 27" ; & je dis : en 27". combien de fois 8 ? 3 fois : j'écris 3" au quotient. Il reste au dividende 3" ou 30 minutes, qui avec 4" font 34". Je dis : en 34 combien de fois 8 ? 4 ; j'écris 4''' au quotient. Il reste 2''' au dividende : j'ai donc pour quotient , 4', 3", 4''', avec la fraction 2/8'''.

Lorsqu'on s'est familiarisé avec l'arithmétique du mineur, il faut connoître ses instrumens. Le premier est un niveau qu'on voit Planche de Géomét. soûterr. fig. 1. c'est un demi-cercle de laiton, mince, divisé en degrés, demi-degrés, & même quart de degrés. Il a deux crochets, K, H, au moyen desquels on l'accroche sur la corde du genou, fig. 5. Du centre de ce niveau pend un plomb L, tenu par un fil ou un crin. Ce fil indique l'inclination à l'horison du fil ou de la ligne K I du genou, figure 5.

Le second est une boussole qu'on voit même Planche, figure 2. Elle est composée d'un grand anneau de cuivre C E D F à deux crochets A, B, dont l'usage est le même que des crochets K H du niveau qu'on voit figure 1. Dans ce premier anneau on en a adapté un second, C L D G, plus leger, & dont le plan coupe à angles droits le plan du premier. Entre ces deux anneaux est suspendue une boîte de boussole mobile sur des pivots en L & en G. Le tour de cette boussole est divisé en 24 parties qu'on appelle heures (nous avons expliqué plus haut ce que c'est qu'une heure), & chaque heure en 8 minut. Le nord est en E, le sud en F, l'est en G, & l'oüest en L. Ces deux derniers points sont marqués en sens contraire de ce qu'ils sont ordinairement dans les autres boussoles. La boîte de la boussole étant mobile sur les pivots L, G, quelle que soit la position des anneaux entre lesquels elle est retenue, elle gardera toûjours son parallelisme à l'horison. Cet instrument indiquera commodément la position des filons & des galeries, relativement aux points cardinaux du monde. Dans l'usage, on place toûjours la ligne méridienne dans le milieu de la galerie, le septentrion selon sa direction ; & ce sont les écarts de l'aiguille aimantée de la ligne méridienne qui indiquent les écarts de la direction de la galerie, des points cardinaux du monde. Si donc la galerie est dirigée vers l'orient, c'est-à-dire si sa direction s'écarte à droite de la ligne méridienne, la pointe de l'aiguille aimantée tournera vers la gauche de la quantité de cet écart, & sa pointe marquera à gauche l'heure orientale. Voilà la raison pour laquelle dans la boussole du mineur on a transposé les points d'orient & d'occident, des lieux qu'ils occupent dans la boussole ordinaire. On voit, figure 3 même Planche, le cadran de la boussole divisé en heures & en minutes.

Le troisieme, qu'on voit figure 6. est un traceligne. C'est une petite boîte de bois d'ébene, de boüis ou d'ivoire, de forme rectangulaire, garnie de deux pinnules R R, dans la concavité de laquelle on place la boussole de la figure 2. en la séparant de ses anneaux : la méridienne doit coïncider avec les pinnules. La longueur A C de cet instrument est de 6 à 7 pouces, & sa largeur C D de 4. Les pinnules peuvent se rabattre sur le plan de l'instrument ; il sert à rapporter ou sur le papier ou sur le terrein, les directions trouvées par le moyen du second instrument.

La seule chose qu'il y ait à observer dans l'usage de ces instrumens, c'est la variation de l'aiguille aimantée dans différens lieux, & dans le même lieu en différens tems. Cette variation oblige quelquefois à des corrections d'autant plus nécessaires, que les galeries où les angles ont été pris sont plus longues, plus éloignées les unes des autres. Il n'est pas non plus inutile de savoir que le froid gênant le mouvement de l'aiguille, il est à-propos en hyver, avant que de descendre l'instrument dans la mine, de l'avoir échauffé dans une étuve. Les autres causes d'erreur, tels que le voisinage du fer, qui occasionneroient des erreurs, sont assez connues.

Le quatrieme instrument est le genou. Voyez cet instrument, même Planche, fig. 5. C'est une regle de bois A E, avec ses deux pinnules B C, à fenêtres & à fente. Les fenêtres sont divisées par un fil vertical, & un autre horisontal. La fente a un petit trou rond, par lequel on regarde pour pointer la croisée des fils sur l'objet qu'on veut. Les deux mires doivent être exactement paralleles. K I est un fil de laiton appuyé sur deux chevalets, retenu d'un bout par une boucle, & placé de l'autre sur une cheville. Comme ce fil K I doit toûjours être parallele aux lignes de mire, il leur faut un certain degré de tension, qu'on lui donne avec la cheville E. FF est un boulon à tête, terminé par une vis ; c'est autour de ce boulon que le genou est mobile dans le sens vertical. La boîte du boulon est adhérente à une douille G H, dans laquelle on fait entrer le pié de l'instrument ; par ce moyen le genou est mobile horisontalement. C'est sur le fil qu'on suspend, comme nous l'avons dit, les instrumens représentés fig. 1. & fig. 2.

On peut encore, pour plus de commodité, ajoûter à ces instrumens le secours de quelques autres ; mais les précédens sont les plus importans, & suffisent.

On n'a proprement à résoudre dans toute cette Géométrie, que des triangles rectilignes. Son premier théorème consiste à trouver par le niveau d'inclinaison l'angle aigu C, dans un triangle rectangle en B. Le fil A i marque la perpendiculaire, & l'arc H i donne la quantité de cet angle. Les inconnues du reste de ce triangle se découvriront par le moyen des tables des sinus, & par les regles de la Trigonométrie.

Si l'on propose de donner les dimensions d'une mine où l'aiguille aimantée n'est point troublée par le voisinage d'une mine de fer, l'ingénieur mesure sa profondeur, y descend avec ses instrumens, la parcourt ; prend les distances qui lui sont nécessaires, & les angles dont il a besoin, & porte ces choses sur des feuilles de papier. Il s'est d'abord établi une échelle ; par ce moyen il acheve son travail, ou dans la mine même, ou quand il en est sorti. Si la mine est une mine de fer, son travail n'est pas plus difficile ; il sait quels sont les instrumens dont il ne doit pas se servir, & notre figure 8. lui montre les triangles qu'il a à prendre & à résoudre. A-t-il une ligne droite à tracer dans un endroit impratiquable ? il n'a qu'à jetter les yeux sur notre fig. 9. La fig. 10. lui indiquera la maniere de trouver quel point de la surface de la terre correspond à un point donné dessous ; la fig. 11. la maniere de tracer une ligne droite sur une surface inclinée & inégale ; la fig. 12. comment il s'y prendra pour tracer la ligne qui communique d'une mine à une autre ; la fig. 13. la maniere de pénétrer d'un point de la surface de la terre à un lieu donné de la mine ; la fig. 14. comment il déterminera le point de la mine qui correspond verticalement à un point donné dessus ; enfin la figure 15. les opérations qui doivent se faire à la surface du terrein, pour la résolution de la plûpart des problèmes.

C'est à ces problèmes que se réduit toute la Géométrie soûterreine ; d'où l'on voit qu'elle n'est autre chose, comme nous l'avons dit plus haut, qu'une application de la Trigonométrie à quelques cas particuliers ; & qu'elle n'exige que la connoissance des instrumens que nous avons décrits, & de ceux dont l'ingénieur & l'arpenteur font usage. Celui qui en voudra savoir davantage là-dessus, peut consulter les institutions de Weidler, l'ouvrage d'Agricola sur la Métallurgie, Erasme Reinhold, Beyer, Raigtel, Sturmius, Jugel, & de Oppel. Ces auteurs sont tous allemands. On conçoit aisément que la Géométrie soûterreine a dû prendre naissance en Allemagne, où les hommes ont eu principalement des intérêts à discuter dans les entrailles de la terre.


GÉOMÉTRIQUEadj. se dit de tout ce qui a rapport à la Géométrie.

Courbe géométrique, est la même chose que courbe algébrique. Voyez COURBE.

Construction géométrique. Les anciens géometres ne donnoient le nom de constructions géométriques qu'à celles qui se faisoient avec le secours seul de la regle & du compas, ou ce qui revient au même, de la ligne droite & du cercle : mais les géometres modernes, à commencer depuis Descartes, prennent pour géométrique toute construction qui s'exécute par le moyen d'une courbe géométrique quelconque. Voyez CONSTRUCTION & COURBE. On appelle géométriques ces constructions, pour les distinguer de celles qui s'exécutent par le moyen des courbes méchaniques, & qu'on peut appeller constructions méchaniques. Au reste les constructions méchaniques sont souvent plus simples & plus faciles que les constructions géométriques. Voyez COURBE.

Pas géométriques, voyez PAS.

Proportion & progression géométrique, voyez PROPORTION & PROGRESSION.

Esprit géométrique, voyez ci-dev. GEOMETRE. [ O ]


GEOMÉTRIQUEMENTadv. d'une maniere géométrique. Voyez ci-devant GEOMETRIQUE. Ainsi on dit, résoudre géométriquement un problème, raisonner géométriquement, &c. [ O ]


GEORGE[ SAINT ] [ Hist. mod. ] c'est un nom donné à plusieurs ordres tant militaires que religieux ; il a pris son origine d'un saint fameux dans tout l'orient.

Saint George est particulierement usité pour désigner un ordre de chevaliers anglois ; mais on l'appelle à-présent plus communément l'ordre de la Jarretiere. Voyez JARRETIERE.

Le roi Edouard VI. par un esprit de réforme fit quelque changement dans le cérémonial, les lois & l'habit de l'ordre ; c'est lui qui a le premier ordonné qu'on n'appellât plus cet ordre l'ordre de saint George, mais l'ordre de la Jarretiere. Chambers.

GEORGE, [ chevaliers de saint ] il y a eu plusieurs ordres de ce nom dont la plûpart ne subsistent plus. Il y en a eu un particulierement institué par l'empereur Frédéric III. l'an 1470, pour garder les frontieres de la Bohème & de la Hongrie contre les Turcs. Un autre appellé l'ordre de saint George d'Alphama, fondé par les rois d'Aragon : on en connoît un troisieme dans l'Autriche & dans la Carinthie ; & enfin un quatrieme qui subsiste encore aujourd'hui dans la république de Gènes. [G]

GEORGE, [ saint ] dit d'Alga, ordre de chanoines-réguliers qui fut fondé à Venise par l'autorité du pape Boniface IX. en 1404. Barthelemy Colonna romain, qui prêcha l'an 1396 à Padoue & dans quelques autres villes de l'état de Venise, jetta les fondemens de cette congrégation. Les chanoines de S. George portent une soutane blanche, & par-dessus une robe ou chape de couleur bleue ou azur, avec le capuchon sur les épaules. Le pape Pie V. les obligea en 1570 de faire profession, & leur permit de précéder les autres religieux. Le monastere chef d'ordre est à Venise. Le Mire, hist. ordin. monastic. lib. I. cap. v. (G)

GEORGE, [ saint ] Géog. petite île de l'état de Venise au sud de la capitale. Il y a dans cette île un monastere de Bénédictins, dont l'église est une des plus belles d'Italie, & d'ailleurs enrichie de tableaux des plus grands maîtres. (D.J.)

GEORGE DE LA MINE, [ saint ] Géog. bourgade d'Afrique en Guinée, avec un fort château près de la mer, & un port qui tire son nom des mines d'or qu'on dit être dans son voisinage. Les Hollandois se sont emparés de ce lieu sur les Portugais. Long. 17. latit. 5. 20. [ D. J. ]


GÉORGIE[ Géog. ] pays d'Asie qui fait partie de la Perse entre la mer Noire & la mer Caspienne.

La Géorgie est bornée au nord par la Circassie, à l'orient par le Daghestan & le Schirvan, au midi par l'Arménie, & au couchant par la mer Noire. Elle comprend la Colchide & l'Ibérie des anciens, tandis que le Daghestan & le Schirvan forment à-peu-près l'ancienne Albanie.

Elle est divisée par les montagnes en deux parties : l'une orientale où sont les royaumes de Caket au nord, & de Carduel au midi ; l'autre occidentale qui comprend au nord les Abcasses, la Mingrélie, l'Imirette & le Guriel ; tout ce pays est nommé Gurgistan par les orientaux. La riviere de Kur le traverse, & elle porte bateau, ce qui n'est pas commun aux rivieres de Perse. Téflis capitale de la Géorgie, est au 83d. de long. & au 43d. de lat.

Cette vaste région pour la possession ou la protection de laquelle les Persans & les Turcs ont si long-tems combattu, & qui est enfin restée aux premiers, fait un état des plus fertiles de l'Asie. Il n'en est guere de plus abondant, ni où le bétail, le gibier, le poisson, la volaille, les fruits, les vins soient plus délicieux.

Les vins du pays, sur-tout ceux de Téflis, se transportent en Arménie, en Médie & jusqu'à Ispahan, où ils sont réservés pour la table du Sophi.

La soie s'y recueille en quantité ; mais les Géorgiens qui la savent mal apprêter, & qui n'ont guere de manufactures chez eux pour l'employer, la portent chez leurs voisins, & en font un grand négoce en plusieurs endroits de Turquie, sur-tout à Arzeron & aux environs.

Les seigneurs & les peres étant maîtres en Géorgie de la liberté & de la vie, ceux-ci de leurs enfans, & ceux-là de leurs vassaux ; le commerce des esclaves y est très-considérable, & il sort chaque année plusieurs milliers de ces malheureux de l'un & de l'autre sexe avant l'âge de puberté, lesquels pour ainsi dire, se partagent entre les Turcs & les Persans qui en remplissent leurs serrails.

C'est particulierement parmi les jeunes filles de cette nation (dont le sang est si beau qu'on n'y voit aucun visage qui soit laid), que les rois & les seigneurs de Perse choisissent ce grand nombre de concubines, dont les orientaux se font honneur. Il y a même des défenses très-expresses d'en trafiquer ailleurs qu'en Perse ; les filles georgiennes étant, si l'on peut parler ainsi, regardées comme une marchandise de contrebande qu'il n'est pas permis de faire sortir hors du pays.

Il faut remarquer que de tout tems on a fait ce commerce ; on y vendoit autrefois les beaux garçons aux Grecs. Ils sont, dit Strabon, plus grands & plus beaux que les autres hommes, & les géorgiennes plus grandes & plus belles que les autres femmes. Le sang de Géorgie est le plus beau du monde, dit Chardin : la nature, ajoûte-t-il, a répandu sur la plûpart des femmes des graces qu'on ne voit point ailleurs ; & l'on ne trouve en aucun lieu ni de plus jolis visages, ni de plus fines tailles que celles des géorgiennes ; mais, continue-t-il, leur impudicité est excessive.

On voit en Géorgie des Grecs, des Juifs, des Turcs, des Persans, des Indiens, des Tartares & des Européens. Les Arméniens y sont presqu'en aussi grand nombre que les naturels même. Souverainement méprisés ils remplissent les petites charges, font la plus considérable partie du commerce de Géorgie, & s'enrichissent aux dépens du pays.

Quoique les moeurs & les coûtumes des Géorgiens soient un mélange de celles de la plûpart des peuples qui les environnent, ils ont en particulier cet étrange usage, que les gens de qualité y exercent l'emploi de bourreau ; bien loin qu'il soit réputé infame en Géorgie, comme dans le reste du monde, c'est un titre glorieux pour les familles.

Les maisons des grands & des lieux publics sont construits sur le modele des édifices de Perse, mais la plûpart des églises sont bâties sur le haut des montagnes, en des lieux presqu'inaccessibles ; on les salue de loin, & on n'y va presque jamais : cependant il y a plusieurs évêques en Géorgie, un archevêque, un patriarche ; & c'est le viceroi, autrement dit gorel, nommé par le sophi, & toûjours mahométan de religion, qui remplit les prélatures.

Voilà le précis de ce que j'ai lû de plus curieux sur la Géorgie dans Chardin, Tavernier, Thévenot, Tournefort & la Motraye, & ce précis m'a paru digne d'avoir ici sa place. (D.J.)


GEORGIQUELA, s. f. (Poésie didactiq.) la georgique est une partie de science économique de la campagne, traitée d'une maniere agréable, & ornée de toutes les beautés & les graces de la poésie. Virgile, dit M. Addisson, a choisi les préceptes de cette science les plus utiles, & en même-tems les plus susceptibles d'ornemens. Souvent il fond le précepte dans la description, & il peint par l'action du campagnard ce qu'il a dessein d'apprendre au lecteur. Il a soin d'orner son sujet par des digressions agréables & ménagées à propos qui naissent naturellement, & qui ont du rapport avec l'objet principal des géorgiques. Son style est plus élevé que le langage familier & ordinaire ; il abonde en métaphores, en grécismes & en circonlocutions, pour rendre ses vers plus pompeux.

M. Addisson conclud son essai par cette remarque : c'est que les géorgiques de Virgile sont le poëme le plus complet, le plus travaillé, & le plus fini de toute l'antiquité. L'Enéide est d'un genre plus noble ; mais le poëme des géorgiques est plus parfait dans le sien. Il y a dans l'Enéide un plus grand nombre de beautés ; mais celles des géorgiques sont plus délicates. En un mot, le poëme des géorgiques est aussi parfait, que le peut être un poëme composé par le plus grand poëte dans la fleur de son âge, lorsqu'il a l'invention facile, l'imagination vive, le jugement mûr, & que toutes ses facultés sont dans toute leur vigueur & leur maturité. (D.J.)


GÉOSCOPIES. f. (Divinat.) sorte de connoissance que l'on tire de la nature & des qualités de la terre en les observant & en les considérant. Voyez SOL. Ce mot vient de , terre, & de , je considere.

La géoscopie, considérée comme un moyen de divination, est une chimere ; mais considérée comme connoissance des qualités de la terre, c'est une science qui peut être très-utile.


GEOSTATIQUES. f. (Méchan.) est la même chose que statique qui est aujourd'hui plus usité. Voyez STATIQUE. Ce mot signifie la partie de la méchanique qui traite des lois de l'équilibre des corps solides ; on l'appelloit autrefois ainsi de , terre, & de , sto, je suis en repos. Par cette dénomination on la distinguoit de l'hydrostatique qui traite de l'équilibre des fluides, & qui vient de , eau, & de , sto. Voyez HYDROSTATIQUE. Ainsi on représentoit les solides en général par la terre, & les fluides par l'eau ; le mot d'hydrostatique est resté, & le mot de géostatique comme plus impropre a été changé en celui de statique. (O)


GEPIDES(LES), s. m. pl. Géog. anc. ancien peuple du nombre des barbares qui se jetterent sur les provinces romaines dans le tems de la décadence de l'empire. Jornandes dit qu'ils habitoient une île entourée de marais que formoit la riviere de Viscla (Vistule), & qu'ils l'abandonnerent de concert avec les Goths, pour chercher un meilleur pays. Sous l'empire de Justinien on les trouve en Hongrie, auprès de Sirmich, selon Procope. Ils firent assez bonne contenance jusqu'au regne d'Alboin, roi des Lombards ; mais ce dernier les vainquit, sans qu'ils ayent pû jamais se relever ; & ceux qui ne périrent pas dans la bataille, resterent sous le joug que leur imposerent les Huns qui s'étoient emparés de leur pays. (D.J.)


GEPPING(Géog.) petite ville impériale d'Allemagne dans la Soüabe, sur la riviere de Wits, à 12 lieues E. de Stutgard, 9 S. O. de Gemund, 9 N. O. d'Ulm. Long. 33. 20. lat. 48. 24. (D.J.)


GÉRA(Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de la haute Saxe, dans la Misnie, sur l'Elster. Les Bohémiens la ravagerent en 1449. Long. 29. 55. lat. 50. 51. (D.J.)


GERANITES. f. (Hist. nat.) nom donné par les anciens aux agates & autres pierres dans lesquelles on voyoit des taches rondes, que l'on croyoit ressembler par la couleur à des yeux de grue. Boëtius de Boot.


GERANIUMS. m. (Botan.) genre de plante des plus étendus, dont voici les caracteres, selon la méthode de Ray.

Ses feuilles sont pour la plûpart opposées deux à deux : son calice est divisé en cinq parties qui s'étendent en forme d'étoiles : sa fleur en Europe est disposée en rose, & composée de cinq pétales, mais en Afrique elle n'en a souvent que quatre ; elle est en casque, & munie de cinq étamines qui embrassent la base de l'ovaire : son fruit est fait en aiguille, & divisé à sa base en cinq loges, dont chacune renferme une semence à queue, & produit un long tuyau. Ces cinq loges venant à s'unir, paroissent représenter, avec l'ovaire, la tête d'une cigogne ou d'une grue ; c'est pourquoi les François donnent à ce genre de plante le nom de bec de grue, ainsi que les Anglois, qui l'appellent craneus-bill. La graine de cette plante est jettée dehors, quand elle est mûre, par le recoquillement du bec des capsules.

Tournefort compte soixante-dix-huit especes de geranium, & Miller en nomme au-moins quarante qui sont cultivées en Angleterre dans les jardins des curieux. De ce nombre, il y en a plusieurs qui le méritent par la beauté de leurs fleurs ; telles sont le geranium annuel, à larges feuilles & à fleurs bleues ; le geranium à petites feuilles, & à grandes fleurs purpurines ; le geranium d'Afrique, à feuilles d'oeillet, & à fleurs d'écarlate : le geranium africain, qui s'éleve en buisson, & qui est à feuilles de mauve, & à fleurs d'un rouge de carmin. D'autres especes de geranium, outre la beauté de leurs fleurs, répandent, après le coucher du soleil, une odeur qui embaume l'air.

Miller vous enseignera la culture de toutes les especes de geranium dont il fait mention. Il ne nous est pas possible d'entrer dans ce détail : nous remarquerons seulement que les especes sauvages de geranium, & celles des climats froids, s'élevent sans peine ; mais les especes de geranium d'Afrique, & toutes celles qui viennent des climats chauds, demandent bien des soins pour leur entretien & leur multiplication : il est vrai qu'on en est dédommagé par la belle figure qu'elles font dans nos serres.

Entre les especes utiles de geranium, citées par Tournefort, il y en a trois principales qui sont devenues avec raison d'un grand usage en Medecine ; savoir, 1°. le geranium colombinum des boutiques, en françois pié de pigeon ou bec de grue (voyez BEC DE GRUE) ; 2°. le geranium robertianum, offic. en françois herbe à Robert (voyez HERBE A ROBERT) ; 3°. le geranium sanguineum, offic. en françois geranium sanguin, qu'on va décrire dans l'article suivant. (D.J.)

GERANIUM SANGUIN, (Botan. & Mat. méd.) Le geranium ou bec de grue sanguin, à grande fleur, est d'abord remarquable par une racine épaisse, rouge, garnie de plusieurs longues appendices, & de quelques fibres ; elle pousse tous les ans de nouvelles racines, qui non-seulement jettent des fibres de la même maniere, mais encore d'autres racines grosses & fermes : ses tiges sont nombreuses, hautes d'une coudée, rougeâtres, velues, noüeuses, partagées en plusieurs branches.

De chaque noeud naissent deux feuilles arrondies, divisées néanmoins en cinq lanieres, & le plus souvent en trois lobes, découpées presque jusqu'à la queue ; elles sont velues, vertes au-dessus, blanchâtres en-dessous, d'une saveur astringente & stiptique.

Il sort de l'extrémité des branches un pédicule oblong, qui porte une fleur plus grande que celles des autres geranium, presque semblable à celle du cyste mâle ; d'une belle couleur rouge, composée de cinq pétales & de dix étamines, portées les unes & les autres sur un calice. Ce calice est composé de cinq petites feuilles garnies de nervûres, velues & verdâtres.

Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits en forme de bec à cinq angles, chargés à leur base de capsules renflées, contenant des graines qui s'échappent quand elles sont mûres : alors leurs capsules se roulent & se recoquillent de la base à la pointe du fruit.

Le geranium sanguin se trouve souvent dans les forêts & les buissons : on le cultive chez les curieux dans les jardins de Botanique. Les Medecins le substituent au bec de grue ordinaire, ou à celui qu'on nomme herbe à Robert. Ses feuilles s'employent dans les décoctions & les bouillons vulnéraires astringens ; elles sont stiptiques & un peu salées ; elles donnent, de même que l'alun, une vive couleur rouge au papier bleu ; c'est pourquoi l'on présume que leur vertu vulnéraire dépend sur-tout d'un sel alumineux mêlé avec beaucoup de soufre & de terre, & avec un peu de sel concret. En général, tous les geranium contiennent les mêmes principes, ce qui fait qu'on les met au rang des plantes astringentes. (D.J.)


GERARDES. f. gerardia (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Jean Gerard, chirurgien anglois. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite en forme de masque, dont la levre supérieure est relevée, arrondie & échancrée, & la levre inférieure divisée en trois parties ; celle du milieu est partagée en deux. Il s'éleve du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit oblong, gonflé, & divisé par une cloison en deux loges remplies de semences rondes. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


GERARMER(Géog.) lac & village considérable des Vôges, dans le bailliage de Remiremont en Lorraine. On y fait un grand commerce de fromages, connus sous le nom de giraumés.


GERAW(LE) Geravia, Géogr. petit pays d'Allemagne au cercle du haut Rhin, ainsi nommé du bourg de Geraw ; mais sa capitale est Darmstadt, sujette au prince de Hesse-Darmstadt, ce qui fait que ce petit pays en a pris aujourd'hui le nom. (D.J.)


GERBADÉCAN(Géog.) ville d'Asie en Perse, dans le Couhestan. Les géographes orientaux lui donnent 85d. 25'. de longitude, & 34d. de latitude (D.J.)


GERBES. f. (Econ. rustiq.) On coupe le blé par poignée ; la poignée s'appelle une javelle. On laisse sécher la javelle sur terre, ensuite on la met en gerbe. Il faut sept ou huit javelles pour former une gerbe ; ainsi la gerbe est un fardeau de blé de sept à huit javelles, liées ensemble avec le feurre de seigle. On amoncelle les gerbes par dizaux ; & la dixme & le champart étant levés, on les charrie à la grange. Voyez JAVELLE, DIXME, AMPARTPART.

GERBE, (offrande de la) ou des prémices chez les anciens Hébreux. Le lendemain de la fête de Pâque, on apportoit au temple une gerbe, comme les prémices de la moisson des orges, & voici les cérémonies qui s'y observoient. Le quinzieme de Nisan, au soir, lorsque la fête du premier jour de la Pâque étoit passée, & que le second jour qui étoit jour ouvrable, étoit commencé, la maison du jugement députoit trois hommes pour aller en solennité cueillir la gerbe d'orge. Les villes des environs s'assembloient pour voir la cérémonie. L'orge se cueilloit dans le territoire de Jérusalem. Les députés demandoient par trois fois si le soleil étoit couché, & on leur répondoit trois fois qu'il l'étoit ; ensuite ils demandoient trois fois la permission de couper la gerbe, & trois fois on la leur accordoit. Ils la moissonnoient dans trois champs divers avec trois faucilles différentes, & on mettoit les épis dans trois cassettes, pour les apporter au temple.

Lorsque la gerbe, ou, si l'on veut, les trois gerbes étoient au temple, on les battoit dans le parvis ; & du grain qui en résultoit, on en prenoit un plein gomor, c'est-à-dire environ trois pintes, après l'avoir bien vanné, bien rôti & concassé. On répandoit par-dessus un log d'huile, c'est-à-dire un demi-septier, un poisson & un peu plus. On y ajoûtoit une poignée d'encens ; & le prêtre qui recevoit cette offrande, l'agitoit devant le Seigneur, vers les quatre parties du monde, en forme de croix. Il en jettoit une partie sur l'autel, & le reste étoit à lui. Après cela chacun pouvoit commencer sa moisson. Voyez OFFRANDES. Calmet, dictionn. de la Bible. (G)

GERBE, en terme d'Artificier, se dit d'un grouppe de plusieurs fusées qui sortent en même tems d'un pot ou d'une caisse, & par leur expansion représentent une gerbe de blé.

GERBE, (Hydraul.) est un faisceau de plusieurs ajutages soudés sur la même platine. Il y en a qui ne sont qu'un compartiment de plusieurs fentes faites en portions de couronne ou en parallélogrammes, percées suivant la ligne d'une zone, ou de trous ronds, qui sont fort sujets à se boucher. Pour connoître la dépense de ces gerbes, & la maniere de les calculer, voyez le traité d'Hydraulique qui est à la fin de la théorie & pratique du Jardinage, pag. 398. édit. 1747. Paris. (K)

GERBE DE BLE, en termes de Blason, c'est la représentation d'une gerbe en blé ou de tout autre grain, que l'on porte quelquefois sur l'écu des armoiries pour signifier le mois d'Août ; comme une grappe de raisin représente l'automne.

Il porte d'azur à une gerbe d'or ; ce sont les armes de Grosvenors d'Eton en Cheshire.


GERBER DU VINterme de Tonnelier ; c'est amonceler les pieces les unes sur les autres dans une cave ou dans un cellier. On ne gerbe le vin que quand il n'y a point de place pour le mettre sur les chantiers.


GERBEROYGerboredum ou Gerborecum, (Géog.) petite ville de France dans le Beauvoisis, située sur une haute montagne, au pié de laquelle coule le Térin. Elle a un chapitre qui consiste en treize prébendes, & un vidame, dont joüissent les évêques de Beauvais. Voyez l'abbé de Longuerue, dans sa description de la France. C'est à Gerberoy que fut signé le traité de paix en 948, entre Richard-sans-peur duc de Normandie, & Louis IV. dit d'Outre-mer roi de France. Cette ville est à quatre lieues de Beauvais, vingt nord-oüest de Paris. Long. 19. 22. lat. 49. 35. (D.J.)


GERBES(ISLE DE) Géog. L'île de Gerbes, autrement Zerbi, est une petite île d'Afrique au royaume de Tunis, sur la côte de Barbarie, dans la Méditerranée ; elle ne rapporte que de l'orge en fait de grains, mais elle produit beaucoup de figues, d'olives, & quantité de raisins, que les habitans font sécher pour en trafiquer. C'est sur la côte de cette île qu'on trouve le Lothus, dont le fruit a, dit-on, un goût si délicieux dans sa maturité, que les Poëtes feignirent qu'Ulysse & ses compagnons, ayant été jettés dans cet endroit par la tempête, & ayant mangé de cet excellent fruit, perdirent entierement le desir de retourner dans leur patrie. Les Grecs en l'honneur de ce fruit nommerent Lothophages les habitans de cette île. Elle dépend du pacha de Tripoli depuis que les Turcs en ont chassé les ducs d'Albe & de Medinacéli. Long. 29. 5. lat. 32. 10. (D.J.)


GÉRERESS. f. pl. (Hist. anc.) on appelloit ainsi les femmes de condition commune qui assistoient à Athenes la reine des sacrifices dans ses fonctions sacrées ; elles étoient au nombre de quatorze.


GERFAUTS. m. gyrfalco, (Hist. nat. Ornith.) oiseau du genre des faucons ; il tient du vautour, c'est pourquoi les Allemands ont ajoûté à son nom de faucon celui de gyr, qui signifie un vautour dans leur langue, d'où vient le nom gerfaut. On distingue aisément cet oiseau de tous les autres faucons, par sa grandeur qui est égale à celle de l'aigle ; il a encore plusieurs autres caracteres particuliers. Le sommet de la tête est plat ; le bec, les jambes & les piés sont bleus. Le gerfaut a les plumes blanches sur tout le corps ; mais celles du dos & des aîles ont une tache noire en forme de coeur. La queue est courte & a des bandes transversales noires. La gorge, la poitrine & le ventre sont blancs. Raii, syn. avium. Voyez FAUCON. (I)


GERGEAU(Géog.) Voyez JARGEAU.


GERGENTIAgrigentinum, (Géog.) ville d'Italie dans la Sicile, avec un château qui la défend du seul côté où elle soit accessible, & un évêché suffragant de Palerme, à trois milles de la mer. Elle est dans la vallée de Mazara, vingt-quatre lieues sud-oüest de Mazara, vingt sud-est de Palerme. Long. 31. 21. lat. 47. 23.

Elle a pris son nom de la ville d'Agrigente, des ruines de laquelle elle s'est formée, quoiqu'elle ne soit pas précisément sur le même terrein. Voy. AGRIGENTE au supplém. de l'Encyclopédie ; car on ne négligera rien pour perfectionner cet Ouvrage. (D.J.)


GERGOVIA(Géog. anc.) César est le seul des anciens qui ait parlé de Gergovia. Elle a eu le même sort de plusieurs autres villes considérables dont on cherche la position. Cette capitale des Auvergnats, qui osoient s'appeller les freres & les émules des Romains, cette place qui vit échoüer devant ses murailles la fortune du vainqueur de Pompée, paroît avoir disparu. On ignore où elle étoit située ; & l'opinion générale qui met cette ville sur la montagne appellé le Puy-de-Mardogne, à une lieue de Clermont en Auvergne, souffre les plus fortes difficultés.

Il semble par les commentaires de César, qu'il y avoit une autre Gergovia dans le pays des Boyens ; mais cette seconde ville est encore moins connue que la précédente, quoique l'opinion commune la place vers Moulins dans le Bourbonnois. Voyez les mémoires de l'académie des Belles-Lettres, où vous trouverez une dissertation de M. Lancelot à ce sujet. (D.J.)


GERISS. f. (Myth.) nom d'une divinité qu'Hésychius croit être la même que Cerès ou la Terre.


GERMAINadj. (Jurisprud.) est une qualité que l'on donne à certains parens, & qui a deux significations différentes.

On dit freres & soeurs germains, pour exprimer ceux qui sont conjoints des deux côtés, c'est-à-dire qui sont procréés des mêmes pere & mere.

On appelle cousins-germains, les enfans des deux freres, ou des deux soeurs, ou d'un frere & d'une soeur.

Cousins issus de germain, sont ceux qui sont éloignés d'un degré de plus que les cousins-germains. Voyez FRERES & COUSINS. (A)

GERMAIN-EN-LAYE, (Saint-) Géog. petite ville de l'île de France, avec une maison royale, embellie par plusieurs de nos rois. C'est un des plus beaux séjours de France par sa position, sa forêt & ses jardins. Elle est à quatre lieues de Paris sur la Seine. Long. 19. 40. lat. 48. 52.

Marguerite de France, fille de François premier, naquit à Saint-Germain-en-Laye le 5 Juin 1523, & se fit une gloire immortelle par sa beauté, par son savoir & par ses vertus. Ses sujets la nommoient la mere des peuples.

Henri II. né dans le même château le 31 Mai 1518, & mort à Paris le 10 Juillet 1559, d'un coup de lance que lui donna Montgomeri dans un tournois, persécuta les Calvinistes de son royaume, soûtint ceux d'Allemagne, fit alliance avec les Suisses, qui s'y prêterent avec peine, & fut soûmis dès le commencement de son regne aux volontés de la duchesse de Valentinois, qui se rendit maîtresse de son coeur & de son esprit, quoiqu'elle fût âgée de quarante-sept ans.

Charles IX. naquit aussi à Saint-Germain-en-Laye le 27 Juin 1550. Son regne fut rempli de meurtres & d'horreurs ; il s'avoüa l'auteur de la Saint-Barthélemy, & sa devise étoit deux colonnes avec ces mots, pietate & justitiâ.

Louis XIV. vit le jour dans le même lieu le 5 Septembre 1638, après vingt-trois ans de stérilité de la reine sa mere ; phénomene aussi singulier que la longueur de son regne. (D.J.)

GERMAIN-LAVAL, (Saint-) Géog. ville de France dans le Forès, avec une châtellenie royale : elle est dans un terrein fécond en bons vins, à quatre-vingt-onze lieues sud-est de Paris. Long. 21. 31. 42. lat. 45. 49. 57. (D.J.)


GERMANDRÉES. f. chamaedris, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale labiée, dont les étamines occupent la place de la levre supérieure ; l'inférieure est divisée en cinq parties, dont celle du milieu est plus grande que les autres, courbée en forme de cuillier, & fourchue dans quelques especes. Il sort du calice un pistil qui passe dans la partie postérieure de la fleur, & qui est entouré de quatre embryons. Ces embryons deviennent autant de semences arrondies, & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Les fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, & ont un calice en forme de tuyau. Tournefort, inst. rei herbar. Voyez PLANTE. (I)

Les Botanistes comptent une vingtaine d'especes de germandrée, entre lesquelles il suffira de décrire la principale, nommée chamaedris minor, repens, par C. Bauh. pag. 148. Hist. oxon. 3. 422. Tourn. inst. 205. Boerh. ind. a. 182.

Ses racines sont fibreuses, fort traçantes, & jettent de tous côtés des tiges couchées sur terre, quadrangulaires, branchues, longues de neuf à dix pouces, & velues. Sur les tiges naissent des feuilles conjugées & opposées, d'un verd gai, longues d'un demi-pouce, larges de quelques lignes, étroites à leur base, crenelées depuis leur milieu jusqu'à leur extrémité, ameres, & un peu aromatiques.

Ses fleurs naissent des aisselles des feuilles ; elles sont d'une seule piece en gueule & purpurines ; elles n'ont point de levre supérieure, mais elles portent à la place des étamines recourbées, un pistil fourchu : la levre inférieure, outre sa partie supérieure qui se termine en deux appendices aiguës, est à trois lobes.

Le calice est d'une seule piece en cornet, partagé en cinq parties, & contient quatre graines sphéroïdes, & formées de la base du pistil.

On cultive en Angleterre par curiosité quelques especes de germandrée ; sur quoi nous renvoyons à Miller.

Nous renvoyons de même le lecteur à M. de Reaumur, au sujet des galles de la germandrée. Nous remarquerons seulement que tandis que les galles des autres plantes sont produites sur les feuilles, celles de la germandrée le sont sur la fleur ; & pour surcroît de singularité, par une punaise, le seul insecte connu de sa classe, qui se forme & croisse dans ces sortes de tubercules monstrueux. Cet insecte est niché en naissant dans la fleur toute jaune du chamaedris, & il la suce avec sa trompe. La fleur sucée croît beaucoup sans pouvoir s'ouvrir ; parce que sa levre qui devroit se dégager du calice fait par les autres pétales, y reste retenue à cause qu'elle a pris trop de volume, & la petite nymphe de punaise y conserve son logement clos. (D.J.)

GERMANDREE ou PETIT CHENE, (Mat. med.) cette plante doit être rangée dans la classe des amers aromatiques, & être regardée par conséquent comme tonique, stomachique, fortifiante, apéritive, vermifuge & emménagogue. L'expérience confirme toutes ces propriétés. On la prescrit très-utilement dans les obstructions des visceres, la jaunisse, la suppression des regles, & l'hydropisie commençante.

La germandrée passe pour spécifique contre la goutte. J'ai connu un vieux medecin qui avoit été sujet de bonne-heure à cette maladie, & qui prenoit de l'infusion de germandrée tous les matins à jeun depuis quarante ans, dans la vûe d'en éloigner au-moins & d'en modérer les accès, & à qui l'usage de ce remede avoit réussi parfaitement.

Elle a été vantée aussi contre les écroüelles, le scorbut & les fievres rebelles.

On ordonne les sommités de cette plante en infusion dans de l'eau, par pincées, à la façon de thé ; on les fait macérer aussi dans du vin blanc ; c'est de ce dernier dissolvant dont on se sert quand on veut employer la germandrée contre la suppression des regles. On peut employer dans ce cas jusqu'à deux poignées de feuilles & de sommités par pinte de vin. Cette teinture que l'on donne par cuillerée, est peu inférieure au vin d'absynthe. Voyez ABSYNTHE.

On fait un extrait de feuilles de germandrée, qu'on ordonne depuis un gros jusqu'à deux dans les cas exposés ci-dessus.

Cette plante entre dans les préparations suivantes de la pharmacopée de Paris ; savoir le sirop d'armoise composé, l'orviétan, l'eau générale, la thériaque, l'hiere de coloquinte, l'huile de scorpion composée, & la poudre arthritique amere. (b)

GERMANDREE D'EAU, (Pharm. & Mat. med.) cette plante possede à-peu-près les mêmes vertus que le petit chêne ; elle en differe seulement en ce qu'elle est un peu moins amere & un peu plus aromatique. Les usages magistraux des feuilles & des fleurs de celle-ci, sont les mêmes que celles des sommités & des feuilles du petit chêne.

C'est du nom grec de cette plante que tire le sien le fameux antidote de Fracastor, appellé diascordium. Voyez DIASCORDIUM.

La germandrée d'eau entre dans un très-grand nombre de compositions officinales : on en prépare une eau distillée, une teinture avec l'esprit-de-vin, un extrait & un sirop simple : tous ces remedes sont presque absolument inusités parmi nous. Au reste cette plante est plus connue sous le nom de scordium que sous celui-ci. (b)


GERMANICOPOLIS(Géog. anc.) il y avoit trois villes en Asie ainsi nommées, qu'il ne faut pas confondre ensemble. Celle dont Pline parle, l. III. chap. xxxij. étoit au couchant de la Bithynie & aux confins de l'Hellespont. La seconde, dont Ammien Marcellin fait mention liv. XXVII. chap. jx. étoit dans l'Isaurie, bien loin de la premiere, vers le midi. La troisieme, que Justinien nomme dans ses novelles (novelle 29. chap. j.), étoit dans la Paphlagonie propre, au levant de la Bithynie ; & cette troisieme étoit épiscopale. (D.J.)


GERMANIES. f. (Géog. hist.) ce nom a été commun à la Germanie proprement dite, & à une partie de la Gaule belgique. La Germanie proprement dite a été aussi nommée la Grande-Germanie, la Germanie transrhénane. La Germanie belgique se nommoit autrement Germanie cisrhénane.

La Grande-Germanie dont il s'agit ici, étoit un vaste pays de l'Europe au centre de cette partie du monde, autrefois habité par divers peuples, auxquels le nom de Germains étoit commun. Ce pays n'a pas toûjours eu les mêmes bornes, & les anciens géographes lui ont donné successivement plus ou moins d'étendue. Mais l'on peut dire en général que la Germanie comprenoit tout le pays renfermé entre la Vistule, le Danube, le Rhin & l'Océan septentrional ; qu'elle faisoit la portion la plus grande de l'ancienne Celtique, & avoit au-moins deux fois plus d'étendue que l'Allemagne d'aujourd'hui.

Pline, un de ceux qui a tâché de s'instruire le plus exactement de la Germanie, renferme tous les peuples qui l'habitoient sous cinq grandes nations, qu'il nomme les Istaevons, les Hermions, les Vindiles, les Ingaevons, & les Peucins. Les Istaevons, selon lui, étoient au midi occidental, s'étendant entre le Rhin & l'Elbe, depuis la mer de Germanie jusqu'aux sources du Danube. Les Hermions étoient au midi oriental, depuis le Danube jusqu'à la Vindilie. Les Vindiles occupoient toute la côte de la mer Baltique, & la Chersonese cimbrique. Les Ingaevons habitoient la Scandie & la Finningie. Les Peucins occupoient la Sarmatie européenne jusqu'au Tanaïs, au Palus-Méotide, & au Pont-Euxin. Nous ne savons rien de plus de toutes ces grandes nations ; la suite de ce discours le prouvera.

Les Romains ayant trouvé leur compte à conquérir la Grece & l'Italie, où il y avoit d'immenses richesses, détournerent leur attention du pays des Germains, peuples qui ne possédoient aucun héritage en particulier, n'avoient aucune demeure fixe pendant deux ans de suite, s'occupoient à la chasse, vivoient de lait & de la chair de leurs troupeaux, plutôt que de pain. L'avidité romaine ne fut point tentée de s'avancer dans un pays si misérable, d'un accès très-difficile, arrosé de fleuves & de rivieres, & tout couvert de bois ou de marais. Ils n'y pénétrerent point comme ils avoient fait en Asie ; & craignant ces peuples redoutables, ils se contenterent de s'emparer d'une lisiere de la Germanie, seulement par rapport à la Gaule, & autant que le voisinage les engageoit nécessairement à cette guerre. Une ou deux victoires sur les bords du pays, acquéroient le nom de germanique au général qui les avoit remportées.

Nous devons à César la premiere description des Germains. Il en parle beaucoup dans ses commentaires, lib. IV. de bello gallico, cap. j. ij. iij. & quoiqu'il ne nomme que les Sueves, qui étoient les plus puissans & les plus belliqueux, il y a sujet de croire que la description qu'il fait de leurs moeurs, convenoit à tous les Germains, & même à tous les Celtes, c'est-à-dire aux plus anciens habitans de l'Europe ; car ces moeurs simples, guerrieres & féroces qu'il dépeint, ont été générales ; il est seulement arrivé que les Germains les conserverent plus longtems que les Gaulois & les Italiens. Le même auteur observe que les Sueves aimoient à être entourés de vastes solitudes. On remarque encore la même chose chez les Polonois & les Russes, dont les pays sont bornés par des régions incultes du côté de la Tartarie.

Après la description que nous a donné César de la Germanie, nous avons eu celle de Strabon, qui a vécu sous Auguste & sous Tibere : mais il suffit de le lire pour se convaincre qu'alors les Romains ne connoissoient de la Germanie, même imparfaitement, que ce qui est en-deçà de l'Elbe : les Romains, dit-il, nous ont ouvert la partie occidentale de l'Europe jusqu'à l'Elbe, qui coupe la Germanie par le milieu ; & ce qui est au-delà de l'Elbe, poursuit-il, nous est entierement inconnu.

Le tableau que Pomponius Mela a tracé de la Germanie, prouve que l'on n'en connoissoit guere davantage sous l'empereur Claude. Les Romains n'étoient pas plus éclairés sous Néron : on peut juger de leur ignorance à cet égard par le faux portrait que fait Séneque des Germains ; ils ont, dit-il, un ciel triste, une terre stérile, un hyver perpétuel, &c.

Cependant on eût pu acquérir tous les jours à Rome de nouvelles connoissances des Germains, si les Romains les eussent subjugués. On sait que c'étoit l'usage d'exposer aux yeux du public dans les portiques de Rome, des représentations des pays vaincus. Euménide le rhéteur qui vivoit sous Dioclétien, nous le confirme en ces mots : " La jeunesse peut, dit-il, voir tous les jours, & considérer attentivement toutes les terres & toutes les mers subjuguées par la valeur ou par la terreur. Vous savez vous-même, poursuit-il en s'adressant au président des Gaules, qu'afin d'instruire les jeunes gens, & pour que leurs yeux voyent plus clairement ce que leurs oreilles ne leur apprendroient qu'avec difficulté, on leur montre la situation des lieux, avec leurs noms, leurs distances, les sources des fleuves, leurs cours, leurs embouchures, les sinuosités des rivages, la maniere dont la mer côtoye la terre, ou y forme des golfes : on y trace les belles actions des grands capitaines en divers pays, & on a recours à ces tableaux lorsqu'il arrive la nouvelle de quelques nouveaux avantages : on y voit les fleuves de la Perse, les sables brûlans de la Lybie, les bouches du Nil, & les cornes du Rhein ". Remarquez qu'il ne dit pas qu'on y voyoit le Weser, l'Oder, le Danube, la Vistule, &c.

Pline dont les recherches intéressantes ne connurent de bornes en aucun genre, acquit sans-doute des lumieres plus sûres & plus étendues de la Germanie, que tous ceux qui l'avoient précédé. Il servit sur la lisiere de ce pays, & écrivit en vingt livres les guerres des Romains contre les Germains : mais cet ouvrage précieux s'est perdu : & nous n'avons fait que profiter de quelques généralités géographiques à ce sujet, qu'il a insérées dans son histoire naturelle, & qu'il expose même suivant sa coûtume avec beaucoup de reserve.

Tacite, ami & contemporain de Pline, fit à son tour un livre des moeurs des Germains qui est entre les mains de tout le monde, & qui renferme mille choses curieuses de la Germanie. Comme procurateur de la Belgique sous Vespasien, il fut plus à-portée que personne de s'informer du pays qu'il se proposoit de décrire, & des peuples qui l'habitoient : mais ainsi que Pline, il ne parla que d'après le rapport d'autrui, & ne mit jamais le pié dans la Germanie transrhénane.

Enfin Ptolomée donna une description de la Germanie beaucoup plus complete & plus détaillée, que celle de tous ses prédécesseurs ; & c'est aussi la description qui a été reçue par presque tous les Géographes qui l'ont suivi. Il rencontre juste en tant de choses, qu'il doit l'avoir faite cette description sur d'excellens mémoires dressés avant lui, & vraisemblablement après avoir consulté toutes les cartes qu'on avoit de ce pays-là dès le tems d'Auguste, & les tables dont j'ai parlé ci-dessus, qui étoient exposées dans les portiques de Rome. Cependant Ptolomée se trompe souvent ; il ne parle que d'après des mémoires anciens, & pour tout dire, il n'a pas été plus heureux que les autres ; il n'a pas vû les lieux dont il parle ; aussi pourroit-il décrire la Germanie, non telle qu'elle étoit de son tems, mais telle qu'elle avoit été autrefois. En effet, il met les Lombards sur la rive gauche de l'Elbe, & l'on sait que sous Tibere, ils avoient été reculés au-delà de ce fleuve ; il met les Sicambres dans la Germanie propre, & Tacite dit formellement, qu'ils avoient déjà été transportés dans les Gaules. Enfin, & c'est une autre observation importante, il place plusieurs villes dans la grande Germanie, quoiqu'il soit démontré que de son tems, il n'y en avoit pas une, non plus que du tems de Tacite. Ce dernier dit expressement que les peuples de Germanie n'avoient aucune ville, étoient sans usage de la mâçonnerie & des tuiles, ne souffroient pas que les maisons fussent jointes l'une à l'autre, & se creusoient pour habitations des cavernes soûterreines, afin de s'y mettre à l'abri durant l'hyver. Concluons qu'aucun géographe ne nous a donné d'exactes descriptions de la véritable Germanie, par cette grande raison, que les Romains n'y pénétrerent jamais.

Mais comme ils ne purent la subjuguer, ils prirent le parti de se faire une nouvelle Germanie en-deçà du Rhin, aux dépens de la Belgique. Suétone dans la vie de Tibere, remarque que ce prince n'étant encore que gendre d'Auguste, pendant la guerre contre les Germains, en transporta dans la Gaule quarante mille de ceux qui se rendirent à lui, & leur assigna des demeures le long du Rhin. Le même auteur dit qu'Auguste voyant que les Sueves & les Sicambres se soûmettoient à ses armes, les fit passer dans la Gaule, & les établit pareillement dans des terres voisines du Rhin. C'en fut assez pour donner lieu aux Romains de nommer Germanie, un canton de la Gaule ; c'étoit en effet le seul canton voisin de la grande Germanie, qu'ils eussent véritablement conquis ; car Varus qui s'avança un peu trop dans le pays que nous appellons aujourd'hui la Westphalie, y périt avec son armée. Les Eubiens qui étoient d'abord au-delà du Rhin, furent si odieux aux autres peuples de la Germanie, pour avoir reçû le joug de Rome, qu'ils passerent de l'autre côté du fleuve.

Les armées romaines subjuguerent néanmoins quelques peuples, dont le pays étoit en partie au-delà du Rhin, comme les Németes qui étoient aux environs de Spire, les Vangions aux environs de Worms, & les Triboci aux environs de Mayence. Comme ces peuples étoient principalement & par rapport à leurs capitales, dans la Gaule & au couchant du Rhin ; on les rangea sous le gouvernement de la Gaule, & on les joignit à la Belgique, cela veut dire qu'on vit une partie de la Belgique jointe à une lisiere de la grande Germanie, porter le nom de Germanie ; & cette partie fut divisée en Germanie supérieure, & en Germanie inférieure. Voilà qui peut suffire, pour prouver que la Germanie n'a pas toûjours eû les mêmes bornes, ni les mêmes peuples dans son sein ; & c'est un fait qu'il ne faut jamais perdre de vûe.

Il seroit à-présent d'autant plus inutile de rechercher curieusement avec Spenerus, Melanchton, Rudbeck, ou Leibnitz, l'origine inconnue des noms Germains & Germanie, que ces noms mêmes ne furent pour ainsi dire plus en usage, après la chûte de l'empire romain. Les nations septentrionales se portant en flots vers le midi, produisirent des changemens étonnans dans ce vaste pays. Les Lombards resserrés d'abord aux environs de l'Elbe, passerent en Italie, où avec le tems ils se formerent un royaume. Les Sueves se jetterent sur les Gaules, & de-là dans l'Espagne, où ils érigerent une domination rivale de celle des Goths : ces derniers après avoir traversé la Germanie, occuperent une partie de la Gaule ; les Burgundions y fonderent le royaume de Bourgogne ; les Francs y avoient déjà le leur ; les Saxons qui étoient de l'autre côté de l'Elbe, s'avancerent jusque dans la Westphalie. Les Vandales après s'être étendus dans ce qu'on appelle aujourd'hui la haute & basse Saxe, firent des conquêtes en Espagne, & allerent périr en Afrique ; leur pays entre l'Elbe & la Wistule, fut la proie des Vendes ou Venetes, qui s'en emparerent, & se firent appeller Slaves, &c.

Cependant il ne faut pas imaginer que tous ces peuples abandonnassent à-la-fois leur patrie ; il n'en sortoit que les hommes, qui étant en état de porter les armes, vouloient avoir leur part du butin. Ceux-ci emmenoient avec eux une partie de leurs familles : ce qui restoit au pays, se trouvant réduit à un petit nombre, comparé à ce qu'il avoit été auparavant, devenoit aisément la proie d'un voisin qui ne s'étoit pas affoibli. Ainsi nous voyons les vastes pays que les Sueves avoient occupés, passer en d'autres mains, & le nom de Suévie, conservé à peine à un petit canton qui est aujourd'hui la Souabe, entierement obscurci par celui d'Allemagne, qui n'étoit d'abord que le nom d'une contrée fort petite.

Les Saxons entre l'Elbe & le Weser, où ils étoient encore au commencement du regne de Charlemagne, y avoient pris la place des Francs ; car nous avons remarqué qu'ils étoient d'abord de l'autre côté de l'Elbe ; mais les Francs s'étant avancés vers le midi, & s'étant de-là répandus dans la Gaule, où ils jetterent les fondemens du royaume de France, il en resta une partie au-delà du Rhin, & de-là vint la division de France occidentale, qui est la véritable France, & de France orientale, dont la Franconie a tiré son nom.

Alors il ne fut plus question du nom de Germains & de Germanie, sinon dans les ouvrages de quelques auteurs, qui les employoient en latin ; encore voit-on que les écrivains de ce tems-là préféroient les noms de Theddisci, Teutisci, & Teutones, à celui de Germains, qui paroissoit même déjà s'abolir entierement dès le tems de Procope, c'est-à-dire sous le regne de l'empereur Justinien. (D.J.)


GERMANO(SAINT-) Géog. petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour, au pié du Mont-Cassin. Elle appartient à l'abbé du Mont-Cassin. Long. 31 d. 28. lat. 41. 33. (D.J.)


GERMEGERMER, (Jardinage) se dit d'une graine qui est sortie de terre. Voyez GERMINATION.

GERME, (Economie animale) se dit par rapport à la génération, de l'embryon & de ses enveloppes, lorsqu'ils commencent à prendre accroissement. Ce terme est particulierement employé avec l'épithete faux, pour signifier une conception imparfaite, dans laquelle le placenta & ses dépendances prennent accroissement sans l'embryon, qui, par quelque cause particuliere, n'a jamais joüi de la vie, ou en a été bien-tôt privé ; ensorte qu'elle ne subsiste que par une sorte de végétation dans les organes qui viennent d'être mentionnés. Voyez FAUX GERME. (d)

GERME DE FEVE, (Manége) Voyez FEVE, FAUX MARQUE.


GERMERSHEIM(Géog.) vicus julius, petite ville d'Allemagne au Palatinat du Rhin, chef-lieu d'un bailliage de même nom, sujet à l'électeur palatin. Elle est près du Rhin, à 2 lieues O. de Philisbourg, & 3 S. E. de Landau, Long. 27. 2. latit. 49. 10. (D.J.)


GERMINATIONS. f. (Econom. rustiq.) est l'action que fait une graine de sortir de terre, ce qui s'appelle germer.

Il est vraisemblable que les principales parties de la germination des plantes sont contenues dans leurs semences : ces parties sont disposées à former des fibres propres à la filtration du suc nourricier qui y passe comme par des filieres ou des moules, qui forment ensuite les branches, les feuilles, les fleurs, les fruits, & enfin les semences.

On peut développer dans une graine qui germe, les parties similaires & les dissimilaires ; on les découvre dans une grosse féve de marais, ou dans une graine de lupin coupée en-travers.

Les parties similaires sont la cuticule, le parenchyme, & la racine séminale.

Les parties dissimilaires sont la racine, le tronc, les bourgeons, les feuilles, les fleurs & les fruits.

Toutes ces parties seront expliquées à leurs noms.

Malpighi & Grew sont les auteurs qui ont le mieux parlé de l'anatomie des plantes ; leurs découvertes ont détruit plusieurs réflexions de la Quintinie sur l'Agriculture.

Si l'on veut suivre Grew (Anat. des plantes, page 19 & suivantes) dans la végétation d'une graine, on trouvera qu'étant semée en terre, elle se partage en deux lobes & a trois parties essentielles ou organiques ; le corps qui est les lobes mêmes est la premiere ; la radicule qui forme la racine de la plante fait la seconde ; la troisieme est la plume, qui étant faite comme un petit bouquet de plumes ou de feuilles déjà formées, devient la tige de la plante ; elle s'enfle, ensuite elle se remplit d'une humeur qui fermente. Comme il se forme sous la pellicule un corps qui ne peut plus y être contenu, à cause de la substance que la terre lui fournit, la graine est forcée de grossir, de s'ouvrir, de pousser en haut une tige formée par le plus subtil de la seve, & de pousser par-en-bas des racines que produit ce qu'il y a de plus grossier dans la matiere. Ce suc ayant passé par trois peaux dont la cuticule est la troisieme, s'y purifie, s'y fermente, & entre dans le parenchyme, qui est une partie du véritable corps de la graine ; il prend ensuite sa derniere qualité dans les branches de la racine séminale, & devient très-propre à faire croître la radicule qui reçoit ce qui lui est nécessaire avant la plume qui pousse la derniere. Cette radicule reçoit ensuite de la terre un nouveau suc plus abondant qui se fermente avec l'autre, repousse peu-à-peu ce suc primitif, & l'oblige à prendre un mouvement contraire à celui qu'il avoit auparavant, & à retourner de la racine vers la plume, qui par ce moyen se nourrit & se déploye peu-à-peu ; ce suc nourrit encore les lobes, le parenchyme, & la racine séminale, de maniere que les lobes grossissent & sortent de la terre pour former les feuilles qui garantissent de la chaleur la plume lorsqu'elle est encore jeune, jusqu'à ce qu'elle ait formé une belle tige qui devient boiseuse, & pousse ensuite des bourgeons d'où partent des branches, des feuilles, des fleurs, des fruits, enfin d'autres graines qui en perpétuent l'espece. (K)


GERMOIRS. m. (Brasserie) c'est une cave ou sellier humide, dans lequel on met le grain moüillé, en couche pour germer. Voyez BRASSERIE.


GERNSHEIM(Géog.) petite ville d'Allemagne sur le Rhin, sujette au Landgrave de Darmstadt. Elle est à 4 lieues N. E. de Worms, & à autant S. O. de Darmstadt. Long. 26. 6. lat. 49. 44. (D.J.)


GEROESTIESadj. pris subst. (Mythol.) fêtes qui se célebroient au promontoire de Geroeste, dans l'île d'Eubée, en l'honneur de Neptune qui y avoit un temple fameux.


GÉRONDIFS. m. terme propre à la Grammaire latine. L'essence du verbe consiste à exprimer l'existence d'une modification dans un sujet (Voyez VERBE). Quand les besoins de l'énonciation exigent que l'on sépare du verbe la considération du sujet, l'existence de la modification s'exprime alors d'une maniere abstraite & tout-à-fait indépendante du sujet, qui est pourtant toûjours supposé par la nature même de la chose ; parce qu'une modification ne peut exister que dans un sujet. Cette maniere d'énoncer l'existence de la modification, est ce que l'on appelle dans le verbe mode infinitif. (Voyez MODE & INFINITIF.)

Dans cet état, le verbe est une sorte de nom, puisqu'il présente à l'esprit l'idée d'une modification existante, comme étant ou pouvant être le sujet d'autres modifications ; & il figure en effet dans le discours comme les noms : de-là ces façons de parler, dormir est un tems perdu ; dulce & decorum est pro patriâ mori : dormir, dans la premiere phrase, & mori, dans la seconde, sont des sujets dont on énonce quelque chose. Voyez NOM.

Dans les langues qui n'ont point de cas, cette espece de nom paroît sous la même forme dans toutes les occurrences. La langue greque elle-même qui admet les cas dans les autres noms, n'y a point assujetti ses infinitifs ; elle exprime les rapports à l'ordre de l'énonciation, ou par l'article qui se met avant l'infinitif au cas exigé par la syntaxe greque, ou par des prépositions conjointement avec le même article. Nous disons en françois avec un nom, le temps de dîner, pour le dîner, &c. & avec un verbe, le tems d'aller, pour aller, &c. de même les Grecs disent avec le nom, , & avec le verbe, .

Les Latins ont pris une route différente : ils ont donné à leurs infinitifs des inflexions analogues aux cas des noms ; & comme ils disent avec les noms, tempus prandii, ad prandium, ils disent avec les verbes, tempus eundi, ad eundum.

Ce sont ces inflexions de l'infinitif que l'on appelle gérondifs, en latin gerundia, peut-être parce qu'ils tiennent lieu de l'infinitif même, vicem gerunt. Ainsi il paroît que la véritable notion des gérondifs exige qu'on les regarde comme différens cas de l'infinitif même, comme des inflexions particulieres que l'usage de la langue latine a données à l'infinitif, pour exprimer certains points de vûe relatifs à l'ordre de l'énonciation ; ce qui produit en même tems de la variété dans le discours, parce qu'on n'est pas forcé de montrer à tout moment la terminaison propre de l'infinitif.

On distingue ordinairement trois gérondifs. Le premier a la même inflexion que le génitif des noms de la seconde déclinaison, scribendi : le second est terminé comme le datif ou l'ablatif, scribendo : & le troisieme a la même terminaison que le nominatif ou l'accusatif des noms neutres de cette déclinaison, scribendum. Cette analogie des terminaisons des gérondifs avec les cas des noms, est un premier préjugé en faveur de l'opinion que nous embrassons ici ; elle va acquérir un nouveau degré de vraisemblance, par l'examen de l'usage qu'on en fait dans la langue latine.

I. Le premier gérondif, celui qui a la terminaison du génitif, fait dans le discours la même fonction, la fonction de déterminer la signification vague d'un nom appellatif, exprimant le terme d'un rapport dont le nom appellatif énonce l'antécédent : tempus scribendi, rapport du temps à l'événement ; facilitas scribendi, rapport de la puissance à l'acte ; causa scribendi, rapport de la cause à l'effet. Dans ces trois phrases, scribendi détermine la signification des noms tempus, facilitas, causa, comme elle seroit déterminée par le génitif scriptionis, si l'on disoit, tempus scriptionis, facilitas scriptionis, causa scriptionis. Voyez GENITIF.

II. Le second gérondif, dont la terminaison est la même que celle du datif ou de l'ablatif, fait les fonctions tantôt de l'un & tantôt de l'autre de ces cas.

En premier lieu, ce gérondif fait dans le discours les fonctions du datif. Ainsi Pline, en parlant des différentes especes de papiers, (lib. XIII.) dit, emporetica inutilis scribendo, ce qui est la même chose que inutilis scriptioni, au moins quant à la construction : pareillement comme on dit, alicui rei operam dare, Plaute dit (Epidic. act. jv.), Epidicum quaerendo operam dabo.

En second lieu, ce même gérondif est fréquemment employé comme ablatif dans les meilleurs auteurs.

1°. On le trouve souvent joint à une préposition dont il est le complement : In quo isti nos jureconsulti impediunt, à discendoque deterrent. (Cic. de orat. l. II.) Tu quid cogites de transeundo in Epirum scire sanè velim, (id. ad Attic. lib. IX.) Sed ratio rectè scribendi juncta cum loquendo est, (Quintil. lib. I.) Heu senex, pro vapulando, herclè ego abs te mercedem petam ! (Plaut. aulul. Act. iij.) On voit dans tous ces exemples le gérondif servir de complément aux prépositions à, de, cum, & pro ; à discendo, comme à studio ; de transeundo, comme de transitu ; cum loquendo, de même que cum locutione ; pro vapulando, de même que pro verberibus.

2°. On trouve ce gérondif employé comme ablatif, à cause d'une préposition sous-entendue dont il est le complément. On lit dans Quintilien (lib. xj.), memoria excolendo augetur ; c'est la même chose que s'il avoit dit, memoria culturâ augetur. Or il est évident que la construction pleine exige que l'on supplée la préposition à ; memoria augetur à culturâ : on doit donc dire aussi, augetur ab excolendo.

3°. Enfin ce gérondif est employé aussi comme ablatif absolu, c'est-à-dire sans être dans la dépendance d'aucune préposition ni exprimée ni sous-entendue. Ceci mérite une attention particuliere, parce que plusieurs grammairiens célebres prétendent que tout ablatif suppose toûjours une préposition : M. du Marsais lui-même a défendu cette opinion dans l'Encyclopédie (voyez ABLATIF ABSOLU) ; mais nous osons avancer que c'est une erreur dans laquelle il n'est tombé que pour avoir perdu de vûe ses propres principes & les principes les plus certains.

Ce philosophe dit d'une part, que les cas sont les signes des rapports, & indiquent l'ordre successif par lequel seul les mots font un sens ; que les cas n'indiquent les sens que relativement à cet ordre ; & que c'est pour cela qu'il n'y a point de cas dans les langues dont la syntaxe suit cet ordre, ou ne s'en écarte que par des inversions légeres que l'esprit apperçoit & rétablit aisément. Voyez CAS. Il dit ailleurs, que ce n'est que par un usage arbitraire, que l'on donne au nom déterminant d'une préposition, la terminaison de l'accusatif, ou bien du génitif comme en grec ; parce qu'au fond ce n'est que la valeur du nom qui détermine le sens appellatif de la préposition ; mais que l'usage de la langue latine & de la greque donnant aux noms différentes terminaisons, il falloit bien qu'ils en prissent une à la suite de la préposition, & que l'usage a consacré arbitrairement l'une après telles prépositions & une autre après telles autres. Voyez ACCUSATIF. Cette doctrine est vraie & avouée de tout le monde : mais appliquons-la. La principale conséquence que nous devons en tirer, c'est qu'aucun cas n'a été institué pour servir de complément aux prépositions, parce que les cas & les prépositions expriment également des points de vûe, des rapports relatifs à l'ordre de l'énonciation, & qu'il y auroit un double emploi dans l'institution des cas uniquement destinés aux prépositions. D'ailleurs si l'on s'étoit avisé de destiner un cas à cet usage particulier, il semble qu'il y auroit eu quelque inconséquence à en employer d'autres dans les mêmes circonstances ; & l'on sait qu'il y a en latin un bien plus grand nombre de prépositions dont le complément se met à l'accusatif, qu'il n'y en a qui régissent l'ablatif.

On doit donc dire de la terminaison de l'ablatif à la suite d'une préposition, ce que M. du Marsais a dit de celle de l'accusatif en pareille occurrence ; que c'est pour obéir à un usage arbitraire, puisqu'on n'a besoin alors que de la valeur du mot ; & que cette terminaison spécialement propre à la langue latine, a une destination originelle, analogue à celle des autres cas, & également indépendante des prépositions. Essayons d'en faire la recherche.

On trouve quelquefois dans une période, des énonciations, des propositions partielles, qui n'ont souvent avec le principal qu'un rapport de tems ; & c'est communément un rapport de co-existence ou un rapport de pré-existence. Par exemple ; tandis que César Auguste régnoit, J. C. prit naissance : voilà deux propositions, César Auguste régnoit, & J. C. prit naissance ; il y a entre les deux faits qu'elles énoncent, un rapport de co-existence indiqué par tandis que, qui des deux propositions n'en fait qu'une seule. Autre exemple : quand les tems furent accomplis, Jesus-Christ prit naissance ; il y a encore ici deux propositions, les tems furent accomplis, & Jesus-Christ prit naissance ; la premiere a à la seconde un rapport de pré-existence qui est désigné par quand, & qui est le seul lien de ces deux énonciations partielles. On voit que ce rapport de l'énonciation circonstancielle à la proposition principale, peut s'exprimer par le secours des conjonctions périodiques ; mais leur emploi trop fréquent ne peut être que monotone : la monotonie augmente par la ressemblance des tours de la phrase circonstancielle & de la principale. Cette ressemblance d'ailleurs, en multipliant les propositions sous des formes pareilles, partage l'attention de l'esprit & le fatigue : enfin cette circonlocution ne peut qu'énerver le style & le faire languir. L'image de la pensée ne sauroit trop se rapprocher de l'unité indivisible de la pensée même ; & l'esprit voudroit qu'un mot tout-au-plus fût employé à l'expression de l'idée unique d'une circonstance. Mais si une langue n'est pas assez riche pour fournir à tout ce qu'exigeroit une si grande précision, elle doit du-moins y tendre par tous les moyens que son génie peut lui suggérer ; elle y tend en effet, indépendamment même de toute réflexion préalable : c'est vraisemblablement l'origine de l'ablatif latin.

Au lieu d'exprimer la conjonction périodique, & de mettre à un mode fini le verbe de la phrase circonstancielle, on employa le participe, mode essentiellement conjonctif, & propre en conséquence à faire disparoître la conjonction (Voyez PARTICIPE). Mais comme il a avec la nature du verbe la nature & la forme du simple adjectif, il ne peut qu'être en concordance de genre, de nombre, & de cas avec son sujet. Le sujet lui-même doit pourtant paroître sous quelque terminaison : au nominatif, on pourra le prendre pour le sujet de la proposition principale ; au génitif, il passera pour le déterminatif de quelque nom ; au datif, à l'accusatif, il donnera lieu à de pareilles méprises. Cependant le sujet de l'énonciation circonstancielle n'a réellement avec les mots de la proposition principale, aucun des rapports grammaticaux indiqués par les cas qui sont communs à la langue latine & à la langue greque. Il ne restoit donc qu'à instituer un cas particulier qui indiquât que le nom qui en seroit revêtu, n'a avec la proposition principale aucune relation grammaticale, quoique sujet d'une énonciation liée par un rapport de tems à cette phrase principale. C'est justement l'ablatif, dont l'étymologie semble s'accorder parfaitement avec cette destination : ablatif, d'ablatum, supin d'auferre, (ôter, enlever) ; ablatif qui sert à ôter, à enlever, comme nominatif, qui sert à nommer, datif, qui sert à donner ; c'est la signification commune à tous les termes scientifiques terminés en françois par if, & en latin par ivus. Cette terminaison pourroit bien avoir quelque liaison avec juvare, (aider, servir à). En effet l'ablatis, avec la destination que nous lui donnons ici, sert à enlever à la proposition principale un nom qu'on pourroit croire lui appartenir, s'il paroissoit sous une autre forme, & qui ne lui appartient pas effectivement, puisqu'il est le sujet d'une phrase circonstancielle qui n'a avec elle qu'un rapport de tems.

Si l'on n'avoit employé ce cas qu'à sa destination primitive, on ne le connoîtroit que sous le nom d'ablatif ; mais l'usage arbitraire de la langue latine l'ayant attaché accidentellement au service de quelques prépositions, quand on l'a trouvé employé à son usage naturel, & conséquemment sans préposition, on l'a appellé absolu, pour indiquer qu'il y est dégagé de tous les liens que la syntaxe peut imposer aux parties intégrantes de la proposition principale. Vouloir donc regarder tout ablatif comme le complément d'une préposition, c'est aller, ce semble, contre l'esprit de son institution & contre le génie de la langue latine ; c'est s'exposer souvent à des difficultés très-grandes, ou à des commentaires ridicules, parce que l'on court après ce qui n'existe pas ; c'est vouloir enfin accommoder cette langue à son système particulier, au lieu de construire son système d'après les principes usuels de cette langue.

En effet, c'est tellement pour la fin que nous indiquons, que l'ablatif a été d'abord institué, que quoique la phrase circonstancielle ait le même sujet que la principale, on trouve fréquemment dans les auteurs qu'il est mis à l'ablatif dans l'une, & au nominatif dans l'autre, contre la décision commune des méthodistes. C'est ainsi que Cicéron a dit : nobis vigilantibus, erimus profectò liberi.

C'est pour la même fin & dans le même sens que le gérondif en do est quelquefois employé comme ablatif absolu. Ainsi lorsque Virgile a dit (Aen. II.) quis, talia fando temperet à lachrymis ; c'est comme s'il avoit dit, quis, se aut alio quovis talia fante, temperet à lachrymis ? ou en employant la conjonction périodique, quis, dùm ipse aut alius quivis talia fatur, temperet à lachrymis ? Pareillement, lorsque Cicéron a dit, nobis vigilantibus, erimus profectò liberi, il auroit pû dire par le gérondif, vigilando, ou par la conjonction, dùm vigilabimus. Le choix raisonné entre ces expressions qui paroissent équivalentes, porte vraisemblablement sur des distinctions très-délicates : nous allons risquer nos conjectures. Virgile a dit, quis talia fando, par un tour qui n'assigne aucun sujet déterminé au verbe fari, parce qu'il est indifférent par qui se fasse le récit ; celui qui le fait & ceux qui l'écoutent, doivent également en être touchés jusqu'aux larmes : une traduction fidele doit conserver ce sens vague ; qui pourroit, au récit de tels malheurs, &c. Cicéron au contraire a dit, nobis vigilantibus, en assignant le sujet, parce que ce sont ceux-mêmes qui veulent être libres, qui doivent être vigilans ; & l'orateur a voulu le faire sentir.

III. Le troisieme gérondif qui est terminé en dum, est quelquefois au nominatif & quelquefois à l'accusatif.

1°. Il est employé au nominatif dans ce vers de Lucrece, (lib. I.)

Aeternas quoniam poenas in morte timendum.

dans ce passage de Cicéron, (de senect.) Tanquam aliquam viam longam confeceris, quam nobis quoque ingrediendum sit : dans cet autre du même auteur, (lib. VII. epist. 7.) Discessi ab eo bello, in quo aut in aliquas insidias incidendum, aut deveniendum in victoris manus, aut ad Jubam confugiendum : enfin dans ce texte de Tite-Live, (lib. XXXV.) Boii nocte saltum, quà transeundum erat Romanis, insederunt : & dans celui-ci de Plaute, (Epidic.) aliqua consilia reperiundum est.

2°. Il est employé à l'accusatif dans mille occasions. Conclamatum propè ab universo senatu est, perdomandum feroces animos esse, (Tite-Live, liv. XXXVII.)

Legati responsa ferunt, alia arma Latinis

Quaerenda, aut pacem troj ano ab rege petendum.

(Virgile, Aen. XI.)

Cùm oculis ad cernendum non egeremus, (Cic. de naturâ deorum.) Et inter agendum, occursare capro, cornu ferit ille, caveto ; (Virg. eclog. jx.) Namque antè domandum ingentes tollent animos, (id. Georg. III.)

Nous croyons donc avoir suffisamment démontré que les gérondifs sont des cas de la seconde déclinaison. Nous avons ajoûté que ce sont des cas de l'infinitif, & ce second point n'est pas plus douteux que le premier.

Nous avons remarqué dès le commencement, que les points de vûe énoncés en latin par les gérondifs, le sont en grec & en françois par l'infinitif même, sans changement à la terminaison ; c'est même le procédé commun de presque toutes les langues. Cette premiere observation suffiroit peut-être pour établir notre doctrine sur la nature des gérondifs ; mais l'usage même de la langue latine en fournit des preuves sans nombre dans mille exemples, où l'infinitif est employé pour les mêmes fins & dans les mêmes circonstances que les gérondifs. On lit dans Plaute (Menech.), dum datur mihi occasio tempusque ABIRE, pour abeundi ; dans Cicéron, tempus est nobis de illa vita AGERE, pour agendi ; dans César, consilium coepit omnem à se equitatum DIMITTERE, pour dimittendi ; & chez tous les meilleurs écrivains on trouve fréquemment l'infinitif pour le premier gérondif. Il n'est pas moins usité pour le troisieme : c'est ainsi que Virgile a écrit (Aen. j.) :

Non nos aut ferro Libycos POPULARE penates

Venimus, aut raptas ad littora VERTERE praedas,

où l'on voit populare & vertere, pour ad populandum & ad vertendum. De même Horace dit (od. j. 3.) audax omnia PERPETI, pour ad perpetiendum ; & (ep. j. 20.), IRASCI celerem, pour ad irascendum. Il est plus rare de trouver l'infinitif pour le second gérondif ; mais on le trouve cependant, & le voici dans un vers de Virgile (ecl. vij.), où deux infinitifs différens sont mis pour deux gérondifs :

Et CANTARE pares, & RESPONDERE parati ;

ce qui, de l'aveu de tous les Commentateurs, signifie, & in CANTANDO pares, & ad RESPONDENDUM parati.

Nous concluons donc que les gérondifs ne sont effectivement que les cas de l'infinitif, & qu'ils ont, comme l'infinitif, la nature du verbe & celle du nom. Ils ont la nature du verbe, puisque l'infinitif leur est synonyme, & que, comme tout verbe, ils expriment l'existence d'une modification dans un sujet ; & c'est par conséquent avec raison que, dans le besoin, ils prennent le même régime que le verbe d'où ils derivent. Ils ont aussi la nature du nom, & c'est pour cela que les Latins leur ont donné les terminaisons affectées aux noms, parce qu'ils se construisent dans le discours comme les noms, & qu'ils y font les mêmes fonctions. C'est pour cela aussi que le régime du premier gérondif est souvent le génitif, comme dans ces phrases : aliquod fuit principium generandi animalium (Varr. lib. II. de R. R. 1.) ; fuit exemplorum legendi potestas (Cic.) ; vestri adhortandi causâ (Tit. Liv. lib. XXI.) ; generandi animalium, comme generationis animalium ; exemplorum legendi, comme lectionis exemplorum ; vestri adhortandi, comme adhortationis vestri.

Les Grammairiens trouvent de grandes difficultés sur la nature & l'emploi des gérondifs. La plûpart prétendent qu'ils ne sont que le futur du participe passif en correlation avec un mot supprimé par ellipse. Cette ellipse, on la supplée comme on peut ; mais c'est toûjours par un mot qu'on n'a jamais vû exprimé en pareilles circonstances, & qu'on ne peut introduire dans le discours, sans y introduire en même tems l'obscurité & l'absurdité. Les uns sous-entendent l'infinitif actif du même verbe, pour être comme le sujet du gérondif : Sanctius, Scioppius & Vossius sont de cet avis ; & selon eux, c'est cet infinitif sous-entendu qui régit l'accusatif, quand on le trouve avec le gérondif : ainsi, petendum est pacem à rege, signifie dans leur système, petere pacem à rege est petendum ; petere pacem à rege, c'est le sujet de la proposition, petendum en est l'attribut : tempus petendi pacem, c'est tempus petere pacem petendi ; petere pacem est comme un nom unique au génitif, lequel détermine tempus ; petendi est un adjectif en concordance avec ce génitif.

Les autres sous-entendent le nom negotium, & voici comme ils commentent les mêmes expressions : petendum est pacem à rege, c'est-à-dire, negotium petendum à rege est circà pacem ; tempus petendi pacem, c'est-à-dire, tempus negotii petendi circà pacem.

Nous l'avons déjà dit, on n'a point d'exemples dans les auteurs latins, qui autorisent la prétendue ellipse que l'on trouve ici ; & c'est cependant la loi que l'on doit suivre en pareil cas, de ne jamais supposer de mot sous-entendu dans des phrases où ces mots n'ont jamais été exprimés : cette loi est bien plus pressante encore, si on ne peut y déroger sans donner à la construction pleine un tour obscur & forcé.

C'est sans-doute la forme matérielle des gérondifs qui aura occasionné l'erreur & les embarras dont il est ici question : ils paroissent tenir de près à la forme du futur du participe passif, & d'ailleurs on se sert des uns & des autres dans les mêmes occurrences, à quelque changement près dans la syntaxe ; on dit également, tempus est scribendi epistolam, & scribendae epistolae ; on dit de même scribendo epistolam, ou in scribendâ epistolâ ; & enfin ad scribendum epistolam, ou ad scribendam epistolam ; scribendum est epistolam, ou scribenda est epistola : ce sont probablement ces expressions qui auront fait croire que les gérondifs ne sont que ce participe employé selon les regles d'une syntaxe particuliere.

Mais en premier lieu, on doit voir que la même syntaxe n'est pas observée dans ces deux manieres d'exprimer la même phrase ; ce qui doit faire au-moins soupçonner que les deux mots verbaux n'y sont pas exactement de même nature, & n'expriment pas précisément les mêmes points de vûe. En second lieu ce n'est jamais par le matériel des mots qu'il faut juger du sens que l'usage y a attaché, c'est par l'emploi qu'en ont fait les meilleurs auteurs. Or dans tous les passages que nous avons cités dans le cours de cet article, nous avons vû que les gérondifs tiennent très-souvent lieu de l'infinitif actif. En conséquence nous concluons qu'ils ont le sens actif, & qu'ils doivent y être ramenés dans les phrases où l'on s'est imaginé voir le sens passif. Cette interprétation est toûjours possible, parce que les verbes au gérondif n'étant déterminés en eux-mêmes par aucun sujet, on peut autant les déterminer par le sujet qui produit l'action, que par celui qui en reçoit l'effet : de plus cette interprétation est indispensable pour suivre les erremens indiqués par l'usage ; on trouve les gérondifs remplacés par l'infinitif actif ; on les trouve avec le régime de l'actif, & nulle part on ne les a vûs avec le régime du passif ; cela paroît décider leur véritable état. D'ailleurs les verbes absolus, qu'on nomme communément verbes neutres, ne peuvent jamais avoir le sens passif, & cependant ils ont des gérondifs ; dormiendi, dormiendo, dormiendum. Les gérondifs ne sont donc pas des participes passifs, & n'en sont point formés ; comme eux, ils viennent immédiatement de l'infinitif actif, ou pour mieux dire, ils ne sont que cet infinitif même sous différentes terminaisons relatives à l'ordre de l'énonciation.

Ceux qui suppléent le nom général negotium, en regardant le gérondif comme adjectif ou comme participe, tombent donc dans une erreur avérée ; & ceux qui suppléent l'infinitif même, ajoûtent à cette erreur un véritable pléonasme : ni les uns ni les autres n'expliquent d'une maniere satisfaisante ce qui concerne les gérondifs. Le grammairien philosophe doit constater la nature des mots, par l'analyse raisonnée de leurs usages. (E. R. M.)


GÉRONTE(Hist. anc.) membre du sénat de Lacédémone. Le sénat de Sparte se nommoit Gerusia, & étoit composé de vingt-huit sénateurs qu'ils appelloient gérontes. Lycurgue créa vingt-huit gérontes ; ils ne pouvoient être reçûs dans ce corps qu'à l'âge de soixante ans, & qu'ils n'eussent donné toute leur vie des preuves insignes de leur probité. Isocrate compare leur prudence, leur gravité, & leurs fonctions, à celles des Aréopagistes. Voyez AREOPAGE. Platon dit qu'ils étoient les modérateurs de l'autorité royale ; mais Polybe définit leur pouvoir en trois mots, quand il dit, per ipsos, & cum ipsis, omnia administrari. (D.J.)


GÉRONTHRÉESS. f. pl. (Littérat.) fêtes greques qui se célébroient tous les ans dans une des îles Sporades en l'honneur de Mars, par les Géronthréens, chez lesquels ce dieu par extraordinaire, avoit un temple célebre, où il n'étoit permis à aucune femme d'entrer pendant la solennité. Pausanias in Lacon. (D.J.)


GEROUINS. m. (Comm.) espece de quintal dont on se sert au Caire pour évaluer le poids des marchandises d'un grand volume. Le gerouin est le plus lourd de tous les quintaux. Il est de deux cent dix-sept rotalis du Caire, dont les cent dix en font cent huit de Marseille. Voyez QUINTAL. Dict. du Commerce & de Trévoux.


GERSAUS. m. (Marine) c'est la corde dont le moule de la poulie est entouré, & qui sert à l'amarrer au lieu où elle doit être placée. Voyez ETROPE. (Z)


GERSAW(Géog.) bourg de Suisse, près du lac de Lucerne, entre ce canton & celui de Schwitz. C'est une espece de petite république souveraine, qui ne dépend de personne depuis un tems immémorial, privilége trop singulier pour ne pas mériter qu'on transcrive ici le nom du lieu qui est assez heureux pour en joüir. Long. 26. 2. lat. 47. 6. (D.J.)


GERSURES. m. (Gramm.) il se dit en Architecture des fentes ou crevasses qui se font dans le plâtre, lorsqu'il a été noyé ou gâché avec trop d'eau ; & en Chirurgie, des ouvertures que le froid & d'autres causes occasionnent à la peau, sur-tout aux endroits où elle est délicate, comme au bord des levres. On l'employe aussi en Agriculture ; la sécheresse gerse quelquefois la terre : il y a des arbres, des plantes qui se gersent.


GERTRUIDENBERGGertrudenberga, (Géog.) ancienne & forte ville des pays-bas, au Brabant hollandois, un des principaux boulevards de la Hollande. Les confédérés la prirent en 1573 sur les Espagnols ; le Prince de Parme la reprit en 1589 ; mais le prince Maurice s'en rendit maître en 1593, & depuis ce tems, elle appartient aux Hollandois. Son nom signifie le mont Saint-Gertrude ; on pêche aux environs de la côte une quantité étonnante de saumons, d'esturgeons & d'aloses, & Gertruidenberg joüit du droit d'étape pour tous ces poissons. Elle est sur la riviere de Dungen, qui tombe dans le Bies-Bosch, à 4 lieues N. E. de Breda, 5 S. E. de Dordrecht, 3 S. O. de Gorcum. Long. 22d. 24'. lat. 51. 44. (D.J.)


GÉRYONS. m. (Mythologie) il est fameux dans la Fable ; c'étoit le plus fort de tous les hommes, dit Hésiode, v. 98.

Il avoit trois têtes, , & trois corps, à ce que prétend Virgile après Euripide :

.... Et forma tricorporis umbrae.

On ne convient pas trop du lieu où il faisoit sa demeure ; selon quelques-uns c'étoit en Grece ; selon le plus grand nombre, en Espagne ; selon d'autres auteurs, dans les îles de Majorque, de Minorque, & d'Iviça : mais selon Hésiode, le plus ancien des écrivains qui ait parlé de Géryon, c'étoit dans l'île d'Enrythie, qu'on appelloit aussi l'île de Gadès, aujourd'hui l'île de Cadix.

Quoi qu'il en soit, il avoit de nombreux troupeaux gardés par un pâtre appellé Eurythion, & par le chien Orthus, frere de Cerbere, qui par cette raison aura son article dans l'Encyclopédie.

Hercule, pour obéir aux ordres d'Eurysthée, passa dans les états de Géryon, tua le chien, le pâtre, & le maître, & emmena les troupeaux à Tirynthe.

Plusieurs auteurs prétendent que ce qui a donné lieu aux Poëtes d'attribuer trois corps & trois têtes à Géryon, vient de ce que ses états étoient composés de trois provinces & de trois îles ; d'autres croyent que ces trois têtes étoient trois vaillans amis qui lui étoient également attachés, & qui s'opposerent à Hercule ; d'autres enfin nous disent que c'est parce que Géryon étoit l'aîné de deux freres & que tous trois étoient si unis entr'eux, qu'ils sembloient n'avoir qu'une ame, mais qui, malgré leur union, furent tous trois défaits par Hercule.

Si l'on souhaite en savoir davantage sur Géryon, que l'on consulte Hésiode dans sa théogonie, & l'on apprendra que ce roi monstrueux eut pour pere Chrysaor, & pour ayeule la tête de Méduse : voici comme ce poëte conte la chose. Après que Persée eut coupé la tête de la Gorgone, il fut tout surpris d'en voir éclorre un géant armé d'une épée, qu'on appella par cette raison Chrysaor, & un cheval aîlé qui fut Pégase. Or dans la suite Chrysaor devint sensible aux charmes de Callirrhoë, fille de l'Océan ; & de cet amour naquit Géryon.

Il résulte de-là que Géryon étoit petit-fils de la tête de Méduse, fils de Chrysaor, & neveu de Pégase.

Cette généalogie ouvre un beau champ aux conjectures de ceux qui sont persuadés que les anciens poëtes ont entendu finesse à tout, & que sous leurs fictions les plus absurdes ils ont caché d'importantes vérités : en tout cas, ils les ont si bien cachées, que les plus habiles mythologues ne les découvriront jamais. Je n'ajoûte plus qu'un mot historique.

Il y avoit autrefois en Italie près de Padoue un oracle de Géryon, dont parle Suétone dans la vie de Tibere ; cet empereur le consulta en allant en Illyrie, & Cluvier en conclud que Géryon avoit aussi un temple dans ce lieu-là, par la raison qu'il n'y avoit point d'oracle de quelqu'un sans un temple en son honneur. On peut consulter l'Ital. antiq. de ce savant, lib. II. cap. xviij. (D.J.)


GESNERAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Conrad Gesner, fameux naturaliste. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite en forme de masque & irréguliere : il s'éleve du fond du calice un pistil qui tient comme un clou à la partie postérieure de la fleur. Le calice devient dans la suite un fruit membraneux, couronné, divisé en deux loges, & rempli de petites semences. Plumier, nova plantar. americ. gen. Voyez PLANTE. (I)


GESOLE(Marine) Voyez HABITACLE.


GESSATEou GELATE, s. m. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit chez les Gaulois des hommes braves qui se loüoient à l'étranger, en qualité de gens d'armes, quand leur pays étoit en paix. Ils étoient nommés gessates, du long dard qu'ils portoient, & qu'on appelloit gissum. Il y a plusieurs autres sentimens sur les gessates ; mais celui-ci est presque le seul vraisemblable.


GESSES. f. lathyrus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur légumineuse, dont le pistil est entouré d'une enveloppe membraneuse ; il sort du calice & il devient une silique cylindrique dans certaines especes & plate dans d'autres : cette silique renferme des semences cylindriques ou anguleuses. Les tiges de la plante sont applaties & ont une côte longitudinale relevée & feuilletée. Les feuilles naissent deux à deux sur un pédicule terminé par une main. Tournefort, inst. rei herb. & élémens de Botanique. Voyez PLANTE. (I)

Les Botanistes comptent plusieurs especes de gesse, dont nous ne décrirons ici que la commune cultivée par-tout ; lathyrus sativus, C. Bauh. Ses racines sont fibreuses ; ses tiges sont branchues, applaties ou un peu anguleuses, hautes d'environ six pouces, garnies de feuilles longues, étroites, d'un verd pâle & posées deux à deux au bout d'une côte que termine une vrille ou main, par le moyen de laquelle la plante s'accroche aux corps voisins. Ses fleurs qui sont blanchâtres & tachées au milieu d'une couleur de pourpre brun, donnent des gousses composées de deux cosses qui renferment des semences anguleuses & blanchâtres qu'on mange, & qu'on nomme en françois gesses au pluriel. Cette plante fleurit au mois de Juin, & produit des graines mûres en Juillet & Août.

On cultive dans des jardins de curieux diverses especes de gesse, qu'on multiplie de graine ou de racine, & qu'on soûtient avec des rames. Elles sont très-propres à être plantées contre des haies mortes, qu'elles couvriront, si l'on veut, dans un été, donneront quantité de fleurs, & subsisteront plusieurs années ; de plus, elles viennent dans toutes sortes de terreins & d'expositions.

La petite gesse à grande fleur, lathyrus minor flore majore, Boerh. ind. orne un jardin, parce qu'elle ne s'éleve pas au-dessus de cinq piés, & qu'elle produit des bouquets de larges fleurs & d'un beau rouge foncé. Mais la gesse, que les Anglois appellent the sweetscenter peas, mérite le plus d'être cultivée à cause de la beauté & de l'agréable odeur de ses larges fleurs pourpres.

La vraie méthode pour bonifier toutes les variétés de gesse, est de les semer au mois d'Août près d'un mur ou d'une haie exposée au midi : alors les gesses poussent en automne, subsistent en hyver, commencent à fleurir en Mai, & continuent jusqu'à la fin de Juin. Ces sortes de plantes d'automne sont bien supérieures à celles qui sont semées au printems ; elles produisent dix fois plus de fleurs & d'excellentes graines qui ne trompent point nos espérances. (D.J.)

GESSE, (Diete) on mange les semences de cette plante, comme les pois, les féves, & les autres légumes ; les gens de la campagne mangent fort communément celui-ci dans les provinces méridionales du royaume, où on le cultive dans les champs : c'est un aliment plus grossier que les pois, les petites féves, &c. d'ailleurs on ne lui connoît que les propriétés génériques des légumes. Voyez LEGUME. (b)


GESSORIACUM(Géog. anc.) le Gessoriacum de Suétone & de Ptolomée, ce fameux port des Romains d'où se faisoit le passage des Gaules dans la Grande-Bretagne ; ce port décoré d'un phare magnifique bâti par Caligula, étoit Boulogne-sur-mer ; on n'en peut pas douter par l'ancienne carte de Peutinger, qui dit Gessoriacum quod nunc Bononia. Ce port étoit dans le pays des Morins ; & depuis Jules-César jusqu'au tems des derniers empereurs, tous ceux que l'Histoire dit être passés des Gaules dans la Grande-Bretagne, se sont embarqués à Gessoriacum, c'est-à-dire à Boulogne. Voyez la Martiniere, & les mémoires de l'acad. des Inscrip. tom. IX. (D.J.)


GESTATIONS. f. gestatio, (Gymn. medic.) sorte d'exercice d'usage chez les Romains pour le rétablissement de la santé ; il consistoit à se faire porter en litiere, en chaise, ou à se faire traîner rapidement, soit dans un chariot, soit dans un bateau sur l'eau, afin de donner au corps du mouvement & de la secousse. Celse vante beaucoup les avantages de cet exercice pour la guérison des maladies chroniques ; longis, dit-il, & jam inclinatis morbis aptissima est gestatio, lib. II. cap. xjv. c'est Asclépiade qui mit le premier en pratique les frictions & la gestation ; Aëtius l'appelle , & e na fait un petit traité dans son tetrab. 1. serm. 3. cap. vj. consultez-le, il est méthodique & de bon sens. Nos medecins modernes recommandent aussi la gestation dans des voitures un peu rudes, & non pas dans celles qui mollement suspendues indiquent des Sybarites dans une nation guerriere : toute gestation où l'on se sent à peine mouvoir ne peut produire aucun effet. La promenade à pié, qu'il ne faut pas confondre avec la gestation, s'appelloit à Rome ambulatio ; & la plûpart des grands la préféroient à la gestation sur la fin de la république : constituimus inter nos, dit Cicéron, ut ambulationem pomeridianam conficeremus in academiâ ; " Nous convinmes de faire notre promenade d'après dîner dans les allées solitaires de l'académie. Voyez donc PROMENADE. (D.J.)


GESTES. m. mouvement extérieur du corps & du visage ; une des premieres expressions du sentiment données à l'homme par la nature. V. CHANT, VOIX, DANSE, DECLAMATION. L'homme a senti, dès qu'il a respiré ; & les sons de la voix, les mouvemens divers du visage & du corps, ont été les expressions de ce qu'il a senti ; ils furent la langue primitive de l'univers au berceau ; ils le sont encore de tous les hommes dans leur enfance ; le geste est & sera toûjours le langage de toutes les nations : on l'entend dans tous les climats ; la nature, à quelques modifications près, fut & sera toûjours la même.

Les sons ont fait naître le chant, & sont par conséquent la cause premiere de toutes les especes de Musique possibles. Voyez CHANT, MUSIQUE. Les gestes ont été de la même maniere la source primitive de ce que les anciens & nous avons appellé danse. Voyez l'article suivant.

Pour parler du geste d'une maniere utile aux Arts, il est nécessaire de le considérer dans ses points de vûe différens. Mais de quelque maniere qu'on l'envisage, il est indispensable de le voir toûjours comme expression : c'est-là sa fonction primitive ; & c'est par cette attribution, établie par les lois de la nature, qu'il embellit l'art dont il est le tout, & celui auquel il s'unit, pour en devenir une principale partie. (B)

GESTE, (Danse) la Danse est l'art des gestes ; on a expliqué à cet article dans les volumes précédens l'objet & l'origine de cet art. Voyez DANSE. Il ne reste ici qu'une observation à faire pour aider ses progrès, & pour employer utilement les moyens qu'elle a sous sa main, & que cependant elle laisse oisifs depuis qu'elle existe.

Cette observation sera peu du goût de nos artistes ; ils sont dans une routine contraire ; & la routine est en général la boussole des artistes modernes qui ont acquis quelque réputation dans la danse du théatre.

Observer, réfléchir, lire, leur paroissent des distractions nuisibles aux mouvemens du corps, où ils se livrent par préférence ; leurs bras, leurs positions croissent en agrément, & l'art reste sans progrès. C'est donc à l'amour de l'art à ne se point rebuter contre une ancienne obstination qui lui est très-nuisible. Le moment viendra peut-être où l'esprit de réflexion entrera en quelque société avec la facture méchanique des sauts & des pas. En attendant, la vérité se trouvera écrite.

Il est certain que les mouvemens extérieurs du visage sont les gestes les plus expressifs de l'homme : pourquoi donc tous les danseurs se privent-ils sur nos théatres de l'avantage que leur procureroit cette expression supérieure à toutes les autres ?

Les Grecs & les Romains avoient une raison très-puissante pour s'aider du secours du masque, non-seulement dans la Danse, mais encore dans la déclamation chantée de leurs représentations tragiques & comiques. Les places immenses où s'assembloient les spectateurs, formoient de si grands éloignemens, qu'on n'auroit entendu la voix ni distingué aucun des traits du visage, si on n'avoit eu recours à l'invention des masques qu'on changeoit dans la même représentation, selon les divers besoins de l'action théatrale.

Le masque ne leur fit rien perdre, & il leur procura les deux avantages dont l'éloignement les auroit privés. Nous sommes dans la situation contraire : le masque nous nuit toûjours, & n'est utile presque jamais.

1°. Malgré l'habitude qu'on a prise de s'en servir, il est impossible qu'il ne gêne pas la respiration ; 2°. il diminue par conséquent les forces ; & c'est un inconvénient considérable dans un pareil exercice, que la gêne & l'affoiblissement.

En considérant que le masque, quelque bien dessiné & peint qu'on puisse le faire, est toûjours inférieur à la teinte de la nature, ne peut avoir aucun mouvement, & ne peut être jamais que ce qu'il a paru d'abord ; peut-on se refuser à l'abolition d'un abus si nuisible à la Danse ? L'habitude dans les Arts doit-elle toûjours prévaloir sur les moyens sûrs d'un embellissement qu'on perd par indolence ? quel honneur peut-on trouver à imiter servilement la conduite & la maniere des danseurs qui ont précédé ? ne se convaincra-t-on jamais que tout leur savoir ne consistoit qu'en quelques traditions tyranniques que le talent véritable dédaigne, & que la médiocrité seule regarde comme des lois ?

Les danseurs qui méritent qu'on leur réponde, m'ont opposé 1°. que la danse vive demande quelquefois des efforts qui influent d'une maniere desagréable sur le visage du danseur ; 2°. que n'étant pas dans l'usage de danser à visage découvert, on n'a point pris d'enfance, comme les femmes, le soin d'en ajuster les traits avec les graces qu'elles ont naturellement, & que leur adresse sait proportionner aux différentes entrées de danse qu'elles exécutent.

Ces deux raisons ne sont que des prétextes ; les graces du visage sont en proportion du sentiment ; & l'expression marquée par les mouvemens de ses traits, sont les graces les plus desirables pour un homme de théatre. On convient qu'il y a quelques caracteres qui exigent le masque ; mais ils sont en petit nombre ; & ce n'est pas à cause des efforts prétendus qu'il faut faire pour les bien danser, que le masque devient nécessaire, mais seulement parce qu'un visage humain y seroit un contre-sens ridicule. Tels sont les vents, les satyres, les démons : tous les autres sont ou nobles ou tendres ou gais ; ils gagneroient tous à l'expression que leur prêteroient les traits du visage.

Au surplus, l'art des Laval & des Marcel, qui ont senti l'un & l'autre ce que la Danse devoit être, est un aide sûr pour la belle nature ; le geste qu'elle anime trouve dans leurs pratiques mille moyens de s'embellir ; ils ont étudié les ressorts secrets de la nature humaine ; ils en connoissent les forces, les possibilités, la liaison. Les routes que peut leur indiquer une pareille connoissance, sont plus que suffisantes pour rendre les différens mouvemens du corps, flexibles, rapides, brillans & moëlleux. C'est sous de tels maîtres que la danse françoise peut acquérir cette expression enchanteresse qui lui donne, sans parler, autant de charmes qu'en étalent la bonne poésie & l'excellente musique. Les pas de deux, sur-tout de galanterie ou de passion ; les pas seuls de grace, les beaux développemens des bras & des autres parties du corps qui se font sous un masque insensible, recevront enfin quelque jour, par les soins de nos excellens maîtres, la vie qui leur manque, qui peut seule ranimer la Danse & satisfaire pleinement les vrais amateurs. (B)

GESTE, (Déclamation) Le geste au théatre doit toûjours précéder la parole : on sent bien plus tôt que la parole ne peut le dire ; & le geste est beaucoup plus preste qu'elle ; il faut des momens à la parole pour se former & pour frapper l'oreille ; le geste que la sensibilité rend agile, part toûjours au moment même où l'ame éprouve le sentiment.

L'acteur qui ne sent point & qui voit des gestes dans les autres, croit les égaler au-moins par des mouvemens de bras, par des marches en-avant & par de froids reculemens en-arriere ; par ces tours oisifs enfin toûjours gauches au théatre, qui refroidissent l'action & rendent l'acteur insupportable. Jamais dans ces automates fatiguans l'ame ne fait agir les mouvemens ; elle reste ensevelie dans un assoupissement profond : la routine & la mémoire sont les chevilles ouvrieres de la machine qui agit & qui parle.

Baron avoit le geste du rôle qu'il joüoit : voilà la seule bonne maniere de les adapter sur le théatre aux différens mouvemens du caractere & de la passion. Voyez DECLAMATION.

Nous voyons au théatre françois des gestes & des mouvemens qui nous entraînent ; s'ils nous laissoient le tems de réfléchir, nous les trouverions desordonnés, sans grace, peut-être même desagréables : mais leur feu rapide échauffe, émeut, ravit le spectateur ; ils sont l'ouvrage du desordre de l'ame ; elle se peint dans cette espece de dégingandage, plus beau, plus frappant que ne pourroit l'être toute l'adresse de l'art : osons le dire, c'est le sublime de l'agitation de l'actrice ; c'est la passion elle-même qui parle, qui me trouble, & qui fait passer dans mon ame tous les sentimens que son beau desordre me peint. (B)

GESTE, (Chant du théatre) l'opéra françois a pour objet de séduire l'esprit, de charmer les sens, de transporter l'ame dans des régions enchantées. Voy. OPERA : si les ressorts de cette aimable séduction sont rudes, gauches, grossiers, l'esprit ne peut être entraîné, le goût l'arrête ; le froid & la distraction succedent rapidement aux premiers momens d'attention & de chaleur.

J'entens des sons mélodieux ; je vois un lieu orné de tout ce qui peut flatter les regards d'un spectateur avide ; le jour qui l'éclaire est celui que j'imagine dans les jardins délicieux de l'Olympe. Mes yeux tombent sur le personnage dont l'apparition, par sa majesté & par ses graces, doit remplir la premiere idée qui m'a séduit ; je ne vois qu'une figure rude qui marche d'un pas apprêté, qui remue au hasard deux grands bras qu'un mouvement monotone de pendule agite ; mon attention cesse ; le froid me gagne ; le charme a disparu, & je ne vois plus qu'une charge ridicule d'un dieu ou d'une déesse, à la place de la figure imposante qu'un si beau prélude m'avoit promis.

Le contre-sens du geste passe rapidement au théatre de la comédie ; l'attention y court de pensée en pensée, & l'acteur n'a pas le tems de s'appesantir sur la faute qui lui échappe quelquefois.

Il n'en est pas ainsi au théatre du chant ; les détails y sont ralentis & répétés par la musique ; & c'est-là que le contre-sens, quand il y est une fois amené, a tout le tems d'assommer le spectateur.

On a déjà dit en parlant de la danse, que les traits du visage formoient les gestes les plus expressifs : ils sont en effet dans l'acteur, lorsqu'ils sont vrais, l'ouvrage sublime de l'art, parce qu'ils paroissent l'image vivante de la nature : mais l'art seul & sans elle, ne peut rien sur cette partie de la figure humaine ; il n'a que l'avantage d'un masque dont l'oeil découvre bientôt l'imposture.

Il faut, pour peindre sur cette toile animée & changeante, un sentiment juste, le tact fin & promt, le talent enfin qui seul peut peindre, parce qu'il peut seul exprimer. Ce grand ressort dans l'acteur, qui le possede, pose, détermine, arrange toutes les parties sans que l'art s'en mêle ; les bras, les piés, le corps, se trouvent d'eux-mêmes dans les places, dans les mouvemens où ils doivent être. Tout suit l'ordre avec l'aisance de l'instinct. Voyez GRACE, CHANT.

Mais souvent le talent est égaré par l'esprit ; alors il fait toûjours plus mal, pour vouloir mieux faire. Ainsi à ce théatre il arrive quelquefois que les acteurs les plus estimables abandonnent l'objet qui les amene, pour joüer sur les mots, & pour peindre en contre-sens ce qu'ils chantent. On en a vû faire murmurer les ruisseaux dans l'orchestre & dans le parterre ; les y suivre des yeux & de la main ; aller chercher les zéphirs & les échos dans les balcons & dans les loges où ils ne pouvoient être ; & laisser tranquillement pendant toute la lente durée de ces beaux chants, les berceaux & l'onde pure qu'offroient les côtés & le fonds du théatre, sans leur donner le moindre signe de vie. (B)


GESTICULATIONS. f. (Belles-Lettres) s'entend des gestes affectés, indécens, ou trop fréquens. Voy. GESTE.

La gesticulation est un grand défaut dans un orateur. Quand on compare ce que les anciens nous racontent de la déclamation de certains orateurs qui frappoient violemment des piés & des mains, à notre maniere de prononcer un discours, on sent toute la différence qui se rencontre entre la déclamation & la gesticulation. Voyez ACTION & GESTE. (G)


GESTIONS. f. (Jurisprud.) signifie administration de quelque affaire, comme la gestion d'une tutele, la gestion des biens d'un absent ou de quelque autre personne.

La gestion que quelqu'un fait des affaires d'autrui sans son ordre, appellée en Droit negotiorum gestio, forme un quasi-contrat qui produit action directe & contraire ; la premiere au profit de celui dont on a géré les affaires, pour obliger celui qui a géré à rendre compte ; & la seconde au profit de celui qui a géré, pour répéter ses impenses. Voyez les instit. liv. III. tit. xxviij. §. 1. (A)


GESTRICIEGestricia, (Géog.) province de Suede dans sa partie septentrionale ; elle a des mines de fer & de cuivre, mais elle ne recueille de grains qu'autant qu'il en faut pour la nourriture de ses habitans. Le golfe de Bothnie la baigne à l'est ; elle est bornée au nord par l'Helsingie, au couchant par la Dalécarlie, & au sud par la Westmanie & par l'Uplande. Gévali en est la capitale. (D.J.)


GÉSULA(Géog.) province d'Afrique sur la côte de Barbarie au royaume de Maroc. Elle a beaucoup d'orge, de troupeaux, & plusieurs mines de fer & de cuivre : la plûpart des habitans sont chauderonniers ou forgerons. Il s'y tient tous les ans une foire célebre, où tous les marchands étrangers, quoique quelquefois au nombre de dix mille, sont nourris & défrayés aux dépens de la province ; mais malgré cette dépense considérable, la province y gagne encore par le débit de ses marchandises. (D.J.)


GETES(LES) Géog. anc. ancien peuple de Scythes, qui ayant passé en Europe, vinrent s'établir aux environs du Danube. Dès le tems d'Auguste, ils occupoient la rive gauche du Danube, avec les Bastarnes, les Besses, & les Sarmates. Les oeuvres d'Ovide sont remplies des plaintes qu'il fait de vivre au milieu d'eux. Quoique le lieu où il étoit relegué, soit à-peu-près sous le parallele de Bordeaux, il le dépeint comme s'il se trouvoit jetté dans le climat de la Norvege. Du tems d'Auguste, les Getes n'étoient point encore établis en-deçà du Danube, mais il paroît qu'ils l'avoient passé au moins en partie sous Claudius. Au reste, Strabon est le seul des anciens qui ait bien marqué les divisions des Getes, & qui nous apprenne les vrais détails de cette nation.

Les Getes, selon cet auteur, habitoient le pays qui est au-delà de celui des Sueves, à l'orient, le long du Danube ; c'est ce que nous appellons aujourd'hui la Transylvanie, la Valachie, & la partie de la Bulgarie qui est à la droite du Danube. Ils parloient la même langue que les Thraces ; le nom de Getes étoit le nom commun à toute la nation, & le nom particulier d'un peuple de cette nation. L'autre peuple étoit composé de Daces, Daci, que Strabon appelle , Davi, Daves. De ces noms de Getes & de Daves, sont venus les noms de valets Geta & Davus, si communs dans les comédies latines.

Il faut bien distinguer les Goths des Getes. Les Goths habitoient près de la mer Baltique, à l'occident de la Vistule, & les Getes dès le commencement ont été sur les bords du Danube, près de la Dacie. Voyez GOTHS. (D.J.)

GETES, Philosophie des Getes. Voyez l'article SCYTHES.


GETH(Géog. sacrée) c'étoit une ville de la Palestine, située sur une montagne, près de la mer de Syrie, à quatre lieues de Joppé au midi. Elle étoit une des cinq Satrapies des Philistins ; aujourd'hui c'est un petit village nommé Ybna. Au reste, comme geth ou gath en hébreu, signifie pressoir, il n'est pas étonnant que l'on trouve dans la Palestine pays de vignobles, plus d'un lieu de ce nom. (D.J.)


GETULE(Géog. anc.) ancien peuple de la Lybie intérieure & de la Guinée. Ils habitoient au midi de la Mauritanie, & s'avancerent dans la Mauritanie & la Numidie. Ortelius croit que les Gétules étoient une nation errante, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, qui ne se servoit point de brides, & dont les chevaux étoient conduits à la baguette. Cette idée s'accorde parfaitement avec celle qu'en donnent Claudien & Silius Italicus. L'Afrique entiere est quelquefois nommée Getulie par les Poëtes. (D.J.)


GEULEBÉES. f. (Hydr.) c'est une décharge de quelque bassin supérieur, qui fournit une nappe ou un reservoir. Cette eau vient tomber sous la bordure du gazon sans faire aucun effet. (K)


GEUMS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; il sort du calice un pistil fourchu qui devient un fruit oblong, ressemblant en quelque façon à une aiguiere à deux becs, partagé en deux loges, & rempli de semences ordinairement très-petites. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE (I)

Le geum ordinaire, geum rotundi folium majus (Tournefort) pousse des tiges à la hauteur d'un pié, rondes, un peu tortues, vertes, velues, qui se divisent vers leur sommité en plusieurs petits rameaux ; ses feuilles sont larges, rondes, grasses, fort velues, dentelées tout-autour, d'un goût astringent tirant sur l'acre ; les unes sont attachées à la racine par des queues longues, rougeâtres, velues ; les autres sont jointes aux tiges sans queue, ou par une queue très-courte.

Ses fleurs naissent trois ou quatre sur chaque petit rameau ; elles sont composées de cinq pétales oblongs, disposés en rose, blancs, marqués de plusieurs points rouges, qui paroissent comme des gouttelettes de sang : il leur succede des capsules membraneuses, divisées en deux loges, remplies de semences menues.

Cette plante aime les terres fortes, stériles, ombrageuses ; on en compte quelques especes qu'on cultive, en en transplantant les racines, car elles viennent mal de graine ; elles produisent des jolies fleurs, & prosperent dans tous les lieux des jardins où d'autres plantes ne sauroient réussir. (D.J.)


GÉVALIou GASLE, Gevalia, (Géog.) est une ville de Suede, capitale de la Gestricie, proche le golphe de Bothnie, à 18 lieues N. O. d'Upsal, 26 N. O. de Stockholm, 14 E. de Coperberg. Long. 34. 50. lat. 60. 32. (D.J.)


GÉVAUDAN(LE) Gabalensis pagus, Gabalitana regio, (Géogr.) contrée de France en Languedoc, une des trois parties des Cévennes, bornée N. par l'Auvergne, O. par le Rouergue, S. par le bas Languedoc, E. par le Vivarais & le Vélay ; c'est un pays de montagnes assez stérile : Mende en est la capitale.

Le Gévaudan a pris son nom des peuples Gabali, & le mot de Gévaudan s'écrivoit autrefois Gabauldan. Le bailliage du Gévaudan est en partage entre le Roi & l'évêque de Mende. Les rivieres de Tarn, de Lot, & d'Allier, y ont leurs sources. (D.J.)


GEXGesium ; (Géog.) petite ville de France dans le pays ou baronie de Gex, au pié du mont Saint-Claude, qui fait la séparation du pays de Gex, de la Franche-Comté. Il est du gouvernement de Bourgogne, & du ressort du parlement de Dijon. Il n'y a rien d'important dans le pays de Gex, que le pas ou passage de l'Ecluse, autrement dit de la Cluse, servant de défense à l'entrée du Bugey & de la Bresse, par un fort creusé dans le roc, qui fait partie du Mont-Jura, escarpé en cet endroit, & borné par le Rhone qui coule au pié.

La ville de G ex est située entre le Mont-Jura, le Rhone, le lac de Genève, & la Suisse, à 4 lieues N. O. de Genève. Long. 23d. 44. lat. 46. 20. (D.J.)


GÉZIRAH(Géog.) ce mot qu'on rencontre partout dans d'Herbelot & dans les Géographes, est un mot arabe qui signifie île ; mais comme les Arabes n'ont point de terme particulier pour désigner une peninsule ou presqu'île, ils se servent indifféremment du nom de gézirah, soit que le lieu dont ils parlent, soit entierement isolé & entouré d'eau, soit qu'il soit attaché au continent par un isthme. (D.J.)


GÉZIRE(Géog.) on écrit aussi Gézirah, & il faut rappeller ici la remarque faite au mot Gézirah ; car elle s'applique à Gézire. C'est une ville d'Asie, au Diarbeck, dans une île formée par le Tigre, à 28 lieues N. O. de Mésul, & à 18 d'Amadie : elle est sous l'obéissance d'un Bey. Long. 58. 45. lat. 36. 30. (D.J.)


GHANS. m. (Commerce) nom qu'on donne en Moscovie à ces bâtimens que dans tout l'orient on appelle caravanserais. Voyez CARAVANSERAI. (G)


GHEBR(Littér.) nous écrivons guebre : ghebr est un mot persien qui signifie un sectateur de Zoroastre, un adorateur du feu, celui qui fait profession de l'ancienne religion des Perses ; mais chez les Turcs, ce mot est injurieux, & se prend pour un idolatre, pour un infidele qui vit sans loi & sans discipline ; les Guebres sont les mêmes que les Gaures. Voyez GAURES. (D.J.)


GHÉRON(Géog.) ville de Perse dans le Farsistan. Long. 89d. latit. 28. 30. (D.J.)


GHET(Hist. mod.) les Juifs appellent ainsi la lettre ou l'acte de divorce qu'ils donnent à leurs femmes quand ils les répudient ; ce qu'ils font pour des causes souvent très-legeres. Leur coûtume à cet égard est fondée sur ces paroles du Deutéronome, chap. xxjv. Si un homme a épousé une femme, & que cette femme ne lui plaise pas à cause de quelque défaut, il lui écrira une lettre de divorce qu'il lui mettra entre les mains, & la congédiera. Pour empêcher qu'on n'abuse de ce privilége, les rabbins ont ordonné plusieurs formalités, qui pour l'ordinaire consument un si long tems, que le mari a le loisir de faire ses réflexions, de ne pas prendre conseil du dépit, & de se réconcilier avec son épouse. Cette lettre doit être faite par un écrivain en présence d'un ou de plusieurs rabbins, être écrite sur du velin qui soit reglé, ne contenir que douze lignes ni plus ni moins en lettres quarrées ; tout cela est accompagné d'une infinité de minuties tant dans les caracteres, que dans la maniere d'écrire, & dans les noms & surnoms du mari & de la femme. L'écrivain, les rabbins, & les témoins nécessaires à la cérémonie, ne doivent point être parens les uns des autres, & encore moins appartenir par le sang aux parties intéressées dans le divorce. Le ghet est conçû en ces termes après les dates du jour, du mois, de l'année, & du lieu : Moi N. te répudie volontairement, t'éloigne, & te répudie toi N. qui as ci-devant été ma femme, & te permets de te marier avec qui il te plaira. La lettre étant écrite, le rabbin interroge le mari pour savoir s'il est volontairement déterminé à cette action, on tâche que dix personnes au moins soient présentes à cette scene, sans compter deux témoins qui signent, & deux autres appellés seulement pour attester la date. Si le mari persiste dans sa résolution, le rabbin commande à la femme d'ouvrir les mains & de les approcher l'une de l'autre, pour recevoir cet acte que le mari lui donne en disant : Voilà ta répudiation ; je t'éloigne de moi, & te laisse en liberté d'épouser qui bon te semblera. La femme le prend, le donne au rabbin qui le lit encore une fois, & lui déclare qu'elle est libre, en l'avertissant toutefois de ne point se marier de trois mois, de peur qu'elle ne soit actuellement enceinte. R. Léon Modene, cérémon. des Juifs, partie IV. chap. vj. (G)


GHIABERS. m. (Hist. mod.) nom que l'on donne en Perse aux idolatres de ce pays, qui ont retenu l'ancienne religion de ceux qui adoroient le feu. Ils y sont en grand nombre, & occupent un des fauxbourgs d'Ispahan tout entier. On les appelle aussi atech perest, c'est-à-dire adorateurs du feu. Il y a un proverbe persan qui dit : quoiqu'un ghiaber allume & adore le feu cent ans durant, s'il y tombe une fois, il ne laisse pas que de se brûler. D'Herbelot, biblioth. orient. Ricaut, de l'Emp. ottom.

Ces Ghiabers paroissent être les mêmes que ceux que nous nommons Gaures ou Guebres. Voyez GUEBRES & GAURES. (G)


GHIAONou GHIAAURS, s. m. (Hist. mod.) nom que les Turcs donnent à tous ceux qui ne sont pas de leur religion, & particulierement aux Chrétiens : il signifie proprement infideles. L'origine de ce mot vient de Perse, où ceux qui retiennent l'ancienne religion des Persans, & qui adorent le feu, sont appellés ghiaours ou ghiabers. Voyez GHIABER ; Ricaut, de l'Emp. ottom. (G)


GHILAN(Géog.) province d'Asie dans la Perse, au bord de la mer Caspienne, à laquelle elle donne son nom.

M. d'Herbelot l'étend depuis le 75d de longitude jusqu'au 76e inclusivement ; & pour sa largeur, qu'il prend du nord au sud, il dit qu'elle occupe le 35 ou 36d de latitude. Elle fait une partie considérable de l'Hircanie des anciens. C'est la plus belle & la plus fertile province de toute la Perse. Les habitans du pays sont mahométans de la secte d'Omar. La ville de Reschts, située à 37d de latitude, est maintenant la capitale de cette province. Abdalcader, surnommé le scheik, c'est-à-dire le grand docteur, étoit de Ghilan. Voici sa priere : " O Dieu tout-puissant, comme je te rends un culte perpétuel dans mon coeur, daigne l'avoir pour agréable " ! (D.J.)


GHIR(Géog.) riviere d'Afrique. Elle a sa source au mont Atlas ; & coulant vers le midi, arrose le royaume de Tafilet, entre ensuite dans les deserts de Haïr, vient se perdre dans un grand lac. Cette riviere & quelques autres des mêmes cantons ont cela de particulier, que plus elles s'éloignent de leurs sources, plus elles s'éloignent de la mer. (D.J.)


GHNIEF(Géog.) ville de la Prusse polonoise au palatinat de Culm, sur la Vistule, avec une citadelle. Le nom polonois de cette ville s'écrit Gniew. Les Allemands l'appellent Meve, car presque tous les lieux de la Prusse ont deux noms. Cellarius la nomme en latin Meva, Gnevum, & Gnievum. Ghnief a été prise & reprise plusieurs fois sur les Polonois par les chevaliers de l'ordre teutonique, & par les Suédois. C'est une starostie du roi de Pologne, à quatre lieues de Graudentz. Longit. 37. 2. latit. 53. 24. (D.J.)


GIACHAS(Géogr.) M. de Lisle écrit Jagas, & Dapper Jagos ; peuple d'Afrique dans la basse Ethiopie qui paroît être le même que les Galles. Voyez GALLES. (D.J.)


GIAGou JEHAGH, s. m. (Hist. mod.) nom d'un cycle de douze ans qu'ont les Catayens & les Turcs. Voyez CYCLE.

Chaque année du giagh porte le nom d'un animal ; la premiere de la souris ; la seconde, du boeuf ; la troisieme, du lynx ou léopard ; la quatrieme, du lievre ; la cinquieme, du crocodile ; la sixieme, du serpent ; la septieme, du cheval ; la huitieme, du mouton ; la neuvieme, du singe ; la dixieme, de la poule ; la onzieme, du chien ; la douzieme, du pourceau.

Ils divisent aussi le jour en douze parties, qu'ils appellent encore giagh, & leur donnent les noms des mêmes animaux. Chaque giagh contient deux de nos heures, & se divise en huit parties qu'ils nomment keh ; de sorte que leur journée contient quatre-vingt-seize kehs, ou autant que de quarts-d'heure chez-nous. D'Herbelot, biblioth. orient. Voyez le dictionn. de Trévoux & de Chambers. (G)


GIALLOLINQ(Hist. nat.) espece d'ochre ou de terre jaune, ainsi nommée par les Italiens ; c'est la même chose que ce qu'on appelle le jaune de Naples.


GIAM-BO(Bot. exot.) arbre des Indes orientales, dont le P. Boym compte deux especes.

La premiere porte des fleurs pourpres ; son tronc & ses rameaux sont de couleur cendrée ; ses feuilles sont lisses, & ont huit pouces de long sur trois de large ; son fruit est de la grosseur de nos petites pommes de renette, de couleur ou rouge, ou blanche, ou mi-partie : il contient une pulpe blanche & spongieuse, d'un goût acidule, très-agréable, propre à rafraîchir & à desaltérer ; on en fait d'excellentes conserves. Ce fruit a sa maturité en Novembre & en Décembre. Il n'a point de pepins, mais un noyau rond, dont l'amande est verte & coriace. L'arbre qui le donne, offre en même tems à la vûe des fleurs, des fruits verds & des fruits mûrs.

L'autre espece de giam-bo croît à Malaca, à Macao, & dans l'île de Hiam-Xam, qui dépend de la Chine. Cette espece differe de la premiere par ses fleurs, qui sont d'un jaune-blanc ; par l'odeur de son fruit, qui sent la rose ; & par sa couleur, qui tire sur le jaune : enfin il a une couronne semblable à celle de la grenade. Il est mûr en quelques endroits au mois de Mars, & en d'autres au Mois de Juillet. Il renferme un seul noyau séparé en deux ; sa chair est d'une saveur fort douce, sans aucune acidité.

Le P. Boym a fait graver dans sa flora sinensis une figure très-jolie du giam-bo, mais aussi peu instructive que sa description ; & cependant c'est le seul voyageur, que je sache, qui ait parlé de ce bel arbre des Indes & de la Chine. (D.J.)


GIBADOU(Géog.) ville d'Afrique au desert de Barbarie, dans le royaume de Gibadou. Elle est presque sous le tropique du Cancer, vers le 30d. 50'. de longitude. (D.J.)


GIBBARS. m. (Hist. nat. Ichth.) On donne en Saintonge ce nom à la baleine, parce qu'elle a le dos voûté & bossu. Voyez BALEINE.


GIBBOSITÉS. f. (Physiol. & Med.) en grec , inflexion contre nature de l'épine du dos qui promine au-dehors.

Cette difformité du corps arrive lorsque l'épine se courbe, se jette ou latéralement, ou en-dedans ou en-dehors, ou en-dedans & en-dehors tout ensemble. Quand le déjettement se fait en-dehors, nous le nommons bosse ; quand il se fait en-dedans, c'est ce qu'on peut appeller enfoncement ; quand il se fait en-dehors & en-dedans tout ensemble, c'est tortuosité, & il a pour-lors la forme d'une S, soit directe, soit renversée.

La gibbosité est de naissance ou accidentelle ; de naissance, par quelque mouvement violent de l'enfant dans le ventre de sa mere ; ou accidentelle après sa naissance. Laissons sans autre examen la premiere espece de gibbosité, puisqu'elle est incurable, & considérons la seconde, dans laquelle un enfant naturellement bien formé, peut ensuite par diverses causes devenir bossu en grandissant : ce cas arrive lorsqu'une partie des vertebres du dos, & des ligamens qui réunissent ces vertebres, ne pouvant croître en proportion au reste du corps, forcent l'épine à se voûter. C'est donc du méchanisme général de l'épine, qu'on déduira sans peine toutes les différentes courbures contre nature dont cette colonne osseuse est susceptible. Voyez éPINE DU DOS.

L'indication du remede est de tâcher d'affoiblir la puissance courbante, en augmentant la compression sur la partie convexe de la courbure, & en la diminuant sur la partie concave. Pour y parvenir, on doit varier la méthode suivant la différence des cas, & les diverses causes du déjettement de l'épine.

Ces causes sont externes ou internes, & les premieres plus fréquentes que les dernieres. Les enfans sont plus sujets à devenir bossus que les adultes, ou plutôt c'est dans l'enfance que cette difformité commence presque toûjours : la raison en est évidente ; il est difficile que les of tendres, mous, cartilagineux, flexibles, ne viennent à se courber par des causes externes qui les auront offensés, comme par une mauvaise maniere d'emmaillotement précédente, par des corps mal faits, par des chûtes, par des coups violens, par de mauvaises attitudes répétées, & autres évenemens semblables.

Lorsque des nourrices portent sur leur bras des enfans au maillot, dont les jambes ne sont pas bien étendues ou bien placées, dont le corps n'est pas bien assujetti, il peut arriver que les of se courbent par leur flexibilité ; & si le corps de l'enfant penchant & s'inclinant d'un côté reste long-tems dans cet état, la colonne vertébrale en souffrira, pourra se déranger, & contracter une tendance à la courbure, qui croît insensiblement & se manifeste avec l'âge. Les chûtes & les corps roides qui difforment la taille, produisent le même accident. Je dis enfin que la gibbosité peut arriver à l'occasion de certaines attitudes & habillemens négligés.

M. Winslow, dans l'hist. de l'Académ. année 1740, cite l'exemple d'une jeune dame de grande taille, bien droite, qui avoit pris l'habitude de s'habiller négligemment dans sa maison, dont elle sortoit rarement, & d'être assise toute courbée, tantôt en-avant, tantôt de côté & d'autre ; bientôt elle eut de la peine à se tenir droite debout, comme elle faisoit auparavant. Insensiblement l'épine du dos devint de plus en plus courbée latéralement en deux sens contraires, à-peu-près comme une S romaine.

La gibbosité reconnoit aussi plusieurs causes internes, comme, 1°. lorsque les ligamens qui soûtiennent les vertebres du dos, sont devenus trop flasques & trop lâches ; 2°. dans toutes les maladies qui attaqueront les vertebres, particulierement la carie de ces os, & le rachitisme ; 3°. s'il se trouve une contraction contre nature dans les muscles du bas-ventre. Nous avons dans la chirurgie de Goucy une preuve singuliere de la possibilité de la distorsion & de l'incurvation de l'épine du dos par ce dernier phénomene.

J'ai dit ci-devant que la methode curative de la gibbosité demandoit à être variée suivant les diverses causes du déjettement de l'épine. J'ajoûte à-présent que pour se flater d'y réussir, on ne sauroit s'y prendre de trop bonne heure. Comme les of & les vertebres du dos acquierent tous les jours de la solidité, & se confirment dans la figure & l'attitude qu'ils prennent ; si l'on n'apporte un promt secours aux personnes menacées de la courbure de l'épine, il ne faut pas se promettre de succès.

Ceux qui entendent la physiologie de l'économie du corps humain, conçoivent sans peine que les bosses un peu invétérées sont absolument incurables ; ce n'est qu'en employant des moyens promts & éclairés, qu'on parvient quelquefois à la guérison de cette difformité, ou du-moins à rendre ce défaut plus leger. Les vaines promesses que font les charlatans de redresser le déjettement enraciné de l'épine du dos, prouvent peut-être moins leur ignorance & leur témérité, que la crédulité des hommes, toûjours dupes des fausses espérances qu'on leur donne, toûjours plus enclins à se laisser séduire par des affronteurs, qu'à se tendre aux lumieres des maîtres de l'art.

Dès qu'on voit des enfans ménacés de cette difformité par quelque cause externe, on ne négligera rien pour tenir leur épine droite, & la garantir de l'inflexion. On observera que le lit de l'enfant soit dur, sans oreiller & qu'il couche dans ce lit sur le dos, de maniere que la tête & l'épine soient le plus qu'il sera possible en ligne droite ; on réitérera souvent une douce compression du dos ou du devant de la poitrine, pour disposer les vertebres, les épaules, les côtes & le sternum à la flexion qu'on désire. On fera toûjours asseoir l'enfant dans des siéges faits exprès pour tenir l'épine droite ; on lui donnera des corsets ou des corps mollets de baleine ou de carton faits artistement & qui puissent se retourner.

La dame dont nous avons parlé d'après M. Winslow, auroit peut-être prévenu l'augmentation de son infirmité, si de bonne-heure elle eût fait usage d'un corset particulier, & d'un dossier proportionné à son siége ordinaire.

On préférera dans d'autres occasions des bandages qui portent dans des endroits où la bosse promine. On pourra se servir d'un instrument en forme de croix, qui s'attache autour du ventre, s'applique sur le dos, maintient l'épine droite, ou la garantit d'une plus grande inflexion ; on en imaginera de semblables, suivant la taille, le caractere & le lieu de la courbure.

Il faut avoir soin en même tems de frotter fréquemment la partie qui se déjette, avec quelque liqueur spiritueuse, eau de la reine d'Hongrie, de mélisse, de lavande, spiritus matricalis, ou tout autre esprit corroboratif : on peut employer quelqu'emplâtre de la même nature ; celui de Vigo pour les nerfs, l'oxicroceum, & autres pareils. On n'omettra pas, dans certains cas, les exercices propres à fortifier les membres foibles ; & les remedes internes, s'il s'agit de corriger, d'évacuer des humeurs peccantes & superflues.

Si la taille fait un creux, ensorte que l'épine du dos voûte en-dedans, ce qui est le contraire de la gibbosité du dos, on engagera l'enfant à se courber, par quelque jeu qu'on imaginera ; en lui jettant, par exemple, sur le plancher, des cartes, de l'argent, des épingles, ou autres bagatelles qu'il se fasse un plaisir de ramasser ; la situation qu'il sera forcé de prendre pour en venir à bout portera insensiblement l'endroit de l'épine qui se courbe, à reprendre sa disposition droite.

Si l'épine tendoit à se déjetter en maniere d'S, on doit alors, en quelque sens que la tortuosité vienne à se manifester, recourir à des corsets rembourrés, de façon que les endroits rembourrés répondent aux petites excédences qui doivent être repoussées. A mesure que ces petites excédences diminueront, il faudra nécessairement grossir les rembourrures, y veiller avec attention, & renouveller ces corsets tous les deux ou trois mois.

Dans la gibbosité qui tire son origine de causes internes, il s'agit de diriger les remedes aux diverses causes dont elle émane ; humeurs scrophuleuses, carie, rachitisme, &c.

Si la courbure de l'épine provenoit par hasard du racourcissement, de la contraction des muscles du bas-ventre, on pourroit tenter sur tout le devant du corps les oignemens nervins émolliens, pour assouplir ces muscles. On connoîtra que la courbure de l'épine procede de trop grand racourcissement des muscles obliques & droits de l'abdomen, si le ventre se trouve toûjours roide & tendu ; mais si cette contraction contre nature est un vice de naissance, le mal est incurable.

On voit ordinairement par les squeletes des bossus, la tournure singuliere que prennent alors les of de l'épine du dos, des vertebres lombaires & de la poitrine. L'auteur de la description du cabinet du Roi, tom. III. in-4°. présente aux yeux deux figures de squeletes de bossus, l'un d'une femme, & l'autre d'un homme, qui en sont des démonstrations.

Dans le squelete de la femme bossue, n°. 126. la plus grande tortuosité est dans la colonne vertébrale ; la portion qui compose les vertebres des lombes & les dernieres vertebres du dos, est inclinée à droite : la dixieme, la neuvieme & la huitieme vertebre dorsale, forment une courbure qui retourne à gauche ; la septieme, la sixieme, la cinquieme & la quatrieme, suivent la même direction sur une ligne horisontale. Les trois premieres vertebres forment un contour opposé. Le point de la gibbosité étoit à l'endroit de la huitieme, neuvieme & dixieme vertebre du dos. On conçoit combien la poitrine étoit déformée par les sinuosités qu'avoit l'épine. Le côté gauche du squelete est plus saillant que le droit, & l'épaule droite beaucoup plus élevée que la gauche. Enfin les vertebres des lombes, en s'inclinant du côté droit, font baisser le bassin du même côté.

Dans le squelete de l'homme, n°. 127. les vertebres des lombes sont renversées en-arriere, & un peu à gauche ; desorte que la colonne qu'elles forment, au lieu d'être verticale, est presqu'horisontale au-dessus de l'os sacrum. Les trois dernieres vertebres du dos forment une autre sinuosité qui retourne à droite. Les quatre premieres vertebres du dos, avec celles du cou, reprennent la ligne verticale. L'endroit le plus saillant de la gibbosité étoit sur les dixieme & onzieme vertebres du dos. L'extrémité postérieure des quatre dernieres fausses-côtes contribuoit aussi à former la bosse ; car les vertebres sont tournées à droite dans cet endroit.

Palfin a remarqué dans les squeletes d'ensans dont les vertebres étoient courbées pendant leur vie, que les corps de ces vertebres, à l'endroit de leur courbure, étoient fort applatis, & que les cartilages qui sont entre-deux, étoient fort minces. C'est ce qui s'est aussi trouvé dans le squelete qu'on vient de décrire, & c'est vraisemblablement ce qui se rencontre dans la plûpart des squeletes de bossus.

J'ai vû, comme bien d'autres, dans le cabinet de Ruysch, huit vertebres du dos attachées ensemble, qui étoient tellement courbées en-dedans, que la supérieure touchoit l'inférieure : la gibbosité devoit être prodigieuse.

Quelques personnes ont observé dans des sujets qui avoient long-tems vécu avec cette sorte d'incommodité, que plusieurs vertebres étoient réunies en une seule masse osseuse, les cartilages se trouvant ossifiés dans les intervalles ; mais cette observation n'est point particuliere aux squeletes des bossus morts âgés, elle est toûjours l'effet de la vieillesse. Dans cette derniere saison, ligamens, cartilages, vaisseaux, tout s'ossifie, tout annonce le passage de la vie à la mort ; l'intervalle qui les sépare n'est qu'un point : accoûtumons-nous à le penser. (D.J.)


GIBECIERE(Art méchan.) espece de grande bourse ou de petit bissac ordinairement de cuir, & quelquefois de cuir couvert d'étoffe ; mais cette derniere sorte de gibeciere ne sert guere qu'aux bateleurs & joüeurs de gobelets, pour les tours d'adresse dont ils amusent le public. M. Eccard dérive ce mot, avec assez de vraisemblance, de l'allemand schiben, cacher, serrer, & de becher, gobelet.

A l'égard des gibecieres de cuir, terme qui peut venir du mot gibier, les unes sont rondes, & sont propres aux chasseurs, qui les tiennent attachées avec des ceintures de cuir ; ils y mettent leur poudre, leur plomb, leurs pierres-à-fusil, leur bourre, leur tire-bourre & généralement tout ce dont ils ont besoin pour la chasse. Les autres gibecieres sont quarrées, & servent aux grenadiers, soit à cheval, soit à pié, pour y mettre leurs grenades, & ces gibecieres leur pendent en bandouliere. Le reste de l'infanterie se sert aussi de gibecieres attachées au ceinturon, ce qui leur tient lieu de l'ancienne bandouliere où pendoit leur fourniment.

Les gibecieres dont on se sert dans le levant, sont composées de tuyaux de canne assemblés ordinairement à double rang, assez semblables aux anciennes flûtes de Pan, ou, pour me servir d'une comparaison plus intelligible, aux sifflets de ces chauderonniers ambulans qui vont chercher de l'ouvrage de province en province.

Cette gibeciere des Orientaux est legere, courbe, & s'accommode aisément sur le côté. Ses tuyaux sont hauts de 4 à 5 pouces, & couverts d'une peau assez propre. Chaque tuyau contient sa charge, & cette charge est un tuyau de papier rempli de la quantité de poudre & de plomb nécessaire pour tirer un coup. Quand on veut charger un fusil, on tire un de ces tuyaux de la gibeciere ; avec un coup de dent on ouvre le papier du côté où est la poudre, on la vuide en même tems dans le canon du fusil, & on laisse couler le plomb enfermé dans le reste du tuyau de papier : la charge est faite avec un coup de baguette que l'on donne par-dessus ; & le même papier qui renfermoit la poudre & le plomb, sert de bourre. Je laisse aux experts à juger si cette invention vaut mieux que la nôtre. (D.J.)

GIBECIERE, (tours de) Art d'escamotage ; terme général qui comprend tous les tours de gobelets, les tours de main, les tours de cartes, & autres de ce genre. On les nomme tours de gibeciere, parce que les faiseurs de ces sortes de tours ont à leur ceinture une espece de gibeciere, schibbeker, comme disent les Allemands, ou une espece de sac destiné à serrer leurs gobelets, leurs balles, & le reste de l'attirail nécessaire à leur escamotage. Voyez TOURS de main, TOURS de cartes, TOURS de gobelets. (D.J.)


GIBEL(LE) Aethna, Géog. la plus haute montagne de la Sicile, & une des plus célébres de l'Europe. On sait assez que tous les anciens géographes & historiens en ont parlé sous le nom de mont Ethna. C'est sous cette montagne que les poëtes ont feint que Jupiter écrasa le géant Typhon, & que Vulcain tenoit ses forges. Les Siciliens ont changé le nom latin en celui de Gibel, qu'ils ont vraisemblablement pris des Arabes, dans la langue desquels ce mot signifie une montagne ; il désigne en Sicile la montagne par excellence. Elle est proche de la côte orientale du val de Démona, entre le cap de Faro & le cap de Passaro, à quatre lieues des ruines de Catania vers le couchant. On lui donne deux grandes lieues de hauteur, & environ vingt de circonférence. Son pié est très-cultivé, tapissé de vignobles du côté du midi, & de forêts du côté du septentrion.

Son sommet, quoique toujours couvert de neige, ne laisse pas de jetter souvent du feu, de la fumée, des flammes, & quelquefois des cailloux calcinés ; des pierres-ponces, des cendres brûlantes, & des laves de matiere bitumineuse, par une ouverture qui, du tems de Bembo, & selon son calcul, étoit large de 24 stades ; la stade contient 125 pas géométriques, & par conséquent les 24 font trois milles d'Italie.

Si l'idée d'un si prodigieux gouffre fait frémir, les incendies que le Gibel vomit sont encore plus redoutables. Les fastes de la Sicile moderne ont sur-tout consacré les ravages causés par ce redoutable volcan dans les années 1537, 1554, 1556, 1579, 1669, & 1692. Lors de l'embrasement de cette montagne, arrivé en 1537, & décrit par Fazelli, les cendres furent portées par le vent à plus de cent lieues de distance. Quatre torrens de flammes sulphureuses découlerent du mont Gibel en 1669, & ruinerent quinze bourgs du territoire de Catania. Enfin le volcan de 1692 fut suivi d'un tremblement de terre qui se fit sentir en Sicile avec la plus grande violence, les 9, 10 & 11 Janvier 1693 ; renversa les villes de Catania & d'Agousto ; endommagea celle de Syracuse, plusieurs bourgs & villages, & écrasa sous les ruines plus de 40 mille ames. Il y eut alors sur le Gibel une nouvelle ouverture de deux milles de circuit.

Je n'entrerai pas dans d'autres détails ; j'en suis dispensé par la Pyrologie de Bottone Leontini, à laquelle je renvoye le lecteur. Cet intrépide naturaliste, curieux de connoître par ses propres yeux la constitution du mont Gibel, a eu la hardiesse de grimper sur son sommet jusqu'à trois différentes reprises ; savoir en 1553, 1540, & 1545 : ainsi nous devons à son courage la plus exacte topographie de cette montagne, & de ses volcans. Son livre, devenu très-rare, est imprimé en Sicile sous le titre de Aethnae topographia, incendiorumque aethnaeorum historia. (D.J.)


GIBELINS. m. (Hist. mod.) nom de la faction opposée à celle des Guelphes. Quelques-uns fixent le commencement de ces deux factions à l'an 1140.

On se rappellera sans-doute que les Gibelins étoient attachés aux prétentions des empereurs, dont l'empire en Italie n'étoit qu'un vain titre, & que les Guelphes étoient soûmis aux volontés des pontifes régnans.

Nous ne remonterons point à l'origine de ces deux partis ; nous ne crayonnerons point le tableau de leurs ravages, encore moins rapporterons-nous les conjectures odieuses des savans sur l'étymologie des noms Guelphe & Gibelin ; c'est assez de dire, avec l'auteur de l'essai sur l'Histoire générale, que ces deux factions desolerent également les villes & les familles ; & que pendant les xij. xiij. & xjv. siecles, l'Italie devint par leur animosité le théatre, non d'une guerre, mais de cent guerres civiles, qui, en aiguisant les esprits ; accoûtumerent les petits potentats italiens à l'assassinat & à l'empoisonnement.

Boniface VIII. ne fit qu'accroître le mal ; il devint aussi cruel guelphe en devenant pape, qu'il avoit été violent gibelin pendant qu'il fut simple particulier. On raconte à ce sujet qu'un premier jour de carême, donnant les cendres à un archevêque de Genes, il les lui jetta au nez, en lui disant ; " Souviens-toi que tu es gibelin, " au lieu de lui dire, souviens-toi que tu es homme.

Je ne sais si beaucoup de curieux en matiere historique, seront tentés de lire aujourd'hui dans Villani, Sigonius, Ammirato, Biondo, ou autres historiens, le détail des horreurs de ces deux factions ; mais les gens de goût liront toûjours le Dante : cet homme de génie, si long-tems persécuté par Boniface VIII. pour avoir été gibelin, a exhalé dans ses vers toute sa douleur sur les querelles de l'Empire & du Sacerdoce. (D.J.)


GIBELOTGIBLET, s. m. (Marine) c'est ce qu'on nomme courbe capucine. Cette courbe sert à lier l'éperon avec le corps du vaisseau ; ainsi une de ses branches porte sur l'étrave, où elle est assujettie avec des chevilles clavetées sur virole en-dedans du pan ; & l'autre porte sur le digon, où elle est retenue par des clous à pointe perdue. Voyez Pl. IV. fig. 1. n. 186. la courbe capucine ou gibelot. (Z)


GIBERNES. m. (Art milit.) partie de l'équipement du grenadier. La giberne est composée d'une poche de cuir, avec le cordon pour la fermer ; d'un patron de cartouches à trente trous, nervé & collé de toile, & couvert d'une patelette ; d'une patte de cuir, avec deux courroies d'attache à oeillets sur la poche ; d'une bandouliere de bufle longue de cinq à six piés, & large de deux pouces & demi, bien cousue, sans clous ni piquûre. La bandouliere a un porte-hache & un porte-fourniment ou pulverin ; une traverse, avec le porte-bayonnette & le porte-bonnet. La poche sert à porter des cartouches de provision, ou des grenades, lorsque le service l'exige. Elle a intérieurement une petite poche à balles, & plusieurs divisions, pour y placer une phiole à huile ou une petite boîte à graisse ; une piece grasse de cuir ou de drap ; le tampon du bassinet avec sa chaînette ; plusieurs pierres de rechange ; une pierre de bois pour les exercices, & un tire bourre ; effets dont elle doit toûjours être garnie. La giberne ne differe de la demi-giberne ou cartouche du soldat, que par la grandeur de la poche ; elle est soûtenue par la bandouliere, qui se porte de gauche à droite. Article de M. DURIVAL le cadet.


GIBETS. m. (Jurisprud.) est le lieu destiné pour exécuter les criminels, ou le lieu dans lequel on expose leurs corps au public.

Ce mot vient de l'arabe gibel, qui signifie montagne ou élevation, parce que les gibets sont ordinairement dressés sur des hauteurs, afin d'être plus en vûe.

Les échelles & fourches patibulaires sont aussi des gibets. Voyez ÉCHELLES PATIBULAIRES & FOURCHES. (A)


GIBIERS. m. (Chasse) c'est en général tout ce qui est la proie du chasseur ; ainsi les loups, les renards, &c. sont gibier pour ceux qui les chassent ; les buzes, les corneilles, sont gibier dans la Fauconnerie, &c. Cependant ce nom est plus particulierement affecté aux animaux sauvages qui servent à la nourriture de l'homme. Si l'on parle d'une forêt bien peuplée de gibier, on veut dire qu'il y a beaucoup de cerfs, de daims, de chevreuils, &c. Une terre giboyeuse est celle où l'on trouve abondamment des lievres, des lapins, des perdrix, &c.

La propriété des terres étant établie, il paroît que celle du gibier qu'elles nourrissent devroit en être une suite : mais le droit naturel a depuis long-tems cédé à la force ; il est d'usage presque par-tout que les seigneurs seuls ayent le droit de giboyer. A l'égard du paysan il cultive la terre ; & après des travaux pénibles, il voit dévorer par le gibier le grain qu'il a semé sans pouvoir s'y opposer, & souvent sans oser s'en plaindre. Voyez CHASSE.

La reserve de la chasse à la classe des nobles, a dû être une suite naturelle du gouvernement militaire. Les cultivateurs étoient serfs ; les nobles avoient en main l'autorité & la force : il leur falloit bien pendant la paix un exercice indépendant, qui ne leur laissât pas oublier la guerre. Cette police est peut-être fort avantageuse en elle-même ; la liberté de chasser donnée à tout le monde, pourroit enlever beaucoup de bras à l'Agriculture, qui déjà n'en a pas assez. Mais ce qui ne peut être utile à rien, c'est la conservation d'une excessive quantité de gibier, sur-tout des especes qui détruisent les récoltes. Quelques êtres accablés du poids de leur inutilité, pour se ménager des occasions de se fuir, font gémir sous le poids de l'amertume & de la misere, une foule d'hommes respectables par leurs travaux & leur honnêteté : mais en blâmant les goûts excessifs, nous devons servir ceux qui sont raisonnables. La conservation de certaines especes de gibier peut être agréable & utile sans beaucoup d'inconveniens. On en a fait un art qui a des regles, & qui demande quelques connoissances. Nous allons dire ce qu'il est essentiel de savoir là-dessus.

Il y a plusieurs especes qui ne demandent que des soins ordinaires. La nature a destiné un certain nombre d'animaux à servir de nourriture à quelques autres ; retranchez seulement les animaux carnassiers, vous porterez très-loin la multiplication des autres : ainsi en détruisant les loups, vous aurez des cerfs, des chevreuils, &c. faites périr les renards, les foüines, les belettes, &c. vos bois se peupleront de lapins, vos plaines se couvriront de lievres, de maniere à vous incommoder vous-même. La destruction des animaux carnassiers est donc le point le plus essentiel pour la conservation de toute espece de gibier ; & le retranchement de ces animaux nuisibles, est un dédommagement du mal que le gibier peut faire lorsqu'il n'est pas excessivement abondant. La moindre négligence là-dessus rend inutiles tous les soins qu'on pourroit prendre d'ailleurs, & cela demande de la part de ceux qui en sont chargés beaucoup d'attention & d'habitude.

Ce soin principal n'est cependant pas le seul qu'exigent les especes de menu gibier qu'on peut conserver avec le moins d'inconvéniens ; je parle des perdrix grises, des perdrix rouges & des faisans. Nous avons donné la maniere de les élever familierement pour en peupler promtement une terre. Voyez FAISANDERIE.

Chacune de ces especes demande un pays disposé d'une maniere particuliere, & des soins propres que nous allons indiquer séparément. En réunissant ces dispositions & ces soins, on peut réunir & conserver les trois especes ensemble.

Les perdrix grises se plaisent principalement dans les plaines fertiles, chaudes, un peu sablonneuses, & où la récolte est hâtive. Elles fuyent les terres froides, ou du moins elles ne s'y multiplient jamais à un certain point. Cependant si des terres naturellement froides sont échauffées par de bons engrais, si elles sont marnées, &c. l'abondance des perdrix peut y devenir très-grande : voilà pourquoi les environs de Paris en sont peuplés à un point qui paroît prodigieux. Tous les engrais chauds que fournit cette grande ville, y sont répandus avec profusion, & ils favorisent autant la multiplication du gibier, que la fécondité des terres. En supposant les mêmes soins, les meilleures récoltes en grains donneront la plus grande quantité de gibier. C'est donc souvent une mal-adresse de la part de ceux qui sont chargés de faire observer les regles des capitaineries, d'y tenir la main avec trop de rigueur. Vous pourriez permettre encore d'arracher l'herbe qui étouffe les blés ; si vous l'empêchez, une récolte précieuse sera perdue ; & le blé fourré d'herbe venant à se charger d'eau & à verser, inondera vos nids & noyera vos perdreaux.

La terre étant bien cultivée, les animaux destructeurs étant pris avec soin, il faut encore pour la sûreté & la tranquillité des perdrix grises, qu'une plaine ne soit point nue, qu'on y rencontre de tems en tems des remises plantées en bois, ou de simples buissons fourrés d'épines : ces remises garantissent la perdrix contre les oiseaux de proie, les enhardissent à tenir la plaine, & leur font aimer celle qu'elles habitent. Quand on n'a pour objet que la conservation, il ne faut pas donner une grande étendue à ces remises ; il vaut mieux les multiplier ; des buissons de six perches de superficie seroient très-suffisans, s'ils n'étoient placés qu'à cent toises les uns des autres ; mais si l'on a le dessein de retenir les perdrix après qu'elles ont été chassées & battues dans la plaine, pour les tirer commodément pendant l'hyver, on ne peut pas donner aux remises une étendue moindre que celle d'un arpent. La maniere de les planter est différente aussi, selon l'usage qu'on en veut faire. Voyez REMISE.

On peut être sûr que dans un pays ainsi disposé & gardé, on aura beaucoup de perdrix ; mais l'abondance étant une fois établie, il ne faut pas vouloir la porter à l'excès. Il faut tous les ans ôter une partie des perdrix, sans quoi elles s'embarrasseroient l'une l'autre au tems de la ponte, & la multiplication en seroit moindre. C'est un bien dont on est contraint de joüir pour le conserver. La trop grande quantité de coqs est sur-tout pernicieuse. Les perdrix grises s'apparient ; les coqs surabondans troublent les ménages établis, & les empêchent de produire : il est donc nécessaire que le nombre des coqs ne soit qu'égal à celui des poules ; on peut même laisser un peu moins de coqs : quelques-uns se chargent alors de deux poules, & leur suffisent ; elles pondent chacune dans un nid séparé, mais fort près l'une de l'autre ; leurs petits éclosent dans le même tems, & les deux familles se réunissent en une compagnie sous la conduite du pere & des deux meres. Voilà ce qui concerne la conservation des perdrix grises.

Les rouges cherchent naturellement un pays disposé d'une maniere différente ; elles se plaisent dans les lieux élevés, secs & pleins de gravier ; elles cherchent les bois, sur-tout les jeunes taillis & les fourrés de toute espece. Dans les pays où la nature seule les a établies, on les trouve sur les bruyeres, dans les roches ; & quand on n'a d'elles que des soins ordinaires, elles ne paroissent pas se multiplier beaucoup. Les perdrix rouges sont plus sauvages & plus sensibles au froid que ne sont les grises : il leur faut donc plus de retraites qui les rassûrent, & plus d'abris qui pendant l'hyver les garantissent du vent & du froid. Les perdrix grises ne quittent point la plaine lorsqu'elles y sont en sûreté ; elles y couchent & sont pendant tout le jour occupées du soin de chercher à vivre. Les perdrix rouges ont des heures plus marquées pour aller aux gagnages ; elles sortent le soir deux heures avant le soleil couchant ; le matin lorsque la chaleur se fait sentir, c'est-à-dire pendant l'été vers neuf heures, elles rentrent dans les bois & surtout dans les taillis, que nous avons dit leur être nécessaires. Il faut donc que le pays où l'on veut multiplier les perdrix rouges, soit mêlé de bois & de plaines ; il faut encore que ces plaines, quoique voisines des bois, soient fourrées d'un assez grand nombre de petites remises, de buissons, de haies, qui établissent la sûreté de ces oiseaux naturellement farouches. Si quelqu'une de ces choses manque, les perdrix rouges desertent. Les grises sont tellement attachées au lieu où elles sont nées, qu'elles y meurent de faim plutôt que de l'abandonner ; il n'y a que la crainte extrême des oiseaux de proie qui les y oblige. Les perdrix rouges ont besoin d'une sécurité plus grande ; si vous les faites partir souvent de leurs retraites, cet effroi répété les chassera, & elles courront jusqu'à-ce qu'elles ayent trouvé des lieux inaccessibles. On voit par-là que le projet de multiplier dans une terre les perdrix rouges à un certain point, entraîne beaucoup de dépenses & de soins, qui peuvent & doivent peut-être en dégoûter ; c'est un objet auquel il faut sacrifier beaucoup, & n'en joüir que rarement. Les perdrix rouges s'apparient comme les grises, & il est essentiel aussi que le nombre des coqs ne soit qu'égal à celui des poules. On peut tuer les coqs dans le courant de l'année, à coups de fusil : avec de l'habitude, on les distingue des poules en ce que celles-ci ont la tête & le cou plus petits, & la forme totale plus legere : si l'on n'a pas pris cette précaution avant le tems de la ponte, il faut au-moins la prendre pendant ce tems pour l'année suivante. Dès que les femelles couvent, elles sont abandonnées par les mâles, qui se réunissent en compagnies fort nombreuses. On les voit souvent vingt ensemble. On peut tirer hardiment sur ces compagnies ; s'il s'y trouve quelques femelles mêlées, ce sont de celles qui ont passé l'âge de produire. Cette opération se doit faire depuis la fin de Juin jusqu'à celle de Septembre : après cela, les vieilles perdrix rouges se mêlent avec les compagnies nouvelles, & les méprises deviennent plus à craindre.

Les faisans se plaisent assez dans les lieux humides ; mais avec de l'attention on peut en retenir partout où il y a du bois & du grain. Il faut aux faisans des taillis qui les couvrent, des arbres sur lesquels ils se perchent, des plaines fertiles qui les nourrissent, dans ces plaines des buissons qui les assûrent, & autant que tout cela une tranquillité profonde, qui seule peut les fixer. Si je voulois peupler d'une grande quantité de faisans un pays nud, je planterois des bosquets de vingt arpens, à trois cent toises les uns des autres. Ces bosquets seroient divisés en quatre parties, dont chacune seroit coupée à l'âge de seize ans, afin qu'il y eût toûjours des taillis fourrés & dequoi percher. Les entre-deux de ces bosquets seroient cultivés comme la terre l'est ordinairement ; une partie seroit semée en blé ; l'autre en mars, pendant que le troisieme resteroit en jachere. Je voudrois outre cela planter à cent toises de chacun de ces grands bosquets, des buissons allongés en haies, qui établiroient la sûreté des faisans dans la plaine ; & ces buissons serviroient à les faire tuer. Le terrein ainsi disposé, on ne tourmenteroit jamais les faisans dans les grands bosquets dont j'ai parlé ; ils y trouveroient un asyle assûré, lorsqu'on les auroit chassés à la faveur des buissons. Si vous faites partir deux ou trois fois les faisans, ils s'effrayent & desertent. On espere en vain d'en retenir beaucoup par-tout où l'on chasse souvent. Ce seroit dans ces haies intermédiaires dont nous avons parlé, qu'on donneroit à manger aux faisans pendant l'hyver. L'orge & le sarrasin sont leur nourriture ordinaire ; ils sont très-friands des féverolles : on peut aussi leur planter des topinambours ; c'est une espece de pomme de terre qu'ils aiment, & qui sert à les retenir, parce qu'il leur faut beaucoup de tems pour la déterrer. Dès qu'on s'apperçoit que la campagne ne fournit plus aux faisans beaucoup de nourriture ; dès que les coqs commencent à s'écarter, il faut leur jetter du grain : on ne leur en donne pas beaucoup d'abord ; mais en plein hyver il ne faut pas moins qu'un boisseau mesure de Paris par jour, pour une centaine de faisans ; s'il vient de la neige, il en faut davantage. Pendant la neige, la conservation du gibier en général demande beaucoup d'attention.

Il faut découvrir le gason des prés pour les perdrix grises. Pour cela on se sert de traîneaux triangulaires qui doivent être fort pesans, & armés pardevant d'une espece de soc de fer qui fende la neige. On y attele un ou deux chevaux, & on attache sur le derriere, pour faire l'office du balai, une bourrée d'épines fort rudes, qu'on a soin de charger. Il faut que des hommes balayent, le long des buissons au midi, des places pour donner à manger aux perdrix rouges. Il faut pour les faisans répandre dans différentes places du fumier, sur lequel on jette du grain. Il est nécessaire qu'ils soient long-tems à le trouver. Si on ne le leur donnoit pas de cette maniere, il seroit dévoré sur le champ ; & après cela leur oisiveté & leur inquiétude naturelle les feroient deserter. Malgré tous ces soins on perd encore beaucoup de faisans, sur-tout pendant les brouillards qui sont fréquens à la fin de l'automne. Voilà ce que nous connoissons de plus essentiel pour la conservation du gibier. Les détails de pratique ne peuvent point être écrits ; mais ils ne seront ignorés d'aucun de ceux qui voudront s'en instruire par l'usage. Nous en avons peut-être trop dit, vû le peu d'importance de la matiere. Le nombre de ceux qu'intéresse la conservation du gibier, ne peut pas être comparé à la foule d'honnêtes gens qu'elle tourmente. Nous ne devons pas finir sans avertir ceux-ci, qu'en fumant leurs terres un peu plus, & en semant leurs blés quinze jours plutôt, les faisans & les perdrix ne leur feront qu'un leger dommage. A l'égard des lievres & des lapins, leur abondance fait un tort auquel il n'y a point de remede ; on ne les multiplie qu'aux dépens des autres especes de gibier, & à la ruine des récoltes. Ce projet ne peut donc appartenir qu'à des hommes qui ont oublié ce qu'ils sont, & ce qu'en cette qualité ils doivent aux autres. Cet article est de M. LE ROY, Lieutenant des Chasses du parc de Versailles.


GIBRALTAR(DETROIT DE) Herculeum fretum, ou Gaditanum fretum, (Géog.) c'est un des plus célebres détroits du vieux monde ; il est entre l'Andalousie en Espagne, & le royaume de Fez en Barbarie. Sa longueur est d'environ dix lieues ; sa largeur de quatre, & il joint la mer Méditerranée avec l'Océan atlantique. On voit à l'endroit le moins large de ce détroit, du côté de l'Espagne, la montagne de Gibraltar qui lui donne le nom ; & du coté de l'Afrique, la montagne des Singes. Les anciens ont pris ces deux montagnes pour les deux colonnes d'Hercule ; & c'est par cette raison qu'ils ont donné au détroit le nom du détroit d'Hercule. La baie de Gibraltar est fort grande ; elle a environ 7 milles d'ouverture, & près de 8 d'enfoncement. La pointe de l'oüest est le cap Carnero, & celle de l'est le mont Gibraltar. (D.J.)

GIBRALTAR, Colpa, (Géog.) ville d'Espagne, dans l'Andalousie, située près d'une montagne escarpée de toutes parts, du sommet de laquelle on découvre plus de quarante lieues en mer, & sur la côte septentrionale du détroit de même nom, qui fait la communication de l'Océan & de la Méditerranée. Son port est défendu par plusieurs forts. Les Anglois prirent cette ville en 1704, & elle est demeurée à l'Angleterre par le traité d'Utrecht. Elle est à deux lieues N. de Ceuta, 18 S. E. de Cadix : on voit à une lieue de cette ville Gibraltar Véjo, qui n'est autre chose que les ruines de l'ancienne Héraclea. Le nom de Gibraltar s'est fait par corruption de Gibel Tarif, terme arabe qui signifie montagne de Tarif ; & ce nom vient des Maures. Ce fut en 1303 que Ferdinand IV. leur enleva Gibraltar : qui n'étoit pas si difficile à conquérir qu'aujourd'hui. Long. 12. 35. lat. 36. (D.J.)


GIENGiemacum, (Géog.) ville de France dans le Hurepoix, sur la Loire, à trois lieues au-dessous de Briare, à dix d'Orléans, à trente-quatre S. E. de Paris. C'est un comté qui appartenoit autrefois aux seigneurs de Donzy, & relevoit des évêques d'Auxerre. Gien est toujours du diocèse d'Auxerre ; mais quant au comté, Louis XIV. l'a vendu ou engagé au chancelier Seguier. Long. 20. 17. 42. latit. 47. 4. 8. (D.J.)


GIENGENGienga, (Géog.) petite ville libre & impériale d'Allemagne, dans la Soüabe, sur la riviere de Brentz, entre Ulm & Nordlingen. Long. 28. 2. lat. 48. 38. (D.J.)


GIENZOR(Géog.) ville ouverte d'Afrique dans la Barbarie, au royaume de Tripoli, dont elle est à quatre lieues. Long. 56. 35. lat. 34. 18. (D.J.)


GIERACEHieracium ou Sancta Hieracia, (Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, avec un évêché suffragant de Reggio. Elle est sur une montagne près de la mer, à 13 lieues N. E. de Reggio, 11 S. E. de Nicotera. Long. 34. 18. lat. 38. 15. (D.J.)


GIESSENGiessa, (Géog.) ville forte d'Allemagne dans la haute Hesse, avec une université fondée en 1607, un château & un arsenal ; elle est dans le partage de la maison de Darmstadt, dans un terrein fertile, sur la riviere de Lohn, à deux lieues de Wetzlar, à quatre S. O. de Marpurg, neuf S. E. de Francfort. Voyez Zeyler, Harsiae topog. Long. 26. 26. lat. 50. 30.

Hertius (Jean Nicolas) jurisconsulte, mort en 1710 à 59 ans, étoit de Giessen. Il est connu par quelques ouvrages estimés, & entr'autres par des opuscules écrits en latin sur l'histoire & la géographie de l'ancienne Germanie. (D.J.)


GIFT-MEHLS. m. (Métallurgie) ce mot est allemand, & signifie farine empoisonnée. Il est usité dans les atteliers où l'on grille le cobalt pour en dégager l'arsenic : cet arsenic se dissipe en fumée, & est reçu dans une longue cheminée horisontale, aux parois de laquelle il s'attache sous la forme d'une poudre blanche ou d'une farine legere. On la recueille au bout de quelques tems, pour la mettre à sublimer & en faire soit de l'arsenic crystallin, soit de l'orpiment & du réalgar, en y joignant du soufre. Voyez COBALT & SAFFRE, ORPIMENT, REALGAR. (-)


GIGANTESQUEadj. qui est d'une taille démesurée ou de géant. Voyez GEANT. Le P. Bouhours rapporte qu'une des principales fourberies des Brames, est de persuader aux simples que les pagodes mangent comme nous ; & afin qu'on leur présente beaucoup de viande, ils font ces dieux d'une figure gigantesque, & leur donnent sur-tout un gros ventre. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


GIGANTOMACHIES. f. (Littérat.) description du combat des géans contre les dieux fabuleux de l'antiquité. Voyez ci-devant GEANS, (Myth.)

Plusieurs poëtes ont composé des gigantomachies ; celle de Scarron est assez connue.


GIGLIOAegilium ou Igilium, (Géog.) petite île d'Italie sur la côte de Toscane, avec un château pour la défendre des corsaires. Elle est située au N. O. de l'île d'Elve, & fait partie de l'état de Sienne. Le portulan de la Méditerranée dit qu'elle est environ à 12 milles S. O. de la pointe de l'O. d'Argentaro, & lui donne 6 à 7 milles de longueur. Long. 28. 35. latit. 42. 24. (D.J.)


GIGOTS. m. (Boucherie & Cuisine) c'est la cuisse du mouton, qu'on appelle aussi l'éclanche.


GIGOTÉadj. (Manége) expression basse, mais néanmoins reçue pour désigner un cheval qui a de l'étoffe, dont les membres sont parfaitement bien fournis, & dont la partie appellée communément & improprement la cuisse, répond exactement par son arrondissement & par son volume, à celui de la croupe. Ce cheval est bien gigoté, il doit avoir de la force. (e)

GIGOTE, (Vénerie) Chien bien gigoté, c'est quand un chien a les cuisses rondes & les hanches larges, c'est signe de vîtesse.


GIGUES. f. (Musique) air qui se marque ordinairement d'un 6/8, qui se bat à deux tems inégaux & vifs, & qui commence ordinairement en levant. La gigue n'est proprement qu'une espece de loure dont le mouvement est accéléré. Voyez LOURE. Il y a même dans les anciens opéra françois des gigues designées par le mouvement 6/4 de la loure, comme dans le prologue de l'opéra de Roland. La gigue est très-commune dans nos opéra, parce que cet air par sa vivacité & son sautillement est très-propre à la danse ; on lui a même donné plus essentiellement ce caractere parmi nous par la maniere dont on l'a souvent noté. Chez les Italiens la mesure de la gigue est de six croches qui se passent de trois en trois ; la premiere plus vîte, la seconde un peu moins, la troisieme encore un peu moins. Chez nous, au lieu des trois croches on substitue trois autres notes équivalentes ; mais dont la premiere se passe très-vîte, la seconde une fois moins, la troisieme deux fois moins : ce sont une double croche, une croche simple, & une croche pointée. Par cette maniere de noter & de joüer ; la gigue devient plus vive, d'une mesure plus marquée & plus propre pour la danse ; elle est aussi en cet état très-propre à recevoir des paroles gaies, & quelquefois susceptible d'une expression très-heureuse. Telle est la gigue de Thésée chantée en duo par deux vieillards, Pour le peu de bon tems qui nous reste, &c. Cet air, plein de caractere & de vérité, est bien préférable à un grand nombre d'autres airs du même musicien qui n'ont pas ce mérite, mais qu'on admire encore chez nous par préjugé & par habitude.

Les Italiens font aussi beaucoup d'usage de la gigue, même dans leurs pures symphonies ; & on sait que Corelli entr'autres à excellé dans ce genre. Mais ils ne bornent pas le mouvement de cet air à des sonates, ni même à des airs de chant gai ; ils l'employent quelquefois très-à-propos dans des airs vifs de différente espece, d'amour, de fureur, de douleur même. La maniere dont nous notons nos airs de gigue, ne les rend propres qu'à rendre des paroles gaies ; la petite différence dans la maniere de noter des Italiens, les met à portée d'exprimer par ce mouvement beaucoup plus que nous. Nous ne pouvons, il est vrai, nous persuader, graces à la finesse de notre tact en Musique, & aux modeles que nous en avons, qu'un mouvement vif puisse exprimer autre chose que la joie, comme si une douleur vive & furieuse parloit lentement. C'est en conséquence de cette persuasion que les morceaux vifs du Stabat, exécutés gaiement au concert spirituel, ont paru des contre-sens à plusieurs de ceux qui les ont entendus. Nous pensons sur cet article à-peu-près comme nous faisions il y a très-peu de tems sur l'usage des cors-de-chasse. On sait, pour peu qu'on ait entendu de beaux airs italiens pathétiques, l'effet admirable que cet instrument y produit ; avant cela nous n'aurions jamais imaginé qu'il pût être placé ailleurs que dans une fête de Diane.

Au reste, pour en revenir à la gigue, comme elle se bat à deux tems, les François & les Italiens l'ont quelquefois marquée d'un 2 au lieu d'un 6/8, en y conservant d'ailleurs la maniere de noter que nous avons dite. (O)


GIHUN(Géogr.) Les Arabes appellent ainsi l'Oxus des anciens, grande & célebre riviere d'Asie, qui prend sa source dans la province de Tokharestan, au pié du mont Imaüs. Elle a son cours géneral du couchant au levant ; & après avoir coupé la Chowaresme en deux, & séparé la Perse du Turkestan, elle se jette dans la mer Caspienne. (D.J.)


GILBERTINSS. m. pl. (Hist. ecclesiastiq.) ordre de religieux ainsi nommés de leur fondateur Gilbert de Sempringhand, dans la province de Lincoln, qui institua cet ordre l'an 1148.

On n'y recevoit que des gens qui eussent été mariés. Les hommes suivoient la regle de saint Augustin, & étoient chanoines, & les femmes celle de saint Benoît.

Le fondateur ne bâtit qu'un monastere double, ou plutôt deux monasteres différens qui se touchoient ; l'un pour les hommes, & l'autre pour les femmes, mais séparés par de hautes murailles.

Cet ordre eut des monasteres semblables, où l'on compta dans la suite jusqu'à sept cent religieux, & plus d'une fois autant de religieuses. Mais il fut aboli avec tous les autres sous le regne d'Henri VIII. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


GILGULS. m. (Théologie) mot qui se trouve souvent dans les écrits des juifs modernes, & surtout dans leurs livres allégoriques. Il signifie roulement ; mais les auteurs sont partagés sur le vrai sens qu'y donnent les rabbins. Les uns croyent que tous ceux de leur nation qui sont dispersés dans le monde, & qui meurent hors de la terre de Chanaan, ne ressusciteront au jour du jugement dernier que par le moyen de ce gilgul, c'est-à-dire, selon eux, que leurs corps rouleront par les fentes de la terre pratiquées par Dieu même, jusqu'à-ce qu'ils soient arrivés en Judée, ce qui porte plusieurs d'entr'eux à se rendre avant leur mort dans le pays qu'ont habité leurs peres, pour éviter ce roulement. Les rabbins ne sont pas eux-mêmes d'accord sur la maniere dont les cadavres feront ce voyage, quelques-uns les faisant ressusciter dans le lieu même où ils auront été ensevelis ; d'autres imaginant que Dieu leur creusera des cavernes & des soûterreins, qui de toutes les parties du monde aboutiront au mont des Olives. C'est ce que Buxtorf rapporte dans son dictionnaire chaldaïco-rabbinique. L'opinion de Léon de Modene est beaucoup plus vraisemblable. Il assûre qu'il y a des juifs qui, comme Pythagore, croyent la transmigration des ames d'un corps dans un autre ; que cette maniere de penser, quoiqu'elle ne soit pas universellement reçue, a parmi eux ses défenseurs & ses adversaires, & que c'est cette espece de métempsycose qu'ils nomment gilgul. Quoique les Juifs prétendent fonder ces différentes explications du gilgul sur divers passages de l'Ecriture, on doit regarder leurs idées à cet égard comme tant d'autres visions extravagantes dont leurs livres sont remplis. Léon de Modene, cérémonies des Juifs, part. V. chap. x. (G)


GILLES(SAINT-) Sancti-Aegidii villa, Géogr. petite ville de France au bas Languedoc, un des deux grands prieurés de Malte dans la Langue de Provence, à 5 lieues O. d'Arles, 11 N. E. de Montpellier. Long. 22. 8. lat. 43. 40. (D.J.)


GILOLO(Géogr.) grande île d'Asie avec une capitale de même nom dans l'Archipel des Moluques. Elle est sous la ligne, entre l'île de Celebes & la terre de Papous, dont elle n'est séparée que par un petit canal ; cette île est fort irréguliere. On lui donne cent milles du N. au S. & autant de l'E. à l'O. L'air y est fort chaud, & la terre fertile en riz & en sagu. La mer qui l'environne, lui fournit quantité de tortues. Long. 145d. (D.J.)


GILOTINSS. m. pl. (Hist. mod.) jeunes gens dont on fait l'éducation dans une communauté fondée par un ecclésiastique appellé M. Gillot, & mieux connue sous le nom de Sainte-Barbe. Les maîtres & les écoliers de cette communauté ont joüi d'une grande réputation de science & de moeurs depuis son établissement, & les changemens que les affaires du tems ont apportés à cette maison, n'en ont point affoibli la régularité & l'amour de l'étude.


GIMBLETTES. f. c'est un ouvrage de Confiserie fait en forme d'anneaux, de chiffres, &c. d'une pâte mêlée avec du vin d'Espagne ou du vin blanc commun, des oeufs, de la farine, à laquelle on donne telle odeur qui plaît.


GIMMA(Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre composée d'un assemblage de coquilles & de différens corps marins pétrifiés.


GIMMOR(Géogr.) montagne de Suisse dans le canton d'Appenzell. On y trouve quantité de pierres assez curieuses, dont les unes sont blanchâtres & sans couleurs étrangeres, & les autres sont transparentes, avec des traits noirs qui les coupent à angles droits ; ces pierres pourroient bien n'être autre chose qu'une espece de talc. Voyez TALC. (D.J.)


GINDou DGINDI, s. m. pl. (Hist. mod.) espece de cavaliers turcs extrêmement adroits. On leur attribue des tours de force & de souplesse très-singuliers. Ils ramassent, dit-on, en courant une lance qu'ils ont jettée à terre ; ils galopent quelquefois tenant un pié sur un cheval & un pié sur un autre, & en cet état tirent des oiseaux qu'on a placés exprès sur les plus hauts arbres. D'autres feignent de tomber, se laissent glisser sous le ventre du cheval, puis se remettent en selle. On ajoûte qu'Amurath IV. voulant un jour se divertir, leur commanda de courir l'un contre l'autre les deux piés sur la selle, ce qu'ils exécuterent après plusieurs chûtes. Un italien qui avoit été dix ans esclave à Constantinople, où il avoit appris de pareils exercices, les donna en spectacle à Paris en 1585, à ce que rapporte Vigenere. Ricaut, de l'empire ottoman. (G)


GINGEMBRES. m. (Bot. exot.) plante exotique dont la fleur imitant celle de nos orchis, sort d'une masse écailleuse, & s'ouvre par six pétales qui la composent ; l'ovaire devient ensuite un fruit triangulaire à trois loges, qui contiennent plusieurs graines.

Le détail suivant fera mieux connoître cette plante, diversement nommée dans les livres de Botanique ; elle est appellée gingembre femelle à feuilles étroites, zingiber angustiori folio foemina, utriusque Indiae alumna, par Pluk. Alm. page 397. iris latifolia, tuberosa, zingiber dicta flore albo, H. Oxon. ; mangaratia, par Pison ; gingibil, par Bontius ; chilli Indiae orientalis, par Hernandes ; inschi ou inschi-kua, H. Malab.

La racine, selon le P. Plumier, a du rapport avec celle du roseau ; elle est tendre, écailleuse, branchue, blanche en-dedans, pâle & jaunâtre en-dehors, d'un goût très-piquant. Cette racine pousse trois ou quatre petites tiges, cylindriques, épaisses d'un demi-doigt, renflées & rouges à leur origine, mais entierement vertes dans le reste de leur longueur.

De ces tiges, les unes sont garnies de feuilles, les autres se terminent en une masse écailleuse ; celles qui sont feuillées sont en grand nombre, alternes, épanoüies en tout sens, semblables à celles du roseau, mais plus petites & plus molles, longues d'environ un demi-pié, pointues, & ayant un peu plus d'un pouce dans leur plus grande largeur. Elles font lisses, d'un verd gai, & partagées par une petite côte saillante en-dessous ; les petites tiges qui finissent en masse ont à peine un pié de hauteur ; elles sont entourées & couvertes de petites feuilles verdâtres, & rougeâtres à leur pointe. La masse qui termine chaque tige, plaît par sa beauté ; car elle est toute composée d'écailles membraneuses, d'un rouge doré, ou bien elles sont verdâtres & blanchâtres.

De l'aisselle de ses écailles sortent des fleurs qui imitent celles de nos orchis, & qui s'ouvrent en six pieces aiguës, en partie pâles, & en partie rouge foncé, & tachetées de jaunâtre. Le pistil qui s'éleve du centre est très-menu, court, blanc, terminé par une pointe blanche recourbée, & rouge à l'extrémité. Sa base devient un fruit coriace, ovalaire, triangulaire, à trois loges, à trois panneaux remplis de plusieurs graines. Les masses ont une vive odeur ; les fleurs qui en sortent durent à peine un jour, & s'épanoüissent successivement l'une après l'autre.

Quoiqu'on cultive cette plante en Amérique, elle ne paroît pas originaire de cette partie du monde ; & l'on a lieu de croire qu'elle y a été apportée, de même qu'au Bresil, des Indes orientales ou des Philippines.

La seconde espece de gingembre appellée gingembre mâle, zingiber sylvestre mas, par Pison Mant. Arom. anchoas ou zingiber mas, par Hernandes ; & katon-inschi-kua, par Commelin. H. Malab. ne differe de la précédente, qu'en ce que ses feuilles sont rudes, plus épaisses & plus larges, ses racines plus grosses, d'une odeur moins forte, d'un goût moins brûlant & moins aromatique ; & c'est aussi pour cette raison qu'on n'en fait pas autant de cas.

Il y a une troisieme plante qui est nommée gingembre sauvage à larges feuilles, zingiber majus latifolium sylvestre, par Herman. C'est celle qui donne la racine de zérumbeth ; nous la décrirons à sa place. Voyez ZERUMBETH. (D.J.)

GINGEMBRE, (Agricult.) Cette plante, à cause du grand débit de sa racine, se cultive dans les deux Indes, & même en Europe par des curieux.

Les habitans de Malabar conservent d'une année à l'autre des racines noüeuses & filandreuses de cette plante. Après avoir fait plusieurs creux d'une certaine profondeur & à certaines distances dans un terrein gras, bien fumé & bien labouré, ils enfoncent des tranches de racines dans chaque creux, les couvrent d'un peu de terre, & les arrosent plus ou moins, selon que le terrein est plus ou moins sec. Ils continuent les arrosemens jusqu'au tems de la récolte qui se fait ordinairement en Janvier, & qui est indiquée par les feuilles fannées de la plante ; alors ils arrachent les racines de terre, & les font sécher lentement. Aussi-tôt qu'elles sont passablement seches, ils les enduisent de bol pour empêcher les insectes de s'y mettre. Linschotten dit que pour garantir efficacement les racines de gingembre des injures de l'air, des vers, & des teignes, ils font de grands amas de ces racines, les couvrent de terre de potier, & les laissent sécher insensiblement sous cette couverture impénétrable.

On suit à-peu-près la même méthode de culture dans les îles Antilles qu'aux Indes orientales ; on y plante le gingembre sur la fin de la saison des pluies, c'est-à-dire en Octobre & en Novembre. Après que la terre a été labourée à la houe, on met de pié-en-pié une branche de la racine qui a été conservée de la derniere récolte ; on préfere celles à qui il est resté le plus de chevelure, & on les recouvre de trois ou quatre doigts de terre. Au bout de dix à douze jours la plante commence à pousser une pointe, qui ne paroît d'abord que comme la pousse des jeunes ciboules, tant les feuilles sont foibles. Alors on prend soin de tenir la terre bien nette, d'en arracher les mauvaises herbes, & de continuer cette pratique jusqu'à-ce que la plante soit assez forte pour couvrir la terre, & étouffer d'elle-même les herbes inutiles qui veulent croître dans son enceinte.

Les pattes, c'est ainsi qu'ils nomment les racines, se fortifient & s'étendent dans la terre à-proportion de la bonté du terrein, car cette plante a coûtume de le dégraisser & de le manger beaucoup. Quand la racine est mûre, ce qu'on connoît aux feuilles, qui, après avoir jauni, se fanent & se sechent, on arrache la plante avec ses pattes & son chevelu ; s'il en est resté quelques-unes en terre, on les cherche avec la houe, & on les enleve.

On sépare ensuite la tige des pattes ; on nettoye les pattes de toutes les ordures qu'elles peuvent avoir ; on les racle legerement, on les lave, on les fait sécher sur des claies, simplement à l'air & à l'abri du soleil. Ces racines sont d'une substance si délicate, que cette substance seroit bien-tôt consommée, & n'offriroit plus qu'une peau ridée avec très-peu de chair, si on les faisoit sécher au soleil ou au four.

Pour préserver des insectes les racines de gingembre ainsi séchées, on les enduit de bol rouge, jaune, ou d'autre couleur ; & pour le transporter chez l'étranger, on les enferme dans des boîtes couvertes de terre ou de sable. D'autres, après avoir enlevé l'écorce extérieure des racines, jettent ces racines ainsi pelées dans de la saumure ou du vinaigre, & les y laissent macérer pendant une couple d'heures ; au sortir de là, ils les exposent autant de tems au soleil, & finalement ils les couvrent de nattes dans leurs magasins pour l'usage & le débit. Celles qu'on a trop lavées ou nettoyées, perdent une partie de leur force, de leur chaleur, & de leur acrimonie.

On cultive le gingembre en Europe par pure curiosité ; & l'on réussit très-bien à cette culture. Voici comment.

On transplante au printems des racines de cette plante dans des pots pleins de terre fertile & legere ; on plonge ces pots dans des couches de tan, qu'il convient d'arroser fréquemment. Au fort de l'été, on doit tenir avec des tuiles les chassis de verre soûlevés pour donner de l'air à la plante ; & si l'on tempere habilement l'accès de l'air, la chaleur, & les arrosemens, on verra les racines dans une seule saison se fortifier, grossir, s'étendre de toutes parts, & produire des fleurs.

Mais il faut observer dans nos climats tempérés de tenir constamment, & même pendant tout l'été les pots de gingembre dans les couches de tan, sans les en sortir. Pendant l'hyver, il faudra que ces pots soient non-seulement à demeure dans la serre chaude, mais qu'ils y soient plongés dans du tan. Ces pots de racines ne prospéreroient point aussi-bien sur des planches dans le lieu le plus chaud de la serre, qu'ils le feront dans la couche du tan au même degré de chaleur. On doit peut-être en attribuer la cause à la vapeur du tan qui s'éleve par la fermentation ; & qui passant par les trous du fond des pots, humecte les racines, les nourrit, & les maintient dans l'embonpoint.

Le jaunissement & la flétrissure des feuilles indiquent la maturité des racines, & pour lors on peut les tirer des pots ; mais celles qu'on réserve pour multiplier, doivent rester dans leurs pots jusqu'au printems suivant, qui est le tems favorable à la transplantation, & toûjours un peu avant que la racine jette des feuilles. En effet, on a remarqué que c'est d'abord après la pointe des feuilles, que les racines poussent des fibres charnues qui les sauvent & les conservent. (D.J.)

GINGEMBRE, (racine de) Comm. Il n'est pas possible de calculer la quantité de gingembre dont les Indes fournissent l'Europe chaque année, parce que les vaisseaux marchands qui viennent de nos colonies en apportent sans-cesse, soit en nature, soit confit.

Le gingembre qu'on confit dans les colonies pour le débit ordinaire, est brun, & le sirop noir ; mais on est parvenu dans les îles à faire une excellente confiture de gingembre pour les gens aisés & les officiers de Marine, qui en consomment beaucoup sur mer. Voici la maniere dont on y réussit ; & c'est une très-bonne méthode pour ôter l'âcreté mordicante & nuisible de toutes sortes de racines.

On cueille celle-ci avant sa maturité, lorsqu'elle est jeune & tendre. On la ratisse pour enlever la premiere pellicule ; ensuite on la coupe par tranches qu'on fait macérer dans plusieurs eaux pendant une dixaine de jours pour ôter leur âcreté ; & l'on change ces eaux toutes les douze heures. Après cette préparation, on fait bouillir les racines à grande eau pendant une bonne demi-heure ; quand on les a tirées de cette eau, & qu'elles ont été bien égouttées, on les met dans un sirop foible, clarifié, tout chaud ; & on les laisse dans ce sirop pendant vingt-quatre heures. On les fait égoutter une seconde fois, & on les remet dans un nouveau sirop plus fort pendant le même espace de tems ; enfin on les replonge dans un troisieme sirop bien clarifié, où on les laisse à demeure, si l'on veut les conserver liquides, & d'où on les tire, si l'on veut les mettre à sec, pour en composer des marmelades & des pâtes. Le gingembre confit de cette maniere est d'une couleur d'ambre, claire, transparente, tendre sous la dent, & sans âcreté mordicante ; le sirop en est blanc & agréable.

Le prix du gingembre en nature est à Amsterdam depuis huit jusqu'à douze florins la livre ; le prix du gingembre confit depuis quatorze jusqu'à vingt florins. L'Allemagne & le Nord consomment beaucoup de l'un & de l'autre gingembre. Nos Epiciers achetent volontiers le gingembre en nature, dont ils composent une sorte d'épices qu'ils nomment épice blanche : mais les colporteurs ne vendent guere de poivre où il n'y ait une partie de gingembre mêlée ; & c'est de-là que vient le bas prix auquel ils le donnent. (D.J.)

GINGEMBRE, (Mat. med.) on connoît sous ce nom dans les boutiques une racine d'un goût acre, brûlant, d'une odeur forte assez agréable ; on estime celle qui est récente, blanche ou pâle & odorante ; on rejette celle qui est rongée des vers, qui est pleine de poussiere, & dont la superficie a été couverte de bol ou de craie, pour remplir les trous que les vers ont faits ; car elle y est fort sujette. Geoffroi, Mat. med. On nous l'apporte dans deux états, séchée, & confite avec le sucre.

Le gingembre séché entre dans les poudres des plus anciens antidotes, tels que la thériaque, le mithridate, le diascordium, dans les confections cordiales, stomachiques, & même purgatives, & dans tous les anciens électuaires purgatifs : il est employé dans ces derniers comme un puissant correctif des purgatifs, selon l'idée des anciens. Voyez CORRECTIF.

On fait entrer aussi quelquefois le gingembre en poudre dans diverses préparations magistrales, telles que les opiates & les bols stomachiques, cordiaux, & sur-tout dans les remedes destinés à exciter l'appétit vénérien & l'aptitude à le satisfaire ; il est très-renommé pour cette derniere qualité ; & les effets qu'on lui attribue sur ce point sont très-réels : on le prescrit quelquefois aussi à titre de carminatif : c'est un puissant tonique & un véritable échauffant. Voyez ÉCHAUFFANT & TONIQUE. C'est pourquoi il faut bien se garder d'en permettre l'usage à ceux qui ont les solides tendus & irritables, ou qui sont sujets à des hémorrhagies : on pourroit le donner seul en substance depuis dix jusqu'à vingt grains dans les relâchemens extrêmes de l'estomac ; mais on le donne très-rarement ainsi, à cause de sa grande acreté.

On use beaucoup plus fréquemment dans les prescriptions magistrales, du gingembre confit ; celui-ci est beaucoup plus doux, mais il est encore assez actif pour réveiller doucement le jeu de l'estomac, exciter l'appétit, faciliter la digestion, donner des forces, & ce que les Medecins appellent pudiquement de la magnanimité, si on en mange plusieurs morceaux dans la journée : au reste, cette confiture est très-agréable ; & on la sert assez communément sur nos tables. (b)


GINGI(Géog.) royaume d'Asie ; ce royaume est une contrée de la côte de Coromandel, dans la presqu'île de l'Inde, en-deçà du Gange. Elle est bornée au nord par le royaume de Bisnagar, au sud par le Tanjaon, à l'est par l'Océan indien, à l'oüest par les montagnes de Gate, qui la séparent de la côte de Malabar. Son prince particulier ou naîque, est tributaire du roi de Décan ; sa ville principale est Gingi, espece de forteresse au sud du royaume de Carnate, à quatorze lieues oüest de Pondichéry. Long. suivant le P. Boucher, d'environ 100d. & suivant Desplaces, 97d. 21'. 30". latit. 12d. 10'. (D.J.)


GINGIROou GINGER-BOMBA, (Géograph.) royaume d'Ethiopie au nord de la ligne équinoctiale, & au sud de l'Abyssinie, par laquelle il est borné au nord-est ; il est terminé à l'est par la riviere de Zébée, au sud par le Monoémugi, à l'oüest par le Mujac, au nord par la province de Gorrham : tout l'intérieur du pays nous est inconnu, personne n'y a pénétré. (D.J.)


GINGLIMES. m. (Anatomie) est une espece de diarthrose ou d'articulation des os. Voyez DIARTHROSE & ARTICULATION.

Le ginglime est une espece d'articulation dans laquelle deux of se reçoivent mutuellement, de maniere qu'un même of reçoit & est reçû. Voyez Os.

Il y a trois sortes de ginglimes ; la premiere est lorsque le même of par la même extrémité est reçû par un seul of qu'il reçoit réciproquement en forme de charniere : telle est l'articulation de l'os du bras & de celui du coude.

La seconde est lorsqu'un of en reçoit un autre par une de ses extrémités, & qu'il est reçu dans un autre par son autre extrémité, comme le radius & le cubitus.

La troisieme espece de ginglime est celle où un of est reçû en forme de roue ou d'essieu, comme la seconde vertebre est reçue par la premiere. Chambers. (L)


GINS-ENGS. m. (Bot. exot.) on écrit aussi gens-eng, ging-seng & geng-seng ; la plus célebre racine médicinale de toute l'Asie.

C'est-là cette racine si chere & si précieuse que l'on recueille avec tant d'appareil dans la Tartarie ; que les Asiatiques regardent comme une panacée souveraine, & sur laquelle les medecins chinois ont écrit des volumes entiers où ils lui donnent le nom de simple spiritueux, d'esprit pur de la terre, de recette d'immortalité.

Cette fameuse racine a un ou deux pouces de longueur : tantôt elle est plus grosse que le petit doigt, & tantôt moins, un peu raboteuse, brillante & comme transparente, le plus souvent partagée en deux branches, quelquefois en un plus grand nombre, garnie vers le bas de menues fibres : elle est roussâtre en-dehors, jaunâtre en-dedans, d'un goût acre, un peu amer, aromatique, & d'une odeur d'aromate qui n'est pas desagréable.

Le collet de cette racine est un tissu tortueux de noeuds, où sont imprégnées alternativement, soit d'un côté, soit de l'autre, les traces des différentes tiges qu'elle a eues & qui marquent ainsi l'âge de cette plante, attendu qu'elle ne produit qu'une tige par an, laquelle sort du collet & s'éleve à la hauteur d'un pié. Cette tige est unie & d'un rouge noirâtre.

Du sommet de cette tige naissent trois ou quatre queues creusées en gouttiere dans la moitié de leur longueur, qui s'étendent horisontalement, & sont disposées en rayons ou en une espece de parasol : les queues sont chacune chargée de cinq feuilles inégales, minces, oblongues, dentelées, retrécies, allongées vers la pointe, & portées sur la queue qui leur est commune, par une autre petite queue plus ou moins grande. La côte qui partage chaque feuille jette des nervures qui font un réseau en s'entrelaçant.

Au centre du noeud où se forment les queues des feuilles, s'éleve un pédicule simple, nud, d'environ cinq à six pouces, terminé par un bouquet de petites fleurs, ou par une ombelle garnie à sa naissance d'une très-petite enveloppe. Cette ombelle est composée de petits filets particuliers qui soûtiennent chacun une fleur dont le calice est très-petit, à cinq dentelures, & porté sur l'embryon. Les pétales sont au nombre de cinq, ovales, terminés en pointe, rabattus en-dehors. Les étamines sont aussi au nombre de cinq, de la longueur des pétales, & portent chacune un sommet arrondi.

Le stile est court & ordinairement partagé en deux branches, quelquefois en trois & en quatre, dont chacune est surmontée d'un stigmate : ce stile est posé sur un embryon qui en mûrissant devient une baie arrondie, profondément cannelée, couronnée, & partagée en autant de loges qu'il y avoit de branches au stile. Chaque loge contient une semence plate, en forme de rein.

Lieux de sa naissance. Le gins-eng croît dans les forêts épaisses de la Tartarie, sur le penchant des montagnes, entre les 39 & 47d. de latit. septentr. & entre le 10 & le 20d. de longitude orientale, en comptant depuis le méridien de Pékin. Le meilleur vient dans les montagnes de Tsu-toang-seng ; celui qui naît dans la Corée, & qu'on nomme ninzin, est plus épais, mou, creux en-dedans, & beaucoup inférieur au vrai gins-eng.

Il n'est donc pas vrai que cette plante soit originaire de la Chine, comme le dit le P. Martini, d'après quelques livres chinois qui la font croître dans la province de Pékin, sur les montagnes d'Yong-Pinfou : mais on a pû aisément s'y tromper, parce que c'est-là qu'elle arrive quand on l'apporte de la Tartarie à la Chine.

Appareil avec lequel on recueille, on seche, & on prépare cette racine. Les endroits où vient le gins-eng sont séparés de la province de Quantong, appellée Leaotong dans nos anciennes cartes, par une barriere de pieux de bois qui renferme toute cette province, & aux environs de laquelle des gardes rodent continuellement pour empêcher les Chinois d'aller chercher cette racine : cependant quelque vigilance qu'on employe, l'avidité du gain inspire aux Chinois le secret de se glisser dans ces deserts au risque de perdre leur liberté & le fruit de leurs peines, s'ils sont surpris en sortant de la province ou en y rentrant.

L'empereur qui régnoit en 1709, souhaitant que les Tartares profitassent de ce gain préférablement aux Chinois, avoit ordonné à dix mille Tartares d'aller ramasser eux-mêmes tout ce qu'ils pourroient de gins-eng, à condition que chacun d'eux en donneroit à sa majesté deux onces du meilleur, & que le reste seroit payé aux poids d'argent fin. Par ce moyen on comptoit que l'empereur en auroit cette année-là environ vingt mille livres chinoises, qui ne lui coûteroient guere que la quatrieme partie de leur valeur. Le P. Jartoux rencontra par hasard la même année quelques-uns de ces Tartares au milieu de ces affreux deserts.

Voici l'ordre que tient cette armée d'herboristes : après s'être partagé le terrein selon leurs étendarts, chaque troupe au nombre de cent, s'étend sur une ligne jusqu'à un terme marqué, en gardant de dix en dix une certaine distance : ils cherchent ensuite avec soin la plante dont il s'agit, en avançant insensiblement sur un même rond ; & de cette maniere ils parcourent pendant un certain nombre de jours l'espace qu'on leur a marqué.

Ceux qui vont à la découverte de cette plante, n'en conservent que la racine, & ils enterrent dans un même endroit tout ce qu'ils peuvent en ramasser durant dix ou quinze jours. Ils la recueillent avec beaucoup de soin & d'appareil au commencement du printems, & sur la fin de l'automne.

Ils ont soin de la bien laver & de la nettoyer, en ôtant tout ce qu'elle a de matiere étrangere, avec un couteau fait de rambou, dont ils se servent pour la ratisser legerement ; car ils évitent religieusement de la toucher avec le fer ; ils la trempent ensuite un instant dans de l'eau presque bouillante ; & puis ils la font sécher à la fumée d'une espece de millet jaune, qui lui communique un peu de sa couleur. Le millet renfermé dans un vase avec de l'eau, se cuit à petit feu.

Les racines couchées sur de petites traverses de bois au-dessus du vase, se sechent insensiblement sous un linge ou sous un autre vase qui les couvre. On les fait aussi sécher au soleil, ou même au feu : mais quoiqu'elles conservent leur vertu, elles n'ont pas alors cette couleur que les Chinois aiment davantage. Quand ces racines sont seches, ils les mettent dans des vaisseaux de cuivre bien lavés, & qui ferment bien ; ou ils les tiennent simplement dans quelque endroit sec. Sans cette précaution, elles seroient en danger de se pourrir promtement & d'être rongées des vers. Ils font un extrait des plus petites racines, & ils gardent les feuilles pour s'en servir comme du thé.

Relation qu'en donne Koempfer. Aux détails du P. Jartoux sur cette racine, il est bon de joindre ceux de Koempfer qui y sont assez conformes, quoiqu'il en ait donné une figure fort différente.

Cette plante, dit ce fameux voyageur, si l'on en excepte le thé, est la plus célebre de toutes celles de l'orient, à cause de sa racine, qui y est singulierement recherchée ; celle que l'on apporte de Corée dans le Japon, & que l'on cultive dans les jardins de la ville de Méaco, y vient mieux que dans sa propre patrie ; mais elle est presque sans vertu : celle qui naît dans les montagnes de Kataja, où l'air est plus froid, dure plus long-tems ; sa racine subsiste & ses feuilles tombent en automne : dans le Japon elle produit plusieurs tiges chargées de graine, & elle meurt le plus souvent en un an.

Lorsque le tems de ramasser cette racine approche, on met des gardes dans toutes les entrées de la province de Siamsai, pour empêcher les voleurs d'en prendre avant la recolte.

Ces racines étant nouvellement tirées de la terre, on les macere pendant trois jours dans de l'eau froide, où l'on a fait bouillir du riz ; étant ainsi macérées, on les suspend à la vapeur d'une chaudiere couverte, placée sur le feu : ensuite étant sechées jusqu'à la moitié, elles acquierent de la dureté, deviennent rousses, résineuses, & comme transparentes ; ce qui est une marque de bonté. On prépare les plus grandes fibres de la même maniere.

Prix & choix de cette racine. Le prix de cette racine est si haut parmi les Chinois, qu'une livre se vend aux poids de deux & trois livres pesant d'argent ; c'est pourquoi on a coûtume de l'altérer de différentes façons ; & nos épiciers lui substituent souvent d'autres racines exotiques, ou celle du behen-blanc.

Il faut choisir le gins-eng qui est récent, odorant, & non carié ni vermoulu ; ce qui est l'ordinaire : j'en ai vû en 1734 chez Séba, la partie entiere qu'avoit reçû la compagnie hollandoise des Indes orientales, & qu'il venoit d'acheter à la vente publique de cette compagnie : dans cette quantité, qui lui coûtoit d'achat quelques milliers de florins, il y en avoit bien une cinquieme partie de gâtée.

Le P. Lafiteau paroît avoir trouvé la même plante au Canada.

On a eu beau semer la graine de gins-eng, soit à la Chine soit au Japon, elle meurt, ou la racine qu'elle pousse est sans vertu.

On ne la connoissoit que dans les montagnes de la Tartarie dont nous avons parlé, quand le P. Lafiteau jésuite, missionnaire des Iroquois du Sault S. Louis, naturellement amateur des plantes, & éclairé par la lettre que le P. Jartoux avoit écrite sur le gins-eng, se mit à le chercher dans les forêts du Canada, & crut enfin l'avoir trouvé.

Il a depuis soûtenu sa découverte par un livre qu'il publia en 1718, & qu'il distribua à l'académie des Sciences, dont il tâcha de dissiper entierement les doutes.

On voit dans cet ouvrage une description du gins-eng du Canada, nommé par les Iroquois garent-oguen, encore plus circonstanciée que celle du P. Jartoux : garent-oguen, veut dire, deux choses séparées comme deux cuisses. Le nom de gen-seng ou gins-eng, signifie pareillement en chinois, cuisses d'homme, ressemblance d'homme, homme-plante.

M. de Jussieu a semé au jardin royal, des graines assez fraîches & bien conditionnées du gins-eng d'Amérique, qu'il avoit reçues du P. Lafiteau, mais qui n'ont pas réussi ; de sorte que le gins-eng du Canada est encore plus rare en Europe, que celui de la Chine. Je dis le gins-eng du Canada, parce que toutes les présomptions semblent réunies pour ne regarder les deux gins-eng que comme une même plante.

Le degré de latitude, le terroir, la position des montagnes, l'aspect des marais qui sont semblables, la ressemblance des feuilles, des pédicules, des fleurs, des fruits, des tiges, des racines vivaces, & des effets, donnent tout lieu de penser que la plante d'Amérique est la même que celle d'Asie. La transparence qu'a d'ordinaire le gins-eng de la Chine, & qui manque au gins-eng du Canada, n'est point une preuve que ce soient deux plantes différentes : en effet, cette transparence n'est que le produit de l'art & de la préparation qu'on donne presque toûjours au gins-eng de la Chine. Mais j'en ai vû en Hollande de naturel, très-ancien, & bien conservé, qui n'avoit point acquis en vieillissant ni cette couleur ni cette transparence du gins-eng préparé. Ainsi le tems ne lui donne point cette qualité, comme il la donne quelquefois à d'autres racines pleines de suc, à des fibres très-déliées, qui étant bien seches, ont beaucoup moins de capacité, & ressemblent à-peu-près à de la corne.

Si l'on tentoit cette pratique sur le gins-eng du Canada, il n'y a pas de doute qu'on ne parvînt à le rendre semblable au gins-eng chinois préparé. M. Geoffroy, qui me fournit cette observation, & qui possédoit dans sa collection d'histoire naturelle un morceau très-opaque de gins-eng, apporté autrefois en France par les ambassadeurs de Siam, ajoûte (mém. de l'Acad. 1740, p. 97.) qu'il a fait l'essai dont je viens de parler, sur quelques racines des plantes ombelliferes, & sur-tout sur celle du chervi, qu'il a rendue transparente, en la faisant simplement bouillir dans de l'eau commune, & l'exposant ensuite à l'air pour la faire sécher.

Enfin, sans qu'on ait même besoin de séduire les Chinois par aucune préparation, il est certain qu'ils ne savent pas distinguer le gins-eng pur & naturel du Canada de celui de Tartarie : notre compagnie des Indes profitant de leur erreur, leur vend habilement l'un pour l'autre, & a déjà eu le secret jusqu'à ce jour (1747), de débiter à la Chine trois à quatre mille livres pesant du gins-eng de la Nouvelle-France.

Epoque de la connoissance du gins-eng en Europe. Celui de la Chine n'a commencé d'être connu en Europe qu'en 1610, par des Hollandois curieux qui en apporterent les premiers en revenant du Japon ; il se vendoit alors au-dessus du poids de l'or. Cependant notre nation en avoit peu oüi parler avant l'arrivée des ambassadeurs de Siam en France, qui entr'autres présens, en donnerent à Louis XIV.

Estime singuliere que les Asiatiques font du gins-eng. Les Asiatiques le regardent comme une panacée souveraine ; les gens riches & les seigneurs chinois y ont recours dans leurs maladies comme à la derniere ressource : je dis les gens riches, parce qu'il faut l'être beaucoup pour pouvoir faire, comme eux, un usage commun de cette racine, dont la livre vaut dans les Indes orientales mêmes une centaine d'écus argent de France. Mais le cas singulier que les Chinois & les Japonois font du gins-eng, est encore au-dessus de son prix.

Si nous en croyons la traduction que nous a donné le docteur Vandermonde d'un auteur chinois, sur le mérite de cette racine, " elle est utile, dit cet auteur, dans les diarrhées, les dyssenteries, le dérangement de l'estomac & des intestins, de même que dans la syncope, la paralysie, les engourdissemens, & les convulsions ; elle ranime d'une maniere surprenante ceux qui sont épuisés par les plaisirs de l'amour ; il n'y a aucun remede qu'on puisse lui comparer pour ceux qui sont affoiblis par des maladies aiguës ou chroniques. Lorsqu'après l'éruption, la petite vérole cesse de pousser, les forces étant déjà affoiblies, on en donne une grande dose avec un heureux succès : enfin en la prenant à plusieurs reprises, elle rétablit d'une maniere surprenante les forces affoiblies ; elle augmente la transpiration ; elle répand une douce chaleur dans les corps des vieillards, & affermit tous les membres : bien plus, elle rend tellement les forces à ceux même qui sont déjà à l'agonie, qu'elle leur procure le tems de prendre d'autres remedes, & souvent de recouvrer la santé ". Voilà des vertus admirables, si elles étoient vraies.

" Cependant, continue l'auteur chinois, le gins-eng est peu secourable à ceux qui mangent beaucoup & à ceux qui boivent du vin : il faut l'employer avec précaution, & sur le déclin de l'accès dans les fievres malignes & épidémiques ; il faut l'éviter avec soin dans les maladies inflammatoires ; il faut en donner rarement dans les hémorrhagies, & seulement après en avoir connu la cause. On l'essayera vainement, quoique sans danger, dans les maladies écroüelleuses, scorbutiques, & vénériennes ; mais il fortifie & réveille ceux qui sont languissans ; il secourt d'une maniere agréable ceux qui sont abattus par de longues tristesses & par la consomption, en l'employant prudemment depuis un scrupule jusqu'à demi-dragme en infusion en poudre, en extrait ; ou si l'on aime mieux, en le mêlant avec d'autres remedes, depuis dix grains jusqu'à soixante, & même davantage dans certains cas, & selon que la nécessité l'exige ".

On ne peut s'empêcher, après avoir lû ce panégyrique, de le prendre plutôt pour l'ouvrage d'un missionnaire medecin traduit en chinois, que pour celui d'un medecin chinois traduit en françois.

Usage du gins-eng en Europe, & son peu d'efficacité. Quoi qu'il en soit, on se contente en Europe de prescrire quelquefois le gins-eng dans la foiblesse, la cardialgie, les syncopes, les maux de nerfs, & les vertiges qui viennent d'inanition, comme aussi dans l'épuisement des esprits causé par les plaisirs de l'amour, par des remedes ou des maladies.

On donne cette racine en poudre ou en infusion dans l'eau bouillante, depuis un scrupule jusqu'à une dragme ; ou bien on prend, par exemple, deux scrupules de gins-eng ; écorce d'orange & de citron, ana quinze grains ; de castoreum, cinq grains : le tout étant pulvérisé, on y ajoûte quelque conserve, pour en former un bol.

Son odeur agréable, sa saveur douce un peu acre mêlée de quelque amertume, semble indiquer qu'elle doit posséder des vertus analogues à celles de l'angélique & du méum.

Le P. Jartoux assûre avoir éprouvé sur lui, pendant qu'il étoit en Tartarie, les vertus salutaires du gins-eng, après un tel épuisement de travail & de fatigue, qu'il ne pouvoit pas même se tenir à cheval : je sais même que d'autres personnes prétendent avoir fait dans nos climats, avec un succès surprenant, la même expérience. Mais des medecins célebres, sur le témoignage desquels on peut certainement compter, & je dois mettre Boerhaave à la tête, m'ont dit qu'ils avoient donné, répété, prodigué en bol, en poudre, en infusion, jusqu'à deux onces entieres de gins-eng du meilleur & du plus cher, dans les cas où il pouvoit le mieux réussir, à des gens qui le desiroient & qui espéroient beaucoup de l'efficace de ce remede, sans néanmoins en avoir vû presque d'autres effets marqués, que ceux d'une augmentation de force & de vivacité dans le pouls.

Si l'on a de la peine à imaginer que des peuples entiers fassent à la longue un si grand cas de cette racine, en s'abusant perpétuellement sur le succès, il faudra conclure qu'elle agit plus puissamment sur leur corps que sur les nôtres, ou qu'elle possede quand elle est fraîche, des qualités qu'elle perd par la vétusté, par le transport, & avant que de nous parvenir. D'ailleurs, un grand inconvénient de son usage en Europe, est qu'il est rare d'en avoir de bonne sans vermoulure. Je ne parle pas de son prix, parce qu'il y a bien des gens en état de le payer, si son efficace y répondoit.

M. Réneaume, dans l'hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1718, fait grand fond sur l'hépatique, pour nous consoler du gins-eng : mais cette plante vulnéraire européenne ne répond point aux propriétés attribuées à la racine d'Asie.

De son débit à la Chine & en Europe. Tout le gins-eng qu'on ramasse en Tartarie chaque année, & dont le montant nous est inconnu, doit être porté à la doüanne de l'empereur de la Chine, qui en préleve deux onces pour les droits de capitation de chaque tartare employé à cette récolte ; ensuite l'empereur paye le surplus une certaine valeur, & fait revendre tout ce qu'il ne veut pas à un prix beaucoup plus haut dans son empire, où il ne se débite qu'en son nom ; & ce débit est toûjours assûré.

C'est par ce moyen que les nations européennes trafiquantes à la Chine, s'en pourvoyent, & en particulier la compagnie hollandoise des Indes orientales, qui achete presque tout celui qui se consomme en Europe.

Je n'ai jamais pû savoir la quantité qu'elle en apporte chaque année pour le débit. Les courtiers d'Amsterdam auxquels je me suis adressé, & qui pouvoient en être instruits, n'ont pas voulu se donner la peine d'en faire la recherche : ce n'étoit-là pour moi qu'un simple objet de curiosité stérile, mais il y a telle connoissance de la consommation de certaines drogues propres à produire l'exécution de projets avantageux au bien de l'état, si ceux qui le gouvernent prenoient à coeur ces sortes d'objets de commerce.

Auteurs sur le gins-eng. Les curieux peuvent consulter la lettre du P. Jartoux, qui est insérée dans les lettres édifiant. tom. X. outre que la figure qu'il a donnée de cette plante est vraisemblablement la meilleure.

Le P. Lafiteau, mém. sur le gins-eng, Paris 1718, in-12.

Koempfer, amoenitates exot. Lemgov, 1712, in-4°.

Breynius, tract. de gins-eng radice, Lugd. Batav. 1706, in-4°.

Andr. Bleyer, ephimer. nat. curios. dec. ij. observ. 2.

Christ. Mentzelius, ibid. dec. ij. ann. 5. observat. xxxjx. avec des figures tirées des herbiers chinois, & autres auteurs.

Sébastien Vaillant, établissem. d'un genre de plante nommé arialastrum, dont le gins-eng est une espece. Hanovre, 1718, in-4°.

Bernard Valentini, historia simplicium reformata, Francof. 1716, in-fol.

Plucknet, dans sa phytographie, Lond. 1696. in-fol. en a donné une assez bonne représentation, tab. 101. num. vij. celle de Bontius est fausse : celle de Pison, mantiss. arom. 194. n'est pas exacte : celle de Catesby, London, 1748, in-fol. est d'une grande beauté.

Voyez aussi la thèse de Jacques-François Vandermonde, ou l'extrait de cette thèse qui est dans le journal des savans, Octob. 1736.

Je n'ignore pas que nos voyageurs à la Chine, ou ceux qui ont écrit des descriptions de ce pays-là, ont aussi beaucoup parlé du gins-eng ; entr'autres Jean Ogilby, hist. de la Chine, Lond. 1673, in-fol. en anglois ; le P. Martini, dans son atlas ; le P. Kircker, dans sa Chine illustrée ; le P. Tachard, dans son voyage de Siam ; l'auteur de l'ambassade des Hollandois à la Chine, part. II. ch. iij. le P. le Comte, dans ses mém. de la Chine, tome I. p. 496. & beaucoup d'autres. Mais presque tous les détails de ces divers auteurs sont fautifs, ou pour mieux dire, pleins d'erreurs. (D.J.)


GIODDAH(Géog.) Quelques-uns écrivent Gedda, & d'autres Jedda, &c. ville & port de mer au bord oriental de la mer Rouge en Arabie ; il s'y fait un grand commerce, puisqu'on la regarde comme le port de la Mecque, dont elle n'est qu'à la distance d'une demi-journée. Tout y est cher jusqu'à l'eau, à cause du grand abord de plusieurs nations différentes, outre que tous les environs sont sablonneux, incultes, & stériles. Au reste la rade est assez sûre, suivant le rapport du medecin Poncet (lett. edif. to. IV.) : les petits vaisseaux y sont à flot, mais les gros sont obligés de rester à une lieue. Long. 58d. 28'. latit. 22. (D.J.)


GIONULISS. m. pl. (Hist. mod.) volontaires ou avanturiers dans les troupes des Turcs, qui les mêlent à celles des Zaïms & des Timariots. Autrefois ils s'entretenoient à leurs dépens, dans l'espérance d'obtenir par quelqu'action signalée la place d'un zaïm ou d'un timariot mort à l'armée. Aujourd'hui les Gionulis forment un corps de cavalerie soûmis aux ordres des visirs, sous le commandement d'un colonel particulier qu'on nomme Gionuli agasi. Dans les jours de cérémonie, ils portent un habit à la hongroise ou à la bosnienne. On croit que leur nom vient de gionum, mot turc qui signifie impétuosité furieuse, parce qu'en effet ils sont fort intrépides, & s'exposent aux dangers sans ménagement. Ricaut, de l'empire ottoman. (G)


GIORASH(Géog.) ville d'Asie, de l'Arabie heureuse, dans le Yemen. Elle subsiste par ses tanneries, parce qu'elle est située dans un lieu couvert d'arbres dont l'écorce sert à apprêter les peaux. Latit. 17d. (D.J.)


GIOVENAZZO(Géog.) Juvenacium, petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Bari. Elle est sur une montagne près de la mer, mais sans port, avec une simple plage à une lieue E. de Molfetta, deux N. O. de Bari, quatre E. de Trani. Long. 34. 25. lat. 41. 33. (D.J.)


GIPONS. m. terme de Corroyeur, c'est une espece d'éponge ou de lavette faite de morceaux de drap que les ouvriers qui s'en servent appellent paines. Les Corroyeurs & les Hongrieurs employent le gipon pour donner le suif à leurs peaux.

Il y a encore un autre gipon dont les Corroyeurs se servent pour appliquer sur les peaux de l'eau d'alun, quand ils veulent les mettre en rouge ou en verd. Ces artisans se servent aussi d'un gipon de serge pour le moüillage des peaux qu'ils appellent vaches étirées. Voyez CORROYEUR & CUIR DE HONGRIE.


GIRAFFES. f. (Hist. nat. Zoolog.) giraffa, animal quadrupede. Les Arabes le nomment zurnapa, les Latins l'appelloient camelo-pardalis, parce que sa peau est parsemée de taches comme celles d'un léopard, & qu'il a le cou long comme un chameau. Belon a vû une giraffe au Caire qui étoit très-belle & fort douce ; sa tête ressembloit à celle d'un cerf, quoique moins grosse ; elle avoit de petites cornes mousses, longues de six travers de doigt, & couvertes de poil, celles de la femelle sont plus courtes. Cette giraffe avoit les oreilles grandes comme celles d'une vache, le cou long, droit & mince, les crins déliés & les jambes grêles ; celles de devant étoient fort longues, & celles de derriere fort courtes à proportion ; les piés ressembloient à ceux d'un boeuf ; la queue descendoit jusqu'aux jarrets, & étoit garnie de crins trois fois plus gros que ceux d'un cheval ; elle avoit le corps très-mince & le poil blanc & roux. Cet animal a les attitudes du chameau, il se couche sur le ventre, & il a des callosités à la poitrine & aux cuisses ; lorsqu'il paît l'herbe, il est obligé d'écarter les jambes de devant ; cependant il a beaucoup de peine à baisser la tête jusqu'à terre ; mais au contraire il a beaucoup de facilité pour atteindre aux branches des arbres, parce que les jambes de devant & le cou sont fort longs. Sa hauteur étoit de seize piés depuis les piés jusqu'au-dessus de la tête, & il avoit depuis la queue jusqu'au sommet de la tête dix-huit piés de longueur ; celle du cou étoit de sept piés. Obser. liv. II. chap. xljx. Voyez QUADRUPEDE.


GIRANDES. f. (Artific.) est un terme emprunté des Fontainiers, qui appellent ainsi un faisceau ou amas de plusieurs jets d'eau qu'on imite dans les feux d'artifice par une promte succession de plusieurs caisses de fusées volantes, qui les jettent par milliers dans les réjoüissances d'une certaine somptuosité.

GIRANDE D'EAU, (Hydrauliq.) c'est un faisceau de plusieurs jets qui s'élevent avec impétuosité, & qui par le moyen des vents renfermés, imitent le bruit du tonnerre, la pluie & la neige, comme les deux de Tivoli & de Montedracone à Frescati, près de Rome.


GIRANDOLES. f. (Hydraul.) est une espece de gerbe que quelques-uns appellent girande, qui par la blancheur de son eau, imite la neige ; on en voit plus en Italie qu'en France. Voyez ci-dessus GIRANDE. (K)

GIRANDOLES, en terme de Metteur en oeuvre, est une espece de boucle d'oreille, composée d'un corps qui n'est le plus souvent qu'un simple noeud où l'on peut suspendre une ou trois pendeloques. Voyez PENDELOQUES.

GIRANDOLES, (Artificier) il n'y a de différence entre les soleils tournans & les girandoles que dans la position qu'on leur donne pour les tirer, qui en les mettant dans un autre point de vûe, paroît en changer l'effet. On les nomme soleils, lorsqu'ils sont placés verticalement ; & girandoles, quand leur plan est parallele à l'horison.

Un soleil tournant est une roue que le feu d'une ou de plusieurs fusées qui y sont attachées fait tourner, agissant comme dans les fusées volantes par l'action du ressort de la matiere enflammée contre l'air qui lui résiste.

On n'en fait guere à plus de cinq reprises, attendu qu'il faudroit donner un trop grand diametre à la roue pour vaincre la résistance que la pesanteur d'un plus grand nombre de fusées occasionneroit.

On peut bien garnir une roue de vingt fusées, & d'un plus grand nombre ; mais il faudra pour la faire tourner que quatre de ces fusées partent à-la-fois. Savoir, la premiere, la sixieme, la onzieme & la seizieme, qui en finissant donneront feu à la deuxieme, à la septieme, à la douzieme, & à la dix-septieme fusée, & ainsi des autres ; de sorte que la roue, quoique garnie de vingt fusées, ne sera toûjours qu'à cinq reprises. On fait communiquer le feu de l'extrémité de l'une à la gorge de l'autre par une étoupille, & ces communications doivent être bien couvertes d'un papier collé d'un jet à l'autre.

Un simple papier ne suffit pas pour le feu chinois, il seroit aussi-tôt percé par le sable de fer mis en fusion, il en faut deux, & qu'ils soient collés avec de la colle de terre glaise préparée de cette maniere. Prenez de la fleur de farine, faites-en de la colle ordinaire, passez cette colle par un tamis, ajoûtez sur une livre de farine, une poignée d'alun en poudre, & autant d'argille détrempé qu'il y a de colle.

Il y a deux façons de poser les jets sur la roue pour la faire tourner, l'une d'attacher un ou plusieurs jets sur sa circonférence : dans cette position ils doivent jetter leur feu par la gorge ; l'autre est de les attacher sur les rayes ou rayons de la roue ou sur les branches d'un tourniquet, suivant leur longueur ; dans celle-ci, ils doivent jetter leur feu, non par la gorge, mais par un trou que l'on perce avec une vrille sur la ligne latérale un peu au-dessous du tampon qui bouche intérieurement le trou de la gorge. Ce trou latéral doit être d'un quart de diametre intérieur du jet. Voyez ce qui est dit à l'article des FUSEES DE TABLE pour la position du trou latéral. Lorsque les soleils ou girandoles ne sont que d'un ou de deux jets, on préfere, comme plus simple, de les attacher sur un tourniquet à une ou deux branches, mais lorsqu'ils sont composés de trois, de quatre, ou de cinq jets, on se sert d'une roue taillée à autant de pans, & pour un plus grand nombre on forme la roue avec un cercle cloué sur le bout de chaque rayon.

Une troisieme maniere de faire des girandoles est celle que l'on nomme à pivot. Elle a cela de commode que les plus petits jets peuvent la faire tourner, & qu'au moyen de cette facilité à être mise en mouvement, on peut les garnir de beaucoup plus d'artifice que les roues ordinaires ; le corps de la machine est un tuyau de bois d'une longueur proportionnée à l'artifice que l'on veut y placer, communément de neuf pouces ; il est fermé par en-haut d'une plaque de fer, au milieu de laquelle il y a un petit enfoncement pour recevoir la pointe du pivot sur lequel il doit tourner. On perce au milieu du tuyau sur sa circonférence trois trous à écrou à égale distance, dans chacun desquels on y visse un porte-jet en forme de T, garni d'un jet couché & lié sur la longueur des bras du T. Ces jets prennent feu par la gorge, & l'on attache un porte-feu de l'un à l'autre, pour que le premier en finissant donne feu au second, & celui-ci au troisieme.

La piece étant garnie, on la place sur une verge de fer pointue qui lui sert de pivot, sur laquelle elle tournera très-rapidement.

On peut garnir le tuyau de deux ou trois rangs de jets, & chaque rang de trois, quatre & cinq jets ; lorsque les rangs sont de plus de trois jets, comme la circonférence du tuyau ne seroit pas assez grande pour y percer plus de trois trous, on les perce alternativement, l'un un peu au-dessus, & l'autre un peu au-dessous de la ligne circulaire sur laquelle on les auroit percés, s'il n'y en avoit eu que trois ; on dispose les jets de façon, en tournant la gorge de ceux du second rang dans un sens contraire à celle du premier, que la machine après avoir tourné à droite retourne à gauche.

On peut encore ajoûter à la garniture de cette piece des jets placés droits pour jetter du feu perpendiculairement ou suivant telle ouverture d'angle que l'on voudra, pendant que les jets couchés en jetteront horisontalement.

Les soleils tournans & les girandoles servent à l'exécution d'une infinité de machines & pieces d'artifice, parmi lesquelles les plus en usage sont les quatre especes qui suivent.

1°. Le feu guilloché. Il est formé par deux roues garnies chacune de douze jets & à trois reprises qui tournent en sens contraire sur un même axe ; le moyeu de chaque roue est armé d'une roue de fer dentelée qui engrene dans une lanterne ou pignon commun aux deux roues. Cet engrenage sert à en régler le mouvement pour que l'une ne tourne pas plus vîte que l'autre ; quatre jets de chaque roue partent à-la-fois, & leurs feux qui se croisent, forment ce qu'on nomme du guilloché.

2°. Les découpures. On forme des desseins en feu en plaçant derriere des découpures de carton, des soleils tournans, renfermés entre des planches pour contenir leurs feux, & pour qu'ils ne soient vûs qu'à-travers les découpures. Cet artifice employé en décoration fait un grand effet.

3°. L'étoile. Un soleil tournant étant placé au milieu d'un panneau de menuiserie, figuré en étoile & bordé de planches ou de carton pour contenir son feu, il en prendra la forme & représentera une étoile, & de même toute autre figure dans laquelle il seroit renfermé. On accompagne ordinairement l'étoile de six girandoles formées par autant de tourniquets à deux jets, placés sur chaque angle, qui partant ensemble forment une figure exagone qui borde & renferme l'étoile. Si son feu est chinois & la bordure de feu commun, ce contraste ajoûtera encore à sa beauté.

4°. Les tourbillons. On a une table de bois bien unie, parfaitement ronde de quatre piés de diametre, posée horisontalement comme un guéridon, & affermie sur un pieu à la hauteur de huit piés ; au centre de cette table est un pivot sur lequel on pose un tourniquet de bois à trois branches, pour être garnies à leurs extrémités chacune d'un soleil tournant qui déborde la circonférence de la table ; chaque branche du tourniquet également distante l'une de l'autre a de longueur un pié onze pouces ; cette longueur est prolongée par un essieu de cinq pouces. On enfile dans cet essieu un moyeu bien mobile de bois, & on l'y arrête ; on donne à la partie de ce moyeu qui porte sur le bord de la table, la forme d'une rotule de bois de quatre pouces de diametre ; le reste du même moyeu, qui déborde entierement la table, sert à porter les raies d'une roue de quinze pouces de diametre, pour y attacher quatre jets & former un soleil à quatre reprises. La machine ainsi construite & les trois soleils préparés pour tourner dans le même sens & prendre feu tous à-la-fois au moyen des communications, on conçoit que leur mouvement de rotation étant inséparable de celui des rotules qui portent sur la table & qui font partie du même moyeu, ces rotules auront nécessairement un mouvement de progression comme celui des voitures, & qu'ainsi les trois soleils, outre le mouvement de rotation verticale sur eux-mêmes, qui leur est particulier, seront emportés horisontalement & circulairement autour de la table, & que le spectateur les verra se succéder assez rapidement & courir l'un après l'autre comme trois tourbillons enflammés.

Les jets dont on garnit les soleils tournans doivent être chargés en massif sur une pointe de culot & engorgés.

Un soleil à cinq reprises se garnit ordinairement de jets chargés pour la premiere reprise en feu chinois blanc, la deuxieme en feu commun, la troisieme en feu blanc, la quatrieme en feu nouveau, & la cinquieme en feu chinois rouge ; & pour faire une plus grande variété, on peut charger chaque jet, moitié d'un feu & moitié d'un autre.

La force de la composition devant toûjours être proportionnée à la grosseur des jets, comme leur grosseur doit l'être à la grandeur de la roue qu'il s'agit de faire tourner, on diminuera ou l'on augmentera la force des compositions ci-après, à-proportion que les jets seront plus ou moins gros.

Cet article est tiré du manuel de l'artificier.


GIRASOLS. m. (Lapid.) pierre à demi-transparente, d'un blanc laiteux mêlé de bleu & de jaune. On la met au rang des pierres précieuses, & on croit qu'elle est de la même pâte que l'opale, quoiqu'elle n'ait pas les brillantes couleurs de cette belle pierre. Voyez OPALE. En effet j'ai observé dans un morceau de mine d'opale, qui est au cabinet du roi, quelques parties très-ressemblantes au girasol, placées près des parties d'opale. Cependant on prétend aussi que le vrai girasol est plus dur que l'opale, & d'une pâte plus pure que celle de l'opale qui n'a pas de belles couleurs, & que l'on appelle fausse opale. Je ne doute pas qu'il n'y ait des girasols plus ou moins durs & plus ou moins nets ; mais il me paroît que l'on peut donner ce nom à toutes pierres vitrifiables demi-transparentes, de belle pâte, & de couleur mêlée de blanc laiteux & de jaune ; lorsqu'elles sont taillées en globe ou en demi-globe, on y voit un point brillant qui change de place, quand on change la position de la pierre ; c'est pourquoi les Italiens leur ont donné le nom de girasol. Ainsi la fausse opale, c'est-à-dire l'opale qui n'a que des teintes de bleu & de jaune, peut être nommée girasol, & la calcédoine pourroit aussi être prise pour un girasol, lorsqu'elle est nette & teinte de bleu ou de jaune, car elle a tous les caracteres du girasol. Voyez CALCEDOINE. (I)


GIRAUMONS. m. (Hist. nat. Bot. exotiq.) fruit d'un très-grand usage dans les pays chauds de l'Amérique ; il est communément plus gros qu'un melon ; sa couleur extérieure est verte, mouchetée inégalement, d'un verd beaucoup plus pâle. La chair de ce fruit est jaune, renfermant intérieurement des semences plates, & semblables à celles de la citrouille.

Il y a des giraumons qui sentent un peu le musc, & qui pour cela n'en sont pas moins bons. Les uns & les autres ne different pas beaucoup de la citrouille, si ce n'est que leur chair est plus ferme & d'un goût plus relevé ; on en mange dans la soupe avec du lait, ou bien fricassé avec du beurre.

La tige qui produit le giraumon est verte, rude au toucher, ainsi que les feuilles qui sont presque aussi larges qu'une assiette, le tout rempant contre terre comme les melons & les citrouilles : ainsi le dictionnaire de Trévoux se trompe en appellant arbre cette plante rampante. Article de M. LE ROMAIN.


GIREFT(Géog.) ville de Perse dans le Kerman dont elle est la capitale. Son commerce consiste en froment & en dattes. Son terroir est fertile en palmiers, en citronniers, & en orangers. Les tables arabes qui la nomment Jirost, lui donnent 93 degrés de longitude, & 27 degrés 30. min. de latitude. Tavernier me paroît fort se tromper, en mettant la position de Gireft à 73 degrés 40 min. de longitude, & à 31 degrés 10 min. de latitude. (D.J.)


GIRELLES. f. (Potier-de-terre) la partie de l'arbre du tour des Potiers, sur laquelle ils placent la motte de terre dont ils se proposent de figurer un vase, ou quelqu'autre vaisseau.


GIRGÉGirgio, Girgium, (Géog.) ville considérable d'Afrique, capitale de la haute Egypte, proche le Nil, à dix lieues au-dessus de Said. Elle a sept grandes mosquées qui ont des minarets, huit grands basards couverts, & peut-être vingt mille habitans. On y vit pour rien ; son principal commerce consiste en blé, lentilles, feves, toiles & laines. Longit. 59. 50. lat. 25. 5. (D.J.)


GIRGITE(Hist. nat.) nom donné par quelques chimistes à une espece de pierres blanches qui se trouvent dans des rivieres, dont on fait un ciment très-fort. On dit que ces pierres sont spathiques, & ont été arrondies par le mouvement des eaux. Voyez le supplément du dictionnaire de Chambers.


GIRIBS. m. (Commerce) c'est la seule mesure géométrique des Perses : elle contient mille soixante & six gnezes, ou aulnes persanes quarrées, à prendre la gneze à trente-cinq pouces de long mesure de Paris, ou pour l'évaluer plus exactement, à deux piés dix pouces onze lignes. Le girib ne sert qu'à mesurer les terres. Dictionn. de Comm. & de Trév. (G)


GIRou AGITO, s. m. (Comm.) poids dont on se sert dans le royaume de Pégu. Le giro pese vingt-cinq teccalis, dont les cent font quarante onces de Venise. Voyez AGITO. Dict. de Comm. & de Trév.


GIROFLE(CLOU DE) Botaniq. exotiq. Chimie & Commerce ; fruit aromatique d'une nature toute extraordinaire, qui croît aux îles Moluques ; ces îles fameuses par leurs diverses révolutions, & plus encore pour produire seules dans le monde ce trésor singulier de luxe, source d'un commerce étonnant.

Noms de l'arbre qui porte le girofle. L'arbre qui porte le clou de girofle, ou simplement le girofle, s'appelle en françois giroflier des Moluques, & par nos botanistes caryophyllus aromaticus, C. Bauh. Rai, Breynius, Plukenet, Jonston, &c. C'est le ts-kinka de Pison, mantiss. aromatic. 177.

Ses caracteres. Ses fleurs sont en rose, polypétales. Le calice de la fleur se change en un fruit oval, creusé en nombril, à une seule capsule, qui contient une graine oblongue. Ses feuilles ressemblent à celles du laurier.

Sa description. Il est de la forme & de la grandeur du laurier ; son tronc est branchu & revêtu d'une écorce comme celle de l'olivier ; les rameaux s'étendent au large, & sont d'une couleur rousse-claire, garnis de beaucoup de feuilles serrées, situées alternativement, semblables à celles du laurier, longues d'une palme, larges d'un pouce & demi, unies, luisantes, pointues aux deux extrémités, avec des bords un peu ondés, portées sur une queue longue d'un pouce, laquelle jette dans le milieu de la feuille une côte, d'où sortent obliquement de petites nervures qui s'étendent jusque sur les bords.

Les fleurs naissent à l'extrémité des rameaux en bouquets ; elles sont en rose à quatre pétales, bleues, d'une odeur très-pénétrante ; chaque pétale est arrondi, pointu, marqué de trois veines blanches ; le milieu de ces fleurs est occupé par un grand nombre d'étamines purpurines, garnies de leurs sommets.

Le calice des fleurs est cylindrique, de la longueur d'un demi-pouce, épais d'une ligne & demie, ou de deux lignes, partagé en quatre parties à son sommet, de couleur de suie, d'un goût acre, agréable & fort aromatique ; lequel après que la fleur est séchée, se change en un fruit ovoïde, ou de la forme d'une olive, creusé en nombril, n'ayant qu'une capsule, de couleur rouge d'abord, ensuite noirâtre, qui contient une amande oblongue, dure, noirâtre, creusée d'un sillon dans sa longueur.

Noms des clous de girofle. Le fruit se nomme en latin, caryophylli aromatici, offic. en grec , par Paul Aeginete ; & carunsel, par les Arabes.

Les anciens ne les ont point connus. Ces derniers peuples ont connu ce fruit ; mais Paul Aeginete est le premier des anciens qui en ait parlé. Théophraste, Dioscoride & Galien, n'en ont fait aucune mention. C'est mal-à-propos que Sérapion cite à cet égard l'autorité de Galien ; il est constant que le medecin de Pergame n'en a jamais eu de connoissance.

Quelques auteurs ont prétendu que Pline avoit parlé de cet aromate, dans son histoire, liv. XII. chap. xx. & rapportent pour preuve le passage suivant de ce naturaliste : " Il y a encore à-présent dans les Indes quelque chose de semblable aux grains de poivre ; on lui donne le nom de garyophyllon ; il est plus gros & plus cassant ". Mais les plus savans critiques doutent avec beaucoup de raison, que cet endroit de Pline désigne nos clous de girofles, puisqu'ils ne ressemblent point au poivre, & qu'ils ne sont pas des graines. Cependant nous ne pouvons pas dire avec certitude ce qu'il faut entendre par le garyophyllon de Pline. Clusius croyoit que c'est le poivre de la Jamaïque. L'on est mieux fondé à soupçonner que ce sont les cubebes de nos apothicaires.

Description des clous de girofle. Les clous de girofle sont des fruits desséchés avant leur maturité, longs environ d'un demi-pouce, de figure de clou, presque quadrangulaires, ridés, d'un brun noirâtre, qui ont à leur sommet quatre petites pointes en forme d'étoile, au milieu desquelles s'éleve une petite tête de la grosseur d'un petit pois, formée de petites feuilles appliquées les unes sur les autres en maniere d'écailles, qui étant écartées & ouvertes, laissent voir plusieurs fibres roussâtres, entre lesquelles il s'éleve dans une cavité quadrangulaire un stile droit, de même couleur, qui n'est pas toûjours garni de sa petite tête, parce qu'elle tombe facilement lorsqu'on transporte les clous de girofle ; ils sont acres, chauds, aromatiques, un peu amers & agréables : leur odeur est très-pénétrante.

La figure de ce fruit en forme de clou, est sans-doute ce qui lui a donné le nom de clou de girofle. Vers la tête il se sépare en quatre, & ces quatre quartiers faits en angle dont la pointe est en-haut, représentent une espece de couronne à l'antique, qui est en quelque sorte fermée par une maniere de bouton tendre & peu solide, lequel se trouve au milieu ; c'est ce bouton que quelques-uns appellent le fust du clou de girofle.

Leur choix. Il faut les choisir bien nourris, pesans, gras, faciles à casser, piquant les doigts quand on les manie, d'un rouge tanné, garnis s'il se peut de leur fust, d'un goût chaud & aromatique, brûlant presque la gorge, d'une odeur excellente, & laissant une humidité huileuse lorsqu'on les presse : on rejette, au contraire, les clous qui n'ont point ces qualités, qui sont maigres, mollasses & presque sans goût & sans odeur.

Du clou matrice. Les fruits du girofle qu'on laisse sur le giroflier, ou qui échappent à l'exactitude de ceux qui en font la récolte, étant restés à l'arbre, continuent de grossir jusqu'à la grosseur du bout du pouce, & se remplissent d'une gomme dure & noire, qui est d'une agréable odeur, & d'un goût fort aromatique. Ce fruit tombe de lui-même l'année suivante, & quoique sa vertu aromatique soit foible, il est fort estimé, & sert à la plantation : car étant semé il germe, & dans l'espace de huit ou neuf ans il devient un grand arbre fructifiant.

Les Indiens appellent ce fruit mûr, mere des fruits ; les Hollandois, clou matrice, ou mere de girofle ; les droguistes françois, antofle de girofle ; & dans les boutiques où il est rare, antophyllus. Il a quelque usage en Medecine ; mais les Apothicaires lui substituent souvent le girofle ordinaire : cependant les vertus & l'odeur en sont bien différentes.

Les Hollandois ont coûtume de confire ces clous matrices avec du sucre, lorsqu'ils sont récens ; & dans les longs voyages sur mer, ils en mangent après le repas, pour rendre la digestion meilleure, ou ils s'en servent comme d'un remede agréable contre le scorbut muriatique.

Du clou de girofle royal. Les auteurs font mention d'une autre espece de clou de girofle, que l'on trouve très-rarement dans les boutiques, & seulement en qualité de curiosité naturelle très-singuliere. On l'appelle clou de girofle royal, en latin caryophyllus ramosus, vel dentatus, J. Bodaei à Stapel ; caryophyllus spicatus, Indis ; ts-hinka-popona ; Pison, mart-aranae. 179 ; caryophyllus regius, Wormii, mus. 203.

C'est une espece de petit épi, qui imite la grosseur, la couleur, l'odeur & le goût du clou de girofle. Il n'est pas étoilé, il n'a point de tête ; mais il est comme partagé depuis le bas jusqu'au-haut en plusieurs particules ou écailles, & il se termine en pointe.

Les Hollandois le nomment clou de girofle royal ; parce que les rois & les grands des îles Moluques l'estiment jusqu'à la superstition, non pas tant pour son goût & sa bonne odeur, que pour sa figure singuliere, ou plutôt parce qu'il est infiniment rare ; car ils soûtiennent qu'on n'en a trouvé jusqu'à-présent qu'un seul arbre, & dans la seule île de Makian.

Rai & Herman croyent que les fruits de ces arbres ne different point de l'espece des clous de girofle ordinaires ; mais que ce sont des jeux de la nature, & qu'ils appartiennent à l'ordre monstrueux des végétaux.

Les Indiens ont coûtume de passer un fil dans la longueur de ces clous, afin de les porter à leur bras, à cause de leur bonne odeur.

Quelques auteurs nous en ont donné de fausses descriptions, & d'autres de fabuleuses. Ceux-ci rapportent, par exemple, que les arbres du voisinage s'inclinent devant le giroflier royal pour lui rendre hommage, quand il est chargé de ses fruits ; & que lorsqu'il entre en fleur, les girofliers communs s'en dépouillent par respect, &c. Comme les choses rares & cachées deviennent toûjours merveilleuses, on peut faire croire aisément de telles merveilles au vulgaire des Indiens ; mais il est honteux que des voyageurs de l'Europe en soient la dupe ; ou ridicule, qu'ils pensent nous en imposer par leur témoignage.

De la récolte des clous de girofle ordinaires. On cueille les clous de girofle ordinaires, savoir les calices des fleurs, & les embryons des fruits, avant que les fleurs s'épanoüissent, depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois de Février ; & on les cueille en partie avec les mains, & en partie on les fait tomber avec de longs roseaux, ou avec des verges. On les reçoit sur des linges que l'on étend sous les arbres, ou on les laisse tomber sur la terre, dont on a coûtume dans le tems de cette récolte, de couper avec grand soin l'herbe. Lorsqu'ils sont nouvellement cueillis, ils sont roux & legerement noirâtres ; mais ils deviennent noirs en se séchant, & par la fumée ; car on les expose pendant quelques jours à la fumée sur des claies : enfin on les fait bien sécher au soleil ; & étant ainsi préparés, les Hollandois les vendent par toute la terre.

Toutes les îles Moluques produisoient autrefois du clou de girofle ; mais ce n'est présentement que de l'île d'Amboine & de Ternate que les Hollandois tirent celui qu'ils apportent en Europe, ou qu'ils distribuent dans les autres parties du monde. Ils ont fait arracher dans toutes les autres Moluques les arbres qui donnent cette épicerie ; & pour dédommager le roi de Ternate de la perte du produit de ses girofliers, ils lui payent tous les ans environ dix-huit mille richedalles en tribut ou en présent ; ils se sont en outre obligés par un traité de prendre à sept sous six deniers la livre, tout le clou que les habitans d'Amboine apportent dans leurs magasins.

Le prix du girofle est fixé à soixante-quinze sous pour les payemens des obligations de la compagnie, ou pour ceux qui l'achetent d'elle argent comptant.

De l'huile des clous de girofle. Les clous de girofle récens donnent par l'expression une huile épaisse, roussâtre & odorante ; mais dans la distillation il sort beaucoup d'huile essentielle aromatique, qui est d'abord limpide, blanche, jaunâtre, ensuite roussâtre, pesante, & qui va au fond de l'eau : enfin vient une huile empyreumatique, épaisse, avec une liqueur acide. Le caput mortuum calciné donne par la lixiviation un peu de sel fixe salé.

Il est incroyable combien les clous de girofle contiennent d'huile quand on les rapporte des Indes, & qu'on vient à les déballer ; rien ne leur est comparable à cet égard. Il ne faut pour s'en convaincre qu'en faire distiller quelques-uns par l'alembic à un feu assez fort, avec douze fois autant d'eau commune ; il s'élevera une eau trouble, épaisse, de couleur de lait, & en même tems une grande quantité d'huile jaunâtre qui se précipite au fond de l'eau. Lorsqu'il se sera élevé les deux tiers de l'eau, si on change le récipient, qu'on ajoûte autant de nouvelle eau, & qu'on continue la distillation, on a une eau qui tient de la vertu aromatique du girofle. On met toutes ces eaux à part, pour s'en servir à la place d'eau commune dans les distillations que l'on fera de la même huile.

Il reste au fond de la cucurbite une liqueur brune, épaisse, sans odeur, d'un goût acide, & quelque peu austere, qui ne possede aucune des vertus du girofle, quoique les clous qui restent conservent leur premiere forme au point de ne pouvoir plus être distingués lorsqu'ils sont à demi-secs, de ceux dont on n'a point encore tiré l'huile ; & ce qu'il y a de particulier, c'est qu'ils acquierent par le mélange l'odeur de ceux-ci, & s'impregnent de l'huile qu'ils contiennent, de sorte que les marchands n'ont pas beaucoup de peine à les faire passer pour naturels. Ce fait prouve bien qu'il ne faut acheter les clous de girofle que d'honnêtes négocians, ou de la compagnie même en droiture.

Méthodes de tirer cette huile essentielle. On a deux façons de tirer l'huile essentielle de girofle ; l'une par l'alembic, & l'autre per descensum. Indiquons ces deux procédés.

Voici la bonne méthode du premier procédé. Prenez une livre de clous de girofle entiers, ou un peu concassés ; versez dessus six ou sept livres d'eau de girofle d'une premiere distillation, ou à la place pareille quantité d'eau de riviere aiguisée par trois onces de sel commun ; & après une macération faite pendant quelques jours dans un lieu chaud, employez un feu un peu fort à la distillation, qui se fera dans une cucurbite remplie jusqu'aux deux tiers & au-delà : il sort d'abord une huile blanchâtre, ou tirant sur le jaune, qui distille par le tuyau du réfrigérant dans le bassin, & tombe au fond avec l'eau qui nage sur l'huile. En augmentant le feu, il succede une huile plus pesante, plus épaisse, d'un jaune plus foncé, qui se précipite pareillement au fond. Rarement toute l'huile du girofle sort par la premiere distillation ; il faut la réitérer une seconde, & même une troisieme fois, avec l'eau de girofle du premier procédé.

On observera seulement de ne point ôter toute l'eau de la premiere distillation, de peur que le girofle ne contracte une odeur d'empyreume ; l'huile de la seconde distillation est non-seulement plus épaisse à cause du feu qu'on a rendu plus violent, mais elle est encore mêlée de parties résineuses.

Par cette méthode on tire ordinairement de deux livres de girofles purs & choisis, au bout d'une seconde & même d'une troisieme distillation, cinq, six & jusqu'à sept onces, tant d'huile essentielle fine, que d'huile essentielle plus épaisse ; on sépare ensuite l'huile de l'eau par l'entonnoir garni de papier gris ; & comme cette eau reste encore imprégnée de parties huileuses, on la conserve pour en user en qualité d'eau distillée de girofle.

La différence est grande entre cette huile qu'on tire avec soin dans la premiere distillation, & l'huile sophistiquée, c'est-à-dire mélangée avec l'huile de girofle par expression, qu'on vend communément en Hollande. La nôtre est plus subtile, plus fluide, plus tempérée, & plus sûre dans ses effets. On peut s'en servir avec hardiesse à la dose de deux, trois ou quatre gouttes dans de l'eau de mélisse, ou autre véhicule convenable. Il faut alors la mêler dans un peu de sucre, ou de jaune d'oeuf, avant que de l'employer dans le véhicule ; autrement elle ne s'y dissoudroit pas.

Mais elle se dissout promtement dans l'alcohol ou l'esprit de nitre dulcifié, bien préparé. Tenue dans une phiole de verre exactement fermée, elle conserve sa liquidité pendant plusieurs années.

Si l'on met dans un petit vaisseau de verre de cette huile de girofle, & qu'on verse dessus deux ou trois fois autant de bon esprit de nitre, il se fera dans ce mélange une effervescence très-forte, qui durera long-tems avec grande chaleur, & jusqu'à s'enflammer d'elle-même ; le bouillonnement de la liqueur continuera & répandra dans l'air beaucoup de vapeurs, dont l'odeur n'est pas trop mauvaise ; enfin la matiere se condensera en forme de gomme au fond du vaisseau.

Il faut remarquer que cette expérience ne réussit bien qu'avec de l'excellente huile de girofle, & surtout avec celle qu'on a tirée fidelement aux Indes même, & que les Hollandois reçoivent directement par leurs vaisseaux. Si l'on ajoûte un peu de poudre à canon dans le mélange dont on vient de parler, elle prendra feu.

Je passe à la méthode de tirer l'huile essentielle de girofle per descensum.

Pour cet effet, on prend un pot de terre de grès, ou plusieurs grands verres (supposons ici des verres à boire) que l'on couvre d'une toile ; on lie cette toile autour des rebords de chaque verre, on enfonce un peu cette toile dans leur cavité, on place dans cet enfoncement le girofle pulvérisé ; on met par-dessus chaque verre une terrine, ou un cul de balance, qui s'applique exactement sur leurs bords ; on remplit les terrines ou ces culs de balances, de cendres chaudes qui échauffent les girofles, & font distiller au fond des verres, premierement un peu d'esprit, & ensuite une huile claire & blanche ; on leve de tems-en-tems les culs de balances, pour remuer la poudre de girofle ; on continue le feu jusqu'à ce qu'il ne distille plus rien : enfin on sépare l'huile par l'entonnoir dont on a parlé ci-dessus, & on la garde dans une phiole bien bouchée.

Dans cette opération, on retire d'une livre de girofles, poids de seize onces pour livre, une once deux dragmes d'huile, & une once d'esprit. Il reste treize onces deux dragmes de matiere, dont on peut tirer encore un peu d'huile rouge empyreumatique.

Cette méthode n'entraîne point de dépense ; mais il s'en faut de beaucoup qu'on trouve dans l'huile distillée de cette maniere les mêmes avantages que par la méthode de l'alembic. Si vous n'employez qu'un feu leger, vous n'aurez point d'huile ; & si vous poussez le feu, l'huile sentira l'empyreume : en un mot on ne doit se servir de cette méthode que dans des occasions pressantes, qui ne permettent pas d'avoir recours à l'autre opération, qui est la seule bonne, & la seule que pratiquent les artistes.

Elle sert de modele pour tirer toutes sortes d'huiles aromatiques du même genre, celle de canelle, du poivre, des cubebes, du cardamomum, du sassafras, &c. C'est encore ainsi qu'avec un feu plus doux l'on distille l'huile de romarin, de marjolaine, de thym, de menthe, de fleurs de lavande, d'anis, &c. Il est bon de le savoir, & de s'en ressouvenir.

Qualités & choix de l'huile de girofle. Cette huile essentielle de clous de girofle, distillée per descensum ou par l'alembic, est la seule préparation que l'on trouve dans les boutiques ; étant nouvelle, elle est d'un blanc doré, qui rougit en vieillissant. Il faut la choisir forte, pénétrante, & qui ait bien conservé l'odeur & la saveur du girofle ; elle est facile à sophistiquer, & la tromperie difficile à découvrir ; ce qui doit engager à ne l'acheter que de bonne main.

Elle perd promtement ses esprits, quand on la laisse à découvert, & dégénere d'ordinaire en une substance grasse, visqueuse & inactive ; tandis que les clous de girofle conservent leurs esprits malgré la chaleur violente du pays où ils croissent.

Elle est encore plus pesante que l'eau, de sorte qu'elle se précipite au fond sans rien perdre de ses vertus. C'est une propriété que n'ont point nos huiles de l'Europe, & que possedent uniquement les huiles de l'Asie, de l'Afrique & de l'Amérique, sur-tout celles des plantes aromatiques.

Enfin il est remarquable que le résidu du clou de girofle, après la distillation, est austere, froid & très-fixe ; propriété cependant qui lui est commune avec les plantes qui contiennent une grande quantité d'huile aromatique.

Vertu & usage de cette huile. Comme cette huile de girofle est extrèmement chaude, & même caustique, elle devient par-là très-propre, suivant la remarque de Boerhaave, aux tempéramens froids, & dans les maladies de cette nature. Elle est encore excellente pour ranimer les esprits, soit qu'on en use intérieurement ou extérieurement ; mais l'usage interne demande beaucoup de reserve & de prudence.

Pour l'extérieur on l'employe seule, ou avec d'autres huiles aromatiques, comme celle de noix muscade tirée par expression, celle de palmier, de romarin, de sauge ; le tout mêlé ensemble, on en fait un liniment, dont on frotte les membres paralytiques, ainsi que dans les maladies froides & pituiteuses, dans la stupidité accidentelle, & les affections soporeuses : on peut encore en frotter la région de l'estomac dans la longueur de ce viscere, & dans les coliques produites par des vents.

Elle sert d'un remede assez actif en qualité de topique, pour arrêter les progrès de la gangrene, en la faisant dissoudre dans l'esprit-de-vin rectifié, & en y trempant des plumaceaux de charpie qu'on applique sur la partie gangrenée.

On s'en sert encore pour la carie des of & pour le mal des dents : dans ce dernier cas, on en imbibe un peu de coton, que l'on met adroitement dans la dent cariée, dont il appaise la douleur en brûlant le nerf ; mais il faut en user avec beaucoup de précaution, & seulement dans les cas où il n'y a point d'inflammation, & où la carie considérable de la dent est la cause de la douleur, en mettant le nerf trop à découvert.

Si l'on a besoin d'appaiser plus promtement la rage des dents, on pulvérisera six grains de camphre avec trois grains de laudanum épié, qu'on humectera de quelques gouttes d'huile essentielle de girofle ; on formera du tout de petites tentes de la grosseur d'un grain de blé, pour les porter dans la dent malade. D'autres font dissoudre l'opium dans l'huile éthérée du girofle, & se servent de cette dissolution. C'est-là le grand secret des charlatans, dont l'abus a quelquefois causé la surdité. L'huile de girofle soulage le mal de dents de la même maniere que l'huile de canelle & celle de gayac ; mais les deux premieres étant d'une odeur agréable, on n'a aucune répugnance pour en mettre dans la dent ; au lieu qu'on en a beaucoup par rapport à la derniere. Enfin l'huile de girofle est d'un grand usage parmi les Parfumeurs.

La dose est d'une, deux ou trois gouttes intérieurement, pour ranimer le ton de l'estomac chez les personnes accablées de mucosités, de pituite, d'humeurs froides & catarrheuses. On en fait en ce cas un éléosaccharum avec un peu de sucre ; ou bien l'on prend huile de clous de girofle deux gouttes, huile de canelle huit gouttes, teinture d'ambre une goutte, sucre crystallisé réduit en une poudre très-fine, demi-once ; mêlez, & conservez cette poudre pour l'usage dans une bouteille bien fermée. La dose est un gros, dissoute dans du vin rouge, ou dans du vin d'Espagne.

Usage des clous de girofle. On consomme principalement les clous de girofle dans les cuisines ; ils sont tellement recherchés dans quelques pays de l'Europe, & sur-tout aux Indes, que l'on y méprise presque les nourritures qui sont sans cette épicerie : on les mêle dans presque tous les mets, les sausses, les vins, les liqueurs spiritueuses & les boissons aromatiques ; on les employe aussi parmi les odeurs.

On en fait très-peu d'usage en Medecine ; cependant comme leur vertu est d'échauffer & de dessécher, ils se donnent pour les mêmes maux, où leur huile est recommandée, à la dose en substance depuis quatre grains jusqu'à douze, & en infusion depuis demi-dragme jusqu'à deux : mais l'huile est absolument préférable, parce qu'elle réunit en plus petite quantité toutes les propriétés du fruit.

Les Apothicaires font entrer les clous & l'huile de girofle dans plusieurs compositions pharmaceutiques, que personne ne prescrit.

Réflexions sur le commerce du girofle. C'est à Amboine que les Hollandois ont leurs magasins de girofle dans le fort de la Victoire, où les habitans portent leur récolte, dont on a réglé le prix à soixante réales de huit la barre, qui est de cinq cent cinquante livres de poids. Les habitans sont obligés de planter un certain nombre de girofliers par an ; ce qui les a multipliés au point qu'on l'a desiré pour le débit annuel, lequel il n'est guere possible d'évaluer sans être dans le secret : il suffira de dire que la France seule en achete cinq ou six cent quintaux par année.

Personne n'ignore avec quelle jalousie la compagnie des Indes orientales hollandoise s'applique à se conserver l'unique débit de cette marchandise : cependant elle n'a jamais pû empêcher qu'il ne s'en fît un assez grand déversement par ses propres officiers, en plusieurs lieux des Indes. Une maniere qu'ils ont de tromper la compagnie, est d'en vendre aux navires des autres nations qu'ils rencontrent en mer, & de mouiller le reste, afin que le nombre des quintaux de girofle qui font leur cargaison, s'y trouve toûjours ; ce qui peut aller à dix par cent, sans que les commis des magasins qui les reçoivent à Batavia, puissent s'en appercevoir. (D.J.)


GIROFLÉES. f. (Culture des fleurs) fleur du giroflier. C'est à sa gloire que les amateurs cultivent la plante qui la donne ; elle lui a même enlevé son nom dans la plûpart des langues modernes ; le giroflier ne se dit plus en françois, que de celui des masures : les Anglois ne l'appellent également que walflower, tandis que celui de leurs jardins se nomme par excellence la fleur de Juillet, stock July flower : enfin les Flamands laissant à la plante sauvage la dénomination de violier, violier-boomtje, caractérisent celle des jardins par le beau nom de nagel-bloem.

Il y a des giroflées simples & des doubles de toutes couleurs, blanches, jaunes, bleues, pourpres, violettes, rouges, écarlates, marbrées, tachetées, jaspées. Les unes & les autres viennent de graine, de marcottes ou de boutures : elles ne durent que deux ans ; mais la meilleure méthode est de les multiplier toutes de graine.

On les seme sur couche au commencement d'Avril, & à claire-voie, dans une terre fraîche, legere, graveleuse, non fumée & à l'exposition du soleil levant. Quand les jeunes plantes ont gagné quelques feuilles, on les transplante dans des planches de terre pareille, exposées de même au soleil levant, & à six pouces de distance. On les abrite & on les arrose de tems à autre, jusqu'à ce qu'elles ayent pris racine. Sur la fin d'Août on les transplantera de nouveau dans des plates-bandes du parterre, où elles fleuriront le printems suivant, & l'on choisira, s'il se peut, un tems humide pour cette transplantation. On garantira les jeunes plans des frimats de l'hyver, en les couvrant avec des cloches, paillassons, grande paille, ou fumier sec.

On présume que les giroflées seront doubles, & c'est ce qu'on recherche, par leur bouton gros & camard, qui pointe.

Lorsque les giroflées se trouvent doubles, plusieurs personnes les mettent en pots garnis de terre à potager, ou dans des caisses larges de seize pouces en tout sens. Pour bien faire, on leve les giroflées en motte ; on les place ainsi dans les pots ou les caisses ; on les arrose dans le besoin, & on les tient à l'ombre.

On plante les giroflées en pots ou en caisses, afin de pouvoir les transporter où l'on veut, & les garantir du froid pendant l'hyver, en les mettant dans une serre, dans une chambre, ou dans une cave seche. Ces mêmes giroflées sauvées du froid, se transporteront dans les plates-bandes de parterre, où on les rangera avec symmétrie, & à l'abri du soleil, s'il est possible.

Quand on veut multiplier les giroflées doubles par marcottes, on en choisit les plus beaux brins ; on les couche en terre, & on les arrête par de petits crochets de bois ; on jette un peu de terre par-dessus, & ensuite on les arrose, pour en faciliter la reprise. On marcotte la giroflée sitôt que la fleur est passée, ce qui arrive au plus tard dans l'été. Les marcottes resteront en terre jusqu'en Septembre ou Octobre, qu'on les levera pour les mettre en pots, en caisse ou en pleine terre ; car il y a des especes qui sont plus ou moins sensibles au froid : quelques-unes fleurissent la premiere année, & d'autres la seconde.

Dans le nombre de giroflées doubles, il y en a qui sont principalement recherchées des amateurs : telle est la grande giroflée de couleur d'écarlate, leucoium incanum, majus, coccineum, de Morisson, nommée à Londres la giroflée de Brompton, the Brompton stockjuly flower ; les fleuristes l'aiment beaucoup à cause de sa grandeur & de son éclat : elle a cependant le desavantage de produire rarement plus d'un jet de fleurs.

En échange, la giroflée des Alpes à feuilles étroites & à doubles fleurs, d'un jaune pâle, nommée leucoium angustifolium alpinum, flore pleno, sulphureo, & par les anglois, the straw-colour'd wall-flower, est très-curieuse par le touffu de ses jets de fleurs, qui néanmoins sont étroites & d'une foible odeur.

Il semble que la grande giroflée double, jaune en-dedans, rougeâtre en-dehors, leucoium majus, flore majore, pleno, intùs luteo, extùs ferrugineo, que les Anglois nomment the double ravenal-flower, l'emporte sur toutes par le contraste des deux couleurs opposées, la grandeur des fleurs & leur odeur admirable.

Presque tous les fleuristes prétendent que la plus sûre méthode pour multiplier les giroflées doubles, est de le faire par marcottes ou par boutures ; & cela est très-vrai : mais les giroflées doubles qui s'élevent de marcotte, sont toûjours moins apparentes que de graine, & ne produisent jamais ni de si belles ni de si grandes fleurs : c'est pourquoi le bon moyen est d'en semer chaque année de nouvelles, & de troquer en même tems ses graines avec celles d'un autre amateur qui cultive ailleurs de semblables giroflées. Cette découverte dûe au hasard & dont on a long-tems douté, mais qui est actuellement reconnue de tout le monde, nous prouve combien le changement d'air & de sol peut contribuer à perfectionner plusieurs especes de plantes. (D.J.)


GIROFLIERGIROFLIER DES MOLUQUES, (Bot. exot.) Voyez Girofle.

GIROFLIER, ou VIOLIER, leucoium, genre de plante à fleur cruciforme composée de quatre pétales ; le pistil sort du calice & devient un fruit ou une silique longue, applatie, divisée en deux loges par une cloison à laquelle les panneaux sont adhérens de part & d'autre : cette silique est remplie de semences plates, rondes, & bordées pour l'ordinaire. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On compte trente-quatre especes de giroflier, toutes extrèmement cultivées par les curieux, à cause de leurs fleurs que l'on nomme giroflées, & dont par cette raison il a fallu donner un article à part. Voy. GIROFLEE.

Il n'y a que le seul giroflier jaune qui ait attiré sur lui les regards de quelques medecins.

Le giroflier ou le violier jaune, est cette espece de giroflier nommée leucoium luteum, vulgare, par C. B. P. 202. Tournefort, instit. 221. Boerh. ind. A. 2. 18.

Sa racine est épaisse, ligneuse, recourbée, de couleur blanchâtre ; il en part plusieurs tiges ligneuses, fragiles, entourées de feuilles oblongues, étroites, & pointues : ces tiges portent à leurs sommets plusieurs fleurs jaunes assez larges, composées de quatre pétales d'une odeur suave & douce ; elles sont suivies de longues cosses foibles, ou si l'on veut de vaisseaux séminaux qui contiennent une petite semence plate & rougeâtre. Ce giroflier croît volontiers sur les bâtimens, les remparts, les masures, & les vieilles murailles ; il fleurit en Avril & Mai ; on le cultive dans les jardins.

Cette plante est amere & d'un goût herbeux salé ; elle rougit assez le papier bleu ; elle donne du sel volatil concret, beaucoup d'huile & de terre : ainsi l'on voit qu'elle abonde en sel ammoniac, en soufre, & en parties terreuses.

Ses fleurs sont regardées comme discussives, détersives, & apéritives ; on en fait une conserve dont le sucre constitue le plus grand mérite, un sirop plus vanté pour sa bonne odeur que pour ses vertus ; & quelquefois on en tire une eau distillée : mais son huile par infusion est la seule préparation d'usage ; elle passe pour anodyne & résolutive. (D.J.)


GIRONou GUIRON, s. m. en terme de Blason, est une figure triangulaire qui a une pointe longue faite comme une marche d'escalier à vis, & qui finit au coeur de l'écu.

Ce mot signifie à la lettre l'espace qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux, sinus gremium, à cause que quand on est assis les genoux un peu écartés, les deux cuisses & la ligne qu'on imagine passer d'un genou à l'autre, forment une figure semblable à celle dont nous parlons.

On dit qu'un écu est gironné, quand il a six, huit, ou dix girons qui se joignent par leurs pointes à l'abîme de l'écu. Voyez GIRONNE. Chambers.


GIRONEGerunda, (Géog.) ancienne, forte, & considérable ville d'Espagne, capitale d'une grande viguerie dans la Catalogne, avec un évêché suffragant de Tarragone, érigé en l'an 500, suivant l'abbé de Commanville ; elle est sur le Ter, à sept lieues de la mer, seize de Perpignan, cinq nord-oüest de Palamos, dix-neuf nord-est de Barcelone. Longit. 20d. 32'. latit. 41d. 56'.

C'est la patrie de Nicolas Eymeric, qui y mourut inquisiteur général le 4 Janvier 1399 : le principal ouvrage de ce fameux dominicain est intitulé, le directoire des inquisiteurs ; ouvrage digne des pays où le tribunal qu'ils nomment la sainte inquisition exerce son cruel empire. (D.J.)


GIRONNÉadj. en terme de Blason, se dit d'un écu divisé en plusieurs girons qui sont alternativement de métal & de couleur. Voy. nos Planches de Blason. Gironné de six, argent & sable.

Quand il est gironné de huit pieces, on l'appelle absolument gironné ; quand il y a plus ou moins de girons, il en faut exprimer le nombre : gironné de quatre, de quatorze, &c.

D'autres l'appellent parti, coupé, tranché, & taillé, parce qu'il est fait par ces divisions de l'écu ; y ayant quatre girons qui forment un sautoir, & les quatre autres une croix. Voyez SAUTOIR. Chambers.

Des Armoises en Lorraine, gironné d'or & d'azur de douze pieces.


GIROUETTES. f. (Arts) plaque de fer-blanc qui est mobile sur une queue ou pivot qu'on met sur les clochers, les pavillons, les tours, & autres édifices, pour connoître de quel côté le vent souffle : aussi quelques auteurs l'ont appellé ventilogium, quasi index venti. Andronic de Cyrrhe fit élever à Athenes une tour octogone, & fit graver sur chaque côté des figures qui représentoient les huit vents principaux ; un triton d'airain tournoit sur son pivot au haut de la tour : ce triton tenant une baguette à la main, la posoit juste sur le vent qui souffloit. C'est peut-être d'après cette idée ingénieuse, que nos coqs & nos giroüettes ont été grossierement imaginées ; car leur exécution est toute entiere gothique & barbare. (D.J.)

GIROUETTES, (Marine) ce sont de petites pieces d'étoffe, soit toile ou étamine, qu'on met au haut des mâts des vaisseaux ; elles servent à marquer d'où vient le vent. Ordinairement les giroüettes ont plus de battant que de guindant, c'est-à-dire qu'elles sont plus longues que larges, en prenant le guindant pour la largeur, & le battant pour la longueur.

Il y a des giroüettes quarrées qui sont faites de plusieurs cueilles, & qui ont la figure d'un quarré long.

Les giroüettes à l'angloise sont longues & étroites.


GIROVAGUES. m. (Hist. ecclés.) espece de moines, la quatrieme dont S. Benoît fasse mention dans sa regle ; ces girovagues ne s'attachoient à aucune maison ; ils erroient de monastere en monastere, genre de vie que l'indépendance leur faisoit préfére à celui de Cénobites. S. Benoît n'aimoit pas ces couvens-là. Mais le même nom de girovague ne conviendroit-il pas également à ces moines qui n'habitent leur cloître que le moins qu'ils peuvent, qui sont plongés dans les embarras du monde & les dissipations, qui intriguent, qui cabalent, & qu'on rencontre dans tous les quartiers, dans toutes les maisons de la ville ? Si S. Benoît pouvoit élever sa voix de dessous sa tombe, ne leur crieroit-il pas : " Girovagues, vous êtes pires que les Sarabaïtes "


GISORS(Géog.) petite ville de France en Normandie, capitale du Vexin-Normand, avec titre de comté & bailliage, qui est un des sept grands bailliages de Normandie. Cependant la ville n'est pas fort ancienne ; car elle doit son origine à un château que fit bâtir Guillaume le Roux, roi d'Angleterre & duc de Normandie, l'an 1097, comme l'assûre Ordéric Vital, qui nomme cette place Gisors, & au génitif Gisortis. Les écrivains qui sont venus après lui, l'ont appellé Gisortium : elle est sur l'Epte, dans un terrein fertile en excellent blé, à cinq lieues de Gournay, quatorze de Roüen, & seize de Paris. Long. 19d. 18'. latit. 49d. 13'. (D.J.)


GISSEMENTS. m. (Marine) Les marins désignent par ce mot la maniere dont une côte gît & est située, eu égard aux rumbes de vent de la boussole. On dit, cette côte gît nord & sud, pour dire, qu'elle est située & qu'elle s'étend du nord au sud : on dit la même chose de deux îles ou de deux lieux éloignés l'un de l'autre ; ces deux îles gissent sud-est & nord-oüest à quinze lieues de distance, c'est-à-dire que l'une est située au sud-est de l'autre à quinze lieues. (Z)


GITES. m. (Gramm.) lieu où l'on s'arrête pour coucher à la fin de la journée, lorsqu'on est en voyage : on a un peu étendu l'acception de ce mot, & il signifie souvent en général le lieu où l'on couche : ainsi on dit, de retour au gîte, nous fimes, &c. il se dit surtout de l'endroit où le lievre a coûtume de se reposer.

GITE, (DROIT DE-) Hist. de France ; dans les titres ce droit s'appelle jus gisti, gistum, jus subventionis, ou procurationis. Voyez Ducange, au mot gistum. Ancien droit que les rois de France levoient dans les villes, bourgs, évêchés, & abbayes, pour les indemniser des frais du voyage, passage, ou séjour qu'ils faisoient sur les lieux.

Quand les rois de la premiere race & quelques-uns de la seconde, voyageoient, ce qui leur arrivoit souvent, ils logeoient avec leur suite pendant une nuit, aux dépens des villes, des bourgs, & des villages qui étoient sur leur route. On leur fournissoit tout ce dont ils avoient besoin, & ils étoient magnifiquement défrayés ; car leurs hôtes ne manquoient jamais d'y joindre au départ quelque présent en argenterie. Peu-à-peu cet établissement devint un droit royal, qu'on nomma droit de gîte ; & personne n'en fut exempt. Jean le Coq rapporte un arrêt qui déclare les villes données en doüaire à la reine, sujettes au droit de gîte.

Les évêques & les abbés payoient ce droit de gîte pour la visite de leur église ; & quand nos rois se dégoûterent de mener une vie errante, ils continuerent d'exiger leur droit de gîte des évêques, des abbés, & autres prélats. Lors même que ces évêques & abbés furent affranchis du service militaire, ils resterent soûmis au droit de gîte. Louis VII. en exempta la seule église de Paris, en reconnoissance de l'éducation qu'elle lui avoit donnée.

Ce droit de gîte étoit fixé à une certaine somme pour chaque évêché ou abbaye, toutes les fois que le roi venoit visiter l'église ou l'abbaye du lieu : p. ex. l'abbé du grand monastere de Tours étoit taxé à soixante livres du pays ; abbas majoris monasterii Turonensis debet unum gistum, taxatum sexaginta libras turonenses, levandas quolibet anno, si rex visitaverit ecclesiam.

Quelques églises s'abonnerent à payer le droit de gîte à une certaine somme, soit que le roi vînt ou non les visiter ; l'archevêque de Tours prit ce parti, & composa pour cent francs. Pasquier rapporte à ce sujet un grand passage qu'il a tiré des archives de la chambre des comptes, & dont voici le précis : L. anno Domini 1382, dominus P. Mazerii, episcopus Atrebatensis, pro jure procurationis.... composuit in ducentis & quadraginta francis auri, franco sexdecim solidorum, pro eo quod debebat ; de quibus satisfactum, dominus Atrebatensis habet penès se litteras regias, unà cum litteris quitationis secretariorum. Le latin de ce tems-là n'est pas élégant, mais le sens en est clair. Ce passage dit qu'en 1382 l'évêque d'Arras traita à deux cent quarante francs d'or, chaque franc de seize sous, pour ce qu'il devoit du droit de gîte ; qu'il paya cette somme, en prit l'écrit du roi, & quittance de ses secrétaires.

Ce même passage nous apprend positivement que le droit de gîte subsistoit encore en 1382. " Enfin, dit Pasquier en son vieux gaulois, le tems a depuis fait mettre en oubli, tant les services militaires, que droits de gîte ; au lieu desquels on a introduit l'octroi des décimes sur tout le clergé, n'étant demeuré de cette ancienneté, que la prestation de serment de fidélité au roi, qui doit être faite par tous les prélats de France, lors de leurs avénemens ". (D.J.)

GITES, s. m. pl. (Art milit.) ce sont des pieces de bois dont on se sert pour la construction des plates-formes des batteries sur lesquelles on pose les madriers. Voyez PLATE-FORME. (Q)

GITE, (Boucherie & Cuisine) Le gîte est le bas de la cuisse du boeuf ; on y distingue trois parties, le bas où est le morceau à la noix, & le derriere du gîte ; la levée & le gîte à l'os.


GIULAJulia, (Géog.) ville forte de la haute Hongrie aux frontieres de la Transylvanie ; elle fut prise par les Turcs en 1566 : les impériaux la reprirent en 1595, & la conserverent par le traité de Carlowitz : elle est sur le Kérès blanc, à douze lieues nord-est d'Arad, douze sud-oüest du grand Varadin. Longit. 39. 36. latit. 46. 25. (D.J.)


GIUND(Géog.) ville d'Asie dans la grande Tartarie au Turquestan, vers le Sihon, qui est le Jaxarre des anciens : Abulféda lui donne 78d. 4'. de long. elle a, selon quelques-uns, 45d. 30'. de latit. septentrionale. (D.J.)


GIUSCHONou GIUS-CHAN, s. m. (Hist. mod.) nom qui en langue turque signifie lecteur de l'alcoran ; il y en a trente dans les mosquées royales, qui lisent chacun par jour une des trente sections de l'alcoran : en sorte que chaque mois on fait une lecture entiere de ce livre de la loi. Gius veut dire portion ou section ; & chon ou chan, lecteur ; c'est-à-dire lecteur d'une section. Le but de cette lecture, selon eux, est de procurer le repos des ames des Musulmans qui font quelque legs à cette intention : c'est pourquoi les giuschous lisent proche des sépulcres dans les mosquées, & autres lieux de dévotion. Ricaut, de l'empire ottoman. (G)


GIUSTANDIL(Géog.) autrement dite OCHRIDA, c'est l'Achridus des anciens qui fut ensuite nommée Justiniana prima ; forte ville de la Turquie européenne dans la Macédoine, avec un archevêque grec, & un sangiach. Elle est située près du lac d'Ochrida, à 28 lieues sud-est de Durazzo, 52 nord-oüest de Larisse. Long. 38. 25. lat. 41. 10.

Giustandil est la patrie de l'empereur Justinien dont on a tant fait de bas éloges ; mais son inconstance dans ses projets, sa mauvaise conduite, son zele persécuteur, ses vexations, ses rapines, sa fureur de bâtir, sa foiblesse pour une femme qui s'étoit long-tems prostituée sur le théatre, peignent son vrai caractere. Un regne dur & foible, mélé à beaucoup de vaine gloire & à des succès inutiles, qu'il devoit à la supériorité du génie de Bélizaire, furent des malheurs réels qu'on éprouva sous sa domination ; enfin ce prince fastueux, avide de s'arroger le titre de législateur, s'avisa dans un tems de décadence de vouloir réformer la jurisprudence des siecles éclairés : mais outre qu'on sait assez la maniere dont il s'y prit, c'est aux jours de lumieres, comme dit très-bien M. de Montesquieu, qu'il conviendroit de corriger les jours de ténebres. (D.J.)


GIVETGivetum, (Géog.) petite ville de France aux Pays-Bas, divisée en deux par la Meuse, dont l'une s'appelle Givet Saint-Hilaire, & l'autre, Givet Notre-Dame ; il y a de bonnes fortifications & de belles casernes, ouvrages du maréchal de Vauban. Givet est près de Charlemont, à neuf lieues sud-oüest de Namur, huit nord-est de Rocroi. Long. 22d. 22'. latit. 50d. 5'. (D.J.)


GIVREou FRIMAT, s. m. (Physique) sorte de gelée blanche, qui en hyver, lorsque l'air est froid & humide tout ensemble, s'attache à différens corps, aux arbres, aux herbes, aux cheveux, &c. Le givre ou frimat ne differe pas essentiellement de la gelée blanche proprement dite : ces deux congelations se ressemblent parfaitement, se forment de la même maniere, & dépendent du même principe. Ce qui, dans l'usage, sert à les distinguer, c'est que le nom de gelée blanche n'est guere donné qu'à la rosée du matin congelée ; au lieu que ce qu'on appelle givre doit son origine non à la rosée du matin, mais à toutes les autres vapeurs aqueuses, quelles qu'elles soient, qui réunies sur la surface de certains corps en molécules sensibles, distinctes & fort déliées, y rencontrent un froid suffisant pour les glacer.

La formation du givre supposant toûjours, comme nous venons de le dire, la réunion du froid & de l'humidité, on déterminera sans peine les circonstances particulieres dans lesquelles cette espece de congelation doit se manifester. Qu'un grand brouillard soit répandu dans l'air & sur la surface de la terre, il mouillera considérablement la plûpart des corps solides exposés à son action : si l'on suppose en même tems dans ces corps un refroidissement jusqu'au terme de la congelation & au-delà, il n'en faudra pas davantage pour glacer les particules d'eau répandues sur la surface de ces mêmes corps, & qui y sont adhérentes. Ces premiers glaçons attireront d'autres molécules aqueuses qui perdront de même leur liquidité, & ainsi de suite ; tous ces petits corps gelés constituent le givre. Ce qu'on a dit ailleurs de la gelée blanche proprement dite, qu'elle est composée de particules d'eau glacées séparément, unies en un corps rare & leger, formant des filets oblongs diversement inclinés ; tout cela trouve ici son application. Voyez GELEE BLANCHE.

Le givre s'attache aux arbres en très-grande quantité ; il y forme souvent des glaçons pendans qui fatiguent beaucoup les branches par leur poids ; c'est que les arbres attirent avec beaucoup de force l'humidité de l'air & des brouillards.

Les poils des animaux sont de même très-sujets à s'humecter considérablement à l'air libre : ainsi il n'est pas surprenant qu'en certains pays le givre s'attache fréquemment aux cheveux & au menton des paysans & des voyageurs, aux chapeaux, aux fourrures, aux crins des chevaux, &c. Il faut remarquer au sujet du givre qu'on apperçoit sur les hommes & sur les animaux, que les particules d'eau auxquelles il doit son origine, ne viennent pas toutes de l'atmosphere : les vapeurs aqueuses qu'exhalent les animaux par la respiration, se glacent de la même maniere dans de semblables circonstances ; & ce qui le prouve évidemment, c'est que le givre s'amasse autour de la bouche & des narines en plus grande quantité. Dans les villes, quand on voit sur les personnes qui viennent de la campagne l'espece d'eau glacée dont il est ici question, on dit communément qu'il a tombé du givre ; expression très-peu exacte, si l'on entend par-là que les particules d'eau qui composent le givre, se sont gelées dans l'air : on dit de la même maniere, il a tombé de la gelée blanche. Il ne faut pas toûjours chercher dans le discours ordinaire la précision des Mathématiciens.

On doit rapporter au givre cette espece de neige qui s'attache aux murailles après de longues & fortes gelées : la raison de cet effet est que les corps solides s'échauffent moins promtement que l'air, & que ces murailles conservent encore quelque tems après le dégel une grande partie de la froideur qui leur a été auparavant imprimée. Si cette froideur va au terme de la glace ou au-delà, les particules d'eau dont l'air est chargé venant s'attacher aux murailles & s'y accumulant, y forment une croûte de glace rare, spongieuse, & dont les parties sont presque disjointes.

Ce seroit une erreur de croire que cette espece de neige vînt de l'humidité qui sort du mur : comment en sortiroit-elle, puisqu'il est plus froid ou aussi froid que la glace, & que tout ce qu'il a d'humidité au-dedans, n'y peut-être que congelé ?

Les réseaux de glace qu'on observe quelquefois aux vitres de fenêtres, sont encore une espece particuliere de givre. Pendant la gelée, l'air de la chambre est chaud ou tempéré ; la vitre est froide par l'impression de la gelée extérieure, & la vapeur qui s'y attache du côté de la chambre s'y congele subitement. Pendant le dégel, si l'air de la chambre est encore très-froid, & que l'adoucissement vienne de l'air extérieur, ce sera l'humidité du dehors qui s'attachera aux carreaux & qui s'y gelera. M. de Mairan, diss. sur la glace, part. II. sect. 4. ch. vj. & vij.

Dans toutes ces congelations on voit regner constamment le même principe : des corps solides refroidis à un certain degré, glacent les particules d'eau qui s'attachent à leur surface ; & ces particules d'eau, c'est l'air qui les fournit.

Tout corps plus froid que l'air qui l'environne, lui communique en partie son excès de froideur : cet air ainsi refroidi en devient moins propre à soûtenir les vapeurs qui y sont suspendues ; il en laissera donc précipiter une partie ; & si le corps d'où naît le refroidissement, a la propriété d'attirer l'eau, il se couvrira de molécules aqueuses qui se convertiront en glaçons à un degré de froid suffisant pour produire cet effet.

Ceci s'applique naturellement & aux murs des maisons & aux carreaux des vitres, qui dans les cas dont il est ici question, sont toûjours plus froids qu'un air immédiatement contigu. Si l'on demande pourquoi l'air en se refroidissant abandonne une partie des vapeurs aqueuses qu'il tenoit auparavant suspendues, nous ferons d'abord remarquer que cette question n'est point particuliere au sujet que nous traitons, puisqu'elle se présente nécessairement dans l'explication de tout météore aqueux. Nous dirons ensuite, sans entrer dans un grand détail, que les particules d'eau invisibles dans l'atmosphere y sont dans l'état d'une véritable dissolution ; qu'ainsi l'élévation & la suspension des vapeurs dépendent presque entierement de la vertu dissolvante de l'air. Or cette activité dissolvante est d'autant moindre, que l'air a moins de chaleur ; ou, ce qui est la même chose, qu'il est plus froid, selon la loi commune à tous les menstrues : il n'est donc pas étonnant que l'air refroidi laisse échapper une partie des vapeurs qu'il soûtenoit auparavant ; c'est ici une vraie précipitation chimique. On dit communément que le froid en condensant l'air condense aussi les vapeurs dont l'air est chargé ; mais on le dit sans le prouver, & cette explication est moins naturelle que celle que nous venons de donner d'après quelques physiciens modernes. Les observations de M. le Roi, de la société royale des Sciences de Montpellier, ont répandu un très-grand jour sur toute cette matiere. Voyez l'article ÉVAPORATION, composé par cet académicien. Voyez aussi HUMIDITE & EXPANSIBILITE.

Les congelations qui s'attachent aux vitres des fenêtres, sont quelquefois très-remarquables par la singularité des figures qu'elles affectent. De petits brins de glaces s'arrangent de maniere qu'il en résulte diverses figures curvilignes semblables à la broderie : rien ne paroît si contraire à la direction rectiligne & convergente, que les particules de glace suivent constamment quand elles sont en pleine liberté. Aussi M. de Mairan avoue-t-il que ce phénomene l'embarrassa long-tems : à la fin ayant fait réflexion qu'il ne l'avoit vû que sur des vitres récemment nettoyées, il crut pouvoir conjecturer que les contours dont il s'agit avoient été formés par la main même du vitrier, qui pour sécher les vitres qu'il venoit de laver, y avoit passé une brosse avec du sable fin. Selon cette idée, les particules de glace se seroient logées dans les petits sillons que les grains de sable auroient gravés par leur frottement. M. de Mairan pense aussi que l'ouvrier qui fabrique le verre en remuant avec une baguette de fer la matiere vitreuse actuellement en fusion, fait naître par ce mouvement diverses figures curvilignes qui subsistent après le refroidissement. On pourroit donc appercevoir le phénomene en question, indépendamment des circonstances que nous avons rapportées. Ceci demanderoit un examen plus approfondi. M. de Mairan, dissertation sur la glace.

L'industrie des Physiciens s'applique souvent avec succès à imiter la nature : on peut en toute saison faire naître du givre artificiel semblable à celui qui se forme naturellement. On mêle, pour cet effet, de la glace pilée ou de la neige avec du sel dans un vaisseau de verre mince bien essuyé en-dehors, & que l'on tient environ un quart-d'heure dans un lieu frais : ce mélange produit un refroidissement considérable ; & on voit bien-tôt tous les dehors du vaisseau se couvrir peu-à-peu d'une espece de frimat ou de neige qui ne differe point du givre ou de la gelée blanche ordinaire. Voyez dans les leçons de Physique de M. Nollet, tome III. p. 362. tout le détail de cette expérience, dont nous avons par avance donné l'explication.

En finissant cet article, je ferai observer qu'à Montpellier où j'écris, & dans la plus grande partie du bas Languedoc, il est très-rare de voir du givre ; c'est que le froid & la gelée y sont rarement accompagnés d'humidité & de brouillards : le pays est naturellement sec, & l'air n'y est humide jusqu'à un certain degré, que quand les vents de sud & de sud-est chassent vers nous les vapeurs qui s'élevent en abondance de la Méditerranée : or les vents de sud donnent en hyver le tems doux. Je n'ai vû à Montpellier qu'une seule fois des réseaux de glace sur les vitres des fenêtres ; c'étoit pendant les fortes gelées de 1755 : le thermometre de M. de Réaumur étoit à six ou sept degrés au-dessous de la congelation de l'eau. Article de M. DE RATTE, secrétaire perpétuel de la société royale des Sciences de Montpellier.

GIVRE, s. f. grosse couleuvre à la queue tortillée ; il ne se dit guere qu'en terme de Blason : on dit givre rampante, lorsqu'elle est en face. On dit aussi guivre.


GIVRÉadj. on appelle, en terme de Blason, croix givrée, celle qui est terminée en tête de givre. Voyez GIVRE. Quelques-uns dérivent ce mot d'anguis, serpent ; & d'autres, de vivre, en changeant la lettre v en g, & vivre de vipera.


GLACES. f. (Physique) La glace est un corps solide, formé naturellement ou artificiellement d'une substance fluide, telle que l'eau, l'huile, &c. refroidie à un certain degré ; ou plutôt ce n'est autre chose que ce fluide même devenu concret & solide par le simple refroidissement. Lorsqu'un fluide s'est converti en glace, on dit qu'il est gelé ou congelé : l'opération par laquelle la nature seule ou aidée de l'art, fait éprouver à un corps fluide le changement dont nous parlons, est connue de même sous le nom de congelation. Voyez FROID & CONGELATION.

La congelation differe de la concentration ou rapprochement qui se fait par l'évaporation, la précipitation ou la crystallisation. Voyez ces articles. On ne doit pas non plus la confondre avec la coagulation proprement dite, qui est l'épaississement spontané de certains liquides ; épaississement qui loin de dépendre constamment de l'action du froid, suppose dans plusieurs fluides un degré de chaleur considérable. Voyez COAGULATION.

En s'attachant à l'idée que nous venons de développer, on doit donner indifféremment le nom de glace à tout fluide gelé. L'usage a cependant restreint la signification de ce terme, qui n'est guere employé que pour designer l'eau congelée : la glace proprement dite, la glace par excellence est toûjours la glace d'eau.

Les phénomenes de la glace sont remarquables, & en très-grand nombre ; aussi ont-ils mérité d'exciter vivement dans tous les tems la curiosité des physiciens. Tous à l'envi se sont empressés de les examiner avec soin pour en reconnoître les causes. Le détail que nous allons donner de cette multitude de phénomenes fera le fort de cet article : nous y ferons un grand usage de l'excellente dissertation de M. de Mairan sur cette matiere. Il seroit difficile de parler de la glace, sans profiter des savantes recherches de cet illustre physicien, sans le copier ou sans l'abréger.

La glace, comme nous l'avons dit, est naturelle ou artificielle. L'eau se gele naturellement, quand la température de l'air répond au zéro ou à un degré inférieur du thermometre de M. de Reaumur, ce qui arrive assez souvent en hyver dans nos climats. Tous les liquides simplement aqueux se glacent à-peu-près dans le même tems & par le même degré de froid.

Les huiles grasses, sur-tout l'huile d'olive, gelent à un degré de froid très-médiocre, & fort inférieur à celui qui est requis pour la congelation de l'eau.

Les liqueurs spiritueuses au contraire, telles que le vin, l'eau-de-vie, l'esprit-de-vin, &c. se gelent très-difficilement ; non-seulement leur fluidité resiste à un degré de froid supérieur à celui qui fait geler l'eau ; mais lors même qu'elles se glacent, ce n'est guere qu'en partie au-moins dans nos climats. Ce qu'elles ont d'aqueux se gele, mais leur partie spiritueuse qui alors se sépare de la partie aqueuse, ne perd rien de sa liquidité : elle se rassemble presque toûjours au centre du vaisseau ou de la piece de glace, sous la forme fluide qui lui est propre, & que le froid n'a pû altérer.

La même chose a lieu dans la congelation du vinaigre ; elle est imparfaite, & l'on trouve au milieu de la masse gelée, ce que les Chimistes appellent vinaigre concentré. Voyez VINAIGRE.

L'huile d'olive elle-même qui se glace avec tant de facilité, a quelques parties en très-petite quantité, qui réunies au centre du vaisseau, s'y conservent liquides dans les plus grands froids.

Selon les observations des académiciens qui ont fait le voyage du cercle polaire, l'esprit-de-vin des thermometres de M. de Reaumur gele à un degré de froid ordinaire en Laponie. Cet esprit-de-vin est celui qu'on vend communément chez les Droguistes : il n'est pas extrèmement rectifié, & l'on pourroit peut-être penser qu'il ne se gele qu'à raison des parties d'eau qu'il contient en assez grande quantité ; ce qui est certain, c'est que de l'esprit-de-vin bien alkoolisé, soûtient sans se geler un aussi grand degré de froid, & même des degrés plus considérables. Ce que nous disons de l'alkool doit à plus forte raison être entendu de l'éther la plus volatile peut-être de toutes les liqueurs. Voyez ALKOOL & ETHER.

L'esprit de nitre & la plûpart des esprits acides, certaines huiles chimiques, comme l'huile de térébenthine, celle de lin, &c. se glacent aussi très-difficilement. Le mercure ne se gele point : du-moins nul degré de froid observé jusqu'ici n'a été suffisant pour le congeler. A l'égard de l'air, on sait qu'il est toûjours fluide quand il est en masse sensible ; ainsi tout ce que nous avons à dire des phénomenes de la congelation ne le regarde pas.

Ceux des liquides qui sont sujets à se glacer, n'offrent pas tous à beaucoup près dans leur congelation les mêmes phénomenes ; autant de fluides particuliers, autant de sortes de glace. Nous allons principalement considérer la glace commune, ou celle qui résulte de la congelation de l'eau ; sans-cesse exposée aux regards curieux des physiciens & aux yeux du vulgaire, on a dû l'examiner avec plus de soin, & la soûmettre à un plus grand nombre d'épreuves.

M. de Mairan considere la glace sous différens points de vûe : 1°. dans ses commencemens & dans tout le cours de sa formation : 2°. dans sa formation, relativement à l'état & aux circonstances où se trouve l'eau qui se gele : 3°. dans sa perfection, ou lorsqu'elle est toute formée : 4°. dans sa fonte & dans le dégel : 5°. & enfin dans sa formation artificielle par le moyen des sels.

1°. Des phénomenes de la glace dans ses commencemens & dans tout le cours de sa formation. Si l'on expose à l'air lorsqu'il gele, un ou plusieurs vases cylindriques de verre mince, pleins d'eau pure, il sera facile d'observer les phénomenes suivans.

On remarquera d'abord, s'il ne gele que foiblement, une pellicule de glace très-mince, qui se formera à la surface supérieure qui touche immédiatement l'air ; ensuite on verra partir des parois du vaisseau des filets diversement inclinés à ces parois, ou faisant avec elles divers angles aigus & obtus, rarement l'angle droit. A ces filets il s'en joindra d'autres qui leur seront de même diversement inclinés, & à ceux-ci d'autres encore, & ainsi de suite. Tous ces filets se multipliant s'élargiront en forme de lames, qui augmentant en nombre & en épaisseur, composeront enfin une seule masse solide par leur réunion. On conçoit aisément qu'à mesure que le froid continue ou qu'il augmente, ce premier tissu de glace devient toûjours plus épais.

Si la gelée est plus âpre, tout se passera plus confusément ; à peine aura-t-on le tems d'observer ces filets & ces lames, qui se formeront & s'uniront en un clin d'oeil.

M. de Mairan a examiné avec une attention particuliere les différentes positions des filets de glace dont nous venons de parler, soit entr'eux, soit par rapport aux parois du vaisseau, ainsi que les diverses figures qui en résultent. Il a remarqué que les angles aigus, sous lesquels s'assemblent les filets, ne sont presque jamais au-dessous de l'angle de 30 degrés ; qu'assez souvent ces angles sont de 60 & de 120 degrés ; en sorte qu'il n'est pas rare, lorsqu'on fait geler de l'eau, de voir ceux des filets de glace qui tiennent par les deux bouts aux parois du vaisseau, y faire la corde d'un arc de 120 degrés, ou du tiers de la circonférence. Il y a beaucoup de variété dans les figures qui résultent de l'assemblage de tous ces filets ; souvent elles sont irrégulieres, & ne réveillent l'idée de rien de connu ; souvent aussi elles imitent par des desseins & des contours assez réguliers divers ouvrages de la nature & de l'art. C'est ainsi qu'elles représentent des champs diversement sillonnés, des plumes avec leurs barbes, des especes d'étoiles ou de croix de Malthe, &c. Les figures les plus fréquentes sont celles de morceau de feuilles, ou même de feuilles entieres ; toutes ces figures sont legerement tracées, & comme ciselées sur les différentes superficies qui les offrent à nos yeux.

Avant la congelation de l'eau, & pendant qu'elle se gele, il en sort une grande quantité d'air en bulles plus ou moins grosses, qui viennent crever à sa surface.

La sortie de ces bulles est d'autant plus aisée que la congelation se fait plus lentement. En général, quand la congelation est trop promte, il sort très-peu d'air de l'eau, mais les bulles d'air qui en sortent sont plus grosses ; & au contraire quand la congelation est lente, les bulles qui s'échappent sont en très-grand nombre, mais fort petites.

Quoiqu'il sorte beaucoup d'air de l'eau qui est prête à se geler, il en reste une quantité considérable dans l'eau glacée. Une masse de glace formée par une lente congelation paroît assez homogene & assez transparente depuis sa surface extérieure, qui s'est gelée la premiere jusqu'à 2 ou 3 lignes de distance en-dedans ; mais dans le reste de son extérieur, & sur-tout vers son milieu, elle est interrompue par une grande quantité de bulles d'air, & la surface supérieure qui d'abord s'étoit formée plane, se trouve élevée en bosse & toute raboteuse.

Une promte congelation répand indifféremment les bulles d'air dans toute la masse, qui par-là est plus opaque que dans le premier cas ; la surface supérieure est aussi & plus convexe & plus inégale.

Les bulles d'air dont nous parlons, sont pour la plûpart de figure sphérique, & de la grosseur à-peu-près d'une tête d'épingle ; elles deviennent beaucoup plus grosses quand le froid continue. Assez souvent on en observe d'autres oblongues, vers le fond du vaisseau & près de ses parois intérieures, d'où elles semblent quelquefois partir pour se réunir au centre ; celles-ci sont toûjours en moindre nombre que les premieres.

Ces bulles qu'on apperçoit à la vûe simple, ne sont pas les seules qui interrompent la continuité d'une masse de glace ; en examinant la glace avec la loupe, on en distingue encore une infinité d'autres beaucoup plus petites & plus près les unes des autres.

On peut par des ébullitions réitérées, & sur-tout par le moyen de la machine pneumatique, priver l'eau de la plus grande partie de l'air, & des autres fluides élastiques qui y sont naturellement contenus. Cette eau ainsi purgée d'air, étant exposée dans la machine du vuide à un froid considérable, se gelera comme l'eau ordinaire par filets & par lames, qui formeront par leur réunion une masse de glace moins interrompue par des bulles d'air que la glace ordinaire, & dont la surface supérieure sera fort unie.

Cette nouvelle glace contiendra d'autant moins de bulles, qu'on aura eu plus de soin de bien purger l'eau qui aura servi à la former. En suivant avec exactitude le procédé indiqué par M. Musschenbroeck, on pourra parvenir à faire de la glace sensiblement homogene & sans aucune bulle visible. Essai de Physique, tome I. chap. xxv. Tentam. Florent. &c.

Je dis sans aucune bulle visible ; car toutes les précautions qu'on prendra dans cette expérience, n'empêcheront point qu'il n'y ait toûjours dans la glace de ces bulles qui échappent à la vûe simple, & qu'on ne découvre qu'avec la loupe ; elles y seront quelquefois en si grand nombre, qu'elles rendront la glace faite avec de l'eau purgée d'air, moins transparente que la glace ordinaire. Ainsi M. l'abbé Nollet ne dit rien que d'exactement vrai en un sens, quand il assûre qu'il n'a jamais pû faire de glace qui ne contînt des bulles d'air. Leçons de Physique tome IV. pag. 104.

Cet air rassemblé en bulles dans la glace, y est communément plus condensé que dans l'état naturel ; ce qui le prouve, c'est qu'on le voit presque toûjours s'échapper avec précipitation quand on perce la glace pour faire jour aux bulles. Quelquefois aussi on n'observe rien de semblable, & l'air dont nous parlons ne donne aucune marque de condensation extraordinaire. Mariotte, mouvement des eaux, premier discours. Nollet, leçons de Physique, tome IV. pag. 117. Halles, analyse de l'air, à la fin.

L'augmentation du volume de l'eau, quand elle approche de sa congelation, & sur-tout lorsqu'elle se gele, est un phénomene des plus importans, dont nous n'avons point encore parlé, & de la réalité duquel il est facile de se convaincre. On met pour cet effet de l'eau dans un long tuyau, & on marque l'endroit où se trouve sa surface, lorsqu'elle est dans un lieu tempéré : on expose ensuite le tout à la gelée, l'eau descend très-sensiblement ; mais lorsqu'elle approche de sa congelation, sa surface s'arrête & demeure stationnaire pendant quelques momens ; après quoi elle remonte assez promtement, & s'éleve au-dessus de l'endroit où elle étoit d'abord. Cette expérience ne laisse aucun lieu de douter que l'eau qui approche de la congelation, & celle qui se glace actuellement, n'occupent plus d'espace, & ne soient par-là plus legeres qu'un pareil volume d'eau médiocrement froide.

Cette augmentation de volume n'est pas moins sensible dans l'eau actuellement gelée. On sait que la glace nage toûjours sur l'eau, & que les glaçons qu'on met au fond d'un vaisseau plein d'eau ou au fond d'une riviere, montent toûjours vers la superficie.

Une suite & une nouvelle preuve de la dilatation de l'eau convertie en glace, c'est la rupture des vaisseaux où elle est contenue ; rupture très-ordinaire dans le cas d'une promte congelation, lorsque ces vaisseaux sont étroits par le haut, & que l'épaisseur de leurs parois est trop peu considérable pour résister à l'effort que fait la glace en se dilatant.

Cet effort en plusieurs cas est immense. Tout le monde a entendu parler de la fameuse expérience de M. Huyghens, répétée par M. Buot, dans laquelle un canon de fer épais d'un doigt, rempli d'eau & bien fermé, ayant été exposé à une forte gelée, creva en deux endroits au bout de douze heures. Mrs. de l'académie de Florence ont fait rompre par ce même moyen plusieurs vaisseaux, soit de verre, soit de différens métaux, la plûpart de figure sphérique ; & M. Musschenbroeck ayant calculé l'effort nécessaire pour faire crever un de ces vaisseaux, il a trouvé qu'il avoit fallu une force capable de soulever un poids de 27720 livres. Tentam. pag. 135.

Il ne faut plus s'étonner après cela que la gelée souleve le pavé des rues, qu'elle creve les tuyaux des fontaines, quand on n'a pas la précaution de les tenir vuides, qu'elle fende les pierres & les arbres, qu'elle détruise en plusieurs circonstances tout le tissu des végétaux, &c. Ce sont des suites nécessaires de la dilatation & de la force expansive dont nous venons de parler. Voyez GELEE.

La glace faite avec de l'eau ordinaire non purgée d'air, se dilatant avec tant de force & si sensiblement, il étoit naturel d'examiner ce qui arriveroit dans les mêmes circonstances à de l'eau bien purgée d'air, qu'on auroit soûmise à l'action de la gelée ; de voir si elle augmenteroit ou si elle diminueroit de volume en se gelant : on a fait pour éclaircir ce point quantité d'expériences. M. Homberg par un procédé qui dura deux ans, fit en 1693 avec de l'eau purgée d'air, de la glace qu'il jugea plus pesante & d'un moindre volume que l'eau ordinaire, mémoires de l'académie, tom. X. pag. 255. Il paroît qu'il se décida sur la seule inspection du morceau de glace, & non par son enfoncement dans l'eau, la seule preuve sans replique ; ce qui est certain, c'est que Mrs. de Mairan, Musschenbroeck, Nollet & plusieurs autres physiciens, qui ont répété & tourné en plusieurs manieres cette même expérience, n'en ont jamais pû obtenir le même résultat. La glace faite avec de l'eau purgée d'air a toûjours nagé sur l'eau ; souvent même elle a cassé les vaisseaux où elle étoit contenue, preuves incontestables d'une augmentation de volume. Il faut néanmoins remarquer que si la glace faite avec de l'eau purgée d'air, est plus legere à raison de son volume que l'eau dans l'état de liquidité, cette même glace est toûjours spécifiquement plus pesante que celle qu'on a faite avec de l'eau ordinaire : on verra même que la différence de leurs pesanteurs spécifiques est souvent assez considérable.

La dilatation de l'eau qui devient glace est une exception apparente à la loi générale, suivant laquelle presque toutes les matieres qui perdent leur fluidité pour devenir solides, loin d'augmenter de volume en diminuent constamment ; ainsi les huiles en se gelant & lorsqu'elles sont gelées, occupent toûjours moins d'espace qu'auparavant. Une autre observation importante, c'est que les huiles ne se gelent point comme l'eau par filets & par lames, mais par pelotons de différente figure, qui tombant les uns sur les autres, composent une masse solide assez peu liée dans les commencemens ; mais qui à mesure que le froid augmente, acquiert de la consistance & de la fermeté.

Le vin glacé se leve par feuillets assez semblables à des pelures d'oignon.

Nous venons d'exposer avec assez d'étendue ce qui se passe réellement & sous nos yeux dans la formation de la glace ; voyons maintenant ce que les Philosophes ont imaginé pour rendre raison de ces phénomenes.

Descartes suivi en cela d'un grand nombre de physiciens, a cru que la congelation de l'eau & des autres liquides étoit une suite nécessaire de leur refroidissement à un certain degré déterminé, sans qu'il intervînt précisément pour cet effet dans les pores du liquide aucune matiere étrangere ; c'est aussi le sentiment de Boerhaave, de s'Gravesande, de Hartsoeker, de M. Hamberger, de M. de Mairan, &c. Tous ces physiciens rejettent les corpuscules frigorifiques, la matiere congelante proprement dite : si l'on remarque de la diversité dans le détail de leurs explications, on voit en même tems qu'ils se réunissent tous dans le point que je viens d'indiquer ; c'est un même fond qui se reproduit sous plusieurs formes différentes.

Les Gassendistes supposent au contraire des corpuscules frigorifiques salins ou nitreux, qui s'introduisant entre les pores d'un fluide, arrêtent le mouvement de ses parties, & les fixent en un corps solide & dur. Cette opinion a été adoptée par le célébre M. de la Hire.

M. Musschenbroeck s'en éloigne peu : il soûtient à la vérité contre les Gassendistes, que le froid n'est que la simple privation du feu ; mais persuadé en même tems que la congelation & le froid sont deux choses assez différentes, il a recours à une matiere répandue dans l'air, qui venant à pénétrer l'eau & les autres fluides, fixe la mobilité respective de leurs parties en les liant fortement entr'elles, comme feroit de la colle ou de la glu. Cette matiere est-elle abondamment répandue dans l'air ? la gelée est considérable ; au contraire n'y a-t-il dans l'air que peu ou point de cette matiere ? il ne gele point ou il ne gele que foiblement. Ce n'est point précisément par le degré de froid (nous parlons d'après M. Musschenbroeck) qu'on doit juger de la présence ou de l'absence de ces particules congelantes ; si on lui demande ce que c'est que ces particules, il répondra que leur nature est encore un mystere qu'on pourra quelque jour pénétrer. Essais de Physique, tome I. chap. xxv. Tentam. Florent.

Nous ne connoissons aucun système sur la formation de la glace, essentiellement différent de ceux que nous venons de rapporter ; tout paroît donc se réduire à cette seule question. La congelation d'un liquide suit-elle nécessairement d'un refroidissement à un certain degré déterminé, ou faut-il pour la formation de la glace quelque chose de plus ? Si le refroidissement suffisoit, la matiere congelante dont l'existence n'est point prouvée immédiatement seroit inutile, & par-là même elle devroit être rejettée.

Quelque idée qu'on se forme de la fluidité, on ne sauroit s'empêcher de reconnoître la chaleur pour une de ses principales causes ; il suffit donc afin qu'un corps devienne solide de fluide qu'il étoit, que la chaleur qui agitoit ses parties diminue à un certain degré, ou, ce qui est la même chose, que ce corps se refroidisse. Dans ce cas la force de cohésion de ses particules augmente ; nous l'avons vû en parlant du froid : or on sait que cette force de cohésion est la cause de la solidité des corps & de leur dureté. Voyez FLUIDITE, SOLIDITE & COHESION.

Voilà l'eau changée en un corps dur par un simple refroidissement ; mais ce corps dur aura-t-il toutes les propriétés de la glace ? présentera-t-il dans sa formation les mêmes phénomenes ? C'est ce qu'il faut examiner.

L'eau se gele par filets qui s'assemblent sous différens angles, d'où résultent diverses figures ; dans ce phénomene on n'apperçoit rien qui favorise la matiere congelante. Tout paroît dépendre de la figure, quelle qu'elle soit, des parties intégrantes de l'eau, & de la maniere dont la force de cohésion agit sur ces particules pour leur faire prendre un certain arrangement déterminé. Un liquide autrement conformé & sur lequel l'attraction agira d'une autre maniere, se gelera par pelotons, comme on l'observe dans les huiles ; les sels n'affectent-ils pas différentes figures dans leurs crystallisations ? Si l'on demande pourquoi les filets de glace tiennent d'ordinaire par un de leurs bouts aux parois du vase qui les renferme, nous répondrons que tout corps flottant sur l'eau dans un vase qui n'est pas plein, va s'attacher de lui-même aux parois du vaisseau, si ces parois sont de nature à être mouillées par l'eau ; & ce qui prouve la justesse de cette explication, c'est que l'adhésion des filets de glace aux parois du vase disparoît absolument, quand on a frotté le dedans du vaisseau d'huile, de suif ou de quelqu'autre matiere qui s'unit difficilement avec l'eau.

L'eau qui se gele à mesure que les parties se rapprochent, se dessaisit de l'air qu'elle contient en grande quantité ; une partie de cet air s'échappe à-peu-près comme l'eau sort d'une éponge mouillée que l'on presse.

Ce qui reste d'air dans l'eau glacée s'y rassemble en différentes bulles ; c'est un air, pour ainsi dire, extravasé, dont la masse de glace est entre-coupée.

L'air ne sauroit se développer de la sorte sans augmenter son volume ; avant ce développement il étoit comme dissous dans l'eau : or on sait que du sel, par exemple, dissous dans l'eau, y tient moins de place que du sel en masses sensibles.

L'air caché dans l'eau & intimement mêlé avec elle, y est sans ressort ; en se dégageant il reprend son élasticité, autre cause de dilatation.

De tout ceci on infere naturellement, que quoiqu'il soit sorti beaucoup d'air de l'eau prête à se geler, ce qui reste dégagé & en masse doit y occuper plus de place que le tout n'en occupoit quand il y étoit dissous, & qu'ainsi le volume de l'eau glacée en doit être augmenté.

La force qui rassemble l'air en bulles est très-considérable ; elle est absolument la même que la force de cohésion qui unit les particules d'eau, & qui est très-supérieure à la pesanteur : le ressort qui se rétablit dans l'air à mesure qu'il se dégage, est aussi très-actif & très-puissant. De ces deux causes réunies suit la rupture des vaisseaux où la glace est contenue.

Cette explication, qui est celle d'un très-grand nombre de physiciens, ne laisseroit rien à desirer, si la glace faite avec de l'eau purgée d'air se trouvoit aussi pesante que l'eau même, ce qui n'arrive jamais ; mais nous avons vû que toute glace contient des bulles d'air, quelque soin qu'on ait pris de l'en purger. De plus la glace faite avec de l'eau privée d'air autant qu'il est possible, est sensiblement plus pesante que la glace ordinaire, ce qui affoiblit beaucoup la difficulté.

Ceux qui admettent la matiere congelante, prétendent que cette matiere s'introduisant dans les pores de l'eau, augmente le volume de ce fluide. Il semble que cette autre explication ne doit avoir lieu, que supposé qu'on ne puisse pas déduire d'ailleurs le phénomene dont il est ici question.

En l'attribuant seulement en partie à l'air rassemblé en bulles, ne peut-on pas soupçonner en même tems que les parties intégrantes de l'eau qui se gele, se disposent dans un ordre différent de celui qu'elles observoient avant la congelation ? Selon cette idée, il faudroit reconnoître dans la glace une nouvelle sorte d'aggrégation, pour parler le langage des Chimistes : ceci au reste n'est pas difficile à concevoir. La chaleur qui portée à un certain degré, maintient l'eau dans l'état de liquidité, ne tend pas seulement à desunir les parties intégrantes de ce fluide ; elle peut encore altérer facilement la direction de leur tendance mutuelle : il ne faudra donc qu'un refroidissement pour rendre à ces différentes molécules la liberté de s'arranger conformément à cette tendance qui leur est propre. Or pourquoi, en vertu de cette tendance, ces molécules ne s'uniroient-elles pas de maniere qu'en adhérant plus fortement les unes aux autres par certaines portions de leurs surfaces, elles laisseroient entr'elles d'un autre côté des intervalles plus considérables que ceux qui les séparoient dans l'état de liquidité ? M. de Mairan regarde comme une preuve assez forte de tout ce qu'on vient d'avancer, la constance des filets de glace à s'assembler sous différens angles, principalement sous des angles de 60 degrés : on peut consulter la seconde partie de sa dissertation sur la glace. Un plus grand détail sur ce sujet nous meneroit loin, & nous devons nous resserrer.

Contentons-nous de remarquer, 1°. que l'augmentation de volume de l'eau glacée n'est point proprement une suite de l'action immédiate du froid ; ce n'est que par accident que le froid y contribue, & à raison seulement de certaines circonstances particulieres.

2°. Que la dilatation de l'air reuni en bulles dans la glace, & peut-être aussi une certaine tendance propre aux particules intégrantes de l'eau, semblent être les principales causes de ce phénomene.

3°. Que si on n'observe pas la même chose dans les huiles, c'est sans-doute par le défaut d'une tendance de cette nature, & parce que l'air qu'elles contiennent se dégage & s'échappe avec plus de facilité.

4°. Que la matiere congelante paroît inutile pour l'explication des phénomenes dont nous avons donné le détail ; qu'ainsi la congelation ne dépend probablement que du refroidissement d'un liquide & de la cohésion de ses parties, qui s'accroît toûjours à mesure que la chaleur diminue.

Selon cette idée, la congelation & le dégel sont deux effets beaucoup plus communs qu'on ne pourroit d'abord l'imaginer ; on les découvre dans toute la nature : la fonte d'un métal occasionnée par la chaleur est un dégel ; la dureté qui survient à ce métal fondu en conséquence du refroidissement de ses parties, est une véritable congelation. Nul corps n'est essentiellement solide ou fluide : la solidité & la fluidité sont deux états différens & successifs d'un même corps ; l'eau est une glace fondue par la chaleur ; la glace une eau que le froid a fixée en un corps dur : comme tous les corps ne se fondent pas au même degré de chaleur, de même aussi tous les liquides ne se gelent pas au même degré de froid. Si certains fluides comme le mercure ne se gelent jamais, c'est sans-doute parce qu'on n'a pas observé jusqu'ici un froid suffisant pour les glacer.

Nous avons vû à l'article GELEE, que la glace se formoit dans tous les pays au même degré de froid, en faisant abstraction de certaines circonstances que nous allons indiquer : cela seul est un grand préjugé que la congelation est une suite du simple refroidissement.

2°. Des phénomenes de la congélation relativement à l'état & aux circonstances où se trouve l'eau qui se gele. Ce que l'expérience & l'observation nous apprennent à ce sujet se réduit aux points suivans :

1°. L'eau qu'on a fait bouillir ne gele pas plus promtement que d'autre eau qui n'a point été altérée par l'ébullition ; on a cru long-tems le contraire sans beaucoup de fondement.

2°. Le mouvement translatif de l'eau augmentant en quelque maniere sa fluidité, apporte toûjours du changement à sa congelation. On sait qu'une eau dormante, comme celle d'un étang, gele plus facilement & plus promtement que l'eau d'une riviere qui coule avec rapidité ; il est même assez rare que le milieu d'une grande riviere, & ce qu'on appelle le fil de l'eau, se glace de lui-même. Si une riviere se prend entierement, c'est presque toûjours par la rencontre des glaçons qu'elle charrioit, & que divers obstacles auront forcés de se réunir : ces glaçons s'amoncelant & s'entassant irrégulierement les uns sur les autres, ne forment jamais une glace unie comme celle d'un étang.

3°. Ceci explique assez naturellement pourquoi la Seine qu'on voit assez souvent à Paris geler d'un bord à l'autre dans des hyvers moins rudes que celui de 1709, ne fut pas totalement prise cette année-là. La violence même du froid produisit un effet extraordinaire en apparence, en glaçant tout-à-coup & entierement les petites rivieres qui se déchargent dans la Seine au-dessus de Paris, que leurs glaçons ne purent y être portés, du-moins en assez grande quantité. Ceux qui se formerent dans la Seine même s'attacherent trop fortement à ses bords ; ainsi elle charria peu, & le milieu de son courant, qui, comme nous venons de le dire, ne se glace point de lui-même, demeura toûjours libre. Hist. de l'acad. des Sciences, année 1709, pag. 9.

4°. On a été long-tems en doute si les rivieres commençoient à se geler par la surface ou par le fond, mais cette question n'en est plus une ; il est présentement bien sûr qu'elles commencent à se geler comme les autres eaux par la surface. M. l'abbé Nollet a démêlé la vérité sur cet article à-travers plusieurs apparences séduisantes qui en avoient imposé à d'habiles physiciens. Leçons de Phys. t. IV.

5°. L'état de l'air qui touche immédiatement la gelée doit être considéré. Un grand vent rend la congelation plus difficile, & souvent même l'empêche entierement ; c'est qu'il diminue d'une part la violence du froid (voyez FROID), & que de l'autre il agite l'eau considérablement, celle sur-tout d'un étang ou d'une grande riviere. Au contraire un petit vent sec est toûjours favorable à la formation de la glace, quand il emporte l'air chaud ou moins froid qui étoit sur la surface du liquide, pour se mettre à sa place.

6°. Le repos sensible tant de la masse d'eau qu'on expose à la gelée, que de l'air qui touche immédiatement cette eau, produit un effet qu'il n'étoit pas facile de prévoir ; ce double repos empêche que l'eau ne se gele, quoiqu'elle ait acquis un degré de froid fort supérieur à celui qui naturellement lui fait perdre sa liquidité. De l'eau étant dans cet état, vient-elle à éprouver la plus legere agitation sensible de la part de l'air, ou de quelqu'autre corps environnant, elle se gele dans l'instant. C'est à M. Fahrenheit que nous devons la premiere observation de ce phénomene ; c'est lui qui a vû le premier avec la plus grande surprise de l'eau refroidie au quinzieme degré de son thermometre, ce qui revient à plus de dix au-dessous du zéro de la graduation de M. de Reaumur, se maintenir dans une liquidité parfaite jusqu'au moment où on l'agitoit : cette expérience a réussi de même à plusieurs autres physiciens curieux de la répéter. Je l'ai faite plusieurs fois à Montpellier pendant les fortes gelées de 1755, sur de l'eau exposée à un air parfaitement tranquille, & qui s'étoit refroidie au quatrieme degré de l'échelle de M. de Reaumur ; ce qu'il y a de bien singulier, c'est que de l'eau ainsi refroidie de plusieurs degrés au-dessous du terme de la glace, venant à se geler en conséquence de l'agitation qu'on lui imprime, fait monter dans le tems qu'elle se glace la liqueur du thermometre au degré ordinaire de la congelation ; ainsi l'eau diminue de froideur en se gelant, espece de paradoxe qui a besoin de toute l'autorité de l'expérience pour pouvoir être cru.

La vraie cause de ce phénomene est peut-être d'une nature à se dérober long-tems à nos recherches. On pourroit penser qu'une masse d'eau tranquille ou peu agitée se refroidissant plus régulierement, la force d'attraction s'y distribue avec uniformité ; qu'ainsi les parties intégrantes de l'eau tendant les unes vers les autres avec une égale force, balancent mutuellement leurs efforts : cet équilibre contraire à l'union des molécules d'eau, & qui seule entretient la liquidité, doit disparoître à la moindre secousse. Ceci revient assez à l'explication que M. de Mairan a donnée de ce phénomene, qui au reste n'est point particulier à la congelation. M. Romieu de la societé royale des Sciences de Montpellier, a observé qu'une dissolution de sel de Glauber dont il avoit fait évaporer une partie, ne s'étoit point crystallisée, tant que le vaisseau qui contenoit cette dissolution avoit été tenu en repos ; mais ayant tant-soit-peu agité ce vaisseau, il vit paroître à l'instant plusieurs crystaux. Deux effets si parfaitement semblables ne dépendent-ils point d'un même principe, qui influe & dans la congelation & dans la crystallisation ?

3°. Des phénomenes de la glace lorsqu'elle est toute formée. Examinons maintenant la glace dans son état de perfection. M. Boerhaave en décrit exactement les principaux caracteres, quand il dit que c'est une espece de verre qui se fondant naturellement & de lui-même à une chaleur de 33 degrés du thermometre de Fahrenheit, ne conserve sa solidité que parce qu'il est exposé à un degré de froid un peu plus grand ; que c'est une masse moins dense que l'eau, dure, élastique, fragile, transparente, sans odeur, insipide, que l'on peut polir en lui donnant différentes figures, &c. Quelques-unes de ces différentes propriétés doivent être examinées séparément : n'oublions point qu'il est question de la glace proprement dite, de la glace de l'eau.

On a déjà beaucoup parlé de l'augmentation de volume de l'eau glacée ; il reste à assigner le degré précis de cette dilatation : ce degré n'est point uniforme ; tantôt le poids spécifique de l'eau est à celui de la glace, comme 19 à 18, tantôt comme 15 à 14, quelquefois dans la raison de 9 à 8. En général la glace est d'autant plus legere qu'elle contient plus de bulles d'air, & que ces bulles sont plus grosses.

Selon M. de Mairan, la glace faite avec de l'eau purgée d'air, n'excede que d'un vingt-deuxieme le volume qui la produit ; ainsi cette glace est sensiblement plus pesante que la glace de l'eau ordinaire, & le rapport de leurs gravités spécifiques est quelquefois celui de 99 à 92.

Les bulles d'air qui se rencontrent dans la glace dès sa premiere formation, ne sont d'abord, comme nous l'avons vû, que de la grosseur à-peu-près d'une tête d'épingle ; mais à mesure que le froid continue ou qu'il augmente, la réunion de ces bulles forme des globules plus considérables, qui ont souvent 3 à 4 lignes de diametre, quelquefois un demi-pouce, & même un pouce entier. Dans ces circonstances le ressort de l'air contenu dans la glace agit plus fortement pour la dilater ; une grosse bulle d'air fait plus d'effet qu'un grand nombre de petites dispersées çà & là, quoique ces petites jointes ensemble composent une masse égale à celle de la grosse bulle. En général les forces expansives de deux bulles d'air de figure sphérique sont proportionnelles à leurs diametres. M. de Mairan en a donné la véritable raison dans sa dissert. sur la glace, II. part. sect. j. ch. 5.

Il suit de-là, & l'expérience le justifie, que le volume de la glace doit continuer à augmenter après qu'elle s'est formée. Un morceau de glace qui dans sa premiere formation n'étoit que d'un quatorzieme plus leger que l'eau, fut trouvé au bout de huit jours plus leger que ce fluide dans la raison de 12 à 11 : nous devons cette observation à M. de Mairan.

La dureté de la glace est très grande ; elle surpasse considérablement celle du marbre & de plusieurs autres corps connus. Il paroît que la glace est d'autant plus forte pour résister à sa rupture ou à son applatissement, qu'elle est plus compacte & plus dégagée d'air, ou qu'elle a été formée par un plus grand froid & dans des pays plus froids. Les glaces du Spitzberg & des mers d'Islande sont si dures, qu'il est très-difficile de les rompre avec le marteau : voici une preuve bien singuliere de la fermeté & de la tenacité de ces glaces septentrionales. Pendant le rigoureux hyver de 1740, on construisit à Petersbourg, suivant les regles de la plus élégante architecture, un palais de glace de 52 piés 1/2 de longueur, sur 16 1/2 de largeur & 20 de hauteur, sans que le poids des parties supérieures & du comble qui étoit aussi de glace, parût endommager le moins du monde le pié de l'édifice : la Neva riviere voisine, où la glace avoit 2 ou 3 piés d'épaisseur, en avoit fourni les matériaux. Pour augmenter la merveille, on plaça au-devant du bâtiment six canons de glace avec leurs affuts de la même matiere, & deux mortiers à bombe dans les mêmes proportions que ceux de fonte. Ces pieces de canon étoient du calibre de celles qui portent ordinairement trois livres de poudre : on ne leur en donna cependant qu'un quarteron ; mais on les tira, & le boulet d'une de ces pieces perça à 60 pas une planche de deux pouces d'épaisseur : le canon dont l'épaisseur étoit tout au plus de 4 pouces, n'éclata point par une si forte explosion. Ce fait peut rendre croyable ce que rapporte Olaüs-Magnus des fortifications de glace, dont il assûre que les nations septentrionales savent faire usage dans le besoin. M. de Mairan, dissert. sur la glace, II. part. iij. sect. chap. iij.

La glace étant plus legere que l'eau, peut supporter des poids considérables, lorsqu'elle est elle-même portée & soûtenue par l'eau. Dans la grande gelée de 1683, la glace de la Tamise n'étoit que de onze pouces ; cependant on alloit dessus en carrosse. On doit observer qu'une glace adhérente à des corps solides, comme celle d'une riviere l'est à ses bords, doit supporter un plus grand poids que celle qui flotte sur l'eau, ou qui est rompue & felée en plusieurs endroits.

Ce qu'on peut dire de plus précis sur la froideur de la glace, c'est que dans les commencemens le degré qui l'exprime est le trente-deuxieme du thermometre de Fahrenheit, ou le zéro de celui de M. de Reaumur. Mais dans la suite la glace, comme tous les autres corps solides, prend à-peu-près la température du milieu qui l'environne ; elle doit donc augmenter de froideur, quand il gele plus fortement, & en diminuer, quand la gelée est moindre.

La glace est communément moins transparente & plus blanchâtre que l'eau dont elle est formée ; ce qui vient de cette multitude de bulles d'air qui interrompent toûjours la continuité de sa masse. Cet air rassemblé en bulles est d'une part beaucoup plus rare que les parties propres de l'eau glacée, & de l'autre Newton a démontré qu'un corps est opaque, quand les vuides que laisse sa matiere propre, sont remplis d'une substance dont la densité differe de la sienne. Plus les bulles d'air sont grosses, moins la glace est transparente. Celle qu'on a faite avec de l'eau purgée d'air, autant qu'il est possible, n'est pas toûjours également diaphane ; elle l'est quelquefois plus que la glace ordinaire, quelquefois aussi elle l'est beaucoup moins ; c'est qu'elle n'est pas privée de tout l'air qui y étoit contenu, & que les petites bulles presque invisibles qui s'y forment, peuvent dans certaines circonstances faire beaucoup d'effet. Voyez OPACITE & TRANSPARENCE.

Les glaces du Groënland sont moins transparentes que les nôtres : de plus, s'il en faut croire certains voyageurs, elles ont une couleur bleue que n'ont point celles de notre climat.

La réfraction de la glace est un peu moindre que celle de l'eau ; elle est d'ailleurs assez réguliere : on fait des lentilles de glace qui rassemblent les rayons du soleil au point d'allumer & de brûler de la poudre au fort de l'hyver. Voyez LENTILLE, MIROIR-ARDENT, &c.

Quoique la glace soit un corps solide & très-dur, elle est sujette à s'évaporer considérablement ; & ce qui est bien digne de remarque, cette évaporation est d'autant plus grande & plus promte, que le froid est plus violent. Selon les observations faites à Montpellier en 1709 par feu M. Gauteron, secrétaire de la société royale des Sciences de cette ville, la glace exposée à l'air libre perdoit alors un quart de son poids en vingt-quatre heures ; évaporation que M. Gauteron jugea plus considérable que celle de l'eau dans un tems moyen entre le chaud & le froid. Mém. de l'Acad. 1709, à la fin du volume.

M. de Mairan fait dépendre ce phénomene de la contexture particuliere de la glace, qui occupant un plus grand volume que l'eau, offrant une plus grande superficie, hérissée d'une infinité d'inégalités, doit par-là même, nonobstant sa dureté, donner plus de prise à la cause générale de l'évaporation. J'ajoûterai que la sécheresse de l'air & le vent de nord accompagnent presque toûjours les grandes gelées. Or dans ces circonstances l'évaporation est considérable ; un air plus sec est plus disposé à se charger de vapeurs, qui s'éleveront d'ailleurs en plus grande quantité, quand cet air sera incessamment renouvellé. Ceci explique assez naturellement pourquoi les liquides qui ne se gelent point, s'évaporent de même très-considérablement pendant les grands froids.

Nous ne parlons point ici de la neige ni de la gelée blanche ; ce sont des especes de glace, dont on marque ailleurs les différences d'avec la glace proprement dite. La grêle est une vraie glace, qui n'a rien de particulier que les circonstances & le méchanisme de sa formation. Voyez NEIGE, GELEE BLANCHE & GRELE.

Tout ce que nous avons dit des propriétés de la glace de l'eau, ne sauroit guere être appliqué aux différentes sortes de glace qui résultent de la congelation des autres liquides. La glace de l'huile d'olive, par exemple, est terne, opaque, & fort blanchâtre ; celle de l'eau est transparente : la premiere est plus dense qu'auparavant ; l'autre est plus rare & plus legere qu'elle n'étoit avant la perte de sa liquidité. Il paroît que la dureté est la propriété qui convient le plus généralement à toutes les especes de glace ; encore ceci doit-il être entendu avec quelque restriction. La glace de l'huile d'olive n'est pas dure dans les commencemens, mais elle le devient toûjours quand le froid continue, & ce n'est qu'alors qu'elle est censée avoir acquis toute sa perfection.

4°. Des phénomenes de la glace dans sa fonte, & du dégel. La glace se fond à un degré de froid un peu moindre que celui qui la produit. Ainsi le contact des corps voisins suffit pour la fondre, si ces corps sont moins froids qu'elle, ou, ce qui est la même chose, si leur température actuelle est au-dessous du froid de la congelation.

Tous les corps solides appliqués sur la glace ne sont pas également propres à produire cet effet. Ceux qui la touchent en un plus grand nombre de points, la fondent beaucoup plus vîte que les autres, tout le reste étant égal d'ailleurs. Ainsi la glace fond beaucoup plus vîte sur une assiette d'argent que sur la paume de la main.

M. Haguenot, de la société royale des Sciences de Montpellier, répéta & vérifia plusieurs fois cette expérience en 1729 ; il en fit en même tems plusieurs autres dans ce goût, dont les résultats ne sont pas moins curieux. Il trouva, par exemple, que la glace fondoit plus vîte sur le cuivre que sur aucun autre métal. Assemblée publique de la S. R. des Sciences de Montpellier, du 22 Décembre 1729.

L'efficacité des fluides pour fondre la glace n'est pas moins puissante que celle des solides. La glace redevient plûtôt liquide dans l'eau que dans l'air à la même température, & plus promtement dans de l'eau tiede que près du feu, à une distance où l'on auroit peine à tenir la main. Ajoûtons qu'elle fond aussi plus aisément dans l'air subtil que dans l'air grossier. Selon les observations de M. de Mairan, un morceau de glace qui est six minutes vingt-quatre secondes à fondre à l'air libre, est absolument fondu en quatre minutes dans la machine du vuide. On comprend sans peine que l'air contenu dans la glace fait effort pour en desunir & en séparer les parties : or cet effort est toûjours plus considérable dans le vuide, où il n'est point balancé par la pression de l'air extérieur environnant.

La glace se fond beaucoup plus lentement qu'elle ne s'est formée. La matiere du feu trouve sans-doute plus de difficulté à séparer de petites masses liées par une forte cohésion, qu'à s'échapper d'un liquide qui se gele. Quoi qu'il en soit, le fait est constant : de l'eau qui se sera gelée en cinq ou six minutes, ne reprendra sa liquidité qu'au bout de quelques heures, quelquefois même de quelques jours, dans un lieu dont la température est au-dessous du terme de la congelation, & où cette eau ne se seroit jamais glacée d'elle-même. C'est sur ceci qu'est fondée l'utile invention des glacieres ; car ce seroit une erreur de s'imaginer qu'à l'endroit le plus profond du creux qu'on fait en terre pour conserver la glace, le froid surpasse toûjours le degré de la congelation : bien loin de-là, l'eau qu'on y porteroit s'y maintiendroit presque toûjours liquide ; mais il suffit que la température des glacieres soit au-moins un peu au-dessus du terme de la congelation : par-là les grosses masses de glace qu'on y a entassées ne se fondent que très-lentement, & il en reste toûjours assez pour notre usage.

La destruction de la glace offre quelques-uns des phénomenes remarqués dans sa formation ; ainsi l'on retrouve les filets de glace qui subsistent encore, quand les intervalles qui les séparoient sont dégelés. Les angles de soixante degrés reparoissent aussi dans ces circonstances, mais toutes ces apparences sont rares dans un morceau de glace un peu épais. Au reste l'ordre qui s'observe dans la fonte de la glace, n'est point à tous égards contraire à celui de sa formation. La glace se forme par les bords & par la surface de l'eau ; elle commence de même à se détruire par ses bords, par ses pointes, ses angles solides, & ensuite par toute sa surface exposée à l'air.

La glace se fond naturellement par la diminution du froid de l'atmosphere, quand la liqueur du thermometre qui s'étoit abaissée au terme de la congelation & au-dessous, remonte de quelques degrés au-dessus. Ce relâchement du grand froid, cet adoucissement qui résout les glaces & les neiges dans tout un pays, est ce qu'on appelle proprement dégel. Voyez DEGEL & GELEE.

5°. De la glace artificielle par le moyen des sels. L'art qui imite si souvent la nature, a trouvé le moyen de se procurer de la glace semblable à celle qui est formée par les causes générales, & dont nous venons de décrire les propriétés. Rien de plus aisé que d'avoir en peu de tems au fort de l'été de cette glace artificielle. Nous avons vû à l'article FROID, qu'on plaçoit pour cet effet dans un vaisseau de capacité & de figure convenable une bouteille remplie de l'eau qu'on vouloit glacer ; qu'on appliquoit ensuite autour de cette bouteille de la glace pilée ou de la neige mêlée avec du salpetre ou du sel commun, ou avec quelqu'autre sel ; que ce mélange entrant de lui-même en fusion, l'eau de la bouteille se refroidissoit de plus en plus à mesure qu'il se fondoit ; & qu'enfin elle se convertissoit en glace ; qu'on pouvoit hâter la fusion réciproque de la glace & des sels, & la congelation de l'eau qui en est une suite, en plaçant immédiatement sur le feu le vaisseau qui contient le mélange.

Nous avons fait voir que c'étoit une propriété commune aux sels de toute espece, que celle de fondre la glace & de la refroidir en la fondant ; que non-seulement les sels qui sont sous forme seche, mais encore que les esprits acides, tels que ceux de nitre, de sel, &c. les esprits ardens, comme l'esprit-de-vin, &c. opéroient le même effet ; que toutes ces substances mêlées avec la glace donnoient des congelations artificielles, qui, selon la nature & la dose des matieres qu'on avoit employées, différoient les unes des autres & par la force & par la promtitude. Le sel marin, par exemple, est plus efficace que le salpêtre, l'esprit de nitre est plus actif, & produit un degré de froid plus considérable que l'esprit de sel, &c. Nous ne reviendrons plus sur ces différens objets, pour ne pas tomber dans des redites inutiles.

On ne voit rien dans la glace artificielle, qui la distingue de la glace naturelle formée rapidement ; il ne paroît point qu'elle se charge des particules des sels qu'on employe, qui en effet auroient bien de la peine à pénétrer le vaisseau qui la contient.

Si au lieu d'appliquer autour d'une bouteille pleine d'eau un mélange de sel & de glace, on remplit la bouteille de ce même mélange, & qu'on la plonge ainsi dans de l'eau, une partie de cette eau se glacera autour de la bouteille.

Que le mélange soit autour de l'eau, ou que l'eau environne le mélange, la chose est très-indifférente, quant à l'effet qui doit s'ensuivre ; l'essentiel est que le mélange soit plus froid que l'eau d'un certain nombre de degrés : car alors il la convertira facilement en glace par la communication d'une partie de sa froideur.

Ce qu'on observe dans le cas où l'eau entoure le mélange, arrive précisément de la même maniere, lorsqu'on fait dégeler des fruits dans de l'eau médiocrement froide ou dans de la neige qui se fond actuellement ; car il se forme très-promtement autour de leur peau une croûte de glace dure & transparente, & plus ou moins épaisse, selon la grosseur & la qualité du fruit.

Nous avons remarqué à l'article GELEE, que les fruits ou les membres gelés étoient perdus sans ressource, si on les faisoit dégeler trop promtement. C'est la raison pour laquelle on employe ici l'eau médiocrement froide ou la neige, plûtôt que l'eau chaude, qui par la fonte trop subite qu'elle produiroit, détruiroit absolument l'organisation qu'on veut conserver. Voyez GELEE.

On a cherché long-tems les moyens de se procurer de la glace artificielle par les sels tous seuls, sans le secours d'une glace étrangere. Voici comme on y est enfin parvenu. Nous avons parlé ailleurs (voyez FROID) de la propriété qu'ont les sels, principalement le sel ammoniac, de refroidir l'eau, où ils sont dissous sans la glacer. Si donc on a de l'eau déjà froide à un degré voisin de la congelation, il sera facile d'en augmenter la froideur de plusieurs degrés, en y faisant dissoudre un tiers de sel ammoniac. Ce mélange servira à rendre plus froide une seconde masse d'eau déjà refroidie au degré où l'étoit d'abord la premiere qu'on a employée. On fera encore dissoudre du sel ammoniac dans cette nouvelle eau. En continuant ce procédé, & en employant ainsi des masses d'eau successivement refroidies, on aura enfin un mélange de sel & d'eau beaucoup plus froid que la glace ; d'où il suit évidemment que si on plonge dans ce mélange une bouteille d'eau pure moins froide que la glace, cette eau s'y gelera. Nous avons dit qu'il falloit pour cette expérience de l'eau déjà voisine de la congelation. Ainsi ce moyen n'est pas praticable en tout lieu & en toute saison ; il ne laisse pourtant pas de pouvoir devenir utile en bien des occasions. C'est à M. Boerhaave qu'on doit cette découverte. Voyez sa chimie de igne, exp. jv. cor. 4.

Ne pourroit-on pas se procurer de la glace artificielle sans sels & sans glace ? Ce qui est constant, c'est qu'on rafraîchit l'eau en l'exposant à un courant d'air dans un vaisseau construit d'une terre poreuse, ou dans une bouteille enveloppée d'un linge mouillé. C'est ce qu'on pratique avec succès en Egypte, à la Chine, au Mogol, & dans d'autres pays. Si l'eau étoit déjà voisine de la congelation, ne pourroit-elle pas se geler par ce moyen ? Cette idée qui est de M. de Mairan, mérite d'être suivie.

Dans toutes les expériences précédentes, l'eau soûmise à l'action de la gelée étoit pure & sans aucun mélange. De l'eau mêlée avec quelque corps étranger, soit solide, soit fluide, présente dans sa congelation d'autres phénomenes.

L'eau salée se gele plus difficilement que l'eau pure ; il faut pour la glacer un froid supérieur au degré de la congelation, & qui excede d'autant plus ce degré, que l'eau est plus chargée de sels. La glace d'eau salée est moins dure que la glace ordinaire ; elle est plus chargée de sel au centre qu'à l'extérieur : ce milieu même trop chargé de sel, ou ne se gele point, ou ne prend que peu de consistance.

Il en est de même de l'eau qu'on a mêlée avec de l'esprit-de-vin extrèmement rectifié. Ce mélange se gele avec peine, & on voit toûjours au milieu de la masse de glace l'esprit-de-vin sous sa forme liquide. Dans l'un & dans l'autre exemple l'eau se sépare plus ou moins parfaitement des particules de sel ou de celles de l'esprit-de-vin.

Il seroit difficile de ne pas appercevoir ici un rapport marqué entre la congelation de l'eau mêlée avec quelqu'autre substance, & la congelation des liquides différens de l'eau, tels que le vin, le vinaigre, &c. Ces liquides ne sont eux-mêmes que de l'eau combinée avec des matieres salines ou huileuses. Que l'art ou la nature ayent formé ces mélanges, le même effet doit avoir lieu dans leur congelation & dans la séparation de l'eau d'avec les substances qui lui étoient unies.

L'eau des mares, qui est souvent mêlée avec l'urine des animaux, avec les parties grasses ou salines des matieres tant animales que végétales, qui s'y sont pourries ; cette eau, dis-je, lorsqu'elle se glace, représente des figures très-singulieres, que l'imagination rend encore plus merveilleuses : il n'est pas rare d'y voir des especes de dentelles, de figures d'arbres ou d'animaux, &c. Des auteurs décidés pour le merveilleux vont beaucoup plus loin ; ils assûrent que la lessive des cendres d'une plante venant à se glacer, en représente fidelement l'image. C'est ici la fameuse palingenesie ou régénération des anciens chimistes, chimere trop décriée pour qu'on s'applique sérieusement à en montrer l'absurdité.

L'exposition que nous venons de faire des phénomenes de la glace renferme à-peu-près tout ce qu'il y a de plus essentiel dans cette matiere. Rien d'intéressant n'a été omis ; nous pourrions plûtôt craindre le reproche d'avoir donné trop d'étendue à cet article, mais l'importance du sujet sera notre excuse ; le détail des faits nous a d'ailleurs bien plus occupés que la recherche des causes ; les vrais philosophes n'auront garde de nous en savoir mauvais gré. On trouvera dans la dissertation de M. de Mairan des conjectures ingénieuses sur les causes de plusieurs phénomenes particuliers que nous avons laissés sans explication. La matiere subtile que cet habile physicien a mise en oeuvre, est moins liée qu'on ne pourroit d'abord le penser, au fond de son système, auquel il ne seroit pas difficile de donner, s'il le falloit, un air tout-à-fait newtonien.

La glace doit être considérée par rapport à nos besoins & à l'usage qu'on en fait journellement dans les Sciences & dans les Arts. Combien de boissons rafraîchissantes ne nous procure-t-elle pas, secours que la nature sembloit nous avoir entierement refusés ? La Medecine employe avec succès quelques-unes de ces boissons rafraîchissantes, l'eau à la glace sur-tout, dans plusieurs cas. Le chimiste se sert de la glace pour rectifier les esprits ardens, pour concentrer le vinaigre, pour séparer les différentes substances qui entrent dans la composition des eaux minérales, &c. L'anatomiste, en faisant geler certaines parties du corps humain, a quelquefois découvert des structures cachées, invisibles dans l'état naturel. Nous ne faisons qu'indiquer tous ces différens usages, expliqués avec plus de détail dans plusieurs endroits de ce Dictionnaire. Il suffit d'avoir fait remarquer que la glace, loin d'être pour les Philosophes un objet de pure curiosité, peut beaucoup fournir à cette physique pratique, qui dédaignant les spéculations stériles, ramene tout à nos besoins. M. de Mairan, dissert. sur la glace ; Musschenbroeck, tentat. & essais de Physique ; Nollet, leçons de Physique, tome IV. Boerhaave, chim. tract. de aqua ; Hamberger, element. physic. &c. Article de M. DE RATTE, auteur du mot FROID, & autres.

GLACE, (Médecine) Il y a différentes observations à faire concernant l'usage & les effets de l'eau sous forme de glace, relativement à l'économie animale, dans la santé & dans les maladies.

On se sert communément de la glace pour communiquer aux différens liquides employés pour la boisson, un plus grand degré de froid qu'ils ne pourroient l'avoir par eux-mêmes, lorsque l'air auquel ils sont exposés est d'une température au-dessus de la congelation. Voyez THERMOMETRE. On leur donne, par le moyen de la glace, une qualité actuelle propre à procurer un sentiment de fraîcheur qui est réputé délicieux, sur-tout dans les grandes chaleurs de l'été. Les moyens de procurer ce froid artificiel sont de plonger les vases qui contiennent les liquides que l'on veut rafraîchir dans de l'eau mêlée de glace pilée ou de neige ou de grêle ; ou dans un mélange de glace avec différens ingrédiens propres à la rendre encore plus froide & plus rafraîchissante qu'elle n'est par elle-même. Voyez dans l'art. FROID (Physique), les différentes manieres de rendre artificiellement le froid des corps liquides beaucoup plus grand qu'il ne peut jamais le devenir naturellement dans nos climats tempérés. Voyez aussi les élémens de Chimie de Boerhaave, de igne, experiment. jv. coroll. 4.

Le froid propre à la glace conservée convenablement, suffit seul pour rafraîchir les liquides destinés à la boisson dans les repas : on ne donne à ce froid plus d'intensité que pour certaines boissons particulieres, telles que les préparations appellées orgeat, limonade, &c. boissons que l'on rafraîchit au point d'y former de petits glaçons, qui n'en détruisent pas totalement la fluidité, & les rendent d'un usage très-agréable, en conservant plus long-tems leur fraîcheur dans le trajet de la bouche à l'estomac, & même jusque dans ce viscere.

On employe aussi la glace rendue plus froide qu'elle n'est naturellement, pour congeler des préparations alimentaires faites avec le lait ou le suc de différens fruits, le sucre, &c. en consistance de crême ou de fromage mou, auxquelles on donne par excellence le nom de glace, qui sont propres à être servies pour les entre-mets, pour les desserts, les collations, &c. & qui ajoûtent beaucoup aux délices de la table. Voyez GLACE.

Les Medecins dont les connoissances doivent autant servir à régler ce qui convient pour la conservation de la santé ; à indiquer ce qui peut lui nuire, qu'à rechercher les causes des maladies ; à prescrire les moyens propres pour les traiter, pour en procurer la guérison : convaincus par l'expérience la plus générale, autant que par le raisonnement physique concernant l'effet que peuvent produire dans le corps humain les boissons & autres préparations à la glace, qu'elles sont d'un usage aussi dangereux qu'il est délectable, s'accordent presque tous à le proscrire sans ménagement, & à le regarder comme une des causes des plus communes d'une infinité de desordres dans l'économie animale.

En effet, le sang & la plûpart de nos humeurs n'étant dans un état de liquidité que par accident, c'est-à-dire par des causes physiques & méchaniques, qui lui sont absolument étrangeres ; telles que la chaleur animale qui dépend principalement de l'action des vaisseaux qui les contiennent, & l'agitation qu'ils procurent aux humeurs par cette même action, qui tend continuellement à desunir & à conserver dans l'état de desunion les molécules qui composent ces humeurs, & à s'opposer à la disposition qu'elles ont à se coaguler ; & l'effet de l'impression du froid appliqué aux parties vivantes du corps animal, étant de causer une sorte de constriction, de resserrement, dans les solides, & une vraie condensation dans les fluides ; ce qui peut aller jusqu'à diminuer l'action de ceux-là & la fluidité de ceux-ci : il s'ensuit que tout ce qui peut donner lieu à un pareil effet doit nuire considérablement à l'exercice des fonctions, soit dans les parties qui en sont affectées immédiatement, soit de proche en proche dans celles qui en sont voisines, par une propagation indépendante de celle du froid ; par une espece de spasme sympathique, que l'impression du froid dans une partie occasionne dans d'autres, même des plus éloignées. D'où peuvent se former des engorgemens dans les vaisseaux de tous les genres qui y troublent le cours des humeurs, mais sur-tout dans ceux qui peuvent être le siége des inflammations : d'où s'ensuivent des étranglemens dans des portions du canal intestinal qui interceptent le cours des matieres flatueuses qui y sont contenues, dont la raréfaction ultérieure cause des distensions très-douloureuses aux tuniques membraneuses qui les enferment ; des gonflemens extraordinaires & autres symptomes qui accompagnent les coliques venteuses : d'où résultent aussi très-fréquemment des embarras dans les secrétions, de celle sur-tout qui se fait dans le foie ; des suppressions d'évacuations habituelles, comme de celle des menstrues, des hémorrhoïdes, des cours de ventre critiques, &c. Voyez FROID (Pathologie), PLEURESIE, FLUXION, COLIQUE, VENTOSITE, &c. ensorte qu'il ne peut qu'y avoir beaucoup à se défier des observations qui paroissent autoriser l'usage des boissons & des préparations alimentaires à la glace : elles seront toûjours suspectes, lorsqu'on aura égard aux observations trop communes des mauvais effets que l'on vient de dire qu'elles produisent très-souvent, en donnant naissance à différentes maladies, la plûpart de nature très-dangereuse, sur-tout lorsqu'on use de glace dans les cas où l'on est échauffé extraordinairement par quelque exercice violent, ou par toute autre cause que ce puisse être d'agitation du corps, méchanique ou physique ; ce qui forme un état où l'on est d'autant plus porté à user des moyens qui peuvent procurer du rafraîchissement, tant intérieurement qu'extérieurement, que l'on s'expose davantage à en éprouver de funestes effets.

C'est contre les abus de cette espece que s'éleve si fortement Hippocrate, lorsqu'il dit, aphoris. lj. sect. 2. que tout ce qui est excessif est ennemi de la nature, & qu'il est très-dangereux dans l'économie animale, de procurer quelque changement subit, de quelque nature qu'il puisse être. Les plus grands medecins ont ensuite appuyé le jugement de leur chef d'une infinité d'observations relatives spécialement à ce dont il s'agit ici ; tels que Marc Donat, de medicis historiis mirabilibus ; Calder. Heredia, tract. de potionum varietate ; Amat. Lusitanus, Benivenius, Hildan, cent. iij. observat. 48. & cent. v. observat. 29. Schenkius, observat. lib. II. Hoffman, pathol. géner. c. x. de frigido potu vitae & sanitati hominum inimicissimo. Il y a même des auteurs qui en traitant des mauvais effets des boissons froides avec excès, comme des bains froids employés imprudemment, rapportent en avoir vû résulter même des morts subites ; tel est, entr'autres, Lancisi, de subitaneis morbis, lib. II. c. vij.

Mais comme l'usage de boire à la glace est devenu si commun, qu'on ne doit pas s'attendre qu'aucune raison d'intérêt pour la santé puisse le combattre avec succès, & soit supérieure à l'attrait du plaisir qu'on s'en promet ; il est important de tâcher au-moins de rendre cet usage aussi peu nuisible qu'il est possible. C'est dans cette vûe que nous proposons ici les conseils que donne Riviere à cet effet (instit. med. lib. IV. cap. xxjv. de potu) ; savoir, de ne boire jamais à la glace dans un tems où on est échauffé par quelque agitation du corps que ce soit ; & lorsque l'on use habituellement d'une boisson ainsi préparée, de ne boire qu'après avoir pris une certaine quantité d'alimens, pour que le liquide excessivement froid qui s'y mêle, fasse moins d'impression sur les tuniques de l'estomac ; de ne boire que peu-à-la-fois par la même raison, & de boire un peu plus de vin qu'à l'ordinaire, pour que sa qualité échauffante serve de correctif aux effets de la glace, qui sont sur-tout très-pernicieux aux enfans, aux vieillards, & à toutes les personnes d'un tempérament froid, délicat, qui ne peuvent par conséquent convenir, si elles conviennent à quelqu'un dans les climats tempérés, qu'aux personnes robustes accoûtumées aux exercices du corps.

Avec ces précautions, ces ménagemens, & ces attentions, on peut éviter les mauvais effets des boissons rafraîchies par le moyen de la glace : on peut même les rendre utiles, non-seulement dans la santé, pendant les grandes chaleurs, mais encore dans un grand nombre de maladies, sur-tout dans les climats bien chauds. C'est ce qu'établit avec le fondement le plus raisonnable, le célébre Hoffman, qui après avoir montré le danger des effets de la boisson à la glace, dans la dissertation citée ci-devant, en a fait un autre (de aquae frigidae potu salutari) pour relever les avantages de l'usage que l'on peut en faire dans les cas convenables & avec modération. Il rapporte, d'après Ramazzini (de tuendâ principum valetudine, cap. v.) des circonstances qui prouvent que cet usage non seulement n'est pas nuisible, mais qu'il est même nécessaire en Espagne & en Italie pendant les grandes chaleurs ; puisqu'on observe dans ce pays-là, que dans les années où il manque de la neige pour rafraîchir la boisson, il regne plus de maladies putrides, malignes, que dans les autres tems où la neige a pû être ramassée en abondance ; en sorte que lorsqu'il n'en tombe pas, la saison qui suit est regardée d'avance comme devant être funeste à la santé & même à la vie des hommes. Ne seroit-on pas fondé à inférer de-là que ce qu'on appelle des glaces pourroit être encore plus utile dans de semblables cas, que la simple boisson à la glace ; parce qu'elles sont plus denses, plus propres à conserver leur qualité rafraîchissante ; à donner du ressort aux estomacs relâchés, distendus par une trop grande quantité d'alimens ; & à s'opposer à la putréfaction que ceux qui en sont susceptibles pourroient y contracter, en séjournant long-tems dans ce viscere ?

On peut ajoûter que d'après les éloges que font la plûpart des anciens medecins, tels qu'Hippocrate, Galien, Celse, de l'usage de la boisson bien froide, dans bien des maladies ardentes, bilieuses, des praticiens modernes ont employé avec succès la boisson à la glace dans des cas pareils ; mais seulement lorsque ces maladies portoient un caractere de relâchement, d'atonie dans les fibres en général, & particulierement à l'égard des premieres voies, sans aucune disposition au spasme, à l'érétisme du genre nerveux. C'est dans de semblables circonstances que l'on s'est souvent servi utilement de la boisson à la glace, pour guérir des dyssenteries, des cours de ventre opiniâtres pendant les grandes chaleurs ; que la glace elle-même employée tant intérieurement qu'extérieurement, a arrêté des hémorrhagies rébelles, par quelques voies qu'elles se fissent ; qu'elle a guéri des coliques bilieuses, violentes, & sur-tout de celles qui sont causées par des vents & même des emphysèmes, des tympanites confirmées. Voyez les observations citées dans la dissertation d'Hoffman ; & pour ce qui regarde les flatulences, la pneumato-pathologie de M. Combalusier, docteur medecin de Montpellier & ensuite de Paris, publiée en latin en 1747. Il y a aussi bien des observations de cas dans lesquels on a éprouvé de bons effets de la glace appliquée sur les parties gangrenées par le froid. Voyez GANGRENE, MORTIFICATION, SPHACELE ; & le commentaire sur ce sujet des aphorismes de Boerhaave, par l'illustre Wansvieten.

GLACES, s. f. pl. (Arts) nom moderne donné à des liqueurs agréables au goût, préparées avec art, & glacées en forme de tendres congelations. On parvient promtement à glacer toutes les liqueurs tirées des sucs des végétaux, avec de la glace pilée & du sel ; & au défaut de sel, avec du nitre ou de la soude. M. Homberg indique dans l'hist. de l'académie des Sciences, ann. 1701, p. 73. une maniere de faire de la glace propre à rafraîchir & à glacer toutes sortes de liqueurs ; & M. de Reaumur, dans le même recueil, mém. de l'ann. 1734, p. 178. nous apprend un moyen de faire des glaces à peu de frais ; j'y renvoye le lecteur, pour ne donner ici que la méthode ordinaire de nos limonadiers, confiseurs, maîtres-d'hôtel, &c.

Ils prennent des boîtes de fer-blanc faites exprès à volonté ; ils les remplissent de liqueurs artistement préparées & tirées des fruits de la saison, comme de cerises, de fraises, de framboises, de groseilles, de jus de citron, d'orange, de creme, de chocolat, &c. car on combine à l'infini l'art de flatter le goût. Ils mettent un certain nombre de leurs boîtes remplies des unes ou des autres de ces liqueurs, dans un sceau à compartimens ou sans compartimens, à un doigt de distance l'une de l'autre : ils ont de la glace toute prête, pilée, broyée & salée, qu'ils jettent vîtement dans le sceau tout-autour de chaque boîte de fer-blanc pleines de liqueurs, & jusqu'à ce qu'elles en soient couvertes.

Quand ils veulent que les glaces soient promtement faites, ils employent une plus grande quantité de sel que la dose ordinaire, & laissent reposer les liqueurs une demi-heure ou environ ; prenant garde de tems en tems que l'eau ne surmonte les boîtes à mesure que la glace se fond, & qu'elle ne pénetre jusqu'aux liqueurs. Pour éviter cet inconvénient, on fait au bas du sceau un trou où l'on met un fausset ; & par ce moyen on tire l'eau de tems en tems ; ensuite on range la glace de dessus les boîtes ; & on remue la liqueur avec une cuilliere, pour la faire glacer en neige. Quand ils s'apperçoivent qu'elle se glace en trop gros morceaux, ils la remuent avec la cuilliere afin de la dissoudre, parce que les liqueurs fortement glacées n'ont plus qu'un goût insipide.

Après avoir ainsi remué toutes leurs boîtes & leurs liqueurs, en évitant qu'il n'y entre point de glace salée, ils les recouvrent de leur couvercle, & puis de glace & de sel pilé, comme la premiere fois. Plus on met de sel avec la glace, & plûtôt les liqueurs se congelent ; on ne les tire du sceau que quand on veut les servir.

Les glaces font les délices des pays du midi ; & je n'ignore pas qu'en Italie, ce beau sol où on sait les faire avec un art supérieur, la plûpart des medecins, loin de les condamner, assûrent que leur usage y est très-salutaire ; il peut l'être aussi dans nos climats tempérés, à plusieurs personnes dont l'estomac & le genre nerveux ont besoin d'être renforcés par des mets & des liqueurs froides. Mais en tout pays, prendre des glaces immodérément sans un régime analogue, ou imprudemment, & dans le tems, par exemple, qu'on est le plus échauffé, c'est exposer ses jours & risquer de payer bien cher un repentir. (D.J.)

GLACE INFLAMMABLE, (Chimie) glace artificielle qui prend feu. On fait par l'art une telle glace avec de l'huile de térébenthine, du spermaceti, & de l'esprit de nitre : ce n'est qu'un jeu chimique rapporté dans l'hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1745 ; mais il y a des curieux, des artistes comme M. Roüelle, des seigneurs même qui préferent ces sortes de jeux à ceux qu'on joue dans la société ; & il arrive quelquefois que la Physique leur est redevable de plusieurs connoissances utiles : voici donc une maniere de produire de la glace inflammable.

On prendra de l'huile de térébenthine distillée ; on la mettra dans un vaisseau sur un feu doux ; on y fera fondre lentement du spermaceti ou blanc de baleine : cette solution restera aussi claire que de l'eau commune, en plaçant le vaisseau qui la contient dans un lieu frais ; & en trois minutes au plus la liqueur se glacera. Cependant si elle se glaçoit trop difficilement, un peu de nouveau blanc de baleine qu'on y fera fondre, y remédieroit : il n'y a nul inconvénient à en remettre à plusieurs fois ; la seule circonstance essentielle est de ne le point piler, mais de le mettre fondre en assez gros morceaux ; sans cela, la glace seroit moins transparente.

Lorsque la chaleur de l'été est trop forte, ou qu'on n'a pas de lieu assez frais pour faire prendre la liqueur, il ne faut que mettre le vaisseau qui la contient dans de l'eau bien fraîche ; la liqueur se glace en moins d'une demi-minute : mais cette glace faite brusquement n'est jamais si belle que celle qui s'est formée tranquillement. Dès que la liqueur commencera à dégeler, & pendant qu'il y aura encore des glaçons flottans dessus, versez-y de bon esprit de nitre ; alors la liqueur & la glace s'enflammeront & se consumeront dans l'instant. Il est vrai qu'il n'y a rien de moins étonnant que de voir l'huile de térébenthine s'enflammer par l'esprit de nitre : mais l'art consiste à la charger d'une matiere capable de la réduire en glace sans altérer sa transparence & son inflammabilité ; & c'est ce qui arrive dans le procédé qu'on vient d'indiquer. (D.J.)

GLACE ; on appelle ainsi un verre poli, qui par le moyen du teint, sert dans les appartemens à réfléchir la lumiere, à représenter fidelement & à multiplier les objets : ce verre est disposé par miroirs ou par panneaux, & l'on en fait des lambris de revêtement. On a trouvé depuis peu le secret d'en fondre & polir d'une très-grande hauteur. Voyez la fabrication des glaces, au mot VERRERIE.

GLACE, en terme de Joüaillier, se dit de certains défauts qui se rencontrent dans les diamans, pour avoir été tirés avec trop de violence des veines de la mine. Lorsque les glaces sont trop considérables dans les diamans, on est obligé de les scier ou de les cliver. Voyez DIAMANT & CLIVER. Dict. de Comm.


GLACERv. act. voyez ci-après GLACIS.

Nous observerons seulement ici, 1°. qu'on prépare les fonds sur lesquels on veut glacer, beaucoup plus clairs que les autres, particulierement les grandes lumieres qu'on fait quelquefois de blanc pur. On laisse sécher ce fond ; après quoi on passe dessus un glacis de la couleur qu'on juge convenable.

2°. Qu'il y a une façon de glacer qu'on nomme quelquefois frottis, plus legere, mais dont on ne se sert guere que lorsque l'on a fait quelque méprise, telles que d'avoir fait dans un tableau des parties de couleur trop entieres : alors on trempe une brosse avec laquelle on a pris très-peu de la couleur qui convient dans une huile ou vernis qui la rend extrêmement liquide ; & on laisse plus ou moins de cette couleur ou glacis, en frottant la brosse sur les parties viciées de ce tableau, pour les raccorder avec les autres.

3°. Que dans la Peinture en détrempe ; en prenant la précaution, en glaçant, de passer une couche de colle chaude sur le fond qu'on veut glacer ; & lorsqu'elle est seche, de passer dessus le glacis le plus promtement qu'on peut, crainte de détremper le dessous.

4°. Qu'il est encore une espece de glacis qu'on appelle communement frottis, qui se fait avec une brosse dans laquelle il n'y a presque point de couleur, sur les endroits où on le croit nécessaire. (R)

* GLACER, c'est coller des étoffes, & leur donner le lustre après les avoir collées. Pour les coller on prend les rognures & les raclures de parchemin ; on en fait de la colle ; on passe cette colle quand elle est faite à-travers un tamis. Il faut qu'elle soit bien fine, bien pure & bien transparente ; on en étend legerement sur l'étoffe à coller avec un pinceau, ou plutôt quand elle est assez délayée on y trempe l'étoffe ; on lui laisse prendre la colle, & ensuite on la lisse : c'est un travail dur & pénible que celui de lisser. La lisse des ouvriers qui glacent les étoffes n'est pas différente de celle des Cartiers ; c'est une presse arboutée par en-haut contre une solive, se mouvant à charniere faisant ressort, & garnie par en-bas d'un corps dur & poli comme une pierre, un plateau de verre qu'on fait aller & venir à force de bras sur le corps à lisser, qui se trouve fortement pressé entre la lissoire & un marbre, ou une table unie, solide & d'un bois dur & compact. Voyez ces articles. On glace les perses, les indiennes, les toiles peintes, &c.

GLACER, en terme de Confiseur, c'est orner des plats de dessert d'une sorte de garniture de sucre, & autres ingrédiens semblables.

GLACER, terme de Tailleur, qui signifie unir une étoffe avec sa doublure, en y faisant d'espace à autre un basti de soie ou de fil, afin qu'elles soient plus unies ensemble & ne plissent point.


GLACIALadj. (Physiq.) se dit de ce qui a rapport à la glace, & sur-tout d'un lieu qui abonde en glace ; ainsi nous appellons mer glaciale la partie de la mer du nord qui est pleine de glace. Les zones glacées ou froides sont appellées aussi quelquefois zones glaciales. Voyez FROID, GLACE & GLACE.

Plusieurs anciens n'ont pas cru que la mer pût se geler ; mais la mer Baltique & la mer Blanche se gelent presque tous les ans, & les mers plus septentrionales se gelent tous les hyvers. Le Zuiderzée même se gele souvent en Hollande.

Les fleuves du nord transportent dans les mers une prodigieuse quantité de glaçons, qui venant à s'accumuler, forment ces masses énormes de glace si funestes aux voyageurs ; un des endroits de la mer glaciale où elles sont le plus abondantes, est le détroit de Waigats qui est gelé en entier pendant la plus grande partie de l'année ; ces glaces sont formées des glaçons que le fleuve Oby transporte presque continuellement. Elles s'attachent le long des côtes, & s'élevent à une hauteur considérable des deux côtés du détroit : le milieu du détroit est l'endroit qui gele le dernier, & où la glace est la moins élevée ; lorsque le vent cesse de venir du nord, & qu'il souffle dans la direction du détroit, la glace commence à fondre & à se rompre dans le milieu ; ensuite il s'en détache des côtés de grandes masses qui voyagent dans la haute mer.

Les vaisseaux qui vont au Spitzberg pour la pêche de la baleine, y arrivent au mois de Juillet, & en partent vers le 15 d'Août. On y trouve des morceaux prodigieux de glaces épaisses de 60, 70 & 80 brasses ; il y a des endroits où il semble que la mer soit glacée jusqu'au fond ; ces glaces qui sont élevées au-dessus du niveau de la mer, sont claires & luisantes comme du verre.

Il y a aussi beaucoup de glaces dans les mers du Nord de l'Amérique, &c. Robert Lade nous assûre que les montagnes de Frisland sont entierement couvertes de neige, & toutes les côtes de glace, comme d'un boulevard qui ne permet pas d'en approcher. " Il est, dit-il, fort remarquable que dans cette mer on trouve des îles de glace de plus d'une demi-lieue de tour extrêmement élevées, & qui ont 70 ou 80 brasses de profondeur dans la mer ; cette glace qui est douce est peut-être formée dans les détroits des terres voisines, &c. Ces îles ou montagnes de glace sont si mobiles, que dans les tems orageux elles suivent la course d'un vaisseau comme si elles étoient entraînées dans le même sillon ; il y en a de si grosses que leur superficie au-dessus de l'eau surpasse l'extrémité des mâts des plus gros navires, &c. " Voyez la traduction des voyages de Lade, par M. l'abbé Prevost, tome II. page 305 & suivantes.

Voici un petit journal historique au sujet des glaces de la nouvelle Zemble. " Au Cap de Troost le tems fut si embrumé, qu'il fallut amarrer le vaisseau à un banc de glace qui avoit 36 brasses de profondeur dans l'eau, & environ 16 brasses au-dessus, si bien qu'il avoit 52 brasses d'épaisseur.

Le 10 Août les glaces s'étant séparées, les glaçons commencerent à flotter ; & alors on remarqua que le gros banc de glace auquel le vaisseau avoit été amarré, touchoit au fond, parce que tous les autres passoient au long, & le heurtoient sans l'ébranler ; on craignit donc de demeurer pris dans les glaces, & on tâcha de sortir de ce parage, quoiqu'en passant on trouvât déjà l'eau prise, le vaisseau faisant craquer la glace bien loin autour de lui : enfin on aborda un autre banc où l'on porta vîte l'ancre de toüe, & l'on s'y amarra jusqu'au soir.

Après le repas pendant le premier quart, les glaces commencerent à se rompre avec un bruit si terrible, qu'il n'est pas possible de l'exprimer. Le vaisseau avoit le cap au courant qui charrioit les glaçons, si bien qu'il fallut filer du cable pour se retirer ; on compta plus de quatre cent gros bancs de glace qui enfonçoient de dix brasses dans l'eau, & paroissoient de la hauteur de deux brasses au-dessus.

Ensuite on amarra le vaisseau à un autre banc qui enfonçoit de six grandes brasses, & l'on y mouilla en croupiere. Dès qu'on y fut établi, on vit encore un autre banc peu éloigné de cet endroit-là, dont le haut s'élevoit en pointe tout de même que la pointe d'un clocher, & il touchoit le fond de la mer ; on s'avança vers ce banc, & l'on trouva qu'il avoit 20 brasses de haut dans l'eau, & à-peu-près 12 brasses au-dessus.

Le 11 Août on nagea encore vers un autre banc qui avoit 18 brasses de profondeur, & 10 brasses au-dessus de l'eau.

Le 21 les Hollandois entrerent assez avant dans le port des glaces, & y demeurerent à l'ancre pendant la nuit ; le lendemain matin ils se retirerent, & allerent amarrer leur bâtiment à un banc de glace sur lequel ils monterent, & dont ils admirerent la figure comme une chose très-singuliere ; ce banc étoit couvert de terre sur le haut, & on y trouva près de quarante oeufs ; la couleur n'en étoit pas non plus comme celle de la glace, elle étoit d'un bleu céleste. Ceux qui étoient là raisonnerent beaucoup sur cet objet ; les uns disoient que c'étoit un effet de la glace, & les autres soûtenoient que c'étoit une terre gelée. Quoi qu'il en fût, ce banc étoit extrêmement haut ; il avoit environ dix-huit brasses sous l'eau, & dix brasses au-dessus ". Pag. 46. &c. tom. I. Voyage des Hollandois par le Nord.

Wafer rapporte que près de la terre de Feu il a rencontré plusieurs glaces flottantes très-élevées, qu'il prit d'abord pour des îles : quelques-unes, dit-il, paroissoient avoir une lieue ou deux de long, & la plus grosse de toutes lui parut avoir quatre ou cinq cent piés de haut. Voyez le voyage de Wafer imprimé à la suite de ceux de Dampier, tom. IV. pag. 304. Tout ceci est tiré de l'Hist. naturelle, générale & particuliere, tome I.

Nous terminerons cet article par deux réflexions sur les mers glaciales du nord & sur les mers glaciales du midi ; ces observations pourront être utiles aux navigateurs.

On a cherché long-tems, & l'on cherche encore un passage aux Indes par les mers du nord ; mais dans la crainte d'un trop grand froid si on s'approchoit trop du pole, on ne s'est pas assez éloigné des terres, & on a trouvé les mers fermées par les glaces. Il y a cependant apparence qu'il y a moins de glace en pleine mer que près des côtes, parce que les glaces sont apportées principalement par les fleuves. Quelques relations assûrent d'ailleurs que des Hollandois s'étant fort approchés du pole, y avoient trouvé une mer ouverte & tranquille, & un air tempéré ; ce qui n'est peut-être pas impossible en été, à cause de la présence continuelle du soleil au pole boréal pendant six mois.

La seconde observation regarde les mers glaciales de l'hémisphere austral. Les glaces, comme l'on sait, commencent à paroître dans ces mers beaucoup plus près de l'équateur ; il y en a vers le cinquantieme degré de latitude, même au solstice d'été, qui arrive en Décembre pour cette partie de la terre : on en a donné la raison au mot CHALEUR. Ce sont ces glaces qui empêcherent en 1739 M. Lozier envoyé par la compagnie des Indes, de trouver les terres australes qu'il cherchoit ; il y a apparence que six semaines ou deux mois plus tard elles ne lui auroient point fait d'obstacle : car comme le plus grand chaud n'arrive presque jamais dans nos climats au solstice d'été, mais six semaines ou deux mois après (Voyez CHALEUR), il y a apparence qu'il en est de même dans l'autre hémisphere, & qu'en Février la plus grande partie des glaces de Janvier est fondue. Voyez lettre sur le progrès des sciences par M. de Maupertuis. (O)

GLACIALE, (MER) Géog. partie de l'Océan septentrional, entre le Groënland à l'oüest, & le Cap glacé à l'est. Par les nouvelles cartes de la Russie, les côtes de cette mer sont connues ; elle est bornée oüest par le Groënland, sud par la mer du Nord, par la Moscovie, la Laponie, la mer Blanche & la Sibérie, est par l'île de Puchochotsch, au-delà de laquelle elle se joint avec la mer du Japon qui tient à la mer du sud. Il y a long-tems que les Anglois & les Hollandois cherchent vainement un passage par cette mer pour aller à la Chine & au Japon ; cependant la nation angloise n'a point encore abandonné ce projet : mais la quantité de montagnes de glaces qu'on rencontre en tout tems dans cette mer, met au succès d'une si grande entreprise des obstacles difficiles à vaincre. (D.J.)


GLACIERES. f. (Arts méchan.) lieu creusé artistement dans un terrein sec, pour y serrer de la glace ou de la neige pendant l'hyver, afin de s'en servir en été. On place ordinairement la glaciere dans quelqu'endroit dérobé d'un jardin, dans un bois, dans un bosquet, ou dans un champ près de la maison : voici les choses les plus importantes qu'on dit qu'il faut observer pour les glacieres.

On choisit un terrein sec qui ne soit point ou peu exposé au soleil. On y creuse une fosse ronde, de deux toises ou deux toises & demie de diametre par le haut, finissant en bas comme un pain de sucre renversé ; la profondeur ordinaire de la fosse est de trois toises ou environ ; plus une glaciere est profonde & large, mieux la glace & la neige s'y conservent.

Quand on creuse la glaciere, il faut aller toûjours en retrécissant par le bas de crainte que la terre ne s'affaisse ; il est bon de revêtir la fosse depuis le bas jusqu'en haut d'un petit mur de moilon de huit à dix pouces d'épaisseur, bien enduit de mortier, & percer dans le fond un puits de deux piés de large & de quatre de profondeur, garni d'une grille de fer dessus pour recevoir l'eau qui s'écoule de la glace. Quelques-uns au lieu de mur revêtent la fosse d'une cloison de charpente, garnie de chevrons latés, font descendre la charpente jusqu'au fond de la glaciere, & bâtissent environ à trois piés du fond une espece de plancher de charpente & de douves sous lequel l'eau s'écoule.

Si le terrein où est creusé la glaciere est très-ferme, on peut se passer de charpente, & mettre la glace dans le trou sans rien craindre ; c'est une grande épargne, mais il faut toûjours garnir le fond & les côtés de paille. Le dessus de la glaciere sera couvert de paille attachée sur une espece de charpente, élevée en pyramide, de maniere que le bas de cette couverture descende jusqu'à terre. On observe que la glaciere n'ait aucun jour, & que tous les trous en soient soigneusement bouchés.

La petite allée par laquelle on entre dans la glaciere regardera le nord, sera longue d'environ huit piés, large de deux à deux & demi, & fermée soigneusement aux deux bouts par deux portes bien closes. Tout-autour de cette couverture il faut faire au-dehors en terre une rigole qui aille en pente pour recevoir les eaux, & les éloigner, autrement elles y croupiroient & fondroient la glace.

Pour remplir la glaciere il faut choisir, si cela se peut, un jour froid & sec, afin que la glace ne se fonde point ; le fond de la glaciere sera construit à claire-voie, par le moyen des pieces de bois qui s'entre-croiseront. Avant que d'y poser la glace on couvre ce fond d'un lit de paille, & on en garnit tous les côtés en montant, de sorte que la glace ne touche qu'à la paille. On met donc d'abord un lit de glace sur le fond garni de paille ; les plus gros morceaux de glace & les plus épais bien battus sont les meilleurs, & plus ils sont entassés sans aucun vuide, plus ils se conservent ; sur ce premier lit on en met un autre de glace, & ainsi successivement jusqu'au haut de la glaciere, sans aucun lit de paille entre ceux de glace. C'est assez qu'elle soit bien entassée, ce qu'on fait en la cassant avec des mailloches ou des têtes de coignées ; on jette de l'eau de tems-en-tems dessus, afin de remplir les vuides avec les petits glaçons, en sorte que le tout venant à se congeler, fait une masse qu'on est obligé de casser par morceaux pour en pouvoir avoir des portions.

La glaciere pleine, on couvre la glace avec de la grande paille par le haut, par le bas & par les côtés ; & par-dessus cette paille on met des planches qu'on charge de grosses pierres pour tenir la paille serrée. Il faut fermer la premiere porte de la glaciere avant que d'ouvrir la seconde, pour que l'air de dehors n'y entre point en été ; car il fait fondre la glace pour peu qu'il la pénetre.

La neige se conserve aussi-bien que la glace dans les glacieres. On les ramasse en grosses pelotes, on les bat & on les presse le plus qu'il est possible ; on les range & on les accommode dans la glaciere, de maniere qu'il n'y ait pas de jour entr'elles, observant de garnir le fond de paille comme pour la glace. Si la neige ne peut se serrer & faire un corps, ce qui arrive lorsque le froid est très-vif, il faudra jetter un peu d'eau par-dessus, cette eau se gelera aussi-tôt avec la neige, & pour lors il sera aisé de la réduire en masse. La neige se conservera toûjours mieux dans la glaciere si elle y est bien pressée & bien battue. Il faut choisir autant qu'on peut le tems sec pour ramasser la neige, autrement elle se fondroit à mesure qu'on la prendroit. Il ne faut pourtant pas qu'il gele trop fort, parce qu'on auroit trop de peine à la lever. C'est dans les prairies & sur les beaux gazons qu'on la va prendre, pour qu'il y ait moins de terre mêlée. La neige est fort en usage dans les pays chauds, comme en Espagne & en Italie où les glacieres sont un peu différentes des nôtres.

Les glacieres en Italie sont de simples fosses profondes, au fond desquelles on fait une tranchée pour écouler les eaux qui se séparent de la glace ou de la neige fondue ; ils mettent une bonne couverture de chaume sur le sommet de la fosse ; ils remplissent cette fosse de neige très-pure, ou de glace tirée de l'eau la plus nette & la plus claire qu'on puisse trouver, parce qu'ils ne s'en servent pas pour rafraîchir comme nous faisons dans nos climats, mais pour la mêler avec leur vin & autres boissons. Ils tapissent la fosse avec quantité de paille dont ils font un très-large lit dans tout l'intervalle du creux, de maniere qu'ils en portent le remplissage jusqu'au sommet, & ensuite le couvrent avec un autre grand lit de paille. Par cet arrangement quand ils tirent du trou de la glace pour leur usage, ils l'enveloppent de cette même paille dont elle est par-tout environnée, & peuvent en conséquence transporter leur petite provision de glace à l'abri de la chaleur & à quelque éloignement, sans qu'elle vienne à se fondre dans le trajet. (D.J.)


GLACIERou GLETSCHERS, (Hist. natur.) quelques-uns les nomment glacieres, mais le nom de glaciers est le plus usité ; il ne faut point les confondre avec la glaciere naturelle qui a été décrite dans l'article précédent.

Il n'est peut-être point de spectacle plus frappant dans la nature que celui des glaciers de la Suisse ; on en voit dans plusieurs endroits des Alpes : tout le monde sait que ces montagnes sont très-élevées ; quelques-unes d'entr'elles ont, suivant le célebre Scheuchzer, jusqu'à 2000 brasses de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer, d'où l'on voit qu'il doit presque toûjours y regner un froid très-considérable ; aussi la cime de ces montagnes que l'on apperçoit à une très-grande distance, est perpétuellement couverte de neige & de glace, & il se trouve près de leur sommet des lacs ou réservoirs immenses d'eaux qui sont gelées jusqu'à une très-grande profondeur. Par les vicissitudes des saisons on sent aisément que ces réservoirs sont sujets à se dégeler & à se geler ensuite de nouveau ; ce sont ces alternatives qui produisent les différens phénomenes dont il sera parlé dans cet article.

Parmi les glaciers qui se trouvent dans les Alpes, un des plus remarquables est celui de Grindelwald ; on le voit à 20 lieues de Berne, près d'un village qui porte son nom ; il est situé dans les montagnes qui séparent le canton de Berne d'avec le Vallais. Ce fameux glacier n'avoit été décrit qu'imparfaitement par plusieurs naturalistes de la Suisse ; Scheuchzer lui-même n'en avoit donné qu'une courte description dans ses itinera alpina, pag. 280, 482 & 483 : mais enfin M. Jean-George Altmann n'a plus rien laissé à desirer aux naturalistes sur cette matiere : après avoir fait un voyage sur les lieux, & avoir examiné le glacier de Grindelwald avec toute l'exactitude que la difficulté du terrein pouvoit permettre, il publia en allemand en 1753 un traité des montagnes glacées & des glaciers de la Suisse, en un volume in-8°. c'est le fruit de ses observations : nous ne pouvons mieux faire que de donner ici un précis de cet excellent ouvrage.

Le village de Grindelwald est situé dans une gorge de montagnes longue & étroite ; de-là on commence déja à appercevoir le glacier ; mais en montant plus haut sur la montagne, on découvre entierement un des plus beaux spectacles que l'on puisse imaginer dans la nature, c'est une mer de glace ou une étendue immense d'eau congelée. En suivant la pente d'une haute montagne par l'endroit où elle descend dans le vallon & forme un plan incliné, il part de ce réservoir glacé un amas prodigieux de pyramides, formant une espece de nappe qui occupe toute la largeur du vallon, c'est-à-dire environ 500 pas ; ces pyramides couvrent toute la pente de la montagne : le vallon est bordé des deux côtés par deux montagnes fort élevées, couvertes de verdure, & d'une forêt de sapins jusqu'à une certaine hauteur, mais leur sommet est stérile & chauve. Cet amas de pyramides ou de montagnes de glace ressemble à une mer agitée par les vents dont les flots auroient été subitement saisis par la gelée ; ou plutôt on voit un amphithéatre formé par un assemblage immense de tours ou de pyramides hexagones, d'une couleur bleuâtre, dont chacune a 30 ou 40 piés de hauteur ; cela forme un coup-d'oeil d'une beauté merveilleuse. Rien n'est sur-tout comparable à l'effet qu'il produit lorsqu'en été le soleil vient à darder ses rayons sur ces grouppes de pyramides glacées, alors tout le glacier commence à fumer, & jette un éclat que les yeux ont peine à soutenir : c'est proprement à la partie qui va ainsi en pente en suivant l'inclinaison de la montagne, & qui forme une espece de toît couvert de pyramides, que l'on donne le nom de glacier ou de gletscher en langue du pays ; on les nomme aussi firn.

On voit à l'endroit le plus élevé d'où le glacier commence à descendre, des cimes de montagnes perpétuellement couvertes de neige ; elles sont plus hautes que toutes celles qui les environnent, aussi peut-on les appercevoir de toutes les parties de la Suisse. Les glaçons & les neiges qui les couvrent ne se fondent presque jamais entierement ; cependant les annales du pays rapportent qu'en 1540 on éprouva une chaleur si excessive pendant l'été, que le glacier disparut tout-à-fait ; alors ces montagnes furent dépouillées de la croûte de neige & de glace qui les couvroit, & montrerent à nud le roc qui les compose ; mais en peu de tems toutes choses se rétablirent dans leur premier état.

Ces montagnes glacées qu'on voit au haut du glacier de Grindelwald, bordent de tous côtés un lac ou réservoir immense d'eau glacée qui s'y trouve. M. Altmann présume qu'il est d'une grandeur très-considérable, & qu'il peut s'étendre jusqu'à 40 lieues, en occupant la partie supérieure d'une chaîne de montagnes qui prend une très-grande place dans la Suisse. La surface de ce lac glacé paroît unie comme un miroir, à l'exception des fentes qui s'y trouvent ; dans les grandes chaleurs cette surface se fond jusqu'à un certain point. Ce qui semble favoriser la conjecture de M. Altmann sur l'étendue & l'immensité de ce lac, c'est que deux des plus grands fleuves de l'Europe, le Rhin & le Rhone, prennent leurs sources aux piés des montagnes qui font partie de son bassin, sans compter le Tessin & une infinité d'autres rivieres moins considérables & de ruisseaux. Dans les tems où ce lac est entierement pris, les habitans du pays se hasardent quelquefois à passer par-dessus pour abréger le chemin ; mais cette route n'est point exempte de danger, soit par les fentes qui sont déja faites dans la glace, soit par celles qui peuvent s'y faire d'un moment à l'autre par les efforts de l'air qui est renfermé, & comprimé au-dessous de la glace : lorsque cela arrive on entend au loin un bruit horrible ; & des passagers ont dit avoir senti un mouvement qui partoit de l'intérieur du lac, fort semblable à celui des tremblemens de terre ; peut-être ce mouvement venoit-il aussi réellement de cette cause, attendu que les tremblemens de terre, sans être trop violens, ne laissent pas d'être assez fréquens dans ces montagnes.

La roche qui sert de bassin à ce lac est d'un marbre noir rempli de veines blanches au sommet des montagnes du Grindelwald ; la partie qui descend en pente, & sur laquelle le glacier est appuyé, est d'un marbre très-beau par la variété de ses couleurs : les eaux superflues du lac & les glaçons qui sont à la surface sont obligées de s'écouler & de rouler successivement par le penchant qui leur est présenté, voilà, selon M. Altmann, ce qui forme le glacier, ou cet assemblage de glaces en pyramides, qui, comme on a dit, tapissent si singulierement la pente de la montagne.

Le glacier de Grindelwald est sujet à augmentation & à diminution ; c'est-à-dire que tantôt il s'avance plus ou moins dans le vallon, tantôt il semble se retirer. Cependant comme dans ces cantons le froid est plus ordinaire que le chaud, il gagne toûjours plus qu'il ne perd, au grand regret des habitans ; car peu-à-peu le glacier vient occuper des endroits qui autrefois fournissoient de très-bons pâturages à leurs bestiaux. Une erreur populaire veut que le glacier soit 7 ans à augmenter & 7 autres années à diminuer : mais ces augmentations & diminutions ne peuvent avoir une période déterminée ; elles dépendent uniquement de la chaleur plus ou moins grande des étés, des pluies douces qui regnent dans cette saison, ainsi que du froid plus ou moins rigoureux des hyvers : ces causes font que le glacier est diminué ou augmenté par le côté qui s'étend dans le vallon.

Le glacier de Grindelwald est creux par-dessous, & forme comme des voûtes d'où sortent sans-cesse deux ruisseaux ; l'eau de l'un est claire, & l'autre est trouble & noirâtre, ce qui vient du terrein par où il passe : ils sont sujets à se gonfler dans de certains tems, & ils entraînent quelquefois des fragmens de crystal de roche qu'ils ont détachés sur leur passage. On regarde les eaux qui viennent du glacier comme très-salutaires & propres à guérir la dyssenterie & un grand nombre d'autres maladies.

Plusieurs auteurs croyent que la glace des glaciers est d'une autre nature que celle que l'hyver forme sur nos étangs & rivieres ; il est certain que la premiere est beaucoup plus froide & plus difficile à fondre que la glace ordinaire ; ce qui est attesté par le témoignage unanime des gens du pays, & par plusieurs expériences qui ont été faites pour s'en assûrer. Il paroît que c'est la solidité de cette glace, sa dureté extraordinaire, & la figure hexagone des pyramides dont les glaciers sont composés, qui ont donné lieu à l'erreur de Pline & de quelques autres naturalistes, & leur ont fait prétendre que par une longue suite d'années la glace se changeoit en crystal de roche.

M. Altmann, dans l'ouvrage que nous avons cité, donne encore la relation d'un voyage fait par quelques anglois à un autre glacier situé en Savoye dans le val d'Aoste, à quelque distance d'un endroit nommé Chamoigny. Le même auteur a aussi inséré dans son ouvrage une relation très-curieuse qui lui fut envoyée par M. Maurice Antoine Cappeler, medecin de Lucerne, dans laquelle il décrit le glacier du Grimselberg qui sépare le canton de Berne du Vallais, & qui par conséquent doit avoir quelque correspondance avec celui du Grindelwald. Ce glacier se présente de loin comme une grande muraille qui va d'un côté à l'autre du vallon qu'il occupe ; sa surface est unie, & l'on n'y voit point de pyramides, comme dans celui de Grindelwald : la glace qui le compose paroît être formée de couches qui se sont successivement placées les unes sur les autres. L'eau qui part de dessous ce glacier forme la riviere d'Aar. C'est dans les cavités des roches qui bordent les deux côtés du vallon où le glacier est situé, que l'on trouve le plus beau crystal de roche. M. Cappeler nous apprend qu'on y trouva une fois une colonne de crystal qui pesoit huit cent livres.

Nous avons encore une relation très-intéressante & très-détaillée d'un glacier qui se trouve dans une autre partie de ces mêmes montagnes du canton de Berne : celui-ci est situé dans une vallée nommée le Siementhal, près d'un lieu qui s'appelle Leng : cette relation qui est remplie d'observations très-curieuses, est dûe aux soins de M. Daniel Langhans medecin, qui l'a publiée dans un ouvrage allemand imprimé à Zurich en 1753, sous le titre de description des curiosités de la vallée de Siementhal, &c. Ce glacier ressemble, à bien des égards, à celui de Grindelwald décrit par M. Altmann ; il y a lieu de croire qu'il en fait partie : mais il en differe en ce que les pyramides de glace dont il est composé ne sont point toutes hexagones, comme celles du glacier de Grindelwald ; il y en a de pentagones, de quadrangulaires, &c. Au sommet des montagnes qui bordent la vallée de Siementhal, le spectateur étonné voit une étendue immense de glace, & tout à côté un terrein couvert de verdure & de plantes aromatiques. Une autre singularité, c'est que tout auprès de ce glacier il sort de la montagne sur laquelle il est appuyé, une source d'eau chaude très-ferrugineuse qui forme un ruisseau assez considérable.

Tous ces glaciers, ainsi que les lacs d'eau glacée dont ils dérivent, sont remplis de fentes qui ont quelquefois jusqu'à quatre ou cinq piés de largeur & une profondeur très-considérable : cela fait qu'on n'y peut point passer sans péril & sans beaucoup de précautions, attendu que souvent on n'apperçoit ces fentes que lorsqu'on a le pié dessus ; & même elles sont quelquefois très-difficiles à appercevoir par les neiges qui sont venues les couvrir. Cela n'empêche pas que des chasseurs n'aillent fréquemment au haut des montagnes pour chasser les chamois & les bouquetins qui se promenent quelquefois sur les glaces par troupeaux de douze ou quinze. Il n'est pas rare que des chasseurs se perdent dans ces fentes ; & ce n'est qu'au bout de plusieurs années que l'on retrouve leurs cadavres préservés de corruption, lorsque ces glaciers en s'étendant dans les vallons & en se fondant successivement, les laissent à découvert. Une personne digne de foi qui a fait un long séjour dans la Suisse & dans le Vallais, racontoit à ce sujet une avanture arrivée à un curé du pays, qui mérite d'être rapportée ici. Cet ecclésiastique étant allé à la chasse un samedi passa sur un glacier ; il tomba dans une fente, sans cependant avoir été blessé de sa chûte. Comme la fente alloit en retrécissant, il n'alla pas jusqu'au fond ; mais il fut retenu & demeura suspendu au milieu des glaces : n'ayant guere lieu de se flatter qu'il dût venir quelqu'un pour le tirer d'affaire, dans un endroit aussi peu fréquenté, il se soûmit à la volonté du ciel, & prit le parti d'attendre sa fin avec tranquillité : en tombant il n'avoit point lâché le fusil qu'il tenoit dans ses mains ; il en détacha la pierre, & s'en servit pour graver sur le canon sa malheureuse avanture, afin d'en instruire la postérité. Les paroissiens qui lui étoient très-attachés, ne voyant point paroître leur curé le dimanche suivant à l'église, se mirent en campagne pour le chercher : quelques-uns d'entr'eux apperçurent sur la neige les pas d'un homme ; ils suivirent cette trace, & ce fut avec succès ; car elle les conduisit droit à la fente où leur infortuné pasteur n'attendoit plus que la mort ; on l'appella, il répondit ; & quoiqu'il fût demeuré près de vingt-quatre heures dans l'endroit où il étoit tombé, il eut encore assez de force pour saisir les cordes qu'on lui descendit pour le retirer : par ce secours imprévû, il échappa au danger qui l'avoit si long-tems menacé. Il y a beaucoup de traits semblables à celui-ci, rapportés dans les auteurs que nous avons cités, arrivés à des gens qui ne s'en sont point si heureusement tirés. Ces fentes des glaciers sont sujettes à se refermer, & il s'en forme de nouvelles dans d'autres endroits ; ce qui se fait avec un bruit semblable à celui du tonnerre ou d'une forte décharge d'artillerie : on entend ce bruit effrayant quelquefois jusqu'à six lieues. Outre cela, les glaçons qui composent les glaciers s'affaissent parce qu'ils sont creux par-dessous ; ce qui cause un grand fracas qui est encore redoublé par les échos des montagnes des environs : cela arrive sur-tout dans les changemens de tems & dans les dégels : aussi les gens du pays n'ont pas besoin d'autres thermometres & barometres pour savoir le tems qu'ils ont à attendre.

L'Islande nous fournit encore des exemples de glaciers à-peu-près semblables à ceux qui viennent d'être décrits. Les habitans du pays nomment les montagnes de glace joeklar : il n'est pas surprenant que la nature présente ce phénomene dans un pays aussi septentrional. M. Théodore Thorkelson Widalius a donné une relation de ces montagnes & glaciers d'Islande, qu'il a eu occasion de voir par lui-même ; elle est insérée dans le tome XIII. du magasin d'Hambourg : on en trouve aussi un détail circonstancié dans une dissertation de M. Egerhard Olavius, imprimée à Copenhague, sous le titre de enarrationes historicae de naturâ & constitutione Islandiae formatae & transformatae per eruptiones ignis, &c. Les phénomenes qu'on remarque dans ces glaciers d'Islande sont assez conformes à ceux que nous avons décrits en parlant de ceux de la Suisse ; ils sont sujets comme eux à s'avancer dans la plaine & à s'en retirer dans de certains tems ; ils se trouvent dans la partie orientale de l'île dans un district appellé Skaptafelssysla. Ils occupent un espace d'environ dix lieues de longueur ; quant à la largeur, on n'a point encore pû la déterminer par les obstacles que présentent aux voyageurs les fentes qui sont à la surface de ces glaciers ; la glace qui les compose est dure, compacte & bleuâtre : on en voit sortir des pointes de rochers qui paroissent y avoir été jettés par des volcans. On trouve dans toute la campagne des environs des marques indubitables d'éruption : en effet, on y rencontre des roches d'une grandeur énorme qui semblent avoir éprouvé l'action du feu, & en avoir été noircies. D'ailleurs on voit par-tout de la pierre-ponce, des pierres vitrifiées, d'autres pierres qui sont devenues assez friables pour être écrasées entre les doigts, des cendres, en un mot tout ce qui caractérise un pays fouillé par les volcans. Cela n'est pas surprenant, d'autant plus que M. Olavius remarque que les montagnes couvertes de neige & de glace qui sont dans le voisinage des glaciers d'Islande, ont été autrefois de vrais volcans : le mont Hecla lui-même, si fameux par ses éruptions fréquentes, est une montagne dont le sommet est couvert de neige & de glaces. (-)


GLACISS. m. en Architecture, c'est une pente peu sensible sur la cimaise d'une corniche, pour faciliter l'écoulement des eaux de pluie.

C'est encore une pente de terre ordinairement revêtue de gason, & beaucoup plus douce que le talud ; sa proportion étant au-dessous de la diagonale du quarré. Il y a des glacis dégauchis, qui sont talud dans leur commencement & glacis assez bas en leur extrémité, pour raccorder les différens niveaux de pente de deux allées paralleles. Il se voit de ces taluds & glacis pratiqués avec beaucoup d'art dans le jardin du château de Marly ; ce qu'on appelle comme revers d'eau, talud, &c. Voyez l'article suivant. (P)

GLACIS, (Art milit. & Fortification.) En terme de Fortification, le glacis est le parapet du chemin-couvert, dont la hauteur de six à sept piés se perd dans la campagne par une pente insensible d'environ vingt ou vingt-cinq toises. Voyez Pl. I. de Fortification, les lettres a a, dans les fig. 1 & 5. Voyez aussi CHEMIN-COUVERT. Chambers.

Le glacis sert à empêcher que dans les environs ou les lieux qui touchent immédiatement à la place, il ne se trouve aucun endroit qui puisse servir de couvert à l'ennemi. La pente du glacis doit être dirigée de maniere qu'étant prolongée vers la place, elle rencontre le revêtement au cordon ou un peu au-dessus.

Lorsqu'elle est ainsi disposée, l'ennemi ne peut battre le revêtement ou faire breche à la place, qu'après qu'il s'est emparé du chemin-couvert : alors il établit ses batteries sur le haut du glacis ; mais leur proximité des ouvrages de la place en rend la construction périlleuse & difficile. Les places dont le glacis encouvre ainsi tous les ouvrages par son prolongement, & que par conséquent l'on ne peut découvrir de la campagne, sont appellées places rasantes. En tems de siége, l'on pratique des galeries sous le glacis d'où partent des rameaux qui s'étendent dans la campagne. Voyez DEFENSE DU CHEMIN-COUVERT. (Q)

GLACIS, signifie, en terme de Peinture, l'effet que produit une couleur transparente qu'on applique sur une autre qui est déjà seche ; de maniere que celle qui sert de glacis laisse appercevoir la premiere, à laquelle elle donne seulement un ton ou plus brillant, ou plus leger, ou plus harmonieux.

On ne glace ordinairement qu'avec des couleurs transparentes, telles que les laques, les stils de grain, &c. La façon de glacer est de frotter avec une brosse un peu ferme, la couleur dont on glace sur celle qui doit en recevoir l'empreinte : en conséquence il reste sur la toile fort peu de cette couleur dont on glace ; ce qui, joint à la qualité des couleurs qui sont les plus propres à glacer, doit faire craindre avec raison aux peintres qui se servent de ce moyen, que l'effet brillant qu'ils cherchent ne soit que passager & ne s'évanoüisse avec la laque & le stil de grain qui s'évaporent ou se noircissent en fort peu de tems. Au reste, cette pratique a cependant été adoptée par de grands peintres ; Rubens en a souvent fait usage. Les glacis sont très-propres pour accorder un tableau & pour parvenir à une harmonie rigoureuse : mais le danger est encore plus grand que l'avantage qu'on en peut retirer, puisque l'effet en est ordinairement passager, & que d'ailleurs rien ne peut égaler le mérite durable d'un tableau peint à pleine couleur, &, comme disent les Peintres, dans la pâte. C'est aux artistes à faire des épreuves qui les éclaircissent sur les effets différens des glacis, dont il seroit peut-être injuste de blâmer indistinctement la pratique. On ne connoît pas encore assez les qualités physiques des couleurs dont on se sert ; on n'a pas fait assez de recherches sur cette partie, pour être en droit de prononcer absolument sur ce moyen, que je crois à la vérité devoir plutôt la naissance au défaut de facilité qu'au talent. Article de M. WATELET.

* GLACIS, (Rubanier) ce sont des soies de long ou de chaînes, qui n'ont d'autre usage que de lier la trame, lorsque la traînée se trouveroit trop longue & exposée par conséquent à lever. Chaque rame de glacis est passée dans les hautes lisses, ainsi qu'il est dit au mot PASSAGE DES RAMES. Chaque branche est mise à part sur un petit roquetin séparé avec son contre-poids & son freluquet, & est levée par ses rames propres, lorsqu'elle travaille en glacis ; voyez encore l'article PASSAGE DES RAMES : mais pour plus de clarté, nous allons dire un mot du passage propre des rames de glacis. Lorsqu'il y a du glacis dans un ouvrage, les six rames de neuf par lesquelles on passe pour occuper les neuf rouleaux de porte-rames de devant, sont de figure ; & les trois autres sont de glacis, & passées suivant le translatage du glacis qui ne change jamais. On entend par translatage, l'emprunt que l'on fait, lorsqu'il est possible ; & cela pour épargner les bouclettes des hautes-lisses : cet emprunt n'est autre chose que l'usage multiplié de la même bouclette, quand il est pratiquable ; & pour joüir du privilége de l'emprunt, la seconde rame doit faire, conjointement avec la premiere, les pris que la premiere fait, & ainsi des autres jusqu'à neuf, qui toutes peuvent emprunter sur la premiere des neuf, & toûjours dans le cas de la possibilité. Ceci compris, lorsque la rame de glacis ne travaille point en glacis, on la passe conformément à celle de figure avec laquelle elle doit aller suivant l'ordre dont nous allons parler. Mais lorsqu'elle travaillera en glacis, elle sera passée conformément à son propre translatage ; pouvant néanmoins joüir de l'emprunt, lorsqu'il aura lieu. Les trois rames de glacis qui font partie des neuf que l'on passe, ont le même passage & le même avantage quant à l'ordre : voici ce que c'est que cet ordre. La premiere rame des trois de glacis, sera portée par la premiere des six de figure ; la seconde rame de figure ira seule ; la seconde rame de glacis sera portée par la troisieme de figure ; la quatrieme de figure ira seule ; & la troisieme de glacis sera portée par la cinquieme rame de figure ; par conséquent la sixieme rame de figure ira seule : & voilà les neuf rames par lesquelles nous avons dit qu'on passoit.


GLAÇONS. m. Voyez ci-devant l'article GLACE.

GLAÇONS, en Architecture ; ce sont des ornemens de sculpture de pierre ou de marbre qui imitent les glaçons naturels, & qu'on met au bord des bassins des fontaines, aux colonnes marines, & aux panneaux, tables, & montans des grottes. Il se voit de ces glaçons d'une belle exécution à la fontaine du Luxembourg, un des plus beaux morceaux d'Architecture dans ce genre, qui tombe de vétusté faute d'entretien : on appelle aussi ces glaçons congelations. (P)


GLADIATEURsubst. m. gladiator, (Littérat. Hist. rom.) celui qui pour le plaisir du peuple combattoit en public sur l'arene, de gré ou de force, contre un autre homme ou contre une bête sauvage, avec une arme meurtriere, cum gladio ; & c'est de-là qu'est venu le mot de gladiateur.

Ce spectacle ne s'introduisit point à Rome à la faveur de la grossiereté des cinq premiers siecles qui s'écoulerent immédiatement après sa fondation : quand les deux Brutus donnerent aux Romains le premier combat de gladiateurs qu'ils eussent vû dans leur ville, les Romains étoient déjà civilisés ; mais loin que la politesse & la mollesse des siecles suivans ayent dégoûté ce peuple des spectacles barbares de l'amphithéatre, au contraire elles les en rendirent encore plus épris. Nous tâcherons de découvrir les raisons de ce genre de plaisir, après avoir rassemblé sous un point de vûe l'histoire des gladiateurs trop hérissée d'érudition, trop diffuse, & trop peu liée dans la plûpart des ouvrages sur cette matiere.

Les premiers combats de gladiateurs qu'on s'avisa de donner en l'honneur des morts pour appaiser leurs manes, succederent à l'horrible coûtume d'immoler les captifs sur le tombeau de ceux qui avoient été tués pendant la guerre : ainsi dans Homere, Achille immole 12 jeunes troyens aux manes de Patrocle ; ainsi dans Virgile, le pieux Enée envoye des prisonniers à Evandre pour les immoler sur le bûcher de son fils Pallas. Les Troyens croyoient que le sang devoit couler sur les tombeaux des morts pour les appaiser ; & cette superstition étoit si grande chez ce peuple, que les femmes se faisoient elles mêmes des incisions pour en tirer du sang, dont elles arrosoient les sepulcres des personnes qui leur étoient cheres. Au défaut de prisonniers, on sacrifioit quelquefois des esclaves.

Les peuples en se polissant ayant reconnu l'horreur de cette action, établirent, pour sauver la cruauté de ces massacres, que les esclaves & les prisonniers de guerre dévoüés à la mort suivant la loi, se battroient les uns contre les autres, & feroient de leur mieux pour sauver leur vie & l'ôter à leurs adversaires. Cet établissement leur parut moins barbare, parce que ceux qu'il regardoit pouvoient, en se battant avec adresse, éviter la mort, & ne devoient à quelques égards s'en prendre qu'à eux s'ils ne l'évitoient pas. Voilà l'origine de l'art des gladiateurs.

Le premier spectacle de ces malheureux qui parut à Rome, fut l'an de sa fondation 490, sous le consulat d'Appius Claudius & de M. Fulvius. D'abord on observa de ne l'accorder qu'aux pompes funebres des consuls & des premiers magistrats de la république : insensiblement cet usage s'étendit à des personnes moins qualifiées ; enfin plusieurs simples particuliers le stipulerent dans leur testament : & pour tout dire, il y eut même des combats de gladiateurs aux funérailles des femmes.

Dès qu'on apperçut par l'affluence du peuple, le plaisir qu'il prenoit à ces sortes de spectacles, on apprit aux gladiateurs à se battre ; on les forma, on les exerça ; & la profession de les instruire devint un art étonnant dont il n'y avoit jamais eu d'exemple.

On imagina de diversifier & les armes & les différens genres de combats auxquels les gladiateurs étoient destinés. On en fit combattre sur des chariots, d'autres à cheval, d'autres les yeux bandés ; il y en avoit sans armes offensives ; il y en avoit qui étoient armés de pié en cap, & d'autres n'avoient qu'un bouclier pour les couvrir. Les uns portoient pour armes une épée, un poignard, un coutelas ; d'autres espadonnoient avec deux épées, deux poignards, deux coutelas ; les uns n'étoient que pour le matin, d'autres pour l'après-midi : enfin on distingua chaque couple de combattans par des noms dont il importe de donner la liste.

1°. Les gladiateurs que j'appelle sécuteurs, secutores, avoient pour armes une épée & une espece de massue à bout plombé.

2°. Les thraces, thraces, avoient une espece de coutelas ou cimeterre comme ceux de Thrace, d'où venoit leur nom.

3°. Les myrmillons, myrmillones, étoient armés d'un bouclier & d'une faux, & portoient un poisson sur le haut de leur casque. Les Romains leur avoient donné le sobriquet de Gaulois.

4°. Les rétiaires, retiarii, portoient un trident d'une main & un filet de l'autre ; ils combattoient en tunique, & poursuivoient le myrmillon en lui criant : " ce n'est pas à toi, gaulois, à qui j'en veux, c'est à ton poisson ". Non te peto, galle, sed piscem peto.

5°. Les hoplomaques, hoplomachi, étoient armés de toutes pieces, comme l'indique leur nom grec.

6°. Les provoqueurs, provocatores, adversaires des hoplomaques, étoient armés comme eux de toutes pieces.

7°. Les dimacheres, dimachaeri, se battoient avec un poignard de chaque main.

8°. Les essédaires, essedarii, combattoient toûjours sur des chariots.

9°. Les andabates, andabatae, combattoient à cheval & les yeux bandés, soit avec un bandeau, soit avec une armure de tête qui se rabattoit sur leur visage.

10°. Les méridiens, meridiani, étoient ainsi nommés, parce qu'ils entroient dans l'arene sur le midi ; ils se battoient avec une espece de glaive contre ceux de leur même classe.

11°. Les bestiaires, bestiarii, étoient des gladiateurs par état ou des braves qui combattoient contre les bêtes féroces, pour montrer leur courage & leur adresse, comme les toreros ou toréadors espagnols de nos jours.

12°. Les fiscaux, les césariens, ou les postulés, fiscales, caesariani, postulatitii, étoient ceux qu'on entretenoit aux dépens du fisc ; ils prirent leur nom de césariens, parce qu'ils étoient destinés pour les jeux où les empereurs assistoient ; & comme ils étoient les plus braves & les plus adroits de tous les gladiateurs, on les appella postulés, parce que le peuple les demandoit très-souvent.

On nommoit catervarii les gladiateurs qu'on tiroit des diverses classes, & qui se battoient en troupes plusieurs contre plusieurs.

Je ne parlerai point de ceux qu'on envoyoit quelquefois chercher dans des festins de réjoüissance, parce qu'ils ne se servoient point d'armes meurtrieres ; ils ne venoient que pour divertir les convives par l'adresse & l'agilité qu'ils faisoient paroître dans des combats simulés : je dirai seulement qu'on les nommoit samnites, samnites, à cause qu'ils s'habilloient à la maniere de cette nation.

La même industrie qui forma les diverses classes de gladiateurs, en rendit l'institution lucrative pour ceux qui les imaginerent ; on les appelloit lanistes, lanistae : on remettoit entre leurs mains les prisonniers, les criminels, & les esclaves coupables. Ils y joignoient d'autres esclaves adroits, forts, & robustes, qu'ils achetoient pour les jeux, & qu'ils encourageoient à se battre, par l'espoir de la liberté ; ils les dressoient, leur apprenoient à se bien servir de leurs armes, & les exerçoient sans-cesse à leurs combats respectifs, afin de les rendre intéressans pour les spectateurs : en quoi ils ne réussirent que trop.

Outre les gladiateurs de ce genre, il y avoit quelquefois des gens libres qui se loüoient pour cette escrime, soit par la dépravation des tems, soit par l'extrème indigence, qui les portoit pour de l'argent, à faire ce métier : tels étoient souvent des esclaves auparavant gladiateurs, & qui avoient déjà obtenu l'exemption & la liberté. Les maîtres d'escrime en loüant tous ces gladiateurs volontaires, les faisoient jurer qu'ils combattroient jusqu'à la mort.

C'étoit à ces maîtres qu'on s'adressoit lorsqu'on vouloit donner les jeux de gladiateurs ; & ils fournissoient pour un prix convenu, la quantité de paires qu'on désiroit, & de différentes classes. Il arriva dans la suite des tems, que des premiers de la république eurent à eux des gladiateurs en propre pour ce genre de spectacle, ou pour d'autres motifs : Jules César étoit de ce nombre.

Les édiles eurent d'abord l'intendance de ces jeux cruels ; ensuite les préteurs y présiderent : enfin Commode attribua cette inspection aux questeurs.

Les empereurs, par goût ou pour gagner l'amitié du peuple, faisoient représenter ces jeux le jour de leur naissance, dans les dédicaces des édifices publics, dans les triomphes, avant qu'on partît pour la guerre, après quelque victoire, & dans d'autres occasions solemnelles, ou qu'ils jugeoient à propos de rendre telles. Suétone rapporte que Tibere donna deux combats de gladiateurs ; l'un en l'honneur de son pere, & l'autre en l'honneur de son ayeul Drusus. Le premier combat se donna dans la place publique, & le second dans l'amphithéatre, où cet empereur fit paroître des gladiateurs qui avoient eu leur congé, & auxquels il promit cent mille sesterces de récompense, c'est-à-dire environ vingt-quatre mille de nos livres, l'argent à cinquante francs le marc. L'empereur Claude limita d'abord ces spectacles à certains termes fixes ; mais peu après il annulla lui-même son ordonnance.

Quelque tems avant le jour arrêté du combat, celui qui présidoit aux jeux en avertissoit le peuple par des affiches, où l'on indiquoit les especes de gladiateurs qui devoient combattre, leurs noms, & les marques qui les devoient distinguer ; car ils prenoient chacun quelque marque particuliere, comme des plumes de paon ou d'autres oiseaux.

On spécifioit aussi le tems que dureroit le spectacle, & combien il y auroit de paires différentes de gladiateurs, parce qu'ils étoient toûjours par couples : on représentoit quelquefois tout cela par un tableau exposé dans la place publique.

Le jour du spectacle on apportoit sur l'aréne de deux sortes d'armes ; les premieres étoient des bâtons noüeux, ou fleurets de bois nommés rudes ; & les secondes étoient de véritables poignards, glaives, épées, coutelas, &c. Les premieres armes s'appelloient arma lusoria, armes courtoises ; les secondes, arma decretoria, armes décernées, parce qu'elles se donnoient par decret du préteur, ou de celui qui faisoit la dépense du spectacle. Les gladiateurs commençoient par s'escrimer des premieres armes, & c'étoit-là le prélude ; ensuite ils prenoient les secondes, avec lesquelles ils se battoient nuds ou en tunique. La premiere sorte de combat s'appelloit proeludere, joüer ; & la seconde, dimicare ad certum, se battre à fer émoulu.

Au premier sang du gladiateur qui couloit, on crioit, il est blessé ; & si dans le moment le blessé mettoit bas les armes, c'étoit un aveu qu'il faisoit lui-même de sa défaite : mais sa vie dépendoit des spectateurs ou du président des jeux ; néanmoins si l'empereur survenoit dans cet instant, il lui donnoit sa grace, soit simplement, soit quelquefois avec la condition que s'il rechappoit de sa blessure, cette grace ne l'exempteroit pas de combattre encore une autre fois.

Dans le cours ordinaire des choses, c'étoit le peuple qui décidoit de la vie & de la mort du gladiateur blessé : s'il s'étoit conduit avec adresse & avec courage, sa grace lui étoit presque toûjours accordée ; mais s'il s'étoit comporté lâchement dans le combat, son arrêt de mort étoit rarement douteux. Le peuple ne faisoit que montrer sa main avec le pouce plié sous les doigts, pour indiquer qu'il sauvoit la vie du gladiateur ; & pour porter son arrêt de mort, il lui suffisoit de montrer sa main avec le pouce levé & dirigé contre le malheureux. Le gladiateur blessé connoissoit si-bien que ce dernier signal étoit celui de sa perte, qu'il avoit coûtume, sitôt qu'il l'appercevoit, de présenter la gorge pour recevoir le coup mortel. Après qu'il étoit expiré, on retiroit son corps de dessus l'arene, afin de cacher cet objet défiguré à la vûe des spectateurs.

Tout gladiateur qui avoit servi trois ans dans l'arene, avoit son congé de droit ; & même sans attendre ces trois ans, lorsqu'il donnoit en quelque occasion des marques extraordinaires de son adresse & de son courage, le peuple lui faisoit donner ce congé sur le champ. En attendant, la récompense qu'on accordoit aux gladiateurs victorieux, étoient une palme, une somme d'argent, un prix quelquefois considérable, & l'empereur Antonin confirma tous ces usages. Mais comme il arrivoit aux maîtres d'escrime qui trafiquoient de gladiateurs, pour augmenter leur gain, de faire encore combattre dans d'autres spectacles ceux qui avoient déjà triomphé, à-moins que le peuple ne leur eut accordé l'exemption qu'on appelloit en latin missio, Auguste ordonna pour réprimer cet abus des lanistes, qu'on ne feroit plus combattre les gladiateurs, sans accorder à ceux qui seroient victorieux un congé absolu, pour ne plus combattre s'ils ne le vouloient pas. Cependant pour obtenir l'affranchissement il falloit au commencement qu'ils eussent été plusieurs fois vainqueurs ; dans la suite il devint ordinaire, en leur accordant l'exemption, de leur donner aussi l'affranchissement.

Cet affranchissement qui tiroit les gladiateurs de l'état de servitude, qui de plus leur permettoit de tester, mais qui ne leur procuroit pas la qualité de citoyen ; cet affranchissement, dis-je, se faisoit par le préteur, en leur mettant à la main un bâton noüeux comme un bâton d'épine, le même qui servoit d'arme courtoise, & qu'on nommoit rudis. Ceux qui avoient obtenu ce bâton, étoient appellés rudiaires, rudiarii. On joignoit encore quelquefois à l'affranchissement une récompense purement honoraire, pour témoignage de la bravoure du gladiateur ; c'étoit une guirlande ou espece de couronne de fleurs entortillée de rubans de laine, qu'on nommoit lemnisci, qu'il mettoit sur la tête, & dont les bouts de ruban pendoient sur les épaules : de-là vient qu'on appelloit lemniscati ceux qui portoient cette marque de distinction.

Quoique ces gens-là fussent libres, qu'on ne pût plus les obliger à combattre, & qu'ils fussent distingués de leurs camarades par le bâton & le bonnet couronné, néanmoins on en voyoit tous les jours qui pour de l'argent retournoient dans l'arene, & s'exposoient aux mêmes dangers dont ils étoient sortis vainqueurs ; leur fureur pour les combats de l'arene égaloit la passion que le peuple y portoit.

Quand on recevoit des gladiateurs dans la troupe, la cérémonie s'en faisoit dans le temple d'Hercule ; & quand après avoir obtenu l'exemption, la liberté & le bâton, ils quittoient pour toûjours la profession de gladiateur, ils alloient offrir leurs armes au fils de Jupiter & d'Alcmene, comme à leur dieu tutélaire, & les attachoient à la porte de son temple. C'est pour cela qu'encore aujourd'hui on met pour enseigne aux salles d'armes, un bras armé d'un fleuret.

On employa souvent des gladiateurs dans les troupes ; on le pratiqua dans les guerres civiles de la république & du triumvirat, & l'on continua cette pratique sous le regne des empereurs. Othon allant combattre Vitellius, enrôla deux mille gladiateurs dans son armée : on en entretenoit toûjours à ce dessein un grand nombre aux dépens du fisc. Sous Gordien III. on en comptoit jusqu'à mille paires : Marc-Aurele les emmena tous dans la guerre contre les Marcomans ; & le peuple romain les vit partir avec douleur, craignant que l'empereur ne lui donnât plus des jeux qui lui étoient si chers.

Il y avoit déjà si long-tems qu'on voyoit ce peuple en faire ses délices, qu'il fut défendu sous la république, par la loi tullienne, à tout citoyen qui briguoit les magistratures, de donner aucun spectacle de gladiateurs au peuple, de peur que ceux qui employeroient ce moyen, ne gagnassent sa bienveillance & ses suffrages, au préjudice des autres postulans.

Mais l'inclination de plusieurs empereurs pour ces jeux sanguinaires, perdit l'état en en multipliant l'usage. Néron, au rapport de Suétone, fit paroître dans ces tragiques scenes des chevaliers & des sénateurs romains en grand nombre, qu'il obligea de se battre les uns contre les autres, ou contre des bêtes sauvages : Dion assûre qu'il se trouva même des gens assez infames dans ces deux ordres, pour s'offrir à combattre sur l'arene comme les gladiateurs, par une honteuse complaisance pour le prince. L'empereur Commode fit plus, il exerça lui-même la gladiature contre des bêtes féroces.

C'est dans ce tems-là que cette fureur devint tellement à la mode, qu'on vit aussi les dames romaines exercer volontairement cet indigne métier, & combattre dans l'amphithéatre les unes contre les autres, se glorifiant d'y faire paroître leur adresse & leur intrépidité : nec virorum modo pugnas, sed & feminarum.....

Enfin, après l'établissement de la religion chrétienne & le transport de l'empire à Byzance, de nouveaux changemens dans les usages commencerent à renaître ; des moeurs plus douces semblerent vouloir succéder. Je serois charmé d'ajoûter, avec la foule des écrivains, que Constantin abolit les combats de gladiateurs en Orient ; mais je trouve seulement qu'il défendit d'y employer ceux qui étoient condamnés pour leurs forfaits, ordonnant au préfet du prétoire de les envoyer plûtôt travailler aux mines : son ordonnance est datée du premier Octobre 325. à Béryle en Phénicie. Les empereurs Honorius & Arcadius tenterent de faire perdre l'usage de ces jeux en Occident ; mais ces affreux divertissemens ne finirent en réalité qu'avec l'empire romain, lorsqu'il s'affaissa tout-à-coup par l'invasion de Théodoric roi des Goths, vers l'an 500 de Jesus-Christ.

Ce n'est pas toutefois la durée de ces jeux qui doit surprendre davantage, ce sont les recherches fines & barbares auxquelles on les porta pendant tant de siecles, qui semblent incroyables. Non-seulement on raffina sur l'art d'instruire les gladiateurs, de les former, d'animer leur courage, de les faire expirer, pour ainsi dire, de bonne grace ; on raffina même sur les instrumens meurtriers que ces malheureux devoient mettre en oeuvre pour s'entre-tuer. Ce n'étoit point au hasard qu'on faisoit battre le gladiateur thrace contre le sécuteur, ou qu'on armoit le rétiaire d'une façon, & le myrmillon d'une autre ; on cherchoit entre les armes offensives & défensives de ces quadrilles, une combinaison qui rendît leurs combats plus tardifs & plus affreux. En diversifiant leurs armes, on se proposoit de diversifier le genre de leur mort ; on les nourrissoit même avec des pâtes d'orge & des alimens propres à les entretenir dans l'embonpoint, afin que le sang s'écoulât plus lentement par les blessures qu'ils recevoient, & que les spectateurs pussent joüir aussi plus long-tems de leur agonie.

Qu'on ne pense point que ces spectateurs fussent la lie du peuple, tous les ordres les plus distingués de l'empire assistoient à ces cruels amusemens ; les vestales elles-mêmes ne manquoient pas de s'y trouver : elles y étoient placées avec éclat au premier degré de l'amphithéatre. Il est bon de lire le tableau poëtique que Prudence fait de cette pudeur qui colorant leur front, se plaisoit dans le mouvement de l'arene ; de ces regards sacrés avides de blessures ; de ces ornemens si respectables que l'on revêtoit pour joüir de la cruelle adresse des hommes, de ces ames tendres qui s'évanoüissoient aux coups les plus sanglans, & se réveilloient toutes les fois que le couteau se plongeoit dans la gorge d'un malheureux ; enfin de la compassion de ces vierges timides, qui par un signe fatal décidoient des restes de la vie d'un gladiateur :

.... Pectusque jacentis

Virgo modesta jubet converso pollice rumpi,

Ne lateat pars ulla animae vitalibus imis

Altiùs impresso dum palpitat ense secutor.

Il ne faut pas cependant que ce tableau pittoresque joint aux autres détails historiques qu'on a exposés jusqu'ici, nous inspire trop d'horreur pour les Romains & pour les Vestales ; il y avoit long-tems que les Romains blâmoient leur goût pour les spectacles de l'arene, il y avoit long-tems qu'ils connoissoient les affreux abus qui s'y étoient glissés : l'humanité n'étoit point bannie de leur coeur à d'autres égards. Dans le tems même dont nous parlons, un homme passoit chez eux pour barbare, s'il faisoit marquer d'un fer chaud son esclave qui avoit volé le linge de table ; action pour laquelle les lois de plusieurs pays chrétiens condamnent à mort nos domestiques, qui sont des hommes d'une condition libre. D'où vient donc, me dira-t-on, ce contraste bizarre dans leurs moeurs ? d'où vient ce plaisir extrème qu'ils trouvoient aux spectacles de l'amphithéatre ? Il venoit principalement, ce plaisir, d'une espece de mouvement machinal que la raison réprime mal, & qui fait par-tout courir les hommes après les objets les plus propres à déchirer le coeur. Le peuple dans tous les pays va voir un spectacle des plus affreux, je veux dire le supplice d'un autre homme, sur-tout si cet homme doit subir la rigueur des lois sur un échafaud par d'horribles tourmens ; l'émotion qu'on éprouve à un tel spectacle, devient une espece de passion dont les mouvemens remuent l'ame avec violence ; & l'on s'y laisse entraîner, malgré les idées tristes & importunes qui accompagnent & qui suivent ces mouvemens. Repassez, si vous le voulez, avec M. l'abbé du Bos, qui a si bien prouvé cette vérité, l'histoire de toutes les nations les plus policées, vous les verrez toutes se livrer à l'attrait des spectacles barbares, dans le tems que la nature témoigne par un frémissement intérieur, qu'elle se soûleve contre son propre plaisir.

Les Grecs, que sans-doute personne ne taxera de penchant à la cruauté, s'accoûtumerent eux-mêmes au spectacle des gladiateurs, quoiqu'ils n'eussent point été familiarisés à ces horreurs dès l'enfance. Sous le regne d'Antiochus-Epiphane roi de Syrie, les Arts & les Sciences faites pour corriger la férocité de l'homme, florissoient depuis longtems dans tous les pays habités par les Grecs ; quelques usages pratiqués autrefois dans les jeux funebres, & qui pouvoient ressembler aux combats des gladiateurs, y étoient abolis depuis plusieurs siecles. Antiochus qui vouloit par sa magnificence se concilier la bienveillance des nations, fit venir de Rome à grands fraix des gladiateurs, pour donner aux Grecs, amoureux de toutes les fêtes, ce spectacle nouveau. D'abord, dit Tite-Live, l'arene ne leur parut qu'un objet d'horreur. Antiochus ne se rebuta point, il fit combattre les champions seulement jusqu'au sang. On regarda ces combats mitigés avec plaisir : bientôt on ne détourna plus les yeux des combats à toute outrance ; ensuite on s'y accoûtuma insensiblement, aux dépens de l'humanité. Il se forma enfin des gladiateurs dans le pays, & ces spectacles devinrent encore des écoles pour les artistes : ce fut-là où Ctésilas étudia son gladiateur mourant, dans lequel on pouvoit voir ce qui lui restoit encore de vie.

Nous avons pour voisin, ajoûte avec raison M. l'abbé du Bos, un peuple tellement avare des souffrances des hommes, qu'il respecte encore l'humanité dans les plus grands scélérats ; tous les supplices dont il permet l'usage, sont de ceux qui terminent les jours des plus grands criminels, sans leur faire souffrir d'autre peine que la mort. Néanmoins ce peuple si respectueux envers l'humanité, se plaît à voir les bêtes s'entre-déchirer ; il a même rendu capables de se tuer, ceux des animaux à qui la nature a voulu refuser des armes qui pussent faire des blessures mortelles à leurs semblables : il leur fournit avec industrie des armes artificielles qui blessent facilement à mort. Voyez COMBAT DU COQ, (Encycl. supplém.)

Le peuple dont on parle, regarde toûjours avec tant de plaisir des hommes payés pour se battre jusqu'à se faire des blessures dont le sang coule, qu'on peut croire qu'il auroit de véritables gladiateurs à la romaine, si la religion chrétienne qu'il professe, ne défendoit absolument de verser le sang des hommes, hors le cas d'une absolue nécessité.

On peut assûrer la même chose d'autres peuples polis, éclairés, & qui font profession de la même religion ennemie du sang humain. Nous avons dans nos annales une preuve bien forte, pour montrer qu'il est dans les spectacles cruels une espece d'attrait. Les combats en champs-clos, entre deux ou plusieurs champions, ont été long-tems en usage parmi nous, & les personnes les plus considérables de la nation y tiroient l'épée, par un motif plus sérieux que de divertir l'assemblée ; c'étoit pour s'entre-tuer : on accouroit cependant à ces combats, comme à des fêtes.

Après tout, je ne dissimulerai point que les Romains n'ayent été le peuple du monde qui a fait des jeux barbares son plus cher divertissement, & tout ce que j'ai dit là-dessus ne le démontre que trop. Cicéron a eu tort, ce me semble, de ne condamner que les abus qui s'y étoient glissés, & d'approuver le spectacle de l'arene, lorsque les seuls criminels y combattoient en présence du peuple. Pour moi, je crains fort que ces jeux meurtriers n'ayent entretenu les Romains dans une certaine humeur sanguinaire que Rome dévoila dès son origine, & dont elle se fit une habitude par les guerres continuelles qu'elle soûtint pendant plus de cinq cent ans.

Concluons qu'il faut proscrire, non-seulement par religion, mais par esprit philosophique, mais par amour de l'humanité, tout jeu, tout spectacle qui pourroit insensiblement familiariser les hommes avec des principes opposés à la compassion.

Ceux de la morale des Athéniens ne leur permirent point d'avoir d'autres sentimens que des sentimens d'aversion pour le jeu des gladiateurs : jamais ils ne voulurent les admettre dans leur ville, malgré l'exemple des autres peuples de la Grece ; & quelqu'un s'étant un jour avisé de proposer publiquement ces jeux, afin, dit-il, qu'Athenes ne le cede pas à Corinthe : " Renversez donc auparavant, s'écria un athénien avec vivacité, renversez l'autel que nos peres, il y a plus de mille ans, ont érigé à la Miséricorde. " (D.J.)

GLADIATEURS, (GUERRE DES) bellum gladiatorum, (Hist. rom.) guerre domestique & dangereuse que Spartacus excita en Italie l'an 680 de la fondation de Rome.

Ce gladiateur homme de courage & d'une bravoure à toute épreuve, s'échappa de Capoue où il étoit gardé avec soixante & dix de ses camarades ; il les exhorta de sacrifier leur vie plûtôt pour la défense de la liberté, que pour servir de spectacle à l'inhumanité de leurs patrons ; il les persuada, rassembla sous ses drapeaux un grand nombre d'autres esclaves fugitifs ; animés du même esprit ; il se mit à leur tête, s'empara de la Campanie, & remporta de grands avantages sur les préteurs romains, que le sénat se contenta d'abord de lui opposer avec peu de troupes.

L'affaire ayant paru plus sérieuse, les consuls eurent ordre de marcher avec les légions ; Spartacus les défit entierement, ayant choisi son camp & le champ de bataille comme auroit pû faire un général consommé ; de si grands succès attirerent une foule innombrable de peuples sous les enseignes de Spartacus, & ce gladiateur redoutable se vit jusqu'à six vingt mille hommes à ses ordres, bandits, esclaves, transfuges, gens féroces & cruels, qui portoient le fer & le feu de tous côtés, & qui n'envisageoient dans leur révolte qu'une licence effrénée & l'impunité de leurs crimes.

Il y avoit près de trois ans que cette guerre domestique duroit en Italie, avec autant de honte que de desavantage pour la république, lorsque le sénat en donna la conduite en 682 à Licinius Crassus, un des premiers capitaines du parti de Sylla, & qui avoit eu beaucoup de part à ses victoires.

Crassus savoit faire la guerre, & la fit heureusement ; il tailla en pieces en deux batailles rangées les troupes de Spartacus, qui cependant prouva toûjours qu'il ne lui manquoit qu'une meilleure cause à défendre : on le vit blessé à la cuisse d'un coup de javeline combattre long-tems à genou, tenant son bouclier d'une main & son épée de l'autre. Enfin percé de coups, il tomba sur un monceau ou de romains qu'il avoit immolés à sa propre fureur, ou de ses propres soldats qui s'étoient fait tuer aux piés de leur général en le défendant.

Voyez les détails de la guerre célebre des gladiateurs dans les historiens romains, dans Tite-Live, liv. XCVII. Athénée, liv. II. Eutrope, liv. VI. Appian, de la guerre civile, liv. II. Florus, liv. III. cap. xx. César, commentaires liv. I. Valere-Maxime, liv. VIII. Velleius-Paterculus, liv. II. & autres. (D.J.)

GLADIATEUR EXPIRANT (LE), Sculpture antiq. c'est une admirable piece de l'antique qui subsiste toûjours ; il n'y a point d'amateurs des beaux arts, dit M. l'abbé du Bos, qui n'ait du-moins vû des copies de la figure du gladiateur expirant, laquelle étoit autrefois à la Vigne Ludovece, & qu'on a transportée depuis au palais Chigi. Cet homme qui vient de recevoir le coup mortel veille à sa contenance, ut procumbat honestè : il est assis à terre, & a encore la force de se soûtenir sur le bras droit ; quoiqu'il aille expirer, on voit qu'il ne veut pas s'abandonner à sa douleur ni à sa défaillance, & qu'il a l'attention de tenir ce maintien courageux, que les gladiateurs se piquoient de conserver dans ce funeste moment, & dont les maîtres d'escrime leur apprenoient l'attitude : il ne craint point la mort, il craindroit de faire une grimace ou de pousser un lâche soupir ; quis mediocris gladiator ingemuit, quis vultum mutavit unquam, quis non modò stetit, verùm etiam decubuit turpiter, dit Ciceron dans l'endroit de ses Tusculanes, où il nous raconte tant de choses étonnantes sur la fermeté de ces malheureux ? On sent dans celui-ci que malgré la force qui lui reste après le coup dont il est atteint, il n'a plus qu'un moment à vivre, & l'on regarde long-tems dans l'attente de le voir tomber en expirant ; c'est ainsi que les anciens savoient animer le marbre, & lui donner de la vie. On en trouvera plusieurs autres exemples dans cet ouvrage. Voyez SCULPTURE ANCIENNE. (D.J.)


GLAIES. f. (Verrerie) c'est ainsi qu'on appelle la partie de la voûte du four, composée depuis l'extérieur de deux tonnelles entre les arches à pot, jusqu'à l'extrémité du revêtement du four. Voyez les articles TONNELLE, FOUR, VERRERIE.


GLAIRES. f. (Médecine) ce terme est employé vulgairement pour designer une humeur gluante, visqueuse, une sorte de mucosité transparente produite dans le corps humain par quelque cause morbifique ; c'est la même chose que ce que les medecins appellent phlegme, pituite. Voyez PITUITE. (d)


GLAIRERv. act. (Relieur) c'est passer du blanc d'oeuf avec une éponge fine sur le plat de la couverture d'un livre prêt à être doré & poli ; on glaire à plusieurs reprises.


GLAISES. f. TERRE GLAISE, ARGILLE, (Hist. nat. Minéralog. Agric.) c'est une terre dont la couleur est ou blanche, ou jaune, ou brune, ou rougeâtre, ou grise, ou bleue, ou verdâtre ; elle est tenace, pesante, compacte, visqueuse ou grasse au toucher comme du savon ; ses parties sont très-fines & fort étroitement liées les unes aux autres : elle s'amollit dans l'eau, & a la propriété de prendre corps, & de se durcir considérablement dans le feu.

Lister compte vingt-deux especes d'argilles ou de glaises en Angleterre ; Wallerius en compte dix especes dans sa minéralogie, mais ces terres ne différent point essentiellement entr'elles ; elles ne varient que par la couleur, qui peut avoir un nombre infini de nuances, & par le plus ou moins de sable, de gravier, de terreau ou de humus, de craie, de marne, de parties ferrugineuses, & d'autres substances étrangeres qu'elles peuvent contenir.

On a quelquefois voulu mettre de la différence entre l'argille & la glaise ; cette distinction étoit fondée sur ce que l'argille étoit, dit-on, mêlée d'un plus grand nombre de parties de sable & de terreau ; mais l'on sent que ce mélange purement accidentel ne suffit pas pour faire distinguer ces terres qui sont essentiellement les mêmes, & qui ont les mêmes propriétés, quoiqu'on les designe par deux noms différens. Cela posé, sans s'arrêter ici à faire un article séparé de la glaise, on auroit pû renvoyer à l'art. ARGILLE ; mais comme cet article n'est que l'exposé du système de M. de Buffon sur la formation de l'argille, & comme d'ailleurs on n'y est point entré dans le détail des principales propriétés de cette terre, on a cru que ce seroit ici le lieu de suppléer à ce qui a été omis dans cet article.

Il y a long-tems que les Chimistes ont observé que l'argille ou glaise colorée contenoit une portion plus ou moins considérable de fer ; ce qui prouve cette vérité, c'est la couleur rouge que prennent quelques-unes de ces terres, lorsqu'on les expose à l'action du feu ; mais rien ne sert mieux à constater la chose que la fameuse expérience de Becher qui a obtenu une portion de fer attirable par l'aimant, d'un mélange fait avec de la glaise & de l'huile de lin : nous n'insisterons point sur cette expérience qui est suffisamment décrite à l'article FER, non plus que sur la dispute qui s'éleva à son sujet dans l'académie royale des Sciences de Paris. Voyez FER. C'est cette portion de fer contenue dans la glaise qui contribue à ses différentes couleurs. On peut dégager cette terre des parties ferrugineuses qu'elle contient en versant dessus de l'eau régale qui en fait l'extraction avec effervescence ; la partie terreuse reste blanche, parce que ce dissolvant lui a enlevé sa partie colorante, & est devenue jaune. L'eau-forte ne produit point toûjours le même effet, parce que les parties martiales de cette terre sont quelquefois très fines & enveloppées de tant de parties visqueuses, que le dissolvant ne peut point agir sur elles. Voyez la Lithogéognosie de M. Pott, tom. I. pag. 99. & suiv.

La glaise ou l'argille pure ne fait point d'effervescence sensible avec les acides ; quand cela arrive ; c'est une preuve certaine que cette terre est mélangée avec quelque substance alkaline ou calcaire, telle que la craie, la marne, &c. ou avec des parties ferrugineuses. C'est faute d'avoir eu égard à ces mélanges que plusieurs auteurs ont confondu avec la glaise d'autres terres dont les propriétés sont fort différentes ; cependant l'acide vitriolique aidé par l'action du feu dissout une portion de l'argille ou glaise, comme M. Hellot l'a prouvé dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris, année 1739. Cette dissolution d'une portion de la terre glaise ou argilleuse par l'acide vitriolique, fait un véritable alun ; cela avoit déjà été soupçonné par M. Pott, mais cette vérité vient enfin d'être démontrée par M. Marggraf, qui prouve que l'argille ou glaise contient la terre nécessaire pour la formation de l'alun ; mais l'acide vitriolique ne dissout qu'une portion de cette terre : celle qui reste & sur laquelle le dissolvant n'a plus d'action, a perdu les propriétés de la glaise. Et M. Marggraf a fait des expériences qui prouvent qu'elle est de la nature des terres vitrifiables, telles que le sable & les caillous pilés, puisqu'elle fait du verre tout comme elles, lorsqu'on la fond avec du sel alkali ; d'où l'on peut conclure que l'argille ou glaise est composée de deux substances d'une nature toute différente. Voyez les mémoires de l'académie royale de Berlin, année 1754, pag. 32, 34, 63 & suiv.

Quelquefois la glaise est mêlée de mica ou de petites particules talqueuses, luisantes, qu'il est très-difficile d'en séparer entierement : on en sépare plus aisément le sable, c'est en la faisant dissoudre dans de l'eau, parce qu'alors les parties terreuses qui composent la glaise demeurent long-tems suspendues dans ce fluide, tandis que les particules de sable tombent très-promptement au fond.

Plus les argilles ou glaises sont blanches, plus elles sont dégagées de matieres étrangeres, & c'est alors qu'on y remarque sensiblement les propriétés qui les caractérisent. Les qualités extérieures auxquelles on peut reconnoître la glaise, sont sa tenacité qui fait qu'elle prend corps toute seule avec l'eau ; sa viscosité ou son onctuosité qui la fait paroître comme savonneuse & grasse au toucher ; la finesse de ses parties qui fait qu'elle s'attache à la langue, & que quelquefois elle produit dans la bouche un effet semblable à celui du beurre qu'on y laisseroit fondre : mais le caractere distinctif de l'argille ou glaise pure est de se durcir dans le feu au point de former une masse compacte & solide, dont l'acier peut tirer des étincelles comme il feroit d'un morceau d'agate ou de jaspe. C'est à cette marque surtout que l'on peut reconnoître la présence de cette terre, même lorsqu'elle est mêlée avec des substances ou terres d'une autre nature. La terre dont on fait les pipes est une vraie glaise ; on dit que les Chinois font une porcelaine d'une très-grande beauté avec une terre seule délayée dans de l'eau ; elle est très-blanche & douce au toucher comme du savon ; il y a en France & en beaucoup d'endroits de l'Europe des terres dont on pourroit tirer le même parti, si on vouloit faire les expériences nécessaires pour en découvrir les propriétés. Voyez l'art. PORCELAINE.

La viscosité & la tenacité de la glaise sont dûes à une matiere onctueuse qui sert à lier ses parties. M. Pott a fait un grand nombre d'expériences pour découvrir la nature de ce gluten ou lien, sans jamais y trouver le moindre vestige ni de sel ni de matiere inflammable, soit par la distillation, soit par la lixiviation ; sur quoi il refute Boyle qui prétend que les terres contiennent du phlogistique, & prouve que celui qu'on y découvre ne vient que de la petite portion de fer qui y est contenue. Becher a cru que le flegme ou la partie aqueuse qu'on obtient par la distillation de l'argille ou glaise, avoit des vertus merveilleuses, soit dans la medecine, soit dans les travaux sur les métaux, soit pour la fertilisation des terres ; mais ces idées n'ont point encore été justifiées par l'expérience, non plus que les prétentions de quelques alchimistes qui regardent ce flegme comme l'esprit de la nature. S'il se trouve quelque chose de salin dans la glaise, elle en est redevable aux substances étrangeres qui y sont jointes accidentellement. La calcination au feu & les acides concentrés, enlevent entierement le gluten ou la partie qui sert à lier cette terre, au point qu'elle n'est plus en état de prendre du corps & de se durcir dans le feu.

Les terres alkalines ou calcaires telles que la craie, la marne, &c. mêlées avec la glaise, entrent très-aisément en fusion, quoiqu'aucune de ces terres prise séparément ne se fonde point par elle-même, c'est-à-dire sans addition. M. Pott a employé dans cette expérience ainsi que dans les autres une argille pure ; car celle qui est bleue est mêlée de particules martiales qui lui servent de fondant, & la font entrer en fusion sans addition, au lieu que les argilles ou glaises pures ne peuvent être fondues par le feu le plus violent qui ne fait que les durcir considérablement, & au point de faire donner des étincelles lorsqu'on les frappe avec de l'acier.

La glaise pure ou argille mêlée avec différentes especes de pierres gypseuses donne des produits différens, suivant que ces substances sont plus ou moins chargées de matieres étrangeres & colorantes ; cependant en général M. Pott a observé que lorsqu'on mêle la glaise & le gypse en parties égales, il en résulte à l'aide du feu une masse pierreuse si dure que l'acier en fait sortir des étincelles.

Le mélange de la glaise ou argille avec les pierres & les terres qu'on nomme vitrifiables, prend du corps & s'unit très-fortement ; c'est là-dessus qu'est fondé tout le travail de la poterie de terre, de la fayencerie, de la briquerie, &c. Aussi voit-on que les Potiers de terre mêlent du sable avec la glaise pour former tous leurs ouvrages, qu'ils exposent ensuite à l'action du feu. Toutes ces expériences, ainsi qu'un grand nombre d'autres, sont dûes à M. Pott savant chimiste, de l'académie de Berlin, & se trouvent dans son ouvrage qui a pour titre Lithogéognosie, ou examen chimique des terres & des pierres, &c. tom. I. pag. 123 & suiv. 82 & suiv. & 140 de la traduction françoise.

Passons maintenant aux propriétés de la glaise, eu égard à l'Agriculture & à l'Economie rustique. Plus cette terre est tenace, compacte & pure, moins elle est propre à favoriser la végétation des plantes ; cela vient 1°. de ce que la glaise par la liaison étroite qui est entre ses parties, retient les eaux du ciel & ne leur fournit point de passage, ces eaux sont donc obligées d'y séjourner, & par-là les semences doivent se noyer ou se pourrir. 2°. Quand ces semences auroient pû être développées, les parties de la glaise sont si étroitement liées entr'elles, & se durcissent si fort à la surface de la terre par la chaleur du soleil, que cette terre n'auroit point cédé ou prêté aux foibles efforts qu'une plante ou racine peut faire pour s'étendre en tout sens ; de là vient la stérilité des terres purement glaiseuses : aussi un auteur anglois a-t-il appellé la terre glaise une marâtre maudite ; les arbres mêmes, & sur-tout les chênes, n'y croissent qu'avec peine & très-lentement, & il y a des glaises si stériles qu'il n'y croît pas le moindre brin d'herbe. Pour remédier à cette stérilité, on est obligé d'avoir recours à différens moyens, qui tous ont principalement pour but de diviser & d'atténuer ces terres, & de rompre la liaison trop étroite de leurs parties afin de les rendre plus pénétrables aux eaux, & pour que leur tenacité n'étouffe plus les plantes naissantes ; pour y parvenir, on laboure fortement ces terres à plusieurs reprises, on a soin de bien diviser les glebes ; après les avoir laissé exposées aux injures de l'air, on y mêle soit du fumier, soit du sable, du gravier, de la marne, de la craie, de la chaux vive, de la recoupe de pierre, des fragmens de briques, &c. en un mot tout ce qu'on trouve plus à sa portée, & qui est plus propre à diviser la glaise, & à mettre de l'intervalle entre les parties qui la composent. On prétend qu'en Angleterre on se sert avec le plus grand succès du sable de la mer pour fertiliser les terreins glaiseux.

C'est à la propriété que la glaise a de retenir les eaux & de ne point leur donner passage, que sont dûes la plûpart des sources & des fontaines que nous voyons sortir de la terre. Les eaux du ciel lorsqu'elles sont tombées sur la terre, se filtrent au travers des couches de sable, de gravier, & même des pierres qui la composent, & continuent à passer jusqu'à-ce qu'elles se trouvent arrêtées par des couches de glaise ; alors elles s'y amassent, & vont s'écouler par la route la plus commode qui leur est présentée. C'est cette même propriété de la glaise qui fait qu'on s'en sert pour garnir le fond des bassins, canaux & réservoirs dans lesquels on veut retenir les eaux ; quand on la destine à cet usage, on a soin de la bien diviser & hacher en tout sens avec des beches & d'autres instrumens tranchans, de peur qu'il ne s'y trouve quelque plante ou racine qui, en se pourrissant par la suite, ne fournisse aux eaux qui cherchent à s'échapper, un passage qui, quoique petit dans son origine, ne tarderoit pas à devenir bien-tôt très-considérable.

Il faut aussi rapporter l'expérience qui se trouve dans l'histoire de l'académie des sciences de Paris, année 1739, pag. 1. Il y est dit que l'argille des Potiers lavée, exposée à l'air, & imbibée d'eau de fontaine, a acquis au bout de quelques années la dureté d'un caillou ; on prétend que l'on a observé la même chose en Amérique sur la terre glaise qui se trouve le long des bords de la mer ; M. Pott attribue ce phénomene à l'écume grasse de la mer.

La glaise se trouve ordinairement par lits ou par couches qui varient pour l'épaisseur & pour les autres dimensions ; ces couches sont assez souvent remplies de pyrites & de marcassites : cette terre ne se rencontre pas seulement à la surface, mais même à une très-grande profondeur. La terre grasse appellée besteg par les mineurs allemands, qui sert d'enveloppe à un grand nombre de filons métalliques, & qui suivant leur langage contribue à les nourrir, est une vraie glaise chargée de beaucoup de substances étrangeres & minérales.

La glaise pure, lorsqu'elle est seche, a une grande disposition à imbiber les matieres huileuses & grasses ; cette propriété fait qu'on s'en sert pour faire les pierres à enlever les taches des habits, qu'on nomme pierres à détacher.

Les terres bolaires dont l'usage est si connu dans la Medecine, ne sont que des terres glaiseuses ou des argilles très-fines, comme on s'en apperçoit en ce qu'elles s'attachent à la langue, & fondent comme du beurre dans la bouche ; elles sont quelquefois colorées par une portion plus ou moins grande de fer qu'elles contiennent. On a pû déjà voir dans cet article que les acides n'agissent point sur les terres argilleuses ou glaises ; si ces dissolvans ne peuvent les dissoudre, il n'y a guere lieu de croire que ceux qui se trouvent dans l'estomac produisent cet effet ; ne pourroit-on pas conclure de là qu'il y a beaucoup d'abus dans l'usage des terres bolaires & terres sigillées, qui ne sont que de vraies glaises mêlées quelquefois de parties ferrugineuses ? Si ces terres ne se dissolvent point dans les premieres voies, elles ne peuvent que fatiguer l'estomac sans passer dans l'économie animale ; s'il s'y en dissout une partie, c'est une preuve que la terre bolaire étoit mêlée d'une portion de terre absorbante ou calcaire ; & alors il vaudroit mieux employer des absorbans purs, & dont on fût assûré, tels que la craie lavée, les yeux d'écrevisses, &c. Si c'est à la partie martiale qu'on attribue les vertus des terres bolaires, il seroit beaucoup plus simple d'employer des remedes martiaux dont la Chimie pharmaceutique fournit un si grand nombre. (-)


GLAIVES. m. (Hist. mod.) Droit de glaive, dans les anciens auteurs latins & dans les lois des normands, signifie la jurisdiction suprème. Voyez JURISDICTION.

Cambden dans sa Britannia, dit que le comté de Flint est du ressort de la jurisdiction de Chester : comitatus Flint pertinet ad gladium Cestriae ; & Selden, tit. des honneurs pag. 640. Curiam suam liberam de omnibus placitis, &c. exceptis ad gladium ejus pertinentibus.

Quand on crée un comte en Angleterre, il est probable qu'on le ceint d'un glaive pour signifier par cette cérémonie qu'il a jurisdiction sur le pays dont il porte le nom. Voyez COMTE. Chambers.


GLAMORGANSHIREGlamorgama, (Géog.) province d'Angleterre dans la principauté de Galles, d'environ 112 milles de tour, & de 54 mille arpens. Sa partie méridionale est appellée le jardin du pays de Galles ; Cardiff en est la capitale. Elle contient 118 paroisses, & neuf villes ou bourgs à marchés. Le canal de Bristol la baigne au sud. On voit dans cette province les restes de Caër-phili-Castle, que quelques-uns prennent pour le Bullaeum silurum, & qu'on regarde en général comme les plus célebres ruines de l'ancienne architecture qu'il y ait dans la grande-Bretagne. (D.J.)


GLANDS. m. GLANDÉE, s. f. (Jard.) gland est le fruit du chêne ; glandée est la recolte du gland.

GLAND, en Anatomie, signifie le bout ou le bouton de la verge de l'homme, ou cette partie qui est couverte du prépuce, & que l'on appelle en latin balanus. Voyez les Planch. anat.

Le gland n'est qu'une dilatation de l'extrémité de la substance spongieuse de l'urethre qui est formée en bosse, & rebroussée aux deux bouts coniques des corps caverneux qui aboutissent à cet endroit. Voyez URETHRE, VERGE, &c.

L'extrémité du prépuce est sujette à s'étrecir dans les vieillards au point de ne pouvoir contenir le gland, ce qui vient peut-être du défaut d'une fréquente érection. Voyez PREPUCE & ERECTION.

On se sert aussi du terme de gland pour signifier le bout ou l'extrémité du clitoris, par rapport à sa ressemblance avec le gland de la verge de l'homme, l'un & l'autre ayant la même figure, & étant destinés aux mêmes fonctions. Voyez Planch. anat. Voyez aussi CLITORIS.

La principale différence qu'il y a entr'eux, c'est que le gland du clitoris n'est point percé ; il est couvert aussi d'un prépuce. Chambers. (L)

Quelquefois le gland ne se montre point ouvert aux enfans nouveaux nés, soit par une membrane qui placée au bout de l'urethre ferme le passage à l'urine, soit parce que l'on n'apperçoit aucune marque d'urethre ; il y en a des exemples par-tout, dans Ronssaeus, Doderic-à-Castro, Vander-Wiel, & autres ; ces deux vices de naissance demandent un prompt secours.

Quelquefois le trou de l'extrémité de l'urethre est si petit, que l'urine sort par ce trou goutte-à-goutte, & quelquefois découle en plus grande quantité par une autre partie du corps comme le périnée.

Quelquefois on rencontre cette seconde ouverture à quelqu'autre partie du pénis, outre celle du gland, ensorte que l'urine passe par deux issues ; je trouve des observations du gland ou de la verge percée de deux trous, dans Vesale, anatom. lib. V. chap. 14. Hilden, cent. j. observ. xiij. Plateri observ. lib. III. Borelli observ. medicar. cent. jv. observ. xiij. &c.

Enfin il arrive quelquefois que le gland est percé ailleurs que dans l'endroit ordinaire, comme au-dessous, au-delà du filet, au milieu de la verge, & même on a vû la perforation de l'urethre se rencontrer près du bas-ventre, ce qui rend ceux qui sont dans ce dernier cas inhabiles au mariage.

L'imperforation du gland demande d'abord qu'on s'en apperçoit la main adroite, éclairée & les instrumens de la chirurgie ; on fait avec la lancette l'ouverture nécessaire jusqu'à-ce que l'urine coule, & cette ouverture est facile, lorsque l'imperforation ne consiste que dans la peau qui couvre le gland ; quand les parois de l'urethre sont adhérantes, on doit observer de faire l'ouverture plus grande que petite, & d'introduire ensuite une petite cannule de plomb dans l'incision afin de former une cicatrice plus égale.

Si l'urine coule goutte-à-goutte, parce que le trou du gland est trop petit, il faut l'élargir aux deux extrémités avec la lancette ou la pointe du bistouri, & puis introduire la petite cannule de plomb pour la même raison que nous venons d'alléguer.

Si le gland n'est point percé dans l'endroit ordinaire, mais au-dessous, au-delà du filet, & même plus loin, il est très-difficile de remédier à ces facheux défauts de conformation ; il faut en méditer long-tems la méthode curative, & rassembler toutes les lumieres de l'art pour l'enrichir par de nouveaux progrès ou par de nouveaux doutes ; car les doutes conduisent à la science. (D.J.)

GLAND, en terme de Tabletier-Cornetier, est une espece de pince de bois dont les mâchoires sont plates & quarrées ; c'est avec le gland que l'on tient le peigne pour le travailler.

GLAND, en terme de Marchand de modes, sont deux branches faites en demi-cercle de souci d'hanneton, de noeuds de soie, de bouclé, & que l'on met dans les garnitures aux creux ou vuides formés par les festons ; ces glands sont faits par les Rubaniers. Voy. RUBAN.

GLAND, (Rubanier) est une espece de bouton couvert de perles ou de longs filets d'or, d'argent, de soie, de laine ou de fil, avec une tête ouvragée de la même matiere, & des filets pendans ; ce sont les Tissutiers-Rubaniers-Frangiers qui les fabriquent.


GLANDES. f. terme d'Anat. Les glandes sont des parties d'une forme particuliere, qui résultent de l'assemblage des plus petits vaisseaux de tous genres, arteres, veines, nerfs, & quelquefois des vaisseaux excréteurs & des lymphatiques. Elles sont renfermées dans des membranes particulieres ; elles different entr'elles par la figure, la couleur, & la consistance, & sont pour la plus grande partie destinées à séparer de la masse du sang quelques liqueurs particulieres. Voyez SANG & HUMEUR.

Les anciens ont cru que les glandes ne servoient que comme d'un coussinet pour soûtenir les parties voisines, ou d'éponge pour en absorber les humidités superflues ; d'autres après eux les ont regardées comme des citernes qui contiennent des fermens, qui venant à se mêler avec le sang le jettent dans une fermentation, durant laquelle il se décharge de quelques-unes de ses parties par les conduits excrétoires qu'elles contiennent.

Les modernes croyent que les glandes sont les organes qui servent à séparer les fluides pour les usages du corps, & ils les ont regardées comme des filtres dont les pores ayant différentes figures, ne donnent passage qu'aux parties similaires. Voy. FILTRATION.

Les auteurs des derniers siecles ont considéré les glandes comme des cribles dont les trous étant de différentes grosseurs, quoique de même figure, ne donnent passage qu'aux parties dont le diametre est moindre que le leur.

Les glandes paroissent à l'oeil des especes de corps blancs & membraneux, composés d'une enveloppe ou tégument extérieur qui renferme un tissu vasculaire. Leur nom vient de la ressemblance qu'elles ont avec les glands que les Latins appellent glandes.

On a découvert à l'aide de la dissection ou du microscope que les glandes sont des véritables tissus ou pelotons de vaisseaux différemment entre-lacés ; mais les anatomistes modernes, & Malpighi, Bellini, Wharton, Nuck, Peyer, &c. ont été plus avant, & ont découvert qu'elles ne sont que des circonvolutions continuelles des arteres capillaires. Voyez ARTERE.

Voici quelle paroît être leur formation, une artere étant arrivée à un endroit, elle se divise en un nombre infini de branches ou de ramifications extrèmement déliées qui forment différentes circonvolutions & des contours, desquelles naissent des nouveaux rameaux ou vésicules qui forment des veines, qui venant à se joindre un peu plus loin, se terminent en des branches un peu plus grosses.

Toutes ces ramifications, tant des veines que des arteres, forment des pelotons, & forment différentes circonvolutions, des angles desquels sortent plusieurs autres vaisseaux déliés qui constituent la partie la plus essentielle de la glande.

Le sang étant porté du coeur par l'artere dans le plexus glanduleux, parcourt tous les tours & les détours de sa partie artérielle, jusqu'à-ce qu'étant arrivé à sa partie veineuse, il retourne de nouveau au coeur. Tandis qu'il circule dans les replis artériels & veineux, il s'en absorbe une partie dans les orifices des petits tubes qui sortent de leurs courbures.

Ce qui entre de ce fluide dans ces conduits, que l'on peut appeller conduits secrétoires, est reçû par d'autres qui en sortent : ceux-ci venant à s'unir, composent un seul canal appellé conduit excrétoire ; qui sortant du corps de la glande, conduit la matiere séparée dans un reservoir destiné à la recevoir. Voyez EMONCTOIRE.

Les vaisseaux secrétoires aboutissent quelquefois eux-mêmes à un reservoir où ils déposent la liqueur qu'ils contiennent. Telle est la structure générale & l'office des glandes, que nous éclaircirons plus au long au mot SECRETION.

Une glande est donc un amas de différentes especes de vaisseaux ; savoir, une artere & une veine, des conduits secrétoires & excrétoires, auxquels on peut ajoûter un nerf que l'on trouve dans chaque glande, qui est répandu dans toute sa substance, afin de lui fournir les esprits nécessaires pour hâter la secrétion ; & une membrane qui soûtient les circonvolutions de la veine & de l'artere, & les accompagne dans toutes leurs divisions les plus déliées ; enfin des vaisseaux lymphatiques que l'on a découverts dans plusieurs glandes. Voyez VEINE, ARTERE, NERF, SECRETOIRE, EXCRETOIRE, MPHATIQUEIQUE.

On considére les conduits secrétoires comme les principaux organes de la glande ; car eux seuls composent quelquefois la plus grande partie de ce que nous appellons glandes ou corps glanduleux.

M. Winslow croit avoir découvert une espece de duvet au-dedans de leurs cavités, qu'il imagine faire l'office d'un filtre, & servir à séparer une certaine humeur de la masse commune du sang. Nous exposerons son sentiment quand nous traiterons de la secrétion.

Il y a différentes especes de glandes par rapport à leurs formes, leurs structures, leurs fonctions & leurs usages : on les divise pour l'ordinaire en conglobées & en conglomérées. Les glandes conglobées ou simples, sont composées d'une substance continue, & ont une surface égale.

Les glandes conglomérées ou composées, sont un amas irrégulier de plusieurs glandes simples, renfermées dans une même membrane. Telles sont les glandes maxillaires.

Toutes les liqueurs séparées du sang au moyen de ces glandes ont toutes différens caracteres ; aussi observe-t-on une structure différente dans chacune de ces glandes ; les conglobées paroissent sur-tout destinées aux vaisseaux lymphatiques. Voyez LYMPHATIQUES.

La synovie ou l'humeur bitumineuse des articulations est séparée par une espece de glande conglomérée d'une structure particuliere. Voyez SYNOVIE & SYNOVIAL.

Les liqueurs qui ne se coagulent point, sortent immédiatement des arteres exhalantes. Voyez ARTERE.

La salive est séparée par des glandes conglomérées que les anciens ont si bien distinguées des autres, à cause de leur réunion en forme de grappe de raisin. Voyez SALIVE.

Les humeurs muqueuses sont séparées presque partout dans les sinus ou les glandes creuses auxquelles on donne particulierement le nom de follicule & de crypte. Voyez FOLLICULE & CRYPTE.

Elles sont encore séparées par d'autres glandes appellées conglutinées, & par d'autres qu'on nomme composées & par les attroupées. Voyez COMPOSEES & ATTROUPEES.

Les glandes sébacées séparent particulierement toutes les liqueurs inflammables.

On divise aussi les glandes en aventurines & en glandes perpétuelles.

On appelle aventurines les glandes qui viennent quelquefois sous les aisselles ou au cou. Telles sont les écroüelles & les tumeurs qui viennent au larynx & dans le milieu de la trachée artere.

Les glandes perpétuelles ou naturelles sont de deux especes, conglobées ou conglomérées ; nous les avons décrites ci-dessus. Voyez CONGLOBEE & CONGLOMEREE.

Glandes buccales, voyez BUCCALE.

Glandes maxillaires, voyez MAXILLAIRE.

Glandes sublinguales, voyez SUBLINGUALE.

Glandes labiales, voyez LABIALE.

Glandes palatines, voyez PALATINE.

Glandes cerumineuses, voyez CERUMINEUX.

Glandes bronchiales, voyez BRONCHES.

Glandes sebacées, voyez SEBACEE.

Glandes jugulaires, voyez JUGULAIRE.

Glandes axillaires, voyez AXILLAIRE.

Glandes inguinales, voyez INGUINALE.

Glandes parotides, voyez PAROTIDE.

Glandes de Brunner, glandes de Peyer, voyez INTESTINAL, PEYER, & BRUNNER.

Glandes mesenteriques, voyez MESENTERIQUE.

Glandes sacrées, voyez SACREE.

Glandes iliaques, voyez ILIAQUE.

Glandes hépatiques, voyez HEPATIQUE.

Glandes cistiques, voyez CISTIQUE.

Glandes spleniques, voyez SPLENIQUE.

Glandes lacrymales, voyez LACRYMALE.

Glandes lombaires, sont trois glandes auxquelles Bartholin a donné ce nom, parce qu'elles sont couchées sur les reins. Voyez REINS.

Les deux plus grandes sont posées l'une sur l'autre, entre la veine cave descendante & l'artere, dans l'angle formé par les émulgentes avec la veine cave. La troisieme qui est la plus petite, est posée sur la premiere sous les appendices du diaphragme. Elles communiquent entr'elles par des petits vaisseaux lactiferes. Bartholin veut qu'elles servent de reservoir commun au chyle ; mais le docteur Warthon soûtient une opinion plus probable, savoir, qu'elles tiennent lieu des grosses glandes que l'on trouve dans le mesentere des animaux.

Glandes miliaires, voyez MILIAIRE.

Les glandes mucilagineuses ou synoviales, sont des glandes dont Havers a donné le premier la description. Voyez MUCILAGINEUX, NOVIALEIALE.

Glandes muqueuses, voyez MUQUEUX.

Glandes odoriferes, sont certaines petites glandes découvertes par Tyson anatomiste anglois, dans la partie de la verge où le prépuce est contigu au gland. Voyez PREPUCE.

Tyson leur a donné ce nom à cause de l'odeur forte que jette leur liqueur quand elle est séparée. Il y a des gens en qui ces glandes sont non-seulement en plus grande quantité, mais encore plus grosses, & séparent une plus grande quantité de liqueur, qui y demeurant, lorsque le prépuce est plus long qu'à l'ordinaire, fermente souvent, s'aigrit, & ronge les glandes. Ces glandes sont très-remarquables dans plusieurs animaux à quatre piés, sur-tout dans les chiens & dans le porc.

Glande pinéale, voyez PINEALE.

Glande pituitaire, voyez PITUITAIRE.

Glandes renales, appellées autrement capsules atrabilaires, sont deux glandes dont Eustachi a fait la découverte, & qui sont situées entre l'aorte & les reins, un peu au-dessus des vaisseaux émulgens. Leur situation & leur figure varient ; car dans les uns elles sont rondes, dans les autres quarrées, triangulaires, &c. Celle qui est à droite est ordinairement plus grosse que celle qui est à gauche ; elles sont enveloppées de graisses : on ignore leur véritable usage. On croit qu'elles servent à séparer une liqueur du sang artériel avant qu'il arrive aux reins. Voyez ATRABILAIRE & VENALE. (L)

GLANDE, (Physiol. & Pathol.) voyez SECRETION.

GLANDES, (Manége, Maréchall.) corps ou corpuscules le plus souvent de figure ronde ou ovalaire, formés en général par l'entre-lacement, le concours, les plis & les replis des vaisseaux capillaires de toute espece, c'est-à-dire des tuyaux artériels, veineux, lymphatiques, nerveux & excrétoires.

Si les fluides successivement altérés par une circulation constante & par un broyement continuel, & devenus enfin inutiles & nuisibles, ne s'échappoient par quelque voie ; fi, ensuite de cette dépuration, il ne se faisoit pas un renouvellement par l'association de nouveaux sucs, capables d'en réparer la perte, les forces & la vie des corps animés seroient bien-tôt éteintes, & les mêmes causes qui en assûrent la conservation en hâteroient inévitablement la ruine. Une suite de mouvemens d'où naissent également & l'énergie & la dégénération des liquides, demandoit donc des filtres, des couloirs, des organes, en un mot, secrétoires & excrétoires propres à les élaborer, à les séparer de la masse, & à les disposer, ou à s'y mêler de nouveau, ou à y rentrer en partie, ou à en être entiérement expulsés, & telle est la fonction des glandes dans le corps des hommes & des animaux.

Il en est de trois sortes dans le cheval : nous les distinguons non-seulement relativement à leur structure, mais encore relativement à leurs usages.

Celles qui composent la premiere classe, ne méritent pas proprement le nom de glandes ; elles peuvent être envisagées comme des cryptes, des follicules glanduleux. Ces petits corpuscules presque imperceptibles n'ont qu'une membrane simple, cave, au-dedans de laquelle une humeur particuliere est filtrée par un émissaire. Ils n'en sont que les dépositaires, & n'en changent point la nature ; & si à sa sortie de ces réservoirs, placés principalement dans tous les endroits du corps qui sont exposés aux injures de l'air, ou à des frottemens, ou à l'irritation que peuvent occasionner des matieres acres ; elle paroît différente de ce qu'elle pouvoit être dans le torrent où elle recevoit un mouvement qui entretenoit sa fluidité ; cette différence, ce changement ne consiste que dans un épaississement & un degré de consistance qu'elle n'a acquis que par son séjour dans le follicule, ou par son épanchement dans quelque cavité ; épanchement qui a lieu par plusieurs pores ouverts à la superficie des cryptes, & qui ne differe en aucune maniere de l'écoulement insensible d'une liqueur qui suinte.

Le second genre de glandes comprend les glandes conglobées ; celles qui sont moins simples se présentent sous une forme ovalaire, ou d'une longueur oblongue ; elles résistent à la pointe du scalpel ; elles sont liées & adhérentes aux parties voisines par un tissu cellulaire & par les tuyaux qui les forment, & qui sont une suite du système vasculeux. Rassemblées quelquefois en un même lieu, elles sont néanmoins distinctement séparées les unes des autres. Des lacis, des circonvolutions capillaires de vaisseaux de toute espece en composent, ainsi que je l'ai dit, la principale substance. Du tissu que forment ces petits vaisseaux qui y entrent & qui en sortent, résulte leur tunique extérieure qui est extrêmement déliée & étroitement unie à l'interne, naturellement plus épaisse & plus compacte, dont les fibres ont toutes sortes de directions, & qui doit pareillement sa naissance à ces canaux minces, entre-lacés, pelotonnés. Les fibres de la premiere sont circulaires, élastiques ; elles entourent de toutes parts la glande, de maniere qu'elles operent sur elle un resserrement, une compression. Je croirois que les fibres de la seconde peuvent avoir les mêmes usages.

Les glandes de cette espece ne séparent aucune liqueur ; elles préparent la lymphe, elles la perfectionnent ; elles sont à l'égard des vaisseaux lymphatiques, ce que les ganglions sont à l'égard des tuyaux nerveux, & cette humeur y est affinée, attenuée, élaborée par l'action de leurs membranes capsulaires, & de tous les petits vaisseaux qui s'y rendent.

Celles de la troisieme classe sont dites conglomérées ; elles sont formées de la réunion & de l'assemblage de plusieurs glandes liées entr'elles par des vaisseaux communs, & renfermées dans une seule & même membrane, qui fait de ce nombre de grains glanduleux un seul & même organe. Chacun de ces grains, ou quoi que ce soit, chacune de ces petites glandes n'est également qu'un amas de toutes sortes de vaisseaux circonvolus. De l'extrémité des arteres qui après plusieurs contours s'anastomosent avec les veines, partent des vaisseaux collatéraux. Le diametre de ceux-ci est d'une telle ténuité, qu'ils ne peuvent se charger des molécules rouges qui continuent leur route dans les tuyaux veineux. Ils n'admettent donc que la liqueur qui doit être séparée ; aussi les distingue-t-on par le nom de vaisseaux secrétoires, tandis que le tuyau commun & plus ou moins considérable qui naît de la jonction de ces mêmes petits conduits secréteurs, est appellé canal excrétoire, attendu qu'il verse & qu'il dépose la liqueur qu'il en a reçû dans quelque reservoir particulier, dans quelque cavité commune, ou qu'il la porte & la transmet au-dehors. Tels sont, par exemple, les canaux que Stenon, Warton, Rivinus, Wirsungus, ont découverts dans l'homme, & que nous trouvons dans le cheval : tels sont encore le canal hépatique, les ureteres, les canaux déférens, &c.

On conçoit que les glandes conglobées n'étant chargées de l'ouvrage d'aucune secrétion, n'ont proprement aucuns canaux secrétoires & excrétoires : & leur ministere étant borné à l'affermissement des vaisseaux lymphatiques, à l'affinement & à l'atténuation de la lymphe, il s'ensuit que les secrétions & les excrétions s'operent formellement par le secours des glandes conglomerées, & à l'aide des cryptes ou des follicules glanduleux.

La premiere classe des glandes contient les cérumineuses ; les glandes de Meibomius, les labiales, les buccales, les linguales, les épiglottiques, les bronchiques ; les glandes du ventricule, les molaires, les palatines, les oesophagiennes, les laryngiennes, les pharyngiennes ; les glandes des intestins, de l'uterus, les synoviales de Clopton Havers, les sebacées, les muqueuses, les odoriférantes de Tyson, les botriformes du vagin, & celles de l'urethre.

La seconde comprend les jugulaires, les sous-scapulaires, les maxillaires, les mesentériques, les lombaires, les iliaques, les sacrées, les inguinales ; les glandes de Cowper, & la glande de Littre.

Enfin la troisieme sera composée de la glande lacrymale, des parotides, vulgairement appellées avives, de la glande innominée, des maxillaires, des sublinguales, des glandes des mammelles, du foie, du pancreas, des reins & des prostates.

Au surplus, l'impossibilité de constater précisément le genre de la glande pinéale, des deux thyroïdes, du thymus, & des capsules atrabilaires, & l'ignorance dans laquelle nous sommes de leurs véritables usages m'engageroient à créer une quatrieme classe de glandes, que je nommerois glandes anomales. Mais la glande pituitaire est fongueuse, poreuse ; elle absorbe l'humeur qui vient par l'infundibulum. Dans quelle cathégorie la mettre ? Enfin, où placer les testicules qui forment des glandes conglobées, quand on en considere la structure, & des glandes conglomérées, lorsque l'on en envisage les fonctions ? (e)


GLANDÉ(Manége, Maréchall.) adjectif employé seulement dans le cas de tuméfaction des glandes maxillaires & sublinguales, & non dans le cas de l'engorgement des autres. Voyez GANACHE, GOURME, MORVE, &c.

L'état contre nature de ces glandes annonce ordinairement, ou que l'animal n'a pas jetté, ou quelques maladies plus ou moins dangereuses ; quelques maquignons ont recours à un artifice peu connu pour tromper l'acheteur sur ce point. Aussi-tôt qu'ils s'apperçoivent en effet que celui-ci cherche à s'assûrer par le tact de la situation actuelle de ces corps glanduleux, ils glissent subtilement un doigt sur les barres pour exciter la langue à toutes sortes de mouvemens, & pour solliciter spécialement l'animal à la tirer hors de la bouche. Or dans cette action, & dans la plûpart des autres, la base ou la racine de cette partie se trouvant élevée, elle entraîne nécessairement avec elle celles qui y sont comme attenantes, & dès-lors les glandes dont il s'agit, ou s'évanoüissent, ou semblent perdre beaucoup de leur volume, en s'enfonçant dans l'auge. (e)


GLANDEVEGlanatica ou Glanaliva ; (Géogr.) c'étoit autrefois une ville de France en Provence, érigée dans le moyen âge ; mais maintenant ruinée. Elle étoit sur le Var, au pié des Alpes, aux confins du comté de Nice, & à 8 lieues N. O. de Nice. Il ne reste plus rien de l'ancienne ville de Glandeve que la maison de l'évêque, qui est suffragant d'Embrun. On ne compte qu'environ cinquante paroisses dans son diocèse ; mais il y en a une dont le nom est devenu immortel, parce que M. de Peyresc, l'un des plus doctes & des plus vertueux hommes de son tems, l'a porté. Il mourut à Aix en 1637, âgé de cinquante-sept ans. Gassendi a écrit sa vie, & c'est un chef-d'oeuvre en ce genre. Long. de Glandeve détruit par les débordemens du Var. 24d. 38'. latit. 43d. 59. (D.J.)


GLANDULES. f. (Jardin.) petite glande par laquelle sort l'humeur trop visqueuse, afin que le suc qui reste dans l'intérieur de l'arbre soit plus nourrissant.


GLANDULEUXadj. (Anatomie) composé de glandes. Voyez GLANDE.

Les mammelles sont des corps glanduleux. Voyez MAMMELLE.

La substance corticale du cerveau est glanduleuse, à ce qu'on croit communément ; mais Ruysch qui a fait de si belles découvertes, au moyen de ses injections admirables, prétend qu'il n'y a aucune glande dans cette partie. Voyez CERVEAU. Les anciens distinguoient une espece de chair particuliere, qu'ils appelloient chair glanduleuse. Voyez CHAIR.

Corps glanduleux, qu'on nomme plus communément prostates. Voyez PROSTATES. (L)


GLANERverbe act. & neut. (Jardinage) se dit ordinairement des grains tombés dans un champ moissonné, que les femmes viennent chercher après que les gerbes sont liées.

Ce mot est synonyme à grappiller, dont on se sert en parlant des personnes qui viennent visiter une vigne après que la vendange est faite. (K)


GLARIS(LE CANTON DE-) Glaronensis pagus, (Géog.) le huitieme des cantons suisses, borné E. par les Grisons, S. par le canton de Schwitz, O. par celui d'Uri, N. par la riviere de Limat. C'est un pays qui n'offre qu'affreuses montagnes, & dont le seul commerce consiste en fromages nommés schabziger. Les Suisses s'emparerent de ce pays sur les Autrichiens, & en firent un canton qui n'a guere plus de six lieues de long sur cinq de large : Zuingle y a établi le protestantisme. Le gouvernement y est démocratique, & les élections se font au sort. Le sénat est composé de soixante-deux personnes, du nombre desquelles président le landaman, & le pro-consul appellé vulgairement le lands-statthalter ; & ces deux présidens ne sont jamais de la même religion. Glaris est la capitale de ce canton. (D.J.)

GLARIS, Glarona, (Géog.) ville de Suisse, chef-lieu du canton de même nom : c'est aujourd'hui où se tiennent les assemblées générales du canton, auxquelles chaque personne âgée de seize ans est obligée d'assister le sabre au côté. Glaris est composé de catholiques & de zuingliens, qui y sont encore plus nombreux que les catholiques ; ils font le service divin tour-à-tour dans la même église, & vivent cordialement ensemble : car la diverse maniere d'envisager les mysteres de la religion, ne doit point être un obstacle à la paix & à l'union fraternelle. La ville de Glaris est sur la petite riviere de Lintz, à dix lieues N. E. de Schwitz, neuf N. O. de Coire, treize S. E. de Zurich. Longit. 26, 48. latit. 47. 6. (D.J.)


GLAS-HUTTEN(Géog.) bourg de la haute Hongrie, à trois lieues de Chemnitz, remarquable par ses excellens bains chauds, dont Tollius a fait un détail curieux. Le mot Glas-Hutten est allemand, & signifie des verreries : mais les Hongrois donnent à ce même lieu le nom de Téplitz, à cause de ses bains ; & c'est aussi sous cette dénomination qu'ils sont le plus connus. (D.J.)


GLASCOWGlarona, (Géog.) ville d'Ecosse dans la province de Clydale, avec une célebre université ; elle étoit autrefois archi-épiscopale : la cathédrale subsiste encore, & c'est un beau morceau d'Architecture. On appelle Glascow le paradis d'Ecosse. Il s'y fait un grand commerce, à cause de son port & de son havre ; elle est sur la Clyde, à quatre lieues S. O. de Dumbarton, quatorze O. d'Edimbourg, six de Sterling, cent-quatorze N. O. de Londres. Longit. 13. 36. latit. 56. 20.

Cette ville a produit plusieurs gens éminens dans les Sciences ; je n'en nommerai que deux qui se présentent à ma mémoire, Cameron & Spootswood. Le premier s'est distingué par ses remarques sur le nouveau testament, qui sont également savantes & judicieuses ; il mourut à Montauban vers l'an 1625 à quarante-six ans. Spootswood devint archevêque de Saint-André, & primat de toute l'Ecosse : il couronna Charles I. en 1633, fut lord chancelier, & mourut en 1639, âgé de soixante-quatorze ans. On a de lui une histoire ecclésiastique d'Ecosse fort estimée ; elle s'étend depuis l'an 203 de J. C. jusqu'en 1624. (D.J.)


GLASTENBURIou GLASTON, (Géog.) bourg d'Angleterre au comté de Sommerset : c'étoit autrefois une ville & une abbaye très-célebre, où plusieurs rois, & entr'autres le roi Arthur, ont été inhumés. Les mémoires de cette abbaye la donnent pour la plus ancienne église d'Angleterre. Voyez le monastic. anglicanum, & l'hist. de l'ordre de S. Benoît.

On trouve à Glastenburi plusieurs pyramides antiques dont Guillaume de Malmesbury fait mention : mais comme les inscriptions ne sont pas entieres, on ne peut que conjecturer foiblement par qui, quand, & comment elles ont été construites. Voyez Cambden. (D.J.)


GLATZ(Géog.) comté de Bohème fertile en eaux minérales : on y trouve quelques mines d'argent, du fer, du charbon de terre, & beaucoup de bois ; Glatz en latin moderne Glatinum, en est la ville capitale, & a pour sa défense un bon château sur la montagne. Elle est au bord de la Neisse & aux frontieres de la Silésie, à seize lieues S. O. de Breslaw, trente-six N. O. de Prague, cinquante-deux N. de Vienne. Longit. 34. 32. latit. 50. 25. (D.J.)


GLAUCHENou GLAUCHAU, (Géog.) petite ville d'Allemagne, en partie dans la Misnie & en partie dans le Voigtland sur la Mulde, à neuf milles de Leipsick. Long. 30. 10. latit. 50. 54.

Georges Agricola a bien autrement illustré Glauchen sa patrie, que le château des barons de Schonburg, qui a été bâti pour décorer cette ville. Non-seulement Agricola a surpassé tous les anciens dans la science des métaux, mais il a frayé aux modernes la route des connoissances dans cette partie, par son admirable ouvrage de re metallicâ, dont la premiere édition est de Bâle, en 1561, in-fol. & la meilleure en 1657. Ce profond minéralogiste mourut à Chemnitz le 21 Novembre 1555, âgé de soixante-un ans. (D.J.)


GLAUCOIDESS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de six pétales arrondis, disposés en rond, & soûtenus, comme dans la salicaire, par un calice fait en forme de bassin : ce calice est grand à proportion de la fleur ; il est découpé en douze rayons, & il a deux petits appendices à l'extérieur de la base. Le pistil sort du milieu de la fleur, & devient dans la suite un fruit ou une coque arrondie formée par une petite membrane très-mince & transparente. Le fruit est divisé en deux loges par une cloison ; & il renferme des semences très-petites pour l'ordinaire & triangulaires, qui ressemblent en quelque façon à des têtes de vipere, & qui sont attachées au placenta : ces fleurs & ces fruits ont été observés au microscope. Nova plant. amer. gen. &c. par M. Micheli. (I)


GLAUCOMES. m. (Medecine) , glaucoma, de , glaucus, qui signifie une couleur mêlée de verd & de blanc, ou ce qu'on appelle la couleur de mer ; c'est le nom d'une maladie des yeux, sur le siége de laquelle les auteurs ne s'accordent point.

Les uns prétendent que c'est une lésion particuliere du crystallin, qui consiste dans une sorte de dessechement de cet organe : de ce nombre est Maître-Jan, avec la plûpart des anciens, qui regardent cette maladie comme une sorte de cataracte fausse.

Les autres veulent que ce soit un vice du corps vitré, qui est devenu opaque de transparent qu'il est naturellement : ensorte que l'épaississement de l'humeur contenue dans les cellules de ce corps, le rend disposé à réfléchir les rayons de lumiere qui devroient le traverser, pour porter leurs impressions sur la rétine ; & de cette réflexion contre nature résulte la couleur mentionnée, qui donne son nom à cette maladie.

Ce dernier sentiment est adopté par la plûpart des modernes, tels qu'Heister & les plus savans oculistes de nos jours : il paroît ne devoir être susceptible de fournir aucun lieu de doute, si l'on fait attention que tous les auteurs tant anciens que modernes, se réunissant en ce point de regarder cette maladie comme incurable, sur-tout par les secours de la Chirurgie, ce jugement ne peut tomber que sur le corps vitré, qui ne peut point être enlevé : au lieu que dans quelque état que soit le crystallin, il semble qu'on peut toûjours tenter de l'abattre, ou mieux encore d'en faire l'extraction, & de rétablir la vûe qui peut subsister sans lui, pourvû qu'il n'y ait point de communication de ses lésions avec la partie du corps vitré dans lequel il est enchâssé.

D'ailleurs le glaucome semble être toûjours facile à distinguer de la cataracte, en ce que la couleur contre nature qui le caractérise, est réfléchie d'une surface profonde, éloignée derriere la pupille : au lieu que les couleurs de la cataracte sont superficielles & tout proche des bords de l'uvée.

Quoi qu'il en soit, la maladie caractérisée par le symptome essentiel du glaucome, est presque toûjours une maladie incurable ; parce qu'on s'apperçoit rarement de son commencement ; tems auquel on pourroit combattre l'épaississement qui forme, par les fondans mercuriels & les autres remedes appropriés, pour rendre la fluidité aux humeurs viciées ou les détourner de la partie affectée. Voyez OEIL, CRYSTALLIN, VITRE (CORPS-) (d)

Ceux en qui cette maladie commence à se former, s'imaginent voir les objets à-travers d'un nuage ou de la fumée ; & quand elle est entierement formée, ils n'apperçoivent aucune lumiere, & ne voyent plus rien.

Les anciens qui pensoient que la cataracte n'étoit qu'une pellicule formée dans l'humeur aqueuse, regardoient le glaucome ou opacité du crystallin comme une maladie incurable. Actuellement qu'on a des connoissances positives sur le caractere de la cataracte, on donne le nom de glaucome à l'induration contre nature & à l'opacité du corps vitré.

Elle peut passer pour incurable dans les personnes âgées, & même dans d'autres circonstances elle est extrêmement difficile à guérir, les remedes externes n'étant d'aucune utilité, & les internes n'offrant pas de grandes ressources : ceux qui paroissent convenir le plus, sont ceux dont on se sert dans la goutte sereine. Voyez GOUTTE SEREINE. Julius Caesar Claudinus, consult. 74. donne un remede pour le glaucome.

Maître-Jan, dans son traité des maladies de l'oeil, distingue ainsi le glaucome de la cataracte. Le glaucome, selon lui, est une altération toute particuliere du crystallin, par laquelle il se desseche, diminue de volume, change de couleur, & perd sa transparence en conservant sa figure naturelle & devenant plus solide. Les signes qu'il donne pour distinguer cette altération d'avec la cataracte, sont fort équivoques, ce qu'il assûre le plus positivement, c'est que dans le glaucome la membrane qui recouvre le crystallin n'est point altérée ; de-là les cataractes luisantes lui sont très-suspectes, dans la crainte qu'elles ne soient des glaucomes ou fausses cataractes, ou pour le moins qu'elles n'en participent. Cet auteur assûre que les glaucomes sont absolument incurables. (Y)


GLAUCUSS. m. (Mythologie) dans la Fable, c'est un dieu marin fils de Neptune & de Naïs, selon Evante, & selon Athénée, d'Eubée & de Polybe fils de Mercure. Dans l'histoire, Glaucus n'étoit qu'un habile pêcheur de la ville d'Anthédon en Béotie : il savoit si bien plonger, qu'il alloit souvent sous l'eau aborder dans des lieux écartés, pour s'y cacher quelque tems ; & lorsqu'il étoit de retour, il se vantoit d'avoir passé tout ce tems là dans la compagnie de Thétis, de Neptune, d'Amphitrite, de Nérée, des Néréïdes, & des Tritons : cependant il eut le malheur de se noyer, ou peut-être d'être dévoré par quelque poisson ; mais cet évenement servit à l'immortaliser. On publia dans tout le pays, qu'il avoit été changé en dieu de la mer ; & cette merveille fut consacrée d'âge en âge.

Philostrate est presque le seul qui mette Glaucus au nombre des Tritons, & qui se plaise à le peindre sous cette derniere forme. " Sa barbe, dit-il, est humide & blanche ; ses cheveux lui flottent sur les épaules ; ses sourcils épais se touchent & paroissent n'en faire qu'un seul : ses bras sont en maniere de nageoires ; sa poitrine est couverte d'herbes marines : tout le reste de son corps se termine en poisson, dont la queue se recourbe jusqu'aux reins, & les alcyons volent sans-cesse autour de lui.

Cependant la ville d'Anthédon plaça Glaucus au nombre des dieux marins, lui bâtit un temple, & lui offrit des sacrifices. Ce temple rendit des oracles qui furent consultés par les matelots ; & l'endroit même où Glaucus périt, devint si célebre, que Pausanias raconte que de son tems on montroit encore le saut de Glaucus, c'est-à-dire le rocher du haut duquel il se jettoit dans la mer.

Tant de renommée engagea les Poëtes & quelques autres auteurs, à débiter sur Glaucus un grand nombre de fables toutes merveilleuses. Euripide assûre que ce dieu étoit l'interprete de Nérée, & qu'il prédisoit l'avenir avec les Néréïdes ; c'est de lui-même, ajoûte Nicander, qu'Apollon apprit l'art de prophétiser : ce fut lui, selon Apollonius qui sortit du fond des eaux sous la figure d'un dieu marin, pour annoncer aux Argonautes que le destin s'opposoit au voyage d'Hercule dans la Colchide, & qu'il avoit bien fait de l'abandonner. Ovide ne pouvant enchérir sur le don de prophétie dont on avoit honoré Glaucus, se mit à broder l'histoire de sa métamorphose : il nous dit à ce sujet que ce fameux pêcheur ayant pris un jour quelques poissons, il les posa sur le rivage, & s'apperçut que l'attouchement d'une certaine herbe leur redonnoit leur premiere vigueur, & les faisoit sauter dans la mer : curieux de tenter sur lui-même l'expérience de cette herbe, il en eut à peine mâché, qu'il sentit un si grand desir de changer de nature, que ne pouvant y résister, il se précipita sur le champ au fond des eaux. L'Océan & Thétis le voyant arriver, le dépouillerent de tout ce qu'il avoit de mortel, & l'admirent au nombre des dieux marins.

Après tout ce détail, on ne peut plus confondre notre Glaucus, dieu marin dans la fable, & surnommé glorieusement dans l'Histoire, Glaucus le Pontique, avec les autres Glaucus dont nous ne parlerons pas ici, quelle qu'ait été leur célébrité : on le distinguera donc sans peine de Glaucus fils de Minos, second roi de Crete ; de Glaucus le Généreux, petit-fils de Bellérophon, qu'Enée vit dans les enfers parmi les fameux guerriers ; de Glaucus, fils de Démyle, qui s'acquit tant d'honneur par ses victoires dans les jeux gymniques ; de Glaucus, fils d'Hyppolite, étouffé dans un tonneau de miel & ressuscité par Esculape ; & enfin de Glaucus l'argonaute, fils de Sysiphe, qui fut déchiré, selon la fable, par ses jumens qu'il nourrissoit de chair humaine ; ce que Paléphate explique de ses dépenses excessives en chevaux, qui le mirent à la mendicité ; folie qui fut l'occasion du proverbe latin, Glaucus alter, qu'on a depuis lors appliqué à tous ceux qui se ruinent en ce genre de magnificence. (D.J.)


GLAURA(Hist. nat. & Chimie) c'est le nom qu'Augurel, le Lucrece de la philosophie hermétique donne au bismuth. Voyez BISMUTH.

Paracelse donne le même nom à un ambre qui n'est pas encore mûr.


GLAYEULS. m. gladiolus, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, liliacée, faite en forme de tuyau par le bas, évasée & divisée par le haut en deux levres dont la supérieure est pliée en gouttiere, & l'inférieure découpée en cinq parties. Le calice soûtient la fleur, & devient un fruit oblong, divisé en trois loges, & rempli de semences arrondies & enveloppées d'une coëffe. Chacune des racines de cette plante est tuberculeuse, charnue, & soûtenue par une autre racine. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

GLAYEUL, FLAMBE, ou IRIS, (Mat. med.) Voyez IRIS.

GLAYEUL PUANT, (Botan.) espece d'iris sauvage à feuilles puantes. Xyris, Dod. Matth. J. Bauh. Lob. Cast. Camer. Ger. Raii, hist. Ugo, offic. gladiolus foetidus, C. B. P. 30. iris foetidissima, seu xiris, inst. R. 360. iris foliis ensiformibus, corolullis imberbibus, petalis interioribus, longitudine stigmatis, Linn. Hort. Cliff. 19.

Sa racine est dans les commencemens ronde à-peu-près comme un oignon ; elle devient ensuite courbée, genouillée, s'enfonce en terre, pousse un grand nombre de fibres longues, entrelacées, d'un goût très-acre : elle jette quantité de feuilles longues d'un à deux piés, plus étroites que celle de l'iris commune, pointue comme un glaive, d'un verd noirâtre & luisant, d'une odeur puante comme la punaise, quand on les frotte ou qu'on les broye dans la main.

Sa tige s'éleve du milieu des feuilles ; elle est droite, lisse, porte au sommet des fleurs semblables à celles de l'iris, seulement plus petites, composées de six pétales, d'un pourpre sale, tirant sur le bleuâtre.

Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits oblongs, anguleux, qui s'ouvrant dans leur maturité en trois endroits, comme ceux de la pivoine, montrent des semences rondelettes, grosses comme de petits pois de couleur rouge, & d'une saveur acre & brûlante.

Le glayeul-puant croît aisément par-tout, aux lieux humides, le long des haies, dans les bois taillis, dans les brossailles, & dans les vallées ombrageuses ; il fleurit en Juin & Juillet, & sa semence mûrit en Août & Septembre.

Sa racine séchée & pulvérisée, à la dose d'une dragme ou deux, dans un véhicule convenable, est un puissant hydragogue, mais qu'on employe rarement, parce qu'on en connoît de beaucoup meilleurs. Needham & Bowles en font un grand éloge dans les écroüelles & l'asthme humide : mais l'expérience n'a point justifié leurs éloges. (D.J.)

GLAYEUL PUANT, (Mat. med.) La racine & la semence de cette plante, sont diurétiques & hydragogues ; elles sont vantées par quelques auteurs contre l'hydropisie, les obstructions, les rhûmatismes, les écroüelles, & l'asthme humide ; mais toutes ces vertus particulieres n'ont rien de réel, du-moins de constaté. Ce remede est très-peu usité : on pourroit cependant l'employer dans le cas de nécessité contre les affections qui indiquent l'emploi des hydragogues, à la dose d'un ou deux gros en décoction. (b)


GLEBES. f. (Jurispr.) signifie le fond d'une terre ; il y avoit chez les Romains des esclaves qui étoient attachés à la glebe, & que l'on nommoit servi glebae adscriptitii ; il y a encore dans quelques provinces des serfs attachés à la glebe. Voy. ESCLAVES MORTAILLABLES & SERFS.

Parmi nous il y a certains droits incorporels qui sont attachés à une glebe, c'est-à-dire à une terre dont ils ne peuvent être séparés, tels que le droit de justice, le patronage. (A)


GLENES. f. (Anatomie) est un nom qui se donne à une cavité de moyenne grandeur creusée dans un of dans laquelle s'emboîte ou est reçû quelqu'autre of ; ce qui la distingue du cotyle, qui est une cavité plus grande & plus profonde, destinée à la même fonction. Voyez COTYLE, COTYLOÏDE, GLENOÏDE. (L)


GLENOIDEadj. en Anatomie, est le nom que l'on donne à la cavité que l'on remarque à l'angle antérieur supérieur de l'omoplate. Voyez OMOPLATE. (L)


GLESUMS. m. (Hist. nat.) nom donné par plusieurs anciens naturalistes, à l'ambre jaune ou au succin. Voyez SUCCIN.


GLETSCHERS(Hist. natur.) nom que l'on donne en allemand aux montagnes de glace de la Suisse, & aux phénomenes qui les accompagnent : on les nomme en françois glaciers. Voyez GLACIERS.


GLETTES. f. (Chimie, Métallurgie) nom que les Monnoyeurs donnent quelquefois à la litharge ; il nous vient des Allemands qui l'appellent glotte. Voyez LITHARGE. Article de M. DE VILLIERS.


GLICONIEou GLYCONIQUE, adj. (Littér.) terme de poësie greque & latine. Un vers glyconien, selon quelques-uns, est composé de deux piés & d'une syllabe ; c'est le sentiment de Scaliger qui dit que le vers glyconien a été appellé euripidien. Voy. VERS.

D'autres disent que le vers glyconien est composé de trois piés, qui sont un spondée & deux dactyles, ou bien un spondée, un choriambe & un pyrique : ce sentiment est le plus suivi. Ce vers, Sic te diva potens cypri est un vers glyconique. Chambers. (G)


GLIMMERS. m. (Hist. nat. Minéralogie) c'est ainsi que les minéralogistes allemands nomment la pierre talqueuse & luisante, que l'on désigne communément par le nom de mica. Voyez MICA.


GLIPHou GLYPHE, s. m. du grec glyphis, gravûre, terme d'Architecture ; c'est généralement tout canal creusé en rond ou en onglet, qui sert d'ornement en Architecture. Voyez TRIGLIPHE.


GLISCO-MARGA(Hist. nat. Minéral.) ce nom a été employé par Pline ; M. Wallerius croit qu'il a voulu désigner par-là la marne blanche ; d'autres pensent que c'est la craie.


GLISSÉS. m. (Danse) en terme de Danse, le pas glissé se fait en passant le pié doucement devant soi, & en touchant le plancher très-legerement. On doit entendre que ce pas est plus lent que si l'on portoit le pié sans qu'il touchât à terre : ainsi glisser signifie un pas très-lent. Ce pas fait en partie la perfection du coupé.


GLISSERv. neut. (Méchan.) se dit quand un corps se meut sur une surface plane, de maniere que la même partie ou le même point du corps touche toûjours cette surface : c'est ce qu'on appelle en Méchanique, superincessus radens.

Si le corps se meut sur une surface plane, de maniere qu'il applique successivement à cette surface différentes parties ou différens points, on dit alors que le corps roule : il en est de même s'il se meut sur une surface courbe sur laquelle il applique toûjours la même partie ; car alors il ne peut se mouvoir sans tourner au-moins en partie ; de maniere que sa partie supérieure a plus ou moins de mouvement que sa partie inférieure, selon que la surface est convexe ou concave. Le mot glisser pris dans le sens le plus exact, suppose que toutes les parties du corps se meuvent d'un mouvement égal, c'est-à-dire décrivent dans le même tems des lignes égales & paralleles.

Lorsqu'un corps est frappé suivant une direction qui passe par son centre de gravité, & qui est perpendiculaire à l'endroit frappé de la surface du corps, ce corps tend à se mouvoir en glissant, & il se mouvroit en effet de cette maniere, si les aspérités de sa surface & celles de la surface sur laquelle il se meut, ne l'obligeoient quelquefois à tourner. Voyez ROULEMENT, FROTTEMENT, ROUE D'ARISTOTE, &c. (O)


GLISSON(CAPSULE DE) Anatom. Glisson, docteur & professeur en Medecine dans l'université de Cambridge, & membre du collége des Medecins de Londres, a composé un traité sur les parties contenantes en général, & en particulier sur celles de l'abdomen, avec un traité sur le ventricule & les intestins : il a donné sur-tout une anatomie très-exacte du foie. On appelle l'espece de membrane qui enveloppe les vaisseaux du foie & les unit tout ensemble, capsule de Glisson. Voyez FOIE.


GLOBEen terme de Géométrie, est un corps rond ou sphérique, appellé plus communément sphere. Voyez SPHERE. Au reste le mot sphere, entant qu'il signifie un globe, ne s'employe guere qu'en Géométrie : dans les autres sciences comme la Physique, la Méchanique, &c. on dit globe plutôt que sphere, lorsqu'on veut exprimer un corps parfaitement & également rond en tout sens.

On regarde la terre & l'eau comme formant ensemble un globe que nous appellons le globe terrestre, & que les Latins ont exprimé plus proprement par orbis terraqueus. Voyez TERRAQUE.

Cette supposition ne sauroit être fort éloignée de la vérité : car quoique les mesures des degrés nous apprennent que la terre n'est pas parfaitement ronde, cependant la figure qu'elle a, est assez peu éloignée de la figure sphérique, pour qu'on puisse la regarder comme telle. Voyez GLOBE, (Astronom. & Géog.) (O)

GLOBE, (Astronom. & Géogr.) On appelle globe céleste & globe terrestre, deux instrumens de Mathématique, dont le premier sert à représenter la surface concave du ciel avec ses constellations ; & le second la surface de la terre, avec les mers, les îles, les rivieres, les lacs, les villes, &c. Sur l'un & l'autre l'on trouve décrites plusieurs circonférences de cercle qui répondent à des cercles que les Astronomes ont imaginés pour pouvoir rendre raison du méchanisme de l'univers.

L'on en distingue dix principaux, savoir six grands & quatre petits ; les premiers sont l'équateur, le méridien, l'écliptique, le colure des solstices, le colure des équinoxes, & l'horison ; les seconds sont les tropiques du cancer & du capricorne, & les deux cercles polaires. Voyez ces mots.

Le globe & la sphere different, en ce que le globe est plein & la sphere évidée. Voyez ARMILLAIRE.

Nous ignorons par qui & en quel tems ces instrumens ont été inventés : il est certain cependant qu'on en connoissoit l'utilité du tems d'Archimede. Strabon, liv. II. p. 116. nous parle d'un globe de Cratès, comme d'un moyen très-avantageux pour représenter au naturel les parties connues de la terre. Ce Cratès étoit de Mallus en Cilicie ; il avoit été maître de Panaetius de Rhodes, qui vivoit 130 ans avant J. C.

Les principaux globes que l'on connoisse depuis le renouvellement des Sciences en Europe, sont ceux de Tycho, célebre astronome, dont un de quatre piés sept pouces une ligne de diametre, fut exécuté en cuivre, que M. Picard a vû en 1671 à Copenhague, dans l'auditoire de l'académie ; & un autre qui par sa grandeur énorme frappa d'étonnement le czar Pierre le Grand : douze personnes peuvent s'asseoir dedans autour d'une table, & y faire des observations ; il fut transporté de Gottorp à Petersbourg, où M. Delisle, l'astronome, dit l'avoir vû & orienté lui-même.

L'on connoît en France les beaux globes que le cardinal d'Etrées fit exécuter & dédia à Louis XIV. ils ont douze piés de diametre. Ils avoient été placés à Marly, mais ils sont présentement à Paris dans la bibliotheque du Roi. Coronelli se signala par des globes de trois piés huit pouces de diametre, pour l'exécution desquels les princes de l'Europe souscrivirent ; le céleste fut fait en France, & le terrestre à Venise. Au commencement de ce siecle, Guillaume Delisle en composa d'un pié de diametre. Les plus nouveaux enfin sont ceux qui furent faits par ordre du roi, & publiés en 1752. L'Angleterre a vû ceux de Senex, célebre astronome ; & l'on attend les nouveaux dont la société royale de Gottingue avoit publié le projet de souscription, lorsqu'elle résidoit à Nuremberg.

Il seroit inutile de s'étendre davantage touchant toutes les différentes sortes de globes qui ont été publiés depuis ; ils sont plutôt l'objet du commerce de leurs auteurs, que la preuve de leurs connoissances dans la composition de ces ouvrages. Il convient plutôt de traiter de la construction de ces instrumens ; je la distingue en deux parties, l'une purement géométrique, l'autre méchanique.

La premiere donne la méthode de disposer sur une surface plane les élémens qui constituent la surface sphérique du globe ; & la seconde donne la construction des boules & de tout ce qui en concerne la monture, pour faire des globes complets.

Si l'on considere une boule dont les deux poles sont marqués, & dont l'équateur est divisé en 360 degrés ; les cercles qui passeront par les deux poles & par chacun de ces degrés, renfermeront un espace qui va toûjours en diminuant depuis l'équateur jusqu'à l'un & l'autre pole : c'est cet espace que l'on appelle fuseau. Il s'agit de trouver les élémens de la courbe qui renferme cet espace. Il semble que plus on multiplieroit ces fuseaux, plus on approcheroit de l'exactitude : mais la pratique contredit en cela la théorie ; c'est pourquoi l'on se contente ordinairement de partager l'équateur en douze parties égales.

Pour tracer les fuseaux. Tirez la droite A B (fig. 1.), égale au rayon du globe que vous voulez construire. Voyez la Pl. des globes, à la suite des Pl. de Géographie.

Du point A comme centre, décrivez le quart de circonférence A B C, que vous diviserez en trois parties égales aux points D, E.

Tirez B E, corde de trente degrés.

Coupez en deux également au point F l'arc B E.

Tirez la corde B F ; elle sera la demi-largeur du fuseau, & trois fois la corde B E de trente degrés, donnera la longueur du même fuseau.

Il s'agit présentement d'en décrire la courbe : pour y parvenir, tirez la droite G H égale à deux fois la corde B F de quinze degrés. Fig. 1.

Elevez sur le milieu I de cette ligne G H la perpendiculaire indéfinie I K.

Portez sur cette perpendiculaire trois fois la longueur de la corde C D de la premiere figure, de 30 degrés : savoir de I en L, M, N ; & subdivisez chacun de ces espaces en trois parties égales, elles vous donneront sur la ligne I K un point 10, 20, 30, &c. de chacun des cercles paralleles à l'équateur.

Décrivez ensuite sur une ligne égale à G H de la fig. 2. une demi-circonférence G O N (fig. 3.)

Divisez chaque quart de cercle G O, N O, en neuf parties égales, c'est-à-dire de 10 en 10 degrés. Par ces divisions correspondantes 10, 10 ; 20, 20, &c. tirez des lignes paralleles au diametre G N.

Portez la moitié de chacune de ces cordes successivement sur les lignes paralleles qui coupent la ligne I K (fig. 2.). Par exemple, la moitié de la corde 10, 10 du demi-cercle (fig. 3.) sur la premiere parallele a a, (fig. 2.) de 10 en a, de part & d'autre ; la moitié de la corde 20, 20 sur la seconde parallele b, b, & ainsi de suite jusqu'en N.

Joignez tous les points a, b, c, d, e, f, g, h, N, par des lignes droites, vous aurez la courbe cherchée du demi-fuseau.

L'on remarquera aisément que cette courbe sera d'autant plus juste, que l'on aura divisé la ligne I N (fig. 2.) & la demi-circonférence G O N (fig. 2.) en un plus grand nombre de parties.

Il est avantageux de tracer ce fuseau en cuivre, pour le faire aussi juste qu'on peut le desirer. Ce fuseau étant donc ainsi construit, il faut tracer sur une feuille de papier une ligne indéfinie, sur laquelle l'on portera 12 fois la largeur G H, du fuseau, si on la fait de 30d ; ou 24 fois, si elle comprend 15d.

Vous diviserez chaque espace en deux parties égales ; & par tous ces points de division vous éleverez des perpendiculaires. Pour lors, si vous posez avec précision ce demi-fuseau de cuivre, ensorte que sa base convienne avec la ligne, & sa pointe avec la perpendiculaire qui tombe sur le milieu de chaque douzieme partie de cette même ligne, vous tracerez les courbes des fuseaux.

Pour décrire sur ces fuseaux les arcs qui font partie des cercles paralleles à l'équateur, divisez en neuf parties égales chacune des courbes qui forment la circonférence des demi-fuseaux ; par ces points de division & ceux de la ligne du milieu de chaque fuseau faites passer des portions de circonférences de cercle, elles seront les parties des paralleles cherchés.

Il est facile encore de trouver les centres de ces arcs par le moyen des tangentes (voyez TANGENTE) calculées de 10 en 10 ou de 5 en 5 degrés, eu égard au rayon du globe que l'on veut construire. Pour le 80e parallele, il faut prendre avec un compas sur une échelle ou sur le compas de proportion la longueur de la tangente de 10 degrés, poser une pointe du compas sur la ligne du milieu du fuseau au point du 80e parallele, & porter l'autre pointe de ce compas sur la même ligne, prolongée autant qu'il en sera besoin ; cette longueur donnera le centre de l'arc proposé. Pour le 70e parallele, il faut prendre la tangente de 20 degrés ; pour le cercle polaire, celle de 23d 1/2, c'est-à-dire qu'il faut toûjours prendre la tangente du complément de la distance du parallele à l'équateur ; & l'on aura successivement les centres de tous les paralleles.

Les méridiens se traceront, en divisant chacun de ces arcs de paralleles en trois parties égales, si on veut avoir ces méridiens de 10 en 10 degrés ou en six parties égales, pour les avoir de 5 en 5 degrés, & en joignant ces points de divisions par des lignes droites.

Il ne reste plus que l'écliptique à tracer. Pour cela il faut considérer que l'écliptique étant un grand cercle qui coupe le globe en deux parties égales, & qui est incliné à l'équateur, la moitié doit s'en trouver dans la partie supérieure de six fuseaux, & l'autre moitié dans la partie inférieure des six autres. C'est pourquoi il faut prendre les trois premiers fuseaux qui sont compris entre le point équinoxial & le point solsticial .

Divisez en degrés un des demi-méridiens qui fait une partie de la circonférence d'un fuseau ; par exemple, la courbe A E (fig. 4.) du 1er fuseau A E B qui passe par le point équinoxial , & qui sera aussi le premier méridien sur le globe. Prenez sur ce méridien 12d. 16. que vous porterez de B en a sur les courbes B E, B F des deux premiers fuseaux ; portez de C en b 20d. 38. sur les courbes C F, C G du second & du troisieme fuseau ; portez enfin 23. 28. de D en c sur la courbe D G du troisieme fuseau.

Joignez ces points par des lignes droites, elles vous donneront un quart de l'écliptique ; les trois autres quarts se décriront de même en portant toûjours du premier & du 180e méridien, qui sont les colures des équinoxes.

Tous ces cercles étant tracés, l'on divisera, si l'on veut opérer avec exactitude, chaque fuseau de degré en degré, tant pour les méridiens que pour les paralleles ; & l'on dessinera les côtes, les rivieres, les îles, en un mot tout ce qui peut entrer de détail dans la composition géographique du globe terrestre, d'après les mémoires, les cartes les plus exactes, & les observations les plus autentiques. Ce dessein du globe terrestre étant fait, c'est au graveur ensuite à le mettre sur le cuivre pour l'exécuter.

Toutes les opérations précédentes sont communes aux globes céleste & terrestre ; il s'agit cependant de convenir pour le céleste du calcul dont on doit se servir pour y placer les étoiles. Comme l'on a remarqué pour les étoiles deux mouvemens principaux, l'un d'Orient en Occident sur les poles du monde, & l'autre d'Occident en Orient sur les poles de l'écliptique ; le premier donne les ascensions droites & les déclinaisons des étoiles (voyez ASCENSION DROITE & DECLINAISON) ; & le second leurs longitudes & leurs latitudes. Dans le premier cas, les cercles qui nous ont donné pour le globe terrestre les longitudes & les latitudes, se convertissent sur le globe céleste en ascensions droites & déclinaisons ; & l'équateur avec l'écliptique auront la même disposition.

Mais si l'on se sert des longitudes & des latitudes célestes, pour lors le cercle qui nous servoit d'équateur sur les fuseaux du globe terrestre, deviendra l'écliptique sur ceux du céleste ; & l'équateur se tracera sur ces derniers, comme l'écliptique l'a été sur les premiers. Dans ce dernier cas, supposant les courbes des fuseaux tracées, il ne s'agit plus que de donner une méthode pour décrire les colures des équinoxes, les tropiques du Cancer & du Capricorne & les cercles polaires.

Pour tracer le colure des équinoxes, il s'agit de trouver les points où ce cercle coupe la partie supérieure des trois premiers fuseaux, & par conséquent la distance de ces points à l'écliptique ; ce qui s'opere aisément par la Trigonométrie sphérique (voyez TRIGONOMETRIE), en disant : le sinus total est la tangente de 66. 32. inclinaison de ce colure à l'écliptique, comme 30 & 60 degrés pour A B & A C (fig. 5.) sont à 49d & 63d 30'.

Portant donc 49d depuis le point B jusqu'en a a des circonférences B E, B F des deux premiers fuseaux portant aussi 63d 3' de C en b b sur les circonférences C F, C G du second & troisieme fuseau ; & enfin 66d 32' de D en c c sur la circonférence D G du troisieme fuseau, les lignes droites tirées par ces points donneront le quart du colure. Il faut répéter la même opération pour les trois autres fuseaux qui suivent, & agir de même pour la partie inférieure des six autres.

Quant aux tropiques, l'on prendra, si l'on veut, celui du Cancer qui se trouve dans la partie supérieure des fuseaux. L'on sait qu'il touche l'écliptique au point marqué ou A. En partant de ce point, l'on portera 3d 23' de B en a (fig. 6.) sur les circonférences B H, B I des deux 1ers fuseaux ; 12d 53' de C en b sur les circonférences C I, C K du second & troisieme fuseau ; 25d 46' de D en c sur les circonférences D K, D L du troisieme & quatrieme fuseau ; 37d 25' de E en d sur E L, E M ; 44. 39. de F en e sur F M, F N ; enfin 47d sur G N, circonférence du dernier fuseau : ce qui fait la moitié du tropique. La même opération se fait pour le tropique du Capricorne, en observant qu'il doit toucher l'écliptique au point opposé au premier, & qu'il doit se tracer dans la partie inférieure de six autres fuseaux.

Le centre commun aux arcs qui doivent passer par les points correspondans d'un même fuseau, se trouve de cette maniere. L'on joint ces deux points, tels que A, a, par une ligne droite, au milieu de laquelle on éleve une perpendiculaire indéfinie. L'on prend ensuite avec un compas la longueur de la tangente de 66d 32' proportionnelle au rayon du globe ; l'on pose une pointe de ce compas sur un des points A de la courbe A H, & de l'autre point l'on trace une section ; l'on fait la même chose à l'autre point A de la courbe B H, & le point d'intersection qui se trouve dans la perpendiculaire est le centre de l'arc requis.

A l'égard des cercles polaires, il suffit d'en tracer la moitié, touchant le pole de l'écliptique au point K. L'on portera 43d de A en g sur la courbe A H du premier fuseau A H B ; 48. 44. de B en h sur les courbes B H, B I du premier & du second fuseau ; enfin 65d 28' de C en i sur les courbes C I, C K du second & troisieme fuseau. L'on trouvera les centres des arcs qui doivent passer par ces points g h, h i, i k, en prenant, comme ci-dessus, avec le compas la longueur de tangente de 23d 28', elle sera le rayon des cercles qui doivent passer par ces points.

Ces fuseaux du globe céleste étant donc construits avec tous les cercles dont il doit être composé, l'on divisera tous les paralleles à l'écliptique ou latitudes, de même que les longitudes célestes, de degrés en degrés, pour pouvoir poser les étoiles à leur juste place, conformément aux meilleurs catalogues que l'on en a faits ; l'on enveloppe ensuite les amas d'étoiles appellées constellations, dans des figures d'hommes & d'animaux dont on est convenu ; enfin l'on ajoûte à chaque étoile, distinguée selon sa grosseur, les caracteres introduits par Bayer, dont les Astronomes font usage pour pouvoir se reconnoître dans leurs observations ; & le dessein du globe céleste est entierement fini.

Des deux méthodes de placer les étoiles, savoir par les ascensions droites & déclinaisons & par les longitudes & latitudes célestes, la derniere est préférable par le tems & le travail qu'elle épargne ; d'autant plus qu'il ne faut qu'ajoûter aux tables calculées par longitudes le nombre de degrés & de minutes, eu égard au tems auquel ces tables ont été calculées, & à raison d'un degré en 72 ans ; au lieu que par les ascensions droites & les déclinaisons, il faut calculer le lieu de chaque étoile pour ces deux objets différens. Or, quand on seroit assûré de n'avoir point fait de faute dans son calcul, il est toûjours certain que l'épargne du tems auroit été un gain plus considérable.

Description de la méchanique des globes. Dans la construction méchanique des globes, rien n'est plus essentiel que la précision dans la rondeur & la monture des boules. C'est à l'expérience jointe à la théorie que j'ai de ces instrumens, que je suis redevable du détail dans lequel je vais entrer.

Les outils nécessaires qui entrent dans la main-d'oeuvre d'un globe, ne sont pas en grand nombre.

Il faut avoir premierement un demi-fuseau A B C de cuivre ou de fer-blanc, proportionné aux boules que l'on veut construire. A est la pointe du fuseau, B C son pié de diametre ; il faut y laisser environ un pouce & demi de plus que la moitié de son grand axe. Figure 1 Planche II.

2°. Une ou plusieurs demi-boules A B C (fig. 2.) de bois bien dur, tel que des souches de racines d'orme tortillard, qui ayent été long-tems exposées au soleil, pour ne pas être sujettes à se fendre. Ces demi-boules doivent être portées sur un seul pié, quand elles sont petites ; & sur trois piés, lorsqu'elles doivent servir à faire des grosses boules. A B est un trait dans le plan de l'équateur de la boule, & à son pole C est une pointe.

3°. Un demi-cercle de fer ou de cuivre (fig. 3.), dont la circonférence intérieure soit en biseau & juste du diametre de la boule à construire. Il doit être d'une largeur & d'une épaisseur assez considérable pour pouvoir résister. Vers le milieu de ce demi-cercle l'on réserve une partie plus large percée de deux trous, pour être montés à vis sur un morceau de bois épais & oblong, au milieu duquel se trouve aussi un trou par lequel l'on fait passer une forte vis, pour fixer le tout sur un établi avec l'écrou que l'on serre en-dessous. A ce demi-cercle sont attachées par-derriere aux points H, K deux équerres vissées aussi dans le même morceau de bois. E F, G D sont deux petites broches cylindriques à oreille, qui font partie du diametre du demi-cercle ; elles se poussent & se tirent dans un trou cylindrique ; & on les fixe, quand on veut, par le moyen des vis F, G. C'est de l'exactitude de cet outil que dépend la précision des boules que l'on veut faire.

La fig. 4. représente des ciseaux montés sur un morceau de bois taillé en coin, & que l'on visse aussi sur l'établi quand on veut s'en servir. Ils sont destinés pour couper du carton de telle épaisseur qu'il soit.

Pour commencer une boule, l'on prend une feuille de carton de pâte le plus mince que l'on trouve ; l'on fixe sur cette feuille le fuseau de cuivre A B C par son sommet A ; l'on trace avec un stilet douze demi-fuseaux qui se tiennent tous par le sommet. Il faut ensuite enduire de savon humide la demi-boule de bois ; de sorte que la couche de savon soit assez épaisse pour ne pas être dissoute par l'humidité du carton que l'on doit y appliquer, & de peur que la calotte que l'on veut mouler ne s'y attache.

L'on applique cette premiere couche de fuseaux bien imbibée d'eau sur la demi-boule, ensorte que la pointe C de ce moule (fig. 2.) passe par le trou commun au sommet des demi-fuseaux. Ce carton humide, obéissant au coup qu'on lui donne avec la main, s'applique exactement. On retient le tout par une corde que l'on tourne au-dessous du trait A B qui marque l'équateur de la boule, & l'on y fait un noeud coulant pour pouvoir la délier quand on veut.

Il faut tailler ensuite vingt-quatre autres demi-fuseaux détachés que l'on imbibe aussi d'eau, & que l'on enduit de bonne colle de farine. On en applique une nouvelle couche ; ensorte que chaque demi-fuseau recouvre d'un tiers les joints de ceux de la premiere couche, comme on le voit par le profil de la figure 5. Ayant fait de même pour la troisieme couche, l'on enduit le tout de colle ; & quand ces demi-fuseaux paroissent bien unis, on laisse sécher le tout naturellement. Il est avantageux d'avoir au-moins deux moules de même calibre pour expédier l'ouvrage, & l'on doit faire en été une provision de ces calottes.

Lorsque la calotte est bien seche, l'on y trace avec un trusquin ouvert de la distance A D (fig. 2.) un trait qui termine la moitié juste de la boule. Il faut dénoüer la corde qui maintient la premiere couche de fuseau, & avec une lame mince détacher les bords du carton de dessus le moule. Si l'on a de la peine à enlever la calotte, il faut frapper dessus partout avec un maillet de buis ; & il est rare après cela que l'on ne l'enleve pas : autrement ce seroit un défaut de savonnage, auquel il faut toûjours bien prendre garde.

Ayant deux calottes seches & enlevées du moule, on les rognera au trait marqué par le trusquin avec les ciseaux destinés à cette opération (fig. 4.)

Ces calottes ainsi rognées, l'on en rape la coupe pour aggrandir la surface de la tranche, & pour donner plus de prise à la colle-forte qui doit les joindre. Un axe de bois appellé ordinairement of de mort, à cause de sa forme déliée vers son milieu, & qui a pour longueur le diametre intérieur de la boule qu'on veut faire, sert à assembler les deux calottes. Ses extrémités doivent être un peu sphériques ; & l'on y réserve à chaque une douille qui doit passer à-travers le pole de chaque calotte que l'on perce avec un emporte-piece du diametre de la douille. Lorsque les boules sont d'une grosseur considérable, au lieu d'un simple axe, l'on se sert d'un autre (fig. 6.) muni de quatre branches perpendiculaires entr'elles, qui sont destinées à soûtenir la soudure des deux calottes.

L'on commence par fixer cet axe premierement dans une des calottes avec de la colle-forte que l'on met à une de ses extrémités, de même qu'au pole de la calotte où il doit être arrêté. Ensuite l'on attache sur la moitié des extrémités C, D, E, F, des quatre autres branches le bord de la calotte avec de la colle-forte & des petites pointes. Lorsque cet axe est ainsi fixé dans la premiere calotte, l'on fait de même pour la seconde calotte. Il faut à cette opération la plus grande promptitude possible, pour ne pas donner le tems à la colle-forte de se prendre avant que l'assemblage soit fait.

Lorsque cet assemblage est fait, s'il est resté quelques endroits de la jointure sans colle, l'on y en introduit avec une petite spatule. La colle étant bien durcie, l'on rape la soudure jusqu'à ce qu'elle soit bien unie, & l'on y applique ensuite deux ou trois bandes de gros papier imbibées de colle de farine.

Les boules ainsi préparées sont d'une grande solidité ; mais elles seroient encore trop grossieres, pour pouvoir y appliquer les épreuves imprimées du globe. C'est pourquoi il faut procéder à les rendre encore plus parfaites. Pour cet effet l'on se servira du demi-cercle de fer dont on a parlé plus haut ; l'on coupera les deux bouts excédens des douilles de l'axe qui traverse la boule, jusqu'à ce qu'ils soient pris justes dans le diametre du demi-cercle. L'on percera chaque bout d'un trou très-fin pour recevoir les petites broches cylindriques du demi-cercle qui doivent tenir la boule comme dans un tour. S'il arrive que quelque petite éminence du carton frotte le demi-cercle, il faut les raper afin que la boule n'y touche en aucun endroit. L'on se sert ensuite d'une composition de blanc dont nous parlerons plus bas, pour enduire la boule jusqu'à ce qu'elle touche de toutes parts le demi-cercle. L'on doit observer de n'en pas trop mettre à chaque couche, de peur qu'il ne vienne à se fendre. La boule ainsi enduite tourne dans le demi-cercle qui en emporte le trop ; on la retire ensuite pour la faire sécher naturellement. Il faut répéter la même opération jusqu'à ce que l'on ne voye plus de jour entre le demi-cercle & la boule. Lorsqu'elle est presque finie, l'on doit éclaircir le blanc, ensorte qu'il ne soit que comme une eau blanche un peu épaisse : il sert à la polir ; & le mastic étant bien sec est d'une consistance très-dure.

Voici la maniere de préparer ce blanc ou ce mastic. Il faut prendre du blanc en gros pains dont se servent les Doreurs, l'écraser avec un rouleau de bois & le passer au tamis, pour l'avoir le plus fin qu'il est possible ; prendre de la colle de Flandre, la plus blanche est la meilleure, parce qu'elle ne colore point la composition ; une livre pesant de cette colle est la dose pour huit pains de blanc. L'on met tremper dans l'eau cette colle la veille ; & lorsqu'elle est bien amollie, on la fait fondre sur un feu doux ; puis on la passe par un tamis, pour n'y pas laisser de peaux qui feroient un mauvais effet. Lorsqu'elle est ainsi passée, l'on met tout le blanc écrasé dans une grande terrine propre à aller sur le feu ; & l'on y verse petit-à-petit cette colle fondue, en broyant bien le tout avec les mains, comme si l'on pétrissoit une pâte. Le blanc ou le mastic étant ainsi achevé peut être mis tout de suite sur les boules ; & lorsqu'il est refroidi, il faut le faire refondre sur un petit feu, & le remuer avec un bâton, de peur qu'il ne vienne à brûler.

La boule étant entierement achevée, il est bon de s'assûrer si elle est absolument sphérique ; elle en servira elle-même de preuve. Il la faut remettre dans le demi-cercle ; & posant un stilet de cuivre à la division de l'équateur marqué sur cet instrument, l'on tracera ce cercle sur la boule en la tournant. Si l'on divise ensuite ce cercle en quatre parties égales, & que les points opposés soient présentés aux chevilles cylindriques du demi-cercle, en tournant cette boule, l'on tracera avec le stilet un cercle qui sera un des méridiens. Si enfin l'on prend sur ce dernier cercle deux points diamétralement opposés & à une distance quelconque des poles de la boule, & qu'on les présente de même aux chevilles du demi-cercle, l'on tracera encore un troisieme cercle qui doit couper les deux autres à leur commune section, si la boule est parfaitement ronde. Telle est la précision à laquelle je suis parvenu, lorsque j'ai dressé un ouvrier pour ces instrumens.

Il s'agit présentement de poser les épreuves imprimées du globe sur cette boule. Pour y parvenir avec facilité, il faut diviser cette boule en douze fuseaux, & tracer les paralleles à l'équateur, de même que l'écliptique, les tropiques, & les cercles polaires. Le demi-cercle ou instrument que l'on a divisé exprès de 10 en 10 degrés, & où l'on a remarqué aussi les points des tropiques & des cercles polaires, servira à tracer ces cercles, en faisant tourner la boule dedans, & appliquant sur chaque division le stilet. Quant aux douze fuseaux, l'on divisera l'équateur en douze parties égales ; & le demi-cercle rasant chacun de ces points, servira encore de regle pour tracer ces fuseaux.

Il ne reste plus qu'à appliquer chaque fuseau du globe imprimé sur chacun des douze de la boule. Il faut découper séparément ces fuseaux imprimés, les humecter d'eau, & les imbiber de colle d'amidon ; on les appliquera les uns après les autres sur la boule, en faisant convenir les paralleles de l'épreuve avec ceux de la boule ; & l'on fera prêter l'épreuve autant qu'il le faudra, en la frottant avec un brunissoir, jusqu'à ce que le papier remplisse exactement sa place. L'on encollera ensuite la boule ainsi avec la même colle d'amidon un peu plus claire, en faisant tourner la boule dans les mains ; l'on aura soin que l'encollage soit bien fait par-tout, & l'on suspendra la boule dans un lieu qui ne soit point exposé à la poussiere, jusqu'à ce qu'elle soit entierement seche.

Cet encollage est un préparatif nécessaire pour recevoir les couches de vernis que l'on applique dessus. J'ai dit qu'il devoit être fait avec de la colle bien claire, parce que si elle étoit trop épaisse, elle feroit un corps qui viendroit à se gerser, & qui obligeroit le vernis à se fendre.

Il faut à présent monter cette boule dans un méridien. Or ce méridien peut être de carton ou de cuivre : le premier ne peut être bon que pour de petits globes ; mais quand ils sont d'une certaine dimension, telle que d'un pié ou de dix-huit pouces, le méridien de cuivre est indispensable. Je ne parlerai point de la construction de ce dernier ; c'est aux Ingénieurs en instrumens de Mathématiques à les construire.

Les cartons dont on se servoit autrefois pour faire les méridiens, & les autres cercles des globes & des spheres, étoient composés de maculatures de rames & de pains de sucre, sur lesquelles l'on colloit plusieurs feuilles de papier de rebut ; mais le mauvais service que l'on en retiroit, m'a fait préférer l'emploi de bon papier de gros-chapelet. Il faut au-moins vingt-quatre feuilles pour l'épaisseur d'un carton, qui, quand il est fait, & qu'il a passé sous la presse, se réduit au plus à deux lignes. L'on fait aussi l'horison du même carton ; il ne s'agit que de prendre la grandeur convenable à ces cercles pour les tailler ; l'on colle ensuite dessus les épreuves ; on les encolle & on les vernit.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce qui concerne la fabrique des globes ; les détails dans lesquels je suis entré m'ont paru suffisans, pour pouvoir en rendre la pratique aisée. Je terminerai cet article par une courte description de la monture nouvelle des globes que j'ai construits par ordre du Roi en 1752.

La figure 7. représente un de ces globes monté ; son pié est en forme de cassolette couronnée par un bandeau circulaire A B C, dans lequel tourne l'horison de bois D E F, dont on voit le profil dans la fig. 8. a b c d e f est la coupe de l'horison ; g h est une petite plaque de cuivre vissée à cet horison pour empêcher qu'il ne se leve ; I K est le bandeau circulaire qui tient aux branches du pié.

Pour procurer à l'horison un mouvement commode qui n'obligeât point à déranger le pié du globe, l'on a imaginé un moyen très-simple représenté dans la fig. 9. C'est une piece ronde de cuivre i k l m, percée dans le milieu d'un trou rond p q r s, dans lequel entre une douille cylindrique p q n o, faisant corps avec une autre piece cylindrique g c d h. Cette piece a une ouverture c d e f, dont la joue se trouve dirigée dans le centre de la douille p q n o ; cette fente est d'une certaine largeur suffisante pour contenir une roulette a b sur laquelle le méridien de cuivre doit tourner.

Tout ce méchanisme se place dans le centre de la noix, où les branches qui supportent l'horison viennent s'emboîter. Il faut le disposer ensorte que la distance depuis le bord a de la roulette ab, soit égale à celle du centre de la boule au bord extérieur du méridien. Pour lors le méridien entrant dans l'horison & posant sur la roulette, reçoit deux mouvemens, l'un vertical sur cette roulette, & l'autre qu'il communique à l'horison par le mouvement de la douille autour de son axe. L'on apperçoit aisément l'avantage que l'on retire de cette invention : lorsque l'on veut orienter le globe, il ne s'agit que de tourner cet horison, jusqu'à ce que la boussole qui y est posée, & dont le nord & le sud se trouvent dans le plan du méridien, indique la déclinaison convenable au tems de l'opération. Article de M. ROBERT DE VAUGONDY, Géographe ordinaire du Roi.

Dans les Planches d'Astronomie, fig. 58. on a représenté deux globes, soit céleste, soit terrestre, vûs suivant différens profils & différentes positions ; la fig. 59. n°. 2. représente la suite des fuseaux qu'on doit coller sur le globe ; la fig. 60. représente un de ces fuseaux divisé par degrés, & sur lequel on a tracé les portions de cercles qu'il doit contenir ; enfin la fig. 61. représente un quart de cercle de hauteur, dont la partie supérieure H s'adapte au zénith du globe, & sert à mesurer les distances des différens points du globe à l'horison, lorsque cela est nécessaire, comme on le verra dans la suite de cet article.

Pour choisir de bons globes, il faut prendre garde que l'équateur & l'horison s'entre-coupent justement en deux parties égales ; ce que l'on pourra reconnoître si l'on remarque que les points de section de ces deux cercles soient aux points du vrai orient & occident marqués au bord de l'horison, & que ces mêmes points soient distans de 90 degrés ou d'un quart de cercle des points du septentrion & du midi. On pourra encore s'assûrer si le globe est bien construit, en élevant le pole de 90 degrés, c'est-à-dire en plaçant verticalement l'axe du globe, & en examinant si la circonférence de l'équateur s'ajuste bien avec celle de l'horison, & si l'horison coupe le méridien en deux parties égales ; ce qui arrivera, si le 90e degré compté depuis le pole de part & d'autre, se trouve à l'horison.

Parmi les différens globes anciens que nous avons, on estime principalement ceux de Blaeu. Cet ouvrier, bien instruit des observations de Tycho, & qui a même publié un traité où il explique l'usage des globes avec beaucoup de clarté, a construit pour l'année 1640 des globes célestes si parfaits, qu'il est difficile de trouver rien de plus précis en ce genre ; & d'autant que le catalogue des principales étoiles venoit d'être tout récemment restitué par Tycho, l'erreur de deux à trois minutes qui auroit pu se glisser dans la longitude de quelques étoiles de ce catalogue, ne sauroit être aucunement sensible sur des globes de 30 pouces. C'est pourquoi on peut s'en servir avec assez de précision, en observant pourtant de faire les corrections nécessaires pour les changemens arrivés aux positions des étoiles depuis 1640. Les globes de Coronelli sont fort beaux & les figures bien dessinées ; mais il s'en faut bien qu'ils soient aussi exacts & aussi parfaits. Inst. astr. de M. le Monnier.

USAGES DU GLOBE CELESTE. L'usage de cet instrument est des plus étendus pour résoudre un grand nombre de questions de l'Astronomie sphérique.

Les points principaux sont contenus dans les problèmes & solutions ci-dessous, qui mettront le lecteur en état d'appliquer à d'autres cas l'usage qu'on peut faire de ce globe.

Trouver l'ascension droite & la déclinaison d'une étoile représentée sur la surface du globe. Portez l'étoile sous le méridien immobile où sont marqués les degrés ; alors le nombre de degrés compris entre l'équateur & le point du méridien, sous lequel est l'étoile, donne sa déclinaison ; & le degré de l'équateur qui sous le méridien se rencontre avec l'étoile, est son ascension droite. Voyez ASCENSION & DECLINAISON.

Trouver la longitude & la latitude d'une étoile. Appliquez une des extrémités du quart de cercle de hauteur au pole de l'écliptique, dans l'hémisphere où est l'étoile ; & portez le côté où sont marqués les degrés contre l'étoile, le degré marqué sur le quart de cercle à l'endroit de l'étoile, est sa latitude à compter depuis l'écliptique ; & le degré de l'écliptique coupé par le quart de cercle, est sa longitude. Voyez LONGITUDE & LATITUDE.

Pour que le quart de cercle demeure durant cette opération bien fixé aux poles de l'écliptique par une de ses extrémités, il ne seroit pas mal d'attacher aux poles de l'écliptique une espece de stile, dans lequel on feroit entrer un des bouts du quart de cercle.

Trouver le lieu du soleil dans l'écliptique. Cherchez le jour du mois dans le calendrier sur l'horison, & d'un autre côté cherchez sur l'horison dans le cercle des signes quel est le signe que le soleil occupe ce jour-là, & qui se trouve vis-à-vis le jour du mois. Cela fait, cherchez le même signe sur l'écliptique & sur la surface du globe ; c'est-là le lieu du soleil pour ce jour-là. Voyez LIEU.

Trouver la déclinaison du soleil. Le lieu du soleil pour le jour donné étant porté sous le méridien, les degrés du méridien compris entre l'équateur & le lieu en question, marquent la déclinaison du soleil pour ce jour-là.

Trouver le lieu d'une planete avec son ascension droite, sa déclinaison, & sa latitude pour un tems donné. Appliquez une des extrémités du quart de cercle de hauteur à celui des poles de l'écliptique, qui a la même dénomination que la latitude de la planete ; c'est-à-dire au pole septentrional, si la latitude de la planete est septentrionale ; au pole méridional, si la latitude est méridionale : & portez le quart de cercle au degré de longitude donné dans l'écliptique ; ce point est le lieu de la planete dans l'écliptique ; & en le portant sous le méridien, vous trouverez l'ascension & la déclinaison de la planete, comme on l'a déjà enseigné pour les étoiles.

Rectifier le globe, c'est-à-dire le placer de sorte qu'il représente l'état actuel ou la situation des cieux, pour quelqu'endroit que ce soit ; comme pour Paris. 1°. Si le lieu proposé a une latitude septentrionale ; élevez le pole septentrional au-dessus de l'horison ; s'il a une latitude méridionale, élevez le pole méridional jusqu'à ce que l'arc compris entre le pole & l'horison soit égal à l'élévation donnée du pole, c'est-à-dire par exemple, que pour Paris il faudra élever le pole septentrional de 48d 50' au-dessus de l'horison. De cette maniere le lieu dont il s'agit, se trouvera au zénith ou à l'endroit le plus élevé du globe.

2°. Attachez le quart de cercle de hauteur au zénith, c'est-à-dire à la latitude du lieu.

3°. Par le moyen d'une boussole ou d'une ligne méridienne, placez le globe de maniere que le méridien immobile de bois ou de cuivre se trouve dans le plan du méridien terrestre.

4°. Portez sous le méridien le degré de l'écliptique où est le soleil, & mettez l'aiguille horaire sur 12, alors le globe représentera l'état des cieux pour ce jour-là à midi.

5°. Tournez le globe jusqu'à ce que l'aiguille vienne à marquer quelque autre heure donnée, & pour lors le globe représentera l'état des cieux pour cette heure-là.

Connoître & distinguer dans le ciel toutes les étoiles & planetes par le moyen du globe. 1°. Ajustez le globe à l'état du ciel pour le tems donné.

2°. Cherchez sur le globe quelque étoile qui vous soit connue, par exemple, celle qui est au milieu de la queue de la grande ourse.

3°. Observez les positions des autres étoiles les plus remarquables de la même constellation ; & en levant les yeux de dessus le globe vers le ciel, vous n'aurez point de peine à y remarquer ces étoiles.

4°. De la même maniere vous pouvez passer de cette constellation à celle qui lui est voisine, jusqu'à ce que vous les connoissiez toutes. Voyez ETOILE.

Si vous cherchez le lieu des planetes sur le globe de la maniere qu'il est dit ci-dessus, vous pourrez les reconnoître également dans le ciel, en les comparant avec les étoiles voisines.

Trouver l'ascension oblique du soleil, son amplitude orientale, son azimuth, & le tems de son lever. 1°. Disposez le globe de maniere que l'aiguille marque 12, & que le lieu du soleil se trouve sous le méridien : ensuite portez le lieu du soleil vers le côté oriental de l'horison ; pour lors le nombre de degrés compris entre le degré de l'équateur porté contre l'horison & le commencement du Bélier, est l'ascension oblique du soleil.

2°. Les degrés de l'horison compris entre son point oriental & le point où est le soleil, marquent l'amplitude ortive.

3°. L'heure marquée par l'aiguille, est le tems du lever du soleil.

Pour trouver l'azimuth du soleil, il faut d'abord observer que ces azimuths changent selon l'heure & selon le lieu du soleil. C'est pourquoi il faut d'abord disposer le globe selon l'élévation du lieu ; ensuite il faut trouver le lieu du soleil dans l'écliptique, le mettre sous le méridien, & le stile horaire sur 12 heures ; & après avoir attaché le quart de cercle de hauteur au zénith, on tourne le globe jusqu'à ce que le stile horaire soit sur l'heure donnée ; & le globe demeurant en cet état, on tourne le quart de cercle de hauteur jusqu'à ce qu'il soit sur le lieu du soleil, ou que le degré du soleil occupe ce jour-là l'écliptique ; ce qui étant fait, on comptera sur l'horison la distance comprise entre l'orient équinoxial & le degré, où le quart de cercle de hauteur rencontre l'horison, laquelle donnera l'azimuth cherché.

Supposant, par exemple, que le lieu du soleil soit au dix-huitieme degré du Taureau, on trouvera en la latitude de Paris, que l'azimuth du soleil à 9 heur. 34' du matin, est de 31 degrés. Voyez AZIMUTH.

On voit par-là qu'il n'est pas absolument nécessaire de connoître la hauteur du soleil, pour connoître son azimuth ; mais si on veut trouver cette hauteur, on la connoîtra aisément en comptant sur le quart de cercle de hauteur, le nombre de degrés compris entre l'horison & le lieu du soleil.

Trouver la descension oblique du soleil, son amplitude occidentale, & le tems de son coucher. La solution de ce problème est la même que celle du précédent, excepté que le lieu du soleil doit être porté ici vers le côté occidental de l'horison.

Trouver l'heure du lever & du coucher des signes. Si vous voulez savoir, par exemple, à quelle heure se leve le signe du Scorpion, quand le soleil est au premier degré du Bélier ; mettez ce dernier degré sous le méridien & le stile horaire sur 12 heures ; puis tournez le globe jusqu'à ce que le premier degré du Scorpion soit dans l'horison oriental, alors le stile horaire montrera l'heure du lever du Scorpion ; & si vous transportez ce même degré dans l'horison occidental, vous verrez l'heure de son coucher marquée par le stile horaire.

Trouver la longueur du jour & de la nuit. 1°. Cherchez le tems du lever du soleil, lequel étant compté depuis minuit, le double vous donne la longueur de la nuit.

2°. Otez la longueur de la nuit du jour entier ou de 24 heur. le restant est la longueur du jour. Voyez JOUR & NUIT.

Trouver les deux jours de l'année auxquels le soleil se leve à une heure donnée. Disposez d'abord le globe selon l'élévation du pole du lieu ; ensuite mettez le premier point de Cancer sous le méridien & le stile sur 12 heures ; puis tournez le globe du côté de l'Orient jusqu'à ce que le stile horaire soit sur l'heure donnée, & marquez sur le colure des solstices le point où il coupe l'horison ; transportez ensuite ce même point sous le méridien, afin de voir quelle est sa déclinaison ; & remarquez en même tems quels sont les degrés de l'écliptique qui passent sous le méridien & sous ce degré de déclinaison. Ces degrés sont ceux que le soleil parcourt le jour cherché ; & on trouvera ce jour dans le cercle du calendrier tracé sur l'horison.

Trouver le lever, le coucher, le point culminant d'une étoile, son séjour au-dessus de l'horison par rapport à quelque lieu ou jour donné, comme aussi son ascension oblique, sa descension, son amplitude orientale & occidentale. 1°. Ajustez le globe à l'état du ciel sur douze heures pour le jour donné.

2°. Portez l'étoile au côté oriental de l'horison, pour lors vous aurez trouvé son amplitude orientale & le tems de son lever, comme on l'a déjà fait voir en parlant du soleil.

3°. Portez la même étoile au côté occidental de l'horison, & vous trouverez par-là l'amplitude occidentale & le tems du coucher de l'étoile.

4°. Le tems du lever étant soustrait de celui du coucher, le restant vous donne le séjour de l'étoile au-dessus de l'horison.

5°. Ce séjour au-dessus de l'horison étant soustrait de 24 heures, le restant vous donne le tems de son séjour au-dessous de l'horison.

6°. Enfin l'heure marquée par l'aiguille, après que l'étoile a été portée sur le méridien, marque le tems du point culminant ou culmination de l'étoile. Voyez LEVER, COUCHER, CULMINATION, &c.

Trouver l'azimuth & la hauteur d'une étoile à quelque heure donnée. Posez le lieu du soleil sous le méridien & le stile horaire sur 12 heures ; ensuite tournez le globe vers l'orient ou vers l'occident, en sorte que le stile soit sur l'heure donnée ; & le globe demeurant ferme en cet état, vous tournerez le quart de cercle de hauteur, jusqu'à ce que l'étoile rencontre le degré qui lui convient : ce degré sera celui de la hauteur demandée ; & si vous comptez les degrés de l'horison compris entre le point de l'orient ou le point de l'occident & le vertical, vous aurez l'azimuth de l'étoile.

La hauteur du soleil pendant le jour, ou d'une étoile pendant la nuit, étant donnée, trouver le tems ou l'heure correspondante de ce jour ou de cette nuit. 1°. Rectifiez le globe comme dans le problème précédent ; 2°. tournez le globe & le quart de cercle jusqu'à ce que l'étoile ou le degré de l'écliptique, où est le soleil, coupe le quart de cercle dans le degré donné de hauteur, pour lors l'aiguille marquera l'heure que vous cherchez.

L'azimuth du soleil ou d'une étoile étant donnée, trouver l'heure du jour ou de la nuit. Rectifiez le globe, & portez le quart de cercle à l'azimuth donné dans l'horison ; tournez le globe jusqu'à ce que l'étoile y soit arrivée, pour lors l'aiguille marquera le tems que vous cherchez.

Trouver l'intervalle de tems qu'il y a entre les levers de deux étoiles, ou entre leurs culminations. 1°. Elevez le pole du globe d'autant de degrés au-dessus de l'horison, que le demande l'élévation du pole du lieu où vous êtes.

2°. Portez la premiere étoile contre l'horison, & observez l'heure marquée par l'aiguille.

3°. Faites la même chose pour la seconde étoile ; & pour lors en déduisant le premier tems du second, le restant donne l'intervalle entre les deux levers ; & en approchant les deux étoiles du méridien, vous trouverez l'intervalle qu'il y a entre les deux culminations ou points culminans.

Trouver le commencement & la fin du crépuscule. 1°. Rectifiez le globe, & pointez l'aiguille sur 12 heures, le lieu du soleil étant dans le méridien.

2°. Marquez le lieu du soleil, & tournez le globe vers l'occident, aussi-bien que le quart de cercle, jusqu'à ce que le point opposé au lieu du soleil coupe le quart de cercle dans le dix-huitieme degré au-dessus de l'horison ; pour lors l'aiguille marquera le tems où commence le crépuscule du matin.

3°. Prenez le point opposé au soleil ; portez-le dans l'hémisphere oriental, & tournez-le jusqu'à ce qu'il se rencontre avec le quart de cercle au dixhuitieme degré, pour lors l'aiguille marquera le tems où finit le crépuscule du soir. Voyez CREPUSCULE.

USAGES DU GLOBE TERRESTRE. Trouver la longitude & la latitude de quelque lieu tracé sur le globe. Portez le lieu sous le méridien de cuivre où sont marqués les degrés, le point correspondant du méridien est sa latitude ; & le degré de l'équateur qui se trouve en même tems sous le méridien, est sa longitude.

La longitude & latitude étant données, trouver le lieu sur le globe. Cherchez sur l'équateur le degré donné de longitude, & portez-le sous le méridien ; pour lors comptez depuis l'équateur sur le méridien le degré de latitude donné vers le pole septentrional, si la latitude est septentrionale, ou vers le pole méridional, si la latitude est méridionale ; le point où vous vous arrêterez marque le lieu que vous cherchez.

Trouver les antéciens, les periéciens, & les antipodes d'un lieu donné. 1°. Portez ce lieu sous le méridien, & comptez ses degrés sur le méridien depuis l'équateur vers l'autre pole ; le point où vous vous arrêterez est le lieu des antéciens. Voyez ANTECIENS.

2°. Remarquez le degré du méridien répondant au lieu donné & à ses antéciens, & tournez le globe jusqu'à ce que le degré opposé de l'équateur se trouve sous le méridien ; ou, ce qui revient au même, jusqu'à ce que l'aiguille qui marquoit auparavant 12 heures, les marque de l'autre côté : pour lors le lieu qui répond au premier degré est celui des periéciens, & le lieu qui répond à l'autre degré est celui des antipodes. Voyez PERIECIENS & ANTIPODES.

Trouver à quel lieu de la terre le soleil est vertical dans un tems donné. 1°. Le lieu du soleil étant trouvé dans l'écliptique, portez-le sous le méridien, & l'aiguille sur 12 heures ; remarquez en même tems le point du méridien qui y répond.

2°. Si l'heure donnée est avant midi, il la faut déduire de 12 ; alors tournez le globe vers l'occident jusqu'à ce que l'aiguille marque les heures restantes, pour lors le lieu qu'on cherche se trouvera sous le point du méridien que l'on a déjà marqué.

3°. Si c'est une heure de l'après-midi, tournez le globe de la même maniere vers l'occident jusqu'à ce que l'aiguille marque l'heure donnée ; pour lors vous trouverez aussi le lieu que vous cherchez sous le point du méridien marqué auparavant.

Si vous marquez en même tems tous les lieux qui se trouvent sous la même moitié du méridien, où est le lieu trouvé, vous connoîtrez tous les lieux où il est alors midi ; & la moitié opposée du méridien vous fera connoître tous les lieux où il est alors minuit.

Un lieu étant donné dans la zone torride, trouver les deux jours de l'année où le soleil y est vertical. 1°. Portez le lieu donné sous le méridien, & marquez le degré du méridien qui y répond.

2°. Tournez le globe, & marquez les deux points de l'écliptique, lesquels passent par ce degré.

3°. Cherchez quel jour le soleil se trouve dans ces points de l'écliptique ; c'est dans ces jours-là que le soleil est vertical aux lieux donnés.

Trouver dans la zone torride les lieux auxquels le soleil est vertical un jour donné. Portez le lieu du soleil dans l'écliptique sous le méridien ; tournez ensuite le globe, & marquez tous les lieux qui passent par ce point du méridien : ce sont-là les lieux que vous cherchiez.

On trouve de la même maniere quels sont les peuples asciens, c'est-à-dire qui n'ont point d'ombre un jour donné. Voyez ASCIENS.

Trouver le tems où le soleil se leve pour ne se plus coucher, ou se couche pour ne se plus lever. Soit supposée l'élevation du pole de 80 degrés. Il faut pour cet effet considérer que dans l'exemple donné, il s'en faut dix degrés que le pole ne soit tout-à-fait élevé, ce qui fait que ces dix degrés sont au-dessous de l'horison. Mais ces mêmes degrés étant dans la déclinaison septentrionale du soleil, cela fait qu'il faut tourner le globe jusqu'à ce que quelqu'un des degrés de l'écliptique de la partie du printems passe sous le dixieme degré de déclinaison pris au méridien, lequel sera en cet exemple le 25e degré du Bélier auquel répond le douzieme jour d'Avril, qui sera le tems du lever du soleil en ces climats.

Pour savoir le tems de son coucher, il faut remarquer quel degré de l'écliptique de la partie de l'été passera au méridien sous le même dixieme degré de déclinaison ; & on trouvera le cinquieme degré de la Vierge, auquel le soleil se trouve le 26 Août, qui sera le tems du coucher du soleil à 80 degrés de hauteur du pole. Autrement : on peut voir quels sont les deux degrés de l'écliptique, qui, en la révolution du globe, ne se couchent point, le globe étant disposé à la latitude de 80 degrés ; & on trouvera qu'en cet exemple, c'est le 25e degré du Bélier & le cinquieme de la Vierge, auxquels répondent le 12 Avril & le 26 d'Août.

Trouver la longueur du plus long jour aux zones froides. Par exemple, si on veut savoir la durée du plus long jour à 80 degrés de latitude, on trouvera que le soleil s'y leve le 12 d'Avril, pour ne se coucher que le 26 d'Août ; & comptant les jours depuis le 12 Avril jusqu'au 26 d'Août, on en trouve 143, qui est la durée du tems que le soleil demeure sur l'horison en cet endroit de la zone froide. Si on réduit ces jours en mois, en les divisant par 30, il viendra quatre mois & 29 jours pour la longueur de ce jour, auquel la durée de la plus longue nuit est à-peu-près égale.

Trouver la latitude des lieux où un certain jour donné est d'une certaine longueur donnée. 1°. Portez sur le méridien le lieu de l'écliptique où le soleil se trouve le jour donné, & mettez l'aiguille sur 12 heures.

2°. Tournez le globe jusqu'à ce que l'aiguille marque l'heure du lever ou du coucher.

3°. Elevez & abaissez le pole jusqu'à ce que le lieu du soleil paroisse dans le côté oriental ou occidental de l'horison ; pour lors le pole aura sa juste élévation, & par conséquent il vous donnera la latitude que vous cherchez.

Trouver dans la zone glaciale la latitude des lieux où le soleil ne se couche point pendant un certain nombre de jours donnés. 1°. Comptez depuis le tropique le plus voisin vers le point équinoxial, autant de degrés sur l'écliptique qu'il y a d'unités dans la moitié du nombre des jours donnés, parce que le soleil par son mouvement annuel parcourt à-peu-près un degré par jour.

2°. Portez le point de l'écliptique ainsi trouvé sous le méridien ; sa distance du pole sera égale à l'élévation du pole ou à la latitude cherchée.

Une heure du jour ou de la nuit étant donnée, trouver tous les lieux où le soleil se leve & se couche, où il est midi ou minuit, & où il fait jour ou nuit. 1°. Cherchez à quel lieu le soleil est vertical au tems donné de la maniere qu'il est dit ci-dessus.

2°. Portez ce lieu au zénith de l'horison de bois, c'est-à-dire élevez le pole à la hauteur que le demande le lieu en question ; pour lors les lieux qui se trouveront du côté oriental de l'horison, seront ceux où le soleil se couche, & les lieux qui se trouveront du côté occidental seront ceux où le soleil se leve : les lieux qui se trouveront sous le demi-cercle supérieur du méridien seront ceux où il sera midi ; & les lieux qui se trouveront sous le demi-cercle inférieur, seront ceux où il sera minuit : enfin dans les lieux qui se trouveront dans l'hémisphere supérieur, il fera jour ; & il sera nuit dans ceux de l'hémisphere inférieur.

Trouver à quels endroits de la terre une planete, par exemple la lune, est verticale un jour donné. 1°. Marquez le lieu de la planete sur le globe, comme il est dit ci-dessus.

2°. Portez ce lieu sous le méridien, & marquez y le degré où elle répond.

3°. Tournez le globe ; les lieux qui passeront sous ce point sont ceux que vous cherchez.

La déclinaison d'une étoile ou de quelque autre phénomene étant donnée, trouver à quelle partie de la terre l'étoile est verticale. Comptez sur le méridien depuis l'équateur vers le pole un nombre de degrés égal à la déclinaison donnée : savoir, vers le nord, si la déclinaison est septentrionale ; & vers le midi, si elle est méridionale. Ensuite tournant le globe, les lieux qui passeront par l'extrémité de cet arc sous le méridien, sont les lieux que l'on cherche.

Déterminer le lieu où une étoile, ou autre corps céleste sera vertical une certaine heure donnée. 1°. Elevez le pole suivant la latitude du lieu sur le midi ou minuit duquel on a compté les heures.

2°. Portez sous le méridien le lieu où le soleil est ce jour-là, & mettez l'aiguille sur 12 heures.

3°. Déterminez le lieu de l'étoile sur la surface du globe, & portez-le sur le méridien, l'aiguille marquera la différence de tems entre l'arrivée du soleil & de l'étoile au méridien du lieu ; marquez le point du méridien qui repond au lieu de l'étoile.

4°. Cherchez en quels lieux de la terre il est midi dans ce tems-là, & mettez l'aiguille sur 12 heures.

5°. Tournez le globe vers l'occident jusqu'à ce que l'aiguille ait passé sur l'intervalle de tems qu'il y a entre le point culminant du soleil & de l'étoile, & pour lors vous trouverez le lieu cherché sous le point que vous avez marqué sur le méridien.

Par le même moyen vous pouvez trouver dans quel lieu une étoile ou autre phénomene, se leve ou se couche au tems donné.

Placer le globe de maniere, que sous une latitude donnée, le soleil éclaire les mêmes régions dépeintes sur le globe qu'il éclaire actuellement sur la terre. Rectifiez le globe, c'est-à-dire élevez le pole suivant la latitude du lieu ; portez ce lieu sous le méridien, & mettez le globe au nord & au sud par le moyen de la boussole ; pour lors, comme le globe sera dans la même situation que la terre, par rapport au soleil, celui-ci éclairera la même partie sur le globe qu'il éclaire actuellement sur la terre ; d'où il s'ensuit que dans cette situation la lune éclairera aussi la même partie sur le globe qu'elle éclaire actuellement sur la terre.

De la même maniere on peut trouver les lieux où le soleil & la lune se levent & se couchent au tems donné.

Trouver par le moyen du globe de combien de lieues deux endroits quelconques sont éloignés l'un de l'autre. Prenez avec le compas la distance des lieux donnés, & portez-la sur l'équateur ; les degrés que cette distance donnera étant réduits en milles, lieues, &c. donneront la distance cherchée. Voyez Harris, Chambers, Wolf, & l'usage des globes de Bion. (O)

On peut faire la même chose un peu plus commodément, en étendant sur les deux lieux le bord du quart de cercle où sont marqués les degrés, & en comptant les degrés qui y sont compris.

GLOBE DE FEU, (Physiq.) est une boule ardente qui pour l'ordinaire se meut fort rapidement en l'air, & qui traîne le plus souvent une queue après elle. Lorsque ces globes viennent à se dissiper, ils laissent quelquefois dans l'air un petit nuage de couleur cendrée ; ils sont souvent d'une grosseur prodigieuse. En 1686, Kirch en vit un à Leipsik dont le diametre étoit presqu'aussi grand que le demi-diametre de la lune ; il éclairoit si fort la terre pendant la nuit, qu'on auroit pû lire sans lumiere ; & il disparut insensiblement. On vit aussi le même globe dans la ville de Schlaitz, située sur les frontieres du Voigtland, sur un bras de la riviere de Saal, environ à onze milles d'Allemagne de Leipsik ; d'où l'on peut conclure que ce globe avoit au-moins six milles de Hollande d'élévation perpendiculaire au-dessus de la Terre. Par conséquent si on donne à un mille 1200 piés de longueur, le diametre de ce globe ardent aura été du-moins de 335 piés. Celui que Balbus vit à Boulogne en 1719, étoit beaucoup plus gros ; son diametre paroissoit égal à celui de la pleine lune ; sa couleur étoit comme celle du camfre ardent, & jettoit une lumiere aussi éclatante que celle que répand le soleil lorsqu'il est presque levé : on y remarquoit quatre gouffres qui vomissoient de la fumée, & l'on voyoit en-dehors de petites flammes qui reposoient dessus, & qui se jettoient en-haut ; sa queue étoit sept fois plus grande que son diametre ; il creva en faisant un bruit affreux.

On voit quelques-uns de ces globes qui s'arrêtent en un endroit, & d'autres qui se meuvent avec une grande rapidité. Ils répandent par-tout où ils passent une odeur de soufre brûlé, qui décele leur nature. Ces globes sont sans-doute une espece de nuée entiere, dont la plus grande partie est de soufre & d'autres matieres combustibles, car la couleur blanche camfrée indique une composition, le soufre ne donnant qu'une flamme bleue. Toutes ces matieres rassemblées produisent une effervescence, suivie d'inflammation. Ce fluide ardent pressé de toutes parts par l'air, autre fluide, s'arrondit en globe, comme cela ne manque pas d'arriver à tous les fluides qui nagent dans d'autres. Essais de Physique par M. Mussch. art. 1694. & suiv.

M. Musschenbroeck conjecture que le phénomene lumineux observé par Montanati en 1676, étoit un globe de cette espece. Cette masse de lumiere traversa la mer Adriatique & l'Italie, & fit entendre du bruit par-dessus tous les endroits où elle passa, surtout à Livourne & en Corse.

On voit par ce récit, qu'il y a quelques-uns de ces globes qui ne font point de bruit, & d'autres qui en font : ce dernier cas arrive sur-tout dans les tems orageux. On a plusieurs observations de globes de feu tombés avec bruit dans le tems qu'il faisoit des éclairs accompagnés de tonnerre, & souvent ces globes ont causé du dommage. On peut en voir le détail dans M. Mussch. essais de Physique, §. 1716.

La matiere de ces globes est évidemment la même que celle de l'électricité. Voyez donc COUP FOUDROYANT, ELECTRICITE, FEU ELECTRIQUE, & sur-tout METEORES & TONNERRE. (O)

GLOBE, (Science des Emblèmes.) Le Tems tenant entre ses mains un grand globe, désigne le globe, de la terre, qu'il renferme en lui, pour ainsi dire, parce qu'il regle conjointement avec le soleil, la durée des heures & des jours, & qu'il engloutit tous les évenemens de cette durée. Dans d'autres emblèmes, la Providence porte une baguette dont elle semble toucher un globe, pour marquer qu'elle gouverne le monde. (D.J.)

GLOBE, (Art numismat.) Sur les médailles, le globe à la main d'un prince est le symbole de sa puissance ; & lorsqu'il paroît offrir le globe à ceux qui sont autour de lui, c'est pour désigner que comme maître du monde, il est en même tems le distributeur des graces. La basse flatterie a imaginé ces sortes d'emblèmes pour les empereurs romains. (D.J.)

GLOBE DE FEU, (Artificier) On appelle ainsi une sorte d'artifice sphérique, ou par son effet, ou par la figure de son cartouche.


GLOBOSITESS. f. pl. (Hist. nat. Lythol.) nom que l'on donne à des coquilles pétrifiées qui sont renflées par le milieu, & fort semblables à des noix. Elles ont ordinairement une ouverture fort large, & des tubercules à la partie supérieure. Wallerius, minéralogie.


GLOBULAIRES. f. globularia, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur, composée de plusieurs fleurons qui n'ont qu'une levre, & qui sont découpés & soûtenus chacun par un calice. Il sort du fond de ce calice un pistil qui entre dans la partie inférieure du fleuron, & qui devient une semence renfermée dans une capsule formée par le calice du fleuron. Les capsules portent sur un placenta, qui occupe le milieu du calice commun. Tournefort, inst. rei herb Voyez PLANTE. (I)


GLOBULES. m. (Physiq.) signifie à la lettre un petit globe. Ce mot est d'usage en Medecine, pour exprimer les petites parties rondes & rouges du sang, voyez l'article qui suit ; & Descartes a donné ce nom aux petits globes de matiere subtile, qui forment ce qu'il appelle son second élément. C'est dans la pression des globules qui composent ce second élément, qu'il fait consister la lumiere. Voyez CARTESIANISME & LUMIERE. Les globules de Descartes sont aujourd'hui peu en honneur, même parmi ceux qui suivent sa philosophie sur d'autres points. (O)

GLOBULE, (Physiol.) ce terme est employé pour désigner de petites parties arrondies en forme de sphere, de globe, qui flottent dans la sérosité qui constitue le véhicule du sang, de la lymphe, du lait, du chyle, &c.

C'est de la différence de ces globules, qui sont rouges dans le sang, blanchâtres dans la lymphe, que dépend la différente consistance, la différente densité de ces humeurs. Ces globules ne peuvent être distingués les uns des autres, lorsqu'ils forment une masse liquide, que par le secours du microscope.

Les plus belles & les plus curieuses observations à ce sujet, se trouvent dans les oeuvres de Lewenhoeck, & dans les mémoires de Gaspard Bartholin, fils de Thomas, insérés dans les actes de Copenhague, vol. III. obs. 3. Voyez les articles LYMPHE, SANG. (d)


GLOBULEUXadj. (Physiq.) composé de globules : ainsi on dit une matiere globuleuse, pour dire une matiere composée de parties détachées, qui ont la forme de petits globes.


GLOCESTERClaudia Castra, (Géog.) est le Glevum des anciens ; ville d'Angleterre, capitale du comté du même nom, avec un évêché suffragant de Cantorberi, fondé par Henri VIII. en 1554. La cathédrale est très-belle. Glocester est sur la Saverne, à 28 lieues N. O. de Londres, 8 S. de Worcester. Long. 15. 26. lat. 51. 56. (D.J.)


GLOCESTER-HIRE(Géog.) province maritime d'Angleterre, située le long de la Saverne qui la traverse. Elle est bornée au S. par le Sommerset-shire, E. par Wilt-shire & Oxford-shire, N. par Warwich-shire & Worcester-shire, O. par Hertford-shire & Monmouth-shire. La province de Glocester a 130 milles de tour, & contient environ 800 mille arpens. Elle est belle, fertile en pâturages, abonde en blé, en lames, en bois, en fer, en acier, en cidre, & en saumon. Elle est le lieu de la demeure des anciens Dobunes ; Atkins a donné l'histoire de cette province : Glocester en est la capitale. (D.J.)


GLOGAW(LE DUCHE) Géog. duché considérable d'Allemagne dans la Silésie, aux confins de la Pologne. Il comprend plusieurs villes, & un grand nombre de villages. Zeyler en donne l'histoire dans sa topographie de la Silésie. Un usage particulier dans ce duché, c'est qu'à l'égard de la succession des fiefs, les filles succedent au défaut de fils, préférablement aux autres parens & collatéraux. (D.J.)

GLOGAW, (le grand) Géog. Il y a deux villes de ce nom en Silésie, qu'on distingue par les épithetes de grand & de petit Glogaw.

Le grand Glogaw, Glogaria, anciennement Lugidunum, est une ville forte en Silésie, capitale du duché du même nom. Elle est l'étape & le grenier des provinces voisines, à cause de la fertilité de son terrein, qui n'est guere inférieur à celui de Breslaw : c'est aussi la ville la plus peuplée & la mieux située de toute la Silésie. Elle est sur l'Oder, à 18 lieues N. O. de Breslaw, 20 N. E. de Gorlitz, 46 N. E. de Prague. Long. 33. 48. lat. 51. 40.

Le petit Glogaw est à deux lieues du grand Glogaw, & ne mérite aucun détail. (D.J.)


GLOIREGLORIEUX, GLORIEUSEMENT, GLORIFIER, (Gramm.) La gloire est la réputation jointe à l'estime ; elle est au comble, quand l'admiration s'y joint. Elle suppose toûjours des choses éclatantes, en actions, en vertus, en talens, & toûjours de grandes difficultés surmontées. César, Alexandre ont eu de la gloire. On ne peut guere dire que Socrate en ait eu ; il attire l'estime, la vénération, la pitié, l'indignation contre ses ennemis ; mais le terme de gloire seroit impropre à son égard. Sa mémoire est respectable, plûtôt que glorieuse. Attila eut beaucoup d'éclat ; mais il n'a point de gloire, parce que l'histoire, qui peut-être se trompe, ne lui donne point de vertus. Charles XII. a encore de la gloire, parce que sa valeur, son desintéressement, sa libéralité, ont été extrèmes. Les succès suffisent pour la réputation, mais non pas pour la gloire. Celle de Henri IV. augmente tous les jours, parce que le tems a fait connoître toutes ses vertus, qui étoient incomparablement plus grandes que ses défauts.

La gloire est aussi le partage des inventeurs dans les beaux Arts ; les imitateurs n'ont que des applaudissemens. Elle est encore accordée aux grands talens, mais dans les arts sublimes. On dira bien la gloire de Virgile, de Cicéron, mais non de Martial & d'Aulugelle.

On a osé dire la gloire de Dieu ; il travaille pour la gloire de Dieu, Dieu a créé le monde pour sa gloire : ce n'est pas que l'Etre suprème puisse avoir de la gloire ; mais les hommes n'ayant point d'expressions qui lui conviennent, employent pour lui celles dont ils sont les plus flatés.

La vaine gloire est cette petite ambition qui se contente des apparences, qui s'étale dans le grand faste, & qui ne s'éleve jamais aux grandes choses. On a vû des souverains qui ayant une gloire réelle, ont encore aimé la vaine gloire, en recherchant trop les loüanges, en aimant trop l'appareil de la représentation.

La fausse gloire tient souvent à la vaine, mais souvent elle se porte à des excès ; & la vaine se renferme plus dans les petitesses. Un prince qui mettra son honneur à se vanger, cherchera une gloire fausse plûtôt qu'une gloire vaine.

Faire gloire, faire vanité, se faire honneur, se prennent quelquefois dans le même sens, & ont aussi des sens différens. On dit également, il fait gloire, il fait vanité, il se fait honneur de son luxe, de ses excès : alors gloire signifie gloire. Il fait gloire de souffrir pour la bonne cause, & non pas il fait vanité. Il se fait honneur de son bien, & non pas il fait gloire ou vanité de son bien.

Rendre gloire signifie reconnoître, attester. Rendez gloire à la vérité, reconnoissez la vérité. Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire (Athal.), attestez le Dieu que vous servez.

La gloire est prise pour le ciel ; il est au séjour de la gloire.

Où le conduisez-vous ?... à la mort.... à la gloire. Polieucte.

On ne se sert de ce mot pour désigner le ciel que dans notre religion. Il n'est pas permis de dire que Bacchus, Hercule, furent reçus dans la gloire, en parlant de leur apothéose.

Glorieux, quand il est l'épithete d'une chose inanimée, est toûjours une louange ; bataille, paix, affaire glorieuse. Rang glorieux signifie rang élevé, & non pas rang qui donne de la gloire, mais dans lequel on peut en acquérir. Homme glorieux, esprit glorieux, est toûjours une injure ; il signifie celui qui se donne à lui-même ce qu'il devroit mériter des autres : ainsi on dit un regne glorieux, & non pas un roi glorieux. Cependant ce ne seroit pas une faute de dire au pluriel, les plus glorieux conquérans ne valent pas un prince bienfaisant ; mais on ne dira pas, les princes glorieux, pour dire les princes illustres.

Le glorieux n'est pas tout-à-fait le fier, ni l'avantageux, ni l'orgueilleux. Le fier tient de l'arrogant & du dédaigneux, & se communique peu. L'avantageux abuse de la moindre déférence qu'on a pour lui. L'orgueilleux étale l'excès de la bonne opinion qu'il a de lui-même. Le glorieux est plus rempli de vanité ; il cherche plus à s'établir dans l'opinion des hommes ; il veut réparer par les dehors ce qui lui manque en effet. L'orgueilleux se croit quelque chose ; le glorieux veut paroître quelque chose. Les nouveaux parvenus sont d'ordinaire plus glorieux que les autres. On a appellé quelquefois les Saints & les Anges, les glorieux, comme habitans du séjour de la gloire.

Glorieusement est toûjours pris en bonne part ; il regne glorieusement ; il se tira glorieusement d'un grand danger, d'une mauvaise affaire.

Se glorifier est tantôt pris en bonne part, tantôt en mauvaise, selon l'objet dont il s'agit. Il se glorifie d'avoir exercé son emploi avec dureté. Il se glorifie d'une disgrace qui est le fruit de ses talens & l'effet de l'envie. On dit des martyrs qu'ils glorifioient Dieu, c'est-à-dire que leur constance rendoit respectable aux hommes le Dieu qu'ils annonçoient. Article de M. DE VOLTAIRE.

GLOIRE, s. f. (Philosoph. Morale) c'est l'éclat de la bonne renommée.

L'estime est un sentiment tranquille & personnel ; l'admiration, un mouvement rapide & quelquefois momentané ; la célébrité, une renommée étendue ; la gloire, une renommée éclatante, le concert unanime & soûtenu d'une admiration universelle.

L'estime a pour base l'honnête ; l'admiration, le rare & le grand dans le bien moral ou physique ; la célébrité, l'extraordinaire, l'étonnant pour la multitude ; la gloire, le merveilleux.

Nous appellons merveilleux ce qui s'éleve ou semble s'élever au-dessus des forces de la nature : ainsi la gloire humaine, la seule dont nous parlons ici, tient beaucoup de l'opinion ; elle est vraie ou fausse comme elle.

Il y a deux sortes de fausse gloire ; l'une est fondée sur un faux merveilleux ; l'autre sur un merveilleux réel, mais funeste. Il semble qu'il y ait aussi deux especes de vraie gloire ; l'une fondée sur un merveilleux agréable ; l'autre sur un merveilleux utile au monde : mais ces deux objets n'en font qu'un.

La gloire fondée sur un faux merveilleux, n'a que le regne de l'illusion, & s'évanoüit avec elle : telle est la gloire de la prospérité. La prospérité n'a point de gloire qui lui appartienne ; elle usurpe celle des talens & des vertus, dont on suppose qu'elle est la compagne : elle en est bien-tôt dépouillée, si l'on s'apperçoit que ce n'est qu'un larcin ; & pour l'en convaincre, il suffit d'un revers, eripitur persona, manet res. On adoroit la fortune dans son favori ; il est disgracié, on le méprise : mais ce retour n'est que pour le peuple ; aux yeux de celui qui voit les hommes en eux-mêmes, la prospérité ne prouve rien, l'adversité n'a rien à détruire.

Qu'avec un esprit souple & une ame rampante, un homme né pour l'oubli s'éleve au sommet de la fortune ; qu'il parvienne au comble de la faveur, c'est un phénomene que le vulgaire n'ose contempler d'un oeil fixe ; il admire, il se prosterne ; mais le sage n'est point ébloüi ; il découvre les taches de ce prétendu corps lumineux, & voit que ce qu'on appelle sa lumiere, n'est rien qu'un éclat réfléchi, superficiel & passager.

La gloire fondée sur un merveilleux funeste, fait une impression plus durable ; & à la honte des hommes, il faut un siecle pour l'effacer : telle est la gloire des talens supérieurs, appliqués au malheur du monde.

Le genre de merveilleux le plus funeste, mais le plus frappant, fut toûjours l'éclat des conquêtes. Il va nous servir d'exemple, pour faire voir aux hommes combien il est absurde d'attacher la gloire aux causes de leurs malheurs.

Vingt mille hommes dans l'espoir du butin, en ont suivi un seul au carnage. D'abord un seul homme à la tête de vingt mille hommes déterminés & dociles, intrépides & soûmis, a étonné la multitude. Ces milliers d'hommes en ont égorgé, mis en fuite, ou subjugué un plus grand nombre. Leur chef a eu le front de dire, j'ai combattu, je suis vainqueur ; & l'Univers a répété, il a combattu, il est vainqueur : de-là le merveilleux & la gloire des conquêtes.

Savez-vous ce que vous faites, peut-on demander à ceux qui célebrent les conquérans ? Vous applaudissez à des gladiateurs qui, s'exerçant au milieu de vous, se disputent le prix que vous reservez à qui vous portera les coups les plus sûrs & les plus terribles. Redoublez d'acclamations & d'éloges. Aujourd'hui ce sont les corps sanglans de vos voisins qui tombent épars dans l'arene ; demain ce sera votre tour.

Telle est la force du merveilleux sur les esprits de la multitude. Les opérations productrices sont la plûpart lentes & tranquilles ; elles ne nous étonnent point. Les opérations destructives sont rapides & bruyantes ; nous les plaçons au rang des prodiges. Il ne faut qu'un mois pour ravager une province ; il faut dix ans pour la rendre fertile. On admire celui qui l'a ravagée ; à peine daigne-t-on penser à celui qui la rend fertile. Faut-il s'étonner qu'il se fasse tant de grands maux & si peu de grands biens ?

Les peuples n'auront-ils jamais le courage ou le bon sens de se réunir contre celui qui les immole à son ambition effrénée, & de lui dire d'un côté comme les soldats de César :

Liceat discedere, Caesar,

A rabie scelerum. Quaeris terrâque marique

His ferrum jugulis. Animas effundere viles,

Quolibet hoste, paras. (Lucan.)

De l'autre côté, comme le Scythe à Alexandre : " Qu'avons-nous à démêler avec toi ? Jamais nous n'avons mis le pié dans ton pays. N'est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois d'ignorer qui tu es & d'où tu viens " ?

N'y aura-t-il pas du-moins une classe d'hommes assez au-dessus du vulgaire, assez sages, assez courageux, assez éloquens, pour soûlever le monde contre ses oppresseurs, & lui rendre odieuse une gloire barbare ?

Les gens de Lettres déterminent l'opinion d'un siecle à l'autre ; c'est par eux qu'elle est fixée & transmise ; en quoi ils peuvent être les arbitres de la gloire, & par conséquent les plus utiles des hommes ou les plus pernicieux.

Vixere fortes ante Agamemnona

Multi ; sed omnes illacrymabiles

Urgentur, ignotique longâ

Nocte : carent quia vate sacro. (Horat.)

Abandonnée au peuple, la vérité s'altere & s'obscurcit par la tradition ; elle s'y perd dans un déluge de fables. L'héroïque devient absurde en passant de bouche en bouche : d'abord on l'admire comme un prodige ; bien-tôt on le méprise comme un conte suranné, & l'on finit par l'oublier. La saine postérité ne croit des siecles reculés, que ce qu'il a plû aux écrivains célebres.

Louis XII. disoit : " Les Grecs ont fait peu de choses, mais ils ont ennobli le peu qu'ils ont fait par la sublimité de leur éloquence. Les François ont fait de grandes choses & en grand nombre ; mais ils n'ont pas sû les écrire. Les seuls Romains ont eu le double avantage de faire de grandes choses, & de les célébrer dignement ". C'est un roi qui reconnoît que la gloire des nations est dans les mains des gens de Lettres.

Mais, il faut l'avoüer, ceux-ci ont trop souvent oublié la dignité de leur état ; & leurs éloges prostitués aux crimes heureux, ont fait de grands maux à la terre.

Demandez à Virgile quel étoit le droit des Romains sur le reste des hommes, il vous répond hardiment,

Parcere subjectis, & debellare superbos.

Demandez à Solis ce qu'on doit penser de Cortès & de Montezuma, des Mexiquains & des Espagnols ; il vous répond que Cortès étoit un héros, & Montezuma un tyran ; que les Mexiquains étoient des barbares, & les Espagnols des gens de bien.

En écrivant on adopte un personnage, une patrie ; & il semble qu'il n'y ait plus rien au monde, ou que tout soit fait pour eux seuls. La patrie d'un sage est la terre, son héros est le genre humain.

Qu'un courtisan soit un flateur, son état l'excuse en quelque sorte & le rend moins dangereux. On doit se défier de son témoignage ; il n'est pas libre : mais qui oblige l'homme de Lettres à se trahir lui-même & ses semblables, la nature & la vérité ?

Ce n'est pas tant la crainte, l'intérêt, la bassesse, que l'ébloüissement, l'illusion, l'enthousiasme, qui ont porté les gens de Lettres à décerner la gloire aux forfaits éclatans. On est frappé d'une force d'esprit ou d'ame surprenante dans les grands crimes, comme dans les grandes vertus ; mais là, par les maux qu'elle cause ; ici, par les biens qu'elle fait : car cette force est dans le moral, ce que le feu est dans le physique, utile ou funeste comme lui, suivant ses effets pernicieux ou salutaires. Les imaginations vives n'en ont vû l'explosion que comme un développement prodigieux des ressorts de la nature, comme un tableau magnifique à peindre. En admirant la cause on a loüé les effets : ainsi les fléaux de la terre en sont devenus les héros.

Les hommes nés pour la gloire, l'ont cherchée où l'opinion l'avoit mise. Alexandre avoit sans-cesse devant les yeux la fable d'Achille ; Charles XII. l'histoire d'Alexandre : de-là cette émulation funeste qui de deux rois pleins de valeur & de talens, fit deux guerriers impitoyables. Le roman de Quinte-Curce a peut-être fait le malheur de la Suede ; le poëme d'Homere, les malheurs de l'Inde ; puisse l'histoire de Charles XII. ne perpétuer que ses vertus !

Le sage seul est bon poëte, disoient les Stoïciens. Ils avoient raison : sans un esprit droit & une ame pure, l'imagination n'est qu'une Circé, & l'harmonie qu'une sirene.

Il en est de l'historien & de l'orateur comme du poëte : éclairés & vertueux, ce sont les organes de la justice, les flambeaux de la vérité : passionnés & corrompus, ce ne sont plus que les courtisans de la prospérité, les vils adulateurs du crime.

Les Philosophes ont usé de leurs droits, & parlé de la gloire en maîtres.

" Savez-vous, dit Pline à Trajan, où réside la gloire véritable, la gloire immortelle d'un souverain ? Les arcs de triomphe, les statues, les temples même & les autels, sont démolis par le tems ; l'oubli les efface de la terre : mais la gloire d'un héros, qui supérieur à sa puissance illimitée, sait la dompter & y mettre un frein, cette gloire inaltérable fleurira même en vieillissant.

En quoi ressembloit à Hercule ce jeune insensé qui prétendoit suivre ses traces, dit Seneque en parlant d'Alexandre, lui qui cherchoit la gloire sans en connoître ni la nature ni les limites, & qui n'avoit pour vertu qu'une heureuse témérité ? Hercule ne vainquit jamais pour lui-même ; il traversa le monde pour le vanger, & non pour l'envahir. Qu'avoit-il besoin de conquêtes, ce héros, l'ennemi des méchans, le vangeur des bons, le pacificateur de la terre & des mers ? Mais Alexandre, enclin dès l'enfance à la rapine, fut le desolateur des nations, le fléau de ses amis & de ses ennemis. Il faisoit consister le souverain bien à se rendre redoutable à tous les hommes ; il oublioit que cet avantage lui étoit commun non-seulement avec les plus féroces, mais encore avec les plus lâches & les plus vils des animaux qui se font craindre par leur venin ".

C'est ainsi que les hommes nés pour instruire & pour juger les autres hommes, devroient leur présenter sans-cesse en opposition la valeur protectrice & la valeur destructive, pour leur apprendre à distinguer le culte de l'amour de celui de la crainte, qu'ils confondent le plus souvent.

Il suffit, direz-vous, à l'ambitieux d'être craint ; la crainte lui tient lieu d'amour : il domine, ses voeux sont remplis. Mais l'ambitieux livré à lui-même, n'est plus qu'un homme foible & timide. Persuadez à ceux qui le servent qu'ils se perdent en le servant ; que ses ennemis sont leurs freres, & qu'il est leur bourreau commun. Rendez-le odieux à ceux-mêmes qui le rendent redoutable, que devient alors cet homme prodigieux devant qui tout devoit trembler ? Tamerlan, l'effroi de l'Asie, n'en sera plus que la fable ; quatre hommes suffisent pour l'enchaîner comme un furieux, pour le châtier comme un enfant. C'est à quoi seroit réduite la force & la gloire des conquérans, si l'on arrachoit au peuple le bandeau de l'illusion & les entraves de la crainte.

Quelques-uns se sont crûs fort sages en mettant dans la balance, pour apprécier la gloire d'un vainqueur, ce qu'il devoit au hasard & à ses troupes, avec ce qu'il ne devoit qu'à lui seul. Il s'agit bien là de partager la gloire ! C'est la honte qu'il faut répandre, c'est l'horreur qu'il faut inspirer. Celui qui épouvante la terre, est pour elle un dieu infernal ou céleste ; on l'adorera si on ne l'abhorre : la superstition ne connoît point de milieu.

Ce n'est pas lui qui a vaincu, direz-vous d'un conquérant : non, mais c'est lui qui a fait vaincre. N'est-ce rien que d'inspirer à une multitude d'hommes la résolution de combattre, de vaincre ou de mourir sous ses drapeaux ? Cet ascendant sur les esprits suffiroit lui seul à sa gloire. Ne cherchez donc pas à détruire le merveilleux des conquêtes, mais rendez ce merveilleux aussi détestable qu'il est funeste : c'est par-là qu'il faut l'avilir.

Que la force & l'élévation d'une ame bienfaisante & généreuse, que l'activité d'un esprit supérieur, appliquée au bonheur du monde, soient les objets de vos hommages ; & de la même main qui élevera des autels au desintéressement, à la bonté, à l'humanité, à la clémence, que l'orgueil, l'ambition, la vengeance, la cupidité, la fureur, soient traînés au tribunal redoutable de l'incorruptible postérité : c'est alors que vous serez les Némésis de votre siecle, les Rhadamantes des vivans.

Si les vivans vous intimident, qu'avez-vous à craindre des morts ? vous ne leur devez que l'éloge du bien ; le blâme du mal, vous le devez à la terre : l'opprobre attaché à leur nom réjaillira sur leurs imitateurs. Ceux-ci trembleront de subir à leur tour l'arrêt qui flétrit leurs modeles ; ils se verront dans l'avenir ; ils frémiront de leur mémoire.

Mais à l'égard des vivans mêmes, quel parti doit prendre l'homme de Lettres, à la vûe des succès injustes & des crimes heureux ? S'élever contre, s'il en a la liberté & le courage ; se taire, s'il ne peut ou s'il n'ose rien de plus.

Ce silence universel des gens de Lettres seroit lui-même un jugement terrible, si l'on étoit accoûtumé à les voir se réunir pour rendre un témoignage éclatant aux actions vraiment glorieuses. Que l'on suppose ce concert unanime, tel qu'il devroit être ; tous les Poëtes, tous les Historiens, tous les Orateurs se répondant des extrémités du monde, & prêtant à la renommée d'un bon roi, d'un héros bienfaisant, d'un vainqueur pacifique, des voix éloquentes & sublimes pour répandre son nom & sa gloire dans l'univers ; que tout homme qui par ses talens & ses vertus aura bien mérité de sa patrie & de l'humanité, soit porté comme en triomphe dans les écrits de ses contemporains ; qu'il paroisse alors un homme injuste, violent, ambitieux, quelque puissant, quelqu'heureux qu'il soit, les organes de la gloire seront muets ; la terre entendra ce silence ; le tyran l'entendra lui-même, & il en sera confondu. Je suis condamné, dira-t-il, & pour graver ma honte en airain on n'attend plus que ma ruine.

Quel respect n'imprimeroient pas le pinceau de la Poësie, le burin de l'Histoire, la foudre de l'Eloquence, dans des mains équitables & pures ? Le crayon foible, mais hardi, de l'Arétin, faisoit trembler les empereurs.

La fausse gloire des conquérans n'est pas la seule qu'il faudroit convertir en opprobre ; mais les principes qui la condamnent s'appliquent naturellement à tout ce qui lui ressemble, & les bornes qui nous sont prescrites ne nous permettent que de donner à réfléchir sur les objets que nous parcourons.

La vraie gloire a pour objets l'utile, l'honnête & le juste ; & c'est la seule qui soûtienne les regards de la vérité : ce qu'elle a de merveilleux, consiste dans des efforts de talent ou de vertu dirigés au bonheur des hommes.

Nous avons observé qu'il sembloit y avoir une sorte de gloire accordée au merveilleux agréable ; mais ce n'est qu'une participation à la gloire attachée au merveilleux utile : telle est la gloire des beaux Arts.

Les beaux Arts ont leur merveilleux : ce merveilleux a fait leur gloire. Le pouvoir de l'éloquence, le prestige de la Poësie, le charme de la Musique, l'illusion de la Peinture, &c. ont dû paroître des prodiges, dans les tems sur-tout où l'éloquence changeoit la face des états, où la Musique & la Poësie civilisoient les hommes, où la Sculpture & la Peinture imprimoient à la terre le respect & l'adoration.

Ces effets merveilleux des Arts ont été mis au rang de ce que les hommes avoient produit de plus étonnant & de plus utile ; & l'éclatante célébrité qu'ils ont eue, a formé l'une des especes comprises sous le nom générique de gloire, soit que les hommes ayent compté leurs plaisirs au nombre des plus grands biens, & les Arts qui les causoient, au nombre des dons les plus précieux que le Ciel eût faits à la terre ; soit qu'ils n'ayent jamais crû pouvoir trop honorer ce qui avoit contribué à les rendre moins barbares ; & que les Arts considérés comme compagnons des vertus, ayent été jugés dignes d'en partager le triomphe, après en avoir secondé les travaux.

Ce n'est même qu'à ce titre que les talens en général nous semblent avoir droit d'entrer en société de gloire avec les vertus, & la société devient plus intime à mesure qu'ils concourent plus directement à la même fin. Cette fin est le bonheur du monde ; ainsi les talens qui contribuent le plus à rendre les hommes heureux, devroient naturellement avoir le plus de part à la gloire. Mais ce prix attaché aux talens doit être encore en raison de leur rareté & de leur utilité combinées. Ce qui n'est que difficile, ne mérite aucune attention ; ce qui est aisé, quoique utile, pour exercer un talent commun, n'attend qu'un salaire modique. Il suffit au laboureur de se nourrir de ses moissons. Ce qui est en même tems d'une grande importance & d'une extrême difficulté, demande des encouragemens proportionnés aux talens qu'on y employe. Le mérite du succès est en raison de l'utilité de l'entreprise, & de la rareté des moyens.

Suivant cette regle, les talens appliqués aux beaux Arts, quoique peut-être les plus étonnans, ne sont pas les premiers admis au partage de la gloire. Avec moins de génie que Tacite & que Corneille, un ministre, un législateur seront placés au-dessus d'eux.

Suivant cette regle encore, les mêmes talens ne sont pas toûjours également recommandables ; & leurs protecteurs, pour encourager les plus utiles, doivent consulter la disposition des esprits & la constitution des choses ; favoriser, par exemple, la Poésie dans des tems de barbarie & de férocité, l'Eloquence dans des tems d'abattement & de desolation, la Philosophie dans des tems de superstition & de fanatisme. La premiere adoucira les moeurs, & rendra les ames flexibles ; la seconde relevera le courage des peuples, & leur inspirera ces résolutions vigoureuses qui triomphent des revers : la derniere dissipera les fantômes de l'erreur & de la crainte, & montrera aux hommes le précipice où ils se laissent conduire les mains liées & les yeux bandés.

Mais comme ces effets ne sont pas exclusifs ; que les talens qui les operent se communiquent & se confondent ; que la Philosophie éclaire la Poésie qui l'embellit ; que l'éloquence anime l'une & l'autre, & s'enrichit de leurs trésors, le parti le plus avantageux seroit de les nourrir, de les exercer ensemble, pour les faire agir à-propos, tour-à-tour ou de concert, suivant les hommes, les lieux & les tems. Ce sont des moyens bien puissans & bien négligés, de conduire & de gouverner les peuples. La sagesse des anciennes républiques brilla sur-tout dans l'emploi des talens capables de persuader & d'émouvoir.

Au contraire rien n'annonce plus la corruption & l'ivresse où les esprits sont plongés, que les honneurs extravagans accordés à des arts frivoles. Rome n'est plus qu'un objet de pitié, lorsqu'elle se divise en factions pour des pantomimes, lorsque l'exil de ces hommes perdus est une calamité, & leur retour un triomphe.

La gloire, comme nous l'avons dit, doit être réservée aux coopérateurs du bien public ; & non-seulement les talens, mais les vertus elles-mêmes n'ont droit d'y aspirer qu'à ce titre.

L'action de Virginius immolant sa fille, est aussi forte & plus pure que celle de Brutus condamnant son fils ; cependant la derniere est glorieuse, la premiere ne l'est pas. Pourquoi ? Virginius ne sauvoit que l'honneur des siens, Brutus sauvoit l'honneur des lois & de la patrie. Il y avoit peut-être bien de l'orgueil dans l'action de Brutus, peut-être n'y avoit-il que de l'orgueil : il n'y avoit dans celle de Virginius que de l'honnêteté & du courage ; mais celui-ci faisoit tout pour sa famille, celui-là faisoit tout, ou sembloit faire tout pour Rome ; & Rome, qui n'a regardé l'action de Virginius que comme celle d'un honnête homme & d'un bon pere, a consacré l'action de Brutus comme celle d'un héros. Rien n'est plus juste que ce retour.

Les grands sacrifices de l'intérêt personnel au bien public, demandent un effort qui éleve l'homme au-dessus de lui-même, & la gloire est le seul prix qui soit digne d'y être attaché. Qu'offrir à celui qui immole sa vie, comme Décius ; son honneur, comme Fabius ; son ressentiment, comme Camille ; ses enfans, comme Brutus & Manlius ? La vertu qui se suffit, est une vertu plus qu'humaine : il n'est donc ni prudent ni juste d'exiger que la vertu se suffise. Sa récompense doit être proportionnée au bien qu'elle opere, au sacrifice qu'il lui en coûte, aux talens personnels qui la secondent ; ou si les talens personnels lui manquent, au choix des talens étrangers qu'elle appelle à son secours : car ce choix dans un homme public renferme en lui tous les talens.

L'homme public qui feroit tout par lui-même, feroit peu de choses. L'éloge que donne Horace à Auguste, Cùm tot sustineas, & tanta negotia solus, signifie seulement que tout se faisoit en son nom, que tout se passoit sous ses yeux. Le don de régner avec gloire n'exige qu'un talent & qu'une vertu ; ils tiennent lieu de tout, & rien n'y supplée. Cette vertu, c'est d'aimer les hommes ; ce talent, c'est de les placer. Qu'un roi veuille courageusement le bien, qu'il y employe à propos les talens & les vertus analogues ; ce qu'il fait par inspiration n'en est pas moins à lui, & la gloire qui lui en revient ne fait que remonter à sa source.

Il ne faut pas croire que les talens & les vertus sublimes se donnent rendez-vous pour se trouver ensemble dans tel siecle & dans tel pays ; on doit supposer un aimant qui les attire, un souffle qui les développe, un esprit qui les anime, un centre d'activité qui les enchaîne autour de lui. C'est donc à juste titre qu'on attribue à un roi qui a sû régner, toute la gloire de son regne ; ce qu'il a inspiré, il l'a fait, & l'hommage lui en est dû.

Voyez un roi qui par les liens de la confiance & de l'amour unit toutes les parties de son état, en fait un corps dont il est l'ame, encourage la population & l'industrie, fait fleurir l'Agriculture & le Commerce ; excite, aiguillonne les Arts, rend les talens actifs & les vertus fécondes : ce roi, sans coûter une larme à ses sujets, une goutte de sang à la terre, accumule au sein du repos un trésor immense de gloire, & la moisson en appartient à la main qui l'a semée.

Mais la gloire, comme la lumiere, se communique sans s'affoiblir : celle du souverain se répand sur la nation ; & chacun des grands hommes dont les travaux y contribuent, brille en particulier du rayon qui émane de lui. On a dit le grand Condé, le grand Colbert, le grand Corneille, comme on a dit Louis-le-Grand. Celui des sujets qui contribue & participe le plus à la gloire d'un regne heureux, c'est un ministre éclairé, laborieux, accessible, également dévoüé à l'état & au prince, qui s'oublie lui-même, & qui ne voit que le bien ; mais la gloire même de cet homme étonnant remonte au roi qui se l'attache. En effet, si l'utile & le merveilleux font la gloire, quoi de plus glorieux pour un prince, que la découverte & le choix d'un si digne ami ?

Dans la balance de la gloire doivent entrer avec le bien qu'on a fait, les difficultés qu'on a surmontées ; c'est l'avantage des fondateurs, tels que Lycurgue & le czar Pierre. Mais on doit aussi distraire du mérite du succès, tout ce qu'a fait la violence. Il est beau de prévoir, comme Lycurgue, qu'on humanisera un peuple féroce avec de la musique ; il n'y a aucun mérite à imaginer, comme le czar, de se faire obéir à coups de sabre. La seule domination glorieuse est celle que les hommes préferent ou par raison ou par amour : imperatoriam majestatem armis decoratam, legibus oportet esse armatam, dit l'empereur Justinien.

De tous ceux qui ont desolé la terre, il n'en est aucun qui, à l'en croire, n'en voulût assûrer le bonheur. Défiez-vous de quiconque prétend rendre les hommes plus heureux qu'ils ne veulent l'être ; c'est la chimere des usurpateurs, & le prétexte des tyrans. Celui qui fonde un empire pour lui-même, taille dans un peuple comme dans le marbre, sans en regretter les débris ; celui qui fonde un empire pour le peuple qui le compose, commence par rendre ce peuple flexible, & le modifie sans le briser. En général, la personnalité dans la cause publique, est un crime de lese humanité. L'homme qui se sacrifie à lui seul le repos, le bonheur des hommes, est de tous les animaux le plus cruel & le plus vorace : tout doit s'unir pour l'accabler.

Sur ce principe nous nous sommes élevés contre les auteurs de toute guerre injuste. Nous avons invité les dispensateurs de la gloire à couvrir d'opprobre les succès même des conquérans ambitieux ; mais nous sommes bien éloignés de disputer à la profession des armes la part qu'elle doit avoir à la gloire de l'état dont elle est le bouclier, & du throne dont elle est la barriere.

Que celui qui sert son prince ou sa patrie soit armé pour la bonne ou pour la mauvaise cause, qu'il reçoive l'épée des mains de la justice ou des mains de l'ambition, il n'est ni juge ni garant des projets qu'il exécute ; sa gloire personnelle est sans tache, elle doit être proportionnée aux efforts qu'elle lui coûte. L'austérité de la discipline à laquelle il se soûmet, la rigueur des travaux qu'il s'impose, les dangers affreux qu'il va courir ; en un mot, les sacrifices multipliés de sa liberté, de son repos & de sa vie, ne peuvent être dignement payés que par la gloire. A cette gloire qui accompagne sa valeur généreuse & pure, se joint encore la gloire des talens qui dans un grand capitaine éclairent, secondent & couronnent la valeur.

Sous ce point de vûe, il n'est point de gloire comparable à celle des guerriers ; car celle même des législateurs exige peut-être plus de talens, mais beaucoup moins de sacrifices : leurs travaux sont à la vérité sans relâche, mais ils ne sont pas dangereux. En supposant donc le fléau de la guerre inévitable pour l'humanité, la profession des armes doit être la plus honorable, comme elle est la plus périlleuse. Il seroit dangereux sur-tout de lui donner une rivale dans des états exposés par leur situation à la jalousie & aux insultes de leurs voisins. C'est peu d'y honorer le mérite qui commande, il faut y honorer encore la valeur qui obéit. Il doit y avoir une masse de gloire pour le corps qui se distingue ; car si la gloire n'est pas l'objet de chaque soldat en particulier, elle est l'objet de la multitude réunie. Un légionnaire pense en homme, une légion pense en héros ; & ce qu'on appelle l'esprit du corps, ne peut avoir d'autre aliment, d'autre mobile que la gloire.

On se plaint que notre histoire est froide & seche en comparaison de celle des Grecs & des Romains. La raison est bien sensible. L'histoire ancienne est celle des hommes, l'histoire moderne est celle de deux ou trois hommes : un roi, un ministre, un général.

Dans le régiment de Champagne, un officier demande, pour un coup-de main, douze hommes de bonne volonté : tout le corps reste immobile, & personne ne répond. Trois fois la même demande, & trois fois le même silence. Hé quoi, dit l'officier, l'on ne m'entend point ! L'on vous entend, s'écrie une voix ; mais qu'appellez-vous douze hommes de bonne volonté ; nous le sommes tous, vous n'avez qu'à choisir.

La tranchée de Philisbourg étoit inondée, le soldat y marchoit dans l'eau plus qu'à demi-corps. Un très-jeune officier, à qui son jeune âge ne permettoit pas d'y marcher de même, s'y faisoit porter de main en main. Un grenadier le présentoit à son camarade, afin qu'il le prît dans ses bras : mets le sur mon dos, dit celui-ci ; du-moins s'il y a un coup de fusil à recevoir, je le lui épargnerai.

Le militaire françois a mille traits de cette beauté, que Plutarque & Tacite auroient eu grand soin de recueillir. Nous les réléguons dans des mémoires particuliers, comme peu dignes de la majesté de l'histoire. Il faut espérer qu'un historien philosophe s'affranchira de ce préjugé.

Toutes les conditions qui exigent des ames résolues aux grands sacrifices de l'intérêt personnel au bien public, doivent avoir pour encouragement la perspective, du moins éloignée, de la gloire personnelle. On sait bien que les Philosophes, pour rendre la vertu inébranlable, l'ont préparée à se passer de tout : non vis esse justus sine gloriâ ; at, me herculè, saepè justus esse debebis cum infamiâ. Mais la vertu même ne se roidit que contre une honte passagere, & dans l'espoir d'une gloire à venir. Fabius se laisse insulter dans le camp d'Annibal & deshonorer dans Rome pendant le cours d'une campagne ; auroit-il pû se résoudre à mourir deshonoré, à l'être à jamais dans la mémoire des hommes ? N'attendons pas ces efforts de la foiblesse de notre nature ; la religion seule en est capable, & ses sacrifices même ne sont rien moins que desintéressés. Les plus humbles des hommes ne renoncent à une gloire périssable, qu'en échange d'une gloire immortelle. Ce fut l'espoir de cette immortalité qui soûtint Socrate & Caton. Un philosophe ancien disoit : comment veux-tu que je sois sensible au blâme, si tu ne veux pas que je sois sensible à l'éloge ?

A l'exemple de la Théologie, la Morale doit prémunir la vertu contre l'ingratitude & le mépris des hommes, en lui montrant dans le lointain des tems plus heureux & un monde plus juste.

" La gloire accompagne la vertu, comme son ombre, dit Seneque ; mais comme l'ombre d'un corps tantôt le précede, & tantôt le suit, de même la gloire tantôt devance la vertu & se présente la premiere, tantôt ne vient qu'à sa suite, lorsque l'envie s'est retirée ; & alors elle est d'autant plus grande qu'elle se montre plus tard ".

C'est donc une philosophie aussi dangereuse que vaine, de combattre dans l'homme le pressentiment de la postérité & le desir de se survivre. Celui qui borne sa gloire au court espace de sa vie, est esclave de l'opinion & des égards : rebuté, si son siecle est injuste ; découragé, s'il est ingrat : impatient surtout de joüir, il veut recueillir ce qu'il seme ; il préfere une gloire précoce & passagere, à une gloire tardive & durable : il n'entreprendra rien de grand.

Celui qui se transporte dans l'avenir & qui joüit de sa mémoire, travaillera pour tous les siecles, comme s'il étoit immortel : que ses contemporains lui refusent la gloire qu'il a méritée, leurs neveux l'en dédommagent ; car son imagination le rend présent à la postérité.

C'est un beau songe, dira-t-on. Hé joüit-on jamais de sa gloire autrement qu'en songe ? Ce n'est pas le petit nombre de spectateurs qui vous environnent, qui forment le cri de la renommée. Votre réputation n'est glorieuse qu'autant qu'elle vous multiplie où vous n'êtes pas, où vous ne serez jamais. Pourquoi donc seroit-il plus insensé d'étendre en idée son existence aux siecles à venir, qu'aux climats éloignés ? L'espace réel n'est pour vous qu'un point, comme la durée réelle. Si vous vous renfermez dans l'un ou l'autre, votre ame y va languir abattue, comme dans une étroite prison. Le desir d'éterniser sa gloire est un enthousiasme qui nous aggrandit, qui nous éleve au-dessus de nous-mêmes & de notre siecle ; & quiconque le raisonne n'est pas digne de le sentir. " Mépriser la gloire, dit Tacite c'est mépriser les vertus qui y menent " : contemptâ famâ, virtutes contemnuntur. Article de M. MARMONTEL.

GLOIRE, en Peinture, c'est la représentation d'un ciel ouvert & lumineux, avec des anges, des saints, &c. Mignard a peint au Val-de-Grace une gloire.

GLOIRE ; les Artificiers donnent ce nom à un soleil fixe d'une grandeur extraordinaire, de quarante jusqu'à soixante piés de diametre.


GLORIA PATRIS. m. terme de Liturgie ; ce mot est purement latin ; on l'employe en françois dans la suite du discours comme les autres mots. On entend par celui-ci le verset qui se dit à la fin des pseaumes, & en tant d'autres occasions, à la messe, à l'office & dans toutes les prieres que l'Eglise récite. Le mot de gloria est le premier mot de ce verset par lequel on glorifie la sainte Trinité. Voyez DOXOLOGIE.

On appelle quelquefois ce verset du nom des deux premiers mots par où il commence.

On tient que ce fut le pape Damase qui dans l'année 368 ordonna qu'à la fin de chaque pseaume on chanteroit le gloria patri. Baronius croit que cela étoit en usage du tems des apôtres ; mais que l'usage n'en étoit pas si commun qu'il l'a été depuis les commencemens de l'arianisme, qu'il devint comme une profession de foi contre ces hérétiques.

Le cinquieme canon du concile de Vaison tenu en 529 porte " on récitera dans nos églises le nom du pape ; & après gloria patri, on ajoûtera sicut erat in principio, comme on fait à Rome, en Afrique & en Italie, à cause des hérétiques qui disent que le Fils de Dieu a commencé dans le tems ". Fleury, hist. eccles. liv. XXXII. tit. xij. pag. 268.

Gloria in excelsis est encore une espece d'hymne que l'on chante dans le service divin, qui commence par les mots gloria in excelsis Deo, & in terra pax hominibus, &c. Gloire soit à Dieu, &c. & que les anges chanterent à la naissance de Jesus-Christ ; c'est pourquoi on l'appelle aussi hymne angélique, où le cantique des anges. Diction. de Trév. & Chamb, (G)


GLORIEUSES. f. (Hist. nat. Ichtiolog.) poisson de mer qui ne differe de la pastenague qu'en ce qu'il a la tête plus apparente, le bec moins pointu, & semblable à la tête d'un crapaud ; c'est pourquoi à Gènes on a donné à ce poisson le nom de rospo, qui signifie un crapaud ; on l'a aussi appellé ratepenade, parce qu'il ressemble en quelque sorte à une chauvesouris par la forme du corps. Le nom de glorieuse vient de ce qu'il nage lentement & avec une sorte de gravité ; la chair en est molle & de mauvais goût. Rondelet, hist. des poissons, liv. XII. chap. ij. Voyez PASTENAGUE & POISSON.


GLORIEUXadj. pris subst. (Morale) c'est un caractere triste ; c'est le masque de la grandeur, l'étiquette des hommes nouveaux, la ressource des hommes dégénérés, & le sceau de l'incapacité. La sottise en a fait le supplément du mérite. On suppose souvent ce caractere où il n'est pas. Ceux dans qui il est croient presque toujours le voir dans les autres ; & la bassesse qui rampe aux piés de la faveur, distingue rarement de l'orgueil qui méprise la fierté qui repousse le mépris. On confond aussi quelquefois la timidité avec la hauteur : elles ont en effet dans quelques situations les mêmes apparences. Mais l'homme timide qui s'éloigne n'attend qu'un mot honnête pour se rapprocher, & le glorieux n'est occupé qu'à étendre la distance qui le sépare à ses yeux des autres hommes. Plein de lui-même, il se fait valoir par tout ce qui n'est pas lui : il n'a point cette dignité naturelle qui vient de l'habitude de commander, & qui n'exclut pas la modestie. Il a un air impérieux & contraint, qui prouve qu'il étoit fait pour obéir : le plus souvent son maintien est froid & grave, sa démarche est lente & mesurée, ses gestes sont rares & étudiés, tout son extérieur est composé. Il semble que son corps ait perdu la faculté de se plier. Si vous lui rendez de profonds respects, il pourra vous témoigner en particulier qu'il fait quelque cas de vous : mais si vous le retrouvez au spectacle, soyez sûr qu'il ne vous y verra pas ; il ne reconnoît en public que les gens qui peuvent par leur rang flatter sa vanité : sa vue est trop courte pour distinguer les autres. Faire un livre selon lui, c'est se dégrader : il seroit tenté de croire que Montesquieu a dérogé par ses ouvrages. Il n'eût envié à Turenne que sa naissance : il eût reproché à Fabert son origine. Il affecte de prendre la derniere place, pour se faire donner la premiere : il prend sans distraction celle d'un homme qui s'est levé pour le saluer. Il représente dans la maison d'un autre, il dit de s'asseoir à un homme qu'il ne connoît point, persuadé que c'est pour lui qu'il se tient debout ; c'est lui qui disoit autrefois, un homme comme moi ; c'est lui qui dit encore aux grands, des gens comme nous ; & à des gens simples, qui valent mieux que lui, vous autres. Enfin c'est lui qui a trouvé l'art de rendre la politesse même humiliante. S'il voit jamais cette foible esquisse de son caractere, n'espérez pas qu'elle le corrige ; il a une vanité dont il est vain, & dispense volontiers de l'estime, pourvu qu'il reçoive des respects. Mais il obtient rarement ce qui lui est dû, en exigeant toujours plus qu'on ne lui doit. Que cet homme est loin de mériter l'éloge que faisoit Térence de ses illustres amis Laelius & Scipion ! Dans la paix, dit-il, & dans la guerre, dans les affaires publiques & privées ces grands hommes étoient occupés à faire tout le bien qui dépendoit d'eux, & ils n'en étoient pas plus vains. Tel est le caractere de la véritable grandeur ; pourquoi faut-il qu'il soit si rare ?


GLOSSAIRES. m. (Belles-Lettres) recueil alphabétique en forme de dictionnaire des termes difficiles, barbares, hors d'usage, d'une langue morte ou corrompue, avec l'explication de ces termes, laquelle en conséquence est appellée glose.

Ce mot est formé de , qui originairement signifie langue, & qui a depuis signifié non-seulement toute locution obscure, étrangere, inusitée, mais encore (ce qui est assez singulier) l'interprétation même de ces sortes de locutions.

Les Anglois encouragent noblement ce genre d'étude sec & rebutant, depuis qu'ils ont éprouvé combien les antiquités saxonnes ont été débrouillées par le glossaire du chevalier Henri Spelman ; il l'intitula glossarium archaeologicum, & le publia à Londres en 1626, in-folio.

L'Europe entiere connoît l'utilité des glossaires de M. Ducange pour l'intelligence des usages du bas-empire & des siecles suivans. Le glossaire grec de ce laborieux érudit, mort en 1688, forme comme on sait 2 volumes, & le glossaire latin 6 vol. in folio, de l'édition de 1733. M. l'abbé Carpentier continue ce dernier ouvrage avec un zele infatigable.

Il nous manquoit un glossaire françois, mais M. de Sainte-Palaye, de l'académie royale des Inscriptions, ne peut que l'exécuter avec gloire. Les travaux de ce genre sont longs & pénibles ; le public en joüit avec fruit & facilité, & jamais avec assez de reconnoissance. Voyez DICTIONNAIRE. (D.J.)


GLOSSO-PALATINadj. en Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette. Voyez GLOSSO-STAPHYLIN. (L)


GLOSSO-PHARYNGIENadj. en Anatomie, se dit de deux muscles qui viennent des parties latérales & postérieures de la langue, & descendent sur les côtés du pharynx, sous les stylo-pharyngiens. Voyez LANGUE, PHARYNX, &c. (L)


GLOSSO-STAPHYLYou GLOSSO-PALATIN, adj. en Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette qui viennent de part & d'autre de la racine de la langue, montent vers le palais, & se terminent à sa cloison. (L)


GLOSSOCATOCHES. m. instrum. de Chirurgie, espece de speculum oris ; c'est une pincette dont on se sert pour abaisser la langue, & la coller, pour ainsi dire, contre les parties inférieures de la bouche & du gosier, afin de découvrir jusque dans son fond les maladies qui peuvent y survenir, y appliquer les remedes, & y pouvoir opérer. Des deux branches antérieures de cet instrument, celle qui se met dans la bouche est une espece de palette allongée, mince, polie, arrondie par son extrémité, inclinée pour s'accommoder à la pente de la langue, & longue d'environ quatre pouces sur dix lignes de large. L'autre branche qui s'applique sous le menton est faite en fourchette plate ou en forme de fer à cheval : les fourchons sont éloignés l'un de l'autre d'environ quinze lignes ; ils ont un pouce & demi de long, & se terminent par un bouton aussi applati & en forme de mamelon.

Le corps de cet instrument est l'endroit de l'union des deux branches qui se fait par jonction passée, ainsi l'une de ces branches est mâle & l'autre femelle.

Les extrémités postérieures de ces branches doivent être un peu applaties, legerement convexes du côté du dehors & planes en-dedans ; leur longueur est d'environ cinq pouces & demi. Voyez la fig. 1. Planche XXIII. de Chirurgie.

Glossocatoche est un mot dérivé du grec , formé de , lingua, langue, & de , detineo, j'arrête, je retiens. (Y)


GLOSSOCOMES. m. , instrument de Chirurgie dont on se servoit autrefois pour réduire les fractures & les luxations des cuisses & des jambes, pour faire en même tems l'extension & la contre-extension. Voyez FRACTURE & LUXATION.

Ce mot est grec, & vient de , langue, & de , avoir soin ; les anciens donnoient ce nom à un petit coffre dans lequel ils mettoient les langues des hautbois pour les conserver.

Cette machine consiste en un coffre où l'on étend la jambe ou la cuisse, au bas duquel il y a un tour, & à côté vers le haut deux poulies, une de chaque côté : on attache des courroies à plusieurs chefs au-dessus & au-dessous de l'endroit où est la fracture, les courroies d'en-bas sont attachées à l'essieu dont elles sont près ; celles d'en-haut après avoir passé par les poulies reviennent à l'essieu auquel elles sont aussi attachées ; de sorte que par le même mouvement en faisant agir le tour, on tiroit en-haut la partie de la jambe avec la cuisse qui est au-dessus de la fracture, & en-bas la partie qui est au-dessous. Voyez la figure dans Ambroise Paré. (Y)

GLOSSOCOME, terme de Méchanique, est un mot que Heron donne à une machine composée de plusieurs roües dentées, garnies de leurs pignons, qui sert à élever de grands fardeaux. Dictionnaire de Trévoux & Chambers.


GLOSSOIDES. m. (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à des pierres qui ressembloient par leur figure à la langue d'un homme ; cette configuration ne peut être regardée que comme un effet du hasard, ou ce qu'on appelle un jeu de la nature. Voyez supplément de Chambers.


GLOSSOPETRESglossopetrae, s. f. (Hist. nat. Minéral.) dents de poissons pétrifiées, très-improprement nommées langues de serpens, parce qu'on a cru qu'elles étoient en effet des langues de grands serpens qui avoient été pétrifiées ; on ne doute pas à présent qu'elles ne soient de vraies dents de poissons : l'émail n'a point changé de nature, mais la partie osseuse est petrifiée. M. Vallerius distingue trois sortes de glossopetres ; les unes sont triangulaires, & les autres fourchues par la base. Ces deux sortes de glossopetres sont pointues, de couleur grise, à l'exception de la base qui est brune ; ce sont des dents de chien de mer : les glossopetres de la troisieme sorte sont des dents de brochet. Minéralogie tom. II. pag. 60. (I)


GLOTTES. f. en Anatomie, se dit d'une petite fente qui est dans le larynx, & qui sert à former la voix. Voyez LARYNX.

La glotte a la forme d'une languette, ce qui fait que les Grecs l'ont appellée glotta, & les Latins lingula, c'est-à-dire petite langue

C'est par cette fente que l'air descend & remonte, quand on respire, chante, parle, &c. elle est garnie de plusieurs muscles, au moyen desquels nous pouvons l'étrécir & l'élargir à volonté ; de sorte que les différentes ouvertures de la glotte forment toutes les variétés des tons de la voix humaine. Voyez VOIX.

La glotte est couverte & défendue par un cartilage doux & mince, appellé l'épiglotte. Voyez éPIGLOTTE. Chambers. (L)


GLOUTERONPETIT GLOUTERON, s. m. xantheum, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur composée de plusieurs fleurons stériles, dont il sort une étamine qui a un sommet ordinairement fourchu ; les embryons naissent sur la même plante séparément des fleurs, & deviennent un fruit oblong, le plus souvent garni de piquans, partagé en deux loges, & rempli de semences oblongues. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


GLOUTONS. m. gulo, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede qui se trouve dans les grandes forêts de Laponie, de Dalecarlie & des autres pays du nord ; on lui a donné le nom de glouton, parce qu'il a une très grande voracité. Il dévore les cadavres, & s'en remplit au point que son ventre paroît enflé : on dit qu'alors il se serre entre-deux arbres ou entre deux rochers, pour rendre par la bouche & par l'anus en même tems les alimens qu'il a pris ; ensuite il revient à la charogne, & se remplit de nouveau. Il tire les cadavres de la terre, ce qui fait croire que cet animal est l'hyene des anciens ; il est plus long, un peu plus haut & beaucoup plus gros qu'un loup ; il a la queue un peu plus courte ; sa couleur est noirâtre, les poils ne different de ceux du renard qu'en ce qu'ils sont plus fins & plus doux ; aussi sa peau est fort chere en Suede. Olaüs-Magnus dit que le glouton est gros comme un grand chien, qu'il a les oreilles ou la face du chat, & la queue comme celle du renard, mais plus courte & plus touffue. La chair du glouton est très-mauvaise, & ses ongles sont fort dangereux. Charleton, pag. 15. Appoll. megal. Hist. gulonis. (I)


GLUS. f. (Arts méchan. & Chasse) composition visqueuse & tenace qu'on fait par art avec les baies de guy, l'écorce de houx, les racines de viorne, les prunes de sébestes, & autres matieres.

On prend des baies de guy qu'on met bouillir dans l'eau jusqu'à-ce qu'elles crevent ; on les bat dans un mortier, on les lave ensuite dans l'eau pour en séparer l'enveloppe, le reste forme une espece de pâte qu'on conserve à la cave dans une terrine ; c'étoit-là l'ancienne méthode, mais aujourd'hui on fait la glu beaucoup mieux avec la seconde écorce de houx. On leve cette écorce dans le tems de la séve, & après l'avoir laissée pourrir à la cave dans des tonneaux, on la bat dans des mortiers jusqu'à ce qu'elle soit réduite en pâte ; on lave ensuite cette pâte en grande eau, dans laquelle on la manie & pétrit à diverses reprises ; on la met dans des barrils pour la laisser perfectionner par l'écume qu'elle jette & qu'on ôte. Enfin on la met pure dans un autre vaisseau pour l'usage.

Cependant comme la glu perd promtement sa force, & qu'elle ne peut servir à l'eau, on a inventé une sorte particuliere de glu qui a la propriété de souffrir l'eau sans dommage : voici comme il faut la préparer.

Prenez une livre de bonne glu de houx, lavez-la dans de l'eau de source jusqu'à-ce que sa fermeté soit dissipée, alors battez-la bien jusqu'à-ce qu'il n'y reste point d'eau, laissez-la sécher ; ensuite mettez-la dans un pot de terre, ajoûtez-y autant de graisse de volaille qu'il est nécessaire pour la rendre coulante ; ajoûtez-y encore une once de fort vinaigre, demi-once d'huile & autant de térébenthine ; faites boüillir le tout quelques minutes à petit feu en le remuant toûjours, & quand vous voudrez l'employer réchauffez-le ; enfin pour prévenir que votre glu se gele en hyver, vous y incorporerez un peu d'huile de pétrole.

Ce n'est pas pour prendre de jolis oiseaux qui font les plaisirs des champs, ou qui vivent de mille insectes nuisibles, qu'on vient d'indiquer les diverses préparations de la glu ; un tel amusement est trop contraire à l'humanité pour qu'on le justifie ; mais on peut tirer d'autres usages de la glu : elle peut servir à sauver les vignes des chenilles, & à garantir plusieurs plantes précieuses de l'attaque des insectes. Les anciens medecins l'employoient avec de la résine & de la cire en quantité égale, pour amollir les tumeurs & sécher les ulceres ; je ne prétends pas qu'ils eussent raison, je dis seulement qu'on doit chercher les usages utiles des choses, & non ceux que la nature desavoue.

Au reste, quelque singuliere que soit la nature de la glu, qu'on ne peut manier qu'avec les mains frottées d'huile, soit que cette glu soit faite avec le houx, les baies de guy, les racines de viorne ou les sébestes ; cependant je ne doute point que plusieurs autres jus de plantes, si on en faisoit des essais, ne se trouvassent avoir la même nature visqueuse & gluante ; si l'on coupe une jeune branche de sureau, on en tire un suc très-gluant, dont les filets suivent le couteau comme la glu du houx ; & il paroît que le jus visqueux de cet arbre n'est pas logé dans l'écorce, mais dans les cercles du bois même ; les racines des narcisses & de toutes les hyacinthes fournissent aussi un jus gluant & filamenteux. Enfin pour parler de matieres animales, les entrailles de chenilles pourries, mêlées avec de l'eau & battues avec de l'huile, font une sorte de glu tenace. (D.J.)

GLU, (Jardinage) est une liqueur qui découle de certains arbres, comme du cerisier & du prunier ; ce n'est autre chose que de la gomme qu'il faut distinguer de la gomme arabique provenant de l'acacia en Egypte.


GLUAUXS. m. pl. (Chasse) ce sont des ramilles enduites de glu, & dont on se sert pour attraper les petits oiseaux, soit à l'abreuvoir en les fichant en terre à l'ombre, soit en garnissant un arbre de ces gluaux.


GLUCKSBOURGGlucksburgum, (Géog.) petite ville de Danemark avec un fort dans le duché de Sleswick. Elle appartient aux ducs d'Holstein-Glucksbourg, & est le chef-lieu d'un bailliage du même nom dans le petit pays d'Angeln. Long. 27. 29. latit. 54. 38. (D.J.)


GLUCKSTADTGluckstadium, (Géog.) ville moderne d'Allemagne dans le cercle de la basse Saxe, au duc de Holstein, avec une forteresse bâtie par Christian IV. de même que la ville en 1620. Elle est sujette au roi de Danemark, & est située sur l'Elbe à 87 lieues N. O. de Hambourg, 10 de Kiell, 12 de Lubek N. E. 20 de Breme. Voyez Hermanides, Daniae descript. long. 42. 45. lat. 53. 52. (D.J.)


GLUTEN(Hist. nat. Minéralogie) mot latin adopté par les naturalistes pour désigner la matiere qui sert à lier les parties terreuses dont une pierre ou roche est composée, ou à joindre ensemble différentes pierres détachées pour ne faire plus qu'une seule masse. On sait que les pierres ne different des terres que par la consistance & la dureté ; c'est au gluten ou à une espece de matiere coulante qu'elles sont redevables de ces qualités. Il est très-difficile de déterminer en quoi cette matiere consiste, & à quel point elle est variée ; il n'y a que le tems & les expériences qui puissent nous donner là-dessus les lumieres dont nous manquons ; peut-être trouvera-t-on quelque jour des raisons pour croire que le gluten seul constitue les différences que l'on remarque entre les différentes especes de pierres, & il pourroit bien se faire que la matiere qui leur sert de base fût constamment la même. Un des meilleurs moyens pour connoître la nature du gluten, ou du lien qui sert à joindre les particules qui composent une pierre, seroit d'examiner les eaux que l'on trouve dans les grottes & cavités de la terre ; ces eaux se filtrent perpétuellement au-travers des roches dans lesquelles ces cavités se rencontrent, & les remplissent peu-à-peu, ou bien elles y forment des stalactites, des concrétions, des incrustations & des crystallisations. Voyez l'article GROTTE. Joignez à cela que toutes les eaux examinées avec attention donnent toûjours par l'évaporation un dépôt plus ou moins considérable de terre atténuée, qu'elles ont charriée avec elles après les avoir mises en dissolution. Si ces eaux sont chargées de parties salines, comme d'acide vitriolique, d'acide marin, &c. ou de quelques autres principes du regne minéral, on sent qu'elles sont en état de former une infinité de combinaisons différentes, d'agir diversement sur les substances par où elles passent ; & ces unions qui peuvent se faire dans ces eaux elles-mêmes doivent nécessairement donner des produits différens, & faire des glutens de différente nature. Voyez l'art. CRYSTALLISATION, CRYSTAL, PIERRES, GROTTE, &c. GUHR, &c. (-)


GLYPTOGRAPHIES. f. (Antiquités) La Glyptographie est la science des gravures en creux & en relief, sur des cornalines, jaspes, agathes, agathes-onyx, lapis, améthistes, opales, sardoines, hyacinthes, chrysolithes, topases, & autres pierres précieuses qui étoient employées par les anciens pour des bagues, des cachets, des vases & autres ornemens. Ce terme est composé des deux mots grecs, , gravure, & , description. Voyez les détails à GRAVURE en creux, GRAVURE en relief, & PIERRE GRAVEE. Voyez aussi GRAVEUR en pierres fines. (D.J.)


GNAPHALIUMS. m. patte de lion ; (Jardinage) il y en a de trois sortes, gnaphalium maritimum, gnaphalium filago, & gnaphalium alpinum ou leontopodium, en françois patte de lion ; nous ne décrirons ici que le dernier ; on le trouve sur les Alpes ; ses feuilles sont oblongues & cotonneuses ; sa tige a quatre pouces de haut, portant à son sommet plusieurs fleurs blanches & jaunes disposées en roses, d'où sortent quelques fruits blancs qui renferment des graines menues & aigrelettes : on le cultive dans les jardins d'Angleterre.

GNAPHALIUM, (Mat. medic.) Comme on employe en Medecine sous le même nom de gnaphalium deux plantes de différent genre, savoir le pié de chat, & l'herbe à coton, voyez les art. HERBES à coton, & PIE de chat. (D.J.)


GNAPHALODESS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur composée de plusieurs fleurons stériles ; les embryons qui formoient le calice de sa fleur deviennent un fruit qui est surmonté d'une crête, & qui renferme une semence ordinairement oblongue. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


GNATIAGnatia ou Egnatia, (Géog. anc.) étoit une ville des Salentins ; on l'appelle aujourd'hui la Terre d'Anazzo ; elle est à quarante milles de Bari, & sur la même côte. Cette ville n'avoit que des eaux salées, & ses habitans étoient fort superstitieux. Ils montroient aux étrangers un prétendu miracle (car tout le monde en a fait) ; ils mettoient, dit Pline, liv. I. chap. cvij. sur le seuil de leur temple des grains d'encens ou quelques morceaux de bois, & on les voyoit consumer sans qu'on eût approché le moindre feu. Horace se moque de cette fourberie dont on le régala dans son voyage de Brindes ; voici ses propres paroles :

De hinc Gnatia lymphis

Iratis extructa, dedit risusque, jocosque

Dum flammâ sine, thura liquescere limine sacro,

Persuadere cupit ; credat judaeus Apella.

Sat. v. liv. I.

" Ce sot peuple de Gnatia nous apprêta fort à rire ; il nous débitoit sérieusement, & de maniere à vouloir nous persuader, que l'encens posé sur une pierre sacrée à l'entrée de leur temple, se fond & se consume de lui-même sans feu ; cela seroit bon à dire au juif Apella. (D.J.)


GNESNEGnesna, (Géog.) anciennement Limiosaleum, capitale de la grande Pologne, au palatinat de Calish, avec un archevêché dont l'archevêque est primat de Pologne, légat né du pape, premier prince & viceroi durant l'interregne. C'est la premiere ville bâtie en Pologne, & fondée par Lechus qui y fit sa résidence, aussi-bien qu'un grand nombre de ses successeurs. Elle étoit autrefois bien plus considérable qu'elle n'est aujourd'hui. Les chevaliers de l'ordre de Prusse la prirent & la ravagerent en 1331, & le feu la consuma en 1613. Elle est à quatre lieues nord-oüest de Breslaw, 48 sud-est de Dantzick, 50 nord-oüest de Cracovie. Long. 35. 55. latit. 52. 28. (D.J.)


GNIDECnidus, (Géog. anc.) c'étoit anciennement une ville considérable de la Doride, contrée de la Carie dans l'Asie mineure, sur un promontoire fort avancé, qu'on appelloit Triopum, présentement Capocrio. Outre les fêtes d'Apollon & de Neptune qu'on y célebroit avec la derniere magnificence, on rendoit à Gnide un culte particulier à Vénus, surnommée Gnidienne ; c'étoit-là qu'on voyoit la statue de cette déesse, ouvrage de la main de Praxitele, qui seul, dit Pline, annoblissoit la ville de Gnide. Les curieux faisoient exprès le voyage de la Doride pour considérer de leurs propres yeux ce chef-d'oeuvre de l'art. Nicomede avoit tant d'envie de le posséder, qu'il voulut en donner de quoi payer les dettes immenses que cette ville avoit contractées ; elle le refusa, parce que cette seule statue faisoit sa gloire & son trésor.

Horace n'a pas oublié de célebrer le culte que Vénus recevoit à Gnide :

Quae Cnidon

Fulgentesque tenet Cycladas, & Paphon

Junctis visit oloribus.

Lib. III. od. xxviij.

" Réunissons nos voix pour chanter la déesse qui est adorée à Gnide, qui tient sous son empire les brillantes Cyclades, & qui sur un char traîné par des cygnes visite tous les ans l'île de Paphos. "

Gnide n'est à présent qu'un village qui est encore nommé Cnido, & dont il reste une grande quantité de ruines vers le cap de Crio en Natolie. Les habitans du lieu ne se doutent pas même de l'origine de ces ruines ; encore moins savent-ils que leur territoire a produit autrefois un Ctésias medecin & historien, qui avoit composé en XIII. livres une belle histoire des Assyriens & des Perses, dont Eusebe & Photius nous ont conservé quelques fragmens. Ils ne connoissent pas davantage Eudoxe de Gnide qui mourut 350 ans avant Jesus-Christ, qui fut astronome, géometre, &, ce qui vaut bien mieux, le législateur de sa patrie. Le spectacle de l'univers ne nous présente que des pays devenus barbares, ou d'autres qui sortent de la barbarie. (D.J.)


GNOMESS. m. pl. (Divin.) nom que les cabalistes donnent à certains peuples invisibles, qu'ils supposent habiter dans la terre, & la remplir jusqu'au centre. Ils feignent qu'ils sont de petite stature, amis de l'homme, & faciles à commander ; ils les font gardiens des trésors, des minieres & des pierreries. Vigenere les appelle Gnomons ; leurs femmes sont appellées Gnomides.

Vigneul Marville dans ses mélanges de Littérature & d'Histoire, tom. I. pag. 100, rapporte que dans une conférence tenue chez M. Rohault, un philosophe de l'école soûtint qu'il y a une infinité d'esprits qui remplissent les élemens, le feu, l'air, l'eau & la terre, des Salamandres, des Sylphes, des Oudins & des Gnomes ; que ces derniers sont employés à faire agir les machines des animaux qui habitent sur la terre.

Il ajoûtoit que quelques philosophes de sa secte prétendent que ces esprits sont de deux sexes, pour répondre apparemment aux deux sexes des animaux ; que les plus grands, les plus ingénieux & les plus habiles de ces esprits, gouvernent les machines des animaux, les plus grandes, les plus composées & les plus parfaites ; & qu'il y en avoit une infinité de fort déliés, de toutes especes, qui font jouer le nombre infini d'insectes que nous voyons, ou qui échappent à nos yeux par leur extrême petitesse. Que tous ces esprits en général gouvernent chaque machine selon la disposition de ses organes, de son tempérament & de ses humeurs, ne se saisissant pas indifféremment de toutes sortes de machines, mais seulement de celles qui sont de leur caractere, & qui vivent dans l'élement qui leur est propre ; qu'un gnome fier & superbe, par exemple, se saisit d'un coursier de Naples, d'un genet d'Espagne : un autre qui est cruel se jette dans un tigre ou dans un lion, &c. Que de folies ! Chambers. (G)


GNOMONS. m. (Astronom.) est proprement le stile ou aiguille d'un cadran solaire, dont l'ombre marque les heures. Voyez CADRAN.

Ce mot est purement grec, & signifie littéralement une chose qui en fait connoître une autre ; de , connoissance : les anciens l'ont appliqué au stile d'un cadran, parce qu'il indique ou fait connoître les heures.

Le gnomon d'un cadran solaire représente l'axe du monde, ou, pour parler plus juste, l'extrémité du gnomon d'un cadran solaire est censée représenter le centre de la terre ; & si l'autre bout du gnomon passe par le centre du cadran ou point de concours des lignes horaires, le gnomon est alors parallele à l'axe de la terre ; & on peut le prendre pour cet axe même, sans erreur sensible : mais si le gnomon est dans toute autre situation par rapport au cadran, par exemple, s'il est perpendiculaire au plan du cadran, alors il ne représente plus l'axe du monde, à-moins que le cadran ne soit équinoctial ; mais l'extrémité ou la pointe du gnomon est toûjours regardée comme le centre de la terre.

Au reste, le mot de gnomon n'est plus guere en usage pour signifier le stile des cadrans ; on se sert plutôt du mot de stile ou d'aiguille : on peut d'ailleurs reserver le mot de gnomon pour les cadrans qui n'ont point de stile, mais seulement une plaque percée d'un trou par où passe l'image du soleil. Voyez CADRAN. Ces cadrans sont en petit ce que sont en Astronomie les gnomons dont nous allons parler.

GNOMON, en Astronomie, signifie à la lettre un instrument servant à mesurer les hauteurs méridiennes & les déclinaisons du soleil & des étoiles. Voy. MERIDIEN & HAUTEUR.

Les Astronomes préferent le gnomon appellé par quelques-uns le grand gnomon astronomique, aux gnomons des cadrans, parce qu'il est plus exact.

C'est pourquoi les anciens & les modernes se sont servis du gnomon pour faire leurs opérations les plus considérables. Ulugh-Beigh prince tartare, petit-fils de Tamerlan, se servit en 1437 d'un gnomon de 180 piés romains de hauteur ; celui qu'Ignace Dante érigea dans l'église de S. Pétrone à Boulogne en 1576, avoit 67 piés de haut ; & M. Cassini en éleva un autre dans la même église, en l'année 1655. Voyez SOLSTICE.

Elever un gnomon astronomique, & observer par son moyen la hauteur méridienne du soleil. Elevez un stile perpendiculaire d'une hauteur considérable & connue sur la ligne méridienne ; marquez le point où se termine l'ombre du gnomon projettée le long de la ligne méridienne, mesurez la distance de son extrémité, au pié du gnomon, c'est-à-dire la longueur de l'ombre : quand vous aurez ainsi la hauteur du gnomon & la longueur de l'ombre, vous trouverez aisément la hauteur méridienne du soleil.

Supposez, par exemple, que T S (Pl. Optiq. fig. 13.), est le gnomon, & T V la longueur de l'ombre ; comme le triangle rectangle S T V donne les deux côtés T V & T S, l'angle V, qui est la quantité de la hauteur du soleil, se trouve par l'analogie suivante. La longueur de l'ombre T V est à la hauteur du gnomon T S, comme le sinus total est à la tangente de la hauteur du soleil au-dessus de l'horison.

L'opération sera encore plus exacte, en faisant une ouverture circulaire dans une plaque de cuivre, de sorte que les rayons du soleil passant par cette ouverture, viennent représenter l'image du soleil sur le pavé ; attachez cette plaque parallélement à l'horison dans un lieu élevé & commode pour l'observation. Faites tomber une ficelle & un plomb pour mesurer la hauteur qu'il y a du trou au pavé ; ayez soin que le pave soit parfaitement de niveau & horisontal, & faites-le blanchir, afin de représenter plus distinctement l'image du soleil : tirez dessus une ligne méridienne qui passe par le pié du gnomon, c'est-à-dire par le point que marque le plomb. Marquez les extrémités K & I (fig. 57. Astronomie) du soleil sur la ligne méridienne, & retranchez de chacune une ligne droite égale au demi-diametre de l'ouverture, savoir d'un côté K H (Pl. Astronom. fig. 57.) ; & de l'autre côté, L I ; H L sera l'image du diametre du soleil, qui étant coupée par le milieu en B, donne le point sur lequel tombent les rayons du centre du soleil. Ayant donc la ligne droite A B & la hauteur du gnomon avec l'angle A, qui est un angle droit, l'angle A B G, ou la hauteur apparente du centre du soleil, n'est pas difficile à trouver : car en prenant pour le rayon un des côtés donnés A B, A G sera la tangente de l'angle opposé B ; dites donc : le côté A B est à l'autre côté A G comme le sinus total est à la tangente de l'angle B.

Le rayon qui vient du centre du soleil ne tombe pas exactement & rigoureusement au point B, milieu de la ligne H B L. Il faudroit pour cela que les lignes G H, G L, fussent égales ; ce qui n'est pas & ne sauroit être : mais comme le trou G est fort petit par l'hypothèse, qu'il est placé à une grande hauteur, & que par conséquent les lignes G H, G L, sont fort grandes & la ligne H L extrêmement petite, puisqu'elle n'est que l'image du trou ; il s'ensuit que l'on peut regarder comme sensiblement égale, les lignes B H, B L ; B étant supposé l'image du centre du soleil.

Au lieu d'une plaque horisontale dans laquelle on fait un trou, on se contente quelquefois de faire un trou vertical à une croisée dont on supprime d'ailleurs entierement le jour. L'image de ce trou est celle du soleil ; & le milieu ou centre de l'image, est sensiblement celle du centre de cet astre : car cette image est la base d'un triangle dont l'angle au sommet est d'environ 32'. diametre apparent du soleil, & dont les côtés sont forts grands par rapport à la base.

De tous les gnomons astronomiques qui subsistent aujourd'hui en France, nous n'en connoissons point de supérieur à celui qui a été dressé par M. le Monnier dans l'église de S. Sulpice de Paris. Voyez-en la description au mot MERIDIEN.

On verra dans cet article, & on peut voir d'avance dans l'histoire & les mém. de l'académie des Sciences pour l'an. 1743, en quoi consistoient les gnomons des anciens, quels étoient les défauts de ces gnomons, & quels sont les avantages de celui de S. Sulpice.

On a appellé quelquefois gnomon, en Géométrie, la figure M X O C (Pl. Géomét. fig. 5.), formée dans le parallélogramme A B, par les parallélogrammes de complément M, C & les triangles x, o, qui forment eux-mêmes un autre parallélogramme ; mais cette dénomination n'est plus guere en usage. Voy. COMPLEMENT. Wolf, Harris, & Chambers. (O)


GNOMONIQUES. f. (Ordre encyclopéd. Entend. Rais. Philosoph. Science de la Nat. Mathémat. mixtes, Astronom. Gnomoniq.) c'est l'art de tracer des cadrans au soleil, à la lune, & aux étoiles, mais principalement des cadrans solaires, sur un plan donné ou sur la surface d'un corps donné quelconque. Voyez CADRAN.

Les Grecs & les Latins donnoient à cet art les noms de Gnomonica & Sciaterica, dont le premier vient de , gnomon, & le second de , ombre, à cause qu'ils distinguoient les heures par l'ombre d'un gnomon. Voyez GNOMON. Quelques-uns l'appellent Photosciaterica, de , lumiere, & , ombre, parce que c'est quelquefois la lumiere même du soleil qui marque les heures ; comme quand le cadran au lieu d'un stile porte une plaque percée d'un trou. Enfin il est appellé par d'autres horographia, parce que c'est proprement l'art d'écrire sur un plan donné, l'heure qu'il est. D'autres enfin le nomment Horologio-graphia, parce que les cadrans s'appelloient autrefois horologium ; nom que nous avons depuis transporté aux pendules d'Horlogerie.

On ne sauroit douter de l'antiquité des cadrans ; quelques-uns en attribuent l'invention à Anaximene de Milet & d'autres à Thalès. Vitruve fait mention d'un cadran que l'ancien historien Berose de Chaldée, construisit sur un plan réclinant, presque parallele à l'équinoctial ou équateur. Le disque d'Aristarque étoit un cadran horisontal avec son limbe relevé tout autour, afin d'empêcher les ombres de s'étendre trop loin.

Les cadrans ne furent connus des Romains que fort tard : le premier cadran solaire qui parut à Rome, fut, suivant Pline, construit par Papirius Cursor, vers l'an 400 de la fondation de cette ville. Pline dit qu'avant cette époque il n'est fait mention d'autre calcul de tems que de celui qui se tiroit du lever & du coucher du soleil : ce cadran, selon quelques-uns, fut placé au temple de Quirinus, ou près de ce temple ; selon d'autres, dans le capitole ; selon d'autres enfin, près le temple de Diane sur le mont Aventin ; mais il alloit mal. Trente ans après, Valérius Messala étant consul, apporta de Sicile un autre cadran, qu'il éleva sur un pilier proche les rostra, ou tribune aux harangues : mais comme il n'étoit pas fait pour la latitude de ce lieu, il n'étoit pas possible qu'il marquât l'heure véritable. On s'en servit pendant 99 ans, jusqu'à-ce que le censeur L. Philippus en fit construire un autre plus exact.

Il paroît qu'il y a eu des cadrans chez les Juifs beaucoup plus tôt que chez les nations dont nous venons de parler ; témoin le cadran d'Achaz, qui commença à régner 400 ans avant Alexandre, & 12 ans après la fondation de Rome : Isaïe en parle au chap. xxxviij. v. 8. peut-être, au reste, ce cadran n'étoit-il qu'un simple méridien. Quoiqu'il en soit, la rétrogradation de l'ombre du soleil sur ce cadran d'Achaz, est un miracle bien surprenant, qu'il faut croire sans l'expliquer.

On a trouvé dans les ruines d'Herculanum un cadran solaire portatif. Ce cadran est rond & garni d'un manche, au bout duquel est un anneau qui servoit sans-doute à suspendre le cadran par-tout où l'on vouloit. Tout l'instrument est de metal & un peu convexe par ses deux surfaces : il y a d'un côté un stilet un peu long & dentelé, qui fait environ la quatrieme partie du diametre de cet instrument. L'une des deux superficies, qu'on peut regarder comme la surface supérieure, est toute couverte d'argent, & divisée par douze lignes paralleles qui forment autant de petits quarrés un peu creux ; les six derniers quarrés, qui sont terminés par la partie inférieure de la circonférence du cercle, sont disposés comme on va voir, & contiennent les caracteres suivans, qui sont les lettres initiales du nom de chaque mois.

La façon dont sont disposés ces mois, est remarquable en ce qu'elle est en boustrophédon. Voyez ce mot. On pourroit croire que cette disposition des mois sur le cadran vient de ce que dans les mois qui sont l'un au-dessus de l'autre, par exemple, en Avril & Septembre, le soleil se trouve à-peu-près à la même hauteur dans certains jours correspondans : mais en ce cas, le cadran ne seroit pas fort exact à cet égard ; car cette correspondance n'a guere lieu que dans les deux premieres moitiés de chacun de ces mois : dans les quinze derniers jours d'Avril, le soleil est beaucoup plus haut que dans les quinze derniers de Septembre ; il en est ainsi des autres mois.

La Gnomonique est entierement fondée sur le mouvement des corps célestes, & principalement sur celui du soleil, ou plutôt sur le mouvement journalier de la terre : de sorte qu'il est nécessaire d'avoir appris les élémens des sphériques & l'astronomie sphérique, avant que de s'appliquer à la théorie de la Gnomonique.

Clavius est le premier parmi les modernes, qui ait fait un traité exprès sur la Gnomonique ; il en démontre toutes les opérations suivant la méthode rigoureuse des anciens géometres, mais d'une maniere assez compliquée. Déchales & Ozannam ont donné des méthodes beaucoup plus aisées dans leur cours de Mathématiques, aussi-bien que Wolf dans ses élémens. M. Picard a donné une nouvelle méthode de faire de grands cadrans, en calculant les angles qui doivent former entr'elles les lignes horaires ; & M. de la Hire, dans sa Gnomonique imprimée en 1683, donne une méthode géométrique de tracer des lignes horaires au moyen de certains points déterminés par observation. Welperus en 1625, publia sa Gnomonique, dans laquelle il expose une maniere de tracer les cadrans de la premiere espece, c'est-à-dire qui ne sont ni inclinans ni réclinans : cette méthode étoit fondée sur un principe fort aisé. Ce même principe est expliqué au long par Sébastien Munster, dans ses rudimenta mathematica, publiés en 1651. Sturmius en 1672, publia une nouvelle édition de la Gnomonique de Welperus, à laquelle il ajoûta une seconde partie en entier sur les cadrans inclinans & réclinans, &c. En 1708 on réimprima ce même ouvrage avec les additions de Sturmius ; & on y ajoûta une quatrieme partie qui contient les méthodes de MM. Picard & de la Hire, pour tracer de grands cadrans ; ce qui compose un des meilleurs ouvrages & des plus complets que nous ayons sur cette matiere. Wolf & Chambers.

M. Rivard, professeur de philosophie en l'université de Paris, & M. Deparcieux, membre des académies royales des Sciences de Paris, de Berlin, & de Montpellier, nous ont donné chacun presque dans le même tems, 1741, un traité de Gnomonique : ces deux ouvrages peuvent être fort utiles à ceux qui voudront apprendre facilement les principes de cette science. On peut aussi consulter Bion, dans ses usages des instrumens de Mathématique.

Comme nous avons donné au mot CADRAN la méthode de tracer les cadrans, qui est le principal objet de la Gnomonique, nous n'en dirons pas ici davantage : nous nous contenterons d'observer que de tous les cadrans, le cadran horisontal est celui qu'on peut tracer le plus facilement & le plus exactement, mais que le cadran vertical a un avantage, c'est que les lignes y sont moins sujettes à être effacées par les pluies, à cause de la position verticale du mur du cadran ; quoique d'un autre côté la déclinaison du mur rende la construction de ces sortes de cadrans plus difficile que celle des cadrans horisontaux. Voy. DECLINAISON. Les cadrans équinoctiaux ou paralleles à l'équateur, peuvent aussi avoir leur utilité, & sont d'une description plus simple que tous les autres ; toute la difficulté se réduit à bien placer le plan du cadran. A l'égard des autres cadrans, ils sont plus curieux qu'utiles.

GNOMONIQUE, pris adjectivement, se dit de tout ce qui appartient à la Gnomonique & aux gnomons. Voyez ces mots.

Ainsi on dit colonne gnomonique, pour signifier les gnomons ou obélisques des anciens, voyez MERIDIEN ; polyhedre gnomonique, pour signifier un polyhedre sur les différentes surfaces duquel on a tracé des cadrans, &c. (O)


GNOSIMAQUESS. m. pl. (Hist ecclésiast.) nom de secte ; hérétiques qui se déclarerent ennemis de toutes les connoissances recherchées de la religion. Ce mot est grec , c'est-à-dire ennemi de la sagesse, des connoissances.

S. Jean Damascene dit que les gnosimaques étoient des gens opposés à toute la gnosse du Christianisme, qui disoient que c'étoit un travail inutile de chercher des gnoses dans les saintes Ecritures ; que Dieu ne demandoit autre chose du chrétien que de bonnes oeuvres ; qu'il étoit donc beaucoup mieux de marcher avec beaucoup plus de simplicité, & de ne point chercher avec tant de soin tous les dogmes concernant la vie gnostique.

Quelques auteurs prétendent que ce mot a un sens plus particulier, & qu'il signifioit dans les premiers siecles de l'église à-peu-près ce que nous appellons spiritualité ; & la vie gnostique, ce que nous nommons la vie spirituelle. Voy. GNOSTIQUES. Ainsi Gnosimaques étoient des ennemis des spiritualités, de la vie spirituelle, qui vouloient qu'on se contentât de faire de bonnes oeuvres tout simplement, & qui blâmoient les exercices de la vie spirituelle, & ceux qui cherchoient à se perfectionner par des méditations, des connoissances plus profondes de la doctrine & des mysteres de la religion, & des exercices plus sublimes & plus recherchés. Voyez MYSTIQUE. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)


GNOSSEGnossus, Cnossus (Geog. anc.) ville de Crete célebre dans l'antiquité ; elle fut jadis la capitale du royaume de Minos, & le propre lieu de sa résidence, quand Crete avoit le bonheur de vivre sous son empire. Gnosse étoit entre Gortyne & Lycétus, sur la petite riviere de Ginosse, appellée par les ancien Ceratus, dont Strabon dit qu'elle prit d'abord le nom. La table de Peutinger met Gnosos à XXIII. M. P. de Gortyne vers l'orient.

Quelques-uns cherchent aujourd'hui Gnosse à Castel-Pédiada ; & d'autres, avec plus de vraisemblance, à Ginosa : ce sont au reste deux petits villages de l'île de Candie, assez voisins ; mais ils n'ont plus l'un ou l'autre d'Epiménide ; ce célebre poëte philosophe, natif de Gnosse, & que Platon appelle un homme divin, ne se réveillera plus ; s'il n'avoit pas commerce avec les dieux, du-moins sa sagesse porta le peuple à se le persuader. Les Athéniens affligés de la peste, lui envoyerent des députés pour le prier de venir les soulager ; il se transporta chez eux, expia la ville avec des eaux lustrales ; lia une étroite amitié avec Solon, instruisit ce législateur des moyens les plus propres à bien gouverner, & retourna dans sa patrie, après avoir refusé les présens d'Athenes. (D.J.)


GNOSTIQUESS. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens hérétiques qui ont été fameux dès les premiers commencemens du Christianisme, principalement dans l'orient.

Ce mot gnostique vient du latin gnosticus, & du grec , qui signifioit savant, éclairé, illuminé, spirituel, de , je connois.

Ce mot gnostique, qui signifie savant, avoit été adopté par ceux de cette secte, comme s'ils avoient eux seuls la véritable connoissance du Christianisme. Sur ce principe, ils regardoient les autres chrétiens comme des gens simples & grossiers qui expliquoient les livres sacrés d'une maniere basse & trop littérale.

C'étoient d'abord des philosophes qui s'étoient formé une théologie particuliere sur la philosophie de Pythagore & de Platon, à laquelle ils avoient accommodé les interprétations de l'Ecriture.

Mais ce nom de gnostique devint dans la suite un nom générique que l'on donna à plusieurs hérétiques du premier siecle, qui différent entr'eux sur certaines circonstances, étoient néanmoins d'accord sur les principes : tels furent les Valentiniens, les Simoniens, les Carpocratiens, les Nicolaïtes, & autres hérétiques.

Quelquefois c'est un nom particulier que l'on donne aux successeurs des premiers Nicolaïtes & des premiers Carpocratiens qui parurent dans le second siecle, & quitterent le nom des auteurs de leur secte. Voyez CARPOCRATIENS, &c.

Ceux qui voudront apprendre à fond leur doctrine & leurs visions, n'ont qu'à consulter S. Irénée, Tertullien, Clement d'Alexandrie, Origene, & S. Epiphane, & sur-tout le premier, qui a rapporté au long leurs sentimens qu'il réfute en même tems. Quoique S. Irénée parle plus en détail des Valentiniens que des autres Gnostiques, on trouve cependant dans ses ouvrages les principes généraux sur lesquels ces hérétiques établissoient leurs fausses opinions, & la méthode qu'ils suivoient en expliquant l'Ecriture ; il les accuse d'avoir introduit dans la religion de vaines & ridicules généalogies, c'est-à-dire de certaines émanations ou processions divines, qui n'ont d'autre fondement que leur imagination. Voyez EONS.

En effet les Gnostiques avoüoient que ces émanations n'étoient point expliquées clairement dans les livres sacrés ; mais ils disoient en même tems que Jesus-Christ les y avoit indiquées mystiquement sous des paraboles à ceux qui pouvoient les comprendre.

Ils n'appuyoient pas seulement sur les évangiles & sur les épîtres de S. Paul leur fausse théologie, mais encore sur la loi de Moïse & sur les prophetes. Comme il y a dans ces derniers plusieurs paraboles ou allégories qui peuvent être interprétées différemment, ils s'en servoient avec adresse pour cacher plus facilement l'ambiguité de leurs interprétations.

Ils faisoient grand fond sur le commencement de l'évangile de S. Jean, où ils prétendoient trouver une partie de leurs émanations, parce qu'il y est parlé du Verbe, de la vie, de la lumiere, & de plusieurs autres choses qu'ils expliquoient selon leurs idées : ils distinguoient aussi trois sortes d'hommes, le matériel, l'animal, & le spirituel. Ils divisoient pareillement la nature en trois sortes d'êtres, en hylique ou matériel, en psychique ou animal, & en pneumatique ou spirituel.

Les premiers hommes, qui étoient matériels & incapables de connoissance, périssoient selon le corps & selon l'ame ; les spirituels, au contraire, tels que se disoient les Gnostiques, étoient tous sauvés naturellement, sans qu'il en pérît aucun. Les psychiques ou animaux, qui tenoient le milieu entre les deux ordres, pouvoient se sauver ou se damner, selon les bonnes ou mauvaises actions qu'ils faisoient.

Le nom de Gnostique se prend quelquefois en bonne part dans les anciens écrivains eccléfiastiques, principalement dans Clément d'Alexandrie, qui décrit en la personne de son gnostique, les qualités d'un parfait chrétien, dans le septieme livre de ses stromates, où il prétend qu'il n'y a que le gnostique ou l'homme savant qui ait une véritable religion ; il assûre que s'il se pouvoit faire que la connoissance de Dieu fût séparée du salut éternel, le gnostique ne se feroit pas un scrupule de préférer la connoissance ; & que quand même Dieu lui promettroit l'impunité s'il agissoit contre ses commandemens, ou lui offroit le ciel à ces conditions, il ne voudroit pas l'accepter à ce prix, ni changer de conduite.

C'est en ce sens qu'il oppose les Gnostiques aux hérétiques de ce nom, assûrant que le vrai gnostique a vieilli dans l'étude de l'Ecriture-sainte, & qu'il garde la doctrine orthodoxe des apôtres & de l'Eglise ; au lieu que les faux gnostiques abandonnent les traditions apostoliques, s'imaginant être plus habiles que les apôtres.

Le nom de gnostique, qui est si beau dans sa vraie étymologie, est devenu infame par les desordres auxquels s'abandonnerent ceux qui se disoient gnostiques, comme nous avons vû de nos jours le quiétisme & le piétisme décrié & condamné à cause des desordres de ceux de cette secte. Voyez QUIETISME, &c.

Ce que le Chambers vient de dire des faux gnostiques, d'après le Trévoux, étant trop général pour donner au lecteur une idée bien distincte de leur doctrine & de leurs moeurs, il est bon d'ajoûter que quoique les Gnostiques composassent différentes sectes, ils convenoient pourtant presque tous sur certains chefs dont voici les principaux. 1°. Ils admettoient tous une production chimérique d'éons qui composoient une même divinité, & ils ne varioient que sur le nombre ; les uns le réduisant à huit, & les autres en comptant jusqu'à trente. 2°. Ils attribuoient la création & le gouvernement du monde visible à ces éons, & non pas au dieu souverain. 3°. Ils croyoient que la loi de Moïse, les prophéties, & généralement toutes les lois, étoient l'ouvrage du créateur de ce monde qu'ils distinguoient du souverain ou de la collection des éons qui composoit la divinité. 4°. Ils enseignoient que le Christ envoyé d'en-haut pour sauver les hommes, n'avoit pas pris une véritable chair ni souffert véritablement, mais seulement en apparence ; ce qui les avoit fait appeller docetes.

Leurs principes les conduisoient tous au déréglement & au libertinage ; ils enseignoient qu'il étoit permis & même loüable de s'abandonner aux plaisirs de la chair ; ils se nourrissoient de viandes délicieuses & de vins exquis, se baignoient & se parfumoient le corps avec une extrême sensualité : souvent ils faisoient leurs prieres entierement nuds, comme pour marque de liberté. Les femmes étoient communes entr'eux ; & quand ils recevoient un étranger qui étoit de leur secte, d'abord ils lui faisoient la meilleure chere qu'il leur étoit possible ; après le repas, le mari lui offroit lui-même sa femme, & cette infamie se couvroit du beau nom de charité. Ils nommoient aussi leurs assemblées agapes, où l'on dit qu'après les excès de bouche, ils éteignoient la lumiere, & suivoient indifféremment tous leurs desirs : toutefois ils empêchoient la génération autant qu'ils pouvoient ; on les accusoit même de faire avorter les femmes, de piler un enfant nouveau né dans un mortier, & d'en manger les membres ensanglantés ; d'offrir une eucharistie infame, & de commettre plusieurs autres abominations sacrileges dont on trouve le détail dans S. Epiphane, qui avoit vû en Egypte des restes de ces sectes ; car elles s'étoient répandues en diverses contrées, & subsisterent jusqu'au jv. siecle.

Les noms que l'on donnoit aux Gnostiques ont été fort différens & presque tous relatifs ou à leurs dogmes ou à la dépravation de leurs moeurs. Les plus anciens appellés eutuchiles ou eutuchites, étoient disciples des Simoniens, dont il est parlé dans le VII. livre des stromates de Clément Alexandrin, & dans l'apologie de Pamphile pour Origene, où il est dit qu'ils opposoient le nom de l'évangile à celui de la loi & des prophetes, & qu'ils vouloient que J. C. fût fils, non du Dieu auteur de l'ancien Testament, mais d'un autre dieu inconnu. On appelloit aussi les Gnostiques barbelonites, phibionites, borborites, stratiotiques, zachéens, coddiens, lévites, ou lévitiques ; ces derniers sur-tout commettoient entr'eux les plus infames abominations.

Ils avoient plusieurs ouvrages apocryphes sur lesquels ils fondoient leurs impiétés, entr'autres le livre des révélations, ou l'apocalypse d'Adam ; l'histoire de Noria, femme de Noé ; quelques livres supposés sous le nom de Seth ; la prophétie de Bahuba ; l'évangile de perfection, qui contenoit quantité d'impuretés ; l'évangile d'Eve, remplie de rêveries & de visions ; l'accouchement & les interrogations de Marie, dont S. Epiphane rapporte quelques passages pleins de fictions & d'infamies ; l'évangile de Philippe, & divers autres évangiles qu'ils attribuoient aux apôtres pour accréditer leurs erreurs. Dupin, bibliotheq. ecclésiast. des auteurs des trois premiers siecles. Fleury, histoire ecclésiastique, liv. III. n°. 20. pp. 333 & 334. (G)


GOA(Géog.) ville d'Asie dans la presqu'île en-deçà du Gange ; Alphonse d'Albuquerque l'enleva au roi de Décan en 1508, & la conserva pour son maître en 1529 : elle fut érigée en archevêché en 1552, & son archevêque eut le titre magnifique de primat des Indes.

Goa étoit alors la clé du commerce d'orient, & l'une des plus opulentes villes du monde : c'étoit encore l'endroit où il se vendoit le plus d'esclaves, & l'on y trouvoit même à acheter les plus belles femmes de l'Inde. Tout cela n'a plus lieu ; il ne reste à Goa qu'un viceroi, un inquisiteur, des moines, & une dixaine de mille habitans de nations & de religions différentes, tous réduits à une extrême misere ; mais l'on y garde toûjours dans un superbe tombeau de l'église des Jésuites, le corps de S. François Xavier, surnommé l'apôtre des Indes. On sait que cet ami d'Ignace de Loyola, né au pié des Pyrénées, se rendit à Goa le 6 Mai 1542, pour y prêcher l'évangile, & qu'il mourut dans l'île de Sancian, à 23 lieues des côtes de la Chine, le 2 Décembre 1552, âgé de quarante-six ans.

La ville de Goa est sous la zone torride, dans une île de neuf lieues de tour, qui renferme plusieurs villages sur la Mandoua, avec un port admirable & quelques forteresses. Long. suivant le P. Noël & Cassini, 91d. 16'. 30". & suivant le P. Bouchet, 93d. 55'. latit. 15d. 31'. (D.J.)


GOA(SAINT-), ou S. GOWER, sancti Goaris villa, (Géog.) est une petite ville dans le cercle du haut Rhin, capitale du comté de Catzenellbogen, avec un château pour défense ; elle est sur le Rhin, à six lieues sud-est de Coblents, sept nord-oüest de Mayence, dix-neuf nord-est de Treves. Long. 25. 19. latit. 50. 2. (D.J.)


GOBES. f. (Econ. rustiq. & Chasse) ce sont des pâtées ou morceaux de viande empoisonnés, qu'on répand dans les greniers, les caves, les champs, pour détruire les animaux qui attaquent les denrées utiles à la vie de l'homme. On donne le même nom aux viandes ou autres substances qui leur servent d'appât & qui les attirent dans les piéges qu'on leur a tendus.

GOBE-MOUCHE, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) petit lezard des Antilles qui n'est guere plus gros que le doigt, mais un peu plus grand ; le mâle est verd & la femelle est grise & d'un tiers plus petite que le mâle ; ces lezards ne vivent que de mouches & de ravets ; ils les poursuivent avec tant d'avidité, qu'ils se précipitent du haut des arbres pour les saisir ; ils se tiennent souvent pendant une demi-journée sans se remuer pour découvrir une mouche ; ils sont très-communs non-seulement sur les arbres des forêts, mais encore dans les maisons. Hist. nat. des Antilles, par le P. du Tertre, tome II. page. 213. (I)


GOBELETS. m. (Economie domestiq.) vaisseau de verre ou de quelque substance métallique, qui est plus haut que large, ordinairement rond & sans anses, soit qu'il soit de verre ou de métal, & sans pié quand il est de verre, d'une capacité à pouvoir être embrassé commodément par la main, & dont on se sert pour prendre les liqueurs qui nous servent de boisson, soit en santé soit en maladie. Comme les liqueurs dont on remplit le vaisseau, sur-tout quand il est d'argent, sont quelquefois si chaudes qu'on auroit de la peine à tenir le gobelet, on le revêt quelquefois d'un bois mince & leger creusé autour, de la forme même du gobelet : cette enveloppe s'échauffe difficilement, & par sa nature & par l'interruption ; car il est d'expérience que la chaleur se répand avec moins de force & de facilité dans un corps fait de plusieurs pieces, que s'il étoit d'une seule, dans le cas même où les pieces différentes seroient toutes de la même matiere. Cette idée que nous jettons ici, peut avoir son application dans un grand nombre d'autres cas plus importans, soit pour la construction de certaines machines, telles que les fourneaux (voyez l'article FOURNEAU), soit pour l'explication de plusieurs phénomenes.

Tours de GOBELETS, (Art d'escamotage) On appelle ainsi des especes de tours de gibeciere, qui consistent en une douzaine de passes qu'on exécute avec des balles & des gobelets faits exprès. M. Ozannam s'est amusé dans ses récréations mathématiques, à expliquer toutes ces sortes de jeux de main.

Les gobelets dont on se sert ordinairement pour les exécuter, sont de fer-blanc ; il est bon qu'ils ayent deux pouces & sept lignes de hauteur, deux pouces & demi de largeur par l'ouverture, & un pouce deux lignes par le fond. Le fond doit être en forme de calotte renversée, & avoir trois lignes & demie de profondeur : il y aura deux cordons, l'un fixé dans le bas, pour rendre les gobelets plus forts, & l'autre à trois lignes du bas, pour empêcher que les gobelets ne tiennent ensemble quand on les met l'un dans l'autre. Au reste, les dimensions ici proposées pour le gobelet ne sont pas absolument nécessaires ; il suffit d'observer que ceux dont on joue ne soient pas trop grands ; que le fond n'en soit pas trop petit, & qu'ils ne tiennent pas fermement l'un dans l'autre.

On fait les balles à escamoter de liége, & on leur donne la grosseur d'une noisette ; ensuite on les brûle à la chandelle ; & quand elles sont rouges, on les tourne dans les mains, pour les rendre bien rondes.

Personne n'ignore que la principale difficulté du jeu des gobelets ne consiste que dans l'escamotage, & que ce petit art demande de l'exercice joint à quelque méthode : il faut, par exemple, pour bien escamoter, prendre la balle avec le milieu du pouce & le bout du premier doigt, & la faire rouler avec le pouce entre le second & le troisieme doigt, où l'on tient la balle en serrant les deux doigts & en ouvrant la main ; tenir les doigts les plus étendus que l'on peut, afin de faire paroître qu'on n'a rien dans les mains. Lorsqu'on veut mettre sous un gobelet la balle que l'on a escamotée, on la fait sortir d'entre les deux premiers doigts, en la poussant avec le second doigt dans le troisieme ; on leve le gobelet en l'air, & en le rabaissant vîte, on met la balle dedans.

Le joüeur de gobelets doit se placer derriere la table pour joüer, & ceux qui regardent doivent être devant du côté des balles que le joüeur tient dans sa gibeciere. Voyez GIBECIERE. (D.J.)


GOBELIN(LES) Hist. des Arts ; lieu particulier du faubourg S. Marceau à Paris, où coule la petite riviere de Bievre : ce lieu est ainsi nommé de Gilles Gobelin, teinturier en laine, qui mit en usage sous le regne de François I. l'art de teindre la belle écarlate, appellée depuis écarlate des Gobelins. Jans, fameux tapissier de Bruges, exécuta les premieres tapisseries de haute & basse lisse qu'on y ait fabriquées : mais Louis XIV. a fait bâtir dans ce lieu un hôtel nommé l'hôtel des Gobelins, qui est destiné aux manufactures royales. On y loge aussi des artistes & des ouvriers qui travaillent ordinairement pour le roi, sous la direction du sur-intendant des bâtimens. C'est-là que se font les plus belles tapisseries de l'Europe, qu'on nomme tapisseries des Gobelins. Les grands peintres du royaume sont chargés de composer les cartons de ces tapisseries. Voyez à l'article TAPISSERIE, l'explication de ce travail. (D.J.)


GOBERv. act. c'est en général avaler avec vîtesse ; mais il se dit, en Fauconnerie, dans un sens assez différent, d'une maniere de chasser ou voler des perdrix avec l'autour & l'épervier.


GOBERGES. f. (Hist. nat. Icthyolog.) poisson de mer qui est une espece de merlus, asellus ; on l'apporte de Terre-Neuve tout salé ; il est plus large & plus grand que la morue ; il a le ventre arcqué en-dehors, la bouche petite & les yeux assez grands. Ce poisson est couvert d'écailles & de couleur cendrée ; il n'a point de dents ; il ressemble aux autres merlus par le nombre & la position des nageoires ; il a la chair plus dure que celle du merlus, & moins gluante que celle de la morue. Rondelet, histoire des poissons, liv. IX. Voyez POISSON. (I)

* GOBERGE, s. f. (Layetier) petites planches de hêtre, façonnées de maniere qu'elles ont un pouce ou environ d'épaisseur d'un côté, & un demi-pouce de l'autre ; cinq, six à sept pouces de largeur, & depuis deux piés jusqu'à quatre de hauteur : voilà les dimensions des goberges ordinaires. Les autres qui se nomment layetes n'ont ni plus ni moins d'épaisseur que les communes ; mais elles ont depuis dix pouces jusqu'à treize de large, & dix piés au-moins de long. On les compte par poignée, & se vendent par millier. Les Layetiers & les Coffretiers employent beaucoup de ce bois dans leur ouvrage.

GOBERGE, (Marqueterie) Les Ebenistes appellent ainsi des perches dont ils se servent pour tenir sur l'établi leur besogne en état après l'avoir collée, & jusqu'à ce que la colle soit seche ; ce qui se fait en appuyant un bout de la perche contre le plancher, & l'autre contre l'ouvrage en maniere d'étrésillon. Voyez ÉTRESILLON.

GOBERGES, (Tapissier) petits ais de quatre à cinq pouces de large, liés avec de la sangle, & placés sur le bois de lit, où ils servent à soûtenir une paillasse ou un sommier de crin ; on les appelle aussi enfonçoirs.


GOBETER(Architecture) c'est, dans l'art de bâtir, jetter avec la truelle du plâtre, & passer la main dessus pour le faire entrer dans les joints des murs faits de plâtre & de moilon. (P)


GOBEURS. m. (Commerce) on nomme ainsi sur la riviere de Loire les forts & compagnons de riviere qui servent à la charge, décharge & conduite des bateaux, mais qui n'y peuvent entrer ni travailler à les conduire contre la volonté du maître marinier, suivant la déclaration du roi du 24 Avril 1703, pour le rétablissement du commerce & navigation de la Loire. Dictionn. de Comm. & de Trév. (G)


GOBLETTESS. f. ou HEULOTS, (Pêche) bateaux plats servant à la pêche ; ils sont en usage dans le ressort de l'amirauté de S. Valery en Somme.


GOCHHerenatium, (Géogr.) petite ville d'Allemagne au duché de Cleves, sujette au roi de Prusse. Elle est sur le Néers entre Cleves & Nimegue, à douze lieues sud-oüest de la premiere Goch : c'étoit vraisemblablement une habitation des anciens Gugerniens (Gugerni), qui habitoient le territoire de Juliers. Long. 23d. 44. lat. 51d. 40'. (D.J.)


GODAH(Géog.) ville d'Asie dans l'Indoustan, fermée de murs, mais beaucoup moins florissante que dans le siecle passé, parce que le Raja qui gouverne hérite de tous ses sujets ; cependant sa situation à environ 20 lieues de Brampour, est admirable pour le commerce, & la terre y est très-fertile en blé, en coton & en pâturages. Long. 95. 45. lat. 21. 50. (D.J.)


GODARD(SAINT-) Géogr. le mont Saint-Godard ou Saint-Gothard-Adula, selon Ptolomée & Strabon. Despréaux l'a francisé, & l'a nommé le mont Adule, mot qui est effectivement très beau en poésie. C'est une des plus hautes montagnes des Alpes, sur les confins de la Suisse, du Vallais & du pays des Grisons ; aussi cette montagne est-elle la source du Rhin, du Russ, de l'Aar, du Rhone & du Tessin. On a une des vûes des plus étendues du monde sur son sommet, dans l'endroit où se trouve un hôpital de Capucins établi pour héberger les passans. (D.J.)


GODES. f. (Commerce) mesure étrangere des longueurs dont il est parlé dans les tarifs de 1664 & 1667, aux endroits où il est fait mention des frises blanches appellées de coton qui se vendent à la gode. Par ces tarifs qui ne disent point en quel pays cette mesure est en usage, il paroît que les 100 godes font 125 aunes mesure de Paris ; sur ce pié la gode contiendroit cinq quarts d'aune de Paris. Voyez AUNE. Diction. de Commerce & de Trévoux. (G)


GODETS. m. (Gram.) petit vaisseau rond, plus large que haut, sans anse ; il a plusieurs acceptions différentes. Voyez les articles suiv.

GODET, (Hist. nat. bot.) est la partie d'une fleur qui soûtient & renferme les feuilles.

GODET, (Hydr.) ce sont de petites auges qui se pratiquent dans les pompes à chapelet. Voyez CHAPELET, POMPE & ROUE. (K)

GODET, (Fonderie) c'est une espece d'entonnoir par lequel le métal fondu qui est dans l'écheno passe dans les jets. Voyez les Planches de la Fonderie en statue équestre.

GODET, (Peinture) on appelle godets en Peinture les petits vaisseaux où les Peintres mettent leur huile & leurs couleurs ; les Peintres en miniature n'étalent point les couleurs sur la palette comme les Peintres à huile, mais les tirent immédiatement des godets ou coquilles.

GODET, (Barre de) voyez BARRE.


GODIVEAUS. m. (Cuisine) espece de pâte de veau haché & mis en andouillettes, avec d'autres ingrédiens, comme culs d'artichaux, asperges, écrevisses, champignons, &c.


GOEGHY(Hist. de l'Asie) nom d'une secte de Bénians dans les Indes ; ils se distinguent des autres Bénians par les jeûnes & les austérités les plus outrées ; ils ne possedent aucuns biens, vont tout nuds, couvrant seulement les parties que la pudeur fait cacher dans nos climats ; ils se frottent le visage & tout le corps avec des cendres pour se défigurer davantage ; ils n'ont point de temples, vivent dans les bois & dans les deserts, & font leurs prieres & leurs adorations dans de vieux bâtimens ruinés. Mandeslo ajoûte plusieurs autres détails sur leur genre de vie, leurs rits & leur croyance ; mais il est vraisemblable qu'il n'en a pas été mieux informé qu'un voyageur indien le seroit de l'ordre des capucins, en traversant quelques villages d'Espagne. (D.J.)


GOELETTES. f. (Marine) quelques-uns prononcent gaulette, petit bâtiment du port de 50 à 60 tonneaux, & quelquefois davantage ; il a deux mâts portant ensemble trois principales voiles, dont deux s'amarrent aux piés des mâts, & se manoeuvrent de bas en-haut, au moyen d'une corne à laquelle sont attachés un dérisse, une balancine & des halebas ; le point de la grande voile opposé à l'armure est porté en-dehors du bâtiment, soit à droite ou à gauche par une baume ou grande piece de bois mobile, & retenu par des palancs. La troisieme voile est un foc se manoeuvrant le long de l'étai qui descend du haut du mât d'avant sur l'extrémité du beaupré ; aux grandes goelettes on ajoûte quelquefois un faux foc & de petits huniers volans. Les goelettes sont fort en usage aux îles de l'Amérique ; elles servent à faire le cabotage ou navigation de cap en cap, ou d'une île à l'autre. Il y a une autre petite goelette qui n'est pas plus grande qu'une moyenne chaloupe ; on la nomme goelette à chaux, servant à pêcher au fond de la mer les pierres dont on fait la chaux, ou à transporter la chaux brûlée dans les lieux où on en a besoin. On peut observer en passant que les pierres dont on fait la chaux aux îles de l'Amérique, ne sont autre chose que des madrepores, des coralloydes & des coquillages. Art. de M. LE ROMAIN.


GOERÉE(Géogr.) petite île des Provinces-unies dans la Hollande méridionale, entre l'île de Voorn & celle de Schouwen, au couchant septentrional de l'île d'Overflakée ; la bonne rade qu'il y a devant cette île lui a donné le nom qu'elle porte. (D.J.)

GOEREE, (Géogr.) île de l'Océan ainsi nommée par les Hollandois qui l'ont possédée les premiers. Elle appartient présentement aux François qui s'en rendirent maîtres en 1677 ; son nom signifie bonne rade, & c'est uniquement ce qu'elle a de bon, car elle est petite & tout-à-fait stérile. Long. suivant des Hayes, de la Hire, Desplaces & Cassini, 0d. 26'. 30". lat. 14d. 39'. 51". (D.J.)


GOESou TER-GOES, Goeja, (Géogr.) ville forte des Provinces-unies en Zélande, dans la partie septentrionale du Zuyd-Beveland ; ce fut la seule qui échappa à l'inondation de l'année 1532. Elle est à quatre lieues de Middelbourg, à cinq de Berg-op-zoom, douze nord-oüest de Gand. Long. suivant Desplaces 21d. 31'. 30". & suivant Harris, 21d. 31'. 15". latit. suivant le même Desplaces, 51d. 30'. 30". & suivant Harris, 51d. 30'. seulement. (D.J.)


GOETIES. f. (Magie) espece de magie infame qui n'avoit pour objet que de faire du mal, séduire le peuple, exciter des passions déréglées, & porter au crime. Les philosophes Plotin, Porphire & Jamblique, définissoient la goëtie l'invocation des démons malfaisans pour nuire aux hommes avec plus de sûreté.

Les ministres de cet art funeste & ridicule, se vantoient aussi de tirer par leurs enchantemens les manes de leurs demeures sombres. Voyez l'art. ÉVOCATION des manes.

Ils employoient dans toutes leurs cérémonies tout ce qui pouvoit redoubler la terreur & l'effroi des esprits foibles ; nuit obscure, cavernes soûterreines à proximité des tombeaux, ossemens de morts, sacrifices de victimes noires, herbes magiques, lamentations, gémissemens ; selon l'appareil ordinaire de leurs cérémonies, ils passoient même pour égorger de jeunes enfans, & chercher dans leurs entrailles l'horoscope de l'avenir.

C'est ici qu'il faut bien distinguer cette magie goëtique ou sorcellerie odieuse, de la magie théurgique ; dans cette derniere on n'invoquoit que les dieux bienfaisans, pour procurer du bien aux hommes & les porter à la vertu. Les magiciens théurgiques souffroient déjà autrefois très-impatiemment qu'on les mît dans la classe des Goëtiques qu'ils regardoient avec horreur. Voyez THEURGIE. (D.J.)


GOETRES. m. terme de Chirurgie, quelques-uns écrivent goître ou gouetre ; c'est une tumeur indolente, mobile & sans changement de couleur à la peau, qui vient au-devant de la gorge. Les Savoyards & tous les habitans des montagnes sont fort sujets à cette maladie ; on attribue cette endémie aux eaux & neiges fondues & de sources froides qu'ils sont obligés de boire.

Le mot goëtre est formé par corruption du latin guttur, gorge ; plusieurs autres ont confondu mal-à-propos le goëtre avec une autre maladie de la gorge, nommée bronchocele. Voyez BRONCHOCELE.

Le goëtre est formé par une congestion de sucs lymphatiques ; & l'on tient que le signe de cette tumeur est dans la glande thyroïdienne. Il y a bien plus d'apparence que l'engorgement de l'humeur se fait dans le tissu cellulaire, puisqu'on voit aux habitans des Alpes & des Pyrénées ces tumeurs très-considérables, molles & pendantes sur la poitrine. Il y a, dit-on, des villages entiers où personne n'en est exempt, & où les hommes & les femmes disputent entr'eux de beauté, suivant la disposition plus ou moins réguliere du goëtre qu'ils portent.

Il y en a de différentes especes ; quelquefois la tumeur est enkistée, & contient une matiere plus ou moins épaisse, qui ressemble par sa consistance à du miel ou à du suif ; dans d'autres personnes la tumeur est sarcomateuse, & présente une masse charnue qui a la consistance d'une glande tuméfiée, sans être devenue skirrheuse.

Ces différens caracteres font connoître que les moyens curatifs ne doivent point être les mêmes dans tous les cas. Lorsque la tumeur est enkistée, & qu'on y sent de la fluctuation, si elle n'est encore qu'obscure, il ne faut pas se presser de faire l'ouverture ; les émolliens & les maturatifs pourront avec le tems favoriser une plus parfaite dissolution de l'humeur : on pourra alors obtenir par une simple ouverture à la partie déclive, un dégorgement complet de la matiere contenue, & la guérison se fera aisément. La tumeur étant affaissée, les parois du kiste peuvent se réunir très-solidement, s'il ne reste point de vûe organique, ou que celui qui reste soit si peu de chose que le tems puisse le dissiper. Voyez EN KISTE.

La nature a quelquefois opéré ces sortes de guérisons sans le secours de l'art, au moyen d'une petite ouverture faite par la peau usée & émincée. C'est la mollesse & la fluctuation de la tumeur qui feront raisonnablement présumer qu'on peut se contenter d'ouvrir ces tumeurs. La suppuration se soûtient quelquefois plusieurs années pour mettre les choses en cet état : elle se fait sourdement & très-lentement ; mais elle est quelquefois si complete , qu'un seul coup de trois-quarts suffit pour les vuider, & donner occasion à la nature d'opérer la réunion.

M. d'Eucery maître en Chirurgie à Cavaillon, a communiqué à l'académie royale de Chirurgie plusieurs observations de cures radicales de goëtre d'un volume considérable, obtenues en ouvrant ces tumeurs des deux côtés, & faisant ensuite suppurer l'intérieur par le moyen d'un séton ou bandelette de linge effilé, chargée des remedes convenables.

Si le goëtre est sans fluctuation, il faut tâcher de donner de la fluidité à l'humeur, par les remedes délayans & fondans pris intérieurement ; & pour l'usage des discussifs & résolutifs extérieurs que nous avons indiqués dans la cure des tumeurs scrophuleuses. Voyez ECROUELLES. Dionis recommande l'emplâtre diabotanum, & dit que si la tumeur ne se résout pas, il faut en faire l'extirpation : c'est le précepte de Celse, suivi par Aquapendente. Mais si l'on fait attention à la nature de la tumeur qui est indolente, on trouve peu de malades qui veulent souffrir cette opération, lorsque la tumeur sera d'un petit volume ; & lorsqu'elle en aura acquis un plus considérable, il faudra que le chirurgien examine bien attentivement si l'extirpation est possible : j'en ai peu vû que l'on eût pû extirper sans un péril manifeste de la vie. L'importance & la quantité immense des vaisseaux qui arrosent ou qui avoisinent les parties où sont situées ces tumeurs, défendent au chirurgien de les emporter ; mais elles ne sont pas toûjours incurables, & hors de la portée des secours de l'art, quoiqu'elles ne soient ni dans le cas d'être simplement ouvertes ni extirpées entierement. S'il n'y a aucune disposition skirrheuse qui puisse craindre que la tumeur dégénere en carcinome, on peut l'attaquer dans un endroit d'élection avec la pierre à cautere ; & lorsque la premiere escare sera tombée, continuez à l'entamer peu-à-peu avec prudence par des applications réitérées d'un caustique convenable jusque dans son centre, pour y causer une déperdition de substance, au moyen de laquelle les remedes fondans extérieurs qui avoient été inefficaces lorsque la tumeur étoit entiere, produisent un dégorgement considérable qui conduit à la fonte de la tumeur & à la guérison. Le choix du caustique n'est point une chose indifférente ; il ne faut pas qu'il soit irritant, & qu'il crispe les solides. On fait des merveilles avec le beurre d'antimoine : c'est un caustique putréfiant ; mais il doit être administré avec bien de la circonspection. On en porte quelques gouttes avec un tuyau de plume, ou une petite boule de charpie ou de coton : on panse ensuite avec les remedes qui sont propres à procurer la séparation des escares. Voyez dans le premier volume des pieces qui ont concouru pour le prix de l'académie royale de Chirurgie, le mémoire de feu M. Medalon sur la différence des tumeurs qu'il faut extirper ou ouvrir, & sur le choix du cautere ou de l'instrument tranchant dans ces différens cas. (Y)


GOG & MAGOG(Théol.) c'est par ces noms que l'Ecriture a désigné des nations ennemies de Dieu. Ceux qui se sont mêlés d'interpréter cet endroit de l'Ecriture, ont donné libre carriere à leur imagination ; ils ont vû dans gog & magog tout ce qu'ils ont voulu ; les uns des peuples futurs, d'autres des peuples subsistans, les Scythes, les Tartares, les Turcs, &c.


GOIAM(Géog.) royaume d'Afrique dans l'Abyssinie, à l'extrémité méridionale du lac de Dambée ; il est presqu'enfermé de tous côtés par le Nil. Quelques savans prennent cette péninsule pour l'île de Méroé des anciens. Voyez MEROE. (île de) (D.J.)


GOIFONvoyez GOUJON.


GOILANDS. m. (Ornithol.) en latin larus ; genre d'oiseau maritime qu'on peut ainsi caractériser suivant M. Ray. Ils sont tous, à l'exception d'un petit nombre, à piés plats, joints par une membrane telle que dans les oies ; leur bec est droit, étroit, un peu crochu à l'extrémité ; leurs narines sont oblongues, leurs aîles grandes & fortes, leurs jambes basses, & leurs piés petits : leur corps est très-leger, couvert d'un épais plumage ; ils planent dans l'air avec fracas, jettent de grands cris en volant, & vivent principalement de poisson.

On compte deux genres subordonnés dans la classe générale de ces sortes d'oiseaux : les premiers d'une grande taille ont la queue unie, & le bec bossu dans la partie du bas ; les autres ont la queue fourchue, & n'ont point de bosse à la partie inférieure du bec.

Ces oiseaux chassent sur terre & sur mer ; on en trouve sur les bords de l'Océan, & de très-beaux dans les mers du Pérou & du Chily ; tel est celui des côtes de ce dernier royaume décrit par le P. Feuillée, & qu'il appelle larus, , à courte queue.

Ce goiland étoit de la grosseur d'une de nos poules ; son bec étoit jaune, long d'environ deux pouces, dur & pointu, ayant la partie supérieure recourbée à la pointe, & la partie inférieure relevée en bosse. Le couronnement, la tête & le parement étoient d'un beau blanc de lait ; & cette même couleur descendant sous le ventre, s'étendoit jusqu'à l'extrémité de la queue. Tout son vol ainsi que son manteau, étoit d'un minime obscur & luisant, mais l'extrémité des pennes étoit blanche ; il avoit les piés jaunâtres, haut de deux à trois pouces, & les serres jointes par des cartilages de la même couleur.

Ces sortes d'oiseaux nichent sur la roche, & ne pondent que deux oeufs un peu plus gros que ceux de nos perdrix, teints d'un blanc sale, couverts de taches d'un rouge de sang pourri, les unes plus claires que les autres. Leur langue de deux pouces de long, est faite en forme de feuille de saule, fendue à l'extrémité, terminée par deux pointes fort aigues ; la partie inférieure en est plate, & la partie supérieure cannelée en long par le milieu.

Il y a d'autres goilands de ces pays-là dont la partie inférieure du bec est toute droite ; on en voit de tout noirs, de la grosseur de nos pigeons, & dont la queue est fourchue comme celle des hirondelles : d'autres sont cendrés à queue non fourchue : enfin l'on en voit de très-petits dont le corps est mi-parti de différentes couleurs, ayant le parement d'un blanc de lait mêlé de couleur de rose, le manteau & les cuisses cendrées, les deux grandes pennes noires, les jambes & les piés couleur de feu, & armés de petits ongles noirs. Tout cela prouve que la classe des goilands est fort étendue, & qu'elle souffre plusieurs subdivisions que nous ne pouvons faire encore que très-imparfaitement (D.J.)


GOKOKF(Hist. nat. du Japon) ce mot est un terme générique de la langue du Japon, qui signifie les cinq fruits de la terre, dont les Japonois se nourrissent. Kaempfer nous apprend que le gokokf renferme, 1°. le kome ou le riz qui est chez eux préférable à celui des indes ; 2°. l'omugi qui est notre orge ; 3°. le koomugi qui est notre froment ; 4°. le daïd-sec, c'est-à-dire les féves de daid, espece de féves de la grosseur des pois de Turquie, & qui croissent de la même maniere que les lupins. On trouvera la figure & la description de la plante qui porte ces féves, dans les Aménités exotiques de notre auteur, p. 839. 5°. le sod-su ou féves-so ; elles croissent aussi comme les lupins, sont blanches & ressemblent aux lentilles ; c'est selon que ces cinq fruits abondent en quantité & en qualité qu'on estime au Japon la valeur des terres, la fertilité de l'année, & la richesse des possesseurs ; ils font les principaux mets des habitans, & suppléent au défaut de la viande que la religion leur défend de manger. On comprend aussi quelquefois improprement sous le nom de gokokf, le millet, toutes sortes de blé & de légumes. (D.J.)


GOLCONDE(Géog.) royaume d'Asie dans la presqu'île de l'Inde, en-deçà du Gange ; il est borné au nord par la province de Bérar, au nord-est par la riviere de Narsepille qui le sépare du royaume d'Orixa, au sud-est par le golfe de Bengale, & au sud par la riviere de Coulour. La plus grande partie des terres y est si fertile, qu'on y fait deux récoltes de riz par an, & quelquefois trois. Il est arrosé de plusieurs rivieres, & a deux ports très-avantageux, savoir Narsapour & Mazulipatan ; son commerce consiste en toiles de coton peintes, en botilles fines, en riz & en indigo ; mais ses fameuses mines de diamant font sa plus grande richesse, & celle-là même qui porta Aureng-zeb à conquérir le pays qui possédoit dans son sein des trésors si précieux. Depuis ce tems-là le royaume de Golconde fait partie des états du grand-mogol ; la ville de Golconde autrefois nommée Bagnagar, en est la capitale. La longit. de cette ville est par les 124d. 40'. lat. 19d. 40'. & selon le pere Noël, seulement 17d. (D.J.)


GOLDBERG(Géog.) ville de Silésie au duché de Lignitz, sur le ruisseau de Katzbach. Voyez l'histoire de cette ville & de ses malheurs dans Zeyler Siles. Topog. page 147. Long. 33d. 45. latit. 51d. 3. (D.J.)

GOLDBERG, (terre de) Minéralog. espece de terre bolaire qui se trouve à Goldberg en Silésie, & qu'on employe pour les usages medicinaux dans quelques pharmacies d'Allemagne ; on lui attribue d'être astringente, cordiale & sudorifique : on s'est imaginé faussement que cette terre contenoit de l'argent, & que c'est à ce métal qu'on étoit redevable de ses bons effets ; on dit qu'elle est compacte, d'un gris clair, & qu'elle s'attache fortement à la langue. Voyez le supplément de Chambers.


GOLDINGEN(Géog.) petite ville de Courlande, avec un château sur la riviere de Weta, & sur la route de Konigsberg à Riga. Elle est au roi de Pologne. Long. 40. 6. lat. 56. 48. (D.J.)


GOLFEvoyez GOLPHE.


GOLGOTHAS. m. (Géogr. & Théol.) mot hébreu qui signifie calvaire, nom du lieu où Jesus-Christ fut crucifié proche de Jérusalem. Quelques anciens ont cru, on ne sait sur quel fondement, que c'étoit l'endroit où Adam avoit été enterré, & qu'il y étoit appellé calvaire, parce que le crane de notre premier pere y étoit. Ils ont imaginé là-dessus qu'il convenoit que le nouvel Adam fût crucifié en ce lieu, afin que son sang coulât sur les ossemens du vieil Adam pour en expier les crimes. Saint Jérôme méprise & rejette cette allégorie, & croit avec plus de vraisemblance que ce lieu étoit appellé calvaire, parce que c'étoit-là où se faisoient les exécutions, & où restoient les cranes des suppliciés. (G)


GOLGUSGolcum, (Géog. anc.) ville d'Asie dans l'île de Chypre, toute consacrée à Vénus ; c'est pourquoi plusieurs auteurs, entr'autres Théocrite & Lycophron, ne nous parlent que du culte que l'on y rendoit à cette déesse ; Catulle l'invoque en ces mots :

Quae Anconam, Gnidumque arundinosam

Colis, quaeque Amathonta, quaeque Golgos.

" O divinité qu'on adore à Gnide, à Ancone, à Amathonte, à Golgos " ! & pour lors il n'ajoûte point Paphos : Paphos & Golgi seroient-elles donc une seule & même ville ? Voyez PAPHOS.


GOLNOWGolnovia, (Géog.) petite ville d'Allemagne dans la Poméranie ultérieure, sujette au roi de Prusse ; c'étoit autrefois la dixieme & la derniere des villes anséatiques. Bogislas II. en fit une ville murée en 1180 ; un duc de Poméranie tua vers le milieu du siecle passé, dans une bruyere voisine de cette ville, un cerf dont le bois avoit 34 andouillers. Golnow est sur l'Ina proche l'Oder, à 6 lieues nord-est de Stettin, 7 sud-est de Cammin. Long. 30. 16. lat. 53. 32. (D.J.)


GOLPHES. m. (Géog.) sinus, & dans la basse latinité gulphus. Le golphe est un bras ou étendue de mer qui s'avance dans les terres, où elle est renfermée tout-à-l'entour, excepté du côté de son embouchure.

Les golphes d'une étendue considérable sont appellés mers ; telles sont la mer Baltique, la mer Méditerranée, la mer de Marmara, la mer Noire, la mer Rouge, la mer Vermeille.

On distingue les golphes propres & les golphes impropres, les golphes médiats, & les golphes immédiats.

Les golphes propres sont séparés de l'Océan par des bornes naturelles, & n'ont de communication avec la mer à laquelle ils appartiennent, que par quelque détroit, c'est-à-dire par une ou plusieurs ouvertures moins larges que l'intérieur du golphe. Telle est la Méditerranée qui n'a de communication à l'Océan, que par le détroit de Gibraltar ; telle est la mer Rouge, qui communique à l'Océan par le détroit de Babelmandel ; tel est le golphe Persique qui n'a point de sortie que par le détroit d'Ormus ; telle est la mer Baltique, qui a pour entrée les détroits du Belt & du Sond ; tel est le golphe de Kamtschatka, à l'extrémité orientale de la Tartarie : tels sont enfin la mer Blanche & le golphe de Venise, &c.

Les golphes impropres sont plus évasés à l'entrée, & plus ouverts du côté de la mer, dont ils font partie ; tels sont le golphe de Gascogne, & le golphe de Lion en France, le golphe de Saint-Thomas en Afrique, les golphes de Cambaye, de Bengale, & de Siam en Asie, le golphe de Panama en Amérique.

Le golphe médiat, est celui qui communique à l'Océan, sans autre golphe entre deux, comme la mer Baltique, la mer Rouge, le golphe Persique, &c.

Le golphe immédiat, est celui qui est séparé de l'Océan par un autre golphe ; soit qu'il en fasse une partie, comme le golphe de Venise, le golphe de Smirne, le golphe de Satalie, les golphes d'Engin, de Vélo, de Salonichi, &c. qui font partie de la Méditerranée ou de l'Archipel ; soit qu'il forme une mer à part, resserrée dans ses propres limites, que la nature lui a marquées, comme la mer de Marmara, qui communique avec l'Archipel ; ou comme la mer Noire qui communique avec la mer de Marmara.

Le golphe differe de la baie, en ce qu'il est plus grand, & la baie plus petite. Il y a pourtant des exceptions à faire, & l'on connoît des baies plus grandes que certains golphes, & qui par conséquent méritent mieux d'être appellés golphes. Telles sont la baie de Hudson, la baie de Baffin, &c. Mais on leur a donné cette qualification de baie, avant que d'en avoir connu l'étendue ; & d'ailleurs les Navigateurs qui font les premieres découvertes, n'y regardent pas de si près, & ne cherchent pas tant de justesse dans les dénominations.

L'anse est une espece de golphe, mais plus petit encore que la baie.

Les petits golphes des îles françoises de l'Amérique, sont appellés cul-de-sac.

Les golphes sont en si grand nombre, qu'il seroit très difficile d'en donner une liste exacte ; mais pour dresser une table des golphes, nous exposerons aux yeux la méthode que M. Gordon a ébauchée ; elle servira de regle à ceux qui voudront la complete r dans leurs travaux géographiques.

TABLE DES GOLPHES.

GOLPHE D'ARGUIN, (Géog.) golphe de l'Océan sur la côte d'Afrique. Il prend son nom d'une île qui y est située. Le dedans de ce golphe est tout semé de bancs, de battures, & d'îles desertes peuplées d'une infinité de poissons de toutes especes, qui n'ont rien à craindre de la part des hommes. Il n'est pas même permis aux bâtimens les plus médiocres de chercher à pénétrer dans l'intérieur de ce golphe pour y chercher leur salut, ils se briseroient mille fois sur la route. (D.J.)

GOLPHE DE BENGALE, (Géogr.) grand golphe d'Asie dans la mer des Indes, dont il fait une partie considérable entre la presqu'île de-là le Gange, & la presqu'île de de-çà. Il est borné au couchant par les côtes de Coromandel, de Gergelin, & d'Orixa ; au Nord par le royaume de Bengale ; au Levant par les royaumes d'Aracan, d'Ava, de Pégu, & de Siam. Sa profondeur est depuis environ les 7d. jusqu'au 21d. 45'. de lat. septentrionale. Sa largeur est d'environ 16d. en longit. & va toûjours en retrécissant vers le Nord, jusqu'aux bouches du Gange. Les principales îles de ce golphe sont, Ceylan, les îles du Gange, quantité de petites îles le long des côtes d'Avas, du Pégu, & de Siam, entr'autres les îles des Andamans, de Ténasserim, de Junsalam, & de Nicobar. (D.J.)

GOLPHE DE LION, (Géog.) sinus Leonis ; ce golphe s'étend sur la côte de France, le long d'une partie de la Provence, depuis les îles d'Hieres, du Languedoc, & du Roussillon, jusqu'au cap de Creu.

Il faut écrire comme nous avons fait golphe de Lion, & non pas de Lyon, d'autant mieux qu'on convient communément aujourd'hui, que ce n'est point la ville de Lyon qui donne le nom à ce golphe, connu des anciens sous le nom de gallicus sinus, mais qu'il le tire de la petite île du Lion, qui est sur la côte de Provence, ou peut-être, de ce que les Espagnols l'ont appellé golpho Leone, faisant allusion aux tempêtes qui y sont fréquentes. (D. J).

GOLPHE PERSIQUE, (Géog.) grand golphe d'Asie, entre la Perse & l'Arabie heureuse. Ce golphe commence proche du royaume de Sindi, où le fleuve Indus se décharge dans la mer, & finit à l'embouchure de l'Euphrate & du Tigre, ayant à droite la Perse, qui lui donne le nom qu'il porte, & à gauche l'Arabie. On trouve dans ce golphe une grande quantité de corail noir, & l'on y pêche de très-belles perles. (D.J.)


GOMARou GOMARIS ou GAMARA (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs anciens au tale, ou suivant d'autres à la selenite.


GOMARISTESS. m. (Théologie) Les Gomaristes sont, parmi les Calvinistes, opposés aux Arminiens. Voyez ARMINIENS. Ils ont pris leur nom de Gomar, professeur dans l'université de Leyde, & ensuite dans celle de Groningue : on les appelle aussi contre-Remontrans, de leur opposition aux Arminiens, qu'on a appellé Remontrans.

On peut connoître la doctrine des Gomaristes par le seul exposé des sentimens des Remontrans, qu'on trouve à l'article ARMINIENS, la théologie des uns étant diamétralement opposée à celle des autres ; & on peut voir encore les cinq oppositions des Gomaristes contraires à celles des Arminiens. Epist. théol. & ecclésiastiq.

On peut prendre encore une idée fort nette de la doctrine des Gomaristes, au douzieme livre de l'histoire des variations, où M. Bossuet la développe avec beaucoup d'étendue ; nous y renvoyons nos lecteurs. En général, on peut dire que les Gomaristes sont aux Arminiens ce que les Thomistes & les autres défenseurs de la grace efficace & de la prédestination rigide, sont aux Molinistes & aux autres défenseurs des droits du libre arbitre & de la volonté de sauver tous les hommes : il n'y a sur ces matieres que deux opinions opposées & contradictoires. Voy. GRACE.

Nous nous bornerons ici à dire un mot de l'histoire du Gomarisme & des troubles que les disputes des Remontrans & des contre-Remontrans ont causés en Hollande, parce que les faits de cette nature appartiennent à l'histoire de l'esprit humain.

Luther reprochant à l'Eglise romaine qu'elle étoit tombée dans le Pélagianisme, fit ce qu'on a toûjours fait en pareilles matieres, & se jetta dans l'extrémité opposée ; il établit sur les matieres de la grace & de la prédestination, une doctrine rigide & incompatible avec les droits du libre arbitre & la bonté de Dieu. Melanchton, esprit doux & modéré, l'engagea à se relâcher un peu de ses premieres opinions, & depuis les théologiens de la confession d'Augsbourg marcherent sur les traces de Mélanchton à cet égard : mais ces adoucissemens déplurent à Calvin. Ce réformateur, & son disciple Théodore de Beze, soûtinrent le prédestinatianisme le plus rigoureux, & ils y ajoûterent la certitude du salut & l'inadmissibilité de la justice. Leur doctrine étoit reçue presque universellement en Hollande, lorsqu' Arminius professeur dans l'université de Leyde, se déclara contre les maximes enseignées par les églises du pays, & se forma bien-tôt un parti nombreux : il trouva un adversaire dans la personne de Gomar. Les disputes se multiplierent & se répandirent bien-tôt dans les colléges des autres villes & ensuite dans les consistoires & dans les églises. La querelle étoit encore purement ecclésiastique, agitée seulement par les ministres de la religion, lorsque les états de Hollande & West-Frise voulurent s'en mêler ; ils ordonnerent en 1608 une conférence publique à la Haye entre Gomar & Arminius, assistés l'un & l'autre des plus habiles gens de leur parti ; mais après avoir bien disputé, on se sépara sans convention & sans accommodement : sur cela on ordonna que les actes de la conférence seroient supprimés, & qu'on garderoit le silence sur les matieres contestées.

Cette premiere loi de silence ne rétablit point la paix. Après la mort d'Arminius arrivée en 1609, ses disciples dresserent une requête qu'ils présenterent aux états de Hollande en 1610, sous le nom de remontrance, qui renfermoit en divers articles la doctrine de leur maître sur la grace & la prédestination ; les Gomaristes de leur côté demanderent à être entendus. Les états de Hollande & West-Frise ordonnerent une seconde conférence à la Haye, qui n'eut pas plus de succès, & après laquelle on fit une seconde loi de silence, contre laquelle les Gomaristes se récrierent fort, & qui ne fut pas plus observée que la premiere.

Cependant les Gomaristes demandoient avec instance un synode où ils pussent convaincre leurs adversaires touchant les dogmes contestés qu'on avoit réduits à cinq propositions : les Arminiens firent ce qu'ils purent pour détourner le coup ; ils prévoyoient qu'ils seroient infailliblement condamnés, le plus grand nombre des ministres leur étant contraires.

C'étoit une chose singuliere & qui fait connoître l'esprit du siecle, que de voir au milieu de tout cela le roi d'Angleterre Jacques I. écrivant de gros livres contre l'arminien Vorstius, successeur d'Arminius dans l'université de Leyde, se donnant les plus grands mouvemens & par lui-même & par son ambassadeur auprès des Provinces-Unies, pour faire chasser de l'université un professeur pélagien.

En attendant le synode, on tint une conférence à Delft, entre trois gomaristes & trois arminiens, qui se passa en explications réciproques & avec assez de modération. Ceci se passoit en 1613 : au mois de Janvier de l'année suivante, les états de Hollande & West-Frise firent une nouvelle ordonnance dans laquelle on rappelle les esprits à l'instruction de l'apôtre S. Paul, non plus sapere quàm oportet, sed sapere ad sobrietatem ; on y défend d'enseigner au peuple les conséquences trop dures qui paroissent suivre des opinions rigides de quelques théologiens sur la grace & la prédestination ; par ex. que quelques hommes ont été créés pour la damnation ; que Dieu leur impose la nécessité de pécher, & leur offre le salut sans vouloir qu'ils y arrivent : & quoique (disent les états) ces questions étant agitées dans les universités & dans les assemblées des ministres, ce que nous vous permettons encore, il en arrive que les sentimens se partagent ; ce qu'on a vû dans tous les tems, même parmi les hommes savans & pieux, nous défendons de traiter ces matieres difficiles en public, en chaire, ou autrement. Ils ordonnent en outre aux pasteurs de se conformer dans l'explication des divers points de la doctrine chrétienne, à l'Ecriture-sainte & à la foi des églises réformées, & enfin de suivre l'esprit de la charité chrétienne, & d'éviter de nouvelles discussions, suivant les premiers decrets portés par les états.

Cette troisieme ordonnance fut encore mal reçûe des Gomaristes, dont les opinions y étoient assez caractérisées & proscrites en même tems ; ils écrivirent contre le décret ; les Arminiens le défendirent, Grotius en fit l'apologie. Les historiens remarquent même que cette ordonnance de 1614 contribua à rendre plus fiers & moins accommodans les Arminiens qui s'étoient montrés jusque-là fort doux & fort pacifiques. Une nouvelle conférence tenue à Rotterdam au commencement de Novembre 1615, ne tranquillisa pas les esprits : de sorte qu'en 1617, les états de Hollande & West-Frise, que les Gomaristes accusoient toûjours de vouloir apporter du changement dans la religion réformée, & de s'arroger mal-à-propos le droit de pourvoir aux choses de la religion, firent une déclaration dans laquelle ils avancent d'abord qu'il appartient au magistrat de se mêler des affaires ecclésiastiques. Ensuite, après avoir rapporté les cinq propositions de la remontrance de 1610, renfermant toute la doctrine des Arminiens sur la grace & la prédestination, ils décident que ceux qui les tiennent & les enseignent ne peuvent être retranchés de la communion de l'Eglise, & déclarés hérétiques.

On peut voir ces cinq propositions à l'article ARMINIENS ; & celles des Gomaristes qui y sont opposées, dans la remontrance des premiers. Epist. théol. & ecclésiast.

Cette déclaration ne fit qu'animer encore davantage les Gomaristes ; ils la firent casser par l'autorité du prince Maurice & des états généraux : mais les états de Hollande, pour maintenir leur supériorité indépendante, casserent cette sentence & leverent des troupes ; les troubles se multiplierent ; on en vint aux mains dans plusieurs villes. Les états généraux, pour calmer le desordre, arrêterent au commencement de 1618, que le prince Maurice marcheroit pour déposer les magistrats arminiens, dissiper les troupes qu'ils avoient levées, & chasser leurs ministres. Après avoir réussi dans cette entreprise dans les provinces de Gueldres, d'Over-Yssel & d'Utrecht, il fit arrêter le grand pensionnaire Barneveld, Hoogerbets & Grotius, les principaux soûtiens du parti des Arminiens ; quelques jours après, il partit de la Haye, & parcourant les provinces de Hollande & West-Frise, il déposa dans toutes les villes les magistrats arminiens, bannit les principaux ministres & les théologiens de cette secte, & leur ôta même des églises pour les donner aux Gomaristes.

Ceux qui s'étoient opposés alors au dessein d'un synode national, étant ainsi abattus, on songea à le convoquer. Ce synode devoit représenter toute l'église belgique ; mais on y invita aussi des docteurs & des ministres de toutes les églises réformées de l'Europe, & cela pour fermer la bouche aux Remontrans, qui prétendoient que si un synode provincial ne suffisoit pas pour terminer les contestations, un synode national seroit aussi insuffisant, & qu'il en falloit un écuménique. Au reste, on pouvoit prévoir que le synode national ou écuménique ne seroit pas favorable aux Arminiens ; les députés qu'on nomma dans des synodes particuliers ayant presque tous été pris parmi les Gomaristes ; ce qui engagea les Remontrans montrans à protester d'avance contre tout ce qui se feroit.

On avoit choisi Dordrecht pour la célébration du synode ; l'ouverture s'en fit le 13 Novembre 1618.

Nous ne donnerons pas ici un détail suivi de ce qui s'y passa ; nous dirons seulement que les Arminiens y furent condamnés unanimement ; leurs opinions y furent déclarées contraires à l'Ecriture & à la doctrine des premiers réformateurs. On ajoûta à cette condamnation une censure personnelle contre les Arminiens cités au synode ; ils avoient été retenus dans la ville par les états généraux, après avoir présenté inutilement plusieurs requêtes pour être renvoyés chez eux. Cette sentence fut dressée au nom du synode & des députés des états généraux ; elle déclaroit les Arminiens détenus à Dordrecht atteints & convaincus d'avoir corrompu la religion & déchiré l'unité de l'Eglise ; & pour ces causes, elle leur interdisoit toute charge ecclésiastique, les déposoit de leurs vocations, & les jugeoit indignes des fonctions académiques. Elle portoit que tout le monde seroit tenu de renoncer publiquement aux cinq propositions des Arminiens ; que les noms de Remontrans & contre-Remontrans seroient abolis & oubliés. Les peines portées par cette sentence sont toutes ecclésiastiques : mais il ne tint pas aux Gomaristes, qu'elles ne fussent & civiles & plus séveres.

Ils avoient fait les plus grands efforts pour faire condamner les Arminiens comme ennemis de la patrie & perturbateurs du repos public ; mais les théologiens étrangers refuserent absolument d'approuver la sentence du synode en ce point ; de sorte qu'on fut obligé de la réformer ; & même quelque correction qu'on y eût faite, plusieurs ne voulurent point entrer dans ce qui regardoit la sentence personnelle des Arminiens : mais les états généraux satisfirent en cela l'animosité des Gomaristes des Provinces-Unies ; car après avoir donné un édit le 2 Juillet de la même année, pour approuver & faire exécuter les decrets de la sentence du synode, on proscrivit les Arminiens ; on bannit les uns, on emprisonna les autres, & on confisqua les biens de plusieurs.

Le supplice du célebre Barnevelt, grand pensionnaire de Hollande, suivit de près la fin du synode, & le prince d'Orange fit porter contre lui une sentence de mort, dans laquelle, parmi d'autres griefs en matiere civile, on l'accusoit d'avoir conseillé la tolérance de l'Arminianisme, d'avoir troublé la religion & contristé l'Eglise de Dieu. Tout le monde sait que cet homme célebre fut le martyr des lois & de la liberté de son pays, plutôt que des opinions des Arminiens, quoiqu'il les adoptât.

Le prince d'Orange Maurice, qui visoit à la souveraineté des Pays-Bas, & qui étoit traversé dans ses desseins par les magistrats des villes & les états particuliers des provinces, & sur-tout de celles de Hollande & West-Frise, à la tête desquels se trouvoient Barnevelt & Grotius, se servit du prétexte des querelles de religion pour abattre ces républicains, & pensa opprimer tout-à-fait la liberté de la Hollande, sous l'apparence d'en extirper l'Arminianisme.

En 1623, une conjuration contre le prince d'Orange, dans laquelle entrerent plusieurs Arminiens, fut une nouvelle occasion de les persécuter, que les Gomaristes ne laisserent pas échapper ; on les appella dans les prêches des traîtres & des parricides. Il étoit assez naturel de penser que Guillaume Barnevelt, chef de cette conspiration, & fils puîné du grand pensionnaire, étoit animé par le desir de vanger la mort de son pere ; mais on ne manqua pas de représenter la conspiration comme l'ouvrage de toute la secte, & la persécution fut très-vive.

Après la mort de Maurice, arrivée en 1625, les Arminiens tenterent inutilement leur rétablissement en Hollande, sous le prince Frédéric Henri son frere ; ils se réfugierent en divers pays de l'Europe où on leur offroit des asyles.

Mais la tolérance civile & même ecclésiastique s'établissant peu-à-peu en Hollande, à la suite des principes de la réforme, sous le stathoudérat de Guillaume II. fils du prince Henri, on leur permit d'avoir des églises dans quelques villes des Provinces-Unies ; celle d'Amsterdam a eu de grands hommes à sa tête ; le savant le Clerc, de Limborch, & beaucoup d'habiles gens y ont été ministres.

Les Gomaristes sont toûjours dans la religion réformée le parti dominant, & les Arminiens y font secte, au-moins pour la police extérieure de la religion. On professe encore ouvertement les dogmes rigides des premiers réformateurs ; les formules de foi expriment par-tout cette même doctrine, & on est obligé de s'y conformer pour parvenir aux emplois ecclésiastiques : il en est de même en Angleterre, où les épiscopaux tiennent les opinions de Calvin sur les matieres de la grace & de la prédestination. Cependant une grande partie des ministres, dans la réforme, s'est rapprochée des sentimens des Arminiens, ramenée à ces opinions par la Philosophie & sur-tout par la Morale, qui s'en accommodent beaucoup mieux : on les accuse même de donner dans les sentimens des Sociniens sur plusieurs articles considérables de la doctrine chrétienne. Quoi qu'il en soit, l'Arminianisme ne cause plus aujourd'hui aucun trouble en Hollande ; la tolérance civile a réparé les maux qu'avoit faits la persécution. Les magistrats hollandois ont enfin compris que pour le bien de la paix, ils devoient s'abstenir de se mêler dans ces disputes ; permettre aux théologiens de parler & d'écrire à leur aise ; les laisser conférer s'ils en avoient envie, & décider, si cela leur plaisoit ; & sur-tout ne persécuter personne. (G)


GOMBAUTS. m. ketmia, (Hist. nat. bot.) plante potagere très-commune aux îles Antilles. Elle s'éleve d'environ quatre à cinq piés, suivant la bonté du terrein ; ses feuilles ressemblent assez à celles de la mauve ; elle porte de belles fleurs jaunes auxquelles succedent des fruits de forme à-peu-près conique, longs de trois & quatre pouces, cannelés suivant leur longueur, & s'ouvrant lorsqu'ils sont secs en plusieurs logettes qui renferment des semences rondes, grises, & grosses comme des petits pois ; ce fruit doit se cueillir avant d'être tout-à-fait mûr ; on le fait cuire dans le pot pour le manger avec la soupe ou bien en salade ; on en fait aussi des especes de farces, & il est un des principaux ingrédiens qui entrent dans la composition du calalon, sorte de mets dont les dames créoles sont très-friandes.

Le gombaut étant cuit devient extrêmement gluant par la grande quantité de mucilage qui en sort ; c'est pourquoi on le regarde comme un très grand émollient, étant pris en lavement. Article de M. LE ROMAIN.


GOMBETTES(Jurispr.) V. LOIS GOMBETTES.


GOMER(LA) Géog. île de l'Océan atlantique, entre les Canaries & l'île de Fer. Elle appartient aux Espagnols qui s'en emparerent en 1545 ; elle a environ 22 lieues de tour, avec un port & un bourg de même nom ; son terroir abonde en fruits, en sucre, & en vins. (D.J.)


GOMMES. f. (Phys. génér.) suc végétal concret, qui suinte à-travers l'écorce de certains arbres, soit naturellement, soit par incision, & qui s'endurcit ensuite ; la gomme qui découle d'elle-même, paroît être en Physique une espece de maladie de la seve des arbres, qui étant viciée, s'extravase, & devient en quelque maniere solide. Elle perce par quelque endroit tendu, écorché, ou rompu de la plante, & fait mourir les parties voisines ; de sorte que pour arrêter les progrès du mal, il faut couper la branche malade un peu au-dessus de l'endroit affligé. Mais ce suc végétal gommeux qui transsude quelquefois sur le fruit, n'est pas une maladie, c'est une simple surabondance de seve qui sort à-travers la peau. On voit souvent sur plusieurs pommes des pays chauds, comme en Languedoc, en Provence, en Italie, une gomme claire, insipide, & dure. Cette gomme n'est autre chose qu'une extravasation du suc du fruit, que l'air & le soleil ont endurci, & cette extravasation se trouve quelquefois en plusieurs endroits de la même pomme. Les prunes domestiques & sauvages, offrent souvent aux observateurs une gomme toute semblable ; le laurier-cerise jette une fine gomme transparente, de couleur blanche, sans goût, & qu'on peut manger, sans qu'il en arrive aucun mauvais effet, tandis que l'infusion des feuilles du même arbre cause des convulsions, la paralysie, & la mort. (D.J.)

GOMME, (Chimie, Pharmacie, & Mat. méd.) les gommes proprement dites remplissent avec les mucilages une division de la classe générale des corps muqueux végétaux. La gomme est soluble dans les menstrues aqueux ; elle est capable de la fermentation vineuse, elle est nourrissante. Voyez VIN & NOURRISSANT.

Cette substance qui a beaucoup d'eau dans sa composition, quoiqu'elle ait déjà essuyé une véritable dessication (Voyez GOMME, Physique), en prend encore une quantité considérable, avec laquelle elle acquiert la consistance d'un mucilage mou & gélatineux : réduire une gomme dans cet état, s'appelle très-improprement dans le langage ordinaire de la pharmacie, tirer le mucilage d'une gomme.

La gomme se réduit en poudre, & même en poudre très-subtile, si on la pile dans un mortier très-chaud ; cette précaution est sur-tout nécessaire pour pulvériser la gomme adragant.

La gomme mise sur le feu se boursouffle, bouillonne, & se réduit bien-tôt en une matiere friable & demi-torréfiée, qui est soluble dans l'esprit-de-vin, comme tous les autres sucs végétaux legerement grillés.

On employe en pharmacie la gomme arabique, la gomme du Senégal, & la gomme adragant : on ne fait aucune distinction dans l'usage des deux premieres ; & on leur peut substituer sans inconvénient les gommes de notre pays ; celle du cerisier, de l'amandier, ou du prunier. Voyez ADRAGANT (gomme.) Voyez aussi ARABIQUE (gomme).

On donne encore en Pharmacie le nom de gomme à deux especes de sucs végétaux concrets bien différens de celui-ci ; savoir à des résines & à des gommes-résines. Voyez RESINE & GOMME-RESINE.

Les substances qui sont dans ces cas sont les suivantes :

Gomme animé, voyez ANIME.

Gomme copale, voyez COPAL.

Gomme caragne, voyez CARANNA.

GOMME-RESINE, (Chimie, Pharmacie, & Mat. méd.) Les gommes résines sont formées par le mélange d'une substance gommeuse & d'une substance résineuse foiblement unies.

Cette legere union se manifeste lorsqu'on essaye de les faire fondre dans les menstrues aqueux, en ce qu'on n'obtient point une dissolution transparente, mais une liqueur laiteuse. Cette liqueur éclaircie par le repos, fournit un dépôt où la résine pure domine, & dont on peut la retirer par le moyen de l'esprit-de-vin.

On peut aussi retirer du corps entier des gommes-résines par le moyen de l'esprit-de-vin, & sur-tout de l'esprit-de-vin alkalisé, la partie résineuse, & la séparer ainsi de la partie gommeuse.

Le corps entier des gommes-résines est dissous par le vin & par le vinaigre ; ces dissolutions ne sont pourtant pas parfaites, mais elles sont suffisantes pour les usages pharmaceutiques ; on introduit commodément par ce moyen dans la composition des emplâtres les gommes-résines qu'on ne pourroit mettre que difficilement en poudre, telles que le galbanum, la gomme ammoniac, l'opopanax, le sagapenum. Au reste celles-ci même peuvent se réduire en poudre quand elles sont mêlées avec beaucoup d'autres drogues, comme dans la poudre de la thériaque. Les gommes-résines employées en Medecine, sont les suivantes : la gomme ammoniac, l'assa foetida, le bdellium, l'euphorbe, le galbanum, la myrrhe, l'opopanax, le sagapenum & la sarcocolle. Voyez les articles particuliers. Toutes ces substances, à l'exception de l'euphorbe qui est un purgatif & un errhin très-violent, sont sur-tout connues en Medecine par leurs qualités communes, & on les employe assez fréquemment ensemble. Elles sont emménagogues, hystériques, & antispasmodiques dans l'usage intérieur, & elles passent pour des puissans résolutifs dans l'usage extérieur ; c'est à ce titre qu'elles entrent dans un grand nombre d'emplâtres auxquels elles donnent une autre qualité, sinon plus réelle, du-moins plus évidente, savoir de la viscosité. Voyez EMPLATRE, RESOLUTIF, PIQUEIQUE. L'auteur d'un petit traité qu'on nous a traduit de l'anglois depuis quelques années sous le nom de pharmacien moderne, prétend qu'il faut mettre l'oliban au rang des gommes-résines. (b)

GOMME ELEMI, voyez ELEMI.

GOMME TACAMAQUE, voyez TACAMAQUE.

GOMME AMMONIAC, voyez l'art. AMMONIAC.

GOMME DE NOTRE PAYS, gummi nostras, (Mat. méd.) offic. nom abrégé & reçu dans les boutiques, pour désigner la gomme qui découle des cerisiers, des pêchers, des pommiers, des pruniers, & autres arbres de nos climats. Leur gomme a les mêmes propriétés que la gomme arabique ; mais on préfere cette derniere en Medecine, parce que ses vertus sont connues & approuvées par une longue expérience, & l'on réserve la gomme de notre pays pour les usages de Méchanique. (D.J.)

GOMME DU GOMMIER, (Hist. nat. des Drogues) chibou-gummi, & par nos Epiciers galipot d'Amérique. C'est une gomme ou résine blanche, assez semblable au galipot, mais moins puante, qui découle en abondance d'un grand arbre des îles de l'Amérique, appellé gommier par les François, à cause de la grande quantité de gomme qu'il jette.

Il se trouve deux sortes de gommiers en Amérique, & sur-tout à la Guadeloupe, le blanc & le rouge.

Le gommier blanc est un des plus hauts & des plus gros arbres de cette île. Son bois est blanc, gommeux, dur, traversé, fort, & par conséquent difficile à mettre en oeuvre. On en fait des canots ; il a les feuilles semblables au laurier, mais beaucoup plus grandes. Ses fleurs sont petites, blanches, disposées par bouquets aux sommets des rameaux. Son fruit est gros comme une olive, presque triangulaire, uni, verd au commencement, & ensuite rouge-brun : sa chair est tendre, & remplie d'une résine gluante & blanchâtre.

Le gommier rouge a le tronc assez gros, droit, & élevé ; son bois est fort tendre & blanchâtre ; son écorce épaisse, verdâtre, & couverte d'une pellicule ou épiderme rousse, fort déliée, & fort aisée à détacher par de grandes lames en-travers. Ses branches s'étendent à la maniere de celles de nos grands pins. Elles sont garnies à leurs extrémités de quelques touffes de feuilles presque semblables à celles de nos frênes, mais un peu plus larges, & sans aucune dentelure. Elles sont lisses, vert-foncées, & chargées de quelques petites nervures. Les fleurs blanches & menues naissent par bouquets au bout des rameaux ; le pistil qui est au milieu de chaque fleur, devient un fruit charnu semblable aux pistaches, gros comme une olive, presque triangulaire, uni & verd dans sa formation, ensuite rouge-brun dans sa maturité. Sa chair est tendre, & remplie d'une résine blanchâtre & gluante. Ce fruit renferme un noyau dur, un peu pressé par les côtés ; & de la grosseur d'un grain de mays. Le gommier rouge est moins estimé que le gommier blanc ; son bois est de peu de durée, & se pourrit bien-tôt.

Le P. Plumier prétend que les gommiers dont on vient de parler, different seulement de nos térébinthes par la structure de leurs fleurs qui ne sont pas à étamines. On trouve quantité de ces arbres dans les îles de l'Amérique, particulierement dans les lieux secs & arides.

Hernandez, liv. III. chap. xx. de son histoire des plantes du Mexique, appelle le gommier copaltic, & dit que les Mexiquains font un grand cas de sa résine dans toutes sortes de flux-de-sang. Ils s'en servent extérieurement pour amollir, pour résoudre, & pour fortifier les nerfs. Ils employent en qualité de vulnéraires extérieurs les feuilles de l'arbre qui ont été trempées dans de l'eau-de-vie bouillante. Enfin ils brûlent quelquefois cette résine au lieu d'huile. On dit qu'elle sort par incision du tronc des gommiers en si grande quantité, qu'il y a tel de ces arbres d'où l'on en peut tirer jusqu'à cinquante livres.

Nous l'employons en Europe aux mêmes usages que l'huile de térébenthine ; on nous l'apporte des îles de l'Amérique, dans des barrils de différens poids, enveloppée dans de larges feuilles qui naissent sur un grand arbre du pays qu'ils appellent cachibou, d'où est venu le nom chibou de la gomme. Les Amériquains se servent des feuilles de l'arbre par préférence à d'autres dans leurs paniers d'aromates, afin d'empêcher que l'air n'y pénetre.

Quelques marchands trompeurs tant en Amérique qu'en Europe, sofistiquent la gomme chibou en la lavant dans quelque huile odoriférante, & la vendent les uns pour de la gomme animé, les autres pour de la gomme tacamahaca, & d'autres assez communément pour le vrai élémi. Les connoisseurs savent distinguer ces différentes gommes ; mais ceux qui ne sont pas du métier, en apprennent seulement la différence par les effets.

James a confondu la gomme du gommier, qu'on appelle quelquefois élemi d'Amérique, avec la véritable gomme élemi. Voyez ÉLEMI. (D.J.)

GOMME DE GENEVRIER, voyez ci-devant l'article GENEVRIER. Cette gomme s'appelle aussi sandaraque des Arabes. Voyez SANDARAQUE DES ARABES.

GOMME DE LIERRE, voyez LIERRE.

GOMME-GUTTE, (Hist. nat. des drog. exot.) suc concret, résineux & gommeux, inflammable, sec, compacte, dur, brillant, opaque, d'une couleur de safran jaunâtre, formé en masses rondes ou en petits bâtons cylindriques, sans odeur & presque sans goût ; au-moins quand on le retient dans la bouche, il n'a d'abord d'autre goût que celui de la gomme arabique, mais peu de tems après il laisse dans le gosier une legere acrimonie avec un peu de sécheresse.

On tire la gomme-gutte de Camboge, du royaume de Siam, de la Chine, & même, dit-on, de quelques provinces de l'Amérique : elle a reçu une quantité de noms différens, tels que gutta ad podagram, gumma-gutta, gutta-gamba, gutta gamandra, cambodium, cambogium, & plusieurs autres qui lui ont été donnés, soit à cause de la goutte que l'on s'imaginoit qu'elle guérissoit, soit à cause de Cambaye, Cambodje, ou Camboge, selon que différentes nations prononcent, soit à cause des différens pays d'où on l'apporte.

Les anciens ne la connoissoient point du tout, & ce n'est que depuis environ un siecle, qu'elle est employée beaucoup par les Peintres, & de-tems-en-tems par les Medecins. Elle fut envoyée pour la premiere fois à Clusius l'an 1603, & dès-lors son usage s'est étendu peu-à-peu dans l'Europe.

On estime celle qui est pure, qui n'est point mêlée de sable, ni souillée d'ordures, d'une couleur fauve, ou d'un beau safran, inflammable sur le feu & donnant la couleur jaune à la salive & à l'eau.

Les auteurs ont été long-tems incertains sur l'origine de ce suc ; mais on croit savoir aujourd'hui assez sûrement qu'il découle de deux arbres, dont l'un est une espece d'oranger de Malabar appellé ghoraka cingalensibus, coddam-pulli, & par Acosta carcapuli. Voyez CARCAPULI. L'autre est nommé ghoraka dulcis, & differe du précédent par sa fleur & son fruit, qui n'est que de la grosseur d'une cerise. Herman, témoin oculaire sur les lieux, rapporte qu'il dégoutte un suc laiteux & jaunâtre des incisions que l'on fait aux arbres dont nous venons de parler ; que ce suc s'épaissit d'abord à la chaleur du soleil ; & que lorsqu'on peut le manier, on en forme de grandes masses orbiculaires ou des bâtons. M. Richer prétend qu'il y a un arbre à Cayenne qui donne aussi de la gomme-gutte ; mais comme il n'a point envoyé de cette gomme-gutte de Cayenne, & qu'il n'a point décrit l'arbre qui la fournit, nous ne reconnoissons pour véritable gomme-gutte que celle des Indes orientales.

L'usage de cette gomme est considérable, parce qu'on en tire un très-beau jaune facile à employer, & dont on se sert pour la miniature & pour les lavis ; mais comme la gomme-gutte est en même tems un des plus puissans cathartiques que l'on connoisse dans le genre végétal, il mérite notre curiosité à cet égard. Voyez donc ci-dessous GOMME-GUTTE, (Medec. Mat. méd.) (D.J.)

GOMME GUTTE, (Medec. Mat. méd. & Chimie.) Quoique l'Histoire naturelle des drogues soit un vaste pays dont on tire plus de dépouilles par l'amour du gain, que par l'envie de connoître la nature, cependant il y a des philosophes qui ne sont épris que de cette derniere ambition. Nous pouvons donner parmi nous cette loüange à MM. Boulduc & Geoffroi, d'avoir consacré leurs veilles à des recherches utiles sur les simples efficaces. Les mémoires de l'académie royale des Sciences le prouvent. L'année 1701 de ce recueil nous offre, par exemple, une excellente dissertation de M. Boulduc, & le traité de matiére médicale de M. Geoffroi contient un très-bon morceau sur la gomme-gutte en particulier. Profitons de leurs travaux, & appliquons-nous toûjours à les étendre.

La gomme-gutte étant approchée de la flamme, s'allume, brûle, jette elle-même une flamme brillante comme les résines, & répand beaucoup de fumée ; elle se dissout dans l'esprit-de-vin, mais non pas entierement, car la sixieme partie ou environ, reste sans se dissoudre, & c'est la partie gommeuse, laquelle se dissout promtement dans l'eau chaude, ou dans l'huile de tartre. La gomme-gutte paroît se dissoudre dans les menstrues aqueux, mais elle ne fait que se convertir comme la scammonée, en un lait blanchâtre ou jaunâtre, se précipite ensuite au fond du vaisseau, & l'eau demeure claire & limpide.

Il semble résulter de l'analyse chimique, que la gomme-gutte est un composé salin, résineux, & gommeux, formé d'abord d'un soufre leger, lequel donne l'amertume & l'odeur au phlegme qui sort le premier ; ensuite d'un soufre grossier, qui ne s'éleve & ne se sépare de la terre que par un feu violent ; & finalement d'un sel tartareux, un peu ammoniacal, qui par le moyen de la distillation se résout partie en acide, & partie en sel nitreux.

La dissolution entiere de la gomme-gutte acquiert la couleur du sang, en y versant de l'huile de tartre par défaillance, ou de l'eau de chaux, peut-être parce que les parties sulphureuses se développent, comme il arrive dans la dissolution du soufre minéral, par une forte lessive alkaline.

C'est d'après les principes chimiques de la gomme-gutte, qu'on soupçonne que sa vertu cathartique dépend d'une substance sulphureuse, ténue & mêlée avec une certaine portion de sel volatil, ensorte que ses particules salines, sulphureuses, développées par le suc gastrique, irritent violemment les membranes de l'estomac & des intestins, & excitent les nausées, les vomissemens, & la purgation ; mais on ne doit donner ces sortes d'explications que pour des hypothèses, & non pour des vérités.

M. Boulduc n'a pu réussir à obtenir des fleurs de la gomme-gutte, ainsi qu'on en obtient du benjoin ; la résine de cette gomme tirée à l'esprit-de-vin, purge avec beaucoup plus de force & d'irritation, que la gomme même.

Cette gomme dans les expériences que ce chimiste a faites, s'est dissoute dans une égale quantité d'eau bouillante, à l'exception d'un petit nombre de particules terrestres ; cette liqueur étant filtrée, a donné après son évaporation à petit feu, une espece de sel grisâtre qui coule aisément lorsqu'on n'a pas soin de bien boucher le vaisseau dans lequel on l'enferme. Cet extrait salin purge avec moins d'activité & en moindre dose que la gomme ; mais comme il ulcere la gorge, il faut quand on l'employe, l'envelopper dans quelque substance onctueuse & adoucissante.

Nous avons déjà remarqué que la gomme-gutte ne se dissout point dans l'eau, qu'elle se précipite au fond du vase en substance laiteuse de couleur jaunâtre, & laisse l'eau aussi nette qu'auparavant ; nous ajoûtons ici que ce résidu ne differe en rien de la gomme, mais qu'il est plus pur. Le vinaigre distillé éclaircit cette substance laiteuse ; l'huile de vitriol la trouble, & l'esprit-de-vin la rend de couleur d'or.

Puisque la gomme-gutte est un des plus puissans cathartiques du regne végétal, & par conséquent un des plus propres à produire de grands effets, il importe de savoir à qui, comment, à quelle dose, & avec quelle précaution ou correctif on peut la prescrire.

Elle ne convient point aux tempéramens délicats dont les nerfs sont attaqués, ni aux personnes qui ont une grande difficulté à vomir. Lorsque la maladie l'exige dans certains cas, il est bon de la donner sous la forme de bol ou de pilules, parce qu'il n'y a point de menstrue capable d'en extraire toutes les qualités : on ne peut la bien pulvériser, sans y ajoûter quelque peu de sel lixiviel, tel que celui de tartre ou du sucre, qui d'ailleurs ont l'avantage de diviser ses parties résineuses, & de les empêcher de s'attacher trop fortement aux membranes de l'estomac & des intestins.

Cette gomme évacue sur-tout & promtement, les humeurs séreuses & bilieuses, ténues, tant par haut que par bas. Les medecins éclairés qui savent administrer ce remede avec prudence, y trouvent les avantages suivans, qu'il est sans goût & sans odeur, qu'on le donne en petite dose, qu'il fait son effet en peu de tems, qu'il dissout puissamment les sucs visqueux & tenaces en quelque partie du corps qu'ils se trouvent, & enfin qu'il chasse par le vomissement ceux qui sont dans l'estomac, & les autres en abondance par les selles. Ces mêmes medecins assûrent avoir employé ce remede avec un grand succès dans l'apoplexie séreuse, l'hydropisie, l'asthme humide, & d'autres graves maladies catarrheuses.

Ils prescrivent la gomme-gutte depuis deux grains jusqu'à quatre, & ils ont observé que ce remede donné à cette dose, excitoit peu ou point de vomissement ; & que lorsqu'il en causoit, cet effet cessoit d'ordinaire à la seconde ou troisieme prise.

Ce remede depuis quatre grains jusqu'à sept, développé dans beaucoup de liqueur, purge par haut & par bas, mais communément sans violence. Si on le donne à cette dose sous la forme de bol ou de pilules, il fait d'abord vomir ; mais le vomissement est très-leger, ou n'arrive point du tout, si on joint la gomme avec du mercure doux.

Cependant quand on a considéré que la gomme-gutte étoit du nombre de ces violens cathartiques, qui causent le bouleversement de l'estomac & la superpurgation, on s'est attaché à lui chercher des correctifs, pour modérer son activité : on a proposé à ce sujet les substances incrassantes, les sels lixiviels, tels que celui de tartre, le sucre, le mercure doux, & quelques autres moyens.

M. Boulduc a imaginé pour y parvenir, une expérience assez singuliere ; il a enfermé la gomme-gutte dans un sachet, a mis ce sachet dans un pain tout chaud, & l'y a laissé pendant vingt-quatre heures ; ensuite il a pulvérisé sa gomme, l'a remise dans un autre sachet, & a repété son procédé quatre ou cinq fois consécutivement. Il nous assûre que cette préparation a détruit la violence irritante de la gomme-gutte, sans diminuer ses vertus. Il ajoûte que la croûte du pain où il avoit enfermé cette gomme, possédoit une qualité purgative & émétique.

Tout cela se peut ; mais outre qu'une telle épreuve est très-fautive, la gomme-gutte de M. Boulduc n'en étoit pas moins émétique ; & en effet tous les correctifs du monde ne sauroient détruire l'éméticité de ce remede : d'ailleurs, il n'est pas besoin de recourir à des correctifs, pourvû qu'on donne la gomme à une petite dose, avec un adjoint convenable, ou en la délayant suffisamment. D'autres chimistes préparent une résine & un magistere avec ce suc ; mais de telles préparations sont inutiles & font même plus de mal que de bien, car les résines des purgatifs purgent généralement moins, & allument un plus grand feu dans les visceres.

Je finis par une observation sur la gomme-gutte, c'est que tandis qu'elle purge violemment, le fruit de l'arbre qui la produit est très-sain, se mange avec délices comme nos oranges ; & quand il est sec, il sert de remede efficace pour arrêter les flux de ventre séreux & bilieux. (D.J.)

* GOMME, terme de Chamoiseur, c'est une espece de graisse qui se rencontre dans les peaux de moutons ou de chevres que l'on passe en chamois. On fait sortir ce qui reste de chaux & de gomme dans ces peaux, par le moyen du confit. Voyez CHAMOIS, à l'endroit où il est parlé de la maniere de passer & préparer les peaux de moutons en huile ou autrement dit en chamois.


GOMMERv. act. (Gramm.) enduire quelque chose de gomme. Voy. GOMME. Gommer des rubans, c'est les humecter avec de l'eau dans laquelle on a fait dissoudre de la gomme, afin de les lustrer & les rendre plus fermes : mais les rubans gommés sont moins estimés que les autres, parce qu'ils sont trop roides & sujets à se gâter quand ils viennent à être mouillés. On gomme aussi les toiles, les étoffes. Voy. TOILE, DRAPERIE, SOIE, &c.


GOMMIERS. m. (Botan.) arbre des îles d'Amérique, qui est de la classe des térébinthes. Voyez-en la description à l'article GOMME du Gommier.


GOMORS. m. (Hist. anc.) mesure creuse des Hébreux, qui, selon le P. Calmet, contenoit à-peu-près trois pintes mesure de Paris. Le gomor étoit la même chose que l'assaron ou la dixieme partie de l'épha. V. EPHA & ASSARON. Diction. de la Bible. (G)


GOMPHOSES. f. en Anatomie, c'est une espece de synarthrose ou d'articulation, par laquelle les of sont emboîtés les uns dans les autres d'une façon immobile, en forme de cheville ou de clou. Voyez SYNARTHROSE, ARTICULATION.

Les dents sont enchâssées dans les mâchoires par gomphose. Voyez DENT & MACHOIRE. (L)


GOMRON(Géog.) ville de Perse sur le golfe de Balsora, vis-à-vis l'île d'Ormus, dans la province de Kirman. Voyez BAN-DER-ABASSI. (D.J.)


GONARGUES. m. (Gnom.) espece de cadran solaire, pratiqué sur les surfaces différentes d'un corps anguleux, d'où il fut appellé gonargue.


GONDS. m. (Serrurerie) morceau de fer plié en équerre, de la grosseur & de la largeur qui conviennent à l'usage. Il sert à soutenir la porte suspendue ; & c'est sur ses gonds qu'elle tourne, s'ouvre & se ferme. Les parties du gond ont différentes formes ; celle qui entre dans la penture est ronde & se nomme le mamelon ; celle qui doit être fixée dans le bois ou dans le plâtre est quarrée, pointue par le bout si le gond est pour bois, fourchue si le gond est pour plâtre : dans ce dernier cas, il doit être scellé en plomb, & l'on pratique avec la tranche des hachures sur les quatre faces de la queue. Enfin on distingue dans le gond trois choses ; le bout du mamelon qu'on appelle la tête du gond ; la portion comprise depuis la tête jusqu'à la pointe, qu'on nomme le corps, & la pointe.

Il y a des gonds de différentes sortes. Le gond à clavette, auquel on perce une ouverture, à-travers laquelle on passe une clavette qui empêche qu'on ne puisse l'arracher. Le gond de fiche, ou la partie inférieure de la fiche, sur laquelle le gond est monté : la supérieure se nomme penture. Le gond à repos, celui où l'on voit à la tête un épaulement autour du mamelon ; on l'appelle gond à repos, parce que l'oeil de la penture pose dessus : on l'employe aux portes pesantes ; alors on y ajuste & l'on y rive un mamelon. Tous ces gonds sont en bois & à plâtre. Le gond double à repos, celui où le mamelon excede la fiche ou l'oeil de la penture, de l'épaisseur de la seconde branche du gond, à la tête de laquelle l'on a fait un oeil, comme à celle sur laquelle le mamelon est fixe. Cette sorte de gond est pour les grandes portes cocheres.

GONDS ET ROSETTES DU GOUVERNAIL, (Mar.) Voyez ci-après GOUVERNAIL.


GONDAR(Géog.) les uns écrivent Gonder, d'autres Gumder, & d'autres Gondar ; grande ville d'Ethiopie, la résidence des empereurs des Abyssins, de même que du patriarche chef de la religion : mais n'allez pas entendre par ce mot de ville, une ville murée & solidement bâtie comme les nôtres ; ce n'est, à proprement parler, qu'un vaste camp, qui disparoîtra dès qu'il plaira au négus de choisir un autre lieu pour son domicile.

Le medecin Poncet qui fit le voyage d'Ethiopie en 1698, 1699, & en 1700, dit que l'étendue de Gondar est de trois à quatre lieues ; que l'empereur y a un palais magnifique, & qu'il se fait dans ce camp un très-grand commerce. L'or & le sel sont la monnoie qu'on y employe ; l'or y est en lingots, que l'on coupe jusqu'à une demi-dragme : on se sert de sel de roche pour la petite monnoie. On tire ce sel de la montagne Lafta, & il y est porté dans les magasins de l'empereur, où on le forme en tablettes & en demi-tablettes pour l'usage. (D.J.)


GONDOLES. f. (Marine) " c'est une petite barque plate & longue, qui ne va qu'avec des rames. L'usage en est particulier sur les canaux de Venise. La figure & la legereté des gondoles, est tout-à-fait extraordinaire. Les moyennes ont trente-deux piés de long, & n'ont que quatre piés de large dans le milieu, finissant insensiblement par les deux bouts en une pointe très-aiguë, qui s'éleve toute droite de la hauteur d'un homme. On met sur la proue un fer d'une grandeur extraordinaire ; il n'a pas un demi-travers de doigt d'épais, sur plus de quatre doigts de large, posé sur le tranchant ; mais la partie supérieure de ce fer plus applatie que le reste, avance un long & large cou en forme d'une grande hache de plus d'un pié de face ; de sorte que fendant l'air comme en menaçant, à cause du mouvement de la gondole, il semble qu'il va couper tout ce qui s'opposeroit à son passage. Dictionn. de Mar. (Z)

GONDOLE, instrument de Chirurgie, petite soucoupe ovale, très-commode pour laver l'oeil. Voyez BASSIN OCULAIRE. (Y)


GONDOLIERSS. m. (Marine) ce sont ceux qui menent les gondoles à Venise ; ils ne sont jamais que deux dans les gondoles, même dans celles des ambassadeurs, excepté lorsque les personnes de marque vont à la campagne ; alors ils se mettent quatre. Les gondoliers sont debout, & rament en poussant devant eux. Celui qui vogue devant, est dans l'espace qu'il y a depuis la partie couverte de la gondole jusqu'aux deux marches de l'entrée, appuyant sa rame du côté gauche, sur le tranchant d'une piece de bois plus haute d'un pié que le bord de la gondole, épaisse de deux doigts, & échancrée en rond pour y loger le manche de la rame. Le gondolier de derriere est élevé sur la poupe, afin de voir la proue par-dessus la couverture ; mais il ne se tient que sur un morceau de planche qui déborde de quatre doigts sur le côté gauche de la gondole, ne se tenant qu'au manche de sa longue rame, qui est appuyée au côté droit. (Z)


GONDRECOURTGundulphi curia, (Géogr.) petite ville de Lorraine au duché de Bar, sur la riviere d'Ornain, à 8 lieues S. de Saint-Mihel, 7 de Bar-le-Duc. Long. 23. 12. lat. 48. 30. (D.J.)


GONESSEGonessa, Gonessia, (Géog.) bourg de France, à trois lieues de Paris, au milieu d'un terroir de sept milles arpens de terres labourables, & très-fertile en blé. Ce bourg est bien ancien ; car il en est parlé dans un concile tenu à Soissons en 853. Il y a deux paroisses, & un hôpital fondé l'an 1210 par Pierre seigneur du Tillet. Long. 20. 6. 41. lat. 48. 59. 15.

Philippe II. roi de France, communément surnommé Auguste à cause de ses conquêtes, naquit à Gonesse le 22 Août 1165 ; il fut surnommé le Conquérant, & ab aliquibus Augustus, vir fortunatissimus, qui regnum Francorum ferè duplò ampliavit ; hic in omnibus actibus felix, ecclesiarum & religiosarum personarum amator & fautor, & specialiter ecclesiarum sancti Dionisii, & sancti Victoris Parisiensis. Obiit anno 1223. Ann. de S. Victor. (D.J.)


GONFALOou GONFANON, s. m. (Hist. mod.) grande banniere découpée par le bas en plusieurs pieces pendantes, dont chacune se nomme fanon de l'allemand fanen, ou du latin pannus, qui tous deux signifient un drap, une piece d'étoffe dont étoient composés ces anciens étendards. On donnoit principalement ce nom aux bannieres des églises, qu'on arboroit, afin de lever des troupes & de convoquer les vassaux pour la défense des églises & des biens ecclésiastiques. Les couleurs en étoient différentes, selon la qualité du saint ou patron de l'église, rouge pour un martyr, verte pour un évêque, &c. En France elles étoient portées par les avoüés ou défenseurs des abbayes ; ailleurs par des seigneurs distingués, qu'on nommoit gonfaloniers. Dans certains états l'étendard de la couronne, du royaume, ou de la république, étoit aussi appellé gonfanon. Aux assises du royaume de Jérusalem, liv. II. ch. x. il est parlé de la maniere que le connétable & le maréchal devoient chacun à leur tour porter le gonfanon devant le roi, lorsqu'il paroissoit à cheval dans les jours de cérémonie. Voyez ENSEIGNE. (G)

GONFALON, (Hist. mod.) tente ronde qu'on porte à Rome devant les processions des grandes églises, en cas de pluie, dont la banniere est un raccourci. Voyez l'article précédent. Voyez aussi l'article BANNIERE. Chambers. (G)


GONFALONIERS. m. (Hist. mod.) nom de celui qui portoit le gonfanon ou la banniere de l'église. (G)

GONFALONIER, (Hist. mod.) chef du gouvernement de Florence, dans le tems que cet état étoit républicain. Il y a encore à Sienne trois gonfaloniers ou capitaines, qui commandent chacun à un des trois quartiers de la ville. La république de Lucques est gouvernée par un gonfalonier choisi d'entre les nobles. Il n'est que deux mois en charge ; il a une garde de cent hommes, & loge dans le palais de la république. On lui donne pour adjoints dans l'administration des affaires, neuf conseillers dont le pouvoir ne dure que deux mois comme le sien ; mais ni lui ni eux ne peuvent rien entreprendre d'important sans la participation & l'aveu du grand-conseil qui est composé de vingt-six citoyens. Le magistrat de police de Sienne conserve aussi le titre de gonfalonier, & porte pour marque de sa dignité une robe ou manteau d'écarlate, par-dessus un habit noir ; son autorité est fort bornée depuis que les ducs de Toscane n'ont laissé à cette ville qu'une legere ombre de son ancienne autorité. (G)


GONFLER(SE) v. p. Gramm. il se dit de toute substance qui prend, ou par la chaleur, ou par quelqu'autre cause que ce soit, plus de volume qu'elle n'en occupoit auparavant. Il a lieu au simple & au figuré ; & l'on dit l'estomac gonflé par des vents, le coeur gonflé d'orgueil. De gonfler, on a fait gonflement.


GONFLESS. f. en termes de Tireurs-d'or, ce sont des cavités qui renferment de l'air, & empêchent absolument de souder l'or, quelque précaution qu'on y employe, à moins qu'on ne les ait crevées.


GONGA(Géog.) ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, près de Marmora, à 15 lieues N. E. de Gallipoli. Long. 45. 6. lat. 40. 53. (D.J.)


GONGRONES. f. (Med.) , gongrona. Hippocrate (lib. VI. epid. sect. iij. t. 14.) & Galien (ibid. comment.) se servent de ce mot pour-désigner une sorte de tumeur dure, indolente, qui est saillante & arrondie comme celles qui se forment sur la surface des arbres, que les Grecs appellent . Ce terme est particulierement appliqué aux tumeurs du cou, comme le goëtre, qu'on appelle aussi bronchocele. Diction. de Castell. Voyez BRONCHOCELE, GOETRE. (d)


GONNES. f. (Mar.) c'est un barril qui est d'un quart plus grand que celui où l'on met de la biere, du vin, ou de l'eau-de-vie : cette futaille n'est point d'usage en France, mais chez les Hollandois. On enferme aussi le saumon salé dans des gonnes.


GONNUSou GONNI, dans Strabon, dans Lycophron, (Géog.) ville de Grece dans la Perrhibie ; tous les anciens auteurs grecs & latins en parlent ; M. de Lisle place Gonnus à l'entrée de Tempé, au nord du fleuve Pénée, & à vingt milles de Larisse ; cette ville est nommée Gonnessa par Eustathe, sur le II. liv. de l'Iliade. (D.J.)


GONOIMÉTRIES. f. (Mathém. prat.) est l'art de mesurer les angles. Ce mot vient de deux mots grecs, , angle, & , mesure. On a donné au mot ANGLE, la maniere de mesurer les angles, soit sur le papier, soit sur le terrein, & de prendre des angles formés par trois objets quelconques ; & on a expliqué au mot DEGRE, pourquoi on se sert du cercle pour la mesure des angles : ainsi nous renvoyons à ces articles. (O)


GONORRHÉES. f. en termes de Medecine, signifie un flux ou écoulement involontaire de la semence, ou de quelque autre humeur, sans délectation & sans érection de la verge. Voyez SEMENCE. Ce mot est formé du grec , semence, & , je coule.

Il y a deux sortes de gonorrhée, l'une simple & l'autre virulente.

La gonorrhée simple, sans virus ou malignité, est causée quelquefois par des exercices violens, par l'usage immodéré d'alimens chauds & sur-tout de liqueurs fermentées, comme le vin, la biere, le cidre, &c. on en guérit en prenant du repos, des alimens nourrissans, des bouillons, &c.

Cette espece se subdivise en gonorrhée véritable, dans laquelle l'humeur qui s'écoule est réellement de la semence ; & en gonorrhée fausse ou bâtarde, où l'humeur qui se vuide n'est point de la semence, mais une matiere qui sort des glandes placées autour des prostates. Voyez PROSTATES.

Cette derniere espece a quelque ressemblance avec les fleurs blanches des femmes, & on en peut être incommodé long-tems sans perdre beaucoup de ses forces : quelques-uns l'appellent gonorrhée caterreuse. Son siége est dans les glandes prostates, qui sont trop relâchées ou ulcérées.

La gonorrhée virulente vient de quelque commerce impur ; c'est le premier symptome de la maladie vénérienne, & ce qu'on appelle la chaude-pisse. Voy. MALADIE VENERIENNE & CHAUDE-PISSE.

Les parties que ce mal affecte d'abord, sont les prostates dans les hommes & les lacunes dans les femmes. Ces parties étant ulcérées par quelque matiere contagieuse qu'elles ont reçûe dans le coït, elles commencent par jetter une liqueur blanchâtre & aqueuse, & causent une douleur aiguë, ensuite cette liqueur devient jaune, plus acre, enfin verdâtre & souvent fétide ou de mauvaise odeur.

Elle est accompagnée d'une tension & inflammation de la verge, & d'une ardeur ou acreté d'urine qui cause au malade une douleur fort vive dans le passage urinaire qu'elle déchire & excorie par son acrimonie : de-là naissent les tumeurs & ulceres sur le prépuce & sur le gland, lesquelles affectent aussi quelquefois l'urethre.

La cause de la gonorrhée virulente, selon M. Littre, est quelque humeur acide échauffée & raréfiée, qui dans le tems du coït se leve des parties intérieures du pudendum d'une femme infectée, & vient se loger dans l'urethre de l'homme ; elle a differens siéges dans le corps : quelquefois elle ne s'attache qu'aux glandes mucilagineuses de Cowper ; quelquefois aux prostates, quelquefois aux vésicules séminales ; quelquefois elle affecte deux de ces parties, & quelquefois toutes les trois ensemble.

C'est par rapport à cette diversité de siéges, que M. Littre distingue la gonorrhée virulente en simple, qui n'affecte qu'une de ces trois places, & en compliquée ou composée, qui en affecte plusieurs ; il observe que celle qui siége dans les glandes mucilagineuses, peut continuer d'être simple pendant tout le cours de la maladie, parce que les canaux de ces glandes sont ouverts dans l'urethre à un pouce & demi de distance en deçà des prostates, & ont leur écoulement en-bas, de sorte qu'elles déchargent aisément leur liqueur ; les deux autres especes se produisent mutuellement l'une l'autre, parce que les conduits des vésicules séminaires se terminent dans l'urethre au milieu des glandes des prostates ; de sorte que leurs liqueurs se communiquent aisément.

La gonorrhée qui n'affecte que les glandes mucilagineuses, est la moins commune & la plus aisée à guérir ; la cure se fait par des cataplasmes émolliens, par des fomentations sur la partie, & par des demi-bains. Mém. de l'acad. ann. 1711.

Les autres especes demandent des remedes plus forts, dont les principaux sont le mercure, l'émulsion de chenevi verd, of de seche, térébenthine, sucre de Saturne, &c.

Les Anglois font beaucoup de cas du précipité verd de mercure, de mercure doux : le baume de Saturne térébenthiné, préparé à petit feu, le sucre de Saturne, l'huile de térébenthine, & le camphre, font aussi très-bien. Quand l'inflammation est grande vers les reins & les génitoires, il faut avoir recours aux saignées, aux émulsions, aux calmans & adoucissans, tant internes qu'externes. Une infusion de cantharides dans du vin, est le remede spécifique d'un fameux medecin hollandois ; ce remede me paroît suspect & peut avoir des suites bien funestes : on recommande aussi la résine de gayac, & on regarde comme un remede spécifique le baume de Copaïba ; à quoi il faut ajoûter l'antimoine diaphorétique, le bezoar minéral, l'eau dans laquelle on a fait bouillir du mercure, les injections d'eau de chaux, le mercure doux, le sucre de Saturne, &c.

Pitcarn traite la gonorrhée virulente de cette maniere. Au commencement de la maladie, il purge avec une tisane laxative de sené, de sel de tartre & de fleurs de mélilot ; il prescrit du petit-lait pour la boisson du malade. Après l'avoir purgé ainsi pendant trois ou quatre jours, si l'urine est moins échauffée, le flux moins considérable, & la couleur & la consistance de la matiere devenue meilleure, il lui fait prendre pendant six ou sept jours des bois de térébenthine & de rhapontic ; si ces bols lui tiennent le ventre libre, c'est un bon signe. Il faut éviter absolument de donner des remedes astringens ; la gonorrhée ne dégénerant presque jamais en vérole, à-moins qu'on ne se presse trop de l'arrêter. Pitcarn, in manu scripto.

Du Blegny veut que l'on commence la cure d'une gonorrhée par un cathartique bénin de casse, de sené, de crystal minéral, de tamarin, de guimauve, & de rhubarbe, que l'on prend alternativement de deux jours l'un ; ensuite des diurétiques, & sur-tout ceux de térébenthine ; & enfin des astringens bénins, comme les eaux minérales, le crocus Martis astringent, les teintures de rose & de corail en cochenille, &c.

Le ptyalisme ou la salivation ne guérit jamais la gonorrhée. Chambers. (Y)


GOR(Géog.) ville des Indes, capitale d'un petit royaume de même nom, qui fait partie des états du Mogol, aux confins du Tibet. Long. 104. lat. 31. (D.J.)


GORANTO(MONTS DE-) Géog. chaîne de montagnes dans la Natolie, au couchant de la petite Caramanie ; entre le golfe de Macri & celui de Satalie. Les montagnes de Goranto jettent à leur sommet du feu, des flammes & de la fumée, la chimere de Lycie, célebre chez les poëtes, en faisoit partie. (D.J.)


GORAOS. m. (Comm.) étoffe de soie cramoisie, ou ponceau, qui se fabrique à la Chine.


GORCUMou GORKUM, Gorichemum, (Géog.) ville forte de la Hollande méridionale, commerçante en fromages, beurre, & autres denrées ; elle est à l'embouchure du Linge qui la traverse, à cinq lieues E. de Dordrecht, sept N. E. de Bréda, treize S. E. d'Amsterdam. Longit. 22. 29. latit. 51. 49.

Gorkum est la patrie de plusieurs hommes qui se sont illustrés dans les Sciences & dans la Peinture ; il suffira d'en nommer ici quelques-uns.

Erpenius, (Thomas) mort professeur en arabe à Leyden, le 13 Novembre 1624, à l'âge de soixante ans : nous lui devons une grammaire arabe, & d'autres ouvrages en ce genre, dans lesquels il a excellé.

Estius, (Guillaume) s'est fait une haute réputation par sa théologie en deux vol. in-fol. & par ses commentaires sur les épitres de S. Paul.

Kamphuysen, en latin Camphusius, ministre socinien, naquit à Gorcum dans le dernier siecle, & déclara dans ses écrits, qu'il auroit vécu toute sa vie sans religion, s'il n'eût lu des ouvrages où l'on combat la trinité, & dans lesquels on enseigne que les peines de l'enfer ne seront pas éternelles.

Bloëmart, (Abraham) né à Gorcum en 1567, & mort en 1647, s'est distingué parmi les peintres hollandois, & dans le goût de sa nation : on fait surtout beaucoup de cas de ses paysages.

Verschuring, (Henr.) né en 1627, excelloit à peindre des animaux, des chasses, & des batailles : il périt sur mer d'un coup de vent, à deux lieues de Dordrecht, en 1690.

Van-der-Heyden, (Jean) mort en 1712 à quatre-vingt ans, avoit un talent particulier pour peindre des ruines, des vûes de maisons de plaisance, des temples & des lointains. (D.J.)


GORDou GORRE, s. m. (Pêche) espece de pêcherie composée de plusieurs parties, dont la premiere s'appelle gord ; ce sont deux rangs de perches ou palissades convergentes d'un côté, & par conséquent divergentes de l'autre ; elles conduisent le poisson qui entre par le côté le plus large, dans un verveux ou guidau fixé au bout le plus étroit. L'embouchure du gord est quelquefois à-mont & quelquefois à-val, suivant le mouvement de la marée. Il suit de ce qui précede, que la palissade sert comme d'entonnoir au guideau qui la termine, & que les gords ressemblent beaucoup aux bouchots.

Il y a des gords d'osier avec pieux sédentaires ; ils sont en usage à Touque & à Dive ; ils ont, comme les bouchots de Cancale, quatre à cinq piés de hauteur, sur sept à huit de long ; le treillis est soûtenu par six pieux, & l'extrémité en est entonnée dans une petite nasse arrêtée par deux pieux en-devant, & un troisieme à la queue : l'ouverture en est exposée à l'ebbe ; la pêche se fait au reflux. Comme cette pêcherie n'exige ni panne ni aîle, ni clayonnage serré, l'usage n'en sauroit être pernicieux ; car il est sédentaire & assez ouvert pour laisser échapper le frai. Voyez nos Pl. de Pêche.

On établit aussi des gords dans les rivieres. Voici la description de celui de la riviere d'Elé, dans l'amirauté de Quimper en Bretagne : cette pêcherie où l'on prend du saumon, est placée entre deux montagnes, & traverse en entier le lit de la riviere ; les tonnes sont de maçonnerie, & non de pieux serrés ou de pieux clayonnés. Il y a sept tonnes ; l'intervalle de celle qui est à l'oüest est clos de tous côtés par des rateliers garnis d'échelons ; & c'est le réservoir de la pêcherie. Quand on fait la pêche & qu'il n'y a encore rien de pris ; pour faire servir cette tonne comme les autres, on leve deux de ces rateliers, & l'on met à leur place deux guidaux qui arrêtent les saumons qui cherchent à remonter : lorsqu'ils descendent, ces poissons qu'on ne pêche jamais alors, trouvent une ouverture pour s'échapper & retourner à la mer. Voyez SAUMONS.

Les gords de la gironde n'ont rien de particulier ; ce sont deux palissades de bois qui forment un angle dont la pointe est exposée à la basse eau : ces palissades sont assises sur un terrein de terre franche & de rapport. Quand la marée y est montée, la pointe du gord se trouve garnie d'une tonne ou gonne que les Pêcheurs nomment une gourbeille, au bout de laquelle ils ajoûtent encore deux nasses qu'ils appellent des bouteilles. Ces bouteilles sont soûtenues sur de petits piquets enfoncés dans le terrein ; c'est-là que se prend le poisson qui est monté avec la marée dans le gord, & il s'en prend beaucoup, car les tiges des bouteilles sont si serrées que rien ne peut échapper : le frai d'alose & d'autres poissons y est quelquefois en si grande quantité, qu'on ne pourroit sans infection l'y laisser plus d'une marée à une autre. Les bouteilles se démontent & s'élevent quand le pêcheur ne veut point exploiter son gord.

Ces gords ont leurs aîles ou clayonnages d'environ quatre piés de haut sur vingt-cinq, trente, quarante, cinquante, jusqu'à soixante-dix brasses de long. Il n'y en a qu'à l'oüest de la gironde, sur les côtes de Médoc, où la côte est plate & fort différente de la côte de Xaintonge qui lui est opposée. Voyez nos figures.


GORDIE(NOEUD), s. m. (Littérat.) noeud du char de Gordius qu'Alexandre coupa ne pouvant le dénoüer : en voici l'histoire. Gordius, pere de Midas, roi de Phrygie, avoit un char dont le joug étoit attaché au timon par un noeud fait si adroitement dans les tours & les détours du lien, qu'on ne pouvoit découvrir ni son commencement ni sa fin. Selon l'ancienne tradition des habitans, un oracle avoit déclaré que celui qui le pourroit délier auroit l'empire de l'Asie. Alexandre passant dans la ville de Gordium, ancien & fameux séjour du roi Midas, souhaita de voir le fameux chariot du noeud gordien, se persuadant aisément que la promesse de l'oracle le regardoit : après avoir considéré attentivement ce noeud, il fit plusieurs tentatives pour le délier ; mais n'ayant pû y réussir, & craignant que les soldats n'en tirassent un mauvais augure : " il n'importe, s'écria-t-il, comment on le dénoue ". Alors l'ayant coupé avec son épée, il éluda ou accomplit l'oracle, dit Quinte-Curce, sortem oraculi vel elusit vel implevit. Arrien ajoûte qu'Alexandre avoit réellement accompli l'oracle, & que cela fut confirmé la nuit même par des tonnerres & des éclairs ; de sorte que le prince n'en doutant plus, offrit le lendemain des sacrifices aux dieux pour les remercier de la faveur qu'ils vouloient bien lui accorder, & des marques authentiques qu'ils venoient de lui en donner. Tout cela n'étoit qu'un stratagème qu'Alexandre imagina pour encourager ses troupes à le suivre dans son expédition d'Asie. (D.J.)

GORDIENS, (monts) Gordiaeus mons, (Géog.) chaîne de montagnes de la grande Arménie, au milieu de laquelle chaîne Ptolomée donne la même latitude qu'aux sources du Tigre, savoir 39d. 40'. Cette montagne a donné le nom de Gorden ou Gorduene au pays dont Pompée fit la conquête ; car ce pays étoit aussi de la grande Arménie, & dépendant du roi Tigrane. La commune opinion veut que ce soit présentement le mont Ararath. (D.J.)


GORDIUM(Géog. anc.) ville d'Asie dans la Phrygie sur le fleuve Sangar ; Etienne le géographe la nomme Gordicium : peut-être avoit-elle pris son nom de Gordius, pere de Midas, qui en avoit fait le lieu de sa résidence. Arrien, Xénophon, & les historiens d'Alexandre le Grand, font mention de Gordium : ce fut-là, disent-ils, que ce roi ne vint à bout du noeud gordien qu'en le coupant. Voyez GORDIEN (NOEUD). (D.J.)


GORÉE(Géogr.) voyez ci-devant GOEREE.


GORETS. m. (Marine) c'est un balai plat fait entre deux planches & emmanché d'une longue perche ; on s'en sert pour nettoyer les parties du vaisseau qui sont dans l'eau.

Les Hollandois ne font pas le goret plat comme les François : ce sont de gros balais cloüés entre deux planches amarrées à une corde ; on porte cette machine au bout du vaisseau, on la met dessous & on la tire par l'autre bout avec le cabestan ; de sorte qu'en passant elle nettoye & gratte le vaisseau. (Z)


GORETERv. act. (Marine) c'est nettoyer avec un goret la partie du vaisseau qui est cachée dans l'eau. (Z)


GORGADES(Géog. anc.) îles du Cap-verd ou de la côte occidentale d'Afrique, dans lesquelles plusieurs auteurs ont placé le séjour des Gorgones, sur la relation fabuleuse des Carthaginois, qui y trouverent des femmes velues sur tout le corps ; & d'une si grande agilité, qu'elles échappoient aux hommes qui les poursuivoient à la course : ces femmes pourroient bien être des guenons dont ces îles sont remplies. (D.J.)


GORGES. f. (Anatomie) partie antérieure d'un animal entre la tête & les épaules, dans laquelle est le gosier. Voyez COU ou COL.

Les Medecins comprennent sous le mot de gorge, tout le creux ou toute la cavité que l'on peut voir quand une personne ouvre la bouche fort grande. Voyez OESOPHAGE & BOUCHE. On l'appelle aussi quelquefois isthme, parce que c'est un passage étroit qui a quelque ressemblance avec ces gorges de montagnes ou langues de terre que les géographes appellent isthmes. Chambers.

On donne quelquefois ce nom aux mamelles ; c'est en ce sens qu'on dit d'une femme, qu'elle a une belle gorge. Voyez MAMELLE. (L)

GORGES, (Art milit. & Fortifications) en termes de Fortification, est l'entrée du bastion, des demi-lunes, ou autres ouvrages extérieurs. Voyez BASTION, DEMI-LUNE, &c.

La gorge d'un bastion est ce qui reste des côtés du polygone intérieur de la place, après qu'on en a retranché les courtines : dans ce cas, il se fait un angle au centre du bastion ; tel est l'angle F K L, Pl. I. de Fortification, fig. 1. Voyez ANGLE DU CENTRE DU BASTION. Aux bastions plats, c'est une ligne droite sur la courtine qui communique d'un flanc à l'autre.

Il est avantageux que la gorge du bastion soit grande, pour augmenter la capacité du bastion. Voyez DEMI-GORGE.

La gorge d'une demi-lune est la partie de la contrescarpe sur laquelle elle est construite.

La gorge des autres ouvrages extérieurs, est l'espace qui est entre leur flanc attenant le fossé ; ou c'est la partie qui les termine du côté de la place.

Toutes les gorges doivent être sans parapet, parce que les assiégeans après s'en être rendus maîtres, s'en serviroient pour se mettre à couvert des coups de la place : on se contente de les fortifier avec des palissades, pour éviter une surprise.

Demi-gorge est la partie du polygone qui est depuis le flanc jusqu'au centre du bastion, comme F K. Voyez DEMI-GORGE. Chambers. (Q)

GORGE, (Hydraulique) se dit d'une fondriere & vallée où l'on a dessein de faire descendre une conduite d'eau, ou de la faire passer sur un aqueduc, pour raccorder les deux niveaux. (K)

GORGE DE PIGEON, (Manége) expression usitée parmi les Eperonniers, pour désigner une sorte d'embouchure dont la liberté de langue ou l'espace qui forme cette liberté, diminue toûjours à-mesure que le canon s'éleve & jusqu'au point de la terminaison du montant. Il est des gorges de pigeon brisées, il en est de non brisées. Voyez MORS. (e)

* GORGE, (Architecture) espece de moulure concave, plus large & plus profonde qu'une scotie ; elle se pratique aux cadres, chambranles, & ailleurs.

La gorge d'une cheminée, c'est la partie comprise depuis le manteau jusque sous le couronnement du manteau ; il y en a de droites ou à-plomb, en adoucissement ou conge, en balustre, en campane ou cloche. Voyez GORGERIN. Chambers.

GORGE ; les Artificiers appellent ainsi l'orifice d'une fusée dont le cartouche est étranglé sans être fermé, & dont le trou est précédé d'une espece d'écuelle concave qui sert à contenir l'amorce.

GORGE, en terme de Fondeur de cloches, est le renflement compris depuis les faussures jusqu'au bord ou arrondissement de la cloche. Voyez la fig. I. Pl. de la Fonderie des cloches, & l'art. FONTE DES CLOCHES.

GORGE, chez les Orfevres en grosserie, est un petit collet qui commence la monture d'un chandelier ou autre ouvrage ; il peut aussi y en avoir à différens endroits de cette monture, selon le goût de l'artiste & l'effet qu'elles produisent dans son ouvrage.

GORGE, (Serrurerie) il se dit de la partie d'un ressort à laquelle répond la barbe du pêne, lorsque le panneton de la clé est mû pour ouvrir & fermer ; la gachette a aussi sa gorge. Voyez dans nos Planches de Serrurerie, la gorge du ressort & de la gachette.

GORGE, (Tourneur) ce nom se donne aux bâtons tournés qu'on met au bas & au haut des planches & des cartes de Géographie qui les tiennent tendues quand elles sont déployées, & sur lesquels on les tourne pour les serrer.

GORGE, (Vénerie) on dit d'un chien qu'il a belle gorge, c'est-à-dire qu'il a l'aboyement vigoureux & retentissant.

GORGE, (Fauconnerie) est la poche ou sachet supérieur des oiseaux de proie : il faut donner grosse gorge à l'oiseau, c'est-à-dire de la viande grossiere & non trempée dans l'eau, non essuyée, en un mot leur faire faire une mauvaise chere.

On appelle gorge chaude la viande chaude qu'on donne aux oiseaux de proie, & qu'on prend du gibier qu'ils ont attrapé.

On dit aussi donner bonne gorge, quand les Fauconniers repaissent les oiseaux ; demi-gorge ou quart de gorge, selon que l'on les veut traiter.

Enduire ou digérer sa gorge, se dit de l'aliment que l'oiseau a pris : on dit, l'oiseau a digéré sa gorge, lorsque cette gorge passe vîte & que l'oiseau émeutit incontinent sans prendre nourriture : on tient que c'est un mauvais signe, qu'il devient éthique ; ce qu'on appelle mal subtil.

GORGE-ROUGE, rubecula, erithacus, s. m. (Hist. nat. Ornitholog.) petit oiseau qui pese une demi-once ; il a un demi-pié de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergure est de neuf pouces. La poitrine a une couleur rouge ou orangée, qui a fait donner à cet oiseau le nom de gorge rouge : cette même couleur entoure les yeux & la partie supérieure du bec ; il y a une bande bleue entre la couleur rougeâtre & la couleur du reste de la tête & du cou. Le ventre est blanc ; la tête, le cou, le dos & la queue, sont de couleur brune, verdâtre ou jaunâtre, comme dans les grives. La face intérieure des aîles est legerement teinte de couleur orangée ; les barbes extérieures des grandes plumes sont presque toutes de la même couleur que le dos : les bords intérieurs sont jaunâtres. La queue a deux pouces & demi de longueur, & elle est composée de douze plumes. Le bec est mince & de couleur brune ; la langue est fourchue ; l'iris des yeux a une couleur de noisette ; les pattes, les doigts, & les ongles, sont de couleur brune mêlée de noir.

L'hyver ces oiseaux approchent des maisons pour chercher à manger : en été dès qu'ils peuvent trouver de quoi se nourrir dans les bois, & que le froid ne se fait plus sentir, ils se retirent avec leurs petits dans les lieux les plus deserts. Ils aiment la solitude : d'où vient le proverbe qui dit, " deux gorges-rouges ne vivent pas sous le même arbuste " : unicum arbustum non alit duos erithacos.

Cet oiseau fait son nid parmi les épines, dans les endroits les plus touffus des bois & les plus remplis de feuilles de chêne, & il le couvre avec ces feuilles : on dit qu'il n'y entre que par un seul endroit, & que toutes les fois qu'il en sort, il ferme l'ouverture avec les mêmes feuilles. On distingue le mâle de la femelle, par les pattes qui sont plus noires, & par quelques poils qu'il a de chaque côté du bec. Ces oiseaux se nourrissent de petits vers & d'autres insectes, d'oeufs de fourmis, &c. Willughbi, ornith. Voyez OISEAU. (I)


GORGÉENFLÉ, adj. synon. (Manége) des jambes gorgées, des boulets gorgés. Voyez ENFLURE & JAMBES. (e)

GORGE, en terme de Blason, se dit d'un lion, d'un cygne, ou autre animal dont le cou est ceint d'une couronne ; auquel cas l'on dit que le lion est gorgé d'une couronne ducale, &c.


GORGERen terme d'Artificier, c'est remplir de composition le trou de l'ame d'un artifice ; ce qui ne se fait que rarement.


GORGEREou TAILLEMER, s. f. (Marine) c'est une des principales pieces qui composent la poulaine ou éperon.

La gorgere s'étend à l'avant du vaisseau, depuis l'extrémité du brion ou la naissance de l'étrave, jusqu'à-peu-près au niveau du premier pont, suivant dans toute cette étendue le même courant que l'étrave, sur laquelle elle est appliquée exactement ; elle repose par en-bas sur une dent qu'on ménage sur le brion ou sur l'étrave à laquelle elle est liée par plusieurs chevilles qui sont clavetées sur virole au-dedans du vaisseau.

A la hauteur du premier pont, la gorgere quitte l'étrave dont elle s'écarte en formant une grande gorge qui remonte à-mesure qu'elle s'éloigne du vaisseau, & va se terminer à la figure.

Le dehors de la gorgere représente une espece de console qui vient se terminer par-en-bas à la dent que nous avons dit être sur l'extrémité du brion ou à la naissance de l'étrave.

La gorgere est formée par deux ou un plus grand nombre de pieces qui ont la même épaisseur que l'étrave, à l'endroit où elles la touchent, & qui diminuent un peu d'épaisseur à mesure qu'elles s'en écartent : toutes ces pieces sont liées l'une à l'autre par des empatures, & retenues avec des chevilles de fer. Voyez Pl. IV. fig. 1. la gorgere ou taillemer, cotée 193. (Z)


GORGERETS. m. instrument de Chirurgie qui sert dans l'opération de la taille, pour introduire les tenettes dans la vessie ; son corps est un canal en forme de gouttiere longue de cinq pouces : son commencement ou sa partie la plus large a environ huit lignes de diametre & trois lignes & demie de profondeur ; il va ensuite en diminuant insensiblement de largeur & de profondeur, se terminer par une coupe ronde. La cavité de cette gouttiere est exactement ceintrée & polie, & ses aîles ou parois sont aussi fort polis, afin de ne causer aucune irritation aux parties. L'entrée du canal est coupée en talud de l'étendue d'un travers de doigt.

L'extrémité antérieure est une petite crête qui s'éleve doucement du fond & du milieu de la fin de la gouttiere dont nous venons de parler ; elle a environ seize lignes de longueur dans le canal, & sa hauteur a près de deux lignes en sortant du canal, où elle forme une languette de quatre lignes de longueur sur deux lignes & demie de largeur, recourbée de dehors en-dedans, plate sur les côtés, & arrondie par son extrémité.

L'extrémité postérieure de cet instrument est arbitraire ; elle est communément en croix, comme le manche des conducteurs. Nous avons fait graver, Pl. IX. fig. 9. un gorgeret fort étroit de l'invention de M. le Dran : le manche est en forme de coeur. Il préfere ce petit gorgeret, parce qu'il se tourne aisément dans la vessie, comme il le juge à-propos, pour distinguer autant qu'il est possible les surfaces & le volume de la pierre ; il tourne ensuite la cannelure du côté de la tubérosité de l'ischion, & il y fait couler son petit couteau (fig. 10.), pour inciser la prostate & le cou de la vessie.

Le gorgeret (fig. 11.) est vu du côté convexe ; son manche est un anneau. Il y a sur sa partie latérale externe, du côté gauche, une rainure qui peut servir fort utilement à conduire un bistouri pour l'incision du col de la vessie.

M. Foubert a imaginé par sa nouvelle méthode de tailler, un gorgeret formé de deux pieces ou branches qui peuvent s'écarter & servir de dilatatoire. Voyez fig. 4. Il peut servir au grand appareil, & pourroit avoir sans inconvénient la rainure du gorgeret. fig. 11. (Y)


GORGERINS. m. (Hist. mod.) partie d'une ancienne armure qui servoit à couvrir la gorge quand un homme étoit armé de toutes pieces. Voyez ARME & ARMURE. Chambers. (Q)

GORGERIN, (Archit.) est la petite frise du chapiteau dorique, entre l'astragale du haut du fût de la colonne & les annelets ; on l'appelle aussi colarin.


GORGETS. m. (Menuiserie) espece de rabot ; il y en a de plusieurs façons : il y a le gorget portant un quarré, le gorget portant double quarré : ces outils servent aux Menuisiers pour faire les gorges des moulures.


GORGONA(Géog.) petite île d'Italie dans la mer de Toscane, près de l'île de Capraïa, entre la côte du Pisan à l'est & l'île de Corse au sud : son circuit est d'environ trois lieues. Longit. 27. 35. latit. 43. 22. (D.J.)


GORGON(LA-) Géog. petite île inhabitée de la mer du Sud, sous le troisieme degré de latit. septentrionale ; à environ quatre lieues du continent, & à trente-huit de Capo-Corientes ; nord-quart au nord-est, & sud-quart au sud-oüest : il y pleut perpétuellement, au rapport de Dampierre, qui la nomme Gorgonia. On y trouve quantité de petits singes noirs, & quelques huîtres qui ont des perles. (D.J.)


GORGONEIONS. m. (Littérat. greq.) nom de masque particulier, en usage sur l'ancien théatre des Grecs : c'est proprement le nom qu'on donnoit à certains masques faits exprès pour inspirer l'effroi, & ne représenter que des figures horribles, telles que les furies & les Gorgones ; d'où leur vint la dénomination de ; le genre de masque qui représentoit les personnes au naturel, s'appelloit ; le masque qui ne se servoit qu'à représenter les ombres, se nommoit . Pollux n'a point distingué, comme il le devoit dans sa nomenclature, ces trois sortes de masque ; mais il est bien excusable dans un sujet de mode qui changea si souvent & qui étoit si varié. Voyez MASQUE. (D.J.)


GORGONELLESS. f. (Commerce) sorte de toile qui se fabrique en Hollande & à Hambourg ; la longueur & la qualité varient ; on en trafique aux îles Canaries. Voyez le dictionn. du Commerce.


GORGONESS. f. (Myth. & Littér.) trois soeurs filles de Phorcus & de Céto, & soeurs cadettes des Grées. Elles demeuroient, selon Hésiode, au-delà de l'Océan, à l'extrémité du monde, près du séjour de la nuit, là même où les Hespérides font entendre les doux accens de leur voix.

Les noms des Gorgones sont Sthéno, Euryale, & Méduse si célebre par ses malheurs : elle étoit mortelle, au lieu que ses deux soeurs n'étoient sujettes ni à la vieillesse ni à la mort. Le dieu souverain de la mer fut sensible aux charmes de Méduse ; & sur le gazon d'une prairie, au milieu des fleurs que le printems fait éclorre, il lui donna des marques de son amour. Elle périt ensuite d'une maniere funeste ; Persée lui coupa la tête.

Les trois Gorgones, disent encore les Poëtes, ont des aîles aux épaules ; leurs têtes sont hérissées de serpens ; leurs mains sont d'airain ; leurs dents sont aussi longues que les défenses des plus grands sangliers, objet d'effroi & d'horreur pour les pauvres mortels ; nul homme ne peut les regarder en face, qu'il ne perde aussi-tôt la vie ; elles le pétrifient sur le champ, dit Pindare ; Virgile ajoûte qu'après la mort de Méduse, Sthéno & Euryale allerent habiter près des enfers, à la porte du noir palais de Pluton, où elles se sont toûjours tenues depuis avec les Centaures, les Scylles, le géant Briarée, l'hydre de Lerne, la Chimere, les Harpies, & tous les autres monstres éclos du cerveau de ce poëte.

Multaque praeterea variarum monstra ferarum....

Gorgones, Harpiiaeque....

Il n'y a peut-être rien de plus célebre dans les traditions fabuleuses que les Gorgones, ni rien de plus ignoré dans les annales du monde. C'est sous ces deux points de vûe que M. l'abbé Massieu envisage ce sujet dans une savante dissertation, dont le précis pourra du moins servir à nous convaincre du goût inconcevable de l'esprit humain pour les chimeres.

En effet la fable des Gorgones ne semble être autre chose qu'un produit extravagant de l'imagination, ou bien un édifice monstrueux élevé sur des fondemens, dont l'origine est l'écueil de la sagacité des critiques. Il est vrai que plusieurs historiens ont tâché de donner à cette fable une sorte de réalité ; mais il ne paroît pas qu'on puisse faire aucun fond sur ce qu'ils en rapportent, puisque le récit même de Diodore de Sicile & de Pausanias n'a l'air que d'un roman.

Diodore assûre que les Gorgones étoient des femmes guerrieres qui habitoient la Lybie près du lac Tritonide ; qu'elles furent souvent en guerre avec les Amazones leurs voisines ; qu'elles avoient Méduse pour reine, du tems de Persée qui les vainquit ; & qu'enfin Hercule les détruisit entierement ainsi que leurs rivales, persuadé que dans le grand projet qu'il avoit formé d'être utile au genre humain, il n'exécuteroit son dessein qu'en partie, s'il souffroit qu'il y eût au monde quelques nations qui fussent soûmises à la domination des femmes.

La narration de Pausanias s'accorde assez bien avec celle de Diodore de Sicile ; & tandis que tous les deux font passer les Gorgones pour des héroïnes, d'autres écrivains en font des monstres terribles. Suivant ces derniers, les Gorgones ne sont point des femmes belliqueuses qui ayent vécu sous une forme de gouvernement, & dont la puissance se soit longtems soûtenue ; c'étoient, disent-ils, des femmes féroces, d'une figure monstrueuse, qui habitoient les antres & les forêts, se jettoient sur les passans, & faisoient d'affreux ravages : mais ces mêmes auteurs qui conviennent sur ce point, different sur l'endroit où ils assignent la demeure de ces monstres. Proclus de Carthage, Alexandre de Mynde & Athenée les placent dans la Lybie ; au lieu que Xenophon de Lampsaque, Pline & Solin prétendent qu'elles habitoient les îles Gorgades.

Alexandre de Mynde cité par Athenée, ne veut pas même que les Gorgones fussent des femmes ; il soûtient que c'étoient de vraies bêtes féroces, qui pétrifioient les hommes en les regardant. Il y a, dit-il, dans la Lybie un animal que les Nomades appellent Gorgone, qui a beaucoup l'air d'une brebis sauvage, & dont le souffle est si empesté, qu'il infecte tous ceux qui l'approchent ; une longue criniere lui tombe sur les yeux, & lui dérobe l'usage de la vûe ; elle est si épaisse & si pesante cette criniere, qu'il a bien de la peine à l'écarter pour voir les objets qui sont autour de lui ; lorsqu'il en vient à-bout par quelque effort extraordinaire, il renverse par terre ceux qu'il regarde, & les tue avec le poison qui sort de ses yeux : quelques soldats de Marius, ajoûte-t-il, en firent une triste expérience dans le tems de la guerre contre Jugurtha ; car ayant rencontré une de ces Gorgones, ils fondirent dessus pour la percer de leurs epées ; l'animal effrayé, rebroussa sa criniere & les renversa morts d'un seul regard : enfin quelques cavaliers nomades lui dresserent de loin des embûches, le tuerent à coups de javelot, & le porterent au général.

Xénophon de Lampsaque, Pline & Solin, font des Gorgones des femmes sauvages, qui égaloient par la vîtesse de leur course le vol des oiseaux. Selon le premier de ces auteurs cité par Solin, Hannon général des Carthaginois, n'en put prendre que deux dont le corps étoit si velu, que pour en conserver la mémoire comme d'une chose incroyable, on attacha leur peau dans le temple de Junon, où elles demeurerent suspendues parmi les autres offrandes, jusqu'à la ruine de Carthage.

Si les auteurs qu'on vient de citer, ôtent aux Gorgones la figure humaine, Paléphate & Fulgence les leur restituent ; car ils soûtiennent que c'étoient des femmes opulentes qui possédoient de grands revenus, & les faisoient valoir avec beaucoup d'industrie : mais ce qu'ils en racontent paroît tellement ajusté à la fable, qu'on doit moins les regarder comme des historiens qui déposent, que comme des spéculatifs qui cherchent à expliquer toutes les parties d'une énigme qu'on leur a proposée.

Paléphate, pour accommoder de son mieux ses explications aux fictions des Poëtes, nous dit que la Gorgone n'étoit pas Méduse, comme on le croit communément ; mais une statue d'or représentant la déesse Minerve, que les Cyrénéens appelloient Gorgone. Il nous apprend donc que Phorcus originaire de Cyrene, & qui possédoit trois îles au-de-là des colonnes d'Hercule, fit fondre pour Minerve une statue d'or haute de quatre coudées, & mourut avant que de l'avoir consacrée. Ce prince, dit-il, laissa trois filles, Sthéno, Euryale & Méduse, qui se voüerent au célibat, hériterent chacune d'une des îles de leur pere ; & ne voulant ni consacrer ni partager la statue de Minerve, elles la déposerent dans un thrésor qui leur appartenoit en commun : elles n'avoient toutes trois qu'un même ministre, homme fidele & éclairé, qui passoit souvent d'une île à l'autre pour l'administration de leur patrimoine ; c'est ce qui a donné lieu de dire qu'elles n'avoient à elles trois qu'une corne & qu'un oeil, qu'elles se prêtoient alternativement.

Persée fugitif d'Argos, courant les mers & pillant les côtes, forma le dessein d'enlever la statue d'or, surprit & arrêta le ministre des Gorgones dans un trajet de mer ; ce qui a encore donné lieu aux Poëtes de feindre qu'il avoit volé l'oeil des Gorgones, dans le tems que l'une le remettoit à l'autre : Persée néanmoins leur déclara qu'il le leur rendroit, si elles vouloient lui livrer la Gorgone ; & en cas de refus, il les menaça de mort. Méduse ayant rejetté cette demande avec indignation, Persée la tua, mit en pieces la Gorgone, c'est-à-dire la statue de Minerve, & en attacha la tête à la proue de son vaisseau. Comme la vûe de cette dépouille & l'éclat des expéditions de Persée répandoit par-tout la terreur, on dit qu'avec la tête de Méduse il changeoit ses ennemis en rochers & les pétrifioit. A lire ce détail, ne croiroit-on pas que tous ces évenemens sont réels, & se sont passés sous les yeux de Paléphate ? Comme Fulgence n'a fait que coudre quelques circonstances indifférentes à cette narration, il est inutile de nous y arrêter.

Selon d'autres historiens, les Gorgones n'étoient rien de tout ce que nous venons de voir ; c'étoient trois soeurs d'une rare beauté, qui faisoient sur tous ceux qui les regardoient des impressions si surprenantes, qu'on disoit qu'elles les changeoient en pierres : c'est, par exemple, l'opinion d'Ammonius Serenus ; Héraclide est du même sentiment, avec cette différence qu'il s'exprime d'une maniere peu favorable à la mémoire des Gorgones, car il les peint comme des personnes qui faisoient de leurs charmes un honteux trafic.

Mais enfin il y a des écrivains tout aussi anciens que ces derniers, qui loin d'accorder aux Gorgones une figure charmante, nous assûrent au contraire que c'étoient des femmes si laides, si disgraciées de la nature, qu'on ne pouvoit jetter les yeux sur elles sans être comme glacé d'horreur.

Voilà sans-doute qui suffit pour prouver que tout ce que les historiens nous débitent des Gorgones, est rempli de contradictions ; car sous quelles formes différentes ne nous les ont-ils pas représentées ? Ils en ont fait des héroïnes, des animaux sauvages & féroces, des filles économes & laborieuses, des prodiges de beauté, des monstres de laideur, des modeles de sagesse qui ont mérité d'être mises au rang des femmes illustres & des courtisannes scandaleuses.

La moitié de ces mêmes historiens les place dans la Lybie ; l'autre moitie les transporte à mille lieues de-là, & les établit dans les Orcades. Les uns tirent leur nom de , mot cyrénéen qui veut dire Minerve : d'autres de , nom lybique d'un animal sauvage ; & d'autres enfin du mot grec , qui signifie laboureur. Quel parti prendre entre tant d'opinions si différentes ? celui d'avoüer qu'elles sont à peu-près également dénuées de vraisemblance.

Ce n'est pas tout : quelques merveilles que les historiens ayent publiées touchant les Gorgones, les Poëtes ont encore renchéri sur eux ; & il ne faut pas en être étonné : on sait qu'un de leurs droits principaux est de créer ; s'ils en usent volontiers dans toutes les matieres qu'ils traitent, on peut dire qu'ils en ont abusé dans celle-ci : ils se sont donné pleine carriere, & les fictions qu'ils nous ont débitées sur ce point, sont autant de merveilles dont ils ont surchargé le tableau.

Homere seul s'est conduit avec la plus grande reserve ; il se contente de nous dire que sur l'égide de Minerve, & le bouclier d'Agamemnon fait d'après cette égide, étoit gravée en relief, l'horrible Gorgone lançant des regards effroyables au milieu de la terreur & de la fuite.

Mais si le prince des Poëtes est concis, Hésiode en revanche s'est appliqué à suppléer à cette briéveté par des portraits de main de maître, dont il a cru devoir embellir son poëme du bouclier d'Hercule & celui de la généalogie des dieux : on diroit qu'il n'a eu dessein dans le premier ouvrage que de prouver la grande intelligence qu'il avoit des regles de son art, & l'élévation dont il étoit capable lorsqu'il vouloit prendre l'essor. " Sur ce bouclier, dit-il, est détaché Persée ne portant sur rien... On le voit qui hâte sa fuite plein de trouble & d'effroi. Les soeurs de la Gorgone, monstres affreux & inaccessibles, monstres dont le nom seul fait frémir, le suivent de près & tâchent de l'atteindre : elles volent sur le disque de ce diamant lumineux ; l'oreille entend le bruit que leurs aîles font sur l'airain ; deux noirs dragons pendent à leurs ceintures ; ils dressent la tête, ils écument ; leur rage éclate par le grincement de leurs dents, & par la férocité de leurs regards ".

Dans la théogonie, Hésiode le prend sur un ton moins haut, & tel que doit être celui de la simple narration, qui ne se propose que d'instruire. Il entre ici dans le détail, & nous apprend de qui les Gorgones avoient reçu la naissance, leur nombre, leurs noms, leurs différentes prérogatives, leur combat contre Persée, & le renversement de leur triste famille.

La fable d'Hésiode reçut de nouveaux ornemens de l'art des poëtes qui lui succéderent. On peut s'en convaincre par la lecture d'Aeschyle dans son Prométhée ; de Pindare, dans ses odes pythiques ; & de Virgile, dans son sixieme livre de l'Enéide : mais c'est Ovide qui brille le plus ; amateur des détails, & ne maniant guere un sujet sans l'épuiser, il a rempli celui-ci de cent nouvelles fictions, que vous trouverez dans ses métamorphoses ; il y seme les fleurs à pleines mains sur la conquête de Méduse par Neptune, l'expédition fameuse de Persée ; la défaite de la Gorgone & celle des généraux de Phinée.

Ce fut d'après tant de matériaux transmis par les poëtes grecs & latins, que les Mythologues qui écrivirent en prose, Phérécyde, Apollodore, Hygin & autres, composerent leurs diverses compilations, qui d'ailleurs n'ont rien d'intéressant.

Loin de m'y arrêter, je cours à l'explication la plus vraisemblable des mysteres prétendus que renferme la fable des Gorgones ; mais je ne la trouve pas cette explication dans des allégories physiques, morales ou guerrieres ; je n'y vois que des jeux d'esprit. M. le Clerc, à l'exemple de Bochart, a eu raison de chercher le mot de l'énigme dans les langues orientales, quoiqu'il se soit trompé en croyant prouver dans ses notes savantes sur Hésiode, que par les Gorgones il faut entendre des cavales d'Afrique, qu'enleverent les Phéniciens en commerçant dans cette partie du monde. M. Fourmont sentant les défectuosités d'un système qui ne s'ajustoit point aux détails de la fable, s'est retourné d'une autre maniere ; & nous allons voir le fruit de ses recherches.

Il a trouvé dans le nom des trois Gorgones & jusque dans le nom des cinq filles de Phorcus, celui des vaisseaux de charge qui faisoient commerce sur les côtes d'Afrique où l'on trafiquoit de l'or, des dents d'éléphant, des cornes de divers animaux, des yeux d'hyene & autres marchandises. L'échange qui s'en faisoit en différens ports de la Phénicie & des îles de la Grece, c'est le mystere de la dent, de la corne & de l'oeil, que les Gorgones se prêtoient mutuellement : ainsi les cinq filles de Phorcus étoient les cinq vaisseaux qui composoient la petite flotte de ce prince, comme le prouvent leurs noms phéniciens. Dans toutes les langues orientales, les vaisseaux d'un prince s'appellent ses filles ; enyo en phénicien signifie un vaisseau de charge, navis oneraria ; péphrédo par transposition pour perphedo, un vaisseau qui porte l'eau douce, navis aquaria ; stheino, une galere, navis victuaria ; euriale, une chaloupe, navis transitoria ; Medusa, on sousentend Sephina, le vaisseau amiral, navis imperatoria. De ces cinq vaisseaux, trois étoient de l'île de Choros, nommée ensuite , île des Phéaques, & deux étoient nommées , grées, vaisseaux gagnés sur les Grecs.

L'île de Cyre ou Corcyre, Ithaque & autres voisines, étoient des îles phéniciennes de nouvelle date. Paléphate dit que Phorcus ou Phorcys étoit cyrénéen : cela se peut ; mais alors comme chef de colonie, il régnoit à Ithaque, à Céphalonie & à Choros. Dans l'Odyssée, Minerve montre à Ulysse & sa patrie & le port du vieillard marin Phorcys ; voilà le pere des Gorgones retrouvé : Phorcys roi d'Ithaque & des deux îles voisines, qui possede & envoye commercer cinq vaisseaux, trois de Choros, c'est-à-dire les trois Gorgones, & deux qu'il a pris sur les Grecs, qui sont les grées, .

Le commerce de ce prince se faisoit en Afrique avec les habitans de Cyrene, du mont Atlas, des Canaries & de la côte de Guinée. Pline, Ptolomée, Méla, Pausanias, Hannon, Hésiode même, attestent que ce commerce étoit fréquent dès le siecle de Persée. Des cinq vaisseaux de Phorcys, Persée négligea le perphédo chargé d'eau douce, & l'enyo qui ne renfermoit que des choses communes pour les besoins de la flotte ; il s'attacha aux trois Gorgones qui portoient une dent ou les dents, c'est-à-dire l'ivoire ; une corne, c'est-à-dire les cornes d'animaux ; un oeil, c'est-à-dire les yeux d'hyene ou de poisson, & les pierres précieuses.

Le mot phénicien rosch signifie également tête, chef & venin. La tête de Méduse une fois coupée, ou plutôt son commandant une fois détruit (autre équivoque qui autorise à dire que cette tête est un venin), il sort sur le champ de cette tête Chrysaor ouvrier en métaux, & le Pégase, c'est-à-dire le Pagase, espece de bufle d'Afrique, dont les longues oreilles quand il court paroissent des aîles.

Enfin on nous parle de pétrifications étranges, & elles se présentent d'elles-mêmes. Persée vainquit la flotte de Phorcys vers les Syrtes. On sait que cette région a toujours éte fameuse pour les pétrifications, jusqu'à faire croire aux auteurs arabes, qu'il se trouvoit dans les terres des villes entieres où les hommes & les animaux pétrifiés, conservoient encore la posture qu'ils avoient lors de leur pétrification subite.

Voilà donc à quelques embellissemens poétiques près, le fond réel de la fable des Gorgones, qu'il falloit remettre en phénicien, dit M. Fourmont ; en effet je ne suis pas éloigné de croire que c'est à lui qu'appartient la gloire d'avoir expliqué le plus probablement l'énigme. (D.J.)


GORI(Géog.) petite ville d'Asie en Géorgie, dans une plaine entre deux montagnes, sur le bord du fleuve Kar, à environ vingt lieues de Téflis du côté du nord. Long. 62. 6. lat. 42. 8. (D.J.)


GORICE(COMTE DE) Géog. contrée d'Italie comprise sous le Frioul en général ; elle est bornée au nord par la haute Carniole, à l'est par la basse Carniole, & les Alpes la séparent du Frioul. Ce comté est entré dans la maison d'Autriche en 1515 ; les principaux lieux sont Gradisca, Gémund, & Gorice capitale. (D.J.)

GORICE, Goritia, (Géog.) les Allemands écrivent Gortz, ville & capitale du comté de même nom, entre le Frioul, la haute & la basse Carniole, au cercle d'Autriche sur le Lisonzo, à 6 lieues N. E. d'Aquilée, 7 d'Udine, 28 N. E. de Venise. Long. 31. 18. lat. 46. 12. (D.J.)


GORLITZGorlitïum, (Géog.) ville d'Allemagne, capitale de la haute Lusace, & sujette à l'électeur de Saxe. Elle a été cent fois incendiée, comme il arrive à la plûpart des villes d'Allemagne. Voyez l'histoire que Zeyler en a donnée dans sa topographie de Saxe. Gorlitz est sur la Neiss à 20 lieues de Dresde, 6 de Budissen, 28 N. E. de Prague. Longit. 32. 50. lat. 51. 10. (D.J.)


GORNARDS. m. voyez ROUGET.


GORTYNE(Géog. anc.) ancienne ville de l'île de Crete, au milieu des terres, selon Ptolomée. M. de Tournefort après avoir été visiter ses ruines, en a joint l'histoire à la description : Lisez-la dans ses voyages.

L'origine de Gortyne est aussi obscure que celle de la plûpart des autres villes du monde : on sait seulement que Gortyne avoit partagé l'empire de l'île de Crete, avant que les Romains s'en fussent emparés.

Les ruines de cette ville qui sont à six milles du mont Ida, prouvent encore qu'elle a dû être sa magnificence, puisqu'on ne découvre de tous côtés que chapiteaux & architraves, qui sont peut-être des débris de ce fameux temple de Diane, où Annibal après la défaite d'Antiochus, fit semblant de cacher ses thrésors : on y voyoit encore dans le siecle passé plusieurs colonnes de jaspe rouge, semblable au jaspe de Cone en Languedoc, & plusieurs autres semblables au campan employé à Versailles : mais comment regarder ces objets précieux sans quelque peine ? On laboure, on seme, on fait paître des troupeaux au milieu des restes d'une prodigieuse quantité de marbre, de jaspe & de granite, travaillés avec le plus grand soin : au lieu de ces grands hommes qui avoient fait élever de si beaux édifices, on ne voit que de pauvres bergers. En parcourant tant de pays, autrefois le séjour des Arts, aujourd'hui celui de la barbarie, on se rappelle à chaque pas l'Et campos ubi Troja fuit.

A l'extrémité de la ville, entre le septentrion & le couchant, tout près d'un ruisseau, qui sans doute est le fleuve Lethé, lequel au rapport de Strabon & de Solin, se répandoit dans les rues de Gortyne, se trouvent encore d'assez beaux restes d'un temple du Paganisme.

Théophraste, Varron & Pline parlent d'une platane qui se voyoit à Gortyne, & qui ne perdoit ses feuilles qu'à-mesure que les nouvelles poussoient. Peut-être en trouveroit-on encore quelqu'un de cette espece parmi ceux qui naissent en grand nombre le long du ruisseau Lethé, qu'Europe remonta jusqu'à Gortyne sur le dos d'un taureau. Ce platane toûjours verd, parut autrefois si singulier aux Grecs, qu'ils publierent que les premieres amours de Jupiter & d'Europe s'étoient passées sous ses feuillages.

Cette avanture, quoique fabuleuse, donna vraisemblablement occasion aux habitans de Gortyne de frapper une médaille, qui est dans le cabinet du roi. On y voit d'un côté Europe assez triste, assise sur un arbre moitié platane, moitié palmier, au pié duquel est une aigle à qui elle tourne le dos. La même princesse est représentée de l'autre côté assise sur un taureau, entouré d'une bordure de feuilles de laurier. Antoine Augustin archevêque de Taragone (dial. 1.), parle d'un semblable type. Pline dit que l'on tâcha de multiplier dans l'île l'espece de ce platane ; mais qu'elle dégénéra, c'est-à-dire que les nouveaux piés perdirent leurs feuilles en hyver, de même que les communs.

Nous avons encore des médailles de Gortyne frappées aux têtes de Germanicus, de Caligula, de Trajan, d'Adrien, dont peut-être la plus belle est dans le cabinet du roi. Elle marque qu'on s'assembloit à Gortyne pour y célébrer les jeux en l'honneur d'Adrien. (D.J.)


GOSES. m. (Commerce) nom que l'on donne en Moscovie aux principaux commerçans qui trafiquent pour le souverain ; ce sont proprement les facteurs du prince. Les goses, outre leurs fonctions dans le commerce, en ont aussi dans les cérémonies publiques ; & lorsque le souverain donne audience aux ambassadeurs étrangers, les goses sont tenus de s'y trouver revêtus de vestes magnifiques, & avec des bonnets de martre qui sont des marques de leur profession, & en quelque sorte de leur dignité parmi une nation où le commerce est honorable. Diction. de Commerce & de Trévoux. (G)


GOSIERS. m. (Anatomie) la partie supérieure du canal qui conduit les alimens dans l'estomac, appellé l'oesophage. Voyez OESOPHAGE.

GOSIER, GRAND-GOSIER. Voyez PELICAN.

GOSIER, (Manége, Maréchal.) le gosier n'est proprement dans le cheval ainsi que dans l'homme, que le sac musculeux & membraneux qui est collé à toute la surface interne de l'arriere bouche, & que nous connoissons dans l'un comme dans l'autre, sous la dénomination de pharynx. On a néanmoins très-mal-à-propos étendu cette expression, relativement à l'animal, de maniere qu'elle designe non-seulement ce sac, mais encore la tête cartilagineuse que présente l'extrémité supérieure du conduit par lequel l'air inspiré par les naseaux, peut sans cesse s'insinuer dans les vaisseaux aériens du poumon, & en sortir ensuite avec la même liberté, lors de l'expiration. C'est cette tête, cette extrémité supérieure appellée le larynx, que les maquignons ou autres grands connoisseurs pressent, & compriment avec force pour exciter le cheval à tousser. (e)

GOSIER, (Lutherie) ce sont dans les soufflets d'orgue la partie O R, fig. 23, par où le vent passe du soufflet dans le porte-vent ; cette portion de tuyau a en-dedans une soupape X fig. 25, Planch. d'orgue, qui laisse passer le vent du soufflet dans le porte-vent, & ne le laisse point rentrer. Voyez l'article SOUFFLET D'ORGUE.


GOSLARGoslaria, (Géogr.) ville de la basse-Saxe où elle est enclavée dans l'état du duc de Brunswick, elle est pourtant libre & impériale. Sa situation se trouve entre les montagnes du Hartz qui ont de fameuses mines d'argent, qu'on a découvertes par hasard en 972. Suivant Dresser, Goslar fut bâtie par Henri I. & fortifiée pour la premiere fois en 1201 ; elle est sur le ruisseau de Gose, à 19 lieues sud-est d'Hildesheim, 12 sud-oüest d'Halberstadt, 10 sud-oüest de Brunswick. Long. 28. 12. lat. 51. 55. (D.J.)


GOSSAMPINS. m. (Botan. exotiq.) arbre des Indes, d'Afrique & d'Amérique, dont le fruit mûr produit une espece de laine ou de coton ; c'est le gossampinus de Pline, arbor lanigera de Pison, ceyba aculeata viticis folio de Plumier, & le fromager de nos îles françoises. Il tire son nom des deux mots latins, gossipium, coton, & pinus, pin, parce qu'il a quelque ressemblance avec le pin, & qu'il porte une espece de coton.

Il s'éleve fort haut, & si l'on ne prend soin de le tailler, ses branches s'écartent au loin ; l'écorce est verte dans la jeunesse de l'arbre, & a cinq ou six lignes d'épaisseur : ensuite elle brunit & s'épaissit encore. Les feuilles sont longues & paroissent étroites, parce qu'elles sont divisées en trois parties comme celle du treffle ; elles sont tendres, minces, d'un verd brillant dans leur naissance, mais qui perd bientôt son éclat : elles tombent pour faire place à d'autres feuilles qui leur succedent, de sorte que dans l'espace de peu de tems cet arbre change de livrée.

L'écorce est hérissée d'épines droites, fortes, de forme pyramidale, & d'un pouce & demi de longueur. Elles n'ont pas leur racine au-delà de l'écorce ; elles y tiennent même si peu, qu'il suffit de les toucher legerement avec un bâton pour les abattre ; & dans le lieu d'où elles tombent, il ne reste qu'un vestige blanc à l'endroit qu'elles occupoient.

Quelques jours après que l'arbre a changé de feuilles, ce qui arrive dans nos îles au commencement de la saison seche, les fleurs paroissent en grosses touffes ; elles sont petites, blanches, si délicates, qu'elles ne subsistent que huit ou dix jours. On voit succéder à leur place une coque verte de la forme & de la grosseur d'un oeuf de poule, mais un peu plus pointue par les deux bouts ; elle contient un duvet ou une sorte de coton, qui n'est pas plutôt mûr que la coque creve avec quelque bruit, & le coton seroit emporté aussi-tôt par le vent, s'il n'étoit recueilli avec beaucoup de soin.

Ce coton est de couleur gris de perle extrêmement fin, doux, lustré, & plus court que le coton commun ; on ne laisse pas cependant de le filer, & on en fait des bas ; outre le coton, la coque renferme plusieurs graines brunes & plates comme nos féves d'haricots ; on ne s'amuse pas à les semer, parce que l'arbre vient parfaitement bien de bouture & plus vîte. On se sert de ce coton pour faire des oreillers, des traversins, & même des lits de plume.

Le bois du gossampin est blanc, tendre, filasseux, pliant, souple, & fort difficile à couper quand il est vieux. On plante cet arbre ordinairement devant les maisons pour joüir de la fraîcheur de son ombre, & on le choisit plutôt qu'un autre, parce qu'en peu d'années il devient fort gros, & fort garni de feuilles & de branches auxquelles on fait prendre telle forme & telle situation qu'on veut. (D.J.)


GOSSES. f. (Marine) Voyez COSSE.


GOSTYNENGostynia, (Géogr.) ville de Pologne au palatinat de Rava, à deux lieues de Plosko. Jean Démétrius Suiski, czar de Moscovie, y mourut prisonnier avec ses deux freres. Long. 37. 45. latit. 52. 25. (D.J.)


GOTHAGotha, (Géogr.) ville fortifiée d'Allemagne dans la Thuringe, capitale du duché de même nom, sujette à un prince de la maison de Saxe. Zeyler dit qu'elle doit ses commencemens à Guillaume archevêque de Mayence, qui la fit bâtir vers l'an 964, sur la riviere de Leine, à trois lieues d'Erfurt, à six nord-oüest de Mulhausen. Long. 23. 35. latit. 51. 4.

Gotha est la patrie de deux savans médecins & littérateurs du siecle passé, Gaspard Hoffman & Thomas Reynesius. Le premier né en 1572, & mort en 1649, a fait entr'autres livres un excellent traité latin des médicamens officinaux. Le second mourut à Leipsick en 1667 à l'âge de 80 ans, & s'est distingué dans la carriere de l'érudition par son ouvrage de variis lectionibus. (D.J.)


GOTHENBOURGGothoburgum, (Géog.) forte ville de Suede dans la Westrogothie, avec un bon port à l'embouchure méridionale de la Gothelba, à une lieue suedoise d'Elfsborg, deux sued. de Bahus, 30 nord-oüest de Copenhague, 60 sud-oüest de Stockholm. Cette ville n'est pas ancienne ; elle fut fondée en 1607 sous le regne de Charles IX, & depuis ce tems les rois de Suede lui ont accordé de grands privileges ; c'est ici que la mort arrêta les vastes projets que formoit Charles Gustave X. contre le Danemark. Il y mourut le 23 Février 1660 à l'âge de 37 ans. Long. 29. 25. latit. septent. 57. 40. 54. (D.J.)


GOTHIE(LA) ou GOTHLANDE, Golhia, Géogr. une des grandes parties du royaume de Suede ; c'est le pays le plus méridional, le plus fertile & le moins froid de toute la Suede. On le divise en trois grandes parties, qu'on appelle Westro-Gothie, Ostro-Gothie & Sund-Gothie. La Westro-Gothie, ou la Gothie orientale est au levant, & comprend l'Ostro-Gothie propre, & la Smalande avec les îles d'Ocland & de Gothland. La Sund-Gothie, ou la Gothie-méridionale, qu'on nomme quelquefois la Scanie, est au midi. La Gothie appartient à la Suede depuis 1654 ; ses villes principales sont Clamar, Landscroon, Gothenbourg, Lauden, Malmone, Wexio, &c. (D.J.)


GOTHIQUEadj. (Hist. mod.) qui appartient aux Goths. Voyez GOTHS. Caractere ou écriture gothique, est une écriture ou un caractere qui dans le fond est le même que le romain, mais qui a beaucoup d'angles & de tortuosités, sur-tout au commencement & à la fin des jambages de chaque lettre. Voyez CARACTERE & LETTRE. Les manuscrits en caracteres gothiques ne sont pas anciens.

Ulpilas évêque des Goths, fut le premier inventeur des caracteres gothiques, & le premier qui traduisit la bible en langue gothique.

Les lettres runiques sont souvent appellées caracteres gothiques. Voyez Mabillon, de re diplom. liv. I. chap. ij. Mais ceux-là se trompent qui croyent que le caractere gothique est le même que le runique ; ils n'ont qu'à consulter Olaüs Vormius, & la préface de Junius sur un livre des évangiles, écrit en lettres gothiques, & l'ouvrage de M. Hicks sur la langue runique. Voyez RUNIQUE.

Architecture gothique, est celle qui s'éloigne des proportions & du caractere de l'antique. Voyez ARCHITECTURE & ORDRE.

L'Architecture gothique est souvent très-solide, très-pesante & très-massive ; & quelquefois au contraire extrêmement déliée, délicate & riche. Son principal caractere est d'être chargée d'ornemens qui n'ont ni goût ni justesse.

On distingue deux sortes d'Architecture gothique, l'une ancienne & l'autre moderne. L'ancienne est celle que les Goths ont apportée du nord dans le v. siecle. Les édifices construits suivant cette maniere, sont massifs, pesans & grossiers : ceux de la gothique moderne sont plus délicats, plus déliés, plus legers & surchargés d'ornemens inutiles. Témoin l'abbaye de Westminster, la cathédrale de Litchfreld, &c.

Elle a été long-tems en usage, sur-tout en Italie, savoir depuis le treizieme siecle, jusqu'au rétablissement de l'Architecture antique dans le seizieme. Toutes les anciennes cathédrales sont d'une Architecture gothique. Voyez ARCHITECTURE.

Les inventeurs de l'Architecture gothique crurent sans-doute avoir surpassé les Architectes grecs. Un édifice grec n'a aucun ornement qui ne serve à augmenter la beauté de l'ouvrage. Les pieces nécessaires pour le soûtenir, ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes & la corniche, tirent leur beauté de leurs proportions : tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l'usage. On n'y voit ni hardiesse ni caprice qui impose aux yeux. Les proportions sont si justes, que rien ne paroît fort grand, quoique tout le soit. Au contraire l'Architecture gothique éleve sur des piliers très-minces une voute immense, qui monte jusqu'aux nues. On croit que tout va tomber, mais tout dure pendant bien des siecles. Tout est plein de fenêtres, de roses & de pointes ; la pierre semble découpée comme du carton, tout est à jour, tout est en l'air. Lettre de M. de Fénelon sur l'éloquence.

Colonne gothique est un pilier rond dans un bâtiment gothique, qui est trop court ou trop menu pour sa hauteur. Voyez COLONNE & ORDRE.

On en trouve qui ont jusqu'à 20 diametres, sans diminution ni renflement.

MEDAILLES GOTHIQUES, voyez MEDAILLES. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)

GOTHIQUE, (maniere) en Peint. c'est comme on le dit dans le dictionnaire des beaux arts, une maniere qui ne reconnoît aucune regle, qui n'est dirigée par aucune étude de l'antique, & dans laquelle on n'apperçoit qu'un caprice qui n'a rien de noble ; cette maniere barbare a infecté les beaux Arts, depuis 611 jusqu'en 1450, tems à jamais mémorable, où on commença à rechercher le beau dans la nature & dans les ouvrages des anciens. (D.J.)


GOTHLAND(l'île de) Géogr. île de la mer Baltique sur la côte orientale de Suede. Elle s'étend en latitude du 57d. jusqu'au 68, depuis son milieu qui est coupé par le 37d. de longitude. Elle se termine en deux pointes, dont la septentrionale est par le 37d. 25'. de long. & la méridionale par les 36d. 40'. Cette île qui maintenant appartient à la Suede, a eu autrefois ses rois particuliers. Wagenseil lui donne quinze milles d'Allemagne dans sa longueur, & cinq dans sa plus grande largeur. Wisbyen en est la seule ville. (D.J.)


GOTHS(LES) s. m. Hist. anc. & littér. ancien peuple qui étant venu du nord, s'avança dans la suite des tems vers le midi, où il conquit beaucoup d'états, & fonda plusieurs royaumes.

Si l'on s'arrête aux lumieres des Goths éclairés qui ont écrit l'histoire de leur nation, on ne doutera point que leur premiere origine n'ait été la petite île de Gothland, que ce peuple possédoit avec une partie du continent dans la Scandinavie. Ce sont donc les mêmes que les Guttons, Goutones, Gattones, originaires du nord, que Pythéas de Marseille qui vivoit 285 ans avant J. C. distingue des Teutons.

Jornandès néanmoins confond les Getes & les Goths, en se servant indifféremment de ces deux noms pour designer le même peuple, & il a été jetté dans cette illusion par presque tout ce qu'il y a eu d'auteurs avant lui qui ont parlé de la nation des Goths. Tels sont Jules-Capitolin, Spartien, Claudien, Procope, Prudence, Orose, saint Jerôme & autres ; mais toutes ces autorités doivent céder au témoignage de la saine antiquité qui dit formellement le contraire ; on en trouvera la preuve dans Cluvier & Pontanus : ils se sont réunis à démontrer expressément l'erreur de l'opinion de Jornandès. Les poëtes comme Claudien & Prudence ayant trouvé le nom de Getes déjà annobli par Ovide, n'ont pas fait réflexion que ce peuple avoit disparu en se confondant avec les Daces, avant qu'il fût question des Goths dans la Scythie.

Remarquons cependant que les Goths de la Scandinavie ne formoient pas tous les Goths ; leur petit nombre ne s'accorde point avec la vaste étendue du pays qui porta leur nom : mais plusieurs peuples s'unirent ensemble sous les mêmes chefs, & formerent des sociétés auxquelles on donnoit un nom commun ; ensuite par les changemens que produisirent ces diverses associations, il arriva que telle nation qui avoit donné son nom à tous ses alliés, se trouva à son tour confondue sous le nom d'un autre confédéré devenu plus puissant qu'elle avec le tems ; Ainsi Pline met les Guttons entre les peuples Vandales, & Procope met les Vandales au nombre des Goths.

Les Goths ont été souvent nommés Scythes par les historiens, parce qu'ils habitoient la petite Scythie au bord du Pont-Euxin, & au-delà du Danube ; ils ont encore été nommés Sarmates à cause de leur origine, ou plutôt à cause de leur liaison avec les Sarmates méridionaux. Quoi qu'il en soit, ils avoient déjà passé le Danube sur la fin du second siecle, & s'étoient avancés jusque dans la Thrace. Sous Décius ils la ravagerent, & fondirent même en Macédoine ; vers l'an 256 sous Valerien, ils se réunirent à d'autres barbares, & pénétrerent dans l'Illyrie. En général ils profiterent du regne foible des empereurs pour faire des irruptions de toutes parts, & se jetter sur différentes provinces ; néanmoins l'an 263 les troupes romaines les chasserent de l'Asie, & les firent repasser dans leur pays. L'an 270 les Goths qui s'étoient retirés sur le mont Hémus, y furent attaqués par la peste, par la famine, & par Claudius qui les força de demander quartier.

Quelques auteurs prétendent qu'ils reçurent la lumiere de l'évangile vers l'an 325, sous Constantin ; mais lorsqu'il est question du christianisme des goths de ce tems-là, il faut bien distinguer ceux qui faisoient un corps de nation, d'avec les Goths qui étoient dans l'empire. Quelques-uns de ces derniers purent devenir chrétiens, les autres en étoient bien éloignés.

On ignore l'époque de leur division en Ostrogoths & en Wisigoths. Il paroît seulement que cette division étoit déjà établie du tems de Claudius II. Peut-être que le Danube fut l'occasion de nommer Ostrogoths ou Goths orientaux, ceux qui demeurerent à la gauche de ce fleuve, & Wisigoths ou Goths occidentaux ceux qui s'établirent en-deçà & sur la droite. Toûjours est-il certain que les Goths devinrent deux nations distinctes qui prirent des routes, & eurent des destinées très-différentes ; & ce fut sous l'empire de Valens vers l'an 370, que la distinction des deux nations de Goths se fit le plus connoître.

Ils obéissoient alors à deux rois ; Fritigerne gouvernoit les Wisigoths, & Othanaric les Ostrogoths. Ces derniers s'attacherent à l'empire d'orient, & goûterent l'Arianisme qu'ils porterent en Italie, dans les Gaules & en Espagne. Tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, ils obtinrent enfin la Thrace, & furent assez tranquilles tant que vêcut Théodose ; mais après sa mort ils attaquerent l'empire romain sous Radagaise, & ensuite sous Alaric qui prit Rome, la pilla, & finit ses jours à Cozence.

Ataulphe son successeur devint amoureux de la soeur d'Honorius, l'épousa, céda l'empire à son beau-frere, & se retira dans les Gaules avec une partie de ses Wisigoths ; l'autre partie préféra de rester en Italie où elle devint si puissante, qu'Odoacre trouva le secret d'usurper le throne, & de s'emparer de l'autorité souveraine.

Théodoric partit de Thrace avec ses Ostrogoths, défit Odoacre, & commença le royaume des Ostrogoths en Italie ; je dis le royaume, parce que ce prince se contenta du titre de roi, & fit sa résidence à Ravenne. Ses successeurs se brouillerent avec l'empereur Justinien qui détruisit leur monarchie par les victoires de Bélisaire & de Narsès ; depuis cette époque qui est de l'an 552, il n'est plus question des Ostrogoths dans l'histoire. Seize ans après Alboin vint en Italie, & fonda le royaume des Lombards.

Les Wisigoths alliés d'abord avec les Francs, rompirent dans la suite avec eux, quitterent le séjour de la Provence qu'on nommoit alors G aule narbonnoise seconde, & se rendirent en Espagne vers l'an 407, où ils formerent une nouvelle monarchie qui dura jusqu'à l'invasion des Maures, c'est-à-dire jusqu'au huitieme siecle.

Nous avons parcouru très-rapidement l'histoire d'un peuple qui a joüé long-tems un grand rôle en Europe ; mais outre que les détails historiques seroient ici déplacés, ceux qui seront curieux d'approfondir l'origine de ce peuple, ses progrès, ses divisions, ses révolutions & sa chûte, peuvent consulter les écrivains qui y ont employé leurs veilles : tels sont, par exemple, Jornandès, de origine Gothorum ; Priscus dans son histoire gothique, Joannis magni, historia de omnibus Sueonum, Gothorumqregibus ; il y a une belle édition de cet ouvrage à Rome en 1554 in-folio. Isidore de Séville, de Gothis, Vandalis & Suevis, in-folio. Torfaei, universi septentrionis antiquitates, Hafniae 1705 in-4°. Grotius dans ses prolégomenes ad historiam Gothorum & Vandalorum in-folio. Cluvier, Germ. antiq. &c. (D.J.)


GOTO(Géogr.) on écrit aussi Gotho & Gotto, royaume du Japon composé de cinq petites îles, situées presqu'à l'entrée de la baye d'Omura à l'oüest, au midi de Firando, par les 32d. 33'. de lat. sept. La capitale de ce royaume se nomme Ocura. (D.J.)


GOTTINGENGottinga, (Géogr.) ville d'Allemagne au duché de Brunswick, partage de l'électeur de Hanover à qui elle appartient aujourd'hui. Elle est sur la Leine, à 10 lieues nord-est de Cassel, 12 sud-oüest de Goslar. Long. 27. 40. latit. 51. 34.

Elle est la patrie de Cassel (Jean), savant littérateur, mort à Helmstad le 19 Avril 1613 âgé de 80 ans. (D.J.)


GOUACHES. f. (Peinture) peindre à goüache ; la maniere de peindre qu'on distingue par ce nom est une des plus anciennes de celles que nous connoissons, si ce n'est pas celle qu'on doit regarder comme ayant précédé toutes les autres. L'eau est sans-doute le moyen le plus facile de donner à des matieres colorées, mises en poudre, la fluidité nécessaire pour pouvoir les étendre sur des surfaces, & les y incorporer. Les premieres couleurs ont été vraisemblablement des terres & des pierres broyées, qu'on a rendu liquides par le moyen de l'eau ; mais comme l'usage a fait voir que lorsque l'humidité de ces couleurs étoit totalement dissipée, elles n'étoient plus retenues, & qu'elles quittoient trop aisément les corps sur lesquels on les avoit employées, on a cherché à leur donner plus de consistance par des mélanges de matieres visqueuses ; alors les gommes que certains arbres fournissent abondamment, & qui par leur transparence ne peuvent altérer les nuances des couleurs, se sont offertes naturellement pour cet usage.

La goüache n'est autre chose que cet apprêt simple des couleurs broyées, délayées dans de l'eau, que l'on charge plus ou moins d'une dissolution de gomme. On employe les couleurs ainsi préparées sur toutes sortes de corps, principalement sur la toile, le vélin, le papier, l'yvoire, &c. On se sert communément de la gomme arabique, que l'on fait fondre dans l'eau commune, comme on fait pour peindre en miniature ; & après avoir proportionné le mélange de la gomme avec les différentes couleurs, on couche ces couleurs en les empâtant, & en leur donnant du corps, ce qui n'a lieu, ni dans le lavis, comme je le dirai, ni dans la miniature. Il est des couleurs qui demandent à être plus gommées les unes que les autres ; l'expérience donnera des regles à cet égard ; & les inconvéniens qu'il faut éviter serviront à les établir. Ces inconvéniens sont que les couleurs qui ne sont point assez gommées, se dissipent lorsqu'elles sont seches, & qu'elles s'évaporent. Elles s'écaillent, se fendent, & se détachent par morceaux lorsqu'elles sont trop gommées : des essais faciles à faire instruiront mieux que tout ce qu'on pourroit dire à ce sujet. La goüache est très-propre à peindre le paysage d'après nature ; elle sert aussi à faire des esquisses colorées pour de grandes compositions, &c. Cette maniere est promte & expéditive, elle a de l'éclat ; mais on doit sur-tout éviter, en la mettant en usage, une sécheresse qui dans cette espece de travail, doit provenir de la promtitude avec laquelle les couleurs se sechent. L'artiste qui n'a pas toûjours le tems nécessaire pour dégrader ses teintes, pour fondre ses nuances, & pour accorder son ouvrage, laisse échapper des touches dures, & des passages de tons trop marqués. La miniature dans l'usage de laquelle on cherche à éviter cet inconvénient, en pointillant, comme je le dirai, tombe assez souvent dans un défaut contraire ; & il est aussi commun de voir des goüaches trop dures, que des miniatures dont la maniere est trop molle. Voyez LAVIS, MINIATURE, &c.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,

Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

Article de M. WATELET.


GOUALIAR(Géogr.) ville du Mogolistan ; les voyageurs en écrivent le nom de cinq ou six manieres différentes, comme Goualear, Gualiar, Guadeor, Goualor, Goualeor & Gualcor. V. GUALEOR. (D.J.)


GOUBLE AUX AINterme de pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Poitou ou des Sables d'Olone ; sorte de planche entaillée sur laquelle les pêcheurs de ce ressort arrangent leurs ains ou hameçons.

Les cordes des lignes aux hameçons des pêcheurs sont de trois especes ; la premiere a les ains, claveaux ou hameçons de la même grosseur que ceux qui servent aux pêcheurs de Dieppe, pour la pêche des raies, aux grosses cordes, à la côte d'Angleterre ; ils servent ici à prendre des posteaux, grosses raies, des tives, & des chiens ou touiles à Bayonne, au cap Breton, & au vieux Boucane. On fait cette pêche durant les mois d'Avril & Mai, & même durant l'été, si la pêche des sardines n'est pas favorable ; on met ces ains dans l'ouverture d'un morceau de bois fendu, sur la longueur duquel on les disperse ; on nomme ces morceaux de bois gouble : chaque gouble a quarante ains ; & un bateau a ordinairement vingt-sept à vingt-huit goubles. Les ains sont parés & frappés sur la ligne ou corde, de brasse-en-brasse. Les femmes qui préparent ces goubles amorcent les ains avec de la chair de sardine fraîche pendant la saison, & dans l'hyver avec les sardines salées. La deuxieme espece est semblable aux ains dont on se sert pour la pêche des merlans dans le canal de la Manche ; & la troisieme qui a des ains plus petits, les a comme on les employe dans la pêche des soles.


GOUDAGoudae ou Tergow, (Géogr.) ville considérable de la Hollande méridionale, remarquable par son église cathédrale & par ses écluses. Elle est sur l'Issel, au confluent de la petite riviere de Gow, à trois lieues de Rotterdam, cinq de Leyde. Long. 22. 12. latit. 52. 2.

Cette ville est la patrie de quelques gens de lettres, entre lesquels je peux nommer Schonaeus (Corneille), & Hartsoëker (Nicolas.) Le premier s'est distingué dans son pays par des comédies saintes, où il a tâché d'imiter le style de Térence. Il est mort en 1611 à 71 ans. Le second est connu de tous les Physiciens par ses ouvrages en ce genre ; son éloge est dans l'histoire de l'acad. des Scienc. Il est mort à Utrecht le 10 Déc. 1725, âgé de 69 ans. (D.J.)


GOUDRONS. m. (Hist. nat. Chimie, & Mat. méd.) substance résineuse noire, d'une consistance molle & tenace, d'une odeur forte, balsamique, & empyreumatique, qui porte dans les traités de drogues, outre le nom de goudron, ceux de brai liquide, de tare, de goudran, de poix noire liquide, de poix liquide, & quelquefois de poix navale, pix navalis, pissa. Voyez POIX.

On la retire par une espece de liquation ou de distillation, per descensum, exécutée dans un appareil en grand, des arbres résineux de notre pays ; du pin, du sapin, du meleze, &c. Ces procédés sont décrits à l'article PIN. Voyez cet article. Pomet avance sans fondement que le goudron découle par incision avec sa couleur noire, des troncs des vieux pins dépouillés d'écorce. Voyez PIN.

Le goudron a été mis par les anciens pharmacologistes au rang des médicamens, aussi-bien que tous les produits résineux, soit naturels, soit artificiels, des arbres coniferes. Celui-ci peut, comme toutes les autres matieres balsamiques & résineuses, fournir un ingrédient utile aux emplâtres agglutinatifs, & si l'on veut même aux emplâtres & aux onguens résolutifs ; mais on préfere ordinairement les substances analogues qui n'ont éprouvé aucune altération par le feu ; cette qualité de substance altérée par le feu, & plus encore un vice plus réel, sa grande ténacité ou viscosité ont banni le goudron de l'ordre des médicamens destinés à l'usage intérieur ; ensorte que ce n'étoit plus un remede parmi nous, lorsque nous apprîmes des peuples du nouveau monde à en retirer une infusion à froid, qui fut fort employée il y a quelques années, sous le nom d'eau de goudron, & que nous avons absolument abandonnée aujourd'hui, peut être sans raison, & par pure inconstance : car quoiqu'il soit très-vraisemblable que l'eau de goudron a dû principalement sa vogue au nom du célebre George Berkeley, évêque de Cloyne, qui nous a fait connoître ce remede, & plus encore au singulier ouvrage dans lequel il a publié ses vertus : quoiqu'il ne faille pas croire que l'eau de goudron est un remede souverain contre toutes les affections cachectiques, rhumatiques, arthritiques, scorbutiques, catarrhales, vénériennes, oedémateuses, érésypélateuses, mélancholiques, hystériques, &c. qu'elle produise des effets merveilleux dans l'hydropisie, les coliques, les douleurs néphrétiques, les fleurs blanches, les pleurésies, les péripneumonies, les asthmes, les obstructions des visceres, les hydropisies, les dyssenteries, les ulceres des reins, des poumons, des intestins, de la matrice, les maladies de la peau, la foiblesse de l'estomac, les fievres intermittentes, continues, malignes, les incommodités auxquelles sont particulierement sujets les gens de mer, les femmes, les gens de Lettres, & tous ceux qui menent une vie sédentaire ; qu'elle soit un préservatif assûré contre le venin de la petite vérole & des autres maladies éruptives, contre les maladies des dents & des gencives, &c. & extérieurement en lotion, en bain, en injection, dans les ulceres putrides, rébelles, la galle, les dartres, la paralysie, les rhumatismes, &c. Quoiqu'on ne doive pas craindre, avec le traducteur de l'ouvrage de Berkeley, de ne pas avoir qualifié ce remede assez honorablement, lorsqu'on l'a appellé un spécifique merveilleux ; il est certain cependant que l'eau de goudron n'est pas un secours à négliger dans le traitement de plusieurs maladies de l'estomac, dans les embarras des reins & des voies urinaires, les maladies de la peau, les suppressions des regles, les affections oedémateuses, & peut-être même dans les maladies véritablement putrides ou gangréneuses, dans les amas bilieux, les maladies scorbutiques, &c.

Pour faire de l'eau de goudron, " versez quatre pintes d'eau froide sur une de goudron, puis remuez-les & les mêlez intimement avec une cuilliere de bois ou un bâton plat, durant l'espace de cinq à six minutes ; après quoi laissez reposer le vaisseau bien exactement fermé pendant deux fois vingt-quatre heures, afin que le goudron ait le tems de se précipiter. Ensuite vous verserez tout ce qu'il y a de clair, l'ayant auparavant écumé avec soin sans remuer le vaisseau, & en remplirez pour votre usage des bouteilles que vous boucherez exactement, le goudron qui reste n'étant plus d'aucune vertu, quoiqu'il puisse encore servir aux usages ordinaires.... Moins d'eau, ou l'eau plus battue, rend la liqueur plus forte ; & au contraire. Sa couleur ne doit pas être plus claire que celle du vin blanc de France, ni plus foncée que celle du vin d'Espagne ".

Recherches sur les vertus de l'eau de goudron, traduites de l'anglois du sieur Berkeley. La dose de cette eau varie selon l'âge, les forces du malade, l'indication à remplir, &c. La regle la plus générale pour les adultes, c'est d'en prendre depuis une demi-livre jusqu'à une livre, & même jusqu'à deux livres tous les jours, le matin à jeun, & le soir ou l'après-midi plusieurs heures après le repas, à chaud ou à froid, selon l'état de l'estomac, le goût du malade, &c.

Berkeley dit que son eau de goudron est en même tems un savon & un vinaigre. Cartheuser nous apprend sa composition d'une maniere plus positive : selon cet auteur, l'eau de goudron est chargée d'une substance résineuse, gommeuse, resina gummea, qui se manifeste non-seulement par l'odeur, le goût, & la couleur qu'elle donne à l'eau, mais encore par la distillation (c'est cette substance que le docteur Berkeley appelle savon) ; & de quelques parties acides qui sont sensibles au goût, & qui donnent à l'eau la propriété de rougir le sirop de violette, & de faire effervescence avec les alkalis ; c'est-là le vinaigre de Berkeley.

Cartheuser admet encore dans cette eau des parties qu'il appelle oleo spirituosae balsamicae : cette expression ne désigne aucun être chimique bien déterminé ; elle peut convenir cependant au principe de l'odeur qui est fort abondant dans l'eau de goudron. L'acide dont elle est chargée, est un produit de la décomposition qu'a éprouvé la résine qui s'est changée en goudron dans l'opération par laquelle on prépare cette derniere substance, comme il arrive dans l'analyse par le feu de toutes les substances balsamiques & résineuses. Voyez RESINE. (b)


GOUÉou GOUET, s. m. parmi les Marchands de bois, est une grosse serpe dont les Flotteurs se servent pour faire les coches de leurs chantiers & autres. Les Bucherons ont la même serpe pour couper leur bois, & les Vignerons pour aiguiser leurs échalats.


GOUE(LE) Géog. petite riviere des Indes, dans les états du Mogol, au pays de Raïa-Rotas. Elle a sa source aux confins du royaume de Bengale dans les montagnes ; & après un long cours, elle va se perdre dans le Gange. Le gouel produit des diamans, mais rarement de gros ; cependant Tavernier vous indiquera comment chaque année, sept ou huit mille personnes de tout sexe & de tout âge se rendent des lieux voisins, pour en faire la recherche ensemble ; je dirai seulement, que c'est de cette riviere que viennent toutes les belles pointes, qu'on appelle pointes naïves. (D.J.)


GOUESMONS. m. (Marine) voyez VARECH.


GOUETTREUSES. f. voyez PELICAN.


GOUFFRES. m. (Phys.) les gouffres ne paroissent être autre chose que des tournoyemens d'eau causés par l'action de deux ou de plusieurs courans opposés ; l'Euripe si fameux par la mort d'Aristote, absorbe & rejette alternativement les eaux sept fois en vingt-quatre heures ; ce gouffre est près des côtes de la Grece. Voyez EURIPE. Le Carybde qui est près du détroit de Sicile, rejette & absorbe les eaux trois fois en vingt-quatre heures : au reste on n'est pas trop sûr du nombre de ces alternatives de mouvement dans ces gouffres.

Le plus grand gouffre que l'on connoisse, est celui de la mer de Norvege ; on assûre qu'il a plus de vingt lieues de circuit : il absorbe pendant six heures tout ce qui est dans son voisinage, l'eau, les baleines, les vaisseaux, & rend ensuite pendant autant de tems tout ce qu'il a absorbé.

Il n'est pas nécessaire de supposer dans le fond de la mer des trous & des abysmes qui engloutissent continuellement les eaux, pour rendre raison de ces gouffres ; on sait que quand l'eau a deux directions contraires, la composition de ces mouvemens produit un tournoyement circulaire, & semble former un vuide dans le centre de ce mouvement, comme on peut l'observer dans plusieurs endroits auprès des piles qui soûtiennent les arches des ponts, sur-tout dans les rivieres rapides : il en est de même des gouffres de la mer, ils sont produits par le mouvement de deux ou de plusieurs courans contraires ; & comme le flux & le reflux sont la principale cause des courans, ensorte que pendant le flux ils sont dirigés d'un côté, & que pendant le reflux ils vont en sens contraire, il n'est pas étonnant que les gouffres qui résultent de ces courans, attirent & engloutissent pendant quelques heures tout ce qui les environne, & qu'ils rejettent ensuite pendant tout autant de tems tout ce qu'ils ont absorbé. Voyez COURANS.

Les gouffres ne sont donc que des tournoyemens d'eau qui sont produits par des courans opposés, & les ouragans ne sont que des tourbillons ou tournoyemens d'air produits par des vents contraires ; ces ouragans sont communs dans la mer de la Chine & du Japon, dans celle des îles Antilles, & plusieurs endroits de la mer, sur-tout auprès des terres avancées & des côtes élevées ; mais ils sont encore plus fréquens sur la terre, & les effets en sont quelquefois prodigieux. " J'ai vû, dit Bellarmin (je ne le croirois pas si je ne l'eusse pas vû), une fosse énorme, creusée par le vent, & toute la terre de cette fosse emportée sur un village ; ensorte que l'endroit d'où la terre avoit été enlevée, paroissoit un trou épouvantable, & que le village fut entierement enterré par cette terre transportée ". Bellarminus, de ascensu mentis in Deum. Cet article est tiré du premier volume de l'hist. naturelle, & partic. p. 489.


GOUGES. f. (Architecture) est un outil de fer long & taillant par le bout, qui est arrondi en forme de rigole, & emmanché de bois, qui sert au masson à pousser des moulures à la main. (P)

GOUGE en bois, outil d'Arquebusier ; c'est un ciseau reployé en gouttiere & tranchant par en-bas, emmanché comme le ciseau à ébaucher, dont les Arquebusiers se servent pour creuser un trou dans un bois, &c. Ils en ont de plusieurs grosseurs. Voyez les fig. des Planches du Sculpteur & du Menuisier, &c.

GOUGE en fer, outil d'Arquebusier ; c'est un ciseau de fer trempé, de la longueur de trois à quatre pouces, qui est un peu ployé en demi-cercle par en-bas, fort tranchant, & rond par en-haut ; les Arquebusiers s'en servent pour creuser les bassinets.

GOUGE, (Charpenterie) est un ciseau à un ou deux biseaux concaves, qui sert à faire des cannelures & des rivures dans le bois. Voyez la Pl. de Menuis.

GOUGE QUARREE, outil de Charron ; c'est une espece de ciseau qui est rond par en-haut, & qui par en-bas est à trois quarts, tranchant, & qui sert aux Charrons à évider les mortaises qu'ils font. Voyez les figures, Planche du Charron.

GOUGE RONDE, outil de Charron ; il est fait par en-haut comme la gouge quarrée, mais par en-bas il forme un ciseau convexe en languette ronde, tranchant par en-bas, & des deux côtés. cet outil sert aux Charrons à évider & nettoyer la tête des trous & mortaises, & quelquefois à aggrandir les trous.

GOUGE, outil de Ferblantier ; c'est un petit poinçon de fer rond par en-haut, & gros d'environ un pouce, tranchant par en-bas, & formant un demi-cercle, qui sert aux Ferblantiers pour découper & festonner des pieces de fer-blanc. Voyez Planche de Ferblantier ; fig. 31.

GOUGES, pl. voyez outils de Fontainier, au mot FONTAINIER.

GOUGE A MAIN, en terme de Formier, est une espece de plane recourbée, & dont les manches sont perpendiculaires au plan des courbures. Voyez la fig. 5. Planche du Formier.

GOUGE, (Manége, Maréchallerie) ciseau recourbé dans sa longueur & en forme de gouttiere, semi-cylindrique à son extrémité, de telle sorte que son tranchant présenté perpendiculairement sur un plan, y trace une demi-circonférence de cercle de quatre, cinq, ou six lignes de diametre. Cet instrument, qui doit être emmanché commodément, n'a qu'un biseau, lequel se trouve en-dehors ; sa longueur est communément d'environ 7 à 8 pouces.

Il est d'un usage indispensable dans la Chirurgie vétérinaire, & sert principalement à pratiquer des ouvertures à la sole, dans les cas où il est essentiel de s'instruire de l'état des parties que cette portion de l'ongle dérobe à nos yeux, & où il importe de donner issue à des matieres épanchées & suppurées, qui par leur séjour altéreroient & corromproient inévitablement l'aponévrose, les tendons, &c.

Il est encore une autre espece de gouge qui ne differe point de celles dont nombre d'artisans s'aident dans leur métier ; les Maréchaux s'en servent très-indiscrettement dans le leur. Ils l'employent lorsqu'il s'agit d'abattre & de détruire les inégalités des dents molaires, qui sont telles dans les vieux chevaux, qu'elles blessent la langue, & souvent la face intérieure des jouës ; & que ces mêmes chevaux ne pouvant broyer parfaitement les alimens, n'en tirent que le suc, & font ce que nous exprimons en disant qu'ils font grenier ou magazin. Ces ouvriers imprudens appuient d'une main pour cet effet le tranchant de cet outil contre ces apretés, très-mal-à-propos nommées surdens par tous les écrivains, & frappent de l'autre sur son manche à coups de marteau, aux risques d'ébranler la tête & la machoire de l'animal, de susciter une sorte de commotion, & d'offenser les parties postérieures de la bouche, & même celles de l'arriere-bouche, si la gouge glissoit & se dévoyoit, ou si la pointe de la dent cédoit trop aisément à l'action qui doit en assûrer la chûte.

On a substitué à cette pratique grossiere, & dont on a reconnu les inconvéniens & les dangers, celle de faire mâcher au cheval une lime d'acier, que quelques-uns appellent rape, & d'autres carreau, de maniere que cette derniere gouge est aujourd'hui rejettée, & n'est plus regardée comme un instrument utile & nécessaire.

Quelques-uns s'en servent néanmoins encore dans la fameuse opération du rossignol ou du sifflet. Voyez POUSSE. (e)

GOUGE, (Plombier) est un outil de fer taillant par le bout, dont plusieurs ouvriers, & entr'autres les Tourneurs, Tabletiers, & Plombiers se servent soit à la main, ou en la frappant avec le marteau. La gouge est une espece de ciseau creusé en forme de demi-canal, dont la portion de cercle est plus ou moins grande, selon qu'on veut caver ou arrondir plus ou moins l'endroit de l'ouvrage où on s'en sert. Ce ciseau est toûjours emmanché dans un morceau de bois : les Charpentiers se servent aussi d'une gouge, mais qui est bien différente de celle-ci ; car elle est toute de fer, & a deux piés & demi de longueur. Voyez la fig. 9. Planche III. du Plombier.

GOUGE, (Menuiserie) la gouge du menuisier differe peu de celle du charpentier.

GOUGE, (Tourneur) outil dont les Tourneurs se servent : c'est une espece de gouttiere, le bout est arrondi & tranchant. Voyez-en la fig. Pl. I. du Tourneur.

GOUGE, (Art méchan.) le Doreur & d'autres ouvriers ont aussi leurs gouges ; mais elles ne different des précédentes ni pour l'usage ni pour la forme : si la gouge est petite, on l'appelle gougette.


GOUGETTES. f. petite gouge, voyez ci-devant les articles GOUGE.


GOUJONGOUJON

GOUJON, en Architecture ; c'est une grosse cheville de fer sans tête, qui sert à retenir des colonnes entre leurs bases & le fust ; le chapiteau avec le fust ou tige ; des balustres entre leur socle & tablette, & à d'autres usages. (P)

GOUJON D'UNE POULIE, (Méch.) voyez BOULON,

GOUJON DE POMMES, en terme de Doreur, sont des broches de fer sur lesquelles on travaille les pommes de carrosse. On les monte sur le carrosse. Ces broches sont prises dans le corps de la pomme, quand on la fond.

GOUJON, (Menuisier) Ce sont des chevilles que l'on colle, & que les Menuisiers mettent au lieu de clés, lorsqu'ils collent quelques pieces de bois ensemble, soit que ces pieces soient à languettes & raînures, ou qu'elles soient à plat-joint.


GOUJONNER, v. act. chez les Layetiers ; c'est assembler des planches avec les pointes de clous dont les Maréchaux se servent pour ferrer les chevaux.


GOUJURES. f. (Marine) C'est une entaille faite autour d'une poulie, afin d'encocher l'étrope. Ce mot se dit aussi pour celle qu'on fait autour d'un cap de mouton, ou qui servent à tenir les haubans.

Goujure de chouquet ; c'est l'entaille qu'on fait à chaque bout par où passe la grande étague. (Z)


GOULAMSS. m. pl. (Hist. mod.) En Perse, ce sont des esclaves ou fils d'esclaves de toutes sortes de nations, & principalement de Géorgiens renégats, qui forment le second corps de l'armée du sophi. Il en a environ 14 mille à son service. On appelle leur général koullas-agassi. Ils ont plusieurs grands seigneurs dans leur corps. Thevenot, voyage du Levant. (G)


GOULETSS. m. pl. (Pêche) Suivant nos auteurs sur la pêche, les goulets sont des entrées qui vont en s'étrécissant dans le milieu d'un filet ; ensorte que le poisson qui se présente est conduit par les goulets dans le corps du filet, dont ensuite il ne peut plus sortir, à cause qu'il ne sauroit plus trouver le lieu étroit par lequel il est entré.


GOULETTES. f. en Architecture, petit canal taillé sur des tablettes de pierre ou de marbre posées en pente, qui est interrompu d'espace en espace par de petits bassins en coquille, d'où sortent des bouillons d'eau, ou par des chûtes dans les cascades, &c.

On voit de ces goulettes taillées sur les tablettes de la terrasse du jardin du Luxembourg, en face du château. Il y a des goulettes en plomb. (P)

GOULETTE, (la) Géog. fort considérable d'Afrique sur la côte de Barbarie ; ce fort est composé de deux châteaux. Le corsaire Barberousse le prit en 1535 ; Charles V. l'emporta d'assaut en 1536 ; mais Selim II. s'en empara en 1574. Il est à huit lieues N. de Tunis, sur la lagune de Tunis à l'endroit le plus étroit. Long. 28. 25. latit. 37. 10. (D.J.)


GOULOTTEsub. f. terme d'Architecture ; voyez GARGOUILLE.


GOULUadj. (Gramm.) qui mange avec trop d'avidité. C'est-là ce qui a fait appeller goulu le poisson galeus glaucus d'Artedi. Voyez l'article suivant.

GOULU DE MER, galeus glaucus d'Artedi, (Icthyolog.) espece de squalus, l'un des plus voraces de tous les animaux aquatiques. Il est d'un beau bleu sur le dos & d'un blanc-argentin sur le ventre ; ses narines s'étendent transversalement à toute la longueur du nez ; les trous de ses yeux sont de forme elliptique : il a deux rangs de dents larges & triangulaires ; sa queue est fourchue, mais une des fourches est plus grosse que l'autre ; enfin il a cette particularité remarquable, & néanmoins commune avec les autres poissons de son genre, c'est que sa vaste gueule est à la partie inférieure de la tête, ensorte qu'il est obligé de se tourner sur le dos avant que de pouvoir attraper sa proie. Si les poissons aux quels il donne la chasse, ne s'échappoient dans cet intervalle, dit le docteur Hans Sloane, aucun d'eux ne pourroit l'éviter, tant il a d'ardeur, de vîtesse, & de force en nageant. (D.J.)


GOUPILLEsub. f. petite cheville de laiton, & quelquefois d'acier, dont les Horlogers se servent pour faire tenir plusieurs pieces ensemble. C'est par le moyen de goupilles que la platine de dessus tient avec les piliers, & le cadran avec la grande platine, &c. Voyez PLATINE, CADRAN, CAGE, &c. (T)


GOUPILLERv. act. terme d'Horlogerie ; c'est faire tenir plusieurs pieces ensemble avec des goupilles. Voyez GOUPILLE, PLATINE, CAGE, CADRAN, &c. Il signifie aussi simplement mettre les goupilles dans les trous qui leur sont destinés. (T)


GOUPILLONS. m. (en terme de Vergettier) c'est un instrument garni de tous sens de soies de porc prises dans des fils-d'archal passés à l'extrémité d'un manche de bois ou de métal. Le goupillon a plusieurs usages différens. Il sert à l'Eglise, où il a remplacé la queue du renard, à distribuer aux Chrétiens l'eau-bénite ; dans les maisons, à nettoyer différens vaisseaux, & sur-tout ceux qui servent à des usages honteux ; dans les atteliers, à répandre sur des ouvrages des substances fluides par gouttes, &c. Voyez les articles suivans.

* GOUPILLON, chez les Cartiers ; c'est une grosse brosse faite de soie de cochon & emmanchée d'un manche de bois, qu'ils trempent dans le pot à la colle dont ils se servent pour coller les quatre feuilles de papier dont ils fabriquent les cartes.

Il y a encore un autre goupillon fait en forme de brosse, dont on se sert aussi pour coller ; & l'un & l'autre servent encore à puiser la couleur que l'on applique sur les cartes par-dessus les patrons. Voyez les Planches du Cartier. La premiere représente un ouvrier qui prend de la colle avec un goupillon ; la fig. seconde représente un autre ouvrier qui passe avec un goupillon de la couleur sur un moule.

* GOUPILLON, (Chapel.) c'est un bâton d'un pié & demi de longueur, dont le bout est garni en-travers de plusieurs brins de soie ou poils de cochon. Les Chapeliers se servent de ce goupillon pour arroser le bassin & la feutriere, lorsqu'ils travaillent à feutrer les chapeaux. C'est ce qu'ils appellent arroser le feutre ou arroser le chapeau.


GOURAGura, (Géogr.) ville de Pologne au palatinat de Mazovie, appartenant à l'évêque de Posnanie. Celui qui vivoit du tems de Jean Sobieski, peupla cette ville de monasteres, éleva des autels dans tous les bois des environs ; & d'une bute de sable, entourée d'épaisses forêts, il en fit une parfaite Jérusalem polonoise. Elle est sur la Vistule à cinq lieues de Warsovie, & prend son nom de sa situation sur une hauteur ; car les Polonois appellent gouri tout côteau, toute montagne, tous lieux un peu élevés ; on écrit d'ordinaire gura. Long. 39. 25. lat. 52. 4. (D.J.)


GOURGOURANS. m. (Commerce) étoffe travaillée en gros-de-Tours, mais plus forte en chaîne & en trame ; les soies n'en sont point moulinées, mais elles sont seulement gommées & préparées par faisceaux de huit brins. Voyez l'article GROS-DE-TOURS. Le gourgouran vient des Indes, où l'on sait employer la soie comme elle se devide de dessus les cocons. Nos ouvriers n'en sont pas encore venus là.


GOURMAND(Gramm.) il se prend tantôt substantivement, & tantôt adjectivement, & se dit en général d'un animal qui mange avec excès & avec avidité. Voyez ci-après GOURMANDISE.

GOURMAND ou LARRON, adj. (Jardin.) se dit d'une branche qui s'échappe & emporte toute la nourriture de l'arbre ; on a grand soin de la retrancher. Voyez TAILLE. (K)


GOURMANDERv. act. (Gramm.) c'est en général traiter durement en paroles. Il est encore d'usage, mais moins qu'autrefois.

GOURMANDER un cheval, (Manége) expression usitée pour designer spécialement l'action d'un cavalier, qui par des saccades & des ébrillades continuelles, offense cruellement la bouche du cheval, & le précipite perpétuellement dans la confusion & dans le desordre.

Suivant les auteurs du dictionnaire de Trévoux, ce mot ne paroît applicable que du cheval au cavalier. Ce cheval gourmande son cavalier, le jette bas, s'il ne se tient bien ferme. Je ne sais sur quelle autorité ils pourroient étayer cette maniere de s'énoncer inconnue à tous les écuyers, & dont nous n'avons eu garde d'enrichir encore notre art. Ne seroit-ce pas le cas de dire ici, d'après le Port-royal ? Ce n'est pas une loüange de bien savoir sa langue ; mais c'est une honte de ne la savoir pas. (e)


GOURMANDISES. f. (Morale) amour raffiné & desordonné de la bonne-chere. Horace l'appelle ingrata ingluvies. C'étoit aussi la définition de Callimaque qui y ajoûte cette réflexion : " Tout ce que j'ai donné à mon ventre a disparu, & j'ai conservé toute la pâture que j'ai donnée à mon esprit ".

Varron irrité contre un des Curtillus de son siecle, qui mettoit son application à combiner l'opposition, l'harmonie, & les proportions des différentes saveurs, pour faire de ce mélange un excellent ragoût, dit à cet homme " Si de toutes les peines que vous avez prises pour rendre bon votre cuisinier, vous en aviez consacré quelques-unes à étudier la Philosophie, vous vous seriez rendu bon vous-même ".

La remarque de Varron ne corrigea ni ce riche sensuel, ni ses semblables ; au contraire ils tournerent en ridicule le plus instruit des Romains sur la vie rustique, le plus docte sur la Grammaire, sur l'Histoire, & sur tant d'autres sujets. N'en soyons pas étonnés, la gourmandise est un mérite dans les pays de luxe & de vanité, où les vices sont érigés en vertus : c'est le fruit de a mollesse opulente ; il se forme dans son sein, se perfectionne par l'habitude, & devient enfin si délicat, qu'il faut tout le génie d'un cuisinier pour satisfaire ses raffinemens. Voyez CUISINE.

Les Romains succomberent sous le poids de leur grandeur, quand la tempérance tomba dans le mépris, & qu'on vit succéder à la frugalité des Curius & des Fabricius, la sensualité des Catius & des Apicius. Trois hommes de ce dernier nom se rendirent alors célebres par leurs recherches en gourmandise ; il falloit que leurs tables fussent couvertes des oiseaux du Phase, qu'on alloit chercher au-travers des périls de la mer, & que les langues de paons & de rossignols y parussent délicieusement apprêtées. C'est, si je ne me trompe, le second de ces trois que Pline appelloit nepotum omnium altissimus gurges : il tint école de son art en théorie & en pratique, dépensa cinq millions de livres de nos jours à y exceller ; & se jugeant ruiné parce qu'il ne lui restoit que cinq cent mille francs de bien, il s'empoisonna, craignant de mourir de faim avec si peu d'argent.

Dans ces tems-là Rome nourrissoit des gourmets qui prétendoient avoir le palais assez fin pour discerner si le poisson appellé loup-de-mer, avoit été pris dans le Tibre entre deux ponts, où près de l'embouchure de ce fleuve ; & ils n'estimoient que celui qui avoit été pris entre deux ponts. Ils rejettoient les foies d'oies engraissées avec des figues seches, & n'en faisoient cas que quand les oies avoient été engraissées avec des figues fraîches.

Nous ne parlerons pas des excès de la table d'un Antiochus-Epiphane, des dissolutions en ce genre d'un Vitellius, & de celles d'un Héliogabale. Nous ne rappellerons pas non plus les recherches honteuses des anciens Sybarites, qui accordoient l'exemption de tout impôt aux pêcheurs de je ne sais quel poisson, parce qu'ils en étoient extrêmement friands. Nous ne passerons point en revûe nos Sybarites modernes, qui dévorent en un repas la subsistance de cent familles. Les suites de ce vice sont cruelles ; ceux qui s'y livrent avec excès, sont exposés à éprouver des maux de toute espece.

Homere le faisoit sentir à ses contemporains, en ne couvrant que de boeuf rôti la table de ses héros, & n'exceptant de cette regle ni le tems des nôces, ni les festins d'Alcinoüs, ni la vieillesse de Nestor, ni même les débauches des amans de Pénélope.

Il paroît qu'Agésilas, roi de Lacédémone, suivit constamment le précepte d'Homere ; car sa table étoit la même que celle des capitaines grecs immortalisés dans l'Iliade ; & comme un jour les Thasiens lui apporterent en don des friandises de grand prix, il les distribua sur-le-champ aux Ilotes, pour prouver aux Lacédémoniens que la simplicité de sa vie, semblable à celle des citoyens de Sparte, n'étoit point altérée.

Alexandre même profita de la leçon de son poëte favori. Plutarque rapporte qu'Adda, reine de Candie, ayant obtenu la protection de ce prince contre Orodonbate, seigneur persan, crut pouvoir lui marquer sa reconnoissance en lui envoyant toutes sortes de mets exquis, & les meilleurs cuisiniers qu'elle put trouver ; mais Alexandre lui renvoya le tout, & lui répondit qu'il n'avoit aucun besoin de ces mets si délicats, & que Léonidas son gouverneur lui avoit autrefois donné de meilleurs cuisiniers que tous ceux de l'univers, en lui apprenant que pour dîner avec plaisir il falloit se lever matin & prendre de l'exercice ; & que pour souper avec plaisir, il falloit dîner sobrement.

La chere la plus délicieuse est celle dont l'appétit seul fait les frais. Vous ne trouverez point de bisque aussi bonne, qu'un morceau de lard paroît bon à nos laboureurs, ou que les oignons de Gayette sembloient excellens au pape Jules III.

Voulez-vous vous assûrer que le meilleur apprêt est celui de la faim ? offrez du pain à un homme sensuel & difficile, il le repoussera : mais attendez jusqu'au soir, panem illum tenerum & siligineum fames ipsi reddet.

Concluons que loin de courir après la bonne-chere, comme après un des biens de la vie, nous pouvons en regarder la recherche comme pernicieuse à la santé. La fraîcheur & l'heureuse vieillesse des Perses & des Chaldéens, étoit un bien qu'ils devoient à leur pain d'orge & à leur eau de fontaine. Tout ce qui va au-delà de la nature, est inutile & pour l'ordinaire nuisible : il ne faut pas même suivre toûjours la nature jusqu'où elle permettroit d'aller ; il vaut mieux se tenir en-deçà des bornes qu'elle nous a prescrites, que de les passer. Enfin le goût se blase, s'amortit sur les mets les plus délicats, & des infirmités sans nombre vengent la nature outragée ; juste châtiment des excès d'une sensualité dont on a trop fait ses délices ! (D.J.)


GOURMES. f. (Maréch.) maladie que quelques auteurs ont comparée à celle qui dans l'homme est appellée petite vérole, quoiqu'elle paroisse & se montre différemment. Si elles ont l'une & l'autre quelque analogie, c'est par la régularité avec laquelle la premiere affecte la plûpart des chevaux, & la seconde la plûpart des hommes ; c'est aussi parce qu'elles arrivent plus communément dans le premier âge, & enfin parce que leur terminaison est également l'ouvrage de la nature.

Les causes de la gourme sont aussi inconnues que celles de la petite vérole. Dire que ces maladies doivent être envisagées, ou comme une fievre inflammatoire, ou comme une matiere pestilentielle innée, ou comme une espece de levain qui se mêle avec le sang aussi-tôt que l'homme & l'animal sont conçus, ou comme un virus existant dans la masse, c'est parler d'après Rhases, Sydenham & des medecins même célebres ; mais c'est parler vaguement, & convenir des ténebres dans lesquelles on est plongé à cet égard.

M. de Garsaut persuadé de la vérité des faits qu'il a lûs, a cru pouvoir accuser la qualité de la terre & la température de l'air ; il prétend que dans les pays froids les herbes sont trop humides & trop nourrissantes pour le poulain, & qu'une pareille nourriture prise dans un terrein humide & gras, & sur lequel le jeune animal, d'ailleurs souvent exposé aux injures du tems & à des pluies extrêmement froides, trouve du verglas & de la rosée, peut donner origine à ces humeurs crues & à cette lymphe visqueuse qui se sépare dans les glandes du cou & dans celles des naseaux.

Nous observerons d'abord que dans les pays chauds, les chevaux ne sont point, ainsi que l'a avancé M. de Soleysel, exempts de la gourme ; cette maladie est commune à ceux qui habitent le midi & le nord de l'Europe, & j'ai fait des recherches exactes pour m'assûrer de ce point, qui dès-lors détruit tout ce que M. de Garsaut a imaginé sur les causes productives de la maladie dont il s'agit. L'on pourroit encore, quand même on ajoûteroit foi aux allégations de Soleysel, objecter à M. de Garsaut, que dans les pays montagneux le fourrage n'est pas trop nourrissant, que la terre n'y est ni trop humide ni trop grasse, & qu'enfin des poulains nourris au sec & tenus dans des écuries à l'abri du verglas & des tems froids & rigoureux, n'en jettent pas moins ; il ajoûte que des poulains qui jettent se guérissent d'eux-mêmes étant à l'herbe : or comment une nourriture qui produit une maladie, peut-elle en être le remede ? Franchissons le pas, ne faisons point parade de systèmes, eussent-ils le caractere de vraisemblance qui pourroit leur donner du crédit ; il est infiniment plus avantageux aux progrès de notre art de confesser notre ignorance, que de vouloir paroître en possession de tous les mysteres qui nous sont voilés.

Quoi qu'il en soit, la gourme attaque les chevaux depuis l'âge de deux ans jusqu'à l'âge de quatre, & quelquefois de cinq ans. Elle se manifeste par un engorgement, une tuméfaction des glandes maxillaires, sublinguales, & même des parotides, vulgairement nommées avives ; par un écoulement d'une humeur visqueuse, gluante, roussâtre ou blanchâtre, qui flue des naseaux ; souvent aussi par des tumeurs & des abcès sur différentes parties du corps ; & dans tous ces cas, le cheval est triste, dégoûté ; il a la tête basse, les oreilles froides, des frissons ; & il tousse plus ou moins violemment dans les deux premiers.

La gourme se fait donc jour de trois manieres : 1°. par les naseaux ; alors elle prend la route la plus heureuse & la moins difficile ; quelquefois aussi elle s'en ouvre deux, une par les naseaux, & une par les glandes tuméfiées qui s'abcedent, ce qui est encore très à désirer : 2°. par ces mêmes glandes seulement : 3°. par des dépôts, ainsi que nous l'avons dit, qui portent un préjudice considérable aux parties sur lesquelles ils sont survenus, si la suppuration n'a pû se frayer facilement une issue.

La gourme peut arriver à l'âge de sept & même de huit ans ; alors elle est appellée fort improprement fausse gourme. Le cheval fait n'en est en effet attaqué que lorsque dans le tems qu'il étoit poulain, l'évacuation de l'humeur morbifique n'a été que médiocre ; & l'on comprend que c'est la premiere évacuation qui ayant été fort legere, devroit être appellée fausse gourme, & non la derniere. Celle-ci est accompagnée de dyspnée, de fievres, de battemens de flancs ; elle est beaucoup plus rebelle & plus périlleuse ; elle se termine rarement par le flux de l'humeur qui doit découler des naseaux, par les glandes tuméfiées, & elle s'annonce communément par des dépôts suppurés. J'ai vû des chevaux jetter cette prétendue fausse gourme par les oreilles, par les yeux, par les piés, par la queue, par les bourses, &c. & fréquemment ils en périssent, à-moins qu'ils ne soient traités très-méthodiquement, & que la nature ne soit parfaitement secondée. Il est de plus fort à craindre, lorsque le cheval âgé de sept à huit ans est affligé de cette maladie, qu'elle ne dégénere en morve, si l'écoulement a lieu par les naseaux, & si elle est malheureusement négligée.

On doit placer séparément tout cheval qui jette. La gourme se communique non-seulement de poulains à poulains, mais de poulains à de vieux chevaux. On observera cependant que la contagion n'est réelle qu'ensuite d'un contact immédiat, & qu'il importe seulement d'empêcher que le cheval sain ne leche l'humeur qui flue des naseaux du cheval malade ; on doit par conséquent avoir attention de ne point faire boire ce dernier dans les seaux qui servent à abreuver toute l'écurie.

La cure de la gourme qui arrive aux poulains, est des plus simples ; il suffit de maintenir le sang de l'animal dans un état de douceur, par un régime délayant & adoucissant, & de prévenir ou de calmer ce feu ou la sécheresse des visceres du bas-ventre, par des lavemens émolliens. On appliquera encore, & l'on fixera une peau de mouton sous la ganache, après avoir graissé cette partie avec suffisante quantité d'huile de laurier & d'onguent d'althéa ; la chaleur s'oppose à ce que l'humeur ne se coagule dans les glandes ; à-mesure que le mouvement extraordinaire du sang s'appaise ou diminue, elle reprend son cours, & nous évitons les dépôts qui pourroient se former en d'autres lieux. Les onctions en entretenant la souplesse des fibres, concourent à la production des mêmes effets.

Les injections par les naseaux d'une décoction d'orge, dans laquelle on jette une legere quantité de miel commun, en operent de merveilleux, & calment la grande inflammation de la membrane pituitaire.

Quant à ce qui concerne la gourme qui se montre d'une maniere plus formidable, il paroît assez difficile de prescrire une méthode réguliere dans le traitement. Il est très-certain que lorsqu'on apperçoit une inflammation considérable, une gêne totale dans la circulation, gêne qui est annoncée par le battement de flanc, par la difficulté que l'animal a de respirer, le meilleur & l'unique remede est la saignée : bien loin d'empêcher, selon le préjugé ordinaire, le développement & l'évacuation de l'humeur nuisible, elle les facilite, parce qu'ensuite de cette opération, la marche circulaire est plus libre, & que les liqueurs étant moins contraintes dans leurs tuyaux, & le mouvement intestin en étant plus aisé, l'espece de fermentation nécessaire au développement desiré, se fera plus heureusement.

Si l'humeur arrêtée dans les glandes ou dans les autres parties qu'elle tuméfie, ne prend point la voie de la résolution, & s'il y a fluctuation, on pourra ouvrir ou avec le bistouri, ou par le moyen d'un bouton de feu. Quant aux cordiaux, ils doivent être absolument proscrits malgré le grand usage qu'en font les Maréchaux ; ils ne doivent être administrés que dans le cas où la nature est réellement en défaut par la lenteur du mouvement circulaire, par l'épaississement du sang, par la foiblesse des fibres, & par l'absence de la fievre & de toute inflammation. A l'égard des dépôts qui arrivent dans la prétendue fausse gourme en favorisant la suppuration, on ne peut qu'être assûré d'un plein succès ; il est même quelquefois utile d'avoir recours aux purgatifs pour débarrasser entierement la masse ; mais ils ne doivent être employés qu'avec la plus grande circonspection. Voyez au surplus le mot JETTER. (e)


GOURMERGOURMER un Cheval, (Manége.) c’est prendre la gourmette par son extrémité pendante, & la fixer au crochet mobilement assemblé à l’œil du banquet de la branche gauche du mors. L’action de gourmer un cheval demande quelque attention.

Il importe, en premier lieu, que le cavalier qui doit toûjours le gourmer lui-même & ne se rapporter de ce soin à personne, se place de côté & non devant l'animal, afin d'éviter les coups de pié auxquels il seroit exposé, s'il n'usoit de cette précaution.

Il faut, en second lieu, qu'il saisisse avec le pouce & l'index de la main droite, la gourmette par les maillons, en observant que les mailles ne s'embarrassent point mutuellement, & que l'S, quelquefois non exactement fermée supérieurement, ne morde point le banquet & joue librement dans l'oeil. Cette chaîne étant exactement étendue, il passe l'index & le doigt du milieu de la main gauche entre le banquet & la joue du cheval, & il maintient avec ces deux doigts & le pouce, qui agit extérieurement, le crochet dans la position où il doit être pour recevoir le maillon.

Troisiemement, la main droite est saisie de la gourmette, qui est dirigée dans sa descente le long de la branche, de maniere que l'une des extrémités de chaque maille est tournée du côté de cette branche, tandis que l'autre de ces extrémités regarde en-arriere de l'animal, & répond perpendiculairement au pouce du cavalier, dont l'ongle est tourné en-haut : or il est essentiel que cette même main dans le chemin & dans le mouvement qu'elle fait pour accrocher le maillon, se retourne, de façon que l'ongle qui étoit en-dessus se trouve précisément en-dessous, au moment où ce maillon prend au crochet ; parce que dèslors la gourmette ne peut être que sur son plat, attendu que chaque extrémité de chaque maille ne s'apperçoit point extérieurement après qu'elle est placée. La nécessité de la fixer sur sa partie la plus applatie, est fondée sur la douleur qu'éprouveroit l'animal, & sur le peu de justesse & de solidité des points d'appui, si elle portoit sur la barbe par ses faces tortueuses & inégales.

Enfin le maillon qui doit être accroché, est celui qui est assemblé à la derniere maille, & non celui qui le suit, autrement la gourmette n'atteindroit que très-difficilement & par hasard sur le point sensible, elle ne garniroit pas, elle n'embrasseroit pas exactement la barbe, & tous les appuis seroient également falsifiés. Le dernier maillon n'est donc assemblé à l'autre que pour soulager le cheval, lorsque le cavalier le descend ; & qu'au lieu de le dégourmer entierement & de laisser la gourmette suspendue par une seule extrémité, il décroche l'autre, & passe celui-ci dans le crochet. (e)


GOURMETTES. f. (Manege) partie d'autant plus essentielle dans une embouchure, que la perfection de l'appui dépend de la justesse de ses proportions & de ses effets ; c'est une chaîne composée de mailles, de maillons, d'une S, & d'un crochet.

Les maillons sont des chaînons pris de verges de fer rondes, de divers diametres, repliés en , dont les extrémités un peu plus minces que la panse, sont amenées, de maniere qu'elles en outrepassent le milieu, l'une sur un plan, & l'autre sur un plan perpendiculaire au premier, & que chacune d'elles laisse une ouverture en forme d'anneau d'environ cinq ou six lignes de diametre, pour recevoir librement d'autres mailles semblables.

Celle du milieu est ordinairement plus forte & plus nourrie que celles auxquelles elle est assemblée de droite & de gauche ; elle a depuis trois jusqu'à cinq lignes de diametre, selon le cheval pour lequel la gourmette est forgée.

Celles qui suivent ses deux voisines sont plus minces ; car tous ces chaînons décroissent toûjours à mesure qu'ils approchent des maillons, qui ne sont autre chose que de petits anneaux allongés, & quelquefois legerement tordus sur le plan. Toutes ces mailles doivent au surplus être pliées dans le même sens & du même côté, afin qu'il en résulte trois faces, dont l'une n'ayant que de legeres éminences, est en quelque façon applatie ; c'est cette face que l'on nomme le plat de la gourmette, & qui doit porter sur la barbe.

Les maillons sont au nombre de trois. L'un d'eux est assemblé avec la derniere maille d'un côté & une S, qui l'est elle-même par son autre extrémité, mobilement & postérieurement à l'oeil du banquet. Les deux autres, égaux en forme & en grosseur, terminent l'autre côté de la gourmette, & peuvent être pareillement reçus dans un crochet mobilement engagé dans l'oeil du banquet de l'autre branche. Ce crochet n'est proprement qu'une S, non fermée dans sa partie pendante ; la pointe en doit être non-seulement émoussée & arrondie, mais encore rejettée en-dehors par un contour qui commence, & que l'on apperçoit seulement au milieu de la longueur de sa partie relevée. Quant à l'S, quoique le nom qu'on lui conserve paroisse y répugner, l'une & l'autre de ses extremités formant chacune un anneau, doivent être recourbées extérieurement.

Nous dirons encore que cette S & ce crochet sont legerement coudés en contrebas, & sur plat, immédiatement au point de la formation de l'anneau par lequel ils sont assemblés à l'oeil : par ce moyen, ces mêmes anneaux, quand la gourmette est en place, ne déversent ni d'un côté ni d'autre. De plus, le peu de tige qui lui reste doit être nécessairement pliée ; de façon que tous les deux suivent avec exactitude le contour extérieur des parties sur lesquelles ils doivent passer en descendant jusque sur l'arc du banquet.

Quelques personnes ordonnent à l'éperonnier de fixer, par un rivet, à l'extrémité supérieure du crochet, un petit ressort dirigé en contrebas, & courbé de maniere qu'il appuie par son autre extrémité contre la portion relevée de ce même crochet. Cette précaution est excellente, sur-tout eu égard à des chevaux qui battent sans-cesse à la main ; car quels que soient le mouvement & l'action de leur tête, ils ne peuvent se dégourmer, puisque la gourmette ne peut être décrochée qu'autant que le ressort pressé immédiatement avec le doigt, ne s'oppose plus à la sortie du maillon.

La longueur de cette chaîne doit se rapporter aux proportions de la barbe & des portions intérieures de la bouche. Il en est de même de sa grosseur. Si la surface de la partie des mailles qui repose sur la barbe, lorsque la gourmette est placée, est considérable, elle porte sur un plus grand nombre de points sensibles qui, partageant entr'eux l'impression qu'auroit supportés un plus petit nombre de points, en sont chacun moins affectés : ainsi les grosses gourmettes conviennent en général à des chevaux dont la barbe est maigre, élevée & sensible ; & les plus minces à ceux dont cette partie est charnue & garnie de poil. Dans le cas d'une sensibilité & d'une délicatesse excessive, on en émousse & l'on en diminue l'action par le moyen d'un feutre. On appelle de ce nom indifféremment toute bande, soit de cuir, soit d'une étoffe foulée telle que le feutre : on préfere néanmoins la premiere à celle-ci, qui fut d'abord en usage, mais dont l'épaisseur prenoit trop sur la longueur des gourmettes, & mettoit encore la partie sensible trop à l'abri de leurs effets. Cette bande qui d'ailleurs doit être d'une longueur proportionnée, doit être coupée de maniere qu'elle ait dans son milieu environ un pouce & demi de largeur, & qu'elle décroisse toûjours à-mesure qu'elle approche de ses extrémités que l'on arrondit, & auxquelles on pratique une fente destinée au passage de la gourmette, qui y est engagée de maniere qu'étant mise en place, elle porte immédiatement sur le feutre, tandis que le feutre repose immédiatement sur la barbe.

Il n'est pas douteux que cette portion du mors, inconnue dans les siecles reculés, n'y a été adaptée qu'ensuite de l'addition des branches, dont l'inutilité est évidente, si l'on ne fournit au levier qui en résulte un second point d'appui, sans lequel l'embouchure ne peut faire une impression suffisante sur les barres : outre que cette chaîne effectue ce point d'appui, elle exerce une action nécessaire & plus ou moins vive, sur la partie contre laquelle elle est extérieurement appliquée. Voyez EMBOUCHER & MORS.

Rien n'est plus singulier que de voir les écuyers qui nous ont précédés, s'épuiser en recherches sur les moyens de varier les formes des gourmettes, & s'éloigner toûjours davantage de la sorte de construction dont ils auroient pû retirer une utilité réelle. Les unes étoient d'une seule piece, polie avec soin, & à-peu-près contournée comme le fer des caveçons : les autres, que l'on nommoit gourmettes à la ciguette, différoient peu de celles-ci par la figure ; mais le côté qui portoit sur la barbe étoit taillé en dents plus ou moins aiguës, & toûjours capables d'estropier l'animal. Il y en avoit des plates & à charniere ; quelques-unes étoient faites de chaînons repliés quarrément ; plusieurs ne consistoient qu'en une verge de fer formant un anneau, & attachée au sommet du montant de l'embouchure, ainsi que dans le mors à la genette. Voyez GENETTE. Quelquefois on substituoit à cette verge de fer de petites chaînes très-legeres, des cordons de soie ; souvent aussi on employoit des gourmettes de cuir, de chanvre tressé, de sangle doublée. Or qu'annoncent tous ces travaux & tous ces essais, si ce n'est l'ignorance dans laquelle ils étoient du véritable objet qu'ils devoient se proposer, relativement au principal usage de cette piece ou de cette partie ?

Les soins qu'ils se donnoient pour vaincre la difficulté de la fixer sur le lieu où elle doit agir, en offrent une nouvelle preuve. Les uns en lioient les deux maillons aux arcs du banquet ; d'autres attachoient de petites chaînes à la maille du milieu, & arrêtoient ces chaînes aux chaînettes des branches ; quelques-uns avoient recours à une petite fourche de fer dont le manche étoit engagé par vis dans un écrou porté par la sous-gorge, & qui descendant le long de l'auge, appuyoit par ses deux fourchons sur la gourmette. On laisse à juger du mérite de ces expédiens, & je crois qu'il est permis de douter de celui des maîtres à qui l'invention en est dûe. (e)

GOURMETTE, (fausse) Manége ; on appelle de ce nom deux petites longes de cuir, cousues aux arcs du banquet.

L'une d'elles ainsi attachée à celui de la branche droite, est munie d'une boucle bredie à son extrémité, pour cette boucle être enfilée par l'autre longe, qui est fixée de la même maniere au banquet de la branche gauche, & qui dans sa longueur un peu plus considérable que celle de la premiere, est percée de quelques trous propres à recevoir l'ardillon.

Il est encore une autre espece de fausse gourmette composée de quatre bouts de chaînettes, d'une S ou quelquefois d'une petite piece de fer applatie, ronde, ou quarrée, & percée de quatre trous. Ces quatre chaînettes sont engagées par une de leurs extrémités, chacune dans un de ces trous, ou deux d'entr'elles dans chaque anneau résultans de la courbure de la verge de fer ; dont l'S est formée. Leur autre extrémité est fixée par tourets : savoir celle des deux chaînettes les plus longues aux arcs du banquet, & celles des deux chaînettes les plus courtes, au bas des branches, de façon qu'il en résulte une sorte de croix, dont l'S ou la piece de fer occupe le plein ou le milieu.

En serrant par le moyen de la boucle la premiere fausse gourmette au-dessus de la véritable, on maintient les branches du mors en-arriere, & l'on s'oppose à ce que l'animal puisse les saisir avec les dents. La seconde fausse gourmette produit le même effet, par l'impossibilité dans laquelle elle met le cheval d'ouvrir la bouche sans attirer les branches pareillement en-arriere, & sans se les dérober à lui même. Celle-ci est infiniment préférable à l'autre, qui endurcit l'appui & amortit le sentiment ; mais il est très-fâcheux d'être obligé de recourir à de semblables expédiens, dont, à la vérité, nul homme de cheval ne fait usage.

La défense dont il s'agit est desagréable, & peut même devenir dangereuse, sur-tout si au moment où l'animal s'y livre, le cavalier a l'imprudence de le châtier ; car ce seroit exciter & instruire l'animal à fuir, dans l'instant où l'on est dans l'impuissance de le maîtriser ; mais on peut espérer de réprimer ce vice & de lui faire perdre cette habitude, ou en le montant pendant quelque tems avec un bridon anglois seulement, ou en profitant du bridon à la royale pour le desarmer quand la branche est prise, ou enfin en saisissant avec tant de précision le tems où il la veut prendre, qu'on la lui soustraye par un leger mouvement de main, ce qui demande autant de patience que de subtilité. (e)

GOURMETTE, (Marine) c'est la garde que les marchands mettent sur un bateau ou sur une allege, pour prendre garde aux marchandises & en avoir soin.

Les Provençaux donnent le nom de gourmette à un valet ou garçon, qu'on employe dans le navire à toute sorte de travail. Ses fonctions sont particulierement de nettoyer le vaisseau & de servir l'équipage. (Z)


GOURNABLERGOURNABLER un Vaisseau, (Marine.) c’est y mettre les chevilles de bois qui entrent dans sa construction. Ce mot n’est guere d’usage. (Z)


GOURNABLESS. f. (Marine) ce sont de grandes chevilles de bois, qu'on employe quelquefois au lieu de chevilles de fer, principalement pour joindre les bordages avec les membres : elles ont l'avantage sur les chevilles de fer de ne point se rouiller ; mais il faut qu'elles soient d'un bois de chêne très-fort, très-liant, point gras, sans quoi elles romproient & pourriroient bien-tôt. On a soin aussi qu'elles soient fort seches, pour qu'elles remplissent bien leur trou lorsque l'humidité les fait renfler. On leur donne à-peu-près un pouce de grosseur par cent piés de la longueur du vaisseau : ainsi les gournables pour un vaisseau de cent piés de longueur, ont un pouce ; pour un vaisseau de 150 piés, un pouce & demi d'équarrissage, &c. (Z)


GOURNALS. m. voyez ROUGET.


GOURNAYGornaeum, (Géogr.) ville de France en Normandie, au pays de Bray. Elle est sur l'Epte, à 6 lieues de Beauvais, 10 de Rouen, 21 N. O. de Paris. Long. 18. 8. lat. 49. 25.

Guédier de Saint-Aubin, (Henri Michel) docteur de Sorbonne, naquit dans cette ville, & mourut en Sorbonne en 1742 à 47 ans. On a de lui un ouvrage pieux intitulé, histoire sainte des deux alliances, imprimé à Paris en 1741, en 7 vol. in-12. (D.J.)


GOUSSANTadj. pris substant. (Manége) terme employé parmi nous pour désigner d'un seul mot un cheval court de reins, dont l'encolure est bien fournie, & dont les membres & la conformation annoncent la force. (e)

GOUSSANT ou GOUSSAUT, c'est en Fauconnerie un oiseau qui est fort peu allongé, qui est trop lourd & peu estimé pour la volerie.


GOUSSES. f. (Jardinage) est une petite bourse contenant des graines. On dit aussi une gousse d'ail, pour une partie de son oignon.

* GOUSSE, (Architecture) ornement de chapiteau ionique, ainsi appellé de leur forme qui les fait ressembler à des cosses de feves. Il y en a trois à chaque volute ; elles sortent d'une même tige.


GOUSSETS. m. (Gramm.) ce mot a plusieurs acceptions. Il se dit de la piece de toile en losange dont on garnit l'endroit d'une chemise qui correspond à l'aisselle : de la partie de l'armure d'un chevalier, qui a une branche ouverte & plus courte que l'autre, qui est fait en équerre, & qui habille aussi le haut du bras à l'articulation : d'une petite poche pratiquée à nos culottes, où l'on serre sa montre ou quelques autres meubles précieux : de la barre du gouvernail : voyez la Planche IV. fig. n°. 177. & l'art. GOUVERNAIL : d'une espece de lieu qui se place dans les enrênures d'un entrain à un autre, ou d'un morceau de planche en équerre, chantourné par-devant, que l'on fixe de champ à un mur ou dans un autre endroit, pour soûtenir une planche, une tablette : d'une espece de siége ménagé à la portiere d'un carrosse pour un sur-numéraire ; & d'une piece en forme de pupitre, tirée de l'angle dextre ou senestre du chef, descendant diagonalement sur le point du milieu de l'écu d'une autre piece semblable, & tombant perpendiculairement sur la base. V. nos planches de Blason. Le gousset est une flétrissure ; il marque, à ce que disent les écrivains de l'art héraldique, la sévérité, &c.


GOÛTS. m. (Physiolog) en grec, , en latin, gustus ; c'est ce sens admirable par lequel on discerne les saveurs, & dont la langue est le principal organe.

Du goût en général. Le goût examiné superficiellement paroît être une sensation particuliere à la bouche, & différente de la faim & de la soif ; mais allez à la source, & vous verrez que cet organe qui dans la bouche me fait goûter un mets, est le même qui dans cette même bouche, dans l'oesophage & dans l'estomac, me sollicite pour les alimens, & me les fait desirer. Ces trois parties ne sont proprement qu'une organe continu, & ils n'ont qu'un seul & même objet : si la bouche nous donne de l'aversion pour un ragoût, le gosier ne se resserre-t-il pas à l'approche d'un mêts qui lui déplaît ? L'estomac ne rejette-t-il pas ceux qui lui répugnent ? La faim, la soif, & le goût sont donc trois effets du même organe ; la faim & la soif sont des mouvemens de l'organe desirant son objet ; le goût est le mouvement de l'organe de cet objet : bien entendu que l'ame unie à l'organe, est seule le vrai sujet de la sensation.

Cette unité d'organe pour la faim, la soif & le goût, fait que ces trois effets sont presque toûjours au même degré dans les mêmes hommes : plus ce desir du manger est violent, plus la joüissance de ce plaisir est délicieuse : plus le goût est flatté, & plus aussi les organes font aisément les frais de cette joüissance, qui est la digestion, parce que tous ces plus que je suppose dans les bornes de l'état de santé, viennent d'un organe plus sain, plus parfait, plus robuste.

Cette regle est générale pour toutes les sensations, pour toutes les passions : les vrais desirs font la mesure du plaisir & de la puissance, parce que la puissance elle-même est la cause & la mesure du plaisir, & celui-ci celle du desir ; plus l'estomac est vorace, plus l'on a de plaisir à manger, & plus on le desire. Sans cet accord réciproque fondé sur le méchanisme de l'organe, les sensations détruiroient l'homme pour le bien duquel elles sont faites ; un gourmand avec un estomac foible seroit tué par des indigestions ; quelqu'un qui auroit un estomac vorace, & qui seroit sans appétit, sans goût, s'il étoit possible, périroit & par les tourmens de sa voracité, & par le défaut d'alimens que son dégoût refuseroit à sa puissance.

Cependant combien n'arrive-t-il pas que le desir surcharge la puissance, sur-tout chez les hommes ? C'est qu'ils suivent moins les simples mouvemens de leurs organes, de leurs puissances, que ne font les animaux ; c'est qu'ils s'en rapportent plus à leur vive imagination augmentée encore par des artifices, & que par-là ils troublent cet ordre établi dans la nature par son auteur : qu'ils cessent donc de faire le procès à des sens, à des passions auxquelles ils ne doivent que de la reconnoissance : qu'ils s'en prennent de leurs défauts à une imagination déréglée, & à une raison qui n'a pas la force d'y mettre un frein.

Le goût en général est le mouvement d'un organe qui joüit de son objet, & qui en sent toute la bonté ; c'est pourquoi le goût est de toutes les sensations : on a du goût pour la Musique & pour la Peinture, comme pour les ragoûts, quand l'organe de ces sensations savoure, pour ainsi dire, ces objets.

Quoique le goût proprement pris soit commun à la bouche, à l'oesophage & à l'estomac, & qu'il y ait entre ces trois organes une sympathie telle, que ce qui déplaît à l'un, répugne ordinairement à tous, & qu'ils se liguent pour le rejetter ; cependant il faut avoüer que la bouche possede cette sensation à un degré supérieur ; elle a plus de finesse, plus de délicatesse que les deux autres : un amer qui répugne à la bouche jusqu'à exciter le vomissement, ne sera pour l'estomac qu'un aiguillon modéré qui en réveillera les fonctions.

Il étoit bien naturel que la bouche qui devoit goûter la premiere les alimens, & qui par-là devenoit le gourmet, l'échanson des deux autres, s'y connût un peu mieux que ces derniers. Ce sens délicat est, comme on vient de voir, le plus essentiel de tous après le toucher ; je dirois plus essentiel que le toucher, si le goût lui-même n'étoit une espece de toucher plus fin, plus subtil ; aussi l'objet du goût n'est pas le corps solide qui est celui de la sensation du toucher, mais ce sont les sucs, ou les liqueurs dont ces corps sont imbus, ou qui en ont été extraits, & qu'on appelle corps savoureux ou saveurs. V. SAVEUR.

L'organe principal sur lequel les saveurs agissent, est la langue. Bellini est le premier qui nous en a donné une exacte description, à laquelle on ne peut reprocher qu'une diction obscure & entortillée. Ce célebre medecin qui a joint à l'étude du corps humain, la connoissance de la Physique géométrique, fait remarquer qu'il y a trois especes d'éminences sur la langue ; on voit d'abord de petites pyramides, ou plutôt des poils assez gros vers la base, & qui sont en forme de cone dans les boeufs : on trouve ensuite de petits champignons qui ont un col assez étroit, & qu'on ne sauroit mieux comparer qu'aux extrémités des cornes des limaçons ; enfin il y a des mamelons applatis percés de trous.

Les petits cones qui se trouvent dans les boeufs, ou les petits poils qu'on voit dans l'homme, ne paroissent pas être l'organe du goût ; il est plus vraisemblable qu'ils ne servent qu'à rendre la langue pour ainsi dire hérissée, afin que les alimens puissent s'y attacher, & que par un tour de langue on puisse nettoyer le palais : ces cones qui rendent la langue rude, étoient sur-tout nécessaires aux animaux qui paissent, car les herbes peuvent s'y attacher.

Les champignons qui avoient été décrits par Stenon, lequel avoit remarqué assez exactement leur forme, & la place qu'ils occupent sur la langue, paroissent être des glandes ; car, comme l'a remarqué ce même auteur, il en transsude une liqueur quand on les presse ; on ne doit donc pas s'imaginer qu'ils soient l'organe du goût.

Il y a plus d'apparence que c'est dans cette espece de cellules percées de trous que se trouve l'organe qui nous avertit de la qualité des alimens, & qui en reçoit des impressions agréables ou desagréables ; car c'est dans la cavité de ces cellules que se trouvent les extrémités des nerfs, & la langue n'est sensible que dans les endroits où se trouvent les mamelons criblés.

Il y a plusieurs raisons qui nous prouvent que ce sont ces mamelons percés qui sont l'organe du goût ; les poils ou les petites pyramides ne sont pas assez sensibles pour nous faire d'abord appercevoir les moindres impressions des objets ; en effet l'expérience nous fait voir que, si dans les endroits où il n'y a pas de mamelons percés on met un grain de sel, on ne sent aucune impression : mais si l'on met ce grain de sel sur la pointe de la langue, où il y a beaucoup de mamelons percés, il y excitera d'abord une sensation vive.

La structure des mamelons nerveux qui font ici l'organe de la sensation, est un peu différente de celle des mamelons de la peau, & cela proportionnellement à la disparité de leurs objets. Les mamelons de la peau organes du toucher sont petits, leur substance est compacte, fine, recouverte d'une membrane assez polie, & d'un tissu serré ; les mamelons de l'organe du goût sont beaucoup plus gros, plus poreux, plus ouverts ; ils sont abreuvés de beaucoup de lymphe, & recouverts d'une peau ou enchâssés dans des gaînes très-inégales, & aussi très-poreuses.

Par cette structure les matieres savoureuses sont arrêtées dans ces aspérités, délayées, fondues par cette lymphe abondante, spiritueuse, absorbées par ces pores qui les conduisent à l'aide de cette lymphe, jusque dans les papilles nerveuses sur lesquelles ils impriment leur aiguillon.

Ces mamelons, organes du goût, non-seulement sont en grand nombre sur la langue, mais encore sont répandus çà & là dans la bouche ; l'Anatomie découvre ces mamelons dispersés dans le palais, dans l'intérieur des joues, dans le fond de la bouche, & les observations confirment leur usage. M. de Jussieu rapporte dans les mémoires de l'Académie, l'histoire d'une fille née sans langue, qui ne laissoit pas d'avoir du goût : un chirurgien de Saumur a vû un garçon de huit à neuf ans, qui dans une petite vérole avoit perdu totalement la langue par la gangrene, & cependant il distinguoit fort bien toutes sortes de goûts. On peut s'assûrer par soi-même que le palais sert au goût, en y appliquant quelque corps savoureux : car on ne manquera pas d'en distinguer la saveur, à-mesure que les parties du corps savoureux seront assez développées pour y faire quelque impression.

Il faut avoüer cependant que la langue est le grand, le principal organe de cette sensation : sa substance est faite de fibres charnues, au moyen desquelles elle prend diverses figures ; ces fibres sont environnées, & écartées par un tissu moëlleux qui rend le composé plus souple. Une partie de ces fibres charnues s'allonge hors de la langue, s'attache aux environs, & forme les muscles extérieurs qui portent le corps de cet organe de toutes parts ; ce corps fibreux & médullaire est enfermé dans une espece de gaîne ou de membrane très-forte.

Le nerf de la neuvieme paire, suivant Boerhaave, (Willis dit celui de la cinquieme paire) après s'être ramifié dans les fibres de la langue, se termine à sa surface. Les ramifications de ce nerf dépouillées de leur premiere tunique, forment les mamelons dont nous avons parlé ; leur dépouille fortifie l'enveloppe de la langue, & contribue aussi à la sensation.

Les divers mouvemens dont la substance de la langue est capable, excitent la secrétion de la lymphe qui abreuve les mamelons, ouvrent les pores qui y conduisent, déterminent les sucs savoureux à s'y introduire.

Tel est l'organe du goût. Cette sensation existera plus ou moins dans toutes les parties de la bouche, suivant qu'il s'y trouvera des mamelons goûtans, plus ou moins dispersés. Philoxene, ce fameux gourmand de l'antiquité, contemporain de Denys le tyran, qui ne faisoit servir sur la table que des mets extrêmement chauds, & qui souhaitoit d'avoir le col long comme une grue, pour pouvoir goûter les vins ; Philoxene, dis-je, avoit sans doute dans la tunique interne de l'oesophage les mamelons du goût plus fins qu'ailleurs ; mais son exemple, ni celui de quelques autres personnes, ne détruit point la vérité établie ci-dessus, qu'il faut placer l'organe véritable & immédiat du goût dans les mamelons de la langue que nous avons décrits ; parce qu'ils sont vraiment capables de cette sensation ; parce que là où ils n'existent pas, il n'y a point de goût proprement dit, mais seulement un attouchement ; parce que le goût est plus fin où ces mamelons sont en plus grande quantité, savoir au bout de la langue ; parce que quand ces mamelons sont affectés, enlevés, brûlés, le goût se perd, & qu'il se retablit à-mesure qu'ils se regenerent.

On pourra comprendre encore mieux la sensation du goût, si l'on réunit sous un point les diverses choses qui y concourent, & si l'on se donne la peine de considérer ; 1°. que le tapis de la bouche est non-seulement délicat, mais poreux pour s'imbiber facilement du suc savoureux des alimens ; 2°. que ce tapis est criblé d'ouvertures par lesquelles la bouche est sans cesse abreuvée de salive, humeur préparée dans diverses glandes, avec une subtilité & une ténuité capable de dissoudre les alimens, de maniere qu'étant mêlés avec ce dissolvant, ils descendent dans le ventricule où la dissolution s'acheve ; 3°. que cette humeur dissolvante ayant la vertu de fondre, s'il faut ainsi dire, les alimens, en détache les sels dans lesquels consiste la saveur, qui n'est point sensible avant cette dissolution, ces sels y étant enveloppés avec les parties terrestres & insipides ; 4°. que les mamelons nerveux qui sont les organes du goût ont une délicatesse particuliere, tant par la nature, qu'à cause qu'étant enfermés dans la bouche & dans les lieux à couvert, ils ne sont point exposés aux injures de l'air qui les dessecheroit, & leur feroit perdre cette délicatesse de sensation, qu'une chaleur égale, modérée, l'humidité & la transpiration du dedans de la bouche y entretiennent, les rendant par ce moyen pénétrables aux sucs savoureux des alimens ; 5°. enfin que le mouvement de la langue qui est si fréquent, si promt, si facile, sert à remuer, & retourner de tous sens les alimens pour les faire appliquer aux différentes parties du dedans de la bouche dans lesquels le sentiment du goût réside.

L'objet du goût est toute matiere du regne végétal, animal, minéral, mêlée ou séparée, dont on tire par art le sel & l'huile, & conséquemment toute matiere saline, savonneuse, huileuse, spiritueuse.

Voici donc comment se fait le goût. La matiere qui en est l'objet, atténuée, & le plus souvent dissoute dans la salive, échauffée dans la bouche, appliquée à la langue par les mouvemens de la bouche, s'insinue entre les pores des gaînes membraneuses ; & de-là pénétrant à la surface des papilles qui y sont cachées, les affecte, & y produit un mouvement nouveau, lequel se propageant au sensorium commune, fait naître la sensation des diverses saveurs.

J'ai dit que la matiere qui est l'objet du goût, doit être atténuée, parce que pour bien goûter les corps sapides, il ne faut pas les tenir tranquilles sur la langue, mais les remuer pour mieux les diviser ; il faut que les sels soient fondus pour être goûtés : la langue ne goûte que ce qui est assez fin pour enfiler les pores des mamelons nerveux.

J'ai ajoûté que cette matiere, objet du goût, doit être échauffée dans la bouche, parce que quand la langue est extrêmement refroidie, ce qui est rare, & que les corps qu'on lui présente sont très-froids, le goût ne se fait point. L'eau changée en glace n'a pas de goût ; le froid ôte le piquant de l'eau-de-vie, & de toutes les liqueurs spiritueuses.

Explications de plusieurs phénomenes du goût. Comme le goût ne dépend que de l'action des sels & d'autres matieres acres sur les nerfs, on peut demander pourquoi nous ne pouvons pas connoître le goût de ces mêmes sels dans les autres parties du corps ? Mais il est évident que dès-que les nerfs seront différemment arrangés dans quelque partie, les impressions qu'ils recevront seront différentes : or dans le corps humain il n'y a nulle partie où les nerfs soient disposés comme dans la langue, il faut donc de toute nécessité que les parties des sels y agissent diversement.

Par quelle raison le même objet excite-t-il souvent des goûts si différens selon l'âge, le tempérament, les maladies, le sexe, l'habitude, & les choses qu'on a goûtées auparavant ? C'est une question qui se trouve vérifiée dans toute son étendue, & dont la solution dépend de la texture, disposition & obstruction des mamelons nerveux.

Le même objet excite des goûts différens selon les âges ; le vin du Rhin si agréable aux adultes, irrite les jeunes enfans à cause de la délicatesse de leurs nerfs. Le sucre & les friandises qui plaisent à ceux-ci, sont trop fades pour les autres qui aiment le salé, l'acre, le spiritueux, les ragoûts forts & assaisonnés. Toutes ces variétés viennent de celles des nerfs plus sensibles dans le jeune âge, plus calleux & difficiles à émouvoir dans l'adulte.

Le même objet excite encore des goûts différens selon le sexe, les maladies, le tempérament & les choses qu'on a goûtées auparavant. En effet les filles qui ont les pâles couleurs, n'aiment que les choses acres, acides, capables d'atténuer le mucus de l'estomac. Tout paroît amer dans la jaunisse ; les leucophlegmatiques ne peuvent supporter le goût du sucre de Saturne, les filles hystériques celui des sucreries ; quand la bile ou la putridité domine, on a de l'horreur pour les choses alkalescentes, on appete les acides. Après les sels muriatiques, les vins acides plaisent, & non après le miel, ni le sucre, &c. Quelque reste des goûts précédens restent nichés dans les pores des petites gaînes nerveuses jusqu'à-ce qu'ils en sortent, ou pour se mêler avec les nouvelles matieres sapides, ou pour les empêcher d'affecter les nerfs.

Enfin les mêmes objets excitent des goûts, des sensations différentes suivant l'habitude, parce qu'on apprend à goûter, parce qu'il n'y a que les choses inusitées dont on est frappé. Ce n'est qu'à la longue qu'on voit dans les ténebres. Cet aveugle à qui Cheselden abattit la cataracte eut un grand plaisir à voir les couleurs rouges. Boyle fait mention d'un homme à qui la subite impression de la lumiere fit sentir un doux prurit, une volupté par-tout le corps presque semblable à celle du plaisir des femmes ; mais par un malheur inévitable cette sensibilité ne dura pas.

Pourquoi les nerfs nuds & la langue excoriée sont-ils si sensibles à l'impression des corps qui ont le plus de goût, tels que les sels, les aromates, les esprits ? Malpighi parle d'un homme qui avoit l'enveloppe externe de la langue si fine, que tout ce qu'il mangeoit lui causoit de la douleur, excepté le lait, le bouillon, & l'eau qu'il avaloit sans peine. Il est nécessaire qu'il y ait quelque mucus & des gaînes entre les nerfs sensitifs, & les corps sapides pour tempérer le goût, sans quoi il ne peut se faire ; la même chose arrive si l'enveloppe des nerfs est trop seche, dure & calleuse. Toutes les sensations que nous éprouvons ne different que par le plus ou le moins ; ainsi le plaisir n'est que le commencement de la douleur. Un chatouillement doux est voluptueux, parce qu'il ne cause qu'un mouvement leger dans les nerfs ; il est douloureux s'il augmente, parce qu'il irrite les fibres nerveuses ; enfin il peut les déchirer, causer des convulsions & la mort. On voit par-là que les matieres qui ont un goût fort vif, pourront faire sur la langue non-seulement des impressions très-sensibles, mais très-douloureuses.

Pourquoi les choses qui ont du goût fortifient-elles promtement ? Quand nous sommes dans la langueur, il y a des matieres dont le goût agréable & vif nous redonne d'abord des forces. Cela vient de ce que leurs parties agitent les nerfs, & y font couler le suc nerveux ; mais il ne faut pas croire que cette agitation seule qui arrive aux nerfs de la langue, puisse produire un tel effet : les parties subtiles dont nous parlons, s'insinuent d'abord dans les vaisseaux, les agitent par leur action, se portent au cerveau où ils ébranlent le principe des nerfs ; tout cela fait couler dans notre machine le suc nerveux qui étoit presque sans mouvement.

Mais qu'est-ce qui donne tant de goût & de force à ces corps qui fortifient si promtement ? Presque rien, l'esprit recteur des Chimistes. Sendivogius dit que ce liquide subtil & restaurant, à qui les chimistes ont donné le nom d'esprit recteur, fait 1/8200 de tout le corps aromatique : d'une livre entiere de canelle on tire à peine 60 gouttes d'huile éthérée ; c'est une de ces gouttes d'huile qui passant par des veines très-déliées dans le sang ; y arrive avec toute sa vertu dont le corps se trouve tout-à-coup animé.

D'où vient que l'eau, les huiles douces, la terre sont insipides ? Parce que ce qui est plus foible que ce qui arrose continuellement les organes de nos sens ne peut les frapper. Nous n'appercevons le battement du coeur & des arteres que lorsqu'il est excessif. L'eau pure est moins salée que la salive, le moyen qu'on la goûte ! Si elle a du goût, dès-lors elle est mauvaise. La terre & l'huile sont composées de parties trop grossieres pour pouvoir traverser les pores qui menent aux nerfs du goût.

D'où procede la liaison particuliere qui regne entre le goût & l'odorat, liaison plus grande qu'entre le goût & les autres sens ? Car, quoique la vûe & l'oüie produisent sur les organes du goût des effets semblables à ceux que cause l'odorat, comme d'exciter l'appétit ou de procurer le vomissement quand on voit ou qu'on entend nommer des choses dont le goût plaît, ou déplaît assez pour révolter, il est néanmoins certain que l'odorat agit plus puissamment. On en trouve la raison dans le rapport immédiat & prochain que les odeurs & les saveurs ont ensemble ; elles consistent toutes deux dans les esprits développés des matieres odorantes & savoureuses ; outre que la membrane qui tapisse le nez organe de l'odorat, est une continuation de la même membrane qui tapisse la bouche, le gosier, l'oesophage & l'estomac organes du goût en général. C'est en vertu des mêmes causes qu'on savoure d'avance avec volupté le café par son odeur aromatique, & qu'on est révolté contre quelque mets, ou contre une medecine dont l'odeur est desagréable. Voyez ODORAT.

Ajoûtez que l'imagination exerce ici comme ailleurs son souverain empire. L'ame se rappellant les mauvaises qualités d'un aliment puant, les nausées & les tristes effets d'un purgatif, s'en renouvelle l'idée à l'odeur ; & cette idée trouble en un moment les organes du goût, de la déglutition & de la digestion. Aussi voit-on que les personnes dont l'imagination est fort vive, sont les plus sujettes à cet ébranlement de la machine, qui fait que l'odeur, la vûe même, ou l'oüie des choses très-agréables ou desagréables au goût, suffisent pour affecter ces personnes délicates, dont le genre nerveux s'émeut facilement.

Voilà les principales questions qu'on fait sur le goût ; on peut résoudre assez bien toutes les autres par les mêmes principes. Il seroit trop long d'entrer dans de plus grands détails ; d'ailleurs le lecteur peut s'instruire à fond dans les ouvrages des Physiciens qui ont approfondi ce sujet ; Bellini, Malpighi, Ruysch, Boerhaave, & M. le Cat. (D.J.)

GOUT, (Gramm. Littérat. & Philos.) On a vû dans l'article précédent en quoi consiste le goût au physique. Ce sens, ce don de discerner nos alimens, a produit dans toutes les langues connues, la métaphore qui exprime par le mot goût, le sentiment des beautés & des défauts dans tous les arts : c'est un discernement promt comme celui de la langue & du palais, & qui prévient comme lui la réflexion ; il est comme lui sensible & voluptueux à l'égard du bon ; il rejette comme lui le mauvais avec soulevement ; il est souvent, comme lui, incertain & égaré, ignorant même si ce qu'on lui présente doit lui plaire, & ayant quelquefois besoin comme lui d'habitude pour se former.

Il ne suffit pas pour le goût, de voir, de connoître la beauté d'un ouvrage ; il faut la sentir, en être touché. Il ne suffit pas de sentir, d'être touché d'une maniere confuse, il faut démêler les différentes nuances ; rien ne doit échapper à la promtitude du discernement ; & c'est encore une ressemblance de ce goût intellectuel, de ce goût des Arts, avec le goût sensuel : car si le gourmet sent & reconnoît promtement le mélange de deux liqueurs, l'homme de goût, le connoisseur, verra d'un coup-d'oeil promt le mélange de deux styles ; il verra un défaut à côté d'un agrément ; il sera saisi d'enthousiasme à ce vers des Horaces : Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ? qu'il mourût. Il sentira un dégoût involontaire au vers suivant : Ou qu'un beau desespoir alors le secourût.

Comme le mauvais goût au physique consiste à n'être flatté que par des assaisonnemens trop piquans & trop recherchés, aussi le mauvais goût dans les Arts est de ne se plaire qu'aux ornemens étudiés, & de ne pas sentir la belle nature.

Le goût dépravé dans les alimens, est de choisir ceux qui dégoûtent les autres hommes ; c'est une espece de maladie. Le goût dépravé dans les Arts est de se plaire à des sujets qui révoltent les esprits bien faits ; de préférer le burlesque au noble, le précieux & l'affecté au beau simple & naturel : c'est une maladie de l'esprit. On se forme le goût des Arts beaucoup plus que le goût sensuel ; car dans le goût physique, quoiqu'on finisse quelquefois par aimer les choses pour lesquelles on avoit d'abord de la répugnance, cependant la nature n'a pas voulu que les hommes en général apprissent à sentir ce qui leur est nécessaire ; mais le goût intellectuel demande plus de tems pour se former. Un jeune homme sensible, mais sans aucune connoissance, ne distingue point d'abord les parties d'un grand choeur de Musique ; ses yeux ne distinguent point d'abord dans un tableau, les dégradations, le clair obscur, la perspective, l'accord des couleurs, la correction du dessein : mais peu-à-peu ses oreilles apprennent à entendre, & ses yeux à voir ; il sera ému à la premiere représentation qu'il verra d'une belle tragédie ; mais il n'y démêlera ni le mérite des unités, ni cet art délicat par lequel aucun personnage n'entre ni ne sort sans raison, ni cet art encore plus grand qui concentre des intérêts divers dans un seul, ni enfin les autres difficultés surmontées. Ce n'est qu'avec de l'habitude & des réflexions qu'il parvient à sentir tout-d'un-coup avec plaisir ce qu'il ne démêloit pas auparavant. Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avoit pas, parce qu'on y prend peu-à-peu l'esprit des bons artistes : on s'accoûtume à voir des tableaux avec les yeux de Lebrun, du Poussin, de le Sueur ; on entend la déclamation notée des scenes de Quinaut avec l'oreille de Lulli ; & les airs, les symphonies, avec celle de Rameau. On lit les livres avec l'esprit des bons auteurs.

Si toute une nation s'est réunie dans les premiers tems de la culture des Beaux-Arts, à aimer des auteurs pleins de défauts, & méprisés avec le tems, c'est que ces auteurs avoient des beautés naturelles que tout le monde sentoit, & qu'on n'étoit pas encore à portée de démêler leurs imperfections : ainsi Lucilius fut chéri des Romains, avant qu'Horace l'eût fait oublier ; Regnier fut goûté des François avant que Boileau parût : & si des auteurs anciens qui bronchent à chaque page, ont pourtant conservé leur grande réputation, c'est qu'il ne s'est point trouvé d'écrivain pur & châtié chez ces nations, qui leur ait dessillé les yeux, comme il s'est trouvé un Horace chez les Romains, un Boileau chez les François.

On dit qu'il ne faut point disputer des goûts, & on a raison quand il n'est question que du goût sensuel, de la répugnance que l'on a pour une certaine nourriture, de la préférence qu'on donne à une autre ; on n'en dispute point, parce qu'on ne peut corriger un défaut d'organes. Il n'en est pas de même dans les Arts ; comme ils ont des beautés réelles, il y a un bon goût qui les discerne, & un mauvais goût qui les ignore ; & on corrige souvent le défaut d'esprit qui donne un goût de travers. Il y a aussi des ames froides, des esprits faux, qu'on ne peut ni échauffer ni redresser ; c'est avec eux qu'il ne faut point disputer des goûts, parce qu'ils n'en ont aucun.

Le goût est arbitraire dans plusieurs choses, comme dans les étoffes, dans les parures, dans les équipages, dans ce qui n'est pas au rang des Beaux-Arts : alors il mérite plutôt le nom de fantaisie. C'est la fantaisie, plutôt que le goût, qui produit tant de modes nouvelles.

Le goût peut se gâter chez une nation ; ce malheur arrive d'ordinaire après les siecles de perfection. Les artistes craignant d'être imitateurs, cherchent des routes écartées ; ils s'éloignent de la belle nature que leurs prédécesseurs ont saisie : il y a du mérite dans leurs efforts ; ce mérite couvre leurs défauts, le public amoureux des nouveautés, court après eux ; il s'en dégoûte bien-tôt, & il en paroît d'autres qui font de nouveaux efforts pour plaire ; ils s'éloignent de la nature encore plus que les premiers : le goût se perd, on est entouré de nouveautés qui sont rapidement effacées les unes par les autres ; le public ne sait plus où il en est, & il regrette en vain le siecle du bon goût qui ne peut plus revenir ; c'est un dépôt que quelques bons esprits conservent alors loin de la foule.

Il est de vastes pays où le goût n'est jamais parvenu ; ce sont ceux où la société ne s'est point perfectionnée, où les hommes & les femmes ne se rassemblent point, où certains arts, comme la Sculpture, la Peinture des êtres animés, sont défendus par la religion. Quand il y a peu de société, l'esprit est retréci, sa pointe s'émousse, il n'a pas dequoi se former le goût. Quand plusieurs Beaux-Arts manquent, les autres ont rarement dequoi se soûtenir, parce que tous se tiennent par la main, & dépendent les uns des autres. C'est une des raisons pourquoi les Asiatiques n'ont jamais eu d'ouvrages bien faits presque en aucun genre, & que le goût n'a été le partage que de quelques peuples de l'Europe. Article de M. DE VOLTAIRE.

Nous joindrons à cet excellent article, le fragment sur le goût, que M. le président de Montesquieu destinoit à l'Encyclopédie, comme nous l'avons dit à la fin de son éloge, tome V. de cet Ouvrage ; ce fragment a été trouvé imparfait dans ses papiers : l'auteur n'a pas eu le tems d'y mettre la derniere main ; mais les premieres pensées des grands maîtres méritent d'être conservées à la postérité, comme les esquisses des grands peintres.

Essai sur le goût dans les choses de la nature & de l'art. Dans notre maniere d'être actuelle, notre ame goûte trois sortes de plaisirs, il y en a qu'elle tire du fond de son existence même, d'autres qui résultent de son union avec le corps, d'autres enfin qui sont fondés sur les plis & les préjugés que de certaines institutions, de certains usages, de certaines habitudes lui ont fait prendre.

Ce sont ces différens plaisirs de notre ame qui forment les objets du goût, comme le beau, le bon, l'agréable, le naïf, le délicat, le tendre, le gracieux, le je ne sais quoi, le noble, le grand, le sublime, le majestueux, &c. Par exemple, lorsque nous trouvons du plaisir à voir une chose avec une utilité pour nous, nous disons qu'elle est bonne ; lorsque nous trouvons du plaisir à la voir, sans que nous y démêlions une utilité présente, nous l'appellons belle.

Les anciens n'avoient pas bien démêlé ceci ; ils regardoient comme des qualités positives toutes les qualités relatives de notre ame ; ce qui fait que ces dialogues où Platon fait raisonner Socrate, ces dialogues si admirés des anciens, sont aujourd'hui insoûtenables, parce qu'ils sont fondés sur une philosophie fausse : car tous ces raisonnemens tirés sur le bon, le beau, le parfait, le sage, le fou, le dur, le mou, le sec, l'humide, traités comme des choses positives, ne signifient plus rien.

Les sources du beau, du bon, de l'agréable, &c. sont donc dans nous-mêmes ; & en chercher les raisons, c'est chercher les causes des plaisirs de notre ame.

Examinons donc notre ame, étudions-la dans ses actions & dans ses passions, cherchons-la dans ses plaisirs ; c'est-là où elle se manifeste davantage. La Poésie, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, la Musique, la Danse, les différentes sortes de jeux, enfin les ouvrages de la nature & de l'art, peuvent lui donner du plaisir : voyons pourquoi, comment & quand ils les lui donnent ; rendons raison de nos sentimens ; cela pourra contribuer à nous former le goût, qui n'est autre chose que l'avantage de découvrir avec finesse & avec promtitude la mesure du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes.

Des plaisirs de notre ame. L'ame, indépendamment des plaisirs qui lui viennent des sens, en a qu'elle auroit indépendamment d'eux & qui lui sont propres ; tels sont ceux que lui donnent la curiosité, les idées de sa grandeur, de ses perfections, l'idée de son existence opposée au sentiment de la nuit, le plaisir d'embrasser tout d'une idée générale, celui de voir un grand nombre de choses, &c. celui de comparer, de joindre & de séparer les idées. Ces plaisirs sont dans la nature de l'ame, indépendamment des sens, parce qu'ils appartiennent à tout être qui pense ; & il est fort indifférent d'examiner ici si notre ame a ces plaisirs comme substance unie avec le corps, ou comme séparée du corps, parce qu'elle les a toûjours & qu'ils sont les objets du goût : ainsi nous ne distinguerons point ici les plaisirs qui viennent à l'ame de sa nature, d'avec ceux qui lui viennent de son union avec le corps ; nous appellerons tout cela plaisirs naturels, que nous distinguerons des plaisirs acquis que l'ame se fait par de certaines liaisons avec les plaisirs naturels ; & de la même maniere & par la même raison, nous distinguerons le goût naturel & le goût acquis.

Il est bon de connoître la source des plaisirs dont le goût est la mesure : la connoissance des plaisirs naturels & acquis pourra nous servir à rectifier notre goût naturel & notre goût acquis. Il faut partir de l'état où est notre être, & connoître quels sont ses plaisirs pour parvenir à mesurer ses plaisirs, & même quelquefois à sentir ses plaisirs.

Si notre ame n'avoit point été unie au corps, elle auroit connu, mais il y a apparence qu'elle auroit aimé ce qu'elle auroit connu : à-présent nous n'aimons presque que ce que nous ne connoissons pas.

Notre maniere d'être est entierement arbitraire ; nous pouvions avoir été faits comme nous sommes ou autrement ; mais si nous avions été faits autrement, nous aurions senti autrement ; un organe de plus ou de moins dans notre machine, auroit fait une autre éloquence, une autre poésie ; une contexture différente des mêmes organes auroit fait encore une autre poésie : par exemple, si la constitution de nos organes nous avoit rendu capables d'une plus longue attention, toutes les regles qui proportionnent la disposition du sujet à la mesure de notre attention, ne seroient plus ; si nous avions été rendus capables de plus de pénétration, toutes les regles qui sont fondées sur la mesure de notre pénétration, tomberoient de même ; enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d'une certaine façon, seroient différentes si notre machine n'étoit pas de cette façon.

Si notre vûe avoit été plus foible & plus confuse, il auroit fallu moins de moulures & plus d'uniformité dans les membres de l'Architecture : si notre vûe avoit été plus distincte, & notre ame capable d'embrasser plus de choses à-la-fois, il auroit fallu dans l'Architecture plus d'ornemens. Si nos oreilles avoient été faites comme celles de certains animaux, il auroit fallu réformer bien de nos instrumens de Musique : je sais bien que les rapports que les choses ont entre elles auroient subsisté ; mais le rapport qu'elles ont avec nous ayant changé, les choses qui dans l'état présent font un certain effet sur nous, ne le feroient plus ; & comme la perfection des Arts est de nous présenter les choses telles qu'elles nous fassent le plus de plaisir qu'il est possible, il faudroit qu'il y eût du changement dans les Arts, puisqu'il y en auroit dans la maniere la plus propre à nous donner du plaisir.

On croit d'abord qu'il suffiroit de connoître les diverses sources de nos plaisirs, pour avoir le goût, & que quand on a lu ce que la Philosophie nous dit là-dessus, on a du goût, & que l'on peut hardiment juger des ouvrages. Mais le goût naturel n'est pas une connoissance de théorie ; c'est une application promte & exquise des regles même que l'on ne connoît pas. Il n'est pas nécessaire de savoir que le plaisir que nous donne une certaine chose que nous trouvons belle, vient de la surprise ; il suffit qu'elle nous surprenne & qu'elle nous surprenne autant qu'elle le doit, ni plus ni moins.

Ainsi ce que nous pourrions dire ici, & tous les préceptes que nous pourrions donner pour former le goût, ne peuvent regarder que le goût acquis, c'est-à-dire ne peuvent regarder directement que ce goût acquis, quoiqu'il regarde encore indirectement le goût naturel : car le goût acquis affecte, change, augmente & diminue le goût naturel, comme le goût naturel affecte, change, augmente & diminue le goût acquis.

La définition la plus générale du goût, sans considérer s'il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à une chose par le sentiment ; ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse s'appliquer aux choses intellectuelles, dont la connoissance fait tant de plaisir à l'ame, qu'elle étoit la seule félicité que de certains philosophes pussent comprendre. L'ame connoît par ses idées & par ses sentimens ; elle reçoit des plaisirs par ces idées & par ces sentimens : car quoique nous opposions l'idée au sentiment, cependant lorsqu'elle voit une chose, elle la sent ; & il n'y a point de choses si intellectuelles, qu'elle ne voye ou ne croye voir, & par conséquent qu'elle ne sente.

De l'esprit en général. L'esprit est le genre qui a sous lui plusieurs especes, le génie, le bon sens, le discernement, la justesse, le talent, le goût.

L'esprit consiste à avoir les organes bien constitués, relativement aux choses où il s'applique. Si la chose est extrêmement particuliere, il se nomme talent ; s'il a plus de rapport à un certain plaisir délicat des gens du monde, il se nomme goût ; si la chose particuliere est unique chez un peuple, le talent se nomme esprit, comme l'art de la guerre & l'Agriculture chez les Romains, la Chasse chez les sauvages, &c.

De la curiosité. Notre ame est faite pour penser, c'est-à-dire pour appercevoir ; or un tel être doit avoir de la curiosité : car comme toutes les choses sont dans une chaîne où chaque idée en précede une & en suit une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans desirer d'en voir une autre ; & si nous n'avions pas ce desir pour celle-ci, nous n'aurions eu aucun plaisir à celle-là. Ainsi quand on nous montre une partie d'un tableau, nous souhaitons de voir la partie que l'on nous cache à-proportion du plaisir que nous a fait celle que nous avons vûe.

C'est donc le plaisir que nous donne un objet qui nous porte vers un autre ; c'est pour cela que l'ame cherche toûjours des choses nouvelles, & ne se repose jamais.

Ainsi on sera toûjours sûr de plaire à l'ame, lorsqu'on lui fera voir beaucoup de choses ou plus qu'elle n'avoit espéré d'en voir.

Par-là on peut expliquer la raison pourquoi nous avons du plaisir lorsque nous voyons un jardin bien régulier, & que nous en avons encore lorsque nous voyons un lieu brut & champêtre : c'est la même cause qui produit ces effets.

Comme nous aimons à voir un grand nombre d'objets, nous voudrions étendre notre vûe, être en plusieurs lieux, parcourir plus d'espace : enfin notre ame fuit les bornes, & elle voudroit, pour ainsi dire, étendre la sphere de sa présence ; ainsi c'est un grand plaisir pour elle de porter sa vûe au loin. Mais comment le faire ? dans les villes, notre vûe est bornée par des maisons ; dans les campagnes, elle l'est par mille obstacles : à peine pouvons-nous voir trois ou quatre arbres. L'art vient à notre secours, & nous découvre la nature qui se cache elle-même ; nous aimons l'art & nous l'aimons mieux que la nature, c'est-à-dire la nature dérobée à nos yeux : mais quand nous trouvons de belles situations, quand notre vûe en liberté peut voir au loin des prés, des ruisseaux, des collines, & ces dispositions qui sont, pour ainsi dire créées exprès, elle est bien autrement enchantée que lorsqu'elle voit les jardins de la Nôtre, parce que la nature ne se copie pas, au lieu que l'art se ressemble toûjours. C'est pour cela que dans la Peinture nous aimons mieux un paysage que le plan du plus beau jardin du monde ; c'est que la Peinture ne prend la nature que là où elle est belle, là où la vûe se peut porter au loin & dans toute son étendue, là où elle est variée, là où elle peut être vûe avec plaisir.

Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c'est lorsque l'on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d'autres, & qu'on nous fait découvrir tout-d'un-coup ce que nous ne pouvions espérer qu'après une grande lecture.

Florus nous représente en peu de paroles toutes les fautes d'Annibal : " lorsqu'il pouvoit, dit-il, se servir de la victoire, il aima mieux en joüir " ; cùm victoriâ posset uti, frui maluit.

Il nous donne une idée de toute la guerre de Macédoine, quand il dit : " ce fut vaincre que d'y entrer " ; introisse victoria fuit.

Il nous donne tout le spectacle de la vie de Scipion, quand il dit de sa jeunesse : " c'est le Scipion qui croît pour la destruction de l'Afrique " ; hic erit Scipio, qui in exitium Africae crescit. Vous croyez voir un enfant qui croît & s'éleve comme un géant.

Enfin il nous fait voir le grand caractere d'Annibal, la situation de l'univers, & toute la grandeur du peuple romain, lorsqu'il dit : " Annibal fugitif cherchoit au peuple romain un ennemi par tout l'univers " ; qui profugus ex Africâ, hostem populo romano toto orbe quaerebat.

Des plaisirs de l'ordre. Il ne suffit pas de montrer à l'ame beaucoup de choses, il faut les lui montrer avec ordre ; car pour lors nous nous ressouvenons de ce que nous avons vu, & nous commençons à imaginer ce que nous verrons ; notre ame se félicite de son étendue & de sa pénétration : mais dans un ouvrage où il n'y a point d'ordre, l'ame sent à chaque instant troubler celui qu'elle y veut mettre. La suite que l'auteur s'est faite, & celle que nous nous faisons se confondent ; l'ame ne retient rien, ne prévoit rien ; elle est humiliée par la confusion de ses idées, par l'inanité qui lui reste ; elle est vainement fatiguée & ne peut goûter aucun plaisir ; c'est pour cela que quand le dessein n'est pas d'exprimer ou de montrer la confusion, on met toûjours de l'ordre dans la confusion même. Ainsi les Peintres grouppent leurs figures ; ainsi ceux qui peignent les batailles mettent-ils sur le devant de leurs tableaux les choses que l'oeil doit distinguer, & la confusion dans le fond & le lointain.

Des plaisirs de la variété. Mais s'il faut de l'ordre dans les choses, il faut aussi de la variété : sans cela l'ame languit ; car les choses semblables lui paroissent les mêmes ; & si une partie d'un tableau qu'on nous découvre, ressembloit à une autre que nous aurions vue, cet objet seroit nouveau sans le paroître, & ne feroit aucun plaisir ; & comme les beautés des ouvrages de l'art semblables à celles de la nature, ne consistent que dans les plaisirs qu'elles nous font, il faut les rendre propres le plus que l'on peut à varier ces plaisirs ; il faut faire voir à l'ame des choses qu'elle n'a pas vûes ; il faut que le sentiment qu'on lui donne soit différent de celui qu'elle vient d'avoir.

C'est ainsi que les histoires nous plaisent par la variété des récits, les romans par la variété des prodiges, les pieces de théatre par la variété des passions, & que ceux qui savent instruire modifient le plus qu'ils peuvent le ton uniforme de l'instruction.

Une longue uniformité rend tout insupportable ; le même ordre des périodes long-tems continué, accable dans une harangue : les mêmes nombres & les mêmes chûtes mettent de l'ennui dans un long poëme. S'il est vrai que l'on ait fait cette fameuse allée de Moscou à Petersbourg, le voyageur doit périr d'ennui renfermé entre les deux rangs de cette allée ; & celui qui aura voyagé long-tems dans les Alpes, en descendra dégoûté des situations les plus heureuses & des points de vûe les plus charmans.

L'ame aime la variété, mais elle ne l'aime, avons-nous dit, que parce qu'elle est faite pour connoître & pour voir : il faut donc qu'elle puisse voir, & que la variété le lui permette, c'est-à-dire, il faut qu'une chose soit assez simple pour être apperçûe, & assez variée pour être apperçue avec plaisir.

Il y a des choses qui paroissent variées & ne le sont point, d'autres qui paroissent uniformes & sont très-variées.

L'architecture gothique paroît très-variée, mais la confusion des ornemens fatigue par leur petitesse ; ce qui fait qu'il n'y en a aucun que nous puissions distinguer d'un autre, & leur nombre fait qu'il n'y en a aucun sur lequel l'oeil puisse s'arrêter : de maniere qu'elle déplaît par les endroits même qu'on a choisis pour la rendre agréable.

Un bâtiment d'ordre gothique est une espece d'énigme pour l'oeil qui le voit, & l'ame est embarrassée, comme quand on lui présente un poëme obscur.

L'architecture greque, au contraire, paroît uniforme ; mais comme elle a les divisions qu'il faut & autant qu'il en faut pour que l'ame voye précisément ce qu'elle peut voir sans se fatiguer, mais qu'elle en voye assez pour s'occuper ; elle a cette variété qui fait regarder avec plaisir.

Il faut que les grandes choses ayent de grandes parties ; les grands hommes ont de grands bras, les grands arbres de grandes branches, & les grandes montagnes sont composées d'autres montagnes qui sont au-dessus & au-dessous ; c'est la nature des choses qui fait cela.

L'architecture greque qui a peu de divisions & de grandes divisions, imite les grandes choses ; l'ame sent une certaine majesté qui y regne par-tout.

C'est ainsi que la Peinture divise en grouppes de trois ou quatre figures, celles qu'elle représente dans un tableau ; elle imite la nature, une nombreuse troupe se divise toûjours en pelotons ; & c'est encore ainsi que la Peinture divise en grande masse ses clairs & ses obscurs.

Des plaisirs de la symmétrie. J'ai dit que l'ame aime la variété ; cependant dans la plûpart des choses elle aime à voir une espece de symmétrie ; il semble que cela renferme quelque contradiction : voici comment j'explique cela.

Une des principales causes des plaisirs de notre ame lorsqu'elle voit des objets, c'est la facilité qu'elle a à les appercevoir, & la raison qui fait que la symmétrie plaît à l'ame, c'est qu'elle lui épargne de la peine, qu'elle la soulage, & qu'elle coupe pour ainsi dire l'ouvrage par la moitié.

De-là suit une regle générale : par-tout où la symmétrie est utile à l'ame & peut aider ses fonctions, elle lui est agréable ; mais par-tout où elle est inutile elle est fade, parce qu'elle ôte la variété. Or les choses que nous voyons successivement, doivent avoir de la variété ; car notre ame n'a aucune difficulté à les voir ; celles au contraire que nous appercevons d'un coup-d'oeil, doivent avoir de la symmétrie. Ainsi comme nous appercevons d'un coup-d'oeil la façade d'un bâtiment, un parterre, un temple, on y met de la symmétrie qui plaît à l'ame par la facilité qu'elle lui donne d'embrasser d'abord tout l'objet.

Comme il faut que l'objet que l'on doit voir d'un coup-d'oeil soit simple, il faut qu'il soit unique, & que les parties se rapportent toutes à l'objet principal ; c'est pour cela encore qu'on aime la symmétrie, elle fait un tout ensemble.

Il est dans la nature qu'un tout soit achevé, & l'ame qui voit ce tout, veut qu'il n'y ait point de partie imparfaite. C'est encore pour cela qu'on aime la symmétrie ; il faut une espece de pondération ou de balancement, & un bâtiment avec une aîle ou une aîle plus courte qu'une autre, est aussi peu fini qu'un corps avec un bras, ou avec un bras trop court.

Des contrastes. L'ame aime la symmétrie, mais elle aime aussi les contrastes ; ceci demande bien des explications. Par exemple :

Si la nature demande des peintres & des sculpteurs, qu'ils mettent de la symmétrie dans les parties de leurs figures, elle veut au contraire qu'ils mettent des contrastes dans les attitudes. Un pié rangé comme un autre, un membre qui va comme un autre, sont insupportables ; la raison en est que cette symmétrie fait que les attitudes sont presque toûjours les mêmes, comme on le voit dans les figures gothiques qui se ressemblent toutes par là. Ainsi il n'y a plus de variété dans les productions de l'art. De plus la nature ne nous a pas situés ainsi ; & comme elle nous a donné du mouvement, elle ne nous a pas ajustés dans nos actions & nos manieres comme des pagodes ; & si les hommes gênés & ainsi contraints sont insupportables, que sera-ce des productions de l'art ?

Il faut donc mettre des contrastes dans les attitudes, sur-tout dans les ouvrages de Sculpture, qui naturellement froide, ne peut avoir de feu que par la force du contraste & de la situation.

Mais, comme nous avons dit que la variété que l'on a cherché à mettre dans le gothique lui a donné de l'uniformité ; il est souvent arrivé que la variété que l'on a cherché à mettre par le moyen des contrastes, est devenu une symmétrie & une vicieuse uniformité.

Ceci ne se sent pas seulement dans de certains ouvrages de Sculpture & de Peinture, mais aussi dans le style de quelques écrivains, qui dans chaque phrase mettent toûjours le commencement en contraste avec la fin par des antitheses continuelles, tels que S. Augustin & autres auteurs de la basse latinité, & quelques-uns de nos modernes, comme Saint-Evremont : le tour de phrase toûjours le même & toûjours uniforme déplaît extrêmement ; ce contraste perpétuel devient symmétrie, & cette opposition toûjours recherchée devient uniformité.

L'esprit y trouve si peu de variété, que lorsque vous avez vû une partie de la phrase, vous devinez toûjours l'autre : vous voyez des mots opposés, mais opposés de la même maniere ; vous voyez un tour dans la phrase, mais c'est toûjours le même.

Bien des peintres sont tombés dans le défaut de mettre des contrastes par-tout & sans ménagement, desorte que lorsqu'on voit une figure, on devine d'abord la disposition de celles d'à côté ; cette continuelle diversité devient quelque chose de semblable ; d'ailleurs la nature qui jette les choses dans le desordre, ne montre pas l'affectation d'un contraste continuel, sans compter qu'elle ne met pas tous les corps en mouvement, & dans un mouvement forcé. Elle est plus variée que cela, elle met les uns en repos, & elle donne aux autres différentes sortes de mouvement.

Si la partie de l'ame qui connoît aime la variété, celle qui sent ne la cherche pas moins ; car l'ame ne peut pas soûtenir long-tems les mêmes situations, parce qu'elle est liée à un corps qui ne peut les souffrir ; pour que notre ame soit excitée, il faut que les esprits coulent dans les nerfs. Or il y a là deux choses, une lassitude dans les nerfs, une cessation de la part des esprits qui ne coulent plus, ou qui se dissipent des lieux où ils ont coulé.

Ainsi tout nous fatigue à la longue, & sur-tout les grands plaisirs : on les quitte toûjours avec la même satisfaction qu'on les a pris ; car les fibres qui en ont été les organes ont besoin de repos ; il faut en employer d'autres plus propres à nous servir, & distribuer pour ainsi dire le travail.

Notre ame est lasse de sentir ; mais ne pas sentir, c'est tomber dans un anéantissement qui l'accable. On remédie à tout en variant ses modifications ; elle sent, & elle ne se lasse pas.

Des plaisirs de la surprise. Cette disposition de l'ame qui la porte toûjours vers différens objets, fait qu'elle goûte tous les plaisirs qui viennent de la surprise ; sentiment qui plaît à l'ame par le spectacle & par la promtitude de l'action, car elle apperçoit ou sent une chose qu'elle n'attend pas, ou d'une maniere qu'elle n'attendoit pas.

Une chose peut nous surprendre comme merveilleuse, mais aussi comme nouvelle, & encore comme inattendue ; & dans ces derniers cas, le sentiment principal se lie à un sentiment accessoire fondé sur ce que la chose est nouvelle ou inattendue.

C'est par-là que les jeux de hasard nous piquent ; ils nous font voir une suite continuelle d'événemens non attendus ; c'est par-là que les jeux de société nous plaisent ; ils sont encore une suite d'évenemens imprévûs, qui ont pour cause l'adresse jointe au hasard.

C'est encore par-là que les pieces de théatre nous plaisent ; elles se développent par degrés, cachent les évenemens jusqu'à-ce qu'ils arrivent, nous préparent toûjours de nouveaux sujets de surprise, & souvent nous piquent en nous les montrant tels que nous aurions dû les prévoir.

Enfin les ouvrages d'esprit ne sont ordinairement lûs que parce qu'ils nous ménagent des surprises agréables, & suppléent à l'insipidité des conversations presque toûjours languissantes, & qui ne font point cet effet.

La surprise peut être produite par la chose ou par la maniere de l'appercevoir ; car nous voyons une chose plus grande ou plus petite qu'elle n'est en effet, ou différente de ce qu'elle est, ou bien nous voyons la chose même, mais avec une idée accessoire qui nous surprend. Telle est dans une chose l'idée accessoire de la difficulté de l'avoir faite, ou de la personne qui l'a faite, ou du tems où elle a été faite, ou de la maniere dont elle a été faite, ou de quelque autre circonstance qui s'y joint.

Suétone nous décrit les crimes de Néron avec un sang froid qui nous surprend, en nous faisant presque croire qu'il ne sent point l'horreur de ce qu'il décrit ; il change de ton tout-à-coup & dit : l'univers ayant souffert ce monstre pendant quatorze ans, enfin il l'abandonna : tale monstrum per quatuordecim annos perpessus terrarum orbis tandem destituit. Ceci produit dans l'esprit différentes sortes de surprises ; nous sommes surpris du changement de style de l'auteur, de la découverte de sa différente maniere de penser, de sa façon de rendre en aussi peu de mots une des grandes révolutions qui soit arrivée ; ainsi l'ame trouve un très-grand nombre de sentimens différens qui concourent à l'ébranler & à lui composer un plaisir.

Des diverses causes qui peuvent produire un sentiment. Il faut bien remarquer qu'un sentiment n'a pas ordinairement dans notre ame une cause unique ; c'est, si j'ose me servir de ce terme, une certaine dose qui en produit la force & la variété. L'esprit consiste à savoir frapper plusieurs organes à-la-fois ; & si l'on examine les divers écrivains, on verra peut-être que les meilleurs & ceux qui ont plû davantage, sont ceux qui ont excité dans l'ame plus de sensations en même tems.

Voyez, je vous prie, la multiplicité des causes ; nous aimons mieux voir un jardin bien arrangé, qu'une confusion d'arbres ; 1°. parce que notre vûe qui seroit arrêtée ne l'est pas ; 2°. chaque allée est une, & forme une grande chose, au lieu que dans la confusion, chaque arbre est une chose & une petite chose ; 3°. nous voyons un arrangement que nous n'avons pas coûtume de voir ; 4°. nous savons bon gré de la peine que l'on a pris ; 5°. nous admirons le soin que l'on a de combattre sans-cesse la nature, qui par des productions qu'on ne lui demande pas, cherche à tout confondre : ce qui est si vrai, qu'un jardin négligé nous est insupportable ; quelquefois la difficulté de l'ouvrage nous plaît, quelquefois c'est la facilité ; & comme dans un jardin magnifique nous admirons la grandeur & la dépense du maître, nous voyons quelquefois avec plaisir qu'on a eu l'art de nous plaire avec peu de dépense & de travail.

Le jeu nous plaît parce qu'il satisfait notre avarice, c'est-à-dire l'espérance d'avoir plus. Il flatte notre vanité par l'idée de la préférence que la fortune nous donne, & de l'attention que les autres ont sur notre bonheur ; il satisfait notre curiosité, en nous donnant un spectacle. Enfin il nous donne les différens plaisirs de la surprise.

La danse nous plaît par la legereté, par une certaine grace, par la beauté & la variété des attitudes, par sa liaison avec la Musique, la personne qui danse étant comme un instrument qui accompagne ; mais sur-tout elle plaît par une disposition de notre cerveau, qui est telle qu'elle ramene en secret l'idée de tous les mouvemens à de certains mouvemens, la plûpart des attitudes à de certaines attitudes.

De la sensibilité. Presque toûjours les choses nous plaisent & déplaisent à différens égards : par exemple les virtuosi d'Italie nous doivent faire peu de plaisir ; 1°. parce qu'il n'est pas étonnant qu'accommodés comme ils sont, ils chantent bien ; ils sont comme un instrument dont l'ouvrier a retranché du bois pour lui faire produire des sons. 2°. Parce que les passions qu'ils jouent sont trop suspectes de fausseté. 3°. Parce qu'ils ne sont ni du sexe que nous aimons, ni de celui que nous estimons ; d'un autre côté ils peuvent nous plaire, parce qu'ils conservent très long-tems un air de jeunesse, & de plus parce qu'ils ont une voix flexible & qui leur est particuliere ; ainsi chaque chose nous donne un sentiment, qui est composé de beaucoup d'autres, lesquels s'affoiblissent & se choquent quelquefois.

Souvent notre ame se compose elle-même des raisons de plaisir, & elle y réussit sur-tout par les liaisons qu'elle met aux choses ; ainsi une chose qui nous a plu nous plaît encore, par la seule raison qu'elle nous a plu, parce que nous joignons l'ancienne idée à la nouvelle : ainsi une actrice qui nous a plu sur le théatre, nous plaît encore dans la chambre ; sa voix, sa déclamation, le souvenir de l'avoir vûe admirer, que dis-je, l'idée de la princesse jointe à la sienne, tout cela fait une espece de mélange qui forme & produit un plaisir.

Nous sommes tous pleins d'idées accessoires. Une femme qui aura une grande réputation & un leger défaut, pourra le mettre en crédit & le faire regarder comme une grace. La plûpart des femmes que nous aimons n'ont pour elles que la prévention sur leur naissance ou leurs biens, les honneurs ou l'estime de certaines gens.

De la délicatesse. Le gens délicats sont ceux qui à chaque idée ou à chaque goût, joignent beaucoup d'idées ou beaucoup de goûts accessoires. Les gens grossiers n'ont qu'une sensation, leur ame ne sait composer ni décomposer ; ils ne joignent ni n'ôtent rien à ce que la nature donne, au lieu que les gens délicats dans l'amour se composent la plûpart des plaisirs de l'amour. Polixene & Apicius portoient à la table bien des sensations inconnues à nous autres mangeurs vulgaires ; & ceux qui jugent avec goût des ouvrages d'esprit, ont & se sont fait une infinité de sensations que les autres hommes n'ont pas.

Du je ne sai quoi. Il y a quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible, une grace naturelle, qu'on n'a pu définir, & qu'on a été forcé d'appeller le je ne sai quoi. Il me semble que c'est un effet principalement fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu'une personne nous plaît plus qu'elle ne nous a paru d'abord devoir nous plaire ; & nous sommes agréablement surpris de ce qu'elle a sû vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, & que le coeur ne croit plus : voilà pourquoi les femmes laides ont très-souvent des graces, & qu'il est rare que les belles en ayent ; car une belle personne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu ; elle parvient à nous paroître moins aimable ; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal : mais l'impression du bien est ancienne, celle du mal nouvelle ; aussi les belles personnes font-elles rarement les grandes passions, presque toûjours reservées à celles qui ont des graces, c'est-à-dire des agrémens que nous n'attendions point, & que nous n'avions pas sujet d'attendre. Les grandes parures ont rarement de la grace, & souvent l'habillement des bergeres en a. Nous admirons la majesté des draperies de Paul Veronese ; mais nous sommes touchés de la simplicité de Raphael, & de la pureté du Correge. Paul Veronese promet beaucoup, & paye ce qu'il promet. Raphael & le Correge promettent peu & payent beaucoup, & cela nous plaît davantage.

Les graces se trouvent plus ordinairement dans l'esprit que dans le visage ; car un beau visage paroît d'abord & ne cache presque rien : mais l'esprit ne se montre que peu-à-peu, que quand il veut, & autant qu'il veut ; il peut se cacher pour paroître, & donner cette espece de surprise qui fait les graces.

Les graces se trouvent moins dans les traits du visage que dans les manieres ; car les manieres naissent à chaque instant, & peuvent à tous les momens créer des surprises : en un mot une femme ne peut guere être belle que d'une façon, mais elle est jolie de cent mille.

La loi des deux sexes a établi parmi les nations policées & sauvages, que les hommes demanderoient, & que les femmes ne feroient qu'accorder : de-là il arrive que les graces sont plus particulierement attachées aux femmes. Comme elles ont tout à défendre, elles ont tout à cacher ; la moindre parole, le moindre geste, tout ce qui sans choquer le premier devoir se montre en elles, tout ce qui se met en liberté, devient une grace, & telle est la sagesse de la nature, que ce qui ne seroit rien sans la loi de la pudeur, devient d'un prix infini depuis cette heureuse loi, qui fait le bonheur de l'Univers.

Comme la gêne & l'affectation ne sauroient nous surprendre, les graces ne se trouvent ni dans les manieres gênées, ni dans les manieres affectées, mais dans une certaine liberté ou facilité qui est entre les deux extrémités, & l'ame est agréablement surprise de voir que l'on a évité les deux écueils.

Il sembleroit que les manieres naturelles devroient être les plus aisées ; ce sont celles qui le sont le moins, car l'éducation qui nous gêne, nous fait toûjours perdre du naturel : or nous sommes charmés de le voir revenir.

Rien ne nous plaît tant dans une parure, que lorsqu'elle est dans cette négligence, ou même dans ce desordre qui nous cachent tous les soins que la propreté n'a pas exigés, & que la seule vanité auroit fait prendre ; & l'on n'a jamais de graces dans l'esprit que lorsque ce que l'on dit paroît trouvé, & non pas recherché.

Lorsque vous dites des choses qui vous ont coûté, vous pouvez bien faire voir que vous avez de l'esprit, & non pas des graces dans l'esprit. Pour le faire voir, il faut que vous ne le voyiez pas vous-même, & que les autres, à qui d'ailleurs quelque chose de naïf & de simple en vous ne promettoit rien de cela, soient doucement surpris de s'en appercevoir.

Ainsi les graces ne s'acquierent point ; pour en avoir, il faut être naïf. Mais comment peut-on travailler à être naïf ?

Une des plus belles fictions d'Homere, c'est celle de cette ceinture qui donnoit à Vénus l'art de plaire. Rien n'est plus propre à faire sentir cette magie & ce pouvoir des graces, qui semblent être données à une personne par un pouvoir invisible, & qui sont distinguées de la beauté même. Or cette ceinture ne pouvoit être donnée qu'à Vénus ; elle ne pouvoit convenir à la beauté majestueuse de Junon, car la majesté demande une certaine gravité, c'est-à-dire une contrainte opposée à l'ingénuité des graces ; elle ne pouvoit bien convenir à la beauté fiere de Pallas, car la fierté est opposée à la douceur des graces, & d'ailleurs peut souvent être soupçonnée d'affectation.

Progression de la surprise. Ce qui fait les grandes beautés, c'est lorsqu'une chose est telle que la surprise est d'abord médiocre, qu'elle se soûtient, augmente, & nous mene ensuite à l'admiration. Les ouvrages de Raphael frappent peu au premier coup-d'oeil ; il imite si bien la nature, que l'on n'en est d'abord pas plus étonné que si l'on voyoit l'objet même, lequel ne causeroit point de surprise : mais une expression extraordinaire, un coloris plus fort, une attitude bizarre d'un peintre moins bon, nous saisit du premier coup-d'oeil, parce qu'on n'a pas coûtume de la voir ailleurs. On peut comparer Raphael à Virgile ; & les peintres de Venise avec leurs attitudes forcées, à Lucain. Virgile plus naturel frappe d'abord moins, pour frapper ensuite plus. Lucain frappe d'abord plus, pour frapper ensuite moins.

L'exacte proportion de la fameuse église de Saint Pierre, fait qu'elle ne paroît pas d'abord aussi grande qu'elle l'est ; car nous ne savons d'abord où nous prendre pour juger de sa grandeur. Si elle étoit moins large, nous serions frappés de sa longueur ; si elle étoit moins longue, nous le serions de sa largeur. Mais à mesure que l'on examine, l'oeil la voit s'aggrandir, l'étonnement augmente. On peut la comparer aux Pyrenées, où l'oeil qui croyoit d'abord les mesurer, découvre des montagnes derriere les montagnes, & se perd toûjours davantage.

Il arrive souvent que notre ame sent du plaisir lorsqu'elle a un sentiment qu'elle ne peut pas démêler elle-même, & qu'elle voit une chose absolument différente de ce qu'elle sait être ; ce qui lui donne un sentiment de surprise dont elle ne peut pas sortir. En voici un exemple. Le dôme de Saint-Pierre est immense ; on sait que Michel-Ange voyant le panthéon, qui étoit le plus grand temple de Rome, dit qu'il en vouloit faire un pareil, mais qu'il vouloit le mettre en l'air. Il fit donc sur ce modele le dôme de Saint-Pierre : mais il fit les piliers si massifs, que ce dôme qui est comme une montagne que l'on a sur la tête, paroît leger à l'oeil qui le considere. L'ame reste donc incertaine entre ce qu'elle voit & ce qu'elle sait, & elle reste surprise de voir une masse en même tems si énorme & si legere.

Des beautés qui résultent d'un certain embarras de l'ame. Souvent la surprise vient à l'ame de ce qu'elle ne peut pas concilier ce qu'elle voit avec ce qu'elle a vû. Il y a en Italie un grand lac, qu'on appelle le lac majeur ; c'est une petite mer dont les bords ne montrent rien que de sauvage. A quinze milles dans le lac sont deux îles d'un quart de mille de tour, qu'on appelle les Borromées, qui est à mon avis le séjour du monde le plus enchanté. L'ame est étonnée de ce contraste romanesque, de rappeller avec plaisir les merveilles des romans, où après avoir passé par des rochers & des pays arides, on se trouve dans un lieu fait pour les fées.

Tous les contrastes nous frappent, parce que les choses en opposition se relevent toutes les deux : ainsi lorsqu'un petit homme est auprès d'un grand, le petit fait paroître l'autre plus grand, & le grand fait paroître l'autre plus petit.

Ces sortes de surprises font le plaisir que l'on trouve dans toutes les beautés d'opposition, dans toutes les antithèses & figures pareilles. Quand Florus dit : " Sore & Algide, qui le croiroit ! nous ont été formidables, Satrique & Cornicule étoient des provinces : nous rougissons des Boriliens & des Véruliens ; mais nous en avons triomphé : enfin Tibur notre fauxbourg, Preneste où sont nos maisons de plaisance, étoient le sujet des voeux que nous allions faire au capitole " ; cet auteur, dis-je, nous montre en même tems la grandeur de Rome & la petitesse de ses commencemens, & l'étonnement porte sur ces deux choses.

On peut remarquer ici combien est grande la différence des antithèses d'idées, d'avec les antithèses d'expression. L'antithèse d'expression n'est pas cachée, celle d'idées l'est : l'une a toûjours le même habit, l'autre en change comme on veut : l'une est variée, l'autre non.

Le même Florus en parlant des Samnites, dit que leurs villes furent tellement détruites, qu'il est difficile de trouver à-présent le sujet de vingt-quatre triomphes, ut non facile appareat materia quatuor & viginti triumphorum. Et par les mêmes paroles qui marquent la destruction de ce peuple, il fait voir la grandeur de son courage & de son opiniâtreté.

Lorsque nous voulons nous empêcher de rire, notre rire redouble à cause du contraste qui est entre la situation où nous sommes & celle où nous devrions être : de même, lorsque nous voyons dans un visage un grand défaut, comme par exemple un très-grand nez, nous rions à cause que nous voyons que ce contraste avec les autres traits du visage ne doit pas être. Ainsi les contrastes sont cause des défauts, aussi bien que des beautés. Lorsque nous voyons qu'ils sont sans raison, qu'ils relevent ou éclairent un autre défaut, ils sont les grands instrumens de la laideur, laquelle, lorsqu'elle nous frappe subitement, peut exciter une certaine joie dans notre ame, & nous faire rire. Si notre ame la regarde comme un malheur dans la personne qui la possede, elle peut exciter la pitié. Si elle la regarde avec l'idée de ce qui peut nous nuire, & avec une idée de comparaison avec ce qui a coûtume de nous émouvoir & d'exciter nos desirs, elle la regarde avec un sentiment d'aversion.

De même dans nos pensées, lorsqu'elles contiennent une opposition qui est contre le bon sens, lorsque cette opposition est commune & aisée à trouver, elles ne plaisent point & sont un défaut, parce qu'elles ne causent point de surprise ; & si au contraire elles sont trop recherchées, elles ne plaisent pas non plus. Il faut que dans un ouvrage on les sente parce qu'elles y sont, & non pas parce qu'on a voulu les montrer ; car pour lors la surprise ne tombe que sur la sottise de l'auteur.

Une des choses qui nous plaît le plus, c'est le naïf, mais c'est aussi le style le plus difficile à attraper ; la raison en est qu'il est précisément entre le noble & le bas ; & il est si près du bas, qu'il est très-difficile de le côtoyer toûjours sans y tomber.

Les Musiciens ont reconnu que la Musique qui se chante le plus facilement, est la plus difficile à composer ; preuve certaine que nos plaisirs & l'art qui nous les donne, sont entre certaines limites.

A voir les vers de Corneille si pompeux, & ceux de Racine si naturels, on ne devineroit pas que Corneille travailloit facilement, & Racine avec peine.

Le bas est le sublime du peuple, qui aime à voir une chose faite pour lui & qui est à sa portée.

Les idées qui se présentent aux gens qui sont bien élevés & qui ont un grand esprit, sont ou naïves, ou nobles, ou sublimes.

Lorsqu'une chose nous est montrée avec des circonstances ou des accessoires qui l'aggrandissent, cela nous paroît noble : cela se sent sur-tout dans les comparaisons où l'esprit doit toûjours gagner & jamais perdre ; car elles doivent toûjours ajoûter quelque chose, faire voir la chose plus grande, où s'il ne s'agit pas de grandeur, plus fine & plus délicate : mais il faut bien se donner de garde de montrer à l'ame un rapport dans le bas, car elle se le seroit caché si elle l'avoit découvert.

Comme il s'agit de montrer des choses fines, l'ame aime mieux voir comparer une maniere à une maniere, une action à une action, qu'une chose à une chose, comme un héros à un lion, une femme à un astre, & un homme leger à un cerf.

Michel-Ange est le maître pour donner de la noblesse à tous ses sujets. Dans son fameux Bacchus, il ne fait point comme les peintres de Flandres qui nous montrent une figure tombante, & qui est pour ainsi dire en l'air. Cela seroit indigne de la majesté d'un dieu. Il le peint ferme sur ses jambes ; mais il lui donne si bien la gaieté de l'ivresse, & le plaisir à voir couler la liqueur qu'il verse dans sa coupe, qu'il n'y a rien de si admirable.

Dans la passion qui est dans la galerie de Florence, il a peint la Vierge debout qui regarde son fils crucifié sans douleur, sans pitié, sans regret, sans larmes. Il la suppose instruite de ce grand mystere, & par-là lui fait soûtenir avec grandeur le spectacle de cette mort.

Il n'y a point d'ouvrage de Michel-Ange où il n'ait mis quelque chose de noble. On trouve du grand dans ses ébauches même, comme dans ces vers que Virgile n'a point finis.

Jules Romain dans sa chambre des géans à Mantoue, où il a représenté Jupiter qui les foudroye, fait voir tous les dieux effrayés ; mais Junon est auprès de Jupiter, elle lui montre d'un air assûré un géant sur lequel il faut qu'il lance la foudre ; par-là il lui donne un air de grandeur que n'ont pas les autres dieux ; plus ils sont près de Jupiter, plus ils sont rassûrés ; & cela est bien naturel, car dans une bataille la frayeur cesse auprès de celui qui a de l'avantage.... Ici finit le fragment.

* La gloire de M. de Montesquieu, fondée sur des ouvrages de génie, n'exigeoit pas sans-doute qu'on publiât ces fragmens qu'il nous a laissés ; mais ils seront un témoignage éternel de l'intérêt que les grands hommes de la nation prirent à cet ouvrage ; & l'on dira dans les siecles à venir : Voltaire & Montesquieu eurent part aussi à l'Encyclopédie.

Nous terminerons cet article par un morceau qui nous paroît y avoir un rapport essentiel, & qui a été lu à l'Académie françoise le 14. Mars 1757. L'empressement avec lequel on nous l'a demandé, & la difficulté de trouver quelqu'autre article de l'Encyclopédie auquel ce morceau appartienne aussi directement, excusera peut-être la liberté que nous prenons de paroître ici à la suite de deux hommes tels que MM. de Voltaire & de Montesquieu.

Réflexions sur l'usage & sur l'abus de la Philosophie dans les matieres de goût. L'esprit philosophique, si célébré chez une partie de notre nation & si décrié par l'autre, a produit dans les Sciences & dans les Belles-Lettres des effets contraires ; dans les Sciences, il a mis des bornes séveres à la manie de tout expliquer, que l'amour des systèmes avoit introduite ; dans les Belles-Lettres, il a entrepris d'analyser nos plaisirs & de soûmettre à l'examen tout ce qui est l'objet du goût. Si la sage timidité de la physique moderne a trouvé des contradicteurs, est-il surprenant que la hardiesse des nouveaux littérateurs ait eu le même sort ? elle a dû principalement révolter ceux de nos écrivains qui pensent qu'en fait de goût comme dans des matieres plus sérieuses, toute opinion nouvelle & paradoxe doit être proscrite par la seule raison qu'elle est nouvelle. Il nous semble au contraire que dans les sujets de spéculation & d'agrément on ne sauroit laisser trop de liberté à l'industrie, dût-elle n'être pas toûjours également heureuse dans ses efforts. C'est en se permettant les écarts, que le génie enfante les choses sublimes ; permettons de même à la raison de porter au hasard & quelquefois sans succès son flambeau sur tous les objets de nos plaisirs, si nous voulons la mettre à portée de découvrir au génie quelque route inconnue. La séparation des vérités & des sophismes se fera bien-tôt d'elle-même, & nous en serons ou plus riches ou du-moins plus éclairés.

Un des avantages de la Philosophie appliquée aux matieres de goût, est de nous guérir ou de nous garantir de la superstition littéraire ; elle justifie notre estime pour les anciens en la rendant raisonnable ; elle nous empêche d'encenser leurs fautes ; elle nous sait voir leurs égaux dans plusieurs de nos bons écrivains modernes, qui pour s'être formés sur eux, se croyoient par une inconséquence modeste fort inférieurs à leurs maîtres. Mais l'analyse métaphysique de ce qui est l'objet du sentiment ne peut-elle pas faire chercher des raisons à ce qui n'en a point, émousser le plaisir en nous accoûtumant à discuter froidement ce que nous devons sentir avec chaleur, donner enfin des entraves au génie, & le rendre esclave & timide ? Essayons de répondre à ces questions.

Le goût, quoique peu commun, n'est point arbitraire ; cette vérité est également reconnue de ceux qui réduisent le goût à sentir, & de ceux qui veulent le contraindre à raisonner. Mais il n'étend pas son ressort sur toutes les beautés dont un ouvrage de l'art est susceptible. Il en est de frappantes & de sublimes qui saisissent également tous les esprits, que la nature produit sans effort dans tous les siecles & chez tous les peuples, & dont par conséquent tous les esprits, tous les siecles, & tous les peuples sont juges. Il en est qui ne touchent que les ames sensibles & qui glissent sur les autres. Les beautés de cette espece ne sont que du second ordre, car ce qui est grand est préférable à ce qui n'est que fin ; elles sont néanmoins celles qui demandent le plus de sagacité pour être produites & de délicatesse pour être senties ; aussi sont-elles plus fréquentes parmi les nations chez lesquelles les agrémens de la société ont perfectionné l'art de vivre & de joüir. Ce genre de beautés faites pour le petit nombre, est proprement l'objet du goût, qu'on peut définir, le talent de démêler dans les ouvrages de l'art ce qui doit plaire aux ames sensibles & ce qui doit les blesser.

Si le goût n'est pas arbitraire, il est donc fondé sur des principes incontestables ; & ce qui en est une suite nécessaire, il ne doit point y avoir d'ouvrage de l'art dont on ne puisse juger en y appliquant ces principes. En effet la source de notre plaisir & de notre ennui est uniquement & entierement en nous ; nous trouverons donc au-dedans de nous-mêmes, en y portant une vûe attentive, des regles générales & invariables de goût, qui seront comme la pierre de touche à l'épreuve de laquelle toutes les productions du talent pourront être soûmises. Ainsi le même esprit philosophique qui nous oblige, faute de lumieres suffisantes, de suspendre à chaque instant nos pas dans l'étude de la nature & des objets qui sont hors de nous, doit au contraire dans tout ce qui est l'objet du goût, nous porter à la discussion. Mais il n'ignore pas en même tems, que cette discussion doit avoir un terme. En quelque matiere que ce soit, nous devons desespérer de remonter jamais aux premiers principes, qui sont toûjours pour nous derriere un nuage : vouloir trouver la cause métaphysique de nos plaisirs, seroit un projet aussi chimérique que d'entreprendre d'expliquer l'action des objets sur nos sens. Mais comme on a su réduire à un petit nombre de sensations l'origine de nos connoissances, on peut de même réduire les principes de nos plaisirs en matiere de goût, à un petit nombre d'observations incontestables sur notre maniere de sentir. C'est jusque-là que le philosophe remonte, mais c'est-là qu'il s'arrête, & d'où par une pente naturelle il descend ensuite aux conséquences.

La justesse de l'esprit, déjà si rare par elle-même, ne suffit pas dans cette analyse ; ce n'est pas même encore assez d'une ame délicate & sensible ; il faut de plus, s'il est permis de s'exprimer de la sorte, ne manquer d'aucun des sens qui composent le goût. Dans un ouvrage de Poësie, par exemple, on doit parler tantôt à l'imagination, tantôt au sentiment, tantôt à la raison, mais toûjours à l'organe ; les vers sont une espece de chant sur lequel l'oreille est si inexorable, que la raison même est quelquefois contrainte de lui faire de legers sacrifices. Ainsi un philosophe dénué d'organe, eût-il d'ailleurs tout le reste, sera un mauvais juge en matiere de Poësie. Il prétendra que le plaisir qu'elle nous procure est un plaisir d'opinion ; qu'il faut se contenter, dans quelque ouvrage que ce soit, de parler à l'esprit & à l'ame ; il jettera même par des raisonnemens captieux un ridicule apparent sur le soin d'arranger des mots pour le plaisir de l'oreille. C'est ainsi qu'un physicien réduit au seul sentiment du toucher, prétendroit que les objets éloignés ne peuvent agir sur nos organes, & le prouveroit par des sophismes auxquels on ne pourroit répondre qu'en lui rendant l'oüie & la vûe. Notre philosophe croira n'avoir rien ôté à un ouvrage de Poësie, en conservant tous les termes & en les transposant pour détruire la mesure, & il attribuera à un préjugé dont il est esclave lui-même sans le vouloir, l'espece de langueur que l'ouvrage lui paroît avoir contractée par ce nouvel état. Il ne s'appercevra pas qu'en rompant la mesure, & en renversant les mots, il a détruit l'harmonie qui résultoit de leur arrangement & de leur liaison. Que diroit-on d'un musicien qui pour prouver que le plaisir de la mélodie est un plaisir d'opinion, dénatureroit un air fort agréable en transposant au hasard les sons dont il est composé ?

Ce n'est pas ainsi que le vrai philosophe jugera du plaisir que donne la Poësie. Il n'accordera sur ce point ni tout à la nature ni tout à l'opinion ; il reconnoîtra que comme la musique a un effet général sur tous les peuples, quoique la musique des uns ne plaise pas toûjours aux autres, de même tous les peuples sont sensibles à l'harmonie poëtique, quoique leur poësie soit fort différente. C'est en examinant avec attention cette différence, qu'il parviendra à déterminer jusqu'à quel point l'habitude influe sur le plaisir que nous font la Poësie & la Musique, ce que l'habitude ajoûte de réel à ce plaisir, & ce que l'opinion peut aussi y joindre d'illusoire. Car il ne confondra point le plaisir d'habitude avec celui qui est purement arbitraire & d'opinion ; distinction qu'on n'a peut-être pas assez faite en cette matiere, & que néanmoins l'expérience journaliere rend incontestable. Il est des plaisirs qui dès le premier moment s'emparent de nous ; il en est d'autres qui n'ayant d'abord éprouvé de notre part que de l'éloignement ou de l'indifférence, attendent pour se faire sentir, que l'ame ait été suffisamment ébranlée par leur action, & n'en sont alors que plus vifs. Combien de fois n'est-il pas arrivé qu'une musique qui nous avoit d'abord déplu, nous a ravis ensuite, lorsque l'oreille à force de l'entendre, est parvenue à en démêler toute l'expression & la finesse ? Les plaisirs que l'habitude fait goûter peuvent donc n'être pas arbitraires, & même avoir eu d'abord le préjugé contr'eux.

C'est ainsi qu'un littérateur philosophe conservera à l'oreille tous ses droits. Mais en même tems, & c'est-là sur-tout ce qui le distingue, il ne croira pas que le soin de satisfaire l'organe dispense de l'obligation encore plus importante de penser. Comme il sait que c'est la premiere loi du style, d'être à l'unisson du sujet, rien ne lui inspire plus de dégoût que des idées communes exprimées avec recherche, & parées du vain coloris de la versification : une prose médiocre & naturelle lui paroît préférable à la poësie, qui au mérite de l'harmonie ne joint point celui des choses : c'est parce qu'il est sensible aux beautés d'image, qu'il n'en veut que de neuves & de frappantes ; encore leur préfere-t-il les beautés de sentiment, & sur-tout celles qui ont l'avantage d'exprimer d'une maniere noble & touchante des vérités utiles aux hommes.

Il ne suffit pas à un philosophe d'avoir tous les sens qui composent le goût, il est encore nécessaire que l'exercice de ces sens n'ait pas été trop concentré dans un seul objet. Malebranche ne pouvoit lire sans ennui les meilleurs vers, quoiqu'on remarque dans son style les grandes qualités du poëte, l'imagination, le sentiment, & l'harmonie ; mais trop exclusivement appliqué à ce qui est l'objet de la raison, ou plûtôt du raisonnement, son imagination se bornoit à enfanter des hypothèses philosophiques, & le degré de sentiment dont il étoit pourvu, à les embrasser avec ardeur comme des vérités. Quelque harmonieuse que soit sa prose, l'harmonie poëtique étoit sans charmes pour lui, soit qu'en effet la sensibilité de son oreille fût bornée à l'harmonie de la prose, soit qu'un talent naturel lui fît produire de la prose harmonieuse sans qu'il s'en apperçût, comme son imagination le servoit sans qu'il s'en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir.

Ce n'est pas seulement à quelque défaut de sensibilité dans l'ame ou dans l'organe, qu'on doit attribuer les faux jugemens en matiere de goût. Le plaisir que nous fait éprouver un ouvrage de l'art, vient ou peut venir de plusieurs sources différentes ; l'analyse philosophique consiste donc à savoir les distinguer & les séparer toutes, afin de rapporter à chacune ce qui lui appartient, & de ne pas attribuer notre plaisir à une cause qui ne l'ait point produit. C'est sans-doute sur les ouvrages qui ont réussi en chaque genre, que les regles doivent être faites ; mais ce n'est point d'après le résultat général du plaisir que ces ouvrages nous ont donné : c'est d'après une discussion réfléchie qui nous fasse discerner les endroits dont nous avons été vraiment affectés, d'avec ceux qui n'étoient destinés qu'à servir d'ombre ou de repos, d'avec ceux même où l'auteur s'est négligé sans le vouloir. Faute de suivre cette méthode, l'imagination échauffée par quelques beautés du premier ordre dans un ouvrage monstrueux d'ailleurs, fermera bien-tôt les yeux sur les endroits foibles, transformera les défauts mêmes en beautés, & nous conduira par degrés à cet enthousiasme froid & stupide qui ne sent rien à force d'admirer tout ; espece de paralysie de l'esprit, qui nous rend indignes & incapables de goûter les beautés réelles. Ainsi sur une impression confuse & machinale, ou bien on établira de faux principes de goût, ou, ce qui n'est pas moins dangereux, on érigera en principe ce qui est en soi purement arbitraire ; on retrécira les bornes de l'art, & on prescrira des limites à nos plaisirs, parce qu'on n'en voudra que d'une seule espece & dans un seul genre ; on tracera autour du talent un cercle étroit dont on ne lui permettra pas de sortir.

C'est à la Philosophie à nous délivrer de ces liens ; mais elle ne sauroit mettre trop de choix dans les armes dont elle se sert pour les briser. Feu M. de la Motte a avancé que les vers n'étoient pas essentiels aux pieces de théatre : pour prouver cette opinion, très-soûtenable en elle-même, il a écrit contre la Poësie, & par-là il n'a fait que nuire à sa cause ; il ne lui restoit plus qu'à écrire contre la Musique, pour prouver que le chant n'est pas essentiel à la tragédie. Sans combattre le préjugé par des paradoxes, il avoit, ce me semble, un moyen plus court de l'attaquer ; c'étoit d'écrire Inès de Castro en prose ; l'extrème intérêt du sujet permettoit de risquer l'innovation, & peut-être aurions-nous un genre de plus. Mais l'envie de se distinguer fronde les opinions dans la théorie, & l'amour-propre qui craint d'échoüer les ménage dans la pratique. Les Philosophes font le contraire des législateurs ; ceux-ci se dispensent des lois qu'ils imposent, ceux-là se soûmettent dans leurs ouvrages aux lois qu'ils condamnent dans leurs préfaces.

Les deux causes d'erreur dont nous avons parlé jusqu'ici, le défaut de sensibilité d'une part, & de l'autre trop peu d'attention à démêler les principes de notre plaisir, seront la source éternelle de la dispute tant de fois renouvellée sur le mérite des anciens : leurs partisans trop enthousiastes font trop de graces à l'ensemble en faveur des détails ; leurs adversaires trop raisonneurs ne rendent pas assez de justice aux détails, par les vices qu'ils remarquent dans l'ensemble.

Il est une autre espece d'erreur dont le philosophe doit avoir plus d'attention à se garantir, parce qu'il lui est plus aisé d'y tomber ; elle consiste à transporter aux objets du goût des principes vrais en eux-mêmes, mais qui n'ont point d'application à ces objets. On connoît le célébre qu'il mourut du vieil Horace, & on a blâmé avec raison le vers suivant : cependant une métaphysique commune ne manqueroit pas de sophismes pour le justifier. Ce second vers, dira-t-on, est nécessaire pour exprimer tout ce que sent le vieil Horace ; sans-doute il doit préférer la mort de son fils au deshonneur de son nom ; mais il doit encore plus souhaiter que la valeur de ce fils le fasse échapper au péril, & qu'animé par un beau desespoir, il se défende seul contre trois. On pourroit d'abord répondre que le second vers exprimant un sentiment plus naturel, devroit au moins précéder le premier, & par conséquent qu'il l'affoiblit. Mais qui ne voit d'ailleurs que ce second vers seroit encore foible & froid, même après avoir été remis à sa véritable place ? n'est-il pas évidemment inutile au vieil Horace d'exprimer le sentiment que ce vers renferme ? chacun supposera sans peine qu'il aime mieux voir son fils vainqueur que victime du combat : le seul sentiment qu'il doive montrer & qui convienne à l'état violent où il est, est ce courage héroïque qui lui fait préférer la mort de son fils à la honte. La logique froide & lente des esprits tranquilles, n'est pas celle des ames vivement agitées : comme elles dédaignent de s'arrêter sur des sentimens vulgaires, elles sous-entendent plus qu'elles n'expriment, elles s'élancent tout d'un-coup aux sentimens extrèmes ; semblables à ce dieu d'Homere, qui fait trois pas & qui arrive au quatrieme.

Ainsi dans les matieres de goût, une demi-philosophie nous écarte du vrai, & une philosophie mieux entendue nous y ramene. C'est donc faire une double injure aux Belles-Lettres & à la Philosophie, que de croire qu'elles puissent réciproquement se nuire ou s'exclure. Tout ce qui appartient non-seulement à notre maniere de concevoir, mais encore à notre maniere de sentir, est le vrai domaine de la Philosophie : il seroit aussi déraisonnable de la reléguer dans les cieux & de la restraindre au système du monde, que de vouloir borner la Poësie à ne parler que des dieux & de l'amour. Et comment le véritable esprit philosophique seroit-il opposé au bon goût ? il en est au contraire le plus ferme appui, puisque cet esprit consiste à remonter en tout aux vrais principes, à reconnoître que chaque art a sa nature propre, chaque situation de l'ame son caractere, chaque chose son coloris ; en un mot à ne point confondre les limites de chaque genre. Abuser de l'esprit philosophique, c'est en manquer.

Ajoûtons qu'il n'est point à craindre que la discussion à l'analyse émoussent le sentiment ou refroidissent le génie dans ceux qui posséderont d'ailleurs ces précieux dons de la nature. Le philosophe sait que dans le moment de la production, le génie ne veut aucune contrainte ; qu'il aime à courir sans frein & sans regle, à produire le monstrueux à côté du sublime, à rouler impétueusement l'or & le limon tout ensemble. La raison donne donc au génie qui crée une liberté entiere ; elle lui permet de s'épuiser jusqu'à ce qu'il ait besoin de repos, comme ces coursiers fougueux dont on ne vient à bout qu'en les fatiguant. Alors elle revient séverement sur les productions du génie ; elle conserve ce qui est l'effet du véritable enthousiasme, elle proscrit ce qui est l'ouvrage de la fougue, & c'est ainsi qu'elle fait éclorre les chefs-d'oeuvre. Quel écrivain, s'il n'est pas entierement dépourvû de talent & de goût, n'a pas remarqué que dans la chaleur de la composition une partie de son esprit reste en quelque maniere à l'écart pour observer celle qui compose & pour lui laisser un libre cours, & qu'elle marque d'avance ce qui doit être effacé ?

Le vrai philosophe se conduit à-peu-près de la même maniere pour juger que pour composer ; il s'abandonne d'abord au plaisir vif & rapide de l'impression ; mais persuadé que les vraies beautés gagnent toûjours à l'examen, il revient bien-tôt sur ses pas, il remonte aux causes de son plaisir, il les démêle, il distingue ce qui lui a fait illusion d'avec ce qui l'a profondément frappé, & se met en état par cette analyse de porter un jugement sain de tout l'ouvrage.

On peut, ce me semble, d'après ces réflexions, répondre en deux mots à la question souvent agitée, si le sentiment est préférable à la discussion pour juger un ouvrage de goût. L'impression est le juge naturel du premier moment, la discussion l'est du second. Dans les personnes qui joignent à la finesse & à la promtitude du tact, la netteté & la justesse de l'esprit, le second juge ne fera pour l'ordinaire que confirmer les arrêts rendus par le premier. Mais, dira-t-on, comme ils ne seront pas toûjours d'accord, ne vaudroit-il pas mieux s'en tenir dans tous les cas à la premiere décision que le sentiment prononce ? quelle triste occupation de chicaner ainsi avec son propre plaisir ! & quelle obligation aurons-nous à la Philosophie, quand son effet sera de le diminuer ? Nous répondrons avec regret, que tel est le malheur de la condition humaine : nous n'acquérons guere de connoissances nouvelles que pour nous desabuser de quelque illusion, & nos lumieres sont presque toûjours aux dépens de nos plaisirs. La simplicité de nos ayeux étoit peut-être plus fortement remuée par les pieces monstrueuses de notre ancien théatre, que nous ne le sommes aujourd'hui par la plus belle de nos pieces dramatiques. Les nations moins éclairées que la nôtre ne sont pas moins heureuses, parce qu'avec moins de desirs elles ont aussi moins de besoins, & que des plaisirs grossiers ou moins raffinés leur suffisent : cependant nous ne voudrions pas changer nos lumieres pour l'ignorance de ces nations & pour celle de nos ancêtres. Si ces lumieres peuvent diminuer nos plaisirs, elles flattent en même tems notre vanité ; on s'applaudit d'être devenu difficile, on croit avoir acquis par-là un degré de mérite. L'amour-propre est le sentiment auquel nous tenons le plus, & que nous sommes le plus empressés de satisfaire ; le plaisir qu'il nous fait éprouver n'est pas comme beaucoup d'autres, l'effet d'une impression subite & violente, mais il est plus continu, plus uniforme, & plus durable, & se laisse goûter à plus longs traits.

Ce petit nombre de réflexions paroît devoir suffire pour justifier l'esprit philosophique des reproches que l'ignorance ou l'envie ont coûtume de faire. Observons en finissant, que quand ces reproches seroient fondés, ils ne seroient peut-être convenables & ne devroient avoir de poids que dans la bouche des véritables philosophes ; ce seroit à eux seuls qu'il appartiendroit de fixer l'usage & les bornes de l'esprit philosophique, comme il n'appartient qu'aux écrivains qui ont mis beaucoup d'esprit dans leurs ouvrages, de parler contre l'abus qu'on peut en faire. Mais le contraire est malheureusement arrivé ; ceux qui possedent & qui connoissent le moins l'esprit philosophique en sont parmi nous les plus ardens détracteurs, comme la Poësie est décriée par ceux qui n'en ont pas le talent, les hautes sciences par ceux qui en ignorent les premiers principes, & notre siecle par les écrivains qui lui font le moins d'honneur. (O)

GOUT, en Architecture, terme usité par métaphore pour signifier la bonne ou mauvaise maniere d'inventer, de dessiner, & de travailler. On dit que les bâtimens gothiques sont de mauvais goût, quoique hardiment construits ; & qu'au contraire ceux d'architecture antique sont de bon goût, quoique plus massifs.

Cette partie est aussi nécessaire à un architecte, que le génie ; avec cette différence que ce dernier talent demande des dispositions naturelles, & ne s'acquiert point ; au lieu que le goût se forme, s'accroît & se perfectionne par l'étude. (P)

GOUT DU CHANT, en Musique ; c'est ainsi qu'on appelle en France, l'art de chanter ou de joüer les notes avec les agrémens qui leur conviennent. Quoique le chant françois soit fort dénué d'ornemens, il y a cependant à Paris plusieurs maîtres uniquement pour cette partie, & un assez grand nombre de termes qui lui sont propres. Comme rien n'est si difficile à rendre que le sens de ces divers mots, que d'ailleurs rien n'est si passager, rien si sujet à la mode que le goût du chant, je n'ai pas crû devoir embrasser cette partie dans cet ouvrage. (S)

GOUT, se dit en Peinture, du caractere particulier qui regne dans un tableau par rapport au choix des objets qui sont représentés & à la façon dont ils y sont rendus.

On dit qu'un tableau est de bon goût, lorsque les objets qui y sont représentés sont bien choisis & bien imités, conformément à l'idée que les connoisseurs ont de leur perfection. On dit, bon goût, grand goût, goût trivial, mauvais goût. Le bon goût se forme par l'étude de la belle nature : grand goût semble dire plus que bon goût, & diroit plus en effet, si par grand goût on entendoit le choix du mieux dans le bon : mais grand goût, en Peinture, est un goût idéal qui suppose un grand, un extraordinaire, un merveilleux, un sublime même tenant de l'inspiration, bien supérieur aux effets de la belle nature ; ce qui n'est réellement qu'une façon de faire les choses relativement à de certaines conditions, que la plûpart des peintres n'ont imaginées que pour créer un beau à la portée de leur talent. Cependant ces mêmes peintres ne disent jamais, voilà un ouvrage de grand goût, en parlant d'un tableau où, de leur aveu, la belle nature est le plus parfaitement imitée : il faut néanmoins avoir de grands talens pour faire ce qu'on appelle des tableaux de grand goût.

Goût trivial est une imitation du bon goût & du grand goût, mais qui défigure le premier & ne saisit que le ridicule de l'autre, & qui l'outre.

Mauvais goût est l'opposé de bon goût.

Il y a goût de nation, & goût particulier : goût de nation, est celui qui regne dans une nation, qui fait qu'on reconnoît qu'un tableau est de telle école ; il y a autant de goûts de nation que d'écoles. Voy. ÉCOLE. Goût particulier est celui que chaque peintre se fait, par lequel on reconnoît que tel tableau est de tel peintre, quoiqu'il y regne toûjours le goût de sa nation. On dit encore goût de dessein, goût de composition, goût de coloris ou de couleur, &c. (R)


GOÛTERv. act. c'est faire essai de son goût sur quelque objet particulier. Le verbe goûter se prend au simple & au figuré, au physique & au moral, ainsi que le substantif goût. Voyez ci-devant l'article GOUT.

GOUTER, (le) s. m. (Hist. rom.) merenda, Plaute. Repas entre le dîner & le souper. Ce repas n'étoit d'usage chez les Romains que pour les artisans, les gens de travail, & les esclaves : à l'égard de tous les autres ordres, il n'y avoit que le souper qui méritât d'être regardé comme un repas ; parce que les affaires tant publiques que particulieres des citoyens, les spectacles, & les exercices du corps, les occupoient hors de leurs maisons jusqu'au tems de ce repas. Voyez donc SOUPER. (D.J.)


GOUTTES. f. (Physiq.) petite portion de fluide détachée du reste.

La forme sphérique que prennent les gouttes des fluides, n'a pas laissé que d'embarrasser les Philosophes. L'explication que l'on en donnoit autrefois, étoit que la pression égale & uniforme du fluide environnant ou de l'atmosphere, obligeoit les gouttes à prendre cette figure ; mais cette raison n'est plus recevable depuis que nous savons que le même phénomene a lieu dans le vuide, comme en plein air.

Les philosophes Newtoniens l'attribuent à l'attraction, laquelle étant mutuelle entre les parties du fluide, les concentre, pour ainsi dire, & les rapproche les unes des autres aussi près qu'il est possible ; ce qui ne sauroit arriver, sans qu'elles prennent une forme sphérique.

Voici comme s'explique sur ce sujet M. Newton : Guttae enim corporis cujusque fluidi, ut figuram globosam inducere conentur, facit mutua partium suarum attractio ; eodem modo quo terra mariaque in rotunditatem undique conglobantur, partium suarum attractione mutuâ, quae est gravitas. Opt. page 338. Voyez ATTRACTION.

En effet, si on imagine plusieurs corpuscules semblables qui s'attirent mutuellement, & qui par leur attraction se joignent les uns aux autres, ils doivent nécessairement prendre la figure sphérique, puisqu'il n'y a point de raison pourquoi un de ces corpuscules sera placé sur la surface de la goutte d'une autre maniere que tout autre corpuscule, & que la figure sphérique est la seule que la surface puisse prendre pour que toutes les parties du fluide soient en équilibre. Quoique cette explication soit plausible, du-moins en admettant le principe de l'attraction, cependant il ne faut pas abuser de ce principe pour expliquer le phénomene de l'adhérence des particules fluides. Voyez ADHERENCE & COHESION. (O)

GOUTTE & GOUTTES, (Pharmacie). La goutte est la plus petite mesure des liquides.

Le poids d'une goutte est évalué par approximation à un grain. On conçoit que ce poids doit varier selon la pesanteur spécifique ou la tenacité de chaque liquide.

On prescrit par gouttes les liqueurs qu'on employe à très-petite dose pour l'usage intérieur ; telles que les baumes, les huiles essentielles, les élixirs, les mixtures, les esprits alkalis volatils, certaines teintures.

Quelques liqueurs composées de cette classe, ont tiré de cet usage d'être ordonnées par gouttes le nom de gouttes. C'est sous ce nom que les mixtures magistrales qui agissent à très-petite dose, sont ordonnées communément, quoique l'on puisse déterminer par gros, & même par cuillerées, la quantité de ce remede excédent trente ou quarante gouttes.

C'est cette forme de remede qui est appellée dans Gaubius (method. concinnandi formulas medicament.) mixtura contracta ; & dans Juncker (consp. therap. gen.) mixtura concentrata.

On trouve dans les pharmacopées plusieurs compositions sous le nom de gouttes. Celle de Paris en renferme deux : savoir, les gouttes d'Angleterre anodynes, & les gouttes d'Angleterre céphaliques.

Gouttes d'Angleterre anodynes. Prenez d'écorce de sassafras, de racine de cabaret, de chacun une once ; de bois d'aloës demi-once ; d'opium choisi deux gros ; de sels volatils de crane humain & de sang humain, de chacun demi-gros ; d'esprit-de-vin rectifié une livre : digérez à une chaleur douce pendant vingt jours, décantez & gardez pour l'usage dans un vaisseau fermé.

L'opium est dans cette préparation environ une quarante-huitieme partie du tout ; par conséquent il faut en donner deux scrupules ou environ cinquante gouttes, pour avoir un remede narcotique répondant à un grain d'opium.

Gouttes d'Angleterre céphaliques. Prenez de l'esprit volatil de soie crue avec son sel, quatre onces ; d'huile essentielle de lavande un gros ; d'esprit-de-vin rectifié demi-once : faites digérer pendant vingt-quatre heures, & distillez doucement au bain-marie jusqu'à ce qu'il s'éleve de l'huile ; gardez pour l'usage. Voyez à l'art. suivant un procédé un peu différent.

Ce n'est ici proprement qu'un esprit volatil aromatique huileux ; il ne differe de celui qu'on trouve sous ce nom générique dans la pharmacopée de Paris, qu'en ce que sa composition est beaucoup plus simple que celle de celui-ci, & qu'on y employe un alkali volatil plus gras, celui de soie, au lieu de celui de sel ammoniac ; mais ces différences ne sont point essentielles quant aux vertus medecinales. V. ESPRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX. (b)

GOUTTES de Goddard, (Chim.) remede chimique qui a fait autrefois beaucoup de bruit, & qui a été fort vanté pour les vertus qu'on lui attribuoit dans les foiblesses, l'assoupissement, la léthargie, l'apoplexie, & autres maladies aussi graves.

Goddard son inventeur exerçoit la Medecine à Londres avec réputation sous le regne de Charles II. Ce prince eut bien de la peine à obtenir de lui son secret pour vingt-cinq mille écus ; mais enfin il le lui vendit cette somme par respect & par égard : c'est ce qui a fait donner à ce remede en France le nom de gouttes d'Angleterre, qu'on appelloit dans le pays gouttes de Goddard.

Charles II. ne tarda pas à communiquer à ses medecins la composition des gouttes de Goddard ; cependant elle a été long-tems un mystere, connu seulement de quelques anglois qui le cachoient aux étrangers. Mais Lister célébre par divers ouvrages, persuadé que cette jalousie de nation est ennemie du genre humain, découvrit la préparation à M. de Tournefort, qui l'a rendue publique. La voici.

Prenez de la soie crue, remplissez-en une cornue luttée ; donnez-y un feu doux, il en sortira un phlegme, un sel volatil, & une huile qui se fige comme du beurre. Prenez quatre onces de sel volatil, une dragme d'huile de lavande & huit onces d'esprit-de-vin ; mettez le tout dans une petite cornue de verre, adaptez-y un récipient, luttez les jointures ; placez-la sur le feu de sable, le sel passera d'abord en forme seche ; ensuite viendra l'esprit éthéré de lavande & de vin imprégné du sel volatil : voilà les gouttes de Goddard.

Ces gouttes ne sont donc que l'esprit volatil de soie crue, rectifié avec l'huile essentielle de lavande ; & M. de Tournefort a trouvé par expérience qu'elles n'ont aucun avantage sur les préparations de la corne de cerf & du sel ammoniac, si ce n'est par une odeur plus supportable.

Cependant leur préparation nous apprend comment il faut faire les sels volatils huileux. En effet, au lieu de sel de la soie, on peut se servir de sel ammoniac & du tartre en parties égales. On met le mélange dans une cucurbite de verre ou de grès ; on y verse de bon esprit-de-vin jusqu'à ce qu'il surpasse la matiere de quatre doigts ; on brouille les matieres, on ajuste un chapiteau & un récipient à la cucurbite, on lutte les jointures, on pose le vaisseau sur le sable ; on lui donne un feu leger durant deux ou trois heures, il vient un sel & un esprit ; lorsqu'il ne sort plus rien, on délute les vaisseaux, on met le sel volatil dans une cucurbite ; sur une once, on verse deux dragmes de quelque essence aromatique, on remue la matiere, on adapte un chapiteau à la cucurbite avec un récipient, on lutte les jointures, on pose cette cucurbite sur le sable ; on lui donne un petit feu, il s'élevera un sel volatil ; & alors vous laisserez refroidir le vaisseau pour retirer votre sel.

Ces sels volatils huileux passerent dans les commencemens pour des panacées, de sorte qu'on les multiplia de tous côtés. De-là vinrent plusieurs sortes de liqueurs ou de teintures qu'on appella indistinctement gouttes d'Angleterre, & que l'on confondit souvent au grand préjudice des malades, puisque les unes étoient de simples mélanges de sels ou esprits volatils & d'essences aromatiques, & les autres étoient des mélanges de teinture d'opium distillé, & de quelques esprits volatils. Or on sent bien que les opérations de ces deux différens remedes, sous le même nom, devoient être très-différentes. Aujourd'hui les gouttes d'Angleterre ou de Goddard ont fait place à d'autres remedes du même genre, sel d'Angleterre, teinture de karabé, esprit-de-sel ammoniac, & plusieurs autres semblables à qui l'on donne tous les jours de nouveaux noms pour renouveller leur débit ; & cette ruse ne manquera jamais de succès. (D.J.)

GOUTTE, parmi les Horlogers ; c'est une petite plaque ronde convexe d'un côté, & plate ou concave de l'autre ; on l'appelle aussi quelquefois goutte de suif. Dans une montre la goutte de la grande roue sert à la maintenir toûjours contre la base de la fusée. Cette goutte est souvent quarrée, pour qu'on puisse la prendre avec des pincettes, & l'enfoncer avec force sur l'arbre de la fusée. Elle est ordinairement noyée dans la petite creusure de la grande roue, qui est opposée à celle où est l'encliquetage. Voyez FUSEE, GRANDE ROUE, &c. Voyez nos Planches de l'Horlogerie, & leur explication. (T)


GOUTTadject. semé de gouttes, en terme de Blason anglois, signifie un champ chargé ou arrosé de gouttes.

En blasonnant, il faut exprimer la couleur des gouttes, c'est-à-dire goutté de sable, de gueules, &c.

Quelques auteurs veulent que les gouttes rouges soient appellées gouttes de sang ; les noires, gouttes de poix ; les blanches, gouttes d'eau. Chambers.


GOUTTIEREsubst. f. en Architecture, canal de plomb ou de bois soûtenu d'une barre de fer, pour jetter les eaux du chesneau d'un comble, dans une rue ou dans une cour ; les plus riches de ces gouttieres se font en forme de canon, & sont ambouties de moulures & ornées de feuilles moulées. Les gouttieres de bois & de plomb ne peuvent avoir, suivant l'ordonnance, que trois piés de saillie au-delà du nû du mur.

Gouttiere de pierre, canal de pierre à la place des gargouilles dans les corniches. Il s'en fait en matiere de demi-vase coupé en longueur, comme il s'en voit au vieux louvre. Les gouttieres des bâtimens gothiques sont formées de chimeres, harpies, & autres animaux imaginaires ; on nomme aussi gargouilles, ces sortes de gouttieres. (P)

GOUTTIERES, (Marine) La tonture des ponts fait que l'eau coule vers les bords où l'on met une piece qui forme le premier bordage horisontal ou du pont, & le commencement du bordage vertical ou de la premiere vaigre de l'entrepont. Cette piece qui regne tout-au-tour du vaisseau se nomme la gouttiere : elle est entaillée d'un pouce & demi ou deux pouces vis-à-vis chaque bau & chaque barrot ; on l'entaille aussi vis-à-vis chaque aiguillette de parque, de tout l'équarrissage de l'aiguillette.

La gouttiere repose sur les entreprises, qui sont des pieces qui s'étendent d'un bau à l'autre ; elle est clouée sur les baux & arrêtée sur les membres par des chevilles qui percent les bordages, les membres, la gouttiere, & qui sont clavetées en-dedans sur des viroles.

C'est dans les gouttieres qu'on perce les dalots ou les trous par lesquels l'eau doit s'échapper.

Il faut que la partie de la gouttiere qui porte sur les baux, sans y comprendre l'entaille qui forme la gouttiere, ait la même épaisseur que les illoires.

Les gouttieres n'ont jamais trop de largeur, & on les laisse de toute la longueur des pieces.

Pour bien comprendre leur situation dans le vaisseau, voyez Marine, Pl. V. fig. 1. n°. 144. gouttieres des gaillards ; n°. 74. gouttieres du premier pont, & n°. 75. les serres-gouttieres du premier pont.

GOUTTIERE A JETTER TREMPE, terme de Brasserie ; c'est un canal pour conduire l'eau du bec à jetter trempe dans la pompe de la cuve-matiere. Voyez BRASSERIE.

GOUTTIERE, (Reliure) on appelle de ce nom la marge extérieure ou de devant d'un livre quand il est rogné ou relié. Voyez ROGNER. On fait la gouttiere en mettant deux ais à rogner, l'un d'un côté du volume, l'autre de l'autre, & abbaissant un peu chacun des côtés du volume pour faire élever les feuilles du milieu ; ensorte que l'ouvrier en rognant son volume, puisse faire une marge égale à toutes les feuilles du volume, & que donnant ensuite une forme convexe au dos, le devant paroisse de la forme d'une gouttiere bien droite & bien égale. Voyez ROGNER & RELIER.

GOUTTIERES, (Vénerie) il se dit des raies creuses qui sont le long des perches ou du marrain de la tête du cerf, du daim, ou du chevreuil.


GOUVERNAILS. m. (Marine) c'est une piece de bois d'une certaine largeur, assujettie à l'étambot par des gonds & des pentures qui lui permettent de tourner à gauche & à droite, suivant la route qu'on veut faire. Du côté du vaisseau où il se termine en forme de coin, il a la même épaisseur que l'étambot ; on a coûtume de le tailler en queue d'aronde, c'est-à-dire qu'il est plus épais en-dehors que du côté de l'étambot, pour que l'angle qu'il fait avec la quille soit moins obtus.

La partie du gouvernail qui touche à l'étambot est de chêne ; le reste qu'on nomme le safran, est d'un bois plus leger comme de sapin.

La barre du gouvernail est un levier ou une longue piece de bois de chêne qui entre par un de ses bouts dans une mortaise pratiquée au haut du gouvernail ; elle sert à le faire mouvoir. Voyez Pl. IV. Marine, fig. prem. n°. 175. le gouvernail, n°. 176. le safran du gouvernail, n°. 177. la barre du gouvernail ou gousset, n°. 178. le taquet du gousset, n°. 179. la tamise ou demi-lune, n°. 180. la noix ou hulot, n°. 181. la manuelle, n°. 182. la ferrure du gouvernail.

La tamise ou tamisaille est une piece de bois en forme d'arc, qu'on attache au-dessous du second pont dans la sainte-barbe, sur laquelle coule la barre du gouvernail lorsqu'on la fait mouvoir.

La hauteur du gouvernail doit être d'une fois un tiers l'épaisseur de la quille jointe à la hauteur de l'étambot, à quoi on ajoûte un pié & demi ou deux piés pour placer sa barre.

Sa largeur est différente dans toutes les parties de sa longueur : à l'endroit de la quille il a autant de pouces que le vaisseau a de piés de large ; au droit de la flotaison il a les trois quarts de sa plus grande largeur.

Deux piés plus haut que la flotaison il a une moitié de sa plus grande largeur, & au bout d'en-haut un peu plus du tiers.

Quelques-uns prétendent que les dimensions du gouvernail devroient être réglées plutôt sur la longueur du vaisseau que sur sa largeur, la force de la résistance devant être proportionnée à la force du mobile. Plusieurs constructeurs font que la coupe horisontale de la partie plongée augmente de largeur en s'éloignant du vaisseau ; ainsi ils la forment en queue d'aronde, dans la vûe que son angle avec la quille soit moins obtus.

Pour faire tourner le gouvernail avec plus de facilité, on se sert ordinairement d'une roue de trois ou quatre piés de diametre, placée verticalement sous le gaillard. Dans le sens de la largeur du navire, voyez dans la Planche VI. la figure 73. pour l'intelligence de la manoeuvre du gouvernail ci-après énoncée.

Cette figure représente l'étambot coté A B, le gouvernail est marqué C D ; & C E est la barre ou le timon à l'extrémité E, duquel on applique deux cordes E G I L & E F H K, qui passent sous les deux poulies F & G, qui sont arrêtées aux deux côtés du navire, & venant repasser sur les poulies H & I, remontant ensuite verticalement jusqu'à l'axe M N de la roue O P, & s'enveloppent chacune de différens côtés sur cet axe. Il est clair que lorsqu'on fait tourner la roue O P dans un certain sens, une corde se lâche en même tems que l'autre se roidit, & doit tirer le timon vers le côté du navire. La force des matelots ou des timonniers doit se trouver multipliée autant de fois que le rayon de la roue est plus grand que le rayon de son essieu, & que la longueur du timon est plus grande que la demi-largeur du gouvernail. Dans les plus grands vaisseaux la longueur du timon C E peut avoir trente piés, ce qui donne déjà un avantage à la force motrice, comme elle est appliquée à quinze fois plus de distance, son mouvement doit donc être quinze fois plus grand ; d'un autre côté le rayon de la roue O P peut être trois ou quatre fois plus grand que le rayon de l'axe ou de l'arbre M N, ce qui multiplie la force encore trois ou quatre fois.

Ainsi faisant abstraction du frottement qui ne laisse pas que d'être considérable, la force de chaque timonnier est multipliée quarante-cinq ou soixante fois ; & il suffit par conséquent de faire un effort de vingt livres, pour en soûtenir un de neuf cent ou de douze cent livres que feroit l'eau par son choc contre le gouvernail ; c'est aux Anglois que nous devons cette disposition. Si l'on veut connoître plus particulierement la théorie du gouvernail & de ses effets, il faut voir le traité du navire de M. Bouguer, & la théorie de la manoeuvre des vaisseaux de M. Pitot. (Z)

On peut comprendre sans peine par le raisonnement suivant l'effet du gouvernail. Lorsqu'on tourne le gouvernail de droite à gauche, par exemple, la résistance de l'eau qui agit sur ce gouvernail tend à pousser de gauche à droite, & pour plus de facilité on peut supposer cette résistance appliquée au point où le gouvernail est uni au vaisseau, c'est-à-dire à la poupe ; donc il y a une puissance appliquée à la poupe, laquelle puissance est dirigée de gauche à droite. Or quand l'extrémité d'un corps est poussée de gauche à droite par une puissance, cette extrémité doit tourner de gauche à droite, & l'extrémité opposée de droite à gauche. Ceux qui ne seront pas géometres peuvent s'en assûrer par l'expérience journaliere ; & à l'égard des autres, ils trouveront au mot CENTRE SPONTANE DE ROTATION, les principes d'après lesquels cette proposition peut être démontrée. Ainsi le mouvement du gouvernail dans un sens fait tourner la poupe du côté opposé, & la proue du même côté que le gouvernail.

Cette explication est simple, & peut être entendue par tout le monde ; mais elle ne suffit pas pour résoudre rigoureusement & généralement le problème des mouvemens du vaisseau & du gouvernail ; on peut le réduire à la question suivante.

Etant donnés deux corps unis ensemble par une espece de charniere (tels que le vaisseau & le gouvernail) & supposant une puissance donnée appliquée à un point donné d'un de ces corps, trouver le mouvement qui doit en résulter.

J'appellerai point d'union, l'endroit où les deux corps sont unis par charniere ; il est visible que le point d'union doit, ou au moins peut avoir un mouvement en ligne droite, dont il faut chercher la quantité & la direction, & qu'outre cela chacun de ces deux corps aura un mouvement de rotation circulaire autour du point d'union ; de maniere que si on connoît la vîtesse de rotation d'un point de chaque corps, on connoîtra la vîtesse de rotation de tous les autres points : & le mouvement de chacun sera composé de ce mouvement de rotation & d'un mouvement égal & parallele au mouvement du point d'union. Il y a donc ici quatre inconnues ; la quantité du mouvement du point d'union, sa direction, & la quantité du mouvement circulaire d'un point pris à volonté dans chaque corps. Or tous ces mouvemens doivent être tels (voyez DYNAMIQUE), que si on les imprimoit en sens contraire, ils feroient équilibre avec la puissance donnée qui pousse le corps. Décomposons donc le mouvement de chaque particule des deux corps en deux directions, l'une parallele, si l'on veut à la puissance donnée, l'autre perpendiculaire à la direction de cette même puissance. Il faut pour qu'il y ait équilibre, 1°. que la somme des forces paralleles à la puissance donnée lui soit égale ; 2°. que la force résultante des forces imprimées au navire en sens contraire, passe par le point où le gouvernail est joint au navire, c'est-à-dire par le point d'union ; 3°. que la somme des puissances perpendiculaires soit nulle ; 4°. que les forces perpendiculaires & paralleles, & la puissance donnée, se fassent mutuellement équilibre. Voilà les quatre équations qui serviront à trouver les quatre inconnues.

On pourroit croire, en y faisant peu d'attention, que la quatrieme condition revient à la premiere & à la troisieme ; mais il est aisé de voir qu'on seroit dans l'erreur. Quand deux puissances égales & paralleles, par exemple, tirent en sens contraire deux différens points d'un levier, leur somme est nulle, mais la somme de leurs momens ne l'est pas ; aussi n'y a-t-il pas équilibre. Voyez EQUILIBRE, LEVIER, MOMENT, STATIQUE.

Voilà la maniere générale de résoudre le problème ; elle peut être simplifiée par différens moyens, qu'il seroit trop long d'indiquer ici. Mais ceci suffit pour faire voir que le rapport des mouvemens du gouvernail à celui du vaisseau est un des problèmes des plus délicats de la Dynamique, & que peut-être il n'a été résolu jusqu'ici qu'assez imparfaitement, quoique suffisamment pour l'usage de la Marine.

Au reste comme la masse du gouvernail est très-petite par rapport à celle du vaisseau, on peut si l'on veut la négliger dans la solution de ce problème, & n'avoir égard qu'au mouvement du vaisseau produit par la résistance ou réaction de l'eau sur le gouvernail.

Ce problème est de la même nature que celui des rames ; il y a sur l'un & sur l'autre d'excellentes remarques à faire, que nous renvoyons au mot RAME. Ces remarques ont principalement rapport à l'action de la puissance qui fait tourner le gouvernail, & à la résistance de l'eau, qui doivent ici entrer l'une & l'autre en ligne de compte, si on veut résoudre la question avec toute la rigueur dont elle est susceptible. (O)

GOUVERNAIL, (Hydr.) on appelle aussi de ce nom la queue d'un moulin ou machine hydraulique, qui le met d'elle-même au vent. (K)


GOUVERNANCES. f. (Jurisprud.) est un titre que l'on donne à plusieurs bailliages d'Artois & de Flandres ; ce qui vient de ce qu'anciennement les gouverneurs de ces pays en étoient les grands baillifs nés ; sous les anciens comtes d'Artois on appelloit bailliage, ce qui fut dans la suite nommé gouvernance. Mais cela ne différoit que de nom ; les droits des bailliages & des gouvernances ont toûjours été les mêmes, & actuellement les bailliages ne different des gouvernances que par rapport à leur ressort ; par exemple la gouvernance ou bailliage de Bethune releve de la gouvernance d'Arras. Ainsi que l'on dise bailliage ou gouvernance de Bethune, c'est la même chose. Voyez l'auteur des notes sur la coûtume d'Artois, page 190. (A)


GOUVERNANTE D’ENFANS(Economie morale.) c’est la premiere personne à qui les grands & les riches confient l’éducation d’un enfant lorsqu’il sort des bras de la nourrice: les impressions qu’il reçoit de la gouvernante sont plus importantes qu’on ne croit; celles même que la nourrice lui donne ne sont pas sans conséquence.

Des premieres impressions que reçoit un enfant, dépendent ses premiers penchans ; de ses premiers penchans, ses premieres habitudes ; & de ces habitudes dépendront peut-être un jour les qualités ou les défauts de son esprit, & presque toûjours les vertus ou les vices de son coeur.

Considérons-le depuis l'instant qu'il est né : le premier sentiment qu'il éprouve est celui de la douleur, il la manifeste par des cris & par des larmes : si cette douleur vient de besoin, la nourrice s'empresse de le satisfaire ; si c'est d'un dérangement dans l'économie animale, la nourrice ne pouvant y apporter remede, tâche au moins de l'en distraire ; elle lui parle tendrement ; elle l'embrasse & le caresse. Ces soins & ces caresses toûjours amenées par les larmes de l'enfant, sont le premier rapport qu'il apperçoit ; bien-tôt pour les obtenir il manifestera par les mêmes signes un besoin moins grand, des douleurs moins vives ; bien-tôt encore, pour être caressé, il jettera des cris & répandra des larmes sans éprouver ni besoin ni douleur. Que si après s'être assûrée de la santé de l'enfant, la nourrice n'est pas attentive à réprimer ces premiers mouvemens d'impatience, il en contractera l'habitude ; sa moindre volonté ou le moindre retard à la satisfaire, seront suivis de cris & de mouvemens violens. Que sera-ce si une mere idolâtre veut non-seulement qu'on obéisse à son enfant, mais qu'on aille au-devant de ses moindres fantaisies ? alors ses caprices augmenteront dans une proportion centuple à l'empressement qu'on aura pour les satisfaire ; il exigera des choses impossibles, il voudra tout-à-la-fois & ne voudra pas ; chacun de ses momens sera marqué par toutes les violences dont son âge est capable : il n'a pas vécu deux ans, & voilà déjà bien des défauts acquis.

Des bras de la nourrice, il passe entre les mains d'une gouvernante : elle est bien loin de se douter qu'il faille travailler d'abord à réprimer les mauvaises habitudes que l'enfant peut avoir ; quand elle l'imagineroit, elle en seroit empêchée par les parens : on ne veut pas le contrarier, on craindroit de le fâcher. Elle va donc, pour l'accoûtumer avec elle, lui prodiguer, s'il est possible, avec plus d'excès & plus mal-à-propos les mêmes soins & les mêmes caresses ; & au lieu de prendre de l'ascendant sur lui, elle va commencer par lui en laisser prendre sur elle.

Cependant il se fortifie & son esprit commence à se développer ; ses yeux ont vû plus d'objets, ses mains en ont plus touché, plus de mots ont frappé ses oreilles ; & ces mots toûjours joints à la présence de certains objets, en retracent l'image dans son cerveau : de toutes parts s'y rassemblent des idées nouvelles ; déjà l'enfant les compare, & son esprit devient capable de combinaisons morales.

Il seroit alors de la plus grande importance de n'offrir à son esprit & à ses yeux que des objets capables de lui donner des idées justes & de lui inspirer des sentimens loüables ; il semble qu'on se propose tout le contraire.

Les premieres choses qu'on lui fait valoir ne sont capables que de flatter sa vanité ou d'irriter sa gourmandise ; les premieres loüanges qu'il reçoit roulent sur son esprit & sur sa figure ; les premieres notions qu'on lui donne de lui-même, c'est qu'il est riche ou que sa naissance est illustre ; & la naissance ou les richesses sont les premiers objets dont il entend parler avec respect ou avec envie ; s'il fait des questions, on le trompe ; veut-on l'amuser, on lui dit des absurdités ; s'il commande, on obéit ; s'il parle à-tort & à-travers, on applaudit ; on rit, s'il fait des méchancetés ; on lui apprend à frapper, à dire des injures, à contrefaire, à se moquer : ce qu'on lui recommande comme raisonnable, on lui permet de ne le pas suivre ; ce qu'on lui a défendu comme condamnable, on permet qu'il le fasse, & souvent on lui en donne l'exemple : on le menace sans le punir, on le caresse par foiblesse & par fantaisie ; on le gronde par humeur & mal-à-propos : ce qu'on a refusé à sa priere, on l'accorde à son importunité, à son opiniâtreté, à ses pleurs, à ses violences. Pourroit-on s'y prendre autrement, si l'on se proposoit de lui déranger la tête & d'éteindre en lui tout sentiment de vertu ?

A l'égard des principes qu'on croit lui donner, quelle impression veut-on qu'ils fassent sur lui, quand tout contribue à les détruire ? comment respectera-t-il la religion, lorsqu'après lui en avoir enseigné les devoirs, on ne les lui fera pratiquer ni avec respect ni avec exactitude ? comment craindra-t-il ses parens, quand ils ne lui feront pas reconnoître leur autorité, & qu'ils paroîtront lui rendre beaucoup plus qu'il ne leur rend ? comment saura-t-il qu'il doit quelque chose à la société, quand il verra tout le monde s'occuper de lui, & qu'il ne sera occupé de personne ?

Abandonné au déreglement de ses goûts & au desordre de ses idées, il s'élevera lui-même le plus doucement & le plus mal qu'il lui sera possible ; le moindre penchant qu'il aura, il voudra le satisfaire ; ce penchant deviendra fort par l'habitude ; les habitudes se multiplieront ; & de leur assemblage se formera dans l'enfant l'habitude générale de compter pour rien ce qu'on lui dit être la raison, & de n'écouter que son caprice & sa volonté.

Ainsi se passent les sept premieres années de sa vie ; & ses défauts se sont tellement accrus, que les parens eux-mêmes ne peuvent plus se les dissimuler : l'enfant leur cede encore quand ils prennent un ton plus sérieux, parce qu'ils sont plus forts que lui ; mais dèslors il se promet bien de ne reconnoître aucune autorité quand il sera plus grand : à l'égard de la gouvernante, elle n'a plus d'empire sur lui, il se moque d'elle, il la méprise ; preuve évidente de la mauvaise éducation qu'il a reçûe.

Il passe entre les mains des hommes : c'est alors qu'on pense à réparer le mal qu'on a fait ; on croit la chose fort aisée : on se flatte qu'avant trois mois l'enfant ne sera pas reconnoissable ; on est dans l'erreur. Avec beaucoup de peine on pourra, jusqu'à un certain point, retrancher la superficie de ses mauvaises habitudes : mais les racines resteront ; fortifiées par le tems, elles se sont, pour ainsi dire, identifiées avec l'ame ; elles sont devenues ce qu'on appelle la nature.

Cette peinture n'a rien d'exagéré ; relativement à beaucoup d'éducations, les traits en sont plûtôt affoiblis que chargés. Ainsi sont élevés, je ne dis pas les enfans des particuliers, dont la mauvaise éducation est bien moins dangereuse pour eux & moins importante pour la société, mais les enfans des grands & des riches, c'est-à-dire ceux qui devroient être l'espérance de la nation, & qui par leur fortune & leur rang, influeront beaucoup un jour sur ses moeurs & sur sa destinée.

On s'imagine qu'il ne faut point contraindre les enfans dans leurs premieres années ; on ne fait pas attention que les contradictions qu'on leur épargne ne sont rien, que celles qu'on leur prépare seront terribles. On se propose de les plier quand ils seront forts ; pourquoi ne veut-on pas voir qu'il seroit bien plus facile & plus sûr d'y réussir quand ils sont foibles ? Quiconque a examiné les hommes dans leur enfance, & les a suivis dans les différens périodes de leur âge, a pû remarquer comme moi, que presque tous les défauts qu'ils avoient à sept ans, ils les ont conservés le reste de leur vie.

On craindroit en gênant un enfant, de troubler son bonheur & d'altérer sa santé : il est cependant manifeste que celui qui est élevé dans la soûmission est, pour le présent même, mille fois plus heureux que l'enfant le plus gâté. Qu'on examine & qu'on juge ; on verra l'enfant bien élevé être gai, content, & tranquille ; tout sera plaisir pour lui, parce qu'on lui fait tout acheter : l'autre, au contraire, est inquiet, inégal & colere à proportion qu'il a été plus gâté ; ses desirs se détruisent l'un l'autre ; la plus petite contradiction l'irrite ; rien ne l'amuse, parce qu'il est rassasié sur tout.

Croit-on que ces mouvemens violens dont il est sans-cesse agité ne puissent pas influer sur son tempérament ? croit-on que l'inquiétude de son esprit & le desordre de ses idées ne soient pas capables d'altérer les fibres délicates de son cerveau ? Qu'on y prenne garde, il n'y a guere d'enfans gâtés qui dans leurs premieres années n'ayent eu des symptomes de vertige ; & lorsqu'ils sont devenus grands, on peut juger par leur conduite si leur tête est bien saine.

Parens aveugles, vous vous trompez grossierement sur les objets que vous vous proposez ; vous n'êtes pas moins dans l'erreur sur vos propres motifs ; vous vous croyez tendres, vous n'êtes que foibles : ce ne sont pas vos enfans que vous aimez, c'est l'amusement qu'ils vous donnent.

Croyez-vous que le ciel vous les confie pour être l'objet d'une passion folle, ou pour vous servir d'amusement ? ignorez-vous que c'est un dépôt dont vous lui rendrez compte ? que vous en êtes comptables à la république, à la postérité ? pourquoi faut-il vous dire que vous l'êtes à vous-mêmes ? Un jour viendra que vous payerez bien cher les foibles plaisirs que leur enfance vous donne : quelle sera votre douleur, quand vous verrez l'objet de toutes vos affections devenu celui du mépris public ? quand son mépris pour vous-mêmes deviendra le salaire de vos molles complaisances ? quand ce fils rendu dénaturé par l'excès de vos tendresses, sera le premier à vous reprocher tous ses vices comme étant votre ouvrage ? alors vous répandrez des larmes de sang ; vous accuserez la gouvernante, le précepteur, le gouverneur, tout l'univers. Parens injustes, vous n'aurez peut-être à vous plaindre que de vous !

Si c'étoit aux meres que j'adressasse ce discours, la plûpart me regarderoient comme un moraliste atrabilaire ; c'est aux peres que je m'adresse : en leur qualité d'hommes, leur ame doit être moins foible & leurs vûes moins bornées ; il ne leur est pas permis de se laisser séduire par l'objet présent, & de ne pas porter leurs yeux dans l'avenir.

Si vous êtes dignes de ce titre de pere, vous devez vous occuper de l'éducation de vos enfans, même avant qu'ils soient nés. Quoique peu de meres soient capables de cette passion funeste qui va jusqu'à l'idolatrie, toutes sont foibles, toutes sont capables d'aveuglement : si vous voulez contenir leurs sentimens dans les bornes qu'ils doivent avoir, il faut vous y prendre de bonne heure. Faites remarquer à votre épouse la mauvaise éducation qu'on donne aux enfans de sa connoissance, les déreglemens de presque tous les jeunes gens d'un certain ordre, tous les chagrins qu'ils donnent à leurs parens, & combien les sentimens de la nature sont éteints dans leur coeur ; parlez-lui sur tout cela avec la tendresse que vous lui devez, & avec la force que doit vous inspirer un intérêt si grand. Veillez en même tems sur sa tendresse ; elle-même est un enfant à qui il seroit dangereux de laisser prendre une mauvaise habitude : si elle avoit gâter votre fils dans les bras de la nourrice, elle continueroit de le gâter entre les mains de la gouvernante ; elle mettroit obstacle à tout le bien que pourroient faire le précepteur & le gouverneur : pour la ramener, il faudroit livrer des combats ; peut-être n'auriez-vous pas la force de combattre toûjours, & votre fils seroit perdu sans ressource.

Quand on choisira une nourrice, outre les qualités physiques qu'elle doit avoir, faites ensorte qu'elle soit femme de bon sens : tant que l'enfant se portera bien, qu'on ne lui passe ni volonté ni impatience ; quand même il seroit indisposé, il ne faudroit pas s'écarter de cette méthode : un mois de maladie nuit plus à son éducation qu'une année de soins n'a pû l'avancer. Pour peu qu'il y ait de danger, tous les parens perdent la tête, & il est bien difficile qu'ils ne la perdent pas : il seroit à souhaiter qu'au-moins l'un des deux ne compromît point son autorité, que le pere prît sur lui de ne pas voir son enfant, afin que par la suite l'ascendant qu'il auroit conservé pût rendre à la mere & à la gouvernante tout celui qu'elles ont perdu. Ce n'est pas la maladie qui rend impatient, c'est l'habitude de l'être qui fait qu'on l'est davantage quand on souffre ; & c'est la foible & timide complaisance des parens qui fait qu'alors un enfant le devient à l'excès.

Si l'enfant pleure, il est aisé de démêler le motif de ses larmes ; s'il pleure pour avoir quelque chose, c'est opiniâtreté, c'est impatience ; s'il pleure sans qu'on voye pourquoi, c'est douleur : dans le premier cas, il faut le caresser, pour le distraire, n'avoir pas l'air de le comprendre, & faire tout le contraire de ce qu'il veut ; dans le second cas, consultez votre tendresse, elle vous conseillera bien.

Les premieres volontés d'un enfant sont toûjours foibles ; c'est un germe qui se développe & que la moindre résistance détruit ; elles resteront foibles tant qu'elles lui réussiront mal ; que si son impatience & ses volontés sont fortes, c'est une preuve que la nourrice n'est pas attentive, & qu'elle l'a gâté.

Dès qu'elle ne lui sera plus nécessaire, & qu'on l'aura sevré, qu'elle soit écartée. Le premier jour, l'enfant répandra des larmes ; si les larmes viennent d'attachement & de sensibilité, on ne peut payer par trop de caresses ces précieuses dispositions ; s'il s'y mêle de l'humeur, qu'on le caresse encore ; mais que les caresses diminuent à-mesure que l'humeur augmentera ; s'il demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur, qu'on est bien fâché de le refuser, mais qu'on n'accorde point aux enfans ce qu'ils demandent avec impatience : peut-être il n'entendra pas ce discours, mais il entendra l'air & le ton ; il verra qu'on ne lui donne point ce qu'il a demandé ; soit étonnement soit lassitude, il suspendra ses larmes ; qu'on profite de cet intervalle pour le satisfaire.

Le second jour, on mettra sa patience à une plus longue épreuve, & l'on continuera par degrés les jours suivans, en observant toûjours de ne le caresser que lorsqu'il sera tranquille, & de cesser les caresses qu'on lui fait, ou même de prendre un air plus sérieux dès qu'il sera opiniâtre ou impatient : cette conduite n'a rien de dur ni de cruel ; l'enfant s'appercevra bientôt qu'il n'est caressé & qu'il n'obtient ce qu'il veut que quand il est doux, & il prendra son parti de le devenir.

Dès que vous l'aurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagné ; son ame sera entre vos mains comme une cire molle que vous paitrirez comme il vous plaira ; vous n'aurez plus à travailler que sur vous-même, pour vous soûtenir dans une attention continuelle, pour démêler en lui ces semences de défauts ou de vices souvent foibles & obscures, & que néanmoins il faut réprimer dès qu'elles paroissent, si l'on veut y parvenir avec certitude & sans tourmenter l'enfant ; pour mettre votre esprit à la portée du sien, sur-tout pour avoit une conduite soûtenue : car ne croyez pas qu'on éleve un enfant avec de beaux discours & de belles phrases : vos discours pourront éclairer son esprit ; mais c'est votre conduite qui formera son caractere.

Ne ressemblez point à la plûpart des gouvernantes, qui sont tracassieres, grondeuses, acariâtres, ou au contraire toûjours en admiration devant leurs éleves, & leurs complaisantes éternelles : quelques-unes même réunissent les deux extrèmes, successivement idolâtres & pleines d'humeur. C'est leur mal-adresse, & ce sont leurs défauts qui donnent aux enfans une partie de ceux qu'ils ont. Avec beaucoup de fermeté dans la conduite, ayez beaucoup d'égalité dans l'humeur, de gaieté dans vos leçons, de douceur dans vos discours ; prêchez d'exemple, rien n'est plus puissant sur les enfans comme sur les hommes faits ; de quelque tempérament que soit votre éleve, vous verrez qu'insensiblement la douceur & la sérénité de votre ame passeront dans la sienne.

Si vous voulez l'instruire avec fruit, ne vous contentez pas de lui étaler votre éloquence devant les autres & quand vous pourrez être entendue ; ce n'est pas quand l'enfant est dissipé, que les choses sensées qu'on lui dit peuvent faire impression sur lui : c'est dans le particulier, quand son ame est tranquille & son esprit recueilli. Il n'y a point d'enfant en qui l'on ne puisse saisir de ces momens d'attention ; une gouvernante habile peut les faire naître souvent.

Dès qu'il sera capable d'avoir une idée de Dieu, expliquez-lui ce que c'est que sa toute-puissance, sa bonté, sa justice ; apprenez-lui le culte qu'on lui doit & les prieres qu'il faut lui adresser ; pour lui donner l'exemple, priez avec lui, & mettez-vous dans la posture où il doit être. Ce n'est qu'en parlant à ses yeux que vous parlerez à sa raison. A commencer du moment que vous l'aurez instruit, ne permettez jamais ni qu'il oublie de prier, ni qu'il prie dans une posture peu décente, à-moins qu'il ne soit malade : alors au lieu de ses prieres ordinaires, qu'il en fasse une courte, & qu'il n'y manque jamais : vous lui apprendrez ses autres devoirs de religion, & les lui ferez pratiquer à mesure qu'il sera en âge de les remplir.

Ses devoirs envers ses parens marcheront de pair avec ceux de la religion ; apprenez-lui que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains ; qu'il tient de leurs bontés tout ce qu'il est & tout ce qu'il a ; qu'ils sont pour lui l'image de Dieu ; que Dieu leur a donné par rapport à lui une partie de sa puissance, de sa bonté, de sa justice ; qu'il ordonne de les aimer & de les honorer, & qu'il n'a promis une longue vie qu'aux enfans qui les honorent ; mais il faut que les parens entrent bien dans vos vûes : car si vos discours ne sont pas secondés par leur conduite, toutes les leçons que vous pourrez faire à l'enfant, sont autant de paroles perdues.

Le premier sentiment qu'on doit exiger d'un enfant, ce n'est pas son amitié, c'est son respect : si l'on veut s'en faire aimer par la suite, il faut commencer par s'en faire craindre ; celui qu'on éleve dans l'indépendance n'est occupé que de lui-même, & son coeur s'endurcit ; celui qu'on éleve dans la soûmission sent le besoin qu'il a d'appui, & s'attache naturellement aux personnes dont il dépend.

Que ses parens lui cachent toute la tendresse qu'ils ont pour lui ; l'enfant en abuseroit ; qu'ils viennent rarement le trouver, ou du-moins qu'ils restent peu avec lui ; qu'ils ayent l'air de venir plûtôt pour s'informer de sa conduite que pour le caresser ; qu'ils ne badinent point avec lui d'une maniere indécente, comme avec un perroquet ou une poupée. Quand on est pere, peut-on ne pas sentir le respect qu'on doit à son fils ? Que tous les jours l'enfant aille rendre à ses parens ce qui leur est dû ; qu'il y reste peu, à-moins que ce ne soit par récompense ; si vous êtes contente de lui, qu'il y soit reçû avec bonté, qu'on lui fasse quelques caresses, qu'on lui donne quelques avis toûjours conformes à ceux que vous lui aurez donnés : car il faut qu'il y ait une correspondance exacte entre tous les discours qu'il entendra. Pour cela il est à-propos que quelqu'un d'intelligent vienne tous les matins savoir de vous ce qui s'est passé, ce que vous avez dit à l'enfant, ce que vous jugez à-propos qu'on lui dise. Si vous n'êtes pas contente de lui, qu'il se présente toûjours, c'est un devoir auquel il ne doit jamais manquer ; mais qu'alors la satisfaction de voir ses parens lui soit refusée.

Il est vraisemblable qu'il fondra en larmes. S'il est touché comme il doit l'être, ne joignez point d'autre peine à cette punition, au contraire il faut le consoler. Entrez dans sa douleur, dites-lui qu'elle est juste, mais qu'il s'y est exposé, & qu'il ne tient qu'à lui de rentrer en grace par une meilleure conduite : si au contraire il n'est pas assez sensible à cette disgrace, joignez-y toutes les privations capables de la lui faire sentir, imposez-les lui non comme la peine de sa premiere faute, mais comme celle de son insensibilité : au reste, dans une éducation bien faite, ce dernier cas ne peut guere arriver ; il faudroit que l'enfant eût été bien gâté, pour que son ame se fût endurcie à ce point-là.

Je n'ai point parlé de l'obéissance, quoiqu'elle soit la base de toute éducation ; sans elle, il est impossible de fixer aucun principe dans l'esprit d'un enfant ; elle doit être établie dans son coeur avant même qu'il sache ce que c'est qu'obéir, & je l'ai supposée en parlant des devoirs précédens. Les enfans ne sont desobéissans qu'autant qu'on veut bien qu'ils le soient ; il n'en est aucun qui ose résister soit à ce qu'on lui ordonne soit à ce qu'on lui défend, quand il est sûr d'être puni ; il ne faut pas souffrir qu'il balance ; la plus legere desobéissance doit être punie. Si dès la premiere enfance on ne l'accoûtume point à suivre la raison d'autrui, on peut-être sûr qu'il ne suivra pas la sienne quand il sera plus avancé en âge.

Au lieu de nourrir son orgueil en portant ses regards sur les avantages de sa fortune & de son rang, fixez-les sur son état présent ; faites lui voir qu'il est dépourvû de tout ce qui mérite l'estime des hommes ; qu'il n'a ni science, ni raison, ni vertus ; qu'il ne peut rien pour lui-même, & que personne n'a besoin de lui ; ne lui donnez point de titres & ne souffrez pas qu'on lui en donne ; s'il en a, il sera tems qu'il les connoisse quand il entrera dans le monde.

Qu'il soit attentif & poli, qu'il reçoive avec reconnoissance les bontés qu'on aura pour lui ; que personne ne soit son complaisant ni son adulateur : si son rang ne vous permet pas de le garantir de certains respects, qu'il sache que c'est à ses parens qu'ils s'adressent, & qu'ils sont le prix de leurs bienfaits ou de leurs vertus. Qu'il ne commande à personne, qu'il demande avec douceur, qu'il remercie avec politesse ; s'il commande, que tout le monde soit sourd, & que le mot je veux, s'il sort de sa bouche, soit un arrêt de refus prononcé par lui-même.

Qu'il ne soit point, comme tous les enfans, avide de recevoir, éloigné de donner : qu'il donne de bonne grace, sinon qu'il soit privé de ce qu'il a refusé de donner ; qu'il reçoive difficilement, qu'il ne demande jamais. On ne peut lui apprendre trop tôt qu'il est humiliant de recevoir, qu'il est doux de donner, & que c'est un devoir pour ceux qui sont dans l'abondance par rapport à ceux qui sont dans le besoin.

S'il rencontre un pauvre ou un malheureux, qu'il lui donne quelque secours : s'il reçoit un service ou un présent de gens au-dessous de lui, qu'il les récompense ou leur rende au-delà de ce qu'il a reçû : s'il brise quelque chose qu'on lui aura confié, qu'il répare le dommage par un présent qui y soit supérieur ; que tout cela se fasse par ses mains & de son argent : c'est ainsi qu'on lui en apprendra l'usage, & qu'en même tems on lui inspirera les premiers sentimens d'humanité, de générosité, de justice. Puisqu'on donne de l'argent aux enfans, il ne faut pas que ce soit pour l'amasser, comme quelques parens l'exigent, ni pour le dépenser en fantaisies, comme c'est l'intention de beaucoup d'autres, à-moins qu'on n'ait envie de les rendre avares ou dissipateurs.

Il semble qu'on ne sache loüer les enfans que sur leur esprit & sur leur figure : sont-ce là les objets qu'il faut leur présenter comme loüables ? Veut-on les rendre fats, présomptueux, frivoles ? Ces loüanges sont d'autant plus ridicules, qu'elles sont presque toûjours fausses. Ce qu'il faut loüer devant eux, ce sont les choses véritablement loüables : ce qu'on doit loüer en eux, c'est leur douceur, leur obéissance, leur exactitude à remplir leurs devoirs, leur respect & leur attachement pour les personnes qu'ils doivent aimer ; il ne faut les loüer qu'autant qu'ils le méritent. Dites à votre éleve que lorsqu'on loue un enfant sur son esprit & sur sa figure, c'est qu'on le méprise, & qu'on ne voit rien en lui qui mérite d'être loüé.

Veillez sur les personnes qui l'approcheront ; ne le laissez jamais entre les mains des valets, ou d'autres gens imprudens & grossiers ; que l'entrée de sa chambre ne soit permise qu'à des personnes prudentes & polies, qui, quand elles joueront avec lui, sachent conserver de la décence ; & qui, lorsqu'elles lui parleront raison, ne s'écartent jamais de la morale la plus exacte.

Faites ensorte qu'il ne soit point dans le sallon, quand il y aura beaucoup de monde ; il n'y trouveroit que des complaisans ou des gens qui en feroient leur joüet : ni l'un ni l'autre ne doivent convenir à des parens sensés. Les exemples qu'il verroit ne seroient point assez bons ; les conversations qu'il entendroit ne seroient point assez exactes ; beaucoup d'actions sans conséquence, ne le sont point pour un enfant ; beaucoup de discours, irrepréhensibles pour des gens faits, pourroient l'induire en erreur. Peu de gens sont capables de sentir tout le respect qu'on doit à l'enfance ; aucun n'est capable de s'y plier, à-moins qu'il n'en fasse son unique affaire. Les parens eux-mêmes ne le pourroient pas ; & leurs discours & leurs exemples seroient un piége d'autant plus dangereux pour l'enfant, qu'il a plus de respect pour eux.

Il fera des fautes, il est de l'humanité d'en faire ; mais si vous êtes attentive, il en fera peu. Les enfans ne sont presque jamais punissables, qu'il n'y ait plus de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur. Plus votre conduite sera égale & soûtenue, moins il osera s'écarter de ce que vous lui prescrirez ; plus vous mettrez de douceur, d'affection & de bonté dans vos leçons & dans vos remontrances, plus il lui sera facile de s'y conformer ; plus vous l'avertirez de ses devoirs, moins il sera en danger d'y manquer.

Il fera des fautes par ignorance, il oubliera ce que vous lui aurez dit, parce qu'on l'aura distrait ; il brisera ou renversera quelque chose par étourderie ; il ménagera peu ses vêtemens. &c. Ces bagatelles viennent de l'âge, & ne tirent point à conséquence pour l'avenir : il faut l'en avertir ; mais il ne faut pas l'en punir, à-moins qu'il n'y eût mauvaise intention.

Une desobéissance, un trait d'humeur, un mot qui n'est pas conforme à la vérité, une parole malhonnête, un coup donné, une dispute avec ses freres ou soeurs, tout ce qui peut être le germe d'un vice, tout ce qui annonce de la bassesse ou de l'insensibilité ; voilà des fautes punissables.

Ces mêmes fautes deviendront des crimes du premier ordre, quand il y aura intention marquée, récidive ou habitude ; car il faut considérer les fautes d'un enfant, moins par ce qu'elles sont, que par leur principe & par les suites qu'elles peuvent avoir.

La punition des fautes legeres, ce sera d'en avertir les parens, & de les lui reprocher devant tout le monde. Il vous priera de n'en rien faire ; soyez inexorable : bien loin de dissimuler ses fautes, il faut les exagérer. Il faut le rendre sensible à la honte, si vous voulez qu'il le devienne à l'honneur. Les fautes les plus legeres deviendront graves, à mesure qu'il y sera moins sensible : ce sera, par exemple, un crime du premier ordre, que de n'avoir pas été sensible à la honte d'une petite faute.

La punition des grands crimes sera la privation des caresses de ses parens, même la privation totale du bonheur de les voir. On y joindra, suivant l'énormité de la faute, toutes les autres privations possibles, non comme ajoûtant à la premiere, mais comme en étant la suite. L'enfant sera négligé dans son extérieur, comme il convient à un enfant disgracié de ses parens. Tout le monde saura qu'il est en disgrace, & tout le monde le fuira. Vous ne lui accorderez d'amusemens qu'autant qu'il en faut pour l'empêcher de tomber dans la langueur & dans l'abattement. Vous-même vous serez froide avec lui, mais sans cesser d'être douce. Vous lui ferez faire sur son état les remarques les plus propres à le lui rendre amer ; vous lui rappellerez qu'il est puni, dans les momens où il seroit le plus tenté de l'oublier. La durée de sa punition dépendra du besoin qu'il a d'être puni ; elle sera s'il le faut de plusieurs jours : il vaut mieux qu'elle soit plus longue, & n'être pas obligé d'y revenir. Il aura beau promettre d'être plus raisonnable, ses promesses ne seront point écoutées. Pour obtenir sa grace, il faudra qu'il la mérite, & elle ne sera jamais accordée qu'à l'excès de sa douleur & à sa bonne conduite.

En lui annonçant que ses parens consentent de le revoir, faites lui valoir l'excès de leurs bontés ; rappellez-lui la grandeur de la faute qu'il avoit commise ; attendrissez son ame, pour y porter plus avant la reconnoissance & le repentir. Dès que leurs caresses auront mis le sceau à son pardon, il rentrera en possession de son état naturel, & tout reprendra sa face accoûtumée : mais ayez soin qu'il y ait une si grande différence entre cet état & celui de disgrace, que l'enfant tremble toûjours d'encourir le dernier.

J'ai parlé de cette grande punition, persuadé qu'elle ne peut avoir lieu que rarement. Si l'on a été attentif à punir l'enfant des petites fautes, il ne s'exposera pas à en faire de plus grandes. A l'égard des verges, je n'en ai rien dit, parce qu'il n'en doit pas être question dans une éducation bien faite, si ce n'est peut-être dans le tems où la douleur est le seul langage que l'enfant puisse entendre ; ou bien lorsqu'ayant été précédemment gâté, soit parce qu'il a été malade, soit par négligence, il est parvenu à ce point d'opiniâtreté de dire affirmativement, non : alors, comme il est de la plus grande importance de ne lui pas céder, c'est avec la verge qu'il faut lui répondre. Il seroit à souhaiter qu'on le fît sans humeur ; mais si je conseillois d'attendre que la colere fût passée, je serois sûr que la faute seroit oubliée, & que l'enfant ne seroit pas puni. A l'âge où il est, il vaut mieux qu'il soit puni avec un peu d'humeur, que de ne l'être pas.

Dans tout autre cas, & dès que l'enfant est capable d'un sentiment honnête, les verges doivent être bannies. On n'en fait usage si souvent que par négligence, par humeur, ou par incapacité ; on rend ce châtiment inutile par la maniere dont on l'employe ; on n'y attache pas assez de honte. Il faudroit qu'il fût l'annonce & le prélude de toutes les autres punitions possibles, que ces punitions lui fussent imposées parce qu'il s'est fait traiter comme un enfant sans ame & sans honneur : alors ce châtiment deviendroit pour lui un évenement unique, dont la seule idée le feroit frémir ; au lieu que de la façon dont on s'y prend, il s'accoûtume à cette punition comme à toute autre chose, & n'y gagne qu'un défaut de plus.

Les coups sont un châtiment d'esclave, & je veux que votre éleve soit un enfant bien-né. Ménagez la sensibilité de son ame, & vous aurez mille moyens de le punir ou de le récompenser ; accoûtumez-le à penser noblement, cela n'est pas si difficile qu'on le croit. Le principe de l'honneur est dans les enfans comme dans les hommes faits, puisque l'amour-propre y est ; il n'est question que de le bien diriger, & de l'attacher invariablement à des objets honnêtes. Les enfans sont incapables de discussion ; ils ne jugent des choses que par le prix qu'on y met ; mettez à un haut prix celles que vous voudrez qu'il estime, & vous verrez qu'il les estimera ; faites-lui faire une chose loüable pour mériter d'en faire une autre, c'est une excellente économie. Accordez-lui les choses de son âge, non comme bonnes, mais comme nécessaires à sa foiblesse ; refusez-les lui, non comme estimables, mais parce qu'il les aime, & qu'on ne doit point avoir d'indulgence pour un enfant qui se conduit mal ; ne les lui proposez jamais comme des récompenses dignes de lui ; cherchez ces récompenses dans des objets qu'il doive aimer, & dont il doive faire cas toute sa vie ; placez-les dans les caresses de ses parens, dans quelque devoir de religion qu'il n'ait point encore rempli, dans quelque action supérieure à son âge qu'il n'ait point encore faite, dans le plaisir d'apprendre quelque chose qu'il ignore, dans la considération, dans l'estime, dans les loüanges ; car il faut lui faire aimer les loüanges pour l'amener au goût des choses loüables.

Quand il s'est distingué par quelque qualité loüable, qu'est-ce qui empêcheroit qu'on ne lui donnât un surnom qui exprimât cette qualité ; qu'on ne l'appellât le raisonnable, le véridique, le bienfaisant, le poli ; qu'on ne lui écrivît, soit pour le loüer de ce qu'il auroit fait de bien, soit pour lui reprocher ses défauts, en mettant en tête de la lettre les titres qu'il auroit mérités, ou en le menaçant de les lui supprimer, s'il continuoit à s'en rendre indigne ?

C'est ainsi qu'on peut élever son ame au-dessus des sentimens de son âge ; échauffée par l'émulation & par l'amour de la gloire, elle s'ouvrira d'elle-même à toutes les semences de raison & de vertu que vous y voudrez répandre ; toute l'activité qui l'auroit entraînée vers le mal, la portera vers le bien ; à-mesure que vous y verrez croître les semences précieuses que vous y aurez versées, cultivez-les par les mêmes moyens que vous les aurez fait naître. Caressez, loüez, applaudissez. Dès que de son propre mouvement il aura fait ou pensé quelque chose de loüable, imaginez-en quelqu'autre à lui faire faire pour le récompenser. Que tout le monde vienne lui faire compliment avec un air de considération. J'ai recommandé aux parens d'aller rarement chez leurs enfans, & d'être ménagers de leurs caresses, mais ceci est un cas à part ; c'est le seul où il leur soit permis de laisser éclater toute leur tendresse ; puisque l'enfant a été capable d'un sentiment vertueux, il faut pour l'instant le regarder comme un homme fait, & aller dans sa chambre lui rendre l'hommage qu'on doit à la sagesse & à la vertu.

Quand l'enfant sera près de sortir de vos mains, ne vous relâchez en rien de vos soins ni de votre attention. Ne souffrez pas qu'il s'écarte de la soûmission accoûtumée. C'est une chose aussi déraisonnable qu'ordinaire, de préparer un enfant par plus d'indépendance à un état plus subordonné.

J'ai parlé des moeurs de l'enfant ; je parlerai de son esprit au mot INSTITUTION, & ce ne sera qu'alors que je pourrai dire mon avis sur le choix d'une gouvernante. Article de M. LEFEBVRE.


GOUVERNES. f. (Comm.) terme usité dans les écritures mercantilles, pour signifier guide, regle, conduite : ainsi quand un négociant écrit à son correspondant ou commissionnaire que ce qu'il lui mande doit lui servir de gouverne, c'est-à-dire que le commissionnaire doit se gouverner, se guider, se regler conformément à ce que lui marque son commettant. Quelques-uns se servent aussi du mot gouverno, qui a précisément la même signification. Dict. de Com. (G)


GOUVERNEMENTS. m. (Droit nat. & polit.) maniere dont la souveraineté s'exerce dans chaque état. Examinons l'origine, les formes, & les causes de la dissolution des gouvernemens. Ce sujet mérite les regards attentifs des peuples & des souverains.

Dans les premiers tems, un pere étoit de droit le prince & le gouverneur né de ses enfans ; car il leur auroit été bien mal-aisé de vivre ensemble sans quelque espece de gouvernement : eh quel gouvernement plus simple & plus convenable pouvoit-on imaginer, que celui par lequel un pere exerçoit dans sa famille la puissance exécutrice des lois de la nature !

Il étoit difficile aux enfans devenus hommes faits, de ne pas continuer à leur pere l'autorité de ce gouvernement naturel par un consentement tacite ; ils étoient accoûtumés à se voir conduire par ses soins, & à porter leurs différends devant son tribunal. La communauté des biens établie entr'eux, les sources du desir d'avoir encore inconnues, ne faisoient point germer de disputes d'avarice ; & s'il s'en élevoit quelqu'une sur d'autres sujets, qui pouvoit mieux les juger qu'un pere plein de lumieres & de tendresse ?

L'on ne distinguoit point dans ces tems-là entre minorité & majorité ; & si l'enfant étoit dans un âge à disposer de sa personne & des biens que le pere lui donnoit, il ne desiroit point de sortir de tutele, parce que rien ne l'y engageoit : ainsi le gouvernement auquel chacun s'étoit soûmis librement, continuoit toûjours à la satisfaction de chacun, & étoit bien plutôt une protection & une sauve-garde, qu'un frein & une sujétion : en un mot les enfans ne pouvoient trouver ailleurs une plus grande sûreté pour leur paix, pour leur liberté, pour leur bonheur, que dans la conduite & le gouvernement paternel.

C'est pourquoi les peres devinrent les monarques politiques de leurs familles ; & comme ils vivoient long-tems, & laissoient ordinairement des héritiers capables & dignes de leur succéder, ils jettoient par-là les fondemens des royaumes héréditaires ou électifs, qui depuis ont été reglés par diverses constitutions & par diverses lois, suivant les pays, les lieux, les conjonctures & les occasions.

Que si après la mort du pere, le plus proche héritier qu'il laissoit n'étoit pas capable du gouvernement faute d'âge, de sagesse, de prudence, de courage, ou de quelque autre qualité ; ou bien si diverses familles convenoient de s'unir & de vivre ensemble dans une société, il ne faut point douter qu'alors tous ceux qui composoient ces familles n'usassent de leur liberté naturelle, pour établir sur eux celui qu'ils jugeoient le plus capable de les gouverner. Nous voyons que les peuples d'Amérique qui vivent éloignés de l'épée des conquérans, & de la domination sanguinaire des deux grands empires du Pérou & du Mexique, joüissent encore de leur liberté naturelle, & se conduisent de cette maniere ; tantôt ils choisissent pour leur chef l'héritier du dernier gouverneur ; tantôt le plus vaillant & le plus brave d'entr'eux. Il est donc vraisemblable que tout peuple, quelque nombreux qu'il soit devenu, quelque vaste pays qu'il occupe, doit son commencement à une ou à plusieurs familles associées. On ne peut pas donner pour l'origine des nations, des établissemens par des conquêtes ; ces évenemens sont l'effet de la corruption de l'état primitif des peuples, & de leurs desirs immodérés. Voyez CONQUETE.

Puisqu'il est constant que toute nation doit ses commencemens à une ou à plusieurs familles ; elle a dû au-moins pendant quelque tems conserver la forme du gouvernement paternel, c'est-à-dire n'obéir qu'aux lois d'un sentiment d'affection & de tendresse, que l'exemple d'un chef excite & fomente entre des freres & des proches : douce autorité qui leur rend tous les biens communs, & ne s'attribue elle-même la propriété de rien !

Ainsi chaque peuple de la terre dans sa naissance & dans son pays natal, a été gouverné comme nous voyons que le sont de nos jours les petites peuplades de l'Amérique, & comme on dit que se gouvernoient les anciens Scythes, qui ont été comme la pepiniere des autres nations : mais à-mesure que ces peuples se sont accrus par le nombre & l'étendue des familles, les sentimens d'union fraternelle ont dû s'affoiblir.

Celles de ces nations qui par des causes particulieres sont restées les moins nombreuses, & sont plus long-tems demeurées dans leur patrie, ont le plus constamment conservé leur premiere forme de gouvernement toute simple & toute naturelle : mais les nations qui trop resserrées dans leur pays, se sont vues obligées de transmigrer, ont été forcées par les circonstances & les embarras d'un voyage, ou par la situation & par la nature du pays où elles se sont portées, d'établir d'un libre consentement les formes de gouvernement qui convenoient le mieux à leur génie, à leur position & à leur nombre.

Tous les gouvernemens publics semblent évidemment avoir été formés par délibération, par consultation & par accord. Qui doute, par exemple, que Rome & Venise n'ayent commencé par des hommes libres & indépendans les uns à l'égard des autres, entre lesquels il n'y avoit ni supériorité ni sujétion naturelle, & qui sont convenus de former une société de gouvernement ? Il n'est pas cependant impossible, à considérer la nature en elle-même, que des hommes puissent vivre sans aucun gouvernement public. Les habitans du Pérou n'en avoient point ; encore aujourd'hui les Chériquanas, les Floridiens & autres, vivent par troupes sans regles & sans lois : mais en général, comme il falloit chez les autres peuples moins sauvages repousser avec plus de sûreté les injures particulieres, ils prirent le parti de choisir une sorte de gouvernement & de s'y soûmettre, ayant reconnu que les desordres ne finiroient point, s'ils ne donnoient l'autorité & le pouvoir à quelqu'un ou à quelques-uns d'entr'eux de décider toutes les querelles, personne n'étant en droit sans cette autorité de s'ériger en seigneur & en juge d'aucun autre. C'est ainsi que se conduisirent ceux qui vinrent de Sparte avec Pallante, & dont Justin fait mention. En un mot toutes les sociétés politiques ont commencé par une union volontaire de particuliers, qui ont fait le libre choix d'une sorte de gouvernement ; ensuite les inconvéniens de la forme de quelques-uns de ces gouvernemens, obligerent les mêmes hommes qui en étoient membres, de les réformer, de les changer, & d'en établir d'autres.

Dans ces sortes d'établissemens s'il est arrivé d'abord (ce qui peut être) qu'on se soit contenté de remettre tout à la sagesse & à la discrétion de celui ou de ceux qui furent choisis pour premiers gouverneurs, l'expérience fit voir que ce gouvernement arbitraire détruisoit le bien public, & aggravoit le mal loin d'y remédier : c'est pourquoi on fit des lois, dans lesquelles chacun put lire son devoir & connoître les peines que méritent ceux qui les violent.

La principale de ces lois fut que chacun auroit & posséderoit en sûreté ce qui lui appartenoit en propre. Cette loi est de droit naturel. Quel que soit le pouvoir qu'on accorde à ceux qui gouvernent, ils n'ont point le droit de se saisir des biens propres d'aucun sujet, pas même de la moindre portion de ces biens, contre le consentement du propriétaire. Le pouvoir le plus absolu, quoiqu'absolu quand il est nécessaire de l'exercer, n'est pas même arbitraire sur cet article ; le salut d'une armée & de l'état demande qu'on obéisse aveuglement aux officiers supérieurs : un soldat qui fait signe de contester est puni de mort ; cependant le général même avec tout son pouvoir de vie & de mort, n'a pas celui de disposer d'un denier du bien de ce soldat, ni de se saisir de la moindre partie de ce qui lui appartient en propre.

Je sai que ce général peut faire des conquêtes, & qu'il y a des auteurs qui regardent les conquêtes comme l'origine & le fondement des gouvernemens : mais les conquêtes sont aussi éloignées d'être l'origine & le fondement des gouvernemens, que la démolition d'une maison est éloignée d'être la vraie cause de la construction d'une autre maison dans la même place. A la vérité la destruction d'un état prépare un nouvel état ; mais la conquête qui l'établit par la force n'est qu'une injustice de plus : toute puissance souveraine légitime doit émaner du consentement libre des peuples.

Quelques-uns de ces peuples ont placé cette puissance souveraine dans tous les chefs de famille assemblés, & réunis en un conseil, auquel est dévolu le pouvoir de faire des lois pour le bien public, & de faire exécuter ces lois par des magistrats commis à cet effet ; & alors la forme de ce gouvernement se nomme une démocratie. Voyez DEMOCRATIE.

D'autres peuples ont attribué toute l'autorité souveraine à un conseil, composé des principaux citoyens, & alors la forme de ce gouvernement s'appelle une aristocratie. Voyez ARISTOCRATIE.

D'autres nations ont confié indivisément la souveraine puissance & tous les droits qui lui sont essentiels, entre les mains d'un seul homme, roi, monarque ou empereur ; & alors la forme de ce gouvernement est une monarchie. Voyez MONARCHIE.

Quand le pouvoir est remis entre les mains de ce seul homme, & ensuite de ses héritiers ; c'est une monarchie héréditaire ; s'il lui est confié seulement pendant sa vie, & à condition qu'après sa mort le pouvoir retourne à ceux qui l'ont donné, & qu'ils nommeront un successeur, c'est une monarchie élective.

D'autres peuples faisant une espece de partage de souveraineté, & mélangeant pour ainsi dire les formes des gouvernemens dont on vient de parler, en ont confié les différentes parties en différentes mains, ont tempéré la monarchie par l'aristocratie, & en même tems ont accordé au peuple quelque part dans la souveraineté.

Il est certain qu'une société a la liberté de former un gouvernement de la maniere qu'il lui plaît, de le mêler & de le combiner de différentes façons. Si le pouvoir législatif a été donné par un peuple à une personne, ou à plusieurs à vie, ou pour un tems limité, quand ce tems-là est fini, le pouvoir souverain retourne à la société dont il émane. Dès qu'il y est retourné, la société en peut de nouveau disposer comme il lui plaît ; le remettre entre les mains de ceux qu'elle trouve bon, de la maniere qu'elle juge à-propos, & ainsi ériger une nouvelle forme de gouvernement. Que Puffendorf qualifie tant qu'il voudra toutes les sortes de gouvernemens mixtes du nom d'irréguliers, la véritable régularité sera toûjours celle qui sera le plus conforme au bien des sociétés civiles.

Quelques écrivains politiques prétendent que tous les hommes étant nés sous un gouvernement, n'ont point la liberté d'en instituer un nouveau : chacun, disent-ils, naît sujet de son pere ou de son prince, & par conséquent chacun est dans une perpétuelle obligation de sujétion ou de fidélité. Ce raisonnement est plus spécieux que solide. Jamais les hommes n'ont regardé aucune sujétion naturelle dans laquelle ils soient nés, à l'égard de leur pere ou de leur prince, comme un lien qui les oblige sans leur propre consentement à se soûmettre à eux. L'histoire sacrée & profane nous fournissent de fréquens exemples d'une multitude de gens qui se sont retirés de l'obéissance & de la jurisdiction sous laquelle ils étoient nés, de la famille & de la communauté dans laquelle ils avoient été nourris, pour établir ailleurs de nouvelles sociétés & de nouveaux gouvernemens.

Ce sont ces émigrations, également libres & légitimes, qui ont produit un si grand nombre de petites sociétés, lesquelles se répandirent en différens pays, se multiplierent, & y séjournerent autant qu'elles trouverent dequoi subsister, ou jusqu'à ce que les plus forts engloutissant les plus foibles, établirent de leurs débris de grands empires, qui à leur tour ont été brisés & dissous en diverses petites dominations : au lieu de quantité de royaumes, il ne se seroit trouvé qu'une seule monarchie dans les premiers siecles, s'il étoit vrai que les hommes n'ayent pas eû la liberté naturelle de se séparer de leurs familles & de leur gouvernement, quel qu'il ait été, pour en ériger d'autres à leur fantaisie.

Il est clair par la pratique des gouvernemens eux-mêmes, aussi-bien que par les lois de la droite raison, qu'un enfant ne naît sujet d'aucun pays ni d'aucun gouvernement ; il demeure sous la tutele & l'autorité de son pere, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à l'âge de raison. A cet âge de raison, il est homme libre, il est maître de choisir le gouvernement sous lequel il trouve bon de vivre, & de s'unir au corps politique qui lui plaît davantage ; rien n'est capable de le soûmettre à la sujétion d'aucun pouvoir sur la terre, que son seul consentement. Le consentement qui le soûmet à quelque gouvernement, est exprès ou tacite. Le consentement exprès le rend sans contredit membre de la société qu'il adopte ; le consentement tacite le lie aux lois du gouvernement dans lequel il joüit de quelque possession : mais si son obligation commence avec ses possessions, elle finit aussi avec leur joüissance. Alors des propriétaires de cette nature sont maîtres de s'incorporer à une autre communauté, & d'en ériger une nouvelle, in vacuis locis, comme on dit en termes de Droit, dans un désert, ou dans quelque endroit du monde, qui soit sans possesseurs & sans habitations.

Cependant, quoique les hommes soient libres de quitter un gouvernement, pour se soûmettre à un autre, il n'en faut pas conclure que le gouvernement auquel ils préferent de se soûmettre, soit plus légitime que celui qu'ils ont quitté ; les gouvernemens de quelque espece qu'ils soient, qui ont pour fondement un acquiescement libre des peuples, ou exprès, ou justifié par une longue & paisible possession, sont également légitimes, aussi long-tems du-moins que par l'intention du souverain, ils tendent au bonheur des peuples : rien ne peut dégrader un gouvernement qu'une violence ouverte & actuelle, soit dans son établissement, soit dans son exercice, je veux dire l'usurpation & la tyrannie. Voyez USURPATION & TYRANNIE.

Mais la question qui partage le plus les esprits, est de déterminer quelle est la meilleure forme de gouvernement. Depuis le conseil tenu à ce sujet par les sept grands de Perse jusqu'à nos jours, on a jugé diversement cette grande question, discutée jadis dans Hérodote, & on l'a presque toûjours décidée par un goût d'habitude ou d'inclination, plûtôt que par un goût éclairé & refléchi.

Il est certain que chaque forme de gouvernement a ses avantages & ses inconvéniens, qui en sont inséparables. Il n'est point de gouvernement parfait sur la terre ; & quelque parfait qu'il paroisse dans la spéculation, dans la pratique & entre les mains des hommes il sera toûjours accompagné d'instabilité, de révolutions & de vicissitudes : enfin le meilleur se détruira, tant que ce seront des hommes qui gouverneront des hommes.

On pourroit cependant répondre en général à la question proposée, que c'est dans un tempérament propre à réprimer la licence, sans dégénérer en oppression, qu'il faut prendre l'idée de la meilleure forme de gouvernement. Tel sera celui qui fuyant les extrémités, pourra pourvoir au bon ordre, aux besoins du dedans & du dehors, en laissant au peuple des sûretés suffisantes qu'on ne s'écartera pas de cette fin.

Le législateur de Lacédémone voyant que les trois sortes de gouvernemens simples avoient chacun de grands inconvéniens ; que la monarchie dégénéroit aisément en pouvoir arbitraire, l'aristocratie en un gouvernement injuste de quelque particulier, & la démocratie en une domination aveugle & sans regles ; Lycurgue, dis-je, crut devoir faire entrer ces trois sortes de gouvernemens dans celui de sa patrie, & les fondre, pour ainsi dire, en un seul, en sorte qu'ils se servissent l'un à l'autre de balance & de contre-poids. Ce sage mortel ne se trompa pas, du-moins nulle république n'a conservé si long-tems ses lois, ses usages & sa liberté, que celle de Lacédémone.

Il y a dans l'Europe un état extrèmement florissant, où les trois pouvoirs sont encore mieux fondus que dans la république des Spartiates. La liberté politique est l'objet direct de la constitution de cet état, qui, selon toute apparence, ne peut périr par les desordres du dedans, que lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l'exécutrice. Personne n'a mieux développé le beau système du gouvernement de l'état dont je parle, que l'auteur de l'esprit des lois.

Au reste il est très-nécessaire d'observer que tout gouvernement ne convient pas également à tous les peuples ; leur forme doit dépendre infiniment du local, du climat, ainsi que de l'esprit, du génie, du caractere de la nation, & de son étendue.

Quelque forme que l'on préfere, il y a toûjours une premiere fin dans tout gouvernement, qui doit être prise du bien général de la nation ; & sur ce principe le meilleur des gouvernemens est celui qui fait le plus grand nombre d'heureux. Quelle que soit la forme du gouvernement politique, le devoir de quiconque en est chargé, de quelque maniere que ce soit, est de travailler à rendre heureux les sujets, en leur procurant d'un côté les commodités de la vie, la sûreté & la tranquillité ; & de l'autre tous les moyens qui peuvent contribuer à leurs vertus. La loi souveraine de tout bon gouvernement est le bien public, salus populi, suprema lex esto : aussi dans le partage où l'on est sur les formes du gouvernement, on convient de cette derniere vérité d'une voix unanime.

Il est sans-doute important de rechercher, en partant d'après ce principe, quel seroit dans le monde le plus parfait gouvernement qu'on pût établir, quoique d'autres servent aux fins de la société pour laquelle ils ont été formés ; & quoiqu'il ne soit pas aussi facile de fonder un nouveau gouvernement, que de bâtir un vaisseau sur une nouvelle théorie, le sujet n'en est pas moins un des plus dignes de notre curiosité. Dans le cas même où la question sur la meilleure forme de gouvernement seroit décidée par le consentement universel des politiques, qui sait si dans quelques siecles il ne pourroit pas se trouver une occasion de réduire la théorie en pratique, soit par la dissolution d'un ancien gouvernement, soit par d'autres évenemens qui demanderoient qu'on établît quelque part un nouveau gouvernement ? Dans tous les cas il nous doit être avantageux de connoître ce qu'il y a de plus parfait dans l'espece, afin de nous mettre en état de rapprocher autant qu'il est possible toutes constitutions de gouvernement de ce point de perfection, par de nouvelles lois, par des altérations imperceptibles dans celles qui regnent, & par des innovations avantageuses au bien de la société. La succession des siecles a servi à perfectionner plusieurs arts & plusieurs sciences ; pourquoi ne serviroit-elle pas à perfectionner les différentes sortes de gouvernemens, & à leur donner la meilleure forme ?

Déjà par des principes éclairés & des expériences connues, on éviteroit dans une nouvelle constitution ou dans une réforme de gouvernement, tous les défauts palpables qui s'opposent ou qui ne manqueroient pas de s'opposer à son accroissement, à sa force & à sa prospérité.

Ce seroit des défauts dans un gouvernement, si les lois & les coûtumes d'un état n'étoient pas conformes au naturel du peuple, ou aux qualités & à la situation du pays. Par exemple, si les lois tendoient à tourner du côté des armes un peuple propre aux arts de la paix ; ou si ces mêmes lois négligeoient d'encourager, d'honorer le commerce & les manufactures, dans un pays situé favorablement pour en retirer un grand profit. Ce seroit des défauts dans un gouvernement, si la constitution des lois fondamentales n'étoit avantageuse qu'aux grands ; si elle tendoit à rendre l'expédition des affaires également lente & difficile. Telles sont les lois à réformer en Pologne, où, d'un côté, celui qui a tué un paysan, en est quitte pour une amende ; & où d'un autre côté, l'opposition d'un seul des membres de l'assemblée rompt la diete, qui d'ailleurs est bornée à un tems trop court pour l'expédition des affaires. Enfin (car je n'ai pas le dessein de faire la satyre des états) partout où se trouveroient des réglemens & des usages contraires aux maximes capitales de la bonne politique, ce seroit des défauts considérables dans un gouvernement ; & si par malheur on pouvoit colorer ces défauts du prétexte spécieux de la religion, les effets en seroient beaucoup plus funestes.

Ce n'est pas assez que d'abroger les lois qui sont des défauts dans un état, il faut que le bien du peuple soit la grande fin du gouvernement. Les gouverneurs sont nommés pour la remplir ; & la constitution civile qui les revêt de ce pouvoir, y est engagée par les lois de la nature, & par la loi de la raison, qui a déterminé cette fin dans toute forme de gouvernement, comme le mobile de son bonheur. Le plus grand bien du peuple, c'est sa liberté. La liberté est au corps de l'état, ce que la santé est à chaque individu ; sans la santé, l'homme ne peut goûter de plaisir ; sans la liberté, le bonheur est banni des états. Un gouverneur patriote verra donc que le droit de défendre & de maintenir la liberté, est le plus sacré de ses devoirs.

Ensuite le soin principal dont il doit s'occuper, est de travailler à prévenir toutes les tristes causes de la dissolution des gouvernemens ; & cette dissolution peut se faire par les desordres du dedans, & par la violence du dehors.

1°. Cette dissolution du gouvernement peut arriver, lorsque la puissance législative est altérée. La puissance législative est l'ame du corps politique ; c'est de-là que les membres de l'état tirent tout ce qui leur est nécessaire pour leur conservation, pour leur union, & pour leur bonheur. Si donc le pouvoir législatif est ruiné, la dissolution & la mort de tout le corps politique s'ensuivent.

2°. Un gouvernement peut se dissoudre, lorsque celui qui a la puissance suprême & exécutrice abandonne son emploi, de maniere que les lois déjà faites ne puissent être mises en exécution. Ces lois ne sont pas établies pour elles-mêmes ; elles n'ont été données que pour être les liens de la société, qui continssent chaque membre dans sa fonction. Si les lois cessent, le gouvernement cesse en même tems, & le peuple devient une multitude confuse, sans ordre & sans frein ; quand la justice n'est plus administrée, & que par conséquent les droits de chacun ne sont plus en sûreté, il ne reste plus de gouvernement. Dès que les lois n'ont plus d'exécution, c'est la même chose que s'il n'y en avoit point ; un gouvernement sans lois, est un mystere dans la politique, inconcevable à l'esprit de l'homme, & incompatible avec la société humaine.

3°. Les gouvernemens peuvent se dissoudre quand la puissance législative ou exécutrice agissent par la force, au-delà de l'autorité qui leur a été commise, & d'une maniere opposée à la confiance qu'on a prise en elles : c'est ce qui arrive, par exemple, lorsque ceux qui sont revêtus de ces pouvoirs, envahissent les biens des citoyens, & se rendent arbitres absolus des choses qui appartiennent en propre à la communauté, je veux dire de la vie, de la liberté, & des richesses du peuple. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est afin de conserver ses biens propres ; & la fin pour laquelle on revêt certaines personnes de l'autorité législative & de la puissance exécutrice, c'est pour avoir une puissance & des lois qui protegent & conservent ce qui appartient en propre à toute la société.

S'il arrive que ceux qui tiennent les renes du gouvernement trouvent de la résistance, lorsqu'ils se servent de leur pouvoir pour la destruction, & non pour la conservation des choses qui appartiennent en propre au peuple, ils doivent s'en prendre à eux-mêmes, parce que le bien public & l'avantage de la société sont la fin de l'institution d'un gouvernement. D'où résulte nécessairement que le pouvoir ne peut être arbitraire, & qu'il doit être exercé suivant des lois établies, afin que le peuple puisse connoître son devoir, & se trouver en sûreté à l'ombre des lois ; & afin qu'en même tems les gouverneurs soient retenus dans de justes bornes, & ne soient point tentés d'employer le pouvoir qu'ils ont en main, pour faire des choses nuisibles à la société politique.

4°. Enfin une force étrangere, prévûe ou imprévûe, peut entierement dissoudre une société politique ; quand cette société est dissoute par une force étrangere, il est certain que son gouvernement ne sauroit subsister davantage. Ainsi l'épée d'un conquérant renverse, confond, détruit toutes choses ; & par elle la societé & le gouvernement sont mis en pieces, parce que ceux qui sont subjugués, sont privés de la protection de ce gouvernement dont ils dépendoient, & qui étoit destiné à les défendre. Tout le monde conçoit aisément, que lorsque la société est dissoute, le gouvernement ne sauroit subsister : il est aussi impossible que le gouvernement subsiste alors, qu'il l'est que la structure d'une maison subsiste, après que les matériaux dont elle avoit été construite, ont été séparés les uns des autres par un ouragan, ou ont été confondus pêle-mêle en un monceau, par un tremblement de terre.

Indépendamment de ces malheurs, il faut convenir qu'il n'y a point de stabilité absolue dans l'humanité ; car ce qui existe immuablement, existe nécessairement, & cet attribut de l'Etre suprême ne peut appartenir à l'homme ni à ses ouvrages. Les gouvernemens les mieux institués, ainsi que les corps des animaux les mieux constitués, portent en eux le principe de leur destruction. Etablissez avec Lycurgue les meilleures lois ; imaginez avec Sidney les moyens de fonder la plus sage république ; faites avec Alfred qu'une nation nombreuse trouve son bonheur dans une monarchie, tout cela ne durera qu'un certain tems. Les états après s'être accrus & aggrandis, tendent ensuite à leur décadence & à leur dissolution : ainsi la seule voie de prolonger la durée d'un gouvernement florissant, est de le ramener à chaque occasion favorable, aux principes sur lesquels il a été fondé. Quand ces occasions se présentent souvent, & qu'on les saisit à-propos, les gouvernemens sont plus heureux & plus durables ; lorsque ces occasions arrivent rarement, ou qu'on en profite mal, les corps politiques se dessechent, se fannent, & périssent. Article de M. le Chev(D.J.)

GOUVERNEMENT MILITAIRE, (Art milit.) c'est le commandement souverain & la disposition de tout le pouvoir militaire d'une nation par terre & par mer. Voyez GOUVERNEMENT. (Q)

GOUVERNEMENT, (Marine) c'est la conduite du vaisseau. Le maître & le pilote ne sont pas responsables de la force des courans ni des vents contraires, mais ils le doivent être de la manoeuvre & du mauvais gouvernement. (Z)


GOUVERNERv. act. terme de Grammaire. Il ne suffit pas, pour exprimer une pensée, d'accumuler des mots indistinctement : il doit y avoir entre tous ces mots une corrélation universelle qui concoure à l'expression du sens total. Les noms appellatifs, les prépositions, & les verbes relatifs, ont essentiellement une signification vague & générale, qui doit être déterminée tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, selon les conjonctures. Cette détermination se fait communément par des noms que l'on joint aux mots indéterminés, & qui, en conséquence de leur destination, se revêtent de telle ou telle forme, prennent telle ou telle place, suivant l'usage & le génie de chaque langue.

Or ce sont les mots indéterminés qui, dans le langage des Grammairiens gouvernent ou régissent les noms déterminans. Ainsi les méthodes pour apprendre la langue latine disent, que le verbe actif gouverne l'accusatif : c'est une expression abregée, pour dire, que quand on veut donner à la signification vague d'un verbe actif, une détermination spéciale tirée de l'indication de l'objet auquel s'applique l'action énoncée par le verbe, on doit mettre le nom de cet objet au cas accusatif, parce que l'usage a destiné ce cas à marquer cette sorte de service.

C'est une métaphore prise d'un usage très-ordinaire de la vie civile. Un grand gouverne ses domestiques, & les domestiques attachés à son service lui sont subordonnés ; il leur fait porter sa livrée, le public la reconnoît & décide au coup-d'oeil, que tel homme appartient à tel maître. Les cas que prennent les noms déterminatifs sont de même une sorte de livrée ; c'est par-là que l'on juge que ces noms sont, pour ainsi dire, attachés au service des mots qu'ils déterminent par l'expression de l'objet, de la cause, de l'effet, de la forme, de la matiere, &c. Ils sont à leur égard ce que les domestiques sont à l'égard du maître : on dit des uns dans le sens propre, qu'ils sont gouvernés ; on le dit des autres dans le sens figuré.

Il seroit à desirer, dans le style didactique sur-tout, dont le principal mérite consiste dans la netteté & la précision, qu'on pût se passer de ces expressions figurées, toûjours un peu énigmatiques. Mais il est très-difficile de n'employer que des termes propres ; & il faut avoüer d'ailleurs que les termes figurés deviennent propres en quelque sorte, quand ils sont consacrés par l'usage & définis avec soin. On pouvoit cependant éviter l'emploi abusif du mot dont il est ici question, ainsi que des mots régir & régime, destinés au même usage. Il étoit plus simple de donner le nom de complément à ce que l'on appelle régime, parce qu'il sert en effet à rendre complet le sens qu'on se propose d'exprimer ; & alors on auroit dit tout simplement : le complément de telles prépositions doit être à tel cas ; le complément objectif du verbe actif doit être à l'accusatif, &c. M. Dumarsais a fait usage de ce mot en bien des occurrences, sans en faire en son lieu un article exprès : nous développerons nos vûes sur cet objet au mot REGIME, en y exposant les principes de Grammaire qui peuvent y avoir rapport. On y verra que l'on peut quelquefois à peu de frais répandre la lumiere sur les élémens des Sciences & des Arts. (E. R. M.)

GOUVERNER, v. act. voyez GOUVERNEMENT.

GOUVERNER, (Marine) c'est tenir le timon ou la barre du gouvernail pour conduire le vaisseau & porter le cap sur le rumb de vent qu'on veut suivre. On dit gouverner au nord, au sud, pour dire faire route au nord, ou au sud. (Z)


GOUVERNEURGOUVERNEUR D’UNE PLACE DE GUERRE, s. m. (Art milit.) est le premier commandant ou le premier officier de la place. Dans les villes importantes, outre le gouverneur il y a un officier général qui a le commandement des troupes. Ce second, ou plûtôt principal commandant, a été imaginé pour modérer le trop de pouvoir que les gouverneurs avoient autrefois, & les empêcher de pouvoir rien faire dans leurs places de contraire aux intentions du roi. M. de Puysegur, pere du célebre maréchal, auteur de l’Art de la guerre par regles & par principes, avoit donné la premiere idée au roi Louis XIII. de l’établissement de ces commandans. Elle n’a été pleinement exécutée que sous Louis XIV. Le chevalier de Ville a fait un traité de la charge des gouverneurs des places, dans lequel ces officiers peuvent puiser d’excellentes instructions pour s’acquitter dignement des fonctions de leur emploi. (Q)

GOUVERNEUR D'UN JEUNE HOMME, (Morale.) L'objet du gouverneur n'est pas d'instruire son éleve dans les Lettres ou dans les Sciences. C'est de former son coeur par rapport aux vertus morales, & principalement à celles qui conviennent à son état ; & son esprit, par rapport à la conduite de la vie, à la connoissance du monde & des qualités nécessaires pour y réussir.

Le gouverneur est quelquefois chargé de son éleve dès l'âge de sept ans ; ce qui n'a guere lieu que chez les princes. Ordinairement, & chez les gens de qualité, le jeune homme lui est remis, lorsqu'ayant fini l'étude du latin, il est sur le point de commencer ses exercices, & de faire les premiers pas dans le monde. On ne le considérera que dans cette derniere époque.

Les qualités qu'il doit avoir, les précautions qu'il faut apporter dans le choix qu'on en fait, la conduite des parens avec lui, la sienne avec son éleve : voilà les quatre points qui feront la matiere de cet article.

A l'âge où le jeune homme est remis entre les mains d'un gouverneur, l'éducation n'est plus une affaire d'autorité, c'est une affaire d'insinuation & de raison. Ce n'est pas que l'autorité en soit bannie, mais on ne l'y doit montrer que sobrement, & quand tous les autres moyens sont épuisés. Alors les penchans sont décidés, les volontés sont fortes, l'esprit est plus clairvoyant, l'amour-propre plus en garde, les passions commencent à paroître. Il faut donc de la part du gouverneur plus de ressources dans l'esprit, plus d'expérience, plus d'art, plus de prudence.

Si l'éducation précédente a été mauvaise, il ne faut pas se flatter de la réparer en entier : on développera les talens, on palliera les défauts, on sauvera le fond par la superficie. Il seroit à souhaiter qu'on pût faire mieux ; mais cela seul doit être regardé comme un objet très-important. Quand les penchans sont vicieux, c'est en détruire en partie les effets, & ce n'est pas rendre un petit service à l'homme en particulier & à l'humanité en général, que de les compenser par des talens, de leur donner un frein quel qu'il soit, & de les empêcher de se montrer à découvert.

Beaucoup de parens ne sont pas plus attentifs à cette partie de l'éducation qu'à toutes les autres. Ils donnent un gouverneur à leurs enfans, moins en vûe de leur être utile, que par bienséance ou par faste. Ils préferent celui qui coûte le moins à celui qui mérite le plus ; ils bornent ses fonctions à garder le jeune homme à vûe, à l'accompagner quand il sort, à les en débarrasser quand il est dans la maison. Il est sans autorité, puisqu'il est sans considération : est-il étonnant que tant de gouverneurs soient des gens moins que médiocres, & que la plûpart des éducations réussissent si mal ? On seroit trop heureux si l'on pouvoit ramener les parens que ce reproche peut regarder, à une façon de penser plus raisonnable & plus conforme à leurs vrais intérêts.

A l'égard du pere tendre qui aime ses enfans comme il doit les aimer, qui regarde comme le premier de ses devoirs l'éducation de ses enfans, & qui ne veut rien négliger de ce qui peut y contribuer ; ce digne pere est un objet intéressant pour toute la société : tout citoyen vertueux doit concourir au succès de ses vûes, du-moins à l'empêcher d'être trompé : c'est pour lui que cet article est fait.

Que le gouverneur soit d'un âge mûr ; s'il étoit trop jeune, lui-même auroit besoin d'un Mentor ; s'il étoit trop âgé, il seroit à craindre qu'il ne descendit difficilement à beaucoup de minuties auxquelles il faut se prêter avec un jeune homme, & que tous deux ne prîssent de l'humeur : qu'il n'ait point de disgraces dans l'extérieur ni dans la figure ; il faudroit un mérite bien éminent pour effacer ces bagatelles. Les jeunes gens y sont plus sensibles qu'on ne pense ; ils en sont humiliés ou en font des plaisanteries.

Qu'il ait vécu dans le monde & qu'il le connoisse ; car s'il a passé sa vie dans son cabinet ou dans un coin de la société, reculé de la sphere où son éleve doit vivre, il sera gauche à beaucoup d'égards ; il y aura mille choses qu'il ne verra pas dans le point de vûe où il faut les voir ; il donnera à son éleve des conseils ridicules, & avec du mérite il s'en fera mépriser.

Qu'il ne soit pas non plus trop homme du monde, il seroit superficiel ; il pourroit avoir des principes qui ne seroient pas exacts ; il se plieroit difficilement à la contrainte que l'état exige ; il tomberoit dans l'impatience & dans le dégoût ; il se seroit engagé legerement, & négligeroit tout par ennui.

Qu'il ait moins de bel esprit que de bon esprit ; ce qu'il lui faut c'est un sens droit, un discernement juste, un esprit sage & sans préventions. Toute prétention est un ridicule, & n'annonce pas une tête saine ; l'homme brillant dans la conversation n'est pas le plus propre à l'état de gouverneur ; il n'est pas toûjours le plus aimable dans le commerce habituel & dans la société intime ; l'imagination qui domine en lui, saisit les objets trop vivement ; elle est sujette à des écarts, & rend l'humeur inégale.

Qu'il ait une idée de la plûpart des connoissances que son éleve doit acquérir : quoiqu'il ne soit pas chargé de ses études, il est à souhaiter qu'il puisse les diriger ; il faut qu'il soit en état de raisonner de tout avec lui ; il y a mille choses qu'il peut lui apprendre par la seule conversation. Il n'est pas nécessaire qu'il soit homme profond à tous égards, pourvû qu'il connoisse assez chaque chose, pour en bien savoir l'usage & l'application ; s'il en ignore quelques-unes, qu'il sache au-moins qu'il les ignore ; s'il s'est appliqué particulierement à quelque science, il faut prendre garde qu'il n'en soit point passionné, & qu'il n'en fasse pas plus de cas qu'elle ne mérite : car il arriveroit, ou qu'il s'en occuperoit tout entier & négligeroit son éleve, ou qu'il rameneroit tout à cette science, sans examiner le rang qu'elle doit avoir dans les connoissances du jeune homme.

On appuiera d'autant plus sur ces observations, que le jeune homme aura plus d'esprit naturel & de lumieres acquises.

Ce qui est nécessaire au gouverneur avec tous les jeunes gens, c'est une ame ferme, des moeurs douces, une humeur égale. Avec une ame foible, il se laissera mener par son éleve, & sans le vouloir il deviendra son complaisant. Avec un caractere dur, ou le jeune homme se révoltera contre lui, ou, sans se révolter, il le haïra, ce qui n'est pas un moindre obstacle au succès de l'éducation. Avec une humeur inégale, il sera incapable d'une conduite soûtenue ; il sera tantôt foible & tantôt dur, suivant la disposition de son ame. Il reprendra mal-à-propos & par humeur, ou avec humeur, & dès-lors il perdra tout crédit sur l'esprit de son éleve.

Je souhaiterois outre cela qu'il eût fait une éducation ; il y auroit acquis des lumieres auxquelles l'esprit ne supplée point. L'homme qui a le plus d'esprit, chargé pour la premiere fois de conduire un jeune homme, s'appercevra bien-tôt, si ses vûes sont droites, qu'avec plus d'expérience il eût mieux fait.

On choisit ordinairement pour gouverneur un homme de Lettres ou un militaire : l'homme de Lettres est plus facile à trouver, & convient plus communément à l'état. On sent bien que je n'entends par homme de Lettres ni le bel esprit proprement dit, ni le littérateur obscur & sans goût, ni l'homme superficiel, qui se croit lettré parce qu'il parle haut & qu'il décide ; mais l'homme d'esprit qui a cultivé les Lettres par le goût qu'elles inspirent à toute ame honnête & sensible, & sur les moeurs duquel elles ont répandu leur douceur & leur aménité.

A l'égard du militaire, s'il avoit vécu dans la capitale, & qu'il eût employé ses loisirs à orner son esprit & à perfectionner sa raison ; s'il joignoit aux connoissances de l'homme de Lettres quelques notions de la guerre, non en subalterne qui ne connoît que les petits détails qui lui sont personnels, non en raisonneur vague qui donne d'autant plus carriere à son imagination qu'il a moins de connoissances réelles, mais en homme attentif qui a cherché à s'instruire, & qui a médité sur ce qu'il a vû ; il n'est pas douteux qu'il ne fût plus propre que tout autre à faire l'éducation d'un homme de qualité. Mais quand il n'a, comme j'en ai vû plusieurs, d'autre mérite que la décoration qui est propre à son état, & que, prenant celui de gouverneur il en croit le titre & les fonctions peu dignes de lui, j'ai peine à concevoir pourquoi on l'a choisi.

Le gouverneur que je viens de décrire n'est pas un homme ordinaire. Je l'ai dépeint tel qu'il seroit à souhaiter qu'il fût, mais tel en même tems qu'on doit peu se flatter de le trouver. Pour le découvrir il faut le chercher : il faut avoir des yeux pour le connoître ; il faut mériter de se l'attacher.

Si vous n'êtes point à portée de faire ce choix par vous-même, prenez bien garde à qui vous vous en rapporterez. Tout important qu'est pour vous cet objet, presque personne ne se fera scrupule de vous tromper. Défiez-vous des gens du monde. La plûpart sont trop legers & trop dissipés pour apporter l'attention nécessaire à une chose qui en demande tant. Ils vous proposeront avec chaleur un homme qu'ils ne connoissent point, ou qu'ils connoissent mal ; qui ne sera par l'évenement qu'un homme inepte, & peut-être sans moeurs ; ou qui s'il a quelque mérite, n'aura pas celui qui convient à la chose. Défiez-vous sur-tout des femmes. Elles sont pressantes ; & leur imagination ne saisit rien foiblement.

Ne comptez aussi que médiocrement sur la plûpart des gens de Lettres, même de ceux qui passent pour se connoître le mieux en éducation. Si vous n'êtes pas leur ami, ils vous donneront un homme médiocre, mais qui sera de leur connoissance, & à qui ils aimeront mieux rendre service qu'à vous.

Examinez par vos yeux tout ce que vous pourrez voir : & du reste, ne vous en rapportez qu'à des gens qui soient assez essentiellement vos amis pour ne pas vouloir vous tromper : assez attentifs pour ne pas se méprendre par legereté ; & en même tems assez éclairés pour ne pas vous tromper par défaut de lumieres.

Il y a des qualités qui s'annoncent au-dehors, & dont vous pourrez juger par vous-même. Il en est d'autres qu'on ne connoît qu'à l'usage. Telles sont celles qui constituent le caractere, & telle est l'humeur. Si le gouverneur que vous avez en vûe a déjà fait une éducation, vous aurez un grand avantage pour le connoître à cet égard. Avec un peu d'adresse, vous pourrez savoir des jeunes gens qui vivoient avec son éleve, la maniere dont le gouverneur se conduisoit avec eux, ce qu'ils en pensoient ; ils sont en cette matiere juges très-compétens.

Plus un excellent gouverneur est un homme rare, plus on lui doit d'égards quand on croit l'avoir trouvé. On lui en doit beaucoup par rapport à lui-même ; on lui en doit encore davantage par rapport à l'objet qu'on se propose, qui est le succès de l'éducation. Qu'il soit annoncé dans la maison de la maniere la plus propre à l'y faire respecter. Puisqu'il y vient prendre les fonctions de pere, il est juste que vous fassiez réjaillir sur lui une partie du respect qu'on vous porte.

S'il ne vous a pas paru mériter votre confiance, vous avez eu tort de le choisir. Si vous l'en avez jugé digne, il faut la lui donner toute entiere. Qu'il soit le maître absolu de son éleve, car c'est sur l'autorité que vous lui donnerez que le jeune homme le jugera.

Ne contrariez ses vûes, ni par une tendresse mal-entendue, ni par l'opinion que vous avez de vos lumieres. Dès qu'on est pere, on doit sentir qu'on est aveugle & qu'on est foible. Il y a mille choses essentielles qu'on ne voit point, ou qu'on voit mal. Il y en a d'autres qui sont des bagatelles, & dont on est trop vivement affecté. Expliquez-lui en général vos intentions, mais ne vous mêlez point du détail. Il doit connoître le jeune homme beaucoup mieux que vous. Lui seul peut voir à chaque instant ce qu'il convient de faire. Celui-là seul peut suivre une marche uniforme qui fait son unique objet de l'éducation. Toute inégalité dans l'éducation est un vice essentiel.

Je ne dis pas pour cela que vous deviez perdre de vûe votre enfant dès que vous l'avez remis entre les mains d'un gouverneur. Cette conduite seroit imprudente ; elle repugneroit à votre tendresse, & un gouverneur honnête homme en seroit mal satisfait. Il veut être avoüé, mais avec discernement. Ne raisonnez point de lui avec le jeune homme, à-moins que ce ne soit pour le faire respecter ; raisonnez beaucoup du jeune homme avec lui. Plus ses principes vous seront connus, moins vous serez en danger de les contredire. S'il y a dans sa conduite quelque chose qui ne soit pas conforme à vos idées, demandez-lui ses raisons. Deux hommes de mérite peuvent penser différemment sur le même objet en l'envisageant par des faces différentes. Mais si le gouverneur est homme sage & attentif, il y a à parier que c'est lui qui a raison.

Si vous avez apporté dans le choix d'un gouverneur les précautions que j'ai indiquées, il est difficile que vous soyez trompé. Si vous l'êtes, ce ne sera pas essentiellement. Si le gouverneur que vous avez pris se trouve à quelques égards inférieur à l'idée qu'on vous en avoit donnée ; dès que vous l'avez choisi, il faut le traiter aussi-bien que si vous le jugiez homme supérieur ; vous le rendrez du-moins supérieur à lui-même.

Je ne parle point de ce que vous devez faire pour lui du côté de la fortune. J'aurai peut-être occasion d'en parler ailleurs ; & si votre ame est noble, comme je le suppose, vous le savez.

Le gouverneur de son côté ne doit pas s'engager sans examen. Il faut qu'il connoisse l'état qu'il va prendre, & qu'il consulte ses forces. Quiconque est jaloux de sa liberté, de ses goûts, de ses fantaisies, ne doit pas embrasser cet état. Il exige un renoncement total à soi-même, une assiduité continuelle, une attention non interrompue, & ce zele ardent qui dévore un honnête homme, quand il s'agit de remplir les engagemens qu'il a pris.

Qu'il connoisse aussi le caractere des parens, & jusqu'à quel point ils sont capables de raison. Il lui seroit douloureux de prendre des engagemens qu'on le mettroit hors d'état de remplir. Si par exemple on ne lui accordoit ni considération, ni autorité ; comme il ne pourroit faire aucun bien dans les fonctions qui lui seroient confiées ; quelqu'avantage qu'il y trouvât d'ailleurs, je présume qu'il ne tarderoit pas à y renoncer.

On peut réduire à trois classes le caractere de tous les jeunes gens. Les uns, qui sont nés doux, & qu'une mauvaise éducation n'a pas gâtés, s'élevent, pour ainsi dire, tous seuls. On a peu de chose à leur dire, parce que leurs inclinations sont bonnes. Il suffit de leur indiquer la route pour qu'ils la suivent. Presque tout le monde est capable de les conduire, sinon supérieurement, au-moins d'une maniere passable.

D'autres sont doux en apparence, qui ne sont rien moins que dociles ; ils écoutent tant qu'on veut, mais ne font que leur volonté. Quelques uns sentent bien que vous avez raison, mais la raison leur déplaît quand elle ne vient pas d'eux. Si vous les attendez, ils y reviendront quand ils pourront se flater d'en avoir tout l'honneur. Pressez-les, ils se roidiront, & vous perdrez leur confiance.

Il en est enfin qui ont l'imagination vive & les passions impétueuses. Quelque bien nés qu'ils soient, vous devez vous attendre à quelques écarts de leur part. Pour les contenir, il faut de la prudence & du sang-froid. Il faut sur-tout avoir l'oeil & la main justes. Si vous vous y prenez mal-adroitement, ils vous échapperont ; vous les punirez, mais vous ne les plierez pas. Les observations qui suivent sont relatives sur-tout aux caracteres des deux dernieres especes.

Dès que votre éleve vous sera remis, travaillez à établir votre autorité. Moins vous devez la montrer durant le cours de l'éducation, plus il est important de la bien établir d'abord. Si le jeune homme est doux, il se pliera de lui-même ; s'il ne l'est pas, ou que précédemment il ait été mal conduit, la chose sera plus difficile. Mais avec de la prudence & de la fermeté, vous en viendrez à-bout.

Débutez avec lui par la plus grande politesse, mais que votre politesse soit imposante ; ou n'ayez point de côtés foibles, ou cachez-les bien ; car son premier soin sera de les découvrir. Soyez le même tous les jours & dans tous les momens de la journée ; rien n'est plus capable de vous donner de l'ascendant sur lui. S'il vient à vous manquer, soit par hauteur, soit par indocilité, qu'il soit puni séverement, & de maniere à n'être pas tenté d'y revenir. Il est vraisemblable qu'après cette premiere épreuve il prendra son parti.

A l'âge où je suppose le jeune homme, il n'y a point de caracteres indomptables. Qu'on examine ceux qui paroissent tels, on verra qu'ils ne le sont que par la faute des parens, ou par celle du gouverneur.

S'il n'étoit question que de contenir votre éleve durant le tems que vous vivrez ensemble, peut-être votre autorité seroit-elle suffisante ; mais il est question de laisser dans son coeur & dans son esprit des impressions durables, & vous ne pouvez y parvenir sans avoir sa confiance & son amitié. Lors donc que votre empire sera bien établi, songez à vous faire aimer. En vous donnant ce conseil, je parle autant pour votre bonheur que pour le bien de votre éleve. Si quelque chose est capable d'adoucir votre état, c'est d'être aimé.

Ce n'est pas l'autorité qu'on a sur les jeunes gens qui empêche qu'on n'en soit aimé, c'est la maniere dont on en use. Quand on en use avec dureté ou par caprice, on se fait haïr ; quand on est foible & qu'on ne sait pas en user à-propos, on se fait mépriser ; quand on est dans le juste milieu, ils sentent qu'on a raison ; & dès qu'on a leur estime, on n'est pas loin de leur coeur.

Je vous dis, & je le dirai de même à quiconque aura des hommes à conduire : dès qu'ils sont instruits de leurs devoirs, ne leur faites ni grace ni injustice ; c'est un moyen sûr de les contenir ; si votre affection remplit l'intervalle, vous leur deviendrez cher, & vous les rendrez vertueux.

Marquez de l'attachement à votre éleve, il y sera sensible. Quand ses goûts seront raisonnables, quelque contraires qu'ils soient aux vôtres, prêtez-vous-y de bonne grace. Prévenez-les quand vous serez content de lui. Qu'il lise votre amitié dans votre air, dans vos discours, dans votre conduite ; mais que cette amitié soit décente, & que les témoignages qu'il en recevra paroissent tellement dépendre de votre raison, qu'ils lui soient refusés dès qu'il cessera de les mériter.

Si vous êtes obligé de le punir, paroissez le faire à regret. Qu'il sache dès le commencement de l'éducation que s'il fait des fautes, il sera infailliblement puni ; & qu'alors ce soit la loi qui ordonne, & non pas vous.

Vous entendez ce que c'est que les punitions dont je veux parler. C'est la privation de votre amitié, des bontés de ses parens, de celles des personnes qu'il estime : en un mot, de toutes les choses qu'il peut & qu'il doit desirer.

Si vous vous y êtes bien pris d'abord, & que vous l'ayez subjugué, vous ne serez guere dans le cas de le punir. Il y auroit de l'imprudence à le punir souvent. Il n'est pas loin du tems où la crainte des punitions n'aura plus lieu ; il est capable de motifs plus nobles ; c'est donc par d'autres liens qu'il faut le retenir.

Quelque faute qu'il ait faite, & quelque chose que vous ayez à lui dire, parlez-lui s'il le faut avec force ; ne lui parlez jamais avec impolitesse. Vous n'auriez raison qu'à demi, si vous ne l'aviez pas dans la forme. Rien ne peut vous autoriser à lui donner un mauvais exemple ; & vous ne devez pas l'accoûtumer à entendre des paroles dures.

S'il est vif, reprenez-le avec prudence ; dans ses momens de vivacité il ne seroit pas en état de vous entendre, & vous l'exposeriez à vous manquer. Il y a moins d'inconvénient à ne pas reprendre, qu'à reprendre mal-à-propos.

Ne soyez point minucieux. Il y a de la petitesse d'esprit à insister sur des bagatelles, & c'est mettre trop peu de différence entre elles & les choses graves.

Il y a des choses graves sur lesquelles vous serez obligé de revenir souvent : tâchez de n'en avoir pas l'air. Que vos leçons soient indirectes, on sera moins en garde contr'elles. Il y a mille façons de les amener & de les déguiser. Faites-lui remarquer dans les autres les défauts qui seront en lui, il ne manquera pas de les condamner ; ramenez-le sur lui-même. Instruisez-le aux dépens d'autrui. Faites quelquefois l'application des exemples que vous lui citerez ; plus souvent laissez-la lui faire. Raisonnez quelquefois : d'autres fois une plaisanterie suffit. Attaquez par l'honneur & par la raison ce que l'honneur & la raison pourront détruire ; attaquez par le ridicule ce que vous sentirez qui leur résiste.

Abaissez sa hauteur s'il en a : mortifiez sa vanité, mais n'humiliez pas son amour-propre. Ce n'est pas en avilissant les hommes qu'on les corrige : c'est en élevant leur ame, & en leur montrant le degré de perfection dont ils sont capables.

Ménagez sur-tout son amour propre en public. Il sera d'autant plus sensible à cette marque d'attention, qu'il verra les autres gouverneurs ne l'avoir pas toûjours pour leurs éleves. A l'égard des choses loüables qu'il pourra faire, loüez-les publiquement. Faites-le valoir dans les petites choses, afin de l'encourager à en faire de meilleures.

Si vous trouvez dans votre éleve un de ces naturels heureux qui n'ont besoin que de culture, vous aurez du plaisir à la lui donner. S'il est au contraire de ces esprits gauches & ineptes qui ne conçoivent rien, ou qui entendent de travers ; de ces ames molles & stériles, incapables de sentiment, & qui se laissent aller indistinctement à toutes les impressions qu'on veut leur donner, que je vous plains !

Instruisez-le à la maniere de Socrate. Causez avec lui familierement sur le vrai, sur le faux, sur le bien & sur le mal, sur les vertus & sur les vices. Faites-le plus parler que vous ne lui parlerez. Amenez-le par vos questions, & de conséquence en conséquence, à s'appercevoir lui-même de ce qu'il y a de défectueux dans sa façon de penser. Accoûtumez-le à ne point porter un jugement sans être en état de l'appuyer par des raisons. Fortifiez les principes qu'il a : donnez-lui ceux qui lui manquent.

Les premiers de tous & les plus négligés, sont ceux de la religion. En entrant dans le monde, un jeune homme la connoît à peine par son catéchisme & par quelques pratiques extérieures. Il la voit combattue de toutes parts : il suit le torrent. Soit dans les entretiens que vous aurez ensemble, soit par les lectures auxquelles vous l'engagerez, faites ensorte qu'il la connoisse par l'histoire & par les preuves. On donne aux jeunes gens des maîtres de toute espece ; on devroit bien leur donner un maître de religion. On les mettroit en état de la défendre, au-moins dans leur coeur.

L'homme du peuple est contenu par la crainte des lois ; l'homme d'un état moyen l'est par l'opinion publique. Le grand peut éluder les lois, & n'est que trop porté à se mettre au-dessus de l'opinion publique. Quel frein le retiendra, si ce n'est la religion ? Faites-lui en remplir les devoirs, mais ne l'en excédez pas. Montrez-la-lui par tout ce qu'elle a de respectable ; il n'y a que les passions qui puissent empêcher de reconnoître la grandeur & la beauté de sa morale. Elle seule peut nous consoler dans les maladies, dans les adversités ; les grands n'en sont pas plus exemts que le reste des hommes.

Faites valoir à ses yeux les moindres choses que font pour lui ses parens. Qu'il soit bien convaincu qu'il n'a qu'eux dans le monde pour amis véritables. S'ils sont trop dissipés pour s'occuper de lui comme ils le devroient, tâchez qu'il ne s'en apperçoive pas. S'il s'en apperçoit, effacez l'impression qu'il en peut recevoir. Quelle que soit leur humeur, c'est à lui de s'y conformer, non à eux de se plier à la sienne. Dans l'enfance, les parens ne sont pas assez attentifs à se faire craindre, & dans la jeunesse ils s'occupent trop peu de se faire aimer. Voilà une des principales sources des chagrins qu'ils éprouvent, des déréglemens de la jeunesse, & des maux qui affligent la société. Si un pere, après avoir élevé son fils dans la plus étroite soûmission, lui laissoit voir sa tendresse à mesure que la raison du jeune homme se developpe, enchaîné par le respect & par l'amour, quel est celui qui oseroit s'échapper ? Quel que soit un pere à l'extérieur, si les jeunes gens pouvoient lire dans son coeur toute la joie qu'il éprouve quand son fils fait quelque chose de loüable, & toute la douleur dont il est pénétré quand ce fils s'écarte du chemin de l'honneur, ils seroient plus attentifs qu'ils ne le sont à se bien conduire. Par malheur, on ne conçoit l'étendue de ces sentimens que quand on est pere. Faites envisager à votre éleve qu'il le doit être un jour.

Cultivez à tous égards la sensibilité de son ame. Avec une ame sensible on peut avoir des foiblesses, on est rarement vicieux. Soyez rempli d'attentions pour lui, vous le forcerez d'en avoir pour vous ; vous l'en rendrez capable par rapport à tout le monde. Accoûtumez-le à remplir tous les petits devoirs qu'imposent aux ames bien nées la tendresse ou l'amitié. Les négliger, c'est être incapable des sentimens qui les inspirent. On a beau s'en excuser sur l'oubli ; cette excuse est fausse & honteuse. L'esprit n'oublie jamais quand le coeur est attentif.

S'il étoit pardonnable à quelqu'un d'être peu citoyen, ce seroit à un particulier ; perdu dans la foule, il n'est rien dans l'état : il n'en est pas de même d'un homme de qualité ; il doit être plein d'amour pour son roi, puisqu'il a l'honneur de l'approcher de plus près ; il doit s'intéresser à la gloire & au bonheur de sa patrie, puisqu'il peut y contribuer : rien dans l'état ne lui doit être indifférent, puisqu'il peut y influer sur tout.

Qu'il sache qu'on n'est grand, ni pour avoir des ancêtres illustres, quand on ne leur ressemble pas ; ni pour occuper de grands emplois, quand on les remplit mal ; ni pour posséder de grands domaines, quand on les consume en dépenses folles & honteuses ; ni pour avoir un nombreux domestique, de brillans équipages, des habits somptueux, quand on fait languir à sa porte le marchand & l'ouvrier : qu'en un mot on n'est grand & qu'on ne peut être heureux que par des vertus personnelles, & par le bien qu'on fait aux hommes.

Attachez-vous sur-tout à lui donner des idées de justice : faites-lui remarquer mille petites injustices que vous lui verrez faire ; entrez sur cela dans les moindres détails. Vous ne sauriez croire combien les gens d'un certain ordre ont de peine à concevoir cette vertu.

Traitez-le en homme fait, si vous voulez qu'il le devienne ; supposez-lui des sentimens, si vous voulez qu'il en acquerre ; rendez-le fier avec lui-même, & qu'il s'estime assez pour ne pas vouloir se manquer : que la corruption du siecle soit un nouvel aiguillon pour lui. Plus les moeurs sont dépravées, plus on est sûr de se distinguer par des moeurs contraires ; s'il n'a point assez d'ame pour se respecter lui-même, qu'il respecte du-moins les jugemens du public : tout homme qui les méprise est un homme méprisable : ce public peut être corrompu, ses jugemens ne le sont jamais.

Il n'y a qu'un cas où l'on doive se mettre au-dessus de l'opinion du vulgaire, c'est lorsqu'on est sûr de la pureté & de la grandeur de ses motifs : alors il faut ne considérer que sa propre vertu ; la gloire qui la suivra sera moins promte, mais elle sera plus solide. Ce n'est pas l'amour des loüanges qu'il faut inspirer aux hommes, ils n'y sont que trop sensibles, & rien n'est plus capable de les rapetisser ou de les perdre ; c'est l'amour de la vertu, elle seule peut donner de la consistance à leur ame. Faisons bien, les loüanges viendront si elles peuvent.

Ne négligez pas les vertus d'un ordre inférieur, mais qui font le charme de la société, & qui y sont d'un usage continuel : si vous l'en avez rendu capable, vous l'aurez rendu poli ; car la politesse considérée dans son principe, n'est que l'expression des vertus sociales. Indépendamment de cette politesse primitive qui annonce la modestie, la douceur, la complaisance, l'affabilité, même l'estime & l'amitié : il en est une autre qui paroît plus superficielle, mais qui n'est pas moins importante ; c'est celle qui dépend de la connoissance des usages & du sentiment des convenances : c'est celle-là qui doit distinguer votre éleve ; mais il n'en saisira les finesses qu'autant qu'il aura le desir de plaire.

Desirer de plaire est un moyen pour y réussir ; ce mérite n'est pas le premier de tous, mais c'est l'unique qui ne soit jamais infructueux ; il fait supposer les qualités qu'on n'a pas, il met dans tout leur jour celles qu'on peut avoir, il leur donne des partisans, il desarme l'envie. C'est par les grands talens qu'on se rend capables des grandes places ; c'est par les petits talens qu'on y parvient.

Cultivez son esprit, son extérieur, & ses manieres dans l'air qui lui est propre : il peut se trouver en lui telle singularité qui d'abord vous aura déplû, & qui dans la suite polie par l'usage du monde, deviendra dans sa maniere d'être, un trait distinctif qui le rendra plus agréable.

Qu'il aime les Lettres, c'est un goût digne de lui ; c'est même un goût nécessaire. Personne n'ose avoüer qu'il ne les aime pas ; tout le monde prétend s'y connoître, tout le monde en veut raisonner ; mais il n'est donné qu'à ceux qui les aiment d'en raisonner sensément : elles élevent l'ame, elles étendent les idées, elles ornent l'imagination, elles adoucissent les moeurs, elles mettent le dernier sceau à la politesse de l'esprit. En général tous les goûts honnêtes que vous pourrez placer dans son ame, seront autant de ressources contre les passions & l'ennui ; mais faites-les lui concevoir de la maniere dont ils lui conviennent, & sauvez-le des préventions & du ridicule.

La source de tous les ridicules est de placer sa gloire ou dans de petites choses ou dans des qualités que la nature nous refuse, ou dans un mérite qui n'est pas celui de notre état. Quiconque ne voudra se distinguer que par l'honneur, la probité, la bienfaisance, les talens, les vertus de son état ou de son rang, celui-là est inaccessible au ridicule ; il ne négligera pas le mérite de plaire, mais il ne l'estimera pas plus qu'il ne vaut ; il le cherchera dans les qualités qui sont en lui, non dans celles qui lui sont étrangeres : il se prêtera à toutes les bagatelles qu'exige la frivolité du monde, sans en être profondément occupé : il estimera les Lettres, les Sciences, les Arts, parce que le beau en tout genre est digne d'occuper son ame : peut-être les cultivera-t-il, mais en secret dans ses momens de loisir & pour son amusement ; il aimera & servira de tout son pouvoir les Savans, les Gens de Lettres, les Artistes, sans être leur enthousiaste, leur courtisan, ni leur rival.

Le tems qu'il passe avec vous doit lui donner une expérience anticipée ; ne négligez rien de ce qui peut la lui procurer : ouvrez devant ses yeux le livre du monde, apprenez-lui la maniere d'y lire ; tout ce qui peut y frapper ses yeux ou ses oreilles, doit servir à son instruction. Faites éclorre ses idées, s'il en a ; s'il n'en a point, donnez lui en.

L'étude de l'Histoire lui aura montré en grand le tableau des passions humaines ; il y aura parcouru les diverses révolutions qu'elles ont produit sur la terre ; on lui aura fait remarquer cet amas de contradictions qui forme le caractere de l'homme ; ce mélange de grandeur & de petitesse, de courage & de foiblesse, de lumieres & d'ignorance, de sagesse & de folie dont il est capable : il y aura vu d'un côté le vice presque toûjours triomphant, mais intérieurement rongé d'inquiétudes & de remords, ébloüir les yeux du vulgaire par des succès passagers, puis être plongé pour jamais dans l'opprobre & dans l'ignominie : d'un autre côté, la vertu souvent persécutée, quelquefois obscurcie, mais toûjours contente d'elle même, reprendre avec le tems son ascendant sur les hommes, & durant toute la suite des siecles, recevoir l'hommage de l'univers, assise sur les débris des empires.

En lui montrant plus en détail les fragilités de notre espece, ne la lui peignez pas trop en noir ; faites-la lui voir plus foible que méchante, entraînée vers le mal, mais capable du bien. Il faut qu'il ne soit pas la dupe des hommes, mais il ne faut pas qu'il les haïsse ni qu'il les méprise. Qu'il voye leurs miseres avec assez de supériorité pour n'en être ni surpris ni blessé. Qu'il connoisse sur-tout l'homme de sa nation & de son siecle ; c'est avec lui qu'il doit vivre, c'est de lui qu'il doit se défier, c'est lui dont il doit prendre les manieres & ne pas imiter les moeurs : qu'il soit au fait de ses bonnes qualités, de ses vices dominans, de ses opinions, de ses travers, de ses ridicules : que pour s'en faire un tableau plus détaillé, il le parcoure un peu dans les divers états ; qu'il saisisse les nuances qui les différencient ; qu'il évalue tout au poids de la raison. Qu'il apprenne à juger les hommes non par leurs discours, mais par leurs actions. Qu'il sache que celui qui flatte est l'ennemi le plus vil, mais le plus dangereux : que les honnêtes gens sont peu flatteurs, qu'on n'obtient leur amitié qu'après avoir mérité leur estime, mais qu'ils sont les seuls sur lesquels on puisse compter.

Par défaut d'expérience, il présumera beaucoup de ses lumieres ; par un effet de la vivacité de l'âge, il aura des fantaisies peu raisonnables ; permettez-lui quelquefois de les suivre, quand vous serez sûr que l'effet démentira son attente : les hommes ne s'instruisent qu'à leurs dépens. Ce ne sera qu'à force de se tromper qu'il se croira capable d'erreur.

Veillez sur ses moeurs, mais songez que c'est un homme du monde que vous élevez ; qu'il va se trouver livré à lui-même au milieu des passions & des vices ; que pour s'en garantir il faut qu'il les connoisse. Voyez à quel point il est instruit, & reglez vos conseils sur ce qu'il sait : ne lui parlez point en maître, raisonnez avec votre ami. Quelque confiance qu'il ait en vous, il ne vous dira pas tout ; mais je vous suppose assez de pénétration pour deviner ce qu'il ne vous aura pas dit, & pour lui parler en conséquence : alors les instructions que vous lui donnerez feront d'autant plus d'impression sur lui, qu'il vous soupçonnera moins d'avoir vû le besoin qu'il en a.

Voyez tout, mais ayez quelquefois l'air de ne pas voir ; dans d'autres cas, & lorsque le jeune homme s'y attendra le moins, faites-lui connoître que rien ne vous échappe.

Faites-lui remarquer dans le petit nombre d'exemples qui viendront à sa connoissance, l'estime & les avantages qui suivent la sagesse & la bonne conduite ; & dans mille exemples frappans, qui malheureusement ne vous manqueront jamais, les dangers du vice & le mépris qui l'accompagne.

Prenez garde qu'il ne lui tombe entre les mains de mauvais livres, craignez sur-tout qu'il ne les lise en secret ; il vaudroit beaucoup mieux qu'il les lût devant vous : si vous lui en surprenez dans le commencement de l'éducation, ôtez-les lui : si cela arrive vers la fin, soyez plus circonspect ; n'allez pas vous compromettre par un zele inconsidéré qui aigriroit le jeune homme & que vous ne pourriez pas soûtenir : vous connoissez son caractere & les circonstances ; reglez-vous sur cela ; n'employez que les motifs que vous sentirez efficaces : attaquez l'ouvrage du côté du style, du raisonnement, & du goût ; parlez-en comme d'une lecture indigne d'un honnête homme, d'un homme poli. Il y a peu de jeunes gens avec qui cette méthode ne réussisse.

Les noeuds de l'autorité doivent se relâcher à mesure que l'éducation s'avance. Si l'on veut qu'un jeune homme use bien de sa liberté, il faut, autant qu'on le peut, lui rendre insensible le passage de la subordination à l'indépendance.

Le jour qu'il joüira de sa liberté, quelque bien né qu'il soit, quelque attachement qu'il ait pour vous, il sera charmé de vous quitter ; mais si vous vous êtes bien conduit, son yvresse ne sera pas longue ; l'estime & l'amitié vous le rameneront : alors l'autorité que vous aurez sur lui sera d'autant plus puissante qu'elle sera de son choix ; vos conseils lui seront d'autant plus utiles qu'il vous les aura demandés : vous ne l'empêcherez pas de tomber dans quelques écarts, mais ils seront moins grands & vous l'aiderez à en revenir. On ôte aux jeunes gens leur gouverneur lorsqu'ils en ont le plus besoin ; c'est un mal sans remede : mais peut-être le gouverneur ne peut-il jamais leur être plus utile, que quand dépouillé de ce titre, on l'a mis à portée de vivre avec eux familierement & comme leur ami.

Les détails sur la matiere qu'on vient de traiter seroient infinis : on s'est borné ici à des vûes très-générales. Quelques-unes ne sont applicables qu'à l'homme de qualité ; la plûpart peuvent convenir à tous les états : si elles sont justes, c'est à la prudence du gouverneur qui les jugera telles, à en faire l'application & à les modifier convenablement à l'âge, à l'état, au caractere, au tempérament de son éleve. Cet article est de M. LEFEBVRE.

GOUVERNEUR de la personne d'un prince. Si en général l'éducation des hommes est une chose très-importante, combien doit le paroître davantage l'éducation d'un prince, dont les moeurs donneront leur empreinte à celles de toute une nation, & dont le mérite ou les défauts feront le bonheur ou le malheur d'une infinité d'hommes ?

Il seroit à souhaiter, dans quelque état que ce fût, qu'on pût toûjours choisir pour gouverneur d'un jeune prince un homme aussi distingué par l'étendue de ses connoissances que par sa probité & ses vertus, & non moins recommandable par la grandeur de ses emplois que par l'éclat de sa naissance ; il en seroit plus capable de faire le bien, & le feroit avec plus d'autorité.

Pour ne pas se jetter sur cette matiere dans de vagues spéculations, le peu qu'on se propose d'en dire sera tiré en partie de l'instruction donnée en 1756 par les états de Suede au gouverneur du prince royal & des princes héréditaires, & en partie de ce qui fut pratiqué dans l'éducation même de l'empereur Charles-Quint, par Guillaume de Croy, seigneur de Chiévre, gouverneur des Pays-Bas & de la personne de ce prince.

Puisque les rois sont hommes avant que d'être rois, il faut commencer par leur inspirer toutes les vertus morales & chrétiennes, également nécessaires à tous les hommes. Pour accoûtumer le jeune prince à regler ses goûts sur la raison, il faut qu'au moins dans son enfance il reconnoisse la subordination. Il ne faut pas que dès qu'il est né tout le monde prenne ses ordres, jusqu'aux personnes préposées à son éducation ; il ne faut pas qu'on applaudisse à ses fantaisies, ni qu'on lui dise, comme font les courtisans, qu'il est un dieu sur la terre ; il faut au contraire lui apprendre que les rois ne sont pas faits d'un autre limon que le reste des hommes ; qu'ils leur sont égaux en foiblesse dès leur entrée dans le monde, égaux en infirmités pendant tout le cours de leur vie ; vils comme eux devant Dieu au jour du jugement, & condamnables comme eux pour leurs vices & pour leurs crimes ; qu'en un mot l'être suprême n'a point créé le genre humain pour le plaisir particulier de quelques douzaines de familles.

Personne n'est plus mal instruit dans la religion que les rois ; ils la méprisent faute de la connoître, ou l'avilissent par la maniere dont ils la conçoivent : que celle du jeune prince soit éclairée ; qu'on lui apprenne à distinguer ce qu'il doit à Dieu, ce qu'il doit aux ministres de la religion, ce qu'il se doit à soi-même, ce qu'il doit à ses peuples.

On retient les hommes dans leur devoir par le charme des approbations & par la terreur des châtimens ; on ne peut contenir les princes que par la crainte des jugemens divins & du blâme de la postérité. Qu'on tienne donc ces deux objets toûjours présens à leurs yeux, tandis que d'un autre côté on les encouragera par les attraits d'une bonne conscience & d'une gloire sans tache.

Plus on excitera le jeune prince à respecter l'être suprême, plus il reconnoîtra son propre néant & son égalité avec les autres hommes ; & de-là naîtront pour eux son humanité, sa justice, & toutes les vertus qu'il leur doit.

Beaucoup de rois sont devenus tyrans, non parce qu'ils ont manqué d'un bon coeur, mais parce que l'état des pauvres de leur pays n'est jamais parvenu jusqu'à eux. Qu'un jeune prince fasse souvent des voyages à la campagne ; qu'il entre dans les cabanes des paysans, pour voir par lui-même la situation des pauvres ; & que par-là il apprenne à se persuader que le peuple n'est pas riche, quoique l'abondance regne à la cour ; & que les dépenses superflues de celle-ci diminuent les biens & augmentent la misere du pauvre paysan & de ses enfans affamés : mais que ce spectacle ne soit point de sa part une spéculation stérile. Il ne convient pas qu'un malheureux ait eu le bonheur d'être vû de son prince sans en être soulagé.

Qu'il sache que les rois regnent par les lois, mais qu'ils obéissent aux lois ; qu'il ne leur est pas permis d'enfreindre & de violer les droits de leurs sujets, & qu'ils doivent s'en faire aimer plûtôt que s'en faire craindre.

Qu'il connoisse sur-tout le caractere & les moeurs de la nation sur laquelle il doit regner, afin qu'un jour il puisse la gouverner suivant son génie, & en faire le cas qu'elle mérite : si, par exemple, il est destiné à regner sur les François, qu'on ne manque pas de lui vanter leur industrie, leur activité dans le travail, leur attachement inviolable pour leurs rois, & cette ame noble & fiere qui répugne à la violence, mais qui fait tout pour l'honneur.

Que dès ses premieres années on le rende capable d'application & de travail. L'ignorance & l'inapplication des princes est la source la plus ordinaire des maux qui desolent leurs états. Dans leur enfance on leur donne des maîtres sans nombre dont aucun ne fait son devoir : on perd un tems précieux à leur enseigner mille choses inutiles qu'ils n'apprennent point : tout le nécessaire est négligé. Leur grande étude & peut-être l'unique qui leur convienne, est celle qui peut les conduire à la science des hommes & du gouvernement ; ce n'est que dans l'Histoire & dans la pratique des affaires, qu'ils peuvent la puiser. L'éducation de l'empereur Charles-Quint est à cet égard le meilleur modele qu'on puisse proposer.

L'étude de l'Histoire parut si importante à Chievres son gouverneur, qu'il ne s'en rapporta qu'à soi-même pour la lui enseigner ; il feignit de l'étudier avec lui. Il commença par lui donner la connoissance de l'Histoire en général ; ensuite il passa à celle des peuples de l'Europe avec lesquels Charles devoit avoir un jour des affaires à démêler : il s'attacha surtout à l'histoire d'Espagne & à celle de France, dans laquelle on comprenoit alors l'histoire des Pays-Bas ; il lui faisoit lire chaque auteur dans sa langue & dans son style ; persuadé que pour un prince il n'y a rien d'inutile dans l'Histoire, & que les faits qui ne servent pas dans la vûe qu'on a en les lisant, serviront tôt ou tard dans les vûes qu'on aura.

Lorsqu'il lui eut donné par l'Histoire les connoissances générales dont il avoit besoin, il l'instruisit en particulier de ses véritables intérêts par rapport à toutes les puissances de l'Europe : de-là il le fit passer à la pratique, convaincu que sans elle la spéculation est peu de chose. Il étoit, comme on l'a dit, gouverneur des Pays-Bas, & c'étoit dans les Pays-Bas qu'il élevoit Charles. Dans un âge où l'on ne parle aux enfans que de jeux & d'amusement, il voulut non-seulement que le jeune prince entrât dans son conseil, mais qu'il y fût autant & plus assidu qu'aucun des conseillers d'état ; il le chargea d'examiner & de rapporter lui-même à ce conseil toutes les requêtes d'importance qui lui étoient adressées des diverses provinces ; & de peur qu'il ne se dispensât d'y apporter l'attention & l'exactitude nécessaires, s'il lui étoit permis de se ranger de l'avis des autres conseillers, son gouverneur l'obligea toûjours à parler le premier.

Arrivoit-il quelque dépêche importante des pays étrangers ? Chievres lui faisoit tout quitter pour la lire, jusque-là que s'il dormoit, & qu'elle demandât une promte expédition, il l'éveilloit & l'obligeoit à l'examiner devant lui. Si le jeune prince se trompoit dans la maniere dont il prenoit l'affaire, ou dans le jugement qu'il en portoit, il étoit repris incontinent par son gouverneur : s'il trouvoit d'abord le noeud de la difficulté & l'expédient propre pour l'éviter, cela ne suffisoit pas. Il falloit encore qu'il appuyât ce qu'il avoit avancé par de bonnes raisons, & qu'il répondît pertinemment aux objections que Chievres ne manquoit pas de lui faire.

Lorsqu'il survenoit une négociation de longue haleine, & qu'un prince étranger envoyoit son ambassadeur dans les Pays-Bas, la fatigue de Charles redoubloit ; son gouverneur ne donnoit audience qu'en sa présence, ne travailloit qu'avec lui, n'expédioit que par lui. Si l'ambassadeur présentoit ses propositions par écrit, Charles étoit chargé d'en informer son conseil, & de rapporter ce qu'il y avoit pour ou contre, afin que ceux qui opineroient après lui pussent parler avec une entiere connoissance de cause. Si l'ambassadeur se contentoit de s'expliquer de vive voix, & que l'affaire dont il s'agissoit fût trop secrette pour être confiée au papier, il falloit que Charles retînt précisément & distinctement ce qu'il entendoit ; qu'il ne lui en échappât point la moindre circonstance : sans quoi le défaut de sa mémoire eût été relevé en plein conseil, & sa négligence exagérée dans le lieu où il avoit plus à coeur d'acquérir de l'estime : telle étoit la vie de Charles avant même qu'il eût quatorze ans.

Hangest de Genlis, ambassadeur de France dans les Pays-Bas, paroissant appréhender que l'excès de travail & d'application n'altérât le tempérament & l'esprit du jeune prince, Chievres lui répondit qu'il avoit eu la même crainte ; mais qu'après y avoir réfléchi, il étoit persuadé que le premier de ses devoirs consistoit à mettre de bonne heure son éleve en état de n'avoir point de tuteur ; & qu'il lui en faudroit toute sa vie, s'il ne l'accoûtumoit de jeunesse à prendre une connoissance exacte de ses affaires. Article de M. LEFEBVRE.

GOUVERNEUR, pour dire timonier, (Mar.) celui qui tient la barre du gouvernail, pour le diriger suivant la route & l'air de vent qu'on veut faire. Le mot de gouverneur n'est guere d'usage. Voyez TIMONIER. (Z)

GOUVERNEUR, (Hist. mod.) se prend aussi quelquefois pour un président ou surintendant, comme est le gouverneur de la banque d'Angleterre, le gouverneur & les directeurs de la compagnie du sud, le gouverneur d'un hôpital, &c. Voyez BANQUE, COMPAGNIE, HOPITAL. Chambers.

GOUVERNEUR, terme de Papeterie, c'est le nom que l'on donne à un ouvrier qui est chargé du soin de faire pourrir le chiffon, de le couper, de le remettre dans les piles, de l'en retirer quand il est assez piloné, & enfin de conduire tout ce qui concerne l'action du moulin.

GOUVERNEUR, (Salines) c'est dans les Salines de Lorraine, le premier des quatre juges qui forment la jurisdiction de la saline. Les fonctions de cet officier sont de veiller à la conservation des droits du roi, à la bonne formation des sels, de constater l'état des bâtimens & les variations de la source salée.


GOVERNOLou GOVERNO, (Géog.) petite place d'Italie dans le Mantoüan, sur le Mincio, près du Po, à 5 lieues S. E. de Mantoue, 5 N. O. de la Mirandole. On croit que c'est l'Ambuleyus ager des anciens, & alors il étoit de la Vénétie. Ce lieu est connu dans l'Histoire par l'entre-vûe du pape saint Léon avec Attila ; entre-vûe qui nous a procuré un chef-d'oeuvre de Raphaël. (D.J.)


GOYANE(Géog.) Voyez GUIANE.


GOYAVES. f. fruit du goyavier. Voyez ci-après GOYAVIER.


GOYAVIERS. m. (Bot. exotiq.) arbre étranger d'Amérique & des Indes orientales. Quelques-uns l'appellent poirier des Indes ; en anglois the guava. Nos voyageurs écrivent aussi gajavier, goujavier, guajavier ; mais c'est le même arbre.

Les bienfaits de la nature dans la multiplication des plantes nous deviendroient quelquefois incommodes & nuisibles, si nous n'en arrêtions le cours. Il y a un excellent fruit si commun dans toute l'Amérique, qu'on en trouve souvent où on ne voudroit point en avoir, & du-moins plus qu'on ne voudroit ; parce que l'arbre qui le porte, croît facilement par-tout où ses graines tombent. Ce fruit en renferme quantité, qui sont blanches ou rougeâtres, inégales, raboteuses, de la grosseur des graines de navet, si dures qu'elles ne se digerent jamais. Les hommes & les animaux les rendent comme ils les ont prises, sans qu'elles perdent rien de leur vertu végétative : il arrive de-là que les animaux qui ont mangé de ces graines, les restituent avec leurs excremens dans les savanes, c'est-à-dire dans les prairies où ils paissent toute l'année. Bien-tôt ces graines prennent racine, levent & produisent des arbres qui sont à charge dans une infinité de lieux, & en particulier dans les savanes qu'ils couvriront entierement, si on n'avoit grand soin de les arracher.

Le fruit qui porte ces graines s'appelle la goyave. Donnons d'abord les noms, les caracteres & la description de l'arbre qui produit ce fruit, car nous le connoissons parfaitement.

C'est le guajava, Clus. hist. 1. Guayava indica, fructu mali facie, J. B. Pomifera indica, maliformis, guayava dicta, Raii, hist. Guajabo pomifera indica, C. B. p. 437. Xalxochitl, seu pomum arenoscum, Hernand. 84. Pela, Hort. Malab. 3. 31.

L'extrémité du pédicule passe dans l'ovaire, qui est de figure ovale, couronné & découpé en cinq parties, comme le calice. Sa fleur est en rose à cinq pétales, & croît sur l'ovaire au-dedans de la couronne ; elle est munie d'un grand nombre d'étamines. L'ovaire a un long tuyau, & se change en un fruit charnu rempli de plusieurs petites semences.

Il y a plusieurs especes de goyavier ; mais nous ne connoissons dans nos jardins que les deux suivans.

1°. Guajava, alba, dulcis, H. L. le goyavier blanc.

2°. Guajava, rubra, acida, fructu rotundiori, H. L. le goyavier rouge.

Le goyavier en Amérique, suivant le P. Plumier, est d'environ vingt piés, & gros à proportion ; son tronc est droit, rameux ; son écorce est unie, de couleur verte, rougeâtre, d'un goût austere ; ses feuilles sont longues de trois doigts, & larges d'un doigt & demi, charnues, & pointues, un peu crêpées, veineuses, de couleur verte, brunes, luisantes, attachées à des queues courtes & grosses.

Ses fleurs sont à-peu-près aussi grandes que celles du coignassier ; elles sont à cinq pétales, presque arrondies, disposées en rose, & accompagnées d'une belle touffe d'étamines blanches, qui occupent tout le dedans ; elles naissent sur l'ovaire au-dedans de la couronne.

Leur calice est découpé en cinq pointes, & devient ensuite un fruit long ou oval, couronné comme une neffle ; il est à-peu-près gros comme une pomme de rainette, couvert d'une pellicule mince, unie ; toute sa chair est remplie de petites semences graveleuses & à pointes aiguës ; il est verd au commencement & d'un goût acerbe ; étant mûr il devient jaunâtre, par-dessus blanchâtre, ou rougeâtre en-dedans.

La racine de l'arbre est longue de plusieurs aulnes, rousse en-dehors, blanche en-dedans, pleine de suc, d'un goût doux.

L'écorce de cet arbre est fort mince & fort adhérente au bois, pendant que l'arbre est sur pié ; mais elle se détache aisément, se fend & se roule quand il est abattu. Le bois est grisâtre ; ses fibres sont longues, fines, pressées, mêlées & flexibles, ce qui les rend difficiles à couper ; il est très-bon à brûler, & on en fait en Amérique d'excellent charbon pour les forges.

Ces arbres se trouvent plantés par-tout dans les îles Caraïbes pour l'utilité, quoique la maniere ordinaire de ces plantations soit d'en manger le fruit ; les semences passant toutes entieres dans le corps, sont rendues avec les excrémens ; de sorte que partout où les Negres habitent, on ne manque point de pepiniere de goyaviers, qui deviennent souvent très-incommodes dans les plantations.

Quelques auteurs disent que la racine de cet arbre est astringente, & qu'on en prépare une décoction, qui est un excellent remede pour la dyssenterie, lorsqu'il s'agit de resserrer & de fortifier. Ils attribuent aussi aux feuilles des vertus vulnéraires & résolutives, en les employant dans les bains. Hernandez ajoûte qu'appliquées en fomentation, elles guérissent la gale, & qu'on en fait un sirop très-efficace contre le flux de ventre. Il prétend encore que la décoction de l'écorce du goyavier est bonne pour l'enflure des jambes, pour les ulceres fistuleux & autres maux : mais les goyaviers que nous cultivons en Europe n'ont aucune de ces propriétés, & il est vraisemblable que ceux de l'Amérique ne les ont pas davantage. Le témoignage d'Hernandez n'est pas d'assez grand poids pour mériter créance, & les voyageurs éclairés auxquels on peut se rapporter, ne confirment point le témoignage du medecin espagnol.

Le fruit du goyavier est regardé dans le pays comme également sain & délicieux, & peut passer avec raison, au rapport du chevalier Hans-Sloane, pour le premier fruit des Indes, quand il est mûr, bien choisi, & qu'il est venu dans une bonne exposition. Vers le tems qui approche de sa maturité, c'est-à-dire quand il est encore verd, il est dur & astringent ; en mûrissant un peu plus, il acquiert une nature moyenne ; dans sa pleine maturité, il est plein de suc doux, & a le goût & l'odeur de la framboise : il est alors relâchant, au lieu qu'il resserroit auparavant. Les hommes & les oiseaux en sont également avides.

Les goyaves rouges & blanches ont le même degré de bonté au gout, & different seulement en ce que les unes ont le dedans blanc, & les autres l'ont rouge, ou pour parler plus juste, de couleur de chair. Les habitans du pays mangent les goyaves en plusieurs manieres, crues, cuites au four, ou devant le feu & en compote. On en fait aussi de la gelée, des confitures, des candis & des pâtes. On les employe en santé & en maladie. Ce fruit, dit le chevalier Hans-Sloane, a le seul inconvénient que quand il est bien mûr, il se corrompt très-vîte ; quand il l'est moins, il est astringent, resserre prodigieusement, si l'on en mange beaucoup ; & ses graines étant parvenues dans les gros boyaux, en particulier dans le rectum, y occasionnent avec les excrémens endurcis par leurs pointes aiguës & irrégulieres, une grande douleur, & très-souvent un flux de sang par le déchirement qu'elles produisent.

On a eu en Europe la curiosité de cultiver les goyaviers, & on est parvenu à en avoir du fruit, quoique ces arbres ne croissent guere parmi nous qu'à la hauteur de six ou sept piés. Leur culture est très-difficile : on les multiplie en semant leurs graines dans un lit chaud, & quand elles ont monté, en les transplantant dans un petit pot rempli de bonne terre, qu'on met dans un lit de tan, observant de leur donner de l'air à proportion de la chaleur qui régne ; ensuite on les met à l'étroit pour mieux fortifier leur tige dans de plus grands pots, qu'on porte dans les serres à la fin d'Août, dans un endroit où la chaleur est tempérée : on les arrose fréquemment pendant l'hyver avec de l'eau qu'on aura tenue au-moins 24 heures dans la serre pour en ôter le froid. Il faut souvent nettoyer les feuilles avec une guenille de laine, pour en ôter la poussiere, les ordures & la vermine, qui attaque ces sortes de plantes ; en été, il faut leur donner de l'air en ouvrant les fenêtres de la serre qui les regarde ; mais il faut éviter de les sortir, excepté pour quelques heures, par une pluie chaude, ou pour les nettoyer ; autrement ils ne produiront ni fleur ni fruit.

Les voyageurs françois, comme le P. du Tertre, Lonvilliers, le P. Labat, les auteurs des lettres édifiantes, & Moore parmi les Anglois, parlent beaucoup du goyavier & de son fruit : mais outre qu'ils ne sont point d'accord dans leurs relations, ils se sont attachés aux détails les moins intéressans. (D.J.)


GOYLAND(LE) Géog. petit pays de la province de Hollande, entre l'Amstel-land, la province d'Utrecht & le Zuydersée. Naerden en est le lieu principal, où Knyf étoit né. On peut consulter son livre sur ce petit pays : Knyf (Guilielm.) Goylandiae histor. & Botan. descript. Amst. 1621. in 4°. (D.J.)


GOZZIou les GOZES DE CANDIE, (Géog.) ce sont deux petites îles de la Méditerranée au midi de la partie occidentale de l'île de Candie, à cinq lieues du fort Selino : elles sont placées E. & O. selon de Witt. La principale des deux est la Gandos de Pline, l. IV. c. xij. & la Claudos de Ptolomée, l. III. c. xvij. & des actes des Apôt. ch. vij. vers. 16. (D.J.)


GOZZO(Géog.) par de Lisle, le goze ; île d'Afrique sur la côte de Barbarie, au sud de la Sicile, & à deux lieues N. O. de l'île de Malte. Un si grand voisinage fait qu'elle a eu les mêmes maîtres & la même destinée. Elle appartient aujourd'hui aux chevaliers de Malte. Son circuit n'est que d'environ huit lieues, sa longueur de trois, & sa largeur d'une & demie ; mais elle est environnée de rochers escarpés & d'écueils. Cette île est le Gaulos de Pline, lib. III. ch. viij. & de Pomponius Mela, l. II. ch. vij. Silius Italicus dit en en parlant, l. XIV. vers. 274. & strato Gaulon spectabile Ponto. (D.J.)


GRABATAIRES. m. (Liturg. & Hist. ecclésiast.) on appelloit autrefois grabataires, ceux qui différoient de recevoir le baptême jusqu'à la mort, ou qui ne le recevoient que lorsqu'ils étoient dangereusement malades, & sans espérance de vivre plus long-tems, dans l'opinion où ils étoient que le baptême effaçoit tous les péchés qu'ils avoient commis. Voyez BAPTEME. Chambers.

Ils ont été nommés grabataires de grabat, un mauvais lit suspendu, étroit & sans rideaux, anciennement celui des esclaves, des pauvres & des philosophes cyniques. (G)


GRABEAUS. m. (Epic. & Comm.) fragmens, poussieres, criblures & autres rebuts de matieres fragiles, dont la vente en masse est permise aux épiciers, & dont la vente en grabeau leur est défendue.


GRABOW(Géog.) petite ville de la basse Saxe au duché de Mecklenbourg, sur le ruisseau de l'Elde, à deux milles d'Allemagne de Neustadt, Longit. 29. 35. lat. 53. 36.

Il y a deux autres petites villes de ce nom en Pologne ; l'une sur le Prosne au palatinat de Kalish ; l'autre au palatinat de Belz, près de la source du Wiepertz. (D.J.)


GRACCHURIS(Géog. anc.) ancienne ville de l'Espagne tarragonoise dont parlent Tite-Live, Antonin & Ptolomée. Titus Gracchus Sempronius proconsul, ayant vaincu les Celtibériens, les reçut à composition ; & pour laisser en Espagne un monument de ses travaux, il bâtit la ville de Gracchuris : Festus Pompeius prétend néanmoins qu'elle existoit long-tems avant Sempronius, & qu'on l'appelloit alors Illurcis ; mais que ce fameux général romain l'ayant reparée & augmentée considérablement, il lui donna son nom. Quoi qu'il en soit, Gracchuris est présentement la ville d'Agréda, où naquit la religieuse espagnole, qui après en avoir pris le surnom fit tant de bruit dans le siecle passé par une vie de la sainte Vierge, qu'elle intitula mystique cité de Dieu. Agréda est dans la vieille Castille, à trois lieues sud-ouest de Tarragone. Long. 15. 54. l. 41. 53. (D.J.)


GRACES. f. en termes de Théologie, signifie un don que Dieu confere aux hommes par sa pure libéralité, & sans qu'ils ayent rien fait pour le mériter, soit que ce don regarde la vie présente, soit qu'il ait rapport à la vie future.

De-là les Théologiens distinguent d'abord des graces dans l'ordre naturel, & des graces dans l'ordre du salut ; les premieres renferment les dons de la création, de l'être, de la conservation, de la vie, de l'intelligence, & tous les avantages de l'ame & du corps ; ce qui fait dire à S. Aug. ep. 177. ad Innoc. Quâdam non improbandâ ratione dicitur gratiâ Dei quâ creati summus homines... qui & essemus, & viveremus, & sentiremus, & intelligeremus. C'est aussi par la grace de Dieu que les anges & les ames des hommes sont immortelles, que l'homme a son libre arbitre, &c.

Les graces dans l'ordre du salut, sont celles qui de leur nature ont rapport & conduisent à la vie éternelle ; & c'est de celles-ci principalement que traitent les Théologiens, lorsqu'ils agitent les matieres de la grace.

Ils définissent la grace dans l'ordre du salut en général, un don surnaturel que Dieu accorde gratuitement à des êtres intelligens, relativement à leur salut ; ce qui convient à toute grace surnaturelle, tant à celle qui est conférée en vertu des mérites de Jesus-Christ, qu'à celle qui selon S. Thomas & plusieurs autres scholastiques, fut accordée aux anges dans leur création, & au premier homme dans l'état d'innocence.

Mais quand il s'agit de la grace de Jesus-Christ ou du Sauveur, ils la définissent un don surnaturel que Dieu accorde gratuitement à des créatures intelligentes en vûe de la passion & des mérites de Jesus-Christ & relativement à la vie éternelle.

On peut remarquer dans cette définition, 1°. que le mot don est un terme très-vague auquel on n'attache pas d'idée nette.

2°. Les Théologiens ne sont pas d'accord sur l'explication de ce mot surnaturel, qui entre dans leur définition.

Les uns prétendent que c'est ce qui surpasse les forces actives de la nature.

Les autres entendent par surnaturel ce qui est au-dessus des forces actives & passives de la nature.

Ceux-ci entendent par surnaturel ce qui surpasse les forces tant physiques qu'intentionnelles des substances existantes & des accidens qui leur sont connaturels.

Ceux-là font consister la surnaturalité dans un certain rapport à Dieu comme auteur de la grace & de la gloire.

D'autres enfin la font consister dans une excellence au-dessus des forces & de l'exigence des natures créées & créables ; dans une union avec Dieu ou réelle & physique, comme l'union hypostatique, ou intentionnelle immédiate, ou intentionnelle médiate.

On peut choisir entre ces divers sentimens celui qui paroîtra le plus clair ; car ils sont très-théologiques.

Cette grace se divise en une infinité d'especes : savoir 1°. en grace incréée & grace créée : la premiere est l'amour que Dieu porte aux créatures, & la volonté qu'il a de les rendre éternellement heureuses ; cette dénomination est tout-à-fait impropre : la seconde, ce sont les moyens & les bienfaits qu'il leur confere pour parvenir à cette fin. S. Thomas, III. part. quaest. ij. art. 10. Estius, Sylvius, Bellarm. &c.

2°. En grace de Dieu & grace du Christ : l'une est celle qui est conférée sans égard aux mérites de Jesus-Christ, on l'appelle aussi grace de santé ; c'est la grace des anges & d'Adam avant leur chûte : l'autre est celle qui est conférée en considération des mérites du Rédempteur, on la nomme aussi grace médicinale ; elle a lieu dans l'état présent de l'homme. S. Thomas, Cajétan, &c.

3°. En grace extérieure & grace intérieure : la premiere est celle qui remue l'homme par des moyens extérieurs, tels que la loi, la doctrine, la prédication de l'évangile ; les Pélagiens ne reconnoissoient que cette espéce de grace : la seconde est celle qui le touche intérieurement par de bonnes pensées, de saints desirs, des résolutions pieuses, &c.

4°. En grace donnée gratuitement & grace qui rend agréable à Dieu, ou, comme s'expriment les Théologiens, gratia gratis data, & gratia gratum faciens : par gratia gratis data, ils entendent un don surnaturel que Dieu confere à quelqu'un pour le salut & la sanctification des autres, quoique en vertu de ce don il n'opere pas toûjours la sienne propre : tels sont le don des langues, le don des miracles, le don de prophétie, &c. Par gratia gratum faciens, ils entendent un don surnaturel destiné primitivement & par sa nature à la sanctification & au salut de celui qui le reçoit, & le rendant agréable aux yeux de Dieu.

5°. Cette derniere se divise en grace habituelle & en grace actuelle. La grace habituelle est celle qui réside dans l'ame comme une qualité inhérente, fixe & permanente, à-moins que le péché mortel ne l'en chasse ; elle se subdivise en grace sanctifiante ou justifiante, vertus infuses & dons du S. Esprit.

La grace sanctifiante ou justifiante est celle par laquelle l'homme devient formellement juste, reçoit la justice comme une forme : on a emprunté cette expression de la philosophie d'Aristote.

La grace actuelle est celle qui est accordée par maniere d'acte ou de motion passagere pour faire quelque bonne oeuvre particuliere, comme de résister à telle ou telle tentation, accomplir tel ou tel précepte.

Dans toutes les contestations qui divisent les Théologiens sur la doctrine de la grace, c'est de l'actuelle qu'il est question.

6°. Cette grace actuelle se divise en grace d'entendement & grace de volonté. La grace d'entendement est une illustration intérieure de l'esprit : la grace de volonté est un mouvement indélibéré & immédiat que Dieu opere dans la volonté. La grace actuelle, au-moins depuis le péché d'Adam, affecte ces deux facultés à cause des ténébres dont l'entendement est obscurci, & qui demandent qu'il soit éclairé, & de la foiblesse que le péché du premier homme a mis dans la volonté, & qui exige un secours d'en-haut pour le porter au bien.

Cette distinction, comme on voit, suppose celle qu'on a établie entre l'entendement & la volonté, & qui paroît, à quelques égards, précaire & nominale.

7°. La grace actuelle, entant qu'elle renferme ces deux qualités, se divise en grace opérante & co-opérante, prévenante & subséquente, existante & aidante ; termes que les Théologiens expliquent différemment selon les divers systèmes qu'ils embrassent sur la grace. On peut dire que la grace opérante, prévenante, & existante, est la même chose dans le fond ; & la définir une illustration soudaine de l'entendement, & une motion indélibérée de la volonté que Dieu opére en nous sans nous, afin que nous voulions & que nous fassions le bien surnaturel : de même la grace co-opérante, subséquente, & aidante, est la même chose dans le fond, & on la définit un concours surnaturel par lequel Dieu agit avec nous pour produire tous & chacun des actes surnaturels & libres dans l'ordre du salut.

8°. La grace opérante ou existante se divise en grace efficace & en grace suffisante. La grace efficace est celle qui opére certainement & infailliblement le consentement de la volonté, & à laquelle cette volonté ne résiste jamais quoiqu'elle ait un pouvoir prochain & réel de lui résister. La grace suffisante est celle qui donne à la volonté des forces proportionnées pour faire le bien, mais dont la volonté n'use pas toûjours.

La grace, son opération, sa nécessité, son accord avec la liberté de l'homme, étant des mysteres incompréhensibles à notre foible raison, il n'est pas étonnant qu'il y ait eu sur tous ces points des opinions opposées ; les plus considérables sont celles des Pélagiens, des Sémi-Pélagiens, des Arminiens, des Molinistes, des Congruistes, &c. d'une part ; & de l'autre des Prédestinatiens, des Wiclefistes, des Luthériens, des Calvinistes rigides ou Gomaristes, de Baïus, de Jansénius, des Augustiniens, des Thomistes, &c. Voyez ces articles.

La dispute entre les défenseurs de ces différentes opinions roule principalement sur la nécessité & l'efficacité de la grace.

Les Pélagiens & les Sémi-Pélagiens sont en opposition avec tous les autres sur cet article, les premiers refusant de reconnoître aucune espece de grace intérieure, & ceux-ci niant la nécessité de la grace pour le commencement de la foi & des oeuvres. Selon les théologiens qui ont écrit depuis la bulle d'Innocent X. contre le livre de Jansénius, S. Augustin n'a disputé contre ces hérétiques que pour les obliger de reconnoître cette nécessité qu'ils nioient : en convenant que c'est-là l'objet principal de S. Augustin, il faut avoüer que chemin faisant il enseigne aussi l'efficacité de la grace, d'une maniere très-forte ; que sans-doute les Sémi-Pélagiens en niant la nécessité de la grace pour le commencement des oeuvres & de la foi, croyoient encore que celle qu'ils admettoient étoit versatile ; & que S. Augustin combat cette opinion.

La doctrine catholique enseigne que la grace intérieure prévient la volonté, & que par conséquent elle est nécessaire pour le commencement de la foi & des oeuvres, & que l'homme ne peut rien sans elle dans l'ordre du salut.

Les Pélagiens & les Sémi-Pélagiens mis à part, les défenseurs des autres opinions sont principalement divisés sur l'efficacité de la grace.

Les vérités catholiques sur cette matiere, sont 1°. qu'il y a des graces efficaces par lesquelles Dieu sait triompher de la résistance du coeur humain, sans préjudice de la liberté : 2°. qu'il y a des graces suffisantes auxquelles l'homme résiste quelquefois.

Mais on dispute fortement sur la question d'où naît l'efficacité de la grace ; est-ce du consentement de la volonté, ou bien est-elle efficace par elle-même ? c'est à ces deux opinions qu'il faut réduire la multitude de celles qui partagent les Théologiens. Les principaux systèmes sur cette matiere sont ceux des Thomistes, des Augustiniens, des Congruistes, des Molinistes, & du P. Thomassin.

Les Thomistes prétendent qu'on doit tirer l'efficacité de la grace de la toute-puissance de Dieu & du souverain domaine qu'il a sur les volontés des hommes ; ils la définissent une grace qui de sa nature prévient le libre consentement de la volonté, & opere ce consentement, en appliquant physiquement la volonté à l'acte, sans gêner ou détruire pour cela la liberté : selon eux, elle est absolument nécessaire pour agir, dans quelque état que l'on considére l'homme ; avant le péché d'Adam, à titre de dépendance ; après le péché d'Adam & à titre de dépendance, & à titre de foiblesse que la volonté de l'homme a contractée par ce péché. Ils l'appellent aussi prémotion physique. Voyez PREMOTION.

Les Augustiniens soutiennent que l'efficacité de la grace prend sa source dans la force d'une délectation victorieuse absolue, qui emporte par sa nature le consentement de la volonté : selon eux, la grace efficace est celle qui prévient physiquement la volonté, mais qui n'en opere le consentement que par une prémotion morale. Ils sont partagés sur sa nécessité, les uns voulant que pour tout acte surnaturel & méritoire il faille une grace efficace par elle-même ; les autres, comme le cardinal Norris, distinguant les oeuvres difficiles d'avec les oeuvres faciles, & exigeant pour les premieres seulement une grace efficace par elle-même, & pour les autres une grace suffisante. Voy. SUFFISANTE & AUGUSTINIENS.

Les Congruistes croyent que l'efficacité de la grace vient de la combinaison avantageuse de toutes les circonstances dans lesquelles elle est accordée. Dieu, dans ce système, prévoit en quel tems, en quel lieu, & en quelles circonstances la volonté sera d'humeur de consentir ou de ne pas consentir à la grace, & par pure bonté il la place dans le moment favorable : selon eux, la grace efficace & la grace suffisante ne different point essentiellement l'une de l'autre ; mais seulement en ce que la grace efficace est un plus grand bienfait, eu égard aux circonstances, que n'est la grace suffisante : à-peu-près comme le don d'une épée fait à une personne est toûjours un don, soit en tems de paix soit en tems de guerre ; cependant relativement à cette derniere circonstance, l'épée étant plus utile en tems de guerre qu'en tems de paix, le don qu'on en fait est plus précieux dans une circonstance que dans l'autre. Voyez CONGRUISME.

Les Molinistes pensent que l'efficacité de la grace vient du consentement de la volonté ; que Dieu en donnant à tous indifféremment la même grace, laisse à la décision de la volonté humaine de la rendre efficace par son consentement ou inefficace par son refus ; ensorte qu'à proprement parler, ils ne reconnoissent point de grace efficace par elle-même, ou ce que les autres théologiens appellent, gratia per se & ab intrinseco efficax.

Le P. Thomassin (dogmat. theolog. t. III. tract. jv. c. xviij.) fait consister l'efficacité de la grace dans un assemblage de plusieurs secours surnaturels, tant intérieurs qu'extérieurs, qui pressent tellement la volonté, qu'ils obtiennent infailliblement son consentement ; de maniere cependant que chacun de ces secours pris séparément peut être privé de son effet, & même en est souvent privé par la résistance de la volonté ; mais collectivement pris, ils l'attaquent avec tant de force qu'ils en demeurent victorieux, en la prédéterminant non physiquement, mais moralement.

Les erreurs sur la grace efficace condamnées par l'Eglise, sont celles de Luther, de Calvin, & de Jansénius : Luther soutenoit que la grace agissoit avec tant d'empire sur la volonté de l'homme, qu'il ne lui restoit pas même le pouvoir de résister. Calvin dans son instit. l. III. c. xxiij. s'attache à prouver que la volonté de Dieu apporte dans toutes choses, & même dans nos volontés, une nécessité inévitable. Selon Luther & Calvin, cette nécessité n'est point physique, totale, immuable, essentielle, mais une nécessité relative, variable, & passagere. Calv. instit. liv. III. chap. ij. n. 11. & 12. Luther, de serv. arbitr. fol. 434. Les Arminiens & plusieurs branches des Luthériens ont adouci cette dureté de la doctrine de leurs maîtres. Voyez ARMINIENS, LUTHERIENS.

Les Arminiens soûtiennent comme les Catholiques, la nécessité de la grace efficace en ce sens, que cette grace ne manque jamais aux justes que par leur propre faute, qu'ils ont toûjours dans le besoin des graces intérieures vraiment & proprement suffisantes pour attirer la grace efficace, & qu'elles l'attirent infailliblement quand on ne les rejette pas ; mais qu'au contraire elles demeurent souvent sans effet, parce qu'au lieu d'y consentir, comme on le pourroit, on y résiste.

Jansénius & ses disciples croyent que l'efficacité de la grace vient de l'impression d'une délectation céleste indélibérée qui l'emporte en degrés de force sur les degrés de la concupiscence qui lui est opposée. Voyez JANSENISME.

Toutes ces opinions se réduisent, comme nous l'avons dit plus haut, à deux systèmes diamétralement opposés, dont l'un favorise le libre arbitre & l'autre la puissance de Dieu ; & dans chacune de ces deux classes en particulier, les opinions ne sont séparées souvent que par des nuances legeres & presque imperceptibles. Les semi-Pélagiens admettoient, au-moins pour les bonnes oeuvres, une grace versatile & que Dieu accordoit après avoir consulté la volonté & prévû son consentement. Il seroit difficile d'assigner une différence à cet égard entr'eux, les Molinistes & les Congruistes : il est vrai qu'ils prétendoient, disent les Théologiens, que ce consentement prévû étoit pour Dieu un motif déterminant, une raison de l'accorder ; mais les Thomistes & les autres Théologiens catholiques partisans de la grace efficace par sa nature, reprochent tous les jours aux Congruistes & aux Molinistes, que c'est là une conséquence nécessaire de leur opinion.

Les Molinistes & les Congruistes entr'eux sont à-peu-près dans les mêmes termes. Molina n'a jamais nié la congruité de la grace ; & Suarès en disant qu'elle tire son efficacité des circonstances, ne peut pas disconvenir que le consentement ou le dissentiment de la volonté rend en dernier ressort la grace efficace ou inefficace : c'est la remarque de Tourneli, de gratiâ Christi, tom. II. p. 674.

Le sentiment du P. Thomassin peut encore être rappellé au Molinisme ou au Congruisme ; car la motion morale qui résulte de la multitude des graces, avec quelque force qu'elle presse la volonté, est toûjours distinguée du consentement, n'opere pas physiquement le consentement : c'est donc toûjours ce même consentement qui rendra la grace efficace.

D'autre part, toutes les opinions qui prêtent à la grace une efficacité indépendante du consentement, rentrent les unes dans les autres ; les noms n'y font rien : qu'on appelle la grace une délectation, une prémotion, &c. cela ne fera rien à la question capitale, qui est de savoir si le consentement de la volonté sous son empire est libre ou nécessaire.

L'Eglise se met peu en peine des opinions abstraites sur la nature de la grace ; mais attentive à conserver le dogme de la liberté, sans lequel il n'y a ni religion ni morale, elle condamne les expressions qui y donnent atteinte. Il est difficile de croire qu'aucun théologien, sans en excepter Luther & Calvin, ayent fait de l'homme un être absolument destitué de tout pouvoir d'agir, incapable de mérite & de démérite, le joüet de la puissance de Dieu, & devenant au gré de l'Etre suprème un vase d'honneur ou un vase d'ignominie, un élu ou un réprouvé : mais leurs expressions abusives & contraires au langage reçû, étoient condamnables ; & c'est cela même que l'Eglise a condamné.

On trouvera aux articles particuliers, MOLINISME, CONGRUISME, THOMISME, &c. des détails dont nous nous abstenons ici.

D'ailleurs on a tant écrit sur cette matiere sans rien éclaircir, que nous craindrions de travailler tout aussi inutilement : on peut lire sur ces matieres les principaux ouvrages des Théologiens des divers partis ; les discussions auxquelles ils se sont livrés, fort souvent minutieuses & futiles, ne méritent pas de trouver leur place dans un ouvrage philosophique, quelque encyclopédique qu'il soit.

On a donné à S. Augustin le nom de docteur de la grace, à cause des ouvrages qu'il a composé sur cette matiere : il paroît qu'effectivement on lui est redevable de beaucoup de lumieres sur cet article important ; car il assûre lui-même que Dieu lui avoit révélé la doctrine qu'il développe. Dixi hoc apostolico praecipuè testimonio etiam me ipsum fuisse convictum, cùm in hâc quaestione solvendâ (comment la foi vient de Dieu) cùm ad episcopum Simplicianum scriberem, revelavit. S. Augustin, lib. de praed. sanct. c. jv.

GRACE, (Droit politiq.) pardon, rémission, accordée par le souverain à un ou à plusieurs coupables.

Le droit de faire grace est le plus bel attribut de la souveraineté. Le prince, loin d'être obligé de punir toûjours les fautes punissables, peut faire grace par de très-bonnes raisons, comme, par exemple, s'il revient plus d'utilité du pardon, que de la peine ; si le coupable ou les coupables ont rendu de grands services à l'état ; s'ils possedent des qualités éminentes ; si certaines circonstances rendent leurs fautes plus excusables ; s'ils sont en grand nombre ; s'ils ont été séduits par d'autres exemples ; si la raison particuliere de la loi n'a point lieu à leur égard : dans tous ces cas & autres semblables, le souverain peut faire grace, & il le doit toûjours pour le bien public, parce que l'utilité publique est la mesure des peines ; & lorsqu'il n'y a point de fortes raisons au souverain de faire la grace entiere, il doit pancher à modérer sa justice.

A plus forte raison, le prince dans une monarchie ne peut pas juger lui-même, s'il le vouloit, la constitution de l'état seroit détruite : les pouvoirs intermédiaires dépendans seroient anéantis ; la crainte s'empareroit de tous les coeurs ; on verroit la pâleur & l'effroi sur tous les visages, & personne ne sauroit s'il seroit absous, ou s'il recevroit sa grace : c'est une excellente remarque de l'auteur de l'esprit des lois. Lorsque Louis XIII. ajoûte-t-il pour la confirmer, voulut être juge dans le procès du duc de la Valette, le président de Bellievre déclara, " qu'il voyoit dans cette affaire une chose inoüie, un prince songer à opiner au procès d'un de ses sujets ; que les rois ne s'étoient reservés que les graces, & renvoyoient toûjours les condamnations vers leurs officiers : votre majesté, continua-t-il, voudroit-elle voir sur la sellette un homme devant elle, qui par son jugement iroit dans une heure à la mort ? que bien au contraire, la vûe seule des rois portoit les graces, & levoit les interdits des églises ". Concluons que le throne est appuyé sur la clémence comme sur la justice. Voyez-en les preuves au mot CLEMENCE.

La rigueur de la justice est entre les mains des juges ; la faveur ou le droit de pardonner appartient au monarque ; s'il punissoit lui-même, son aspect seroit terrible ; si sa clémence n'avoit pas les mains liées, son autorité s'aviliroit. Il faut, je l'avoue, des exemples de sévérité pour contenir le peuple ; mais il en faut également de bonté pour affermir le throne. Si le monarque ne se fait pas aimer, il ne regnera pas long-tems, ou son long régne ne sera que plus détesté. (D.J.)

GRACE, (Jurisp.) Les dons & brevets, pensions, priviléges accordés par le prince, sont des graces qui doivent toûjours être favorablement interprétées, à-moins qu'elles ne fassent préjudice à un tiers.

GRACE, en matiere criminelle, se prend en général pour toutes lettres du prince qui déchargent un accusé de quelque crime, ou de la peine à laquelle il auroit été sujet. On se servoit autrefois de ce terme grace dans le style de chancellerie ; mais présentement on dit abolition, rémission, & pardon : & quoique ces termes paroissent d'abord synonymes pour signifier grace, ils ont cependant chacun leur signification propre. Abolition est lorsque le prince efface le crime & en remet la peine, de maniere qu'il ne reste aux juges aucun examen à faire des circonstances. Rémission est lorsqu'il remet seulement la peine : ces lettres s'accordent pour homicide involontaire, ou commis par la nécessité d'une légitime défense de la vie. Les lettres de pardon s'accordent dans les cas où il n'échet pas peine de mort, & qui néanmoins ne peuvent pas être excusés.

Il n'appartient qu'au roi de donner des graces.

Néanmoins anciennement plusieurs seigneurs & grands officiers de la couronne, s'étoient arrogé le droit d'en donner ; tels que le connétable, les maréchaux de France, le maître des arbalêtriers, & les capitaines ou gouverneurs des provinces ; ce qui leur fut d'abord défendu par Charles V. alors régent du royaume, par une ordonnance du 13 Mars 1359. Cette défense fut réitérée pour toutes sortes de personnes par Louis XII. en 1499.

Le chancelier de France les accorde, mais c'est toûjours au nom du roi. Ce privilége fut accordé au chancelier de Corbie par Charles VI. le 13. Mars 1401. Les lettres portent, qu'en tenant les requêtes générales avec tel nombre de personnes du grand-conseil qu'il voudra, il pourra accorder des lettres de grace en toute sorte de cas, & à toutes sortes de personnes.

Suivant l'ordonnance de 1670, les lettres d'abolition, celles pour ester à droit après les cinq ans de la contumace, de rappel de ban ou de galeres, de commutation de peine, réhabilitation du condamné en ses biens & bonne renommée, & de révision de procès, ne peuvent être scellées qu'en la grande chancellerie.

Les lettres de rémission qui s'accordent pour homicide involontaire, ou commis dans la nécessité d'une légitime défense de la vie, peuvent être scellées dans les petites chancelleries.

On peut obtenir grace par un simple brevet, & sans qu'il y ait dans le moment des lettres de chancellerie ; savoir, quand les rois font leur entrée pour la premiere fois, après leur avénement à la couronne, ils ont coûtume de donner grace à tous les criminels qui sont détenus dans les prisons de la ville où le roi fait son entrée : mais si les criminels ne levent pas leurs lettres en chancellerie six mois après la date du brevet du grand-aumônier, ils en sont déchûs.

Le roi accorde aussi quelquefois de semblables graces à la naissance des fils de France, & aux entrées des reines. Lorsque Charles VI. établit le duc de Berri son frere, pour son lieutenant dans le Languedoc en 1380, il lui donna, entr'autres choses, le pouvoir d'accorder des lettres de grace.

Louis XI. permit aussi à Charles duc d'Angoulême d'en donner une fois dans chaque ville où il feroit son entrée.

Mais aucun prince n'a ce droit de son chef ; & quelqu'étendue de pouvoir que nos rois accordent dans les apanages aux enfans de France, le droit de donner des lettres de grace n'y est jamais compris. Louise de Savoie ayant obtenu le privilége de donner des lettres de grace dans le duché d'Anjou, s'en départit, ayant appris que le parlement de Paris avoit délibéré de faire au roi des remontrances à ce sujet.

Il est quelquefois arrivé que dans les facultés des légats envoyés en France par la cour de Rome, on a inséré le pouvoir d'abolir le crime d'hérésie dont les accusés pourroient être prévenus. Les parlemens ont toûjours rejetté ces sortes de clauses. Le cardinal de Plaisance légat, ayant en l'année 1547 donné des lettres de grace à un clerc qui avoit tué un soldat ; par arrêt du 5 Janvier 1548, il fut dit qu'il avoit été mal, nullement & abusivement procédé à l'entérinement de telles lettres par le juge ecclésiastique, & que nonobstant ces lettres, le procès seroit fait & parfait à l'accusé.

Les évêques d'Orléans donnoient autrefois des lettres de grace à tous les criminels qui venoient se rendre dans les prisons d'Orléans lors de leur entrée solemnelle à Orléans : il ne s'en trouva d'abord que deux ou trois ; mais par succession de tems le nombre s'en accrut beaucoup, tellement qu'en 1707, il y en eut jusqu'à 900, & en 1733 il y en eut plus de 1200. L'édit du mois de Novembre 1753 a beaucoup restraint ce privilége. Il est dit dans le préambule, qu'il n'appartient qu'à la puissance souveraine de faire grace ; que les empereurs chrétiens par respect filial pour l'église, donnoient accès aux supplications de ses ministres pour les criminels ; que les anciens rois de France déféroient aussi souvent à la priere charitative des évêques, sur-tout en des occasions solemnelles où l'église usoit aussi quelquefois d'indulgence envers les pécheurs, en se relâchant de l'austérité des pénitences canoniques ; que telle est l'origine de ce qui se pratique à l'avenement des évêques d'Orléans à leur entrée ; que cet usage n'étant pas soûtenu de titres d'une autorité inébranlable, sa Majesté a cru devoir lui donner des bornes.

Le Roi ordonne en conséquence, qu'à l'avenir les évêques d'Orléans à leur entrée pourront donner aux prisonniers en ladite ville, pour tous crimes commis dans le diocèse & non ailleurs, leurs lettres d'intercession & déprécation, sur lesquelles le roi fera expédier des lettres de grace sans frais ; qu'en signifiant les lettres déprécatoires, il sera sursis pendant six mois, sauf l'instruction qui sera continuée.

L'édit excepte de ces lettres, l'assassinat prémédité, le meurtre ou outrage & excès, ou recousse des prisonniers pour crime, des mains de la justice, commis ou machiné par argent ou sous autre engagement ; le rapt commis par violence ; les excès ou outrages commis en la personne des magistrats ou officiers, huissiers & sergens royaux exerçans, faisant ou exécutant quelque acte de justice ; les circonstances & dépendances desdits crimes, telles qu'elles sont prévûes & marquées par les ordonnances, & tous autres forfaits & cas notoirement réputés non graciables dans le royaume.

Pour ce qui est des regles que l'on observe par rapport aux lettres d'abolition, rémission, pour dons & autres lettres de grace ; en général il faut observer que tous les juges auxquels les lettres d'abolition sont adressées, doivent les entériner incessamment, si elles sont conformes aux charges & informations : les cours souveraines peuvent cependant faire des remontrances au roi, & les autres juges représenter à M. le chancelier ce qu'ils jugent à-propos sur l'atrocité du crime.

On ne doit pas accorder de lettres d'abolition pour les duels, assassinats prémédités, soit pour ceux qui en sont les auteurs ou complices, soit pour ceux qui à prix d'argent ou autrement, se louent & s'engagent pour tuer, outrager, excéder ou retirer des mains de la justice les prisonniers pour crime, ni à ceux qui les auront loüés ou induits pour ce faire, quoiqu'il n'y ait eu que la seule machination & attentat sans effet ; pour crime de rapt commis par violence, ni à ceux qui ont excédé ou outragé quelque magistrat, officier, huissier, ou sergent royal, faisant ou exécutant quelque acte de justice.

L'arrêt ou le jugement de condamnation doit être attaché sous le contre-scel des lettres de rappel de ban ou de galeres, de commutation de peine, ou de réhabilitation, à peine de nullité ; & toutes ces lettres doivent être entérinées, quoiqu'elles ne soient pas conformes aux charges & informations : si elles sont obtenues par des gentilshommes, ils doivent y exprimer nommément leur qualité, à peine de nullité.

Pour obtenir des lettres de revision, on présente requête au conseil, laquelle est renvoyée aux maîtres des requêtes pour donner leur avis ; ensuite duquel intervient arrêt qui ordonne que les lettres seront expédiées. Voyez REVISION.

Les lettres de grace obtenues par les gentilshommes, doivent être adressées aux cours souveraines qui peuvent néanmoins renvoyer l'instruction sur les lieux, si la partie civile le requiert. L'adresse en peut aussi être faite aux présidiaux, si la compétence y a été jugée.

Les lettres obtenues par les roturiers, s'adressent aux baillis & sénéchaux des lieux où il y a siége présidial ; & dans les provinces où il n'y a point de présidial, l'adresse se fait aux juges ressortissans nuement aux cours.

On ne peut présenter les lettres d'abolition, rémission, pardon, & pour ester à droit, que l'accusé ne soit actuellement en prison, & il doit y demeurer pendant toute l'instruction, & jusqu'au jugement définitif ; & la signification des lettres ne peut suspendre les decrets ni l'instruction, jugement & exécution de la contumace, si l'accusé n'est dans les prisons du juge auquel les lettres auront été adressées.

On doit présenter les lettres dans les trois mois de leur date ; mais comme l'accusé est ordinairement absent, & même souvent qu'il ignore qu'on ait obtenu pour lui des lettres, on en a accordé quelquefois de nouvelles après les trois mois expirés.

Les charges & informations avec les lettres, même les procédures faites depuis l'obtention des lettres, doivent être incessamment apportées au greffe des juges auxquels l'adresse des lettres est faite ; & l'on ne peut procéder à l'entérinement, que toutes les charges & informations n'ayent été apportées & communiquées avec les lettres aux procureurs du roi, quelque diligence que les impétrans ayent faite pour les faire apporter, sauf à décerner des exécutoires & autres peines contre les greffiers négligens.

Les lettres doivent être signifiées à la partie civile, pour donner ses moyens d'opposition, & le procureur du roi & la partie civile peuvent, nonobstant la présentation des lettres de rémission & pardon, informer par addition, & faire recoller & confronter les témoins.

Les demandeurs en lettres d'abolition, rémission & pardon, sont tenus de les présenter à l'audience tête nue & à genoux sans épée ; & après qu'elles ont été lûes en leur présence, ils doivent affirmer qu'ils ont donné charge d'obtenir ces lettres, qu'elles contiennent vérité, qu'ils veulent s'en servir : après quoi ils sont renvoyés en prison, & ensuite sont interrogés par le rapporteur du procès.

De telle nature que soient les lettres de grace, ceux qui les ont impétrées doivent être interrogés sur la sellette, & l'interrogatoire rédigé par écrit par le greffier, & envoyé en cas d'appel avec le procès.

Si les lettres sont obtenues pour des cas qui ne soient pas graciables, ou si elles ne sont pas conformes aux charges, l'impétrant en est débouté ; parce qu'on suppose que le roi a été surpris, son intention n'étant de faire grace qu'autant que le cas est graciable. Voyez l'ordonnance de 1670, tit. xvj. (A)

GRACES EXPECTATIVES, sont des provisions que le pape donne d'avance d'un bénéfice qui n'est pas encore vacant. Il y en a de générales, par lesquelles le pape veut qu'un tel soit pourvû du premier bénéfice qui vacquera ; & il y en a de spéciales, par lesquelles le pape mande à l'ordinaire de conférer un certain bénéfice à un tel.

Cette maniere de conférer les bénéfices n'étoit point pratiquée par les premiers papes, & elle a toûjours été reprouvée en France, à l'exception de l'expectative des indultaires & de celle des gradués. Voyez Fevret, tr. de l'abus, liv. II. ch. vij. & ci-apr. GRADUES, INDULTAIRES, MANDATS APOSTOLIQUES. (A)

GRACE PRINCIPALE, (Hist. mod.) titre qu'on donnoit autrefois à l'évêque de Liége, qui est prince de l'Empire. La reine Marguerite dans ses mémoires raconte qu'on le traitoit ainsi : mais depuis il a pris celui d'altesse. Il n'y a point aujourd'hui de baron dans la haute Allemagne, & sur-tout en Autriche, qui ne se fasse donner ce titre d'honneur. Les Anglois s'en servent à l'égard des évêques & des personnes de la premiere qualité après les princes. Comme on le donne en Allemagne aux princes qui ne sont pas du premier rang, les ambassadeurs de France l'accorderent d'abord à l'évêque d'Osnabruk, qui étoit ambassadeur du collége électoral à Munster, mais ensuite ils le traiterent d'altesse. Ce titre de grace principale n'est plus maintenant d'usage en notre langue. (G)

GRACE, (Gramm. Littérat. & Mytholog.) dans les personnes, dans les ouvrages, signifie non-seulement ce qui plait, mais ce qui plaît avec attrait. C'est pourquoi les anciens avoient imaginé que la déesse de la beauté ne devoit jamais paroître sans les graces. La beauté ne déplaît jamais, mais elle peut être dépourvûe de ce charme secret qui invite à la regarder, qui attire, qui remplit l'ame d'un sentiment doux. Les graces dans la figure, dans le maintien, dans l'action, dans les discours, dépendent de ce mérite qui attire. Une belle personne n'aura point de graces dans le visage, si la bouche est fermée sans sourire, si les yeux sont sans douceur. Le sérieux n'est jamais gracieux ; il n'attire point ; il approche trop du severe qui rebute.

Un homme bien-fait, dont le maintien est mal assûré ou gêné, la démarche précipitée ou pesante, les gestes lourds, n'a point de grace, parce qu'il n'a rien de doux, de liant dans son extérieur.

La voix d'un orateur qui manquera d'inflexion & de douceur, sera sans grace.

Il en est de même dans tous les arts. La proportion, la beauté, peuvent n'être point gracieuses. On ne peut dire que les pyramides d'Egypte ayent des graces. On ne pouvoit le dire du colosse de Rhodes, comme de la Vénus de Cnide. Tout ce qui est uniquement dans le genre fort & vigoureux, a un mérite qui n'est pas celui des graces. Ce seroit mal connoître Michel-Ange & le Caravage, que de leur attribuer les graces de l'Albane. Le sixieme livre de l'Enéide est sublime : le quatrieme a plus de grace. Quelques odes galantes d'Horace respirent les graces, comme quelques-unes de ses épîtres enseignent la raison.

Il semble qu'en général le petit, le joli en tout genre, soit plus susceptible de graces que le grand. On loueroit mal une oraison funebre, une tragédie, un sermon, si on leur donnoit l'épithete de gracieux.

Ce n'est pas qu'il y ait un seul genre d'ouvrage qui puisse être bon en étant opposé aux graces. Car leur opposé est la rudesse, le sauvage, la sécheresse. L'Hercule Farnèse ne devoit point avoir les graces de l'Apollon du Belvedere & de l'Antinoüs ; mais il n'est ni sec, ni rude, ni agreste. L'incendie de Troye dans Virgile n'est point décrit avec les graces d'une élégie de Tibulle. Il plaît par des beautés fortes. Un ouvrage peut donc être sans graces, sans que cet ouvrage ait le moindre desagrément. Le terrible, l'horrible, la description, la peinture d'un monstre, exigent qu'on s'éloigne de tout ce qui est gracieux : mais non pas qu'on affecte uniquement l'opposé. Car si un artiste, en quelque genre que ce soit, n'exprime que des choses affreuses, s'il ne les adoucit pas par des contrastes agréables, il rebutera.

La grace en peinture, en sculpture, consiste dans la mollesse des contours, dans une expression douce ; & la peinture a par-dessus la sculpture, la grace de l'union des parties, celle des figures qui s'animent l'une par l'autre, & qui se prêtent des agrémens par leurs attitudes & par leurs regards. Voyez l'article suivant.

Les graces de la diction, soit en éloquence, soit en poësie, dépendent du choix des mots, de l'harmonie des phrases, & encore plus de la délicatesse des idées, & des descriptions riantes. L'abus des graces est l'afféterie, comme l'abus du sublime est l'empoulé ; toute perfection est près d'un défaut.

Avoir de la grace, s'entend de la chose & de la personne. Cet ajustement, cet ouvrage, cette femme, a de la grace. La bonne grace appartient à la personne seulement. Elle se présente de bonne grace. Il a fait de bonne grace ce qu'on attendoit de lui. Avoir des graces, dépend de l'action. Cette femme a des graces dans son maintien, dans ce qu'elle dit, dans ce qu'elle fait.

Obtenir sa grace, c'est par métaphore obtenir son pardon : comme faire grace est pardonner. On fait grace d'une chose, en s'emparant du reste. Les commis lui prirent tous ses effets, & lui firent grace de son argent. Faire des graces, répandre des graces, est le plus bel apanage de la souveraineté, c'est faire du bien : c'est plus que justice. Avoir les bonnes graces de quelqu'un, ne se dit que par rapport à un supérieur ; avoir les bonnes graces d'une dame, c'est être son amant favorisé. Etre en grace, se dit d'un courtisan qui a été en disgrace ; on ne doit pas faire dépendre son bonheur de l'un, ni son malheur de l'autre. On appelle bonnes graces, ces demi-rideaux d'un lit qui sont aux côtés du chevet. Les graces, en latin charites, terme qui signifie aimables.

Les Graces, divinités de l'antiquité, sont une des plus belles allégories de la mythologie des Grecs. Comme cette mythologie varia toûjours tantôt par l'imagination des Poëtes, qui en furent les théologiens, tantôt par les usages des peuples, le nombre, les noms, les attributs des Graces changerent souvent. Mais enfin on s'accorda à les fixer au nombre de trois, & à les nommer Aglaé, Thalie, Euphrosine, c'est-à-dire brillant, fleur, gaieté. Elles étoient toujours auprès de Vénus. Nul voile ne devoit couvrir leurs charmes. Elles présidoient aux bienfaits, à la concorde, aux réjoüissances, aux amours, à l'éloquence même ; elles étoient l'emblème sensible de tout ce qui peut rendre la vie agréable. On les peignoit dansantes, & se tenant par la main ; on n'entroit dans leurs temples que couronné de fleurs. Ceux qui ont insulté à la mythologie fabuleuse, devoient au-moins avoüer le mérite de ces fictions riantes, qui annoncent des vérités dont résulteroit la félicité du genre humain. Art. de M. DE VOLTAIRE.

GRACE, (Beaux arts) Le mot grace est d'un usage très-fréquent dans les arts. Il semble cependant qu'on a toûjours attribué au sens qu'il emporte avec lui quelque chose d'indécis, de mystérieux, & que par une convention générale on s'est contenté de sentir à-peu-près ce qu'il veut dire sans l'expliquer. Seroit-il vrai que la grace qui a tant de pouvoir sur nous, naquît d'un principe inexplicable ? & peut-on penser que pour l'imiter dans les ouvrages des arts, il suffise d'un sentiment aveugle, & d'une certaine disposition qu'on ne peut comprendre ? non sans-doute. Je crois, pour me renfermer dans ce qui regarde l'art de peinture, que la grace des figures imitées comme celle des corps vivans, consiste principalement dans la parfaite structure des membres, dans leur exacte proportion, & dans la justesse de leurs emmanchemens. C'est dans les mouvemens & les attitudes d'un homme ou d'une femme qu'on distingue sur-tout cette grace qui charme les yeux. Or si les membres ont la mesure qu'ils doivent avoir relativement à leur usage, si rien ne nuit à leur développement, si enfin les charnieres & les jointures sont tellement parfaites, que la volonté de se mouvoir ne trouve aucun obstacle, & que les mouvemens doux & lians se fassent successivement dans l'ordre le plus précis : c'est alors que l'idée que nous exprimons par le mot de grace sera excitée. Et qu'on n'avance pas comme une objection raisonnable, qu'une figure sans être telle que je viens de la décrire, peut avoir une certaine grace particuliere ; qu'on ne dise pas qu'il y a des défauts auxquels certaines graces sont attachées. Il seroit impossible, à ce que je crois, de prouver que cela doit être ainsi ; & lorsqu'on essayeroit d'établir l'opinion que j'attaque, on démêleroit sans-doute dans l'examen des faits, des circonstances étrangeres, des goûts particuliers, des usages établis, des habitudes qui tiennent aux moeurs, enfin des préjugés sur lesquels on fonde le sentiment que j'attaque. Rien ne me paroît devoir contribuer davantage à la corruption des Arts & des Lettres, que d'établir qu'il y a des moyens de plaire & de réussir, indépendans des grands principes que la raison & la nature ont établis. On a peut-être aussi grand tort de séparer, comme on le fait aujourd'hui, l'idée de la beauté de celle des graces, que de trop distinguer dans les Lettres un bon ouvrage d'avec un ouvrage de goût. Un peintre en peignant une figure de femme, croit lui avoir donné la grace qui lui convient, en la rendant plus longue d'une tête qu'elle ne doit l'être, c'est-à-dire en donnant neuf fois la longueur de la tête à sa figure, au lieu de huit. Seroit-il possible qu'on arrivât par un secret si facile, à cet effet si puissant, à cette grace qu'on rencontre si rarement ? non sans-doute. Mais il est plus aisé de prendre ce moyen, que d'observer parfaitement la construction intérieure des membres, la juste position & le jeu des muscles, le mouvement des jointures, & le balancement des corps. Il arrive quelquefois cependant que l'artiste dont j'ai parlé, fait une illusion passagere : mais il ne doit ce succès qu'à un examen aussi peu réflechi & aussi aveugle que son travail. C'est ainsi qu'un ouvrage dont le plan n'est pas rempli, ou qui en manque, dans lequel la raison est souvent blessée, où la langue n'est pas respectée, usurpe quelquefois le nom d'ouvrage de goût. Je laisse à juger s'il peut y avoir un goût véritable qui n'exige pas la plus juste combinaison de l'esprit & de la raison : peut-il aussi y avoir de véritable grace qui n'ait pour principe la perfection des corps relative aux usages auxquels ils sont destinés ? Article de M. WATELET.


GRACESLES, s. f. plur. (Mythologie) déesses charmantes du paganisme, appellées par les Grecs, & Gratiae par les Latins.

Dans le grand nombre de divinités, dont les poëtes embellirent le monde, ils n'en imaginerent jamais de plus aimables que les Graces, filles de Bacchus & de Vénus, c'est-à-dire d'un dieu qui dispense la joie aux hommes, & d'une déesse qu'on a toujours regardée comme l'ame de l'univers. Si tous les poëtes ne tombent pas d'accord que les Graces soient filles de Vénus, au-moins ils reconnoissent tous qu'elles étoient ses compagnes inséparables, & qu'elles composoient la partie la plus brillante de sa cour.

Anacréon, qui a si bien connu les divinités dont nous parlons & qui les avoit comme faites à son badinage, ne manque presque jamais de réunir les Graces aux Amours. Parle-t-il du fils de Cythere, il le couronne de roses lorsqu'il danse avec les Graces. Presse-t-il un excellent artiste de lui graver une coupe d'argent, il lui recommande d'y représenter à l'ombre d'une vigne les Amours désarmés, & les Graces riantes.

Les poëtes latins tiennent le même langage. Horace, dans cette stance heureuse de son ode à Vénus, où il a l'art de renfermer en trois vers toutes les divinités du cortege de la déesse de Paphos, place les Graces immédiatement après Cupidon. Que le folâtre Amour, dit-il à la déesse, soit à côté de vous ; que les Graces y paroissent dans leur air négligé ; que les Nymphes & Mercure s'empressent de les suivre ; enfin que la jeunesse vous y accompagne avec cet enjouement que vous seule savez lui inspirer.

Fervidus tecum puer, & solutis

Gratiae Zonis properentque Nymphae,

Et parùm comis sine te juventas,

Mercuriusque.

La plûpart des mythologistes fixent à trois le nombre des Graces, qu'ils nomment Eglé, Thalie & Euphrosine ; mais quant à leurs symboles & à leurs attributs, on conçoit bien que l'imagination dut les varier infiniment, suivant les tems & les lieux.

On représenta d'abord ces déesses sous des figures humaines, habillées d'une gaze fine & légere, sans agraffes, sans ceinture, & laissant flotter négligemment leurs voiles au gré des vents. Bientôt après on les représenta toutes nues, & cette coutume avoit déja prévalu du tems de Pausanias, qui reconnoît ne pouvoir fixer l'époque où l'on cessa de leur ôter la gaze. On les trouve aujourd'hui de l'une & de l'autre maniere dans les monumens qui nous restent de ces déesses ; mais on les trouve le plus souvent représentées au naturel ; elles se tiennent embrassées, & sont toutes nues dans les portraits que Spanheim nous en a donné d'après les médailles qui sont conformes aux tableaux qu'en ont fait les Poëtes. Horace dit, l. IV. ode vij.

Gratia cum Nymphis, geminisque sororibus audet

Ducere nuda choros.

" Les Graces toutes nues forment déja leurs danses avec les Nymphes ".

L'épithete de belle-tête leur est assignée dans l'hymne attribuée à Homere, qui ajoute qu'elles se tiennent par la main, & dansent ensemble avec les Heures, l'Harmonie, Hébé & Vénus, déesses de la joie & du plaisir, & c'est pour cela qu'elles sont appellées ridentes, les déesses riantes.

On disoit généralement que les Graces étoient filles & vierges ; peut-être parce qu'on pensoit qu'il étoit difficile que les attraits pussent subsister dans le trouble d'une passion, ou parmi les soins d'une famille. Cependant, contre l'opinion commune, Homere marie deux Graces ; & ce qu'il y a d'étonnant, il les partage assez mal en maris ; car il donne à l'une pour époux un dieu qui dort toujours, le dieu du sommeil ; & à l'autre, à la charmante Charis, il lui fait épouser ce dieu que Jupiter précipita du sacré parvis de Lemnos, & qui resta toujours boiteux de cette terrible chûte.

Nous lisons dans Pausanias qu'on voyoit à Elis les statues des trois Graces, où elles étoient représentées de telle sorte que l'une tenoit à la main une rose, l'autre une branche de myrthe, & la troisieme un dez à jouer, symboles dont cet auteur donne lui-même l'explication suivante ; c'est que le myrthe & la rose sont particulierement consacrés à Vénus & aux Graces, & le dez désigne le penchant naturel que la jeunesse, l'âge des agrémens, a pour les jeux, les plaisirs & les ris.

Elles se tenoient, dit Horace, inséparablement par la main sans se quitter :

Segnesque nodum solvere gratiae.

Pourquoi ? parce que les qualités aimables sont un des plus forts liens de la société.

Elles laissoient flotter leurs voiles au gré des zéphirs, pour exprimer qu'il est une sorte de négligé qui vaut mieux que toutes les parures ; ou, si l'on veut, que dans les beaux arts & dans les ouvrages d'esprit, il y a des négligences heureuses préférables à l'exactitude du travail.

Il n'étoit pas possible que des divinités de cet ordre manquassent d'autels & de temples. On prétend que ce fut Ethéocle qui leur en éleva le premier, & qui régla ce qui concernoit leur culte. Il étoit roi d'Orchomene, la plus jolie ville de la Béotie. On y voyoit une fontaine que son eau pure & salutaire rendoit célébre par-tout le monde. Près de-là couloit le fleuve Céphyse, qui par la beauté de son canal & de ses bords ne contribuoit pas peu à embellir un si charmant séjour. On assure que les graces s'y plaisoient plus qu'en aucun autre lieu de la terre. De-là vient que les anciens poëtes les appellent déesses de Céphyse & déesses d'Orchomene.

Cependant toute la Grece ne convenoit pas qu'Ethéocle eut été le premier à leur rendre les honneurs divins. Les Lacédémoniens en attribuoient la gloire à Lacédémon leur quatrieme roi. Ils prétendoient qu'il avoit bâti un temple aux graces dans le territoire de Sparte, sur les bords du fleuve Tiase, & que ce temple étoit le plus ancien de tous ceux où elles recevoient des offrandes. Quoi qu'il en soit, elles avoient encore des temples à Elis, à Delphes, à Pergée, à Périnthe, à Byzance.

Non-seulement elles avoient des temples particuliers, elles en avoient de communs avec d'autres divinités. Ordinairement ceux qui étoient consacrés à l'amour, l'étoient aux graces. On avoit aussi coutume de leur donner place dans les temples de Mercure, parce qu'on étoit persuadé que le dieu de l'éloquence ne pouvoit se passer de leur secours ; mais sur-tout les muses & les graces n'avoient d'ordinaire qu'un même temple. Hésiode, après avoir dit que les muses ont établi leur séjour sur l'Hélicon, ajoute que les graces habitent près d'elles. Pindare confond leurs jurisdictions ; &, par une de ces expressions hardies qui lui sont familieres, il appelle la poësie le délicieux jardin des graces.

On célébroit plusieurs fêtes en leur honneur dans le cours de l'année ; mais le printems leur étoit principalement consacré. C'étoit proprement la saison des graces. Voyez, dit Anacréon, comme au retour des zéphirs, les graces sont parées de roses.

Horace ne peint jamais la nature qui se renouvelle, sans négliger de faire entrer les graces dans cette peinture. Après avoir dit en commençant une de ses odes, que par une agréable révolution, les frimats font place aux beaux jours ; il ajoute aussi-tôt qu'on voit déja Vénus, les graces & les nymphes recommencer leurs danses.

Jam cytherea choros ducit Venus,

Junctaeque nymphis Gratiae decentes

Alterno terram quatiunt pede.

Les personnes de bon air n'oublioient point de fêter les muses & les graces dans leurs repas agréables. On honoroit les unes & les autres le verre à la main, avec cette différence, que pour s'attirer la faveur des muses on buvoit neuf coups, au-lieu que ceux qui vouloient se concilier les graces, n'en buvoient que trois.

Enfin les anciens aimoient à marquer leur zele pour leurs dieux par divers monumens qu'ils élevoient à leur gloire, par des tableaux, par des statues, par des inscriptions, par des médailles. Or toute la Grece étoit pleine de semblables monumens consacrés aux graces. On voyoit dans la plûpart des villes leurs figures faites par les plus grands maîtres. Il y avoit à Pergame un tableau de ces déesses peint par Pythagore de Paros, & un autre à Smyrne qui étoit de la main d'Apelle ; Socrate avoit taillé leur statue en marbre, & Bupalus en or. Pausanias cite plusieurs ouvrages de ce genre, également recommandables par la beauté du travail & de la matiere.

Elles étoient aussi représentées sur un grand nombre de médailles dont quelques-unes nous sont parvenues. Telle est une médaille grecque d'Antonin le débonnaire, frappée par les Périnthiens ; une de Septime Severe, par les habitans de Perge en Pamphilie ; une autre d'Alexandre Severe, par la colonie Flavienne dans la Thrace ; & enfin une de Valérien, pere de Galien, par les Bizantins.

C'est d'après ces anciens modeles qu'on frappa dans le xjv. siecle l'ingénieuse médaille de Jeanne de Navarre, où l'on représenta d'une part cette princesse, & au revers les trois graces avec la légende : ou quatre, ou une. Pensée qui a beaucoup de rapport à celle qui se trouve dans cette jolie épigramme de l'anthologie, l. VII. faite sur une jeune personne nommée Dercyle, qui réunissoit en elle tous les agrémens de la figure, des manieres & de l'esprit :


GRACIABLEadj. (Jurisprud.) se dit d'un cas ou délit pour lequel on peut obtenir des lettres de grace. Voyez GRACE. (A)


GRACIEUSE(LA) Géog. île de l'Océan atlantique, l'une des Açores, ainsi nommée à cause de la beauté de sa campagne, & de l'abondance de ses fruits. Elle est à 7. lieues N. O. de Tercere. Long. 330. 30. latit. 39. 20. (D.J.)


GRACIEUXadj. (Gramm.) est un terme qui manquoit à notre langue, & qu'on doit à Ménage. Bouhours en avoüant que Ménage en est l'auteur, prétend qu'il en a fait aussi l'emploi le plus juste, en disant : pour moi de qui les vers n'ont rien de gracieux. Le mot de Ménage n'en a pas moins réussi. Il veut dire plus qu'agréable ; il indique l'envie de plaire : des manieres gracieuses, un air gracieux. Boileau, dans son ode sur Namur, semble l'avoir employé d'une façon impropre, pour signifier moins fier, abaissé, modeste :

Et desormais gracieux

Allez à Liége, à Bruxelles

Porter les humbles nouvelles

De Namur pris à vos yeux.

La plûpart des peuples du nord disent, notre gracieux souverain ; apparemment qu'ils entendent bienfaisant. De gracieux on a fait disgracieux, comme de grace on a formé disgrace ; des paroles disgracieuses, une avanture disgracieuse. On dit disgracié, & on ne dit pas gracié. On commence à se servir du mot gracieuser, qui signifie recevoir, parler obligeamment ; mais ce mot n'est pas encore employé par les bons écrivains dans le style noble. Article de M. DE VOLTAIRE.

GRACIEUX, (Jurisprud.) ce terme s'applique en matiere bénéficiale à une forme particuliere de provisions qu'on appelle en forme gracieuse, in formâ gratiosâ. Voyez ci-devant FORME en matiere bénéficiale. (A)


GRADATIONS. f. (Gramm.) il se dit en général d'une disposition où les choses sont considérées, comme s'élevant les unes au-dessus des autres. Ce corps s'est formé par une gradation insensible.

GRADATION, en terme de Logique, signifie une argumentation qui consiste en plusieurs propositions arrangées, de façon que l'attribut de la premiere soit le sujet de la seconde, & que l'attribut de la seconde soit le sujet de la troisieme, & ainsi des autres, jusqu'à-ce que le dernier attribut vienne à être affirmé du sujet de la premiere, comme dans l'arbre de porphyre. L'homme est un animal : un animal est une chose vivante : une chose vivante est un corps, un corps est une substance, donc l'homme est une substance.

Un argument de cette espece est susceptible d'une infinité d'erreurs qui peuvent naître de l'ambiguité des termes, dont un sophiste abuse ; comme dans celui-ci : Pierre est un homme, un homme est un animal, un animal est un genre, un genre est un des universaux, donc Pierre est un des universaux. Chambers.

GRADATION, (Poesie) tableau gradué d'images & de sentimens, qui enchérissent les uns sur les autres ; c'est ainsi que l'on doit présenter les passions, en peignant avec art leurs commencemens, leurs progrès, leur force, & leur étendue ; je n'en citerai pour exemple que le fragment de Sapho sur l'amour ; il est si beau que trois grands poëtes, Catulle, Despréaux, & l'auteur anglois de l'hymne à Vénus, se sont disputé la gloire de le rendre de leur mieux, chacun dans leur langue. Me permettra-t-on d'insérer ici les trois traductions en faveur de leur élégance, & pour la satisfaction d'un grand nombre de lecteurs qui seront bien-aises de les comparer & de les juger ?

Ecoutons d'abord Catulle, il dit à Lesbie sa maîtresse :

Ille mi par esse Deo videtur

Ille, si fas est superare divos,

Qui sedens adversùs identidem te

Spectat, & audit

Dulce ridentem ; misero quod omnes

Eripit sensus mihi ! nam simul te

Lesbia aspexi, nihil est super me

Quod loquar amens ;

Lingua sed torpet, tenuis sub artus

Flamma dimanat, sonitu suopte

Tinniunt aures, geminâ teguntur

Lumina nocte.

Voici maintenant la traduction de Despréaux.

Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire,

Qui joüit du plaisir de t'entendre parler,

Qui te voit quelquefois doucement lui sourire,

Les Dieux dans leur bonheur peuvent-ils l'égaler ?

Je sens de veine en veine une subtile flamme,

Courir par tout mon corps sitôt que je te vois ;

Et dans les doux transports où s'égare mon ame,

Je ne saurois trouver de langue, ni de voix.

Un nuage confus se répand sur ma vûe,

Je n'entends plus, je tombe en de douces langueurs ;

Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,

Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs.

Enfin voici la traduction angloise.

Blest as th' immortal god is he

The jouth who fondly sets by thee,

And hears, and fees thee all the while,

Softly speak, and sweetly smile,

My bozom glowed, the subtle flamme

Ran quick through all my vital frame,

O'er my dim eyes a darkness hung,

My ears with hollow murmurs rung.

In dewy damps my limbs were chill'd,

My blood with gentle horrors thrill'd,

My feeble pulze forgot to play,

I faint'd, sunk, and dy'd away. (D.J.)

GRADATION, en terme d'Architecture, signifie la disposition de plusieurs parties rangées avec symmétrie & par degrés, de sorte qu'elles forment une espece d'amphithéatre, & que celles de devant ne nuisent point à celles de derriere.

Les Peintres se servent aussi du terme de gradation pour marquer le changement insensible des couleurs, qui se fait en diminuant les teintes & les nuances. Voyez DEGRADATION. Chambers.


GRADES. m. (Jurispr.) se prend quelquefois pour degré d'honneur ou dignité.

Il s'entend aussi des degrés que l'on obtient dans les universités ; on dit faire insinuer ses grades, jetter ses grades sur un bénéfice.

Les grades obtenus per saltum, sont ceux qui ont été obtenus précipitamment sans avoir le tems d'étude nécessaire, & sans observer entre l'obtention de deux degrés les interstices nécessaires. Voyez DEGRE & GRADUES. (A)

GRADE, (Jurisp. rom.) L'empereur Justinien établit qu'il faudroit passer par cinq différens grades, avant que d'arriver à celui de docteur ès lois ; il ordonna donc que dans la premiere année on expliquât aux écoliers les institutes qui portoient son nom ; & l'on appelloit ceux à qui l'on enseignoit les principes de cette jurisprudence, justinianaei : dans la seconde année, on leur interprétoit les édits perpétuels des préteurs ; & ils étoient surnommés edictales : dans la troisieme année, ils passoient à l'étude des décisions de Papinien, dont ils prenoient le nom de papinianistae : dans la quatrieme année, on leur faisoit expliquer les endroits les plus difficiles des lois, & on les appelloit lytae, du mot grec , solvo, parce qu'ils étoient plus libres dans leurs travaux : dans la cinquieme année, on les honoroit du titre de prolytae, ou gens affranchis des études de droit.

Cet établissement de Justinien ne fut pas de longue durée ; toutes les Sciences déjà tombées de son tems, s'éteignirent avec l'empire romain, & les premieres étincelles de leur renaissance ne commencerent à paroître que dans les douzieme & treizieme siecles ; il fallut en exciter l'étude par des honneurs & des grades, qui donnent encore des droits & des priviléges qu'on ne devroit accorder dans des siecles éclairés, qu'à ceux qui les méritent par leurs talens & leurs lumieres. (D.J.)


GRADINS. m. (Architecture) petite marche ou petit degré ; on en pratique sur la table d'un autel, d'un buffet ; on donne le même nom aux bancs élevés les uns au-dessus des autres, aux amphithéatres, & aux édifices publics.

GRADIN, (Hydr.) les gradins sont des élévations ou degrés de plomb ou de pierre, pratiqués dans les buffets d'eau & cascades, où l'eau en tombant forme des nappes. Quoique ces gradins suivent ordinairement une ligne droite, on en voit de circulaires. (K)

GRADINS DE GAZON, (Jardinage) ce sont des marches ou escaliers formés par du gazon, dont on compose les amphithéatres, vertugadins, cascades champêtres, & estrades qui ornent les jardins.

Ces gradins terminent à merveille le coup-d'oeil d'une grande allée, & se placent fort bien dans les renfoncemens de charmille qu'on peut pratiquer dans la salle verte d'un bosquet. (K)


GRADINES. f. (Sculpture) instrument à l'usage des Sculpteurs ; c'est une espece de ciseau à plusieurs dents. Voyez nos Planches. Il y a des gradines de différentes longueurs, & même de différentes matieres, selon que l'ouvrage est ou en marbre, ou en pierre, ou en terre. Les dents de la gradine ont deux usages ; l'un d'abattre beaucoup plus de marbre dans le travail, que si elle étoit sans dents ; & l'autre, de tracer par l'intervalle qu'elles laissent entr'elles, certaines parties délicates : comme les poils de la barbe, les sourcils, les cheveux, &c.


GRADISCA(Géog.) les Allemands écrivent Gradisch ; petite, mais forte ville du comté de Gortz, sur le Lizonzo, aux frontieres du Frioul, & sujette à la maison d'Autriche, à 2 lieues de Gortz, à 4 d'Aquilée, à 22 N. E. de Venise. Longit. 31. 10. latit. 45. 52. (D.J.)

GRADISCA, Gratiana, (Géogr.) ville forte de Hongrie, dans la Croatie, prise sur les Turcs par les Impériaux en 1691. Elle est sur la Save, aux frontieres de la Bosnie, à 8 lieues S. O. de Zagrab. Long. 40. 10. latit. 45. 38. (D.J.)


GRADOGradus, (Géog.) petite ville d'Italie, située dans une île de même nom, sur la côte du Frioul, dans l'état de Venise, à 4 lieues S. d'Aquilée, 22 N. E. de Venise. Elle doit sa fondation aux ravages d'Attila en 454. Elle a été presque réduite en cendres en 1374, & elle ne s'est pas relevée de ce desastre ; son patriarchat est uni à l'évêché de Venise. Long. 31. 10. latit. 45. 52. (D.J.)


GRADUATIONS. f. (Mathémat. prat. & Arts méch.) on se sert de ce mot pour marquer l'action de graduer ou de diviser une grandeur quelconque en degrés. Voyez DEGRE & GRADUER.

GRADUATION, bâtiment de saline ; ce bâtiment est placé dans une saline, & destiné à séparer par évaporation les eaux douces qui se trouvent mêlées avec les eaux salées ; ou à faire par la seule action de l'air & des vents, ce qui ne s'opéroit que par le feu, d'où il résulte une moindre consommation de bois.

Le bâtiment de graduation de la saline de Rozieres en Lorraine, bâti en 1740 dans une île de la riviere de Meurthe, a 3120 piés de longueur, 24 de large, & 42 de haut. Voyez à l'article SALINE, la description de ce bâtiment, & les raisons de son utilité.


GRADUELS. m. (Hist. ecclésiast. & Liturgie) on appelloit autrefois graduel & un livre d'église, & les prieres qu'il contenoit, & qui se chantoient après l'épître.

Après la lecture de l'épître, le chantre montoit sur l'ambon avec son livre nommé graduel ou antiphonier, & chantoit le répons, que nous nommons graduel, à cause des degrés de l'ambon : & répons, à cause que le choeur répond au chantre. Voyez AMBON.

Aujourd'hui on ne donne plus le nom de graduel qu'à certain verset qu'on chante après l'épître, & qu'on chantoit autrefois sur les degrés de l'autel ; ou selon Ugotio, en montant de note en note ; ou bien selon Macri, pendant que le diacre montoit au pupitre, qui étoit élevé sur plusieurs degrés pour chanter l'évangile.

On appelle aussi graduels les quinze pseaumes que les Hébreux chantoient sur les quinze degrés du temple. D'autres croyent que ce nom vient de ce qu'on élevoit sa voix par degrés en montant de ton. Voyez PSEAUME.

Le cardinal Bona, dans son traité de la divine psalmodie, dit que les quinze pseaumes graduels nous font ressouvenir qu'on n'arrive à la perfection que par degrés. Il marque ensuite les quinze degrés de vertu qui correspondent aux quinze pseaumes graduels. Il y en a cinq pour les commençans, cinq pour ceux qui sont plus avancés, & cinq pour les parfaits. Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)


GRADUERv. act. (Mathém. prat. & Arts méch.) c'est diviser en degrés un instrument de Mathématique, de Physique, &c. Ce mot degré signifie dans ces instrumens des parties égales ou inégales, mais plus ordinairement égales, qui sont marquées ou séparées par de petites lignes ; comme les degrés d'un quart de cercle, les degrés d'un thermometre, les degrés d'une échelle quelconque ; lorsqu'il est question d'instrument de Mathématique, on se sert plus du mot diviser que du mot graduer ; ainsi on dit : ce quart de cercle est mal divisé : la division n'en est pas exacte. (O)


GRADUÉSS. m. pl. (Jurisprud.) en général sont ceux qui ont obtenu des degrés dans une université, tels que le degré de maître-ès-Arts, celui de bachelier, de licencié, ou de docteur.

Les gradués joüissent de plusieurs prérogatives.

Il faut être gradué pour être reçû dans la plûpart des offices de judicature, du-moins dans les cours souveraines & dans les bailliages & sénéchaussées.

Mais c'est sur-tout en matiere bénéficiale que les priviléges des gradués sont considérables, & qu'ils sont susceptibles d'un plus grand détail. On entend ordinairement par le terme de gradués dans cette matiere, ceux qui après avoir étudié dans une université fameuse du royaume, y ont obtenu des degrés & les ont fait signifier à des patrons ou collateurs, afin de pouvoir requérir les bénéfices dans les mois qui leur sont affectés. Voyez UNIVERSITE FAMEUSE.

Les degrés obtenus dans des universités étrangeres, ne sont pas considérés à l'effet d'obtenir des bénéfices ; il faut néanmoins excepter l'université d'Avignon, qui joüit à cet égard des mêmes priviléges que les universités du royaume.

On comprend aussi quelquefois sous le nom de gradués, tous ceux qui ont obtenu des degrés, quoiqu'ils ne les ayent pas fait signifier à des patrons ou collateurs.

Les gradués qui ont fait signifier leurs grades peuvent requérir & recevoir des bénéfices ; ceux qui ne les ont pas fait signifier ne peuvent pas requérir, mais seulement recevoir certains bénéfices qui ne peuvent être possédés que par des gradués.

On distingue trois sortes de gradués : savoir ceux qui ont été reçûs dans les formes prescrites par les statuts & reglemens autorisés par les lois ; les gradués de grace qui ont la capacité requise, mais qui ont été dispensés du tems d'étude & de quelques exercices ordinaires pour y parvenir ; enfin, les gradués de privilége. On appelle ainsi ceux qui en Italie, & dans quelques autres pays catholiques, ont obtenu du pape ou de ses légats & autres personnes qui prétendent en avoir le pouvoir, des lettres à l'effet d'être dispensés des examens & autres exercices.

Les degrés de grace de docteurs ou de licenciés suffisent aux personnes que le Roi nomme aux archevêchés ou évêchés, lorsque les universités les ont donnés sur des dispenses accordées ou autorisées par le roi ; mais les universités n'ont pas le pouvoir d'en donner de leur autorité privée.

Les gradués de grace, tels que sont ceux qui prennent des degrés en droit par bénéfice d'âge, & ceux qui obtiennent des degrés dans certaines universités où l'on a la facilité de les accorder, sans exiger le tems d'étude nécessaire, ne peuvent en vertu de leurs grades requérir des bénéfices.

Les gradués de privilége ne sont point reconnus en France.

L'origine du droit des gradués sur les bénéfices est fort ancienne : en effet, dès le xiij. siecle les papes conféroient les bénéfices aux gradués, suivant le rôle qui leur en étoit envoyé par les universités ; mais les gradués n'avoient pas encore un droit certain aux bénéfices.

Les gradués étant fort négligés par les collateurs & par les patrons, il en fut fait de grandes plaintes au concile de Bâle, qui leur affecta la troisieme partie des bénéfices, ce qui fut aussi-tôt confirmé en France par la pragmatique-sanction du roi Charles, VII. & depuis par le concordat fait entre Léon X. & le roi François I.

Mais comme il n'étoit pas facile de partager tous les bénéfices du royaume en trois parties égales, le même concordat ordonna que l'année seroit divisée en trois parties, & que les bénéfices qui vaqueroient par mort durant le tiers de l'année, seroient affectés aux gradués.

Ce tiers étant de quatre mois : on en a affecté deux aux gradués simples ; savoir Avril & Octobre, qu'on nomme mois de faveur ; & deux aux gradués nommés, qui sont Janvier & Juillet, qu'on appelle mois de rigueur.

Tous gradués soit simples ou nommés, sont sujets à l'examen de l'ordinaire avant d'obtenir le visa, & ce non-seulement pour les moeurs, mais aussi pour la capacité.

On entend par gradués simples, ceux qui n'ont que les lettres de leurs degrés avec leurs attestations de tems d'étude ; les gradués nommés sont ceux qui ont en outre des lettres de nomination, par lesquelles l'université en laquelle ils sont gradués, les présente aux collateurs & patrons ecclésiastiques pour être pourvûs des bénéfices qui viendront à vaquer dans les mois qui leur sont affectés.

Il y a néanmoins une exception pour les bénéfices à charge d'ames, à l'égard desquels il est permis au collateur par les derniers reglemens de gratifier le plus capable, quoique le bénéfice ait vaqué dans un mois de rigueur.

Tous collateurs & patrons ecclésiastiques, soit séculiers ou réguliers, sont sujets à l'expectative des gradués ; les chanoines, chapitres, doyens, abbés, abbesses, évêques, archevêques, cardinaux.

Le pape même seroit sujet au droit des gradués, s'il conféroit comme ordinaire de France ; mais il n'y est pas sujet quand il confere comme ordinaire des ordinaires, jure devolutionis.

Les bénéfices sujets aux gradués sont tous les bénéfices dont ils sont capables, & qui vaquent par mort dans les mois qui leur sont affectés, à l'exception des bénéfices consistoriaux, des électifs-confirmatifs, & de ceux qui sont à la nomination ou collation du Roi.

Ceux dont la nomination appartient alternativement au Roi & à un patron ou collateur ecclésiastique, sont sujets aux gradués dans le tour du patron ou collateur ecclésiastique.

Les dignités des églises cathédrales sont exemptes de l'expectative des gradués, suivant l'édit de 1606 ; mais il n'a pas été enregistré au grand-conseil, ni dans quelques parlemens.

Les bénéfices en patronage laïc, ceux qui exigent quelques qualités particulieres, comme de noble ou de musicien ; les bénéfices unis valablement, & ceux fondés depuis la date de la nomination des gradués, ne sont pas non plus sujets à leur droit, ni les chapelles desservies par commission dans des châteaux & maisons particulieres, ces chapelles n'étant pas des bénéfices.

L'affectation particuliere d'un certain nombre de bénéfices d'une église faite à des gradués par le titre d'érection d'une église, n'empêcheroit pas les gradués de requérir les autres bénéfices dans les mois qui leur sont affectés.

Les gradués ne peuvent pas requérir des bénéfices en Bretagne ni en Franche-Comté, dans les trois évêchés de Metz, Toul, & Verdun, ni dans le Roussillon.

Le concordat donne aux gradués le decret irritant, c'est-à-dire que toute disposition qui seroit faite au préjudice de leur requisition, seroit nulle de plein droit : mais si le collateur ordinaire avoit conféré à un non-gradué un bénéfice sujet aux gradués, & qui auroit vaqué dans un des mois qui leur sont affectés, la provision ne seroit pas nulle de plein droit ; elle subsisteroit, pourvû qu'aucun gradué ne vînt après requérir dans les six mois.

Suivant le concordat, les gradués doivent s'adresser dans les six mois de la vacance du bénéfice au collateur ordinaire & patron, pour requérir le bénéfice vacant ; en cas de refus du collateur ou patron, ils doivent s'adresser au supérieur immédiat, en remontant de degré en degré jusqu'au pape ; & si le collateur n'a point de supérieur ecclésiastique dans le royaume, les parlemens commettent le chancelier de Notre-Dame ou le grand archidiacre de la même église, pour donner des provisions. En Normandie, les gradués obtiennent des lettres de chancellerie adressées aux évêques ou à leurs grands-vicaires, qui leur ordonnent de conférer aux gradués, & les collateurs obéissent à cet ordre.

Lorsqu'un bénéfice sujet aux gradués vient à vaquer, le gradué qui veut les requérir doit se transporter chez le collateur, lui demander le bénéfice ; si le collateur le lui refuse, il faut prendre acte de refus, le faire insinuer, & se présenter au supérieur immédiat, lui justifier de l'acte de refus, & des titres en vertu desquels le gradué requiert, & en cas de nouveau refus, il faut faire la même chose auprès du supérieur.

Le collateur supérieur ne peut pas conférer d'avance, mais seulement en cas de refus de la part du collateur ordinaire.

Le tems d'étude nécessaire pour acquérir les degrés à l'effet de pouvoir requérir des bénéfices, est reglé par l'ordonnance de Louis XII. du mois de Mars 1498, & du mois de Juin 1510, auxquelles le concordat est aussi conforme en ce point ; ce tems est de dix ans pour les licenciés ou bacheliers formés en Théologie ; sept ans pour les docteurs ou licenciés en Droit canon, civil, ou en Medecine ; pour les maîtres ou licentiés-ès-Arts cinq ans à logicalibus inclusivè, ou en autre plus haute & supérieure faculté ; pour les bacheliers simples en Théologie six ans ; pour les bacheliers en Droit canon ou civil, cinq ans, à-moins qu'ils ne fussent nobles ex utroque parente, & d'ancienne lignée ; auquel cas il suffit qu'ils ayent étudié trois ans.

L'université de Paris est dans l'usage de recevoir maîtres-ès-Arts ceux qui ont fait leur cours dans les universités de Rheims & de Caën, & qui ont étudié un an dans l'université de Paris.

Le certificat de tems d'étude doit être signé du professeur, & visé du principal où l'on a étudié.

Les lettres de degré doivent aussi être délivrées par les universités où l'on a étudié.

Pour obtenir des bénéfices en vertu de ses grades, il faut notifier aux collateurs ou patrons ses degrés, ses lettres de nomination, si on en a, & le certificat de tems d'étude.

Cette notification doit être faite en présence de deux notaires apostoliques, ou d'un notaire apostolique & de deux témoins qui signent la minute de la notification ; en cas de refus du notaire apostolique, il faut lui demander acte de son refus ; s'il ne veut pas le donner, il faut s'adresser au juge royal, pour en obtenir une ordonnance qui autorise un autre officier à instrumenter au lieu & place du notaire apostolique.

Les mêmes formalités doivent être observées dans la notification que les gradués sont obligés de réitérer tous les ans dans le tems de carême, de leurs noms & surnoms aux collateurs ou patrons ecclésiastiques.

Le concordat veut que ces notifications soient faites à la personne du collateur ou à son domicile ; cependant il y a des diocèses où ces actes se signifient à l'évêque, en parlant à son secrétaire : le greffier du chapitre, ou la premiere dignité dans les lieux où cet usage est établi, reçoivent aussi les actes de notification comme feroit le chapitre même.

A l'égard de la rémotion qui se fait tous les ans en l'absence des collateurs, elle peut être faite à leurs vicaires, & au défaut des vicaires au greffe des insinuations.

Le gradué qui a fait notifier ou insinuer ses degrés au collateur avant la vacance du bénéfice, est préféré à celui qui n'a notifié les siens que dans le tems de la vacance ; mais celui-ci l'emporte sur un pourvû per obitum, postérieurement à la requisition.

Quand la nomination du gradué n'est adressée qu'au patron, il suffit de la notifier au patron ; mais si elle est aussi adressée au collateur, il faut la notifier à l'un & à l'autre.

Un gradué qui omet en un carême de réitérer la notification de ses noms & surnoms, n'est pas pour toûjours déchu de son droit, mais seulement pour cette année.

Quand un bénéfice vaque dans un des deux mois de faveur, le collateur ou patron n'est pas obligé de le conférer au plus ancien gradué ni au plus qualifié ; il peut choisir entre tous les gradués soit simples ou nommés qui ont requis, celui qu'il juge à-propos.

Ainsi les gradués nommés peuvent requérir les bénéfices qui vaquent dans les mois de faveur ; mais les gradués simples ne peuvent pas requérir ceux qui vaquent dans les mois de faveur.

Dans les mois de rigueur le collateur ou patron est obligé de conférer aux gradués nommés, eu égard à l'ancienneté & à la prérogative de leurs grades.

L'ancienneté se détermine par la date des lettres de nomination.

Entre plusieurs gradués nommés, qui sont également anciens, on préfere le plus qualifié : ainsi les docteurs, licenciés ou bacheliers formés en Théologie, sont préférés aux docteurs en Droit civil, en Droit canon, ou en Medecine ; les bacheliers en Droit canon ou en Droit civil, aux maîtres-ès-Arts ; les docteurs en Droit canon, aux docteurs en Droit civil, & aux docteurs en Medecine ; les bacheliers en Droit canon, aux bacheliers en Droit civil : mais cela n'a lieu qu'en concurrence de date.

On ne peut tirer aucune préférence de ce qu'un gradué a été nommé par une université plus fameuse qu'une autre, pourvû que celle-ci soit aussi du nombre des universités fameuses.

Si plusieurs gradués ont des lettres de nomination du même jour, on préfere celui qui a obtenu le premier ses degrés.

Lorsque toutes choses se trouvent égales, le collateur ou patron a la liberté de nommer celui qu'il juge à-propos.

Les gradués nommés sont obligés d'exprimer dans leurs lettres les bénéfices dont ils sont pourvûs, & la véritable valeur de ces bénéfices, année commune.

Les gradués doivent aussi faire mention des pensions qu'ils se sont reservées en résignant.

Ce n'est pas assez pour requérir un bénéfice en vertu de ses grades, d'avoir fait insinuer dûement ses degrés, il faut aussi avoir l'âge & les autres qualités requises pour le bénéfice, soit par la loi, soit par la fondation.

Il faut aussi être françois, ou du moins être naturalisé ; mais il suffit que ces lettres soient enregistrées avant le jugement du procès.

Pour requérir des bénéfices en vertu de ses grades, il faut être du-moins tonsuré.

Il faut aussi être né d'un mariage légitime.

Il est pareillement nécessaire d'être capable des effets civils.

Un gradué qui est in reatu, ne peut requérir de bénéfice.

Pour qu'un gradué soit censé rempli, il faut qu'il ait du-moins quatre cent livres de revenu en bénéfices obtenus en vertu de ses grades, ou six cent livres en bénéfices obtenus autrement qu'en vertu de ses grades, si c'est un ecclésiastique séculier ; car s'il est régulier, le plus petit bénéfice suffit pour qu'il soit censé rempli ; le tout à-moins que les gradués ne prouvent qu'ils ont été évincés de ces bénéfices par jugement contradictoire donné sans fraude ni collusion.

Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a replétion, on considere la valeur des bénéfices du gradué, eu égard au tems qu'ils lui sont advenus.

Les rétributions & même les distributions journalieres & les obits de fondation, sont comptés dans le revenu pour la replétion.

La somme de quatre cent ou de six cent livres nécessaire pour remplir le gradué, s'entend, toute déduction faite, des charges ordinaires, telles que les décimes, mais non pas des charges extraordinaires & casuelles, au nombre desquelles on met le don gratuit.

Les gradués ne sont pas remplis par des pensions qui ne sont pas cléricales ; mais celles qui leur tiennent lieu de dotation d'un titre ecclésiastique, les remplissent comme des bénéfices. Il en est de même des autres pensions cléricales assignées sur les fruits d'un bénéfice, pour être payées par le titulaire pendant la vie du pensionnaire.

Un gradué séculier ne peut pas requérir un bénéfice régulier, & vice versâ.

Les gradués réguliers ne peuvent requérir en vertu de leurs grades des bénéfices d'un autre ordre, même avec dispense du pape ; & celui qui a déjà un bénéfice autrement qu'en vertu de ses grades, ne peut pas non plus en requérir un autre, quand même il auroit une dispense ad duo, parce que le pape ne peut donner d'extension au concordat.

Les bénéfices que peuvent requérir les gradués, sont ceux qui vaquent par mort ; ils ne peuvent pas exercer leur droit sur ceux dont le défunt a permuté, ou dont il a donné sa démission pure & simple, lorsqu'il y a deux jours francs avant le décès de celui qui a résigné ou permuté.

Pour posseder une cure dans une ville murée, il faut être gradué ; la dispense de degrés qui seroit donnée par le pape, ne seroit pas admise.

Au reste, il suffit d'être gradué avant la prise de possession d'une telle cure.

Il y a encore d'autres bénéfices pour lesquels il faut être gradué. 1°. Les prébendes théologales ne peuvent être conférées qu'à des docteurs en Théologie, ou à des bacheliers formés. 2°. Pour posseder une dignité dans une cathédrale, ou la premiere dignité d'une collégiale, il faut être au-moins bachelier en Théologie ou en Droit canon. Pour être archevêque ou évêque, il faut être Docteur en Théologie, ou docteur en Droit, ou au-moins licencié ; mais les princes du sang & les religieux mendians sont dispensés d'être gradués.

Les régens septenaires de l'université de Paris, c'est-à-dire qui ont professé quelque science pendant sept ans, même la Grammaire, pourvû que ce soit en un collége célebre, & ceux qui ont été principaux d'un collége de même qualité aussi pendant sept années entieres & sans interruption, sont préférés dans les mois de rigueur à tous les gradués nommés, excepté aux docteurs en Théologie.

Les professeurs, pour joüir de ce privilége de septenaires, doivent avoir leur quinquennium.

En concurrence de plusieurs professeurs en diverses facultés, on adjuge le bénéfice à celui d'entre eux qui est le plus ancien gradué.

Quand le régent septenaire concourt avec un docteur en Théologie aussi ancien que lui, ces deux gradués étant égaux en toutes choses, le collateur peut gratifier celui qu'il juge à propos.

Le septenaire de Paris est préféré aux gradués des autres universités, même pour les bénéfices des autres diocèses.

Les régens septenaires des universités de Caën & de Rheims ont aussi le même privilége que ceux de Paris.

Le tems que les gradués ont pour requérir, est de six mois.

Le pape peut prévenir les gradués, mais il faut que ce soit avant leur requisition ; & pour empêcher la prévention du pape, il n'est pas nécessaire que le gradué ait obtenu des provisions du collateur ordinaire ; il suffit pour lier les mains du pape, qu'il ait fait sa requisition, & si le collateur ou patron la refuse, qu'il en prenne un acte de refus.

La requisition faite par un gradué dont le degré seroit nul, met à couvert le droit de tous les autres gradués, quoiqu'ils n'ayent requis qu'après les provisions données par le pape.

Quoiqu'un gradué nommé ait obtenu des provisions, il est évincé de plein droit par un gradué nommé plus ancien que lui, qui se présente dans les six mois qu'ils ont pour faire leurs requisitions.

Les chapitres peuvent sede vacante conférer aux gradués simples & nommés.

Il n'est pas libre aux collateurs ou patrons dans les mois de faveur, de gratifier des gradués qui n'ont pas fait insinuer leurs grades.

Les gradués ne peuvent pas transmettre leurs droits à d'autres gradués, si ce n'est après avoir obtenu des provisions.

A l'égard du droit de conférer les bénéfices affectés aux gradués, quand il est dévolu au supérieur faute par l'inférieur d'avoir conféré dans six mois, le supérieur peut conférer de la même façon qu'auroit fait l'inférieur, & conséquemment gratifier un des contendans, supposé que l'inférieur eût le droit de le faire, soit que le bénéfice eût vaqué dans un mois de faveur, ou que toutes choses fussent égales entre les contendans ; autre chose seroit si le droit étoit dévolu au supérieur, pour avoir par l'inférieur conféré à un clerc non gradué ; car dans ce cas le collateur a perdu le droit de gratifier pour avoir contrevenu au concordat.

Un gradué qui se marie ou qui s'est fiancé, perd son droit de nomination.

Il y auroit encore bien d'autres choses à observer par rapport aux gradués, mais qui nous jetteroient dans une trop longue discussion ; ceux qui voudront approfondir cette matiere, peuvent consulter les ordonnances de Louis XII. du mois de Mars 1498, & Juin 1510 ; le concordat, l'édit de 1606, le traité des matieres bénéficiales de Fuet, celui de Drapier.

Il ne nous reste plus qu'à expliquer dans les subdivisions suivantes les différentes qualifications que l'on donne aux gradués. (A)

GRADUE ANCIEN, ou plutôt comme on dit, l'ancien gradué, ou le plus ancien gradué, n'est pas celui qui a le premier obtenu ses grades ; on entend ordinairement par-là celui d'entre plusieurs gradués nommés dont les lettres de nomination sont antérieures aux lettres des autres gradués. Il arrive néanmoins aussi qu'entre plusieurs gradués nommés dont les lettres sont de même date, & toutes choses étant égales entr'eux, on préfere celui qui est le plus ancien par ses grades. (A)

GRADUE ES ARTS, est celui qui a obtenu des lettres de maître dans la faculté des Arts. Voyez MAITRE-ES-ARTS. (A)

GRADUE EN DROIT CANON, est celui qui a obtenu des degrés dans une faculté de Droit en Droit canon seulement. (A)

GRADUE EN DROIT CIVIL, est celui qui a obtenu des degrés en droit civil seulement : ce qui ne se pratique plus qu'à l'égard des étrangers. Voyez ce qui a été dit ci-dev. au mot DOCTEUR EN DROIT. (A)

GRADUE EN DROIT CIVIL ET CANONIQUE, ou in utroque jure, est celui qui a obtenu ses degrés dans l'une & l'autre faculté. (A)

GRADUE DE FAVEUR : on donne quelquefois ce nom aux gradués simples. Voyez GRADUE SIMPLE. (A)

GRADUE DANS LES FORMES, est celui qui pour obtenir ses degrés, remplit le tems d'étude & les autres formes nécessaires, suivant les réglemens observés dans le royaume. Voyez GRADUE DE GRACE & GRADUE DE PRIVILEGE. (A)

GRADUES DE GRACE, sont ceux qui obtiennent des degrés en droit par bénéfice d'âge, & ceux qui obtiennent des degrés dans certaines universités où l'on a la facilité de les accorder sans exiger le tems d'étude nécessaire. Ces sortes de gradués ne peuvent en vertu de leurs grades requérir des bénéfices. (A)

GRADUE EN MEDECINE, est celui qui a obtenu des degrés dans une faculté de Medecine. Les gradués en Droit sont préférés aux gradués en Medecine. (A)

GRADUE NOMME, est celui qui a obtenu des lettres de nomination de l'université où il a pris ses degrés, par lesquelles l'université le présente aux collateurs & patrons ecclésiastiques pour être pourvû des bénéfices qui viendront à vaquer dans les mois qui sont affectés aux gradués. (A)

GRADUES DE PRIVILEGE, sont ceux qui en Italie & dans quelques autres pays catholiques ont obtenu du pape ou de ses légats & autres personnes qui pretendent en avoir le pouvoir, des lettres à l'effet d'être dispensés des examens & autres exercices. Ces sortes de gradués ne sont point reconnus dans le royaume, à l'effet de requérir des bénéfices. (A)

GRADUE QUALIFIE, est celui qui a les qualités requises pour posséder un bénéfice. Entre plusieurs gradués, le plus qualifié est celui qui a le grade le plus élevé, ou en parité de grades, qui a d'ailleurs quelqu'autre qualité qui doit le faire préférer, comme s'il est noble. (A)

GRADUE REMPLI, est celui qui possede du-moins 400 liv. de revenu en bénéfices obtenus en vertu de ses grades, ou 600 liv. en bénéfices obtenus autrement qu'en vertu de ses grades, si c'est un ecclésiastique séculier ; car si c'est un régulier, le plus petit bénéfice suffit pour le remplir. Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot GRADUE, & ci-après REPLETION. (A)

GRADUE REGULIER, est un religieux ou chanoine régulier qui a obtenu des degrés dans une université : sur quoi il faut observer qu'il n'y a que certains ordres qui soient admis à prendre des degrés. (A)

GRADUE DE RIGUEUR, voyez GRADUE NOMME.

GRADUE per saltum, est celui qui a obtenu ses degrés sans observer le tems d'étude & les interstices nécessaires entre l'obtention des différens degrés. Les grades ainsi obtenus per saltum ne servent pas en France pour requérir des bénéfices. Voyez GRADUE DE GRACE. (A)

GRADUE SECULIER, est un ecclésiastique séculier qui a obtenu des grades. Gradué séculier est opposé à gradué régulier ; on confond quelquefois gradué laïc avec gradué séculier. Voyez GRADUE REGULIER. (A)

GRADUE SEPTENAIRE : on donne quelquefois improprement ce titre de gradué à celui qui a professé pendant sept ans dans un collége de plein exercice, ou qui a fait pendant sept ans la fonction de principal. Ces deux fonctions équivalent l'une & l'autre à un grade. Le septenaire est même préféré à tous les gradués, excepté aux docteurs en Theologie. (A)

GRADUE SIMPLE, est celui qui n'a que les lettres de ses degrés avec une attestation du tems d'étude ; à la différence des gradués nommés, qui ont en outre des lettres de nomination sur un collateur ou patron. Les gradués simples ne peuvent requérir que les bénéfices qui vaquent au mois de faveur. Voyez ci-devant au mot GRADUE. (A)

GRADUE EN THEOLOGIE, est celui qui a obtenu quelque degré dans la faculté de Théologie, comme de bachelier, licencié, ou docteur. Ces gradués sont préférés à tous les autres en partie de degré. (A)

GRADUE in utroque, voyez ci-devant GRADUE EN DROIT CIVIL ET CANON. (A)


GRADUS(Géog. marit. anc.) les Romains donnoient le nom de gradus aux ports qui étoient à l'embouchure des fleuves, & où il y avoit des escaliers par lesquels on pouvoit descendre du môle dans les vaisseaux. C'est par cette raison qu'on appelle aujourd'hui échelles du levant les ports considérables de l'Asie qui sont sur la Méditerranée. Le mot de gras dont on se sert pour exprimer les embouchures du Rhone, est encore un vestige de ce nom. Semblablement les Espagnols donnent le nom de crao à ces sortes de descentes, comme par exemple, à celle qui est à Valence, anciennement appellée gradus valentinus. Enfin le nom de grau que l'on donne sur la côte de Languedoc, à l'embouchure d'une riviere, vient de la même origine. (D.J.)


GRAFFEN(Géog.) ville de l'Indoustan, au royaume de Visapour, sur la riviere de Coutour, entre la ville de Visapour & le port de Dabul. Long. 92. 25. lat. 18. 36. (D.J.)


GRAGES. f. (Arts méchan.) espece de rape de cuivre, dont nos insulaires se servent pour mettre leur manioc en farine ; la grage est composée d'une planche de trois piés & demi de long, & d'un pié de large ; on attache sur le milieu une piece de cuivre de quinze à dix-huit pouces de long, sur dix à douze de large, non pas de toute la largeur du cuivre, mais en lui faisant faire un ceintre tel que celui de nos rapes à sucre. Le negre qui grage, applique un bout de l'instrument dans une auge ou canot, & s'appuyant l'estomac sur l'autre bout, il rape les racines de manioc, & en fait une farine semblable à une grosse sciûre de bois humide. (D.J.)


GRAILLEvoyez CORNEILLE.


GRAIN(Gramm.) il s'est dit d'abord des petits corps ou fruits que les arbres & les plantes produisent ; qui leur servent de semences, ou qui les contiennent. Ainsi on dit un grain de raisin, un grain de blé, d'orge, d'avoine, de seigle. On a étendu cette dénomination à d'autres petits corps, à des fragmens, à des configurations ; & on dit un grain d'or pour une petite portion d'or : la molécule differe du grain, en ce qu'elle est plus petite ; il faut plusieurs molécules réunies pour faire un grain. On a dit le grain de l'acier, pour ces inégalités qui offrent à la fracture d'un morceau d'acier l'image d'une crystallisation réguliere, sur-tout si le refroidissement n'a pas été subit ; car le refroidissement précipité gâte cette apparence, de même que l'évaporation hâtée altere la régularité des crystaux : un grain de chapelet, pour un petit corps rond de verre, d'ivoire, de bois, ou d'autre matiere, percé de part en part d'un trou qui sert à l'enfiler avec un certain nombre d'autres, à l'aide desquels celui qui s'en sert sait le compte exact des pater & des ave qu'il récite : les grains, pour la collection générale des fromentacés qui servent à la nourriture de l'homme & des animaux ; les gros grains sont ceux qui servent à la nourriture de l'homme ; les menus, ceux qui servent à la nourriture des animaux : un grain de métal, pour un petit globule rond de métal qu'on obtient dans la réduction d'une petite portion de mine ou de chaux métallique, & qu'on trouve à la pointe d'une des matieres qui ont servi de flux ou de fondant : un grain de vérole, pour une pustule considérée séparément ; il se dit & de la pustule & de la tache qu'elle laisse communément. Grain a encore d'autres acceptions ; c'est un poids, une monnoie, &c. Voyez les articles suivans, mais sur-tout l'article GRAINS (Economie politiq.) où ce terme est considéré selon son objet le plus important.

GRAINS, (Economie polit.) Les principaux objets du Commerce en France, sont les grains, les vins & eaux-de-vie, le sel, les chanvres & les lins, les laines, & les autres produits que fournissent les bestiaux : les manufactures des toiles & des étoffes communes peuvent augmenter beaucoup la valeur des chanvres, des lins, & des laines, & procurer la subsistance à beaucoup d'hommes qui seroient occupés à des travaux si avantageux. Mais on apperçoit aujourd'hui que la production & le commerce de la plûpart de ces denrées sont presque anéantis en France. Depuis long-tems les manufactures de luxe ont séduit la nation ; nous n'avons ni la soie ni les laines convenables pour fabriquer les belles étoffes & les draps fins ; nous nous sommes livrés à une industrie qui nous étoit étrangere ; & on y a employé une multitude d'hommes, dans le tems que le royaume se dépeuploit & que les campagnes devenoient desertes. On a fait baisser le prix de nos blés, afin que la fabrication & la main-d'oeuvre fussent moins cheres que chez l'étranger : les hommes & les richesses se sont accumulés dans les villes ; l'Agriculture, la plus féconde & la plus noble partie de notre commerce, la source des revenus du royaume, n'a pas été envisagée comme le fond primitif de nos richesses ; elle n'a parut intéresser que le fermier & le paysan : on a borné leurs travaux à la subsistance de la nation, qui par l'achat des denrées paye les dépenses de la culture ; & on a crû que c'étoit un commerce ou un trafic établi sur l'industrie, qui devoit apporter l'or & l'argent dans le royaume. On a défendu de planter des vignes ; on a recommandé la culture des mûriers ; on a arrêté le débit des productions de l'Agriculture & diminué le revenu des terres, pour favoriser des manufactures préjudiciables à notre propre commerce.

La France peut produire abondamment toutes les matieres de premier besoin ; elle ne peut acheter de l'étranger que des marchandises de luxe : le trafic mutuel entre les nations est nécessaire pour entretenir le Commerce. Mais nous nous sommes principalement attachés à la fabrication & au commerce des denrées que nous pouvions tirer de l'étranger ; & par un commerce de concurrence trop recherché, nous avons voulu nuire à nos voisins, & les priver du profit qu'ils retiroient de nous par la vente de leurs marchandises.

Par cette politique nous avons éteint entr'eux & nous un commerce réciproque qui étoit pleinement à notre avantage ; ils ont interdit chez eux l'entrée de nos denrées, & nous achetons d'eux par contrebande & fort cher les matieres que nous employons dans nos manufactures. Pour gagner quelques millions à fabriquer & à vendre de belles étoffes, nous avons perdu des milliards sur le produit de nos terres ; & la nation parée de tissus d'or & d'argent, a crû joüir d'un commerce florissant.

Ces manufactures nous ont plongés dans un luxe desordonné qui s'est un peu étendu parmi les autres nations, & qui a excité leur émulation : nous les avons peut-être surpassées par notre industrie ; mais cet avantage a été principalement soûtenu par notre propre consommation.

La consommation qui se fait par des sujets est la source des revenus du souverain ; & la vente du superflu à l'étranger augmente les richesses des sujets. La prospérité de l'état dépend du concours de ces deux avantages : mais la consommation entretenue par le luxe est trop bornée ; elle ne peut se soûtenir que par l'opulence ; les hommes peu favorisés de la fortune ne peuvent s'y livrer qu'à leur préjudice & au desavantage de l'état.

Le ministere plus éclairé sait que la consommation qui peut procurer de grands revenus au souverain, & qui fait le bonheur de ses sujets, est cette consommation générale qui satisfait aux besoins de la vie. Il n'y a que l'indigence qui puisse nous réduire à boire de l'eau, à manger de mauvais pain, & à nous couvrir de haillons ; tous les hommes tendent par leurs travaux à se procurer de bons alimens & de bons vêtemens : on ne peut trop favoriser leurs efforts ; car ce sont les revenus du royaume, les gains & les dépenses du peuple qui font la richesse du souverain.

Le détail dans lequel nous allons entrer sur les revenus que peuvent procurer d'abondantes récoltes de grains, & sur la liberté dans le commerce de cette denrée prouvera suffisamment combien la production des matieres de premier besoin, leur débit & leur consommation intéressent tous les différens états du royaume, & fera juger de ce que l'on doit aujourd'hui attendre des vûes du gouvernement sur le rétablissement de l'Agriculture.

Nous avons déjà examiné l'état de l'Agriculture en France, les deux sortes de culture qui y sont en usage, la grande culture ou celle qui se fait avec les chevaux, & la petite culture ou celle qui se fait avec les boeufs, la différence des produits que donnent ces deux sortes de culture, les causes de la dégradation de notre agriculture, & les moyens de la rétablir. Voyez FERMIERS, (Economie politiq.)

Nous avons vû que l'on cultive environ 36 millions d'arpens de terre, & que nos récoltes nous donnent, année commune, à-peu-près 45 millions de septiers de blé ; savoir 11 millions produits par la grande culture, & 34 millions par la petite culture (a). Nous allons examiner le revenu que 45 millions

(a) Si les cultivateurs étoient assez riches pour traiter les 36 millions d'arpens par la grande culture, conformément aux six millions qui sont traités actuellement par cette culture, la récolte annuelle seroit environ de 66 millions de septiers, au lieu de 44 millions, comme on va le prouver par l'examen de l'état actuel de la grande culture.

de septiers de blé peuvent procurer au Roi, conformément aux deux sortes de culture qui les produisent : nous examinerons aussi ce qu'on en retire pour la dixme, pour le loyer des terres, & pour le gain du cultivateur ; nous comparerons ensuite ces revenus avec ceux que produiroit le rétablissement parfait de notre agriculture, l'exportation étant permise ; car sans cette condition, nos récoltes qui ne sont destinées qu'à la consommation du royaume, ne peuvent pas augmenter, parce que si elles étoient plus abondantes, elles feroient tomber le blé en non-valeur ; les cultivateurs ne pourroient pas en soûtenir la culture, les terres ne produiroient rien au Roi ni aux propriétaires. Il faudroit donc éviter l'abondance du blé dans un royaume où l'on n'en devroit recueillir que pour la subsistance de la nation. Mais dans ce cas, les disettes sont inévitables, parce que quand la récolte donne du blé pour trois ou quatre mois de plus que la consommation de l'année, il est à si bas prix que ce superflu ruine le laboureur, & néanmoins il ne suffit pas pour la consommation de l'année suivante, s'il survient une mauvaise récolte : ainsi il n'y a que la facilité du débit à bon prix, qui puisse maintenir l'abondance & le profit.

Etat de la grande culture des grains. La grande culture est actuellement bornée environ à six millions d'arpens de terre, qui comprennent principalement les provinces de Normandie, de la Beauce, de l'Isle-de-France, de la Picardie, de la Flandre françoise, du Hainault, & peu d'autres. Un arpent de bonne terre bien traité par la grande culture, peut produire 8 septiers & davantage, mesure de Paris, qui est 240 livres pesant ; mais toutes les terres traitées par cette culture, ne sont pas également fertiles ; car cette culture est plutôt pratiquée par un reste d'usage conservé dans certaines provinces, qu'à raison de la qualité des terres. D'ailleurs une grande partie de ces terres est tenue par de pauvres fermiers hors d'état de les bien cultiver : c'est pourquoi nous n'avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre qu'à cinq septiers, semence prélevée. Nous fixons l'arpent à 100 perches, & la perche à 22 piés. (b)

Les six millions d'arpens de terre traités par cette culture entretiennent tous les ans une sole de deux millions d'arpens ensemencés en blé ; une sole de deux millions d'arpens ensemencés en avoine & autres grains de Mars ; & une sole de deux millions d'arpens qui sont en jacheres, & que l'on prépare à rapporter du blé l'année suivante.

Pour déterminer avec plus d'exactitude le prix commun du blé dans l'état actuel de la grande culture en France, lorsque l'exportation est défendue, il faut faire attention aux variations des produits des récoltes & des prix du blé, selon que les années sont plus ou moins favorables à nos moissons.

(b) C'est un cinquieme plus par arpent, que la mesure de l'arpent donnée par M. de Vauban ; ainsi les récoltes doivent produire, selon cette mesure, un cinquieme de plus de grain que cet auteur ne l'a estimé par arpent.

Les 87 liv. total des cinq années, frais déduits, divisées en cinq années, donnent par arpent 17 liv. 8 s. de produit net.

Les cinq années donnent 25 septiers, ce qui fait cinq septiers année commune. Ainsi pour savoir le prix commun de chaque septier, il faut diviser le total ci-dessus par 5, ce qui établira le prix commun de chaque septier de blé à 15 liv. 9 s.

Chaque arpent produit encore la dixme, qui d'abord a été prélevée sur la totalité de la récolte, & qui n'est point entrée dans ce calcul. Elle est ordinairement le treizieme en-dedans de toute la récolte ou le douzieme en-dehors. Ainsi, pour avoir le produit en entier de chaque arpent, il faut ajoûter à 77 liv. 8 s. le produit de la dixme, qui se prend sur le total de la récolte, semence comprise. La semence évaluée en argent est 10 liv. 6 s. qui avec 77 liv. 8 s. font 87 liv. 14 s. dont 1/12 pris en-dehors pour la dixme, est 7 livres. Ainsi avec la dixme le produit total, semence déduite, est 84 liv. 16 s.

Ces 84 liv. 16 s. se partagent ainsi :

La culture de chaque arpent qui produit la récolte en blé, est de deux années. Ainsi le fermier paye deux années de fermage sur les 17 liv. 8 s. du produit net de cette récolte ; il doit aussi payer la taille sur cette même somme, & y trouver un gain pour subsister.

Elle doit donc être distribuée à-peu-près ainsi :

(c) Le prix commun réglé, comme on fait ordinairement, sur les prix différens des années, sans égard aux frais, & au plus ou moins de récolte chaque année, n'est un prix commun que pour les acheteurs qui achetent pour leur subsistance la même quantité de blé chaque année. Ce prix est ici le cinquieme de 87 liv. qui est 17 liv. 8 s. C'est à-peu-près le prix commun de la vente de nos blés à Paris depuis long-tems ; mais le prix commun pour les fermiers, qui sont les vendeurs, n'est qu'environ 15 liv. 9 sols, à cause de l'inégalité des récoltes.

(d) On ne parle point ici des années stériles, parce qu'elles sont fort rares, & que d'ailleurs on ne peut déterminer le prix qu'elles donnent aux blés.

(e) Voyez le détail de ces frais, aux articles FERMIERS & FERMES.

(f) Nous ne nous reglons pas ici sur l'imposition réelle de la taille ; nous supposons une imposition qui laisse quelque profit au fermier, & un revenu au propriétaire, qui soûtienne un peu les richesses de la nation & l'entretien des terres.

S'il paye plus de taille qu'il n'est marqué ici, & s'il paye par arpent pour chaque année de fermage plus de 5 liv. 5 s. ses pertes sont plus considérables, à moins que ce ne soit des terres très-bonnes (g) qui le dédommagent par le produit. Ainsi le fermier a intérêt qu'il n'y ait pas beaucoup de blé ; car il ne gagne un peu que dans les mauvaises années : je dis un peu, parce qu'il a peu à vendre, & que la consommation qui se fait chez lui à haut prix, augmente beaucoup sa dépense. Les prix des différentes années réduits aux prix communs de 15 liv. 9 s. le fermier gagne, année commune, 14 s. par septier ou 3 liv. 10 s. par arpent.

La sole de deux millions d'arpens en blé donne en total, à cinq septiers de blé par arpent, & la dixme y étant ajoûtée, 10, 944, 416 septiers, dont la valeur en argent est 169, 907, 795 liv.

De cette somme totale de 169, 907, 795. liv. il y a

Il y a aussi par la grande culture deux millions d'arpens ensemencés chaque année en avoine, ou autres grains de Mars. Nous les supposerons tous ensemencés en avoine, pour éviter des détails inutiles qui nous rameneroient à-peu-près au même produit, tous ces grains étant à-peu-près de la même valeur, étant vrai aussi que l'avoine forme effectivement la plus grande partie de ce genre de récolte. On estime qu'un arpent donne, dixme prélevée, deux septiers d'avoine double mesure du septier de blé. Le septier est évalué 9 liv. Il faut retrancher un sixieme des deux septiers pour la semence ; reste pour le produit de l'arpent 15 liv. ou un septier & 2/3. Ajoûtez la dixme, le produit total est 16 livres 10 s. dont il y a

Les deux millions d'arpens en avoine donnent, y compris la dixme, & soustraction faite de la semence, 3, 675, 000 septiers, qui valent en argent 33, 330, 333 liv. 7 s. dont il y a :

(g) Les gros fermiers qui exploitent de grandes fermes & de bonnes terres qu'ils cultivent bien, gagnent davantage, quoique de bonnes terres soient affermées à un plus haut prix ; car une terre qui produit beaucoup, procure un plus grand bénéfice sur les frais & sur la semence. Mais il s'agit ici d'une estimation générale du fort au foible, par rapport à la différente valeur des terres, & aux différens états d'aisance des fermiers. On verra ci-après dans les détails, les différens rapports des revenus des terres avec les frais de culture : il est nécessaire d'y faire attention, pour juger des produits de l'agriculture relativement aux revenus des propriétaires, aux profits des fermiers, à la taille & à la dixme ; car on appercevra, à raison des divers produits, des rapports fort différens.

(h) On ne met ici que les frais de moisson, parce que les frais de culture sont compris avec ceux du blé. Voyez l'article FERMIERS (Econom. polit.)

TOTAL des produits de la récolte du blé & de celle de l'avoine, traités par la grande culture.

Etat de la petite culture des grains. Nous avons observé à l'article FERMIER, déjà cité, que dans les provinces où l'on manque de laboureurs assez riches pour cultiver les terres avec des chevaux, les propriétaires ou les fermiers qui font valoir les terres sont obligés de les faire cultiver par des paysans auxquels ils fournissent des boeufs pour les labourer. Nous avons vû que les frais qu'exige cette culture, ne sont pas moins considérables que ceux de la culture qui se fait avec les chevaux ; mais qu'au défaut de l'argent qui manque dans ces provinces, c'est la terre elle-même qui subvient aux frais. On laisse des terres en friche pour la pâture des boeufs de labour, on les nourrit pendant l'hyver avec les foins que produisent les prairies ; & au lieu de payer des gages à ceux qui labourent, on leur cede la moitié du produit que fournit la récolte.

Ainsi, excepté l'achat des boeufs, c'est la terre elle-même qui avance tous les frais de la culture, mais d'une maniere fort onéreuse au propriétaire, & encore plus à l'état ; car les terres qui restent incultes pour le pâturage des boeufs, privent le propriétaire & l'état du produit que l'on en tireroit par la culture. Les boeufs dispersés dans ces pâturages ne fournissent point de fumier ; les propriétaires confient peu de troupeaux à ces métayers ou paysans chargés de la culture de la terre, ce qui diminue extrêmement le produit des laines en France. Mais ce défaut de troupeaux prive les terres de fumier ; & faute d'engrais, elles ne produisent que de petites récoltes, qui ne sont évaluées dans les bonnes années qu'au grain cinq, c'est-à-dire au quintuple de la semence, ou environ trois septiers par arpent, ce qu'on regarde comme un bon produit. Aussi les terres abandonnées à cette culture ingrate sont-elles peu recherchées ; un arpent de terre qui se vend 30 ou 40 liv. dans ces pays-là, vaudroit 2 ou 300 liv. dans des provinces bien cultivées. Ces terres produisent à peine l'intérêt du prix de leur acquisition, sur-tout aux propriétaires absens : si on déduit des revenus d'une terre assujettie à cette petite culture, ce que produiroient les biens occupés pour la nourriture des boeufs ; si on en retranche les intérêts au denier dix des avances pour l'achat des boeufs de labour, qui diminuent de valeur après un nombre d'années de service, on voit qu'effectivement le propre revenu des terres cultivées est au plus du fort au foible de 20 ou 30 sous par arpent. Ainsi, malgré la confusion des produits & les dépenses de cette sorte de culture, le bas prix de l'acquisition de ces terres s'est établi sur des estimations exactes vérifiées par l'intérêt des acquéreurs & des vendeurs.

Voici l'état d'une terre qui produit, année commune, pour la part du propriétaire environ 3000 liv. en blé, semence prélevée, presque tout en froment ; les terres sont bonnes, & portent environ le grain cinq. Il y en a 400 arpens en culture, dont 200 arpens forment la sole de la récolte de chaque année ; & cette récolte est partagée par moitié entre les métayers & le propriétaire. Ces terres sont cultivées par dix charrues tirées chacune par quatre gros boeufs ; les quarante boeufs valent environ 8000 liv. dont l'intérêt mis au denier dix, à cause des risques & de la perte sur la vente de ces boeufs, quand ils sont vieux & maigres, est 800 liv. Les prés produisent 130 charrois de foin qui sont consommés par les boeufs : de plus il y a cent arpens de friches pour leur pâturage ; ainsi il faut rapporter le produit des 3000 liv. en blé pour la part du propriétaire.

Ainsi ces quatre cent arpens de bonnes terres ne donnent pas par arpent 1 l. 10 s. de revenu (i) : mais dans le cas dont il sera parlé ci-après, chaque arpent seroit affermé 10 liv. les 400 arpens rapporteroient au propriétaire 4000 liv. au lieu de 575. Aussi ne devra-t-on pas être étonné de la perte énorme qu'on appercevra dans les revenus des terres du royaume.

Les terres médiocres sont d'un si petit revenu, que selon M. Dupré de Saint-Maur (essai sur les monn.), celles de Sologne & du Berry au centre du royaume, ne sont guere loüées que sur le pié de 15 sols l'arpent, les prés, les terres, & les friches ensemble ; encore faut-il faire une avance considérable de bestiaux qu'on donne aux fermiers, sans retirer que le capital à la fin du bail. " Une grande partie de la Champagne, de la Bretagne, du Maine, du Poitou, des environs de Bayonne, &c. dit le même auteur, ne produisent guere davantage ". (k) Le Languedoc est plus cultivé & plus fertile ; mais ces avantages sont peu profitables, parce que le blé qui est souvent retenu dans la province, est sans débit ; & il y a si peu de commerce, que dans plusieurs en droits de cette province, comme dans beaucoup d'autres pays, les ventes & les achats ne s'y font que par troc ou l'échange des denrées mêmes.

Les petites moissons que l'on recueille, & qui la plûpart étant en seigle (l) fournissent peu de fourrages, contribuent peu à la nourriture des bestiaux, & on n'en peut nourrir que par le moyen des paturages ou des terres qu'on laisse en friche : c'est pourquoi on ne les épargne pas. D'ailleurs les métayers, toûjours fort pauvres, employent le plus qu'ils peuvent les boeufs que le propriétaire leur fournit, à faire des charrois à leur profit pour gagner quelque argent, & les propriétaires sont obligés de tolérer cet abus pour se conserver leurs métayers : ceux-ci, qui trouvent plus de profit à faire des charrois qu'à cultiver, négligent beaucoup la culture des terres. Lorsque ces métayers laissent des terres en friche pendant longtems, & qu'elles se couvrent d'épines & de buissons, elles restent toûjours dans cet état, parce qu'elles coûteroient beaucoup plus que la valeur à esserter & défricher.

Dans ces provinces, les paysans & manouvriers n'y sont point occupés comme dans les pays de grande culture, par des riches fermiers qui les employent aux travaux de l'agriculture & au gouvernement des bestiaux ; les métayers trop pauvres leur procurent peu de travail. Ces paysans se nourrissent de mauvais pain fait de menus grains qu'ils cultivent eux-mêmes, qui coûtent peu de culture, & qui ne sont d'aucun profit pout l'état.

Le blé a peu de débit faute de consommation dans ces pays ; car lorsque les grandes villes sont suffisamment fournies par les provinces voisines, le blé ne se vend pas dans celles qui en sont éloignées ; on est forcé de le donner à fort bas prix, ou de le garder pour attendre des tems plus favorables pour le débit : cette non valeur ordinaire des blés en fait encore négliger davantage la culture ; la part de la récolte qui est pour le métayer, devient à peine suffisante pour la nourriture de sa famille ; & quand la récolte est mauvaise, il est lui-même dans la disette : il faut alors que le propriétaire y supplée. C'est pourquoi les récoltes qu'on obtient par cette culture ne sont presque d'aucune ressource dans les années de disette, parce que dans les mauvaises années elles suffisent à-peine pour la subsistance du propriétaire & du colon. Ainsi la cherté du blé dans les mauvaises années ne dédommage

(i) Il faut même supposer de bonnes années, & que le prix du foin ne passe pas 10 liv. ou que la longueur des hyvers n'en fasse pas consommer par les boeufs une plus grande quantité ; car un peu moins de produit ou un peu plus de dépense, anéantit ce petit revenu.

(k) On peut juger de-là combien est mal fondée l'opinion de ceux qui croyent que la campagne est dépeuplée, parce que les grands propriétaires se sont emparés de toutes les terres, ensorte que les paysans ne peuvent pas en avoir pour cultiver à leur profit : on voit que le fermage des terres est à si bas prix, qu'il leur seroit très-facile d'en affermer autant qu'ils en voudroient ; mais il y a d'autres raisons qui s'y opposent, & que nous examinerons dans la suite : car il faut dissiper des préjugés vulgaires qui voilent des vérités qu'il est intéressant d'approfondir.

(l) Ceux qui sont assujettis à la petite culture, sont peu attachés au fourrage que produit le froment, parce qu'ils en font peu d'usage ; & ils préferent volontiers la culture du seigle, parce qu'il vient plus sûrement dans les terres maigres. D'ailleurs il y a toûjours quelque partie de la sole des terres ensemencées qui portent des grains de Mars, que nous confondrons ici avec le blé, pour éviter de petits détails peu utiles. On peut compenser la valeur de ces différens grains par un prix commun un peu plus bas que celui du froment.

point de la non-valeur de cette denrée dans les bonnes années ; il n'y a que quelques propriétaires aisés qui peuvent attendre les tems favorables pour la vente du blé de leur récolte, qui puissent en profiter.

Il faut donc, à l'égard de cette culture, n'envisager la valeur du blé que conformément au prix ordinaire des bonnes années ; mais le peu de débit qu'il y a alors dans les provinces éloignées de la capitale, tient le blé à fort bas prix : ainsi nous ne devons l'évaluer qu'à 12 liv. le septier, froment & seigle, dans les provinces où les terres sont traitées par la petite culture. C'est en effet dans ces provinces, que le prix du blé ne peut soûtenir les frais pécuniaires de la grande culture ; qu'on ne cultive les terres qu'aux dépens des terres mêmes, & qu'on en tire le produit que l'on peut en les faisant valoir avec le moins de dépenses qu'il est possible.

Ce n'est pas parce qu'on laboure avec des boeufs, que l'on tire un si petit produit des terres ; on pourroit par ce genre de culture, en faisant les dépenses nécessaires, tirer des terres à-peu-près autant de produit que par la culture qui se fait avec les chevaux : mais ces dépenses ne pourroient être faites que par les propriétaires ; ce qu'ils ne feront pas tant que le commerce du blé ne sera pas libre, & que les non-valeurs de cette denrée ne leur laisseront appercevoir qu'une perte certaine.

On estime qu'il y a environ trente millions d'arpens de terres traitées par la petite culture ; chaque arpent du fort au foible produisant, année commune, le grain quatre, ou trente-deux boisseaux non compris la dixme ; de ces trente-deux boisseaux il faut en retrancher huit pour la semence. Il reste deux septiers qui se partagent par moitié entre le propriétaire & le métayer. Celui-ci est chargé de la taille & de quelques frais inévitables.

Trente millions d'arpens de terres traitées par la petite culture, sont divisés en deux soles qui produisent du blé alternativement. Il y a quinze millions d'arpens qui portent du blé tous les ans, excepté quelques arpens que chaque métayer reserve pour ensemencer en grains de Mars : car il n'y a point par cette culture de sole particuliere pour ces grains. Nous ne distinguerons point dans les quinze millions d'arpens, la petite récolte des graines de Mars, de celle du blé ; l'objet n'est pas assez considérable pour entrer dans ce détail. D'ailleurs la récolte de chaque arpent de blé est si foible, que ces deux sortes de récoltes different peu l'une de l'autre pour le produit.

Les 24 liv. ou les deux septiers se distribuent ainsi :

Le produit total de 26 liv. 13 s. par chaque arpent se partage donc ainsi :

La récolte en blé des 15 millions d'arpens traités par la petite culture, donne, la dixme comprise & la semence prélevée, 33, 150, 000 septiers, qui valent en argent 397, 802, 040 liv. dont il y a :

TOTAL des produits de la grande & de la petite culture réunis.

Etat d'une bonne culture des grains. La gêne dans le commerce des grains, le défaut d'exportation, la dépopulation, le manque de richesses dans les campagnes, l'imposition indéterminée des subsides, la levée des milices, l'excès des corvées, ont réduit nos récoltes à ce petit produit. Autrefois avec un tiers plus d'habitans qui augmentoient la consommation, notre culture fournissoit à l'étranger une grande quantité de grains ; les Anglois se plaignoient en 1611, de ce que les François apportoient chez eux des quantités de blé si considérables & à si bas prix, que la nation n'en pouvoit soûtenir la concurrence dans ses marchés (m) ; il se vendoit alors en France 18 l. de notre monnoie actuelle : c'étoit un bas prix dans ce siecle. Il falloit donc que nos récoltes produisissent dans ce tems-là au-moins 70 millions de septiers de blé ; elles en produisent aujourd'hui environ 45 millions : un tiers d'hommes de plus en consommoit 20 millions au-delà de notre consommation actuelle, & le royaume en fournissoit encore abondamment à l'étranger ;

(m) Traité des avantages & des desavantages de la Grande-Bretagne.

cette abondance étoit une heureuse suite du gouvernement économique de M. de Sully. Ce grand ministre ne desiroit, pour procurer des revenus au roi & à la nation, & pour soûtenir les forces de l'état, que des laboureurs, des vignerons, & des bergers.

Le rétablissement de notre culture suppose aussi l'accroissement de la population ; les progrès de l'un & de l'autre doivent aller ensemble ; le prix des grains doit surpasser les frais de culture : ainsi il faut que la consommation intérieure & la vente à l'étranger, entretiennent un profit certain sur le prix des grains. La vente à l'étranger facilite le débit, ranime la culture, & augmente le revenu des terres ; l'accroissement des revenus procure de plus grandes dépenses qui favorisent la population, parce que l'augmentation des dépenses procure des gains à un plus grand nombre d'hommes. L'accroissement de la population étend la consommation ; la consommation soûtient le prix des denrées qui se multiplient par la culture à-proportion des besoins des hommes, c'est-à-dire à-proportion que la population augmente. Le principe de tous ces progrès est donc l'exportation des denrées du crû ; parce que la vente à l'étranger augmente les revenus ; que l'accroissement des revenus augmente la population ; que l'accroissement de la population augmente la consommation ; qu'une plus grande consommation augmente de plus en plus la culture, les revenus des terres & la population ; car l'augmentation des revenus augmente la population, & la population augmente les revenus.

Mais tous ces accroissemens ne peuvent commencer que par l'augmentation des revenus ; voilà le point essentiel & le plus ignoré ou du-moins le plus négligé en France : on n'y a pas même reconnu dans l'emploi des hommes, la différence du produit des travaux qui ne rendent que le prix de la main-d'oeuvre, d'avec celui des travaux qui payent la main-d'oeuvre & qui procurent des revenus. Dans cette inattention on a préféré l'industrie à l'Agriculture, & le commerce des ouvrages de fabrication au commerce des denrées du crû : on a même soûtenu des manufactures & un commerce de luxe au préjudice de la culture des terres.

Cependant il est évident que le gouvernement n'a point d'autres moyens pour faire fleurir le Commerce, & pour soûtenir & étendre l'industrie, que de veiller à l'accroissement des revenus ; car ce sont les revenus qui appellent les marchands & les artisans, & qui payent leurs travaux. Il faut donc cultiver le pié de l'arbre, & ne pas borner nos soins à gouverner les branches ; laissons-les s'arranger & s'étendre en liberté, mais ne négligeons pas la terre qui fournit les sucs nécessaires à leur végétation & à leur accroissement. M. Colbert tout occupé des manufactures, a crû cependant qu'il falloit diminuer la taille, & faire des avances aux cultivateurs, pour relever l'Agriculture qui dépérissoit ; ce qu'il n'a pû concilier avec les besoins de l'état : mais il ne parle pas des moyens essentiels, qui consistent à assujettir la taille à une imposition reglée & à établir invariablement la liberté du commerce des grains : l'Agriculture fut négligée ; les guerres qui étoient continuelles, la milice qui dévastoit les campagnes, diminuerent les revenus du royaume ; les traitans, par des secours perfides, devinrent les suppôts de l'état ; la prévoyance du ministre s'étoit bornée à cette malheureuse ressource, dont les effets ont été si funestes à la France *.

La culture du blé est fort chere ; nous avons beaucoup plus de terres qu'il ne nous en faut pour cette culture ; il faudroit la borner aux bonnes terres, dont le produit surpasseroit de beaucoup les frais d'une bonne culture. Trente millions d'arpens de bonnes terres formeroient chaque année une sole de 10 millions d'arpens qui porteroient du blé : de bonnes terres bien cultivées, produiroient au-moins, année commune, six septiers par arpent, semence prélevée : ainsi la sole de dix millions d'arpens donneroit, la dixme comprise, au-moins 65 millions de septiers de blé. (n) La consommation intérieure venant à augmenter, & la liberté du commerce du blé étant pleinement rétablie, le prix de chaque septier de blé, année commune, peut être évalué à 18 liv. un peu plus ou moins, cela importe peu ; mais à 18 liv. le produit seroit de 108 liv. non compris la dixme.

Pour déterminer plus sûrement le prix commun du blé, l'exportation étant permise, il faut faire attention aux variations des produits des récoltes & des prix du blé selon ces produits. On peut juger de l'état de ces variations dans le cas de l'exportation, en se reglant sur celles qui arrivent en Angleterre, où elles ne s'étendent depuis nombre d'années, qu'environ depuis 18 jusqu'à 22 l. Il est facile de comprendre pourquoi ces variations y sont si peu considérables : l'Agriculture a fait de très-grands progrès dans ce royaume ; les récoltes, quelque foibles qu'elles y soient, sont toûjours plus que suffisantes pour la subsistance des habitans. Si notre agriculture étoit en bon état, nous recueillerions dans une mauvaise année à-peu-près autant de blé que nous en fournit aujourd'hui une bonne récolte : ainsi on ne pourroit, sans des accidens extraordinaires, éprouver la disette dans un royaume où les moindres récoltes jointes à ce qui resteroit nécessairement des bonnes années, seroient toûjours au-dessus des besoins des habitans. On peut en juger par l'exposition que nous allons donner des variations des récoltes que produit une bonne culture selon la diversité des années. On y remarquera qu'une mauvaise récolte de 10 millions d'arpens donne 40 millions de septiers de blé sans la récolte d'une même quantité d'arpens ensemencés en grains de Mars.

* Le financier citoyen, chap. iij. & jv.

(n) Nous supposons que chaque arpent produise six septiers, semence prélevée : nous savons cependant qu'un bon arpent de terre bien cultivé doit produire davantage. Nous avons jugé à-propos, pour une plus grande sûreté dans l'estimation, de nous fixer à ce produit ; mais afin qu'on puisse juger de ce que peut rapporter un arpent de terre, dans le cas dont il s'agit ici, nous en citerons un exemple tiré de l'article FERME, donné par M. le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles. " J'ai actuellement, dit l'auteur, sous les yeux une ferme qui est de plus de trois cent arpens, dont les terres sont bonnes sans être du premier ordre. Elles étoient il y a quatre ans entre les mains d'un fermier qui les labouroit assez bien, mais qui les fumoit très-mal, parce qu'il vendoit ses pailles, & nourrissoit peu le bétail. Ces terres ne rapportoient que trois à quatre septiers de blé par arpent dans les meilleures années ; il s'est ruiné, & on l'a contraint de remettre sa ferme à un autre cultivateur plus industrieux. Tout a changé de face ; la dépense n'a point été épargnée ; les terres encore mieux labourées qu'elles n'étoient, ont été couvertes de troupeaux & de fumier : en deux ans elles ont été améliorées au point de rapporter dix septiers de blé par arpent, & d'en faire espérer encore plus par la suite. Ce succès sera répété toutes les fois qu'il sera tenté. Multiplions nos troupeaux, nous doublerons presque nos récoltes. Puisse cette persuasion frapper également les fermiers & les propriétaires ! Si elle devenoit générale, si elle étoit encouragée, nous verrions bientôt l'Agriculture faire des progrès rapides, nous lui devrions l'abondance avec tous ses effets.

Dont il y auroit de produit net 40 l. distribuées ainsi :

66 liv. de frais, & 20 liv. pour la taille & le fermage, font 96 liv. par arpent : le produit étant six septiers, le septier coûteroit, année commune, au fermier 16 liv. Dans une année abondante, à huit septiers par arpent, le septier lui coûte 12 livres ; étant vendu 16 liv. il gagne 4 liv. Dans une mauvaise année, à quatre septiers par arpent, le septier lui coûte 24 liv. étant vendu 20 liv. il perd 4 liv. Les années bonnes & mauvaises, réduites à une année commune, il gagne par septier 1 liv. 13 s. ou environ 10 liv. par arpent.

La récolte en blé de dix millions d'arpens donne, année commune, la dixme comprise levée sur toute la récolte, le fonds de la semence compris, 65, 555, 500 septiers, semence prélevée, qui valent en argent 1, 159, 500, 000 liv. dont il y a :

Il y auroit de même une sole de dix millions d'arpens qui produiroit des grains de Mars, & dont chaque arpent de bonne terre & bien cultivée produiroit, année commune, au-moins deux septiers, semence prélevée & la dixme non comprise ; le septier évalué un peu au-dessous des 2/3 du prix du blé, vaudroit environ 10 liv.

Les 21 liv. 17 s. se distribuent ainsi :

Les dix millions d'arpens en avoine donneroient, la dixme comprise 21, 944, 441 septiers, qui valent en argent 218, 500, 000 liv. dont il y a :

Les produits de la récolte des dix millions d'arpens en blé & de la récolte des dix millions d'arpens en grains de Mars réunis produiroient :

(o) Nous mettons le prix plus bas qu'en Angleterre, quoique le blé de France soit meilleur ; mais si nous en vendions à l'étranger, la concurrence pourroit faire baisser le prix de part & d'autre.

(p) Dans la grande culture actuelle en France, on a remarqué ci-devant que le fermier perd dans les bonnes années ; ici il gagne, mais il perd dans les mauvaises : ainsi il a intérêt qu'il y ait beaucoup de blé : au lieu que dans l'autre cas l'abondance ruine le fermier, & celui-ci ne peut se dédommager un peu que dans les mauvaises années.

(q) Le prix commun des acheteurs seroit le cinquieme de 90 liv. qui est 18 liv. c'est environ le prix commun ordinaire de la vente de nos blés dans ces derniers tems ; ainsi l'exportation n'augmenteroit pas le prix du blé pour les acheteurs : elle l'augmenteroit pour les fermiers de 2 liv. 4 sols par septiers ; ce seroit sur 65 millions de septiers, 160 millions de bénéfice pour l'Agriculture, sans que le blé augmentât de prix pour l'acheteur. Voilà l'avantage de l'exportation. Ainsi on ne doit pas s'étonner des progrès de l'Agriculture en Angleterre.

(r) Pour les terres chargées du droit de champart ou de la dixme agriere, les fermiers ne payent pas tant de taille ; mais ce qui manqueroit se répandroit sur ceux qui afferment cette espece de dixme.

Dont il y a :

Il y a, outre les trente millions dont on vient d'apprécier le produit, trente autres millions d'arpens de terre cultivables de moindre valeur que les terres précédentes, qui peuvent être employées à différentes productions ; les meilleures à la culture des chanvres, des lins, des légumes, des seigles, des orges, des prairies artificielles des menus grains ; les autres selon leurs différentes qualités peuvent être plantés en bois, en vignes, en mûriers, en arbres à cidre, en noyers, chataigniers, ou ensemencés en blé noir, en faux seigle, en pommes de terre, en navets, en grosses raves, & en d'autres productions pour la nourriture des bestiaux. Il seroit difficile d'apprécier les differens produits de ces trente millions d'arpens ; mais comme ils n'exigent pas pour la plûpart de grands frais pour la culture, on peut, sans s'exposer à une grande erreur, les évaluer du fort au foible pour la distribution des revenus environ à un tiers du produit des trente autres millions d'arpens, dont il y auroit

RECAPITULATION des différens produits de la bonne culture réunie. Les soixante millions d'arpens de terres cultivables en France donneroient :

(f) Les frais ne se font pas tous en argent ; la nourriture des chevaux & celle des domestiques sont fournies en nature par les récoltes, ainsi il n'y a guere que la moitié de ces frais qui participe à la circulation de l'argent. Il n'en est pas de même des frais de la culture des vignes, & des dépenses pour les récoltes des vins ; car ces avances se font presque toutes en argent : ainsi on voit toûjours que plus de la moitié de la masse d'argent monnoyé qu'il y a dans le royaume, doit circuler dans les campagnes pour les frais de l'agriculture.

COMPARAISON des produits de la culture actuelle du royaume avec ceux de la bonne culture.

(t) On suppose dans ces deux états de culture, la taille égale environ à un tiers du revenu des propriétaires. La capitation & les taxes particulieres jointes à la taille, montent aujourd'hui l'imposition totale à-peu-près à l'égal de la moitié des revenus ou à 40 millions. Suivant cette proportion, l'imposition totale monteroit dans la bonne culture à 200 millions, au lieu de 40 millions. Nous comprenons dans les deux cas, sous le même point de vûe, les pays d'états & les pays d'élections, qui en effet payent ensemble aujourd'hui en taille, dons gratuits & capitation, environ 40 millions sur des terres du royaume employées à la culture des grains.

(u) Dans l'état actuel, les frais ne produisent que 30 pour cent ; & dans une bonne culture, où le débit des grains seroit favorisé, comme en Angleterre, par l'exportation, les frais produiroient environ cent pour cent.

(x) Notez que dans cette comparaison on ne suppose aucune augmentation dans le prix commun des grains ; car il n'est pas vraisemblable que l'exportation en fît augmenter le prix : mais elle exclueroit les non-valeurs & les chertés. Elle produit constamment cet avantage en Angleterre, quoiqu'on n'y exporte qu'environ un million de septiers (ce qui n'est pas un vingtieme de la récolte), ne trouvant pas chez l'étranger à en vendre davantage.

Observations sur les avantages de la culture des grains. Les frais de la culture restent dans le royaume, & le produit total est tout entier pour l'état. Les bestiaux égalent au-moins la moitié de la richesse annuelle des récoltes ; ainsi le produit de ces deux parties de l'Agriculture seroient environ de trois milliards : celui des vignes est de plus de cinq cent millions, & pourroit être beaucoup augmenté, si la population s'accroissoit dans le royaume, & si le commerce des vins & eaux-de-vie étoit moins gêné (y). Les produits de l'Agriculture seroient au-moins de quatre milliards, sans y comprendre les produits des chanvres, des bois, de la pêche, &c. Nous ne parlons pas non plus des revenus des maisons, des rentes, du sel, des mines, ni des produits des Arts & Métiers, de la Navigation, &c. qui augmenteroient à proportion que les revenus & la population s'accroîtroient ; mais le principe de tous ces avantages est dans l'Agriculture, qui fournit les matieres de premier besoin, qui donne des revenus au roi & aux propriétaires, des dixmes au clergé, des profits aux cultivateurs. Ce sont ces premieres richesses, toûjours renouvellées, qui soûtiennent tous les autres états du royaume, qui donnent de l'activité à toutes les autres professions, qui font fleurir le Commerce, qui favorisent la population, qui animent l'industrie, qui entretiennent la prospérité de la nation. Mais il s'en faut beaucoup que la France joüisse de tous ces milliards de revenus que nous avons entre-vû qu'elle pourroit tirer d'elle-même. On n'estime guere qu'à deux milliards la consommation ou la dépense annuelle de la nation. Or la dépense est à-peu-près égale aux revenus, confondus avec les frais de la main-d'oeuvre, qui procurent la subsistance aux ouvriers de tous genres, & qui sont presque tous payés par les productions de la terre ; car, à la reserve de la pêche & du sel, les profits de la navigation ne peuvent être eux-mêmes fort considérables, que par le commerce des denrées de notre cru. On regarde continuellement l'Agriculture & le Commerce comme les deux ressources de nos richesses ; le Commerce, ainsi que la main-d'oeuvre, n'est qu'une branche de l'Agriculture : mais la main-d'oeuvre est beaucoup plus étendue & beaucoup plus considérable que le Commerce. Ces deux états ne subsistent que par l'Agriculture. C'est l'Agriculture qui fournit la matiere de la main-d'oeuvre & du Commerce, & qui paye l'une & l'autre : mais ces deux branches restituent leurs gains à l'Agriculture, qui renouvelle les richesses, qui se dépensent & se consomment chaque année. En effet, sans les produits de nos terres, sans les revenus & les dépenses des propriétaires & des cultivateurs, d'où naîtroit le profit du Commerce & le salaire de la main-d'oeuvre ? La distinction du Commerce d'avec l'Agriculture, est une abstraction qui ne présente qu'une idée imparfaite, & qui séduit des auteurs qui écrivent sur cette matiere, même ceux qui en ont la direction, & qui rapportent au commerce productif le commerce intérieur qui ne produit rien, qui sert la nation, & qui est payé par la nation.

On ne peut trop admirer la supériorité des vûes de M. de Sully : ce grand ministre avoit saisi les vrais principes du gouvernement économique du royaume, en établissant les richesses du roi, la puissance de l'état, le bonheur du peuple, sur les revenus des terres, c'est-à-dire sur l'Agriculture & sur le commerce extérieur de ses productions ; il disoit que sans l'exportation des blés, les sujets seroient bientôt sans argent & le souverain sans revenus. Les prétendus avantages des manufactures de toute espece ne l'avoient pas séduit ; il ne protegeoit que celles des étoffes de laine, parce qu'il avoit reconnu que l'abondance des récoltes dépendoit du débit des laines, qui favorise la multiplication des troupeaux nécessaires pour fertiliser les terres.

Les bonnes récoltes produisent beaucoup de fourrages pour la nourriture des bestiaux ; les trente millions d'arpens de terres médiocres seroient en partie destinés aussi à cet usage. L'auteur des Prairies artificielles décide très-judicieusement qu'il faut à-peu-près la même quantité d'arpens de prairies artificielles qu'il y a de terre ensemencée en blé chaque année. Ainsi pour trente millions d'arpens, il faudroit dix millions d'arpens de prairies artificielles pour nourrir des bestiaux qui procureroient assez de fumier pour fournir un bon engrais aux terres qui chaque année doivent être ensemencées en blé. Cette pratique est bien entendue ; car si on se procure par l'engrais de la terre un septier de blé de plus par chaque arpent, on double à-peu-près le profit. Un arpent de blé qui porte cinq septiers à 15 liv. le septier, donne, tous frais déduits, 20 liv. de revenu ; mais un septier de plus doubleroit presque lui seul le revenu d'un arpent ; car si un arpent donne six septiers, le revenu est 35 liv. & s'il en portoit sept, le revenu seroit 50 liv. ou 3/5 de revenu de plus que dans le premier cas : le revenu n'est pas simplement à raison du produit, mais à raison du produit & des frais. Or l'augmentation des frais est en bestiaux qui ont aussi leur produit ; ainsi les profits d'une culture imparfaite ne sont pas comparables à ceux d'une bonne culture.

Ainsi on voit que la fortune du fermier en état de faire les frais d'une bonne culture, dépend du produit

(y) L'auteur du livre intitulé le financier citoyen, dont les intentions peuvent être loüables, est trop attaché aux droits des aides : il paroît n'avoir pas envisagé dans le vrai point de vûe les inconvéniens de ces droits ; il ne les regarde que du côté des consommateurs, qui sont libres, dit-il, de faire plus ou moins de dépense en vin. Mais ce plus ou moins de dépense est un objet important par rapport aux revenus des vignes, & aux habitans occupés à les cultiver. Cette culture employe beaucoup d'hommes, & peut en employer encore davantage ; ce qui mérite une grande attention par rapport à la population : d'ailleurs les terres employées en vignes sont d'un grand produit. Le grand objet du gouvernement est de veiller à l'augmentation des revenus, pour le bien de l'état & pour le fonds des impositions ; car les terres qui produisent beaucoup, peuvent soûtenir une forte imposition. Les vignes produisent tous les ans, ainsi chaque arpent peut fournir pour la taille le double de chaque arpent de terre cultivé en blé ; ce qui produiroit au roi à peu près autant que les droits des aides, qui ruinent un commerce essentiel au royaume, & desolent les vignerons par les rigueurs de la régie & les vexations des commis. Dans le système d'une bonne culture, la taille bien régie doit être la principale source des revenus du roi. C'est une partie qu'on n'a point approfondie, & qui n'est connue que par les abus destructifs contre lesquels on s'est toûjours récrié, & auxquels on n'a point encore remédié. V. IMPOTS. Il paroît que l'auteur tient aussi un peu au préjugé vulgaire par rapport à l'industrie. L'industrie procure la subsistance à une multitude d'hommes, par le payement de la main-d'oeuvre ; mais elle ne produit point de revenus, & elle ne peut se soûtenir que par les revenus des citoyens qui achetent les ouvrages des artisans. Il défend l'imposition sur l'industrie, dans la crainte de l'anéantir ; mais l'industrie subsistera toûjours dans un royaume à raison des revenus, par rapport aux ouvrages nécessaires, & par rapport aux ouvrages de luxe : l'imposition peut seulement en augmenter un peu le prix. Mais cette partie intéresse fort peu le commerce extérieur, qui ne peut nous enrichir que par la vente de nos productions. L'auteur est entiérement décidé en faveur des fermes générales bien ordonnées ; il y trouve les revenus du roi assûrés, des intérêts pour les seigneurs sous des noms empruntés, des fortunes honnêtes pour les fermiers & sous-fermiers, des appointemens pour les commis ; mais il veut que les financiers ayent de la probité. Un autre avantage qu'il apperçoit dans les fermes, c'est qu'elles peuvent s'augmenter sans nuire à l'Agriculture, à l'Industrie, ni au Commerce. Il est vrai du-moins que dans des royaumes incultes, c'est peut-être le seul moyen pour tirer des revenus pour le souverain, & des intérêts pour les seigneurs ; mais dans un état riche par ses biens & par le commerce de ses productions, ce moyen onéreux n'est pas nécessaire, & les seigneurs soûtiennent leurs dépenses par les produits de leurs terres.

d'un septier ou deux de plus par arpent de terre ; & quoiqu'il en partage la valeur pour la taille & pour le fermage, son gain en est beaucoup plus considérable, & la meilleure portion est toûjours pour lui ; car il recueille des fourrages à-proportion avec lesquels il nourrit des bestiaux qui augmentent son profit.

Il ne peut obtenir cet avantage que par le moyen des bestiaux ; mais il gagneroit beaucoup aussi sur le produit de ces mêmes bestiaux. Il est vrai qu'un fermier borné à l'emploi d'une charrue, ne peut prétendre à un gain considérable ; il n'y a que ceux qui sont assez riches pour se former de plus grands établissemens, qui puissent retirer un bon profit, & mettre par les dépenses qu'ils peuvent faire, les terres dans la meilleure valeur.

Celui qui n'occupe qu'une charrue, tire sur ce petit emploi tous les frais nécessaires pour la subsistance & l'entretien de sa famille ; il faut même qu'il fasse plus de dépense à proportion pour les différens objets de son entreprise : n'ayant qu'une charrue il ne peut avoir, par exemple, qu'un petit troupeau de moutons, qui ne lui coûte pas moins pour le berger, que ce que coûteroit un plus grand troupeau qui produiroit un plus grand profit. Un petit emploi & un grand emploi exigent donc, à bien des égards, des dépenses qui ne sont pas de part & d'autre dans la même proportion avec le gain. Ainsi les riches laboureurs qui occupent plusieurs charrues, cultivent beaucoup plus avantageusement pour eux & pour l'état, que ceux qui sont bornés à une seule charrue ; car il y a épargne d'hommes, moins de dépense, & un plus grand produit : or les frais & les travaux des hommes ne sont profitables à l'état, qu'autant que leurs produits renouvellent & augmentent les richesses de la nation. Les terres ne doivent pas nourrir seulement ceux qui les cultivent, elles doivent fournir à l'état la plus grande partie des subsides, produire des dixmes au clergé, des revenus aux propriétaires, des profits aux fermiers, des gains à ceux qu'ils employent à la culture. Les revenus du roi, du clergé, des propriétaires, les gains du fermier & de ceux qu'il employe, tournent en dépenses, qui se distribuent à tous les autres états & à toutes les autres professions. Un auteur * a reconnu ces vérités fondamentales lorsqu'il dit : " que l'assemblage de plusieurs riches propriétaires de terres qui résident dans un même lieu, suffit pour former ce qu'on appelle une ville, où les marchands, les fabriquans, les artisans, les ouvriers, les domestiques se rassemblent, à proportion des revenus que les propriétaires y dépensent : auquel cas la grandeur d'une ville est naturellement proportionnée au nombre des propriétaires des terres, ou plutôt au produit des terres qui leur appartiennent. Une ville capitale se forme de la même maniere qu'une ville de province ; avec cette différence que les gros propriétaires de tout l'état résident dans la capitale.

Les terres cultivées en détail par de petits fermiers, exigent plus d'hommes & de dépenses, & les profits sont beaucoup plus bornés. Or les hommes & les dépenses ne doivent pas être prodigués à des travaux qui seroient plus profitables à l'état, s'ils étoient exécutés avec moins d'hommes & moins de frais. Ce mauvais emploi des hommes pour la culture des terres seroit préjudiciable, même dans un royaume fort peuplé ; car plus il est peuplé, plus il est nécessaire de tirer un grand produit de la terre : mais il seroit encore plus desavantageux dans un royaume qui ne seroit pas assez peuplé ; car alors il faudroit être plus attentif à distribuer les hommes aux travaux les plus nécessaires & les plus profitables à la nation. Les avantages de l'Agriculture dépendant donc beaucoup de la réunion des terres en grosses-fermes, mises dans la meilleure valeur par de riches fermiers.

La culture qui ne s'exécute que par le travail des hommes, est celle de la vigne ; elle pourroit occuper un plus grand nombre d'hommes en France, si on favorisoit la vente des vins, & si la population augmentoit. Cette culture & le commerce des vins & des eaux-de-vie sont trop gênés ; c'est cependant un objet qui ne mérite pas moins d'attention que la culture des grains.

Nous n'envisageons pas ici le riche fermier comme un ouvrier qui laboure lui-même la terre ; c'est un entrepreneur qui gouverne & qui fait valoir son entreprise par son intelligence & par ses richesses. L'agriculture conduite par de riches cultivateurs est une profession très-honnête & très-lucrative, reservée à des hommes libres en état de faire les avances des frais considérables qu'exige la culture de la terre, & qui occupe les paysans & leur procure toûjours un gain convenable & assûré. Voilà, selon l'idée de M. de Sully, les vrais fermiers ou les vrais financiers qu'on doit établir & soûtenir dans un royaume qui possede un grand territoire ; car c'est de leurs richesses que doit naître la subsistance de la nation, l'aisance publique, les revenus du souverain, ceux des propriétaires, du clergé, une grande dépense distribuée à toutes les professions, une nombreuse population, la force & la prospérité de l'état.

Ce sont les grands revenus qui procurent les grandes dépenses ; ce sont les grandes dépenses qui augmentent la population, parce qu'elles étendent le commerce & les travaux, & qu'elles procurent des gains à un grand nombre d'hommes. Ceux qui n'envisagent les avantages d'une grande population que pour entretenir de grandes armées, jugent mal de la force d'un état. Les militaires n'estiment les hommes qu'autant qu'ils sont propres à faire des soldats ; mais l'homme d'état regrette les hommes destinés à la guerre, comme un propriétaire regrette la terre employée à former le fossé qui est nécessaire pour conserver le champ. Les grandes armées l'épuisent ; une grande population & de grandes richesses le rendent redoutable. Les avantages les plus essentiels qui résultent d'une grande population, sont les productions & la consommation, qui augmentent ou font mouvoir les richesses pécuniaires du royaume. Plus une nation qui a un bon territoire & un commerce facile, est peuplée, plus elle est riche ; & plus elle est riche, plus elle est puissante. Il n'y a peut-être pas moins aujourd'hui de richesses pécuniaires dans le royaume, que dans le siecle passé : mais pour juger de l'état de ces richesses, il ne faut pas les considérer simplement par rapport à leur quantité, mais aussi par rapport à leur circulation relative à la quantité, au débit & au bon prix des productions du royaume. Cent septiers de blé à 20 liv. le septier, sont primitivement une richesse pécuniaire quatre fois aussi grande que 50 septiers à 10 livres le septier : ainsi la quantité des richesses existe aussi réellement dans la valeur des productions, que dans les especes d'or & d'argent, sur-tout quand le commerce avec l'étranger assûre le prix & le débit de ces productions.

Les revenus sont le produit des terres & des hommes. Sans le travail des hommes, les terres n'ont aucune valeur. Les biens primitifs d'un grand état sont les hommes, les terres & les bestiaux. Sans les produits de l'agriculture, une nation ne peut avoir d'autre ressource que la fabrication & le commerce de trafic ; mais l'une & l'autre ne peuvent se soûtenir que par les richesses de l'étranger : d'ailleurs de telles ressources

* Cantillon, essai sur le Commerce, chap. v. vj.

sont fort bornées & peu assûrées, & elles ne peuvent suffire qu'à de petits états.

Observations sur la taille levée sur la culture des grains. On ne doit imposer les fermiers à la taille qu'avec beaucoup de retenue sur le profit des bestiaux, parce que ce sont les bestiaux qui font produire les terres : mais sans étendre la taille sur cette partie, elle pourroit par l'accroissement des revenus monter à une imposition égale à la moitié du prix du fermage : ainsi en se conformant aux revenus des propriétaires des terres qui seroient de quatre cent millions, la taille ainsi augmentée & bornée-là pour toute imposition sur les fermages, produiroit environ 200 millions, & cela non compris celle qui est imposée sur les rentiers & propriétaires taillables, sur les maisons, sur les vignes, sur les bois taillables, sur le fermage particulier des prés, sur les voituriers, sur les marchands, sur les paysans, sur les artisans, manouvriers, &c.

Sur les 200 millions de taille que produiroit la culture des grains, il faut en retrancher environ 1/20 pour l'exemption des nobles & privilégiés, qui font valoir eux-mêmes la quantité de terres permise par les ordonnances, ainsi il resteroit 190 millions, mais il faut ajoûter la taille des fermiers des dixmes, qui étant réunies à ces 190 millions, formeroit au-moins pour le total de la taille 200 millions. (z)

La proportion de la taille avec le loyer des terres, est la regle la plus sûre pour l'imposition sur les fermiers, & pour les garantir des inconvéniens de l'imposition arbitraire ; le propriétaire & le fermier connoissent chacun leur objet, & leurs intérêts réciproques fixeroient au juste les droits du roi. (a)

Il seroit bien à desirer qu'on pût trouver une regle aussi sûre pour l'imposition des métayers. Mais si la culture se rétablissoit, le nombre des fermiers augmenteroit de plus en plus, celui des métayers diminueroit à proportion : or une des conditions essentielles pour le rétablissement de la culture & l'augmentation des fermiers, est de réformer les abus de la taille arbitraire, & d'assûrer aux cultivateurs les fonds qu'ils avancent pour la culture des terres. On doit sur-tout s'attacher à garantir les fermiers, comme étant les plus utiles à l'état, des dangers de cette imposition. Aussi éprouve-t-on que les désordres de la taille sont moins destructifs dans les villes taillables que dans les campagnes ; parce que les campagnes produisent les revenus, & que ce qui détruit les revenus détruit le royaume. L'état des habitans des villes est établi sur les revenus, & les villes ne sont peuplées qu'à proportion des revenus des provinces. Il est donc essentiel d'assujettir dans les campagnes l'imposition de la taille à une regle sûre & invariable, afin de multiplier les riches fermiers, & de diminuer de plus en plus le nombre des colons indigens, qui ne cultivent la terre qu'au desavantage de l'état.

Cependant on doit appercevoir que dans l'état actuel de la grande & de la petite culture, il est difficile de se conformer d'abord à ces regles ; c'est pourquoi nous avons pour la sûreté de l'imposition proposé d'autres moyens à l'article FERMIER : mais dans la suite le produit du blé ou le loyer des terres fourniroient la regle la plus simple & la plus convenable pour l'imposition proportionnelle de la taille sur les cultivateurs. Dans l'état présent de l'agriculture, un arpent de terre traité par la grande culture produisant 74 livres, ne peut donner qu'environ 1/20 du produit total du prix du blé pour la taille. Un arpent traité par la petite culture produisant 24 liv. donne pour la taille 1/24. Un arpent qui seroit traité par la bonne culture, les autres conditions posées, produisant 106 l. donneroit pour la taille environ 1/11 ; ainsi par la seule différence des cultures, un arpent de terre de même valeur produiroit ici pour la taille 10 liv. là il produit 3 liv. 10 s. ailleurs il ne produit qu'une livre. On ne peut donc établir pour la taille aucune taxe fixe sur les terres dont le produit est si susceptible de variations par ces différentes cultures ; on ne peut pas non plus imposer la taille proportionnellement au produit total de la récolte, sans avoir égard aux frais & à la différence de la quantité de semence, relativement au profit, selon les différentes cultures : ainsi ceux qui ont proposé une dixme pour la taille (b), & ceux qui ont proposé une taille

(z) Nous ne supposons ici qu'environ 10 millions de taille sur les fermiers des dixmes, mais le produit des dixmes n'étant point chargé des frais de culture il est susceptible d'une plus forte taxe : ainsi la dixme qui est affermée, c'est-à-dire qui n'est pas réunie aux cures, pouvant monter à plus de 100 millions par le rétablissement, leur culture pourroit avec justice être imposée à plus de 20 millions de taille. En effet, elle ne seroit pas, dans ce cas même, proportionnée à celle des cultivateurs ; & ceux qui affermeroient leurs dixmes, profiteroient encore beaucoup sur le rétablissement de notre culture.

(a) Peut-être que la taille égale à la moitié du fermage paroîtra forcée, & cela peut être vrai en effet ; mais au-moins cette taille étant fixée, les fermiers s'y conformeroient en affermant les terres. Voilà l'avantage d'une taille qui seroit fixée : elle ne seroit point ruineuse, parce qu'elle seroit prévûe par les fermiers ; au lieu que la taille arbitraire peut les ruiner, étant sujets à des augmentations successives pendant la durée des baux, & ils ne peuvent éviter leur perte par aucun arrangement sur le prix du fermage. Mais toutes les fois que le fermier connoîtra par le prix du bail la taille qu'il doit payer, il ne laissera point tomber sur lui cette imposition, ainsi elle ne pourra pas nuire à la culture ; elle sera prise sur le produit de la ferme, & la partie du revenu du propriétaire en sera meilleure & plus assûrée ; parce que la taille n'apportera point d'obstacle à la culture de son bien ; au contraire, la taille imposée sans regle sur le fermier, rend l'état de celui-ci incertain ; son gain est limité par ses arrangemens avec le propriétaire, il ne peut se prêter aux variations de cette imposition : si elle devient trop forte, il ne peut plus faire les frais de la culture, & le bien est dégradé. Il faut toûjours que l'imposition porte sur le fonds, & jamais sur la culture ; & qu'elle ne porte sur le fonds que relativement à sa valeur & à l'état de la culture, & c'est le fermage qui en décide.

On peut soupçonner que la taille proportionnelle aux baux pourroit occasionner quelqu'intelligence frauduleuse entre les propriétaires & les fermiers, dans l'exposé du prix du fermage dans les baux ; mais la sûreté du propriétaire exigeroit quelque clause, ou quelqu'acte particulier inusité & suspect qu'il faudroit défendre : telle seroit, par exemple, une reconnoissance d'argent prêté par le propriétaire au fermier. Or comme il est très-rare que les propriétaires prêtent d'abord de l'argent à leurs fermiers, cet acte seroit trop suspect, surtout si la date étoit dès les premiers tems du bail, ou si l'acte n'étoit qu'un billet sous seing privé. En ne permettant point de telles conventions, on exclueroit la fraude. Mais on pourroit admettre les actes qui surviendroient trois ou quatre ans après le commencement du bail, s'ils étoient passés pardevant notaire, & s'ils ne changeoient rien aux clauses du bail ; car ces actes postérieurs ne pourroient pas servir à des arrangemens frauduleux à l'égard du prix du fermage, & ils peuvent devenir nécessaires entre le propriétaire & le fermier, à cause des accidens qui quelquefois arrivent aux bestiaux ou aux moissons pendant la durée d'un bail, & qui engageroient un propriétaire à secourir son fermier. L'argent avancé sous la forme de pot-de-vin par le fermier, en diminution du prix du bail, est une fraude qu'on peut reconnoître par le trop bas prix du fermage, par comparaison avec le prix des autres terres du pays S'il y avoit une différence trop marquée, il faudroit anéantir le bail, & exclure le fermier.

(b) On a vû par les produits des différentes cultures, que la taille convertie en dixme sur la culture faite avec les boeufs, monteroit à plus des deux tiers du revenu des propriétaires. D'ailleurs la taille ne peut pas être fixée à-demeure sur le revenu actuel de cette culture, parce que les terres ne produisant pas les revenus qu'elles donneroient lorsqu'elles seroient mieux cultivées, il arriveroit qu'elles se trouveroient taxées sept ou huit fois moins que celles qui seroient actuellement en pleine valeur.

Dans l'état actuel de la grande culture, les terres produisent davantage ; mais elles donnent la moitié moins de revenu qu'on n'en retireroit dans le cas de la liberté du commerce des grains. Dans l'état présent, la dixme est égale à la moitié du fermage, la taille convertie en dixme seroit encore fort onéreuse ; mais dans le cas d'exportation, les terres donneroient plus de revenu ; la dixme ne se trouveroit qu'environ égale à un tiers du fermage. La taille convertie en dixme, ne seroit plus dans une proportion convenable avec les revenus ; car elle pourroit alors être portée à l'égal de la moitié des revenus, & être beaucoup moins onéreuse que dans l'état présent ; ainsi les proportions de la taille & de la dixme avec le fermage sont fort différents, selon les différens produits des terres. Dans la petite culture la taille seroit forte, si elle égaloit la moitié de la dixme ; elle seroit foible dans une bonne culture, si elle n'étoit égale qu'à la totalité de la dixme. Les proportions de la taille avec le produit sont moins discordantes dans les différens états de culture ; mais toûjours le sont-elles trop pour pouvoir se prêter à une regle générale : c'est tout ensemble le prix des grains, l'état de la culture, & la qualité des terres, qui doivent former la base de l'imposition de la taille à raison du produit net du revenu du propriétaire. C'est ce qu'il faut observer aussi dans l'imposition du dixieme sur les terres cultivées avec des boeufs aux frais des propriétaires ; car si on prenoit le dixieme du produit, ce seroit dans des cas la moitié du revenu, & dans d'autres le revenu tout entier qu'on enleveroit.

réelle sur les terres, n'ont pas examiné les irrégularités qui naissent des différens genres de culture, & les variations qui en résultent. Il est vrai que dans les pays d'états on établit communément la taxe sur les terres, parce que ces pays étant bornés à des provinces particulieres où la culture peut être à-peu-près uniforme, on peut regler l'imposition à-peu-près sur la valeur des terres, & à la différente quantité de semence, relativement au produit des terres de différente valeur ; mais on ne peut pas suivre cette regle généralement pour toutes les autres provinces du royaume. On ne peut donc dans l'état actuel établir une taille proportionnelle, qu'en se réglant sur la somme imposée préalablement sur chaque paroisse, selon l'état de l'agriculture de la province ; & cette taille imposée seroit repartie, comme il est dit à l'article FERMIER, proportionnellement aux effets visibles d'agriculture, déclarés tous les ans exactement par chaque particulier. On pourroit même, quand les revenus se réduisent au produit des grains, éviter ces déclarations ; & lorsque la bonne culture y seroit entierement établie, on pourroit simplifier la forme par une imposition proportionnelle aux loyers des terres. Le laboureur, en améliorant sa culture & en augmentant ses dépenses, s'attendroit, il est vrai, à payer plus de taille, mais il seroit assûré qu'il gagneroit plus aussi, & qu'il ne seroit plus exposé à une imposition ruineuse, si la taille n'augmentoit que proportionnellement à l'accroissement de son gain.

Ainsi on pourroit dès-à-présent imposer la taille proportionnelle aux baux, dans les pays où les terres sont cultivées par des fermiers. Il ne seroit peut-être pas impossible de trouver aussi une regle à-peu-près semblable, pour les pays où les propriétaires font cultiver par des métayers ; on sait à-peu-près le produit de chaque métairie ; les frais étant déduits, on connoîtroit le revenu du propriétaire ; on y proportionneroit la taille, ayant égard à ne pas enlever le revenu même du propriétaire, mais à établir l'imposition sur la portion du métayer, proportionnellement au revenu net du maître. S'il se trouvoit dans cette imposition proportionnelle quelques irrégularités préjudiciables aux métayers, elles pourroient se réparer par les arrangemens entre ces métayers & les propriétaires : ainsi ces inconvéniens inséparables des regles générales se réduiroient à peu de chose, étant supportés par le propriétaire & le métayer. Il me paroît donc possible d'établir dès aujourd'hui pour la grande & pour la petite culture, des regles fixes & générales pour l'imposition proportionnelle de la taille.

Nous avons vû par le calcul des produits de la grande culture actuelle, que la taille imposée à une somme convenable, se trouve être à-peu-près égale à un tiers du revenu des propriétaires. Dans cette culture les terres étant presque toutes affermées, il est facile de déterminer l'imposition proportionnellement aux revenus fixés par les baux.

Mais il n'en est pas de même des terres traitées par la petite culture, qui sont rarement affermées ; car on ne peut connoître les revenus des propriétaires que par les produits. Nous avons vû par les calculs de ces produits, que dans la petite culture la taille se trouvoit aussi à-peu-près à l'égal du tiers des revenus des propriétaires ; mais ces revenus qui d'ailleurs sont tous indécis, peuvent être envisagés sous un autre aspect que celui sous lequel nous les avons considérés dans ces calculs : ainsi il faut les examiner sous cet autre aspect, afin d'éviter la confusion qui pourroit naître des différentes manieres de considérer les revenus des propriétaires qui font cultiver par des métayers, & qui avancent des frais pécuniaires, & employent une grande portion des biens fonds de chaque métairie pour la nourriture des boeufs de labour. Nous avons exposé ci-devant pour donner un exemple particulier de cette culture, l'état d'une terre qui peut rendre au propriétaire, année commune, pour 3000 livres de blé, semence prélevée. On voit le détail des différens frais compris dans les 3000 livres ; savoir 1050 liv. pour les avances pécuniaires, qui reduisent les 3000 livres à 1950 livres.

Il y a 1375 livres de revenus de prairies & friches pour la nourriture des boeufs ; ainsi les terres qui portent les moissons ne contribuent à cette somme de 1950 livres que pour 575 livres, parce que le revenu des prairies & friches fait partie de ce même revenu de 1950 livres. Si la taille étoit à l'égal du tiers de ces 1950 livres, elle monteroit à 650 livres, qui payées par cinq métayers par portion égale, seroient pour chacun 131 livres.

Ces métayers ont ensemble la moitié du grain, c'est-à-dire pour 3000 livres : ainsi la part pour chacun est 600 liv. Si chaque fermier, à raison du tiers de 1950 liv. payoit 131 liv. de taille, il ne lui resteroit pour ses frais particuliers, pour sa subsistance & l'entretien de sa famille, que 479 liv. 16 sous.

D'ailleurs nous avons averti dans le détail de l'exemple que nous rappellons ici, que le fonds de la terre est d'un bon produit, relativement à la culture faite avec les boeufs, & qu'il est d'environ un quart plus fort que les produits ordinaires de cette culture : ainsi dans le dernier cas où les frais sont les mêmes, le revenu du propriétaire ne seroit que de 1450 livres, & la part de chaque métayer 453 liv. Si la taille étoit à l'égal du tiers du revenu du propriétaire, elle monteroit à 497 livres ; ce qui seroit pour la taxe de chaque métayer 102 livres : il ne lui resteroit de son produit que 348 livres, qui ne pourroient pas suffire à ses dépenses ; il faudroit que la moitié pour le moins de la taille des cinq métayers, retombât sur le propriétaire qui est chargé des grandes dépenses de la culture, & a un revenu incertain.

Ainsi selon cette maniere d'envisager les revenus casuels des propriétaires qui partagent avec des métayers, si on imposoit la taille à l'égal du tiers de ces revenus, les propriétaires payeroient pour la taille au-moins un tiers de plus sur leurs terres, que les propriétaires dont les terres sont affermées, & dont le revenu est déterminé par le fermage sans incertitude & sans soin ; car par rapport à ceux-ci, la taille qui seroit égale au tiers de leur revenu, est en-dehors de ce même revenu, qui est reglé & assûré par le bail ; au lieu que si la taille suivoit la même proportion dans l'autre cas, la moitié au-moins retomberoit sur le revenu indécis des propriétaires. Or la culture avec des métayers est fort ingrate & fort difficile à régir pour les propriétaires, surtout pour ceux qui ne résident pas dans leurs terres, & qui payent des régisseurs ; elle se trouveroit trop surchargée par la taille, si elle étoit imposée dans la même proportion que dans la grande culture.

Mais la proportion seroit juste à l'égard de l'une & de l'autre, si la taille étoit à l'égal du tiers ou de la moitié des revenus des propriétaires dans la grande & dans la petite culture, où les terres sont affermées, & où les propriétaires ont un revenu décidé par le fermage : elle seroit juste aussi, si elle étoit environ égale au quart du revenu casuel du propriétaire qui fait valoir par le moyen de métayers, ce quart seroit à-peu-près le sixieme de la part du métayer.

Ainsi en connoissant à-peu-près le produit ordinaire d'une métairie, la taille proportionelle & fixe seroit convenablement & facilement réglée pendant le bail du métayer, au sixieme ou au cinquieme de la moitié de ce produit qui revient au métayer.

Il y a des cas où les terres sont si bonnes, que le métayer n'a pour sa part que le tiers du produit de la métairie : dans ces cas mêmes le tiers lui est aussi avantageux que la moitié du produit d'une métairie dont les terres seroient moins bonnes : ainsi la taille établie sur le même pié dans ce cas-là, ne seroit pas d'un moindre produit que dans les autres, mais elle seroit foible proportionnellement au revenu du propriétaire qui auroit pour sa part les deux tiers de la récolte ; elle pourroit alors être mise à l'égal du tiers du revenu : ainsi en taxant les métayers dans les cas où la récolte se partage par moitié, au sixieme ou au cinquieme de leur part du produit des grains de la métairie, on auroit une regle générale & bien simple pour établir une taille proportionnelle, qui augmenteroit au profit du roi à mesure que l'agriculture feroit du progrès par la liberté du commerce des grains, & par la sûreté d'une imposition déterminée.

Cette imposition reglée sur les baux dans la grande culture, se trouveroit être à-peu-près le double de celle de la petite culture ; parce que les produits de l'une sont bien plus considérables que les produits de l'autre.

Je ne sais pas si, relativement à l'état actuel de la taille, les taxes que je suppose rempliroient l'objet ; mais il seroit facile de s'y conformer, en suivant les proportions convenables. Voyez IMPOT.

Si ces regles étoient constamment & exactement observées, si le commerce des grains étoit libre, si la milice épargnoit les enfans des fermiers, si les corvées étoient abolies (c), grand nombre de propriétaires taillables refugiés dans les villes sans occupation, retourneroient dans les campagnes faire valoir paisiblement leurs biens, & participer aux profits de l'agriculture. C'est par ces habitans aisés qui quitteroient les villes avec sûreté, que la campagne se repeupleroit de cultivateurs en état de rétablir la culture des terres. Ils payeroient la taille comme les fermiers, sur les profits de la culture, proportionnellement aux revenus qu'ils retireroient de leurs terres, comme si elles étoient affermées ; & comme propriétaires taillables, ils payeroient de plus pour la taille de leur bien même, le dixieme du revenu qu'ils retireroient du fermage de leurs terres, s'ils ne les cultivoient pas eux-mêmes. L'intérêt fait chercher les établissemens honnêtes & lucratifs. Il n'y en a point où le gain soit plus certain & plus irréprochable que dans l'agriculture, si elle étoit protégée : ainsi elle seroit bien-tôt rétablie par des hommes en état d'y porter les richesses qu'elle exige. Il seroit même très-convenable pour favoriser la noblesse & l'agriculture, de permettre aux gentilshommes qui font valoir leurs biens, d'augmenter leur emploi en affermant des terres, & en payant l'imposition à raison du prix du fermage ; ils trouveroient un plus grand profit, & contribueroient beaucoup aux progrès de l'agriculture. Cette occupation est plus analogue à leur condition, que l'état de marchands débitans dans les villes, qu'on voudroit qui leur fût accordé. Ce surcroît de marchands dans les villes seroit même fort préjudiciable à l'agriculture, qui est beaucoup plus intéressante pour l'état que le trafic en détail, qui occupera toûjours un assez grand nombre d'hommes.

L'état du riche laboureur seroit considéré & protégé ; la grande agriculture seroit en vigueur dans tout le royaume ; la culture qui se fait avec les boeufs disparoîtroit presqu'entierement, parce que le profit procureroit par-tout aux propriétaires de riches fermiers en état de faire les frais d'une bonne culture ; si la petite culture se conservoit encore dans quelques pays où elle paroîtroit préférable à la grande culture, elle pourroit elle-même prendre une meilleure forme par l'attrait d'un gain qui dédommageroit amplement les propriétaires des avances qu'ils feroient : le métayer alors pourroit payer sur sa part de la récolte la même taille que le fermier ; car si un métayer avoit pour sa part 18 ou 20 boisseaux de blé par arpent de plus qu'il n'en recueille par la petite culture ordinaire, il trouveroit en payant quatre ou cinq fois plus de taille, beaucoup plus de profit qu'il n'en retire aujourd'hui. L'état de la récolte du métayer pourroit donc fournir aussi une regle sûre pour l'imposition d'une taille proportionnelle.

Voilà donc au-moins des regles simples, faciles & sûres pour garantir les laboureurs de la taxe arbitraire, pour ne pas abolir les revenus de l'état par une imposition destructive, pour ranimer la culture des terres & rétablir les forces du royaume.

L'imposition proportionnelle des autres habitans de la campagne, peut être fondée aussi sur des profits ou sur des gains connus ; mais l'objet étant beaucoup moins important, il suffit d'y apporter plus de ménagement que d'exactitude ; car l'erreur seroit de peu de conséquence pour les revenus du roi, & un effet beaucoup plus avantageux qui en résulteroit, seroit de favoriser la population.

La taille dans les villes ne peut se rapporter aux mêmes regles : c'est à ces villes elles-mêmes à en proposer qui leur conviennent. Je ne parlerai pas de la petite maxime de politique que l'on attribue au gouvernement, qui, dit-on, regarde l'imposition arbitraire comme un moyen assûré pour tenir les sujets dans la soûmission : cette conduite absurde ne peut pas être imputée à de grands ministres, qui en connoissent tous les inconvéniens & tout le ridicule. Les sujets taillables sont des hommes d'une très-médiocre fortune, qui ont plus besoin d'être encouragés que d'être humiliés ; ils sont assujettis souverainement à la puissance royale & aux lois ; s'ils ont quelque bien, ils n'en sont que plus dépendans, que

(c) Les fermiers un peu aisés font prendre à leurs enfans des professions dans les villes, pour les garantir de la milice ; & ce qu'il y a de plus desavantageux à l'agriculture, c'est que non-seulement la campagne perd les hommes destinés à être fermiers, mais aussi les richesses que leurs peres employoient à la culture de la terre. Pour arrêter ces effets destructifs, M. de la Galaisiere, intendant de Lorraine, a exempté de la milice par une ordonnance, les charretiers & fils des fermiers, à raison des charrues que leur emploi exige. Les corvées dont on charge les paysans, sont très-desavantageuses à l'état & au roi, parce qu'en réduisant les paysans à la misere, on les met dans l'impuissance de soûtenir leurs petits établissemens ; d'où résulte un grand dommage sur les produits, sur la consommation & sur les revenus : ainsi loin que ce soit une épargne pour l'état de ménager de cette maniere les frais des travaux publics, il les paye très-cher, tandis qu'ils lui coûteroient fort peu, s'il les faisoit faire à ses frais ; c'est-à-dire par de petites taxes générales dans chaque province, pour le payement des ouvriers. Toutes les provinces reconnoissent tellement les avantages des travaux qui facilitent le Commerce, qu'elles se prêtent volontiers à ces sortes de contributions, pourvû qu'elles soient employées sûrement & fidelement à leurs destinations.

plus susceptibles de crainte & de punition. L'arrogance rustique qu'on leur reproche est une forme de leur état, qui est fort indifférente au gouvernement ; elle se borne à résister à ceux qui sont à-peu-près de leur espece, qui sont encore plus arrogans, & qui veulent dominer. Cette petite imperfection ne dérange point l'ordre ; au contraire elle repousse le mépris que le petit bourgeois affecte pour l'état le plus recommandable & le plus essentiel. Quel avantage donc prétendroit-on retirer de l'imposition arbitraire de la taille, pour reprimer des hommes que le ministere a intérêt de protéger ? seroit-ce pour les exposer à l'injustice de quelques particuliers qui ne pourroient que leur nuire au préjudice du bien de l'état ?

Observations sur l'exportation des grains. L'exportation des grains, qui est une autre condition essentielle au rétablissement de l'agriculture, ne contribueroit pas à augmenter le prix des grains. On peut en juger par le prix modique qu'en retirent nos voisins qui en vendent aux étrangers ; mais elle empêcheroit les non-valeurs du blé. Ce seul effet, comme nous l'avons remarqué p. 819. éviteroit à l'agriculture plus de 150 millions de perte. Ce n'est pas l'objet de la vente en lui-même qui nous enrichiroit ; car il seroit fort borné, faute d'acheteurs. Voyez FERMIER, p. 533. VI. vol. En effet, notre exportation pourroit à peine s'étendre à deux millions de septiers.

Je ne répondrai pas à ceux qui craignent que l'exportation n'occasionne des disettes * ; puisque son effet est au contraire d'assûrer l'abondance, & que l'on a démontré que les moissons des mauvaises années surpasseroient celles que nous recueillons actuellement dans les années ordinaires : ainsi je ne parlerai pas non plus des projets chimériques de ceux qui proposent des établissemens de greniers publics pour prévenir les famines, ni des inconvéniens, ni des abus inséparables de pareilles précautions. Qu'on refléchisse seulement un peu sur ce que dit à cet égard un auteur anglois (d).

" Laissons aux autres nations l'inquiétude sur les moyens d'éviter la famine ; voyons-les éprouver la faim au milieu des projets qu'elles forment pour s'en garantir : nous avons trouvé par un moyen bien simple, le secret de joüir tranquillement & avec abondance du premier bien nécessaire à la vie ; plus heureux que nos peres, nous n'éprouvons point ces excessives & subites différences dans le prix des blés, toûjours causées plûtôt par crainte que par la réalité de la disette.... En place de vastes & nombreux greniers de ressource & de prévoyance, nous avons de vastes plaines ensemencées.

Tant que l'Angleterre n'a songé à cultiver que pour sa propre subsistance, elle s'est trouvée souvent au-dessous de ses besoins, obligée d'acheter des blés étrangers : mais depuis qu'elle s'en est fait un objet de commerce, sa culture a tellement augmenté, qu'une bonne récolte peut la nourrir cinq ans ; & elle est en état maintenant de porter les blés aux nations qui en manquent.

Si l'on parcourt quelques-unes des provinces de la France, on trouve que non-seulement plusieurs de ses terres restent en friche, qui pourroient produire des blés ou nourrir des bestiaux, mais que les terres cultivées ne rendent pas à beaucoup près à proportion de leur bonté ; parce que le laboureur manque de moyen pour les mettre en valeur.

Ce n'est pas fans une joie sensible que j'ai remarqué dans le gouvernement de France un vice dont les conséquences sont si étendues, & j'en ai félicité ma patrie ; mais je n'ai pû m'empêcher de sentir en même tems combien formidable seroit devenue cette puissance, si elle eût profité des avantages que ses possessions & ses hommes lui offroient ". O sua si bona norint ! (e)

Il n'y a donc que les nations où la culture est bornée à leur propre subsistance, qui doivent redouter les famines. Il semble au contraire que dans le cas d'un commerce libre des grains, on pourroit craindre un effet tout opposé. L'abondance des productions que procureroit en France l'agriculture portée à un haut degré, ne pourroit-elle pas les faire tomber en non-valeur ? On peut s'épargner cette inquiétude ; la position de ce royaume, ses ports, ses rivieres qui le traversent de toutes parts, réunissent tous les avantages pour le commerce ; tout favorise le transport & le débit de ses denrées. Les succès de l'agriculture y rétabliroient la population & l'aisance ; la consommation de toute espece de productions premieres ou fabriquées, qui augmenteroit avec le nombre de ses habitans, ne laisseroit que le petit superflu qu'on pourroit vendre à l'étranger. Il est vrai qu'on pourroit redouter la fertilité des colonies de l'Amérique & l'accroissement de l'agriculture dans ce nouveau monde, mais la qualité des grains en France est si supérieure à celle des grains qui naissent dans ces pays-là, & même dans les autres, que nous ne devons pas craindre l'égalité de concurrence ; ils donnent moins de farine, & elle est moins bonne ; celle des colonies qui passe les mers, se déprave facilement, & ne peut se conserver que fort peu de tems ; celle qu'on exporte de

* Voyez le traité de la police des grains, par M. Herbert.

(d) Avant. & desavant. de la Grande-Bretagne.

(e) Si, malgré des raisons si décisives, on avoit encore de l'inquiétude sur les disettes dans le cas d'exportation, il est facile de se rassûrer ; car on peut, en permettant l'exportation, permettre aussi l'importation des blés étrangers sans exiger de droits : par-là le prix du blé ne pourra pas être plus haut chez nous que chez les autres nations qui en exportent. Or on sait par une longue expérience qu'elles sont dans l'abondance, & qu'elles éprouvent rarement de cherté ; ainsi la concurrence de leurs blés dans notre pays, empêcheroit nos marchands de fermer leurs greniers dans l'espérance d'une cherté, & l'inquiétude du peuple ne feroit point augmenter le prix du blé par la crainte de la famine ; ce qui est presque toûjours l'unique cause des chertés excessives. Mais quand on le voudra, de telles causes disparoîtront à la vûe des bateaux de blés étrangers qui arriveroient à Paris. Les chertés n'arrivent toûjours que par le défaut de liberté dans le commerce du blé. Les grandes disettes réelles sont très-rares en France, & elles le sont encore plus dans les pays où la liberté du commerce du blé soûtient l'Agriculture. En 1709, la gelée fit par-tout manquer la récolte ; le septier de blé valoit en France 100 livres de notre monnoie actuelle, & on ne le vendoit en Angleterre que 43 liv. ou environ le double du prix ordinaire dans ces tems-là ; ainsi ce n'étoit pas pour la nation une grande cherté. Dans la disette de 1693 & 1694, le blé coûtoit moitié moins en Angleterre qu'en France, quoique l'exportation ne fût établie en Angleterre que depuis trois ou quatre ans : avant cette exportation, les Anglois essuyoient souvent de grandes chertés, dont nous profitions par la liberté du commerce de nos grains sous les regnes d'Henri IV. de Louis XIII. & dans les premiers tems du regne de Louis XIV. L'abondance & le bon prix entretenoit les richesses de la nation : car le prix commun du blé en France étoit souvent 25 liv. & plus de notre monnoie, ce qui formoit annuellement une richesse dans le royaume de plus de trois milliarts, qui reduits à la monnoie de ces tems-là, étoient environ 1200 millions. Cette richesse est diminuée aujourd'hui de cinq sixiemes. L'exportation ne doit pas cependant être illimitée ; il faut qu'elle soit, comme en Angleterre, interdite, lorsque le blé passe un prix marqué par la loi. L'Angleterre vient d'essuyer une cherté, parce que le marchand est contrevenu à cette regle par des abus & des monopoles que le gouvernement a tolérés, & qui ont toûjours de funestes effets dans un état qui a recours à des ressources si odieuses ; ainsi la nation a éprouvé une cherté dont l'exportation même l'avoit préservée depuis plus de soixante ans. En France, les famines sont fréquentes, parce que l'exportation du blé y étoit souvent défendue ; & que l'abondance est autant desavantageuse aux fermiers, que les disettes sont funestes aux peuples. Le prétexte de remédier aux famines dans un royaume, en interceptant le commerce des grains entre les provinces, donne encore lieu à des abus qui augmentent la misere, qui détruisent l'Agriculture, & qui anéantissent les revenus du royaume.

France est préférée, parce qu'elle est plus profitable, qu'elle fait de meilleur pain, & qu'on peut la garder long-tems. Ainsi nos blés & nos farines seront toûjours mieux vendus à l'étranger. Mais une autre raison qui doit tranquilliser, c'est que l'agriculture ne peut pas augmenter dans les colonies, sans que la population & la consommation des grains n'y augmente à proportion ; ainsi leur superflu n'y augmentera pas en raison de l'accroissement de l'agriculture.

Le défaut de débit & la non-valeur de nos denrées qui ruinent nos provinces, ne sont que l'effet de la misere du peuple & des empêchemens qu'on oppose au commerce de nos productions. On voit tranquillement dans plusieurs provinces les denrées sans débit & sans valeur ; on attribue ces desavantages à l'absence des riches, qui ont abandonné les provinces pour se retirer à la cour & dans les grandes villes ; on souhaiteroit seulement que les évêques, les gouverneurs des provinces, & tous ceux qui par leur état devroient y résider, y consommassent effectivement leurs revenus ; mais ces idées sont trop bornées ; ne voit-on pas que ce ne seroit pas augmenter la consommation dans le royaume, que ce ne seroit que la transporter des endroits où elle se fait avec profusion, dans d'autres où elle se feroit avec économie ? Ainsi cet expédient, loin d'augmenter la consommation dans le royaume, la diminueroit encore. Il faut procurer par-tout le débit par l'exportation & la consommation intérieure, qui avec la vente à l'étranger soûtient le prix des denrées. Mais on ne peut attendre ces avantages que du commerce général des grains, de la population, & de l'aisance des habitans qui procureroient toûjours un débit & une consommation nécessaire pour soûtenir le prix des denrées.

Pour mieux comprendre les avantages du commerce des grains avec l'étranger, il est nécessaire de faire quelques observations fondamentales sur le commerce en général, & principalement sur le commerce des marchandises de main-d'oeuvre, & sur le commerce des denrées du crû ; car pour le commerce de trafic qui ne consiste qu'à acheter pour revendre, ce n'est que l'emploi de quelques petits états qui n'ont pas d'autres ressources que celle d'être marchands. Et cette sorte de commerce avec les étrangers ne mérite aucune attention dans un grand royaume ; ainsi nous nous bornerons à comparer les avantages des deux autres genres de commerce, pour connoître celui qui nous intéresse le plus.

Maximes de Gouvernement économique.

I. Les travaux d'industrie ne multiplient pas les richesses. Les travaux de l'agriculture dédommagent des frais, payent la main-d'oeuvre de la culture, procurent des gains aux laboureurs : & de plus ils produisent les revenus des biens-fonds. Ceux qui achetent les ouvrages d'industrie, payent les frais, la main-d'oeuvre, & le gain des marchands ; mais ces ouvrages ne produisent aucun revenu au-delà.

Ainsi toutes les dépenses d'ouvrages d'industrie ne se tirent que du revenu des biens-fonds ; car les travaux qui ne produisent point de revenus ne peuvent exister que par les richesses de ceux qui les payent.

Comparez le gain des ouvriers qui fabriquent les ouvrages d'industrie, à celui des ouvriers que le laboureur employe à la culture de la terre, vous trouverez que le gain de part & d'autre se borne à la subsistance de ces ouvriers ; que ce gain n'est pas une augmentation de richesses ; & que la valeur des ouvrages d'industrie est proportionnée à la valeur même de la subsistance que les ouvriers & les marchands consomment. Ainsi l'artisan détruit autant en subsistance, qu'il produit par son travail.

Il n'y a donc pas multiplication de richesses dans la production des ouvrages d'industrie, puisque la valeur de ces ouvrages n'augmente que du prix de la subsistance que les ouvriers consomment. Les grosses fortunes de marchands ne doivent point être vûes autrement ; elles sont les effets de grandes entreprises de commerce, qui réunissent ensemble des gains semblables à ceux des petits marchands ; de même que les entreprises de grands travaux forment de grandes fortunes par les petits profits que l'on retire du travail d'un grand nombre d'ouvriers. Tous ces entrepreneurs ne font des fortunes que parce que d'autres font des dépenses. Ainsi il n'y a pas d'accroissement de richesses.

C'est la source de la subsistance des hommes, qui est le principe des richesses. C'est l'industrie qui les prépare pour l'usage des hommes. Les propriétaires, pour en joüir, payent les travaux d'industrie ; & par-là leurs revenus deviennent communs à tous les hommes.

Les hommes se multiplient donc à proportion des revenus des biens-fonds. Les uns font naître ces richesses par la culture ; les autres les préparent pour la joüissance ; ceux qui en joüissent payent les uns & les autres.

Il faut donc des biens-fonds, des hommes & des richesses pour avoir des richesses & des hommes. Ainsi un état qui ne seroit peuplé que de marchands & d'artisans, ne pourroit subsister que par les revenus des biens-fonds des étrangers.

II. Les travaux d'industrie contribuent à la population & à l'accroissement des richesses. Si une nation gagne avec l'étranger par sa main-d'oeuvre un million sur les marchandises fabriquées chez elle, & si elle vend aussi à l'étranger pour un million de denrées de son crû, l'un & l'autre de ces produits sont également pour elle un surcroît de richesses, & lui sont également avantageux, pourvû qu'elle ait plus d'hommes que le revenu du sol du royaume n'en peut entretenir ; car alors une partie de ces hommes ne peuvent subsister que par des marchandises de main-d'oeuvre qu'elle vend à l'étranger.

Dans ce cas une nation tire du sol & des hommes tout le produit qu'elle en peut tirer ; mais elle gagne beaucoup plus sur la vente d'un million de marchandises de son crû, que sur la vente d'un million de marchandises de main-d'oeuvre, parce qu'elle ne gagne sur celle-ci que le prix du travail de l'artisan, & qu'elle gagne sur les autres le prix du travail de la culture & le prix des matieres produites par le sol. Ainsi dans l'égalité des sommes tirées de la vente de ces différentes marchandises, le commerce du crû est toûjours par proportion beaucoup plus avantageux.

III. Les travaux d'industrie qui occupent les hommes au préjudice de la culture des biens-fonds, nuisent à la population & à l'accroissement des richesses. Si une nation qui vend à l'étranger pour un million de marchandises de main-d'oeuvre, & pour un million de marchandises de son crû, n'a pas assez d'hommes occupés à faire valoir les biens-fonds, elle perd beaucoup sur l'emploi des hommes attachés à la fabrication des marchandises de main-d'oeuvre qu'elle vend à l'étranger ; parce que les hommes ne peuvent alors se livrer à ce travail, qu'au préjudice du revenu du sol, & que le produit du travail des hommes qui cultivent la terre, peut être le double & le triple de celui de la fabrication des marchandises de main-d'oeuvre.

IV. Les richesses des cultivateurs font naître les richesses de la culture. Le produit du travail de la culture peut être nul ou presque nul pour l'état, quand le cultivateur ne peut pas faire les frais d'une bonne culture. Un homme pauvre qui ne tire de la terre par son travail que des denrées de peu de valeur, comme des pommes de terre, du blé noir, des châtaignes, &c. qui s'en nourrit, qui n'achete rien & ne vend rien, ne travaille que pour lui seul : il vit dans la misere ; lui, & la terre qu'il cultive, ne rapportent rien à l'état.

Tel est l'effet de l'indigence dans les provinces où il n'y a pas de laboureurs en état d'employer les paysans, & où ces paysans trop pauvres ne peuvent se procurer par eux-mêmes que de mauvais alimens & de mauvais vêtemens.

Ainsi l'emploi des hommes à la culture peut être infructueux dans un royaume où ils n'ont pas les richesses nécessaires pour préparer la terre à porter de riches moissons. Mais les revenus des biens-fonds sont toûjours assûrés dans un royaume bien peuplé de riches laboureurs.

V. Les travaux de l'industrie contribuent à l'augmentation des revenus des biens-fonds, & les revenus des biens-fonds soûtiennent les travaux d'industrie. Une nation qui, par la fertilité de son sol, & par la difficulté des transports, auroit annuellement une surabondance de denrées qu'elle ne pourroit vendre à ses voisins, & qui pourroit leur vendre des marchandises de main-d'oeuvre faciles à transporter, auroit intérêt d'attirer chez elle beaucoup de fabriquans & d'artisans qui consommeroient les denrées du pays, qui vendroient leurs ouvrages à l'étranger, & qui augmenteroient les richesses de la nation par leurs gains & par leur consommation.

Mais alors cet arrangement n'est pas facile ; parce que les fabriquans & artisans ne se rassemblent dans un pays qu'à proportion des revenus actuels de la nation ; c'est-à-dire à proportion qu'il y a des propriétaires ou des marchands qui peuvent acheter leurs ouvrages à-peu-près aussi cher qu'ils les vendroient ailleurs, & qui leur en procureroient le débit à mesure qu'ils les fabriqueroient ; ce qui n'est guere possible chez une nation qui n'a pas elle-même le débit de ses denrées, & où la non-valeur de ces mêmes denrées ne produit pas actuellement assez de revenu pour établir des manufactures & des travaux de main-d'oeuvre.

Un tel projet ne peut s'exécuter que fort lentement. Plusieurs nations qui l'ont tenté ont même éprouvé l'impossibilité d'y réussir.

C'est le seul cas cependant où le gouvernement pourroit s'occuper utilement des progrès de l'industrie dans un royaume fertile.

Car lorsque le commerce du crû est facile & libre, les travaux de main-d'oeuvre sont toûjours assûrés infailliblement par les revenus des biens-fonds.

VI. Une nation qui a un grand commerce de denrées de son crû, peut toujours entretenir, du-moins pour elle, un grand commerce de marchandises de main-d'oeuvre. Car elle peut toûjours payer à proportion des revenus de ses biens-fonds les ouvriers qui fabriquent les ouvrages de main-d'oeuvre, dont elle a besoin.

Ainsi le commerce d'ouvrages d'industrie appartient aussi sûrement à cette nation, que le commerce des denrées de son crû.

VII. Une nation qui a peu de commerce de denrées de son crû, & qui est réduite pour subsister à un commerce d'industrie, est dans un état précaire & incertain. Car son commerce peut lui être enlevé par d'autres nations rivales qui se livreroient avec plus de succès à ce même commerce.

D'ailleurs cette nation est toûjours tributaire & dépendante de celles qui vendent les matieres de premier besoin. Elle est réduite à une économie rigoureuse, parce qu'elle n'a point de revenu à dépenser ; & qu'elle ne peut étendre & soûtenir son trafic, son industrie & sa navigation, que par l'épargne ; au lieu que celles qui ont des biens-fonds, augmentent leurs revenus par leur consommation.

VIII. Un grand commerce intérieur de marchandises de main-d'oeuvre ne peut subsister que par les revenus des biens-fonds. Il faut examiner dans un royaume la proportion du commerce extérieur & du commerce intérieur d'ouvrages d'industrie ; car si le commerce intérieur de marchandises de main-d'oeuvre étoit, par exemple, de trois millions, & le commerce extérieur d'un million, les trois quarts de tout ce commerce de marchandises de main-d'oeuvre seroient payées par les revenus des biens-fonds de la nation, puisque l'étranger n'en payeroit qu'un quart.

Dans ce cas, les revenus des biens-fonds seroient la principale richesse du royaume. Alors le principal objet du gouvernement seroit de veiller à l'entretien & à l'accroissement des revenus des biens-fonds.

Les moyens consistent dans la liberté du commerce & dans la conservation des richesses des cultivateurs. Sans ces conditions, les revenus, la population, & les produits de l'industrie s'anéantissent.

L'agriculture produit deux sortes de richesses : savoir le produit annuel des revenus des propriétaires, & la restitution des frais de la culture.

Les revenus doivent être dépensés pour être distribués annuellement à tous les citoyens, & pour subvenir aux subsides de l'état.

Les richesses employées aux frais de la culture, doivent être reservées aux cultivateurs, & être exemptes de toutes impositions ; car si on les enleve, on détruit l'agriculture, on supprime les gains des habitans de la campagne, & on arrête la source des revenus de l'état.

IX. Une nation qui a un grand territoire, & qui fait baisser le prix des denrées de son crû pour favoriser la fabrication des ouvrages de main-d'oeuvre, se détruit de toutes parts. Car si le cultivateur n'est pas dédommagé des grands frais que la culture exige, & s'il ne gagne pas, l'agriculture périt ; la nation perd les revenus de ses biens-fonds ; les travaux des ouvrages de main-d'oeuvre diminuent, parce que ces travaux ne peuvent plus être payés par les propriétaires des biens-fonds ; le pays se dépeuple par la misere & par la desertion des fabriquans, artisans, manouvriers & paysans, qui ne peuvent subsister qu'à proportion des gains que leur procurent les revenus de la nation.

Alors les forces du royaume se détruisent ; les richesses s'anéantissent, les impositions surchargent les peuples, & les revenus du souverain diminuent.

Ainsi une conduite aussi mal entendue suffiroit seule pour ruiner un état.

X. Les avantages du commerce extérieur ne consistent pas dans l'accroissement des richesses pécuniaires. Le surcroît de richesses que procure le commerce extérieur d'une nation, peut n'être pas un surcroît de richesses pécuniaires, parce que le commerce extérieur peut se faire avec l'étranger par échange d'autres marchandises qui se consomment par cette nation. Mais ce n'est pas moins pour cette même nation une richesse dont elle joüit, & qu'elle pourroit par économie convertir en richesses pécuniaires pour d'autres usages.

D'ailleurs les denrées envisagées comme marchandises, sont tout ensemble richesses pécuniaires & richesses réelles. Un laboureur qui vend son blé à un marchand, est payé en argent ; il paye avec cet argent le propriétaire, la taille, ses domestiques, ses ouvriers, & achete les marchandises dont il a besoin. Le marchand qui vend le blé à l'étranger, & qui achete de lui une autre marchandise, ou qui commerce avec lui par échange, revend à son retour la marchandise qu'il a rapportée, & avec l'argent qu'il reçoit, il rachette du blé. Le blé envisagé comme marchandise, est donc une richesse pécuniaire pour les vendeurs, & une richesse réelle pour les acheteurs.

Ainsi les denrées qui peuvent se vendre, doivent toûjours être regardées indifféremment dans un état comme richesses pécuniaires & comme richesses réelles, dont les sujets peuvent user comme il leur convient.

Les richesses d'une nation ne se reglent pas par la masse des richesses pécuniaires. Celles-ci peuvent augmenter ou diminuer sans qu'on s'en apperçoive ; car elles sont toûjours effectives dans un état par leur quantité, ou par la célérité de leur circulation, à raison de l'abondance & de la valeur des denrées. L'Espagne qui joüit des thrésors du Pérou, est toûjours épuisée par ses besoins. L'Angleterre soûtient son opulence par ses richesses réelles ; le papier qui y représente l'argent a une valeur assûrée par le commerce & par les revenus des biens de la nation.

Ce n'est donc pas le plus ou le moins de richesses pécuniaires qui décide des richesses d'un état ; & les défenses de sortir de l'argent d'un royaume au préjudice d'un commerce profitable, ne peuvent être fondées que sur quelque préjugé desavantageux.

Il faut pour le soûtien d'un état de véritables richesses, c'est-à-dire des richesses toûjours renaissantes, toûjours recherchées & toûjours payées, pour en avoir la joüissance, pour se procurer des commodités, & pour satisfaire aux besoins de la vie.

XI. On ne peut connoître par l'état de la balance du commerce entre diverses nations, l'avantage du commerce & l'état des richesses de chaque nation. Car des nations peuvent être plus riches en hommes & en biens-fonds que les autres ; & celles-ci peuvent avoir moins de commerce intérieur, faire moins de consommation, & avoir plus de commerce extérieur que celles-là.

D'ailleurs quelques-unes de ces nations peuvent avoir plus de commerce de trafic que les autres. Le commerce qui leur rend le prix de l'achat des marchandises qu'elles revendent, forme un plus gros objet dans la balance, sans que le fond de ce commerce leur soit aussi avantageux que celui d'un moindre commerce des autres nations, qui vendent à l'étranger leurs propres productions.

Le commerce des marchandises de main-d'oeuvre en impose aussi, parce qu'on confond dans le produit le prix des matieres premieres, qui doit être distingué de celui du travail de fabrication.

XII. C'est par le commerce intérieur & par le commerce extérieur, & sur-tout par l'état du commerce intérieur, qu'on peut juger de la richesse d'une nation. Car si elle fait une grande consommation de ses denrées à haut prix, ses richesses seront proportionnées à l'abondance & au prix des denrées qu'elle consomme ; parce que ces mêmes denrées sont réellement des richesses en raison de leur abondance & de leur cherté ; & elles peuvent par la vente qu'on en pourroit faire, être susceptibles de tout autre emploi dans les besoins extraordinaires. Il suffit d'en avoir le fond en richesses réelles.

XIII. Une nation ne doit point envier le commerce de ses voisins quand elle tire de son sol, de ses hommes, & de sa navigation, le meilleur produit possible. Car elle ne pourroit rien entreprendre par mauvaise intention contre le commerce de ses voisins, sans déranger son état, & sans se nuire à elle-même ; sur-tout dans le commerce réciproque qu'elle a établi avec eux.

Ainsi les nations commerçantes rivales, & même ennemies, doivent être plus attentives à maintenir ou à étendre, s'il est possible, leur propre commerce, qu'à chercher à nuire directement à celui des autres. Elles doivent même le favoriser, parce que le commerce réciproque des nations se soûtient mutuellement par les richesses des vendeurs & des acheteurs.

XIV. Dans le commerce réciproque, les nations qui vendent les marchandises les plus nécessaires ou les plus utiles, ont l'avantage sur celles qui vendent les marchandises de luxe. Une nation qui est assûrée par ses biens-fonds d'un commerce de denrées de son crû, & par conséquent aussi d'un commerce intérieur de marchandises de main-d'oeuvre, est indépendante des autres nations. Elle ne commerce avec celles-ci que pour entretenir, faciliter, & étendre son commerce extérieur ; & elle doit, autant qu'il est possible, pour conserver son indépendance & son avantage dans le commerce réciproque, ne tirer d'elles que des marchandises de luxe, & leur vendre des marchandises nécessaires aux besoins de la vie.

Elles croiront que par la valeur réelle de ces différentes marchandises, ce commerce réciproque leur est plus favorable. Mais l'avantage est toûjours pour la nation qui vend les marchandises les plus utiles & les plus nécessaires.

Car alors son commerce est établi sur le besoin des autres ; elle ne leur vend que son superflu, & ses achats ne portent que sur son opulence. Ceux-là ont plus d'intérêt de lui vendre, qu'elle n'a besoin d'acheter ; & elle peut plus facilement se retrancher sur le luxe, que les autres ne peuvent épargner sur le nécessaire.

Il faut même remarquer que les états qui se livrent aux manufactures de luxe, éprouvent des vicissitudes fâcheuses. Car lorsque les tems sont malheureux, le commerce de luxe languit, & les ouvriers se trouvent sans pain & sans emploi.

La France pourroit, le commerce étant libre, produire abondamment les denrées de premier besoin, qui pourroient suffire à une grande consommation & à un grand commerce extérieur, & qui pourroient soûtenir dans le royaume un grand commerce d'ouvrages de main-d'oeuvre.

Mais l'état de sa population ne lui permet pas d'employer beaucoup d'hommes aux ouvrages de luxe ; & elle a même intérêt pour faciliter le commerce extérieur des marchandises de son crû, d'entretenir par l'achat des marchandises de luxe, un commerce réciproque avec l'étranger.

D'ailleurs elle ne doit pas prétendre pleinement à un commerce général. Elle doit en sacrifier quelques branches les moins importantes à l'avantage des autres parties qui lui sont les plus profitables, & qui augmenteroient & assûreroient les revenus des biens-fonds du royaume.

Cependant tout commerce doit être libre, parce qu'il est de l'intérêt des marchands de s'attacher aux branches de commerce extérieur les plus sûres & les plus profitables.

Il suffit au gouvernement de veiller à l'accroissement des revenus des biens du royaume, de ne point gêner l'industrie, de laisser aux citoyens la facilité & le choix des dépenses.

De ranimer l'agriculture par l'activité du commerce dans les provinces où les denrées sont tombées en non-valeur.

De supprimer les prohibitions & les empêchemens préjudiciables au commerce intérieur & au commerce réciproque extérieur.

D'abolir ou de modérer les droits excessifs de riviere & de péage, qui détruisent les revenus des provinces éloignées, où les denrées ne peuvent être commerçables que par de longs transports ; ceux à qui ces droits appartiennent, seront suffisamment dédommagés par leur part de l'accroissement général des revenus des biens du royaume.

Il n'est pas moins nécessaire d'éteindre les priviléges surpris par des provinces, par des villes, par des communautés, pour leurs avantages particuliers.

Il est important aussi de faciliter par-tout les communications & les transports des marchandises par les réparations des chemins & la navigation des rivieres (f).

Il est encore essentiel de ne pas assujettir le commerce des denrées des provinces à des défenses & à des permissions passageres & arbitraires, qui ruinent les campagnes sous le prétexte captieux d'assûrer l'abondance dans les villes. Les villes subsistent par les dépenses des propriétaires qui les habitent ; ainsi en détruisant les revenus des biens-fonds, ce n'est ni favoriser les villes, ni procurer le bien de l'état.

Le gouvernement des revenus de la nation ne doit pas être abandonné à la discrétion ou à l'autorité de l'administration subalterne & particuliere.

On ne doit point borner l'exportation des grains à des provinces particulieres, parce qu'elles s'épuisent avant que les autres provinces puissent les regarnir ; & les habitans peuvent être exposés pendant quelques mois à une disette que l'on attribue avec raison à l'exportation.

Mais quand la liberté d'exporter est générale, la levée des grains n'est pas sensible ; parce que les marchands tirent de toutes les parties du royaume, & sur-tout des provinces où les grains sont à bas prix.

Alors il n'y a plus de provinces où les denrées soient en non-valeur. L'agriculture se ranime partout à proportion du débit.

Les progrès du commerce & de l'agriculture marchent ensemble ; & l'exportation n'enleve jamais qu'un superflu qui n'existeroit pas sans elle, & qui entretient toûjours l'abondance & augmente les revenus du royaume.

Cet accroissement de revenus augmente la population & la consommation, parce que les dépenses augmentent & procurent des gains qui attirent les hommes.

Par ces progrès un royaume peut parvenir en peu de tems à un haut degré de force & de prospérité. Ainsi par des moyens bien simples, un souverain peut faire dans ses propres états des conquêtes bien plus avantageuses que celles qu'il entreprendroit sur ses voisins. Les progrès sont rapides ; sous Henri IV. le royaume épuisé, chargé de dettes, devint bientôt un pays d'abondance & de richesses. Voyez IMPOT.

Observations sur la nécessité des richesses pour la culture des grains. Il ne faut jamais oublier que cet état de prospérité auquel nous pouvons prétendre, seroit bien moins le fruit des travaux du laboureur, que le produit des richesses qu'il pourroit employer à la culture des terres. Ce sont les fumiers qui procurent de riches moissons ; ce sont les bestiaux qui produisent les fumiers ; c'est l'argent qui donne les bestiaux, & qui fournit les hommes pour les gouverner. On a vû par les détails précédens, que les frais de trente millions d'arpens de terre traités par la petite culture, ne sont que de 285 millions ; & que ceux que l'on feroit pour 30 millions d'arpens bien traités par la grande culture, seroient de 710 millions ; mais dans le premier cas le produit n'est que de 390 millions : & dans le second il seroit de 1, 378, 000 000. De plus grands frais produiroient encore de plus grands profits ; la dépense & les hommes qu'exige de plus la bonne culture pour l'achat & le gouvernement des bestiaux, procurent de leur côté un produit qui n'est guere moins considérable que celui des récoltes.

La mauvaise culture exige cependant beaucoup de travail ; mais le cultivateur ne pouvant faire les dépenses nécessaires, ses travaux sont infructueux ; il succombe : & les bourgeois imbécilles attribuent ses mauvais succès à la paresse. Ils croyent sans-doute qu'il suffit de labourer, de tourmenter la terre pour la forcer à porter de bonnes récoltes ; on s'applaudit lorsqu'on dit à un homme pauvre qui n'est pas occupé, va labourer la terre. Ce sont les chevaux, les boeufs, & non les hommes, qui doivent labourer la terre. Ce sont les troupeaux qui doivent la fertiliser ; sans ces secours elle récompense peu les travaux des cultivateurs. Ne sait-on pas d'ailleurs qu'elle ne fait point les avances, qu'elle fait au contraire attendre long-tems la moisson ? Quel pourroit donc être le sort de cet homme indigent à qui l'on dit va labourer la terre ? Peut-il cultiver pour son propre compte ? trouvera-t-il de l'ouvrage chez les fermiers s'ils sont pauvres ? Ceux-ci dans l'impuissance de faire les frais d'une bonne culture, hors d'état de payer le salaire des domestiques & des ouvriers, ne peuvent occuper les paysans. La terre sans engrais & presqu'inculte ne peut que laisser languir les uns & les autres dans la misere.

Il faut encore observer que tous les habitans du royaume doivent profiter des avantages de la bonne culture, pour qu'elle puisse se soûtenir & produire de grands revenus au souverain. C'est en augmentant les revenus des propriétaires & les profits des fermiers, qu'elle procure des gains à tous les autres états, & qu'elle entretient une consommation & des dépenses qui la soûtiennent elle-même. Mais si les impositions du souverain sont établies sur les cultivateur même, si elles enlevent ses profits, la culture dépérit, les revenus des propriétaires diminuent ; d'où résulte une épargne inévitable qui influe sur les stipendiés, les marchands, les ouvriers, les domestiques : le système général des dépenses, des travaux, des gains, & de la consommation, est dérangé ; l'état s'affoiblit ; l'imposition devient de plus en plus destructive. Un royaume ne peut donc être florissant & formidable que par les productions qui se renouvellent ou qui renaissent continuellement de la richesse même d'un peuple nombreux & actif, dont l'industrie est soûtenue & animée par le gouvernement.

On s'est imaginé que le trouble que peut causer le gouvernement dans la fortune des particuliers, est

(f) Les chemins ruraux ou de communication avec les grandes routes, les villes & les marchés, manquent ou sont mauvais presque par-tout dans les provinces, ce qui est un grand obstacle à l'activité du Commerce. Cependant il semble qu'on pourroit y remédier en peu d'années ; les propriétaires sont trop intéressés à la vente des denrées que produisent leurs biens, pour qu'ils ne voulussent pas contribuer aux dépenses de la réparation de ces chemins. On pourroit donc les imposer pour une petite taxe réglée au sou la livre de la taille de leurs fermiers, & dont les fermiers & les paysans sans bien seroient exempts. Les chemins à réparer seroient décidés par MM. les intendans dans chaque district, après avoir consulté les habitans, qui ensuite les feroient exécuter par des entrepreneurs. On répareroit d'abord les endroits les plus impraticables, & on perfectionneroit successivement les chemins ; les fermiers & paysans seroient ensuite chargés de les entretenir. On pourroit faire avec les provinces de pareils arrangemens pour les rivieres qui peuvent être rendues navigables. Il y a des provinces qui ont si-bien reconnu l'utilité de ces travaux, qu'elles ont demandé elles-mêmes à être autorisées à en faire les dépenses ; mais les besoins de l'état ont quelquefois enlevé les fonds que l'on y avoit destinés : ces mauvais succès ont étouffé des dispositions si avantageuses au bien de l'état.

indifférent à l'état ; parce que, dit-on, si les uns deviennent riches aux dépens des autres, la richesse existe également dans le royaume. Cette idée est fausse & absurde ; car les richesses d'un état ne se soûtiennent pas par elles-mêmes, elle ne se conservent & s'augmentent qu'autant qu'elles se renouvellent par leur emploi dirigé avec intelligence. Si le cultivateur est ruiné par le financier, les revenus du royaume sont anéantis, le commerce & l'industrie languissent ; l'ouvrier manque de travail ; le souverain, les propriétaires, le clergé, sont privés des revenus ; les dépenses & les gains sont abolis ; les richesses renfermées dans les coffres du financier, sont infructueuses, ou si elles sont placées à intérêt, elles surchargent l'état. Il faut donc que le gouvernement soit très attentif à conserver à toutes les professions productrices, les richesses qui leur sont nécessaires pour la production & l'accroissement des richesses du royaume.

Observations sur la population soûtenue par la culture des grains. Enfin on doit reconnoître que les productions de la terre ne sont point des richesses par elles-mêmes ; qu'elles ne sont des richesses qu'autant qu'elles sont nécessaires aux hommes, & qu'autant qu'elles sont commerçables : elles ne sont donc des richesses qu'à proportion de leur consommation & de la quantité des hommes qui en ont besoin. Chaque homme qui vit en société n'étend pas son travail à tous ses besoins ; mais par la vente de ce que produit son travail, il se procure ce qui lui manque. Ainsi tout devient commerçable, tout devient richesse par un trafic mutuel entre les hommes. Si le nombre des hommes diminue d'un tiers dans un état, les richesses doivent y diminuer des deux tiers, parce que la dépense & le produit de chaque homme forment une double richesse dans la société. Il y avoit environ 24 millions d'hommes dans le royaume il y a cent ans : après des guerres presque continuelles pendant quarante ans, & après la révocation de l'édit de Nantes, il s'en est trouvé encore par le dénombrement de 1700, dix-neuf millions cinq cent mille ; mais la guerre ruineuse de la succession à la couronne d'Espagne, la diminution des revenus du royaume, causée par la gêne du Commerce & par les impositions arbitraires, la misere des campagnes, la desertion hors du royaume, l'affluence de domestiques que la pauvreté & la milice obligent de se retirer dans les grandes villes où la débauche leur tient lieu de mariage ; les desordres du luxe, dont on se dédommage malheureusement par une économie sur la propagation ; toutes ces causes n'autorisent que trop l'opinion de ceux qui réduisent aujourd'hui le nombre d'hommes du royaume à seize millions ; & il y en a un grand nombre à la campagne réduits à se procurer leur nourriture par la culture du blé noir ou d'autres grains de vil prix ; ainsi ils sont aussi peu utiles à l'état par leur travail que par leur consommation. Le paysan n'est utile dans la campagne qu'autant qu'il produit & qu'il gagne par son travail, & qu'autant que sa consommation en bons alimens & en bons vêtemens contribue à soûtenir le prix des denrées & le revenu des biens, à augmenter & à faire gagner les fabriquans & les artisans, qui tous peuvent payer au roi des subsides à proportion des produits & des gains.

Ainsi on doit appercevoir que si la misere augmentoit, ou que si le royaume perdoit encore quelques millions d'hommes, les richesses actuelles y diminueroient excessivement, & d'autres nations tireroient un double avantage de ce desastre : mais si la population se réduisoit à moitié de ce qu'elle doit être, c'est-à-dire de ce qu'elle étoit il y a cent ans, le royaume seroit dévasté ; il n'y auroit que quelques villes ou quelques provinces commerçantes qui seroient habitées, le reste du royaume seroit inculte ; les biens ne produiroient plus de revenus ; les terres seroient par-tout surabondantes & abandonnées à qui voudroit en joüir, sans payer ni connoître de propriétaires.

Les terres, je le répete, ne sont des richesses que parce que leurs productions sont nécessaires pour satisfaire aux besoins des hommes, & que ce sont ces besoins eux-mêmes qui établissent les richesses : ainsi plus il y a d'hommes dans un royaume dont le territoire est fort étendu & fertile, plus il y a de richesses. C'est la culture animée par le besoin des hommes, qui en est la source la plus féconde, & le principal soûtien de la population ; elle fournit les matieres nécessaires à nos besoins, & procure des revenus au souverain & aux propriétaires. La population s'accroît beaucoup plus par les revenus & par les dépenses que par la propagation de la nation même.

Observations sur le prix des grains. Les revenus multiplient les dépenses, & les dépenses attirent les hommes qui cherchent le gain ; les étrangers quittent leur patrie pour venir participer à l'aisance d'une nation opulente, & leur affluence augmente encore ses richesses, en soûtenant par la consommation le bon prix des productions de l'agriculture, & en provoquant par le bon prix l'abondance de ces productions : car non-seulement le bon prix favorise les progrès de l'agriculture, mais c'est dans le bon prix même que consistent les richesses qu'elle procure. La valeur d'un septier de blé considéré comme richesse, ne consiste que dans son prix : ainsi plus le blé, le vin, les laines, les bestiaux, sont chers & abondans, plus il y a de richesse dans l'état. La non-valeur avec l'abondance n'est point richesse. La cherté avec pénurie est misere. L'abondance avec cherté est opulence. J'entends une cherté & une abondance permanentes ; car une cherté passagere ne procureroit pas une distribution générale de richesses à toute la nation, elle n'augmenteroit pas les revenus des propriétaires ni les revenus du Roi ; elle ne seroit avantageuse qu'à quelques particuliers qui auroient alors des denrées à vendre à haut prix.

Les denrées ne peuvent donc être des richesses pour toute nation, que par l'abondance & par le bon prix entretenu constamment par une bonne culture, par une grande consommation, & par un commerce extérieur : on doit même reconnoître que relativement à toute une nation, l'abondance & un bon prix qui a cours chez l'étranger, est grande richesse pour cette nation, sur-tout si cette richesse consiste dans les productions de l'agriculture ; car c'est une richesse en propriété bornée dans chaque royaume au territoire qui peut la produire : ainsi elle est toûjours par son abondance & par sa cherté à l'avantage de la nation qui en a le plus & qui en vend aux autres : car plus un royaume peut se procurer de richesses en argent, plus il est puissant, & plus les facultés des particuliers sont étendues, parce que l'argent est la seule richesse qui puisse se prêter à tous les usages, & décider de la force des nations relativement les unes aux autres.

Les nations sont pauvres par-tout où les productions du pays les plus nécessaires à la vie, sont à bas prix ; ces productions sont les biens les plus précieux & les plus commerçables, elles ne peuvent tomber en non-valeur que par le défaut de population & de commerce extérieur. Dans ces cas, la source des richesses pécuniaires se perd dans des pays privés des avantages du Commerce, où les hommes réduits rigoureusement aux biens nécessaires pour exister, ne peuvent se procurer ceux qu'il leur faut pour satisfaire aux autres besoins de la vie & à la sûreté de leur patrie : telles sont nos provinces où les denrées sont à vil prix, ces pays d'abondance & de pauvreté, où un travail forcé & une épargne outrée ne sont pas même des ressources pour se procurer de l'argent. Quand les denrées sont cheres, & quand les revenus & les gains augmentent à proportion, on peut par des arrangemens économiques, diversifier les dépenses, payer des dettes, faire des acquisitions, établir des enfans, &c. C'est dans la possibilité de ces arrangemens que consiste l'aisance qui résulte du bon prix des denrées. C'est pourquoi les villes & les provinces d'un royaume où les denrées sont cheres, sont plus habitées que celles où toutes les denrées sont à trop bas prix, parce que ce bas prix éteint les revenus, retranche les dépenses, détruit le Commerce, supprime les gains de toutes les autres professions, les travaux & les salaires des artisans & manouvriers : de plus il anéantit les revenus du Roi, parce que la plus grande partie du Commerce pour la consommation se fait par échange de denrées, & ne contribue point à la circulation de l'argent ; ce qui ne procure point de droits au roi sur la consommation des subsistances de ces provinces, & très-peu sur les revenus des biens.

Quand le Commerce est libre, la cherté des denrées a nécessairement ses bornes fixées par les prix mêmes des denrées des autres nations qui étendent leur commerce par-tout. Il n'en est pas de même de la non-valeur ou de la cherté des denrées causées par le défaut de liberté du Commerce ; elles se succedent tour à tour & irrégulierement, elles sont l'une & l'autre fort desavantageuses, & dépendent presque toûjours d'un vice du gouvernement.

Le bon prix ordinaire du blé qui procure de si grands revenus à l'état, n'est point préjudiciable au bas peuple. Un homme consomme trois septiers de blé : si à cause du bon prix il achetoit chaque septier quatre livres plus cher, ce prix augmenteroit au plus sa dépense d'un sou par jour, son salaire augmenteroit aussi à proportion, & cette augmentation seroit peu de chose pour ceux qui la payeroient, en comparaison des richesses qui résulteroient du bon prix du blé. Ainsi les avantages du bon prix du blé ne sont point détruits par l'augmentation du salaire des ouvriers ; car alors il s'en faut beaucoup que cette augmentation approche de celle du profit des fermiers, de celle des revenus des propriétaires, de celle du produit des dixmes, & de celle des revenus du roi. Il est aisé d'appercevoir aussi que ces avantages n'auroient pas augmenté d'un vingtieme, peut-être pas même d'un quarantieme de plus le prix de la main-d'oeuvre des manufactures, qui ont déterminé imprudemment à défendre l'exportation de nos blés, & qui ont causé à l'état une perte immense. C'est d'ailleurs un grand inconvénient que d'accoûtumer le même peuple à acheter le blé à trop bas prix ; il en devient moins laborieux, il se nourrit de pain à peu de frais, & devient paresseux & arrogant ; les laboureurs trouvent difficilement des ouvriers & des domestiques ; aussi sont-ils fort mal servis dans les années abondantes. Il est important que le petit peuple gagne davantage, & qu'il soit pressé par le besoin de gagner. Dans le siecle passé où le blé se vendoit beaucoup plus cher, le peuple y étoit accoûtumé, il gagnoit à proportion, il devoit être plus laborieux & plus à son aise.

Ainsi nous n'entendons pas ici par le mot de cherté, un prix qui puisse jamais être excessif, mais seulement un prix commun entre nous & l'étranger ; car dans la supposition de la liberté du commerce extérieur, le prix sera toûjours réglé par la concurrence du commerce des denrées des nations voisines.

Ceux qui n'envisagent pas dans toute son étendue la distribution des richesses d'un état, peuvent objecter que la cherté n'est avantageuse que pour les vendeurs, & qu'elle appauvrit ceux qui achetent ; qu'ainsi elle diminue les richesses des uns autant qu'elle augmente celle des autres. La cherté, selon ces idées, ne peut donc pas être dans aucun cas une augmentation de richesses dans l'état.

Mais la cherté & l'abondance des productions de l'Agriculture n'augmentent-elles pas les profits des cultivateurs, les revenus du roi, des propriétaires, & des bénéficiers qui joüissent des dixmes ? ces richesses elles-mêmes n'augmentent-elles pas aussi les dépenses & les gains ? le manouvrier, l'artisan, le manufacturier, &c. ne font-ils pas payer leur tems & leurs ouvrages à proportion de ce que leur coûte leur subsistance ? Plus il y a de revenus dans un état, plus le Commerce, les manufactures, les Arts, les Métiers, & les autres professions deviennent nécessaires & lucratives.

Mais cette prospérité ne peut subsister que par le bon prix de nos denrées : car lorsque le gouvernement arrête le débit des productions de la terre, & lorsqu'il en fait baisser les prix, il s'oppose à l'abondance, & diminue les richesses de la nation à proportion qu'il fait tomber les prix des denrées qui se convertissent en argent.

Cet état de bon prix & d'abondance a subsisté dans le royaume tant que nos grains ont été un objet de Commerce, que la culture des terres a été protégée, & que la population a été nombreuse ; mais la gêne dans le commerce des blés, la forme de l'imposition des subsides, le mauvais emploi des hommes & des richesses aux manufactures de luxe, les guerres continuelles, & d'autres causes de dépopulation & d'indigence, ont détruit ces avantages ; & l'état perd annuellement plus des trois quarts du produit qu'il retiroit il y a un siecle, de la culture des grains, sans y comprendre les autres pertes qui résultent nécessairement de cette énorme dégradation de l'Agriculture & de la population. Art. de M. QUESNAY le fils.

Pour ne point rendre cet article trop long, nous renvoyons à NIELLE ce qui concerne les maladies des grains.

GRAINS DE PARADIS, ou GRAND CARDAMOME. Voyez CARDAMOME.

GRAIN DE FIN, (Chimie, Métall.) petit bouton de fin qu'on retire du plomb, de la litharge, ou du verre de plomb, &c. qui doivent servir à coupeller l'argent : on l'appelle encore le témoin & le grain de plomb ; derniere expression qui répond à l'idiome allemand qui exprime la même idée.

Si l'on met du plomb marchand seul sur une coupelle, & qu'on l'y traite comme si l'on affinoit de l'argent, on trouve pour l'ordinaire à la fin de l'opération un petit point blanc, qui est le fin que contenoit ce plomb : mais cette quantité, pour si petite qu'elle soit, se trouve avec le culot qui est formé par le coupellement de l'argent avec le plomb, & l'augmente de poids : il faut donc trouver un moyen de l'en défalquer dans la pesée du bouton de fin ; sans quoi on tomberoit dans l'erreur. Pour cela, on scorifie à part la même quantité de plomb qu'on a employée pour l'essai, & on le coupelle pour en avoir le témoin. On met ce témoin dans le plateau des poids avec lesquels on pese le culot ; & par ce moyen en ne comptant que les poids, on soustrait celui du témoin du bouton de fin qui a reçû du plomb la même quantité d'argent étranger à la mine essayée.

C'est ainsi qu'on se dispense des embarras du calcul & des erreurs qu'il peut entraîner. On peut être sûr que le bouton de fin a reçû la même accrétion de poids, puisque le plomb & sa quantité sont les mêmes ; il y a pourtant certaines précautions à prendre pour garder cette exactitude : il faut grenailler à la fois une certaine quantité de plomb, & mêler le résultat avec un crible, parce que l'argent ne se distribue pas uniformément dans toute la masse du plomb. Voyez LOTISSAGE. On a pour l'ordinaire autant de témoins qu'on employe de quantités différentes de grenaille, & la chose parle d'elle-même ; si l'on en fait de nouvelle, il faut recommencer sur nouveaux frais : ainsi il en faut faire beaucoup à-la-fois ; car le plomb de la même miniere ne contient pas la même quantité d'argent. Les produits d'une mine changent tous les jours ; & d'ailleurs l'argent n'est pas répandu uniformément dans le même gâteau de plomb, comme nous l'avons déjà insinué, & comme nous le détaillerons plus particulierement à l'article LOTISSAGE. C'est aussi par la même raison que ceux qui au lieu de grenailler leur plomb d'essai le réduisent en lamines qu'ils coupent de la grandeur que prescrit ce poids, & dont ils enveloppent l'essai, sont sujets à tomber dans l'erreur.

Mais il ne suffit pas de s'être assûré de la quantité d'argent que contient le plomb, il faut aussi examiner sous ce même point de vûe tout ce qui sert aux essais & qui peut être soupçonné d'en augmenter le bouton ; la litharge, le verre de plomb, le cuivre & le fer, &c. il faut avoir le grain de plomb de tous ces corps. Il est vrai que la plûpart du tems l'erreur qui en pourroit résulter ne seroit pas considérable ; mais elle le deviendroit si elle étoit répétée, c'est-à-dire si elle étoit une somme de celles qui pourroient venir de plusieurs causes à-la-fois.

S'il se trouve de l'argent dans le plomb, le bismuth (car celui-ci sert aussi à coupeller) la litharge, &c. c'est qu'il n'y est pas en assez grande quantité pour défrayer des dépenses de l'affinage. D'ailleurs il y a des auteurs qui prétendent que si l'on coupelle de nouveau le plomb qui a été bu par la coupelle, on y trouve toûjours de l'argent : ainsi il ne peut y avoir de plomb sans argent, quoiqu'on dise qu'il s'en trouve. Voyez CRAMER, PLOMB, FOURNEAU, à la section des fourneaux de fusion ; MINE PERPETUELLE DE BECHER, ESSAI, AFFINAGE & RAFFINAGE DE L'ARGENT, & GRENAILLER.

GRAIN DE PLOMB, (Chimie, Métallurg.) Voyez GRAIN DE FIN.

GRAIN, (Physique) on appelle de ce nom tous les coups de vent orageux qui sont accompagnés de pluie, de tonnerre, & d'éclairs, & l'on se sert du terme de grain sec pour désigner ceux qui sont sans pluie. Voyez OURAGAN. Hist. natur. du Sénégal, par M. Adanson.

GRAIN, (Art milit.) dans l'artillerie est une opération dont on se sert pour corriger le défaut des lumieres des pieces de canon & mortiers qui se sont trop élargies.

Ce grain n'est autre chose que de nouveau métal que l'on fait couler dans la lumiere pour la boucher entierement. Pour que ce nouveau métal s'unisse plus facilement avec l'ancien, on fait chauffer la piece très-fortement, pour lui donner à-peu-près le même degré de chaleur que le métal fondu que l'on y coule : quand ce métal est refroidi, on perce une nouvelle lumiere à la piece ; pour que le nouveau métal ne coule pas dans l'ame du canon par la lumiere, on y introduit du sable bien refoulé jusque vers les anses.

Comme il est assez difficile que le nouveau métal dont on remplit la lumiere s'unisse parfaitement avec l'ancien, le chevalier de Saint-Julien propose, dans son livre de la forge de Vulcain, d'élargir la lumiere de deux pouces jusqu'à l'ame du canon, comme à l'ordinaire ; de faire ensuite autour de cette ouverture, à trois ou quatre pouces de distance, quatre trous en quatre endroits différens, disposés de maniere qu'ils aillent se rencontrer obliquement vers le milieu de l'épaisseur de la lumiere ; il faut que ces trous ayent au moins chacun un pouce de diametre. Il faut après cela prendre un instrument de bois à-peu-près comme un refouloir, qui soit exactement du calibre de la piece ; sur la tête de cette espece de refouloir, il faut faire une entaille d'un demi-pouce de profondeur, coupée également suivant sa circonférence, ensorte que le fond de cette entaille donne une superficie convexe, parallele à celle de sa partie supérieure. On doit garnir l'entaille d'une ligne ou deux d'épaisseur, en lui donnant toûjours la forme convexe ; après cela, il faut faire fondre cinq ou six cent livres de métal, bien chauffer le canon, & introduire dedans le refouloir dont nous venons de parler ; son entaille doit répondre au trou de la lumiere. Le canon étant ensuite placé de maniere que le trou de la lumiere se trouve bien perpendiculaire à l'horison, il faut faire couler le métal dans tous les trous que l'on a percés, & après les en avoir remplis, & laissé refroidir le tout, la lumiere se trouvera exactement bouchée & en état de résister à tout l'effort de la poudre dont le canon sera chargé dans la suite ; c'est ce que cette construction rend évident. Il est question après cela de retirer le refouloir ; pour le faire plus facilement, on a la précaution de le construire de deux pieces, & en tirant celle de dessous, l'autre se détache aisément. On perce ensuite une nouvelle lumiere, avec un instrument appellé foret ; & c'est la raison pour laquelle on dit indifféremment, dans l'usage ordinaire, percer ou forer une lumiere. Voyez CANON. (Q)

GRAIN, (Poids) c'est la soixante-douzieme partie d'une dragme en France. Il y en a conséquemment 24 en un denier ; 28 4/5 en un sterling ; 14 2/5 en une maille ; 7 1/5 en un felin.

En Allemagne la dragme n'a que soixante grains. Cette dragme & ces grains sont différens de ceux de France. Les grains d'Angleterre & de Hollande le sont aussi, &c. Voyez la section du poids de proportion à l'article POIDS FICTIF.

Le carat de diamans en France pese quatre grains réels. Celui de l'or est un poids imaginaire. Voyez CARAT & POIDS FICTIF.

Le poids de semelle pour l'argent est de trente-six grains réels. Celui pour l'or est de six grains, aussi réels en France. Voyez POIDS FICTIF.

Pour les matieres précieuses, le grain réel se divise en 1/2, en 1/4, en 1/8, &c. & il est toûjours constamment de même poids ; mais le grain imaginaire, ou qui est une division d'un poids représentant, a une valeur proportionnée à ce poids. Voyez POIDS FICTIF.

La lentille des Romains, lens, pesoit un grain ; leur aereole, aereolus, le cholcus des Grecs pesoit deux grains. La silique des Romains, le cération des Grecs, le kirac des Arabes, 4 grains. Le danich des Arabes, huit grains. L'obole des Romains, l'onolosat des Arabes, 12 grains. La dragme des Romains, 72 grains.

En Pharmacie, le grain est ordinairement le plus petit poids. Ce n'est pas qu'on ne prenne des médicamens composés, où une drogue simple n'entre que pour un demi-grain, un tiers, un quart, &c. de grain ; mais ces fractions ne sont pas séparées de la masse totale, & se pesent en commun. Cependant il arrive quelquefois qu'une drogue simple est ordonnée à la quantité d'un demi-grain ; & pour lors il faut avoir un poids particulier, pour n'être pas obligé de partager la pesée d'un grain. Ces poids sont faits d'une petite lame de laiton, assez étendue pour porter l'empreinte de sa valeur ; & il faut convenir que ces sortes de poids sont plus justes que ceux qui leur ont donné leur nom. Je veux parler des grains d'orge qui ont servi d'abord à diviser notre denier, ou le scrupule de la Medecine en 24 parties. Il est vrai qu'on avoit la précaution de les prendre médiocrement gros ; mais la masse n'est pas dans tous en même proportion avec le volume. D'ailleurs ces sortes de poids étoient sujets aux vicissitudes du sec & de l'humide, qui devoient y apporter des changemens considérables, sans compter qu'ils étoient rongés des insectes qui les diminuoient tout-d'un-coup d'un demi-grain, & conséquemment le médicament pesé : ensorte qu'on devoit être exposé à des inexactitudes continuelles. Dans les formules, le grain a pour caractere ses deux premieres lettres. Ainsi, prenez de tartre stibié gr. ij. signifie qu'on en prenne deux grains.

GRAIN, en terme de Raffineur, est proprement le sucre coagulé qui forme ces sels luisans & semblables par leur grosseur aux grains de sable. On appelle encore de ce nom dans les raffineries, des sirops que la chaleur fait candir & attacher au fond du pot. Voyez POT.

GRAIN D'ORGE, (Medecine) maladie fréquente dans les cochons qu'on engraisse, & qui consiste en quantité de petites pelotes dures de la grosseur d'un grain d'orge, répandues sur toute la membrane cellulaire ; ces grains ont leur siége dans les bulbes des poils, qui sont de vrais follicules adipeux, où l'injection d'eau & même de matiere céracée, pénetre aisément par les arteres. (D.J.)

GRAIN D'ORGE, outil dont se servent les Tourneurs ; il paroît être composé des biseaux droit & gauche. Voyez nos Planches du tour, où il est représenté vû par-dessous.

GRAIN DE VENT, (Marine) se dit d'un nuage, d'un tourbillon en forme d'orage, qui ne fait que passer, mais qui donne du vent ou de la pluie, & souvent les deux ensemble : lorsqu'on l'apperçoit de loin, on se prépare, & l'on se tient aux drisses & aux écoutes pour les larguer s'il est nécessaire, ou faire d'autres manoeuvres selon le besoin. Il y a des grains si forts & si subits, qu'ils causent bien du desordre dans les voiles & les manoeuvres. On dit un grain pesant, lorsque le vent est très-fort. (Z)


GRAINES. f. (Botanique) semence que les plantes fournissent pour la conservation & la propagation de l'espece, après qu'elles ont produit leurs fleurs & leur fruit. M. Dodard définit la graine, un bourgeon de plante abregée, accompagné d'une pulpe qui lui tient lieu de placenta. La graine est souvent le fruit même de la plante, comme dans la plûpart des herbes potageres ; quelquefois elle n'est que la partie renfermée dans le fruit en forme de grain, de pepin, de noyau ; mais dans tous ces cas, c'est toûjours elle qui sert à multiplier l'espece.

L'anatomie des graines, leur variété externe & interne, les voies dont la nature se sert pour les semer, & le secret de leur végétation, seront à jamais l'objet des recherches & de l'admiration des Physiciens.

Grew, qui a fait tant de curieuses observations sur cette matiere, a remarqué qu'en général les graines ont quatre enveloppes, dont la premiere s'appelle la capsule, qui ressemble quelquefois à une petite bourse, comme celle du cresson ; quelquefois c'est une gousse, comme celle des légumes ; quelquefois elle est divisée en deux, comme dans l'oseille & dans la renouée. La seconde & la troisieme enveloppe s'appellent les peaux de la graine, principalement dans les féves ; leur couleur varie depuis le blanc jusqu'au noir de jay. La quatrieme & derniere enveloppe se peut nommer secondine, parce qu'elle est, pour ainsi dire, dans les plantes, ce que sont dans les animaux les membranes qui enveloppent le fétus : on la peut voir en enlevant fort adroitement les robes d'une féve nouvellement formée.

La figure des graines est tantôt semblable à celle d'un rein, comme dans cette espece de fleur appellée papaver spumeum : tantôt elle est triangulaire, comme dans l'oseille & dans le sceau de Salomon ; quelquefois entre ronde & triangulaire, comme dans la menthe & dans la mélisse ; quelquefois elle est ronde-plate, comme dans les giroflées & les amaranthes ; quelquefois sphérique, comme dans les navets & dans le muguet des bois ; quelquefois ovale, comme dans le peigne de Vénus & dans les tithymales ; ou demi-ovale, comme dans l'anis & dans le fénouil ; ou demi-ronde, comme dans la coriandre.

On en trouve qui ont la forme d'une pique, comme dans la laitue ; ou d'un cylindre, comme dans les jacobées ; ou d'une pyramide, comme dans le bec de cicogne à feuilles de guimauve. Il y en a de lisses & polies, comme celles du scandix ; d'autres qui sont bouillonnées, comme celles de l'herbe aux mites ; d'autres qui sont remplies de petites fosses exagones semblables aux rayons de miel, comme celles des pavots, de la jusquiame, du muffle de veau, & du passerage ; d'autres qui sont percées comme des pierres ponces, telles que sont celles du grémil & du phalange de Candie.

La graine de plusieurs plantes mâles est huileuse, & cette graine n'est autre chose qu'une espece de poussiere de diverses couleurs, qui dans les fleurs tient au sommet des étamines ; elle est jaune dans le lis blanc, rouge dans le lis frisé, noire dans plusieurs especes de tulipes ; toutes ces graines repoussent l'eau. Cela se voit fort bien dans la semence du pié de loup, lycopodium ; car si on en enduit le fond d'un verre, on s'appercevra que l'eau qu'on y verse reçoit une surface convexe, & qu'une goutte d'eau y paroît sous la forme d'un globule rond : l'eau ne pénetrera pas un morceau de toile ou de papier, si on a eu soin de les frotter auparavant comme il faut avec la graine de cette mousse terrestre.

Les peaux des graines de coignassier, de l'herbe aux puces, de la roquette, de la cameline, du cresson, du basilic, & de plusieurs autres, sont vernissées d'un mucilage qui s'évanoüit quand elles sont seches.

Toutes les graines de plantes ont des enveloppes ou des étuis qui les mettent à couvert jusqu'à ce qu'elles soient jettées en terre ; on les retourne, on les mesure, on les entasse sans danger, parce qu'elles sont enveloppées & garanties : les unes naissent dans le coeur des fruits, comme les pepins des pommes & des poires ; d'autres viennent dans des gousses, comme les pois, les féves, les graines de pavot, le cacao. Il y en a qui outre la chair du fruit ont encore de grosses coques de bois plus ou moins dures, comme les noix, les amandes des abricots, des pêches, & d'autres fruits, tant des Indes orientales que des Indes occidentales. Plusieurs par-dessus leur coque de bois ont un brou amer comme nos noix ; ou un fourreau hérissé de pointes, comme les châtaignes & les marrons d'Inde. Indépendamment des enveloppes extérieures, chaque graine a encore son épiderme ou sa peau, dans laquelle sont renfermés la pulpe & le germe.

Toutes ces choses frappent les yeux, & bien davantage encore, quand on regarde les plus petites graines avec la lentille ; car alors elles se montrent aussi différentes dans leur figure & dans leur caractere, que le sont tous les autres genres d'êtres de la création : mais si leur forme extérieure porte une si grande variété, leur structure interne étant artistement développée par des préparations & des sections, offre au microscope mille choses dignes d'admiration. Je suis fâché de n'en oser citer que quelques exemples.

La graine de l'angélique est une des plus odorantes du monde : ôtez-en la premiere pellicule, & vous découvrirez au microscope ce qui produit sa charmante odeur ; c'est une fine gomme ambrée, couchée par filets sur toutes les cannelures de cette semence.

Faites une section longitudinale au grand cardamome, qu'on appelle autrement graine de paradis, vous appercevrez d'abord une substance poisseuse noire, contenant une matiere blanche en forme radiée, semblable à du sel très-blanc ; & c'est aussi probablement un mélange de sel volatil & de concrétion farineuse, du-moins sa structure étoilée & son goût piquant favorisent cette opinion. Mais ce dont on ne peut douter, & qui est encore plus curieux, le centre de chaque graine est rempli d'un petit morceau de camphre parfait, le même, à tous égards, que celui de nos boutiques ; il est toûjours de la figure des bouteilles qui ont un ventre large & arrondi, avec un cou long & étroit.

La graine du grand érable, qu'on nomme improprement sycomore, presente au microscope un insecte qui a ses aîles étendues ; les aîles sont finement vasculaires, & les enveloppes couvertes d'un duvet blanc & soyeux contiennent une petite pelote ronde & compacte. Après avoir ôté la pellicule brune qui y est fermement attachée, on découvre une plante toute verte, singulierement repliée ; le pédicule a environ 2/8, & chaque feuille séminale 6/8 de pouce de longueur : les germes y sont de la plus grande perfection.

La poussiere des graines de la plûpart des pavots étant exposée au microscope, est transparente comme la graine même, & lui ressemble entierement.

La substance farineuse des féves, des pois, du froment, de l'orge, & autres grains, est enfermée dans de petites membranes qui sont comme autant de petits sacs percés de trous à-travers desquels on peut voir la lumiere, & qui paroissent des restes de vaisseaux coupés ; ensorte que probablement chaque particule de farine est nourrie par des vaisseaux dont on ne voit plus que des extrémités tronquées. Il est vraisemblable que toutes les graines farineuses sont formées de petits globules renfermés dans des membranes qui sont un amas de vaisseaux destinés à nourrir les divers globules qu'elles contiennent.

L'huile des amandes & de toutes les graines oléagineuses, est contenue dans de petits vaisseaux qui vûs au microscope, naissent des membranes dont ils font partie. Comme la substance oléagineuse reçoit son accroissement des vaisseaux qui sont dans les cellules, & que la plante se forme pendant le tems que la graine est en terre, les orifices sont formés de maniere à admettre le passage intérieur de l'humidité qu'ils attirent en eux pendant leur séjour en terre : ainsi la graine doit enfler successivement, & faire croître la plante en grosseur, jusqu'à ce que la racine soit devenue capable de lui fournir par elle-même la nourriture de la terre.

Le lecteur trouvera un nombre infini d'autres belles choses de ce genre, recueillies & décrites exactement par le docteur Parsons, dans son ouvrage intitulé A microscopic theatre of seeds. Je le cite en anglois, car nous n'avons pas été encore assez curieux pour le traduire en notre langue. Je remarquerai seulement en faveur de ceux qui voudront s'attacher à ces sortes d'observations, qu'elles demandent beaucoup d'adresse dans la dissection, & que la plûpart des especes de graines doivent être préparées pour l'examen microscopique en les trempant dans l'eau chaude, jusqu'à ce que leurs enveloppes soient enlevées ; & alors, par exemple, leurs feuilles séminales peuvent être ouvertes sans déchirement.

Ce n'est pas au hasard ni pour la simple vûe qu'est fait l'appareil merveilleux des graines ; on sait aujourd'hui qu'il n'y a pas une seule plante dans le monde, grande, médiocre ou petite, qui puisse se produire sans graine, soit que la graine ait été mise dans les lieux mêmes où ces plantes naissent par la main du créateur ou de l'homme, soit qu'elle y ait été portée d'ailleurs au-travers de l'air par les pluies ou par les vents : il est vrai qu'on a été long-tems à chercher sans succès les graines des plantes capillaires, de plusieurs especes de fucus, de plantes marines, de mousses, &c. mais l'industrie du xvij. & du xviij. siecle, a découvert les graines de la plûpart de ces plantes, & nous fait présumer que les autres n'en sont pas destituées.

Les graines de la fougere & des plantes capillaires, d'abord vûes par Caesius, ont été pleinement démontrées par M. Guillaume Cole & par Swammerdam. Voyez FOUGERE. Les graines de quelques plantes marines ont été découvertes par le comte de Marsigli & par M. de Reaumur. Voyez l'histoire de l'académie des Sciences, années 1711 & 1712. Les graines de quelques especes de fucus ont été découvertes par M. Samuel Doody : celles de quelques coralloïdes, par le docteur Tancred Robinson : celles de plusieurs fungus, & en particulier des truffes, des vesses-de-loup, & d'autres de ce genre, par le docteur Lister. Voyez les Transactions philosophiques.

Quand toutes ces découvertes n'existeroient pas, il suffit de considérer la structure admirable des plantes, pour juger qu'il est impossible qu'elle résulte du concours fortuit de quelques sucs diversement agités, & que ce concours fortuit produise régulierement dans chaque espece des plantes toûjours parfaitement semblables. Enfin Malpighi a prouvé par ses expériences, confirmées depuis par tous les Physiciens, qu'une terre qui ne reçoit aucune semence, ne produit rien : c'est donc une vérité de raisonnement & de fait, que toute plante vient d'une graine.

Arrêtons nous ici quelques momens à considérer les différentes voies dont se sert la nature pour semer les graines des plantes aussitôt qu'elles sont mûres ; & c'est ce qu'elle exécute non-seulement en ouvrant la capsule où la graine est enfermée, mais aussi en donnant à la graine une structure convenable pour se répandre près ou loin. Or, 1°. les graines de plusieurs plantes qui demandent un terroir particulier, comme celles du pié-de-veau, du pavot, &c. sont assez pesantes & menues pour tomber droit en-bas & s'insinuer dans la terre, sans qu'elles ayent besoin d'autres secours : 2°. lorsqu'elles sont assez grosses & legeres pour pouvoir être enlevées par le vent, elles ont souvent un simple crochet comme la benoite, ou plusieurs petits crochets, qui les arrêtent & les empêchent d'être portées trop loin de leur place ; telles sont les graines de l'aigremoine & du grateron : 3°. il y a au contraire des semences garnies d'aîles ou de plumes, tant pour être dispersées par le vent, lorsqu'elles sont mûres, comme celles du frêne, qu'afin qu'elles puissent s'écarter sans tomber les unes sur les autres ; ainsi les graines de la dent de lion & la plûpart des graines à aigrettes, ont quantité de petites plumes longues qui les mettent en état de se répandre de tous côtés : 4°. il y a des graines, comme celle de l'oseille sauvage, qui sont dardées au loin avec force, par le secours d'une pellicule ou coque blanche, épaisse, tendineuse & élastique, qui étant desséchée se creve, & de cette maniere élance fortement la graine, comme dans la langue-de-cerf & la persicaire acre & siliqueuse ; toute la différence est que dans les unes le ressort se roule en-dedans, & dans les autres l'action se fait du dedans en-dehors.

Ainsi tantôt le créateur a renfermé les graines dans des capsules élastiques dont les ressorts les écartent à une distance convenable ; tantôt il a donné aux graines une espece de duvet ou d'aigrettes qui leur servent d'aîles pour être jettées par le vent ; & tantôt dans les graines legeres, il leur a mis des crochets pour empêcher d'être portées trop loin.

Telles sont les vûes constantes de la nature pour la conservation & la propagation des especes par le secours des graines. " La plante qui étoit cachée sous un petit volume acquiert une grande étendue, & rend sensible avec le tems ce que les yeux ne pouvoient appercevoir dans l'origine ". C'est un passage remarquable de Plutarque.

Pour comprendre ce développement des graines, on en peut juger par un pois, une feve, un pepin de melon ; mais les parties d'une feve étant plus grosses & plus sensibles, nous la prendrons pour exemple. Après avoir fait tremper une feve vingt-quatre heures dans de l'eau plus que tiede, ôtez sa robe, il vous reste à la main deux pieces qui se détachent & qu'on appelle les deux lobes de la graine ; au bout de l'un de ces lobes est le germe, enfoncé comme un petit clou : ce germe tient aux deux lobes par deux petits liens.

Ces deux liens, qui sont deux vrais tuyaux, se fortifient & s'allongent en différentes branches, qui vont tout le long des lobes recevoir à chaque instant de nouveaux sucs ; ils les épuisent insensiblement au profit de la petite plante. La plus fine pellicule qui couvre les deux lobes, végete aussi quelque peu ; & les deux extrémités de ce sac qui embrassent la tête du germe, s'allongent & montent avec lui pour lui servir de défense contre les frottemens qui en pourroient altérer le tissu délicat. Le germe monte droit & perce l'air de sa pointe ; mais les deux bouts du sac étant d'un tissu moins nourri que la tige, obéissent à l'effort de l'air qui pese dessus, & s'abaissent de côté & d'autre sous la forme de deux petites feuilles vertes, toutes différentes du véritable feuillage que la plante produira par la suite.

Cette pellicule est comme la chemise ou la robe de la graine ; & les deux bouts qui en sortent, font le collet qui se rabat de part & d'autre. Quand les deux lobes ont fourni toute leur substance au germe éclos hors de terre, & qu'ils viennent à se sécher, la peau qui les enveloppe se seche aussi, & les deux premieres feuilles que nous avons appellées le collet, & qui ne sont que les deux bouts de cette peau, se sechent de même par une suite nécessaire : alors la petite plante qui s'est grossie de toute la chair que les lobes contenoient, n'y trouvant plus rien, va chercher sa nourriture dans la terre même.

Toute graine a un germe : ce germe, soit d'une feve, d'un pepin de melon, ou d'un pepin de pomme & de toute autre plante, est ce qu'on appelle la plantule, & est composé de la radicule, de la tige & de la plume. La radicule est le bas de la petite plante ; c'est la partie par où elle s'attachera à la terre : la tige est le corps de la plante ; & la plume en est la tête où le feuillage en petit est enveloppé : c'est ce qui sort toûjours de terre & qui s'éleve peu-à-peu.

Mais comment arrive-t-il que la plume sort toûjours de terre & non la radicule ; car il est certain que les graines portées en terre par le vent ou par l'homme, tombent au hazard dans une infinité de positions différentes ? Quand un laboureur seme, il jette son blé à l'avanture ; quand un jardinier plante des feves ou des pois, il n'observe point où est le bas ni le haut de la graine, si le côté auquel répond la plume se trouve en bas, & si celui auquel répond la radicule du germe se trouve en-haut. Qu'est-ce donc qui force la plume à remonter droit en l'air, & la radicule à demeurer en terre ; car il se passe ici certainement une action de violence ? On a bien de la peine à concevoir ce phénomene, & l'on n'a donné jusqu'à ce jour que des hypothèses ingénieuses pour l'expliquer : telles sont celles de MM. Dodard, La Hire, Geoffroi & autres, rapportées dans l'histoire de l'académie des Sciences, & que je regarde comme autant de romans de la végétation des plantes. (D.J.)

GRAINE, (Agricul.) on distingue en Agriculture les graines, en graines potageres, graines à fleurs, & graines d'arbres.

Les graines potageres se sement en tout tems sur des couches préparées, où chaque espece a son rayon à part. On les éloigne les unes des autres ; & en arrachant les méchantes herbes, on prend garde d'arracher les graines, car on peut s'y tromper, jusqu'à ce que la plante paroisse. Quand les graines sont semées, si la couche est seche on l'arrose, & l'on continue les arrosemens selon le besoin. Comme les gelées blanches font mourir les graines, on a soin de les couvrir pendant la nuit, & on éleve les couvertures à un demi-pié au-dessus, pour qu'elles ne posent point sur les couches. Lorsque le soleil est favorable, on les découvre tous les matins, & on les recouvre tous les soirs avant la gelée. Dès que les graines sont à la hauteur qu'on juge à-propos, on les transplante à une certaine distance les unes des autres, selon leur grosseur.

Les graines des fleurs se sement semblablement en toute saison, & demandent au-moins les mêmes apprêts & les mêmes soins que les graines potageres, c'est-à-dire une couche garnie de bon fumier chaud, & par-dessus un demi-pié de vieux terreau pourri. Après que la grande chaleur est passée, on fait sur la couche des rayons à quatre doigts les uns des autres, pour semer dans chacun les graines de la même espece. Quand les graines sont semées & qu'on les a couvertes de deux travers de doigt de terreau, on arrose journellement les couches avec un petit arrosoir dans les tems secs : on les couvre encore, de peur des gelées blanches, comme on fait pour les graines potageres, en étendant les couvertures sur des cerceaux, & on les découvre le jour quand le soleil donne sur la couche. L'attention qu'on doit avoir, c'est de ne rien arracher dans les rayons de ces couches, que les jeunes fleurs levées ne soient déjà grandes, de peur de les arracher pour de l'herbe, car elles viennent de même.

Les graines d'arbres se plantent ordinairement au printems & en automne. On prend de la terre forte, de la terre neuve, de la terre de jardin & du terreau ; on mêle le tout ensemble, qu'on passe à la claie. Si on seme les graines en terre, on met sept à huit hottées de cette terre sur les planches, & on laboure le tout. Si on seme les graines dans les caisses ou autres vaisseaux, on les remplit de cette terre : ces graines doivent être couvertes de quatre bons travers de doigt d'épaisseur ; on les arrose s'il ne pleut point, & on les garantit de la gelée, jusqu'à ce que les arbres naissans soient assez forts pour la supporter.

Parmi les arbres qui contribuent à l'embellissement d'un jardin, on peut distinguer ceux qui portent des graines, & ceux qui portent des fruits. Les arbres à graine les plus en usage, sont l'orme, le tilleul, le frêne, l'érable & le sycomore. Ceux qui portent des fruits sont le chêne, le marronnier d'Inde, le chataignier, le hêtre & le noisettier. Les graines & les fruits de ces arbres se recueillent en automne, à l'exception des graines d'orme qui se ramassent au mois de Mai, & qui se sement dans le même tems.

La forme, la pesanteur & la maniere dont les graines tombent à terre, nous peuvent quelquefois diriger dans la façon de les semer. Les plus pesantes se sement plus profondément ; ainsi l'on seme les glands & les noyaux à la profondeur de deux, trois & quatre doigts. M. Bradley a observé que des graines, quoique très-bonnes, dégénerent si l'on les seme sur le même terrein où on les a recueillis ; de sorte que pour remédier à cet inconvénient, il conseille de troquer chaque année les graines des arbres forestiers avec des correspondans des provinces différentes, comme cela se pratique pour les fleurs. Il a encore observé que les graines tirées des plus beaux arbres, ou de ceux qui portent le plus de fruit, ne sont pas toûjours les meilleures pour semer ; mais qu'il faut les choisir saines, unies, pleines, pesantes & entieres : les glands nets, pesans & luisans, sont préférables aux gros glands : les graines poreuses, douces, insipides, doivent être semées d'abord après leur maturité : les graines chaudes, ameres demandent à être gardées six mois, un an & davantage, avant qu'on les seme.

On pratique différentes méthodes pour conserver les graines ; quelques-uns les encaissent par couches alternatives, dans du sable ou de la terre humide pendant l'hyver ; prennent au bout de ce terme les graines de caisses qui sont alors bourgeonnantes, & les sement délicatement dans le terrein préparé : elles prosperent autant de cette maniere que si on les eût semées en automne, outre qu'elles ont évité la vermine & les autres accidens. Pour les fruits qu'on veut semer plus tard, comme le gland, le marron d'Inde, la chataigne, la faine, la noisette, on les conserve dans des manequins avec du sable sec, en faisant alternativement des lits de sable & des lits de fruits. Par rapport aux autres graines, les grainiers qui les vendent, se contentent de les étendre par paquet dans un lieu sec, de les visiter & de les remuer : d'autres les tiennent dans des sachets, qu'ils pendent au plancher : d'autres les gardent dans des pots ou des bouteilles étiquetées. Par tous ces moyens, les graines conservent leur vertu fructifiante plus ou moins long-tems.

L'on demande à ce sujet pourquoi plusieurs sortes de graines gardent leur faculté de germe un grand nombre d'années, tandis que tant d'autres la perdent promtement ? Il semble que la cause en est dûe à la quantité plus ou moins grande d'huile que contiennent les semences, & au tissu plus ou moins serré de leur enveloppe, gousse ou coque ; par exemple, les graines de concombre, de melon, de citrouille, qui ont une écorce épaisse & dure, conservent huit à dix ans leur faculté fructifiante. Il en est de même de la graine de radis, de raves, & autres semences huileuses, qui par cette raison se maintiennent bonnes pendant trois ou quatre ans ; au lieu que les graines de persil, de carotte, de panais & de la plûpart des plantes à parasol, perdent leur vertu germinante au bout d'une ou deux années.

Mais n'y auroit-il point de moyen de prolonger aux graines la durée de leur vertu végétative ? Miller nous apprend que le grand secret & ce secret qui intéresse les Botanistes, est de conserver les graines dans leurs propres gousses ou enveloppes, après qu'elles ont été cueillies bien mûres ; de les tenir dans un endroit sec, & de ne leur point ôter entierement toute communication avec l'air extérieur, qui est nécessaire pour maintenir le principe de leur végétation, comme il l'a éprouvé par l'expérience suivante.

Il prit des graines fraîches de diverses plantes, de laitue, de persil, d'oignon, enferma chaque graine dans des bouteilles de verre, qu'il scella hermétiquement ; il mit en même tems une quantité égale des mêmes semences dans des sacs séparés, qu'il pendit tous au plancher en un endroit bien sec. L'année suivante il sema en même tems & sur les mêmes couches d'une terre préparée, une partie desdites graines, tant de celles des bouteilles, que de celles des sacs. Presque toutes les graines des sacs vinrent à merveille, & il n'en vint pas une seule de celles qu'il avoit enfermées dans les bouteilles. Il répéta son expérience deux ou trois années de suite, & jamais aucune graine des bouteilles ne monta, tandis que les graines de sacs pousserent encore la troisieme année. Il suit de cette expérience, que ceux qui ont à recevoir des graines des pays étrangers, doivent avertir leurs correspondans de se bien garder de les leur envoyer enfermées dans des pots ou des bouteilles bouchées.

Un second moyen que Miller conseille pour conserver les graines, & qu'il préfere à tout autre, est de les enfoüir à trois ou quatre piés de profondeur, à l'abri des grosses pluies & de l'influence du soleil : il a vû des graines conservées de cette maniere pendant vingt ans, qui au bout de ce terme ont pris racine & ont germé aussi parfaitement que les semences les plus fraîches de la même espece.

Enfin Miller a trouvé la méthode de faire fructifier toutes les especes de graines domestiques & étrangeres, qui ont pour enveloppe les coques les plus dures. Après avoir préparé de bonnes couches avec de l'écorce de tan, il y seme ces graines, par exemple des noix de coco ; il couvre ces noix du même tan à l'épaisseur de deux ou trois pouces ; il les laisse dans cette situation six semaines ou deux mois ; ensuite il les transplante dans des pots remplis de bonne terre ; il plonge ces pots jusqu'au bord dans le tan, & couvre enfin toute la surface des pots avec le même tan de l'épaisseur d'un demi-pouce. Il assûre que cette méthode lui a rarement manqué, & même qu'en s'en servant, il a vû quelquefois des graines exotiques à coque dure, pousser davantage en quinze jours qu'elles ne le font au bout d'un mois dans leur pays natal. (D.J.)

GRAINE D'AVIGNON, (Bot.) baie d'une espece de rhamnus ou de nerprun, que les Botanistes nomment lycium gallicum, ou rhamnus catharticus minor. Il croît dans les lieux rudes & pierreux, entre les rochers, aux environs d'Avignon & dans le comtat Venaissin. On en trouve aussi en Dauphiné, en Languedoc & en Provence. Cette espece de nerprun est un arbrisseau épineux, dont les racines sont jaunes & ligneuses ; il pousse des rameaux longs de deux ou trois piés, couverts d'une écorce grisâtre, garnis de petites feuilles épaisses, ressemblantes à celles du buis, nerveuses, faciles à se détacher. Ses fleurs sont petites, monopétales, jointes plusieurs ensemble ; il leur succede des baies grosses comme des grains de poivre à trois ou quatre angles, & quelquefois faites en petits coeurs, de couleur verd jaunâtre, d'un goût stiptique & fort amer.

Voilà les baies qu'on nomme graine d'Avignon, grainette, graine jaune. On nous l'envoye seche ; on la desire grosse, récente & bien nourrie. Les Teinturiers, & sur-tout les Corroyeurs, s'en servent pour teindre en jaune, en y joignant de l'alun par parties égales. Voyez JAUNE & CORROYER. (D.J.)

GRAINE, (Jardinage) les graines d'ornement different des chapelets parce qu'elles sont toûjours rondes & d'inégale grosseur ; on les place au bout des rinceaux & des feuillages, pour remplir des places longues dans la broderie des parterres. (K)

GRAINE, en terme de Brodeur au métier, c'est un point qui représente des semences de fruits, & qui se fait en tenant le fil tiré d'une main, & de l'autre en fichant l'aiguille en-dessous & la faisant sortir en-dessus.


GRAINERv. act. (Arts méchaniques) c'est pratiquer de petites éminences ou grains à la surface d'un corps ; cela se pratique sur toutes sortes de substances, même sur les peaux. Les Boursiers entendent par grainer une peau, lui donner l'apparence qu'on voit au chagrin : cela se fait par le moyen d'une forme de cuivre grainée comme un dez & que l'on tient modérément chaude, & sur laquelle on applique le maroquin.


GRAINOIRS. m. (Art militaire) est dans l'artillerie une espece de crible dans lequel se passe la poudre par de petits trous ronds qui y sont faits exprès & qui forment le grain en passant quand la matiere vient d'être tirée des mortiers du moulin. Il y en a de plusieurs grandeurs. Voyez POUDRE. (Q)


GRAIRIES. f. (Jurisprud.) est un droit que le roi a sur les bois d'autrui, à cause de la jurisdiction qu'il y fait exercer par ses officiers pour la conservation de ces bois.

Ce terme vient du latin ager, quasi agri pars, parce qu'en quelques endroits le roi a une certaine part dans les coupes de bois, outre les droits de justice, glandée, paissons & chasses.

En d'autres endroits, ce droit consiste dans un droit en argent, comme dans la forêt d'Orléans, où on leve pour le roi deux sous parisis d'une part, & dix-huit deniers d'autre pour le droit de grairie : ailleurs ce droit est différent.

On confond quelquefois les termes de grurie & grairie, lesquels en effet signifient souvent la même chose ; mais ils ont aussi en certaines occasions chacun leur signification propre : grurie signifie quelquefois une justice des eaux & forêts sur les bois d'autrui ; grairie est le droit que le roi y perçoit à cause de cette justice.

Quelques-uns entendent aussi par grairie un bois qui est possédé en commun, d'autres appellent cela segrairie.

Ragueau, en son glossaire, dit que le droit de grairie consiste en la propriété & domaine de partie du bois ou forêt.

L'ordonnance des eaux & forêts attribue jurisdiction & compétence aux officiers des eaux & forêts sur les bois tenus en grairie, grurie, &c.

Dans les bois où le roi a droit de grairie, les grands-maîtres doivent faire les ventes avec les mêmes formalités que pour les bois du roi, sans souffrir qu'il soit fait aucun avantage ni donné aucune préférence aux tréfonciers ou possesseurs.

Les maîtres particuliers font les ventes des taillis tenus en grairie.

Dans tous les bois sujets aux droits des grurie, grairie, &c. la justice & tous les profits qui en procedent appartiennent au roi, ensemble la chasse, paisson & glandée, privativement à tous autres, à-moins que pour la paisson & glandée il n'y eût titre au contraire.

Les parts & portions que le roi prend lors de la coupe & usance des bois sujets aux droits de grurie & grairie, doivent être levées & perçûes à son profit en espece ou en argent, suivant l'ancien usage de chaque maîtrise où ils sont situés, sans qu'il soit permis de rien changer ni innover à cet égard ; & les bois de cette qualité ne peuvent être vendus que par le ministere des officiers des eaux & forêts, & avec les mêmes formalités que les autres bois & forêts du roi.

Les droits de grairie ou grurie ne peuvent être donnés, vendus, ni aliénés en tout ou partie, ni même donnés à ferme pour telle cause & prétexte que ce soit ; leur produit ordinaire doit être donné en recouvrement au receveur des domaines & bois, lequel en doit compter comme de la vente des forêts du roi. Voyez GRURIE, & au mot DANGER, TIERS ET DANGER, SEGRAIRIE, GRUAGE. (A)


GRAISou GRÈS, s. m. en latin cos, saxum arenarium, saxum sabulosum, (Hist. nat. Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme une pierre très-connue formée par l'assemblage de petits grains de sable qui sont joints les uns aux autres par un gluten ou lien qui nous est inconnu. Les particules de sable qui composent le grais sont plus ou moins grandes, cependant l'oeil peut presque toûjours les appercevoir & les distinguer. Il se trouve soit en masses ou roches informes, soit par couches dont l'épaisseur est quelquefois considérable ; il varie pour la consistance & pour la liaison de ses parties : quand il est solide, il fait feu avec le briquet, mais ordinairement il se met très-aisément en grains.

Wallerius compte huit especes de grais, mais elles ne different réellement que par la finesse des parties dont il est composé.

1°. La premiere espece est le grais ou pierre à aiguiser, cos turcica, ainsi nommée par l'usage qu'on en fait ; ses parties sont très-fines : on le frotte d'huile quand on veut s'en servir pour repasser les rasoirs, les couteaux, & autres instrumens tranchans.

2°. Le grais dont on fait les pierres de remouleurs dont le grain est assez fin ; il est ou gris ou blanc, ou rougeâtre ou jaunâtre.

3°. Le grais d'un tissu lâche, au-travers duquel l'eau peut se filtrer, qu'on appelle communément pierre à filtrer.

4°. Le grais poreux qui paroît comme vermoulu ; il donne aussi passage à l'eau, comme le précédent.

5°. Le grais à bâtir ; c'est celui dont on se sert pour bâtir en plusieurs endroits : il est mêlé d'argille, & varie pour la dureté & la finesse de ses parties. Le grais de Suede, qu'on nomme pierre de Gothie, affecte une figure cubique ; la même chose arrive au grais dont on se sert pour le pavé à Paris.

6°. Le grais grossier ou ordinaire, qui est ou blanc ou gris ou jaunâtre : ses parties sont grossieres & inégales.

7°. Le grais feuilleté ; il varie pour la finesse & la grossiereté de ses parties.

8°. Le grais mélangé, dont les parties qui le composent sont des petites pierres de différentes especes.

En général on entend par grais, des pierres composées de sable, de quelque nature qu'il soit : c'est de cette pierre qu'on se sert pour paver les rues de Paris, & il n'en est point de plus propre à cet usage : il s'en trouve une grande quantité dans les environs de Fontainebleau, qui vient ici par la riviere de Seine. Quelques-uns de ces grais sont assez peu compactes, & on les brise très-aisément au marteau pour en faire du sablon qui sert à nettoyer la vaisselle ; d'autres sont d'une dureté très-considérable, & ne se divisent qu'avec beaucoup de peine. (-)

* GRAIS DE NORMANDIE, (Minéralog. & Chimie) c'est ainsi qu'on appelle en Normandie une terre dont on se sert pour faire les pots-à-beurre, & qu'on prétend supérieure en plusieurs cas aux terres d'Allemagne, & même à la porcelaine.

Pour donner au grais la propriété de résister au feu, il faut qu'il ait été rougi ; on le rougit au feu, en le chauffant par degrés ; si le feu est poussé trop vif il se fend : il faut ensuite le refroidir avec la même précaution qu'on l'a chauffé ; il se brise sur le champ, si le refroidissement est subit.

Ce grais est composé d'une terre glaise & d'un petit sablon blanc semblable à celui d'Etampes ; la glaise en est beaucoup plus onctueuse que la commune ; elle se dissout sur la langue & laisse un goût de savon, sans aucun vestige de stipticité ; on la tire de la terre près de Domfront ; au sortir de la terre elle est humide, elle ne tarde pas à se secher : on trouve dans les trous d'où on l'a tirée, de petits poissons que les ouvriers pêchent & qu'ils mangent. D'où viennent ces poissons ? il n'y a dans les environs ni étangs ni riviere, ni aucune eau courante. La poterie de cette terre se fabrique aux environs de Mortain.

Pour l'employer, on commence par la couper en tranches minces & legeres avec un couteau à deux manches ; on jette ces tranches dans une fosse avec du sable & de l'eau. On agite le mélange avec une pelle à différens intervalles ; on le laisse en cet état pendant vingt-quatre heures, tems qu'il faut, disent les ouvriers, pour pourrir la terre. La dose de sable varie ; elle est communément d'une partie sur trois de terre ; on retire le mélange de la fosse pour le marcher ou fouler avec les piés, il en devient plus homogene. Quand il est marché, on le paîtrit avec les mains, ensuite on fabrique des vaisseaux sur le tour du potier de terre ; on pese la terre selon l'espece de vaisseau qu'on veut tourner. On fait secher au soleil le vaisseau tourné ; on a soin d'en varier l'exposition de maniere que la dessication s'en fasse également ; sans cette attention, sa forme s'altérera. Quand il est séché, on le fait cuire pendant trois jours & trois nuits. Le fourneau qui sert à la cuisson est oblong ; son âtre va toûjours en montant de son entrée vers le fond, & son diametre en diminuant du bas en haut ; sa chaleur en devient plus vive & plus uniforme. Le foyer est au-dessous de l'âtre ; il est placé à l'entrée du fourneau, & n'a qu'environ deux piés de largeur : la gueule n'a pas plus d'un pié & demi de hauteur sur environ six piés de longueur ; vers le fond, le sommet est percé d'une ouverture qui sert de cheminée : on remplit le fourneau de pots jusqu'à cette ouverture.

On dit que des vaisseaux faits avec cette terre ou grais de Normandie, composée d'un quart d'os calcinés, d'environ trois quarts de terre, & d'un neuvieme de sable, supporteront la plus grande violence du feu, & le refroidissement le plus subit, même l'immersion dans l'eau.

On peut aussi, selon le mémoire que nous analysons, substituer avec succès aux of calcinés la chaux, le plâtre, les coquilles, &c. L'auteur prétend encore qu'on peut sans inconvénient supprimer entierement l'addition de sable, parce que le grais dont il s'agit n'en contient déjà que trop.

GRAIS, c'est ce que les Miroitiers-lunettiers appellent ordinairement du nom de meule ; ils n'employent communément que celles de Lorraine, qui sont également bonnes pour leurs ouvrages, quoiqu' inférieures à celles d'Angleterre : c'est sur ce grais qu'ils dressent & arrondissent les bords des verres de leurs lunettes, pour les placer dans la rainure des châsses. Voyez CHASSE. Dictionn. de Commerce.


GRAISIVAUDANpagus Gratianopolitanus, (Géog.) c'est-à-dire le territoire de Grenoble ; c'est un pays de France dans le Dauphiné, dont Grenoble est la capitale ; il s'étend entre les montagnes le long de l'Isere & du Drac ; il est borné au N. O. par le Viennois, au N. & N. E. par la Savoie, à l'est par le Briançonnois, par le Gapençois, & au S. E. par l'Embrunois ; ce pays n'a reconnu que les rois de Bourgogne, & sous leur autorité les évêques de Grenoble, jusqu'en l'an 1040 ou environ. Il est baigné par l'Isere, la Romagne, & le Drac. (D.J.)


GRAISSES. f. (Econom. anim. Medecine) on entend vulgairement par ce terme la substance onctueuse, de consistance fluide ou molle, qui se trouve non-seulement dans les cavités du tissu cellulaire, sous presque toute l'étendue des tégumens de la surface du corps de l'homme & de la plûpart des animaux, mais encore dans les cellules des membranes qui enveloppent les muscles, qui pénetrent dans l'interstice des fibres musculaires, dans les paquets de cellules membraneuses dont sont couverts plusieurs visceres, tels que les reins, le coeur, les intestins, & principalement dans le tissu cellulaire des membranes qui forment le mésentere, l'épiploon, & ses dépendances. Voyez CELLULAIRE (tissu), MEMBRANE, éPIPLOON, &c.

Les Medecins distinguent deux sortes de graisse ; l'une est celle dont la substance séparée de la masse des humeurs, sous forme d'huile tenue, perd peu de sa fluidité dans les cavités où elle se ramasse ; elle y conserve toûjours une sorte de mouvement progressif qui la fait passer d'une cellule dans une autre, & ne se fige presque point étant exposée à l'air froid ; ce suc graisseux est appellé par les Grecs , & par les Latins pinguitudo ou pinguedo ; au lieu que ceux-là donnent le nom de ou , & ceux-ci celui d'adeps, sebum, ou sevum, à cette espece de graisse qui a une consistance presque solide, qui n'est pas susceptible de se liquéfier aisément, soit par la chaleur ou le mouvement de l'animal, soit par l'effet du feu ; elle ne se renouvelle que très-lentement dans les cellules où elle est ramassée, & elle se fige à l'air froid, au point de prendre une sorte de dureté. C'est cette derniere sorte de graisse, qui étant tirée du corps des boeufs, des moutons, des chevres, &c. est distinguée par le nom de suif. Voyez SUIF. On se sert cependant du mot adeps pour désigner toute sorte de graisse, & on nomme membrane adipeuse indistinctement toute membrane dont les cellules contiennent ou sont destinées à contenir de la graisse, sous quelque forme qu'elle soit.

On observe que la moëlle, qui ne differe guere de la graisse par sa nature, est aussi de différente espece par rapport à sa consistance : celle qui est dans les cellules osseuses des extrémités des of longs ou dans celle des of plats, est toûjours sous forme fluide, coulante comme de l'huile ; au lieu que dans les grandes cavités des of longs, elle a plus de consistance ; elle y est sous une forme presque solide, comme la graisse de la seconde espece. Voyez MOELLE.

Dans quelque partie du corps animal que l'on trouve de la graisse, elle se présente toûjours renfermée dans des cellules membraneuses de figure ovale & un peu applaties, selon la remarque de Malpighi ; les cavités de ces cellules ont toutes de la communication entr'elles : les cellules elles-mêmes sont disposées de maniere qu'elles forment des couches, des enveloppes dans certaines parties ; dans d'autres, elles sont entassées & forment comme des pelotons. Dans ces différentes dispositions, elles sont également renfermées dans des membranes extérieures qui les soûtiennent, & terminent l'étendue de leurs aggrégés. Tout ce composé forme les membranes adipeuses, qui sont d'une épaisseur & d'un volume plus ou moins grands selon le nombre & la capacité des cellules, & selon qu'elles sont plus ou moins remplies de la substance onctueuse qui forme la graisse ; elles sont flasques & comme affaissées dans les sujets maigres.

Si on expose à l'action du feu une portion de membrane adipeuse bien pleine de graisse, lorsqu'elle est fondue & au point de bouillir, les cloisons membraneuses qui forment les cellules se rompent & laissent s'écouler un fluide qui paroît huileux, & qui lorsqu'il est encore chaud, est onctueux au tact ; il ne peut point être mêlé avec l'eau, & y surnage ; il est susceptible de s'enflammer & de nourrir la flamme ; en se refroidissant il perd sa fluidité & prend de la consistance à-peu-près comme le beurre, & peut devenir même beaucoup plus ferme selon les animaux d'où il est tiré.

De tout cela on ne peut que conclure, que la graisse est évidemment de la nature des huiles grasses ; à quoi M. Cartheuser, dans sa matiere médicale, de unguinoso oleis & pinguibus, ajoûte qu'outre la substance huileuse il s'y trouve encore une substance terreuse acide, qui donne à la graisse froide la consistance qu'elle est susceptible de prendre : ensorte que la solidité plus ou moins grande dépend du plus ou du moins de cette derniere substance qui s'y trouve mêlée. Il donne pour fondement de cette assertion, d'après l'expérience rapportée dans les mém. de l'académie des Sciences de Paris, 1719, ce qui arrive lorsqu'on mêle un sel ou un esprit acide avec de l'huile d'olives ou d'amandes douces, & qu'on les met un peu en digestion ; savoir que ces huiles étant ensuite refroidies, se coagulent, surnagent la surface du mélange, & prennent la consistance & la forme de la graisse & même la solidité du suif. Il observe après cela que les animaux qui vivent de viandes s'engraissent plus difficilement & plus rarement que les animaux qui ne vivent que d'herbes ou de grains, & sur-tout les ruminans qui sont les seuls qui fournissent du suif proprement dit ; ce qu'il pense devoir être attribué à cette différence d'alimens, parce que ceux qui sont tirés du regne végétal sont imprégnés de cet acide coagulant qui ne se trouve point dans les chairs dans toutes les autres productions du regne animal, excepté le lait. De-là vient que l'huile nourriciere qui en est extraite par la digestion, n'étant point susceptible de se figer lorsqu'elle est déposée dans les cellules adipeuses, ne peut point y former de la graisse ferme, solide ; elle est reportée dans la masse des humeurs, en retenant sa fluidité huileuse, & elle y fournit matiere à la confection du sang, de la lymphe gélatineuse, & se détruit ensuite par l'action de la vie, sous une forme qui la dispose à être évacuée avec les différentes humeurs excrémentitielles dont elle est la partie rancide. D'où il résulte, selon l'auteur cité, que les animaux qui mangent peu de végétaux ne peuvent avoir que peu de graisse de consistance solide : mais il faut un acide mêlé avec l'huile des alimens, pour former cette graisse. Pourquoi cet acide ne s'y trouve-t-il pas dans l'analyse ? Il n'y a pas encore de preuves qu'il en existe en nature dans aucune des humeurs animales. Voyez FERMENTATION, (Economie anim.)

Les parties huileuses qui sont destinées à fournir la matiere de la graisse, sont pour cet effet séparées de la masse du sang, comme la matiere de toutes les autres secrétions : les injections anatomiques ne laissent aucun doute à cet égard ; étant faites dans les arteres qui se distribuent aux membranes adipeuses, les liqueurs injectées passent facilement & constamment de ces arteres dans les cellules dont sont composées les membranes, les remplissent & les parcourent dans toute leur étendue par le moyen des communications qui sont entr'elles : la même chose arrive aussi de l'injection faite dans les veines correspondantes. C'est donc dans la partie où l'artere se change en veine, que se fait la séparation des molécules huileuses, & qu'elles entrent dans des conduits particuliers destinés à les porter dans les cellules adipeuses. Ces conduits & leurs orifices sont très-larges à proportion du diametre des vaisseaux sanguins d'où ils partent ; ils sont aussi très-courts. Ainsi entre les différentes parties du sang, qui est un fluide bien hétérogene, celles qui sont les plus legeres, ou qui ont le moins de densité, de gravité spécifique, qui ont le mouvement le plus lent, & qui ont le moins de disposition à conserver la direction de celui qu'elles ont d'abord reçû, doivent, selon les lois de l'Hydraulique, se porter, ou pour mieux dire, être jettées vers les parois des vaisseaux, & pénétrer dans les ouvertures collatérales, lorsqu'il s'en trouve qui sont propres à les recevoir, tandis que les parties les plus denses, les plus mobiles, suivent l'axe du vaisseau, & s'écartent le moins de la direction du mouvement qu'elles ont reçû. Ainsi les molécules huileuses doivent enfiler les conduits adipeux, les canaux secrétoires des sucs graisseux, tandis que les globules du sang continuent leur route dans le milieu des arteres, pour passer dans les veines. Voyez SECRETION.

Ces sucs étant continuellement portés dans les cellules adipeuses, s'y accumulent, les remplissent jusqu'à-ce que ces cellules résistent à une trop grande dilatation, & se vuident dans les voisines à proportion que les premieres reçoivent de nouvelle matiere pour être distribuée aux suivantes, & ainsi des unes aux autres, jusqu'à celles qui communiquent à des veines sanguines correspondantes, qui reçoivent la surabondance des sucs graisseux dont se déchargent les cellules, après qu'ils les ont toutes parcourues dans l'intervalle des arteres qui rampent dans l'intérieur des membranes, & les veines qui en partent. Le suintement huileux qui se fait continuellement à-travers les membranes de ces cellules contribue à relâcher les tuniques de ces arteres, à en affoiblir le ressort, rend par-là le mouvement du sang plus lent, tout étant égal, que dans d'autres arteres aussi éloignées du centre du mouvement ; ensorte que cette lenteur favorise beaucoup la séparation des molécules huileuses ; ce qui forme dans les animaux gras une disposition à s'engraisser toûjours davantage, sur-tout lorsqu'à cette disposition particuliere se joint le défaut d'exercice ; par où l'impulsion du sang dans les vaisseaux capillaires, est encore considérablement diminuée, & chaque partie du sang suit alors de plus en plus la tendance à la cohésion, que lui donne sa gravité spécifique, à proportion que la force du torrent s'affoiblit ; tendance qui est une des principales causes qui concourent dans la secrétion de la graisse, comme dans celle de toutes les autres humeurs.

Et comme les sucs huileux en se séparant du sang, ne sont pas absolument dégagés des parties séreuses, puisqu'elles servent de véhicule à toutes les humeurs en général dans leur cours, ils ne pourroient pas prendre la consistance de graisse, s'ils ne se dépouilloient pas de ces parties qui leur deviennent inutiles & leur empêchent de former un tout homogene. La nature pourvoit à cette dépuration vraisemblablement, en faisant dans les cellules adipeuses mêmes une nouvelle secrétion des parties aqueuses par des vaisseaux collatéraux qui partent de ces cellules & reçoivent ces parties pour les porter dans les vaisseaux lymphatiques ; ensorte que les sucs graisseux parviennent à s'épaissir de plus en plus à proportion qu'ils se dépurent davantage, & qu'ils perdent plus de leur mouvement progressif dans les différentes cavités des cellules qu'ils parcourent ; & à mesure que les molécules huileuses se réunissent entr'elles en vertu de leur analogie naturelle, sans aucun corps étranger intermédiaire, & acquierent plus de consistance : d'où s'ensuit enfin la formation complete de la substance onctueuse contenue dans ces cellules, qui devient une vraie graisse ; ce qui peut être comparé à ce qui se fait dans certains arbres, dont les sucs abondans principalement en parties aqueuses dans le tronc, se filtrent dans les branches & dans l'écorce, de maniere que ces parties s'en séparent entierement & qu'il en résulte des substances huileuses, inflammables, comme les baumes, les résines. La graisse tirée du corps des animaux n'est jamais dépouillée à ce point-là de son humidité : mais pour peu qu'elle soit exposée à l'action du feu pour en faire évaporer les parties aqueuses qui lui restent, elle devient aisément susceptible de prendre flamme.

Plusieurs physiologistes regardent la graisse ou les sucs huileux, filtrés, & déposés dans les cellules des différentes membranes adipeuses, comme une matiere qui étant reportée de ces cellules par des veines dans la masse des humeurs, est principalement destinée à contribuer à la formation des globules rouges du sang, & par conséquent à la nutrition. Voyez SANGUIFICATION, NUTRITION. Tel est l'usage général qu'ils attribuent à cette substance ; il n'est pas douteux qu'il ne se fasse une circulation des parties fluides de la graisse, qu'elles ne rentrent dans les vaisseaux sanguins, après avoir parcouru les cellules adipeuses qui sont entre les arteres & les veines correspondantes. Cela est bien prouvé par ce qui arrive à la suite des exercices violens, des grandes maladies, qui peuvent consumer la graisse la plus abondante en très-peu de tems : elle est forcée par les grands mouvemens musculaires, à parcourir ses cellules avec promtitude, & à se remêler dans le sang ; & même Ruysch, (de gland. fabr. ad Boerh.) rapporte avoir ouvert le corps d'un cheval très-gras, dont les cellules de l'épiploon furent trouvées rompues par l'effet d'une course forcée, au point qu'il s'étoit répandu plusieurs livres de graisse liquéfiée sous forme d'huile dans la capacité du bas-ventre ; ce qui avoit causé subitement la mort de l'animal. Le même auteur, (loco citato) assûre aussi qu'il a eu occasion d'observer des malades dont la fievre avoit diminué en peu de jours le poids du corps de plus de trente livres.

La trop grande chaleur animale & l'agitation extraordinaire des humeurs, rendent la graisse plus fluide, la font rentrer plus promtement de ses cellules dans la masse des humeurs, & empêchent la réparation des sucs adipeux en les détournant de leurs couloirs secrétoires, en ne leur permettant pas d'y entrer à cause de la rapidité avec laquelle ils se présentent à leurs orifices, d'où ils sont comme entraînés par le torrent.

Malpighi prétend que le principal effet pour lequel la graisse est reportée dans la masse du sang, est d'en adoucir l'acrimonie que les circulations répétées lui font contracter, d'en envelopper les sels exaltés par la chaleur, le mouvement, & l'alkalescence qui s'en suit. Mais l'observation paroît contraire à ce sentiment, puisqu'on voit ordinairement que la fievre est plus ardente, & les humeurs plus disposées à rancir, à devenir acres dans les sujets gras, que dans les maigres, & que les animaux qui ont le plus de graisse, & dans lesquels elle est plus ferme, moins disposée à circuler, à être reportée dans le sang, sont d'un caractere plus doux & plus benin. Il est certain que la graisse ne peut pas être broyée par l'action des muscles ou des vaisseaux, échauffée par le mouvement des humeurs au point d'être liquéfiée & remêlée dans la masse des humeurs, sans se corrompre & devenir extrêmement nuisible à l'économie animale. Mais n'est-il pas plus vraisemblable que les parties huileuses que fournit, que rend au sang la graisse par sa circulation naturelle, sans échauffement, sont destinées principalement à la formation de la bile & des autres humeurs, dans la composition desquelles il entre de ces parties ? L'amas de graisse qui se fait dans l'épiploon, dont le sang veineux fourni à la veine-porte est abondamment chargé des parties huileuses qui s'y sont mêlées, ne semble-t-il pas prouver ce qui vient d'être avancé ? Voyez FOIE (Physiol.) EPIPLOON.

Quoi qu'il en soit, les usages de la graisse sur lesquels il n'y a pas de contestation, sont tous relatifs à des effets particuliers, topiques : ainsi celle qui est renfermée dans la membrane adipeuse sous la peau, contribue à défendre le corps des injures de l'air, & sur-tout du froid, en mettant à couvert un grand nombre de vaisseaux sanguins & de nerfs distribués sous les tégumens de toute l'habitude du corps. Elle sert aussi à tenir la peau tendue, égale dans sa surface pour l'arrondissement des formes dans les différentes parties où il manqueroit sans ce moyen. C'est ainsi que la graisse contribue beaucoup à la beauté du corps, en empêchant que la peau ne se ride, en remplissant les vuides dans les intervalles des muscles, où il y auroit sans elle des enfoncemens défectueux à la vûe, particulierement à l'égard du visage, sous la peau des joües, des tempes, où il se trouve dans l'embonpoint des pelotons de graisse qui soûlevent les tégumens & les mettent de niveau avec les parties saillantes, dont les endroits qui seroient creux, se trouvent environnés. La même chose a lieu par rapport aux yeux, dont le globe est aussi enveloppé dans la graisse, excepté dans sa partie antérieure, pour qu'il soit d'un volume proportionné à la cavité de l'orbite, & comme pour mettre à couvert les muscles de ces organes des frottemens contre les parois osseuses qui les contiennent (attendu que toutes les membranes adipeuses sont insensibles par elles-mêmes), & pour faciliter le jeu des instrumens qui servent à les mouvoir. La graisse sert encore par la transudation huileuse qui s'en fait, à entretenir une certaine flexibilité, une mollesse convenable dans la peau, pour favoriser le jeu des vaisseaux & des nerfs de cette partie, & pour faciliter la transpiration cutanée, en conservant aux pores leur perméabilité. Elle est aussi d'une grande utilité aux muscles en général, en leur procurant la souplesse nécessaire à leur action, & en empêchant le frottement des fibres musculaires entr'elles & leur desséchement, qui contribue plus que la foiblesse à empêcher de se mouvoir les personnes qui sont dans le marasme.

La graisse facilite la sortie des excrémens & du fétus, en remplissant les intervalles qui se trouvent entre le rectum, le vagin, & les of du bassin : elle tient lieu de coussinet dans d'autres parties, & empêche qu'elles ne soient exposées à des pressions incommodes, douloureuses, & même à des contusions, comme aux fesses, au pubis, à la plante des piés. Elle n'est jamais abondante dans les parties où il n'y a que des muscles de peu de conséquence, comme au front, autour du crane ; parce que la nature semble n'en avoir placé que dans les parties exposées à l'action, à l'agitation, au frottement ; comme pour y servir de préservatif contre les mauvais effets de ces différens mouvemens. Elle ne paroît manquer que dans les parties où elle seroit nuisible, où elle gêneroit les fonctions, sans être d'ailleurs d'aucune utilité ; comme dans le tissu cellulaire des membranes du cerveau. Il en est de même des parties où les mouvemens sont peu considérables, peu fréquens, par exemple, dans le tissu cellulaire, qui est sous la peau des paupieres, sous celle du prépuce, où elle seroit d'un poids, d'un volume incommode ; dans la continuation de la membrane adipeuse, qui tapisse intérieurement la peau du scrotum. Dans ces différentes parties, les cellules analogues à celle de la membrane adipeuse, sont très-petites, d'un tissu plus délié, & d'une structure qui ne permet pas aux arteres d'y déposer les parties huileuses, dont leur sang est chargé ; d'autant plus qu'il y a peu de ces vaisseaux qui pénetrent dans les interstices de ces cellules : il n'y entre presque que des vaisseaux lymphatiques, qui rendent ces parties des tégumens plus susceptibles de bouffissure, de leucophlegmatie ; lorsque la sérosité du sang est portée en trop grande abondance dans ces portions du tissu cellulaire, ce à quoi sont aussi sujettes celles de toutes les autres parties du corps ; lorsque les cellules sont vuides de sucs adipeux, & qu'il n'y est porté au lieu de ces sucs, que la partie aqueuse du sang, qui peut former des infiltrations de proche en proche, dans toute l'étendue de ce tissu, qui peut aussi dans certains cas, à défaut de graisse, se remplir d'air, & même avec de la graisse, être pénétré, distendu ultérieurement par le fluide aérien ; ce qui forme des emphysèmes de différente espece. Voyez EMPHYSEME. Le même homme peut augmenter de volume du double par cette derniere cause, & il se peut faire une augmentation de poids aussi considérable par l'hydropisie de tout le tissu cellulaire (voyez HYDROPISIE), comme par la trop grande réplétion de sucs adipeux qui forme une sorte d'excès d'embonpoint, qui est l'obésité, sans que les solides qui constituent essentiellement la masse du corps animal, acquierent rien de plus dans cet état. Voyez NUTRITION. Et pour ce qui regarde les mauvais effets du trop de graisse, les moyens d'y remédier, voyez CORPULENCE, OBESITE. (d)

GRAISSE, (Diete, Pharmacie, & Mat. med.) la graisse prise intérieurement fatigue l'estomac, comme elle est fastidieuse à la bouche ; les chairs pénétrées ou mêlées de gros morceaux de graisse, comme celles des oiseaux & des quadrupedes que l'on engraisse à dessein pour le service des bonnes tables, sont indigestes & rassasiantes. Les assaisonnemens aromatiques & piquans les corrigent cependant en partie ; l'habitude & l'oisiveté des gens qui en font leur nourriture ordinaire, achevent de les leur rendre à-peu-près indifférentes. Un estomac peu habitué à ce genre d'alimens ne sauroit les supporter, & ils nuiroient plus infailliblement encore à celui d'un paysan vigoureux accoûtumé au grosses viandes.

On employe quelquefois la graisse intérieurement à titre de remede ; on donne des bouillons gras, par exemple, & du saindoux fondu contre l'action des poisons corrosifs.

On fait entrer les graisses fondues dans les lavemens adoucissans & relâchans ; on les applique extérieurement comme résolutives, émollientes, & adoucissantes.

Les graisses font la base la plus ordinaire des pommades, des onguens, des linimens ; elles entrent dans quelques emplâtres.

On n'employe pas indifféremment les graisses de tous les animaux dans chacune de ces compositions pharmaceutiques ; on demande au contraire toûjours une certaine graisse particuliere ; & il y a du choix en effet quant à la perfection, à l'élégance, & surtout à la consistance du médicament, quoique ce choix soit assez indifférent par rapport à ses vertus medicinales.

On a cependant distingué les graisses de divers animaux par ces dernieres propriétés, & on a attribué à quelques-unes plusieurs vertus particulieres, à la graisse humaine, par exemple, à la graisse d'ours, des viperes, &c. Voyez les articles particuliers.

La préparation des graisses qu'on veut conserver pour les usages medicinaux se fait ainsi. Prenez d'une graisse quelconque autant que vous voudrez, séparez-la des morceaux de peau, des gros vaisseaux, des tendons, &c. auxquels elle peut tenir ; coupez-la par petits morceaux, battez-la dans un mortier de marbre, lavez-la plusieurs fois à froid avec de l'eau pure, faites-la fondre au bain-marie, passez-la à travers un linge, & serrez-la dans un vaisseau convenable. (b)

GRAISSE DE VERRE, ou FIEL & SEL DE VERRE, écume prise sur la surface de la matiere dont elle se forme avant que d'être vitrifiée. Voyez VERRE.


GRAISSERv. act. (Art méch.) c'est enduire de graisse ou même d'huile. Ainsi les Cardeurs disent graisser la laine ; c'est l'action de la rendre plus douce, plus forte, & plus facile à être filée, en répandant de l'huile d'olive dessus.


GRAMEN PARNASSIParnassia, que l'on rend en françois par la fleur du Parnasse, est une plante annuelle dont la tige d'un demi-pié de haut, est menue & chargée de feuilles presque rondes attachées à de longues queues rougeâtres, semblables à celles de la violette ou du lierre, & embrassées vers le bas d'une feuille sans queue. La fleur est rosacée ou blanche, composée de dix feuilles, cinq grandes & cinq petites, qui sont frangées : il succede à cette fleur un fruit ovale rempli de semence.

Cette plante vient ordinairement dans les prés & dans des lieux humides ; on la seme sur couche. Quand on la veut placer dans les jardins, elle se peut élever en pots, & fait assez bien. (K)


GRAMINÉES(semences des plantes) Diete. V. FARINE & FARINEUX.


GRAMMAIRES. f. terme abstrait. R. , Littera, lettre ; les Latins l'appellerent quelquefois Litteratura. C'est la science de la parole prononcée ou écrite. La parole est une sorte de tableau dont la pensée est l'original ; elle doit en être une fidele imitation, autant que cette fidélité peur se trouver dans la représentation sensible d'une chose purement spirituelle. La Logique, par le secours de l'abstraction, vient à bout d'analyser en quelque sorte la pensée, toute indivisible qu'elle est, en considérant séparément les idées différentes qui en sont l'objet, & la relation que l'esprit apperçoit entr'elles. C'est cette analyse qui est l'objet immédiat de la parole ; & c'est pour cela que l'art d'analyser la pensée, est le premier fondement de l'art de parler, ou en d'autres termes, qu'une saine Logique est le fondement de la Grammaire.

En effet, de quelques termes qu'il plaise aux différens peuples de la terre de faire usage, de quelque maniere qu'ils s'avisent de les modifier, quelque disposition qu'ils leur donnent : ils auront toûjours à rendre des perceptions, des jugemens, des raisonnemens ; il leur faudra des mots pour exprimer les objets de leurs idées, leurs modifications, leurs corrélations ; ils auront à rendre sensibles les différens points de vûe sous lesquels ils auront envisagé toutes ces choses ; souvent le besoin les obligera d'employer des termes appellatifs & généraux, même pour exprimer des individus ; & conséquemment ils ne pourront se passer de mots déterminatifs pour restraindre la signification trop vague des premiers. Dans toutes les langues on trouvera des propositions qui auront leurs sujets & leurs attributs ; des termes dont le sens incomplet exigera un complément, un régime : en un mot, toutes les langues assujettiront indispensablement leur marche aux lois de l'analyse logique de la pensée ; & ces lois sont invariablement les mêmes partout & dans tous les tems, parce que la nature & la maniere de procéder de l'esprit humain sont essentiellement immuables. Sans cette uniformité & cette immutabilité absolue, il ne pourroit y avoir aucune communication entre les hommes de différens siecles ou de différens lieux, pas même entre deux individus quelconques, parce qu'il n'y auroit pas une regle commune pour comparer leurs procédés respectifs.

Il doit donc y avoir des principes fondamentaux communs à toutes les langues, dont la vérité indestructible est antérieure à toutes les conventions arbitraires ou fortuites qui ont donné naissance aux différens idiomes qui divisent le genre humain.

Mais on sent bien qu'aucun mot ne peut être le type essentiel d'aucune idée ; il n'en devient le signe que par une convention tacite, mais libre ; on auroit pû lui donner un sens tout contraire. Il y a une égale liberté sur le choix des moyens que l'on peut employer, pour exprimer la corrélation des mots dans l'ordre de l'énonciation, & celle de leurs idées dans l'ordre analytique de la pensée. Mais les conventions une fois adoptées, c'est une obligation indispensable de les suivre dans tous les cas pareils ; & il n'est plus permis de s'en départir que pour se conformer à quelque autre convention également autentique, qui déroge aux premieres dans quelque point particulier, ou qui les abroge entierement. De-là la possibilité & l'origine des différentes langues qui ont été, qui sont, & qui seront parlées sur la terre.

La Grammaire admet donc deux sortes de principes. Les uns sont d'une vérité immuable & d'un usage universel ; ils tiennent à la nature de la pensée même ; ils en suivent l'analyse ; ils n'en sont que le résultat. Les autres n'ont qu'une vérité hypothétique & dépendante de conventions libres & muables, & ne sont d'usage que chez les peuples qui les ont adoptés librement, sans perdre le droit de les changer ou de les abandonner, quand il plaira à l'usage de les modifier ou de les proscrire. Les premiers constituent la Grammaire générale, les autres sont l'objet des diverses Grammaires particulieres.

La Grammaire générale est donc la science raisonnée des principes immuables & généraux de la parole prononcée ou écrite dans toutes les langues.

Une Grammaire particuliere est l'art d'appliquer aux principes immuables & généraux de la parole prononcée ou écrite, les institutions arbitraires & usuelles d'une langue particuliere.

La Grammaire générale est une science, parce qu'elle n'a pour objet que la spéculation raisonnée des principes immuables & généraux de la parole ; une Grammaire particuliere est un art, parce qu'elle envisage l'application pratique des institutions arbitraires & usuelles d'une langue particuliere aux principes généraux de la parole (voyez ART). La science grammaticale est antérieure à toutes les langues, parce que ses principes sont d'une vérité éternelle, & qu'ils ne supposent que la possibilité des langues : l'art grammatical au contraire est postérieur aux langues, parce que les usages des langues doivent exister avant qu'on les rapporte artificiellement aux principes généraux. Malgré cette distinction de la science grammaticale & de l'art grammatical, nous ne prétendons pas insinuer que l'on doive ou que l'on puisse même en séparer l'étude. L'art ne peut donner aucune certitude à la pratique, s'il n'est éclairé & dirigé par les lumieres de la spéculation ; la science ne peut donner aucune consistance à la théorie, si elle n'observe les usages combinés & les pratiques différentes, pour s'élever par degrés jusqu'à la généralisation des principes. Mais il n'en est pas moins raisonnable de distinguer l'un de l'autre, d'assigner à l'un & à l'autre son objet propre, de prescrire leurs bornes respectives, & de déterminer leurs différences.

C'est pour les avoir confondues que le P. Buffier, (Gramm. fr. n°. 9. & suiv.) regarde comme un abus introduit par divers Grammairiens, de dire : l'usage est en ce point opposé à la Grammaire. " Puisque la Grammaire, dit-il à ce sujet, n'est que pour fournir des regles ou des réflexions qui apprennent à parler comme on parle ; si quelqu'une de ces regles ou de ces réflexions ne s'accorde pas à la maniere de parler comme on parle, il est évident qu'elles sont fausses & doivent être changées ". Il est très-clair que notre Grammairien ne pense ici qu'à la Grammaire particuliere d'une langue, à celle qui apprend à parler comme on parle, à celle enfin que l'on désigne par le nom d'usage dans l'expression censurée. Mais cet usage a toûjours un rapport nécessaire aux lois immuables de la Grammaire générale, & le P. Buffier en convient lui-même dans un autre endroit. " Il se trouve essentiellement dans toutes les langues, dit-il, ce que la Philosophie y considere, en les regardant comme les expressions naturelles de nos pensées : car comme la nature a mis un ordre nécessaire dans nos pensées, elle a mis, par une conséquence infaillible, un ordre nécessaire dans les langues ". C'est en effet pour cela que dans toutes on trouve les mêmes especes de mots ; que ces mots y sont assujettis à-peu-près aux mêmes especes d'accidens ; que le discours y est soûmis à la triple syntaxe, de concordance, de régime, & de construction, &c. Ne doit-il pas résulter de tout ceci un corps de doctrine indépendant des décisions arbitraires de tous les usages, & dont les principes sont des lois également universelles & immuables ?

Or c'est à ces lois de la Grammaire générale, que les usages particuliers des langues peuvent se conformer ou ne pas se conformer quant à la lettre, quoiqu' effectivement ils en suivent toûjours & nécessairement l'esprit. Si l'on trouve donc que l'usage d'une langue autorise quelque pratique contraire à quelqu'un de ces principes fondamentaux, on peut le dire sans abus, ou plutôt il y auroit abus à ne pas le dire nettement ; & rien n'est moins abusif que le mot de Cicéron (orat. n. 47.) Impetratum est à consuetudine ut peccare suavitatis causâ liceret : c'est à l'usage qu'il attribue les fautes dont il parle, impetratum est à consuetudine ; & conséquemment il reconnoît une regle indépendante de l'usage & supérieure à l'usage ; c'est la nature même, dont les décisions relatives à l'art de la parole forment le corps de la science grammaticale. Consultons de bonne foi ces décisions, & comparons-y sans préjugé les pratiques usuelles ; nous serons bientôt en état d'apprécier l'opinion du P. Buffier. Les idiotismes suffiroient pour la sapper jusqu'aux fondemens, si nous voulions nous permettre une digression que nous avons condamnée ailleurs (voyez GALLICISME & IDIOTISME) : mais il ne nous faut qu'un exemple pour parvenir à notre but, & nous le prendrons dans l'Ecriture. Que signifient les plaintes que nous entendons faire tous les jours sur les irrégularités de notre alphabet, sur les emplois multipliés de la même lettre pour représenter divers élémens de la parole, sur l'abus contraire de donner à un même élément plusieurs caracteres différens, sur celui de réunir plusieurs caracteres pour représenter un élément simple, &c ? C'est la comparaison secrette des institutions usuelles avec les principes naturels, qui fait naître ces plaintes ; on voit, quoi qu'on en puisse dire, que l'usage autorise de véritables fautes contre les principes immuables dictés par la nature.

Eh ! comment pourroit-il se faire que l'usage des langues s'accordât toûjours avec les vûes générales & simples de la nature ? Cet usage est le produit du concours fortuit de tant de circonstances quelquefois très-discordantes. La diversité des climats ; la constitution politique des Etats ; les révolutions qui en changent la face ; l'état des sciences, des arts, du commerce ; la religion & le plus ou le moins d'attachement qu'on y a ; les prétentions opposées des nations, des provinces, des villes, des familles même : tout cela contribue à faire envisager les choses, ici sous un point de vûe, là sous un autre, aujourd'hui d'une façon, demain d'une maniere toute différente ; & c'est l'origine de la diversité des génies des langues. Les différens résultats des combinaisons infinies de ces circonstances, produisent la différence prodigieuse que l'on trouve entre les mots des diverses langues qui expriment la même idée, entre les moyens qu'elles adoptent pour désigner les rapports énonciatifs de ces mots, entre les tours de phrase qu'elles autorisent, entre les licences qu'elles se permettent. Cette influence du concours des circonstances est frappante, si l'on prend des termes de comparaison très-éloignés, ou par les lieux, ou par les tems, comme de l'orient à l'occident, ou du regne de Charlemagne à celui de Louis le bien-aimé : elle le sera moins, si les points sont plus voisins, comme d'Italie en France, ou du siecle de François I. à celui de Louis XIV : en un mot plus les termes comparés se rapprocheront, plus les différences paroîtront diminuer ; mais elles ne seront jamais totalement anéanties : elles demeureront encore sensibles entre deux nations contiguës, entre deux provinces limitrophes, entre deux villes voisines, entre deux quartiers d'une même ville, entre deux familles d'un même quartier : il y a plus, le même homme varie ses façons de parler d'âge en âge, de jour en jour. De-là la diversité des dialectes d'une même langue, suite naturelle de l'égale liberté & de la différente position des peuples & des Etats qui composent une même nation : de-là cette mobilité, cette succession de nuances, qui modifie perpétuellement les langues, & les métamorphose insensiblement en d'autres toutes différentes : c'est encore une des principales causes des difficultés qui peuvent se trouver dans l'étude des Grammaires particulieres.

Rien n'est plus aisé que de se méprendre sur le véritable usage d'une langue. Si elle est morte, on ne peut que conjecturer ; on est réduit à une portion bornée de témoignages consignés dans les livres du meilleur siecle. Si elle est vivante, la mobilité perpétuelle de l'usage empêche qu'on ne puisse l'assigner d'une maniere fixe ; ses oracles n'ont qu'une vérité momentanée. Dans l'un & dans l'autre cas, il ne faut négliger aucune des ressources que le hasard peut offrir, ou que l'art d'enseigner peut fournir.

Le moyen le plus utile & le plus avoué par la raison & par l'expérience, c'est de diviser l'objet dont on traite en différens points capitaux, auxquels on puisse rapporter les différens principes & les diverses observations qui concernent cet objet. Chacun de ces points capitaux peut être soudivisé en des parties subordonnées, qui serviront à mettre de l'ordre dans les matieres relatives aux premiers chefs de distribution. Mais les membres de ces divisions doivent effectivement présenter des parties différentes de l'objet total, ou les différens points de vûe sous lesquels on se propose de l'envisager ; il doit y en avoir assez pour faire connoître tout l'objet, & assez peu pour ne pas surcharger la mémoire, & ne pas distraire l'attention. Voici donc comment nous croyons devoir distribuer la Grammaire, soit générale, soit particuliere.

La Grammaire considere la parole dans deux états différens, ou comme prononcée, ou comme écrite : la parole écrite est l'image de la parole prononcée, & celle-ci est l'image de la pensée. Ces deux points de vûe peuvent donc être comme les deux principaux points de réunion, auxquels on rapporte toutes les observations grammaticales ; & toute la Grammaire se divise ainsi en deux parties générales, dont la premiere qui traite de la parole, peut être appellée Orthologie ; & la seconde, qui traite de l'écriture, se nomme Orthographe. La nécessité de caractériser avec précision les points saillans de notre système grammatical, & la liberté que l'usage de notre langue paroît avoir laissé sur la formation des termes techniques, nous ont déterminés à en risquer plusieurs, que l'on trouvera dans le tableau que nous allons présenter de la distribution de la Grammaire. Nous ferons en sorte qu'ils soient dans l'analogie des termes didactiques usités, & qu'ils expriment exactement toute l'étendue de l'objet que nous prétendons leur faire désigner : à mesure qu'ils se présenteront, nous les expliquerons par leurs racines. Ainsi le mot Orthologie a pour racines , rectus, & , sermo ; ce qui signifie maniere de bien parler.

De l'Orthologie. Pour rendre la pensée sensible par la parole, on est obligé d'employer plusieurs mots, auxquels on attache les sens partiels que l'analyse démêle dans la pensée totale. C'est donc des mots qu'il est question dans la premiere partie de la Grammaire, & on peut les y considérer ou isolés, ou rassemblés, c'est-à-dire, ou hors de l'élocution, ou dans l'ensemble de l'élocution ; ce qui partage naturellement le traité de la parole en deux parties, qui sont la Lexicologie & la Syntaxe. Le terme de Lexicologie signifie explication des mots ; R. R. , vocabulum, & , sermo. Ce mot a déjà été employé par M. l'abbé Girard, mais dans un sens différent de celui que nous lui assignons, & que ses racines mêmes paroissent indiquer. M. Duclos semble diviser comme nous l'objet du traité de la parole ; il commence ainsi ses remarques sur le dernier chap. de la Grammaire générale : " La Grammaire de quelque langue que ce soit, a deux fondemens, le Vocabulaire & la Syntaxe ". Mais le Vocabulaire n'est que le catalogue des mots d'une langue, & chaque langue a le sien ; au lieu que ce que nous appellons Lexicologie, contient sur cet objet des principes raisonnés communs à toutes les langues.

I. L'office de la Lexicologie est donc d'expliquer tout ce qui concerne la connoissance des mots ; & pour y procéder avec méthode, elle en considere le matériel, la valeur, & l'étymologie.

1°. Le matériel des mots comprend leurs élémens & leur prosodie.

Les sons & les articulations sont les parties élémentaires des mots, & les syllabes qui résultent de leur combinaison, en sont les parties intégrantes & immédiates. Voyez SON & SYLLABE.

La Prosodie fixe les décisions de l'usage par rapport à l'accent & à la quantité. L'accent est la mesure de l'élévation, comme la quantité est la mesure de la durée du son dans chaque syllabe. Voyez PROSODIE, ACCENT, ANTITETITE.

Les mots ne conservent pas toûjours la forme matérielle que l'usage vulgaire leur a assignée primitivement ; souvent il se fait des changemens, ou dans les parties élémentaires, ou dans les parties intégrantes qui les composent, sans que ces licences avouées de l'usage en alterent la signification : comme dans les mots religio, amasti, amarier, au lieu de religio, amavisti, amari. On donne communément le nom de figures aux divers changemens qui arrivent à la forme matérielle des mots. Voyez au mot FIGURE l'article des figures de diction qui regardent le matériel du mot.

2°. La valeur des mots consiste dans la totalité des idées que l'usage a attachées à chaque mot. Les différentes especes d'idées que les mots peuvent rassembler dans leur signification, donnent lieu à la Lexicologie de distinguer dans la valeur des mots trois sens différens ; le sens fondamental, le sens spécifique, & le sens accidentel.

Le sens fondamental est celui qui résulte de l'idée fondamentale que l'usage a attachée originairement à la signification de chaque mot : cette idée peut être commune à plusieurs mots, qui n'ont pas pour cela la même valeur, parce que l'esprit l'envisage dans chacun d'eux sous des points de vûe différens. Par rapport à cette idée primitive, les mots peuvent être pris ou dans le sens propre, ou dans le sens figuré. Un mot est dans le sens propre, lorsqu'il est employé pour réveiller dans l'esprit l'idée qu'on a eu intention de lui faire signifier primitivement ; & il est dans le sens figuré, lorsqu'il est employé pour exciter dans l'esprit une autre idée qui ne lui convient que par son analogie avec celle qui est l'objet du sens propre. On donne communément le nom de tropes aux divers changemens de cette espece, qui peuvent se faire dans le sens fondamental des mots. Voyez SENS & TROPE.

Le sens spécifique est celui qui résulte de la différence des points de vûe, sous lesquels l'esprit peut envisager l'idée fondamentale, relativement à l'analyse de la pensée. De-là les différentes especes de mots, les noms, les pronoms, les adjectifs, &c. (voyez MOT, NOM, PRONOM, &c.) On trouve souvent des mots de la même espece, qui semblent exprimer la même idée fondamentale & le même point de vûe analytique de l'esprit ; on donne à ces mots la qualification de synonymes, pour faire entendre qu'ils ont précisément la même signification ; & on appelle synonymie la propriété qui les fait ainsi qualifier. Nous examinerons ce qu'il y a de vrai & d'utile sur cette matiere aux articles SYNONYMES & SYNONYMIE.

Le sens accidentel est celui qui résulte de la différence des relations des mots à l'ordre de l'énonciation. Ces diverses relations sont communément indiquées par des formes différentes, telles qu'il plaît aux usages arbitraires des langues de les fixer : de-là les genres, les cas, les nombres, les personnes, les tems, les modes (voyez ACCIDENT & tous les mots que nous venons d'indiquer). Les différentes lois de l'usage sur la génération des formes qui expriment ces accidens, constituent les déclinaisons & les conjugaisons. Voyez DECLINAISON & CONJUGAISON.

3°. L'Etymologie des mots est la source d'où ils sont tirés. L'étude de l'étymologie peut avoir deux fins différentes.

La premiere est de suivre l'analogie d'une langue, pour se mettre en état d'y introduire des mots nouveaux, selon l'occurrence des besoins : c'est ce qu'on appelle la formation ; & elle se fait ou par dérivation ou par composition. De-là les mots primitifs & les dérivés, les mots simples & les composés. Voyez FORMATION.

Le second objet de l'étude de l'étymologie, est de remonter effectivement à la source d'un mot, pour en fixer le véritable sens par la connoissance de ses racines génératrices ou élémentaires, naturelles ou étrangeres : c'est l'art étymologique, qui suppose des moyens d'invention, & des regles de critique pour en faire usage. Voyez ETYMOLOGIE & ART ETYMOLOGIQUE.

Tels sont les points de vûe fondamentaux auxquels on peut rapporter les principes de la Lexicologie. C'est aux dictionnaires de chaque langue à marquer sur chacun des mots qu'ils renferment, les décisions propres de l'usage, relatives à ces points de vûe. Voyez DICTIONNAIRE, & plusieurs remarques de l'article ENCYCLOPEDIE.

II. L'office de la Syntaxe est d'expliquer tout ce qui concerne le concours des mots réunis, pour exprimer une pensée. Quand on veut transmettre sa pensée par le secours de la parole, la totalité des mots que l'on réunit pour cette fin, fait une proposition ; la syntaxe en examine la matiere & la forme.

1°. La matiere de la proposition est la totalité des parties qui entrent dans sa composition ; & ces parties sont de deux especes, logiques, & grammaticales.

Les parties logiques sont les expressions totales de chacune des idées que l'esprit apperçoit nécessairement dans l'analyse de la pensée, savoir le sujet, l'attribut, & la copule. Le sujet est la partie de la proposition qui exprime l'objet dans lequel l'esprit apperçoit l'existence ou la non-existence d'une modification ; l'attribut est celle qui exprime la modification, dont l'esprit apperçoit l'existence ou la non-existence dans le sujet ; & la copule est la partie qui exprime l'existence ou la non-existence de l'attribut dans le sujet.

Les parties grammaticales de la proposition sont les mots que les besoins de l'énonciation & de la langue que l'on parle y font entrer, pour constituer la totalité des parties logiques. Voyez SUJET & COPULE.

Les différentes manieres dont les parties grammaticales constituent les parties logiques, font naître les différentes especes de propositions ; les simples & les composées, les incomplexes & les complexes, les principales & les incidentes, &c. Voyez PROPOSITION, & ce qui en est dit à l'article CONSTRUCTION.

2°. La forme de la proposition consiste dans les inflexions particulieres, & dans l'arrangement respectif des différentes parties dont elle est composée. Par rapport à cet objet, la syntaxe est différente dans chaque langue pour les détails ; mais toutes ses regles, dans quelque langue que ce soit, se rapportent à trois chefs généraux, qui sont la Concordance, le Régime, & la Construction.

La Concordance est l'uniformité des accidens communs à plusieurs mots, comme sont les genres, les nombres, les cas, &c. Les regles que la syntaxe prescrit sur la concordance, ont pour fondement un rapport d'identité entre les mots qu'elle fait accorder, parce qu'ils expriment conjointement un même & unique objet. Ainsi la concordance est ordinairement d'un mot modificatif avec un mot subjectif, parce que la modification d'un sujet n'est autre chose que le sujet modifié. Le modificatif se rapporte au subjectif, ou par apposition, ou par attribution ; par apposition, lorsqu'ils sont réunis pour exprimer une seule idée précise, comme quand on dit, ces hommes savans : par attribution, lorsque le modificatif est l'attribut d'une proposition dont le subjectif est le sujet, comme quand on dit, ces hommes sont savans. Toutes les langues qui admettent dans les modificatifs des accidens semblables à ceux des subjectifs, mettent ces mots en concordance dans le cas de l'apposition, parce que l'identité y est réelle & nécessaire ; la plûpart l'exigent encore dans le cas de l'attribution, parce que l'identité y est réelle : mais quelques-unes ne l'admettent pas, & employent l'adverbe au lieu de l'adjectif, parce que dans l'analyse de la proposition, elles envisagent le sujet & l'attribut comme deux objets séparés & différens : ainsi pour dire ces hommes savans, on dit en allemand, diese gelehrten männer, comme en latin, hi docti viri ; mais pour dire ces hommes sont savans, on dit en allemand, diese männer sind gelehrt, comme on diroit en latin, hi viri sunt doctè, ou cùm doctrinâ, au lieu de dire sunt docti. L'une de ces deux pratiques est peut-être plus conforme que l'autre aux lois de la Grammaire générale ; mais entreprendre sur ce principe de réformer celle des deux que l'on croiroit la moins exacte, ce seroit pécher contre la plus essentielle des lois de la Grammaire générale même, qui doit abandonner sans réserve le choix des moyens de la parole à l'usage, Quem penès arbitrium est & jus & norma loquendi. Voyez CONCORDANCE, APPOSITION, AGESAGE.

Le Régime est le signe que l'usage a établi dans chaque langue, pour indiquer le rapport de détermination d'un mot à un autre. Le mot qui est en régime sert à rendre moins vague le sens général de l'autre mot auquel il est subordonné ; & celui-ci, par cette application particuliere, acquiert un degré de précision qu'il n'a point par lui-même. Chaque langue a ses pratiques différentes pour caractériser le régime & les différentes especes de régime : ici c'est par la place ; là par des prépositions ; ailleurs par des terminaisons ; par-tout c'est par les moyens qu'il a plû à l'usage de consacrer. Voyez REGIME & DETERMINATION.

La Construction est l'arrangement des parties logiques & grammaticales de la proposition. On doit distinguer deux sortes de construction : l'une analytique, & l'autre usuelle.

La construction analytique est celle où les mots sont rangés dans le même ordre que les idées se présentent à l'esprit dans l'analyse de la pensée. Elle appartient à la Grammaire générale, & elle est la regle invariable & universelle qui doit servir de base à la construction particuliere de quelque langue que ce soit ; elle n'a qu'une maniere de procéder, parce qu'elle n'envisage qu'un objet, l'exposition claire & suivie de la pensée.

La construction usuelle, est celle où les mots sont rangés dans l'ordre autorisé par l'usage de chaque langue. Elle a différens procédés, à cause de la diversité des vûes qu'elle a à combiner & à concilier : elle ne doit point abandonner totalement la succession analytique des idées ; elle doit se prêter à la succession pathétique des objets qui intéressent l'ame ; & elle ne doit pas négliger la succession euphonique des expressions les plus propres à flater l'oreille. Ce mélange de vûes souvent opposées ne peut se faire sans avoir recours à quelques licences, sans faire quelques inversions à l'ordre analytique, qui est vraiment l'ordre fondamental : mais la Grammaire générale approuve tout ce qui mene à son but, à l'expression fidele de la pensée. Ainsi quelque vrais & quelque nécessaires que soient les principes fondamentaux de la Grammaire générale sur l'énonciation de la pensée ; quelque conformité que les usages particuliers des langues puissent avoir à ces principes, on trouve cependant dans toutes, des locutions tout-à-fait éloignées & des principes métaphysiques & des pratiques les plus ordinaires ; ce sont des écarts de l'usage avoués même par la raison. La construction usuelle est donc simple ou figurée : simple, quand elle suit sans écart le procédé ordinaire de la langue ; figurée, quand elle admet quelque façon de parler qui s'éloigne des lois ordinaires. On donne à ces locutions particulieres le nom de figures de construction, pour les distinguer de celles dont nous avons parlé plus haut, & qui sont des figures de mots, les unes relatives au matériel, & les autres au sens. Celles-ci sont les diverses altérations que les usages des langues autorisent dans la forme de la proposition. (voyez FIGURE & CONSTRUCTION) C'est communément sur quelques-unes de ces figures, que sont fondés les idiotismes particuliers des langues, & c'est en les ramenant à la construction analytique que l'on vient à-bout de les expliquer. C'est l'analyse seule qui remplit les vuides de l'ellipse, qui justifie les redondances du pléonasme, qui éclaire les détours de l'inversion. Voilà, nous osons le dire, la maniere la plus naturelle & la plus sûre d'introduire les jeunes gens à l'intelligence du latin & du grec. Voyez CONSTRUCTION, IDIOTISME, INVERSION, METHODE.

On voit par cette distribution de l'Orthologie, quelles sont les bornes précises de la Grammaire par rapport à cet objet. Elle n'examine ce qui concerne les mots, que pour les employer ensuite à l'expression d'un sens total dans une proposition. Faut-il réunir plusieurs propositions pour en composer un discours ? Chaque proposition isolée sera toûjours du ressort de la Grammaire, quant à l'expression du sens que l'on y envisagera ; mais ce qui concerne l'ensemble de toutes ces propositions, est d'un autre district. C'est à la Logique à décider du choix & de la force des raisons que l'on doit employer pour éclairer l'esprit : c'est à la Rhétorique à régler les tours, les figures, le style dont on doit se servir pour émouvoir le coeur par le sentiment, ou pour le gagner par l'agrément. Ainsi la Logique enseigne en quelque sorte ce qu'il faut dire ; la Grammaire, comment il faut le dire pour être entendu ; & la Rhétorique, comment il convient de le dire pour persuader.

De l'Orthographe. Les Arts n'ont pas été portés du premier coup à leur perfection ; ils n'y sont parvenus que par degrés, & après bien des changemens. Ainsi quand les hommes songerent à communiquer leurs pensées aux absens, ou à les transmettre à la postérité, ils ne s'aviserent pas d'abord des signes les plus propres à produire cet effet. Ils commencerent par employer des symboles représentatifs des choses, & ne songerent à peindre la parole même, qu'après avoir reconnu par une longue expérience l'insuffisance de leur premiere pratique, & l'inutilité de leurs efforts pour la perfectionner autant qu'il convenoit à leurs besoins. Voyez ECRITURE, CARACTERES, HIEROGLYPHES.

L'écriture symbolique fut donc remplacée par l'écriture ortographique, qui est la représentation de la parole. C'est cette derniere seule qui est l'objet de la Grammaire ; & pour en exposer l'art avec méthode, il n'y a qu'à suivre le plan même de l'Orthologie. Or nous avons d'abord considéré à part les mots qui sont les élémens de la proposition, ensuite nous avons envisagé l'ensemble de la proposition ; ainsi la Lexicologie & la Syntaxe sont les deux branches générales du traité de la parole. Celui de l'écriture peut se diviser également en deux parties correspondantes que nous nommerons Lexicographie & Logographie. R. R. , vocabulum ; , sermo ; & , scriptio : comme si l'on disoit ortographe des mots, & ortographe du discours. Le terme de Logographie est connu dans un autre sens, mais qui est éloigné du sens étymologique que nous revendiquons ici, parce que c'est le seul qui puisse rendre notre pensée.

I. L'office de la Lexicographie est de prescrire les regles convenables pour représenter le matériel des mots, avec les caracteres autorisés par l'usage de chaque langue. On considere dans le matériel des mots les élémens & la prosodie ; de-là deux sortes de caracteres, caracteres élémentaires, & caracteres prosodiques.

1°. Les caracteres élémentaires sont ceux que l'usage a destiné primitivement à la représentation des élémens de la parole, savoir les sons & les articulations. Ceux qui sont établis pour représenter les sons, se nomment voyelles ; ceux qui sont introduits pour exprimer les articulations, s'appellent consonnes : les uns & les autres prennent le nom commun de lettres. La liste de toutes les lettres autorisées par l'usage d'une langue, se nomme alphabet ; & on appelle alphabétique, l'ordre dans lequel on a coûtume de les ranger (voyez ALPHABET, LETTRES, VOYELLES, CONSONNES). Les Grecs donnerent aux lettres des noms analogues à ceux que nous leur donnons : ils les appellerent , élémens, ou , lettres. Les termes d'élemens, de sons & d'articulations, ne devroient convenir qu'aux élémens de la parole prononcée ; comme ceux de lettres, de voyelles & de consonnes, ne devroient se dire que de ceux de la parole écrite ; cependant c'est assez l'ordinaire de confondre ces termes, & de les employer les uns pour les autres. C'est à cet usage, introduit par la maniere dont les premiers Grammairiens envisagerent l'art de la parole, que l'on doit l'étymologie du mot Grammaire.

2°. Les caracteres prosodiques sont ceux que l'usage a établis pour diriger la prononciation des mots écrits. On peut en distinguer de trois sortes : les uns reglent l'expression même des mots ou de leurs élémens ; tels que la cédille, l'apostrophe, le tiret, & la diérèse : les autres avertissent de l'accent, c'est-à-dire de la mesure de l'élévation du son ; ce sont l'accent aigu, l'accent grave, & l'accent circonflexe : d'autres enfin fixent la quantité ou la mesure de la durée du son ; & on les appelle longue, breve, & douteuse, comme les syllabes mêmes dont elles caractérisent le son. Voyez PROSODIE, ACCENT, QUANTITE, & les mots que nous venons d'indiquer.

II. L'office de la Logographie est de prescrire les regles convenables pour représenter la relation des mots à l'ensemble de chaque proposition, & la relation de chaque proposition à l'ensemble du discours.

1°. Par rapport aux mots considérés dans la phrase, la Logographie doit en général fixer le choix des lettres capitales ou courantes ; indiquer les occasions où il convient de varier la forme du caractere & d'employer l'italique ou le romain, & prescrire les lois usuelles sur la maniere de représenter les formes accidentelles des mots, relatives à l'ensemble de la proposition.

2°. Pour ce qui est de la relation de chaque proposition à l'ensemble du discours, la Logographie doit donner les moyens de distinguer la différence des sens, & en quelque sorte les différens degrés de leur mutuelle dépendance. Cette partie s'appelle Ponctuation. L'usage n'y décide guere que la forme des caracteres qu'elle employe : l'art de s'en servir devient en quelque sorte une affaire de goût ; mais le goût a aussi ses regles, quoiqu'elles puissent plus difficilement être mises à la portée du grand nombre. Voyez PONCTUATION.

Tel est l'ordre que nous mettons dans notre maniere d'envisager la Grammaire. D'autres suivroient un plan tout différent, & auroient sans-doute de bonnes raisons pour préférer celui qu'ils adopteroient. Cependant le choix n'en est pas indifférent. De toutes les routes qui conduisent au même but, il n'y en a qu'une qui soit la meilleure. Nous n'avons garde d'assûrer que nous l'ayons saisie ; cette assertion seroit d'autant plus présomptueuse, que les principes d'après lesquels on doit décider de la préférence des méthodes didactiques, ne sont peut-être pas encore assez déterminés. Tout ce que nous pouvons avancer, c'est que nous n'avons rien négligé pour présenter les choses sous le point de vûe le plus favorable & le plus lumineux.

Il ne faut pas croire cependant que chacune des parties que nous avons assignées à la Grammaire puisse être traitée seule d'une maniere complete ; elles se doivent toutes des secours mutuels. Ce qui concerne l'écriture doit aller assez parallelement avec ce qui appartient à la parole : il est difficile de bien sentir les caracteres distinctifs des différentes especes de mots, sans connoître les vûes de l'analyse dans l'expression de la pensée ; & il est impossible de fixer bien précisément la nature des accidens des mots, si l'on ne connoît les emplois différens dont ils peuvent être chargés dans la proposition. Mais il n'en est pas moins nécessaire de rapporter à des chefs généraux toutes les matieres grammaticales, & de tracer un plan qui puisse être suivi, du moins dans l'exécution d'un ouvrage élémentaire. Avec cette connoissance des élémens, on peut reprendre le même plan & l'approfondir de suite sans obstacle, parce que les premieres notions présenteront partout, les secours qui sont dûs à l'une des parties par les autres. Nous allons les rapprocher ici dans un tableau raccourci, qui sera comme la récapitulation de l'exposition détaillée que nous en avons faite, & qui mettra sous les yeux du lecteur l'ordre vraiment encyclopédique des observations grammaticales.

SYSTÊME FIGURÉ DES PARTIES DE LA GRAMMAIRE.

Il faudroit peut-être, pour donner à cet article toute la perfection nécessaire, faire connoître ici les différentes Grammaires des langues savantes & vulgaires. Nous l'aurions souhaité, & nous l'avions même insinué à notre illustre prédécesseur : mais le tems ne nous a pas permis de le faire nous-mêmes ; & notre respect pour le public nous empêche de lui présenter des jugemens hasardés ou copiés. Nous dirons simplement qu'il y a peu d'ouvrages de Grammaire dont on ne puisse tirer quelque avantage, mais aussi qu'il y en a peu, où il n'y ait quelque chose à desirer pour le philosophique. (E. R. M.)


GRAMMAIRIENadj. qui est souvent pris substantivement ; il se dit d'un homme qui a fait une étude particuliere de la Grammaire.

Autrefois on distinguoit entre grammairien & grammatiste ; on entendoit par grammairien ce que nous entendons par homme de lettres, homme d'érudition, bon critique : c'est en ce sens que Suétone a pris ce mot dans son livre des grammairiens célebres. Voyez ci-devant l'article GENS DE LETTRES.

Quintilien dit qu'un grammairien doit être philosophe, orateur ; avoir une vaste connoissance de l'Histoire, être excellent critique & interprete judicieux des anciens auteurs & des poëtes ; il veut même que son grammairien n'ignore pas la Musique. Tout cela suppose un discernement juste & un esprit philosophique, éclairé par une saine Logique & par une Métaphysique solide. Mixtum in his omnibus judicium est. Quintil. inst. orat. lib. I. c. jv.

Ceux qui n'avoient pas ces connoissances & qui étoient bornés à montrer par état la pratique des premiers élémens des lettres, étoient appellés grammatistes.

Aujourd'hui on dit d'un homme de lettres, qu'il est bon grammairien, lorsqu'il s'est appliqué aux connoissances qui regardent l'art de parler & d'écrire correctement.

Mais s'il ne connoît pas que la parole n'est que le signe de la pensée ; que par conséquent l'art de parler suppose l'art de penser ; en un mot s'il n'a pas cet esprit philosophique qui est l'instrument universel & sans lequel nul ouvrage ne peut être conduit à la perfection, il est à peine grammatiste : ce qui fait voir la vérité de cette pensée de Quintilien, " que la Grammaire au fond est bien au-dessus de ce qu'elle paroît être d'abord " : plus habet in recessu quam in fronte promittit. Quintil. inst. orat. lib. I. c. jv. init.

Bien des gens confondent les Grammairiens avec les Grammatistes : mais il y a toûjours un ordre supérieur d'hommes, qui, comme Quintilien, ne jugent les choses grandes ou petites que par rapport aux avantages réels que la société peut en recueillir : souvent ce qui paroît grand aux yeux du vulgaire, ils le trouvent petit, si la société n'en doit tirer aucun profit ; & souvent ce que le commun des hommes trouvent petit, ils le jugent grand, si les citoyens en doivent devenir plus éclairés & plus instruits, & qu'il doive en résulter qu'ils en penseront avec plus d'ordre & de profondeur ; qu'ils s'exprimeront avec plus de justesse, de précision, & de clarté, & qu'ils en seront bien plus disposés à devenir utiles, & vertueux. (F)


GRAMMATIAou GARAMANTIAS, (Histoire nat.) nom donné par Pline & quelques naturalistes anciens à une espece de jaspe sanguin, c'est-à-dire verd, & rempli de taches rouges, suivant quelques-uns. Wallerius croit que c'est un jaspe rouge avec des veines blanches. On la portoit comme un amulete pour se garantir des poisons. Il ne faut pas confondre cette pierre avec le lapis garamanticus ou le grenat.


GRAMMONT(Hist. eccl.) abbaye chef d'ordre religieux qu'on nomme l'ordre de Grammont, fondé par saint Etienne de Grammont, environ l'an 1076, & qui fut d'abord gouverné par des prieurs jusqu'en l'an 1318, que Guillaume Belliceri fut nommé abbé de Grammont, & en reçut les marques des mains de Nicolas, cardinal d'Ostie. Cet ordre fut approuvé par divers papes, & la regle qui en étoit très-austere, fut mitigée d'abord par Innocent IV. en 1147, puis en 1309 par Clément V. Sainte-Marthe, Gall. christian. (G)

GRAMMONT, (Géog.) ou GRAND-MONT, Grandimontium, petite ville de France dans la Marche Limosine, seulement connue par son ancienne abbaye, à 6 lieues N. E. de Limoges. Long. 19. 8. lat. 45. 56.

Cette abbaye est le chef-lieu d'un ordre qui en porte le nom. Voyez l'article précédent. Elle est immédiatement soûmise au saint siége, & présente à la vûe un véritable desert propre à la solitude la plus pénitente. C'est tout près de cette retraite que le célebre Muret Marc-Antoine, l'un des plus excellens écrivains du xvj. siecle vint au monde ; sans le secours d'aucun maître, & par la seule force de son génie, il acquit une parfaite connoissance des langues greque & latine. Ses ouvrages recueillis à Venise en 1727, sont remplis d'érudition, de goût, & de délicatesse. Il passa ses jours en Italie, & mourut à Rome le 4 Juin 1585, âgé de 59 ans. (D.J.)

GRAMMONT, ou GERARD-MONT, Gerardi mons, (Géog.) les Flamands disent Gheersberg : ville de la Flandre autrichienne, sur la Dendre, à 3 lieues d'Oudenarde, 7 N. E. de Tournay. Long. 21. 31. lat. 50. 46. (D.J.)


GRAMONIES. f. terme de Commerce, en usage dans quelques échelles du levant, particulierement à Smyrne.

La gramonie signifie dans le commerce des soies une déduction de 3/4 de piastre par balle, outre & pardessus toutes les tares établies par l'usage. Dictionn. de Commerce, de Chambers, & de Trévoux.


GRANStrigonium, (Géog.) ville de la basse Hongrie, avec un archevêché, dont l'archevêque est chancelier d'Hongrie. Le sultan Soliman prit Gran en 1543 ; le prince Charles de Mansfeld la reprit en 1595 ; les Turcs y rentrerent en 1604 ; enfin les Impériaux les en chasserent en 1683. Elle est sur le Danube, à 8 lieues S. E. de Comorre, 10 N. O. de Bude, 13 E. de Raab, 14 N. E. d'Albe-royale, 35 S. E. de Vienne. Long. 36. 35. latit. 48. 4. (D.J.)


GRANDadj. GRANDEUR, s. f. (Gramm. & Littérat.) c'est un des mots les plus fréquemment employés dans le sens moral, & avec le moins de circonspection. Grand homme, grand génie, grand esprit, grand capitaine, grand philosophe, grand orateur, grand poëte ; on entend par cette expression quiconque dans son art passe de loin les bornes ordinaires. Mais comme il est difficile de poser ces bornes, on donne souvent le nom de grand au médiocre.

On se trompe moins dans les significations de ce terme au physique. On sait ce que c'est qu'un grand orage, un grand malheur, une grande maladie, de grands biens, une grande misere.

Quelquefois le terme gros est mis au physique pour grand, mais jamais au moral. On dit de gros biens, pour grandes richesses ; une grosse pluie, pour grande pluie ; mais non pas gros capitaine, pour grand capitaine ; gros ministre, pour grand ministre. Grand financier, signifie un homme très-intelligent dans les finances de l'état. Gros financier, ne veut dire qu'un homme enrichi dans la finance.

Le grand homme est plus difficile à définir que le grand artiste. Dans un art, dans une profession, celui qui a passé de loin ses rivaux, ou qui a la réputation de les avoir surpassés, est appellé grand dans son art, & semble n'avoir eu besoin que d'un seul mérite. Mais le grand homme doit réunir des mérites différens. Gonsalve, surnommé le grand capitaine, qui disoit que la toile d'honneur doit être grossierement tissue, n'a jamais été appellé grand homme. Il est plus aisé de nommer ceux à qui l'on doit refuser l'épithete de grand homme, que de trouver ceux à qui on doit l'accorder. Il semble que cette dénomination suppose quelques grandes vertus. Tout le monde convient que Cromwel étoit le général le plus intrépide de son tems, le plus profond politique, le plus capable de conduire un parti, un parlement, une armée. Nul écrivain cependant ne lui donne le titre de grand homme, parce qu'avec de grandes qualités il n'eut aucune grande vertu.

Il paroît que ce titre n'est le partage que du petit nombre d'hommes dont les vertus, les travaux, & les succès ont éclaté. Les succès sont nécessaires, parce qu'on suppose qu'un homme toûjours malheureux l'a été par sa faute.

Grand tout court, exprime seulement une dignité. C'est en Espagne un nom appellatif honorifique, distinctif, que le roi donne aux personnes qu'il veut honorer. Les grands se couvrent devant le roi, ou avant de lui parler, ou après lui avoir parlé, ou seulement en se mettant en leur rang avec les autres.

Charles-Quint confirma à 16 principaux seigneurs les priviléges de la grandesse ; cet empereur, roi d'Espagne, accorda les mêmes honneurs à beaucoup d'autres. Ses successeurs en ont toûjours augmenté le nombre. Les grands d'Espagne ont long-tems prétendu être traités comme les électeurs & les princes d'Italie. Ils ont à la cour de France les mêmes honneurs que les pairs.

Le titre de grand a toûjours été donné en France à plusieurs premiers officiers de la couronne, comme grand-sénéchal, grand-maître, grand-chambellan, grand-écuyer, grand-échanson ; grand-pannetier, grand-véneur, grand-louvetier, grand-fauconnier. On leur donna ce titre par prééminence, pour les distinguer de ceux qui servoient sous eux. On ne le donna ni au connétable, ni au chancelier, ni aux maréchaux, quoique le connétable fût le premier des grands officiers, le chancelier le second officier de l'état, & le maréchal le second officier de l'armée. La raison en est qu'ils n'avoient point de vice-gérens, de sous-connétables, de sous-maréchaux, de sous-chanceliers, mais des officiers d'une autre dénomination qui exécutoient leurs ordres ; au lieu qu'il y avoit des maîtres-d'hôtel sous le grand maître, des chambellans sous le grand-chambellan, des écuyers sous le grand-écuyer, &c.

Grand qui signifie grand-seigneur, a une signification plus étendue & plus incertaine ; nous donnons ce titre au sultan des Turcs, qui prend celui de padisha, auquel grand-seigneur ne répond point. On dit un grand, en parlant d'un homme d'une naissance distinguée, revêtu de dignités ; mais il n'y a que les petits qui le disent. Un homme de quelque naissance ou un peu illustré, ne donne ce nom à personne. Comme on appelle communément grand-seigneur celui qui a de la naissance, des dignités, & des richesses, la pauvreté semble ôter ce titre. On dit un pauvre gentil-homme, & non pas un pauvre grand seigneur.

Grand est autre que puissant ; on peut être l'un & l'autre. Mais le puissant désigne une place importante. Le grand annonce plus d'extérieur & moins de réalité. Le puissant commande : le grand a des honneurs.

On a de la grandeur dans l'esprit, dans les sentimens, dans les manieres, dans la conduite. Cette expression n'est point employée pour les hommes d'un rang médiocre, mais pour ceux qui par leur état sont obligés à montrer de l'élévation. Il est bien vrai que l'homme le plus obscur peut avoir plus de grandeur d'ame qu'un monarque. Mais l'usage ne permet pas qu'on dise, ce marchand, ce fermier s'est conduit avec grandeur ; à-moins que dans une circonstance singuliere & par opposition on ne dise, par exemple, le fameux négociant qui reçut Charles-Quint dans sa maison, & qui alluma un fagot de canelle avec une obligation de cinquante mille ducats qu'il avoit de ce prince, montra plus de grandeur d'ame que l'empereur.

On donnoit autrefois le titre de grandeur aux hommes constitués en dignité. Les curés en écrivant aux évêques, les appelloient encore votre grandeur. Ces titres que la bassesse prodigue & que la vanité reçoit ne sont plus guere en usage.

La hauteur est souvent prise pour de la grandeur. Qui étale la grandeur, montre la vanité. On s'est épuisé à écrire sur la grandeur, selon ce mot de Montagne : nous ne pouvons y atteindre, vengeons-nous par en médire. Voyez GRANDEUR & l'article suivant. Article de M. DE VOLTAIRE.

GRAND, s. m. (Philos. Mor. Politiq.) les grands : on nomme ainsi en général ceux qui occupent les premieres places de l'état, soit dans le gouvernement, soit auprès du prince.

On peut considérer les grands ou par rapport aux moeurs de la societé, ou par rapport à la constitution politique. Par rapport aux moeurs, voyez les articles COURTISAN, GLOIRE, GRANDEUR, FASTE, FLATERIE, NOBLESSE, &c. Nous prenons ici les grands en qualité d'hommes publics.

Dans la démocratie pure il n'y a de grands que les magistrats, ou plutôt il n'y a de grand que le peuple. Les magistrats ne sont grands que par le peuple & pour le peuple ; c'est son pouvoir, sa dignité, sa majesté, qu'il leur confie : de-là vient que dans les républiques bien constituées, on faisoit un crime autrefois de chercher à acquérir une autorité personnelle. Les généraux d'armée n'étoient grands qu'à la tête des armées ; leur autorité étoit celle de la discipline ; ils la déposoient en même tems que le soldat quittoit les armes, & la paix les rendoit égaux.

Il est de l'essence de la démocratie que les grandeurs soient électives, & que personne n'en soit exclu par état. Dès qu'une seule classe de citoyens est condamnée à servir sans espoir de commander, le gouvernement est aristocratique. Voyez ARISTOCRATIE.

La moins mauvaise aristocratie est celle où l'autorité des grands se fait le moins sentir. La plus vicieuse est celle où les grands sont despotes, & les peuples esclaves. Si les nobles sont des tyrans, le mal est sans remede : un sénat ne meurt point.

Si l'aristocratie est militaire, l'autorité des grands tend à se réunir dans un seul : le gouvernement touche à la monarchie ou au despotisme. Si l'aristocratie n'a que le bouclier des lois, il faut pour subsister qu'elle soit le plus juste & le plus modéré de tous les gouvernemens. Le peuple pour supporter l'autorité exclusive des grands, doit être heureux comme à Venise, ou stupide comme en Pologne.

De quelle sagesse, de quelle modestie la noblesse Vénitienne n'a-t-elle pas besoin pour ménager l'obéissance du peuple ! de quels moyens n'use-t-elle pas pour le consoler de l'inégalité ! Les courtisannes & le carnaval de Venise sont d'institution politique. Par l'un de ces moyens, les richesses des grands refluent sans faste & sans éclat vers le peuple : par l'autre, le peuple se trouve six mois de l'année au pair des grands, & oublie avec eux sous le masque sa dépendance & leur domination.

La liberté romaine avoit chéri l'autorité des rois ; elle ne put souffrir l'autorité des grands. L'esprit républicain fut indigné d'une distinction humiliante. Le peuple voulut bien s'exclure des premieres places, mais il ne voulut pas en être exclu ; & la preuve qu'il méritoit d'y prétendre, c'est qu'il eut la sagesse & la vertu de s'en abstenir.

En un mot la république n'est une que dans le cas du droit universel aux premieres dignités. Toute prééminence héréditaire y détruit l'égalité, rompt la chaîne politique, & divise les citoyens.

Le danger de la liberté n'est donc pas que le peuple prétende élire entre les citoyens sans exception, ses magistrats & ses juges, mais qu'il les méconnoisse après les avoir élûs. C'est ainsi que les Romains ont passé de la liberté à la licence, de la licence à la servitude.

Dans les gouvernemens républicains, les grands revêtus de l'autorité l'exercent dans toute sa force. Dans le gouvernement monarchique, ils l'exercent quelquefois & ne la possedent jamais : c'est par eux qu'elle passe ; ce n'est point en eux qu'elle réside ; ils en sont comme les canaux, mais le prince en ouvre & ferme la source, la divise en ruisseaux, en mesure le volume, en observe & dirige le cours.

Les grands comblés d'honneurs & dénués de force, représentent le monarque auprès du peuple, & le peuple auprès du monarque. Si le principe du gouvernement est corrompu dans les grands, il faudra bien de la vertu & dans le prince & dans le peuple, pour maintenir dans un juste équilibre l'autorité protectrice de l'un, & la liberté légitime de l'autre ; mais si cet ordre est composé de fideles sujets & de bons patriotes, il sera le point d'appui des forces de l'état, le lien de l'obéissance & de l'autorité.

Il est de l'essence du gouvernement monarchique comme du républicain, que l'état ne soit qu'un, que les parties dont il est composé forment un tout solide & compacte. Cette machine vaste toute simple qu'elle est, ne sauroit subsister que par une exacte combinaison de ses pieces ; si les mouvemens sont interrompus ou opposés, le principe même de l'activité devient celui de la destruction.

Or la position des grands dans un état monarchique, sert merveilleusement à établir & à conserver cette communication, cette harmonie, cet ensemble, d'où résulte la continuité réguliere du mouvement général.

Il n'en est pas ainsi dans un gouvernement mixte, où l'autorité est partagée & balancée entre le prince & la nation. Si le prince dispense les graces, les grands seront les mercenaires du prince, & les corrupteurs de l'état : au nombre des subsides imposés sur le peuple, sera compris tacitement l'achat annuel des suffrages, c'est-à-dire ce qu'il en coûte au prince pour payer aux grands la liberté du peuple. Le prince aura le tarif des voix, & l'on calculera en son conseil combien telles & telles vertus peuvent lui coûter à corrompre.

Mais dans un état monarchique bien constitué, où la plénitude de l'autorité réside dans un seul sans jalousie & sans partage, où par conséquent toute la puissance du souverain est dans la richesse, le bonheur & la fidélité de ses sujets, le prince n'a aucune raison de surprendre le peuple : le peuple n'a aucune raison de se défier du prince : les grands ne peuvent servir ni trahir l'un sans l'autre ; ce seroit en eux une fureur absurde que de porter le prince à la tyrannie, ou le peuple à la révolte. Premiers sujets, premiers citoyens, ils sont esclaves si l'état devient despotique ; ils retombent dans la foule, si l'état devient républicain : ils tiennent donc au prince par leur supériorité sur le peuple ; ils tiennent au peuple par leur dépendance du prince, & par-tout ce qui leur est commun avec le peuple, liberté, propriété, sûreté, &c. aussi les grands sont attachés à la constitution monarchique par intérêt & par devoir, deux liens indissolubles lorsqu'ils sont entrelacés.

Cependant l'ambition des grands semble devoir tendre à l'aristocratie ; mais quand le peuple s'y laisseroit conduire, la simple noblesse s'y opposeroit, à-moins qu'elle ne fût admise au partage de l'autorité ; condition qui donneroit aux premiers de l'état vingt mille égaux au lieu d'un maître, & à laquelle par conséquent ils ne se résoudront jamais ; car l'orgueil de dominer qui fait seul les révolutions, souffre bien moins impatiemment la supériorité d'un seul, que l'égalité d'un grand nombre.

Le desordre le plus effroyable de la monarchie, c'est que les grands parviennent à usurper l'autorité qui leur est confiée, & qu'ils tournent contre le prince & contre l'état lui-même, les forces de l'état déchiré par les factions. Telle étoit la situation de la France lorsque le cardinal de Richelieu, ce génie hardi & vaste, ramona les grands sous l'obéissance du prince, & les peuples sous la protection de la loi. On lui reproche d'avoir été trop loin ; mais peut-être n'avoit-il pas d'autre moyen d'affermir la monarchie, de rétablir dans sa direction naturelle ce grand arbre courbé par l'orage, que de le plier dans le sens opposé.

La France formoit autrefois un gouvernement fédératif très-mal combiné, & sans-cesse en guerre avec lui-même. Depuis Louis XI. tous ces co-états avoient été réunis en un ; mais les grands vassaux conservoient encore dans leurs domaines l'autorité qu'ils avoient eue sous leurs premiers souverains, & les gouverneurs qui avoient pris la place de ces souverains, s'en attribuoient la puissance. Ces deux partis opposoient à l'autorité du monarque des obstacles qu'il falloit vaincre. Le moyen le plus doux, & par conséquent le plus sage, étoit d'attirer à la cour ceux qui, dans l'éloignement & au milieu des peuples accoûtumés à leur obéir, s'étoient rendus si redoutables. Le prince fit briller les distinctions & les graces ; les grands accoururent en foule ; les gouverneurs furent captivés, leur autorité personnelle s'évanoüit en leur absence, leurs gouvernemens héréditaires devinrent amovibles, & l'on s'assûra de leurs successeurs ; les seigneurs oublierent leurs vassaux, ils en furent oubliés ; leurs domaines furent divisés, aliénés, dégradés insensiblement, & il ne resta plus du gouvernement féodal que des blasons & des ruines.

Ainsi la qualité de grand de la cour n'est plus qu'une foible image de la qualité de grand du royaume. Quelques-uns doivent cette distinction à leur naissance. La plûpart ne la doivent qu'à la volonté du souverain ; car la volonté du souverain fait les grands comme elle fait les nobles, & rend la grandeur ou personnelle, ou héréditaire à son gré. Nous disons personnelle ou héréditaire, pour donner au titre de grand toute l'étendue qu'il peut avoir ; mais on ne doit l'entendre à la rigueur que de la grandeur héréditaire, telle que les princes du sang la tiennent de leur naissance, & les ducs & pairs de la volonté de nos rois. Les premieres places de l'état s'appellent dignités dans l'église & dans la robe, grades dans l'épée, places dans le ministere, charges dans la maison royale ; mais le titre de grand, dans son étroite acception, ne convient qu'aux pairs du royaume.

Cette réduction du gouvernement féodal à une grandeur qui n'en est plus que l'ombre, a dû coûter cher à l'état ; mais à quelque prix qu'on achete l'unité du pouvoir & de l'obéissance, l'avantage de n'être plus en bute au caprice aveugle & tyrannique de l'autorité fiduciaire, le bonheur de vivre sous la tutele inviolable des lois toûjours prêtes à s'armer contre les usurpations, les vexations & les violences ; il est certain que de tels biens ne seront jamais trop payés.

Dans la constitution présente des choses il nous semble donc que les grands sont dans la monarchie françoise, ce qu'ils doivent être naturellement dans toutes les monarchies de l'Univers ; la nation les respecte sans les craindre ; le souverain se les attache sans les enchaîner, & les contient sans les abattre : pour le bien leur crédit est immense ; ils n'en ont aucun pour le mal, & leurs prérogatives mêmes sont de nouveaux garans pour l'état du zele & du dévouement dont elles sont les récompenses.

Dans le gouvernement despotique tel qu'il est souffert en Asie, les grands sont les esclaves du tyran, & les tyrans des esclaves ; ils tremblent & ils font trembler : aussi barbares dans leur domination que lâches dans leur dépendance, ils achetent par leur servitude auprès du maître, leur autorité sur les sujets, également prêts à vendre l'état au prince, & le prince à l'état ; chefs du peuple dès qu'il se révolte, & ses oppresseurs tant qu'il est soûmis.

Si le prince est vertueux, s'il veut être juste, s'il peut s'instruire, ils sont perdus : aussi veillent-ils nuit & jour à la barriere qu'ils ont élevée entre le throne & la vérité ; ils ne cessent de dire au souverain, vous pouvez tout, afin qu'il leur permette de tout oser ; ils lui crient, votre peuple est heureux, au moment qu'ils expriment les dernieres gouttes de sa sueur & de son sang ; & si quelquefois ils consultent ses forces, il semble que ce soit pour calculer en l'opprimant combien d'instans encore il peut souffrir sans expirer.

Malheureusement pour les états où de pareils monstres gouvernent, les lois n'y ont point de tribunaux, la foiblesse n'y a point de refuge : le prince s'y reserve à lui seul le droit de la vindicte publique ; & tant que l'oppression lui est inconnue, les oppresseurs sont impunis.

Telle est la constitution de ce gouvernement déplorable, que non-seulement le souverain, mais chacun des grands dans la partie qui lui est confiée, tient la place de la loi. Il faut donc pour que la justice y regne, non-seulement qu'un homme, mais une multitude d'hommes soient infaillibles, exempts d'erreur & de passion, détachés d'eux-mêmes, accessibles à tous, égaux pour tous comme la loi ; c'est-à-dire qu'il faut que les grands d'un état despotique soient des dieux. Aussi n'y a-t-il que la théocratie qui ait le droit d'être despotique ; & c'est le comble de l'aveuglement dans les hommes que d'y prétendre ou d'y consentir. Article de M. MARMONTEL.

GRAND, adject. en Anatomie, se dit de quelques muscles, ainsi appellés par comparaison avec d'autres qui sont petits.

GRANDS-AUDIENCIERS DE FRANCE, (Jurispr.) sont les premiers officiers de la grande chancellerie de France, dont ils reçoivent en leur hôtel toutes les lettres qu'ils doivent rapporter au sceau. Ils rapportent les premiers au sceau, avant messieurs les maîtres des requêtes & messieurs les deux grands-rapporteurs & autres, qui ont droit d'y rapporter certaines lettres.

Ils commencent par la liasse de messieurs les secrétaires d'état, & rapportent en certains cas des édits & déclarations du roi, dont après qu'ils sont scellés, ils font la lecture publique & les enregistrent sur le registre de l'audience de France, & en signent aussi l'enregistrement sur les originaux qui ne sont ni présentés ni registrés au parlement, ni dans aucune autre cour supérieure.

Après la liasse du roi ils rapportent au sceau celle du public, composée de toutes especes de lettres, à l'exception des lettres de justice, des provisions d'office, des lettres de ratification, & des lettres de rémission & pardon, qui sont rapportées par d'autres officiers. Ils enregistrent sur différens registres pour chaque matiere, les provisions scellées des grands officiers & des secrétaires du roi de la grande chancellerie, qui viennent s'immatriculer chez le grand-audiencier de quartier, à la suite de leurs provisions registrées. Celles des autres secrétaires du roi des chancelleries près les cours supérieures du royaume, sont aussi enregistrées sur un autre registre ; & ces dernieres provisions ne sont scellées qu'après que l'information de vie & moeurs du récipiendaire a été faite par le grand-audiencier assisté de son contrôleur, dont mention est faite sur le repli des provisions à la suite du renvoi qui leur en est fait par M. le garde de sceaux, lequel écrit de sa main le soit montré.

Les grands-audienciers enregistrent encore sur des registres différens les octrois accordés par le roi, les prébendes de nomination royale, les indults, les priviléges & permissions d'imprimer. A chacun des articles M. le garde des sceaux écrit sur le registre, scellé.

Ils président au contrôle, où leur fonction est de taxer toutes les lettres qui ont été scellées. Les taxes apposées sur chaque lettre, & paraphées du grand-audiencier de France & de son contrôleur, font le caractere & la preuve des lettres scellées ; puisque pour l'ordinaire & par un abus très-repréhensible, on ôte la cire sur laquelle sont empreints les sceaux de France & du dauphin.

Le nom d'audiencier qu'on leur a donné vient, suivant les formules de Marculphe, de ce que le parchemin qui sert à faire les lettres de chancellerie, s'appelloit autrefois carta audientialis : d'autres disent que c'est parce que l'audiencier demande l'audience à celui qui tient le sceau, pour lui présenter les lettres : d'autres prétendent que ce nom d'audiencier vient de ce que ce sont eux qui présentent les lettres au sceau, dont la tenue est réputée une audience publique : d'autres enfin, & c'est l'opinion qui paroît la mieux fondée, tiennent que l'audiencier est ainsi nommé, parce que la salle où se tient le sceau est réputée la chambre du roi, & que le sceau qui s'y tient s'appelle l'audience de France : c'est le terme des ordonnances. Dans cette audience, le grand-audiencier délivroit autrefois les lettres, nommant tout haut ceux au nom desquels elles étoient expédiées ; c'est pourquoi on l'appelloit en latin judiciarius praeco.

On leur donne encore en latin les noms, in judiciali cancellariae Franciae praetorio supremo diplomatum ac rescriptorum relatores, amanuensium decuriones, scribarum magistri : ces derniers titres annoncent qu'ils ont toûjours été au-dessus des clercs-notaires & secrétaires du roi.

Ils ont aussi le titre de conseillers du roi en ses conseils, & sont secrétaires du roi nés en la grande chancellerie ; ils en peuvent prendre le titre, & en faire toutes les fonctions, & en ont tous les priviléges sans être obligés d'avoir un office de secrétaire du roi, étant tous réputés du collége des secrétaires du roi : ils peuvent cependant aussi posséder en même tems un office de secrétaire du roi.

Leur office est de la couronne du roi ; c'est pourquoi ils payent leur capitation à la cour, à celui qui reçoit celle de la famille royale, des princes & princesses du sang, & des grands officiers de la couronne.

Il n'y avoit anciennement qu'un seul audiencier en la chancellerie de France. Les plus anciens titres où il en soit fait mention, sont deux états de la maison du roi Philippe-le-Long, l'un du 2 Décembre 1316, l'autre du 18 Novembre 1317, où il est dit, que le chancelier doit héberger avec lui son chauffe-cire & celui qui rend les lettres ; celui-ci quoique bien supérieur à l'autre, puisqu'il est le premier officier de la grande chancellerie, n'est nommé que le dernier, soit par inattention du redacteur, soit parce qu'on les a nommés suivant l'ordre des opérations, & que l'on chauffe la cire pour sceller avant que l'on rende les lettres.

Celui qui faisoit alors la fonction d'audiencier étoit seul ; il rapportoit les lettres, les rendoit après les avoir taxées, & faisoit les fonctions de thrésorier & de scelleur.

On l'a depuis appellé audiencier du roi, ou audiencier de France, & ensuite grand-audiencier de France.

On le nommoit encore en 1321 comme en 1316, suivant un réglement de Philippe-le-Long, du mois de Février 1321, portant qu'il établira une certaine personne avec celui qui rend les lettres, pour recevoir l'émolument du sceau.

Ce même réglement ne vouloit pas que celui qui rendoit les lettres fût notaire, & cela, est-il dit, pour ôter toute suspicion ; ce qui a été bien changé depuis, puisque les audienciers sont en cette qualité secrétaires du roi, qu'ils en peuvent prendre le titre & en faire toutes les fonctions.

L'audiencier a été surnommé grand-audiencier, soit à cause de l'importance de son office & parce qu'il fait ses fonctions en la grande chancellerie de France, soit pour le distinguer des audienciers particuliers qu'il commettoit autrefois dans les autres chancelleries, & qui ont depuis été érigés en titre d'office.

Le sciendum ou instruction faite pour le service de la chancellerie, que quelques-uns croyent de 1339, d'autres de 1394, d'autres seulement de 1415, est l'acte le plus ancien qui donne le titre d'audiencier à celui qui exerce cette fonction.

Il y est dit, entr'autres choses, que chaque notaire du roi (c'est-à-dire sécrétaire) aura soin d'envoyer chaque mois qu'il aura exercé son office à Paris ou ailleurs, en suivant la cour, à l'audiencier ou au contrôleur de l'audience du roi, sa cédule, le premier, le second, ou au plus-tard le troisieme ou le quatrieme jour du mois, conçûe en ces termes : Monsieur l'audiencier du roi, je tel ai été à Paris, où en la cour du roi pendant un tel mois faisant ma charge, ayant escrit ; &c. Que si dans la distribution des bourses le secrétaire du roi trouve de l'erreur à son préjudice, il peut recourir à l'audiencier & lui dire : Monsieur, je vous prie de voir si au rôle secret de la distribution des bourses il ne s'est pas trouvé de faute sur moi, car je n'ai en ma bourse que tant ; & alors l'audiencier verra, est-il dit, le rôle secret ; & s'il y a erreur, il suppléera le défaut. La naïveté de ces formules fait connoître la simplicité de ces tems, & peut faire croire que le sciendum est plutôt de 1339 que de 1415.

Ce même sciendum porte que des lettres en simple queue pour chasseurs, venatoribus, & autres semblables, on n'a pas coûtume de rien recevoir, mais qu'ils chassent pour l'audiencier & le contrôleur ; ce qui est néanmoins de grace. Ces derniers termes sont équivoques ; car on ne sait si c'est la remise des droits qui étoit de grace, ou si c'étoit le gibier que donnoient les chasseurs.

Par le terme de chasseurs on pourroit peut-être entendre le grand-véneur & autres officiers de la vénerie du roi, le grand-fauconnier, &c. En effet on voit que les principaux officiers du roi étoient exempts des droits du sceau, tels que le chancelier, les chambellans, le grand-bouteiller, & autres semblables : mais il y a plus d'apparence que par le terme de chasseurs on a entendu en cet endroit de simples chasseurs sans aucune dignité ; le droit de l'audiencier n'en étoit que plus étendu, vû qu'alors la chasse étoit après la guerre la principale occupation de toute la noblesse : & à ce compte la maison de l'audiencier devoit être bien fournie de gibier ; mais il faut aussi convenir que si l'on chassoit beaucoup, alors on prenoit peu de lettres en chancellerie.

Pour ce qui est des personnes que le sciendum comprend sous ces mots & autres semblables, il y a apparence que c'étoient aussi des personnes peu opulentes qui vivoient de leur industrie, & que par cette raison le grand-audiencier ne prenoit point d'argent d'eux ; de même que c'étoit alors la coûtume qu'un menétrier passoit à un péage sans rien payer, pourvû qu'il joüât de son instrument devant le péager, ou qu'il fit joüer son singe s'il en avoit un : d'où est venu le proverbe, payer en monnoie de singe. On ne voit point comment l'ancien usage a changé par rapport à l'audiencier, à-moins que ce ne soit par les défenses qui lui ont été faites dans la suite de recevoir autre chose que la taxe.

L'audiencier du roi, appellé depuis grand-audiencier, étoit autrefois seul pour la grande chancellerie de France, de même que le contrôleur général de l'audience de France, dont la fonction est de contrôler toutes les lettres que délivre l'audiencier.

A-mesure que l'on établit des chancelleries près les cours, l'audiencier & le contrôleur y établissoient de leur part des commis & subdélégués, pour y faire en leur nom les mêmes fonctions qu'ils faisoient en la grande chancellerie, & ces audienciers & contrôleurs particuliers commis, étoient subordonnés au grand-audiencier & au contrôleur général, auxquels ils rendoient compte de leur mission. Ce fut sans-doute pour distinguer l'audiencier de la grande chancellerie de tous ces audienciers particuliers par lui commis, qu'on le surnomma grand-audiencier de France.

Dans un réglement du roi Jean, du 7 Décembre 1361, il est fait mention de l'audiencier de Normandie, qui étoit apparemment un de ces audienciers commis par celui de la grande chancellerie, lequel y est qualifié d'audiencier du roi.

Suivant les statuts des secrétaires du roi, confirmés par lettres de Charles V. du 24 Mai 1389, quand le roi étoit hors de Paris pour quelque voyage, on commettoit un audiencier forain pour recevoir les émolumens des collations, lequel à son retour devoit remettre ces émolumens aux secrétaires du roi commis pour cette recette en vérifiant la sienne sur son journal de l'audience.

Il y avoit aussi un audiencier & un contrôleur particuliers pour la chancellerie de Bretagne, laquelle ayant formé autrefois une chancellerie particuliere indépendante de celle de France, avoit toûjours conservé un audiencier & un contrôleur en titre, même depuis l'édit du mois de Mai 1494, par lequel Charles VIII. abolit le nom & l'office de chancelier de Bretagne.

A l'égard des autres chancelleries particulieres établies près les cours, dans lesquelles le grand-audiencier & le contrôleur général de l'audience avoient des commis ou subdélégués, ces fonctions ayant paru trop importantes pour les confier à des personnes sans caractere, Henri II. par un édit du mois de Janvier 1551, créa en chef & titre d'office formé six offices d'audiencier & six offices de contrôleur, tant pour la grande chancellerie que pour celles établies près les parlemens de Paris, Toulouse, Dijon, Bordeaux & Roüen ; il supprima les noms & qualités de grand-audiencier de France & de contrôleur général de l'audience, & ordonna qu'ils s'appelleroient dorénavant, savoir en la grande chancellerie, conseiller du roi & audiencier de France, & contrôleur de l'audience de France ; & que dans les autres chancelleries l'audiencier s'appelleroit conseiller du roi audiencier de la chancellerie du lieu où il seroit établi, & que le contrôleur s'appelleroit contrôleur de ladite chancellerie.

Par le même édit, ces nouveaux officiers furent créés clercs-notaires & secrétaires du roi, pour signer & expédier toutes lettres qui s'expédieroient en la chancellerie en laquelle chacun seroit établi, & non ailleurs ; de maniere qu'ils n'auroient pas besoin de tenir un autre office de secrétaire du roi & de la maison & couronne de France ; mais si quelqu'un d'eux s'en trouve pourvû, l'édit déclare ces deux charges compatibles, & veut qu'en ce cas il prenne une bourse à part à cause de l'office de secrétaire du roi.

On ne voit point par quel réglement le titre de grand-audiencier a été rendu à l'audiencier de la grande chancellerie ; l'édit du mois de Février 1561 paroît être le premier où cette qualité lui ait été donné depuis la suppression qui en avoit été faite dix ans auparavant ; les édits & déclarations postérieurs lui donnent aussi la plûpart la même qualité, & elle a été communiquée aux trois autres audienciers qui ont été créés pour la grande chancellerie.

L'édit du mois d'Octobre 1571 créa pour la grande chancellerie deux offices, l'un d'audiencier, l'autre de contrôleur, pour exercer de six mois en six mois avec les anciens, & avec les mêmes droits qu'eux.

Au mois de Juillet 1576, Henri III. créa encore pour la grande chancellerie deux audienciers & deux contrôleurs, outre les deux qui y étoient déjà, pour exercer chacun par quartier, & les nouveaux avec les mêmes droits que les anciens.

On a aussi depuis multiplié le nombre des audienciers dans les petites chancelleries, mais ceux de la grande sont les seuls qui prennent le titre de grands-audienciers de France.

Ils prêtent serment entre les mains de M. le garde des sceaux.

Le grand-audiencier a sur les secrétaires du roi une certaine inspection relativement à leurs fonctions, & qui étoit même autrefois plus étendue qu'elle ne l'est présentement.

Le roi Jean fit le 7 Décembre 1361 un réglement pour les notaires du roi, suivant lequel ils devoient donner à la fin de chaque mois une cédule des jours de leur service ; ils étoient obligés à une continuelle résidence dans le lieu où ils étoient distribués ; & lorsqu'ils vouloient s'absenter sans un mandement du roi, ils devoient prendre congé de l'audiencier & lui dire par serment la cause pour laquelle ils vouloient s'absenter ; alors il leur donnoit congé & leur fixoit un tems pour revenir, selon les circonstances, mais il ne pouvoit pas leur donner plus de huit jours, sans l'autorité du chancelier. L'audiencier ni le chancelier même ne pouvoient permettre à plus de quatre à la fois de s'absenter ; & s'ils manquoient quatre fois de suite, à la quatrieme l'audiencier pouvoit mettre un des autres notaires en leur place, pour servir continuellement : il ne pouvoit cependant le faire que par le conseil du chancelier.

Suivant une déclaration de Charles IX. du mois de Juillet 1565, les secrétaires du roi doivent donner ou envoyer au grand-audiencier toutes les lettres qu'ils ont dressées & signées, pour les présenter au sceau, à l'exception des provisions d'offices, qui se portent chez le garde des rôles. Il est enjoint à l'audiencier ou à celui des secrétaires du roi qui sera commis en son absence ou empêchement légitime, de présenter les lettres selon l'ordre & ancienneté de leurs dates & longueur du tems de la poursuite des parties, avec défenses d'en interrompre l'ordre pour quelque cause que ce soit, sinon pour lettres concernant les affaires du roi : présentement après la liasse du roi ils rapportent les autres lettres, en les arrangeant par especes.

Le réglement fait par le chancelier de Sillery le 23 Décembre 1609, pour l'ordre que l'on doit tenir au sceau, porte pareillement que les lettres seront présentées par le grand-audiencier seul & non par d'autre ; ce qui doit s'entendre seulement des lettres de sa compétence. Il est dit aussi que pendant la tenue du sceau il n'en pourra recevoir aucunes, sinon les arrêts ou lettres concernant le service de sa majesté.

Le garde des sceaux du Vair fit le premier Décembre 1619 un réglement pour le sceau, portant entre autres choses, que les provisions des audienciers & contrôleurs des chancelleries, avant d'être présentées au sceau, seront communiquées aux grands-audienciers de France & contrôleurs généraux de l'audience, qui mettront sur icelles s'ils empêchent ou non lesdites provisions.

Il est aussi d'usage, suivant un édit du mois de Novembre 1482, que les secrétaires du roi ne peuvent faire aucune expédition ni signature, qu'ils n'ayent fait serment devant le grand-audiencier & le contrôleur, d'entretenir la confrairie du collége des secrétaires du roi, & qu'ils n'ayent fait enregistrer leurs provisions sur le livre de l'audiencier & du contrôleur.

Les grands-audienciers font chacun pendant leur quartier le rapport des lettres qui sont de leur compétence.

L'édit du mois de Février 1599, & plusieurs autres réglemens postérieurs qui y sont conformes, veulent qu'aussi-tôt que les lettres sont scellées elles soient mises dans les coffres, sans que les audienciers contrôleurs & autres en puissent délivrer aucune, pour quelque cause que ce soit, quand même les impétrans seroient secrétaires du roi ou autres notoirement exemts du sceau ; mais que les lettres seront délivrées seulement après le contrôle, à-moins que ce ne fût pour les affaires de sa majesté & par ordre du chancelier.

Ce même édit ordonne que le contrôle & l'audience de la grande chancellerie se feront en la maison du chancelier, si faire se peut, sinon en la maison du grand-audiencier qui sera de quartier, & en son absence dans celle du contrôleur, toutefois proche du logis de M. le chancelier.

Que l'audiencier & le contrôleur assisteront au contrôle, qu'ils suivront les réglemens pour la taxe des lettres, que les taxes seront écrites tout-au-long & paraphées de la main du grand-audiencier & du contrôleur.

Pour faire la taxe, toutes les lettres doivent être lûes intelligiblement par l'audiencier & le contrôleur alternativement, savoir la qualité des impétrans & le dispositif.

Il est défendu aux audienciers & contrôleurs d'en donner aucune au clerc de l'audience par lequel ils les font délivrer, qu'elles n'ayent été lûes & taxées.

Enfin il est ordonné aux audienciers & contrôleurs de faire un registre des lettres expédiées chaque jour de sceau, & qui seront taxées à cent-deux sous parisis & au-dessus : l'audiencier a pour faire ce registre un droit sur chaque lettre appellé contentor, ou droit de registrata.

Au commencement c'étoit le chancelier qui recevoit lui-même l'émolument du sceau ; ensuite il commettoit un receveur pour cet objet : depuis ce fut l'audiencier qui fut chargé de faire cette recette pour le chancelier ; il la faisoit faire par le clerc de l'audience, & en rendoit compte à la chambre des comptes sous le nom du chancelier, comme si c'étoit le chancelier qui fût comptable ; ce qui blessoit la dignité de sa charge ; c'est pourquoi Louis XIII. créa trois trésoriers du sceau, qui ont été depuis réduits à un seul ; & par une déclaration du mois d'Août 1636, il fut ordonné que le compte des charges ordinaires seroit rendu par les grands-audienciers sous leur nom, sans néanmoins qu'au moyen de ce compte les grands-audienciers soient reputés comptables, & que le compte des charges extraordinaires sera rendu par les tresoriers du sceau.

Du nombre des charges ordinaires que le grand-audiencier doit acquiter, sont les gages & pensions que le chancelier a sur le sceau, comme il est dit dans les provisions du chancelier de Morvilliers, du 23 Septembre 1461, qu'il prendra ses gages & pensions par la main de l'audiencier.

Les audienciers des petites chancelleries étoient autrefois obligés de remettre au grand-audiencier les droits qui appartiennent au roi ; mais depuis que ces droits sont affermés, c'est le fermier qui remet au trésorier du sceau la somme portée par son bail. Le grand-audiencier compte de tous ces différens objets avec les émolumens du grand sceau. Par des lettres patentes du 2 Mars 1570, vérifiées en la chambre des comptes de Paris le 20, les grands-audienciers ont été déclarés exemts & reservés de l'ordonnance du mois de Juin 1532, portant que tous comptables tant ordinaires qu'extraordinaires, seront tenus de présenter leur compte à la chambre, dans le tems porté par ladite ordonnance.

Le grand-audiencier est aussi chargé du compte de la cire que l'on employe au sceau. L'édit de 1561 ordonne qu'aussi-tôt que le sceau sera levé, l" audiencier & le contrôleur ou leur commis, arrêteront avec le cirier combien il aura été fourni de cire ; & ils doivent en faire registre signé d'eux, aussi-tôt que l'audience sera faite.

La distribution des bourses se faisoit autrefois chaque mois par le grand-audiencier : les lettres du mois d'Août 1358, données par Charles, régent du royaume, qui fut depuis le roi Charles V. pour l'établissement des Célestins à Paris, supposent que le grand-audiencier faisoit dès-lors chaque mois cette distribution, & lui ordonnent de donner tous les mois une semblable bourse aux Célestins, laquelle a été depuis convertie en une somme de 76 liv.

Ils prenoient en outre autrefois de grands profits sur l'émolument du sceau ; c'est pourquoi l'ordonnance de Charles VI. du mois de Mai 1413, ordonna que l'audiencier & le contrôleur ne prendroient dorénavant que six sous par jour, comme les autres notaires du roi, avec leurs mêmes droits accoûtumés d'ancienneté ; défenses leur furent faites de prendre aucuns dons ou autres profits du roi, sur peine de les recouvrer sur eux ou leurs héritiers.

Présentement la confection des bourses se fait tous les trois mois par le grand-audiencier qui est de quartier, en présence du contrôleur, & de l'avis des anciens officiers de la compagnie des secrétaires du roi, des députés des officiers du marc d'or, & du garde des rolles.

Le grand-audiencier préleve d'abord pour lui une somme de 8000 liv. appellée bourse de préférence : après ce prélevement & autres qui se font sur la masse, il compose les bourses dont il arrête le rôle ; il en présente une au roi, & en reçoit cinq pour lui ; ce qui lui tient lieu d'anciens gages & taxations.

Les grands-audienciers, comme étant du nombre & collége des secrétaires du roi, ont de tout tems joüi des priviléges accordés à ces charges ; ce qui leur a été confirmé par différens édits, notamment par celui du mois de Janvier 1551, qui les crée secrétaires du roi, sans qu'ils soient obligés d'avoir ni tenir aucun office dudit nombre & collége ; il est dit qu'ils joüiront de tous les priviléges, franchises, exemptions, concessions, & octrois accordés aux secrétaires du roi, leurs veuves & enfans.

Les lettres patentes du 18 Février 1583 leur donnent droit de franc-salé.

Les archives des grands-audienciers & contrôleurs généraux de la chancellerie sont dans une salle de la maison claustrale de sainte-Croix de la Bretonnerie ; ce qui a été autorisé par un brevet du roi du 5 Janvier 1610.

Les clercs de l'audience qui avoient été érigés en titre d'office par édit du mois de Mars 1631, ont été supprimés & leurs charges réunies à celles des grands-audienciers, qui les font exercer par commission.

Au nombre des petits officiers de la grande chancellerie, sont le fourrier, les deux ciriers, & les deux portes-coffre, qui payent l'annuel de leurs offices aux quatre grands-audienciers & aux quatre contrôleurs généraux ; & à défaut de payement en cas de mort, ces offices tombent dans leur casuel & à leur profit. Voyez Miraulmont, en ses mémoires sur la chancellerie de France ; Joly, en son traité des offices ; Tessereau, hist. de la chancellerie. (A)

GRAND-CHAMBRE, (Jurisprudence) Voyez au mot CHAMBRE.

GRAND-CONSEIL, (Jurisprudence) Voyez au mot CONSEIL, l'article GRAND-CONSEIL.

GRANDS-JOURS, (Hist. de France) especes d'assises solemnelles ; c'étoient des séances que les seigneurs ou nos rois tenoient ou faisoient tenir de tems en tems en certaines villes de leur dépendance, pour juger des affaires civiles & criminelles. Les grands-jours ont été appellés au lieu de grands-plaids, dit Loiseau.

Les comtes de Champagne tenoient les grands-jours à Troyes deux fois l'année, comme les ducs de Normandie leur échiquier, & les rois leur parlement. Les grands-jours de Troyes étoient la justice de Champagne, tant que cette province fut gouvernée par ses propres comtes, & les sept pairs de Champagne assistoient leurs comtes à la tenue des grands-jours. Dans les lettres patentes de Charles VI. du 4 Mars 1405, il est porté que le comte de Joigny, comme doyen des sept pairs de Champagne, seroit toûjours assis auprès du comte, quand il tiendroit son état & grands-jours. C'est vraisemblablement de Troyes que tous les autres grands-jours ont pris leur nom ; car Philippe-le-Bel ordonna en 1302, que les grands-jours de Troyes se tiendroient deux fois l'an, & qu'il s'y trouveroit des commissaires ecclésiastiques & gentils-hommes. Le duc de Berri avoit aussi le droit de faire tenir les grands-jours pour le pays de son obéissance.

Dans la suite, le nom de grands-jours a été spécialement appliqué à des tribunaux extraordinaires, mais souverains, que nos rois ont quelquefois établis dans les provinces éloignées des parlemens dont elles ressortissent, pour réformer les abus qui s'y introduisoient dans l'administration de la justice, pour juger les affaires qui y naissoient, & pour affranchir les peuples des droits que les seigneurs usurpoient sur eux par autorité.

Coquille définit les grands-jours de son siecle, un tribunal composé de présidens, maîtres des requêtes & conseillers du parlement, nommés par lettres patentes, séans dans la ville marquée par le roi pour certaines provinces, spécifiés avec pouvoir de juger en dernier ressort de toute matiere criminelle, & des affaires civiles jusqu'à la concurrence de six cent liv. de rente ou de dix mille liv. en capital.

Les grands-jours ont été tenus au nom du roi à Poitiers, en 1454, 1531, 1541, 1567, 1579 ; à Angers, en 1539 ; à Moulins, en 1534, 1540, 1545 ; à Riom, en 1546 ; à Tours, en 1547 ; à Troyes, en 1535 ; à Lyon en 1596, & ailleurs. Avant l'érection du parlement de Dijon, les grands-jours du duché de Bourgogne se tenoient à Beaune.

Les lettres patentes portant établissement de grands-jours, nommoient les juges & les autres officiers dont le tribunal devoit être composé, & détailloient les matieres dont ils devoient connoître.

Les lettres patentes données pour les grands-jours établis à Clermont en Août 1665, attribuoient aux commissaires pour la province d'Auvergne, à-peu-près la même autorité qu'ont les parlemens dans leur ressort, tant en matiere civile qu'en matiere criminelle & de police. Ces sortes de lettres patentes devoient être enregistrées au parlement ; celles données pour l'Auvergne l'ont été le 5 Septembre 1665 ; mais aussi depuis ce tems les grands-jours se sont évanoüis. (D.J.)

GRAND-CROIX, (Hist. mod.) dans l'ordre de Malte, on donne ce nom aux piliers ou chefs des langues qui sont baillifs conventuels, aux grands-prieurs, aux baillifs capitulaires, à l'évêque de Malte, au prieur de l'église, & aux ambassadeurs du grand-maître auprès des souverains. Voyez MALTE ou ORDRE DE MALTE. (G)

GRAND-MAITRE DES ARBALETRIERS DE FRANCE, (Hist. mod.) c'étoit anciennement un des grands officiers de la couronne, qui avoit la surintendance sur tous les officiers des machines de guerre, avant l'invention de l'artillerie ; on en trouve dans notre histoire une suite depuis S. Louis jusque sous François premier. (G)

GRAND-MAITRE DE FRANCE, (Hist. mod.) officier de la couronne appellé autrefois souverain maître d'hôtel du roi ; il a le commandement sur tous les officiers de la maison & de la bouche du roi, qui lui prêtent tous serment de fidélité, & des charges desquels il dispose : depuis Arnoul de Wesemale, qualifié de souverain maître d'hôtel du roi Philippe-le-Bel, vers l'an 1290, on compte quarante-deux grands-maîtres de France, jusqu'à M. le prince de Condé, qui est aujourd'hui revêtu de cette charge, qui pendant sa minorité a été exercée par M. le comte de Charolois, son oncle.

GRAND-MAITRE DES CEREMONIES DE FRANCE, (Hist. mod.) officier du roi dont la charge étoit autrefois annexée à celle de grand-maître de la maison du roi ; elle en fut séparée par Henri III. en 1585. Le grand-maître des cérémonies a soin du rang & de la séance que chacun doit avoir dans les actions solemnelles, comme au sacre des rois, aux réceptions des ambassadeurs, aux obseques & pompes funebres des rois, des reines, des princes & des princesses ; il a sous lui un maître des cérémonies & un aide des cérémonies. La marque de sa charge est un bâton couvert de velours noir, dont le bout & le pommeau sont d'yvoire. Quand le grand-maître, le maître, ou l'aide des cérémonies, vont porter l'ordre & avertir les cours souveraines, ils prennent place au rang des conseillers ; avec cette différence, que si c'est le grand-maître, il a toûjours un conseiller après lui ; si c'est le maître ou l'aide des cérémonies, il se met après le dernier conseiller, puis il parle assis & couvert, l'épée au côté & le bâton de cérémonie en main.

GRAND-MAITRE D'ARTILLERIE, (Hist. mod. & Art milit.) étoit en France le chef suprême de l'Artillerie.

Par les provisions que le roi lui faisoit expédier, il avoit la sur-intendance, l'exercice, l'administration, & le gouvernement de l'état, & charge de grand-maître, & capitaine général de l'Artillerie de France, tant deçà que delà les monts & les mers, dedans & dehors le royaume, pays & terres étant sous l'obéissance & la protection de sa majesté.

Il ne se faisoit aucuns mouvemens de munitions d'Artillerie dans le royaume, que par les ordres du grand-maître, ou de ses lieutenans, ou officiers, à qui il donnoit des commissions particulieres pour cet effet, ensuite des ordres qu'il recevoit du roi.

Tous les marchés se faisoient en son nom, stipulant pour sa majesté ; il arrêtoit le compte général de l'Artillerie que le thrésorier rend à la chambre des comptes, où le grand-maître étoit reçu comme ordonnateur de tous les fonds qui ont rapport à la dépense d'Artillerie de quelque nature qu'elle pût être.

Le grand-maître avoit encore un privilége dont il n'étoit point fait mention dans les provisions de sa charge ; c'est que quand on prenoit une ville sur laquelle on avoit tiré du canon, les cloches des églises, les ustensiles de cuivre & autre métal, lui appartenoient, & devoient être rachetés d'une somme d'argent par les habitans, à-moins que dans la capitulation on ne fût convenu du contraire.

Il avoit encore le droit en entrant & en sortant d'une place où il y avoit de l'Artillerie, d'être salué de cinq volées de grosses pieces de canon, sans préjudice du plus grand nombre, auquel il pourroit avoir droit par sa naissance, ou par quelqu'autre qualité.

Le grand-maître d'Artillerie prêtoit serment entre les mains du roi, au-moins depuis que cette charge avoit été érigée en charge de la couronne ; car avant ce tems-là Armand de Biron, sous le regne de Charles IX. prêta serment, non pas entre les mains de ce prince, mais entre les mains de Henri, duc d'Anjou, qui fut depuis roi de France, troisieme du nom. Ce serment fut fait le 3 de Février 1570.

Mais ce qui ajoûta le plus de splendeur à cette haute dignité, est le relief que lui donna Henri IV. en l'érigeant en charge de la couronne, en faveur de Maximilien de Béthune, marquis de Rosni, & depuis duc de Sully. Cette érection se fit en 1601 au mois de Janvier.

Le grand-maître de l'Artillerie avoit un grand nombre d'officiers, & même des corps de troupes sous sa jurisdiction & dans sa dépendance ; aux officiers desquels il pourvoyoit & donnoit à la plûpart des provisions en vertu de sa charge.

Le grand-maître pour marque de sa dignité, mettoit au-dessous de l'écu de ses armes deux canons sur leurs affuts, des caques de poudre, des boulets, & des gabions.

" Il seroit difficile, dit le P. Daniel, de déterminer le tems où le titre de grand a été donné au maître d'Artillerie. Il est certain qu'il lui a été donné au-moins quelquefois, même dans des actes autentiques, long-tems avant que cette dignité fût érigée en charge de la couronne. Henri III. Charles IX. Henri II. le lui donnoient dans leurs ordonnances. L'usage en étoit dès le regne de François I. " Histoire de la milice françoise.

On peut voir dans le I. vol. de la troisieme édition des mémoires de Saint-Remi, le détail de tous les droits & priviléges qui étoient attribués à la charge de grand-maître d'Artillerie. Cette importante charge a été supprimée au mois de Décembre 1755, sur la démission de Louis-Charles de Bourbon, comte d'Eu, qui en avoit été pourvû en survivance de M. le duc du Maine, le 12 Mai 1710. Voyez GENIE. (Q)

GRAND ACQUIT, (Commerce) on nomme ainsi à Livourne un droit qui se leve sur chaque vaisseau ou barque de sel qui se met en coûtume. Ce droit est de quatre livres par bâtiment, & c'est un de ceux que l'on paye au convoi. Voyez CONVOI. Dictionn. de Commerce, de Chambers, & de Trévoux. (G)

GRANDE CHARTRE, (Hist. d'Angl.) voyez CHARTRE, & vous observerez qu'elle n'est pas le fondement, mais une déclaration des libertés de l'Angleterre. La nation, par l'établissement de ce corps de lois, se proposa d'affermi ses libertés naturelles & originaires, par l'aveu authentique du roi (Henri III.) qui étoit sur le throne, afin de ne laisser ni à lui ni à ses successeurs aucun prétexte pour empiéter à l'avenir sur les priviléges des sujets. (D.J.)

GRAND'OEUVRE, (Alchimie) voyez PIERRE PHILOSOPHALE & PHILOSOPHIE HERMETIQUE.

GRAND-GOSIER, (Ornith.) gros oiseau marin plus fort qu'une oie ; il a l'air triste & pesant ; ses jambes sont courtes & fortes : son cou est long, ainsi que son bec, dont la partie inférieure s'élargit à volonté pour laisser passer librement les gros poissons que l'oiseau reçoit dans une grande poche qu'il a au-dessous de ce bec. On prétend qu'on peut apprivoiser cet oiseau, & s'en servir comme d'un pourvoyeur, en lui faisant regorger le poisson qu'il a pris. Nous ne garantissons point ce fait. Son plumage est blanchâtre & gris mêlé de quelques plumes noires aux aîles. Quelques-uns le nomment pélicant.


GRANDESSES. f. (Hist. mod.) qualité des grands d'Espagne. Voyez l'article GRAND.


GRANDEURS. f. (Philos. & Mathém.) Voilà un de ces mots dont tout le monde croit avoir une idée nette, & qu'il est pourtant assez difficile de bien définir. Ne seroit-ce pas parce que l'idée que ce mot renferme, est plus simple que les idées par lesquelles on peut entreprendre de l'expliquer ? Voyez DEFINITION & ELEMENS DES SCIENCES. Quoi qu'il en soit, les Mathématiciens définissent ordinairement la grandeur, ce qui est susceptible d'augmentation & de diminution ; d'après cette notion l'infini ne seroit pas plus une grandeur que le zéro, puisque l'infini n'est pas plus susceptible d'augmentation que le zéro ne l'est de diminution ; aussi plusieurs mathématiciens regardent-ils le zéro d'une part & l'infini de l'autre, non comme des grandeurs, mais comme la limite des grandeurs ; l'une pour la diminution, l'autre pour l'augmentation. Voyez LIMITE. On est sans doute le maître de s'exprimer ainsi, & il ne faut point disputer sur les mots ; mais il est contre l'usage ordinaire de dire que l'infini n'est point une grandeur, puisqu'on dit une grandeur infinie. Ainsi il semble qu'on doit chercher une définition de la grandeur plus analogue aux notions communes. De plus, suivant la définition qu'on vient d'apporter, on devroit appeller grandeur tout ce qui est susceptible d'augmentation & de diminution ; or la lumiere est susceptible d'augmentation & de diminution ; cependant on s'exprimeroit fort improprement en regardant la lumiere comme une grandeur.

D'autres changent un peu la définition précédente, en substituant ou au lieu de &, & ils définissent la grandeur, ce qui est susceptible d'augmentation ou de diminution. Suivant cette définition dans laquelle ou est disjonctif, zéro seroit une grandeur ; car s'il n'est pas susceptible de diminution, il l'est d'augmentation ; cette définition est donc encore moins bonne que la précédente.

On peut, ce me semble, définir assez bien la grandeur, ce qui est composé de parties. Il y a deux sortes de grandeurs, la grandeur concrete & la grandeur abstraite. Voyez CONCRET & ABSTRAIT. La grandeur abstraite est celle dont la notion ne désigne aucun sujet particulier. Elle n'est autre chose que les nombres, qu'on appelle aussi grandeurs numériques. Voyez NOMBRE. Ainsi le nombre 3 est une quantité abstraite, parce qu'il ne désigne pas plus 3 piés que 3 heures, &c.

La grandeur concrete est celle dont la notion renferme un sujet particulier. Elle peut être composée ou de parties co-existantes, ou de parties successives ; & sous cette idée elle renferme deux especes, l'étendue, & le tems. Voyez ETENDUE & TEMS.

Il n'y a proprement que ces deux especes de grandeurs ; toutes les autres s'y rapportent directement ou indirectement. L'étendue est une grandeur dont les parties existent en même tems ; le tems une grandeur dont les parties existent l'une après l'autre.

La grandeur s'appelle aussi quantité, voyez QUANTITE ; & sous cette idée on peut dire que la grandeur abstraite répond à la quantité discrette, & la grandeur concrete à la quantité continue. Voyez DISCRET & CONTINU.

La grandeur & ses propriétés sont l'objet des Mathématiques, ce qui sera expliqué plus au long à l'article MATHEMATIQUES.

Sur la grandeur apparente des objets, voyez les mots OPTIQUE & VISION. (O)

GRANDEUR, s. f. (Phil. mor.) ce terme en Physique & en Géométrie est souvent absolu, & ne suppose aucune comparaison ; il est synonyme de quantité, d'étendue. En Morale il est relatif, & porte l'idée de supériorité. Ainsi quand on l'applique aux qualités de l'esprit ou de l'ame, ou collectivement à la personne, il exprime un haut degré d'élévation au-dessus de la multitude.

Mais cette élévation peut être ou naturelle, ou factice ; & c'est-là ce qui distingue la grandeur réelle de la grandeur d'institution. Essayons de les définir.

La grandeur d'ame, c'est-à-dire la fermeté, la droiture, l'élévation des sentimens, est la plus belle partie de la grandeur personnelle. Ajoûtez-y un esprit vaste, lumineux, profond, & vous aurez un grand homme.

Dans l'idée collective & générale de grand homme, il semble que l'on devroit comprendre les plus belles proportions du corps ; le peuple n'y manque jamais. On est surpris de lire qu'Alexandre étoit petit ; & l'on trouve Achille bien plus grand lorsqu'on voit dans l'Iliade qu'aucun de ses compagnons ne pouvoit remuer sa lance. Cette propension que nous avons tous à mêler du physique au moral dans l'idée de la grandeur, vient 1°. de l'imagination qui veut des mesures sensibles ; 2°. de l'épreuve habituelle que nous faisons de l'union de l'ame & du corps, de leur dépendance & de leur action réciproque, des opérations qui résultent du concours de leurs facultés. Il étoit naturel sur-tout que dans les tems où la supériorité entre les hommes se décidoit à force de bras, les avantages corporels fussent mis au nombre des qualités héroïques. Dans des siecles moins barbares on a rangé dans leurs classes ces qualités qui nous sont communes avec les bêtes, & que les bêtes ont au-dessus de nous. Un grand homme a été dispensé d'être beau, nerveux, & robuste.

Mais il s'en faut bien que dans l'opinion du vulgaire l'idée de grandeur personnelle soit réduite encore à sa pureté philosophique. La raison est esclave de l'imagination, & l'imagination est esclave des sens. Celle-ci mesure les causes morales à la grandeur physique des effets qu'elles ont produites, & les apprécie à la toise.

Il est vraisemblable que celui des rois d'Egypte qui avoit fait lever la plus haute des pyramides, se croyoit le plus grand de ces rois ; c'est à-peu-près ainsi que l'on juge vulgairement ce qu'on appelle les grands hommes.

Le nombre des combattans qu'ils ont armés ou qu'ils ont vaincus, l'étendue de pays qu'ils ont ravagée ou conquise, le poids dont leur fortune a été dans la balance du monde, sont comme les matériaux de l'idée de grandeur que l'on attache à leur personne. La réponse du pirate à Alexandre, quia tu magnâ classe imperator, exprime avec autant de force que de vérité notre maniere de calculer & de peser la grandeur humaine.

Un roi qui aura passé sa vie à entretenir dans ses états l'abondance, l'harmonie, & la paix, tiendra peu de place dans l'histoire. On dira de lui froidement il fut bon ; on ne dira jamais il fut grand. Louis IX. seroit oublié sans la déplorable expédition des croisades.

A-t-on jamais entendu parler de la grandeur de Sparte, incorruptible par ses moeurs, inébranlable par ses lois, invincible par la sagesse & l'austérité de sa discipline ? Est-ce à Rome vertueuse & libre que l'on pense, en rappellant sa grandeur ? L'idée qu'on y attache est formée de toutes les causes de sa décadence. On appelle sa grandeur, ce qui entraîna sa ruine ; l'éclat des triomphes, le fracas des conquêtes, les folles entreprises, les succès insoûtenables, les richesses corruptrices, l'enflure du pouvoir, & cette domination vaste, dont l'étendue faisoit la foiblesse, & qui alloit crouler sous son propre poids.

Ceux qui ont eu l'esprit assez juste pour ne pas altérer par tout cet alliage physique l'idée morale de grandeur, ont crû du-moins pouvoir la restreindre à quelques-unes des qualités qu'elle embrasse. Car où trouver un grand homme, à prendre ce terme à la rigueur ?

Alexandre avoit de l'étendue dans l'esprit & de la force dans l'ame. Mais voit-on dans ses projets ce plan de justice & de sagesse, qui annonce une ame élevée & un génie lumineux ? ce plan qui embrasse & dispose l'avenir, où tous les revers ont leur ressource, tous les succès leur avantage, où tous les maux inévitables sont compensés par de plus grands biens ? Detecto fine terrarum, per suum rediturus orbem, tristis est (Sénec.) Les vûes de César étoient plus belles & plus sages. Mais il faut commencer par l'absoudre du crime de haute trahison, & oublier le citoyen dans l'empereur, pour trouver en lui un grand homme. Il en est à-peu-près de même de tous les princes auxquels la flaterie ou l'admiration a donné le nom de grands. Ils l'ont été dans quelques parties, dans la législation, dans la politique, dans l'art de la guerre, dans le choix des hommes qu'ils ont employés ; & au lieu de dire il a telle ou telle grande qualité, on a dit du guerrier, du politique, du législateur, c'est un grand homme. Huc & illuc accedat, ut perfecta virtus sit, aequalitas ac tenor vitae, per omnia constans sibi (Senec.) Nous ne connoissons dans l'antiquité qu'un seul homme d'état, qui ait rempli dans toute son étendue l'idée de la véritable grandeur, c'est Antonin ; & un seul homme privé, c'est Socrate. Voyez l'article GLOIRE.

Il est une grandeur factice ou d'institution, qui n'a rien de commun avec la grandeur personnelle. Il faut des grands dans un état, & l'on n'a pas toûjours de grands hommes. On a donc imaginé d'élever au besoin ceux qu'on ne pouvoit aggrandir ; & cette élévation artificielle a pris le nom de grandeur. Ce terme au singulier est donc susceptible de deux sens, & les grands n'ont pas manqué de se prévaloir de l'équivoque. Mais son pluriel (les grandeurs) ne présente plus rien de personnel ; c'est le terme abstrait de grand dans son acception politique ; ensorte qu'un grand homme peut n'avoir aucun des caracteres qui distinguent ce qu'on appelle les grands, & qu'un grand peut n'avoir aucune des qualités qui constituent le grand homme. Voyez GRAND. (Philos. Mor. & Politique.)

Mais un grand dans un état, tient la place d'un grand homme ; il le réprésente ; il en a le volume, quoiqu'il arrive souvent qu'il n'en ait pas la solidité. Rien de plus beau que de voir réunis le mérite avec la place. Ils le sont quelquefois à beaucoup d'égards ; & notre siecle en a des exemples ; mais sans faire la satyre d'aucun tems ni d'aucun pays, nous dirons un mot de la condition & des moeurs des grands, tels qu'il en est par-tout, en protestant d'avance contre toute allusion & toute application personnelle.

Un grand doit être auprès du peuple l'homme de la cour, & à la cour l'homme du peuple. L'une & l'autre de ces fonctions demandent ou un mérite recommandable, ou pour y suppléer un extérieur imposant. Le mérite ne se donne point, mais l'extérieur peut se prescrire ; on l'étudie, on le compose. C'est un personnage à joüer. L'extérieur d'un grand devroit être la décence & la dignité. La décence est une dignité négative qui consiste à ne rien se permettre de ce qui peut avilir ou dégrader son état, y attacher le ridicule, ou y répandre le mépris. Il s'agit de modifier les dehors de grandeur suivant le goût, le caractere, & les moeurs des nations. Une gravité taciturne est ridicule en France ; elle l'auroit été à Athenes. Une politesse legere eût été ridicule à Lacédémone ; elle le seroit en Espagne. La popularité des pairs d'Angleterre seroit déplacée dans les nobles Vénitiens. C'est ce que l'exemple & l'usage nous enseignent sans étude & sans réflexion. Il semble donc assez facile d'être grand avec décence.

Mais la dignité positive dans un grand est l'accord parfait de ses actions, de son langage, de sa conduite en un mot, avec la place qu'il occupe. Or cette dignité suppose le mérite, & un mérite égal au rang. C'est ce qu'on appelle payer de sa personne. Ainsi les premiers hommes de l'état devroient faire les plus grandes choses ; condition toûjours pénible, souvent impossible à remplir.

Il a donc fallu suppléer à la dignité par la décoration, & cet appareil a produit son effet. Le vulgaire a pris le fantôme pour la réalité. Il a confondu la personne avec la place. C'est une erreur qu'il faut lui laisser ; car l'illusion est la reine du peuple.

Mais qu'il nous soit permis de dire, les grands sont quelquefois les premiers à détruire cette illusion par une hauteur révoltante.

Celui qui dans les grandeurs ne fait que représenter, devroit savoir qu'il n'ébloüit pas tout le monde, & ménager du-moins ses confidens pour les engager au silence. Qu'un homme qui voit les choses en elles-mêmes, qui respecte les préjugés, & qui n'en a point, se montre à l'audience d'un grand avec sa simplicité modeste : que celui-ci le reçoive avec cet air de supériorité qui protege & qui humilie, le sage n'en sera ni offensé, ni surpris ; c'est une scene pour le peuple. Mais quand la foule s'est écoulée, si le grand conserve sa gravité froide & severe, si son maintien & son langage ne daignent pas s'humaniser, l'homme simple se retire en soûriant, & en disant de l'homme superbe ce qu'on disoit du comédien Baron : il joüe encore hors du théatre.

Il le dit tout bas, & il ne le dit qu'à lui-même ; car le sage est bon citoyen. Il sait que la grandeur, même fictive, exige des ménagemens. Il respectera dans celui qui en abuse, ou les ayeux qui la lui ont transmise, ou le choix du prince qui l'en a décoré, ou, quoi qu'il en soit, la constitution de l'état qui demande que les grands soient en honneur & à la cour, & parmi le peuple.

Mais tous ceux qui ont la pénétration du sage, n'en ont pas la modération. Paucis imponit leviter extrinsecùs induta facies... tenue est mendacium : perlucet, si diligenter inspexeris (Senec.) Dans un monde cultivé sur-tout, la vanité des petits humiliée a des yeux de lynx pour pénétrer la petitesse orgueilleuse des grands ; & celui qui en faisant sentir le poids de sa grandeur en laisse appercevoir le vuide, peut s'assûrer qu'il est de tous les hommes le plus séverement jugé.

Un homme de mérite élevé aux grandeurs, tâche de consoler l'envie, & d'échapper à la malignité. Mais malheureusement celui qui a le moins à prétendre, est toûjours celui qui exige le plus. Moins il soûtient sa grandeur par lui-même, plus il l'appesantit sur les autres. Il s'incorpore ses terres, ses équipages, ses ayeux, & ses valets, & sous cet attirail, il se croit un colosse. Proposez-lui de sortir de son enveloppe, de se dépouiller de ce qui n'est pas à lui, osez le distinguer de sa naissance & de sa place, c'est lui arracher la plus chere partie de son existence ; réduit à lui-même, il n'est plus rien. Etonné de se voir si haut, il prétend vous inspirer le respect qu'il s'inspire à lui-même. Il s'habitue avec ses valets à humilier des hommes libres, & tout le monde est peuple à ses yeux.

Asperius nihil est humili qui surgit in altum. (Clod.)

C'est ainsi que la plûpart des grands se trahissent & nous détrompent. Car un seul mécontent qui a leur secret, suffira pour le répandre ; & leur personnage n'est plus que ridicule dès que l'illusion a cessé.

Qu'un grand qui a besoin d'en imposer à la multitude, s'observe donc avec les gens qui pensent, & qu'il se dise à lui-même ce que diroient de lui ceux qu'il auroit reçûs avec dédain, ou rebutés avec arrogance.

" Qui es-tu donc, pour mépriser les hommes ? & qui t'éleve au-dessus d'eux ? tes services, tes vertus ? Mais combien d'hommes obscurs plus vertueux que toi, plus laborieux, plus utiles ? Ta naissance ? on la respecte : on salue en toi l'ombre de tes ancêtres ; mais est-ce à l'ombre à s'énorgueillir des hommages rendus au corps ? Tu aurois lieu de te glorifier, si l'on donnoit ton nom à tes ayeux, comme on donnoit au pere de Caton le nom de ce fils, la lumiere de Rome (Cic. off.). Mais quel orgueil peut t'inspirer un nom qui ne te doit rien, & que tu ne dois qu'au hasard ? La naissance excite l'émulation dans les grandes ames, & l'orgueil dans les petites. Ecoute des hommes qui pensoient noblement, & qui savoient apprécier les hommes. Point de rois qui n'ayent eu pour ayeux des esclaves ; point d'esclaves qui n'ayent eu des rois pour ayeux (Plat.) Personne n'est né pour notre gloire : ce qui fut avant nous n'est point à nous. (Senec.) En un mot, la gloire des ancêtres se communique comme la flamme ; mais comme la flamme, elle s'éteint si elle manque de nourriture, & le mérite en est l'aliment. Consulte-toi, rentre en toi-même : nudum inspice, animum intuere, qualis quantusque sit, alieno an suo magnus (ibid.). "

Il n'y a que la véritable grandeur, nous dira-t-on, qui puisse soûtenir cette épreuve. La grandeur factice n'est imposante que par ses dehors. Hé bien, qu'elle ait un cortege fastueux & des moeurs simples, ce qu'elle aura de dominant sera de l'état, non de la personne. Mais un grand dont le faste est dans l'ame, nous insulte corps à corps. C'est l'homme qui dit à l'homme, tu rampes au-dessous de moi : ce n'est pas du haut de son rang, c'est du haut de son orgueil qu'il nous regarde & nous méprise.

Mais ne faut-il pas un mérite supérieur pour conserver des moeurs simples dans un rang si élevé ? cela peut être, & cela prouve qu'il est très-difficile d'occuper décemment les grandeurs sans les remplir, & de n'être pas ridicule par-tout où l'on est déplacé.

Un grand, lorsqu'il est un grand homme, n'a recours ni à cette hauteur humiliante qui est le singe de la dignité, ni à ce faste imposant qui est le fantôme de la gloire, & qui ruine la haute noblesse par la contagion de l'exemple & l'émulation de la vanité.

Aux yeux du peuple, aux yeux du sage, aux yeux de l'envie elle-même, il n'a qu'à se montrer tel qu'il est. Le respect le devance, la vénération l'environne. Sa vertu le couvre tout entier ; elle est son cortége & sa pompe. Sa grandeur a beau se ramasser en lui-même, & se dérober à nos hommages, nos hommages vont la chercher. Voyez Labruyere, du mérite personnel. Mais qu'il faut avoir un sentiment noble & pur de la véritable grandeur, pour ne pas craindre de l'avilir en la dépouillant de tout ce qui lui est étranger ! Qui d'entre les grands de notre âge voudroit être surpris, comme Fabrice par les ambassadeurs de Pyrrhus, faisant cuire ses légumes ? Article de M. MARMONTEL.

GRANDEUR D'AME. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de prouver que la grandeur d'ame est quelque chose de réel : il est difficile de ne pas sentir dans un homme qui maîtrise la fortune, & qui par des moyens puissans arrive à des fins élevées, qui subjugue les autres hommes par son activité, par sa patience, ou par de profonds conseils ; il est difficile, dis-je, de ne pas sentir dans un génie de cet ordre une noble dignité : cependant il n'y a rien de pur, & dont nous n'abusions.

La grandeur d'ame est un instinct élevé, qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu'il soit ; mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumieres, leur éducation, leur fortune, &c. Egale à tout ce qu'il y a sur la terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soûmettre par toutes sortes d'efforts ou d'artifices les choses humaines à elle ; & tantôt dédaignant ces choses, elle s'y soûmet elle-même, sans que sa soûmission l'abaisse : pleine de sa propre grandeur, elle s'y repose en secret, contente de se posséder. Qu'elle est belle, quand la vertu dirige tous ses mouvemens ; mais qu'elle est dangereuse alors qu'elle se soustrait à la regle ! Représentez-vous Catilina au-dessus de tous les préjugés de sa naissance, méditant de changer la face de la terre, & d'anéantir le nom romain : concevez ce génie audacieux, menaçant le monde du sein des plaisirs, & formant d'une troupe de voluptueux & de voleurs un corps redoutable aux armées & à la sagesse de Rome. Qu'un homme de ce caractere auroit porté loin la vertu, s'il eût tourné au bien ! mais des circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina étoit né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissoit & contraignoit ; sa dissipation & ses débauches l'engagerent peu-à-peu à des projets criminels : ruiné, décrié, traversé, il se trouva dans un état, où il lui étoit moins facile de gouverner la république que de la détruire ; ne pouvant être le héros de sa patrie, il en méditoit la conquête. Ainsi les hommes sont souvent portés au crime par de fatales rencontres, ou par leur situation : ainsi leur vertu dépend de leur fortune. Que manquoit-il à César, que d'être né souverain ? Il étoit bon, magnanime, généreux, brave, clément ; personne n'étoit plus capable de gouverner le monde & de le rendre heureux : s'il eût eû une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache ; mais César n'étant pas né roi, n'a passé que pour un tyran.

De-là il s'ensuit qu'il y a des vices qui n'excluent pas les grandes qualités, & par conséquent de grandes qualités qui s'éloignent de la vertu. Je reconnois cette vérité avec douleur : il est triste que la bonté n'accompagne pas toûjours la force, que l'amour du juste ne prévale pas nécessairement sur tout autre amour dans tous les hommes & dans tout le cours de leur vie ; mais non seulement les grands-hommes se laissent entraîner au vice, les vertueux même se démentent, & sont inconstans dans le bien. Cependant ce qui est sain est sain ; ce qui est fort est fort. Les inégalités de la vertu, les foiblesses qui l'accompagnent, les vices qui flétrissent les plus belles vies, ces défauts inséparables de notre nature, mêlée si manifestement de grandeur & de petitesse, n'en détruisent pas les perfections : ceux qui veulent que les hommes soient tous bons ou tous méchans, nécessairement grands ou petits, ne les ont pas approfondis. Il n'y a rien de parfait sur la terre ; tout y est mélangé & fini ; les mines ne nous donnent point d'or pur. Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.


GRANDINvoyez BOUGET.


GRANGES. f. (Econ.) lieu où l'on serre, où l'on bat les grains.


GRANIQUE(LE) Géog. anc.) Granicus, riviere de la Troade en Asie. Elle a sa source au mont Ida, coule en serpentant tantôt vers le S. E. tantôt vers le N. O. & enfin se tourne vers le N. N. O. avant que de tomber dans la Propontide.

Cette riviere si fameuse par la premiere bataille que le plus grand capitaine de l'antiquité gagna sur ses bords, ne doit point perdre son nom quand on parlera d'Alexandre, de Darius, & des tems reculés. Les Turcs l'appellent Sanson ; elle est aujourd'hui très-petite, presque à sec en été, & cependant se déborde quelquefois considérablement par les pluies. Son fond n'est que sablon & gravier, & les Turcs qui négligent entierement de nettoyer les embouchures des rivieres, ont laissé combler celle du Granique ; aussi n'est-il plus navigable par cette seule raison, & même près de la mer où il est assez large. On le traverse au-dessous d'un village nommé Sousighirli, sur un méchant pont de bois à piles de pierre, qui sont peu assûrées. Voyez les voyages de Spon, de Lucas, de Wheeler, & de Tournefort. (D.J.)


GRANIou GRANITE, (Hist. nat. Lithologie) c'est une pierre opaque très-dure, qui donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier, & qui doit être mise par conséquent au rang des jaspes ou des pierres quartreuses & non des marbres, comme quelques auteurs l'ont prétendu ; les acides n'agissent point sur les vrais granits. Wallerius fait du granit une variété du porphyre ; il y a tout lieu de croire que ce n'est qu'une même pierre, qui n'en differe que par la couleur qui est purement accidentelle, & qui ne change rien à la nature de la pierre. Voyez PORPHYRE. Cependant M. Pott prétend que le granit est d'un grain beaucoup plus grossier que le porphyre. Le granit est ordinairement d'un blanc sale, rempli de taches noirâtres, ou d'un gris foncé ; il y en a dans lequel on trouve des particules talqueuses, luisantes, ou du mica. Il y a du granit qui est entre-mêlé de taches d'un rouge pâle, d'autre d'un rouge violet ; c'est celui que les Italiens nomment granito rosso ; il étoit le plus estimé des anciens, qui le nommoient syenites ou piropaecilon. On le trouvoit, suivant Pline, en Arabie, & dans la haute Egypte ; il prenoit un poli admirable. C'est de cette espece de granit que sont faits les fameux obélisques égyptiens que l'on voit encore à Rome. Voyez Pline, Hist. natur. livre XXXVI. chap. viij. Quelques gens ont cru que le granit étoit une pierre composée par art, & que les anciens avoient le secret de coller ensemble de petits morceaux de pierres pour en former des colonnes ou des obélisques d'une grandeur demesurée ; c'est la grandeur de ces ouvrages qui semble avoir donné lieu à cette opinion qui n'est point fondée ; car, suivant le témoignage de Shaw, dans ses voyages en Egypte & au Levant, on voit encore des carrieres considérables de granit dans l'Arabie pétrée. Il s'en trouve encore dans beaucoup d'autres parties du monde ; le granit se rencontre en masses de roche d'une grandeur énorme, & tout l'art des anciens consistoit à en détacher des morceaux très-grands dont ils faisoient leurs colonnes & les obélisques.

C'est improprement que l'on donne le nom de granit à des pierres composées qui ont à-peu-près le même coup-d'oeil que lui ; ces dernieres ne sont pas à beaucoup-près d'une dureté aussi grande ; il y en a de ces dernieres qui sont composées en grande partie de spath calcaire feuilleté ; elles s'égrenent facilement & se pulvérisent. On trouve aussi des particules de quartz qui sont très-dures dans ces faux granits : quand on ne s'en rapporte qu'au coup-d'oeil, il est très-aisé de se tromper, & l'on jetteroit une grande confusion dans l'histoire naturelle des pierres, en appellant granit tout ce qui lui ressemble ; il paroît que l'on ne doit donner ce nom qu'à une pierre composée, dont toutes les parties sont très-dures. Au reste, il semble que les particules noires qui se trouvent même dans le granit véritable, n'ont point encore été suffisamment examinées ; il y a des raisons de présumer qu'elles ne sont point de la même nature que les particules blanches ou rouges qu'on y remarque.

Le Dauphiné est rempli de roches de granit blanc & gris, sur-tout le long des bords du Rhône ; il s'en trouve aussi en Bourgogne & en Bretagne : mais souvent celui qu'on trouve dans ces deux provinces semble devoir être mis dans la classe du faux granit, étant entre-mêlé de parties spathiques & calcaires. (-)

Presque toutes les îles de l'Archipel sont couvertes d'un granit blanc ou grisâtre, pétri naturellement avec des morceaux de talc noirâtres & brillans. M. de Tournefort en a vû à Constantinople, dont le fond est isabelle, piqué de taches couleur d'acier.

Le granit violet oriental, qui est marqueté de rouge & de blanc, vient de l'île de Chypre.

Le granit se trouve aussi fréquemment dans toute l'Europe ; celui de Corse qu'on tire près de San-Bonifacio, est rouge, mêlé de taches blanches ; celui de Monte-Antico, près de Sienne, est verd & noir. Celui de l'île d'Elbe sur la côte de Toscane, est roussâtre ; les Romains l'aimoient, & en tiroient une grande quantité de cet endroit-là. Le granit pfaronien est ainsi nommé de ses taches qui imitent la couleur du sansonnet ; le granit de Saxe est pourpre. La basse-Normandie a des carrieres de granit du côté de Granville, qu'on employe sous le nom de carreaux de Saint-Sévere pour les chambranles des portes & des cheminées ; le Maine a du granit difficile à polir. Celui de Dauphiné est une espece de caillou extrêmement dur, & d'ailleurs bien veiné ; sa réputation avoit été autrefois grande ; mais la carriere ayant été négligée, on en a presque perdu la connoissance. Toutes les colonnes qui passent pour être de pierre fondue, sont de granit des provinces de ce royaume.

On trouve en abondance dans l'île de Minorque de superbe granit rouge & blanc, marqueté de noir, de blanc, & de jaunâtre, dont on a fait à Londres de très-beaux dessus de table. L'Angleterre, l'Irlande, les comtés de Cornouailles & de Devonshire, possedent deux sortes de granit, du noir & blanc, fort dur, qu'on nomme moor-stone, & du granit rouge, blanc, & noir, d'une grande beauté. (D.J.)


GRANSBAINS(Géog.) chaîne de montagnes qui traverse l'Ecosse, & qui la sépare en deux, savoir en citérieure & en ultérieure ; elle s'étend en long depuis l'embouchure de la Dée à l'E. vers Aberdeen, jusqu'au lac de Lomond à l'O. C'est une partie du mont Grampins, dont Tacite fait mention dans la vie d'Agricola, où il décrit la victoire que ce général remporta près de cette montagne sur Galgacus roi d'Ecosse. (D.J.)


GRANSONGransonium (Géog.) petite ville de Suisse au pays de Vaud, capitale d'un bailliage de même nom. Granson est mémorable par la bataille que les Suisses y gagnerent contre Charles, dernier duc de Bourgogne en 1457. Elle est située sur le bord occidental du lac de Neufchatel ; à une lieue d'Yverdun. Long. 24. 32. latit. 46. 48. (D.J.)


GRANTHAMGrathamium, (Géog.) ville à marché d'Angleterre en Lincolnshire, sur la riviere de Wintham ; elle a droit d'élire deux députés au parlement. Elle est à 3 lieues S. de Lincoln, 30 N. de Londres. Long. 16. 52. latit. 52. 90. (D.J.)


GRANULATIONS. f. (Métall.) réduction des métaux en poudre ou en petite grenaille, afin qu'ils puissent se fondre plus aisément, & se mêler plus également avec d'autres corps dans certaines opérations délicates.

C'est ce qu'on exécute d'une façon grossiere par la voie humide, en jettant les métaux quand ils sont en fusion, dans l'eau froide, au-travers d'un balai de genêt ou de bouleau tout neuf ; ou plutôt en les faisant passer dans un cylindre creux percé de trous, espece de couloir destiné à cette opération. Mais la meilleure méthode de granuler les métaux cassans, se pratique par la voie seche, c'est-à-dire en jettant ces sortes de métaux au moment qu'ils sont en fusion, dans une boîte de bois bien enduite intérieurement de craie : on granule parfaitement le plomb de cette maniere, & voici comment il faut s'y prendre.

Mettez une certaine quantité de plomb dans une cueillere de fer ; faites-le fondre lentement sur un petit feu ; dès qu'il sera entierement liquéfié, versez-le dans votre boîte de bois, dont l'intérieur, ainsi que son couvercle, qui doit être juste & bien fait, seront partout enduits de craie ; secouez sur le champ votre boîte avec le métal fondu que vous venez d'y verser, & secouez-la fortement, ensorte que le métal soit violemment agité contre toutes les parois de la boîte ; continuez cette agitation jusqu'à ce que le métal soit refroidi ; alors ouvrez la boîte, & vous trouverez la plus grande partie de votre métal finement granulé, c'est-à-dire réduit en très-petits grains ; lavez tous ces grains dans l'eau chaude, vous enleverez la craie qui s'y est attachée ; enfin passez-les par des couloirs pour en trier les diverses grosseurs.

Le plomb, l'étain, le cuivre, sont les métaux les plus propres à ce procédé, parce qu'ils deviennent très-cassans lorsqu'ils entrent en fusion. La craie dont on couvre tout l'intérieur de la boîte de bois, y donne une grande force de résistance, & l'empêche de se brûler, tandis que le métal secoué contre ses parois, acquérant de la fragilité, à mesure qu'il se refroidit, se réduit par les secousses réitérées en une fine poudre, qu'on ne peut obtenir par aucune autre méthode.

Il y a pourtant quelques précautions à suivre dans ce procédé, qu'il est bon de savoir ; 1°. le plomb ne doit pas être fondu à un feu violent, parce qu'il dépose dans la fusion une pellicule sur sa surface, qui se regenere aussi souvent qu'on l'écarte ; de sorte que toutes ces pellicules se mêlant avec le métal, tandis que vous le secouez dans votre boîte, s'opposent à la granulation ; 2°. quoique le feu ne soit pas violent, il faut observer que le plomb soit toûjours fluide ; autrement il se réuniroit en masse presque aussi-tôt que vous le verseriez dans la boîte ; vous n'en retireriez donc que peu de poudre, & vous seriez obligé de répéter le procédé à plusieurs reprises ; 3°. l'espece de granulation dont nous parlons, ne doit pas s'appliquer à tous les métaux ; on ne peut l'obtenir de ceux qui sont d'autant plus tenaces, qu'ils approchent davantage de la fusion. L'or & l'argent, par exemple, sont de cette classe ; ils ne peuvent être granulés que par la méthode humide & grossiere de l'eau froide : du-moins les découvertes de nos jours en ce genre ne s'étendent pas plus loin. (D.J.)


GRANULATOIRES. f. voyez GRENAILLER.


GRANVILLEGrandisvilla, (Géog.) petite ville maritime de France dans la basse-Normandie, avec un port. Elle est en partie sur un rocher, & en partie dans la plaine, à 5 lieues d'Avranches, à 6 de Coutance vers la Bretagne, & à 74 N. O. de Paris. Les Anglois ont bâti Granville sous Charles VII. Long. suivant Cassini, 15d. 54'. 18". latit. 48d. 50'. 6". (D.J.)


GRAPHIQUEadjectif, (Astron.) on appelle en Astronomie opération graphique, celle qui consiste à résoudre certains problèmes d'Astronomie par le moyen d'une ou de plusieurs figures tracées en grand sur un papier, & relatives à la solution de ces problèmes. Si ces opérations ne donnent pas une solution extrêmement exacte, elles donnent en récompense la solution la plus promte, & fournissent une premiere approximation commode, qu'on peut ensuite pousser plus loin en employant le calcul. Ainsi on employe les opérations graphiques pour avoir d'abord une solution ébauchée du problème des cometes, de celui des éclipses, & de quelques autres. On peut en avoir des exemples dans différens ouvrages d'Astronomie. (O)


GRAPHOIDES. f. (Anat.) ce mot se dit 1°. de l'apophyse stiloïde, qui est une appendice de l'os des tempes, faite en forme de petit stilet, longue, aiguë, déliée, & tant-soit-peu courbée, comme les éperons ou les ergots du coq. 2°. Quelques-uns donnent aussi, quoique mal-à-propos, le nom de graphoïde au muscle digastrique. 3°. Enfin d'autres donnent la même dénomination à une petite extension du cerveau qui part de la base de ce viscere, & panche en-arriere.

C'est ainsi que les termes grecs sont par un malheur inévitable tellement multipliés en Medecine & en Anatomie, pour signifier une même chose & même des choses différentes, que pour en étendre les sons & les diverses applications, on est obligé de perdre sur la science aride des mots, le tems le plus précieux de la vie, & qu'on pourroit employer utilement à la connoissance des choses qu'ils désignent.

Graphoïde vient de , j'écris, & , forme ; voilà pourquoi ce mot est donné à diverses choses qui ont la forme plus ou moins approchante d'une plume dont nous nous servons pour écrire. (D.J.)


GRAPHOMETRES. m. (Géom. prat.) nom que plusieurs auteurs donnent à un instrument de mathématique, appellé plus communément demi-cercle.

Ce mot vient de deux mots grecs, , j'écris, & , mesure ; apparemment parce que les divisions de degrés qui sont sur cet instrument donnent, pour ainsi dire, par écrit la mesure des angles qu'on observe par son moyen.

On a vû au mot DEMI-CERCLE en quoi cet instrument differe de l'équerre d'arpenteur. Voyez EQUERRE D'ARPENTEUR. Il differe de la planchette en ce que celle-ci est un instrument beaucoup plus simple & sans aucune division. Voyez PLANCHETTE. Ce dernier est plus expéditif, mais le graphometre est plus exact ; cependant quand il s'agit d'opérations trigonométriques qui demandent une grande précision, comme de celles qu'il faut faire pour mesurer les angles des triangles dans la mesure d'un degré du méridien, on se sert d'un instrument encore plus exact que le graphometre, d'un quart de cercle bien divisé & garni de lunette. Voyez QUART DE CERCLE. (O)


GRAPPES. f. (Hist. nat.) on donne ce nom au fruit, & quelquefois à la semence de plusieurs plantes, lorsque ce fruit ou cette semence a ses grains distribués sur un soûtien branchu, comme on le voit au fruit de la vigne.

GRAPPE DE MER zoophyte, c'est un corps oblong qui a une sorte de pédicule, & qui ressemble par sa forme extérieure à une grappe de raisin en fleur. Les parties du dedans sont peu distinctes ; on y reconnoît seulement plusieurs petites glandes, dont Rondelet a donné la figure avec celle du zoophyte entier. Hist. des insectes & zoophytes, page 90. (I)

GRAPPE, (Manége & Maréch.) maladie cutanée, que quelques auteurs ont confondue avec celle que nous nommons arêtes ou queues de rat, & que d'autres ont imaginé avec raison être la même que celle que nous connoissons sous la dénomination de peignes. Voyez PEIGNES, EAUX, MALADIE. (e)

GRAPPE DE RAISIN, (Peinture) C'est au célebre Titien que l'art de la Peinture doit le principe caché sous l'emblème de la grappe de raisin. Ce savant peintre, le premier coloriste peut-être qui ait existé, en refléchissant sur l'accord du clair obscur & de la couleur, avoit observé cette harmonie, qui est le but où doivent tendre principalement ceux qui s'occupent à imiter la nature. Il avoit remarqué que la dégradation des couleurs & les différens effets de la lumiere & de l'ombre produisent dans un petit espace, à l'égard des grains qui composent une grappe de raisin, ce qu'ils produisent dans un plus vaste champ sur les corps qui sont offerts continuellement à nos yeux. Il se servoit de cet objet de comparaison pour développer ses idées, & pour rendre plus frappantes les instructions qu'il donnoit à ses éleves. Dans ces instructions il faisoit vraisemblablement remarquer aux jeunes artistes que chaque grain en particulier est l'objet d'une dégradation de couleur, d'une diminution de lumiere, & d'une progression d'ombre extrêmement combinées, à cause de la forme ronde du grain de raisin qui ne permet pas que la lumiere frappe également deux points de cette surface. Il observoit ensuite que cette combinaison si variée dans chaque grain est tellement subordonnée à une combinaison générale, qu'il en résulte, à l'égard de toute la grappe regardée comme un seul corps, un effet semblable à celui que produit un grain lorsqu'il est examiné en particulier. De ces observations tirées de l'exemple d'une grappe de raisin, il entroit sans-doute dans des détails sur l'accord & l'union des grouppes, & sur l'harmonie du coloris & du clair obscur, qu'il seroit bien à souhaiter qu'il nous eût transmis. Nous en trouvons, il est vrai, l'application dans ses ouvrages ; mais il faut avoir déjà fait un chemin considérable dans l'art de la Peinture par le raisonnement & par l'observation, pour être en état d'entendre ces leçons pratiques, & de lire dans les tableaux des grands maîtres. Rien n'est aussi commun & aussi juste que le conseil qu'on donne aux artistes qui commencent leur carriere, lorsqu'on leur dit : voyez les ouvrages des Titiens, des Raphaëls, des Wandik. Ils obéissent sans-doute ; mais s'il en est beaucoup qui regardent, il en est fort peu qui ayent l'avantage de voir. Article de M. WATELET.


GRAPPINS. m. (Econ. rustiq.) instrument de fer à plusieurs fourchons pointus, recourbés, séparés les uns des autres, distribués comme les doigts de la main, & se rassemblant pour former une douille creuse, où le manche du grappin est reçu. On se sert principalement du grappin à la campagne, pour séparer une partie de la raphe du grain de raisin dans les vaisseaux où on le porte immédiatement après qu'il est vendangé, avant que de le jetter dans la cuve. Il y a une autre sorte de grappin, qu'on attache aux piés pour grimper plus facilement sur les gros arbres. La Marine a aussi son grappin. Voyez l'article suivant.

GRAPPIN, (Marine) c'est une petite ancre qui a cinq pattes, & qui sert à tenir une chaloupe ou un petit bâtiment. On porte souvent le grappin à terre. Quelques-uns l'appellent hérisson, risson, harpeau ; mais le terme le meilleur est grappin. On dit mouiller le grappin.

Grappin à main, ou grappin d'abordage, c'est un croc qu'on jette à la main de dessus les haubans & le beaupré, sur un vaisseau ennemi qu'on veut accrocher. Ce sont les matelots qui doivent jetter le grappin, ou sur les haubans, ou sur le beaupré, & souvent sur les écotars ; & lorsque le grappin s'est attaché à quelque manoeuvre ou autre partie du vaisseau ennemi, on hale la corde qui est attachée au grappin, & on fait approcher les deux vaisseaux.

On jette encore les grappins dans les hauts du vaisseau qu'on veut aborder, tâchant d'accrocher la dunette ou le château d'avant, & d'y sauter en même tems.

Grappin de brulôts, c'est un grappin qui a des crochets au lieu de pattes. On les met au bout du mât de beaupré & des vergues des brûlots, pour accrocher le navire qu'on veut brûler. (Z)


GRASadj. (Gramm.) Gras, qui a de la graisse. Voyez GRAISSE. Il se dit aussi de tout corps enduit de graisse, & de ceux qui donnent au toucher la même sensation que ces corps enduits de graisse, ou que la graisse même. Il s'oppose quelquefois à maigre ; on dit faire gras, faire maigre. Il désigne en d'autres circonstances la marque principale de l'embonpoint : cette femme est grasse. Il se prend substantivement : je n'aime pas le gras de la viande ; le gras de la jambe. Dans ce dernier exemple il est synonyme à charnu. On l'employe au figuré : il s'est engraissé dans cette affaire ; une cause grasse.

GRAS, (Coupe des pierres) signifie un excès d'épaisseur de pierre, ou de bois, ou d'ouverture d'angle plus grand qu'il n'est nécessaire pour le lieu où la pierre, où le morceau de bois doit être placé. Le défaut opposé s'appelle maigre.

GRAS, s. m. parler, chanter gras, défaut qui vient plus souvent de l'éducation que de l'organe. Voyez la grammaire de Restaut, sur la lettre R.

Il est rare que les enfans ne parlent pas gras, il est rare aussi qu'avec des soins on ne vienne pas à-bout de les guérir d'un défaut de prononciation aussi desagréable. Voyez GRASSEYER, GRASSEYEMENT. (B)

GRAS, en Peinture & en Sculpture, est un terme dont l'acception revient à celle de moëlleux, de flou & de large. On dit gras large, &c.

GRAS DE LA JAMBE, est sa partie charnue, en latin sura.

GRAS DE JAMBE, (Manége) l'aide du gras de jambe est, après celle du pincer, la plus forte de toutes les aides des jambes du cavalier. Voyez JAMBES & MANEGE. (e)

GRAS FONDU, épithete par laquelle on désigne un cheval atteint de la maladie que l'on nomme gras fondure. Voyez ci-après GRAS FONDURE. (e)

GRAS-FONDURE, s. f. adipis fusio, (Manége & Maréchal.) maladie. Le nom qu'on lui a donné désignant précisément ce qu'elle n'est pas, on ne sauroit former des doutes sur l'ignorance de ceux de qui elle l'a reçu.

Un travail forcé, un repos excessif l'occasionnent. Le dégoût, l'agitation, l'inquiétude, l'action de l'animal qui se couche, se releve, & regarde sans-cesse son flanc, & le battement plus ou moins violent de cette partie, en sont des signes fréquens, mais équivoques. Celui qui lui appartient essentiellement résulte de la présence d'une matiere visqueuse, épaisse & blanchâtre, qui se trouve mêlée avec les excrémens, & qui, sous la forme d'une espece de toile, en enveloppe & en coëffe, pour ainsi dire, les parties marronnées. C'est ce symptome univoque qui en a grossierement imposé, lorsque l'on s'est persuadé que cette humeur muqueuse & cette prétendue membrane ne sont autre chose que la graisse fondue, comme si le tube intestinal en étoit intérieurement & considérablement garni, & comme si, du tissu cellulaire du péritoine dans lequel elle est répandue, elle pouvoit en se fondant se frayer une route dans ce canal, & être dès-lors & par ce moyen évacuée avec la fiente.

Quiconque envisagera la maladie dont il s'agit sous l'aspect d'une affection inflammatoire du bas-ventre, & spécialement du mésentere & des intestins, concevra une juste idée de son génie & de son caractere. En effet si l'on suppose, ensuite d'un exercice outré & de l'extrême accélération du mouvement circulaire, une phlogose fixée plus particulierement, & à raison de certaines dispositions, sur les parties de l'abdomen : ou, si l'on imagine, ensuite d'un repos trop long & conséquemment à la stase des humeurs, un engorgement dans le tissu vasculeux de ces mêmes parties, nécessairement enflammées, dès que leurs fibres nerveuses tiraillées, ou dès que les humeurs stagnantes ayant acquis un degré d'acrimonie susciteront des oscillations plus fréquentes & plus fortes, & donneront lieu à une effervescence ; tous les signes qui caractérisent la gras-fondure, ne présenteront rien qui ait droit de surprendre ; & l'on verra sans peine comment le mucus, toûjours abondant dans les intestins qu'il lubréfie, & qui d'ailleurs est de la nature des sucs albumineux que la chaleur durcit, peut, dans un lieu que la main même du maréchal trouve brûlant, être parvenu au point de consistance qu'il a acquis, lorsqu'il est entraîné avec les crotins qu'il recouvre.

La phlogose qui se manifeste violemment dans la région abdominale est-elle universelle ? la gras-fondure sera jointe à la courbature, ou à quelque autre maladie aiguë. Les engorgemens qui ont lieu dans le tissu vasculeux dont j'ai parlé, sont-ils accompagnés de celui des vaisseaux lymphatiques des parties membraneuses qui enveloppent les articulations ? il y aura fourbure & gras-fondure en même tems. L'inflammation enfin est-elle très-legere & bornée seulement aux intestins ? les desordres qu'elle suscitera seront à peine sensibles.

Du reste c'est une erreur née de la fausse idée que l'on s'est formée de cette maladie, de croire que les chevaux chargés de graisse soient les seuls qui puissent y être exposés ; la masse des humeurs contenant en eux, il est vrai, une grande quantité de parties sulphureuses, est très-susceptible d'alkalisation & d'explosion ; mais d'une autre part, la force & la rigidité des solides dans les chevaux maigres ne les y rend pas moins sujets.

Lorsque la gras-fondure est simple, il est rare que les suites en soient funestes. Elle est aussi plus ou moins dangereuse, selon ses diverses complications ; elle cede néanmoins, dans tous les cas, à un traitement méthodique, pourvû que les secours qu'elle exige ne soient pas tardifs. Ce traitement méthodique consiste uniquement & en général, dans des saignées plus ou moins multipliées, dans l'administration d'un plus ou moins grand nombre de lavemens émolliens, & dans le soin de tenir exactement l'animal à un régime humectant & délayant ; car on doit absolument proscrire tous remedes cordiaux & purgatifs, capables d'enflammer, d'irriter encore davantage, & d'occasionner infailliblement la mort de l'animal. (e)


GRASSou GRACE, en latin Grinnicum, (Géog.) petite ville de France en Provence, avec un évêché suffragant d'Embrun. Elle est sur une montagne, à six lieues O. de Nice, cinq N. O. d'Antibes, vingt-six N. E. d'Aix. Longit. 24. 36. 5. lat. 43. 39. 25. (D.J.)

GRASSE BOULINE, (Marine) Voyez BOULINE.


GRASSELS. m. (Manége & Maréch.) Le grassel termine la portion de l'arriere-main, que je nomme la cuisse. Il occupe conséquemment la partie supérieure de celle que l'on doit appeller la jambe, suivant la nouvelle distinction que j'ai cru devoir faire, eu égard aux extrémités postérieures de l'animal. Voyez les élémens d'Hipp. vol. I.

Il est formé par un of d'une figure à-peu-près quarrée, désigné par le nom de rotule, qui se trouve sur l'éminence antérieure, lisse & polie de l'extrémité inférieure du fémur. Cet of est maintenu par les ligamens capsulaires de l'articulation qu'il recouvre, & par les tendons des muscles extenseurs de la jambe, qui s'y attachent avant de parvenir au tibia. Il fait l'office d'une poulie, en glissant lors de la contraction de ces muscles sur l'éminence dont j'ai parlé.

Les chevaux peuvent boiter du grassel. Voyez EFFORT. (e)


GRASSETTES. f. pinguicula (Hist. nat. botan.) genre de plante à fleur monopétale anomale, ouverte des deux côtés, mais ressemblante à la fleur de la violette, presque divisée en deux levres, & terminée par une sorte de queue. Il sort du calice un pistil qui passe dans la partie postérieure de la fleur, & qui devient un fruit ou une coque qui s'ouvre en deux pieces, & qui renferme de petites semences attachées à un placenta. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


GRASSEYEMENTS. m. (Voix) défaut de l'organe qui gâte la prononciation ordinaire, celle que nous desirons dans la déclamation & dans le chant, sur-tout dans celui du théatre. Voyez GRASSEYER. On parle gras, on chante gras, lorsqu'on donne le son r comme si elle étoit précédée d'un c ou d'un g, & qu'on dit l comme si elle étoit un y, sur-tout quand elle est double. Ainsi le mot race dans la bouche de ceux qui grasseyent, sonne comme le mot grace ou trace dans celle des gens qui parlent ou chantent bien ; & au lieu de dire carillon, groseille, on prononce niaisement caryon, groseye. Voyez les articles B & L.

Le grasseyement sur les autres lettres de la langue sont au-moins aussi insupportables. Il y en a sur le c qu'on prononce comme s'il étoit un t. On a mis sur le théatre des personnages de ce genre qui y ont beaucoup grasseyé & fait rire. Il y a eu un motif raisonnable de ridiculiser ce défaut, rarement naturel, & qui presque toûjours n'est produit que par l'affectation ou la mignardise.

On a vû sur le théatre lyrique une jeune actrice qui auroit peut-être distrait les spectateurs de ce défaut, si sa voix avoit secondé son talent. Elle arriva un jour sur la scene par ce monologue qu'on eut la mal-adresse de lui faire chanter :

Déesse des amours, Vénus, daigne m'entendre,

Sois sensible aux soupirs de mon coeur amoureux.

Il est rare que dans les premiers ans on ne puisse pas corriger les enfans de ce vice de prononciation, qui ne vient presque jamais du défaut de l'organe : celui de r, par exemple, n'est formé que par un mouvement d'habitude qu'on donne aux cartilages de la gorge, & qui est poussé du dedans au-dehors. Ce mouvement est inutile pour la prononciation de r : il est donc possible de le supprimer. Tout le monde peut aisément en faire l'expérience : car on grasseye quand on veut.

Ce défaut est laissé aux enfans, sur-tout aux jeunes filles lorsqu'elles paroissent devoir être jolies, comme une espece d'agrément qui leur devient cher, parce que la flaterie sait tout gâter.

On a un grand soin d'arrêter le grasseyement sur le c, le d & le double l, qui est le tic de presque tous les enfans, parce qu'il donne un ton pesant & un air bête. Il seroit aussi facile de les guérir de celui qui gâte la prononciation de r ; quoiqu'il soit plus supportable, il n'en est pas moins un défaut.

Lorsqu'il est question du chant, le grasseyement est encore plus vicieux que dans le parler. Le son à donner change, parce que les mouvemens que le grasseyement employe sont étrangers à celui que forment pour rendre R les voix sans défaut.

Sur le théatre on ne passe guere ce défaut d'organe qu'à des talens supérieurs, qui ont l'adresse de le racheter ou par la beauté de la voix, ou par l'excellence de leur jeu. Telle fut la célebre Pelissier, qui dans le tragique sur-tout employoit toutes les ressources de l'art pour rendre ce défaut moins desagréable. (B)


GRASSEYERv. neut. (Chant, Voix) c'est changer par une prononciation d'habitude ou naturelle, le son articulé de la voix : ainsi on grasseye, lorsqu'on prononce les c, les d, en t, les doubles ll en y ; ou lorsqu'on croasse de la gorge la lettre r, ensorte qu'on la fait précéder d'un c ou d'un g. Voyez GRASSEYEMENT. C'est le plus souvent par l'habitude qu'on acquiert ce défaut desagréable.

Les enfans ont presque tous le grasseyement du c & du d, ainsi que celui des doubles l ; ils le quittent cependant avec facilité, & l'on ne dit plus, lorsqu'on est bien élevé, tompagnie pour compagnie, ni Versayes pour Versailles. Voyez l'article L. Les soins des précepteurs, quand ils le veulent, réparent sans peine le vice qu'ont donné ou laissé les complaisances des gouvernantes : on n'est pas si attentif sur le grasseyement de r, sur-tout pour les filles, dont on espere de l'agrément ; on le regarde alors en les gâtant, comme une mignardise, & on ne corrige point ce défaut, par la fausse persuasion qu'il est un surcroît de graces. Voyez GRASSEYEMENT, & l'article R.

Mais il faut toûjours en revenir aux principes : la prononciation ne peut être bonne, que lorsqu'elle est sans défaut. Ainsi dans l'éducation des enfans, on ne peut trop veiller à la correction des défauts de la voix, de la prononciation, & du ton que leurs organes prennent souvent de leurs différens entours : dans ces momens, le plus petit défaut devient successivement un desagrément ; & dans un âge plus avancé, lorsqu'on entre dans le monde, le ton qu'on a pris dans les premiers ans produit des effets presque aussi promts que ceux qu'on voit produire au premier abord à certaines physionomies. (B)


GRATELLES. f. (Maladie) c'est une sorte d'affection cutanée, qui est la même que celle qui est appellée essere. Voyez ESSERE.


GRATERONS. m. aparine, (Botanique) genre de plante à fleur campaniforme évasée & découpée ; le calice devient un fruit sec, entouré d'une écorce mince & composée de deux globules qui renferment une semence à ombilic. Les feuilles de la plante sont rudes ou velues, & disposées autour des noeuds de la tige, au nombre de cinq ou plus. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Dans le systeme de Linnaeus, l'aparine ou le grateron forme pareillement un genre distinct de plante, qu'il caractérise ainsi. Le calice est placé sur le germe, & divisé par quatre noeuds à son extrémité. La fleur consiste en un seul pétale qui ne fait point de tuyau, mais est applatie & découpée en quatre segmens ; les étamines sont quatre filets pointus plus courts que la fleur ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est double ; le style est très-délié, un peu fendu en deux vers le bout, & de même longueur que les étamines. Les stigmates sont à tête : le fruit est composé de deux corps secs, arrondis, croissans ensemble, hérissés de poils crochus qui les rendent rudes, roides, & propres à s'accrocher à ce qu'ils touchent. La graine est unique, arrondie, creusée en nombril, & assez grosse.

Entre les seize especes de grateron que compte Tournefort, nous ne décrirons que la plus commune, aparine vulgaris, de C. B. P. 133. Parkins, théat. 567. Boerh. J. A. 150. Tournefort, inst. 104. élém. bot. 93.

Sa racine est menue, fibreuse ; ses tiges sont grêles, quarrées, rudes au toucher, genouillées, pliantes, grimpantes, longues de trois ou quatre coudées, & branchues ; ses feuilles longuettes, étroites, rudes au toucher, terminées par une petite épine, sont au nombre de cinq, six, ou sept, disposées en étoiles comme celles de la garence autour de chaque noeud des tiges. Ses fleurs naissent des noeuds vers l'extrémité des rameaux, portées sur de longs pédicules grêles ; elles sont très-petites, blanchâtres, d'une seule piece, en cloche, ouvertes, découpées chacune en quatre parties ; leur calice est aussi partagé en quatre. Il se change en un fruit sec, dur, & comme cartilagineux, couvert d'une écorce mince & noirâtre, composé de deux corps presque sphériques, remplis chacun d'une graine un peu creusée vers le milieu.

Cette plante vient communément dans les bois, dans les buissons, dans les haies, & quelquefois parmi les blés ; elle s'attache aux habits de ceux qui la rencontrent sur leur chemin ; elle est ennemie de toutes les plantes qui naissent autour d'elle, les embrasse avec ses feuilles hérissées de poils, & les déracine. Les paysans s'en servent quelquefois en guise de couloir, pour séparer du lait qu'ils viennent de traire, les poils & autres ordures. (D.J.)

GRATERON, (Mat. medic.) Le grateron est compté par quelques auteurs parmi les remedes apéritifs & diurétiques : mais la classe de ces remedes, que nous avons exposée à l'article DIURETIQUE, est assez remplie pour qu'il soit inutile de la grossir du nom de celui-ci, qui est peu usité, & dont les vertus sont par conséquent mal connues. (b)


GRATICULERv. n. terme de Peint. ce mot nous vient de l'Italien grata, grille. Il exprime la maniere dont ordinairement les artistes transportent une composition ou une ordonnance qu'ils veulent suivre d'une surface sur une autre, dans la proportion & la grandeur qui leur conviennent. Pour parvenir à cette opération, on trace sur son dessein ou sur son esquisse, des lignes qui se croisent à angles droits & à distances égales, & qui forment ainsi des quarrés égaux entr'eux. On trace aussi sur la surface sur laquelle on veut copier sa composition, un même nombre de lignes croisées qui y produisent un même nombre de quarrés. Alors on dessine dans chaque quarré de sa furface ce qui est dessiné dans le quarré correspondant du dessein ou de l'esquisse. Il est aisé de comprendre que plus on multiplie les quarrés, plus on parvient à copier exactement son original. Il faut remarquer aussi que si les quarrés qu'on trace sur la surface sont plus petits ou plus grands que les quarrés tracés sur l'esquisse ou le dessein, alors la copie qu'on en fait est plus grande ou plus petite : c'est par-là qu'on peut établir entre la copie & l'original telle proportion que l'on veut. Si l'on fait les quarrés destinés à la copie la moitié plus grands que ceux qui sont sur l'original, cette copie sera géométriquement moitié plus grande que l'original ; ainsi du reste, soit en diminuant soit en augmentant. On trace ces quarrés ou avec de la craie ou avec du fusin, ou enfin de telle maniere qu'on le veut ; mais il faut, autant que l'on peut, qu'ils se puissent effacer aisément lorsqu'on en a fait l'usage auquel ils sont destinés. Cette maniere de copier sert aux Graveurs qui veulent avoir un dessein exact plus petit ou plus grand qu'un tableau qu'ils veulent graver. Elle sert aussi aux Peintres qui veulent rapporter en très-grand une esquisse d'une grande composition : enfin elle est en général assez précise lorsqu'on multiplie les quarrés, & d'un grand usage dans tous les arts qui ont rapport au Dessein ou à la Peinture. Voyez ANAMORPHOSE & CRATICULAIRE.

Il y a une autre maniere de faire les réductions & de copier par le moyen d'un instrument nommé singe, dont on donnera le détail au mot SINGE : mais l'usage n'en est pas à beaucoup près aussi commun & aussi facile. Cet article est de M. WATELET.


GRATIFICATIONS. f. (Grammaire) don accordé en récompense surérogatoire de quelque service rendu. Il semble donc que la gratification suppose trois choses, un consentement particulier de celui qui gratifie, une action utile de la part de celui qui est gratifié, & un avantage pour celui-ci antérieur à la gratification : sans cet avantage, la gratification ne seroit qu'une récompense ordinaire.

GRATIFICATION, (Hist. du gouvern. d'Anglet.) la gratification est une récompense que le parlement accorde sur l'exportation de quelques articles de Commerce, pour mettre les négocians en état de soûtenir la concurrence avec les autres nations dans les marchés étrangers. Le remede est très-sage, & ne sauroit s'étendre à trop de branches de négoce, à mesure que l'industrie des autres peuples & le succès de leurs manufactures y peuvent donner lieu.

La gratification instituée en particulier en 1689, pour l'exportation des grains sur les vaisseaux anglois, afin d'encourager la culture des terres, a presque changé la face de la Grande-Bretagne ; les communes ou incultes ou mal cultivées, des pâturages arides ou deserts, sont devenus, au moyen des haies dont on les a fermés & séparés, des champs fertiles, ou des prairies très riches.

Les cinq schellings de gratification par quartier de grain, c'est-à-dire environ vingt-quatre boisseaux de Paris, s'employent par le laboureur au défrichement & à l'amélioration de ses champs, qui étant ainsi portés en valeur, ont doublé de revenu. L'effet de cette gratification est de mettre le royaume en état de vendre son blé dans les marchés étrangers, au même prix que la Pologne, le Danemarck, Hambourg, l'Afrique, la Sicile, &c. c'est en d'autres termes, donner au laboureur une gratification de 200 mille liv. sterling par an, pour que l'Angleterre gagne 1500 mille liv. sterling, qu'elle n'auroit pas sans ce secours. Généralement parlant, la voie de la gratification est la seule qui puisse être employée en Angleterre, pour lui conserver la concurrence de tous les commerces avec l'étranger. C'est une belle chose dans un état, que de l'enrichir en faisant prospérer les mains qui y travaillent davantage. (D.J.)


GRATIOLES. f. (Botanique) espece de digitale ; aussi est-elle nommée digitalis minima, par Boerhaave, J. A. 229. Tournef. inst. 165. elem. bot. 135. gratiola, par J. B. iij. 434. Ger. 466. Emac. 581. Rai, hist. ij. 1885. Rivin, irr. M. 126. Rupp. Fl. Jen. 200.

C'est une petite plante dont la tige menue pénetre fort avant dans la terre, & pousse plusieurs tiges quarrées, d'environ un pié de haut, des noeuds desquelles naissent des feuilles longues, étroites, & pointues comme celles de l'hysope ordinaire. Il sort de leurs aisselles des fleurs portées sur de courts pédicules, petites, oblongues, d'un jaune pâle, ouvertes en maniere de gueules en-devant, & partagées en deux levres d'un pourpre clair ; la levre supérieure est en forme de coeur, réfléchie vers le haut, & l'inférieure est divisée en trois parties ; leur calice est d'une seule piece, partagé en cinq quartiers, du fond duquel s'éleve un long pistil qui se change en une capsule rougeâtre, arrondie, terminée en pointe, partagée en deux loges, & remplie de menues graines roussâtres.

Toute cette plante est sans odeur, mais d'une saveur très-amere, mêlée de quelque adstriction. Elle aime les lieux montagneux, & fleurit au mois de Juillet : elle est rarement d'usage, parce qu'elle agit avec violence par haut & par bas ; & c'est pour cela qu'elle mérite d'être considérée en matiere médicale. (D.J.)

GRATIOLE, (Mat. med.) on la place communément dans les listes des plantes usuelles au rang des purgatifs hydragogues ; & en effet elle purge très-violemment. C'est un vrai remede de paysan ou de charlatan, auquel on pourroit avoir recours à la campagne dans le cas de nécessité, à la dose d'une demi-poignée de plante fraîche en infusion ou en décoction, mais qu'on ne doit jamais employer quand on est à portée d'avoir les purgatifs plus éprouvés & moins dangereux des boutiques. (b)


GRATITUDERECONNOISSANCE, sub. f. (Synonymes) ces deux mots désignent une même chose, le sentiment des bienfaits qu'on a reçûs ; avec cette différence, que le second est toûjours en regne, & que le premier, quoique plus moderne, n'ayant été hasardé que sur la fin du seizieme siecle, commence à vieillir dans le dix-huitieme. " Quant à la gratitude, dit Montagne, (car il me semble que nous avons besoin de mettre ce mot en crédit), l'exemple du lion qui récompensa Androclus du bienfait qu'il avoit reçû de lui, en venant le lecher dans l'amphithéatre de Rome, est un exemple de cette vertu qu'Appien & Séneque nous ont consacrée ". Autre bizarrerie de notre langue ; le mot de méconnoissance est tombé, & le mot ingratitude a pris sa place. (D.J.)


GRATTEAUS. m. en terme de Doreur, sont des morceaux de fer trempé de toutes formes, enfermés dans un manche de bois ; ils servent à gratter les pieces pour l'apprêt. Voyez GRATTER, & les Planches du Doreur.

GRATTEAU, instrument de Fourbisseur, mais différent de celui des Doreurs sur métal ; il est tourné en spirale par le milieu ; les deux bouts sont plats, tranchans, & courbés, l'un à droite & l'autre à gauche ; il sert à gratter & même à brunir la plaque des gardes d'épée qu'on veut nettoyer & réparer.

On appelle petit gratteau, un ciselet un peu recourbé par le bout, avec lequel les Fourbisseurs & autres ouvriers grattent & adoucissent le relief de leurs ouvrages. Voyez les figures du Fourbisseur.

GRATTE-BOSSE, s. m. (Graveur, Cizeleur) est une brosse de fils de laiton, ficelés ensemble par un autre fil de même matiere ; elle sert à gratter sans les endommager les différens ouvrages de métaux, & à en emporter toute la crasse que le recuit peut leur avoir donné, en brossant ces différens ouvrages avec le gratte-bosse dans de l'eau commune, ou dans les eaux convenables aux métaux que l'on travaille. Voyez la figure dans les Planches de Gravure.

L'Arquebusier, le Doreur, le Fondeur, le Monnoyeur, &c. se servent du gratte-bosse, & ils disent gratte-bosser.

GRATTE-CUL, s. m. (Pharmac. & Mat. med.) on nomme ainsi le fruit de l'églantier. Voyez EGLANTIER.


GRATTERverbe act. c'est appliquer & mouvoir à la surface d'un corps, quelque instrument pointu ou tranchant, capable d'en détacher de petites particules. On se gratte, on gratte la terre avec les ongles. Voyez les articles suivans.

GRATTER, en terme de Batteur d'or ; c'est faire tomber avec le couteau (Voyez COUTEAU), l'or qui déborde des quarterons. Voyez QUARTERONS.

GRATTER, en terme de Doreur ; c'est l'action d'adoucir les traits que le rifloir ou la lime ont faits sur une piece avec le grattoir. Voyez les figures du Doreur.

GRATTER, en terme de Formier ; c'est rendre la forme beaucoup moins imparfaite qu'elle n'étoit auparavant, & propre à recevoir sa derniere façon, en la grattant avec une vieille lame d'épée. Voy GRATTOIR.

GRATTER, c'est rendre nourries des tailles déjà gravées, qu'on peut avoir faites trop délicates ; cela se fait avec attention & jugement avec le grattoir à ombre ; & les tailles en viennent à l'impression plus fortes & plus ombrées qu'elles n'ont été gravées. Voyez l'article GRAVURE EN BOIS. Article de M. PAPILLON.

GRATTER UN VAISSEAU, (Marine) c'est le racler pour ôter le vieux goudron qui est dessus le bois. On gratte les dehors du vaisseau, ses ponts & ses mâts, lorsque l'on trouve que cela est nécessaire, & on le fait pour le moins une fois dans l'année ; l'outil dont on se sert pour cette opération se nomme racle. Aussitôt qu'on a gratté ou raclé les côtés du vaisseau, il faut les goudronner avec du goudron chaud, parce qu'autrement le bordage se gâte & se noircit, surtout si la pluie donne dessus avant qu'on le goudronne. (Z)

GRATTER, en terme de Raffineur, c'est l'action d'enlever avec un couteau ordinaire le sucre qui avoit jailli sur les bords de la forme, en mouvant, ou la terre des esquives en plamotant. Voyez MOUVER, PLAMOTER.


GRATTOIRS. m. (Gramm. & Arts méchaniq.) instrument dont le nom indique assez la fonction ; il est peu d'artistes qui n'ayent un grattoir, connu sous ce nom ou sous un autre. Voyez l'article GRATTER, & les articles suivans.

GRATTOIR, (Hydraul.) Voyez Outils de Fontainier, au mot FONTAINIER.

GRATTOIR, dans l'Artillerie, est un petit ferrement dont on se sert pour nettoyer la chambre & l'ame du mortier. (Q)

GRATTOIR, (Marine) outil pour gratter le vaisseau. Voyez RACLE. Voyez aussi l'article GRATTER.

GRATTOIR, outil d'Arquebusier, c'est une verge de fer un peu plus longue qu'un canon de fusil ; cette verge est fendue par en-haut ; chaque branche en est applatie & un peu recourbée en-dehors ; les Arquebusiers l'insinuent dans le canon, & ses extrémités en détachent la crasse.

GRATTOIR, en terme de Bijoutier, est un outil de fer trempé, de diverses formes, selon le besoin de l'artiste ; il a toûjours une partie tranchante. Pour en comprendre l'utilité, il faut distinguer dans la manoeuvre deux tems où l'ouvrier est obligé de s'en servir.

1°. Quand son lingot est fondu & forgé d'une certaine épaisseur ; il le découvre avec un grattoir de toutes parts, pour en enlever les pailles ou impuretés provenues de la fonte & des sels dont on s'est servi pour faciliter la fusion du métal : il n'est besoin pour cette opération que d'un grattoir plat pour découvrir, & d'un demi-rond pour enlever les impuretés profondes : cette opération s'appelle épailler. Voyez éPAILLER.

2°. Quand la tabatiere, garniture, ou autre bijou quelconque, est au point de perfection que pour le polir en-dedans il faut le reparer, c'est-là le second tems où l'artiste est obligé d'employer cette sorte d'outil : pour amener son bijou à ce point, il a fallu nécessairement qu'il aille plusieurs fois au feu, qu'il restât plusieurs heures dans l'eau mixte, d'où il a résulté une espece de croûte qu'il faut enlever ; il a fallu en outre employer des soudures qui dans la fusion, laissent toûjours des superfluités qu'il faut faire disparoître, ces bijoux n'étant point égaux dans leurs formes : la diversité des angles & des cavités qu'il faut nettoyer, décident l'artiste sur la forme qu'il doit donner à son outil.

GRATTOIR, terme de Chauderonnier ; le grattoir ordinaire des Chauderonniers ne différe guere de celui du Monnoyeur, mais il est emmanché d'un plus long manche pour pouvoir atteindre au fond des marmites, coquemarts, & autres ustensiles de cuisine, qu'ils nettoyent & grattent avec cet instrument qui est d'acier, pour les mettre en état d'être étamés.

Ils en ont encore deux autres outre celui-là ; l'un qui est fait en croissant, pour gratter l'équerre des chauderons, marmites, & autres ouvrages enfoncés ; l'autre qui est fort court & en forme de couteau, sert à en gratter les bords. Ces deux sortes de grattoirs ont aussi des manches de bois ; mais avec cette différence, que les manches des grattoirs en couteau sont toujours très-courts, & que les grattoirs en croissant en ont de diverses longueurs proportionnées à la profondeur des pieces qu'on veut gratter. Voyez les Planches du Chauderonnier. A la partie supérieure du manche est le grattoir en croissant ; la partie inférieure est le grattoir à deux biseaux. Ces sortes d'outils sont d'acier trempé.

GRATTOIR, (Doreur) cet instrument n'a rien de particulier.

GRATTOIR, (Ecrivain) c'est un instrument d'acier d'une forme elliptique & traversé sur toute sa longueur d'une arrête ; il est à deux tranchans, & monté sur un manche de bois. Il sert à enlever les taches du papier.

GRATTOIR, terme de Fonderie, est un outil d'acier crochu par un bout & dentelé ; il sert à celui qui polit l'ouvrage au sortir de la fonte, pour ôter les épaisseurs qui peuvent se trouver à la bronze.

GRATTOIR, chez les Formiers, c'est une vieille lame d'épée avec laquelle on gratte un ouvrage quelconque, pour le préparer à recevoir sa derniere façon. Voyez Planche du Formier-Talonnier, fig. 2.

GRATTOIR A CREUSER, (Gravure en bois) c'est un outil qui sert à polir le bois, dans la nouvelle maniere de le préparer selon M. Papillon, pour y graver les lointains & points éclairés. Voyez la figure de cet outil, Pl. du suppl. de la Gravure en bois, fig. 2. & la maniere de s'en servir, immédiatement après les principes de cet art, dans l'article des secrets & nouvelles manieres de préparer le bois, &c. Article de M. PAPILLON.

La Gravure en cuivre a aussi son grattoir, qui n'a rien de particulier.

GRATTOIR A OMBRER, (Gravure en bois) Il ne différe de celui à creuser & polir le bois, qu'en ce qu'il n'est point courbe à son taillant ou à son épaisseur ; il n'a que les coins un peu adoucis & peu sensiblement arrondis ; il est très-utile dans la maniere trouvée par M. Papillon, de renforcer les ombres, à gratter artistement & prudemment les tailles, &c. déjà gravées que l'on trouve trop délicates, pour les rendre plus nourries, leur donner plus de force, & par conséquent les faire ombrer davantage la place où elles ont été faites. Voy. la figure de cet outil, Pl. du supplém. de la Gravure en bois, fig. 5. & la maniere de s'en servir, à l'article GRAVURE.

GRATTOIR A ANCHES, (Lutherie) représenté fig. 12. Planche X. de Lutherie, est un morceau de bois dur, par exemple, du boüis ou du poirier, concave d'un côté & convexe de l'autre, sur lequel les facteurs de musettes & de hautbois ratissent les lames de roseau, dont les anches de ces instrumens sont faites. Voyez ANCHES DES INSTRUMENS A VENT.

GRATTOIR, terme de Plombier, est un instrument de fer plat, court, assez tranchant, pointu & un peu recourbé ; il a un manche de bois fort court. On s'en sert pour gratter & ratisser les soudures. Voyez les Planches & les figures du Plombier.

GRATTOIR, outil de Potier d'étain ; il y en a de plusieurs sortes. Le grattoir à deux mains est plat comme une pleine de tourneur. L'acier couvre la planche ; ainsi il a un taillant de chaque côté, parce qu'il est émoulu en biseau comme les crochets, & il a un manche de bois à chaque bout. Il sert à gratter presque tout ce qui se repare à la main. Voyez REPARER.

Il y a d'autres grattoirs qu'on nomme grattoirs sous bras, qui servent à différens ouvrages, tant à reparer qu'à tourner. Ils ont différentes formes, mais ils n'ont qu'un manche de bois dans lequel on les fait tenir. Voyez les Planches du Potier d'étain.

GRATTOIR, (Relieur) c'est un morceau de fer épais dans le milieu, & mince par les deux bouts : il y a des dents à ses extrémités ; elles servent à racler le dos des livres pour y faire entrer la colle. Il y en a ordinairement une étroite & une large, afin que l'instrument serve à des gros volumes & à des petits. Voyez la Planche du Relieur ; voyez aussi FROTTOIR.

* GRATTOIR, (Sculpteur & Stucateur) celui du sculpteur est presque recourbé à angle droit, & la partie recourbée est dentelée sur toute sa circonférence. Il est de fer & emmanché dans un morceau de bois.

Celui du stucateur se termine en feuille ou spatule elliptique, & plus large par le bout qu'ailleurs ; la portion elliptique est un peu recourbée ; elle a aussi des dents sur toute sa circonférence.

Le nom de cet outil designe assez l'usage que l'artiste en fait.


GRATUITadj. (Jurisprud.) voyez au mot DON.


GRATZGraiacum, (Géogr.) ville d'Allemagne capitale de la Stirie, avec un bon château sur une roche, un palais & une académie. Gratz est, suivant Cluvier, la Muroëla de Ptolomée ; cependant d'autres auteurs n'en conviennent point, & même révoquent en doute son ancienneté. Elle est sur le Muer, à 24 lieues S. O. de Vienne, & 18 N. O. de Varadin. Long. suivant Street, 33d. 26'. 15". latit. 48d. 50'. 6". (D.J.)


GRAUDENTZGrudentum, (Géog.) petite ville de Pologne au palatinat de Culm sur la Vistule, avec un bon château, à 14 lieues de Dantzig, 8. de Thorn, 30 N. O. de Warsovie. Long. 37. 2. lat. 53. 20. (D.J.)


GRAVEadj. en terme de Grammaire : on dit, accent grave, accent aigu, accent circonflexe ; & cela se dit également & des différentes élévations du son, & des signes prosodiques qui les caractérisent dans les langues anciennes, & des mêmes caracteres, tels que nous les employons aujourd'hui, quoique destinés à une autre fin (voyez ACCENT). (E. R. M.)

GRAVE, (Phys.) signifie la même chose que pesant ; on dit un corps grave, les graves. Voyez ci-après GRAVITE.

GRAVE, GRAVITE, (Gramm. Littérat. & Morale) Grave, au sens moral, tient toûjours du Physique ; il exprime quelque chose de poids. C'est pourquoi on dit, un homme, un auteur, des maximes de poids, pour homme, auteur, maximes graves. Le grave est au sérieux ce que le plaisant est à l'enjoüé : il a un degré de plus ; & ce degré est considérable. On peut être sérieux par humeur, & même faute d'idées. On est grave ou par bienséance, ou par l'importance des idées qui donnent de la gravité. Il y a de la différence entre être grave & être un homme grave. C'est un défaut d'être grave hors de propos. Celui qui est grave dans la société est rarement recherché. Un homme grave est celui qui s'est concilié de l'autorité plus par sa sagesse que par son maintien.

Pietate gravem ac meritis si fortè virum quem.

L'air décent est nécessaire par-tout ; mais l'air grave n'est convenable que dans les fonctions d'un ministere important, dans un conseil. Quand la gravité n'est que dans le maintien, comme il arrive très-souvent, on dit gravement des inepties. Cette espece de ridicule inspire de l'aversion. On ne pardonne pas à qui veut en imposer par cet air d'autorité & de suffisance.

Le duc de la Rochefoucauld a dit que, la gravité est un mystere du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit. Sans examiner si cette expression, mystere du corps, est naturelle & juste, il suffit de remarquer que la réflexion est vraie pour tous ceux qui affectent la gravité, mais non pour ceux qui ont dans l'occasion une gravité convenable à la place qu'ils tiennent, au lieu où ils sont, aux matieres qu'on traite.

Un auteur grave est celui dont les opinions sont suivies dans les matieres contentieuses. On ne le dit pas d'un auteur qui a écrit sur des choses hors de doute. Il seroit ridicule d'appeller Euclide, Archimede, des auteurs graves.

Il y a de la gravité dans le style. Tite-Live, de Thou, ont écrit avec gravité. On ne peut pas dire la même chose de Tacite, qui a recherché la précision, & qui laisse voir de la malignité ; encore moins du cardinal de Retz, qui met quelquefois dans ses récits une gaieté déplacée, & qui s'écarte quelquefois des bienséances.

Le style grave évite les saillies, les plaisanteries ; s'il s'éleve quelquefois au sublime, si dans l'occasion il est touchant, il rentre bien-tôt dans cette sagesse, dans cette simplicité noble qui fait son caractere ; il a de la force, mais peu de hardiesse. Sa plus grande difficulté est de n'être point monotone.

Affaire grave, cas grave, se dit plûtôt d'une cause criminelle que d'un procès civil. Maladie grave suppose du danger. Article de M. DE VOLTAIRE.

GRAVE, adj. (Musique) son grave. Voyez SON & GRAVITE. (S)

GRAVE, ou GRAVEMENT, adv. (Musique) dans la musique italienne, c'est le mouvement le plus lent ; dans la françoise, il est seulement le second en lenteur. Le premier s'indique par le mot lentement. (S)

GRAVE, s. f. (Marine) c'est un terrein plein de cailloutage situé au bord de la mer, sur lequel les pêcheurs étendent la morue ou autres poissons qu'ils veulent faire sécher. Le mot grave n'est d'usage que dans l'île de Terre-neuve, l'Isle-royale, & le golphe Saint-Laurent, où la pêche est considérable. (Z)

GRAVE, Gravia, (Géogr.) forte ville des Pays-Bas dans le Brabant hollandois. Elle est sur la rive gauche de la Meuse qui remplit ses fossés, à 2 lieues de Cuyk, à 3 de Nimegue, 6 de Bois-le-Duc, 26 N. E. de Bruxelles. Long. 23. 16. lat. 51. 46. (D.J.)


GRAVELINES(Géogr.) les Flamands l'appellent Grevelingen, en latin moderne Gravaringa, ville forte des Pays-Bas dans la Flandre françoise, sur la frontiere de l'Artois. Théodoric comte de Flandres la fit bâtir vers l'an 1160, & la nomma Nieuport. Voyez de Valois, notit. gall. page 266. Les fortifications sont du chevalier de Ville & du maréchal de Vauban. Les Anglois prirent Gravelines en 1383, & les François en 1644 : l'archiduc Léopold la reprit en 1652, & le maréchal de la Ferté en 1658. Elle fut cédée à la France par le traité des Pyrénées ; elle est dans un terrein marécageux sur l'Aa, près de la mer, à 5. lieues O. de Calais, 6 S. O. de Dunkerque, 16 S. O. de Gand. Long. suivant Cassini, 15d. 39'. 5" latitud. 50d. 58'. 40". (D.J.)


GRAVELLES. f. (maladie) voyez PIERRE.

GRAVELLE, voyez CENDRES.

GRAVELLE ; les Cloutiers d'épingle appellent de ce nom le tartre qui s'attache aux douves de tonneau ; ils le font sécher, & s'en servent pour jaunir leurs clous. Voyez JAUNIR. Les Teinturiers se servent du même nom.


GRAVERv. act. & neut. c'est imiter les objets de la nature & les scenes de la vie, avec des traits tracés au burin, ou autrement, sur des substances capables de les retenir, & d'en laisser l'empreinte sur le papier, la toile, le satin, par le moyen de l'impression. On grave sur presque toutes les matieres dures, le fer, l'acier, la pierre, le cuivre, le bois, &c. Voyez ces différens travaux aux articles GRAVURE.

GRAVER, en terme d'Artificier, se dit de l'effet d'un feu trop vif à l'égard d'un cartouche qui n'est pas de force suffisante pour y résister parfaitement, soit parce que les révolutions du carton ne sont pas exactement collées les unes sur les autres, soit parce qu'elles ne sont pas assez nombreuses, ce qui fait que le cartouche perce ou se fend. Dictionn. de Trév.

GRAVER, en terme de Boutonnier, c'est l'action d'imprimer sur un cerceau tel ou tel dessein. On a pour cela des poinçons qui couvrent tout le cerceau ; & d'un coup de marteau fort ou foible, selon l'épaisseur de la piece, on y marque l'empreinte du poinçon. Quoiqu'il n'y ait rien de trop merveilleux dans cette espece de gravure, ceux qui la font ne laissent pas de se cacher soigneusement pour travailler : si c'est de peur qu'on ne leur dérobe leur secret, où est-il donc ce secret ? Il est plus vraisemblable de croire que c'est pour prêter à cette manoeuvre une difficulté imaginaire, qui abuse ceux qui voudroient s'occuper dans cette partie, ou pour donner du relief à leur ouvrage, & se faire mieux payer de leur tems. Si c'est cela, ces ouvriers ne sont pas mal-adroits.

GRAVER, en terme de Piqueur en tabatiere, c'est tracer les desseins sur la tabatiere, en sorte que les traits ne s'effacent point ; ce qui arriveroit, si l'on ne se servoit que du crayon ou d'autre matiere semblable. On ne peut cependant faire aucun usage du burin dans cette opération ; sa forme triangulaire feroit des traits qui couvriroient les clous, &c. mais on ne se sert que d'une aiguille ordinaire.


GRAVESENDE(Géogr.) petite ville d'Angleterre, dans la province de Kent, sur la Tamise, à 20 milles au-dessous de Londres, & à 7 de Rochester. C'est un port & passage très-fréquenté. Long. 17. 58. latit. 51. 30. (D.J.)


GRAVEURGRAVEUR en cuivre, en acier, au burin, à l’eau forte, en bois, en maniere noire, & en clair-obscur, (Arts modernes.) ce sont-là autant d’artistes qui par le moyen du dessein & de l’incision sur les matieres dures, imitent les lumieres & les ombres des objets visibles.

Les glorieux monumens du savoir des anciens ont presque tous péri : mais si à tant d'avantages qu'ils semblent avoir sur nous ils avoient joint l'art de graver, que de richesses nous en reviendroient ? elles tromperoient notre douleur, tanti solatia luctûs ! & peut-être nous appercevrions-nous moins de nos pertes. Il seroit sans-doute échappé quelques empreintes de tant de rares productions de leur génie ; nous aurions du-moins quelques images des grands hommes que nous admirons, ce patrimoine de la postérité, & qui la touche si fort. Cependant loin de nous affliger davantage, cherchons dans ce que nous avons, des motifs de consolation sur ce que nous n'avons plus. Ne songeons desormais qu'à tirer parti de la découverte admirable de la Gravure, moyen sûr de faire passer d'âge en âge jusqu'à nos derniers neveux, les connoissances que nous avons acquises.

J'envisage les productions de ce bel art comme un parterre émaillé de quantité de fleurs variées dans les formes & les couleurs, qui quoique moins précieuses les unes que les autres, concourent toutefois à l'effet de ce tout ensemble brillant, que les yeux du spectateur avide ne peuvent se lasser de considérer. Tels sont les ouvrages des habiles Graveurs qu'un curieux délicat a sû réunir dans son cabinet ; il les parcourt avec un plaisir secret ignoré des hommes sans goût : tantôt il admire à quel point de grands maîtres ont porté leur burin par une touche forte, vigoureuse & hardie ; tantôt il se plaît à voir la correction qui se présente sous des travaux plus agréables ; ensuite satisfait des beautés propres au burin, il passe à celles de l'eau-forte, qui moins recherchée dans ses atours, lui peint l'aimable nature dans sa simplicité : telle il la chérit dans les estampes du Parmesan, du Guide, & autres grands peintres qui ont laissé couler leurs pensées sur le cuivre avec cette facilité qu'on retrouve dans leurs desseins. Il est vrai qu'à regret il voit ces précieuses eaux-fortes dénuées de ce clair-obscur, le charme de la vûe ; mais il les retrouve dans d'autres maîtres, qui célebres en cette partie, ont produit comme par enchantement sur les objets, les jours & les ombres qu'y répand la lumiere.

Ces maîtres méritent d'être connus non-seulement des amateurs, qui goûtent tant de plaisir au spectacle de leurs ouvrages, mais sur-tout des personnes qui se destinant au même art, brûlent de courir avec honneur dans la même carriere. C'est par ces raisons que nous nous croyons obligés de nommer ici ces illustres artistes, & de jetter en passant quelques fleurs sur leur tombe. On trouvera dans Moréri & dans le P. Anselme, la généalogie, la naissance, les noms des rois, des princes, des grands seigneurs ; l'Encyclopédie ne leur doit rien à ce titre, mais elle doit tout aux Arts & aux talens.

Albert Durer, né à Nuremberg en 1470, & dont j'ai parlé comme peintre au mot ECOLE, ne laisse presque à desirer dans les ouvrages de son tems, dont les Italiens eux-mêmes profiterent, sinon que cet illustre artiste eût connu l'antique, pour donner à ses figures autant d'élégance que de vérité.

Aldegraf, (Albert) né en Westphalie, disciple de Durer, en a saisi la maniere, & s'est fait autrefois une grande réputation.

Audran, (Gérard) mort en 1703 âgé de soixante-trois ans, a exercé son burin à multiplier les grands morceaux du Poussin, de Mignard, & autres. On connoît ses magnifiques estampes des batailles d'Alexandre, qu'il a gravées d'après les desseins de le Brun : l'oeuvre de cet artiste est recommandable par la force & le bon goût de sa maniere.

Baldini, (Baccio) florentin, fut éleve de Maso Finiguerra, inventeur du secret de la Gravure en cuivre, & fit paroître encore quelque chose de mieux que son maître.

Belle, (Etienne de la) né à Florence en 1610, mort dans la même ville en 1664, acquit une maniere d'eau-forte très-expéditive, & d'un si grand effet, que quelques curieux le mettent au-dessus de Callot. Si la maniere de ce maître n'est point si finie de gravure ni si précise de dessein que celle de Callot, sa touche est plus libre, plus savante, & plus pittoresque : peu de gens l'ont surpassé pour l'esprit, la finesse, & la legereté de la pointe. Il a généralement négligé les piés & les mains de ses petites figures, mais ses têtes ont une noblesse & une beauté de caractere séduisante ; son oeuvre est très-considérable.

Bénédette Castiglione, peintre & graveur, né à Gènes en 1616, mort à Mantoue en 1670, a gravé à l'eau forte plusieurs pieces, où il a mis autant d'esprit que de goût. Le clair-obscur de ses estampes fait le charme des connoisseurs.

Bloëmaert, (Corneille) né à Gorkum vers l'an 1606, est un des plus célebres graveurs au burin, & c'est une chose étonnante, qu'avec une maniere précise & finie il ait pû donner autant d'ouvrages que nous en avons de lui. Frédéric Bloëmaert est bien inférieur à Corneille.

Bloëttling, l'un des grands artistes de Hollande, a principalement réussi dans la gravure en maniere noire.

Blond, (Michel le) mort à Amsterdam en 1656, a laissé plusieurs monumens de son habileté dans la gravure.

Bollswert (Scheldt) né dans les Pays-Bas, a beaucoup travaillé d'après les ouvrages de Rubens, de Vandick, & de Jordan, dont il a rendu le goût & les grands effets. Adam & Boëce Bollswert n'ont pas eu les rares talens de Scheldt, & cependant ils sont mis au nombre des bons artistes.

Bosse, (Abraham) né à Tours au commencement du dernier siecle, avoit une maniere de graver à l'eau-forte qui lui est particuliere ; ses estampes sont agréables. Il étoit savant dans la Perspective & dans l'Architecture. Nous avons de lui deux bons traités, l'un sur la maniere de dessiner, l'autre sur l'art de la Gravure.

Bruyn, (Nicolas de) a fait quantité de grands morceaux au burin, entre lesquels il y en a qui sont finis avec beaucoup de soin ; sa maniere est d'une propreté charmante, mais seche & maigre ; on lui reproche encore un goût de dessein gothique.

Bry, (Théodore de) est mis au rang des petits maîtres, quoiqu'il ait gravé plusieurs morceaux d'histoire ; les estampes qu'il a copiées d'après d'autres estampes, & qu'il a réduites en petit, sont plus estimées que les originaux : s'il y a beaucoup de netteté & de propreté, il y a aussi trop de secheresse dans son burin.

Callot, (Jacques) né à Nancy en 1593, mort dans la même ville en 1635 ; il s'échappa deux ou trois fois de la maison paternelle dans sa tendre jeunesse, pour se livrer à la Gravure ; arrivé à Florence, le grand duc Côme II. charmé de ses talens, prit soin de se l'attacher ; c'est alors que Callot imagina ses petits sujets, dans lesquels il a si bien réussi. Son oeuvre contient environ seize cent pieces, la plûpart gravées à l'eau-forte, & ce sont les plus estimées ; il a sû rendre les moindres choses intéressantes par la facilité du travail, l'expression des figures, le choix & la distribution. On recherchera toûjours ses foires, ses supplices, ses miseres de la guerre, sa passion, son éventail, son parterre, & sa grande rue de Nancy. L'esprit & la finesse de sa pointe, le feu & l'abondance de son génie, la variété de ses grouppes sans contrastes forcés, font les délices des amateurs.

Carrache, (Augustin) également versé dans les Sciences & dans les Beaux-Arts, a gravé plusieurs morceaux au burin, d'après le Corrège, le Tintoret, le Baroche, Voënius, & Paul Véronese. On admire dans ses pieces la plus grande correction, qui se présente sous des travaux agréables.

Château, (Guillaume) natif d'Orléans, mort à Paris en 1683, âgé de cinquante ans, a mis au jour d'assez bonnes estampes, d'après les ouvrages du Poussin.

Chauveau, (François) mort à Paris en 1674, s'exerça d'abord à graver au burin quelques tableaux de la Hire ; mais il quitta bien-tôt le burin pour graver à l'eau-forte ses propres pensées. Si l'on ne trouve point dans ses ouvrages la douceur & le moëlleux de la gravure, on y voit avec étonnement le feu, la force, la variété, & le tour ingénieux de ses compositions. Lorsqu'on s'adressoit à lui pour quelque dessein, il prenoit aussi-tôt une ardoise, & y crayonnoit son sujet en plusieurs façons différentes, jusqu'à-ce qu'on fût content, ou qu'il le fût lui-même ; car on l'étoit souvent, qu'il ne l'étoit pas encore.

Clerc, (Sébastien le) né à Metz en 1637, mort à Paris en 1714. Il mania le burin avec succès, & se distingua dans la gravure à l'eau-forte : son oeuvre est très-considérable & très-variée. Ses compositions sont gracieuses, sa gravure nette, & sa touche facile. Ses meilleures pieces sont 1°. le catafalque en l'honneur du chancelier Séguier, mort en 1672 : 2°. la pierre du Louvre, estampe de 1679 : 3°. l'arc de triomphe de 1680 : le grand concile, & le S. Augustin prêchant, toutes deux de 1683, & toutes deux les plus rares vignettes de son burin : 4°. la passion de Notre Seigneur, en trente-six planches, en 1695, 5°. la multiplication des pains, en 1696 : 6°. l'entrée triomphante d'Alexandre dans Babylone, en 1706, &c. C'est dans ces morceaux recherchés des gens de goût, que l'on apperçoit les talens de cet artiste.

Coëch, (Pierre) naquit à Alost, & mourut en 1551. Il voyagea en Italie & ensuite dans le Levant, où il fit une suite de desseins qui représentoient des cérémonies des Turcs ; & ces desseins ont été depuis gravés en bois.

Cort, (Corneille) né en Hollande, vivoit dans le seizieme siecle ; il se fixa à Rome, & devint un des plus corrects graveurs qu'il y ait eu. Ce fut de lui qu'Augustin Carrache apprit la gravure, & c'est lui qui publia le premier les ouvrages de Raphaël & du Titien.

Dassier, (les) pere & fils, de Geneve, ont rendu leurs noms célebres par le même talent : leurs belles médailles d'après nature & plusieurs autres ouvrages de leur burin, prouvent qu'ils sont dignes d'être comptés parmi les plus célebres graveurs.

Drevet, (Pierre) les Drevet pere & fils, tous deux nommés Pierre, se sont acquis une très-grande réputation par leur burin : on connoît les portraits qu'ils ont gravés d'après Rigaud. Drevet fils est mort à Paris en 1739, âgé de quarante-deux ans.

Edelinck, (Gérard) ou le Chevalier, natif d'Anvers, mort en 1707 dans un âge fort avancé, a gravé des pieces qui sont des chefs-d'oeuvre, où régnent la pureté de burin, la fonte, & la couleur ; M. Colbert l'attira en France. Nous avons de lui des estampes des hommes illustres, une sainte-famille d'après Raphaël, la famille de Darius, & la Madeleine de le Brun, trois pieces admirables ; mais il regardoit le portrait de Champagne comme son triomphe.

Falda, (Jean-Baptiste) né en Italie, a donné des estampes à l'eau-forte, qui sont d'un très-bon goût : ses livres des palais, des vignes, des fontaines de Rome & des environs, sont aussi très-recherchés.

Goltz, (Henry) né en 1558 dans le duché de Juliers, mort à Harlem en 1617 ; il a gravé plusieurs sujets en diverses manieres. On a beaucoup de ses estampes extrèmement estimées, faites d'après les desseins qu'il avoit apportés d'Italie : si celles de son invention ont quelquefois un goût de dessein un peu rude, on admire en échange la legereté, la fermeté, & tous les autres talens de ce célebre artiste.

Le Guide, dont le pinceau leger & la touche gracieuse enchantent, déploya le même esprit, dans les gravures à l'eau-forte, qu'il fit d'après les tableaux de piété des grands maîtres d'Italie.

Hollard, (Vinceslas) né à Prague en 1607, tenta d'imiter avec la pointe le beau fini du burin, & ses succès répondirent à ses vûes ; il conduisit donc l'eau-forte avec toute l'intelligence possible, en connut les gradations, en développa les ressources, enfin apprit à s'en servir ; il excella dans les fourrures, les paysages, les animaux, les insectes ; mais il n'a pas également réussi dans les grands sujets, parce que le dessein & la correction manquoient à ses talens.

Lasne, (Michel) natif de Caën, mort en 1667, âgé de soixante-douze ans. Il a donné quelques planches au burin d'après Raphaël, Paul Véronese, Rubens, Annibal Carrache, Voüet, le Brun, & autres : il a aussi fait des morceaux de son génie, dans lesquels les passions sont assez bien exprimées.

Lucas de Leyden, né en 1494, mort en 1533, fut le rival & l'ami d'Albert Durer. On a de lui une grande quantité d'estampes gravées au burin, à l'eau-forte, & en bois.

Luyken, (Jean) né à Amsterdam en 1649, mort en 1712, montra dans son oeuvre qui est très-considérable, beaucoup de feu, d'imagination, & de facilité.

Mantegne, (André) né gardeur de moutons près de Padoue en 1451, avoit reçu de la nature un heureux génie qui le tira bien-tôt de cette condition servile, en lui inspirant le goût des Arts qui annoblissent l'origine la plus abjecte, & font rechercher l'homme à talens pour lui-même, & non pour ses ayeux. Mantegne au lieu de veiller à la garde de son troupeau, s'amusoit à le dessiner ; un peintre le vit, le prit chez lui, l'éleva, l'adopta pour son fils, l'institua son héritier. Jacques Bellin enchanté de son caractere & de ses talens, lui donna sa fille en mariage : le duc de Mantoue le combla d'honneurs & de bienfaits, il le créa chevalier en reconnoissance de son excellent tableau connu sous le nom du triomphe de César ; on a gravé de clair-obscur en neuf feuilles ce chef-d'oeuvre du pinceau de Mantegne ; mais il s'est couvert de gloire par l'invention ou la perfection de la gravure au burin pour ses estampes. Il grava lui-même plusieurs pieces sur des planches d'étain d'après ses propres desseins. Il mourut en 1517, âgé de soixante-six ans.

Mantuan, (George le) nous avons aussi de lui divers beaux morceaux gravés au burin.

Marc-Antoine, (Raymond) natif de Bologne, florissoit au commencement du seizieme siecle ; il essaya ses forces avec succès contre Albert Durer, se mit à copier la passion que ce maître avoit donnée en trente-six morceaux, & grava sur ses planches, ainsi que lui A. D. Tous les connoisseurs s'y tromperent, & Albert Durer fit un voyage à Rome pour porter au pape ses plaintes contre son rival. Marc-Antoine devint le graveur favori de Raphaël, dont il a répandu les ouvrages & la gloire par-tout où il y a quelque étincelle de goût & de savoir. Ce fut encore Marc-Antoine qui grava les estampes qui furent mises au-devant des sonnets infames de l'Arétin. L'exactitude du dessein de ce fameux maître, la douceur & le charme de son burin, feront toûjours rechercher ses estampes.

Maso, dit Finiguerra, né à Florence, inventa dans le quinzieme siecle le secret de graver sur le cuivre ; il travailloit en Orfévrerie l'an 1460, & avoit coûtume de faire une empreinte de terre de tout ce qu'il gravoit sur l'argent pour émailler ; au moment qu'il jettoit dans ce moule de terre du soufre fondu, il s'apperçut que ces dernieres empreintes étant frottées d'huile & de noir de fumée, représentoient les traits qui étoient gravés sur l'argent. Il trouva dans la suite le moyen d'exprimer les mêmes figures sur du papier en l'humectant, & en passant un rouleau très-uni sur l'empreinte ; ce qui lui réussit tellement, que ses figures paroissoient imprimées & comme dessinées avec la plume.

Cet essai donna l'être à la Gravure, foible entre ses mains, puisque les Arts sortoient à-peine des ténébres épaisses où l'ignorance les avoit laissés près de mille ans ensevelis. La découverte de Maso ne reçut qu'un accroissement insensible de Baldini, orfevre de la même ville de Florence, à qui notre artiste l'avoit communiqué ; il falloit un peintre pour l'améliorer : car si l'heureux génie de la Peinture n'inspire le graveur, vainement s'efforce-t-il d'y réussir : cet art parut donc avec un grand avantage dans les morceaux qui furent gravés alors par Mantegne, dont nous avons parlé tout-à-l'heure.

Masson, (Antoine) a sur-tout excellé dans les gravures de portraits ; ses disciples d'Emmaüs sont un chef-d'oeuvre. Son burin est ferme & également gracieux : on prétend qu'il s'étoit fait une maniere de graver toute particuliere, & qu'au lieu de faire agir la main sur la planche, comme c'est l'ordinaire pour conduire le burin selon la forme du trait que l'on y veut exprimer, il tenoit au contraire sa main droite fixe, & avec la main gauche il faisoit agir la planche suivant le sens que la taille exigeoit. J'ignore l'année de la naissance & de la mort de ce grand maître.

Mellan, (Claude) né à Abbeville en 1601, mort en 1688. " Ce célébre graveur en taille-douce, dit M. Perrault, eut deux grands avantages sur la plûpart de ses confreres : le premier, c'est qu'il n'avoit pas seulement le don de graver avec beaucoup de grace & d'élégance les tableaux des excellens maîtres, mais qu'il étoit aussi l'auteur & l'ouvrier de presque tous les desseins qu'il gravoit ; de sorte qu'on doit le regarder comme un habile graveur & comme un grand dessinateur tout ensemble ; on pourroit ajoûter, comme peintre, car il a peint des tableaux de bon goût : le second avantage, plus grand encore que le premier, c'est qu'il a inventé lui-même la maniere admirable de graver dont il s'est servi dans la plûpart de ses ouvrages. "

Les graveurs ordinaires ont presque autant de tailles différentes qu'ils ont de différens objets à représenter : autre est celle dont ils se servent pour la chair, soit du visage, soit des mains, ou des autres parties du corps, autre celle qu'ils employent pour les vêtemens, autre celle dont ils représentent la terre, l'eau, l'air, & le feu, & même dans chacun de ces objets ils varient leur taille & le maniement de leur burin en plusieurs façons différentes. Mellan imitoit toutes choses avec de simples traits mis auprès les uns des autres, sans jamais les croiser en quelque maniere que ce soit, se contentant de les faire ou plus forts ou plus foibles, selon que le demandoient les parties, les couleurs, les jours, & les ombres de ce qu'il représentoit.

Il a porté cette gravure à une telle perfection, qu'il est difficile d'y rien ajoûter, & l'on n'a point encore entrepris d'aller plus loin dans cette sorte de travail : ce n'est pas que Mellan ne sût pratiquer la maniere des autres graveurs ; il a fait beaucoup d'estampes à double taille, qui sont très-belles & très-estimées ; mais il s'est plus adonné à celle qui est simple ; & c'est par celle-là qu'il s'est le plus distingué.

Parmi ses ouvrages il y en a un qui paroît mériter d'être plus admiré que les autres, c'est une tête de Jésus-Christ dessinée & ombrée avec sa couronne d'épines, & le sang qui ruissele de tous côtés, d'un seul & unique trait, qui commençant par le bout du nez, & allant toûjours en tournant, forme exactement tout ce qui est représenté dans cette estampe, par la seule différente épaisseur de ce trait, qui selon qu'il est plus ou moins gros, fait des yeux, un nez, une bouche, des joues, des cheveux, du sang & des épines, le tout si bien représenté & avec une telle marque de douleur & d'affliction, que rien n'est plus triste ni plus touchant. On met encore au rang des chefs-d'oeuvre de sa gravure, sa galerie justinienne, son portrait de Justinien, & celui de Clément VIII.

Son oeuvre contient une infinité de pieces curieuses. Il fut choisi pour représenter les figures antiques & les bustes du cabinet du roi de France ; son burin réussit parfaitement dans ces sortes d'ouvrages, qui étant tous d'une couleur, s'accommodent bien de l'uniformité de sa gravure, laquelle n'étant point croisée, conserve une blancheur très-convenable au marbre qu'elle représente.

Enfin ses gravures avoient plus de feu, plus de vie, & plus de liberté que le dessein même qu'il imitoit, contre ce qu'il arrive aux autres graveurs, dont les ouvrages sont toûjours moins vifs que le dessein & le tableau qu'ils copient. Cet avantage de Mellan ne peut venir que du goût qu'il prenoit à son travail, & de l'extrème facilité qu'il avoit à conduire son burin de la maniere qu'il lui plaisoit.

Mérian, (Matthieu) naquit à Bâle en 1593, & mourut à Schwalsbach en 1651. Il est célébre par son habileté dans l'art de graver à l'eau-forte, par son fils Gaspard Mérian qui se distingua dans le même genre, & par sa fille Marie Sybille Mérian, encore plus connue. Les principaux ouvrages de Matthieu Mérian pere, sont le théatre de l'Europe, la Danse des morts, cent-cinquante figures historiques de la bible, & un grand nombre de paysages.

Nanteuil, (Robert) né à Rheims en 1630, mort à Paris en 1678 : il n'a gravé que des portraits, mais avec une précision & une pureté de burin qu'on ne peut trop admirer. Son recueil est très-considérable, puisqu'il contient plus de deux cent quarante estampes.

Nanteuil après avoir peint Louis XIV. en pastel, le grava aussi grand que nature ; ce qui n'avoit point encore été tenté par personne avec succès : jusque-là il avoit été presque impossible aux plus habiles graveurs de bien représenter avec le seul blanc du papier & le seul noir de l'encre, toutes les autres couleurs que demande un portrait lorsqu'il est en grand ; car lorsqu'il est en petit, l'imagination de celui qui le regarde y supplée. Cependant dans le portrait du roi par Nanteuil, la couleur naturelle du teint, le vermeil des joues, & le rouge des levres y est marqué ; au lieu que dans les portraits de cette même grandeur faits par la plûpart des autres artistes, le teint paroît plombé, les joues livides, & les levres violettes ; ensorte qu'on croit plûtôt voir des hommes noyés que des hommes vivans : le portrait dont je parle est peut-être le plus bel ouvrage de cette espece qui ait jamais vû le jour. Nanteuil a gravé de la même maniere le portrait de la reine mere de Louis XIV. celui du duc d'Orléans, du cardinal Mazarin, du maréchal de Turenne, & de quelques autres personnes, qui lui ont acquis une réputation que le tems n'a point encore effacée.

Ce célébre artiste avoit gagné par son talent plus de cinquante mille écus, & en laissa très-peu à ses héritiers, ayant toûjours fait servir la fortune à ses plaisirs. Au reste, il est un exemple de ces hommes qui se sont engagés dans leur profession par une inclination dominante : son pere fit les mêmes efforts pour l'empêcher de devenir graveur, que les parens font ordinairement pour obliger les enfans à s'instruire dans quelque profession : mais Nanteuil éluda les vains efforts de son pere ; il montoit en secret sur des arbres pour n'être point vû, & s'y cachoit sans cesse pour dessiner à loisir.

Le Parmesan partagea son goût entre la Gravure & la Peinture, deux arts qu'il eût porté au degré le plus éminent, si le destin qui lui donna tant de rapport avec Raphaël par la fécondité du génie, toûjours tourné du côté de l'agrément & de la gentillesse, n'eût terminé ses jours par une mort également prématurée.

Pens, (George) natif de Nuremberg, florissoit au commencement du seizieme siecle ; ses gravures en taille-douce sont estimées : il y marquoit son nom par ces deux lettres ainsi disposées, P. G.

Pérelle ; nous avons deux artistes françois de ce nom, qui se sont illustrés dans la gravure du paysage.

Perrier, (François) né à Mâcon en 1590, mort à Paris en 1650, s'est distingué par ses gravures à l'eau-forte ; on estime sur-tout celles qui représentent les antiques, les bas-reliefs de Rome, & dans le moderne, plusieurs choses d'après Raphaël, il grava aussi quelques antiques dans la maniere du clair obscur, que le Parmesan avoit le premier mis en usage.

Picard, (Bernard) né à Paris en 1673, mort à Amsterdam en 1733, étoit fils d'Etienne Picard, surnommé le Romain, homme de réputation dans la gravure. Bernard s'attacha sur-tout à mettre beaucoup de propreté & de netteté dans ses ouvrages pour plaire à la nation chez laquelle il s'étoit retiré, & qui aime passionnément le fini, & le travail où brille la patience : il ne fut guere occupé en Hollande que par les libraires, mais il avoit soin de garder une quantité d'épreuves de toutes les planches qu'il gravoit ; & les curieux qui vouloient faire des collections, les achetoient à tout prix : ses desseins étoient aussi fort chers. On connoît ses planches des métamorphoses d'Ovide.

Quand ce maître s'est écarté de sa maniere léchée, il a exécuté des choses très-piquantes, & ses compositions en grand nombre font honneur à son génie ; les pensées en sont belles & pleines de noblesse, mais quelquefois trop recherchées & trop allégoriques.

Il a fait un nombre d'estampes qu'il nomma les impostures innocentes, parce qu'il avoit tâché d'imiter les différens goûts pittoresques de certains maîtres savans qui n'ont gravé qu'à l'eau-forte, tels que le Guide, le Rembrand, Carle-Maratte, & autres ; il réussit & eut le plaisir de voir ses estampes achetées par ceux-là même qui se donnoient pour connoisseurs du goût & de la maniere des peintres. Bernard a publié le catalogue de son oeuvre.

Pippo, (dit Philippe de Santa-croce) s'est autant distingué par le beau fini & l'extrème délicatesse qu'il mettoit dans ses ouvrages, que par le choix singulier de la matiere qu'il employoit pour son travail. Ce graveur s'amusoit à tailler sur des noyaux de prunes & de cerises, de petits bas-reliefs composés de plusieurs figures, mais si fines qu'elles devenoient imperceptibles à la vûe : ces figures sont néanmoins dans toutes leurs proportions.

Poilly, (François) né à Abbeville en 1622, mort à Paris en 1693, a mis au jour une oeuvre très-considérable, quoiqu'il donnât beaucoup de tems & de soin à finir ses planches. La précision, la netteté, & le moëlleux de son burin, font rechercher ses ouvrages, dans lesquels il a sû conserver la noblesse, les graces, & l'esprit des grands-maîtres qu'il a copiés. Nicolas Poilly, son frere, mort en 1696 âgé de soixante-dix ans, s'est distingué dans la gravure du portrait ; l'un & l'autre ont laissé des enfans qui se sont appliqués à leur profession.

Le Rembrand fit passer la chaleur de sa peinture jusque dans la maniere de graver dont il est l'inventeur. Quelle touche, quelle harmonie, quels effets surprenans ! sont-ce des estampes ou des desseins ? la belle & l'extrème facilité qui y régnent pourroient induire en erreur, si la fermeté du travail dans certains endroits ne le déceloit : en marchant par des routes nouvelles, il a rapproché la gravure de son vrai point de vûe, qui est de rendre toutes sortes d'objets uniquement par l'ombre & la lumiere, en les opposant alternativement avec tant d'entente, qu'il en résulte le relief le plus séduisant.

Il envisagea son art comme la scene où les caracteres ne frappent point s'ils ne sont exagérés : il crut devoir s'abandonner à une impétuosité qui produit souvent un certain désordre dans le faire ; mais ce désordre ne peut rebuter que ceux dont les idées superficielles cherchent dans la gravure des travaux refroidis ; trop faits aux afféteries de nos modernes, ils sont insensibles aux beautés fortes du Rembrand. Elles doivent sans-doute trouver de l'indulgence pour les négligences de détail qu'on remarque dans ses estampes, parmi lesquelles la piece où Jésus-Christ guérit les malades (piece connue sous le nom de cent florins, parce qu'il la vendoit ce prix-là, même de son vivant) prouve décidemment que cette maniere est susceptible du fini le plus flatteur.

Il seroit encore à souhaiter que ce célebre artiste se fût appliqué à varier ses productions ; les objets déjà si séduisans par le charme de son clair-obscur, en eussent été mieux caractérisés. Enfin Rembrand ne connut point l'élégance du Dessein ; fils d'un artisan, il mode la ses pensées sur les objets qui meubloient sa chaumiere : trop heureux s'il eût adhéré aux idées judicieuses de son propre pere, qui remarquant en lui avec plaisir un esprit au-dessus de son âge, l'envoya étudier à Leyde ; mais il ne sut pas profiter de ce tems précieux où l'éducation pouvoit si bien corriger le vice du terroir ; son goût seroit insensiblement devenu délicat & correct ; ensuite considérant son art sous un autre coup-d'oeil, il l'auroit embelli, comme l'Albane, des dépouilles de la Littérature. On a fait à Paris un catalogue raisonné de l'oeuvre du Rembrand.

Romain de Hooge, hollandois, a terni ses talens par la corruption de son coeur ; on lui reproche encore l'incorrection du Dessein, & le goût des sujets allégoriques ou d'une satyre triviale.

Roullet, (Jean Louis) né à Arles en 1645, mort à Paris en 1699, se rendit à Rome pour y exercer la Gravure ; de retour en France, ses talens ne furent point oisifs. On loue ses ouvrages pour la correction du Dessein, la pureté, & l'élégance.

Sadeler, (Jean) né à Bruxelles en 1550, mort à Venise, fit, ainsi que son frere Raphaël, des ouvrages assez estimés ; mais ils eurent l'un & l'autre un neveu, Gilles Sadeler, qui les surpassa de loin par la sévérité du Dessein, par le goût & la netteté de son travail : les empereurs Rodolphe II. Matthias, & Ferdinand II. se l'attacherent par leurs bienfaits.

Saerdam, (Jean). Les estampes de ce maître sont goûtées de quelques curieux, mais la correction du Dessein manque à l'artiste.

Silvestre, (Israël) né à Nancy en 1621, & mort à Paris en 1691, devint célebre par le goût & l'intelligence qu'il a mis dans divers paysages & dans différentes vûes gravées de sa main. Louis XIV. occupa ses talens & les récompensa.

Simonneau, (Charles) né à Orléans vers l'an 1639, mourut à Paris en 1728. Après avoir été éleve de Noël Coypel dans le Dessein, il le devint de Château pour la Gravure, mais enfin il ne consulta plus que son génie : il grava le portrait, les figures, & des sujets d'histoire avec une grande vérité. Plusieurs vignettes de son invention peuvent aussi le mettre au rang des compositeurs ; mais il se distingua davantage par les médailles qu'il grava pour servir à l'histoire métallique de Louis XIV.

Spierre, (François) a fait des ouvrages rares & estimés ; son burin est gracieux, & les estampes de sa composition prouvent ses talens. On estime fort la Vierge qu'il a gravée d'après le Correge.

Stella, (Mademoiselle) niece de Jacques Stella, peintre, a mis dans ses gravures beaucoup de gout & d'intelligence.

Suyderhoef, (Jonas) hollandois, s'est plus attaché à mettre dans ses productions un effet pittoresque & piquant, qu'à faire admirer la propreté & la délicatesse de son burin ; il a gravé plusieurs portraits d'après Rembrand. La plus considérable de ses estampes est celle de la paix de Munster, où il a saisi le goût de Terburg, auteur du tableau original, dans lequel ce peintre a représenté près de soixante plénipotentiaires qui assisterent à la signature de cette paix.

Thomassin, pere & fils, graveurs françois, ont publié d'assez bons morceaux, sur-tout le fils ; on connoit sa mélancolie d'après le Féty, & c'est une estampe précieuse.

Vichem, allemand, est le plus célebre graveur en bois du dix-septieme siecle. On voit de ses gravures depuis 1607 jusqu'en 1670 ; il a manié la pointe à graver en bois avec une liberté & une hardiesse surprenantes.

Villamene, (François) italien, éleve d'Augustin Carrache, est recommandable par la correction de son dessein & par la propreté de son travail ; mais on lui reproche d'être trop maniéré dans ses contours.

Vosterman, (Lucas) graveur hollandois dont les estampes sont très-recherchées ; il a contribué à faire connoître le mérite de Rubens, & à multiplier ses belles compositions. On trouve dans les estampes de Vosterman une maniere expressive & beaucoup d'intelligence.

Warin, (Jean) graveur & sculpteur, natif de Liége en 1604, mort à Paris en 1672. Après avoir fait longtems ses délices du Dessein, il s'exerça à la gravure, & y réussit parfaitement ; enfin il inventa des machines très-ingénieuses pour monnoyer les médailles qu'il avoit gravées. On connoît le sceau de l'académie françoise, où il a représenté le cardinal de Richelieu d'une maniere si ressemblante. Ce grand maître a encore gravé les poinçons des monnoies de France sous Louis XIII. & sous la minorité de Louis XIV. Je ne parle pas de quantité de belles médailles dont on lui est redevable, j'ajoûterai seulement qu'il travailloit à l'histoire métallique du roi quand il mourut.

Wischer, (Corneille) est le maître qui fait le plus d'honneur à la Hollande ; on ne peut guere graver avec plus de finesse, de force, d'esprit & de vérité. Son burin est en même tems le plus savant, le plus pur, & le plus gracieux ; ses desseins dénotent encore l'excellent artiste ; les estampes de son invention prouvent son goût & son génie. Louis & Jean Wischer se sont aussi distingués par les estampes qu'ils ont gravés d'après Berghem & Wouwermans, mais il est difficile d'atteindre à la supériorité de Corneille.

Il y a d'illustres graveurs qui vivent encore, dont nous ne pouvons parler, mais dont les ouvrages feront passer les noms à la postérité. (D.J.)


GRAVIERS. m. voyez ARENE.

GRAVIER, (Hist. nat.) On donne le nom de gravier à un amas prodigieux de petites pierres, & surtout de petits cailloux ; il ne différe du sable que parce que ses parties sont plus grossieres & moins homogenes que les siennes. Le gravier se trouve ordinairement sur le bord des rivieres & dans quelques endroits de la campagne, où il est répandu par couches qui varient infiniment pour l'étendue, la profondeur, & la nature des pierres qui le composent. En général pourtant le gravier, dans quelque endroit qu'il se trouve, semble toûjours y avoir été apporté par les eaux, attendu que les pierres qu'on y remarque sont toûjours plus ou moins arrondies, ce qui a dû se faire par le roulement.

On se sert du gravier pour sabler les allées des jardins. Les Anglois ont un gravier d'une nature excellente, & qui surpasse tous les autres en bonté ; on l'employe aux grands chemins : ce qui en fait des routes très-unies, & beaucoup plus commodes que le pavé pour les voitures. De toutes les especes de graviers qu'on trouve en Angleterre, le plus estimé est celui de Black-Heath ; il est entierement composé de petits cailloux parfaitement arrondis. On prétend que Loüis XIV. offrit à Charles II. de lui fournir assez de pavé pour paver la ville de Londres, à condition que ce prince lui donnât en échange la quantité de gravier nécessaire pour sabler les jardins de Versailles. Quoi qu'il en soit de la vérité de ce fait, il paroît que cet échange n'a point eu lieu.

Voici comment on sable en Angleterre, en France, & ailleurs, les allées des jardins avec du gravier. On commence par couvrir l'allée, soit avec des rognures de pierres de taille qu'on appelle recoupe des pierres, soit avec des pierres-à-fusil, ou toute autre pierre dure ; on en met huit ou dix pouces d'épaisseur pour empêcher les mauvaises herbes de croître : au lieu de pierres on y met quelquefois du salpetre qu'on a soin de bien battre ; on met ensuite par-dessus cinq ou six pouces de gravier.

On a la précaution de faire que le milieu de l'allée soit plus élevé que les deux côtés, & forme comme un dos-d'âne, pour faciliter l'écoulement des eaux. Il faut ensuite faire passer, en tous sens à plusieurs reprises, un rouleau ou gros cylindre de pierre fort pesant par-dessus le gravier, afin de l'égaliser ; il est à-propos de faire la même chose trois ou quatre fois à la suite des pluies d'orage violentes. Quand le gravier est trop sec, il est bon de le mêler avec de la glaise, cela fait qu'il prend corps plus aisément. Voyez le supplément de Chambers. (-)


GRAVII(Géogr. anc.) ancien peuple d'Espagne dont Silius Italicus, Pline & Ptolomée, font mention. Ce dernier met ce peuple dans l'Espagne Tarragonoise ; il le nomme Graii, & lui donne une ville qu'il appelle Tydae, . Cette ville de Tyde est présentement Tuy dans la Galice, aux confins du Portugal. (D.J.)


GRAVINA(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples dans la terre de Barry, au pié des montagnes, avec un évêché suffragant de Matéra & titre de duché. On la croit la Pleyra des anciens ; son nom italien vient du mot françois ravine, parce qu'elle est assise sur une grande ravine. Elle est à 4 lieues N. de Matéra, 10 S. O. de Barry. Long. 34. 10. latit. 41. 54. (D.J.)


GRAVITATIONS. f. en terme de Physique, signifie proprement l'effet de la gravité ou la tendance qu'un corps a vers un autre par la force de sa gravité. Voyez ci-après GRAVITE.

Suivant le système de Physique établi par Newton, & reçu maintenant par un grand nombre de philosophes, chaque particule de matiere pese ou gravite vers chaque autre particule. Voyez NEWTONIANISME.

Ce que nous appellons gravitation par rapport à un corps A, qui pese vers un autre corps B, Newton l'appelle attraction par rapport au corps B vers lequel le corps A pese : ou, ce qui revient au même, l'attraction que le corps B exerce sur le corps A, est ce qui fait que le corps A a une gravitation vers B ; l'attraction est la cause inconnue & la gravitation l'effet. Voyez ATTRACTION.

Selon Newton, les planetes, tant premieres que secondaires, aussi-bien que les cometes, pesent ou tendent toutes vers le soleil, & pesent outre cela les unes vers les autres, comme le soleil pese & tend vers elles ; & la gravitation d'une planete quelconque C vers une autre planete D, est en raison directe de la quantité de matiere qui se trouve dans la planete D, & en raison inverse du quarré de la distance de la planete C à la planete D. Voyez PLANETE, COMETE, SOLEIL, TERRE, LUNE, &c.

Mais ce ne sont pas seulement les corps célestes qui s'attirent mutuellement. Newton ajoûte que toutes les parties de la matiere ont cette propriété réciproque les unes par rapport aux autres ; & c'est ce qu'il appelle la gravitation universelle. On peut voir aux mots ATTRACTION & GRAVITE, les preuves de ce système & l'usage que Newton en a fait, ainsi que les réflexions que nous avons faites sur ces preuves & sur cet usage. A ces réflexions nous en joindrons ici quelques-unes.

I. Réflexions philosophiques sur le système de la gravitation universelle. Les observations astronomiques démontrent que les planetes se meuvent, ou dans le vuide, ou au-moins dans un milieu fort rare, ou enfin, comme l'ont prétendu quelques philosophes, dans un milieu fort dense qui ne résiste point, ce qui seroit néanmoins plus difficile à concevoir que l'attraction même. Mais quelque parti qu'on prenne sur la nature du milieu dans lequel les planetes se meuvent, la loi de Kepler démontre au-moins qu'elles tendent vers le soleil. Voyez LOI DE KEPLER & GRAVITE. Ainsi la gravitation des planetes vers le soleil, quelle qu'en soit la cause, est un fait qu'on doit regarder comme démontré, ou rien ne l'est en Physique.

La gravitation des planetes secondaires ou satellites vers leurs planetes principales, est un second fait évident & démontré par les mêmes raisons & par les mêmes faits.

Les preuves de la gravitation des planetes principales vers leurs satellites ne sont pas en aussi grand nombre ; mais elles suffisent cependant pour nous faire reconnoître cette gravitation. Les phénomenes du flux & reflux de la mer, & sur-tout la théorie de la nutation de l'axe de la terre & de la précession des équinoxes, si bien d'accord avec les observations, prouvent invinciblement que la terre tend vers la lune ; voyez FLUX & REFLUX, MAREE, NUTATION, PRECESSION. Nous n'avons pas de semblables preuves pour les autres satellites. Mais l'analogie seule ne suffit-elle pas pour nous faire conclure que l'action entre les planetes & leurs satellites est réciproque ? Je n'ignore pas l'abus qu'on peut faire de cette maniere de raisonner, pour tirer en Physique des conclusions trop générales ; mais il me semble, ou qu'il faut entierement renoncer à l'analogie, ou que tout concourt ici pour nous engager à en faire usage.

Si l'action est réciproque entre chaque planete & ses satellites, elle ne paroît pas l'être moins entre les planetes premieres. Indépendamment des raisons tirées de l'analogie, qui ont à la vérité moins de force ici que dans le cas précédent, mais qui pourtant en ont encore, il est certain que Saturne éprouve dans son mouvement des variations sensibles, & il est fort vraisemblable que Jupiter est la principale cause de ces variations. Le tems seul, il est vrai, pourra nous éclairer pleinement sur ce point, les Géometres & les Astronomes n'ayant encore ni des observations assez complete s sur les mouvemens de Saturne, ni une théorie assez exacte des dérangemens que Jupiter lui cause. Mais il y a beaucoup d'apparence que Jupiter, qui est sans comparaison la plus grosse de toutes les planetes & la plus proche de Saturne, entre au-moins pour beaucoup dans la cause de ces dérangemens : je dis pour beaucoup, & non pour tout ; car outre une cause dont nous parlerons dans un moment, l'action des cinq satellites de Saturne pourroit encore produire quelque dérangement dans cette planete ; & peut-être sera-t-il nécessaire d'avoir égard à l'action des satellites pour déterminer entierement & avec exactitude toutes les inégalités du mouvement de Saturne, aussi-bien que celles de Jupiter.

Si les satellites agissent sur les planetes principales ; & si celles-ci agissent les unes sur les autres, elles agissent donc aussi sur le soleil : c'est une conséquence assez naturelle. Mais jusqu'ici les faits nous manquent encore pour la vérifier. Le moyen le plus infaillible de décider cette question, est d'examiner les inégalités de Saturne ; car si Jupiter agit sur le Soleil en même tems que Saturne, il est nécessaire de transporter à Saturne, en sens contraire, l'action de Jupiter sur le Soleil, pour avoir le mouvement de Saturne par rapport à cet astre ; & entr'autres inégalités cette action doit produire dans le mouvement de Saturne une variation proportionnelle au sinus de la distance entre le lieu de Jupiter & celui de Saturne. C'est aux Astronomes à s'assûrer si cette variation existe, & si elle est telle que la théorie la donne. Voyez SATURNE.

On peut voir par ce détail quels sont les différens degrés de certitude que nous avons jusqu'ici sur les principaux points du système de la gravitation universelle, & quelle nuance, pour ainsi dire, observent ces degrés. Ce sera la même chose quand on voudra transporter, comme fait Newton, le système général de la gravitation des corps célestes à celle des corps terrestres ou sublunaires. Nous remarquerons en premier lieu que cette attraction ou gravitation générale s'y manifeste moins en détail dans toutes les parties de la matiere, qu'elle ne fait, pour ainsi dire, en total dans les différens globes qui composent le système du monde ; nous remarquerons de plus qu'elle se manifeste dans quelques-uns des corps qui nous environnent plus que dans les autres ; qu'elle paroît agir ici par impulsion, là par une méchanique inconnue, ici suivant une loi, là suivant une autre ; enfin plus nous généraliserons & étendrons en quelque maniere la gravitation, plus ses effets nous paroîtront variés, & plus nous la trouverons obscure, & en quelque maniere informe dans les phénomenes qui en résultent, ou que nous lui attribuons. Soyons donc très-réservés sur cette généralisation, aussi-bien que sur la nature de la force qui produit la gravitation des planetes ; reconnoissons seulement que les effets de cette force n'ont pu se réduire, du-moins jusqu'ici, à aucune des lois connues de la méchanique ; n'emprisonnons point la nature dans les limites étroites de notre intelligence ; approfondissons assez l'idée que nous avons de la matiere, pour être circonspects sur les propriétés que nous lui attribuons ou que nous lui refusons ; & n'imitons pas le grand nombre des philosophes modernes, qui en affectant un doute raisonné sur les objets qui les intéressent le plus, semblent vouloir se dédommager de ce doute par des assertions prématurées sur les questions qui les touchent le moins.

II. Loi générale de la gravitation. Si on appelle la force de la gravitation d'un point vers un autre, e l'espace que cette force fait parcourir pendant le tems t, on aura d d e = d t2, ou plus exactement d d e = , comme on l'a vû au mot FORCE, page 118 de ce Volume, en appellant a l'espace que la pesanteur p fait parcourir pendant un tems

. M. Euler, dans sa piece sur le mouvement de Saturne, qui a remporté le prix de l'académie des Sciences en 1748, prend pour équation, non pas d d e = d t2, mais d d e = 1/2 d t2. Comme cette maniere de présenter l'équation des forces accélératrices a causé de la difficulté à plusieurs personnes, je dirai ici qu'elle ne me paroît point exacte. En effet supposons = p, c'est-à-dire égale à la pesanteur naturelle, on auroit donc, suivant M. Euler, à d e = , & e = ou t = 2 ; cependant toutes les formules reçues jusqu'ici donnent la vîtesse à la fin de l'espace e = , & le tems = = ; ce qui est fort différent de l'expression de t qui résulte de la formule de M. Euler. Il est vrai que l'équation, peu exacte en elle-même, d d e = 1/2 d t2, dont M. Euler se sert, n'influe point sur le reste de sa piece, parce qu'il corrige cette erreur par une autre, en substituant dans la suite de la piece, à la place de , la quantité , a étant le rayon de l'orbite, l'anomalie, &

le soleil ; au lieu qu'en nous servant de la formule d d e = d t2, nous eussions substitué cette quantité , non à la place de , mais à la place de d t2 ; en sorte que dans les deux cas le résultat auroit été le même, savoir d d e = . En effet étant ici la force centripete, & a d l'arc parcouru pendant le tems d t, on a = voyez l'article FORCE, pages 118 & 119.) : donc, puisque d d e = , on aura d d e = . Nous supposons qu'on ait ici sous les yeux la piece de M. Euler imprimée à Paris en 1749.

III. Maniere de trouver la gravitation d'un corps vers un autre. Newton dans le livre I. de ses principes, a donné pour cela une méthode qui a été commentée & étendue depuis par différens auteurs. Voyez les mémoires de l'acad. 1732. le commentaire des PP. le Sueur & Jaquier ; les mémoires de Petersbourg, &c. Cette méthode a principalement pour objet l'attraction que les corps sphériques, elliptiques & cylindriques, ou regardés comme tels, exercent sur un point donné. Nous avons donné les premiers la méthode de trouver l'attraction qu'un solide peu différent d'une sphere, elliptique ou non, sphéroïde ou non, exerce sur un point placé, soit au-dedans, soit au-dehors de lui. Voyez la seconde & la troisieme partie de nos recherches sur le système général du monde, Paris 1754 & 1756 ; voyez aussi l'article FIGURE DE LA TERRE. De plus une remarque singuliere que nous avons faite à ce sujet, & que nous croyons nouvelle, c'est que quand un corpuscule est au-dehors d'une surface sphérique & très-près de cette surface, l'attraction que cette surface exerce sur ce corpuscule, est à-peu-près double de celle qu'elle exerce, si le corpuscule est placé sur la surface même. On peut voir dans la III. partie de nos recherches sur le système du monde, 1756, pp. 198 & 199. la preuve & le dénouement de cette espece de paradoxe. Mais pour faire sentir aux commençans comment le calcul donne ce paradoxe, représentons-nous la différentielle de l'attraction d'une surface sphérique, r étant le rayon, 2 le rapport de la circonférence au rayon, n la distance du corpuscule à la surface sphérique, & x une abscisse quelconque ; nous trouverons aisément par les méthodes connues que l'intégrale de cette différentielle est x + 2r x . Voyez INTEGRAL, TRANSFORMATION, & la II. partie de mes recherches sur le système du monde, page 284. Or, soit que n soit = 0, ou non, la seconde partie de cette intégrale, savoir 2 r devient = , quand x = 2r. A l'égard de la premiere partie, elle est évidemment toûjours nulle, quand n = 0, puisque n en multiplie tous les termes ; mais quand n n'est pas = 0, elle devient, lorsque x = 2r, = , comme la précédente à laquelle elle s'ajoûte pour lors. Ainsi quand n = 0, l'attraction n'est que ; & quand n n'est pas zéro, elle est que + . Voilà la raison analytique du paradoxe.

IV. Usage du système de la gravitation pour trouver les masses des planetes. Soient deux planetes, dont les masses soient M, m, qui ayent des satellites qui tournent autour d'elles à la distance A, a, & qui fassent leurs révolutions dans les tems T, t, les forces centripetes de ces satellites seront M/A2, m/a2, puisque la gravitation est en raison directe de la masse du corps attirant, & inverse du quarré de la distance : de plus ces forces centripetes seront égales aux forces centrifuges ; & en considérant les orbites des satellites comme des cercles, les forces centrifuges seront entr'elles comme A/T2 : a/t2. Voyez FORCE CENTRALE au mot CENTRAL. Donc on aura M/A2 : m/a2 : : A/T : a/t2. Donc si on connoît le rapport de A avec a & celui de T avec t, on connoîtra le rapport de M à m. Par-là on peut connoître le rapport de la masse du Soleil, de Jupiter & de Saturne, à celle de la Terre ; car toutes ces planetes (en y comprenant le Soleil) ont des satellites, dont on connoît le rapport des distances à leurs planetes principales, & les tems des révolutions. Voyez PLANETE. (O)


GRAVITÉS. f. (Phys. & Méchaniq.) on appelle ainsi parmi les Physiciens la force que le vulgaire appelle pesanteur, & en vertu de laquelle les corps tendent vers la terre.

Il y a cette différence entre pesanteur & gravité, 1°. que gravité ne se dit jamais que de la force ou cause générale qui fait descendre les corps, & que pesanteur se dit quelquefois de l'effet de cette force dans un corps particulier ; ainsi on dit la force de la gravité pousse les corps vers la terre, & la pesanteur du plomb est plus grande que celle du cuivre. 2°. Que pesanteur ne se dit jamais que de la force particuliere qui fait tomber les corps terrestres vers la terre, & que gravité se dit aussi quelquefois dans le système Newtonien, de la force par laquelle un corps quelconque tend vers un autre. Car le principe général de ce système, est que la gravité est une propriété universelle de la matiere. Voyez GRAVITATION. Mais avant que d'en détailler les preuves, disons un mot des systèmes imaginés par les autres philosophes, pour rendre raison de la gravité.

Le vulgaire est d'abord étonné qu'on cherche une cause à ce phénomene ; il lui paroît tout naturel qu'un corps tombe, dès qu'il n'est pas soûtenu ; sur quoi nous renvoyons le lecteur à l'article FORCE D'INERTIE, p. 112. col. j. Nous renvoyons aussi aux mots ACCELERATION & DESCENTE sur les explications que les Péripatéticiens, les Epicuriens, & les Gassendistes donnent de la gravité, & qui ne méritent pas un plus long détail. Mais l'explication de Descartes est trop ingénieuse & trop séduisante au premier coup-d'oeil, pour ne pas nous y arrêter.

La matiere subtile, dit ce philosophe, se meut en tourbillon autour de la terre ; en vertu de ce mouvement elle a une force centrifuge, voyez FORCE & CENTRIFUGE ; en vertu de cette force, toutes les parties de cette matiere tendent à s'éloigner de la terre ; elles doivent donc pousser les corps vers la terre, c'est-à-dire dans un sens contraire à la direction de leur force centrifuge : car par la même raison qu'un fluide qui pese de haut en-bas, tend à pousser de bas en-haut les corps qu'on y plonge, & les y pousse en effet, s'ils tendent de haut en-bas avec moins de force que lui ; par cette même raison la matiere du tourbillon ayant une force centrifuge, doit pousser vers la terre les corps qu'on place dans ce tourbillon, & qui n'ont point une pareille force. Voyez FLUIDE & HYDRODYNAMIQUE. Ainsi la pesanteur du corps L placé dans la pyramide A E B (fig. 8. Méch.), est égale à la force centrifuge de la matiere du tourbillon dont il occupe la place, multipliée par la masse de cette matiere, moins la force centrifuge du corps L, s'il en a, multipliée par la masse L.

En supposant l'existence des tourbillons que nous croyons insoûtenable, & que presque personne n'admet plus aujourd'hui, voyez TOURBILLON, il suit de cette explication qu'il faut, ou que la force centrifuge de la matiere du tourbillon soit beaucoup plus grande que celle du corps L, ou que la matiere subtile soit beaucoup plus dense que ce corps. Or la force centrifuge du corps L vient de sa vîtesse de rotation autour de la terre ; vîtesse qui est à-peu-près égale à celle des points de la surface terrestre. Donc il faudroit dans le premier cas que la matiere du tourbillon eût beaucoup plus de vîtesse de rotation que la terre ; or cela posé, on sentiroit une espece de vent continuel dans le sens de la rotation de la terre, c'est-à-dire d'occident en orient. Dans le second cas, si la matiere du tourbillon a beaucoup plus de densité que les corps terrestres, on devroit sentir dans les mouvemens de bas en-haut & de haut en-bas la résistance de cette matiere ; or on sait que cette résistance est insensible, que l'air seul est la source de celle qu'on éprouve, & qu'il n'y en a point dans la machine du vuide, où tous les corps tombent également vîte. Ce n'est pas tout ; supposant, comme on le dit, la force centrifuge de la matiere du tourbillon beaucoup plus grande que celle du corps L, le corps L devroit toûjours avoir une pesanteur sensiblement égale, pourvû qu'il conservât le même volume ; car la force centrifuge qui agiroit sur ce corps, seroit alors la même. Or cela est contraire à l'expérience : car un pié cube d'or pese plus qu'un pié cube de liége. De plus & par la même raison, les corps devroient descendre d'autant plus vîte, abstraction faite de la résistance de l'air, qu'ils auroient moins de masse sous un même volume ; car la force qui les presse étant la même, elle devroit y produire des vîtesses en raison inverse des masses. Or c'est ce que l'expérience dément encore ; car l'expérience prouve que tous les corps descendent également vîte dans le vuide ; d'où il résulte que la gravité agit en raison de la masse, & non du volume du corps.

Une autre objection contre les Cartésiens, c'est que les corps devroient descendre vers l'axe de la terre, & non vers le centre ; de sorte que sous les paralleles à l'équateur ils devroient tomber par des lignes obliques, & non par des lignes à-plomb. Les Cartésiens, il est vrai, ont imaginé différens moyens de répondre à ces difficultés ; mais tous ces moyens sont autant de parallogismes. Je me flate de l'avoir démontré dans mon traité des fluides, art. 409. M. Huyghens a cherché à corriger sur ce point le système de Descartes ; mais la correction est pire que le mal ; voyez DESCENTE ; il en est de même de M. Bulfinger. Il suppose dans une piece qui a remporté le prix de l'academie des Sciences en 1728, que la matiere du tourbillon se meut à-la-fois autour de deux axes. Il prétend que de ce double mouvement il doit résulter une tendance des corps terrestres vers le centre de la terre ; mais cet auteur a supposé qu'en ce cas les particules de la matiere décrivoient toutes par un mouvement composé de grands cercles, ce qui n'est pas vrai ; car elles décrivent des courbes différentes, dont la plûpart sont en 8 de chiffre, comme on peut s'en assûrer par l'expérience & par l'analyse. Ainsi son explication n'est pas plus recevable que celles de Huyghens & de Descartes.

M. Varignon a fait aussi un système sur la cause de la pesanteur, dont on peut voir le précis dans son éloge par M. de Fontenelle, mém. de l'Acad. 1722. mais ce système ne portant sur rien, & n'ayant fait aucune fortune, nous n'en ferons point de mention ici. M. le Sage, de Geneve, a présenté depuis peu à l'académie des Sciences un écrit qui contient un système ingénieux sur cette matiere ; mais ce système n'est pas encore publié, & nous attendrons qu'il le soit pour en faire mention, afin de ne point trop surcharger cet article. Nous renvoyons donc sur cela au mot PESANTEUR.

Avant que de passer à l'explication Newtonienne de la gravité, nous ferons une remarque qui ne sera pas inutile. Quand on dit que les corps pesans ou graves tendent vers le centre de la terre, on n'entend pas cela rigoureusement ; car il faudroit en ce cas que la terre fût sphérique, & que les corps pesans fussent poussés perpendiculairement à cette surface. Or il est prouvé que la terre n'est pas sphérique, & il n'est pas bien démontré que la direction de la pesanteur soit perpendiculaire à la surface de la terre ; sur quoi voyez l'article FIGURE DE LA TERRE, & la III. partie de mes recherches sur le système du monde ; Paris, 1756. liv. VI.

Il faut d'ailleurs distinguer deux sortes de gravité : la gravité primitive, non altérée par la force centrifuge qui vient de la rotation de la terre & des corps qu'elle entraîne : & la gravité altérée par cette force ; cette derniere gravité est la seule que nous sentons ; & quand même la premiere auroit sa direction au centre de la terre, la seconde par une conséquence nécessaire ne l'auroit pas. Mais il est aisé de s'assûrer que la gravité primitive elle-même n'a pas sa direction au centre de la terre ; car si cela étoit, le rapport des axes seroit à très-peu-près de 577 à 578, tel que M. Huyghens l'a trouvé dans cette hypothèse. Or les observations donnent le rapport des axes de la terre beaucoup plus grand. Voyez l'article FIGURE DE LA TERRE. Ainsi il paroît que la gravité n'est pas une force constamment dirigée vers le centre de la terre, & c'est déjà une preuve indirecte en faveur du système de Newton, qui veut que la pesanteur soit causée par l'attraction que toutes les parties de la terre exercent sur les corps pesans ; attraction dont l'effet doit être dirigé différemment, suivant le lieu de la surface terrestre où le corps attiré est placé. Voyez ATTRACTION. Voici maintenant les preuves du système Newtonien.

Preuves de la gravité universelle. Tout le monde convient que tout mouvement est naturellement rectiligne ; de sorte que les corps, qui dans leur mouvement décrivent des lignes courbes, y doivent être forcés par quelque puissance qui agit sur eux continuellement.

D'où il s'ensuit que les planetes faisant leurs révolutions dans des orbites curvilignes, il y a quelque puissance dont l'action continuelle & constante les empêche de se déplacer de leur orbite, & de décrire des lignes droites.

D'ailleurs les Mathématiciens prouvent que tous les corps qui dans leurs mouvemens décrivent quelque ligne courbe sur un plan, & qui par des rayons tirés vers un certain point, décrivent autour de ce point des aires proportionnelles au tems, sont poussés par quelque puissance qui tend vers ce même point ; voyez FORCE CENTRALE. Il est démontré aussi par les observations que les planetes premieres tournant autour du soleil, & les planetes secondaires appellées satellites, tournant autour des premieres, décrivent des aires proportionnelles au tems ; voyez LOI DE KEPLER. Par conséquent la puissance qui les retient dans leur orbite, a sa direction vers les centres du soleil & des planetes. Enfin il est prouvé que si plusieurs corps décrivent autour d'un même point des cercles concentriques, & que les quarrés de leurs tems périodiques soient comme les cubes des distances du centre commun, les forces centripetes des corps qui se meuvent seront réciproquement comme les quarrés des distances. Voyez FORCE CENTRALE. Or tous les Astronomes conviennent que cette analogie a lieu par rapport à toutes les planetes : d'où il s'ensuit que les forces centripetes de toutes les planetes, sont réciproquement comme les quarrés des distances où elles sont des centres de leurs orbites. Voyez l'article PLANETE & l'article LOI DE KEPLER.

De tout ce qu'on vient de dire, il s'ensuit que les planetes sont retenues dans leurs orbites par une puissance qui agit continuellement sur elles : que cette puissance a sa direction vers le centre de ces orbites : que l'efficacité de cette puissance augmente à mesure qu'elle approche du centre, & qu'elle diminue à mesure qu'elle s'en éloigne ; qu'elle augmente en même proportion que diminue le quarré de la distance, & qu'elle diminue comme le quarré de la distance augmente.

Or en comparant cette force centripete des planetes avec la force de gravité des corps sur la terre, on trouvera qu'elles sont parfaitement semblables.

Pour rendre cette vérité sensible, nous examinerons ce qui se passe dans le mouvement de la Lune, qui est la planete la plus voisine de la terre.

Les espaces rectilignes, décrits dans un tems donné par un corps qui tombe & qui est poussé par quelque puissance, sont proportionnels à ces puissances, à compter depuis le commencement de la chûte. Par conséquent la force centripete de la Lune dans son orbite, sera à la force de la gravité sur la surface de la terre, comme l'espace, que la Lune parcouroit en tombant pendant quelque tems par sa force centripete du côté de la terre, supposé qu'elle n'eût aucun mouvement circulaire, est à l'espace que parcouroit dans le même tems quelqu'autre corps en tombant par sa gravité sur la terre.

On sait par expérience que les corps pesans parcourent ici-bas 15 piés par seconde, voyez DESCENTE. Or l'espace que la force centripete de la Lune lui feroit parcourir en ligne droite dans une seconde, est sensiblement égal au sinus verse de l'arc que la Lune décrit dans une seconde. Et puisqu'on connoît le rayon de l'orbite de la Lune & le tems de sa révolution, on connoîtra par conséquent ce sinus verse.

Faisant donc le calcul, on trouve que ce sinus verse est à 15 piés, c'est-à-dire que la force centripete de la Lune dans son orbite, est à la force de la gravité sur la surface de la terre, comme le quarré du demi-diametre de la terre est au quarré du demi-diametre de l'orbite. On peut voir ce calcul tout au long dans le III. livre des principes de Newton, & dans plusieurs autres ouvrages auxquels nous renvoyons.

C'est pourquoi la force centripete de la Lune est la même que la force de la gravité, c'est-à-dire procede du même principe ; autrement si ces deux forces étoient différentes, les corps poussés par les deux forces conjointement, tomberoient vers la terre avec une vîtesse double de celle qui naîtroit de la seule force de la gravité.

Il est donc évident que la force centripete par laquelle la Lune est retenue dans son orbite, n'est autre chose que la force de la gravité qui s'étend jusque-là.

Par conséquent la Lune pese vers la terre ; donc réciproquement celle-ci pese vers la Lune : ce qui est confirmé d'ailleurs par les phénomenes des marées. Voyez FLUX & REFLUX & GRAVITATION.

On peut appliquer le même raisonnement aux autres planetes. En effet, comme les révolutions des planetes autour du Soleil, & celles des satellites de Jupiter & de Saturne autour de ces planetes, sont des phénomenes de la même espece que la révolution de la Lune autour de la terre ; comme les forces centripetes des planetes ont leur direction vers le centre du Soleil ; comme celles des Satellites tendent vers le centre de leur planete ; & enfin comme toutes ces forces sont réciproquement comme les quarrés des distances aux centres, on peut conclure que la loi de la gravité & sa cause sont les mêmes dans toutes les planetes & leurs satellites.

C'est pourquoi comme la Lune pese vers la terre, & celle-ci vers la Lune, de même tous les satellites pesent vers leurs planetes principales : & les planetes principales vers leurs satellites ; les planetes vers le Soleil, & le Soleil vers les planetes. Voyez GRAVITATION, PLANETE, &c.

Il ne reste plus qu'à savoir quelle est la cause de cette gravité universelle, ou tendance mutuelle que les corps ont les uns vers les autres.

Clarke ayant détaillé plusieurs propriétés de la gravité des corps, conclud que ce n'est point un effet accidentel de quelque mouvement ou matiere subtile, mais une force générale que le Tout-puissant a imprimée dès le commencement à la matiere, & qu'il y conserve par quelque cause efficiente qui en pénetre la substance.

Gravesande, dans son introduction à la philosophie de Newton, prétend que la cause de la gravité est absolument inconnue, & que nous ne devons la regarder que comme une loi de la nature & comme une tendance que le créateur a imprimée originairement & immédiatement à la matiere, sans qu'elle dépende en aucune façon de quelque loi ou cause seconde. Il croit que les trois réflexions suivantes suffisent pour prouver sa proposition. Savoir :

1°. Que la gravité demande la présence du corps qui pese ou attire : c'est ainsi que les satellites de Jupiter, par exemple, pesent sur cette planete, quelque part qu'elle se trouve.

2°. Que la distance au corps attirant étant supposée la même, la vîtesse avec laquelle les corps se meuvent par la force de la gravité, dépend de la quantité de matiere qui se trouve dans le corps qui attire, & que la vîtesse ne change point, quelle que puisse être la masse du corps pesant.

3°. Que si la gravité ne dépend d'aucune loi connue de mouvement, il faut que ce soit quelqu'impulsion venant d'un corps étranger, de sorte que la gravité étant continuelle, elle demande aussi une impulsion continuelle.

Or s'il y a quelque matiere qui pousse continuellement les corps, il faut que cette matiere soit fluide & assez subtile pour pénétrer la substance de tous les corps : mais comment un corps qui est assez subtil pour pénétrer la substance des corps les plus durs, & assez raréfié pour ne pas s'opposer sensiblement au mouvement des corps, peut-il pousser des corps considérables les uns vers les autres avec tant de force ? Comment cette force augmente-t-elle suivant la proportion de la masse du corps vers lequel l'autre corps est poussé ? D'où vient que tous les corps, en supposant la même distance & le même corps vers lequel ils tendent, se meuvent avec la même vîtesse ? Enfin un fluide qui n'agit que sur la surface, soit des corps mêmes, soit de leurs particules intérieures, peut-il communiquer aux corps une quantité de mouvement, qui suive exactement la proportion de la quantité de matiere renfermée dans les corps ?

M. Cotes, en donnant un plan de la philosophie de Newton, va encore plus loin, & assûre que la gravité doit être mise au rang des qualités premieres de tous les corps, & réputée aussi essentielle à la matiere que l'étendue, la mobilité, & l'impénétrabilité. Pref. ad Newt. princip. Sur quoi voyez les articles ATTRACTION & GRAVITATION.

Mais Newton, pour nous faire entendre qu'il ne regarde point la gravité comme essentielle aux corps, nous donne son opinion sur la cause, & il prend le parti de la proposer par forme de question, comme n'étant point encore content de tout ce qu'on en a découvert par les expériences.

Nous ajoûterons ici cette question dans les propres termes dont il s'est servi.

Après avoir prouvé qu'il y a dans la nature un milieu beaucoup plus subtil que l'air ; que par les vibrations de ce milieu, la lumiere communique de la chaleur aux corps, subit elle-même des accès de facile réflexion & de facile transmission ; & que les différentes densités des couches de ce milieu produisent la réfraction aussi-bien que la réflexion de la lumiere (voyez MILIEU, CHALEUR, REFRACTION, &c.), il fait la question suivante.

" Ce milieu n'est-il pas beaucoup plus raréfié dans les corps denses du soleil, des étoiles, des planetes, & des cometes, que dans les espaces célestes qui sont vuides, & qui se trouvent entre ces corps ? & ce milieu, en passant de-là à des distances considérables, ne se condense-t-il pas continuellement de plus en plus, & ne devient-il pas ainsi la cause de la gravité que ces grands corps exercent les uns sur les autres, & de celle de leurs parties, puisque chaque corps s'efforce de s'éloigner des parties les plus denses du milieu vers ses parties les plus raréfiées ?

Car si l'on suppose que ce milieu est plus raréfié dans le corps du soleil que dans sa surface, & plus à la surface qu'à une distance très-petite de cette même surface, & plus à cette distance que dans l'orbe de Saturne ; je ne vois pas, dit M. Newton, pourquoi l'accroissement de densité ne seroit pas continué dans toute la distance qu'il y a du soleil à Saturne, & au-delà.

Et quand même cet accroissement de densité seroit excessivement lent ou foible à une grande distance, cependant si la force élastique de ce milieu est excessivement grande, elle peut être suffisante pour pousser les corps depuis les parties les plus denses du milieu, jusqu'à l'extrémité de ses parties les plus raréfiées, avec toute cette force que nous appellons gravité.

La force élastique de ce milieu est excessivement grande, comme on en peut juger par la vîtesse de ses vibrations : car d'un côté les sons se répandent environ à 180 toises dans une seconde de tems : de l'autre la lumiere vient du soleil jusqu'à nous dans l'espace de sept ou huit minutes, & cette distance est environ de 33000000 lieues ; & pour que les vibrations ou impulsions de ce milieu puissent produire les secousses alternatives de facile transmission & de facile réflexion, il faut qu'elles se fassent plus promtement que celles de la lumiere, & par conséquent environ 700000 fois plus vîte que celles du son ; de sorte que la vertu élastique de ce milieu, toutes choses d'ailleurs égales, doit être plus de 700000 x 700000, c'est-à-dire plus de 490000000000 fois plus grande que n'est la vertu élastique de l'air : car les vîtesses des pulsions des milieux élastiques, toutes choses d'ailleurs égales, sont en raison sous-doublée de la directe des élasticités de ces milieux.

Comme la vertu magnétique est plus considérable dans les petites pierres d'aimant que dans les grandes à proportion de leur volume, & que l'attraction électrique agit plus vivement sur les petits corps que sur les grands : de même la petitesse des rayons de lumiere peut contribuer infiniment à la force de l'agent, ou de la puissance qui leur fait subir les réfractions. Et si on suppose que l'éther (comme l'air que nous respirons) contienne des particules qui s'efforcent de s'éloigner les unes des autres, & que ces particules soient infiniment plus petites que celles de l'air, ou même que celles de la lumiere, leur petitesse excessive peut contribuer à la grandeur de la force par laquelle elles s'éloignent les unes des autres, rendre le milieu infiniment plus rare & plus élastique que l'air, & par conséquent infiniment moins propre à résister aux mouvemens des projectiles, & infiniment plus propre à causer la pesanteur des corps par l'effort que font ses particules pour s'étendre. Optic. p. 325. &c. Voyez LUMIERE, ELASTICITE, &c.

Voilà un précis des idées générales que Newton paroît avoir eues sur la cause de la gravité : cependant si on examine d'autres endroits de ses ouvrages, on est tenté de croire que cette explication générale qu'il donne dans son Optique, étoit destinée principalement à rassûrer quelques personnes que l'attraction avoit revoltées. Car ce philosophe, en avoüant que la pesanteur pourroit être produite par l'impulsion, ajoûte qu'elle pourroit aussi être produite par quelqu'autre cause : il fait mouvoir les planetes dans un grand vuide, ou du-moins dans un espace qui contient très-peu de matiere ; il remarque que l'impulsion d'un fluide est proportionnelle à la quantité de surface des corps qu'il frappe, au lieu que la gravité est comme la quantité de matiére, & vient d'une cause qui pénetre pour ainsi dire les corps ; ainsi il n'étoit pas, ce me semble, fort éloigné de regarder la gravité comme un premier principe, & comme une loi primordiale de la nature. En un mot toute cette explication est bien foible, pour ne rien dire de plus, bien vague, & bien peu conforme à la maniere ordinaire de philosopher de son illustre auteur ; & nous ne pouvons croire qu'il l'ait proposée bien sérieusement. D'ailleurs Newton parut donner son approbation à la préface que M. Cotes a mise à la tête de la seconde édition de ses Principes, & dans laquelle cet auteur soûtient, comme nous l'avons dit, que la gravité est essentielle à la matiere. Voyez aux articles ATTRACTION & GRAVITATION les réflexions que nous avons faites sur cette derniere opinion.

La partie de la Méchanique qui traite du mouvement des corps en tant qu'il résulte de la gravité, s'appelle quelquefois statique. Voyez STATIQUE.

On distingue la gravité en absolue & relative.

La gravité absolue est celle par laquelle un corps descend librement sans éprouver aucune résistance. Voyez RESISTANCE.

Les lois de la gravité absolue se trouvent aux articles ACCELERATION & DESCENTE.

La gravité relative est celle par laquelle un corps descend après avoir consumé une partie de son poids à surmonter quelqu'obstacle ou résistance. Voyez RESISTANCE.

Telle est la gravité par laquelle un corps descend le long d'un plan incliné, où une partie de sa force est employée à surmonter la resistance ou le frottement du plan. Telle est encore la gravité par laquelle un corps descend dans un fluide. Voyez FROTTEMENT, & pour les lois de la gravité relative, consultez les articles PLAN INCLINE, DESCENTE, FLUIDE, RESISTANCE, &c.

Centre de GRAVITE, voyez CENTRE.

La formule /p = que nous avons donnée au mot FORCE CENTRIFUGE, page 120 de ce Volume, col. 1. peut servir à trouver le rapport de la force centrifuge des corps terrestres à la gravité ; car on peut connoître par les lois des pendules (voyez PENDULE) le tems

d'une vibration d'un pendule, dont la longueur seroit égale au rayon de la terre ; & on peut connoître de plus l'espace A, où la partie de la circonférence de l'équateur qu'un point quelconque de la surface de la terre décrit dans ce même tems ; & comme est le rapport de la demi-circonférence au rayon, & A B le diametre de la terre, on aura donc en nombres très-approchés le rapport de 2 A à A B ou de A à , c'est-à-dire de l'arc A à la demi-circonférence de la terre. Or, achevant le calcul, on trouve que ce rapport est d'environ 1 à 17. Voyez le discours de M. Huyghens sur la cause de la pesanteur. Donc le rapport de la force centrifuge à la gravité sous l'équateur, est égal au quarré de 1/17, c'est-à-dire 1/289.

Les lois de la gravité des corps qui pesent dans les fluides, sont l'objet de l'Hydrostatique. Voyez HYDROSTATIQUE.

Dans cette science on divise la gravité en absolue & spécifique.

La gravité absolue est la force avec laquelle les corps tendent en embas. Voyez le commencement de cet article.

La gravité spécifique est le rapport de la gravité d'un corps à celle d'un autre de même volume. Voyez SPECIFIQUE.

Pour les lois de la gravité spécifique avec les manieres de la trouver, ou de la déterminer dans les solides & dans les fluides, consultez l'article BALANCE HYDROSTATIQUE. (O)

GRAVITE, voyez ci-dev. l'article GRAVE, (Gram. & Morale.)

GRAVITE, en Musique, est cette modification du son, par laquelle on le considere comme grave, ou bas par rapport à d'autres sons qu'on appelle hauts ou aigus. Voyez SON GRAVE. C'est une des bisarreries de notre langue, qu'il n'y ait point pour opposer à ce mot de substantif propre aux sons aigus : celui d'acuité que quelques-uns ont voulu introduire, n'a pû passer.

La gravité des sons depend de la grosseur, longueur, tension des cordes, de la longueur des tuyaux, & en général du volume & du poids des corps sonores : plus ils ont de tout cela, & plus leur gravité est grande ; car il n'y a point de gravité absolue, & aucun son n'est grave ou aigu que par comparaison. Voyez CORDE & FONDAMENTAL. (S)


GRAVITÉS. f. (Morale) la gravité, morum gravitas, est ce ton sérieux que l'homme accoutumé à se respecter lui-même & à apprécier la dignité, non de sa personne, mais de son être, répand sur ses actions, sur son discours & sur son maintien. Elle est dans les moeurs, ce qu'est la basse fondamentale dans la musique, le soutien de l'harmonie. Inséparable de la vertu ; dans les camps, elle est l'effet de l'honneur éprouvé ; au barreau, l'effet de l'intégrité ; dans les temples, l'effet de la piété. Sur le visage de la beauté, elle annonce la pudeur ou l'innocence, & sur le front des gens en place, l'incorruptibilité. La gravité sert de rempart à l'honnêteté publique. Aussi le vice commence par déconcerter celle-là, afin de renverser plus surement celle-ci. Tout ce que le libertinage d'un sexe met en oeuvre pour séduire la chasteté de l'autre, un prince l'employera pour corrompre la probité de son peuple. S'il ôte aux affaires & aux moeurs le sérieux qui les décore, dès-lors toutes les vertus perdront leur sauve-garde, & la gravité ne semblera qu'un masque qui rendra ridicule un homme déja difforme. Un roi qui prend le ton railleur dans les traités publics, péche contre la gravité, comme un prêtre qui plaisanteroit sur la religion ; & quiconque offense la gravité, blesse en même-tems les moeurs, se manque à lui-même & à la société. Un peuple véritablement grave, quoique peu nombreux, ou fort ignorant, ne paroîtra ridicule qu'aux yeux d'un peuple frivole, & celui-ci ne sera jamais vertueux. Les descendans de ces sénateurs romains que les Gaulois prirent à la barbe, devoient un jour subjuguer les Gaules.

La gravité est opposée à la frivolité, & non à la gaieté. La gravité ne sied point aux grands déshonorés par eux-mêmes, mais elle peut convenir à l'homme du bas peuple qui ne se reproche rien. Aussi remarquera-t-on que les railleurs & les plaisans de profession, plutôt que de caractere, sont ordinairement des fripons ou des libertins. La gravité est un ridicule dans les enfans, dans les sots, & dans les personnes avilies par des métiers infames. Le contraste du maintien avec l'âge, le caractere, la conduite & la profession excite alors le mépris. Lorsque la gravité semble demander du respect pour des objets qui ne méritent par eux-mêmes aucune sorte d'estime, elle inspire une indignation mêlée d'une piété dédaigneuse ; mais elle peut sauver une pauvreté noble & le mérite infortuné, des outrages & de l'humiliation.

L'abus de la comédie est de jetter du ridicule sur les professions les plus sérieuses, & d'ôter à des personnages importans ce masque de gravité, qui les défend contre l'insolence & la malignité de l'envie. Les petits-maîtres, les précieuses ridicules, & de semblables êtres inutiles & importuns à la société sont des sujets comiques. Mais les Médecins, les Avocats, & tous ceux qui exercent un ministere utile doivent être respectés. Il n'y a point d'inconvéniens à présenter Turcaret sur la scène, mais il y en a peut-être à jouer le Tartuffe. Le financier gagne à n'exciter que la risée du peuple ; mais la vraie dévotion perd beaucoup au ridicule qu'on seme sur les faux dévots.

La gravité differe de la décence & de la dignité ; en ce que la décence renferme les égards que l'on doit au public, la dignité ceux qu'on doit à sa place, & la gravité ceux qu'on se doit à soi-même.


GRAVITERv. n. (Physiq.) on dit dans la philosophie newtonienne, qu'un corps gravite vers un autre, pour dire qu'il tend vers cet autre corps par la force de la gravité, ou, pour parler suivant le système de Newton, qu'il est attiré par cet autre corps. Voyez GRAVITATION, &c.


GRAVOIRS. m. outil de Charron, c'est une espece de marteau dont un pan est rond & plat, & l'autre pan est plat & tranchant. Il sert aux Charrons pour couper & fendre des cercles de fer & d'autres pieces.

* GRAVOIR, (Lunetier) c'est un instrument avec lequel le lunetier trace dans la châsse de la lunette, la rainure où se place le verre, & qui le retient. Il consiste en une plaque ronde, d'un diametre un peu plus petit que le verre & la châsse. Cette plaque est tranchante & dentelée. Il y a une platine appliquée à cette plaque, & qui la déborde : l'un & l'autre sont montés sur un petit arbre qui les traverse, qui a ses poupées comme les arbres des tours à tourner en l'air, & qui porte au milieu une boîte ronde, comme il y en a aux forets. On monte la corde de l'arçon sur cette boîte ; on fait tourner l'arbre & la plaque tranchante ; l'ouvrier place sa châsse contre la platine qui le dirige ; il fait mordre la plaque tranchante dans l'épaisseur de la châsse, & la rainure se fait. Il faut observer que la platine peut être montée avec la plaque tranchante sur un même arbre, pourvû que ces deux parties laissent entr'elles l'intervalle convenable, ou qu'elles peuvent être séparées, ensorte que la plaque tranchante soit seule fixée sur l'arbre, & qu'on en puisse approcher parallelement, & fixer solidement & à la distance convenable, la platine qui sert de directrice à l'ouvrier, & sans laquelle il ne seroit pas sûr de pratiquer sa rainure dans un plan bien vertical.


GRAVOISS. m. pl. (Architect.) se dit des décombres des bâtimens, des pieces d'eaux & bassins lorsqu'ils sont achevés ; ou bien de ce qui reste des allées quand elles viennent d'être dressées & épierrées.


GRAVURES. f. (Beaux Arts) On a déjà dit au mot ESTAMPE quelque partie des choses qui ont rapport à l'art de graver ; mais cet art n'a été regardé alors que du côté de ses productions. Nous devons entrer ici dans le détail des opérations nécessaires pour produire par les moyens qui lui sont propres, les ouvrages auxquels il est destiné.

Les mots gravure & graver viennent ou du grec , qui signifie j'écris, ou du latin cavare, creuser.

Il est moins nécessaire de s'arrêter à fixer son étymologie, que d'expliquer précisément l'action de graver. Cette action consiste à creuser, & toutes les différentes matieres dans lesquelles on peut creuser les formes des objets qu'on a dessein de graver sont comprises dans les idées générales de l'art de la Gravure. La différence des matieres & celle des outils & des procédés qu'on employe, distinguent les especes de Gravure : ainsi l'on dit, graver en cuivre, en bois, en or, en argent, en fer, en pierres fines.

Je commencerai par l'art de graver en cuivre, non pas comme le plus ancien, mais comme celui qui est d'un plus grand usage, & sans-doute d'un usage plus utile aux hommes pour multiplier leurs connoissances.

Dans les détails des opérations de cet art, j'emprunterai les préceptes & les descriptions qui sont contenus dans un ouvrage d'Abraham Bosse, graveur du roi, qui a été considérablement enrichi par les lumieres de M. Cochin le fils, savant artiste de nos jours, qui dans une derniere édition de cet ouvrage l'a augmenté de différens traités que les progrès de l'art lui ont fournis, & de réflexions justes qu'il doit à son talent & à ses succès.

Le cuivre dont on se sert pour la Gravure dont je parle, est le cuivre rouge. Le choix que l'on fait de cette espece de cuivre, est fondé sur ce que le cuivre jaune est communément aigre, que sa substance n'est pas égale, qu'il s'y trouve des pailles, & que ces défauts sont des obstacles qui s'opposent à la beauté des ouvrages auxquels on le destineroit. Le cuivre rouge même n'est pas totalement à l'abri de ces défauts ; il en est dont la substance est aigre, & les traits qu'on y grave se ressentent de cette qualité ; ils sont maigres & rudes : il s'en trouve de mou dont la substance approche (quant à cette qualité) de celle du plomb. Les ouvrages que l'on y grave n'ont pas la netteté qu'on voudroit leur donner : l'eau-forte ne l'entame qu'avec peine ; elle ne creuse pas, & trompe l'attente du graveur. Quelquefois on rencontre dans une même planche de cuivre ces qualités opposées ; enfin on y trouve de petits trous imperceptibles, ou des taches desagréables.

Le cuivre rouge qui a les qualités les plus propres à la Gravure, doit donc être plein, ferme, liant ; & la façon de connoître s'il est exempt des défauts contraires que j'ai énoncés, c'est d'y former quelques traits avec le burin en différens sens : alors, s'il est aigre, le bruit que fera le burin en le coupant, & le sentiment de la main, vous l'indiqueront ; s'il est mou, ce même sentiment qui vous rappellera l'idée du plomb, vous le découvrira aussi.

Lorsqu'on a fait choix d'un cuivre propre à graver, on doit mettre ses soins à ce qu'il reçoive la préparation qui lui est nécessaire pour l'usage auquel on le destine. Les Chauderonniers l'applanissent, le coupent, le polissent ; mais il est à-propos que les Graveurs connoissent eux-mêmes ces préparations, parce qu'il pourroit se trouver que voulant faire usage de leur art dans un pays où il seroit inconnu, ils ne trouveroient pas les ouvriers en cuivre instruits des moyens qu'il faut employer.

Une planche de cuivre de la grandeur d'environ un pié sur neuf pouces, doit avoir à-peu-près une ligne d'épaisseur ; & cette proportion peut régler pour d'autres dimensions. La planche doit être bien forgée & bien applanie à froid : c'est par ce moyen que le cuivre devient plus serré & moins poreux.

Il s'agit, après ce premier soin, de la polir. On choisit celui des deux côtés de la planche qui paroît être plus uni & moins rempli de gersures & de pailles ; on attache la planche par le côté contraire sur un ais, de maniere qu'elle y soit retenue par quelques pointes ou clous ; alors on commence à frotter le côté apparent avec un morceau de grès, en arrosant la planche avec de l'eau commune : on la polit ainsi le plus également qu'il est possible, en passant le grès fortement dans tous les sens, & en continuant de mouiller le cuivre & le grès, jusqu'à ce que cette premiere opération ait fait disparoître les marques des coups de marteau qu'on a imprimés sur la planche en la forgeant.

Lorsque ces marques ont disparu, ainsi que les pailles, les gersures, & les autres inégalités qui pourroient s'y rencontrer ; on substitue au grès la pierre-ponce bien choisie ; on s'en sert en frottant le cuivre comme on a déjà fait en tous sens, & en l'arrosant d'eau commune : l'on efface ainsi les raies que le grain trop inégal du grès a laissées sur la planche ; après quoi l'on se sert pour donner un poli plus fin, d'une pierre-ponce à aiguiser, qui pour l'ordinaire est de couleur d'ardoise, quoiqu'il s'en trouve quelquefois de couleur d'olive & de rouge. Enfin le charbon & le brunissoir achevent de faire disparoître de dessus la planche les plus petites inégalités.

Voici comme il faut s'y prendre pour préparer le charbon qu'on doit employer. Vous choisirez des charbons de bois de saule qui soient assez gros & pleins, qui n'ayent point de fente ni de gersure, & tels que ceux dont communément les Orfevres se servent pour souder. Vous ratisserez l'écorce de ces charbons, vous les rangerez ensemble dans le feu, vous les couvrirez ensuite d'autres charbons allumés & de quantité de cendre rouge ; desorte qu'ils puissent demeurer sans communication avec l'air, pendant environ une heure & demie, & que le feu les ayant entierement pénétrés, il n'y reste aucune vapeur. Lorsque vous jugerez qu'ils seront en cet état, vous les plongerez dans l'eau & les laisserez refroidir.

Vous frotterez la planche qui a déjà été unie par le grès, la pierre-ponce, la pierre à aiguiser, avec un charbon préparé, comme je viens de le dire, en arrosant d'eau commune & le cuivre & le charbon, jusqu'à ce que vous ayez fait disparoître ainsi les marques que peuvent avoir laissées les pierres différentes dont j'ai indiqué l'usage. Il faut remarquer que quelquefois il arrive qu'un charbon glisse sur le cuivre sans le mordre, & par conséquent sans le polir ; il faut alors en choisir un autre qui soit plus propre à cette opération, & la répéter avec patience jusqu'à ce que le cuivre soit exempt des moindres raies & des plus petites inégalités apparentes. La derniere préparation qu'il peut recevoir, ou de la main de l'ouvrier en cuivre, ou de celle de l'artiste, c'est d'être bruni. On se sert pour cela d'un instrument qu'on nomme brunissoir. Cet instrument est d'acier : l'endroit par où l'on s'en sert pour donner le lustre à une planche, est extrêmement poli ; il a à-peu-près la forme d'un coeur, comme on peut le voir dans la Planche premiere ayant rapport à l'art du Graveur en cuivre, lettre A. Son épaisseur est de quelques lignes ; il se termine en pointe, & l'usage qu'on en fait après avoir répandu quelques gouttes d'huile sur le cuivre, est de le passer diagonalement sur toute la planche, en appuyant un peu fortement la main ; ce qui s'appelle brunir. C'est ainsi qu'on parvient à donner à la planche de cuivre un poli pareil à celui d'une glace de miroir, & qu'on fait disparoître les plus petites inégalités.

Lorsqu'on a mis en usage ces différens moyens, si l'on veut être assûré que l'on a réussi, il faut livrer la planche à un imprimeur en taille-douce, qui après l'avoir frottée de noir & essuyée, comme on a coûtume de faire, lorsque la planche est gravée, la fera passer sous la presse avec une feuille de papier blanc. Les inégalités les moins sensibles, s'il en reste quelques-unes, s'imprimeront sur le papier, & vous serez en état d'ôter à la planche les moindres défauts qu'elle pourroit avoir.

Je crois qu'après avoir instruit de la façon d'apprêter le cuivre, il faut commencer par les opérations qui servent à graver à l'eau-forte ; après quoi j'en viendrai à la maniere de graver au burin.

Pour parvenir à faire usage de l'eau-forte, il est nécessaire de couvrir la planche d'un vernis ; & voici les différentes manieres de composer les vernis dont on couvre les planches, comme je le dirai ensuite.

Il est de deux especes de vernis : on nomme l'un vernis dur, & l'autre vernis mou. Le premier par lequel je commencerai est d'un usage plus ancien. Voici sa composition.

Prenez cinq onces de poix greque, ou, à son défaut, de la poix grasse, autrement poix de Bourgogne ; cinq onces de résine de Tyr ou colophone ; à son défaut, de la résine commune : faites fondre ce mélange ensemble sur un feu médiocre, dans un pot de terre neuf, bien plombé, vernissé, & bien net. Ces deux ingrédiens étant fondus & bien mêlés ensemble, mettez-y quatre onces de bonne huile de noix, ou d'huile de lin ; mêlez bien le tout sur le feu durant une bonne demi-heure ; puis laissez cuire ce mélange jusqu'à ce qu'en ayant mis refroidir, & le touchant avec le doigt, il file comme un sirop bien gluant : alors retirez le vernis de dessus le feu ; & lorsqu'il sera un peu refroidi, passez-le à-travers d'un linge neuf, dans quelque vase de fayence ou de terre bien plombé ; vous le serrerez ensuite dans une bouteille de verre épais, ou dans quelqu'autre vase qui ne s'imbibe pas, & que l'on puisse bien boucher : le vernis se gardera alors vingt ans, & n'en sera que meilleur.

Voilà la composition du vernis dur tel que Bosse le donne, & tel qu'il s'en servoit sans-doute. Voici celui dont se servoit Callot, & qu'on appelle vulgairement vernis de Florence.

Prenez un quarteron d'huile grasse bien claire & faite avec de bonne huile de lin, pareille à celle dont les Peintres se servent : faites-la chauffer dans un poëlon de terre vernissé & neuf : ensuite mettez-y un quarteron de mastic en larmes pulvérisé ; remuez bien le tout, jusqu'à ce qu'il soit fondu entierement. Passez alors toute la masse à-travers un linge fin & propre, dans une bouteille qui ait un cou assez large ; bouchez-la exactement pour que le vernis se conserve mieux.

Je crois qu'après avoir donné la composition du vernis dur, il est à-propos de dire la maniere d'appliquer ce vernis dur sur la planche de cuivre.

La planche ayant été forgée, polie & lustrée comme je l'ai dit ci-dessus, il faut encore prendre soin d'ôter de sa surface la moindre impression grasse qui pourroit s'y rencontrer ; pour cela vous la frotterez avec une mie de pain, un linge sec, ou bien avec un peu de blanc d'Espagne mis en poudre, & un morceau de peau ; vous aurez soin sur-tout de ne pas passer les doigts & la main sur le poli du cuivre, lorsque vous serez au moment d'appliquer le vernis. Pour l'appliquer sur la planche, vous l'exposerez sur un réchaud dans lequel il y ait un feu médiocre ; lorsque le cuivre sera un peu échauffé, vous le retirerez ; & trempant alors dans le vase où vous conservez votre vernis, une petite plume, un petit bâton, ou une paille, vous poserez du vernis sur la planche en assez d'endroits, pour que vous puissiez ensuite l'étendre par-tout & l'en couvrir ; au reste il faut remarquer que la façon ancienne dont Bosse fait mention pour étendre ce vernis, au moyen de la paume de la main, est sujet à inconvénient, soit à cause de la transpiration de la main, soit parce qu'il est difficile de l'étendre avec une grande égalité. Je crois donc qu'il vaut mieux (& j'en parle par expérience) se servir de tampons faits avec de petits morceaux de taffetas neuf, dans lesquels on renferme un morceau de coton qui soit neuf aussi. Lorsqu'on s'est muni de quelques tampons proportionnés à la grandeur de la planche qu'on veut vernir, on frappe doucement sur les endroits de la planche où l'on a mis du vernis ; on l'étend ainsi par-tout avec égalité ; & l'on doit surtout prendre garde qu'il n'y en ait une trop grande épaisseur, parce qu'il seroit plus difficile de le faire cuire, & de graver ensuite. Ce vernis, qui est fort transparent, pourroit aisément mettre dans l'erreur ceux qui s'en serviroient sans le connoître : il ne faut donc pas s'attendre à voir facilement si le vernis a la juste épaisseur qui lui convient ; mais j'avertis que lorsqu'il semblera qu'il n'y en a point du tout, pour ainsi dire, il y en aura encore assez. Je me suis servi avec succès d'un moyen pour l'unir parfaitement : le voici. J'ai coupé des morceaux de papier blanc fin & lisse, à-peu-près de la grandeur de la planche ; & les passant avec la paume de la main legerement sur la planche où j'avois étendu le vernis à l'aide des tampons dont j'ai parlé, je suis parvenu ainsi à rendre ma couche de vernis égale, & aussi peu épaisse qu'on peut le desirer.

Cette opération faite, il faut donner au vernis par le moyen du feu le degré de consistance, qui lui fait donner le nom de vernis d'or ; mais auparavant il faut le noircir, pour qu'il soit plus facile d'appercevoir les traits qu'on forme avec les instrumens qui servent à graver.

Pour noircir le vernis, vous vous servirez de plusieurs bouts de bougie jaune que vous assemblerez, afin qu'étant allumés, il en résulte une fumée grasse & épaisse. Cela fait, vous attacherez au bord de votre planche un, deux, trois ou quatre étaux, suivant la grandeur de la planche & la difficulté de la manier. Ces étaux qui pour plus de commodité peuvent avoir des manches de fer propres à les tenir, vous donneront la facilité d'exposer le côté de la planche que vous avez vernie à la fumée des bougies, comme vous verrez fig. 1. de la Planche qui a rapport à la gravure sur cuivre. Vous aurez attention de promener continuellement ou la planche ou les bougies, pour que la flamme ne fasse pas trop d'impression sur quelque endroit de la planche ; ce qui pourroit brûler le vernis. Il faut aussi ne pas trop approcher le vernis de la meche, ou même de la flamme. L'usage indiquera le juste milieu qu'il faut observer. Le point où il faut arriver, est de rendre la planche d'un noir égal & exempt de transparence, sans que le vernis soit brûlé dans aucun endroit.

Venons au moyen de sécher, de cuire, & durcir le vernis à l'aide du feu. Il faut allumer une quantité de charbon proportionnée à la grandeur de la planche ; vous formerez avec ces charbons, dans un endroit qui soit sur-tout à l'abri de la poussiere, un brasier dont l'étendue excede de quelque chose la planche en tous sens ; vous aurez encore attention de mettre fort peu de charbons dans le milieu, parce que la chaleur se concentrera assez, & qu'il faut plus de tems pour cuire les bords de la planche : lorsque ces précautions seront prises, vous exposerez votre planche sur ce brasier, à l'aide de deux petits chenets faits exprès, ou de deux étaux, avec lesquels vous la tiendrez suspendue à quelques pouces du feu. On doit comprendre que le côté de la planche sur lequel est appliqué le vernis, n'est pas celui qui doit être tourné vers le brasier, il se trouvera dessus ; & pour éviter qu'il n'y tombe d'atomes de poussiere, ce qui est très-essentiel, vous étendrez un linge qui vous garantira de ces petits accidens. Lorsqu'après l'espace de quelques minutes, vous verrez votre planche jetter de la fumée, vous vous tiendrez prêt à la retirer ; & pour ne pas risquer de le faire trop tard, ce qui pourroit arriver si l'on attendoit qu'elle ne rendit plus de fumée du tout, vous éprouverez en touchant le vernis avec un petit bâton, s'il résiste ou s'il cede au petit frottement que vous lui ferez éprouver ; s'il s'attache au bâton, & s'il quitte le cuivre, il n'est pas encore durci ; s'il fait résistance, & s'il ne s'attache point au bâton, vous le retirerez ; & si par hasard vous avez tardé un peu trop long-tems, & que vous craigniez qu'il ne soit un peu trop cuit, vous arroserez le derriere de la planche avec de l'eau fraîche ; parce que la chaleur que le cuivre retient assez long-tems après avoir été séparé du feu, donneroit au vernis un trop grand degré de cuisson ; il seroit alors difficile à travailler, & s'écailleroit.

Je vais à-présent parler du vernis mou ; après quoi je donnerai les moyens de transmettre un dessein sur le vernis, & ensuite de le graver.

Voici différentes compositions du vernis mou.

Composition du vernis mou suivant Bosse. Prenez une once & demie de cire vierge bien blanche & nette, une once de mastic en larmes pur & net, une demi-once de spalt calciné ; broyez bien le mastic & le spalt ; faites fondre au feu votre cire dans un pot de terre bien plombé & verni par-dedans ; quand elle sera entierement fondue & bien chaude, vous la saupoudrerez de ce mastic peu-à-peu, afin qu'il fonde & qu'il se mêle. Vous remuerez le tout avec un petit bâton. Ensuite vous saupoudrerez ce mélange avec le spalt, comme vous avez fait la cire avec le mastic, en remuant encore le tout sur le feu jusqu'à-ce que le spalt soit bien fondu & mêlé avec le reste, c'est-à-dire environ la moitié d'un demi-quart-d'heure ; puis vous l'ôterez du feu & le laisserez refroidir. Ayant ensuite mis de l'eau claire dans un plat, vous y verserez le vernis, & vous le pétrirez avec vos mains dans cette eau ; vous en formerez ainsi de petites boules, que vous envelopperez dans du taffetas pour servir comme je le dirai.

Je passe sous silence les différentes combinaisons qu'on peut faire des ingrédiens avec lesquels cette sorte de vernis peut se composer ; vous en trouverez plusieurs décrites dans le livre de Bosse, de l'édition de 1745. Voici seulement une façon de le composer qui me paroît une des meilleures, après avoir éprouvé toutes les autres.

Faites fondre dans un vase neuf de terre vernie deux onces de cire vierge, demi-once de poix noire, & demi-once de poix de Bourgogne. Il faut y ajoûter peu-à-peu deux onces de spalt, que l'on aura réduit en poudre très-fine. Laissez cuire le tout jusqu'à-ce qu'en ayant fait tomber une goutte sur une assiette, cette goutte étant bien refroidie puisse se rompre en la pliant trois ou quatre fois entre les doigts : alors le vernis est assez cuit, il faut le retirer du feu, le laisser refroidir un peu, puis le verser dans de l'eau tiede, afin de pouvoir le manier facilement, & en faire de petites boules que l'on enveloppera dans du taffetas neuf pour s'en servir.

Il y a quelques observations à faire, qui serviront dans les différens procédés qu'on employera pour la composition du vernis.

1°. Il faut prendre garde que le feu ne soit pas trop violent, de crainte que les ingrédiens dont on se sert ne brûlent.

2°. Pendant qu'on employe le spalt, & même après l'avoir employé, il faut remuer le mélange continuellement avec une spatule ou un petit morceau de bois.

3°. L'eau dans laquelle on versera la composition doit être à-peu-près du même degré de chaleur que les drogues qu'on y verse.

4°. Il faut faire ensorte que le vernis soit plus dur, pour s'en servir en été, que pour l'employer en hyver. On parviendra à le rendre plus ferme, en lui donnant un plus grand degré de cuisson, ou en mettant une plus forte dose de spalt, ou un peu de poix-résine.

La maniere d'appliquer ce vernis sur la planche, differe un peu de la maniere d'appliquer le vernis dur.

J'ai dit à la fin de la préparation que je viens de donner, que lorsque le vernis est assez cuit, il faut le retirer du feu, le laisser refroidir un peu, puis le verser dans de l'eau tiede, afin de pouvoir le manier facilement & en faire de petites boules que l'on enveloppera dans du taffetas neuf pour s'en servir. Vous tiendrez au moyen d'un étau votre planche sur un réchaud, dans lequel il y aura un feu médiocre ; vous lui donnerez une chaleur modérée ; & passant alors le morceau de taffetas dans lequel est enfermée la boule de vernis que vous avez pétrie sur la planche en divers sens, la chaleur fera fondre doucement le vernis, qui se faisant jour au-travers du taffetas, se répandra legerement sur la surface du cuivre. Lorsque vous croirez qu'il y en a suffisamment, vous vous servirez d'un tampon fait avec du coton enfermé dans du taffetas ; & frappant doucement dans toute l'étendue de la planche, vous porterez par ce moyen le vernis dans les endroits où il n'y en aura pas, & vous ôterez ce qu'il y en a de trop dans les endroits où il sera trop abondant. Il faut avoir une grande attention qu'il n'y ait pas trop de vernis sur les planches, & qu'il y soit également répandu ; le travail de la pointe en devient plus fin & plus facile.

Pour cela, vous retirerez à-propos votre planche de dessus le feu (tandis que vous vous servirez du tampon), & l'y remettrez s'il est nécessaire ; parce que si le vernis devient trop chaud, il brûle & se calcine dans les endroits où il est atteint d'une chaleur trop vive : si, au contraire, il est trop peu chaud, le tampon que vous appuyez legerement l'enleve ; & laisse des parties de la planche à découvert.

Lorsque cette opération est faite, vous remettez un instant votre planche sur le réchaud ; & lorsque le vernis a pris une chaleur égale qui le rend luisant par-tout, vous vous servez, ainsi que pour le vernis dur, des morceaux de bougie jaune, à la fumée desquels vous noircissez votre planche avec les attentions que j'ai prescrites ; après quoi vous laissez bien refroidir la planche dans un endroit qui soit à l'abri de la poussiere, pour vous en servir comme je vais le dire.

Voici donc la planche qu'on destine à la gravure, forgée, polie, vernie, soit au vernis dur, soit au vernis mou, & noircie, ensorte qu'elle ne semble plus un morceau de cuivre, mais une surface noire & unie, sur laquelle il s'agit de tracer le dessein qu'on veut graver.

La façon la plus ordinaire de transmettre sur le vernis les traits du dessein qu'on doit graver, est de frotter ce dessein par-derriere avec de la sanguine mise en poudre très-fine, ou de la mine de plomb. Lorsqu'on a ainsi rougi ou noirci l'envers du dessein, de maniere cependant qu'il n'y ait pas trop de cette poudre dont on s'est servi, on l'applique sur le vernis par le côté qui est rouge ou noir ; on l'y maintient avec un peu de cire qu'on met aux quatre coins du dessein : ensuite on passe avec une pointe d'argent ou d'acier qui ne soit pas coupante, quoique fine, sur tous les traits qu'on veut transmettre, & ils se dessinent ainsi sur le vernis. Après quoi on ôte le dessein ; & pour empêcher que ces traits legers qu'on a tracés en calquant ne s'effacent lorsque l'on appuie la main sur le vernis en gravant, on expose la planche un instant sur un feu presque éteint, ou sur du papier enflammé, & on la retire dès qu'on s'apperçoit que le vernis rendu un peu humide, a pu imbiber le trait du calque.

Cette façon de calquer la plus commune & la plus facile a un inconvénient ; les objets dessinés ainsi sur la planche & gravés, se trouveront dans les estampes qu'on imprimera, placés d'une façon contraire à celle dont ils étoient disposés dans le dessein : il paroîtra par conséquent dans les estampes que les figures feront de la main gauche les actions qu'elles sembloient faire de la main droite dans le dessein qu'on a calqué, & quel que soit cet inconvénient, il est si desagréable ou si nuisible à l'usage qu'on attend de la gravure, qu'il faut absolument le surmonter. Voici les différens moyens qu'on a pour cela. 1°. Si le dessein original est fait avec la sanguine ou la mine de plomb, il faut, au moyen de la presse à imprimer les estampes, en tirer une contre-épreuve, c'est-à-dire, transmettre un trait ou une empreinte de l'original sur un papier blanc, en faisant passer le dessein & le papier qu'on a posé dessus, sous la presse, comme on le dira à l'article de l'IMPRESSION DES ESTAMPES ; alors on a une représentation du dessein original dans un sens contraire. En faisant ensuite à l'égard de cette contre-épreuve ce que j'ai prescrit tout-à-l'heure pour le dessein même, c'est-à-dire en calquant la contre-épreuve sur la planche, les épreuves qu'on tirera de cette planche lorsqu'elle sera gravée, offriront les objets placés du même sens qu'ils le sont sur l'original.

Si le dessein n'est pas fait à la sanguine ou à la mine de plomb, & qu'il soit lavé, dessiné à l'encre, ou peint, il faut user d'un autre moyen que voici. Prenez du papier fin vernis, avec l'esprit de térébenthine, ou le vernis de Venise, qui sert à vernir les tableaux ; appliquez ce papier, qui doit être sec & qui est extraordinairement transparent, sur le dessein ou sur le tableau : dessinez alors les objets que vous voyez au-travers avec le crayon ou l'encre de la Chine. Ensuite ôtant votre papier de dessus l'original, retournez-le ; les traits que vous aurez formés & que vous verrez au-travers, y paroîtront disposés d'une façon contraire à ce qu'ils sont dans l'original ; appliquez sur la planche le côté du papier sur lequel vous avez dessiné ; mettez entre ce papier vernis & la planche, une feuille de papier blanc, dont le côté qui touche à la planche soit frotté de sanguine ou de mine de plomb ; assûrez vos deux papiers avec de la cire, pour qu'ils ne varient pas ; & calquez avec la pointe, en appuyant un peu plus que vous ne feriez s'il n'y avoit qu'un seul papier sur la planche ; vous aurez un calque tel qu'il faut qu'il soit pour que l'estampe rende les objets disposés comme ils le sont sur le dessein.

Je dois ajoûter ici que pour vous conduire dans l'exécution de la planche, il vous faudra consulter la contre-épreuve, ou le dessein que vous aurez fait ; & que si vous voulez, pour une plus grande exactitude, vous servir du dessein ou du tableau original, il faut le placer de maniere que se réfléchissant dans un miroir, le miroir qui devient votre guide, vous présente les objets du sens dont ils sont tracés sur votre planche.

Ces moyens que je viens d'indiquer, sont propres à préparer le trait lorsque l'on grave un dessein ou un tableau de la même grandeur qu'il est ; mais s'il est nécessaire, comme il arrive souvent, de diminuer ou d'augmenter la proportion des objets, il faut se servir des opérations indiquées aux mots GRATICULER ou REDUIRE.

La planche étant préparée au point qu'il ne s'agît plus que de graver, il est bon de donner une idée générale de l'opération à laquelle on veut parvenir, en gravant à l'eau-forte ; ensuite nous dirons de quels instrumens on se sert.

Le vernis dont on vient d'enduire la planche, est de telle nature que si vous versez de l'eau-forte dessus, elle ne produira aucun effet ; mais si vous découvrez le cuivre en quelqu'endroit, en enlevant ce vernis, l'eau-forte s'introduisant par ce moyen, rongera le cuivre dans cet endroit, le creusera, & ne cessera de le dissoudre, que lorsque vous l'en ôterez, ou qu'elle aura perdu & consumé sa qualité corrosive. Il s'agit donc de ne découvrir le cuivre que dans les endroits que l'on a dessein de creuser, & de livrer ces endroits à l'effet de l'eau-forte, en ne la laissant opérer qu'autant de tems qu'il en faut pour creuser, suivant votre intention, les endroits dont vous aurez ôté le vernis : vous vous servirez pour cela d'outils qu'on nomme pointes & échopes.

La façon de faire des pointes la plus facile est de choisir des aiguilles à coudre de différentes grosseurs, d'en armer de petits manches de bois de la grandeur d'environ cinq ou six pouces, & de les aiguiser au besoin & à son gré, pour les rendre plus ou moins fines, suivant l'usage qu'on en veut faire. On peut mettre à ces outils le degré de propreté qu'on juge à-propos ; on peut se servir de morceaux de burins, qui étant d'un très-bon acier, sont très-propres à faire des pointes ; & quant à la maniere de les monter, c'est ordinairement une virole de cuivre qui les unit au bois, au moyen d'un peu de mastic ou de cire d'Espagne. J'ai éprouvé que des morceaux de burins arrondis & enfoncés profondément dans un manche de bois assez gros pour faire l'effet d'un porte-crayon de cuivre, formoient de très-bonnes pointes ; la profondeur dont elles sont enfoncées supplée à la virole, & fait que lorsque vous voulez entamer le cuivre, & appuyer quelques touches, elles se prêtent à la force que vous y mettez sans se démancher. La façon de les aiguiser est de les passer sur une pierre fine à aiguiser, en les tournant sans-cesse entre les doigts pour les arrondir parfaitement. On sent aisément que l'on est le maître de leur rendre la pointe plus ou moins épaisse, suivant l'usage qu'on en veut faire. On appelle du nom de pointe en général, toutes ces sortes d'outils ; mais le nom d'échopes distingue celles des pointes dont on applatit un des côtés ; ensorte que l'extrêmité n'est pas parfaitement ronde, mais qu'il s'y trouve une espece de biseau, comme on peut le voir dans la Planche de la gravure sur cuivre, lettre B.

Avant que de parler de la maniere de se servir des pointes & des échopes, je vais prescrire quelques observations nécessaires pour conserver le vernis.

C'est sur-tout le vernis mou que ce soin doit regarder ; le vernis dur est à l'abri des petits accidens qu'il faut éviter ; il ne se raye pas aisément : il suffit d'envelopper la planche qui en est couverte, d'un papier, d'un linge, ou d'un morceau de peau, lorsque l'on ne travaille pas. Pour le vernis mou, le moindre frottement d'un corps tant-soit-peu dur l'enleve ; & l'on doit ou tenir la planche sur laquelle on s'en sert, enfermée dans un tiroir lorsqu'on ne grave pas ; ou bien enveloppée dans un linge fin, ou dans une peau fine. Il faut même, lorsqu'en gravant on appuie la main sur le vernis, le faire avec précaution ; au reste il y a des moyens de réparer les petits accidens qui peuvent y être arrivés, que je dirai avant que d'expliquer la maniere d'appliquer l'eau-forte : venons à la maniere de travailler avec les pointes sur le vernis.

Il est nécessaire premierement que l'artiste choisisse une place convenable pour y placer la table sur laquelle il doit graver. Cette place est l'embrasure d'une croisée qui ait un beau jour, & qui, s'il se peut, ne soit pas exposée au plein midi ; car le trop de jour pourroit être aussi nuisible à la vûe du graveur que l'obscurité. Pour modérer ce jour, il suspendra entre la fenêtre & lui un chassis garni de papier huilé ou vernis, comme il est marqué dans la fig. 3. de la Planche de la Gravure sur cuivre. Il se servira aussi pour plus de commodité d'un pupitre, dans lequel il enfermera la planche, pour la mettre à l'abri de tout accident, lorsqu'il n'y travaillera pas. Il y a eu des graveurs qui se sont servis d'un chevalet de peintre, & qui à l'aide de l'appuie-main, ont exécuté leurs ouvrages de la même façon qu'on peint un tableau ; cette pratique est, je crois, infiniment moins préjudiciable à la santé, que l'attitude courbée qu'on a ordinairement en gravant ; mais il est difficile de s'y faire & d'y accoûtumer la main : c'est à l'artiste à éprouver & à choisir ; & je crois nécessaire de recommander aux Artistes d'essayer toûjours avec soin & réflexion tout ce qui a été pratiqué avant eux ; c'est le moyen d'étendre un art & de rencontrer soi-même des découvertes neuves ; d'ailleurs telle pratique convient au caractere, au tempérament, au génie, & au goût d'un artiste, qui en peut tirer un parti que nul n'a pu en tirer avant lui.

Venons à l'opération de graver : j'ai fait sentir au mot ESTAMPE, que graver est en quelque façon dessiner & peindre ; ainsi plus le graveur sera instruit des principes théoriques de la Peinture & de la pratique de cet art, plus il lui sera facile d'en faire une juste application. Il faut au moins indispensablement que le graveur sache bien dessiner, & qu'il s'entretienne toûjours dans l'habitude du dessein au crayon d'après la bosse & d'après la nature. Ces conditions supposées, le graveur ayant calqué comme je l'ai dit sur sa planche le dessein qu'il veut exécuter, il se servira de ses pointes, pour en rendre l'effet par des hachures plus ou moins fortes, c'est-à-dire plus fines & plus grosses. Les regles de la perspective aérienne & la réflexion qu'il fera sur l'effet que produisent les corps en raison de leur éloignement, le conduiront aisément à se servir des pointes les plus fines dans les plans éloignés, & des pointes les plus fortes pour les premiers plans. Il s'agira donc d'ombrer par le moyen des hachures qu'il formera sur sa planche, en enlevant le vernis avec ses pointes, les objets que lui présente son dessein. Je remarquerai pour ceux qui n'ont jamais gravé, qu'il y a pour s'y habituer une petite difficulté à surmonter : elle consiste en ce que lorsqu'on dessine sur le papier blanc, les hachures qu'on forme se trouvent opposées à la blancheur du fond par une couleur brune, foncée, ou noire ; au lieu que les hachures que produisent les pointes en découvrant le vernis qui est très-noir, sont claires & brillantes : ensorte que cette opposition est absolument différente de celle que produit le dessein. Au reste, on s'accoûtume aisément à cette difference ; & l'on se fait à imaginer que ce qui est le plus clair & le plus brillant sur la planche vernie, deviendra le plus noir sur l'estampe. Revenons à quelques-uns des principes de cet art : j'ai dit que l'on y parvenoit à une juste dégradation par la différente grosseur des pointes qu'on employe. Mais l'on sent aisément que le travail doit concourir à produire les effets nécessaires à l'accord & à l'harmonie. Ce travail, c'est-à-dire le sens dans lequel on trace les hachures, doit être déterminé par l'étude de la nature comme dans le dessein ; & assez ordinairement si le dessein est bon, les hachures du crayon vous indiqueront celles des pointes. Ainsi le sens des muscles & le tissu de la peau pour les figures, seront les points dont vous partirez pour regler votre travail ; & voilà pourquoi il est essentiel qu'un graveur ait une grande habitude de dessiner. Sans cela la liberté que se donnent quelquefois les Artistes en dessinant, pourroit l'égarer. Cette réflexion me conduit naturellement à dire en passant un mot sur ce qui peut contribuer à la corruption de cet art.

On ne connoissoit dans les premiers tems où on l'a exercé que la Gravure au burin, dont je donnerai le détail. La longueur du travail du burin, & l'avantage de la découverte & de la promtitude d'un nouveau moyen, contribuerent à rendre la façon de graver à l'eau-forte plus générale & plus commune ; cependant on commença par soûmettre cette nouvelle pratique à une imitation servile des effets du burin : c'étoit les premiers pas d'un art timide qui n'osoit s'écarter de celui à qui il devoit la naissance ; mais cette subordination dura peu : la gravure à l'eau-forte prit l'essor & se chargea de faire les trois quarts des ouvrages qu'elle entreprenoit, laissant au burin le soin de leur donner un peu plus de propreté, d'accord, & de perfection. Elle ne se borna pas-là ; elle hasarda d'exécuter d'une façon libre des ouvrages entiers ; elle se débarrassa du joug que lui avoit imposé le burin ; les regles qu'on avoit établies n'y furent plus des lois auxquelles on ne pouvoit se dispenser de se soûmettre ; d'habiles artistes en promenant au hasard la pointe sur le vernis, formerent des croquis pleins d'esprit & de feu, mais fort incorrects & d'un travail fort peu agréable. Un nombre infini de graveurs de tous états s'éleverent, & crurent qu'il suffisoit de calquer un dessein ou un tableau sur le cuivre, d'en former un trait peu correct, de le couvrir de hachures arbitraires, & de laisser à l'eau-forte le soin d'achever ces ouvrages imparfaits, dont nous sommes inondés aujourd'hui. Mais si l'art de la Gravure a perdu, & perd ainsi tous les jours du mérite savant qu'elle a eu dans les tems où on l'exerçoit avec plus de reserve, de soins, & de réflexions ; cette espece d'abus qu'on en fait a son utilité pour la communication générale des Arts & des connoissances. Il n'est point d'ouvrage sur ces matieres, où les idées un peu compliquées ne soient éclaircies par des figures gravées, qui font entendre ce qu'on auroit souvent de la peine à comprendre sans cela. Ces figures le plus souvent très-imparfaites du côté de l'art, ne servent pas moins à la fin pour laquelle on les employe : l'art de la Gravure est donc devenu moins parfait, mais plus utile aux hommes.

Voici quelques-unes des regles que Bosse nous a transmises, & desquelles on peut supprimer, ou auxquelles on peut ajoûter, pourvû que ce soit d'après des travaux raisonnés, & qu'on ait toûjours en vûe l'imitation de la nature, & l'application des vrais principes de la Peinture & du Dessein. J'ai dit que la premiere taille ou le premier rang de hachures qu'on trace avec la pointe sur le vernis doit suivre le sens des hachures du dessein, ou de la brosse & du pinceau, si c'est d'après un tableau qu'on grave : mais ce premier rang de hachures n'est pas suffisant pour parvenir à l'effet d'une planche ; il est d'usage de passer sur ces premieres tailles un second, & quelquefois un troisieme, & même un quatrieme rang de traits qui se croisent en différens sens. Les secondes tailles doivent concourir avec les premieres à assûrer les formes, à fortifier les ombres, & à décider les figures ou les objets qu'on grave ; mais comme dès les premieres tailles, on a dû épargner les reflets & les demi-teintes, les secondes doivent ménager de même les parties qui doivent être moins colorées. Si l'ombre se trouve très-forte & le reflet aussi, les deux tailles de l'ombre doivent être faites avec une pointe molle & forte, & ces deux mêmes tailles seront continuées dans les reflets par des pointes plus fines dans le même genre de travail.

On doit observer de faire la premiere taille forte, nourrie, & serrée ; la seconde un peu plus déliée & plus écartée, & la troisieme encore plus fine. La raison de cela est, que la premiere étant celle qui indique le sens des muscles & de la peau, doit être celle qui domine ; les autres ne sont ajoûtées que pour colorer davantage les figures ou les corps sur lesquels on les employe. L'une dessine, les autres peignent ; la premiere est faite pour imiter les formes, les autres pour répandre sur ces formes l'effet juste du clair obscur. Si la premiere & la seconde taille forment en se croisant des quarrés, la troisieme doit former des losanges sur l'une des deux ; ou si les deux premieres sont en losange, la troisieme sera quarrée.

On doit se servir rarement de troisieme hachure à l'eau-forte, lorsqu'on se réserve de retoucher la planche au burin, parce qu'on laisse cette troisieme pour ajoûter, par le moyen du burin, la couleur qui peut manquer, & la propreté qu'on veut donner à l'ouvrage.

Le genre de travail que l'on employe doit, comme on le sentira aisément, avoir rapport à la nature des objets qu'on grave. Cette espece de convention contribue beaucoup à l'effet que produit la Gravure ; ainsi on a remarqué que les traits doublés qui forment des quarrés, c'est-à-dire qui se croisent perpendiculairement, produiroient à la vûe un travail plus dur & moins agréable à l'oeil, que les traits qui se coupent en formant des losanges ou des demi-losanges. On a donné la préférence à ce dernier travail, pour représenter des corps délicats, tels que ceux des femmes, des enfans, des jeunes hommes ; & l'on s'est éloigné plus ou moins de cette combinaison de tailles à-proportion de l'austérité qu'on desiroit dans les travaux qu'on vouloit employer. Quelques artistes ont trouvé que dans les figures qui ne demandoient pas une grande vigueur de couleur, on pouvoit hardiment se servir du grand losange ; mais qu'il devenoit embarrassant, lorsqu'il faut rendre les tons plus colorés. Au reste il est des artistes qui sans s'astreindre à ces regles, ont fait de très-belles estampes, ce qui ne prouve pas qu'elles soient inutiles, mais seulement qu'il ne faut s'en affranchir qu'autant qu'on est sûr de réussir sans leurs secours. Les plus beaux exemples de ces pratiques, dont je viens de rendre compte, sont les estampes de Corneille Vischer.

Les draperies exigent du graveur une infinité de combinaisons & d'attentions dans le travail qui varie, suivant la nature des étoffes, le mouvement des plis & le plan des figures. En général il faut, comme dans les chairs, que la premiere taille dessine la forme & le mouvement du pli ; mais si la continuation de cette taille dans le pli qui suit, n'est pas propre, comme cela doit arriver souvent, à en exprimer le juste caractere, il faut la destiner à servir de seconde ou de troisieme même, en subordonnant cette taille à celle que vous lui substituez. Cette combinaison qui demande du soin & de l'habitude, donnera à votre travail une aisance & une justesse qui charmeront l'oeil. Une seconde observation est, qu'il faut éviter que ces tailles dont vous vous servez, & qui vont se terminer au contour des membres nuds, ou des autres corps qui se touchent, tombent à angles droits sur ces contours ; mais il faut que ces hachures se perdent avec eux d'une maniere insensible & douce. En général, les hachures des draperies doivent former des traits ondoyans, & éviter d'être roides & gênées ; elles doivent s'unir par les moyens dont j'ai parlé, de maniere que dans l'ouvrage les objets se détachent principalement par l'effet des ombres & des jours.

Les clairs & les demi-teintes exigent dans la Gravure, ainsi que dans le Dessein, une propreté de travail extrême : on aura donc soin de varier les pointes, & de se servir dans cette occasion de celles qui sont plus fines. Les ombres qui demandent à être solides, & qui représentent l'effet de la privation de la lumiere, admettent un travail ferme, &, pour ainsi dire, plus rempli d'accidens & d'inégalités ; mais les demi-teintes & les reflets qui participent de la lumiere, doivent être exécutés avec une attention d'autant plus grande, que lorsque les objets sont clairs, on doit mieux en distinguer les formes & les détails. Sur les grandes lumieres les travaux ne peuvent être ou trop ménagés, ou faits avec trop de legereté, & avec cette propreté qui flatte l'oeil. Les tailles doivent être écartées les unes des autres ; & si l'on a dessein de terminer l'ouvrage à la pointe, c'est alors que le travail de cet outil doit tendre à imiter la netteté du burin. Pour les planches qu'on destine à être retouchées au burin, il faut y reserver le travail dont je viens de parler ; parce qu'on est plus maître de donner avec le burin ce degré juste de netteté qui doit faire valoir l'ouvrage. Les linges & les étoffes fines doivent se préparer à une seule taille propre ; il faut laisser au burin à les terminer par des secondes tailles legeres & mises à-propos. Puisqu'il est question de cette propreté qu'on doit chercher, sans la pousser trop loin, je vais me permettre quelques réflexions qui viennent à-propos.

Il en doit être de l'art de la Gravure, comme de tous les autres Arts. Les principes généraux que les réflexions ont établis, embrassent un art en général : ces principes se restraignent ensuite, & se soûmettent à des exceptions & à des modifications qu'exigent les différens genres de productions de l'art qui les a adoptés : il seroit donc injuste de vouloir que dans la Gravure tous les ouvrages fussent soûmis indispensablement aux principes que je viens de donner. Parcourons legerement les classes principales des ouvrages de caracteres différens, auxquels la Gravure s'employe. Son usage le plus commun & le plus relatif à la Peinture, est de multiplier les idées de composition des tableaux des bons artistes, & les effets du clair-obscur de ces compositions. Il y a des tableaux de différens genres ; par conséquent il doit y avoir différens genres de Gravure pour les imiter. L'histoire est l'objet principal de la Peinture ; on peut exiger, pour qu'elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent ; que le beau fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l'effet, & à la justesse de l'expression : un tableau de cette espece, s'il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l'estampe par toutes les parties de la Gravure. Le burin le plus fier, le plus propre, le plus varié, le plus savant, sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l'eau-forte donneroit trop au hasard, & je crois qu'elle nuiroit à la beauté de l'exécution. Si un tableau moins parfait offroit une composition pleine de feu, d'expression, & en même tems un faire moins terminé, & un accord moins exact, je crois que le graveur qui employeroit l'eau-forte pour rendre le feu de l'expression qui domine dans l'ouvrage, & qui retouchant au burin ajoûteroit à son ouvrage le degré d'harmonie que contient son original, rempliroit les vûes de la Gravure. Enfin un tableau dont le mérite consisteroit plus dans le beau faire & dans l'harmonie, que dans l'expression & la force, doit recevoir en Gravure la plus grande partie de la vérité de son imitation, d'un burin bien conduit, & dont le beau travail répondra au précieux méchanisme du pinceau & à la fonte des couleurs.

Le portrait est un second genre de Gravure, d'un usage aussi grand & peut-être plus multiplié encore que le premier. Ce genre de Gravure doit suivre à-peu-près les mêmes regles que je viens d'établir. Les tableaux d'après lesquels on grave les portraits, doivent inspirer au graveur habile le méchanisme dont il doit se servir, à-moins que par une application différente des moyens qu'il employe, il ne les proportionne en quelque sorte à l'état, au sexe, à l'âge & à la figure des personnages dont il transmet la ressemblance. La jeunesse & les graces du sexe demandent une propreté de travail & une douceur dans l'arrangement des tailles, qui sied moins à la vieillesse ou au caractere austere d'un guerrier. Cette réflexion m'a souvent frappé, lorsqu' admirant les précieux ouvrages des Drevets & des Edelinks, j'ai vû un magistrat âgé, ou un guerrier, dont la représentation m'offroit quelque chose d'efféminé, que j'ai cru être l'effet d'une trop grande uniformité de travail, & de ce qu'on appelle un trop beau burin. Au reste je ne prétends pas que cette réflexion soit prise à la rigueur, & je la soûmets à ceux des artistes qui auront assez exercé leur art & assez refléchi, pour la modifier comme elle doit l'être.

Le paysage, sous le nom duquel je comprendrai, pour ne pas être trop long, tous les autres genres particuliers, peut se livrer à plus de liberté, & par conséquent l'eau-forte y peut être employée avec succès, mais toûjours avec un rapport juste au caractere du tableau qu'on grave, ou à la nature des objets qu'on représente. Je n'ai en vûe dans tout ce que je dis ici, que les ouvrages de Gravure auxquels on cherche à donner un juste degré de perfection ; car pour les gravures qui sont l'ouvrage des Peintres, il seroit injuste de leur fixer aucune regle, ce sont des délassemens pour eux ; & la pointe en s'égarant même entre leurs mains, porte toûjours l'empreinte du génie des artistes qui la font obéir à leur caprice. Je passe aussi sous silence les gravures multipliées des amateurs ; ce sont des amusemens qui servent à les instruire : il en est peu qui puissent aspirer à un degré de perfection, pour lequel un travail assidu, constant & suivi pendant un grand nombre d'années, est à peine suffisant.

Je reviens aux préceptes de Bosse, dont je donne l'extrait raisonné. Indépendamment des hachures simples, de celles qui se croisent, soit en formant des quarrés, soit en formant des losanges, il y a encore une sorte de travail dont on se sert dans différentes occasions. Ce travail se fait en formant des points séparés les uns des autres, & ces points peuvent être ou totalement ronds, ou ronds par un côté, & un peu allongés par l'autre ; ils peuvent être longs, droits, ou tremblotés. L'usage est de se servir de points ronds à l'eau-forte, & on les employe pour donner aux chairs un caractere délicat qui fasse naître une idée des pores & du tissu de la peau. Ce travail, ainsi que ceux dont j'ai déjà parlé, est subordonné au goût & aux réflexions du graveur. L'usage excessif des points, rend le travail mou & peu brillant ; celui des tailles seules pour représenter des chairs, est trop austere ; un mélange judicieux de ces deux especes de travaux, donnera à la gravure à l'eau-forte un degré d'agrément auquel elle peut tendre.

Il est nécessaire d'arranger avec beaucoup de soin les points qu'on place avec la pointe ; les petits hasards de l'eau-forte les dérangeront assez. L'usage est d'en faire des rangs dans le sens dont on auroit fait des tailles, dans l'endroit où on les employe. Ceux du second rang se placent de maniere qu'ils se trouvent au-dessous ou au-dessus de l'intervalle qui est entre chacun des premiers ; ils servent aussi de continuation aux hachures, en approchant des clairs dans lesquels ils se perdent, en les diminuant à mesure que l'on approche des grandes lumieres.

Je reviens encore, avec Bosse, aux tailles, comme au principal objet du travail de la Gravure. Un effet de la dégradation qu'éprouvent les objets dans l'éloignement, est que les détails de ces objets s'apperçoivent moins : c'est cette raison qui a dicté le précepte de serrer les tailles, en même tems qu'on les rend plus fines dans les plans éloignés. Par cette même raison on détaillera moins, à l'aide des hachures & des traits qui forment les contours, les différens objets dont on gravera la représentation, lorsqu'ils seront censés éloignés de l'oeil. On observera cette dégradation par plan, & ce soin donnera beaucoup d'effet aux planches : on changera donc de pointe à mesure que les objets approcheront de l'horison ; on serrera les tailles ; on détaillera moins les petites parties, & l'on gravera les grandes d'une façon un peu indécise, mais large, en ombrant par masses, comme on le peut voir dans les estampes de Gerard Audran, entr'autres dans l'estampe de Pyrrhus sauvé, qu'il a gravée d'après le Poussin, & dans laquelle il a rendu d'une maniere excellente la touche large du pinceau dans les lointains & dans les fonds. L'art de l'imitation, dans la Peinture comme dans la Gravure, exige qu'on ne se livre à l'exactitude des détails que fort à-propos : c'est de-là que naît l'ensemble, l'unité, & l'effet des ouvrages. Un objet travaillé avec soin, dont toutes les parties sont rendues avec exactitude & recherche, est capable, avec le plus grand mérite d'exécution, de gâter & de détruire l'effet d'une composition. Savoir supprimer avec discernement en Peinture, & passer à propos sous silence dans l'art d'écrire, sont les moyens d'arriver à la perfection à laquelle doivent tendre ces différens arts.

C'est dans le paysage, comme je l'ai déjà indiqué, que l'on peut se permettre une plus grande liberté dans les différens travaux des hachures. Le travail libre, varié, les hachures tremblantes, interrompues, redoublées & confondues, donnent à ce genre de gravure un effet piquant, qui plaît extrêmement aux connoisseurs, aux artistes, & souvent aux amateurs, sans qu'ils en approfondissent trop la raison. Il en résulte qu'on abuse très-souvent de cette façon de travailler, qui n'exige, pour ainsi dire, aucune regle, & qui met ainsi fort à son aise celui qui s'y livre. L'illusion qu'on se fait, & le prétexte qu'offre à l'ignorance & à la paresse le mot de goût, pris dans un sens fort éloigné de celui qu'il doit avoir, produisent des paysages où les arbres, les fabriques, le ciel & les terreins sont d'un travail si brut & si égratigné, qu'on ne sent aucun plan, aucune forme, & aucun effet. Si cette maniere qu'on ose appeller graver de goût & avec esprit, continue à se répandre, elle achevera de corrompre cette partie de l'art de la Gravure. Il est une liberté que l'esprit & le goût véritables peuvent inspirer, mais qui a toûjours pour but de faire sentir au spectateur ou la forme des objets qu'on grave, ou leur effet de clair obscur, ou le caractere principal qui les distingue. Lorsqu'un graveur n'est affecté dans son travail d'aucun de ces objets, & qu'il ne met pas son art à les faire passer dans l'esprit de ceux qui voyent ses ouvrages, il en impose injustement ; & ce charlatanisme dont il colore son peu de talent, doit être puni par une juste évaluation de ses ouvrages.

Je n'entrerai pas dans un plus grand détail de principes pour la gravure à l'eau-forte. Les principes du dessein auxquels on peut recourir au mot DESSEIN, & une grande partie de ceux de la Peinture qui sont distribués dans les articles qui leur conviennent, doivent servir de supplément à celui-ci. Je vais reprendre le méchanisme de la gravure à l'eau-forte.

Les pointes dont on se sert & dont j'ai donné le détail, peuvent être de deux sortes, ou coupantes, ou émoussées. Celles qui sont coupantes sont particulierement destinées à graver au vernis dur, parce que ce vernis resisteroit trop aux pointes qui ne coupent pas. Lorsqu'on grave sur le vernis mou, on peut se servir des unes & des autres. L'inconvénient des pointes coupantes est de faire quelquefois des touches dures, parce que la pointe qui va en grossissant depuis le point qui la termine, ouvre le cuivre d'autant plus qu'elle s'y enfonce davantage ; ce qui produit des tailles trop noires, si elles ne sont pas accompagnées par d'autres tailles. On doit en général avoir grand soin dans la Gravure, d'éviter & dans les touches & dans toutes sortes de travaux, une certaine maigreur & sécheresse, que la finesse des outils dont on se sert doit occasionner. Je crois que les planches qui n'ont qu'une médiocre étendue, peuvent être gravées avec esprit & à l'aide des pointes coupantes ; qu'en général on doit mêler les pointes des deux especes, & que le juste emploi qu'on en fera répandra beaucoup de goût sur les ouvrages auxquels on les aura employées. L'échope est une pointe coupante qui, comme je l'ai dit, a une espece de biseau sur un des côtés de son extrémité, comme vous le verrez à la Planche I. de la gravure en taille-douce. Il en résulte que vous pouvez regarder l'échope comme une plume à écrire, dont l'ovale A B C D seroit l'ouverture, & la partie proche le C seroit le bout qui écrit. La maniere de tenir l'échope est aussi à-peu-près semblable à celle dont on tient la plume, à la reserve qu'au lieu que la taille, ou l'ouverture de la plume, est tournée vers le creux de la main, & que l'ovale ou la face de l'échope est d'ordinaire tournée vers le pouce, comme la figure le montre : ce n'est pas que l'on ne la puisse tourner & manier d'un autre sens ; mais la premiere maniere peut mériter la préférence, parce qu'elle est peut-être la plus commode, & qu'on a bien plus de force pour appuyer. C'est en s'esseyant & en s'exerçant, que l'on concevra facilement le moyen de faire avec l'échope des traits gros & profonds.

La figure A B C D représente la face ou l'ovale de l'échope : or si l'on pouvoit enfoncer le bout de cet outil dans le cuivre jusqu'à la ligne D B, qui est le point où l'ovale est le plus large, on feroit un trait dont la largeur seroit égale à la longueur de D B, & qui dans le milieu seroit creux ou profond de la longueur de O C. Si vous n'enfoncez pas votre échope dans le cuivre jusqu'aux points que j'ai désignés, vous pourrez faire un trait, tel que le représente la figure marquée par les lettres b, o, d, c.

Vous voyez par ces deux exemples, qu'en appuyant fort peu, le trait sera moins profond, & conséquemment plus large, comme sont les traits marqués dans la figure aux lettres r n s, où vous voyez qu'il faut commencer legerement par r, qu'il faut appuyer de plus en plus jusqu'à n, enfin qu'ayant rendu la main plus legere jusqu'à s, vous ferez un trait pareil à r n s. Il faut remarquer que pour que la figure soit plus intelligible, on a dessiné l'échope beaucoup plus grosse qu'elle ne doit être en effet.

Lorsque l'on veut rendre le commencement & la fin des hachures plus déliés, il faut avec une pointe reprendre l'extrémité de ces hachures, en appuyant un peu à l'endroit où l'on reprend, & en soûlevant doucement la main jusqu'à l'endroit où la hachure doit se perdre. Vous remarquerez qu'en tournant la planche suivant le sens dans lequel on veut travailler, on rendra cette manoeuvre plus facile. Ces remarques sur l'échope sont entierement tirées de l'ouvrage que j'ai cité. J'ai fait l'épreuve des pratiques qu'elles contiennent ; & je pense, ainsi que Bosse, qu'on peut en acquérant l'usage de cette espece de pointe, en tirer un très grand parti pour la variété des traits ; puisqu'en se servant de cet outil par le côté tranchant, on fera des traits d'une finesse extrême, & que le moindre mouvement des doigts donnera à ces traits une largeur plus ou moins grande : mais je préviendrai en même tems qu'il faut de l'adresse, de l'attention, & beaucoup d'habitude pour y habituer entierement la main : aussi y a-t-il peu d'artistes qui s'en servent uniquement. La maniere de gouverner l'échope servira aisément pour le maniement de la pointe ; ainsi je n'insisterai point là-dessus. Il faut avoir l'attention de tenir en général les pointes & les échopes le plus à-plomb qu'il est possible, & de les passer souvent sur la pierre à aiguiser, pour que leurs inégalités ne nuisent pas à la propreté du travail. Il est encore nécessaire de nettoyer votre vernis, & de n'y laisser aucune malpropreté : vous vous servirez pour cela ou des barbes d'une plume, ou d'un linge très-fin, ou d'une petite brosse douce qui sera faite exprès.

Il est tems de passer aux préparatifs nécessaires, avant de livrer la planche à l'eau-forte. Je suppose donc qu'on a tracé sur cette planche, en ôtant le vernis avec les pointes & les échopes, tout ce qui peut contribuer à rendre plus exactement le dessein ou le tableau qu'on a entrepris de graver : la planche étant dans cet état, il faut commencer par un examen qui tendra à connoître si le vernis ne se trouve pas égratigné dans des endroits où il ne doit pas l'être, soit par l'effet du hasard, soit parce qu'on a fait quelques faux traits. Lorsque vous aurez remarqué ces petits défauts, vous préparerez un mélange propre à les couvrir. Ce mélange se fait en mettant du noir de fumée en poudre dans du vernis de Venise (c'est celui dont on se sert pour vernir les tableaux) ; vous employerez ce mélange, après lui avoir donné assez de corps pour qu'il couvre les traits que vous voulez faire disparoître, avec des pinceaux à laver ou à peindre en mignature. Il est une autre mixtion nécessaire pour en enduire le derriere de la planche, qui sans cela seroit exposé sans nécessité à l'effet corrosif de l'eau-forte. En voici la composition.

Prenez une écuelle de terre plombée, mettez-y une portion d'huile d'olive, posez ladite écuelle sur le feu. Lorsque l'huile sera bien chaude, jettez-y du suif de chandelle : le moyen de savoir si le mélange est tel qu'il doit être, est d'en laisser tomber quelques gouttes sur un corps froid, tel qu'une planche de cuivre, par exemple ; si ces gouttes se figent de maniere qu'elles soient médiocrement fermes, le mélange est juste ; si elles sont trop fermes & cassantes, vous remettrez de l'huile ; si au contraire elles sont trop molles & qu'elles restent presque liquides, vous ajoûterez une petite dose de graisse. Lorsque la mixtion sera au degré convenable, vous ferez bien bouillir le tout ensemble l'espace d'une heure, afin que le suif & l'huile se lient & se mêlent bien ensemble. On se sert d'une brosse ou d'un gros pinceau pour employer cette mixtion ; & lorsqu'on veut en couvrir le derriere du cuivre, on la fait chauffer de maniere qu'elle soit liquide.

Ces précautions nécessaires que je viens d'indiquer, sont communes aux ouvrages dans lesquels on s'est servi du vernis dur, & ceux où le vernis mou a été employé : mais l'eau-forte dont on doit se servir, n'est pas la même pour l'un & l'autre de ces ouvrages. Commençons par l'eau-forte dont on se doit servir pour faire mordre les planches vernies au vernis dur.

Prenez trois pintes de vinaigre blanc, du meilleur & du plus fort ; six onces de sel commun, le plus net & le plus pur ; six onces de sel ammoniac clair, transparent, & qui soit aussi bien blanc & bien net ; quatre onces de verdet, qui soit sec & exempt de raclure de cuivre & de grappes de raisin avec lesquelles on le fabrique. Ces doses serviront de regle pour la quantité d'eau-forte qu'on voudra faire. Mettez le tout (après avoir bien pilé les drogues qui ont besoin de l'être) dans un pot de terre bien vernissé principalement en-dedans, & qui soit assez grand pour que les drogues en bouillant & en s'élevant ne passent pas par-dessus les bords ; couvrez le pot de son couvercle, mettez-le sur un grand feu ; faites bouillir promtement le tout ensemble deux ou trois gros bouillons, & non davantage. Lorsque vous jugerez à-peu-près que le bouillon est prêt à se faire, découvrez le pot & remuez le mélange avec un petit bâton, en prenant garde que l'eau-forte ne s'éleve trop & ne surmonte les bords, d'autant qu'elle a coûtume en bouillant de s'enfler beaucoup. Lorsqu'elle aura bouilli, comme je l'ai dit ci-dessus, deux ou trois bouillons, vous la retirerez du feu, vous la laisserez refroidir en tenant le pot découvert, & lorsqu'elle sera enfin refroidie, vous la verserez dans une bouteille de verre ou de grès, la laissant reposer un jour ou deux avant que de vous en servir ; si en vous en servant vous la trouviez trop forte, & qu'elle fît éclater le vernis, vous la pourrez modérer en y mêlant un verre ou deux du même vinaigre dont vous vous serez servi pour la faire.

J'observerai ici que cette composition est assez dangereuse à faire, lorsqu'on ne prend pas l'attention de respirer le moins qu'il est possible la vapeur qui s'exhale, & de renouveller souvent l'air dans l'endroit où on la fait chauffer.

Après avoir composé l'eau-forte dont on se sert pour faire mordre la planche qu'on a vernie au vernis dur, il faut savoir en faire usage. Je vais dire premierement la maniere dont Bosse fait mention ; elle est la plus simple, mais non pas la plus commode. Je dirai ensuite comment M. le Clerc avoit commencé de rendre cette opération plus commode ; & je finirai par décrire une machine assez simple que j'ai fait exécuter, dont je me sers, & qui tout-à-la-fois ménage le tems de l'artiste, & le met à l'abri du danger qu'on peut courir par l'évaporation de l'eau-forte.

L'ancienne maniere d'employer l'eau-forte dont j'ai parlé, est de la verser sur la planche, de façon qu'elle ne s'y arrête pas & qu'elle coule dans toutes les hachures. Pour cela on place la planche presque perpendiculairement, & pour plus de facilité on l'attache, à l'aide de quelques pointes, contre une planche de bois assez grande, qui a un rebord par enhaut & par les deux côtés. On l'appuie presque perpendiculairement, ou contre un mur, ou contre un chevalet ; ensuite on met au-dessous une terrine qui reçoit l'eau-forte qu'on verse sur la planche ; & qui se rend dans la terrine après avoir coulé dans toutes les hachures. La planche de bois dont j'ai parlé, & sur laquelle la planche de cuivre est attachée, sert à empêcher l'eau-forte qu'on verse de tomber à terre, & les rebords la contiennent : on voit par-là qu'il ne faut pas qu'il y en ait en-bas, puisqu'alors l'eau-forte trouveroit un obstacle pour se rendre dans le vase qui doit la recevoir. On prend encore une précaution pour qu'elle se rende plus immédiatement dans ce vase : c'est de mettre au-dessous de la planche de bois une espece d'auge dans laquelle cette planche de bois entre, & qui la débordant des deux côtés, reçoit sans qu'il s'en perde toute l'eau-forte, qui y est conduite par les rebords dont j'ai parlé. L'auge est percée d'un seul trou, qui répond à la terrine qui est au-dessous ; & moyennant ces précautions, toute l'eau-forte, après avoir lavé la planche, se rend dans la terrine. On la puise de nouveau alors avec le vase qui sert à la verser, & on la répand encore sur la planche ; ce qu'on recommence jusqu'à-ce que l'opération soit faite, en observant toûjours que lorsqu'on la verse la planche en soit bien inondée, afin qu'elle pénetre dans toutes les hachures. Voilà la plus ancienne maniere de faire mordre avec cette sorte d'eau-forte, qu'on nomme communément eau-forte à couler.

La Pl. I. rendra cette explication plus sensible ; on y voit à la fig. 2. let. A, le graveur versant l'eau-forte ; la lettre B désigne la planche de cuivre attachée sur la planche de bois marquée C : les rebords sont indiqués par les lettres D, l'auge par la lettre E, & la terrine par la lettre F. Passons à la maniere dont M. le Clerc a cherché à simplifier cette opération : il a senti que son objet principal étoit de faire passer l'eau-forte sur la planche, & que c'étoit en partie par ce mouvement qu'elle approfondissoit les tailles qu'on a faites sur le vernis ; il a jugé alors qu'en attachant la planche de cuivre horisontalement dans le fond d'une espece de boîte découverte plus grande que la planche de cuivre ; qu'en enduisant cette boîte de suif, pour qu'elle contînt l'eau-forte ; qu'en y versant ensuite de l'eau-forte, & en baissant & haussant alternativement cette boîte, l'eau-forte qui y seroit passeroit sur la planche au premier mouvement, & y repasseroit au second en allant d'un côté de la boîte à l'autre ; qu'ainsi en ballotant cette eau-forte par le moyen des deux mains, on épargneroit la fatigue qu'on essuie dans la maniere précédente, dans laquelle il faut ramasser l'eau-forte dans la terrine, pour la reporter sans-cesse sur la planche. D'ailleurs la façon précipitée dont l'eau-forte contenue dans la boîte passe sur la planche, fait gagner un tems considérable à l'artiste ; ce qui est un objet intéressant.

C'est cet objet qui m'a déterminé à chercher un nouveau moyen. J'ai premierement obvié à l'évaporation de l'eau-forte, dont la vapeur est nuisible à celui qui fait mordre, en adaptant à la boîte dont je viens de parler un couvercle qui n'est autre chose qu'un verre blanc, une vitre ou une glace montée à jour dans un quadre de fer-blanc ou d'autre métal. Ce couvercle qui ferme exactement la boîte, empêche que la vapeur de l'eau-forte mise en mouvement ne soit à beaucoup près aussi abondante & aussi nuisible que lorsqu'elle se répand librement. Les boîtes dont je me sers sont entierement de fer-blanc, j'en ai de plus grandes & de plus petites, & je les enduis de plusieurs couches de couleur à l'huile pour les mettre à l'abri de l'impression de l'eau-forte : ces sortes de boîtes sont peu coûteuses & durent toûjours, pourvû qu'on ait soin de leur donner de tems en tems quelques couches de couleur à l'huile. La façon la plus commode de se servir de la boîte pour ballotter l'eau-forte, est de la poser sur les genoux qui forment un point d'appui. On tient les deux côtés avec les deux mains, & on souleve un peu chaque main l'une après l'autre, comme on peut le voir fig. 4. de la Pl. I. de la grav. en taille-douce.

Cette maniere me parut simple, & j'ai par la seule addition du couvercle, remédié au danger réel auquel le fréquent usage de l'eau-forte peut exposer les artistes qui s'en servent souvent : mais ce moyen a toûjours l'inconvénient d'entraîner une perte de tems assez considérable pour l'artiste, ou la nécessité d'employer un homme dont il faut payer la peine. Pour surmonter cette difficulté, j'ai adapté à la boîte une machine très-simple qui lui communique le mouvement qu'on lui donneroit avec les deux mains, & qui rend ce mouvement si égal, que l'on est bien plus à portée de calculer l'effet de l'eau-forte sur la planche. Voici en quoi consiste cette machine, dont les figures aideront à bien faire entendre la construction.

Cette machine dont l'assemblage se voit Pl. II. de la gravure en taille-douce, fig. 1. est composée d'une cage de fer formée par deux montans A A, joints ensemble par deux traverses B B ; l'inférieure est attachée à deux piés C C, qui passent au-travers de la table, & y sont arrêtés par deux écrous. Cette cage renferme deux roues & deux pignons : sur la premiere roue est rivé un tambour ou barillet contenant un fort ressort : leur arbre commun porte un rochet, & l'un des montans un encliquetage, lesquels servent à remonter le grand ressort & à lui donner la bande nécessaire. La deuxieme roue est enarbrée sur le premier pignon ; elle engrene dans le second, qui porte sur un de ses pivots, extérieurement à la cage, un rochet à trois dents.

Ce rochet forme un échappement au moyen de deux palettes fixées sur un anneau elliptique D D, dans lequel il est renfermé. Sur le prolongement de son grand axe, cet anneau porte deux queues sur lesquelles sont deux coulisses, l'une supérieure, l'autre inférieure ; il est arrêté sur un des montans de la cage par des tenons à vis qui lui permettent de se mouvoir librement de haut en-bas. La queue inférieure formée en équerre, porte un petit bras de fer I, qui lui est joint au moyen d'une vis par une de ses extrêmités, & qui l'est de même par l'autre à la branche courte F du T, marqué E F G. En K est une goupille fixée sur un des montans ; elle passe à-travers une douille rivée sur le T, sur laquelle il peut se mouvoir. Sa branche G passe par une ouverture faite à la table en forme de rainure, suffisamment grande pour ne pas gêner son mouvement, & porte une lentille de plomb assez pesante. A l'extrémité de la branche longue E est attaché un autre petit bras L, semblable à I, joint par son autre bout au levier M, lequel est fixé invariablement à l'un des tourillons du porte-boîte. Celui-ci est fait d'une piece de fer O N, N O, coudée en N N & en O O où sont deux tourillons sur lesquels il se meut. P P sont deux doigts de fer rivés sur la barre N N lesquels entrent dans deux mains attachées sur la boîte pour l'empêcher de se renverser. Q Q sont deux supports terminés par deux tenons qui traversent la table, & sont arrêtés dessous par deux vis ou deux clavettes ; ils servent à porter les tourillons du porte-boîte : on y a ajoûté deux petits anneaux afin qu'ils ne puissent s'échapper. La boîte est de fer-blanc, couverte d'un verre qui permet à l'artiste de voir l'effet de l'eau-forte, & la situation de sa planche.

Voici maintenant comment se fait le jeu de cette machine. Si l'on met le balancier G en mouvement il le communique par le petit bras L au levier M, & par conséquent au porte-boîte ; ce qui produit un bercement qui agite sans cesse l'eau-forte contenue dans la boîte, en la faisant passer sur la planche & repasser sans discontinuer : mais ce mouvement se ralentiroit & cesseroit peu-à-peu tout-à-fait, si le rochet R faisant monter & descendre alternativement l'anneau elliptique au moyen de ses palettes, ne restituoit pas le mouvement au balancier, auquel il communique le sien par le petit bras I.

Pour faciliter l'intelligence de cette machine, nous allons développer quelques-unes de ses parties. La fig. 2. de la Pl. II. représente le plan de l'anneau elliptique. D D sont les queues sur lesquelles sont les coulisses. P P sont les palettes : on voit en R le rochet renfermé dans cet anneau. C'est le retour d'équerre de la queue inférieure qui porte le petit bras I, joint de même à la branche courte F du T marqué E F G.

Fig. 3. de la même Planche, K est la douille sur laquelle il se meut ; G est le balancier ; H la lentille ; E la branche longue qui communique par le petit bras L au levier M du porte-boîte.

Fig. 4. O O sont les tourillons ; S S les petits anneaux pour les contenir ; P P les doigts pour arrêter la boîte ; Q Q les supports des tourillons.

J'avertirai que comme cette machine n'est parfaitement intelligible qu'avec le secours des figures qui ne doivent paroître qu'à la fin de l'ouvrage, si quelqu'un étoit curieux de la faire exécuter, je serai toûjours disposé à faire voir celle dont je me sers, ou à en envoyer le dessein, si cela peut obliger quelqu'un ou lui être de quelque utilité.

Revenons à ce qui regarde l'effet de l'eau-forte. Cette liqueur corrosive destinée à approfondir les tailles, lorsqu'elle est répandue sur la planche, la creuse effectivement en détruisant les parties de cuivre qui sont découvertes, & en respectant celles qui sont enduites de vernis. Mais il est nécessaire, pour qu'une planche soit au point de perfection où tend le graveur, que ces tailles soient approfondies avec une juste dégradation : les lointains ou les plans éloignés ne feront point l'effet qu'ils doivent faire, si les tailles dont ils sont travaillés sont trop approfondies ; car alors le noir d'impression dont on remplit ces tailles en imprimant la planche, y sera en trop grande abondance ; ces objets paroîtront trop noirs sur l'estampe, & ne feront pas l'illusion qu'ils doivent causer : il est donc nécessaire de conduire avec une grande sagacité & beaucoup d'intelligence l'opération de l'eau-forte sur les tailles. Pour cela, lorsqu'on a fait mordre sa planche pendant l'espace de tems qu'on estime suffisant pour les lointains, on suspend l'opération de l'eau-forte ; on retire la planche, on la lave en versant beaucoup d'eau fraîche dessus ; ensuite on la laisse secher ou à l'air ou en l'approchant doucement d'un feu très-modéré. Lorsque la planche sera seche, vous vous éclaircirez de l'effet qu'a produit l'eau-forte, en découvrant le vernis, avec un grattoir ou un petit morceau de charbon de saule, dans quelque endroit des lointains.

Si vous jugez qu'ils soient assez mordus, vous couvrirez tout ce qui doit être du ton de ces lointains, en vous servant du mélange que j'ai déjà indiqué, & qui se fait avec le vernis de peintre & le noir de fumée ; vous l'employerez avec des pinceaux plus ou moins fins, suivant la finesse des traits & des masses que vous voulez couvrir. Ensuite, après avoir donné le tems à ce vernis que vous venez d'employer, de sécher, vous remettrez votre planche comme elle étoit, pour l'exposer de nouveau à l'eau-forte ; vous la ferez mordre autant que vous croirez qu'il est nécessaire pour les plans qui suivent ceux que vous avez couverts ; ensuite vous retirerez encore votre planche, vous couvrirez une seconde fois ce que vous voulez soustraire à l'effet de l'eau-forte : enfin vous réitérerez cette opération autant de fois que vous le voudrez & que vous croirez qu'il le faut pour parvenir à un juste effet de dégradation dans les plans & dans les objets.

J'observerai qu'il seroit injuste d'exiger qu'on donnât des évaluations précises du tems qu'on doit employer l'eau-forte chaque fois ; les calculs & les observations les plus exactes n'ont pû me satisfaire ; l'effet de l'eau-forte dépend de trop de causes accidentelles, pour qu'on puisse le soûmettre à des regles invariables.

1°. L'eau-forte est plus ou moins agissante, suivant le degré de cuisson qu'on lui a donné, & suivant la qualité & le choix particulier des ingrédiens dont elle est composée.

2°. Le cuivre par sa nature peut être plus ou moins docile à l'effet de l'eau forte. Le cuivre mou dont j'ai parlé dans le commencement de cet article, résiste à l'action de l'eau-forte ; le cuivre aigre se dissout trop-tôt, & toutes ces différences sont susceptibles de degrés & de nuances infinies.

3°. L'effet de l'air influe sensiblement sur l'effet de l'eau forte, le froid retarde son action, le chaud l'accélere, l'humidité y cause des différences sensibles.

4°. La maniere de se servir des outils avec lesquels on grave, & la différence des pointes ou émoussées ou coupantes, facilitent à l'eau-forte l'entrée du cuivre, ou lui laissent la peine de l'entamer.

Il faut donc que l'usage accompagné des observations particulieres de l'artiste, lui donnent les lumieres dont il a besoin pour se guider : il est fort difficile d'arriver à faire mordre une planche à un effet juste ; & c'est pour cela que la plus grande partie des graveurs se contentent d'obtenir de l'eau-forte un ton général, gris, propre, & égal, en réservant de donner à leur ouvrage avec le secours du burin un accord & un effet dont ils sont les maîtres par ce moyen : mais cette pratique que le méchanisme de la gravure favorise, est sujet à des réflexions que j'ai déjà indiquées. Poursuivons ce qui regarde l'opération que je viens de décrire.

Lorsqu'après avoir exposé autant de tems qu'il le faut la planche à l'action de l'eau-forte, ce qui va quelquefois à l'espace d'une heure, d'une heure & demie & plus, vous la trouvez parvenue au point que vous souhaitez ; vous la lavez une derniere fois dans une quantité d'eau fraîche, ensuite la chauffant raisonnablement, vous enlevez avec un linge tout le vernis dont vous avez fait usage avec le pinceau, pour couvrir les différens plans : vous ôtez par le même moyen la mixtion de suif & d'huile dont le derriere de la planche est couvert ; après quoi il reste à enlever le vernis dur : vous y parviendrez en vous servant du charbon de saule que vous passerez dessus la planche, en frottant fortement & en mouillant d'eau commune ou d'huile & la planche & le charbon. Il est inutile d'observer qu'à mesure que vous voyez le cuivre se découvrir, il faut ménager le frottement, pour que le charbon n'altere point les finesses de la gravure. Lorsque vous aurez enfin enlevé tout ce qui reste de vernis dur à la planche, vous la livrerez à l'imprimeur pour en tirer des épreuves : on donnera au mot IMPRESSION, tout le détail de cette opération, avec la figure de la presse & sa description.

Revenons à la maniere de faire mordre les planches vernies au vernis mou, lorsqu'on employe pour cela l'eau-forte qu'on nomme eau de départ.

Cette eau-forte se fait avec le vitriol, le salpetre, & quelquefois l'alun de roche, distillés ensemble ; c'est celle dont les affineurs se servent pour séparer l'or d'avec l'argent & le cuivre ; elle se trouve plus aisément que l'autre. D'ailleurs la composition en doit être détaillée ailleurs ; ainsi je ne la donnerai point.

Je remarquerai ici, pour ne point l'oublier, qu'on peut se servir pour faire mordre les planches gravées au vernis mou, de l'eau-forte dont j'ai donné la composition, & qui est faite avec le vinaigre, le sel ammoniac, & le verdet ; elle ménage davantage le vernis, & on la gouverne plus aisément : mais l'eau-forte de départ ne peut servir pour les planches vernies au vernis dur ; elle fait éclater ce vernis, & détruit ainsi en un moment l'ouvrage de plusieurs jours & quelquefois de plusieurs mois.

Venons au vernis mou & à l'eau-forte de départ.

Il faut prendre de la cire molle, rouge ou verte, qui devienne flexible en l'échauffant un peu, comme celle dont se servent les Sculpteurs pour modeler. Vous en formerez en la paîtrissant & l'étendant un rebord autour de votre planche. Ce rebord n'a pas besoin d'être plus haut que cinq ou six lignes au plus ; mais il faut qu'il soit tellement appliqué à la planche de cuivre, qu'elle puisse par son moyen, contenir l'eau dont on doit la couvrir à la hauteur de deux ou trois lignes. La planche ainsi préparée, vous la placerez horisontalement sur une table qui soit de niveau, comme on le voit à la fig. 5. de la I. Planche de la gravure en taille-douce. Alors vous prendrez l'eau-forte dont j'ai parlé, vous y mêlerez moitié d'eau commune, & vous la verserez sur la planche ; vous observerez son effet qui se rend sensible par le bouillonnement qui est excité par-tout où elle creuse le cuivre : le reste de l'opération se rapporte à celle que j'ai décrite pour l'eau-forte à couler, c'est-à-dire, que lorsque vous jugez que les lointains & les traits qui doivent être foibles, sont assez mordus, vous versez l'eau-forte, vous lavez bien la planche avec de l'eau commune, vous la laissez secher, vous couvrez ce que vous jugez qui doit être couvert avec le vernis de peintre & le noir de fumée, après quoi vous y remettez l'eau-forte, &c.

Voilà les manieres connues de graver à l'eau-forte ; c'est aux artistes à les éprouver toutes, & sur-tout à ne jamais opérer sans faire des observations : c'est ainsi qu'ils pourront découvrir des pratiques ou plus commodes, ou plus sûres, ou plus convenables à leur génie & à leur goût. Il y a, je crois, une infinité de recherches à faire sur cette partie, dont j'espere donner un jour les détails, lorsque je m'en serai assûré par des expériences réitérées. Je me contente aujourd'hui d'offrir aux artistes la machine dont j'ai donné le détail, comme un moyen sûr d'éviter les inconvéniens que l'eau-forte a pour ceux qui s'en approchent. La conservation des hommes doit toûjours être l'objet principal de ceux qui dans les arts cherchent à étendre leurs découvertes.

Je vais maintenant emprunter de l'ouvrage que j'ai cité au commencement de cet article, la plus grande partie de ce qui regarde la gravure au burin.

De la gravure au burin. Le Dessein est toûjours la base sur laquelle on doit appuyer toutes les opérations de la Gravure ; on ne peut donc trop recommander aux Graveurs, soit à l'eau-forte soit au burin, de s'exercer continuellement à dessiner ; ils doivent sur-tout s'appliquer à dessiner long-tems des têtes, des piés, & des mains d'après nature, & peut-être aussi souvent d'après les desseins des artistes qui ont bien dessiné ces extrémités. Augustin Carrache & Villamene sont des exemples à suivre pour cette partie du Dessein, dans laquelle ils ont parfaitement réussi. Un graveur qui aura les ouvrages de ces artistes sous les yeux, & qui fera de continuelles études, se trouvera en état de corriger les desseins peu corrects d'après lesquels il est quelquefois obligé de graver ; & peut-être même d'ajoûter quelquefois à des tableaux d'ailleurs forts estimables, une exactitude dans les détails, que les peintres habiles se croyent mal-à-propos en droit de négliger. Je ne prétens pas pour cela insinuer aux Graveurs de se donner une liberté qui seroit condamnable. Le graveur est pour les peintres dont il imite les tableaux, ce que le traducteur est pour les auteurs dont il interprete les ouvrages ; ils doivent l'un & l'autre conserver le caractere de l'original, & se dépouiller de celui qu'ils ont ; ils doivent être des protées : on ne lit une traduction, & l'on ne consulte pour l'ordinaire une gravure, que pour connoître les auteurs originaux.

Il est nécessaire que les Graveurs sachent l'Architecture & la Perspective, par les raisons que j'ai données ci-dessus ; en effet il arrive quelquefois qu'un dessein ne fait qu'indiquer d'une maniere indécise les différens ornemens de l'Architecture, ou les effets de la Perspective. Si le graveur ignore les regles qui doivent déterminer les effets, & les proportions qui assujettissent les ornemens & les marbres de l'Architecture, il ajoûtera à la négligence & aux défauts du Dessein, ou commettra des erreurs essentielles, faute de pouvoir lire ce qu'un peintre aura indiqué.

Le cuivre rouge est aussi celui qu'on choisit pour graver au burin ; il faut qu'il ait les mêmes qualités pour être propre à cette sorte de gravure que pour servir à la gravure à l'eau-forte ; il faut aussi qu'il soit préparé de même, & sur-tout qu'il soit parfaitement propre, uni, & lisse.

Les outils qu'on nomme burins, se font de l'acier le plus pur & le meilleur ; celui d'Allemagne a jusqu'ici la réputation d'être préférable à tout autre. L'acier, pour être bon, doit avoir un grain fin & de couleur de cendre. Il est essentiel que l'ouvrier qui forge les burins connoisse bien l'art de tremper l'acier. La forme du burin est représentée à la Planche I. de la Gravure en taille-douce. On y a représenté les especes principales des burins, tels que le burin quarré lettre A, & le burin losange lettre B. On approche ou on s'éloigne plus ou moins de ces deux formes, suivant le plan de travail qu'on s'est formé : on les fait aussi plus courts ou plus longs, suivant son goût ou la facilité qu'on y trouve, ou le genre d'ouvrage qu'on grave. Le burin le plus commode en général & d'un plus fréquent usage, est celui qui n'est ni trop long ni trop court, dont la forme est entre le losange & le quarré, qui est assez délié par le bout, mais ensorte que cette finesse ne vienne pas de trop loin pour qu'il conserve du corps & de la force ; car il casse ou plie s'il est délié dans toute sa longueur, ou aiguisé trop également. Il faut observer que le graveur doit avoir le plus grand soin que son burin soit toûjours parfaitement aiguisé, & qu'il n'ait jamais la pointe émoussée, s'il veut que sa gravure soit nette & que son ouvrage soit propre.

J'ai dit que les burins étoient ordinairement ou losanges ou quarrés ; les premiers sont propres à faire un trait profond à proportion de leur largeur : le burin quarré fait un trait large qu'on approfondit quelquefois avec le burin losange.

Le burin a quatre côtés ; il n'est nécessaire d'aiguiser que les deux dont la réunion forme la pointe de l'outil. Voyez la figure marquée C : elle vous indique a b & b c. Ce sont les deux côtés qu'il faut aiguiser : après quoi, en applatissant le bout par un plan incliné, on forme la pointe b qui est destinée à pénétrer le cuivre & à ouvrir la route du burin. C'est sur une pierre à l'huile bien choisie que se fait l'opération d'aiguiser le burin de la maniere qui est marquée fig. D, Pl. I. On y applique comme vous le pouvez voir, un des côtés du burin dans toute sa longueur : on tient ce côté ferme & bien à plat sur la pierre qui est humectée d'huile, en appuyant le second & le troisieme doigt, qui servent à contenir le burin pour qu'il ne se sépare point de la pierre : on glisse alors le burin le long de la pierre, & on le ramene autant de fois qu'il est nécessaire pour que le côté soit bien, & bien également aiguisé ; on en fait autant pour l'autre côté, jusqu'à ce que l'arête commune à ces deux côtés soit bien vive & bien affilée : ensuite on travaille à former la face, comme vous le voyez aussi représenté fig. 1. de la même Planche. Il faut de l'adresse & de l'habitude pour parvenir à aiguiser un burin, de maniere que ces trois faces soient parfaitement lisses & plates ; ce qui est nécessaire cependant à la perfection de l'outil.

Je n'ai point parlé de la monture du burin, elle est figurée, & cela suffit ; elle se fait du bois le plus commun ; on la tient plus longue ou plus courte en raison de la facilité qu'on y trouve ; mais vous observerez seulement dans la fig. F de la même Planche, que l'un des côtés du manche est applati ; ce qui est nécessaire pour pouvoir mettre le burin à plat sur la planche, & pour que par ce moyen la pointe du burin qui s'engageroit trop dans le cuivre en levant le manche du burin, ne casse pas si souvent.

Examinez la fig. G, pour y apprendre la façon de tenir le burin : vous remarquerez dans cette figure, que le bout du manche qui est à moitié arrondi, doit être appuyé dans le creux de votre main ; ensorte que ce soit l'os du bras qui lui donne une impulsion directe. Vous observerez aussi, par la maniere dont les doigts sont arrangés, qu'il ne doit s'en trouver aucun entre le burin & la planche, lorsqu'on applique le burin sur le cuivre pour travailler : cela est nécessaire par la même raison que je viens de donner, pour laquelle on coupe le bout du manche du burin ; la meilleure maniere est donc de faire ensorte que le burin glisse toûjours horisontalement sur le cuivre : alors vous pouvez en rendant votre main legere, commencer un trait d'une finesse extrème ; pour peu que vous soûleviez ensuite imperceptiblement le poignet, le burin entrera plus profondément dans le cuivre par la pointe, & élargira par conséquent la taille, si la main se remet enfin comme elle étoit en commençant, le trait finira par être aussi délicat que lorsque vous l'avez commencé. Or cette manoeuvre est essentielle pour la beauté de la Gravure & pour l'intelligence des ombres : il faut donc s'y rompre par une infinité d'essais ; il en faut beaucoup aussi pour qu'en faisant cette opération délicate, vous puissiez encore tourner votre burin en tout sens, & donner à vos tailles une flexibilité à laquelle en général la maniere de conduire cet outil qu'on pousse toûjours, semble contraire. Au reste, il faut avertir qu'il n'est pas besoin d'autant de force qu'on le croit pour cette manoeuvre, & que la roideur est sur-tout nuisible à la conduite du burin. Une force bien ménagée, adoucie, & liante, est ce qu'il faut acquérir pour réussir à cette sorte de gravure.

Il faut ajoûter à ce que j'ai dit du méchanisme de la gravure au burin, que pour rendre plus facile l'exécution des tailles courbes, on peut de la main gauche faire tourner doucement la planche elle-même, en ayant soin que les mouvemens des deux mains s'accordent bien, & que la planche fasse bien également une partie du mouvement, tandis que le burin fait l'autre : pour cela, on appuie la planche qu'on grave sur un petit coussinet de cuir rempli de sable ou de son. La planche y prend une espece d'équilibre, comme elle est représentée, fig. H, Pl. I. & on peut aisément la faire prêter avec la main gauche aux mouvemens qui sont nécessaires.

Lorsque vous êtes parvenu à faire à l'aide du burin une taille en coupant le cuivre, cette taille a besoin d'être nettoyée, c'est-à-dire qu'il se forme par l'action du burin deux petites barbes sur le haut de la taille, ensorte qu'en passant le doigt vous sentez une inégalité le long de la hachure, qu'il faut faire disparoître ; on se sert pour cela d'un outil très-coupant qu'on nomme grattoir ; on le passe à plat sur la taille, en allant diagonalement tout le long de la taille, & l'on s'apperçoit en y passant le doigt ensuite, s'il y reste encore quelque ébarbure : on appelle donc cette opération ébarber. Le grattoir est représenté dans la Planche I. tenant au bout du brunissoir. Lorsqu'on a ainsi approprié sa taille, on la frotte avec un petit tampon fait de feutre roulé & sali de noir & d'huile, pour en voir l'effet, & pour juger si elle est ou assez large ou assez nette, ou enfin telle qu'on la desire.

Avant que de dire un mot sur quelques parties de l'exercice de cet art, j'ajoûterai que si vos burins sont trempés trop durs, ils casseront très-souvent & malgré l'adresse que vous mettrez à les conduire. Il faut, si vous vous appercevez de ce défaut, mettre ces burins sur un charbon ardent dont vous excitez le feu jusqu'à ce que l'acier jaunisse ; vous les tremperez ensuite dans l'eau ou dans du suif, & vous essayerez ainsi de leur donner le juste degré qui leur est nécessaire : s'ils émoussent leur pointe, au contraire, changez-en, c'est un signe certain qu'ils sont mauvais.

Venons à quelques observations & quelques regles générales, en rappellant ce que j'ai déjà dit, savoir que le caractere du graveur, son intelligence, & le genre d'ouvrage qu'il traite, doivent le décider ou à suivre une maniere, ou mieux encore à s'en former une qu'il doit toûjours soûmettre aux principes invariables de la Peinture & du Dessein.

Les manieres de graver de Goltzius, Muller, Lucas-Kilian, Mellan, & d'autres qui leur ressemblent, sont libres & faciles ; elles ont un mérite réel ; on peut les blâmer aussi d'un peu d'affectation dans le tournoyement des tailles ; ils étoient bien-aises qu'on leur sût gré de l'habitude qu'ils avoient acquise. Il vaudroit mieux qu'ils n'en eussent point fait parade, & qu'ils ne l'eussent employée que dans les endroits où elle étoit nécessaire. Point d'affectation ni de négligence, voilà le point duquel le graveur doit approcher le plus qu'il lui sera possible.

Evitez de croiser les tailles de maniere qu'elles soient trop en losange, sur-tout dans les chairs, parce que les angles aigus répétés dans cette sorte de travail, forment un effet desagréable.

La maniere entre quarré & losange, est la plus utile & la plus agréable à l'oeil ; elle est aussi plus difficile à employer, parce que l'inégalité des traits s'y fait plus aisément remarquer.

Le burin doit observer une partie des principes que j'ai donnés au commencement de cet article ; les hachures principales doivent donc suivre le sens des muscles, en s'adoucissant vers les lumieres & vers les reflets, & se renflant ou s'approfondissant dans les places des fortes ombres. Il faut que l'extrémité des hachures qui viennent former les contours, ou se perdre dans les traits qui décident ces contours, soit conduite d'une façon nette & legere ; de maniere qu'il n'y ait rien de tranché ni de dur. On peut consulter là-dessus les ouvrages d'Edelinck qui a possédé cette partie.

Il est à souhaiter que les tailles s'ajustent tellement entr'elles, qu'elles s'aident dans leur effet, & ne se nuisent jamais en se rencontrant & en se croisant ; l'air de facilité que cela donne à l'ouvrage y répand un grand agrément.

Que les tailles soient ondoyées ; qu'elles se plient en divers sens, mais avec aussi peu d'affectation que de roideur, comme je l'ai déjà dit : il est difficile d'en prendre l'habitude ; mais il est aussi blâmable d'en abuser, qu'il le seroit de faire toûjours des traits droits, parce qu'il est plus aisé d'en avoir à bout.

Les cheveux, la barbe, & le poil des animaux, demandent une grande legereté dans la main, & une flexibilité rare dans le burin.

Mais il ne faut pas que pour faire parade de cette adresse on néglige de faire bien sentir ses masses, qui doivent indiquer les formes & l'effet de la lumiere & de l'ombre sur les masses.

Les étoffes demandent aussi de la legereté d'outil, en proportion cependant avec la nature des étoffes ; les étoffes de gros draps & de laine épaisse demandent un travail plus brut ; le linge veut être gravé d'une façon déliée & pressée à une taille ou à deux tout au plus, si cela se peut. Les étoffes fermes & luisantes veulent des tailles plus droites & moins variées ; les plis de ces étoffes sont cassés & forment des surfaces plates. Les tailles qu'on nomme entre-deux servent à indiquer le luisant ; on s'en sert aussi dans les métaux qui réfléchissent la lumiere.

L'Architecture demande des tailles droites, mais celles qui se trouvent sur les plans qui fuient doivent tendre au point de vûe. Les hachures des colonnes veulent être perpendiculaires : si vous les faites rondes & horisontales, il arrivera souvent que pour satisfaire aux lois de la Perspective, il faudra que celles qui approchent du chapiteau, soient d'un sens contraire à celles qui approchent de la base ; ce qui fait, sur les premiers plans sur-tout, un effet desagréable.

Le paysage est difficile à traiter au burin ; souvent on l'ébauche à l'eau-forte, & je crois qu'on fait bien : il faut chercher à se faire une maniere, & pour cela consulter les bons auteurs ; Augustin Carrache, Villamene, Jean Sadeler, sont bons à imiter : Corneille Carts en a gravé plusieurs d'après le Mucian, qui sont très-beaux & qui peuvent servir de modeles.

Les montagnes & les rochers, lorsqu'ils sont sur les premiers & seconds plans, doivent être travaillés d'une maniere un peu brute, en quittant & reprenant souvent les tailles, en les variant suivant les plans des pierres & des rochers, en les entre-mêlant de plantes, d'herbages, & de terreins : pour ces objets, lorsqu'ils se trouvent dans les lointains, ils doivent participer de l'interposition de l'air ; être peu décidés dans leurs inégalités & dans les accidens qui les accompagnent, & se perdre quelquefois avec les travaux dont on se sert pour graver les ciels.

Les eaux se représentent ordinairement par des lignes très-droites, égales, & mêlées d'entre-deux fines & déliées, pour exprimer le luisant de l'eau ; mais si c'est une mer agitée qu'on représente, on sent bien que ce doit être par un autre genre de travail qu'on doit y arriver : il faut alors que les tailles suivent le sens des flots & indiquent le mouvement des vagues. Les nuages demandent aussi que leur forme & leur mouvement soient indiqués par les hachures, & que les travaux qu'on employe soient d'autant plus legers que l'éloignement des nuées est plus grand.

En général il faut proportionner autant qu'on le peut la grosseur des tailles & l'espece de travail, à la grandeur des ouvrages, indépendamment des autres assujettissemens dont j'ai parlé. Il faut donc employer des tailles mâles & nourries dans une grande estampe, mais sans que le travail devienne pour cela grossier & desagréable ; par le même principe une petite planche sera gravée avec les burins losanges qui font des tailles fines, mais en évitant que le travail soit maigre & aride.

C'est un art très-difficile que celui de la Gravure ; il demande beaucoup d'exercice du Dessein, beaucoup d'adresse à conduire les outils, une grande intelligence pour se transformer, pour ainsi dire, & prendre l'esprit de l'auteur d'après lequel on grave. Il faut encore de la patience sans froideur, de l'assiduité sans dégoût, de l'exactitude qui ne soit pas servile, de la facilité sans abus : ces qualités si nombreuses enfantent beaucoup de graveurs, & leur union si difficile fait qu'il en est fort peu d'excellens. Article de M. WATELET.

* GRAVURE EN BOIS. Historique. Cette gravure est fort ancienne à la Chine & aux Indes, où l'on a fabriqué des toiles peintes de tems immémorial ; elle paroît y avoir donné naissance aux premiers essais de l'art d'imprimer. Les Chinois ont d'abord gravé leurs caracteres sur des morceaux de bois qu'ils enduisoient d'encre, & qu'ils appliquoient ensuite sur le satin & d'autres étoffes minces & legeres. Nous avions des tablettes gravées en creux, que nous remplissions de cire pour en avoir le relief, lorsque Laurent Coster imprima l'écriture avec des planches de bois. Coster inventa cet art en 1420. Mentel parut en 1440, Guttenberg & ses associés en 1450 ; & la gravure, tant en bois qu'en cuivre, étoit connue en 1460. Il y en a encore qui prétendent qu'André Murano gravoit en cuivre dès 1412, & Luprecht Rust dès 1450 ; mais il est certain que Martin Schon de Colmar, l'un des maîtres d'Albert Durer, exerça cet art en 1460, ou au plus tard en 1470.

Les Graveurs en bois ont été appellés anciennement Tailleurs en bois, ce qui les a quelquefois confondus avec les Dominotiers. Il en faut faire deux classes ; l'une, des vieux, anciens, ou petits maîtres, ou maîtres appellés à la licorne, à l'étoile, aux pelles, aux chandeliers, à la dague, &c. de ces images qui accompagnoient sur leurs planches les initiales de leurs noms : l'autre, des grands maîtres, tels qu'Albert Altorsfer né en Suisse, qui travailloit en 1500 ; Sebald Beham ou de Boheme, Hans Scufelix, Albert Durer pere du peintre, Jean de Gourmont, Antoine de Cremone, George Matthieu de Lyon, Antoine Van-Leest, Joseph Porta, Gorsannus, Gaspard Ruina, Joseph Salviati, Pierre Gatin, André Manteigne, Albert Durer le peintre, Lucas de Cronach, Albert Aldegraf, Lucas de Leide, Lucas Ciamberlanus, Jollar, &c. On remarque dans les gravures d'Albert Durer, des contre-tailles, des secondes, triples & quadruples tailles.

Ce fut en 1490 que parurent les premieres estampes à rentrées de deux planches, ou teintes ; art qui se perfectionna en Italie en 1520. Voyez GRAVURE EN BOIS, DE CAMAYEU.

Ce fut au commencement du xvj. siecle qu'on appliqua la gravure en bois à l'impression des cartes à joüer. Le Titien a gravé lui-même en bois quelques-uns de ses tableaux. Tout le monde connoît de nom la danse des morts de Holbein. La gravure en bois s'étendit à la Cosmographie, & Gérard Mercator exécuta en bois quelques-unes de ses cartes. Cet art fut encore cultivé par Jost Amman ou Amman de Zurich ; Jacques Zuberlin de Tubingue ; Pierre Hook ou Houck Woveriot de Lorraine ; Jean de Colcar ou Calker, qui grava en bois les planches anatomiques de Vesale ; Jean Cousin, Bernard Salomon, Moni ; Fo, qui a gravé en bois des animaux pour Conrard Gesner ; le Vénitien Pagan, Michel Zimmerman, le Verrochio, Enée Bé, Sigismond Feyerabendts, Christophe Amberger, Simon Huter, Virgilius Solis ; Christophe Chrieger, dont on a une planche de la bataille de Lépante ; Christophe dit le Suisse ; Verdizzotti, Cruche, les trois Vichem. On voit dans les ouvrages de C. S. Vichem jusqu'à cinq à six tailles l'une sur l'autre ; il entendoit d'ailleurs très-bien le clair-obscur. Ce fut alors qu'on commença parmi nous à imprimer des papiers dominotés. Ce premier pas conduisit aux toiles peintes, dont les premieres parurent au commencement du regne de Louis XIII. Il y eut alors & depuis des graveurs célébres ; Raefe, Goujeon, Jean Leclerc, la carte des Gaules de celui-ci est un bel ouvrage : Vinceola, Berbrule, les deux Stimmers ; Ecmart, qui a exécuté plusieurs morceaux de Calot ; le libraire Guillaume le Bé, Duval, Christophe Jépher, qui a gravé d'après les tableaux de Rubens ; Pierre le Sueur, Boulemont, Van-Heylen ; Jean Papillon, pere de l'auteur des mémoires que nous analysons ; Vincent & Nicolas le Sueur ; &c.

De l'Art. La gravure en bois devient très-difficile & très-pénible, lorsqu'on a des plantes, des fleurs, des animaux, des figures humaines, & autres objets délicats à exécuter. Une planche qui n'a occupé un graveur en cuivre que quatre à cinq jours, pourra occuper un mois entier un graveur en bois. Pour s'en convaincre, qu'on jette les yeux sur la fig. 10. Planche II. de la gravure en bois. Voilà quatre traits qui ne coûteront guere plus à faire au burin sur une planche de cuivre, qu'à la plume sur le papier ; mais s'il s'agit de les exécuter en bois, c'est autre chose. Il faut 1°. couper & recouper, & enlever le bois en A, B, C, D, fig. 11. ce qui demande seize coups de pointes ; & en suivant l'opération jusqu'au bout, on en trouvera quarante-huit, sans compter ceux sur lesquels on est obligé de revenir par accident, & les vingt-quatre coups nécessaires pour dégager fortement les traits de chaque côté. Voilà donc pour ces quatre traits soixante-douze coups de pointes ; nombre qui seroit encore fort augmenté, s'il falloit dégager & évuider avec le fermoir les pleins A, A, A, fig. 12. Les quatres traits de cette figure 12. sont blancs, & le creux du bois enlevé par la pointe est ombré. Si l'on sentoit le fermoir entraîné par le fil du bois du côté des traits, ils en pourroient être endommagés si l'on ne quittoit le fermoir, & si l'on ne revenoit pas sur ces endroits avec la pointe à graver. Lorsqu'on aura enlevé le bois de chaque côté entre les traits par le dégagement au fermoir, il restera peu de chose qu'on séparera avec la gouge aux lieux A, A, &c... en la passant & repassant plusieurs fois, afin de polir le fond de la gravure. Ces coups de fermoirs & de gouges sont au-moins doubles des coups de pointes ; mais si l'on vouloit, on pourroit démontrer à la rigueur que telle figure qui s'exécutera sur cuivre en 92 coups de burin, ne s'exécutera pas en bois à-moins de 10892 coups de pointes & de 3600 coups de fermoirs & de gouges. Il est vrai qu'en revanche une planche en bois peut fournir plusieurs milliers d'épreuves. Il y a donc entre la gravure en cuivre & en bois une grande différence pour le travail. Mais il ne faut pas ignorer que dans la gravure en bois, ce sont les tailles de relief ou d'épargne qui marquent l'impression, & que par conséquent contre un coup ou une coupe de burin qui forme un trait dans la gravure en cuivre, & marque à l'impression, il faut dans la premiere de ces gravures quatre coups pour enlever le bois de chaque côté du trait : ajoûtez à cela les dégagemens à la pointe & au fermoir ; & dans la préparation des champs à évuider, les coups de fermoir & de gouge qui sont nécessaires.

Des outils. Les outils du graveur en bois sont la pointe à graver, les fermoirs & gouges, le trusquin, l'entaille, le maillet, le racloir, l'équerre, les regles simples & paralleles, la fausse regle, le compas simple & à plusieurs pointes, les porte-crayons, un marteau leger, le garde-vûe, la mentonniere, la petite brosse, la presse à tremper le papier, une petite balle, une pierre à huile, une pierre douce, une meule de grais montée, un petit broyon, un marbre, un rouleau garni de drap, un étau, des scies à main, une varlope, un rabot, un valet, & un établi solide.

La pointe à graver se fait avec un ressort de pendule, d'un tiers de ligne ou environ d'épaisseur ; on le fait détremper au feu ; on le coupe par bouts de la longueur de la fente du manche qu'on voit fig. 1. Planche I. On divise chaque bout sur leur largeur, selon celle qu'on veut donner aux lames. Les lames pour gros ouvrages ont environ cinq lignes de largeur ; pour ouvrages délicats deux lignes ou deux lignes & demie. On les dégrossit, & l'on en forme le taillant sur la meule ; on y tire un biseau du côté gauche, sur toute la longueur, à un demi-pouce près vers le bas, qu'on laisse sans biseau, voyez la fig. 2. le côté droit est aiguisé tout plat, sans biseau, voyez fig. 3. le dos du chef de la pointe (fig. 4.) doit avoir entre les deux lignes ponctuées un petit biseau de chaque côté, comme en B. Cela fait, on les trempe très-sec, en les faisant rougir sur un feu de charbon vif, & en les plongeant subitement dans l'eau froide. On leur donne le recuit à la lumiere d'une chandelle, jusqu'au jaune foncé. Si elles devenoient violettes, elles seroient trop molles, sur-tout pour des gravures délicates & sur le buis. On les emmanche un peu longues, comme d'un pouce ou deux, sur le manche fendu qu'on serre par une corde tortillée, comme on voit figure 5. On acheve de former le taillant & le dos du chef de la pointe sur la pierre à huile. Il faut que la premiere partie A du chef soit aiguisée vive par le dos, ou sur l'épaisseur de la lame & sans biseau, & que la seconde qui est déjà oblique, en ait au contraire deux, comme on voit en B, fig. 2. 3. & 4. On enlevera le morfil qui se fait de chaque côté, à la premiere partie du chef A, en passant l'angle des deux vives arêtes sur la pierre à l'huile. Ce morfil gratteroit le bois, lorsqu'on y feroit entrer la pointe pour graver. On adoucit ensuite le taillant sur la pierre douce, soit avec de l'eau, soit avec de la salive. On en ôte aussi le morfil. On place alors la lame dans la fente du manche ; on met tout le long du manche, du côté du taillant, un papier plié en deux ou trois, ou une petite carte, pour empêcher que le taillant ne coupe la corde qu'on tortillera sur le manche pour en tenir les deux parties assemblées. On ficelle le manche en commençant par la partie supérieure où sont les hoches destinées à recevoir & à retenir la ficelle, & l'on descend du haut en bas. Par ce moyen on attache la lame sur toute sa longueur ; on la tire du manche, & on la laisse sortir de la quantité convenable, à-mesure qu'elle se casse, raccourcit ou gâte, & qu'on la raccommode.

On trouve des fermoirs & des gouges de toutes longueurs chez le clinquaillier. On les emmanchera de la longueur qu'on voit fig. 6. & 7. Les manches seront à viroles & à bouton par le bas ; le bouton à demi abattu, comme aux burins. Ils en seront plus commodes à tenir, & ne gêneront pas la main en vuidant les champs. Il faudra observer de mettre ce biseau du taillant du côté applati & coupé du manche ; que le côté sans biseau soit placé comme dans la fig. 7. Pour être bien outillé, il faut avoir des fermoirs depuis environ trois lignes de large, au taillant, en diminuant jusqu'au diamêtre de la tête d'une moyenne aiguille à coudre. On se sert quelquefois de ces aiguilles pour en faire de petits fermoirs qu'on emmanche dans de la cire d'Espagne chaude, que l'on fait entrer dans des viroles longues, creuses, ajustées, & tenues d'une couple de lignes, ou davantage, à des manches de bois plus courts, afin que le tout assemblé soit de la même longueur que les autres manches.

Les gouges seront emmanchées comme les fermoirs. Il ne les faut pas au graveur aussi arrondies qu'au sculpteur ; que le demi-cercle qui en formera le taillant soit plus développé. Dans les parties angulaires à vuider, on peut se servir d'un fermoir assez rond ou à taillant oblique : mais il en faudroit avoir qui eussent le taillant & son biseau formés, les uns d'un côté, les autres à contredit ; observant de les emmancher toûjours, le côté du biseau vers celui du manche où le bouton aura été abattu (voyez les figures 8 & 9.), & que les manches soient longs, à pans arrondis ou ronds, afin de pouvoir être tenus à pleines mains.

Le maillet sera leger, & guere plus gros que le poing.

Le trusquin qu'on voit fig. 10. ne sert au graveur qu'à tracer des filets autour des vignettes, ou à guider, lorsqu'il s'agit de faire des tailles horisontales ou perpendiculaires ; il est petit. La pointe n'en doit pas être vive ; elle pourroit gâter le bois par des traces qu'elle laisseroit en des endroits où l'on seroit obligé de graver des tailles. Que cette pointe soit adoucie & un peu arrondie.

L'entaille (fig. 11.) sera nécessaire à ceux qui gravent des pieces délicates, comme lettres grises, petites vignettes, fleurons, &c. Elle prendra & serrera fortement par le moyen de ses coins ces ouvrages que l'artiste ne peut tenir entre ses doigts.

Le racloir (fig. 12.) servira à unir & polir la superficie des bois destinés à la gravure, au sortir des mains du menuisier ou de l'ébéniste. Sa lame E doit en être aiguisée vive sur son épaisseur, afin que son morfil gratte & use le bois ; il en saut un autre qui n'ait point de morfil, pour les cas où il ne faut qu'adoucir. On peut substituer la prêle au racloir ; c'est même avec la prêle qu'on acheve de le préparer.

L'équerre de cuivre (fig. 13.) servira pour tracer des lignes droites, horisontales ou perpendiculaires, avec la pointe à calquer, ou au lieu du trusquin, lorsqu'on a des tailles paralleles à faire. Les lignes tirées à l'équerre & à la plume seront nettes, si les vives arêtes abattues forment un biseau des deux côtés sur toute la longueur F. Il ne faut pas que ce biseau la rende tranchante.

Il faut des regles simples, composées, &c. elles serviront à tirer des paralleles à la plume, sans le compas. La fausse regle (fig. 14.) servira à tirer des rayons d'un point donné comme centre, soit avec la plume, soit avec la pointe à calquer, qui n'est autre chose qu'une aiguille emmanchée dans un manche à longue virole, comme celui des petits fermoirs, & dont on a formé la pointe par le côté de la tête qu'on a cassée, & qu'on a arrondie ou émoussée.

Il faut au graveur un compas à plusieurs pointes, un porte-crayon, un tire-ligne, &c. Il est inutile d'insister sur l'usage de ces instrumens.

Le garde-vûe (fig. 15.) est un morceau de carton d'environ sept pouces de large & cinq de haut, qui se place sous le bonnet, & qui garantit les yeux du grand jour.

La mentonniere (figure 16.) est une toile piquée, comme le sont les bonnets piqués des femmes, qu'on attache sur sa bouche avec les deux cordons ; elle empêche en hyver l'haleine de se porter sur le bois, de le mouiller, & de détremper l'encre du dessein. Sans mentonniere, si l'on travaille des pieces délicates, l'humidité de l'haleine fera renfler le bois ; & l'on ne saura plus, après qu'on aura fait les coupes, où l'on aura passé la pointe pour marquer le lieu des recoupes. Il faut la mentonniere sur-tout, si l'on grave sur le buis ; on peut s'en passer en travaillant sur le poirier.

Il faut des brosses douces dont le poil soit coupé court avec des ciseaux, pour nettoyer la poussiere & les petits copeaux. Voyez figure 17.

Une petite presse telle que celle qui sert aux parcheminiers, perruquiers, &c. qu'on voit fig. 18. entre laquelle on mettra le papier mouillé avec une éponge, pour lui faire prendre eau également : ce qui sera fait, si l'on le manie & remanie ; si on le remet sous la presse, & si on l'y laisse quelques heures de suite, entre chacune de ces opérations.

Il faut avec la presse un broyon qu'on voit fig. 20. d'environ la hauteur de la main ; & un rouleau de bois (figure 21.) de 15 à 18 pouces de longueur, garni de drap, & à poignées assez longues, pour être tenu à pleines mains.

Si l'on ajoûte le marbre à ces derniers outils, on aura tout ce qu'il faut pour tirer des épreuves de sa planche, sans la porter chez l'imprimeur en lettres. C'est sur ce marbre qu'on broyera l'encre.

Du bois. Le poirier, le pommier, le cormier, le buis, en un mot tous les bois qui ne sont pas poreux, sont propres à la gravure en bois ; mais le buis est à préférer. Les substances dures & seches, telles que le gayac, le coco, le palisante, l'ébene, les bois d'Inde, sont sujets à s'égrener. Il n'en faut point employer, non plus que de bois blanc & mou. Il en faut faire équarrir les morceaux par l'ébéniste ou le menuisier, quand même les figures qu'on auroit à traiter seroient rondes, ovales, ou autres. On leur donnera dix lignes d'épaisseur ; c'est celle de la hauteur de la lettre d'Imprimerie. On peut tenir les morceaux à fleurons, armes, &c. moins hauts. On y suppléera par-dessous avec des cartes ; & le coup de presse en étant amorti, les bords de la gravure n'en seront point écrasés ; & la planche en durera plus long-tems.

Principes. Que celui qui veut graver ait un établi d'une hauteur convenable : qu'il n'ait point la tête trop baissée ni le corps trop droit : que son établi soit un peu élevé en pupitre : qu'il ait le jour en face, parce que la coupe faite, la petite ombre du bois coupé le guidera pour la recoupe. Sans cette ombre l'on auroit peine, en hyver que l'humidité ou l'haleine enfle le bois, à discerner la trace de la pointe. Qu'il fasse d'abord quelques traits sur un morceau de poirier, au bout de la pointe, sans avoir été dessinés. Pour cet effet qu'il tienne la planche fermement de la main gauche : qu'il ait dans la droite sa pointe à graver, à-peu-près comme une plume à écrire, mais que sa main soit un peu plus tournée & panchée vers le corps. Que le biseau du taillant de la pointe soit du même côté, ensorte qu'on ne voye presque que l'épaisseur de la lame, obliquement, très-peu du plat, du taillant & du bout de la pointe, & le dessus de la main. Qu'il enfonce l'outil dans le bois, sur le plan incliné du biseau du taillant, & qu'il fasse la coupe. C'est la premiere & principale opération du graveur. Que les deux derniers doigts de sa main posent sur la planche, pour ne pas être gênés, en tirant la pointe de gauche à droite, comme on voit en A ; c'est le contraire de la gravure au burin, où l'outil est poussé de droite à gauche.

Pour enlever le bois coupé, l'on fait la recoupe. La recoupe est la seconde opération. Que la main soit tournée en-dehors du corps, de façon qu'on n'en voye que le pouce & l'index qui tiennent la pointe, avec le bout du doigt du milieu : que les autres doigts soient posés & presque cachés sur la planche : qu'on enfonce la pointe au-dessus de la coupe, & où l'on a commencé à la former, ensorte qu'elle entre dans le bois, appuyée en-dehors du corps, sur le côté du taillant qui n'a point de biseau, & que l'on voye tout le côté du taillant du biseau, malgré l'ombre. Cela supposé, si l'on tire parallelement l'outil de gauche à droite, on enlevera le bois à mesure qu'il se détachera, comme on voit en B fig. 4.

Pour achever de former ou graver le trait, le contour, ou la taille commencée, on en fera autant qu'il a été dit, par une coupe & une recoupe du côté opposé à celui que l'on aura gravé : & on donnera à ce trait, ce contour, ou taille, une figure pyramidale sur toute sa longueur, plus ou moins menue, selon qu'on l'aura voulu.

On se formera la main en faisant des traits en-travers du fil du bois, comme en C, fig. 5. retournant la planche, le fil du bois montant toûjours devant soi, & faisant une autre coupe comme en D, fig. 6. Les deux coupes faites, retournant la planche d'un autre sens, le fil du bois en-travers devant soi, & y traçant à des distances égales d'autres coupes en échelle, depuis le haut jusqu'en-bas, comme on voit en E, fig. 7. Les lignes tracées fig. 7. dénotant où l'on a passé la pointe, il s'agit d'enlever le bois à cette espece d'échelle ; pour cela on recoupe & l'on acheve les tailles, comme dans la fig. 8. commençant toûjours par celle d'en-haut, & finissant par celle d'en-bas. On voit fig. 9. la forme que doivent avoir les tailles. Ce sont comme des dents de scie : & l'espace qui les constitue est une espece de gouttiere.

Il faut bien prendre garde à la coupe, de ne pas coucher la pointe vers le corps, plus qu'il n'a été prescrit : on s'exposeroit à endommager les tailles par le pié, ce qui les rendroit sujettes à se casser.

Quand on fait des tailles en-travers du fil du bois, s'il arrive qu'il soit disposé à s'égrener, on exécute la recoupe avant la coupe.

Voilà pour les tailles droites. Les circulaires ou courbes se font en tournant un peu la main sur elle-même devant soi, toûjours de gauche à droite, tant à la coupe qu'à la recoupe, concourant à cette opération, de la main qui tiendra la planche & qui la fera mouvoir à contre-sens de la main qui tiendra l'instrument ; commençant la coupe & la recoupe en A, & les finissant en B, fig. 13. où les traits blancs marquent le relief, & l'ombre marque les creux.

Les entre-tailles ou tailles courtes entre des longues, comme on en voit en C, fig. 14. se font comme les tailles ordinaires, les racourcissant seulement à volonté.

Les entre-tailles ou tailles rentrées ou grossies par endroits, ne se font pas autrement que les tailles, observant sur leur longueur de réserver des endroits plus épais & plus nourris, comme on voit fig. 15.

Pour les contre-tailles ou secondes tailles, l'on fait d'abord toutes les coupes paralleles, comme à des tailles simples : puis l'on croise ces coupes par d'autres, sous toutes sortes d'angles : observant de ne pas trop enfoncer la pointe, de peur d'égrener ou même de détacher les croisées : procédant ensuite carreau par carreau, en équerre, à contre-sens de ce qui a été coupé, l'on recoupe ; & lorsque tout est gravé, on passe en frottant l'ongle sur les croisées pour les raffermir. Voyez la fig. 16. où les carreaux sont creux, & les tailles croisées de relief.

Nous ne dirons des triples tailles, sinon qu'il faut à chaque sens de chaque taille, faire d'abord les trois coupes, ce qui divise ou coupe toutes leurs croisées : aller posément, passer d'un petit carreau à un autre, y faire la recoupe, & enlever le bois, ce qui suppose un artiste exercé, Voyez la fig. 17.

S'il arrive que parmi des tailles on en fasse qui soient de beaucoup plus basses que celles entre lesquelles elles se trouvent, de sorte que ces dernieres empêchent la balle d'atteindre aux autres, & par conséquent celles-ci de laisser aucun trait sur le papier, on appelle ces tailles tailles perdues. L'effet en est irréparable & mauvais, sur-tout dans les morceaux délicats.

Les points si faciles à faire dans la gravure en cuivre, sont très-difficiles dans la gravure en bois. Il faut qu'ils soient de relief, vuidés tout-autour, & assez solides à la base pour ne point se casser ou s'écraser. Pour cet effet, il faut faire cette base à quatre faces, en pyramide. On ne les arrangera point par colonnes, comme font ceux qui après avoir gravé les tailles, les coupent & recoupent tout en-travers, pour abréger l'ouvrage : en exécutant d'une seule coupe & recoupe toute la largeur des points qu'ils ont à marquer : au hasard de faire partir & sauter les points qu'ils gravent ainsi, par les soubresauts de la pointe de taille en taille ; mais il faut, après avoir divisé toute la longueur d'une taille par des points un à un, former à la taille d'à-côté les points correspondans à l'entre-deux de chacun des autres, & ainsi de suite, comme on voit fig. 18. & 19. Si les points n'étoient pas assez fins pour paroître ronds, il faudroit en abattre ou adoucir les angles ; car rien n'est plus desagréable que des points quarrés à des ouvrages délicats, sur-tout à des chairs pointillées, s'il arrivoit d'en faire ; ce qui est rare dans la gravure en bois, où l'on ne porte guere le fini jusque-là.

Les points longs ou tailles courtes se font quelquefois au bout des grandes tailles, en les séparant à leurs extrémités. Il faut les rendre très-déliées & très-pointues où elles se doivent perdre dans les clairs. L'on en glisse aussi parmi des tailles qui ombrent la pierre, &c. alors il semble qu'il les faut d'égale épaisseur dans leurs petites longueurs, afin d'en obtenir l'effet des entre-tailles. Mais l'usage de ces points longs est rare dans la gravure en bois.

Voilà les manoeuvres auxquelles il faut s'exercer, avant que de passer à des sujets. On passera du poirier au buis, des traits aux desseins, & des contours simples aux vuides. Il s'agit maintenant de vuider solidement & proprement la gravure. Dégagez d'abord fermement vos contours avec la pointe, que vous passerez & repasserez dans tout le creux de la gravure qui bordera les champs ou parties de buis qu'il faut enlever & creuser ; servez-vous ensuite du fermoir pour enlever autour de ces traits le bois, partie par partie. Le dégagement avec la pointe qui aura précédé, empêchera le fil du bois d'entraîner le fermoir, & les copeaux qu'on séparera, d'en attirer d'autres.

L'art de bien vuider a été assez négligé : ou les artistes sont mal outillés pour cette manoeuvre : ou ils ne font consister la perfection que dans les tailles : ou ils sacrifient tout à la diligence, négligent la propreté & la solidité, & ne vuident les champs que superficiellement ou grossierement, sans les ragréer, polir, & finir à la gouge ; ou ils abandonnent ce travail à des apprentis qui, ne prenant aucune attention pour ne pas appuyer la lame de l'outil sur les traits, les meurtrissent, écrasent, & font égrener : ou qui baissant trop le coude en agissant, & tenant la lame du fermoir ou de la gouge presque de niveau au plan sur lequel la planche est posée, font passer l'outil tout au-travers de la gravure, & la défigurent par sept à huit échappades ou breches : ou qui ne contenant pas leur main droite par la gauche, vont donner du taillant de l'outil au pié d'un contour ou d'une taille qu'ils coupent, cassent, ou ébrechent tout-à-fait. On ne répare ces accidens que par des pieces ; & cette réparation laisse toûjours de très-mauvais effets. D'ailleurs le vuider peu profond & grossier, fait que des places qui doivent être blanches, viennent maculées d'encre.

Pour bien vuider une planche, il faut être assis plus haut que pour la graver. Cela fait, on plante une cheville dans un des trous répandus à distance sur l'établi, pour y appuyer l'ouvrage s'il en est besoin. On a un fermoir dans la main droite : ce fermoir doit être de moyenne largeur, comme de deux lignes ou environ : la partie du bouton de son manche est placée dans la main, comme on voit fig. 3. Pl. 3. le biseau du taillant de l'outil en A, & un peu de l'épaisseur de la lame, paroissant du côté droit sur toute sa longueur. On tient la planche de la main gauche : on écarte le pouce en B, fig. 4. pour recevoir & soûtenir, comme en C, le bout du pouce de l'autre main qui tient le fermoir ; par ce moyen la lame de l'outil appuyée du côté gauche en O, peut facilement glisser d'environ la longueur de quatre lignes seulement ; en avançant & retirant vers le creux de la main les quatre autres doigts. C'est ainsi que l'outil va & vient à discrétion dans le bois. Cependant cette position n'est encore que préparatoire ; pour dégager, on tirera le bras droit assez, pour que l'outil poussé entre diagonalement dans le bois : alors la situation des mains changera, prendra celles qu'on a représentées fig. 5. & 6. & l'on vuidera sans danger.

Le bois ainsi ébauché & enlevé dans toute une longueur à volonté, on y repassera le fermoir pour la polir par-tout, jusqu'à la base des contours ou traits.

Si l'on sent en dégageant que l'on est dans le fil du bois, & qu'on en est entraîné, on reprendra la pointe qu'on repassera au pié du trait ; ou pour le mieux, on enfoncera moins l'outil par le côté du fil, qu'à contre-fil.

S'il y a des petites parties à vuider qui n'exigent pas de dégagement avec le fermoir, il faut les vuider en plain avec les outils proportionnés à leurs espaces.

On voit fig. 7. une planche entierement dégagée avec le fermoir. Il s'agit de vuider les grands champs comme en L. Il y faut procéder à coups de maillet avec des gouges proportionnées, comme on voit dans la vignette. On commencera cette manoeuvre à contre-fil : puis de droit fil ; l'on formera ainsi un bloc de copeau qu'on enlevera. On réparera ensuite ces creux à la gouge sans maillet, plaçant les mains comme nous les avons montrées ci-dessus, & conduisant l'outil de maniere à ne faire aucune échappade. Plus les places à vuider seront grandes, plus il faudra les creuser, afin que les balles & le papier n'y atteignent pas à l'impression. Ainsi une place d'un pouce de diamêtre sera creusée d'environ 3 lignes, & ainsi des autres à proportion.

Les parties à vuider sur les bords d'une planche sans filets, comme aux fleurons, aux figures de Mathématiques, &c. le seront à coups de gouges & de maillet, & presqu'à moitié de leur épaisseur sur leurs extrémités, pour peu que les places soient grandes, afin d'empêcher les balles & le papier d'y atteindre. Ces places n'étant point soûtenues, les balles y pochent plus, & il y faut vuider plus creux, plus d'à-plomb, & plus en fond qu'ailleurs. Voyez Pl. III. fig. 10.

Malgré toutes ces précautions, s'il arrive qu'on fasse quelqu'échappade, qu'il y ait quelque trait ou taille brisée, éclatée, il y faut remédier par une piece, ainsi que nous allons l'indiquer.

Vuider & mettre pieces. Si bien mises que soient des pieces, elles peuvent se renfler à l'impression, après avoir été mouillées, ou par d'autres causes, excéder le reste de la superficie, & marquer plus noir ; ou si elles n'excedent pas, laisser leurs limites sur l'estampe.

Si une planche est échapadée, on prendra un fermoir de grandeur convenable ; on en tournera le biseau vers le dedans du trou qu'on veut pratiquer à l'endroit échapadé : & l'on fera ce trou qu'on tiendra d'abord plus petit. On tracera les limites du trou à petits coups : puis avec un fermoir plus petit, l'on enlevera tout le bois de l'enceinte. L'attention principale, c'est de ne pas froisser ou meurtrir les traits contigus à cette ouverture. On la creusera de deux lignes plus profonde que le trait ébreché. On en planira le fond : on en unira bien les côtés ; on la repassera à la main & au fermoir : on en rendra les bords bien vifs & bien nets : on observera de la creuser un peu plus large à son fond qu'à son entrée, afin que la piece y entre facilement, s'y étende, & se resserre d'autant à sa surface.

Cela fait, on taillera un morceau de bois, de maniere à remplir ce trou le plus exactement qu'il sera possible ; on l'y placera le bois plein tourné en-dessus, & le bois debout tourné vers un des côtés : après avoir enduit toute l'ouverture d'un peu de colle-forte ou de gomme arabique, ou même sans cette précaution, on l'enchâssera fortement à l'aide d'un maillet & d'un morceau de bois qu'on appuyera dessus, & sur lequel on frappera. On enlevera ensuite avec un fermoir l'excédent de la piece : on la polira : on dessinera dessus, & l'on recommencera de graver sur la piece, comme on a gravé sur le reste de la planche.

Des passes-par-tout. L'on entend par ce mot des morceaux de bois troüés, où l'on place telle lettre de fonte que l'on veut. Pour les bien faire, prenez un morceau de bois équarri, de la hauteur de la lettre : tracez dessus & dessous au trusquin le trou que vous y voulez percer. Arrêtez ensuite votre bois dans l'entaille : évuidez-le dessus & dessous au fermoir, à une ligne ou deux de profondeur ; puis le transportant de l'entaille dans un étau, arrêtez-le dedans, & le percez d'un ou de plusieurs trous avec un vilebrequin, jusqu'à moitié de l'épaisseur du bois. Faites-en autant de l'autre côté. Remettez-le ensuite dans l'entaille, & avec des fermoirs de différentes formes, achevez d'emporter le bois qu'occupe l'intérieur du trou que vous avez à percer. Cela fait, polissez-en l'intérieur & les bords : tracez à la plume ce que vous y voulez graver, & achevez.

Epreuves. Voici comment on aura des épreuves de son ouvrage sans recourir à l'imprimeur. On mouillera à l'éponge, ou l'on trempera son papier ou deux à deux, ou quatre à quatre, ou six à six feuilles ; on intercallera chaque feuille trempée avec des feuilles seches ; on le maniera, changera de côté, mêlera, quelques heures après la trempe, & le séjour de quelques heures sous la presse dont nous avons parlé parmi les outils. On aura du noir d'imprimeur qu'on broyera sur le marbre : on en touchera la balle : l'on promenera la balle sur la planche : on étendra une feuille sur la planche enduite de noir, & l'on passera le rouleau sur la feuille. On aura par ce moyen une épreuve sur laquelle on pourra retoucher son ouvrage. L'art de retoucher est sans contredit la partie la plus difficile de la gravure en bois.

Retoucher. On ne renouvelle pas par la retouche une planche en bois, comme une planche en cuivre. On ne rétablit pas la taille d'épargne, s'il arrive qu'elle soit écrasée, ou devenue filandreuse par le mouillage & le long service ; ou si l'on répare ainsi quelques ouvrages, ce sont des morceaux grossiers, & non des gravures délicates. Ce seroit plûtôt fait de regraver une autre planche.

Nous entendons par retoucher, revenir sur une planche nouvelle, pour la perfectionner, en affoiblissant les traits & les contours qu'on trouve trop durs, trop roides, ou trop marqués.

Tout se réduit ici à exhorter le graveur à faire cette retouche le plus judicieusement qu'il pourra, réfléchissant sur-tout qu'il ne suppléera pas le bois qu'il aura enlevé mal-à-propos. Nous en dirons davantage plus bas, où nous exposerons d'après M. Papillon les ressources qu'il a imaginées & portées dans son art.

Impression. Lorsque la planche est sortie des mains du graveur, c'est souvent à l'imprimeur, pour qui elle est destinée, à la faire valoir son prix.

Les pressiers prennent une seule fois de l'encre pour cinq épreuves : d'où il peut arriver que les premieres soient pochées, les secondes boüeuses, & les dernieres grises ; premier défaut à éviter. Il faudroit à chaque épreuve prendre de l'encre, & n'en prendre que ce qu'il faut ; avoir des balles moins pesantes, toucher avec ménagement & moins de promtitude, en un mot user des précautions nécessaires.

Si le papier est trop sec, la gravure viendra neigeuse : autre défaut. La gravure est neigeuse lorsque les tailles & les traits sont confondus, & qu'on n'apperçoit que des petits points vermichelés.

Si le papier est trop humide, on aura des taches, ou places dans lesquelles l'estampe aura trop ou n'aura pas assez pris de noir.

Si la planche est plus haute que la lettre, il faut qu'elle vienne pochée. Laissez-la de niveau avec la lettre, le tympan foulera toûjours assez ; ou si l'empreinte n'est pas assez forte, vous aurez toûjours la ressource des hausses.

Il ne faut pas tenir une planche en bois pour usée lorsqu'elle donne des épreuves grises ou neigeuses. On se laisse dans ce jugement tromper par une conformité qu'on suppose, & qui n'existe pas entre la gravure en cuivre & la gravure en bois. Il faut savoir qu'à la gravure en cuivre, lorsqu'elle est usée, tous les traits s'affoiblissent & s'effaçent ; & qu'au contraire à la gravure en bois, les tailles se confondent, se pâtent, & ne font plus qu'une masse.

Supplément. Il est peu de graveurs qui ne sachent ce que nous avons dit jusqu'à présent sur la gravure en bois. Nous allons ajoûter ici par supplément ce que M. Papillon a découvert, & ce qui lui appartient en propre dans cet art.

La premiere de ses découvertes est relative à la maniere de creuser & de préparer le bois pour graver des lointains ou parties éclairées, & de gratter les tailles déjà gravées, pour les rendre plus fortes & les faire ombrer davantage.

La seconde est relative à la maniere de retoucher proprement la gravure en bois.

Nous finirons par ses idées sur la méthode d'imprimer les endroits creux.

Pour creuser à une planche, un lointain, un ciel, ou autre chose, on dessinera tout le reste, à la réserve de ces objets. Ensuite pour ébaucher le creux, on prendra une gouge de la grandeur convenable ; on enlevera le bois peu-à-peu, & à contre-fil, autant qu'on pourra : & l'on en ôtera peu sur les bords, afin que la pente du creux y commence en douceur, & qu'elle aille imperceptiblement en glacis. Cela est important. Si les bords étoient creusés trop profonds ou à-plomb, la gravure ne marqueroit pas en ces endroits quand on imprimeroit, la balle ne pouvant y atteindre ; & quand la balle y toucheroit, les hausses qu'on seroit forcé de mettre au tympan, feroient casser le papier à ces bords du creux. Il en arriveroit de même au rouleau, lorsqu'on appuyeroit le bout des doigts pour faire venir la gravure aux endroits creusés.

On polira cette ébauche avec la même gouge, le plus proprement qu'on pourra, afin d'avoir moins à travailler au grattoir à creuser. La lame de ce dernier instrument se fera avec un bout de ressort, comme la pointe à graver. On la trempera plûtôt molle que seche, afin qu'étant aiguisée, le morfil y tienne mieux. Il faut qu'elle soit tranchante sur l'épaisseur de la lame, comme au racloir ou grattoir ordinaire ; il faut que cette partie soit courbe à droite & à gauche, & non de niveau comme à un fermoir. Les angles feroient des rayures qu'on auroit beaucoup de peine à atteindre & à effacer.

On prendra garde de ne point trop creuser l'endroit que l'on voudra graver. Il ne faut donner qu'une demi-ligne de creux à un espace d'un pouce, & cela encore à l'endroit le plus profond.

Le creux étant ébauché parfaitement à la gouge, on le repassera & polira au grattoir à creuser, jusqu'à ce qu'il ait la concavité convenable, & qu'il soit sans rayures, inégalités, & dentelures. Pour l'achever, on se servira de la prêle.

Ce creux étant fini, on le frottera avec du sandarac en poudre, & l'on y dessinera ce qu'on voudra graver. Si c'est un ciel, un horison, une riviere, ou un autre objet qui exige des tailles horisontales ou perpendiculaires, on y tracera d'abord des lignes d'espace en espace avec le trusquin. Sans ces guides, on ne graveroit jamais les tailles de niveau ou à-plomb. On les croiroit telles, elles le paroîtroient, & elles ne produiroient point cet effet à l'épreuve : elles seroient plus ou moins courbées par leurs extrémités ; c'est la suite du plus ou moins de profondeur du creux.

Il faudra graver un peu plus à-plomb que de coûtume sur le glacis d'un endroit creusé, afin que la gravure ne soit point faite ni couchée sur le même plan de ce glacis, ce qui la rendroit sujette à pocher ou à s'engorger d'encre. On levera le coude ou le poignet en y gravant, sans quoi on risquera de sentir la pointe s'arrêter par l'extrémité du manche aux bords supérieurs de l'endroit creusé. Il faut aussi que la gravure soit plus profonde sur le glacis, & les traits des bords plus à-plomb, par les mêmes raisons. On veillera à n'y point couper les tailles par le pié : pour peu qu'on s'oubliât & qu'on ne contînt pas sa pointe fortement, la pente du glacis rejetteroit l'outil en-dehors en faisant les coupes, le repousseroit en-dedans en faisant les recoupes, ce qui occasionneroit nécessairement l'accident qu'on a dit.

Pour rendre des tailles plus fortes ou plus épaisses qu'elles n'auroient été gravées, & qu'elles ne paroîtront à une premiere épreuve, on grattera legerement leur superficie avec le grattoir à creuser, ou plutôt à ombrer, parce que celui-ci n'étant presque point courbe, on en avancera plus facilement l'ouvrage. On choisira celui de ces grattoirs qui mordra le moins & l'on grattera l'endroit à retoucher autant qu'il sera possible, opérant dans le sens du fil du bois ; autrement on pourroit rendre les tailles barbelées. On évitera de les gratter sur leurs travers, de crainte que le grattoir ne les égrene en sautillant de taille en taille. On brossera avec une petite brosse, on soufflera sur la gravure, afin de chasser la raclure du bois qui resteroit & rempliroit l'entre-deux des tailles. Quand les tailles grattées paroîtront plus épaisses, on tirera une seconde épreuve de la planche. Si les tailles grattées ne semblent pas encore assez fortes, on recommencera ; & ainsi de suite jusqu'à ce qu'on soit satisfait. Cependant il faut procéder avec circonspection. On ne rendra point très-épaisses des tailles qui auront été gravées très-fines & un peu écartées les unes des autres ; il faudroit atteindre à la racine des tailles : & alors les tailles trop profondes ne viendroient plus à l'impression. Il ne faut pas que le milieu des endroits grattés soit plus bas qu'un quart-de-ligne, ou tout-au-plus une demi-ligne. Le plus ou moins de profondeur doit dépendre du plus ou moins d'étendue de gravure que l'on grattera. Il faut encore observer de former un glacis imperceptible qui, à mesure qu'on approchera des bords de l'endroit qu'on grattera, soit un peu plus relevé & anticipe en s'éteignant, en se perdant sur la gravure qui sera autour. Ce travail est très-nécessaire pour faciliter le tirage des épreuves ; autrement les tailles grattées auront peine à marquer à l'impression, & la peine d'ajuster des hausses au tympan seroit embarrassante. On est toûjours maître de retoucher & de baisser un peu avec la pointe à graver les tailles où l'on a formé ce glacis, quand on s'apperçoit que le grattoir les a rendues trop épaisses.

Cependant je ne peux nier que cette pratique de gratter les tailles pour les rendre plus fortes, ne m'ait fait souvent observer qu'elles devenoient inégales & brouillées, se pâtoient, & ne faisoient plus qu'une partie matte & noire. La pointe ayant enlevé le bois inégalement dans le fond des tailles par la coupe & par la recoupe, & comme il est impossible de l'enfoncer également par-tout, soit parce qu'il y a des veines dans le bois plus tendres les unes que les autres, soit par l'incertitude de la main & de l'outil, à mesure qu'en grattant l'on a plus approché du fond des tailles, on les a confondues davantage. Le seul remede qu'il y ait, c'est de repasser legerement la pointe dans les mêmes coupes & recoupes, & d'enlever le bois qui empêche le blanc de paroître net & égal. Cette remarque est importante. Alors la retouche est nécessaire, à-moins que le mauvais effet ne vînt de la poussiere retenue entre les tailles, d'où on la chassera avec une pointe à calquer, fine, & non mordante, qu'on essuyera à chaque instant, à mesure qu'on s'en servira. La poussiere peut tenir fortement, mêlée avec le noir qui la mastique, pour ainsi dire, dans la gravure.

On peut creuser également le cormier, le poirier, &c. pour graver selon la méthode de M. Papillon ; mais il faut en polissant suivre le fil du bois ; si le grattoir avoit été employé à contre-fil, on ne pourroit plus polir proprement. Il en faut dire autant des tailles que l'on gratteroit pour les rendre plus nourries, après avoir été gravées.

Quelques personnes s'étoient apperçûes que les creux des planches de M. Papillon étoient travaillés singulierement ; des graveurs en bois l'ont questionné là-dessus : malgré cette observation de leur part, M. Papillon ne connoît aucun artiste qui ait encore tenté de creuser une planche avant de la graver. Ceux qui savent que l'on peut retoucher la gravure en bois, croyent que ces creux sont produits par la fréquence des retouches ; & ce nombre même est très-petit : presque personne ne croyant qu'on puisse retoucher une planche après une premiere épreuve. Quant à l'art de fortifier des tailles & de les faire ombrer davantage, il pense aussi qu'aucun graveur ne s'en est avisé, & il ajoûte qu'il n'en est pas surpris, & que cette manoeuvre lui paroîtroit absurde à lui-même, si l'expérience qu'il en fait ne la justifioit.

De la maniere de retoucher proprement. Il n'y a presque pas un morceau gravé en bois, qui n'ait besoin après la premiere épreuve, d'être retouché, quelque net qu'il paroisse, à-moins qu'il ne soit de forte taille, comme une affiche de comédie, &c. Les pieces délicates ne peuvent rester gravées au premier coup, parce que destinées pour l'imprimerie en lettre, & la presse les foulant beaucoup plus que le rouleau, une épreuve imprimée au rouleau paroîtra bien nette, & cependant toutes les tailles déliées en viendront trop dures, si on la tire à la presse. On ne peut donc alors se dispenser de retoucher.

Pour n'avoir pas toûjours à regarder en gravant, un dessein, à contredit de celui qui seroit sur la planche, lorsqu'il s'agiroit d'y placer & graver les ombres, M. Papillon lave à l'encre de la Chine ses desseins sur le bois même : ce qui épargne du tems & donne du feu. Alors il ne fait qu'un croquis au crayon rouge, qui se calque sur la planche, qui se rectifie ensuite à la mine-de-plomb, & qu'il finit à l'encre & à la plume, traçant, lavant, & ombrant. Mais qu'arrive-t-il de-là ? c'est que l'encre de la Chine qui a servi à ombrer, peut former sur la planche une certaine épaisseur. Alors, avant que de faire une premiere épreuve, on prendra une éponge & de l'eau, on nettoyera la planche, on la laissera secher, & l'on tirera l'épreuve.

Si l'on s'apperçoit qu'il y ait beaucoup à retoucher, on n'essuyera pas la planche avec une autre épreuve faite sans avoir pris de l'encre, afin de pouvoir distinguer facilement les tailles, & remarquer les endroits où il faudra les adoucir & abaisser, en les retouchant avec la pointe à graver.

Si on veut éviter de se salir les doigts, on laissera sécher la planche un jour ou deux. La vûe se reposera pendant ce tems ; car fatiguée d'une application assidue d'un mois ou deux sur une même planche, elle n'en peut presque pas juger la premiere épreuve.

Pour retoucher on aura devant soi son épreuve ; on n'oubliera pas que les tailles de la planche sont à contre-sens de l'estampe ; on verra si une taille est trop épaisse seulement en quelques endroits ou sur toute sa longueur : on la diminuera de son épaisseur par le côté convenable, égalisant autant qu'il est possible la distance de cette taille à la suivante, avec les autres entre-deux ou distances de tailles ; on veillera à ne point trop ôter de bois, sans quoi la taille sera perdue : on aura soin de brosser à mesure qu'on avancera, afin que les petits copeaux ne restent pas dans la gravure.

On sent combien le dessein est nécessaire dans la retouche, soit pour ne pas estropier un contours, déplacer un muscle, pécher contre le clair-obscur ; soit en diminuant le trait par le côté opposé à celui qu'il falloit choisir, enflant ou amaigrissant mal-à-propos ; soit en revenant sur des tailles qui étoient bien, rendant clair ce qu'il falloit laisser obscur, courbant ce qu'il falloit redresser, redressant ce qu'il falloit courber, &c.

Quand on sera obligé de retoucher ou diminuer, par exemple, l'épaisseur du trait A par le côté où il tiendra aux tailles B, on le fera taille par taille, c'est-à-dire qu'on appuyera un peu la pointe au côté de la coupe d'une taille, à son extrémité, sur le trait duquel on fera entrer le taillant de la pointe, suivant à-peu-près l'épaisseur du bois qu'on voudra ôter au trait. On fera la même chose vis-à-vis sur le côté de la recoupe de la taille, qui est au-dessus de celle dont on vient de parler. Cela fait, on retouchera le trait enlevant le bois depuis une taille jusqu'à l'autre, comme on voit par les points de la figure suivante ; ce qui fera trois coups de pointe à donner entre ces deux tailles. Trait A, tailles B, C, partie retranchée du trait.

C'est ainsi qu'il faut s'y prendre pour retoucher le trait du côté où il tient à des tailles ; car si l'on faisoit d'abord une coupe en passant la pointe dans l'épaisseur du trait & dans toute sa longueur, pour couper & recouper ensuite le bois en-travers taille par taille ; cela feroit coupe sur coupe, & toutes les tailles seroient infailliblement endommagées, interrompues par le bout, & ne tiendroient plus au trait ; elles en seroient séparées par l'ancienne coupe faite en cet endroit pour le former & pour dégager les tailles ; le bois se sépareroit de lui-même en cet endroit, & l'on ne pourroit y remédier.

C'est de la même maniere qu'on retouchera les gravures aux endroits qu'on aura creusés, & s'il est nécessaire, où l'on aura gratté des tailles, observant de tenir toûjours la pointe plus à-plomb sur le glacis des endroits creusés & des tailles grattées. Après avoir retouché, on tirera une seconde épreuve, qu'on retouchera si le trait & les tailles ne paroissent pas encore assez adoucis ; puis une troisieme & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on soit satisfait de son ouvrage.

On gardera dans un porte-feuille les premieres épreuves de chaque planche, selon l'ordre où elles auront été tirées avant & après les retouches, & l'on connoîtra par comparaison les progrès qu'on fera d'année en année.

Les Holbeins, Bernard Salomon & C. S. Vichem ont retouché quelques-uns de leurs morceaux en bois, à la pointe à graver ; mais seulement à certains endroits, à l'extrémité des tailles éclairées : jamais dans les grandes parties ; & sur les estampes que M. Papillon a d'eux, il prétend qu'ils ne l'ont fait qu'une fois à chacune de leurs planches, excepté celle de la bible d'Holbein, où Abisaig est à genoux devant David, & où la retouche est très-sensible aux traits de la montagne que l'on voit par la croisée de la chambre ; quelques figures emblématiques de Bernard Salomon, & autres morceaux de C. S. Vichem. Il est sûr que ces graveurs habiles entre les anciens n'ont point retouché de lointains ni de ciel ; & que parmi les modernes, MM. Vincent le Sueur, son frere Pierre, Nicolas fils de ce dernier, sont les seuls qui ayent retouché leurs gravures à de grandes parties. Le pere de M. Papillon n'avoit pas cet usage, & M. son fils dit que c'est une des raisons pour lesquelles ses gravures manquent d'effet.

Maniere de bien imprimer les endroits creusés de la gravure. On fera atteindre le papier aux endroits creusés, soit avec le doigt, le pouce, ou la paume de la main, selon leur étendue, lorsqu'on imprimera au rouleau : ce secours ne sera pas nécessaire à l'impression en lettres, où l'on a celui des hausses & de la foule du tympan, qu'il faut toutefois savoir préparer. On collera un morceau de papier ou deux à l'endroit du tympan, qui répondra au creux de la planche. Il faut que ces papiers occupent toute l'étendue du creux. Sur ces premiers papiers on en collera d'autres, qui iront toûjours en diminuant jusqu'au centre. Il ne faut pas couper ces morceaux avec des ciseaux, mais en déchirer les bords avec les ongles. Sans cette attention, l'épaisseur du papier formera une gaufrure & un trait blanc à l'épreuve.

Si un lointain ou un autre endroit creusé vient trop dur à l'impression, il faudra mettre une ou plusieurs hausses au tympan de toute l'étendue de la planche ; mais découper ces hausses & en ôter le papier à l'endroit qui répondra au lointain, ou même, sans employer de hausses, découper la feuille du tympan à l'endroit convenable. On pourroit même dans un besoin y découper le parchemin du tympan, & le premier lange ou blanchet. Il faudra que les blanchets ayent déjà servi ; neufs, ils feroient venir la gravure trop dure.

Voilà tout ce que nous avons cru devoir employer des mémoires très-savans & très-étendus que M. Papillon nous a communiqués sur son art : la réputation & les ouvrages de cet artiste doivent répondre de la bonté de cet article, si nous avons bien sû tirer parti de ses lumieres. Au reste ces principes sont les premiers qui ayent jamais été publiés sur cet art, & ils sont tous de M. Papillon ; nous n'avons eu que le petit mérite de les rédiger.

* GRAVURE EN CREUX sur le bois & de dépouille. L'on a par le moyen de cette gravure, des empreintes de relief en pâte, terre ou sable préparés, beurre, cire, carton, &c. des sceaux, des cachets, des armoiries de cloche à cire perdue ; des figures pour la pâtisserie, les desserts, les sucreries, &c.

Il est vraisemblable qu'on a commencé à graver sur le bois, avant que de graver sur aucune matiere plus dure ; & il ne l'est pas moins que la gravure en creux, appellée anciennement engravure, a précédé la gravure.

Il faut distinguer deux sortes de gravure en creux, relativement aux outils dont on s'est servi ; l'une en gouttiere exécutée avec des outils tranchans, tels que le couteau, le fermoir, le canif & la gouge ; l'autre plus parfaite, travaillée à la gouge plus ou moins courbe ; le fermoir & la pointe à graver n'y sont que rarement employés : de-là & ses vives arêtes & ses bords adoucis, & son caractere de dépouille que n'a point la premiere dont les angles & les vives arêtes aiguës sont sujets à retenir des parties des substances molles sur lesquelles on veut avoir les reliefs des gravures.

Les anciens n'ont guere connu d'autres gravures que celles-là, si l'on y ajoûte celles qu'ils opéroient avec le fer brûlant.

Il faut pour la gravure en bois & de dépouille, donner la préférence au buis qui se polit mieux qu'aucun autre bois ; & la manoeuvre principale consiste à faire ensorte que les parties creuses, quelles qu'elles soient, ne soient point coupées, soit perpendiculairement au plan de la planche, soit en-dessous. Il faut que les enfoncemens aillent en pente depuis leurs bords jusqu'à leurs fonds, & qu'ils n'ayent en général aucune gouttiere ni aucune saillie trop aiguë ; le relief qui en viendroit seroit desagréable, à-moins que l'objet représenté ne l'eût exigé.

Les parties creusées à deux, trois reprises, sont celles qui demandent le plus d'attention. L'écusson d'une armoirie, par exemple, étant creusé d'un demi-pouce de profondeur, comme nous l'avons prescrit ; si cet écusson a un surtout, on le fera de deux lignes plus profond que le reste, & les figures qu'il portera, d'une ligne ou d'une demi-ligne. Quant aux petites parties qui pourront se faire à la main, d'un seul coup de gouge ou de fermoir, il faudra les couper nettes jusqu'au fond.

On montera sur des manches les parties d'un ouvrage qui seront isolées, & qui se rapporteront dans l'usage les unes à côté des autres.

Si l'ouvrage & le manche étoient d'une piece, comme il arrive quelquefois, le graveur se trouveroit souvent dans le cas de travailler sur un bois debout, & de couper à contre-fil ; ce qui rendroit la gravure ingrate & mauvaise.

Dans ces cas on fera tourner le manche, & à l'extrémité du manche on pratiquera une entaille, dans laquelle on enchâssera une piece sur laquelle on gravera ; observant seulement que les bords de ces pieces ayent les contours nécessaires bien évidés, pour enlever les reliefs qu'on aura à en tirer.

On voit que si le graveur a à travailler sur un rouleau fait au tour, il y trouvera son avantage ; la forme lui donnant les ronds, quarts de ronds & autres bosses, qu'il auroit été obligé de tirer d'une surface plane.

Les pieces isolées demandent des doubles planches & des parties creusées à contredit les unes des autres ; il faut que les contours s'y correspondent avec beaucoup de précision, afin qu'appliquées l'une d'un côté, l'autre de l'autre, la pâte entre deux, le relief vienne comme on le desire. C'est la suite de l'exactitude des repaires, & de la parfaite ressemblance des deux morceaux gravés.

Gravure en bois d'une forte taille. C'est la même chose que la gravure ordinaire, avec cette différence qu'à celle-là les tailles sont plus grossieres : ce sont les mêmes manoeuvres & les mêmes outils ; il faut seulement que les pointes soient plus épaisses, plus fortes en lames, & plus obliques à la premiere partie du chef. C'est en cette gravure que sont les planches de dominoterie, de papiers de tapisserie, les affiches, les moules de cartes, les planches des toiles peintes, les enseignes des marchands, les desseins de jupons, &c.

Gravure en bois matte & de relief. C'est un diminutif de la précédente. Les grosses lettres d'affiches, les masses de rentrées pour les camayeux, & les toiles peintes, sont gravées de cette maniere. Elle est à l'usage des Fondeurs : c'est par son moyen qu'ils obtiennent en creux la terre ou le sable où ils coulent les métaux. Le graveur doit observer en leur faveur de graver ses traits & contours un peu en talud ; ils en feront plus de dépouille, & le creux ne retiendra aucune partie du métal, quand il s'agira d'en retirer la piece. Les planches de cuivre & autres ouvrages obtenus par cette manoeuvre, se reparent & s'achevent au ciselet : mais la gravure en bois a donné les grosses masses ; ce qui a épargné beaucoup d'ouvrage à l'artiste, qui, sans ce moyen, auroit été obligé d'exécuter au burin de grandes parties. Cet article & le suivant sont encore tirés des mém. de M. PAPILLON.

* GRAVURE EN BOIS, de camayeu, ou de clair-obscur, de relief, à tailles d'épargne & à rentrées, ou à plusieurs planches, formant autant de teintes par dégradation sur l'estampe.

Le camayeu est très-ancien, s'il est vrai que ce fut de cette maniere de peindre d'une seule couleur, qu'un certain Cléophante fut surnommé chez les Grecs le Monochromate. Quant à la gravure en camayeu, il est vraisemblable qu'elle a pris naissance chez quelques-uns de ces peuples orientaux, où l'usage de peindre leurs toiles par planches à rentrées & couleurs différentes, subsiste de tems immémorial. La gravure en bois conduisit à l'invention de l'Imprimerie en lettres ; & les premieres rentrées de lettres en vermillon qu'on voit dans des livres dès 1470 & 1472, exécutées par Guttemberg, Schoeffer & autres, suggérerent sans-doute à quelque peintre allemand d'imiter les desseins faits avec la pierre noire sur le papier bleu & rehaussés de blanc, avec deux planches en bois à rentrées, une pour le trait noir, & l'autre pour la teinte bleue, avec les rehauts ou les hachures blanches reservées dessus. Cette découverte a précédé l'année 1500. On voit de ces estampes ou premiers camayeux datés de 1504, qui ne sont pas sans mérite. Il y en a d'un goût gothique de Martin Schon, d'Albert Durer, de Hans ou Jean Burgkmaïr, & leurs contemporains.

Lucas de Leiden, Lucas Cranis ou de Cronach, Sebald, & presque tous ceux qui travailloient alors pour les Imprimeurs en lettres, ont gravé à deux planches ou rentrées.

Les Italiens s'appliquerent aussi à ce genre, après les Allemands. Voici ce qu'on en lit dans Felibien : " Hugo da Carpi, dit cet auteur, publia dans ses principes d'Architecture une maniere de graver en bois, par le moyen de laquelle les estampes paroissent comme lavées de clair-obscur : il faisoit, pour cet effet, trois sortes de planches d'un même dessein, lesquelles se tiroient l'une après l'autre sous la presse, sur une même estampe ; elles étoient gravées de façon que l'une servoit pour les jours & grandes lumieres ; l'autre pour les demi-teintes, & la troisieme pour les contours & les ombres fortes ".

Abraham Bosse qui a traité de tous les genres de gravure, a aussi parlé de la maniere de graver de Hugo da Carpi. " Au commencement du seizieme siecle, dit Bosse, on imagina en Italie & en Allemagne l'art d'imiter en estampes les desseins lavés, & l'espece de peinture à une seule couleur, que les Italiens appellent chiaro-scuro, & que nous connoissons sous le nom de camayeu ". On voit par l'historique qui précéde, que la gravure en camayeu est beaucoup plus ancienne que Bosse ne la fait. Il ajoûte " qu'avec le secours de cette invention, on exprima le passage des ombres aux lumieres & les différentes teintes du lavis ; que celui qui fit cette découverte s'appelloit Hugo da Carpi (autre erreur de Bosse), & qu'il exécuta de fort belles choses d'après les desseins de Raphael & du Parmesan ".

Voici exactement ce que Hugo da Carpi exécuta, au jugement de M. Papillon graveur en bois, qui a mieux examiné cette matiere qu'Abraham Bosse, & qui nous a communiqué un petit mémoire là-dessus. Hugo da Carpi grava des rentrées ou planches par parties mattes, & employa jusqu'à quatre planches de bois pour une estampe, sans y faire aucune taille, les imprimant d'une seule couleur par dégradation de teintes, chaque planche donnant à l'estampe une teinte différente ; il affectoit de se servir de papier gris, afin que les rehauts ou les parties les plus éclairées fussent d'une derniere teinte très-foible, qui se fondit mieux avec celles des planches gravées ; & il parvint par cette industrie à donner à ses ouvrages un air de peinture fort voisin du camayeu.

Ce secret plut tellement au célebre Raphael, qu'il souhaita que plusieurs de ses compositions fussent perpétuées de cette maniere ; il grava lui-même des camayeux en bois, auxquels il mit son initiale ou une R blanche à l'estampe, ou de la teinte la plus claire.

Sylvestre ou Marc de Ravenne, mais particulierement François Mazzuolo dit le Parmesan, ont beaucoup gravé de cette maniere, d'après Raphael ; ils furent imités par Jérôme Mazzuolo, Antonio Frontano, le Beccafumi, Baldassorne, Perucci, Benedict. Penozzi, Lucas Cangiage, Roger Goltz ou Goltzius, Henri & Hubert de même nom. Le trait des médailles données en camayeu par Hubert Goltzius peintre antiquaire, a été gravé à l'eau-forte. Plusieurs graveurs en ont fait autant depuis, pour avoir des copies plus exactes de desseins de peintres croqués à la plume & lavés de couleur ; ressource qui n'est applicable qu'à cet usage, car le trait maigre de l'eau-forte n'a ni la beauté ni l'expression du trait gravé en bois, qui est plus vigoureux & plus nourri.

Dès le tems des Goltzius, des graveurs en camayeu varioient leurs rentrées par différentes couleurs du trait, & chargeoient cette gravure de tailles & de contre-tailles, ce qui sortoit du genre, & nuisoit à l'effet du camayeu de Hugo da Carpi.

On a des gravures en camayeu de Vanius, Luvin, Dorigny, Bloemart, Fortunius, André Andriam, Pierre Gallus, Ligosse de Vérone, Baroche, Antonio da Trento, Giuseppe Scolari, Nicolas Rossilianus, Dominique Saliene, &c.

Cet art fleurit en 1600 sous Paul Molreelse d'Utrecht, George Lalleman, Businck, Stella, ses filles & sa niece, les deux Maupins, le Guide, Coriolan & Jean Coriolan ; en 1650, sous Christophe Jegher, qui a gravé d'après Rubens, Montenat, Vincent le Sueur qui n'y a pas réussi, Nicolas qui en a exécuté avec plus de succès pour M. Crozat & M. le comte de Caylus.

François Perrier peintre de Franche-Comté, imagina, il y a environ cent ans, de graver à l'eau-forte toutes ses rentrées de camayeu ; ce qui, selon Bosse, avoit déjà été tenté par le Parmesan, qui avoit abandonné cette maniere qui lui avoit paru trop mesquine. Elle se faisoit à deux planches de cuivre, dont l'une imprimoit le noir, & l'autre le blanc sur papier gris : mais ces estampes étoient sans agrément & sans effet, & Perrier abandonna ses planches de cuivre pour revenir à celles de bois.

Après ce petit historique, passons maintenant à la manoeuvre de l'art. Voici comment Bosse explique la manoeuvre de Hugo da Carpi. " Il faut, dit-il, avoir deux planches de pareille grandeur, exactement ajustées l'une sur l'autre : on peut sur l'une d'elles graver entierement ce que l'on desire, puis la faire imprimer de noir sur un papier gris & fort ; & ayant verni l'autre planche comme ci-devant, & l'ayant mise le côté verni dans l'endroit de l'empreinte que la planche gravée a faite en imprimant sur cette feuille, la passer de même entre les rouleaux : ladite estampe aura fait sa contre-épreuve sur la planche vernie. Après quoi il faut graver sur cette planche les rehauts, & les faire fort profondément creuser à l'eau-forte. On peut exécuter la même chose avec le burin, & même plus facilement.

La plus grande difficulté dans tout ceci est de trouver du papier & une huile qui ne fasse point jaunir ni roussir le blanc : le meilleur est de se servir d'huile de noix très-blanche & tirée sans feu, puis la mettre dans deux vaisseaux de plomb, & la laisser au soleil jusqu'à ce qu'elle soit épaissie à proportion de l'huile foible dont nous allons parler. Pour l'huile forte, on laissera l'un de ces vaisseaux bien plus de tems au soleil.

Il faut ensuite avoir du blanc de plomb bien net, & l'ayant lavé & broyé extrêmement fin, le faire sécher & en broyer avec de l'huile foible bien à sec, & après l'allier avec de l'autre huile plus forte & plus épaisse, comme on fait pour le noir. Puis ayant imprimé de noir ou autre couleur sur du gros papier gris, la premiere planche qui est gravée entierement, vous en laisserez sécher l'impression pendant dix à douze jours : alors ayant rendu ces estampes humides, il faut encrer de ce blanc la planche où sont gravés les rehauts, de la même façon que l'on imprime ordinairement, l'essuyer, & la poser ensuite sur la feuille de papier gris déjà imprimée, ensorte qu'elle soit justement placée dans le creux que la premiere planche y a faite, prenant garde de ne point la mettre à l'envers, ou le haut en bas. Cela fait, il ne s'agit plus que de faire passer entre les rouleaux ".

Ce discours d'Abraham Bosse est louche en plusieurs endroits. Nous allons tâcher d'exposer la maniere de graver en camayeu, d'une maniere plus précise & plus claire.

Les planches destinées à la gravure en camayeu se feront de poirier préférablement au buis ; parce que sur le premier de ces bois les masses prennent mieux la couleur que sur le second. Il ne faut pas d'autres outils ni d'autres principes que ceux de l'article précédent sur la gravure en bois.

Il faut graver autant de planches ou rentrées que l'on veut faire de teintes. Les plus grands clairs ou les jours, comme hachures ou rehauts de blanc, doivent être formés en creux dans la planche, pour laisser au papier même à en donner la couleur. Quelquefois on gravera sur cuivre, à l'eau-forte, le trait de l'estampe, sur-tout si l'on ne peut imiter le croquis original tracé à la plume & lavé, sans que ce trait soit fort délié.

Le mérite de cette gravure consistera principalement dans la justesse des rentrées de chaque planche ou teinte : on y réussira par le moyen des pointes ajustées & de la frisquette, comme à l'impression en lettres, mais mieux encore par la presse en taille-douce, & d'une machine telle que celle dont nous allons donner la description.

Lorsque les planches ou rentrées d'une estampe auront toutes été dessinées fort juste les unes sur les autres, en bois, bien équarries & gravées au nombre de trois au-moins, une pour les masses les moins brunes, où l'on aura gravé en creux les rehauts, une pour les masses plus brunes, & une pour le trait ou les contours & coups de force des figures, chacune n'ayant rien de ce qu'on aura gravé sur une autre ; l'on aura une machine de bois de chêne ou de noyer, de l'épaisseur des planches gravées, & à peu de chose près de la largeur de la presse en taille-douce.

Cette machine sera composée de trois pieces jointes ensemble par des tenons à mortoise ; l'une formée en talud, pour pouvoir être glissée facilement entre les rouleaux de la presse sur la table, & ayant de chaque côté une petite bande de fer fixée avec des vis sur son épaisseur & sur l'épaisseur des deux autres. L'on mettra dans le vuide sur l'espace de la presse, des langes de drap plus ou moins, selon l'exigence, pour que la gravure vienne bien. Il faudra que le papier soit mouillé bien à-propos. On en prendra une feuille, qu'on insérera en équerre, selon la marge qu'on y voudra laisser, sous la piece en talud & sous l'une des deux autres, par-dessus les langes. On encrera de la couleur qu'on voudra, la premiere planche ou rentrée, c'est-à-dire la plus claire, avec des balles semblables à celles des faiseurs de papiers de tapisserie. L'on posera adroitement cette planche du côté de la gravure, sur la feuille de papier qu'on a étendue sur les langes, un peu dessous la piece en talud, & l'une des deux autres. On observera de l'approcher bien juste de l'angle ou équerre de ces pieces. Cela fait, on posera sur la planche quelques langes, maculatures, ou autres choses mollettes, afin que tournant le moulinet, & faisant passer le tout entre les rouleaux, la couleur qui est sur la gravure s'attache bien au papier. Cette teinte faite sur autant de feuilles qu'on voudra d'estampes, on passera avec les mêmes précautions à la seconde teinte ; & ainsi de suite. S'il y a plus de trois teintes, on commencera toûjours par la plus claire ; on passera aux brunes, qu'on tirera successivement en passant de la moins brune à celle qui l'est le plus, & l'on finira par le trait ou par la planche des contours ; ce qui achevera l'estampe en camayeu ou clair-obscur.

C'est ainsi (dit M. Papillon) qu'ont été imprimés les beaux camayeux que MM. de Caylus & Crozat ont fait exécuter : c'est ainsi qu'on est parvenu à ne point confondre les rentrées ; & c'est de ce dernier soin que dépend toute la beauté de ce genre d'ouvrage.

Quant aux couleurs qu'on employera, elles sont arbitraires ; on les prendra à l'huile ou la détrempe ; le bistre ou la suie de cheminée & l'indigo sont les plus usités ; l'encre de la Chine fera fort bien ; il en est de même de la terre d'ombre bien broyée, &c.

M. de Montdorge observe avec raison dans le mémoire qu'il nous a communiqué là-dessus, qu'il y a grande apparence que les effets de ce genre de gravure, combinés avec les effets de la gravure en maniere noire, ont fait naître les premieres idées d'imprimer en trois couleurs, à l'imitation de la peinture.

Cet article a été rédigé d'après l'ouvrage d'Abraham Bosse & celui de Felibien, & les lumieres de M. de Montdorge & de M. Papillon.

Quant aux trois articles qui suivent, ils sont tels que nous les avons reçus de M. de Montdorge.

GRAVURE EN COULEURS, A L'IMITATION DE LA PEINTURE. Cette maniere de graver est un art nouveau, dont la découverte est précieuse à d'autres arts ; Jacques Christophe le Blon, natif de Francfort, éleve de Carlo Marate, en est l'inventeur : on doit placer l'époque de cette invention entre 1720 & 1730 ; l'Angleterre en a vû naître les premiers essais ; à peine commençoient-ils à y réussir, que le Blon passa en France (c'étoit en 1727) ; un rouleau d'épreuves échappées de l'attelier de Londres, composoit alors tout son bien ; mais quelques amateurs étonnés de l'effet merveilleux de trois couleurs imprimées sur le papier, voulurent suivre des opérations si singulieres, & se réunirent pour mettre l'inventeur en état de donner des leçons de son art ; les commencemens furent difficiles. Quand le Blon travailloit à Londres, c'étoit au centre des graveurs en maniere noire ; & cette maniere qui fait la base du nouvel art étoit totalement abandonnée en France.

Les effets du nouveau genre de gravure sont les conséquences des principes que le Blon a établis dans un traité du coloris ; persuadé que les grands coloristes, que le Titien, Rubens, Vandeyk, avoient une maniere invariable de colorier, il entreprit de fonder en principes l'harmonie du coloris, & de la réduire en pratique méchanique par des regles sûres & faciles : tel est le titre d'un traité qu'il a publié à Londres en anglois & en françois : ce traité a été réimprimé & fait partie d'un livre intitulé l'art d'imprimer les tableaux, à Paris 1757. Il est revêtu du certificat de MM. les commissaires qui furent nommés par le roi pour être dépositaires des secrets de le Blon.

C'est en cherchant les regles du coloris, que j'ai trouvé, dit l'inventeur, la façon d'imprimer les objets avec leurs couleurs naturelles ; & passant ensuite à des instructions préliminaires, il jette les fondemens de son art, en établissant que la Peinture peut représenter tous les objets visibles avec trois couleurs, savoir le jaune, le rouge, le bleu, puisque toutes les autres couleurs sont composées de ces trois primitives ; par exemple, le jaune & le rouge font l'orangé ; le rouge & le bleu font le pourpre, le violet ; le bleu & le jaune font le verd. Les différens mélanges des trois couleurs primitives produisent toutes les nuances imaginables, & leur réunion produit le noir : je ne parle ici que des couleurs matérielles, ajoûte-t-il, c'est-à-dire des couleurs dont se servent les Peintres ; car le mélange de toutes les couleurs primitives impalpables ne produit pas le noir, mais précisément le contraire ; il produit le blanc. Le blanc est une concentration ou excès de lumiere ; le noir est une privation ou défaut de lumiere.

Trois couleurs, nous le répétons, donnent par leur mélange autant de teintes qu'il en puisse naître de la palette du plus habile peintre : mais on ne sauroit, en les imprimant l'une après l'autre, les fondre comme le pinceau les fond sur la toile : il faut donc que ces couleurs soient employées de façon que la premiere perce à-travers la seconde, & la seconde à-travers la troisieme, afin que la transparence puisse suppléer à l'effet du pinceau. Chacune de ces couleurs sera distribuée par le secours d'une planche particuliere : ainsi trois planches sont nécessaires pour imprimer une estampe à l'imitation de la Peinture.

Préparation des planches. Elles seront grainées comme les planches destinées à la maniere noire. Voyez GRAVURE EN MANIERE NOIRE. Ces planches doivent être entr'elles de même épaisseur, bien unies, & très-exactement d'équerre à chaque angle ; unies, pour qu'à l'impression toute la superficie soit également pressée ; & d'équerre, pour qu'elles se rapportent contour sur contour l'une après l'autre, quand elles imprimeront la même feuille de papier.

La meilleure façon de rendre les planches exactement égales entr'elles, c'est de faire des trous aux quatre coins, de les joindre l'une sur l'autre par quatre rivures bien serrées ; de tracer le quarré sur les bords de la premiere ; de limer jusqu'au trait en conservant toûjours l'équerre sur l'épaisseur des quatre : limez enfin vos rivures, & les planches en sortiront comme un cahier de papier sort de la coupe du relieur.

On peut au lieu de rivure, serrer les planches avec de petits étaux qui changeront de place à mesure qu'on limera les bords. C'est à l'artiste à consulter son adresse & sa patience dans les differens moyens qu'il employera pour les opérations méchaniques.

Moyen sûr pour calquer sur la planche grainée. Il s'agit à-présent de distribuer le tableau sur les trois planches ; & pour que les contours sur chaque planche se retrouvent précisément dans les endroits où ils doivent se rencontrer, voici de quel moyen on se sert. Prenez une de vos planches, couchez-la sur un carton épais plus grand de deux pouces en hauteur & en largeur que la planche ; faites avec le canif une ouverture bien perpendiculaire dans le carton, la planche elle-même servira de calibre ; & dès que le carton sera coupé sur les quatre faces, il vous donnera un cadre de deux pouces. Ayez pour détacher ce cadre une lame bien acérée & bien aiguisée avec un manche à pleine main : attendez-vous à trouver de la résistance ; & pour éviter d'en trouver encore plus, essayez sur différentes especes de carton celui qui se coupera le plus net & le plus facilement ; sur-tout que le carton que vous choisirez soit bien sec, & tout-au-moins aussi épais que la planche de cuivre. Vous avez aux quatre coins de celle qui fait votre calibre, quatre trous qui ont servi à assembler les autres planches pour les limer ; vous pourrez en profiter pour river encore le calibre avec le carton, par ce moyen les rendre fixes l'un sur l'autre, & donner plus de facilité à enlever le cadre.

Il faudra, pour le garantir de l'humidité qui le feroit étendre, l'enduire dessus & dessous d'une grosse couleur à l'huile telle qu'on l'employe pour imprimer les toiles de tableau.

Le cadre de carton est ainsi préparé pour recevoir un voile qui sera cousu à points serrés sur ses bords intérieurs ; c'est ce voile qui sert à porter avec précision les contours. On le présentera donc sur l'original qu'on va graver ; & après avoir tracé au pinceau avec du blanc à l'huile sur le voile, on attendra que l'huile soit seche pour repasser les mêmes traits avec du blanc beaucoup plus liquide que celui qui a seché ; on enfermera la premiere planche dans le cadre de carton ; & le blanc encore frais marquera sur la grainure tous les contours dont le voile est chargé.

On repassera du blanc liquide sur les traits du voile, pour calquer les autres planches : on sera certain par ce moyen du rapport exact qu'elles auront entr'elles. Le blanc liquide qui doit calquer du voile au cuivre grainé, est un blanc à détrempe délayé dans l'eau-de-vie avec un peu de fiel de boeuf, pour qu'il morde mieux sur le trait à l'huile : mais pour conserver ce trait, il est à-propos de prendre une plume & de le repasser à l'encre de la Chine ; car l'encre ordinaire tient trop opiniâtrément dans les cavités de la grainure.

Gravure des planches. Les instrumens dont on se sert pour ratisser la grainure, sont les mêmes que ceux qu'on employe pour la maniere noire. Voyez GRAVURE EN MANIERE NOIRE.

De l'intention des trois planches. La premiere planche que l'on ébauche est celle qui doit tirer en bleu, la seconde en jaune, & la troisieme en rouge. Il faut avoir grande attention de ne pas trop approcher du trait qui arrête les contours, & de réserver toûjours de la place pour se redresser quand on s'appercevra par les épreuves que les planches ne s'accordent pas parfaitement.

On dirigera la gravure de façon que le blanc du papier, comme il a été dit, rende les luisans du tableau ; la planche bleue rendra les tournans & les fuyans ; la planche jaune donnera les couleurs tendres & les reflets ; enfin la planche rouge animera le tableau & fortifiera les bruns jusqu'au noir. Les trois planches concourent presque par-tout à faire les ombres, quelquefois deux planches suffisent, quelquefois une seule.

Quand il se trouve des ombres à rendre extrêmement fortes, on met en oeuvre les hachures du burin. Voyez l'article GRAVURE AU BURIN. Il est aisé de juger que les effets viennent non-seulement de l'union des couleurs, mais encore du plus ou du moins de profondeur dans les cavités du cuivre : le burin sera donc d'un grand secours pour forcer les ombres ; & qu'on ne croye pas que ses hachures croisées dans les ombres fassent dur : nous avons des tableaux imprimés, où vûes d'une certaine distance, elles rappellent tout le moëlleux du pinceau. Les ombres extrèmement fortes obligent de caver le cuivre plus profondément que ne font les hachures ordinaires de la taille-douce : on se sert alors du ciseau pour avoir plus de facilité à creuser.

Pour établir l'ensemble. Dès qu'on a gravé à-peu-près la planche bleue, on en tire quelques épreuves & l'on fait les corrections au pinceau : pour cela, mettez un peu de blanc à détrempe sur les parties de l'épreuve qui paroissent trop colorées, & un peu de bleu à détrempe sur les parties qui paroissent trop claires : puis en consultant cette épreuve corrigée, vous passerez encore le grattoir sur les parties du cuivre trop fortes, par conséquent trop grainées, & vous grainerez avec le petit berceau les parties qui paroîtront trop claires, par conséquent trop grattées ; mais avec un peu d'attention, on évite le cas d'être obligé de regrainer. Cette premiere planche bleue approchant de sa perfection, vous fournira des épreuves qui serviront à conduire la planche jaune : voici comment.

Examinez les draperies ou autres parties qui doivent rester en bleu pur ; couvrez ces parties sur votre épreuve bleue avec de la craie blanche, & ratissez la seconde planche de façon qu'elle ne rende en jaune que ce que la craie laisse voir en bleu.

Mais ce que rend la planche bleue n'apporte pas tout ce que demande la planche jaune ; c'est pourquoi vous ajoûterez à détrempe sur cette épreuve bleue tout le jaune de l'original, jaune pur, jaune paille, ou autre plus ou moins foncé. Si la planche bleue ne fournit rien sur le papier dans une partie où est placé, par exemple, le noeud jaune d'une mante ; vous peindrez ce noeud à détrempe jaune sur votre épreuve bleue, afin qu'en travaillant la seconde planche d'après l'épreuve de la premiere, vous lui fassiez porter en jaune tout ce que cette épreuve montrera de jaune & de bleu.

On travaille avec les mêmes précautions la troisieme en rouge d'après la seconde en jaune ; & pour juger des effets de chaque planche, on en tire des épreuves en particulier, qui font des camayeux, mais tous imparfaits, parce qu'il leur manque des parties qui ne peuvent se retrouver pour l'ensemble, qu'en unissant à l'impression les trois couleurs sur la même feuille de papier. On jugera, quand elles seront réunies, des teintes, demi-teintes, de toutes les parties enfin trop claires ou trop chargées de couleurs ; on passera, comme on l'a déjà fait, le berceau sur les unes & le grattoir sur les autres.

C'est ainsi que furent conduits les premiers ouvrages dans ce genre, qu'on vit paroître il y a vingt-cinq ou trente ans en Angleterre. On devoit s'en tenir à cette façon d'opérer : l'inventeur cependant en a enseigné une plus expéditive dont il s'est servi à Londres & à Paris ; mais il ne s'en servoit que malgré lui, parce qu'elle est moins triomphante pour le systême des trois couleurs primitives.

Maniere plus promte d'opérer. Quatre planches sont nécessaires pour opérer plus promtement : on charge d'abord la premiere de tout le noir du tableau ; & pour rompre l'uniformité qui tiendroit trop de la maniere noire, on ménage dans les autres planches, de la grainure qui puisse glacer sur ce noir. On aura attention de tenir les demi-teintes de cette premiere planche un peu foibles, pour que son épreuve reçoive la couleur des autres planches sans les salir.

Le papier étant donc chargé de noir, la seconde planche qui imprimera en bleu, puisqu'on ne la forçoit que pour aider à faire les ombres, doit être beaucoup moins forte de grainure qu'elle ne l'étoit en travaillant sur les premiers principes : de même la planche jaune & la planche rouge qui servoient aussi à forcer les ombres, ne seront presque plus chargées que des parties qui devoient imprimer en jaune & en rouge, & de quelques autres parties encore qui glaceront pour fondre les couleurs, ou qui réunies en produiront d'autres ; ainsi que le bleu & le jaune produiront ensemble le verd ; le rouge & le bleu produiront le pourpre, &c.

Le cuivre destiné pour la planche noire sera grainé sur toute la superficie ; mais en traçant sur les autres, on pourra réserver de grandes places qui resteront polies. Ainsi en s'évitant la peine de les grainer, on s'évitera encore celle qu'on est obligé de prendre pour ratisser & polir les places qui ne doivent rien fournir à l'impression.

Quand on est une fois parvenu à se faire un modele, on est bien avancé : que j'aye, par exemple, un portrait à graver ; il s'y trouve, je suppose, cent teintes différentes ; l'estampe en couleur d'un saint-Pierre que j'aurai conservée avec les cuivres qui l'ont imprimée, va décider une partie de mes teintes, & voici comment.

Je veux colorer l'écharpe du portrait ; cette écharpe me paroît par la confrontation, de la même teinte que la ceinture de mon S. Pierre anciennement imprimée ; j'examine les cuivres du S. Pierre, je reconnois qu'il y a tant de jaune, tant de rouge dans leur grainure : alors pour rendre l'écharpe du portrait, je réserve en jaune & en rouge autant de grainure que mes anciens cuivres en ont pour la ceinture du S. Pierre.

Des cas particuliers qui peuvent exiger une cinquieme planche. Il se rencontre dans quelques tableaux des transparens à rendre, qui demandent une planche extraordinaire ; des vitres dans l'Architecture, des voiles dans les draperies, des nuées dans les ciels, &c. le papier qui fait le clair de nos teintes, a été couvert de différentes couleurs, & par conséquent ne peut plus fournir aux transparens, qui doivent être blancs ou blanchâtres, & paroître par-dessus toutes les couleurs. On sera donc obligé, pour faire sentir la transparence, d'avoir recours à une cinquieme, ou plutôt à l'un des quatre cuivres qui ont déjà travaillé.

Je cherche à rendre, je suppose, les vitres d'un palais, la planche rouge n'a rien fourni pour ce palais, & conserve par conséquent une place fort large sans grainure ; j'en vais profiter pour y graver au burin quelques traits qui imprimés en blanc sur le bleuâtre des vitres, rendront la transparence de l'original, & m'épargneront un cinquieme cuivre : les épreuves de cette impression en blanc se tirent, pour les corriger, sur du papier bleu.

On conclura de cette explication, que par une économie, fort contraire il est vrai à la simplicité de notre art, on peut profiter des places lissées dans chaque planche, pour donner de certaines touches qui augmenteront la force, & avec d'autant plus de facilité, que la même planche imprimera sous un même tour de presse, plusieurs couleurs à-la-fois, en mettant différentes teintes dans des parties assez éloignées les unes des autres pour qu'on puisse les étendre & les essuyer sur la planche sans les confondre. L'imprimeur intelligent, maître de disposer de toutes ses nuances & de les éclaircir avec le blanc ajoûté, aura grande attention de consulter le ton dominant pour conserver l'harmonie.

De l'impression. Le papier, avant d'être mis sous la presse, sera trempé au-moins vingt-quatre heures : on ne risque rien de le faire tremper plus longtems.

On tirera, si l'on veut, les quatre & les cinq planches de suite, sans laisser sécher les couleurs ; il semble même qu'elles n'en seront que mieux mariées : cependant si quelque obstacle s'oppose à ces impressions précipitées, on pourra laisser sécher chaque couleur, & faire retremper le papier autant de fois qu'il recevra de planches différentes.

On ne sauroit arriver à la perfection du tableau sans imprimer beaucoup d'essais ; ces essais usent les planches ; & quand on est dans le fort de l'impression, on est bien-tôt obligé de les retoucher. Les cuivres, pour ne pas se flatter, tireront au plus six ou huit cent épreuves sans altération sensible.

Les estampes colorées exigent des attentions que d'autres estampes n'exigent pas ; par exemple, l'imprimeur aura soin d'appuyer ses doigts encrés sur le revers de son papier aux quatre coins du cuivre, afin que ce papier puisse recevoir successivement, angle sur angle, toutes les planches dans ses reperes. Voyez IMPRESSION EN TAILLE-DOUCE.

Des couleurs. Toutes les couleurs doivent être transparentes pour glacer l'une sur l'autre, & demandent par conséquent un choix particulier ; elles peuvent être broyées à l'huile de noix ; cependant la meilleure & la plus siccative est l'huile de pavots ; quelle qu'elle soit, on y ajoûtera toûjours la dixieme partie d'huile de litharge : c'est à l'imprimeur à rendre ses couleurs plus ou moins coulantes, selon que son expérience le guide ; mais qu'il ait grande attention à les faire broyer exactement fin, sans cela elles entrent avec force dans la grainure, n'en sortent qu'avec peine ; elles hapent le papier & le font déchirer.

Du blanc. Les transparens dont il a été parlé, seront imprimés avec du blanc de plomb le mieux broyé.

Du noir. Le noir ordinaire des Imprimeurs en taille-douce est celui qu'on employe pour la premiere planche, quand on travaille à quatre cuivres ; on y ajoûtera un peu d'indigo, pour le disposer à s'unir au bleu.

Du bleu. L'indigo fait aussi notre bleu d'essai ; mettez-le en poudre, & pour le purifier jettez-le dans un matras ; versez dessus assez d'esprit-de-vin pour que le matras soit divisé en trois parties ; la premiere d'indigo, la seconde d'esprit-de-vin, la troisieme vuide : faites bouillir au bain de sable, & versez ensuite par inclination l'esprit-de-vin chargé de l'impureté ; remettez de nouvel esprit-de-vin, & recommencez la même opération jusqu'à ce que cet esprit sorte du matras sans être taché ; laissez alors votre matras sur le feu jusqu'à siccité. Si au lieu de faire évaporer vous distillez l'esprit-de-vin, il sera bon encore à pareille purification.

L'indigo ne sert que pour les essais ; on employe à l'impression le plus beau de Prusse : mais il faut se garder de s'en servir pour essayer les planches ; il les tache si fort qu'on a de la peine à reconnoître ensuite les défauts qu'on cherche à corriger.

Du jaune. Le stil de grain le plus foncé est le jaune qu'on broye pour nos impressions ; on n'en trouve pas toûjours chez les marchands qui descende assez bas, alors on le fait ainsi.

Prenez de la graine d'Avignon, faites-la bouillir dans de l'eau commune : jettez-y pendant qu'elle bout, de l'alun en poudre : passez la teinture à-travers un linge fin, & délayez-y de l'os de seche en poudre avec de la craie blanche, partie égale : la dose n'est point prescrite ; on tâtera l'opération pour qu'elle fournisse un stil de grain qui conserve à l'huile une couleur bien foncée.

Du rouge. On demande pour le rouge une laque qui s'éloigne du pourpre & qui approche du nacarat ; elle sera mêlée avec deux parties de carmin le mieux choisi : on peut aussi faire une laque qui contienne en elle-même tout le carmin nécessaire ; on y mêlera, selon l'occasion, un peu de cinnabre minéral & non artificiel. Il est à-propos d'avertir que pour faire les essais, le cinnabre seul, même l'artificiel, suffit.

Nous pouvons assûrer que pour peu qu'on ait de pratique dans le dessein, si l'on suit exactement les opérations que nous venons de décrire, on tirera des épreuves qui seront de bonnes copies d'un tableau quel qu'il soit ; & l'on ne doit pas regarder comme un foible avantage, de trouver dans les livres d'Anatomie, de Botanique, d'Histoire naturelle, des estampes sans nombre, qui, en apportant les contours, donnent aussi les couleurs. On peut juger de l'utilité de cette nouvelle découverte, en examinant les planches anatomiques imprimées depuis quelques années à Paris par le sieur Gautier de l'académie de Dijon, qui à la mort de le Blon a succédé à son privilége après avoir été son éleve. Quelques autres éleves ont aussi gravé différens morceaux ; & ces morceaux, avec ceux du sieur Gautier, font espérer que le nouvel art sera bien-tôt à sa perfection.

GRAVURE EN MANIERE NOIRE : ce genre de gravure s'est appellé pendant un tems en France, l'art noir ; les étrangers le connoissent assez communément sous le nom de meza-tinta. On prétend que le premier qui ait travaillé en maniere noire est un prince Rupert. Quelques auteurs parlent avec éloge d'une tête qu'il grava avant qu'on eût jamais connu cette façon de graver ; les opérations en sont plus promtes & les effets plus moëlleux que ceux de la gravure à l'eau-forte & au burin : il est vrai que la préparation des cuivres est un peu longue, mais on peut employer toutes sortes d'ouvriers à les préparer.

Préparation des planches. Elles seront d'abord choisies parmi les meilleures planches de cuivre plané ; quelques artistes préferent le cuivre jaune pour la grainure ; ils prétendent que son grain s'use moins vîte que le grain de cuivre rouge : le grès, la pierre-ponce, la pierre douce à aiguiser, le charbon de bois de saule, & enfin le brunissoir à deux mains, seront employés pour le poIiment des cuivres ; on ne peut être sûr de sa perfection qu'après l'essai suivant. Faites encrer & essuyer la planche par l'imprimeur ; qu'il la passe à la presse sur une feuille de papier mouillé, comme on y passe une planche gravée ; si le papier sort de la presse aussi blanc qu'avant d'y passer, la planche est parfaite ; si elle a quelques défauts, le papier taché indiquera les endroits qu'il faut encore brunir.

De la grainure. Les planches ainsi préparées seront grainées comme on les graine pour imprimer en maniere noire : cette grainure-ci doit être encore plus fine, s'il est possible ; & pour parvenir au dernier degré de finesse, il faut travailler d'après les instructions suivantes.

Le berceau est un instrument qui a la forme d'un ciseau de menuisier ; mais le ciseau coupe & le berceau pique comme une molette dont les pointes sont extrêmement aiguës ; il tire son nom du mouvement sans-doute qui le fait agir, & qui ressemble au balancement qu'on donne au berceau d'un enfant. Voyez A & B, Planche o o o, un des côtés du berceau porte un biseau couvert de filets de la grosseur d'un cheveu, & chaque filet est terminé par une pointe. L'outil sera repassé sur le revers de son biseau ; & l'on aura grand soin en l'aiguisant, de conserver toûjours le même périmetre : ce périmetre doit être tiré du centre d'un diametre de six pouces : trop de rondeur caveroit le cuivre, & moins de rondeur ne mordroit pas assez.

Les plus petits berceaux conserveront le même périmetre de six pouces ; leurs manches demandent moins de force, & peuvent être moins composés, voyez E & F. Le grand berceau est destiné pour grainer en plein cuivre, & les petits pour faire les corrections.

Divisez vos planches par des traits de crayon de neuf lignes environ ; je dis environ, parce que le cuivre de grandeur arbitraire ne fournira pas toûjours la division juste de neuf lignes. Voyez Planche o o o, au coin 4, le mauvais effet qui peut résulter de la division trop exacte de neuf lignes.

Posez le berceau perpendiculairement dans le milieu de chaque division ; balancez en appuyant fortement le poignet, & remontant toûjours la planche ; parcourez l'autre espace qui se trouve entre deux lignes tracées : cet espace parcouru, parcourez-en un autre, & successivement d'espace en espace ; le cuivre sera couvert de petits points.

Tracez alors des lignes au crayon sur un sens différent ; balancez le berceau entre vos nouvelles lignes, & quand vous l'aurez passé sur toute la superficie du cuivre, vous changerez encore la direction de ces lignes : enfin quand vous aurez fait travailler le berceau sur les quatre directions marquées dans la planche, il y a une précaution à prendre.

On parcourt vingt fois chaque direction, ce qui fait quatre-vingt passages sur le total de la superficie ; mais on observera, en repassant chaque direction, de ne pas placer le berceau précisément où l'on a commencé ; & pour éviter de suivre le même chemin, il faut tirer chaque coup de crayon à trois lignes de distance du premier trait qui a déjà guidé. Ainsi donc vous avez tracé la premiere fois depuis 1 jusqu'à 1, la seconde fois vous tracerez depuis 2 jusqu'à 2, la troisieme fois depuis 3 jusqu'à 3, & cela parce que le berceau pressé sous le poids de la main, formeroit en faisant toûjours les mêmes passages, une cannelure insensible qui nuiroit à l'exacte égalité qu'on demande à la superficie.

Il faut éprouver la planche pour la grainure, comme on l'a éprouvée pour le poli, & qu'elle rende à l'impression un noir également noir & par-tout velouté.

On peut, pour certains ouvrages, conserver le fond blanc à une estampe, comme il l'est presque toûjours sous les fleurs, sous les oiseaux peints en miniature : pour cela, on grainera seulement l'espace que doit occuper la fleur, le fruit, ou quelque autre morceau d'Histoire naturelle qu'on veut graver, & le reste du cuivre sera poli au brunissoir.

De la façon de graver sur la grainure. Les planches bien préparées, vous dessinerez ou vous calquerez le sujet, ainsi que nous l'avons expliqué. Voyez GRAVURE EN COULEURS. Vous placerez votre cuivre sur le coussinet, & si vous copiez, vous graverez en regardant toûjours l'original dans un miroir, pour voir la droite à gauche & la gauche à droite. L'instrument dont on se sert pour graver, ou plutôt pour ratisser la grainure, se nomme racloir (Voyez G, Pl. o o o) ; il doit être aiguisé sur les deux côtés plats : on se sert encore du grattoir, qui ne differe de celui-ci que parce qu'il a trois faces égales. Ce grattoir porte ordinairement un brunissoir sur la même tige, voyez H. Le brunissoir sert à lisser les parties que le racloir ou le grattoir ont ratissées pour fournir des lumieres : ainsi l'instrument dans la maniere noire, agit par un motif tout différent de l'instrument qui sert à la gravure en taille-douce : car si le graveur en taille-douce doit en conséquence de l'effet, regarder son burin comme un crayon noir ; le graveur en maniere noire doit, en conséquence de l'effet contraire, regarder le grattoir comme un crayon blanc. Il s'agit en travaillant de conserver la grainure dans son vif sur les parties du cuivre destinées à imprimer les ombres, d'émousser les pointes de la grainure sur les parties du cuivre destinées à imprimer les demi-teintes, & de ratisser les parties du cuivre qui doivent épargner le papier pour qu'il puisse fournir les luisans. On commence par les masses de lumiere ; & par les parties qui se détachent généralement en clair de dessus un fond brun. On va petit-à-petit dans les reflets ; enfin on prépare legerement le tout par grandes parties. Les maitres de l'art recommandent fort de ne pas se presser d'user le grain dans l'envie d'aller plus vîte ; car il n'est pas facile d'en remettre quand on en a trop ôté ; il doit rester par-tout une legere vapeur de grains, excepté sur les luisans ; & s'il arrive qu'on ait trop usé certains endroits, on peut regrainer avec les petits berceaux E & F, & recommencer à ratisser avec plus de précaution. Ce n'est qu'en tirant souvent des épreuves, qu'on sera en état de juger des effets du grattoir.

De l'impression. Voyez l'article IMPRESSION EN TAILLE-DOUCE, & soyez averti qu'il est plus difficile d'imprimer en maniere noire qu'en taille-douce, par la raison que les lumieres se trouvent en creux ; & lorsque les parties de ces lumieres sont étroites, la main de l'imprimeur ne peut y entrer pour les essuyer, sans dépouiller les parties voisines ; on se sert pour y pénétrer, d'un petit bâton pointu enveloppé d'un linge mouillé. Le papier doit être vieux trempé & d'une pâte fine & moëlleuse ; on prend du plus beau noir d'Allemagne, & on le prépare un peu lâche : il faut de plus que les planches soient encrées bien à fond à plusieurs reprises & bien essuyées à la main & non au torchon.

La gravure en maniere noire, disent ceux qui en traitent, ne tire pas un grand nombre de bonnes épreuves & s'use fort promtement ; d'ailleurs toutes sortes de sujets, ajoûtent-ils, ne sont pas également propres à ce genre de gravure. Les sujets qui demandent de l'obscurité, comme les effets de nuit, ou les tableaux où il y a beaucoup de brun, comme ceux de Rembrand, de Benedette, quelques Ténieres, &c. sont les plus faciles à traiter & font le plus d'effet : les portraits y réussissent encore assez bien, comme on le peut voir par les beaux morceaux de Smith & de G. White, qui sont les plus habiles graveurs que nous ayons en ce genre. Les paysages n'y sont pas propres, & en général les sujets clairs & larges de lumiere sont les plus difficiles de tous, & ne tirent presque point, parce qu'il a fallu beaucoup user la planche pour en venir à l'effet qu'ils demandent.

Au reste, le défaut de cette gravure est de manquer de fermeté, & généralement la grainure lui donne une certaine mollesse qui n'est pas facilement susceptible d'une touche savante & hardie : elle peint d'une maniere plus large & plus grasse que la taille-douce ; elle colore davantage, & elle est capable d'un plus grand effet par l'union & l'obscurité qu'elle laisse dans les masses ; mais elle dessine moins spirituellement, & ne se prête pas assez aux saillies pleines de feu que la gravure à l'eau-forte peut recevoir d'un habile dessinateur. Enfin ceux qui ont le mieux réussi dans la gravure en maniere noire ne peuvent guere être loüés que par le soin avec lequel ils l'ont traitée ; mais pour l'ordinaire ce travail manque d'esprit, non par la faute des graveurs, mais par l'ingratitude de ce genre de gravure, qui ne peut seconder leur intention.

On recherche depuis quelque tems en France les opérations de la maniere noire avec plus de soin qu'autrefois, dans l'intention de les joindre aux opérations de la gravure en trois couleurs que nous a enseignée Jacques Christophe le Blon. Voyez GRAVURE EN COULEURS A L'IMITATION DE LA PEINTURE.

GRAVURE EN TAILLE DOUCE POUR IMPRIMER EN COULEURS. Cet art nouvellement mis en pratique n'est qu'une branche de la gravure à l'imitation de la Peinture inventée par le Blon. Voyez GRAVURE EN COULEURS. On reconnoîtra dans celui-ci plusieurs avantages particuliers pour l'Anatomie, pour la Géographie, & pour quelques autres arts encore ; ils y gagneront le tems qu'on employe à grainer le cuivre, & les planches tireront considérablement plus d'épreuves que n'en tirent les planches grainées. Un livre imprimé chez Briasson à Paris, fournit des modeles de ce genre mixte de gravure ; il a pour titre : adversaria anatomica prima de omnibus cerebri, nervorum & organorum functionibus animalibus inservientium descriptionibus & iconismis, autore Petro Tarin, medico.

Ces planches sont de l'invention & de la main du sieur Robert, éleve de le Blon dans la gravure en couleurs. Deux cuivres suffisent pour imprimer ainsi ; ils seront gravés à l'eau-forte & au burin. Voyez GRAVURE A L'EAU-FORTE & GRAVURE AU BURIN. Le premier imprime le noir, le second le rouge, avec le minium, & l'épreuve sort de la presse comme un dessein à deux crayons. On peut encore pour l'avantage de l'Anatomie, joindre une troisieme planche qui apporte les veines bleues sur des places épargnées par les deux premieres planches. On aura recours, pour le parfait accord des angles, aux moyens que nous avons déjà enseignés. Voyez GRAVURE EN COULEURS. Ces articles sur la gravure en couleurs & la gravure en maniere noire sont de M. de MONTDORGE.

GRAVURE SUR LE CRYSTAL ET LE VERRE, voyez les articles VERRERIE & VERRE.

GRAVURE SUR METAUX, pour les médailles, les monnoies, &c. Voyez les articles MONNOYAGE & MONNOIE.

GRAVURE EN PIERRES FINES, voyez l'article PIERRE GRAVEES.

GRAVURE, terme de Cordonnier ; il se dit d'une raie qui se fait avec la pointe du tranchet autour de la semelle du soulier pour noyer les points.

GRAVURE DE CARACTERES D'IMPRIMERIE ; la gravure des caracteres se fait en relief sur un des deux bouts d'un morceau d'acier d'environ deux pouces geométriques de long, & de grosseur proportionnée à la grandeur de l'objet qu'on y veut former, & qui doit y être taillé dans la derniere perfection avec les regles de l'art, & suivant les proportions relatives à chaque lettre. Car c'est de la perfection du poinçon que dépendra la perfection de toutes les mêmes lettres qui en seront émanées. Voyez POINÇONS DE FONDERIE & CARACTERE.

GRAVURE, DANS LE SOMMIER D'ORGUE, est l'espace prismatique K L, fig. 2. Pl. d'Orgue, qui est le vuide que laissent entr'elles les barres H G, F E du sommier : c'est dans ces espaces que le vent contenu dans la laye entre, pour de-là passer aux tuyaux lorsque l'on ouvre une soupape. Voyez SOMMIER, SOUPAPE, &c.


GRAYGradicum, (Géog.) ville de France dans la Franche-Comté, capitale du Bailliage d'Amont. Elle étoit déjà connue vers l'an 1050 ; elle est sur la Sône, à 5 lieues N. de Dole, 10 N. O. de Besançon, 8 N. E. de Dijon. Long. 23d. 15'. latit. 47d. 29'. 52". (D.J.)


GRAYES. f. voyez FREUX.


GRAYLLATS. m. voyez CORNEILLE.


GREBES. m. colymbus major cristatus & cornutus, (Ornit.) oiseau aquatique du genre des colymbes qui n'ont point de queue, & dont les doigts sont bordés d'une membrane qui ne les unit pas les uns aux autres.

Le grebe qui a servi de sujet pour cette description, avoit environ deux piés de longueur depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout des ongles ; la tête étoit petite, les ailes & les jambes étoient très-courtes, il n'y avoit point de queue ; le bec étoit droit, pointu, & étroit ; il avoit deux pouces un quart de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les plumes du derriere de la tête étoient un peu plus longues que les autres, & formoient une petite crête partagée en deux pointes. Le front, le sommet, & le derriere de la tête, le côté postérieur du cou, le dos, le croupion, & toutes les plumes qui paroissoient sur les ailes lorsqu'elles étoient pliées, avoient une couleur brune, cendrée, excepté sur les bords de la plûpart des plumes ; ils étoient de couleur cendrée claire. Les côtés de la tête, le côté antérieur du cou, la gorge, & le ventre en entier avoient une couleur blanche, luisante, & argentée. Les côtés de la poitrine & du corps avoient des teintes de cendré, de blanc, & de roussâtre ; le bec étoit en partie blanc, en partie cendré, en partie rougeâtre ; les pattes avoient une couleur cendrée, & les bords des membranes des doigts étoient jaunâtres ; il y avoit quatre doigts à chaque pié ; le doigt extérieur étoit le plus long, & le postérieur étoit le plus court ; les ongles ressembloient à ceux de l'homme. La poitrine & le ventre du grebe sont très-recherchés à cause de la belle couleur blanche & brillante des plumes & de leur finesse. On en fait des manchons, des paremens de robes, & d'autres parures de femmes. Il y a beaucoup de ces oiseaux sur le lac de Genève ; on tire de cette ville le plus grand nombre des peaux de grebe & les plus belles ; il en vient aussi de Suisse ; il s'en trouve en Bretagne, mais elles ne sont pas si belles ; on les appelle dans le commerce grebes de pays. J'en ai vû un à Montbard en Bourgogne il y a cinq ou six ans ; il y fut tué dans le plus grand froid de l'hyver ; on en a vû aussi aux environs de Paris, &c. Voyez OISEAU. (I)


GRECS. m. (Grammaire) ou langue greque, ou grec ancien, est la langue que parloient les anciens Grecs, telle qu'on la trouve dans les ouvrages de leurs auteurs, Platon, Aristote, Isocrate, Demosthene, Thucydide, Xenophon, Homere, Hésiode, Sophocle, Euripide, &c. Voyez LANGUE.

La langue greque s'est conservée plus long-tems qu'aucune autre, malgré les révolutions qui sont arrivées dans le pays des peuples qui la parloient.

Elle a été cependant altérée peu-à-peu, depuis que le siege de l'empire romain eut été transféré à Constantinople dans le quatrieme siecle : ces changemens ne regardoient point d'abord l'analyse de la langue, la construction, les inflexions des mots, &c. Ce n'étoit que de nouveaux mots qu'elle acquéroit, en prenant des noms de dignité, d'offices, d'emplois, &c. Mais dans la suite les incursions des Barbares, & sur-tout l'invasion des Turcs, y ont causé des changemens plus considérables. Cependant il y a encore à plusieurs égards beaucoup de ressemblance entre le grec moderne & l'ancien. Voyez l'article suivant GREC VULGAIRE.

Le grec a une grande quantité de mots ; ses inflexions sont autant variées, qu'elles sont simples dans la plûpart des langues de l'Europe. Voyez INFLEXION.

Il a trois nombres ; le singulier, le duel, & le pluriel (voyez NOMBRE) ; beaucoup de tems dans les verbes ; ce qui répand de la variété dans le discours, empêche une certaine sécheresse qui accompagne toûjours une trop grande uniformité, & rend cette langue propre à toutes sortes de vers. Voyez TEMPS.

L'usage des participes, de l'aoriste, du prétérit, & les mots composés qui sont en grand nombre dans cette langue, lui donnent de la force & de la briéveté, sans lui rien ôter de la clarté nécessaire.

Les noms propres dans le grec signifient souvent quelque chose, comme dans les langues orientales. Ainsi Aristote signifie bonne fin ; Démosthene signifie force du peuple ; Philippe signifie qui aime les chevaux ; Isocrate signifie d'une égale force, &c.

Le grec est la langue d'une nation polie, qui avoit du goût pour les Arts & pour les Sciences qu'elle avoit cultivées avec succès. On a conservé dans les Langues vivantes quantité de mots grecs propres des Arts ; & quand on a voulu donner des noms aux nouvelles inventions, aux instrumens, aux machines, on a souvent eu recours au grec, pour trouver dans cette langue des mots faciles à composer qui exprimassent l'usage ou l'effet de ces nouvelles inventions. C'est sur cela qu'ont été formés les noms d'acoustique, d'aréometre, de barometre, de thermometre, de logarithme, de télescope, de microscope, de loxodromie, &c.

GREC VULGAIRE ou MODERNE, est la langue qu'on parle aujourd'hui en Grece.

On a écrit peu de livres en grec vulgaire depuis la prise de Constantinople par les Turcs ; ceux que l'on voit ne sont guere que des catéchismes, & quelques livres semblables, qui ont été composés ou traduits en grec vulgaire par les Missionnaires latins.

Les Grecs naturels parlent leur langue sans la cultiver : la misere où les réduit la domination des Turcs, les rend ignorans par nécessité, & la politique ne permet pas dans les états du grand-seigneur de cultiver les Sciences.

Soit par principe de religion ou de barbarie, les Turcs ont détruit de propos-délibéré les monumens de l'ancienne Grece, & méprisé l'étude du grec, qui pouvoit les polir, & rendre leur empire florissant. Bien différens en cela des Romains, ces anciens conquérans de la Grece, qui s'appliquerent à en apprendre la langue, après qu'ils en eurent fait la conquête, pour puiser la politesse & le bon goût dans les Arts & dans les Sciences des Grecs.

On ne sauroit marquer précisément la différence qu'il y a entre le grec vulgaire & le grec littéral : elle consiste dans des terminaisons des noms, des pronoms, des verbes, & d'autres parties d'oraisons qui mettent entre ces deux langues une différence à-peu-près semblable à celle que l'on remarque entre quelques dialectes de la langue italienne ou espagnole. Nous prenons des exemples de ces langues, parce qu'elles sont plus connues que les autres ; mais on pourroit dire la même chose des dialectes des langues hébraïque, tudesque, esclavonne, &c.

Il y a aussi dans le grec vulgaire plusieurs mots nouveaux, qu'on ne trouve point dans le grec littéral, des particules qui paroissent explétives, & que l'usage seul a introduites pour caractériser certains tems des verbes, ou certaines expressions qui auroient sans ces particules le même sens, si l'usage avoit voulu s'en passer ; divers noms de dignités & d'emplois inconnus aux anciens Grecs, & quantité de mots pris des langues des nations voisines. Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (G)

* GRECS (philosophie des). Je tirerai la division de cet article de trois époques principales, sous lesquelles on peut considérer l'histoire des Grecs, & je rapporterai aux tems anciens leur philosophie fabuleuse ; aux tems de la législation, leur philosophie politique ; & aux tems des écoles, leur philosophie sectaire.

De la philosophie fabuleuse des Grecs. Les Hébreux connoissoient le vrai Dieu ; les Perses étoient instruits dans le grand art de former les rois & de gouverner les hommes ; les Chaldéens avoient jetté les premiers fondemens de l'Astronomie ; les Phéniciens entendoient la navigation, & faisoient le commerce chez les nations les plus éloignées ; il y avoit longtems que les Egyptiens étudioient la Nature & cultivoient les Arts qui dépendent de cette étude ; tous les peuples voisins de la Grece étoient versés dans la Théologie, la Morale, la Politique, la Guerre, l'Agriculture, la Métallurgie, & la plûpart des Arts méchaniques que le besoin & l'industrie font naître parmi les hommes rassemblés dans des villes & soûmis à des lois ; en un mot, ces contrées que le grec orgueilleux appella toûjours du nom de Barbares, étoient policées, lorsque la sienne n'étoit habitée que par des sauvages dispersés dans les forêts, fuyant la rencontre les uns des autres, paissant les fruits de la terre comme les animaux, retirés dans le creux des arbres, errant de lieux en lieux, & n'ayant entr'eux aucune espece de société. Du-moins c'est ainsi que les Historiens mêmes de la Grece nous la montrent dans son origine.

Danaüs & Cecrops étoient égyptiens ; Cadmus, de Phénicie ; Orphée, de Thrace. Cecrops fonda la ville d'Athenes, & fit entendre aux Grecs, pour la premiere fois, le nom redoutable de Jupiter ; Cadmus éleva des autels dans Thebes, & Orphée prescrivit dans toute la Grece la maniere dont les dieux vouloient être honorés. Le joug de la superstition fut le premier qu'on imposa ; on fit succéder à la terreur des impressions séduisantes, & le charme naissant des beaux Arts fut employé pour adoucir les moeurs, & disposer insensiblement les esprits à la contrainte des lois.

Mais la superstition n'entre point dans une contrée sans y introduire à sa suite un long cortége de connoissances, les unes utiles, les autres funestes. Aussi-tôt qu'elle s'est montrée, les organes destinés à invoquer les dieux se dénouent ; la langue se perfectionne ; les premiers accents de la Poésie & de la Musique font retentir les airs ; on voit sortir la Sculpture du fond des carrieres, & l'Architecture d'entre les herbes ; la conscience s'éveille, & la Morale naît. Au nom des dieux prononcé, l'univers prend une face nouvelle ; l'air, la terre, & les eaux se peuplent d'un nouvel ordre d'êtres, & le coeur de l'homme s'émeut d'un sentiment nouveau.

Les premiers législateurs de la Grece ne proposerent pas à ses peuples des doctrines abstraites & seches ; des esprits hébétés ne s'en seroient point occupés : ils parlerent aux sens & à l'imagination ; ils amuserent par des cérémonies voluptueuses & gaies : le spectacle des danses & des jeux avoit attiré des hommes féroces du haut de leurs montagnes, du fond de leurs antres ; on les fixa dans la plaine, en les y entretenant de fables, de représentations, & d'images. A mesure que les phénomenes de la nature les plus frappans se succéderent, on y attacha l'existence des dieux ; & Strabon croit que cette méthode étoit la seule qui pût réussir. Fieri non potest, dit cet auteur, ut mulierum & promiscuae turbae multitudo philosophicâ oratione ducatur, exciteturque ad religionem, pietatem, & fidem ; sed superstitione praeterea ad hoc opus est, quae incuti sine fabularum portentis nequit. Etenim fulmen, aegis, tridens, faces, anguis, hastaeque deorum thyrsis infixae fabulae sunt atque tota theologia prisca. Haec autem recepta fuerunt à civitatum autoribus, quibus veluti larvis insipientium animos terrerent. Nous ajoûterons que l'usage des peuples policés & voisins de la Grece, étoit d'envelopper leurs connoissances sous les voiles du symbole & de l'allégorie, & qu'il étoit naturel aux premiers législateurs des Grecs de communiquer leurs doctrines ainsi qu'ils les avoient reçûes.

Mais un avantage particulier aux peuples de la Grece, c'est que la superstition n'étouffa point en eux le sentiment de la liberté, & qu'ils conserverent sous l'autorité des prêtres & des magistrats, une façon de penser hardie, qui les caractérise dans tous les tems.

Une des premieres conséquences de ce qui précede, c'est que la Mythologie des Grecs est un cahos d'idées, & non pas un système, une marqueterie d'une infinité de pieces de rapport qu'il est impossible de séparer ; & comment y réussiroit-on ? Nous ne connoissons pas la vie, les moeurs, les idées, les préjugés des premiers habitans de la Grece. Nous aurions là-dessus toutes les lumieres qui nous manquent, qu'il nous resteroit à desirer une histoire exacte de la Philosophie des peuples voisins ; & cette histoire nous auroit été transmise, que le triage des superstitions greques d'avec les superstitions barbares seroit peut-être encore au-dessus des forces de l'esprit humain.

Dans les tems anciens, les législateurs étoient philosophes & poëtes : la reconnoissance & l'imbécillité mettoient tour-à-tour les hommes au rang des dieux ; & qu'on devine après cela ce que devint la vérité déjà déguisée, lorsqu'elle eut été abandonnée pendant des siecles à ceux dont le talent est de feindre, & dont le but est d'étonner.

Dans la suite fallut-il encourager les peuples à quelque entreprise, les consoler d'un mauvais succès, changer un usage, introduire une loi ? ou l'on s'autorisa des fables anciennes en les défigurant, ou l'on en imagina de nouvelles.

D'ailleurs l'emblème & l'allégorie ont cela de commode, que la sagacité de l'esprit, ou le libertinage de l'imagination peut les appliquer à mille choses diverses : mais à-travers ces applications, que devient le sens véritable ? Il s'altere de plus en plus ; bien-tôt une fable a une infinité de sens différens ; & celui qui paroît à la fin le plus ingénieux est le seul qui reste.

Il ne faut donc pas espérer qu'un bon esprit puisse se contenter de ce que nous avons à dire de la philosophie fabuleuse des Grecs.

Le nom de Promethée fils de Japhet est le premier qui s'offre dans cette histoire. Promethée sépare de la matiere ses élémens, & en compose l'homme, en qui les forces, l'action, & les moeurs sont variées selon la combinaison diverse des élémens ; mais Jupiter que Promethée avoit oublié dans ses sacrifices, le prive du feu qui devoit animer l'ouvrage. Promethée conduit par Minerve, monte aux cieux, approche le ferula à une des roues du char du soleil, en reçoit le feu dans sa tige creuse, & le rapporte sur la terre. Pour punir sa témérité, Jupiter forme la femme connue dans la fable sous le nom de Pandore, lui donne un vase qui renfermoit tous les maux qui pouvoient désoler la race des hommes, & la dépêche à Promethée. Promethée renvoye Pandore & sa boîte fatale ; & le dieu trompé dans son attente, ordonne à Mercure de se saisir de Promethée, de le conduire sur le Caucase, & de l'enchaîner dans le fond d'une caverne où un vautour affamé déchirera son foie toûjours renaissant ; ce qui fut exécuté : Hercule dans la suite délivra Promethée. Combien cette fable n'a-t-elle pas de variantes, & en combien de manieres ne l'a-t-on pas expliquée ?

Selon quelques-uns, il n'y eut jamais de Promethée ; ce personnage symbolique représente le génie audacieux de la race humaine.

D'autres ne disconviennent pas qu'il n'y ait eu un Promethée ; mais dans la fureur de rapporter toute la Mythologie des Payens aux traditions des Hébreux, il faut voir comme ils se tourmentent, pour faire de Promethée, Adam, Moyse, ou Noé.

Il y en a qui prétendent que ce Promethée fut un roi des Scythes, que ses sujets jetterent dans les fers pour n'avoir point obvié aux inondations d'un fleuve qui dévastoit leurs campagnes. Ils ajoûtent qu'Hercule détourna le fleuve dans la mer, & délivra Promethée.

En voici qui interpretent cette fable bien autrement : l'Egypte, disent-ils, eut un roi fameux qu'elle mit au rang des dieux pour les grandes découvertes d'un de ses sujets. C'étoit dans les tems de la fable comme aux tems de l'histoire ; les sujets méritoient des statues, & c'étoit au souverain qu'on les élevoit. Ce roi fut Osiris, & celui qui fit les découvertes fut Hermès : Osiris eut deux ministres, Mercure & Promethée ; il avoit confié à tous les deux les découvertes d'Hermès. Mais Promethée se sauva, & porta dans la Grece les secrets de l'état : Osiris en fut indigné ; il chargea Mercure du soin de sa vengeance. Mercure tendit des embuches à Promethée, le surprit, & le jetta dans le fond d'un cachot, d'où il ne sortit que par la faveur de quelque homme puissant.

Pour moi, je suis de l'avis de ceux qui ne voyent dans cet ancien législateur de la Grece, qu'un bienfaiteur de ses habitans sauvages qu'il tira de la barbarie dans laquelle ils étoient plongés, & qui leur fit luire les premiers rayons de la lumiere des Sciences & des Arts ; & ce vautour qui le dévore sans relâche, n'est qu'un emblème de la méditation profonde & de la solitude. C'est ainsi qu'on a cherché à tirer la vérité des fables ; mais la multitude des explications montre seulement combien elles sont incertaines. Il y a une broderie poétique tellement unie avec le fond, qu'il est impossible de l'en séparer sans déchirer l'étoffe.

Cependant en considérant attentivement tout ce système, on reste convaincu qu'il sert en général d'enveloppe tantôt à des faits historiques, tantôt à des découvertes scientifiques, & que Ciceron avoit raison de dire que Promethée ne seroit point attaché au Caucase, & que Cephée n'auroit point été transporté dans les cieux avec sa femme, son fils, & son gendre, s'ils n'avoient mérité par quelques actions éclatantes que la fable s'emparât de leurs noms.

Linus succéda à Promethée ; il fut théologien, philosophe, poëte, & musicien. Il inventa l'art de filer les intestins des animaux, & il en fit des cordes sonores qu'il substitua sur la lyre aux fils de lin dont elle étoit montée. On dit qu'Apollon jaloux de cette découverte, le tua ; il passe pour l'inventeur du vers lyrique ; il chanta le cours de la lune & du soleil, la formation du monde, & l'histoire des dieux ; il écrivit des plantes & des animaux ; il eut pour disciples Hercule, Thamyris, & Orphée. Le premier fut un esprit lourd, qui n'aimoit pas le châtiment & qui le méritoit souvent. Quelques auteurs accusent ce disciple brutal d'avoir tué son maître.

Orphée disciple de Linus fut aussi célebre chez les Grecs que Zoroastre chez les Chaldéens & les Perses, Baddas chez les Indiens, & Thoot ou Hermès chez les Egyptiens ; ce qui n'a pas empêché Aristote & Ciceron de prétendre qu'il n'y a jamais eu d'Orphée : voici le passage d'Aristote ; nous le rapportons pour sa singularité. Les Epicuriens prouvoient l'existence des dieux par les idées qu'ils s'en faisoient, & Aristote leur répondoit : & je me fais bien une idée d'Orphée, personnage qui n'a jamais été ; mais toute l'antiquité réclame contre Aristote & Ciceron.

La fable lui donne Apollon pour pere, & Calliope pour mere, & l'histoire le fait contemporain de Josué : il passe de la Thrace sa patrie dans l'Egypte, où il s'instruit de la Philosophie, de la Théologie, de l'Astrologie, de la Medecine, de la Musique, & de la Poésie. Il vient de l'Egypte en Grece, où il est honoré des peuples ; & comment ne l'auroit-il pas été, prêtre & medecin, c'est-à-dire homme se donnant pour savoir écarter les maladies par l'entremise des dieux, & y apporter remede, quand on en est affligé ?

Orphée eut le sort de tous les personnages célebres dans les tems où l'on n'écrivoit point l'histoire. Les noms abandonnés à la tradition étoient bien-tôt oubliés ou confondus ; & l'on attribuoit à un seul homme tout ce qu'il s'étoit fait de mémorable pendant un grand nombre de siecles. Nous ne connoissons que les Hébreux chez qui la tradition se soit conservée pure & sans altération ; & n'auroient-ils que ce privilége, il suffiroit pour les faire regarder comme une race très-particuliere, & vraiment chérie de Dieu.

La Mythologie des Grecs n'étoit qu'un amas confus de superstitions isolées ; Orphée en forma un corps de doctrine ; il institua la divination & les mysteres ; il en fit des cérémonies secrettes, moyen sûr pour donner un air solemnel à des puérilités ; telles furent les fêtes de Bacchus & d'Hecate, les éleusinies, les panathenées & les thesmophories. Il enjoignit le silence le plus rigoureux aux initiés ; il donna des regles pour le choix des prosélytes : elles se réduisoient à n'admettre à la participation des mysteres, que des ames sensibles & des imaginations ardentes & fortes, capables de voir en grand & d'allumer les esprits des autres : il prescrivit des épreuves ; elles consistoient dans des purifications, la confession des fautes qu'on avoit commises, la mortification de la chair, la continence, l'abstinence, la retraite, & la plûpart de nos austérités monastiques ; & pour achever de rendre le secret de ces assemblées impénétrable aux profanes, il distingua différens degrés d'initiation, & les initiés eurent un idiome particulier & des caracteres hiéroglyphiques.

Il monta sa lyre de sept cordes ; il inventa le vers hexametre, & surpassa dans l'Epopée tous ceux qui s'y étoient exercés avant lui. Cet homme extraordinaire eut un empire étonnant sur les esprits, du-moins à en juger par ce que l'hyperbole des Poëtes nous en fait présumer. A sa voix, les eaux cessoient de couler ; la rapidité des fleuves étoit retardée ; les animaux, les arbres accouroient ; les flots de la mer étoient appaisés, & la nature demeuroit suspendue dans l'admiration & le silence : effets merveilleux qu'Horace a peints avec force, & Ovide avec une délicatesse mêlée de dignité.

Horace dit ode XII. liv. I.

Aut in umbrosis Heliconis oris

Aut super Pindo, gelidove in Haemo,

Unde vocalem temerè insecutae

Orphea sylvae,

Arte maternâ rapidos morantem

Fluminum lapsus, celeresque ventos,

Blandum & auritas fidibus canoris

Ducere quercus.

Et Ovide, métamorph. liv. X.

Collis erat, collemque super planissima campi

Area, quam viridem faciebant graminis herbae ;

Umbra loco deerat, quâ postquam parte resedit,

Dis genitus vates & fila sonantia movit,

Umbra loco venit.

Ceux qui n'aiment pas les prodiges opposeront aux vers du poëte lyrique un autre passage, où il s'explique en philosophe, & où il réduit la merveilleuse histoire d'Orphée à des choses assez communes :

Sylvestres homines sacer interpresque deorum,

Caedibus & victu foedo deterruit Orphaeus,

Dictus ab hoc lenire tigres, rapidosque leones ;

c'est-à-dire qu'Orphée fut un fourbe éloquent, qui fit parler les dieux pour maîtriser un troupeau d'hommes farouches, & les empêcher de s'entrégorger ; & combien d'autres évenemens se réduiroient à des phénomenes naturels, si l'on se permettoit d'écarter de la narration l'emphase avec laquelle ils nous ont été transmis !

Après les précautions qu'Orphée avoit prises pour dérober sa théologie à la connoissance des peuples, il est difficile de compter sur l'exactitude de ce que les auteurs en ont recueilli. Si une découverte est essentielle au bien de la société, c'est être mauvais citoyen que de l'en priver ; si elle est de pure curiosité, elle ne valoit ni la peine d'être faite, ni celle d'être cachée : utile ou non, c'est entendre mal l'intérêt de sa réputation que de la tenir secrette ; ou elle se perd après la mort de l'inventeur qui s'est tu, ou un autre y est conduit & partage l'honneur de l'invention. Il faut avoir égard en tout au jugement de la postérité, & reconnoître qu'elle se plaindra de notre silence, comme nous nous plaignons de la taciturnité & des hiéroglyphes des prêtres égyptiens, des nombres de Pythagore, & de la double doctrine de l'académie.

A juger de celle d'Orphée d'après les fragmens qui nous en restent épars dans les auteurs, il pensoit que Dieu & le chaos co-existoient de toute éternité ; qu'ils étoient unis, & que Dieu renfermoit en lui tout ce qui est, fut, & sera ; que la lune, le soleil, les étoiles, les dieux, les déesses & tous les êtres de la nature, étoient émanés de son sein ; qu'ils ont la même essence que lui ; qu'il est présent à chacune de leurs parties ; qu'il est la force qui les a développées & qui les gouverne ; que tout est de lui, & qu'il est en tout ; qu'il y a autant de divinités subalternes, que de masses dans l'Univers ; qu'il faut les adorer ; que le Dieu créateur, le Dieu générateur, est incompréhensible ; que répandu dans la collection générale des êtres, il n'y a qu'elle qui puisse en être une image ; que tout étant de lui, tout y retournera ; que c'est en lui que les hommes pieux trouveront la récompense de leurs vertus ; que l'ame est immortelle, mais qu'il y a des lustrations, des cérémonies qui la purgent de ses fautes, & qui la restituent à son principe aussi sainte qu'elle en est émanée, &c.

Il admettoit des esprits, des démons & des héros. Il disoit : l'air fut le premier être qui émana du sein de Dieu ; il se plaça entre le chaos & la nuit. Il s'engendra de l'air & du chaos un oeuf, dont Orphée fait éclorre une chaîne de puérilités peu dignes d'être rapportées.

On voit en général qu'il reconnoissoit deux substances nécessaires, Dieu & le chaos ; Dieu principe actif ; le chaos ou la matiere informe, principe passif.

Il pensoit encore que le monde finiroit par le feu, & que des cendres de l'Univers embrasé, il en renaîtroit un autre.

Que l'opinion, que les planetes & la plûpart des corps célestes sont habités comme notre terre, soit d'Orphée ou d'un autre, elle est bien ancienne. Je regarde ces lambeaux de philosophie, que le tems a laissés passer jusqu'à nous, comme ces planches que le vent pousse sur nos côtes après un naufrage, & qui nous permettent quelquefois de juger de la grandeur du bâtiment.

Je ne dis rien de sa descente aux enfers ; j'abandonne cette fiction aux Poëtes. On peut croire de sa mort tout ce qu'on voudra ; ou qu'après la perte d'Euridice il se mit à prêcher le célibat, & que les femmes indignées le massacrerent pendant la célébration des fêtes de Bacchus ; ou que ce dieu vindicatif qu'il avoit négligé dans ses chants, & Vénus dont il avoit abjuré le culte pour un autre qui lui déplaît, irriterent les bacchantes qui le déchirerent ; ou qu'il fut foudroyé par Jupiter, comme la plûpart des héros des tems fabuleux ; ou que les Thraciennes se défirent d'un homme qui entraînoit à sa suite leurs maris ; ou qu'il fut la victime des peuples qui supportoient impatiemment le joug des lois qu'il leur avoit imposées : toutes ces opinions ne sont guere plus certaines, que ce que le poëte de la métamorphose a chanté de sa tête & de sa lyre.

Caput, Haebre, lyramque

Excipis, &, mirum, medio dum labitur amne,

Flebile nescio quid queritur lyra, flebile lingua

Murmurat exanimis ; respondent flebile ripae.

" Sa tête étoit portée sur les flots ; sa langue murmuroit je ne sai quoi de tendre & d'inarticulé, que répétoient les rivages plaintifs ; & les cordes de sa lyre frappées par les ondes, rendoient encore des sons harmonieux ". O douces illusions de la Poésie, vous n'avez pas moins de charmes pour moi que la vérité ! puissiez-vous me toucher & me plaire jusque dans mes derniers instans !

Les ouvrages qui nous restent sous le nom d'Orphée, & ceux qui parurent au commencement de l'ere chrétienne, au milieu de la dissension des Chrétiens, des Juifs & des Philosophes payens, sont tous supposés ; ils ont été répandus ou par des Juifs, qui cherchoient à se mettre en considération parmi les Gentils ; ou par des chrétiens, qui ne dédaignoient pas de recourir à cette petite ruse, pour donner du poids à leurs dogmes aux yeux des Philosophes ; ou par des philosophes même, qui s'en servoient pour appuyer leurs opinions de quelque grande autorité. On faisoit un mauvais livre ; on y inséroit les dogmes qu'on vouloit accréditer, & l'on écrivoit à la tête le nom d'un auteur célebre : mais la contradiction de ces différens ouvrages rendoit la fourberie manifeste.

Musée fut disciple d'Orphée ; il eut les mêmes talens & la même philosophie, & il obtint chez les Grecs les mêmes succès & les mêmes honneurs. On lui attribue l'invention de la sphere ; mais on la revendique en faveur d'Atlas & d'Anaximandre. Le poëme de Léandre & Héro, & l'hymne qui porte le nom de Musée, ne sont pas de lui ; tandis que des auteurs disent qu'il est mort à Phalere, d'autres assûrent qu'il n'a jamais existé. La plûpart de ces hommes anciens qui faisoient un si grand secret de leurs connoissances, ont réussi jusqu'à rendre leur existence même douteuse.

Thamyris succede à Musée dans l'histoire fabuleuse ; il remporte le prix aux jeux pithiens, défie les muses au combat du chant, en est vaincu & puni par la perte de la vûe & l'oubli de ses talens. On a dit de Thamyris ce qu'Ovide a dit d'Orphée :

Ille etiam Thracum populis fuit autor, amorem

In teneros transferre mares, citràque juventam

Aetatis breve ver & primos carpere flores.

Voilà un vilain art bien contesté.

Amphion contemporain de Thamyris, ajoûte trois cordes à la lyre d'Orphée ; il adoucit les moeurs des Thébains. Trois choses, dit Julien, le rendirent grand poëte, l'étude de la Philosophie, le génie, & l'oisiveté.

Melampe qui parut après Amphion, fut théologien, philosophe, poëte & medecin ; on lui éleva des temples après sa mort, pour avoir guéri les filles de Praetus de la fureur utérine : on dit que ce fut avec l'ellébore.

Hésiode, successeur de Melampe, fut contemporain & rival d'Homere. Nous laisserons les particularités de sa vie qui sont assez incertaines, & nous donnerons l'analyse de sa théogonie.

Le Chaos, dit Hésiode, étoit avant tout. La Terre fut après le Chaos ; & après la Terre, le Tartare dans les entrailles de la Terre : alors l'Amour naquit, l'Amour le plus ancien & le plus beau des immortels. Le Chaos engendra l'Erebe & la Nuit ; la nuit engendra l'Air & le Jour ; la Terre engendra le Ciel, la Mer & les Montagnes ; le Ciel & la Terre s'unirent, & ils engendrerent l'Océan, des fils, des filles ; & après ces enfans, Saturne, les Cyclopes, Bronte, Stérope & Argé, fabricateurs de foudres ; & après les Cyclopes, Coté, Briare & Gygès. Dès le commencement les enfans de la Terre & du Ciel se brouillerent avec le Ciel, & se tinrent cachés dans les entrailles de la Terre. La Terre irrita ses enfans contre son époux, & Saturne coupa les testicules au Ciel. Le sang de la blessure tomba sur la Terre, & produisit les Géants, les Nymphes & les Furies. Des testicules jettés dans la Mer naquit une déesse, autour de laquelle les Amours se rassemblerent : c'étoit Vénus. Le Ciel prédit à ses enfans qu'il seroit vengé. La Nuit engendra le Destin, Nemesis, les Hespérides, la Fraude, la Dispute, la Haine, l'Amitié, Momus, le Sommeil, la troupe legere des Songes, la Douleur & la Mort. La Dispute engendra les Travaux, la Mémoire, l'Oubli, les Guerres, les Meurtres, le Mensonge & le Parjure. La Mer engendre Nérée, le juste & véridique Nérée ; & après lui, des fils & des filles, qui engendrerent toutes les races divines. L'Océan & Thétis eurent trois mille enfans. Rhéa fut mere de la Lune, de l'Aurore & du Soleil. Le Styx fils de l'Océan engendra Zelus, Nicé, la Force & la Violence, qui furent toûjours assises à côté de Jupiter. Phébé & Caeus engendrerent Latone, Astérie & Hécate, que Jupiter honora par-dessus toutes les immortelles. Rhéa eut de Saturne Vesta, Cerès, Pluton, Neptune & Jupiter, pere des dieux & des hommes. Saturne qui savoit qu'un de ses enfans le déthroneroit un jour, les mange à mesure qu'ils naissent ; Rhéa conseillée par la Terre & par le Ciel, cache Jupiter le plus jeune dans un antre de l'île de Crete, &c.

Voilà ce qu'Hésiode nous a transmis en très-beaux vers, le tout mêlé de plusieurs autres rêveries greques. Voyez dans Brucker, tome I. pag. 417. le commentaire qu'on a fait sur ces rêveries. Si l'on s'en est servi pour cacher quelques vérités, il faut avoüer qu'on y a bien réussi. Si Hésiode pouvoit revenir au monde, & qu'il entendît seulement ce que les Chimistes voyent dans la fable de Saturne, je crois qu'il seroit bien surpris. De tems immémorial, les planetes & les métaux ont été désignés par les mêmes noms. Entre les métaux, Saturne est le plomb. Saturne dévore presque tous ses enfans ; & pareillement le plomb attaque la plûpart des substances métalliques : pour le guérir de cette avidité cruelle, Rhéa lui fait avaler une pierre ; & le plomb uni avec les pierres, se vitrifie & ne fait plus rien aux métaux qu'il attaquoit, &c. Je trouve dans ces sortes d'explications beaucoup d'esprit, & peu de vérité.

Une réflexion qui se présente à la lecture du poëme d'Hésiode, qui a pour titre, des jours & des travaux, c'est que dans ces tems la pauvreté étoit un vice ; le pain ne manquoit qu'aux paresseux : & cela devroit être ainsi dans tout état bien gouverné.

On cite encore parmi les théogonistes & les fondateurs de la philosophie fabuleuse des Grecs, Epiménide de Crete, & Homere.

Epiménide ne fut pas inutile à Solon dans le choix des lois qu'il donna aux Athéniens. Tout le monde connoît le long sommeil d'Epiménide : c'est, selon toute apparence, l'allégorie d'une longue retraite.

Homere théologien, philosophe & poëte, écrivit environ 900 ans avant l'ere chrétienne. Il imagina la ceinture de Venus, & il fut le pere des graces. Ses ouvrages ont été bien attaqués, & bien défendus. Il y a deux mots de deux hommes célebres que je comparerois volontiers. L'un disoit qu'Homere n'avoit pas vingt ans à être lu ; l'autre, que la religion n'avoit pas cent ans à durer. Il me semble que le premier de ces mots marque un défaut de philosophie & de goût, & le second un défaut de philosophie & de foi.

Voilà ce que nous avons pû rassembler de supportable sur la philosophie fabuleuse des Grecs. Passons à leur philosophie politique.

Philosophie politique des Grecs. La Religion, l'Eloquence, la Musique & la Poësie, avoient préparé les peuples de la Grece à recevoir le joug de la législation ; mais ce joug ne leur étoit pas encore imposé. Ils avoient quitté le fond des forêts ; ils étoient rassemblés ; ils avoient construit des habitations, & élevé des autels ; ils cultivoient la terre, & sacrifioient aux dieux : du reste sans conventions qui les liassent entr'eux, sans chefs auxquels ils se fussent soûmis d'un consentement unanime, quelques notions vagues du juste & de l'injuste étoient toute la regle de leur conduite ; & s'ils étoient retenus, c'étoit moins par une autorité publique, que par la crainte du ressentiment particulier. Mais qu'est-ce que cette crainte ? qu'est-ce même que celle des dieux ? qu'est-ce que la voix de la conscience, sans l'autorité & la menace des lois ? Les lois, les lois ; voilà la seule barriere qu'on puisse élever contre les passions des hommes : c'est la volonté générale qu'il faut opposer aux volontés particulieres ; & sans un glaive qui se meuve également sur la surface d'un peuple, & qui tranche ou fasse baisser les têtes audacieuses qui s'élevent, le foible demeure exposé à l'injure du plus fort ; le tumulte regne, & le crime avec le tumulte ; & il vaudroit mieux pour la sûreté des hommes, qu'ils fussent épars, que d'avoir les mains libres & d'être voisins. En effet, que nous offre l'histoire des premiers tems policés de la Grece ? des meurtres, des rapts, des adulteres, des incestes, des parricides ; voilà les maux auxquels il falloit remédier, lorsque Zaleucus parut. Personne n'y étoit plus propre par ses talens, & moins par son caractere : c'étoit un homme dur ; il avoit été pâtre & esclave, & il croyoit qu'il falloit commander aux hommes comme à des bêtes, & mener un peuple comme un troupeau.

Si un européen avoit à donner des lois à nos sauvages du Canada, & qu'il eût été témoin des excès auxquels ils se portent dans l'ivresse, la premiere idée qui lui viendroit, ce seroit de leur interdire l'usage du vin. Ce fut aussi la premiere loi de Zaleucus : il condamna l'adultere à avoir les yeux crevés ; & son fils ayant été convaincu de ce crime, il lui fit arracher un oeil, & se fit arracher l'autre. Il attacha tant d'importance à la législation, qu'il ne permit à qui que ce fût d'en parler qu'en présence de mille citoyens, & qu'avec la corde au cou. Ayant transgressé dans un tems de guerre la loi par laquelle il avoit décerné la peine de mort contre celui qui paroîtroit en armes dans les assemblées du peuple, il se punit lui-même en s'ôtant la vie. On attribue la plûpart de ces faits, les uns à Charondas, les autres à Dioclès de Syracuse. Quoi qu'il en soit, ils n'en montrent pas moins combien on exigeoit de respect pour les lois, & quel danger on trouvoit à en abandonner l'examen aux particuliers.

Charondas de Catane s'occupa de la politique, & dictoit ses lois dans le même tems que Zaleucus faisoit exécuter les siennes. Les fruits de sa sagesse ne demeurerent pas renfermés dans sa patrie, plusieurs contrées de l'Italie & de la Sicile en profiterent.

Ce fut alors que Triptoleme poliça les villes d'Eleusine ; mais toutes ses institutions s'abolirent avec le tems.

Dracon les recueillit, & y ajoûta ce qui lui fut suggéré par son humeur féroce. On a dit de lui, que ce n'étoit point avec de l'encre, mais avec du sang qu'il avoit écrit ses lois.

Solon mitigea le système politique de Dracon, & l'ouvrage de Solon fut perfectionné dans la suite par Thesée, Clisthene, Démetrius de Phalere, Hipparque, Pisistrate, Periclès, Sophocle, & d'autres génies du premier ordre.

Le célebre Lycurgue parut dans le courant de la premiere olympiade. Il étoit reservé à celui-ci d'assujettir tout un peuple à une espece de regle monastique. Il connoissoit les gouvernemens de l'Egypte. Il n'écrivit point ses lois. Les souverains en furent les dépositaires ; & ils purent, selon les circonstances, les étendre, les restreindre, ou les abroger, sans inconvénient : cependant elles étoient le sujet des chants de Tyrtée, de Terpandre, & des autres poëtes du tems.

Rhadamante, celui qui mérita par son intégrité la fonction de juge aux enfers, fut un des législateurs de la Crete. Il rendit ses institutions respectables, en les proposant au nom de Jupiter. Il porta la crainte des dissensions que le culte peut exciter, ou la vénération pour les dieux, jusqu'à défendre d'en prononcer le nom.

Minos fut le successeur de Rhadamante, l'émule de sa justice en Crete, & son collégue aux enfers. Il alloit consulter Jupiter dans les antres du mont Ida ; & c'est de-là qu'il rapportoit aux peuples non ses ordonnances, mais les volontés des dieux.

Les sages de Grece succéderent aux législateurs. La vie de ces hommes, si vantés pour leur amour de la vertu & de la vérité, n'est souvent qu'un tissu de mensonges & de puérilités, à commencer par l'historiette de ce qui leur mérita le titre de sages.

De jeunes Ioniens rencontrent des pêcheurs de Milet, ils en achetent un coup de filet ; on tire le filet, & l'on trouve parmi des poissons un trépié d'or. Les jeunes gens prétendent avoir tout acheté, & les pêcheurs n'avoir vendu que le poisson. On s'en rapporte à l'oracle de Delphe, qui adjuge le trépié au plus sage des Grecs. Les Milésiens l'offrent à Thalès, le sage Thalès le transmet au sage Bias, le sage Bias à Pittacus, Pittacus à un autre sage, & celui-ci à Solon, qui restitua à Apollon le titre de sage & le trépié.

La Grece eut sept sages. On entendoit alors par un sage, un homme capable d'en conduire d'autres. On est d'accord sur le nombre ; mais on varie sur les personnages. Thalès, Solon, Chilon, Pittacus, Bias, Cléobule & Periandre, sont le plus généralement reconnus. Les Grecs ennemis du despotisme & de la tyrannie, ont substitué à Périandre, les uns Myson, les autres Anacharsis. Nous allons commencer par Myson.

Myson naquit dans un bourg obscur. Il suivit le genre de vie de Timon & d'Apémante, se garantit de la vanité ridicule des Grecs, encouragea ses concitoyens à la vertu, plus encore par son exemple que par ses discours, & fut véritablement un sage.

Thalès fut le fondateur de la secte ionique. Nous renvoyons l'abregé de sa vie à l'article IONIENNE, (PHILOSOPHIE) où nous ferons l'histoire de ses opinions.

Solon succéda à Thalès. Malgré la pauvreté de sa famille, il joüit de la plus grande considération. Il descendoit de Codrus. Exécestide, pour réparer une fortune que sa prodigalité avoit épuisée, jetta Solon son fils dans le commerce. La connoissance des hommes & des lois fut la principale richesse que le philosophe rapporta des voyages que le commerçant entreprit. Il eut pour la Poësie un goût excessif, qu'on lui a reproché. Personne ne connut aussi-bien l'esprit leger & les moeurs frivoles de ses concitoyens, & n'en sut mieux profiter. Les Athéniens desespérant, après plusieurs tentatives inutiles, de recouvrer Salamine, décernerent la peine de mort contre celui qui oseroit proposer derechef cette expédition. Solon trouva la loi honteuse & nuisible. Il contrefit l'insensé ; & le front ceint d'une couronne, il se présenta sur une place publique, & se mit à réciter des élégies qu'il avoit composées. Les Athéniens se rassemblent autour de lui ; on écoute ; on applaudit ; il exhorte à reprendre la guerre contre Salamine. Pisistrate l'appuie ; la loi est révoquée ; on marche contre les habitans de Megare ; ils sont défaits, & Salamine est recouvrée. Il s'agissoit de prévenir l'ombrage que ce succès pouvoit donner aux Lacédémoniens, & l'allarme que le reste de la Grece en pouvoit prendre ; Solon s'en chargea, & y réussit : mais ce qui mit le comble à sa gloire, ce fut la défaite des Cyrrhéens, contre lesquels il conduisit ses compatriotes, & qui furent séverement châtiés du mépris qu'ils avoient affecté pour la religion.

Ce fut alors que les Athéniens se diviserent sur la forme du gouvernement ; les uns inclinoient pour la démocratie ; d'autres pour l'oligarchie, ou quelque administration mixte. Les pauvres étoient obérés au point que les riches devenus maîtres de leurs biens & de leur liberté, l'étoient encore de leurs enfans : ceux-ci ne pouvoient plus supporter leur misere ; le trouble pouvoit avoir des suites fâcheuses. Il y eut des assemblées. On s'adressa d'une voix générale à Solon, & il fut chargé d'arrêter l'état sur le penchant de sa ruine. On le créa archonte, la troisieme année de la quarante-sixieme olympiade ; il rétablit la police & la paix dans Athenes ; il soulagea les pauvres, sans trop mécontenter les riches ; il divisa le peuple en tribus ; il institua des chambres de judicature ; il publia ses lois ; & employant alternativement la persuasion & la force, il vint à-bout des obstacles qu'elles rencontrerent. Le bruit de sa sagesse pénétra jusqu'au fond de la Scythie, & attira dans Athenes Anacharsis & Toxaris, qui devinrent ses admirateurs, ses disciples & ses amis.

Après avoir rendu à sa patrie ce dernier service ; il s'en exila. Il crut que son absence étoit nécessaire pour accoûtumer ses concitoyens, qui le fatiguoient sans-cesse de leurs doutes, à interpréter eux-mêmes ses lois. Il alla en Egypte, où il fit connoissance avec Psenophe ; & dans la Crete, où il fut utile au souverain par ses conseils ; il visita Thalès ; il vit les autres sages ; il conféra avec Périandre, & il mourut en Chypre âgé de 80 ans. Le desir d'apprendre qui l'avoit consumé pendant toute sa vie, ne s'éteignit qu'avec lui. Dans ses derniers momens, il étoit encore environné de quelques amis, avec lesquels il s'entretenoit des sciences qu'il avoit tant chéries.

Sa philosophie pratique étoit simple ; elle se reduisoit à un petit nombre de maximes communes, telles que celle-ci : ne s'écarter jamais de la raison : n'avoir aucun commerce avec le méchant : méditer les choses utiles : éviter le mensonge : être fidele ami : en tout considérer la fin ; c'est ce que nous disons à nos enfans : mais tout ce qu'on peut faire dans l'âge mûr, c'est de pratiquer les leçons qu'on a reçûes dans l'enfance.

Chilon de Lacédémone fut élevé à l'éphorat sous Eutydeme. Il n'y eut guere d'homme plus juste. Parvenu à une extrème vieillesse, la seule faute qu'il se reprochoit, c'étoit une foiblesse d'amitié qui avoit soustrait un coupable à la sévérité des lois. Il étoit patient, & il répondoit à son frere, indigné de la préférence que le peuple lui avoit accordée pour la magistrature : tu ne sais pas supporter une injure, & je le sais moi. Ses mots sont laconiques. Connois toi : rien de trop : laisse en repos les morts. Sa vie fut d'accord avec ses maximes. Il mourut de joie, en embrassant son fils qui sortoit vainqueur des jeux olympiques.

Pittacus naquit à Lesbos, dans la 32e olympiade. Encouragé par les freres du poëte Alcée, & brûlant par lui-même du desir d'affranchir sa patrie, il débuta par l'exécution de ce dessein périlleux. En reconnoissance de ce service, ses concitoyens le nommerent général dans la guerre contre les Athéniens. Pittacus proposa à Phrinon qui commandoit l'ennemi, d'épargner le sang de tant d'honnêtes gens qui marchoient à leur suite, & de finir la querelle des deux peuples par un combat singulier. Le défi fut accepté. Pittacus enveloppa Phrinon dans un filet de pêcheur qu'il avoit placé sur son bouclier, & le tua. Dans la répartition des terres, on lui en accorda autant qu'il en voudroit ajoûter à ses domaines ; il ne demanda que ce qu'il en pourroit renfermer sous le jet d'un dard, & n'en retint que la moitié. Il prescrivit de bonnes lois à ses concitoyens. Après la paix, ils reclamerent l'autorité qu'ils lui avoient confiée, & il la leur résigna. Il mourut âgé de 70 ans, après avoir passé les dix dernieres années de sa vie dans la douce obscurité d'une vie privée. Il n'y a presque aucune vertu dont il n'ait mérité d'être loüé. Il montra surtout l'élévation de son ame dans le mépris des richesses de Crésus ; sa fermeté dans la maniere dont il apprit la mort imprévûe de son fils ; & sa patience, en supportant sans murmure les hauteurs d'une femme impérieuse.

Bias de Priene fut un homme rempli d'humanité ; il racheta les captives Messéniennes, les dota, & les rendit à leurs parens. Tout le monde sait sa réponse à ceux qui lui reprochoient de sortir les mains vuides de sa ville abandonnée au pillage de l'ennemi : j'emporte tout avec moi. Il fut orateur célebre & grand poëte. Il ne se chargea jamais d'une mauvaise cause ; il se seroit cru deshonoré, s'il eût employé sa voix à la défense du crime & de l'injustice. Nos gens de palais n'ont pas cette délicatesse. Il comparoit les sophistes aux oiseaux de nuit, dont la lumiere blesse les yeux. Il expira à l'audience entre les bras d'un de ses parens, à la fin d'une cause qu'il venoit de gagner.

Cléobule de Linde, ville de l'île de Rhodes, avoit été remarqué par sa force & par sa beauté, avant que de l'être par sa sagesse. Il alla s'instruire en Egypte. L'Egypte a été le séminaire de tous les grands hommes de la Grece. Il eut une fille appellée Eumétide ou Cléobuline, qui fit honneur à son pere. Il mourut âgé de 70 ans, après avoir gouverné ses citoyens avec douceur.

Périandre le dernier des sages, seroit bien indigne de ce titre, s'il avoit mérité la plus petite partie des injures que les historiens lui ont dites ; son grand crime, à ce qu'il paroît, fut d'avoir exercé la souveraineté absolue dans Corinthe : telle étoit l'aversion des Grecs pour tout ce qui sentoit le despotisme, qu'ils ne croyoient pas qu'un monarque pût avoir l'ombre de la vertu : cependant à-travers leurs invectives, on voit que Périandre se montra grand dans la guerre & pendant la paix, & qu'il ne fut déplacé ni à la tête des affaires ni à la tête des armées ; il mourut âgé de 80 ans, la quatrieme année de la quarante-huitieme olympiade : nous renvoyons à l'histoire de la Grece pour le détail de sa vie.

Nous pourrions ajoûter à ces hommes, Esope, Théognis, Phocilide, & presque tous les poëtes dramatiques ; la fureur des Grecs pour les spectacles donnoit à ces auteurs une influence sur le gouvernement, dont nous n'avons pas l'idée.

Nous terminerons cet abrégé de la philosophie politique des Grecs, par une question. Comment est-il arrivé à la plûpart des sages de Grece, de laisser un si grand nom après avoir fait de si petites choses ? il ne reste d'eux aucun ouvrage important, & leur vie n'offre aucune action éclatante ; on conviendra que l'immortalité ne s'accorde pas de nos jours à si bas prix. Seroit-ce que l'utilité générale qui varie sans-cesse, étant toutefois la mesure constante de notre admiration, nos jugemens changent avec les circonstances ? Que falloit-il aux Grecs à-peine sortis de la Barbarie ? des hommes d'un grand sens, fermes dans la pratique de la vertu, au-dessus de la séduction des richesses & des terreurs de la mort, & c'est ce que leurs sages ont été : mais aujourd'hui c'est par d'autres qualités qu'on laissera de la réputation après soi ; c'est le génie & non la vertu qui fait nos grands hommes. La vertu obscure parmi nous n'a qu'une sphere étroite & petite dans laquelle elle s'exerce ; il n'y a qu'un être privilégié dont la vertu pourroit influer sur le bonheur général, c'est le souverain ; le reste des honnêtes gens meurt, & l'on n'en parle plus : la vertu eut le même sort chez les Grecs dans les siecles suivans.

De la philosophie sectaire des Grecs. Combien ce peuple a change ! du plus stupide des peuples, il est devenu le plus délié ; du plus féroce, le plus poli : ses premiers législateurs, ceux que la nation a mis au nombre de ses dieux, & dont les statues décorent ses places publiques & sont révérées dans ses temples, auroient bien de la peine à reconnoître les descendans de ces sauvages hideux qu'ils arracherent il n'y a qu'un moment du fond des forêts & des antres.

Voici le coup-d'oeil sous lequel il faut maintenant considérer les Grecs sur-tout dans Athenes.

Une partie livrée à la superstition & au plaisir, s'échappe le matin d'entre les bras des plus belles courtisannes du monde, pour se répandre dans les écoles des philosophes & remplir les gymnases, les théatres & les temples ; c'est la jeunesse & le peuple : une autre, toute entiere aux affaires de l'état, médite de grandes actions & de grands crimes ; ce sont les chefs de la république, qu'une populace inquiete immole successivement à sa jalousie : une troupe moitié sérieuse & moitié folâtre passe son tems à composer des tragédies, des comédies, des discours éloquens & des chansons immortelles ; & ce sont les rhéteurs & les poëtes : cependant un petit nombre d'hommes tristes & querelleurs décrient les dieux, médisent des moeurs de la nation, relevent les sottises des grands, & se déchirent entr'eux ; ce qu'ils appellent aimer la vertu & chercher la vérité ; ce sont les philosophes, qui sont de tems-en-tems persécutés & mis en fuite par les prêtres & les magistrats.

De quelque côté qu'on jette les yeux dans la Grece, on y rencontre l'empreinte du génie, le vice à côté de la vertu, la sagesse avec la folie, la mollesse avec le courage ; les Arts, les travaux, la volupté, la guerre & les plaisirs ; mais n'y cherchez pas l'innocence, elle n'y est pas.

Des barbares jetterent dans la Grece le premier germe de la Philosophie ; ce germe ne pouvoit tomber dans un terrein plus fécond ; bientôt il en sortit un arbre immense dont les rameaux s'étendant d'âge en âge & de contrées en contrées, couvrirent successivement toute la surface de la terre : on peut regarder l'Ecole Ionienne & l'Ecole de Samos comme les tiges principales de cet arbre.

De la secte Ionique. Thalès en fut le chef. Il introduisit dans la Philosophie la méthode scientifique, & mérita le premier d'être appellé philosophe, à prendre ce mot dans l'acception qu'il a parmi nous ; il eut un grand nombre de sectateurs ; il professa les Mathématiques, la Métaphysique, la Théologie, la Morale, la Physique, & la Cosmologie ; il regarda les phénomenes de la nature, les uns comme causes, les autres comme effets, & chercha à les enchaîner : Anaximandre lui succéda, Anaximene à Anaximandre, Anaxagoras à celui-ci, Diogene Apolloniate à Anaxagoras, & Archélaüs à Diogene. Voyez IONIENNE, (PHILOSOPHIE).

La secte ionique donna naissance au Socratisme & au Péripatétisme.

Du Socratisme. Socrate, disciple d'Archélaüs, Socrate qui fit descendre du ciel la Philosophie, se renferma dans la Métaphysique, la Théologie, & la Morale ; il eut pour disciples Xénophon, Platon, Aristoxène, Démétrius de Phalere, Panétius, Callisthene, Satyrus, Eschine, Criton, Cimon, Cébès, & Timon le misanthrope. Voy. l'art. SOCRATISME.

La doctrine de Socrate donna naissance au Cyrénaïsme sous Aristippe, au Mégarisme sous Euclide, à la secte Eliaque sous Phédon, à la secte Académique sous Platon, & au Cynisme sous Anthistene.

Du Cyrénaïsme. Aristippe enseigna la Logique & la Morale ; il eut pour sectateurs Arété, Egesias, Annium, l'athée Théodore, Evemere, & Bion le Boristhenite. Voyez l'article CYRENAÏSME.

Du Mégarisme. Euclide de Mégare, sans négliger les parties de la philosophie Socratique, se livra particulierement à l'étude des Mathématiques ; il eut pour sectateurs Eubulide, Alexine, Euphane, Apollonius, Cronus, Diodore, & Stilpon. Voyez l'article MEGARISME.

De la secte Eliaque & Erétriaque. La doctrine de Phédon fut la même que celle de son maître ; il eut pour disciples Ménedeme & Asclépiade. Voy. ELIAQUE, (secte).

Du Platonisme. Platon fonda la secte Académique ; on y professa presque toutes les Sciences, les Mathématiques, la Géométrie, la Dialectique, la Métaphysique, la Psycologie, la Morale, la Politique, la Théologie, & la Physique.

Il y eut trois académies ; l'académie premiere ou ancienne, sous Speusippe, Xénocrate, Polémon, Cratès, Crantor : l'académie seconde ou moyenne, sous Architas & Lacyde : l'académie nouvelle ou troisieme, quatrieme, & cinquieme, sous Carnéade, Clitomaque, Philon, Charmidas, & Antiochus. Voyez les articles PLATONISME & ACADEMIE.

Du Cynisme. Anthistene ne professa que la Morale ; il eut pour sectateurs Diogene, Onesicrite, Maxime, Cratès, Hypparchia, Métrocle, Ménedeme, & Ménippe. Voyez l'art. CYNISME.

Le Cynisme donna naissance au Stoïcisme ; cette secte eut pour chef Zénon, disciple de Cratès.

Du Stoïcisme. Zénon professa la Logique, la Métaphysique, la Théologie, & la Morale ; il eut pour sectateurs Persée, Ariston de Chio, Hérille, Sphere, Athénodore, Clianthe, Chrysippe, Zénon de Tarse, Diogene le Babylonien, Antipater de Tarse, Panétius, Possidonius, & Jason. Voyez l'art. STOÏCISME.

Du Péripatétisme. Aristote en est le fondateur ; Montagne a dit de celui-ci, qu'il n'y a point de pierres qu'il n'ait remuées. Aristote écrivit sur toutes sortes de sujets, & presque toûjours en homme de génie ; il professa la Logique, la Grammaire, la Rhétorique, la Poétique, la Métaphysique, la Théologie, la Morale, la Politique, l'Histoire naturelle, la Physique & la Cosmologie : il eut pour sectateurs Théophraste, Straton de Lampsaque, Lycon, Ariston, Critolaüs, Diodore, Dicéarque, Eudeme, Héraclide de Pont, Phanion, Démétrius de Phalere, & Hieronimus de Rhodes. Voyez les articles ARISTOTELISME & PERIPATETISME.

De la secte Samienne. Pythagore en est le fondateur ; on y enseigna l'Arithmétique, ou plus généralement, la science des nombres, la Géométrie, la Musique, l'Astronomie, la Théologie, la Medecine, & la Morale. Pythagore eut pour sectateurs Thelauge son fils, Aristée, Mnésarque, Ecphante, Hypon, Empédocle, Epicarme, Ocellus, Tymée, Archytas de Tarente, Alcméon, Hyppase, Philolaüs, & Eudoxe. Voyez l'art. PYTHAGORISME.

On rapporte à l'école de Samos la secte Eléatique, l'Héraclitisme, l'Epicuréisme, & le Pyrrhonisme ou Scepticisme.

De la secte Eléatique. Xénophane en est le fondateur : il enseigna la Logique, la Métaphysique, & la Physique ; il eut pour disciples Parménide, Mélisse, Zénon d'Elée, Leucippe qui changea toute la philosophie de la secte, négligeant la plûpart des matieres qu'on y agitoit, & se renferment dans la Physique ; il eut pour sectateurs Démocrite, Protagoras, & Anaxarque. Voyez ELEATIQUE, (secte).

De l'Héraclitisme. Héraclite professa la Logique, la Métaphysique, la Théologie, & la Morale, & il eut pour disciple Hippocrate, qui seul en valoit un grand nombre d'autres. Voyez HERACLITISME.

De l'Epicuréisme. Epicure enseigna la Dialectique, la Théologie, la Morale, & la Physique ; il eut pour sectateurs Métrodore, Polyene, Hermage, Mus, Timocrate, Diogene de Tarse, Diogene de Séleucie, & Apollodore. Voy. l'art. éPICUREISME.

Du Pyrrhonisme ou Scepticisme. Pyrrhon n'enseigna qu'à douter ; il eut pour sectateurs Timon & Enésideme. Voyez les art. PYRRHONISME & SCEPTICISME.

Voilà quelle fut la filiation des différentes sectes qui partagerent la Grece, les chefs qu'elles ont eus, les noms des principaux sectateurs, & les matieres dont ils se sont occupés ; on trouvera aux articles cités, l'exposition de leurs sentimens & l'histoire abrégée de leurs vies.

Une observation qui se présente naturellement à l'aspect de ce tableau, c'est qu'après avoir beaucoup étudié, réfléchi, écrit, disputé, les philosophes de la Grece finissent par se jetter dans le Pyrrhonisme. Quoi donc, seroit-il vrai que l'homme est condamné à n'apprendre qu'une chose avec beaucoup de peine ; c'est que son sort est de mourir sans avoir rien sû ?

Consultez sur les progrès de la Philosophie des Grecs hors de leurs contrées, les articles des différentes sectes, les articles de l'histoire de la Philosophie en général, de la philosophie des Romains sous la république & sous les empereurs, de la philosophie des Orientaux, de la philosophie des Arabes, de la philosophie des Chrétiens, de la philosophie des peres de l'Eglise, de la philosophie des Chrétiens d'occident, des Scholastiques, de la philosophie Parménidéenne, &c. vous verrez que cette philosophie s'étendit également par les victoires & les défaites des Grecs.

Nous ne pouvons mieux terminer ce morceau que par un endroit de Plutarque qui montre combien Alexandre étoit supérieur en politique à son précepteur, qui fait assez l'éloge de la saine Philosophie, & qui peut servir de leçon aux rois.

" La police ou forme de gouvernement d'état tant estimée, que Zénon, le fondateur & premier auteur de la secte des philosophes Stoïques, a imaginée, tend presque à ce seul point en somme, que nous, c'est-à-dire les hommes en général, ne vivions point divisés par villes, peuples, & nations, estant tous séparés par lois, droits & coûtumes particulieres, ains que nous estimions tous hommes nos bourgeois & nos citoyens, & qu'il n'y ait qu'une sorte de vie comme il n'y a qu'un monde, ne plus ne moins que si ce fût un même troupeau paissant soubs même berger en pastis communs. Zénon a écrit cela comme un songe ou une idée d'une police & de lois philosophiques qu'il avoit imaginées & formées en son esprit : mais Alexandre a mis à réelle exécution ce que l'autre avoit figuré par écrit ; car il ne fit pas comme Aristote son précepteur lui conseilloit, qu'il se portât envers les Grecs comme pere, & envers les barbares comme seigneur, & qu'il eût soin des uns comme de ses amis & de ses parens, & se servît des autres comme de plantes ou d'animaux ; en quoi faisant, il eût rempli son empire de bannissemens, qui sont toûjours occultes semences de guerres & factions & partialités fort dangereuses : ains estimant être envoyé du ciel comme un commun réformateur, gouverneur, & réconciliateur de l'univers, ceux qu'il ne put rassembler par remontrances de la raison, il les contraignit par force d'armes, & assemblant le tout en un de tous costés, en les faisant boire tous, par maniere de dire, en une même coupe d'amitié ; & meslant ensemble les vies, les moeurs, les mariages & façons de vivre, il commanda à tous hommes vivans d'estimer la terre habitable être leur pays & son camp en être le château & donjon, tous les gens de bien parens les uns des autres, & les méchans seuls étrangers. Au demeurant, que le grec & le barbare ne seroient point distingués par le manteau ni à la façon de la targue ou du cimeterre, ou par le haut chapeau, ains remarqués & discernés le grec à la vertu & le barbare au vice, en réputant tous les vertueux grecs & tous les vicieux barbares ; en estimant au demeurant les habillemens communs, les tables communes, les mariages, les façons de vivre, étant tous unis par mélange de sang & communion d'enfans ".

Telle fut la politique d'Alexandre, par laquelle il ne se montra pas moins grand homme d'état qu'il ne s'étoit montré grand capitaine par ses conquêtes. Pour accréditer cette politique parmi les peuples, il appella à sa suite les philosophes les plus célebres de Grece ; il les répandit chez les nations à mesure qu'il les subjuguoit. Ceux-ci plierent la religion des vainqueurs à celle des vaincus, & les disposerent à recevoir leurs sentimens en leur dévoilant ce qu'ils avoient de commun avec leurs propres opinions. Alexandre lui-même ne dédaigna pas de conférer avec les hommes qui avoient quelque réputation de sagesse chez les barbares, & il rendit par ce moyen la marche de la Philosophie presque aussi rapide que celle de ses armes.

GRECS, (Hist. anc. & Littérature) On ne cessera d'admirer les talens & le génie de cette nation tant que le goût des Arts & des Sciences subsistera dans le monde.

Parcourons l'histoire générale de ce peuple célébre qu'il n'est pas permis d'ignorer ; elle offre de grandes scenes à l'imagination, de grands sujets de réflexion à la Politique & à la Philosophie. De toutes les histoires du monde, c'est celle qui est la plus liée à l'esprit humain, & par conséquent la plus instructive & la plus intéressante : mais pour éviter la confusion, nous diviserons cette histoire en cinq âges différens, & nous considérerons les Grecs 1°. depuis leur commencement jusqu'à la prise de Troie : 2°. depuis la prise de Troie jusqu'aux victoires de Mycale & de Platée : 3°. depuis cette époque jusqu'à la mort d'Alexandre : 4°. depuis la mort de ce prince jusqu'à la conquête que les Romains firent de la Grece ; 5°. depuis cette époque jusqu'au regne d'Auguste.

Premier âge de la Grece. L'histoire des Grecs ne peut remonter qu'à l'arrivée des colonies, & conséquemment tout ce qu'ils ont débité sur les tems antérieurs est imaginé après coup. Mais dans quel tems du monde ces colonies se sont-elles établies dans la Grece ? M. Freret, dans un ouvrage très-curieux sur cette matiere, a entrepris de déterminer cette époque : par une suite de calculs, il fixe celle d'Inachus, la plus ancienne de toutes, à l'an 1970 ; celle de Cécrops à l'an 1657 ; celle de Cadmus à l'an 1594, & celle de Danaüs à l'an 1586 avant Jésus-Christ.

Il semble que le nom de Pélasges, regardé par quelques anciens & par les modernes comme celui d'un peuple d'Arcadie qu'ils font successivement errer dans les îles de la mer Egée, sur les côtes de l'Asie mineure, & sur celles de l'Italie, pourroit bien être le nom général des premiers Grecs avant la fondation des cités ; nom que les habitans de chaque contrée quitterent à-mesure qu'ils se policerent, & qui disparut enfin quand ils furent civilisés.

Suivant ce système, les anciens habitans de la Lydie, de la Carie, & de la Mysie, les Phrygiens, les Pisidiens, les Arméniens, en un mot presque tous les peuples de l'Asie mineure, formoient dans l'origine une même nation avec les Pélasges ou Grecs européens : ce qui fortifieroit cette conjecture, c'est que la langue de toutes ces nations asiatiques, la même malgré les différences qui caractérisoient les dialectes, avoit beaucoup de rapport pour le fond avec celle des Grecs d'Europe, comme le montrent les noms grecs donnés dans l'Iliade aux Troyens & à leurs alliés, & les entretiens que les chefs ont sans interpretes : peut-être aussi que la nation greque n'eut point de nom qui la désignât collectivement.

Il y eut entr'autres divisions, deux partis célebres qui agiterent long-tems la Grece, je veux dire les Héraclides descendans d'Hercule fils d'Amphytrion, & les Pélopides descendans d'Atrée & de Thieste fils de Pélops, qui donna son nom au Péloponnèse : la haine horrible de ces deux freres a cent fois retenti sur le théatre. Atrée fut le pere d'Agamemnon & de Ménélas : ce dernier n'est que trop connu pour avoir épousé la fille de Tyndare roi de Lacédémone, la soeur de Clytemnestre, de Castor, & de Pollux, en un mot la belle Hélene. Peu de tems après son mariage, elle se fit enlever par Paris, fils de Priam roi de la Troade : tous les Grecs entrant dans le ressentiment d'un mari si cruellement outragé, formerent en commun l'entreprise à jamais mémorable de la longue guerre, du siege, & de la destruction de Troie. Les poésies d'Homere & de Virgile ont immortalisé cet évenement, les femmes & les enfans en savent par coeur les plus petits détails. Ici finit le premier âge de la Grece.

On appelle cet âge le tems héroïque, parce que l'on y doit rapporter les travaux d'Hercule, de Thésée, de Pyrithoüs, les voyages des Argonautes, l'expédition des sept capitaines devant Thebes, en faveur de Polynice fils d'Oedipe contre Etéocle son frere ; la guerre de Minos avec Thésée, & généralement tous les sujets que les anciens tragiques ont cent fois célébrés.

Second âge de la Grece. Au retour de la fameuse expédition de Troie, la Grece éprouva mille revolutions que les vicissitudes des tems amenerent sur la scene ; leurs rois dont l'autorité avoit été fort étendue à la tête des armées, tenterent hautement dans le sein du repos de dépouiller le peuple de ses principales prérogatives : l'ambition n'avoit point encore trouvé le secret de se déguiser avec adresse, d'emprunter le masque de la modération, & de marcher à son but par des routes détournées ; cependant jamais elle n'eut besoin de plus d'art & de ménagement. Sa violence souleva des hommes pauvres, courageux, & dont la fierté n'étoit point émoussée par cette foule de besoins & de passions qui asservirent leurs descendans.

A peine quelques états eurent secoüé le joug, que tous les autres voulurent être libres ; le nom seul de la royauté leur fut odieux, & une de leurs villes opprimée par un tyran, devenoit en quelque sorte un affront pour tous les Grecs : ils s'associerent donc à la célebre ligue des Amphictions ; & voulant mettre leurs lois & leur liberté sous la sauve-garde d'un corps puissant & respectable, ils ne formerent qu'une seule république : pour serrer davantage le lien de leur union, ils établirent des temples communs & des jours marqués pour y offrir des sacrifices, des jeux, & des fêtes solemnelles, auxquelles toutes les villes confédérées participoient ; mais il falloit encore à cette ligue un ressort principal qui pût regler ses mouvemens, les précipiter ou les ralentir.

Ce qui manquoit aux Grecs, Lycurgue le leur procura, & le beau gouvernement qu'il établit à Sparte le rendit en quelque sorte législateur de la Grece entiere " Hercule, dit Plutarque, parcouroit le monde, & avec sa seule massue il exterminoit les brigands : Sparte avec sa pauvreté exerçoit un pareil empire sur la Grece ; sa justice, sa modération & son courage y étoient si considérés, que sans avoir besoin d'armer ses citoyens ni de les mettre en campagne, elle calmoit par le ministere d'un seul homme, toutes les séditions domestiques, terminoit les querelles élevées entre les villes, & contraignoit les tyrans à abandonner l'autorité qu'ils avoient usurpée ".

Cette espece de médiation toujours favorable à l'ordre, valut à Lacédémone une supériorité d'autant plus marquée, que les autres républiques étoient continuellement obligées de recourir à sa protection ; se ressentant tour-à-tour de ses bienfaits, aucune d'elles ne refusa de se conduire par ses conseils. Il est beau pour l'humanité de voir un peuple qui ne doit sa grandeur qu'à son amour pour la justice. On obéissoit aux Spartiates parce qu'on honoroit leur vertu : ainsi Sparte devint insensiblement comme la capitale de la Grece, & joüit sans contestation du commandement de ses armées réunies.

Athenes après Sparte tenoit dans la confédération le premier rang ; elle se distinguoit par son courage, ses richesses, son industrie, & sur-tout par son élégance de moeurs & un agrément particulier que les Grecs ne pouvoient s'empêcher de goûter, quoiqu'ils fussent alors assez sages pour lui préférer des qualités plus essentielles. Les Athéniens naturellement vifs, pleins d'esprit & de talens, se croyoient destinés à gouverner le monde. Chaque citoyen regardoit comme des domaines de l'état tous les pays où il croissoit des vignes, des oliviers & du froment.

Cette république n'avoit jamais joüi de quelque tranquillité au-dedans, sans montrer de l'inquiétude au-dehors. Ardente à s'agiter, le repos la fatiguoit ; & son ambition auroit dérangé promtement le système politique des Grecs, si le frein de son gouvernement n'eût tempéré ses agitations. Polybe compare Athenes à un vaisseau que personne ne commande, ou dans lequel tout le monde est le maître de la manoeuvre ; cependant cette comparaison n'a pas toûjours été vraie. Les Athéniens, par exemple, surent bien s'accorder pour le choix de leurs généraux, quand il fut question de combattre Darius.

Ce puissant monarque ayant entrepris de subjuguer la Grece, en remit le soin à Mardonius son gendre. Celui-ci débarqua dans l'Eubée, prit Erétrie, passa dans l'Attique, & rangea ses troupes dans la plaine de Marathon ; mais dix mille Grecs d'une bravoure à toute épreuve, sous les ordres de Miltiade, mirent l'armée des Perses en déroute, l'an du monde 3494, & remporterent une victoire des plus signalées. Darius termina sa carriere au moment qu'il se proposoit de tirer vengeance de sa défaite ; Xerxès toutefois, loin d'abandonner les vûes de son prédécesseur, les seconda de tout son pouvoir, & rassembla pour y réussir toutes les forces de l'Asie.

Les Grecs de leur côté résolurent unanimement de vaincre ou de mourir ; leur amour passionné pour la liberté, leur haine envenimée contre la monarchie, tout les portoit à préférer la mort à la domination des Perses.

Nous ne connoissons plus aujourd'hui ce que c'est que de subjuguer une nation libre : Xerxès en éprouva l'impossibilité ; car il faut convenir que les Perses n'étoient point encore tombés dans cet état de mollesse & de corruption, où Alexandre les trouva depuis. Cette nation avoit encore des corps de troupes d'autant plus formidables, que le courage y servoit de degrés pour parvenir aux honneurs ; cependant sans parler des prodiges de valeur de Léonidas au pas des Thermopyles, où il périt avec ses trois cent Lacédémoniens, la supériorité de Thémistocle sur Xerxès, & de Pausanias sur Mardonius, empêcha les Grecs de succomber sous l'effort des armes du plus puissant roi de l'Asie. Les journées de Salamine & de Platée furent décisives en leur faveur ; & pour comble de gloire, Léotichides roi de Sparte & Xantippe athénien triompherent à Mycale du reste de l'armée des Perses. Ce fut le soir même de la journée de Platée, l'an du monde 3505, que les deux généraux grecs, avant de donner la bataille de Mycale, dirent à leurs soldats qu'ils marchoient à la victoire, & que Mardonius venoit d'être défait dans la Grece ; la nouvelle se trouva véritable, ou par un effet prodigieux de la renommée, dit M. Bossuet, ou par une heureuse rencontre ; & toute l'Asie mineure se vit en liberté.

Ce second âge est remarquable par l'extinction de la plûpart des royaumes qui divisoient la Grece ; c'est aussi durant cet âge, que parurent ses plus grands capitaines, & que se formerent ses principaux accroissemens, au moyen du grand nombre de colonies qu'elle envoya, tant dans l'Asie mineure que dans l'Europe ; enfin c'est dans cet âge que vêcurent les sept hommes illustres auxquels on donna le nom de Sages. Quelques-uns d'eux n'étoient pas seulement des philosophes spéculatifs, ils étoient encore des hommes d'état. Voyez l'article PHILOSOPHIE DES GRECS.

Troisieme âge de la Grece. Plus les Grecs avoient connu le prix de leur union pendant la guerre qu'ils soûtinrent contre Xerxès, plus ils devoient en resserrer les noeuds après leurs victoires ; malheureusement les nouvelles passions que le succès de Sparte & d'Athenes leur inspira, & les nouveaux intérêts qui se formerent entre leurs alliés, aigrirent vivement ces deux républiques l'une contre l'autre, exciterent entr'elles une funeste jalousie ; & leurs querelles en devenant le principe de leur ruine, vengerent, pour ainsi dire, la Perse de ses tristes défaites.

Les Athéniens, fiers des journées de Salamine & de Platée, dont ils se donnoient le principal honneur, voulurent non-seulement aller de pair avec Lacédémone, mais même affecterent le premier rang, trancherent, & déciderent sur tout ce qui concernoit le bien général, s'arrogeant la prérogative de punir & de récompenser, ou plutôt agirent en arbitres de la Grece. Remplis de projets de gloire qui augmentoient leur présomption, au lieu d'augmenter leur crédit, plus attentifs à étendre leur empire maritime qu'à en joüir ; enorgueillis des avantages de leurs mines, de la multitude de leurs esclaves, du nombre de leurs matelots ; & plus que tout cela, se glorifiant des belles institutions de Solon, ils négligerent de les pratiquer. Sparte leur eût généreusement cédé l'empire de la mer ; mais Athenes prétendoit commander par-tout, & croyoit que pour avoir particulierement contribué à délivrer la Grece de l'oppression des Barbares, elle avoit acquis le droit de l'opprimer à son tour. Voilà comme elle se gouverna depuis la bataille de Platée, & pendant plus de cinquante ans.

Durant cet espace de tems, Sparte ne se donna que de foibles mouvemens pour réprimer sa rivale ; mais à la fin pressée par les plaintes réitérées de toutes parts contre les vexations d'Athenes, elle prit les armes pour obtenir justice ; & Athenes rassembla toutes ses forces pour ne la jamais rendre. C'est ici que commence la fameuse guerre du Péloponnèse, qui apporta tant de changemens dans les intérêts, la politique, & les moeurs de la Grece, épuisa les deux républiques rivales, & les força de signer un traité de paix qui remit les villes greques asiatiques dans une entiere indépendance. Thucydide & Xénophon ont immortalisé le souvenir de cette guerre si longue & si cruelle, par l'histoire qu'ils en ont écrite.

Tout faisoit présumer que la Grece alloit joüir d'un profond repos, quand Thebes parut aspirer à la domination ; jusque-là Thebes unie tantôt avec Sparte, tantôt avec Athenes, n'avoit tenu que le second rang, sans que l'on soupçonnât qu'un jour elle prétendroit le premier. On fut bien trompé dans cette confiance. Les Thébains extrêmement aguerris, pour avoir presque toûjours eu les armes à la main depuis la guerre du Péloponnèse, & pleins d'un desir ambitieux qui croissoit à-proportion de leurs forces & de leur courage, se trouverent trop serrés dans leurs anciennes limites ; ils rompirent avec Athenes, attaquerent Platée, & la raserent. Les Lacédemoniens irrités marcherent contr'eux, entrerent avec une puissante armée dans leur pays, & y pénétrerent bien avant : tous les Grecs crurent Thebes perdue ; on ne savoit pas quelle ressource elle pouvoit trouver dans un seul citoyen.

Epaminondas que Cicéron regarde comme le premier homme de la Grece, avoit été élevé chez son pere Polymne ; dont la maison étoit le rendez-vous des savans, & des plus grands maîtres dans l'art militaire. Voyez dans Cornelius Nepos les détails de l'éducation d'Epaminondas, & son admirable caractere. Ce jeune héros défit totalement les Lacédémoniens à Leuctres, & leur porta même un coup mortel, dont ils ne se releverent jamais. Après cette victoire, il traversa l'Attique, passa l'Eurotas, & mit le siége devant Sparte ; mais considérant qu'il alloit s'attirer la haine de tout le Péloponnèse, s'il détruisoit une si puissante république, il se contenta de l'humilier. Cependant ce grand homme, plein d'une ambition demesurée pour la gloire de sa patrie, vouloit lui donner sur mer la même supériorité qu'il lui avoit rendue sur terre, quand la fin de ses jours fit échoüer un si grand projet, que lui seul pouvoit soûtenir. Il mourut d'une blessure qu'il reçut à la bataille de Mantinée, où il avoit mis les ennemis en déroute.

On vit alors la Grece partagée en trois puissances. Thebes tâchoit de s'élever sur les ruines de Lacédémone ; Lacédémone songeoit à réparer ses pertes ; Athenes, quoiqu'en apparence dans le parti de Sparte, étoit bien-aise de voir aux mains ses deux rivales, & ne pensoit qu'à les balancer, en attendant la premiere occasion d'accabler l'une & l'autre. Mais une quatrieme puissance les mit d'accord, & parvint à l'empire de la Grece : ce fut Philippe de Macédoine, un des profonds politiques, & des grands rois que le hasard ait placés sur le trone.

Elevé à Thebes chez le pere d'Epaminondas, il eut la même éducation que ce héros ; il y étoit en qualité d'ôtage, quand il apprit la consternation des peuples de Macédoine par la perte de leur roi Perdicas son frere aîné, tué dans un combat contre les Illyriens. A cette nouvelle, Philippe se déroba de Thebes, arriva dans sa patrie, réduisit les Péoniens sous son obéissance, ferma la porte du royaume à Pausanias prince du sang royal, vainquit les Illyriens, & fit une paix captieuse avec Athenes. Enhardi par ces premieres prospérités, il s'empara de Crénide que les Thasiens avoient bâtie, & y ouvrit des mines, dont il employa le produit à entretenir un puissant corps de troupes étrangeres, & à s'acquérir des créatures.

Il avoit visité les principales villes de la Grece ; il en avoit étudié le génie, les intérêts, les forces, & la foiblesse. Il savoit que la corruption s'étoit glissée par-tout, qu'en un mot la Grece dans cette conjoncture sembloit ne demander qu'un maître. Convaincu de cette vérité, après avoir long-tems médité son projet, & l'avoir caché avec une profonde dissimulation, il vainquit les Grecs par les Grecs, & ne parut être que leur instrument. Démosthene leur parloit de l'amour de la gloire, de l'amour de la patrie, de l'amour de l'indépendance ; & ces belles passions n'existoient plus. Au lieu de s'unir très-étroitement, pour se garantir d'un ennemi si redoutable qui étoit à leurs portes, ils firent tout le contraire, & se déchirerent plus que jamais par la guerre civile, qu'on nomma la guerre sacrée.

Philippe vit avec plaisir cette guerre qui affoiblissoit des peuples dont il se promettoit l'empire, & demeura neutre, jusqu'à-ce que les Thessaliens furent assez aveugles pour l'appeller à leur secours. Il y vola, chassa leur tyran, & se concilia l'affection de ces peuples, dont l'excellente cavalerie jointe à la phalange macédonienne eut depuis tant de part à ses succès, & ensuite à ceux d'Alexandre. Au retour de cette entreprise, il s'empara du passage des Thermopyles, se rendit maître de la Phocide, se fit déclarer Amphiction, général des Grecs contre les Perses, vengeur d'Apollon & de son temple ; enfin la victoire décisive de Chéronée sur les Athéniens & les Béotiens, couronna ses autres exploits. Ainsi la Macédoine jusqu'alors foible, méprisée, souvent tributaire, & toûjours réduite à mendier des protections, devint l'arbitre de la Grece. Philippe fut tué par trahison à l'âge de 47 ans, l'an du monde 3648 ; mais il eut l'avantage de laisser à son fils un royaume craint & respecté, avec une armée disciplinée & victorieuse.

Alexandre n'eut pas plutôt pourvû au-dedans de son royaume, qu'il alla fondre sur ses voisins. On le vit en moins de deux ans subjuguer la Thrace, passer le Danube, battre les Getes, prendre une de leurs villes ; & repassant ce fleuve, recevoir les hommages de diverses nations, châtier en revenant les Illyriens, & ranger au devoir d'autres peuples ; delà voler à Thebes qu'un faux bruit de sa mort avoit révolté contre la garnison macédonienne, détruire cette ville ; & par cet exemple de sévérité, tenir en bride le reste des Grecs qui l'avoient déjà proclamé leur chef.

Après avoir réglé le gouvernement de la Grece, il partit pour l'Asie l'an du monde 3650 avec une armée de trente-huit mille hommes, traversa l'Hellespont, & s'avança vers le Granique, où il remporta sa premiere victoire sur les Perses ; ensuite il poussa ses conquêtes jusqu'à Sardes qui se rendit à lui ; & parcourant la côte d'Asie, il continua de soûmettre tout jusqu'à la Cilicie & la Phénicie : de-là revenant par l'intérieur des terres, il subjugua la Pamphylie, la Pisidie, la Phrygie, la Paphlagonie, & la Cappadoce ; il gagna la bataille d'Issus, & bien-tôt après celle d'Arbelles, qui coûta l'empire à Darius. On sait la suite de ses exploits. Ce prince conçut le dessein de conquérir les Indes, il s'empara des royaumes de Taxile & de Porus, il continua sa route vers l'Océan, arriva sur les confins du Carman, subjugua les Cosséens, & mourut à Babylone l'an du monde 3660. S'il est vrai que la victoire lui donna tout, il fit tout aussi pour se procurer la victoire ; & peut-être est-ce le seul usurpateur qui puisse se vanter d'avoir fait répandre des larmes à la famille qu'il avoit renversée du throne.

C'est dans ce troisieme âge de la Grece qu'il faut admirer le nombre incroyable de grands hommes qu'elle produisit, soit pour la guerre, soit pour les Sciences, ou pour les Arts. On trouvera dans Cornelius Nepos & dans Plutarque d'excellentes vies des capitaines grecs du siecle d'Alexandre ; lisez-les, & les relisez sans-cesse.

Entre les poëtes, Eschile, Sophocle, Euripide, &c. pour le tragique ; Eupolis, Cratinus, Aristophane, &c. pour le comique, acquirent une réputation que la postérité leur a conservée. Pindare, malgré la stupidité reprochée à ses compatriotes, porta l'ode à un degré sublime, qui a été plus admiré qu'imité.

Parmi les orateurs, on distingue singulierement Démosthene, Eschine, Isocrate, Gorgias, Prodicus, Lysias, &c.

Entre les philosophes, Anaxagore, Mélisse, Empédocle, Parménide, Zénon d'Elée, Esope, Socrate, Euclide de Mégare, Platon, Aristote, Diogène, Aristippe, Xénophon, le même que le général & l'historien.

Entre les historiens, on connoît Hérodote, Ctésias, Thucydide, &c. Voyez la suite de cet article.

Le célebre Méthon trouva l'ennéadécatéride, ou la fameuse période de 19 années ; découverte que les Athéniens firent graver en lettre d'or au milieu de la place publique. Voyez ENNEADECATERIDE.

Enfin, tous les artistes les plus célebres dont nous parlerons plus bas, fleurirent dans le troisieme âge de la Grece ; âge incomparable qui fit voler la gloire de cette nation jusqu'au bout du monde, & qui la portera jusqu'à la fin des siecles !

Quatrieme âge de la Grece. Alexandre mourut souverain d'un état qui comprenoit la Thrace, la Macédoine, l'Illyrie, l'Epire, la véritable Grece, le Péloponnèse, les îles de l'Archipel, la Grece asiatique, l'Asie mineure, la Phénicie, la Syrie, l'Egypte, l'Arabie, & la Perse. Ces états toutefois n'étoient rien moins que conquis solidement ; on avoit cédé aux forces, au courage, à l'habileté, ou si l'on veut, à la fortune d'Alexandre ; mais il n'étoit pas possible qu'un joug si nouveau & si rapidement imposé, fût de longue durée ; & quand ce monarque auroit eu un fils capable de lui succéder, il y a lieu de croire qu'il n'auroit pû long-tems contenir tant de peuples, si différens de moeurs, de langages, & de religion. Toûjours est-il sûr que la division ne tarda guere de se mettre entre les prétendans à un si vaste empire ; aussi vit-on que les principaux royaumes qui se formerent des débris de la fortune de ce grand conquérant, au nombre de 12 ou 13, se réduisirent enfin à trois : l'Egypte, la Syrie, & la Macédoine, qui subsisterent jusqu'à la conquête des Romains.

Cependant au milieu de tant de troubles, les Grecs ne surent se faire respecter de personne ; & loin de profiter des divisions des Macédoniens, ils en furent les premiers la victime ; on ne songea pas même à les ménager, parce que la foiblesse où la vengeance d'Antipater les avoit réduits, les rendoit presque méprisables. Leur pays servit de théatre à la guerre, & leurs villes furent en proie à mille despotes, qui s'emparerent successivement de l'autorité souveraine, jusqu'à-ce que les Achéens jetterent les fondemens d'une république, qui fut le dernier effort de la liberté des Grecs, & le fruit de la valeur d'Aratus, natif de Sycione.

Ce jeune guerrier n'avoit que vingt ans, lorsqu'il forma le dessein magnanime de rendre la liberté à toutes les villes de la Grece, dont la plus grande partie étoit opprimée par des tyrans, & par des garnisons macédoniennes. Il commença l'exécution de ce projet par sa propre patrie ; & plusieurs autres villes entrerent dans la confédération vers l'an 511 de la fondation de Rome.

La vûe des Achéens étoit de ne faire qu'une simple république de toutes les villes du Péloponnèse, & Aratus les y encourageoit tous les jours par ses exploits. Les rois de Macédoine dont ce projet blessoit les intérêts, ne songerent qu'à le traverser, soit en plaçant autant qu'ils le pouvoient, des tyrans dans les villes, soit en donnant à ceux qui y étoient déja établis, des troupes pour s'y maintenir. Aratus mit toute son application à chasser ces garnisons par la force, ou à engager par la douceur les villes opprimées à se joindre à la grande alliance. Sa prudence, son adresse, & ses rares qualités contribuerent extrêmement à le seconder ; cependant il ne réussit pas ; les Etoliens & Cléomene roi de Lacédemone s'opposerent si fortement à ses vûes, qu'ils parvinrent à les faire échoüer. Enfin les Achéens après avoir été défaits plusieurs fois, appellerent Philippe II. roi de Macédoine à leur secours, & l'attirerent dans leur parti, en lui remettant la forteresse de Corinthe ; c'est pour lors que ce prince déclara la guerre aux Etoliens ; on la nomma la guerre des alliés, sociale bellum ; elle commença l'an 554 de Rome, & dura trois ans.

Les Etoliens & les Athéniens réunis, mais également aveuglés par la haine qu'ils portoient au roi de Macédoine, inviterent Rome à les soûtenir, & Rome ne gardant plus de mesure avec Philippe, lui déclara la guerre. Les anciennes injures qu'elle en avoit recûes, & les nouveaux ravages qu'il venoit de faire sur les terres de ses alliés, en furent un prétexte plausible.

Rome alors enrichie des dépouilles de Carthage, pouvoit suffire aux frais des guerres les plus éloignées & les plus dispendieuses ; les dangers dont Annibal l'avoit ménacée, n'avoient fait que donner une nouvelle force aux ressorts de son gouvernement. Tout étoit possible à l'activité des Romains, à leur amour pour la gloire, & au courage de leurs légions. Quelque legere connoissance qu'on ait de la seconde guerre punique, on doit sentir l'étrange disproportion qui se trouvoit entre les forces de la république romaine, secondée par une partie des Grecs, & celles de Philippe. Aussi ce prince ayant été vaincu, fut obligé de souscrire aux conditions d'une humiliante paix qui le laissa sans ressource. Vainement Persée se flata de venger son pere ; il fut battu & fait prisonnier l'an de Rome 596, & avec lui finit le royaume de Macédoine.

Les Romains essayerent dès-lors sur les Grecs cette politique adroite & savante, qui avoit déjà trompé & subjugué tant de nations : sous prétexte de rendre à chaque ville sa liberté, ses lois, & son gouvernement, ils mirent réellement la Grece dans l'impuissance de se réunir.

Les Etoliens s'étoient promis de grands avantages de la part des Romains, en favorisant leurs armes contre Philippe ; & pour toute récompense ils se virent obligés à ne plus troubler la Grece par leurs brigandages, & à périr de misere, s'ils ne tâchoient de subsister par le travail & l'industrie. Cet état leur parut insupportable ; mais comme le joug étoit déja trop pesant pour le secoüer sans un secours étranger, ils engagerent Antiochus roi de Syrie, à prendre les armes contre la république. La défaite de ce prince lui fit perdre l'Asie mineure ; & tous les Grecs ensemble se trouverent encore plus asservis par la puissance des Romains.

Remarquons ici avec un des plus beaux génies de notre siecle, l'habileté de leur conduite après la défaite d'Antiochus. Ils étoient maîtres de l'Afrique, de l'Asie, & de la Grece, sans y avoir presque de villes en propre. Il sembloit qu'ils ne conquissent que pour donner ; mais ils restoient si bien les maîtres, que lorsqu'ils faisoient la guerre à quelque prince, ils l'accabloient, pour ainsi dire, du poids de tout l'univers.

Il n'étoit pas tems encore pour les Romains de s'emparer des pays qu'ils venoient de conquérir. S'ils avoient gardé les villes prises à Philippe, ils auroient fait ouvrir les yeux à la Grece entiere. Si après la seconde guerre punique ou celle contre Antiochus, ils avoient pris des terres en Afrique ou en Asie, ils n'auroient pû conserver des conquêtes si foiblement établies. Il falloit attendre que toutes les nations fussent accoûtumées à obéir comme libres & comme alliées, avant de leur commander comme sujettes, & qu'elles eussent été se perdre peu-à-peu dans la république romaine, comme les fleuves vont se perdre dans la mer.

Après la défaite de Philippe, de Persée, & d'Antiochus, Rome prit l'habitude de régler par elle-même les différends de toutes les villes de la Grece. Les Lacédémoniens, les Béotiens, les Etoliens, & la Macedoine, étoient rangés sous sa puissance ; les Athéniens sans force par eux-mêmes, & sans alliés, n'étonnoient plus le monde que par leurs basses flateries ; & l'on ne montoit plus sur la tribune où Démosthene avoit parlé, que pour proposer les decrets les plus lâches. Les seuls Achéens oserent se piquer d'un reste d'indépendance, lorsque les Romains leur ordonnerent par des députés de séparer de leur corps Lacédemone, Corinthe, Argos, & Orcomene d'Arcadie. Sur leur refus, le sénat leur déclara la guerre, & le Préteur Métellus remporta sur eux deux victoires : l'une auprès des Thermopyles, & l'autre dans la Phocide. Enfin, Rome bien résolue de faire respecter sa puissance & de pousser ses avantages aussi loin qu'il lui seroit possible, envoya le consul Mummius avec les légions, pour se rendre maître de toute l'Achaïe. Le choix étoit terrible, & le succès assûré.

Ce consul célebre par la rusticité de ses moeurs, par la violence & la dureté de son caractere, par son ignorance dans les Arts qui charmoient la Grece, défit pour la derniere fois les Achéens & leurs alliés. Il passa tout au fil de l'épée, livra Corinthe au pillage & aux flammes. Cette riche capitale de l'Achaïe, cette ville qui sépara les deux mers, ouvrit & ferma le Péloponnèse ; cette ville de la plus grande importance, dans un tems où le peuple grec étoit un monde, & les villes greques des nations ; cette ville, disje, si grande & si superbe, fut en un moment pillée, ravagée, reduite en cendres ; & la liberté des Grecs fut à jamais ensevelie sous ses ruines. Rome victorieuse & maîtresse souveraine, abolit pour lors dans toutes les villes le gouvernement populaire. En un mot, la Grece devint province romaine, sous le nom de province d'Achaïe. Ce grand évenement arriva l'an de Rome 608, & l'an du monde 3838.

Durant ce quatrieme âge que nous venons de parcourir, la Grece fit toûjours éclorre des héros, mais rarement plusieurs à-la-fois comme dans les siecles précédens. Lors de la bataille de Marathon, on avoit vû dans un même tems Léonidas, Pausanias, Miltiades, Thémistocle, Aristide, Léotichides, & plusieurs autres hommes du premier ordre. On vit dans cet âge-ci, un Phocion, un Aratus, & ensuite un Philopoëmen, après lequel la Grece ne produisit plus de héros dignes d'elle, comme si elle étoit épuisée. Quelques rois, tels que Pyrrhus d'Epire, Cléomene de Sparte, se signalerent à la vérité par leur courage : mais la conduite, les vertus, & la morale, ne répondoient pas en eux à la valeur.

Il se trouve dans cet âge quantité de philosophes célebres, & entr'autres Théophraste, successeur d'Aristote : Xénocrate, successeur de Platon, & maître de Polémon, dont Cratès fut le disciple ; celui-ci forma Crantor, qui eut pour éleve Arcésilaüs, fondateur de la moyenne académie ; Epicure, disciple de Cratès ; Zénon, fondateur de la secte des Stoïciens ; Chrysippe & Cléante qui suivirent ses sentimens ; Straton de Lampsaque péripatéticien, successeur de Théophraste ; & Lycas, successeur de Straton. Je ne dois pas oublier Démétrius de Phalere, sorti de la même école, depuis fait archonte d'Athenes, qu'il gouverna pendant dix ans ; au bout desquelles le crédit de ses ennemis l'obligea de se sauver chez le roi Ptolomée : j'ajoûte encore Diogene le stoïcien, différent de Diogene le cynique ; Critolaüs, péripatéticien ; Carnéades, académicien ; Lacyde, fondateur de la nouvelle académie, &c.

Entre les Poëtes, on distingue Aratus, qui a traité de l'Astronomie en vers ; Callimaque, poëte élégiaque ; Ménandre, poëte comique ; Théocrite, Bion, & Moschus, poëtes bucoliques.

L'historien Timée, le géographe Eratosthene, & quelques autres, se firent aussi beaucoup de réputation par leurs ouvrages.

Mais il faut convenir qu'on s'apperçevoit déja de la décadence des lettres ; aussi le cinquieme âge dont nous parlerons très-brievement, ne peut guere vanter que Métrodore, philosophe sceptique ; Geminus, mathématicien ; & Diodore de Sicile, historien. Les Sciences abandonnant la Grece, prenoient leur vol vers l'Italie, qui produisit à son tour la foule d'écrivains célebres du siecle d'Auguste.

Cinquieme âge de la Grece. Pendant cet âge qui commença l'an du monde 3838, & qui dura jusqu'à l'empire d'Octave, c'est-à-dire 116 ans, les Romains apporterent peu de changemens dans les lois municipales des villes greques ; ils se contenterent d'en tirer le tribut annuel, & d'exercer la souveraineté par un préteur. Un gouvernement si doux pour un pays épuisé par de longues guerres, retint la Grece sous la dépendance de la république, jusqu'au regne de Mithridate, qui fit sentir à l'univers qu'il étoit ennemi de Rome, & qu'il le seroit toûjours.

De tous les rois qui attaquerent la puissance romaine, Mithridate seul la combattit avec courage. Il eut de grands succès sur les premiers généraux romains ; conquit une partie de l'Asie, la Thrace, la Macédoine, & la Grece, & ne put être réduit à ses anciennes limites que par les victoires de Sylla.

Ce fameux capitaine, qui ternit par sa barbarie la gloire que ses grandes qualités pouvoient lui procurer, n'eut pas plutôt obtenu, malgré Marius, le commandement de l'armée contre le roi de Pont, qu'ayant appris qu'il avoit fait d'Athenes sa forteresse & sa place d'armes, il résolut de s'en emparer ; mais comme il n'avoit point de bois pour ses machines de guerre, & que rien n'étoit sacré pour lui, il coupa les superbes allées de l'académie & du Lycée, qui étoient les plus beaux parcs du monde ; bien-tôt après il fit le siége, & se rendit maître d'Athenes, où il abandonna le pillage à la licence de ses troupes, pour se concilier leur attachement. Il avoit déjà pillé lui-même les thrésors des temples d'Epidaure, d'Olympie, & de Delphes, &c. auxquels ni Flaminius, ni Paul-Emile, ni les autres capitaines romains n'avoient osé toucher. Cependant " Mithridate, tel qu'un lion qui regardant ses blessures, n'en est que plus indigné, formoit encore le dessein de délivrer la Grece, de porter la guerre en Italie, & d'aller à Rome avec les autres nations qui l'asservirent quelques siecles après, & par les mêmes chemins ; mais indignement trahi par Pharnace son propre fils, & par une armée effrayée des hasards qu'il alloit chercher, il perdit toute espérance, & termina ses jours en roi magnanime ".

La prise d'Athenes, les victoires d'Orcomene & de Chéronée, toutes deux gagnées par Sylla, l'an 87 avant Jesus-Christ ; & pour dire encore plus, la mort de Mithridate, rendirent la Grece aux Romains sans qu'elle ait essuyé de nouvelles vicissitudes pendant les dissensions de César & de Pompée. Enfin, après les guerres civiles qui firent passer l'empire du monde entre les mains d'Auguste, il créa trois préteurs l'an 727 de Rome, pour assûrer davantage le repos de la Grece, ou plutôt sa servitude, dont la durée s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

Je n'ai pas le courage de suivre les malheurs qu'elle a éprouvés sous les successeurs d'Auguste, & depuis la translation du siége impérial de Rome à Bizance. Je dirai seulement que mille fois envahie, pillée, ravagée par cent nations différentes, Goths, Scythes, Alains, Gépides, Bulgares, Afriquains, Sarrazins, Croisés ; elle devint enfin la proie des Turcs au commencement du xjv. siecle ; toûjours gémissante depuis cette époque, sous le joug de la porte ottomane, elle n'offre actuellement à la vûe des voyageurs, que des pays incultes, des masures, & de pauvres habitans plongés dans la misere, l'ignorance, & la superstition.

Réflexions sur la prééminence des Grecs dans les Sciences & dans les Arts. Tel a été le sort d'un des plus beaux pays du monde, & de la nation la plus illustre de l'antiquité ; quoi qu'en dise un des judicieux écrivains de Rome, qui cherche à diminuer la gloire des Grecs, en avançant que leur histoire tire son principal lustre du génie & de l'art des auteurs qui l'ont écrite, peut-on s'empêcher de reconnoître que leurs citoyens s'élevent quelquefois au-dessus de l'humanité ? Marathon, les Thermopyles, Salamine, Platée, Mycale, la retraite des dix mille & tant d'autres faits éclatans, exécutés dans le sein même de la Grece pendant le cours de ses guerres domestiques, ne sont-ils pas dignes, ne sont-ils pas même au-dessus des loüanges que leur ont donné les Historiens ?

Mais un éloge particulier que mérite la Grece, c'est d'avoir produit les plus grands hommes, dont l'histoire doit garder le souvenir. Rome ne peut rien opposer à un Lycurgue, à un Solon, à un Thémistocle, à un Epaminondas, & à quelques autres de cet ordre. On ne voit guere de citoyens de Rome s'élever au-dessus de leur siecle & de leur nation, pour prendre un nouvel essor, & lui donner une face nouvelle. Dans la Grece au contraire, je vois souvent de ces génies vastes, puissans, & créateurs, qui s'ouvrent un chemin nouveau, & qui pénétrant l'avenir, se rendent les maîtres des évenemens.

La Grece abattue, conserva même une sorte d'empire bien honorable sur ses vainqueurs ; ses lumieres dans les Lettres & dans les Arts, soûmirent l'orgueil des Romains. Les vainqueurs devenus disciples des vaincus, apprirent une langue que les Homere, les Pindare, les Thucydide, les Xénophon, les Démosthene, les Platon, les Sophocle, & les Euripide avoient enrichie par leurs ouvrages immortels. Des orateurs qui charmoient déjà Rome, allerent puiser chez les Grecs ce talent enchanteur de tout embellir, ce goût fin & délicat qui doit guider le génie, & ces secrets de l'art qui lui prêtent une nouvelle force.

Dans les écoles de Philosophie, où les citoyens les plus distingués de Rome se dépouilloient de leurs préjugés, ils apprenoient à respecter les Grecs ; ils rapportoient dans leur patrie leur reconnoissance & leur admiration ; & leur république craignant d'abuser des droits de la victoire, tâchoit par ses bienfaits de distinguer la Grece des autres provinces qu'elle avoit soûmises. Quelle gloire pour les lettres, d'avoir épargné au pays qui les a cultivées, des maux dont ses législateurs, ses magistrats, & ses capitaines n'avoient pû le garantir ? Vengées du mépris que leur témoigne l'ignorance, elles sont sûres d'être respectées tant qu'il se trouvera d'aussi justes appréciateurs du mérite, que l'étoient les Romains.

Si des Sciences nous passons aux Beaux-Arts, nous n'hésiterons pas d'assûrer que les Grecs n'ont point eu de rivaux en ce genre. C'est sous le ciel de la Grece, on ne peut trop le répéter, que le seul goût digne de nos hommages & de nos études, se plut à répandre sa lumiere la plus éclatante. Les inventions des autres peuples qu'on y transportoit, n'étoient qu'une premiere semence, qu'un germe grossier, qui changeoit de nature & de forme dans ce terroir fertile. Minerve, à ce que disent les anciens, avoit elle-même choisi cette contrée pour la demeure des Grecs ; la température de l'air la lui faisoit regarder comme le sol le plus propre à faire éclorre de beaux génies. Cet éloge est une fiction, on le sait : mais cette fiction même est une preuve de l'influence qu'on attribuoit au climat de la Grece ; & l'on est autorisé à croire cette opinion fondée, lorsqu'on voit le goût qui regne dans les ouvrages de cette nation, marqué d'un sceau caractéristique, & ne pouvoir être transplanté sans souffrir quelqu'altération. On verra toûjours, par exemple, entre les statues des anciens Romains & leurs originaux, une difference étonnante à l'avantage de ces derniers. C'est ainsi que Didon avec sa suite, comparée à Diane parmi les Oréades, est une copie affoiblie de la Nausicaa d'Homere, que Virgile a tâché d'imiter. On trouve, il est vrai, des négligences dans quelques fameux ouvrages des Grecs qui nous restent : le dauphin & les enfans de la Vénus de Médicis, laissent quelque chose à desirer pour la perfection ; les accessoires du Diomede de Dioscoride sont dans le même cas ; mais ces foibles parties ne peuvent nuire à l'idée que l'on doit se former des artistes grecs. Les grands maîtres sont grands jusque dans leurs négligences, & leurs fautes même nous instruisent. Voyons leurs ouvrages comme Lucien vouloit que l'on vît le Jupiter de Phidias ; c'est Jupiter lui-même, & non pas son marche-pié, qu'il faut admirer.

Il seroit aisé de faire valoir les avantages physiques que les Grecs avoient sur tous les peuples ; d'abord la beauté étoit un de leurs apanages ; le beau sang des habitans de plusieurs villes greques se fait même remarquer de nos jours, quoique mêlé depuis des siecles avec celui de cent nations étrangeres. On se contentera de citer les femmes de l'île de Scio, les Géorgiennes, & les Circassiennes.

Un ciel doux & pur contribuoit à la parfaite conformation des Grecs, & l'on ne sauroit croire de combien de précautions pour avoir de beaux enfans, ils aidoient cette influence naturelle. Les moyens que Quillet propose dans sa callipédie, ne sont rien en comparaison de ceux que les Grecs mettoient en usage. Ils porterent leurs recherches jusqu'à tenter de changer les yeux bleus en noirs ; ils instituerent des jeux où l'on se disputoit le prix de la beauté ; ce prix consistoit en des armes que le vainqueur faisoit suspendre au temple de Minerve.

Les exercices auxquels ils étoient accoûtumés dès l'enfance, donnoient à leurs visages un air vraiment noble, joint à l'éclat de la santé. Qu'on imagine un spartiate né d'un héros & d'une héroïne, dont le corps n'a jamais éprouvé la torture des maillots, qui depuis sa septieme année a couché sur la dure, & qui depuis son bas âge s'est tantôt exercé à lutter, tantôt à la course, & tantôt à nager ; qu'on le mette à côté d'un sibarite de nos jours, & qu'on juge lequel des deux un artiste choisiroit pour être le modele d'un Achille ou d'un Thésée. Un Thésée formé d'après le dernier, seroit un Thésée nourri avec des roses, tandis que celui qui seroit fait d'après le spartiate, seroit un Thésée nourri avec de la chair, pour nous servir de l'expression d'un peintre grec, qui définit ainsi deux représentations de ce héros.

Les Grecs étoient d'ailleurs habillés de maniére, que la nature n'étoit point gênée dans le developpement des parties du corps ; des entraves ne leur serroient point comme à nous le cou, les hanches, les cuisses, & les piés. Le beau sexe même ignoroit toute contrainte dans la parure ; & les jeunes Lacédémoniennes étoient vêtues si legerement, qu'on les appelloit montre-hanches. En un mot, depuis la naissance jusqu'à l'âge fait, les efforts de la nature & de l'art tendoient chez ce peuple à produire, à conserver, & à orner le corps.

Cette prééminence des Grecs en fait de beauté une fois accordée, on sent avec quelle facilité les maîtres de l'art dûrent parvenir à rendre la belle nature. Elle se prêtoit sans cesse à leurs vûes dans toutes les solemnités publiques, les fêtes, les jeux, les danses, les gymnases, les théatres, &c. & comme ils trouvoient par-tout l'occasion de connoître cette belle nature, il n'est pas étonnant qu'ils l'ayent si parfaitement exprimée.

Mille autres raisons ont concouru à la supériorité de cette nation dans la pratique des Beaux-Arts ; les soins qu'elle prenoit pour y former la jeunesse, la considération personnelle qui en résultoit, celle des villes & des sociétés particulieres rendue publique, par des priviléges distinctifs en faveur des talens ; cette même considération marquée d'une maniere encore moins équivoque par le prix excessif des ouvrages des grands maîtres : toutes ces raisons, disje, ont dû fonder la supériorité de ce peuple à cet égard sur tous les peuples du monde.

Il n'est point de preuves plus fortes de l'amour des Beaux-Arts, que celles qui se tirent des soins employés pour les augmenter & les perpétuer. Les Grecs voulant que leur étude fît une partie de l'éducation, ils instituerent des écoles, des académies, & autres établissemens généraux, sans lesquels aucun art ne peut s'élever, ni peut-être se soûtenir. Tandis que les seuls enfans de condition libre étoient admis à ces sortes d'écoles, on ne cessoit de rendre des hommages aux célebres artistes. Le lecteur trouvera dans Pausanias & dans Pline le détail de ceux qu'Apelle reçut des habitans de Pergame, Phidias & Damophon des Eléens, Nicias & Polignote des Athéniens. Aristodeme écrivit un livre qui ne rouloit que sur ce sujet.

L'histoire nous a conservé le récit d'une autre sorte de reconnoissance, qui, quelque singuliere & quelqu'éloignée de nos moeurs qu'elle puisse être, n'est pas moins la preuve du cas que les Grecs faisoient des Beaux-Arts. Les Crotoniates ou les Agrigentins, il n'importe, avoient fait venir à grands frais le célebre Zeuxis ; ce peintre devant représenter Hélene, leur demanda quelques jeunes filles pour lui servir de modele ; les habitans lui en présenterent un certain nombre, & le prierent d'agréer en don les cinq plus belles qu'il avoit choisies.

Vous aimerez mieux d'autres témoignages d'estime en faveur des Artistes ? Eh bien, on donnoit, par exemple, à des édifices publics le nom des architectes qui les avoient construits ; c'est ainsi que suivant Pollux, il y avoit dans Athenes une place qui portoit le nom de l'architecte Méthicus ; c'est ainsi que suivant Pausanias, les Eléens avoient donné à un portique le nom de l'architecte Agaptus.

Les Grecs, non contens de leurs efforts pour entretenir l'émulation dans le grand, penserent encore à l'exciter universellement. Ils établirent chaque année des concours entre les Artistes. On y voloit de toutes parts, & celui qui avoit la pluralité des suffrages, étoit couronné à la vûe & avec l'applaudissement de tout le peuple ; ensuite son ouvrage étoit payé à un prix excessif, quelquefois étoit au-dessus de tout prix, d'un million, de deux millions, & même de plusieurs millions de notre monnoie. Qu'on ne dise point ici que les Grecs n'accordoient tant de faveurs, & ne semoient tant d'or, que pour marquer leur attachement aux divinités ou aux héros dont les artistes, peintres, & sculpteurs donnoient des représentations conformes à leurs idées. Ce discours tombera de lui-même, si l'on considere que les mêmes graces étoient également prodiguées à toutes sortes de succès & de talens, aux Sciences comme aux Beaux-Arts.

Si l'amour propre a besoin d'être flaté pour nourrir l'émulation, il a souvent besoin d'être mortifié pour produire les mêmes effets ; aussi voyons-nous qu'il y avoit des villes, où celui des Artistes qui présentoit le plus mauvais ouvrage, étoit obligé de payer une amende. Cette coûtume se pratiquoit à Thebes ; & par-tout où ces sortes de punitions n'avoient pas lieu, l'honneur du triomphe & la honte d'être surpassé, étoit un avantage, ou bien une peine suffisante.

Peut-être que les divers alimens d'émulation exposés jusqu'ici, sont encore au-dessous de la considération des Orateurs, des Historiens, des Philosophes, & de tous les gens d'esprit, qui pénétrés eux-mêmes du mérite des Beaux-Arts & du mérite des Artistes, les célébroient de tout leur pouvoir. Il y a eu peu de statues & de tableaux de grands maîtres qui n'ayent été chantés par les poëtes contemporains, & ce qui est encore plus flateur, par ceux qui ont vêcu après eux. On sait que la seule vache de Myron donna lieu à quantité de pensées ingenieuses, & de fines épigrammes ; l'Anthologie en est pleine ; il y en a cinq sur un tableau d'Apelle représentant Vénus sortant de l'onde, & vingt-deux sur le Cupidon de Praxitele. Tant de zele pour conduire les Beaux-Arts au sublime ; tant de gloire, d'honneur, de richesses, & de distinctions répandues sur leur culture, dans un pays où l'esprit & les talens étoient si communs, produisirent une perfection dont nous ne pouvons plus juger aujourd'hui complete ment, parce que les ouvrages qui ont mérité tant d'éloges, nous ont presque tous été ravis.

Les Romains en comparaison des Grecs, eurent peu de goût pour les Arts ; ils ne les ont aimés, pour ainsi dire, que par air & par magnificence. Il est vrai qu'ils ne négligerent rien pour se procurer les morceaux les plus rares & les plus recommandables ; mais ils ne s'appliquerent point comme il le falloit à l'étude des mêmes arts, dont ils admiroient les ouvrages ; ils laissoient le soin de s'en occuper à leurs esclaves, qui par eux-mêmes étoient pour la plûpart des étrangers ; en un mot, comme le dit M. le comte de Caylus, dans son mémoire sur cette matiere, on ne vit point chez les Romains, ni la noble émulation qui animoit les Grecs, ni les productions sublimes de ces maîtres de l'art, que les âges suivans ont célébrés, dont les moindres restes nous sont si précieux, & qui, dans tous les genres, servent & serviront toûjours de modeles aux nations civilisées capables de goût & de sentiment. Article de M(D.J.)

GRECS MODERNES considérés par rapport à la religion, (Hist. ecclés.) sont des chrétiens schismatiques, aujourd'hui soûmis à la domination du grand-seigneur, & répandus dans la Grece, les îles de l'Archipel, à Constantinople & dans l'Orient, où ils ont le libre exercice de leur religion.

Le schisme des Grecs commença dans le neuvieme siecle sous leur patriarche Photius, & sous l'empire de Michel III. surnommé le Bûveur ou l'Yvrogne : mais ce ne fut que dans le onzieme qu'il fut consommé par le patriarche Michel Cerularius. Dans le treizieme & le quinzieme siecles, aux conciles de Lyon & de Florence, la réunion des Grecs avec l'église romaine fut plutôt tentée que consommée ; & depuis ce tems-là les Grecs pour la plûpart sont demeurés schismatiques, quoique parmi eux il y ait un assez bon nombre de catholiques obéissans à l'église romaine, sur-tout dans les îles de l'Archipel. Voyez SCHISME.

Les grecs schismatiques ne reconnoissent point l'autorité du pape, & le regardent seulement comme le patriarche des Latins. Ils ont quatre patriarches pour leur nation ; celui de Constantinople, qui se dit le premier ; celui d'Alexandrie, celui d'Antioche, & celui de Jérusalem. Le patriarche d'Alexandrie réside ordinairement au grand Caire, & celui d'Antioche à Damas. Les chrétiens qui habitent la Grece proprement dite, ne reconnoissent pour leur chef que le patriarche de Constantinople qui y fait sa résidence, & qui est élû par les métropolitains & archevêques, puis confirmé par le grand-seigneur. Tous leurs patriarches & évêques sont religieux de l'ordre de S. Basile ou de S. Chrysostome. Les prélats & les religieux grecs portent leurs cheveux longs comme les séculiers en Europe, & different en cela des autres nations orientales qui les portent courts. Leurs habits pontificaux & sacerdotaux sont entierement différens de ceux dont on use dans l'eglise romaine. Ils ne se servent point de surplis ni de bonnets quarrés, mais seulement d'aubes, d'étoles & de chapes. Ils célebrent la messe avec une espece de chape qui n'est point ouverte ou fendue par le devant. Le patriarche porte une dalmatique en broderie, avec des manches de même ; & sur la tête une couronne royale, au lieu de mitre. Les évêques ont une certaine toque à oreilles, semblable à un chapeau sans rebords. Ils ne portent point de crosse, mais une béquille d'ébene, ornée d'ivoire ou de nacre de perle.

On ne célebre qu'une seule messe par jour en chaque église greque, & deux les fêtes & dimanches. Ils n'ont point d'autre traduction de la Bible que celle des Septante. Ils nient que le saint-Esprit procede du Fils, & néanmoins administrent le baptême au nom des trois personnes de la sainte Trinité. Ils ont la même créance que les Latins au sujet de l'eucharistie ; mais ils consacrent avec du pain levé, & donnent la communion au peuple sous les deux especes. Ils n'admettent point de purgatoire, quoiqu'ils avouent dans leur martyrologe qu'il y a un étang de feu, par lequel passent les ames qui ont quelques souillures pour en être purifiées. Ils prient Dieu pour les défunts, & célebrent des messes à leur intention pour les délivrer de ces peines, ou selon d'autres, pour fléchir la miséricorde de Dieu, qui, selon eux, ne doit juger personne qu'à la fin du monde. Il y en a aussi qui pensent que les peines des Chrétiens ne seront pas éternelles en enfer. Ils traitent d'hérétiques ceux qui ne font pas le signe de la croix comme eux, c'est-à-dire en portant premierement la main au côté droit, puis au gauche ; parce que, disent-ils, notre Seigneur donna sa main droite la premiere pour être crucifiée. Ils ne veulent point d'images en bosse ou en relief, mais seulement en plate peinture ou en gravure. Ils ne se servent point de musique ni de cloches dans les églises, & tiennent les femmes séparées des hommes par des treillis. A Constantinople, la plûpart des Chrétiens ont des chapelets ; mais dans la Grece, il n'y en a guere qui sachent le Pater & l'Ave. En général, les Grecs modernes sont fort ignorans, même leurs évêques, prêtres & religieux, les lettres étant aujourd'hui aussi négligées parmi eux, qu'elles y étoient autrefois cultivées. On trouvera répandu dans ce Dictionnaire ce qui concerne les opinions & les pratiques des Grecs modernes, soit sur le dogme, soit sur la discipline, sous les différens titres qui y sont relatifs.

On compte parmi les Grecs modernes plusieurs sociétés ou sectes chrétiennes répandues en Orient, & qui ont leurs évêques & leurs patriarches particuliers ; comme les Maronites ou Chrétiens du mont Liban, les Arméniens, les Georgiens, les Jacobites, les Nestoriens, les Cophtes, &c. Voyez MARONITES, ARMINIENS, &c. (G)


GRECE(EGLISE DE LA) Hist. ecclés. L'église de la Grece, qu'il faut distinguer de l'église greque, est l'église établie par S. Paul & par ses collégues, à Corinthe, à Thessalonique, & autres lieux de l'ancienne Grece en Europe. On peut encore y ajoûter l'église fondée par les apôtres, à Ephese, à Antioche, & dans les autres villes de la Grece asiatique. (D.J.)

GRECE, s. f. (Géog.) Nous comprenons aujourd'hui sous le nom de Grece, divers pays qui n'en étoient pas tous anciennement, & qu'on pourroit diviser en sept parties soûmises au grand-seigneur ; savoir, 1°. la Romanie ou Rumelie, qui étoit la Thrace des anciens : 2°. la Macédoine, qui renferme le Jamboli, le Coménolitari & la Janna : 3°. l'Albanie : 4°. la Livadie : 5°. la Morée, autrefois le Péloponnèse : 6°. l'île de Candie, autrefois Crete : 7°. les îles de l'Archipel au nombre de quarante-trois.

Toute cette étendue de pays est bornée à l'est par la mer Egée, au nord par les provinces du Danube, à l'oüest & au sud par une partie de la Méditerranée. Le gouvernement politique s'exerce sous le département général de deux bachas, de celui de Rumélie & du capoutan bacha. Celui de Rumélie a sous lui 24 sangiacs ; le capoutan bacha, qui est l'amiral de l'Archipel, a sous ses ordres treize sangiacs.

La religion dominante est le Mahométisme ; le Christianisme du rit grec, suivi par le plus grand nombre des habitans qui cultivent les îles de l'Archipel, y est toléré.

Les langues d'usage sont le turc & le grec vulgaire. La langue turque est employée par les Mahométans, & la greque par les Chrétiens.

Les denrées, sur-tout celles des îles de l'Archipel dont il se fait un grand commerce, consistent en huiles, vins, soies crues, miel, cire, coton, froment, &c. L'île de Candie est renommée pour ses oliviers qui ne meurent que de vieillesse, parce qu'il n'y gele jamais. Chio est célébre pour son mastic & pour ses vins ; Andros, Tine, Thermie & Zia, pour leurs soies ; Mételin qui est l'ancienne Lesbos, pour ses vins & ses figues ; Naxie, pour son émeril ; Milo, pour son soufre ; Samos, pour son ochre ; Siphanto, pour son coton ; Skino, pour son froment ; Amorgos, pour une espece de lichen, plante propre à teindre en rouge, & que les Anglois consomment, &c.

Cependant la Grece a essuyé tant de revers, qu'on ne trouve plus en elle aucune trace de son ancienne gloire & de sa grandeur passée. Ses villes autrefois si nombreuses & si florissantes, n'offrent aujourd'hui que des monceaux de ruines ; ses provinces jadis si belles & si fertiles, sont desertes & sans culture. Telle est la pesanteur du joug des Ottomans sous lequel les habitans gémissent, qu'ils en sont entierement accablés, & leur seul aspect ne fait appercevoir que des esprits abattus. Voyez GRECS. (D.J.)

GRECE ASIATIQUE, (Géog. anc.) on a autrefois ainsi nommé la partie de l'Asie où les Grecs s'étoient établis, principalement l'Eolide, l'Ionie, la Carie & la Doride, avec les îles voisines. Ces Grecs asiatiques envoyerent le long de la Propontide & même jusqu'au fond du Pont-Euxin, des colonies qui y établirent d'autres colonies : de-là vient que l'on y trouve des villes qui portent des noms purement grecs, comme Héraclée, Trébisonde, Athenes. Voyez ATHENES, HERACLEE, TREBISONDE. (D.J.)

GRECE, (grande) Géog. anc. dénomination anciennement donnée à la partie orientale & méridionale d'Italie, où les premiers Grecs envoyerent un grand nombre de colonies, qui y fonderent plusieurs villes considérables, comme nous l'apprend Denis d'Halicarnasse. La grande Grece comprenoit la Pouille, la Messapie, la Calabre, les Salentins, les Lucaniens, les Brutiens, les Crotoniates & les Locriens. Le P. Briet en a fait une table, dont voici l'abregé.

Cette dénomination de grande Grece ne s'est introduite vraisemblablement que quand la république romaine a été formée, & a possédé un état, dont les Latins, les Volsques & les Sabins faisoient partie ; car ces peuples étoient Grecs d'origine, & leur pays pouvoit être naturellement compris dans la Grece italique : mais comme ils avoient subi le joug des Romains & parloient une langue différente de celle des Grecs, on réserva le nom de grecs à ceux qui avoient conservé leur langue originale, qu'ils mêlerent pourtant ensuite avec la latine. Ainsi nous voyons que du tems d'Auguste on parloit encore à Canuse un jargon qui étoit un mélange de grec & de latin : Canusini more bilinguis.

Quelques modernes comparant l'étendue de la Grece italique avec celle de la Grece proprement dite, qui comprenoit l'Achaïe, le Péloponnèse, & la Thessalie, ont cru que le nom de grande Grece lui avoit été très-mal appliqué : mais les observations astronomiques du P. Feuillée, de M. Vernon & autres, prouvent le contraire. En effet il résulte de ces observations que la longueur & la largeur qu'on donnoit ci-devant à la Grece propre, excédoit de plusieurs degrés sa véritable étendue, ensorte que ce pays se trouva plus petit de la moitié qu'on ne le supposoit.

On peut donc aujourd'hui établir pour certain, que la Grece italique a été jadis nommée grande Grece avec beaucoup de fondement, puisqu'elle étoit en réalité plus grande que la véritable Grece, & cela même sans qu'il soit besoin d'y attacher la Sicile, quoique cette île étant pleine de colonies greques, pût aussi être appellée Grece, comme l'ont fait Strabon & Tite-Live.

Il est vrai néanmoins que la grande Grece diminua insensiblement, à mesure que la république romaine s'aggrandit. Strabon observe qu'il ne restoit plus de son tems que Tarente, Rheges & Naples qui eussent conservé les moeurs greques, & que toutes les autres villes avoient pris les manieres étrangeres, c'est-à-dire celles des Romains leurs vainqueurs.

Au reste la Grece italique a produit, ainsi que la véritable Grece, quantité d'hommes illustres : entre les Philosophes Pythagore, Parménide, Zénon, &c. entre les Poëtes Ibicus & quelques autres : mais ces Grecs d'Italie ayant avec le tems cultivé la langue latine, s'en servirent dans leurs poësies ; Horace par exemple & Racuve, tous deux nés dans la Pouille, étoient Grecs, quoiqu'ils soient du nombre des poëtes latins. (D.J.)

GRECE PROPRE, (Géog. anc.) La Grece propre ou proprement dite, n'étoit d'abord qu'une petite contrée de Grece dans la Thessalie ; mais ce nom se donna dans la suite à un terrein plus étendu, & enfin la Grece propre renferma tout le pays que possédoit la Macédoine, l'Epire & la plus grande partie du Péloponnèse, lorsque leurs peuples, las des rois, s'érigerent en républiques pour conserver leur liberté par leurs alliances contre l'oppression étrangere, & par la police & les lois, contre l'usurpation ou le trop grand crédit des particuliers. On comprenoit alors dans la Grece propre l'Acarnanie, l'Etolie, la Doride, la Locride, la Phocide, la Béotie, l'Attique & la Mégaride. (D.J.)


GRECQUES. f. les Relieurs appellent grecque, une scie à main dont les dents sont toutes droites ; ils s'en servent pour faire une entaille au-haut & au-bas des livres pliés & battus avant de les mettre entre les mains de la couturiere, afin qu'elle y fasse rentrer la chaînette du fil avec lequel elle coud le livre.

Ils se servent aussi de cet outil dans la reliure, qui a pris de-là son nom, reliure à la grecque. Dans cette reliure, ils scient le dos à tous les endroits des nerfs, afin qu'ils rentrent tous, & que le dos soit plat au lieu d'être à nerfs. Cette façon de coudre les livres nous vient d'Italie. On en use dans les reliures en vélin dont le dos de la peau est séparé du livre, quoique fortifié. De la grecque on a fait le verbe grecquer.


GRÉENWICH(Géog.) petite ville d'Angleterre dans la province de Kent N. O. à deux lieues de Londres sur la Tamise. Long. suivant Harris & Cassini, 17d. 28'. 3". lat. 51d. 28'. 3".

Gréenwich est remarquable par son observatoire & par son hôpital en saveur des matelots invalides. Cette derniere maison étoit le palais chéri de Guillaume & de la reine Marie ; mais en 1694 ils l'abandonnerent volontairement à cette pieuse destination.

C'est à Gréenwich que naquit Henri VIII. prince aussi fougueux que voluptueux, d'une opiniâtreté invincible dans ses desirs, & d'une volonté despotique qui tint lieu de lois ; libéral jusqu'à la prodigalité : courageux, intrépide, il battit les François & les Ecossois, réunit le pays de Galles à l'Angleterre, & érigea l'Irlande en nouveau royaume : cruel & sans retour sur lui-même, il se souilla de trois divorces & du sang de deux épouses : également tyran dans sa famille, dans le gouvernement & dans la religion, il se sépara du pape, parce qu'il étoit amoureux d'Anne de Boulen, & se fit le premier reconnoître pour chef de l'église dans ses états. Mais si ce fut un crime sous son empire de soûtenir l'autorité du pape, c'en fut un d'être protestant ; il fit brûler dans la même place ceux qui parloient pour le pontife romain, & ceux qui se déclaroient pour la réforme d'Allemagne.

Elisabeth sa fille, l'une des plus illustres souveraines dont les annales du monde ayent parlé, naquit dans le même lieu qu'Henri VIII. hérita de ses couronnes, mais non pas de son caractere & de sa tyrannie. Son regne est le plus beau morceau de l'histoire d'Angleterre : il a été l'école où tant d'hommes célébres d'état & de guerre se sont formés, que la Grande-Bretagne n'en produisit jamais un si grand nombre ; elle ne peut oublier l'époque mémorable où, après la dispersion de la flotte invincible, cette reine disoit à son parlement : " Je sais, Messieurs, que je ne tiens pas le sceptre pour mon propre avantage, & que je me dois toute entiere à la société qui a mis en moi sa confiance ; mon plus grand bonheur est de voir que j'ai pour sujets des hommes dignes que je renonçasse pour eux au throne & à la vie ". (D.J.)


GREFFES. m. (Jurisprud.) est un lieu public où l'on conserve en dépôt les minutes, registres & autres actes d'une jurisdiction, pour y avoir recours au besoin ; c'est aussi le lieu où ceux qui ont la garde de ce dépôt, font & délivrent les expéditions qu'on leur demande des actes qui y sont renfermés.

Ce bureau ou dépôt est ordinairement près du tribunal auquel il a rapport : il y a néanmoins certains greffes pour des objets particuliers, qui sont souvent éloignés du tribunal, comme pour les greffes des hypotheques, des insinuations, &c.

On entend aussi par le terme de greffe, l'office de greffier. Voyez ci-après GREFFIER.

Chaque tribunal, soit supérieur ou inférieur, a au-moins un greffe ; il y en a même plusieurs dans certains tribunaux : chacun de ces greffes contient le dépôt d'une certaine nature d'actes.

Les greffes, ou plûtôt leurs expéditions, étoient appellés anciennement écritures ou clergies ; on les vendoit quelquefois, ou bien on les donnoit à ferme : l'un & l'autre fut ensuite défendu, & on ordonna qu'il y seroit pourvû de personnes capables. Enfin les greffes, qui n'étoient que de simples commissions révocables ad nutum, ont été érigés en titre d'office. Les greffes royaux sont domaniaux ; ceux des justices seigneuriales sont patrimoniaux à l'égard des seigneurs ; à l'égard de leurs greffiers, ce ne sont que des commissions révocables, à-moins que les greffiers n'ayent été pourvûs à titre onéreux. (A)

GREFFE DES AFFIRMATIONS, est le bureau où l'on reçoit les affirmations de voyages des parties qui sont venues d'un lieu dans un autre, pour apporter leurs pieces & faire juger quelque affaire. (A)

GREFFE D'APPEAUX, ou GREFFE POUR LES APPELLATIONS ; voyez GREFFIER D'APPEAUX.

GREFFE DES APPRENTISSAGES : il fut ordonné par l'édit du mois d'Août 1704, que dans chaque ville du royaume où il y a maîtrise & jurande, il seroit établi un greffe pour insinuer & registrer tous les brevets d'apprentissage, lettres de maîtrise & actes de réception. Ces offices ont depuis été réunis aux communautés. (A)

GREFFE DES ARBITRAGES ; il fut créé par édit du mois de Mars 1673, à Paris & dans plusieurs autres villes du royaume, un certain nombre d'offices de greffiers des arbitrales, pour recevoir & expédier, chacun dans leur district, toutes les sentences arbitrales : mais ces offices furent bientôt unis à ceux des notaires, par différentes déclarations rendues pour chaque lieu où il se trouvoit de ces greffiers établis. (A)

GREFFE DE L'AUDIENCE, est l'office du greffier particulier qui tient la plume à l'audience. (A)

GREFFE DES BAPTEMES, MARIAGES ET SEPULTURES. Voyez GREFFIER DES BAPTEMES, &c.

GREFFE EN CHEF, c'est l'office du premier greffier d'un tribunal dont les autres greffiers ne sont que les commis. Au parlement il y a présentement deux greffes en chef, l'un appellé le greffe en chef civil, l'autre le greffe en chef criminel. Il y a aussi un greffe en chef pour les requêtes du palais. Voyez GREFFIER EN CHEF. (A)

GREFFE CIVIL, est celui qui contient le dépôt de tous les actes concernant les affaires civiles. (A)

GREFFE DES CRIEES ou DES DECRETS, c'est l'office du greffier qui reçoit toutes les criées & jugemens concernant les saisies réelles : on entend aussi par-là le dépôt de ces sortes d'actes. (A)

GREFFE CRIMINEL, est le lieu où sont en dépôt tous les jugemens & autres actes & pieces concernant les affaires criminelles : on entend aussi quelquefois par-là l'office de greffier au criminel. (A)

GREFFE DES DECRETS, est la même chose que greffe des criées. Voyez ci-dev. GREFFE DES CRIEES. (A)

GREFFE DES DEPOTS : tous les greffes en général sont autant de dépôts particuliers ; mais ceux auxquels le titre de greffes des dépôts est propre, sont des bureaux & dépôts particuliers où l'on conserve d'autres actes que les jugemens : tels sont les greffes des présentations & des affirmations ; ceux des greffiers appellés garde-sacs, qui gardent les productions des parties ; & le greffe des dépôts proprement dit, où l'on conserve les registres de distributions des procès, les procédures faites dans les jurisdictions, telles qu'interrogatoires sur faits & articles, enquêtes, informations, récolement, confrontations, procès-verbaux, &c. (A)

GREFFE DES DEPRIS ; voyez ci-après GREFFIER DES DEPRIS.

GREFFE DES DOMAINES DES GENS DE MAIN-MORTE ; c'étoient des bureaux établis dans chaque ville pour le contrôle & enregistrement des titres des gens de main-morte de leurs baux, de la déclaration de leurs biens. Il y a eu plusieurs fois de ces greffes établis & ensuite supprimés, selon les occurrences. (A)

GREFFE DE L'ECRITOIRE ou DES EXPERTS ; voy. GREFFIER DE L'ECRITOIRE, &c.

GREFFE GARDE-SAC ; voyez GARDE-SAC.

GREFFE DES GENS DE MAIN-MORTE ; voyez GREFFE DES DOMAINES DES GENS DE MAIN-MORTE.

GREFFE DE GEOLE, c'est l'office de greffier d'une prison, & le lieu où il tient ses registres. Voyez GREFFIER DE GEOLE. Ces offices ont été déclarés domaniaux par une déclaration du 16 Janvier 1581. (A)

GREFFE DES HYPOTHEQUES, est le bureau où le conservateur des hypotheques enregistre les oppositions qui se font entre ses mains au sceau des lettres de ratification que l'on obtient en chancellerie pour purger les hypotheques sur un contrat de rente assigné sur les revenus du roi. Voyez CONSERVATEUR DES HYPOTHEQUES. (A)

GREFFE DES INSINUATIONS, c'est le bureau où l'on insinue les actes sujets à la formalité de l'insinuation. Il y a un greffe pour l'insinuation des donations ; un autre pour les insinuations laïques ; un autre pour les insinuations ecclésiastiques. Ces bureaux ont été appellés greffes, parce qu'autrefois ces insinuations se faisoient en effet au greffe du tribunal. Voyez INSINUATION. (A)

GREFFE DES INVENTAIRES ; voyez GREFFIER DES INVENTAIRES.

GREFFE DES MAIN-MORTES ; voyez GREFFIER DES MAIN-MORTES.

GREFFE DES NOTIFICATIONS ; voyez GREFFIER DES NOTIFICATIONS.

GREFFIER DES PRESENTATIONS, est celui où se font les actes de présentations, tant du demandeur que du défendeur, de l'appellant & de l'intimé. Voy. PRESENTATION. (A)

GREFFE DES PRISONS, c'est la même chose que greffe de la geole. Voyez GEOLE, GREFFE DE LA GEOLE & PRISON. (A)

GREFFE PLUMITIF ; voyez GREFFIER AU PLUMITIF.

GREFFE SANGUIN, se disoit anciennement pour greffe criminel : de même qu'on disoit une enquête de sang, pour une information en matiere criminelle. (A)

GREFFE DE SUBDELEGATION ; voyez GREFFIER DES SUBDELEGATIONS.

GREFFE DES TAILLES ; voyez GREFFIER DES TAILLES. (A)

GREFFE, s. f. (Jar.) c'est proprement une partie d'une jeune branche d'un nouveau rejetton de l'année, prise sur un arbre que l'on veut multiplier, pour l'insérer sur un autre arbre qui sert de sujet, & dont on veut améliorer le fruit ou changer l'espece : mais plus ordinairement on entend par le mot greffe, l'opération même de greffer, ou le produit de cette opération ; & c'est dans ce dernier sens que l'on a dit, que la greffe étoit le triomphe de l'art sur la nature. Par ce moyen en effet on force la nature à prendre d'autres arrangemens, à suivre d'autres voies, à changer ses formes, & à suppléer le bon, le beau, le grand à la place de l'abject : enfin on peut par le moyen de la greffe transmuer le sexe, l'espece, & même le genre des arbres, relativement aux méthodes des Botanistes, dont les systèmes en plusieurs cas sont peu d'accord avec les résultats de la greffe. Ce petit art est ce que l'on a imaginé de plus ingénieux pour la perfection de la partie d'Agriculture qui en fait l'objet ; & cette partie s'étend principalement sur tous les arbres fruitiers. Par le secours de la greffe on releve la qualité des fruits, on en perfectionne le coloris, on leur donne plus de grosseur, on en avance la maturité, on les rend plus abondans, enfin on change dans plusieurs cas le volume que les deux arbres auroient dû prendre naturellement. Mais on ne peut créer d'autres especes : si la nature se soûmet à quelques contraintes, elle ne permet pas qu'on l'imite. Tout se réduit ici à améliorer ses productions, à les embellir & à les multiplier ; & ce n'est qu'en semant les graines, en suivant ses procédés, qu'on peut obtenir des variétés ou des especes nouvelles ; encore faut-il pour cela tout attendre du hasard, & rencontrer des circonstances aussi rares que singulieres.

On se dispensera de faire ici l'énumération de tous les arbres qui peuvent se greffer les uns sur les autres, & des sujets qui conviennent le mieux à chaque espece d'arbre ; parce qu'il en sera fait mention à l'article de chaque arbre en particulier. Venons à l'explication des différentes méthodes de greffer, qui sont la greffe en fente, la greffe en couronne, la greffe à emporte-piece, la greffe en flûte, la greffe en approche, & la greffe en écusson.

Greffe en fente ; c'est la plus ancienne façon de greffer : on en fait usage sur-tout pour les fruits à pepin. On peut l'appliquer sur des sujets qui ayent depuis un pouce jusqu'à six de diamêtre ; mais pour la sûreté du succès le moindre volume doit prévaloir, quoiqu'il y ait exemple d'avoir vû réussir cette greffe sur des sujets de trois piés de pourtour, sur lesquels on voit inséré des greffes d'un pouce & demi de diamêtre : mais quand les arbres sont si gros, il vaut mieux les greffer sur leurs branches moyennes. Le tems propre à faire cette greffe est depuis le commencement du mois de Février, jusqu'à ce que la seve soit en action, au point de faire ouvrir les boutons ou de faire détacher l'écorce. Il faut éviter la pluie, le hâle & l'ardeur du soleil. La greffe proprement dite doit être choisie sur des arbres vigoureux & de bon rapport, où il faudra couper des branches de la derniere pousse qui soient bien saines & disposées à se mettre à fruit ; à la différence des branches gourmandes & de faux-bois, qui ne conviennent nullement à faire des greffes. On peut faire provision de bonnes branches, & les couper quelque tems avant de s'en servir ; il faudra dans ce cas les laisser de toute leur longueur & les couvrir de terre jusqu'à moitié dans un lieu frais & à l'ombre, où on pourra les garder pendant un mois ou deux. Elles n'en seront que mieux disposées à prospérer : ces branches se trouvant privées de la nutrition de seve, ne se soûtiennent à la faveur de l'humidité de la terre, que dans un état de médiocrité ; mais elles se relevent vivement dès qu'elles se trouvent appliquées sur des sujets vigoureux, dont elles tirent un suc nourricier plus analogue : par ce moyen encore on prolonge le tems de greffer, par la raison que ces branches reçoivent plûtard l'impression des premieres chaleurs, qui mettent la seve en mouvement au printems.

Cette maniere de greffer exige plus d'attirail qu'aucune autre ; il faut une scie pour couper le tronc du sujet, un greffoir pour entr'ouvrir la fente, un fort couteau de cinq ou six pouces de lame pour fendre le tronc, une serpette ordinaire pour tailler la greffe & unir l'écorce du tronc après le sciage, un coin de fer ou de bois dur, & un marteau pour frapper sur le couteau qui doit commencer la fente, & ensuite sur le coin afin de l'ouvrir & de l'entretenir ; il faut aussi être pourvu de terre grasse qui soit maniable, de quelques morceaux d'écorces, de mousse & d'osier.

Voici la façon d'y procéder. On coupe la greffe de deux ou trois pouces de longueur, ensorte qu'elle reste garnie de trois ou quatre bons yeux ou boutons ; on fait au gros bout & sur la longueur d'un demi-pouce, une entaille en forme de coin sur deux faces, en conservant avec précaution l'écorce qui reste sur les autres côtés, & qui doit être bien adhérente. Il faut que le côté qui sera tourné en-dehors soit un peu plus épais que celui du dedans, & que de ce même côté du dehors & précisément au-dessus de l'entaille, la greffe ait un bon oeil ; ensuite il faudra scier le tronc du sujet à plus ou moins de hauteur, suivant que l'on se propose d'en faire un arbre d'espallier, de demi-tige, ou de haut-vent. Ce sciage doit être fait un peu en pente, tant pour l'écoulement des eaux que pour faciliter la réunion des écorces ; puis il sera très-à-propos d'unir & ragréer avec la serpette le déchirement qu'on aura fait avec la scie à l'écorce du sujet : après cela, on appliquera le couteau transversalement sur le tronc à-peu-près au milieu ; on frappera avec ménagement quelques coups de marteau sur le couteau, pour commencer la fente & donner entrée au coin que l'on forcera à coups de marteau autant qu'il sera besoin pour faire place à la greffe. Si par l'examen que l'on fera ensuite on appercevoit que la fente eût occasionné des inégalités soit au bois soit à l'écorce, il faudra les retrancher avec la serpette, ensorte que la greffe soit bien saisie & arrêtée, sans qu'il reste de jours ni de défectuosités. Ces dispositions étant bien faites, on placera la greffe, avec grande attention sur-tout de faire correspondre l'écorce de la greffe avec celle du sujet : c'est-là le point principal d'où dépend tout le succès.

J'ai dit plus haut qu'à l'endroit de l'entaille de la greffe, il devoit rester deux côtés garnis d'écorce, & que l'un de ces côtés devoit être plus épais que l'autre ; c'est ce côté plus épais qui doit faire face au-dehors, & l'écorce de cette partie de la greffe doit si bien se rapporter à celle du sujet, que la seve puisse passer de l'un à l'autre sans obstacle ni détour, comme si les deux écorces n'en faisoient qu'une. La nécessité de ce rapport très-exact des écorces vient de ce qu'on s'est assûré par des expériences, que le bois de la greffe ne s'unit jamais avec celui du sujet ; que la réunion se fait uniquement d'une écorce à l'autre, & que l'accroissement des parties ligneuses ne devient commun qu'à mesure qu'il se forme de nouveau bois.

La greffe ainsi appliquée, on recouvre toutes les fentes & coupures d'une espece de mastic composé de cire & de poix, pour parer aux inconvéniens de la pluie, de la sécheresse, & des autres intempéries de l'air qui ne manqueroient pas d'altérer la greffe ; mais les gens moins arrangés se contentent de mettre un morceau d'écorce sur la fente horisontale ; de recouvrir le dessus du tronc avec de la glaise mêlée de mousse ou de menu foin, & d'envelopper le tout avec du linge qui laisse passer & dominer la greffe ; on attache ce linge par le bas avec un bon osier qui resserre en même tems la fente faite au sujet.

On peut mettre deux greffes sur le même sujet, ou même quatre s'il est gros, en faisant une seconde fente en croix ; mais il est plus ordinaire de n'en mettre qu'une.

La greffe en fente est bien moins usitée à-présent que la greffe en écusson, quoiqu'il soit vrai que la premiere pousse plus vigoureusement & forme plûtot un arbre de haute tige que la seconde.

Greffe en couronne. Le procédé pour cette greffe est à-peu-près semblable à celui de la greffe en fente ; il n'y a d'autre différence que de mettre les greffes entre l'écorce & le bois sans faire de fente ; de les choisir plus fortes & pour le moins d'un demi pouce de diamêtre ; de leur donner plus de hauteur, & de faire l'entaille plus longue. Il faut que l'arbre que l'on veut couronner soit en pleine seve, ensorte que l'écorce puisse se séparer aisément du bois ; on scie une ou plusieurs branches à un pié ou deux au-dessus du tronc de l'arbre qui doit servir de sujet ; on coupe & on unit les égratignures du sciage avec la serpette dont la pointe sert ensuite à séparer l'écorce & à la détacher du bois de façon à pouvoir y insérer les greffes. On en peut mettre six ou huit sur chaque branche à proportion de sa grosseur ; puis on recouvre le tout, comme il a été dit pour la greffe en fente : on ne fait usage de cette greffe en couronne que pour de très-gros arbres de fruits à pepin qui souffriroient difficilement la fente.

Greffe à emporte piece. Autre pratique qui a beaucoup de rapport avec la greffe en fente ; on ne s'en sert que pour greffer de gros arbres qu'on ne pourroit fendre sans les risquer : voici le procédé. On fait avec un ciseau de menuisier une entaille un peu profonde dans l'écorce & dans le bois, d'une branche moyenne, vive & saine de l'arbre dont on veut changer l'espece. On dispose la greffe à-peu-près comme pour la fente ; mais il faut que le gros bout soit taillé & ajusté de maniere à pouvoir remplir exactement l'entaille qui aura été faite. On y fait entrer la greffe un peu à serre & de façon que les écorces se raccordent bien : on assûre cette greffe avec de l'osier, & on la couvre de mastic ou de glaise, à-peu-près comme pour la greffe en fente. On peut mettre ainsi plusieurs greffes sur une même branche, afin d'être plus certain du succès ; le tems propre pour cette maniere de greffer est depuis le commencement de Février jusqu'à ce que le mouvement de la seve fasse détacher les écorces.

Greffe en flûte. C'est la plus difficile de toutes les méthodes de greffer ; elle se fait au mois de Mai, lorsque les arbres sont en pleine seve : on choisit deux branches, l'une sur l'arbre qui doit servir de sujet, & l'autre sur l'arbre de bonne espece que l'on veut multiplier ; ces deux branches, par la mesure que l'on en prend, doivent se trouver de même grosseur dans la partie qui doit servir de greffe, & dans celle que l'on veut greffer. On laisse sur pié la branche qui doit être greffée, on en coupe seulement le bout à trois ou quatre pouces au-dessus de l'endroit où l'on veut greffer. Après avoir fait une incision circulaire au-dessous, on enleve toute l'écorce sur cette longueur de trois ou quatre pouces ; ensuite on détache la bonne branche de son arbre, on en coupe le bout audessus de l'endroit qui a été trouvé de grosseur convenable ; on fait une incision circulaire à l'écorce pour avoir un tuyau de la longueur de deux ou trois travers de doigt, ensorte qu'il soit garni de deux bons yeux : on enleve adroitement ce tuyau en pressant & tournant l'écorce avec les doigts, sans pourtant offenser les yeux ; puis on le passe dans le bois de la branche écorcée, de façon qu'il enveloppe exactement & qu'il se réunisse par le bas à l'écorce du sujet : s'il s'y trouve quelque inégalité, on y remédie avec la serpette. Enfin on couvre le dessus de la greffe avec un peu de mastic ou de glaise, & plus communément on rabat sur l'écorce de petits copeaux, en incisant tout-autour avec la serpette le bout du bois qui est resté nud en-dessus ; on forme par-là une espece de couronnement qui défend la greffe des injures de l'air. Cette méthode de greffer est peu usitée, si ce n'est pour le châtaignier, le figuier, l'olivier, le noyer, &c. qu'il seroit très-difficile de faire réussir en les greffant d'autre façon.

Greffe en approche. Cette méthode ne peut s'exécuter qu'avec deux arbres voisins l'un de l'autre, ou dont l'un étant en caisse peut être approché de l'autre ; elle se fait sur la fin du mois de Mai lorsque les arbres sont en pleine seve. On ne laisse qu'une tige au sujet, qui doit être au-moins de la grosseur du doigt, & dont on coupe la tête : on fait au-dessus de la tige coupée & en pente, une entaille propre à recevoir la bonne branche réduite à moitié de sa grosseur. On amincit cette branche sur les côtés & en-dessous, de façon qu'elle puisse entrer dans l'entaille, la remplir exactement, & que les écorces puissent se toucher & se réunir de part & d'autre : on couvre ensuite les ouvertures avec du mastic ou de la glaise que l'on ajuste & que l'on attache comme à la greffe en fente. Lorsque par l'examen que l'on fait deux ou trois mois après, on juge que les écorces sont suffisamment réunies ; on coupe la bonne branche au-dessous de la greffe, & on laisse subsister quelque tems les enveloppes pour plus d'assûrance. Cette méthode de greffer réussit difficilement ; on ne s'en sert que pour quelques arbrisseaux curieux.

Greffe en écusson. C'est la plus expéditive, la plus étendue, & la plus simple ; la plus usitée, la plus naturelle, & la plus sûre de toutes les méthodes de greffes. Un jardinier peut faire par jour trois cent écussons, au lieu qu'à peine peut-il faire cent greffes en fente, quoique ce soit la méthode la moins longue après celle en écusson : on peut même pour celle-ci employer de jeunes gens, qui sont bien-tôt stilés à cette opération. Presque tous les arbres peuvent se greffer en écusson : on court les risques de la plus grande incertitude en greffant les fruits à noyau par une autre méthode ; & c'est la meilleure dont on puisse se servir pour les arbres curieux & étrangers ; rien de plus simple que l'attirail qu'elle exige. Un greffoir & de la filasse, voilà tout. La greffe en écusson réussit plus ordinairement qu'aucune autre sorte de greffe ; & d'autant plus sûrement, que si la premiere opération manque, ce qui s'apperçoit en moins de quinze jours, on peut la répéter plusieurs fois pendant tout le tems de la durée de la seve. Aucune méthode n'est plus naturelle, puisqu'elle approche le plus qu'il est possible des voies de la nature ; il suffit de la simple substitution d'un oeil faite à une branche : c'est, pour ainsi dire, tromper la nature. Aussi cette maniere de greffer a-t-elle si bien prévalu, qu'on n'en emploie presque pas d'autre à-présent, avec cette grande raison de plus, que les sujets n'en sont nullement deshonorés ; vingt incisions manquées sur une branche, la laissent toûjours vive & entiere ; quelques plaies causées à l'écorce se recouvrent aisément, & on peut recommencer l'année suivante. Enfin les arbres greffés de cette maniere donnent plûtôt des fleurs & des fruits, que lorsqu'ils sont greffés en fente.

On peut greffer en écusson pendant toute la belle saison, depuis le commencement du mois de Mai jusqu'à la fin de Septembre ; si ce n'est qu'il en faut excepter les tems de pluie, les chaleurs trop vives & les grandes sécheresses. Il faut aussi le concours de deux circonstances ; que le sujet soit en seve, ainsi que l'arbre sur lequel on prend l'écusson : le progrès des écussons que l'on peut faire pendant cinq mois de la belle saison, n'est pas le même, ceux que l'on fait avant la S. Jean poussent dès la même année ; c'est ce qu'on appelle écusson à la pousse ; ceux que l'on greffe après ce tems se nomment écusson à oeil dormant, parce qu'ils ne poussent qu'au printems de l'année suivante. Au surplus pour l'un & l'autre cas l'écusson se fait de la même maniere.

Ce qu'on appelle proprement l'écusson n'est autre chose qu'un oeil levé sur une branche de l'année ; on choisit pour cet effet sur l'arbre dont on veut multiplier l'espece, une des premieres branches de l'année, dont les yeux soient bien nourris & bien formés. La premiere attention sera de couper toutes les feuilles jusque contre la queue, afin d'empêcher d'autant moins la dissipation de la seve & le desséchement de l'oeil. On peut au besoin conserver ces branches pendant deux ou trois jours, en les faisant tremper par le gros bout dans un peu d'eau, ou en les piquant en terre dans un lieu frais & à l'ombre.

Pour lever l'écusson ou l'oeil de dessus la branche, on fait avec le greffoir trois incisions triangulaires dans l'écorce qui environne l'oeil ; la premiere en-travers à deux ou trois lignes au-dessus de l'oeil ; la seconde à l'un des côtés, en descendant circulairement pour qu'elle se termine au-dessus de l'oeil ; & la troisieme de l'autre côté en sens contraire, de façon qu'elle vienne croiser la seconde à environ un demi-pouce au-dessous de l'oeil, & que ces trois traits fassent ensemble une espece de triangle dont la pointe soit en bas ; puis en pressant & tirant adroitement avec ses doigts cette portion d'écorce, sans offenser l'oeil, elle se détache aisément si la seve est suffisante.

L'écusson étant levé, on le tient entre ses levres par la queue de la feuille qu'on doit y avoir laissée exprès ; ensuite on choisit sur le sujet un endroit bien uni, où l'on fait avec le greffoir deux incisions comme si l'on figuroit la lettre majuscule T, & on en proportionne l'étendue à la grandeur de l'écusson que l'on y veut placer ; puis on détache avec le manche du greffoir l'écorce des deux angles rentrans, & on fait entrer l'écusson entre ces deux écorces, en commençant par la pointe que l'on fait descendre peu-à-peu jusqu'à ce que le haut de l'écusson réponde exactement à l'écorce supérieure du sujet. On prend ensuite de la filasse de chanvre, ou encore mieux de la laine filée, dont on passe plusieurs tours sans couvrir l'oeil, & que l'on assûre par un noeud, pour maintenir les écorces & faciliter leur réunion.

Lorsque cette greffe a été faite à oeil poussant, c'est-à-dire avant la S. Jean, dès qu'on s'apperçoit au bout de huit ou dix jours que l'écusson est bien vif & qu'il est prêt à pousser, on coupe le sujet à quatre doigts au-dessus de l'écusson, afin qu'en déterminant la seve à se porter avec plus d'abondance sur le nouvel oeil, il puisse pousser plus vîte & plus vigoureusement ; ensuite on relâche peu-à-peu ou on coupe entierement la ligature par-derriere l'écusson, à-mesure du progrès que l'on apperçoit : mais si c'est à oeil dormant que la greffe ait été faite, c'est-à-dire après la S. Jean, on ne dégage l'écusson & l'on ne coupe la tête du sujet qu'au printems suivant, lorsque l'écusson commence à pousser.

On connoît encore d'autres manieres de greffer, telles que la greffe sur les racines, la greffe en queue de verge de foüet, la greffe par térébration, &c. mais la trop grande incertitude de leur succès les a fait négliger.

C'est principalement pour la multiplication des bonnes especes d'arbres fruitiers, que l'on fait usage de la greffe, attendu qu'en les élevant de semence, on ne se procureroit que très-rarement la même sorte de fruit dont on auroit semé la graine : il est bien constant d'ailleurs que la greffe contribue à perfectionner les fruits par les circuits & les détours que cette opération occasionne à la seve, en la forçant de traverser les inflexions & les replis qui se forment toûjours à l'endroit où la greffe s'unit au sujet. Mais on ne peut par le moyen de la greffe changer l'espece des arbres, ni même produire de nouvelles variétés ; ce grand oeuvre est reservé à la seule nature : tout l'art se réduit à cet égard à donner aux fruits un fort petit degré de perfection. On se sert aussi de la greffe pour multiplier plusieurs arbrisseaux curieux, & même quelques arbres, tels que les belles especes d'érable, d'orme, de mûrier, &c. mais à ce dernier égard, c'est au détriment de la figure, de la force, & de la durée des arbres ; ils ne peuvent jamais récupérer la beauté qu'ils auroient eue & l'élévation qu'ils auroient prise dans leur état naturel.

On est bien revenu du merveilleux que les anciens qui ont traité de l'Agriculture, & quantité de modernes après eux, attribuoient à la greffe : à les en croire, on pouvoit faire par cette voie les métamorphoses les plus étonnantes & changer la propre nature des choses, en faisant produire à la vigne de l'huile au lieu de vin, & aux arbres des forêts les fruits les plus délicieux, au lieu des graines seches qu'ils rapportent. A les entendre, le platane pouvoit devenir un arbre fruitier & produire des figues, des cerises, ou des pommes : mais je me suis assûré par plusieurs expériences, que le platane est peut-être de tous les arbres celui qui est le moins propre à servir de sujet pour la greffe ; non-seulement les fruits que l'on vient de citer n'y reprennent pas, mais même un seul écusson de figuier fait mourir le platane ; & ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que les écussons pris & appliqués sur le même arbre n'ont point encore voulu réussir, quoique cette épreuve ait été répétée quantité de fois. Les changemens que l'on peut opérer par le moyen de la greffe, sont plus bornés que l'on ne pense ; il faut entre l'arbre que l'on veut faire servir de sujet & celui que l'on veut y greffer, un rapport & une analogie qui ne sont pas toûjours indiqués sûrement par la ressemblance de la fleur & du fruit : ce sont pourtant les caracteres les plus capables d'annoncer le succès des greffes. Voyez les Planches de Jardinage.


GREFFERvoyez GREFFE.


GREFFIERS. m. scriba, actuarius, notarius, amanuensis, (Jurisprud.) est un officier qui est préposé pour recevoir & expédier les jugemens & autres actes qui émanent d'une jurisdiction ; il est aussi chargé du dépôt de ces actes qu'on appelle le greffe.

Emilius Probus en la vie d'Eumenes, dit que chez les Grecs la fonction de greffier étoit plus honorable que chez les Romains ; que les premiers n'y admettoient que des personnes d'une fidélité & d'une capacité reconnues.

Chez les Romains, les scribes ou greffiers, que l'on appelloit aussi notaires parce qu'ils écrivoient en note ou abregé, étoient d'abord des esclaves publics appartenans au corps de chaque ville qui les employoit à faire les expéditions des tribunaux, afin qu'elles fussent délivrées gratuitement ; cela fit douter si l'esclave d'une ville ayant été affranchi, ne dérogeoit pas à sa liberté en continuant l'office de greffier ou notaire : mais la loi derniere, au code de servis reipubl. décida pour la liberté.

Dans la suite, Arcadius & Honorius défendirent de commettre des esclaves pour greffiers ou notaires ; desorte qu'on les élisoit dans chaque ville comme les juges appellés dans chaque ville defensores civitatum : c'est pourquoi la fonction de greffier fut mise au nombre des offices municipaux ; de même qu'autrefois en France on mettoit aussi par élection les greffiers de ville & ceux des consuls des marchands.

Les présidens & autres gouverneurs des provinces se servoient de leurs clercs, domestiques, pour greffiers ; ceux-ci étoient appellés cancellarii ; ou bien ils en choisissoient un à leur volonté ; ce qui leur fut défendu par les empereurs Arcadius & Honorius, lesquels ordonnerent que ces greffiers seroient dorénavant tirés par élection de l'office ou compagnie des officiers ministériels attachés à la suite du gouverneur, à la charge que ce corps & compagnie répondroit civilement des fautes de celui qu'il avoit élu pour greffier. Justinien ordonna que les greffiers des défenseurs des cités & des juges pédanées, seroient pris dans ce même corps.

L'office ou cohorte du gouverneur étoit composée de quatre sortes de ministres, dont les greffiers réunissent aujourd'hui toutes les fonctions : les uns appellés exceptores, qui recevoient sous le juge les actes judiciaires ; d'autres regendarii, qui transcrivoient ces actes dans des registres ; d'autres appellés cancellarii, à cause qu'ils étoient dans un lieu fermé de barreaux, mettoient ces actes en forme, les souscrivoient & délivroient aux parties. Ces chanceliers devinrent dans la suite des officiers plus considérables. Enfin il y avoit encore d'autres officiers que l'on appelloit ab actis seu actuarii, qui recevoient les actes de jurisdiction volontaire, telles que les émancipations, adoptions, manumissions, les contrats & testamens que l'on vouloit insinuer & publier, & ceux-ci tenoient un registre de ces actes qui étoit autre que celui des actes de jurisdiction contentieuse.

En France, les juges se servoient anciennement de leurs clercs pour notaires ou greffiers : on appelloit clerc tout homme lettré, parce que les ecclésiastiques étoient alors presque les seuls qui eussent connoissance des lettres. Ces clercs attachés aux juges demeuroient ordinairement avec eux, & étoient ordinairement du nombre de leurs domestiques & serviteurs ; c'étoient proprement des secrétaires plûtôt que des officiers publics ; Philippe le Bel en 1303, leur défendit de se servir de leurs clercs pour notaires.

Ces clercs ou notaires étoient d'abord amovibles ad nutum du juge : cependant Chopin sur la coûtume de Paris, rapporte un arrêt de l'an 1254, où l'on trouve un exemple d'un greffe, c'étoit celui de la prevôté de Caën, qui étoit héréditaire, ayant été donné par Henri roi d'Angleterre à un particulier pour lui & les siens ; au moyen de quoi on jugea que ce greffe étoit un patrimoine où la fille avoit part, quoiqu'elle ne pût pas exercer ce greffe, parce qu'elle le pouvoit faire exercer par une personne interposée : mais observez que ce n'étoit pas un greffe royal, car le roi d'Angleterre l'avoit donné comme duc de Normandie & seigneur de la ville de Caën.

Dans les cours d'église, quoiqu'il y eût alors beaucoup plus d'affaires que dans les cours séculieres, il n'y avoit point de scribe ou greffier en titre d'office, tant on faisoit peu d'attention à cet état. Le chap. quoniam extrà de prob. permet au juge de nommer tel scribe que bon lui semblera, pour chaque cause.

Philippe le Bel révoqua les aliénations qui avoient été faites au profit de plusieurs personnes de ces notairies, écritures, enregistremens, garde des registres, &c. aux uns à vie, d'autres à volonté, d'autres pour un certain tems, par voie d'accensement. Ces lettres furent confirmées par Philippe V. dit le Long, le 8 Mars 1316.

Charles IV. par un mandement du 10 Novembre 1322, ordonna que les greffes seroient donnés à ferme ; mais les greffes n'y sont désignés que sous le nom de scripturae, stilli, scribaniae memoriala processuum : il paroît que l'on faisoit une différence entre scripturae & scribaniae ; ce dernier terme semble se rapporter singulierement à la fonction des commis du greffe, qui ne faisoient que copier, comme font aujourd'hui les greffiers en peau.

Dans une ordonnance de 1327, les greffiers du châtelet sont nommés registratores.

Ceux qui faisoient la fonction de greffiers au parlement étoient d'abord qualifiés notaires ou clercs, & quelquefois clercs-notaires ou amanuenses quia manu propriâ scribebant ; on leur donna ensuite le nom de registreurs. Il n'y avoit d'abord qu'un seul greffier en chef, qui étoit le greffier en chef civil : mais comme il étoit clerc, c'est-à-dire ecclésiastique, & qu'il ne devoit pas signer les jugemens dans les affaires criminelles, on établit un greffier en chef criminel qui étoit lai ; on établit ensuite un troisieme greffier pour les présentations, qu'on appelloit d'abord le receveur des présentations. MM. du Tillet, greffiers en chef du parlement, prirent dans la suite le titre de commentariensis, qui est synonyme de registrator.

Ce n'est que dans une ordonnance du mois de Mars 1356, faite par Charles V. alors lieutenant-général du royaume, qu'il est parlé pour la premiere fois des greffiers & clercs du parlement : les greffes ou écritures des greffiers en général y sont encore nommés clergies, & il est dit que les clergies ne seront plus données à ferme, à cause que les fermiers exigeoient des droits exorbitans, mais qu'ils seront donnés à garde par le conseil des gens du pays & du pays voisin.

Il ordonna néanmoins le contraire le 4 Septembre 1357, c'est-à-dire que les greffes qu'il appelle scripturae seroient donnés à ferme & non en garde, parce que, dit-il, ils rapportent plus lorsqu'ils sont donnés en garde ; la dépense excede souvent la recette.

Le roi Jean ayant reconnu l'inconvénient de ces baux, ordonna le 5 Décembre 1360, que les clergeries ou greffes, tant des bailliages & sénéchaussées royales que des prevôtés royales, ne seroient plus données à ferme ; mais que dorénavant on les donneroit à des personnes suffisantes & convenables qui sauroient les bien gouverner & exercer sans grever le peuple.

On voit dans un réglement fait par ce même prince le 7 Avril 1361, qu'il y avoit alors au parlement trois greffiers qui sont nommés registratores seu grefferii ; ils avoient des gages & manteaux dont ils étoient payés sur les fonds assignés pour les gages du parlement.

Dans un autre réglement de la même année, le greffier civil & le greffier criminel du parlement, avec le receveur des présentations, sont compris dans la liste des notaires ou secrétaires du roi.

Il y avoit autrefois un fonds destiné pour payer aux greffiers du parlement l'expédition des arrêts, au moyen de quoi ils les délivroient gratis ; ce qui dura jusqu'au regne de Charles VIII. qu'un commis du greffe qui avoit le fonds destiné au payement de l'expédition des arrêts, s'étant enfui, le roi qui étoit en guerre avec ses voisins, & pressé d'argent, laissa payer les arrêts par les parties ; ce qui ne coûtoit d'abord que six blancs ou trois sous la piece.

Dans les autres tribunaux, les greffiers n'étoient toûjours appellés que notaires ou clercs jusqu'au tems de Louis XII. où les ordonnances leur donnerent le titre de greffier, & recevoient des parties un émolument pour l'expédition des jugemens.

Il s'étoit introduit un abus de donner à ferme les greffes avec les prevôtés & les bailliages ; ce qui fut défendu d'abord par Charles VI. en 1388, qui ordonna que les clergies seroient affermées à des personnes qui ne tiendroient point aux baillis & sénéchaux. Charles VIII. par son ordonnance de l'an 1493, sépara aussi l'office de juge d'avec le greffe & autres émolumens de la justice.

L'usage de donner les greffes royaux à ferme continua jusqu'en 1521, que François I. érigea les greffiers en titre d'office. Cet édit ne fut pas d'abord exécuté, on continua encore de donner les greffes à ferme : Henri II. renouvella en 1554 l'édit de François I. mais Charles IX. le révoqua en 1564, remettant les greffes en ferme ; il le rétablit pourtant en 1567 ; & enfin en 1580, Henri III. réunit les greffes à son domaine, & ordonna qu'ils seroient vendus à faculté de rachat, de même que les autres biens domaniaux ; il attribua néanmoins à ces offices le droit d'hérédité. Les greffiers du parlement furent créés en charge dès 1577 ; mais cela ne fut exécuté que par édit de 1673 le 23 Mars.

Les greffiers ainsi érigés en titre d'office, avoient sous eux des commis ou scribes que l'on appelloit clercs, lesquels par édit de 1577, furent aussi mis en titre d'office sous le titre de commis-greffiers ; la plûpart de ces commis ont même peu-à-peu usurpé le titre de greffier purement & simplement ; & les affaires se multipliant, ils ont pris sous eux d'autres commis.

Avant que ces clercs du greffe fussent érigés en titre d'office, il leur étoit défendu à peine de concussion, de rien prendre des parties, encore que cela leur fût offert volontairement ; telle est la disposition de l'art. 77. de l'ordonnance d'Orléans : cependant plusieurs s'étoient avisés de prendre un droit qu'ils appelloient vin de clerc, au lieu duquel l'édit de 1577 leur attribua la moitié des émolumens qu'avoient les greffiers en chef.

Il y a eu grand nombre d'offices de greffiers de toutes especes, comme on le peut voir ci-devant au mot GREFFE, & dans les subdivisions suivantes. (A)

GREFFIER DES AFFIRMATIONS, voyez ci-devant GREFFE DES AFFIRMATIONS.

GREFFIER D'APPEAUX : anciennement on appelloit ainsi celui qui tenoit la plume dans un bailliage ou sénéchaussée, à l'audience où l'on jugeoit les appels, que l'on disoit aussi appeaux, en parlant des appels au plurier : comme on dit encore, nouvel & nouveaux.

Quelques-uns confondent les greffiers d'appeaux avec les greffiers à peau, ou à la peau, ou en peau ; ceux-ci sont néanmoins bien différens ; ce sont ceux qui expédient les arrêts sur parchemin. Voyez ci-après GREFFIERS. (A)

GREFFIERS DES BAPTEMES, MARIAGES, & SEPULTURES, ou greffiers conservateurs des registres des baptêmes, &c. furent établis par l'édit du mois d'Octobre 1691 dans toutes les villes du royaume, où il y a justice royale, duché-pairie, & autres jurisdictions, pour fournir dans le mois de Décembre de chaque année à tous les curés des paroisses de leur ressort, deux registres cotés & paraphés par lesdits greffiers, à la réserve des premiere & derniere pages qui seroient signées sans frais par le juge du lieu ; l'un desquels registres serviroit de minute, & l'autre de grosse, pour y écrire par les curés les baptêmes, mariages, & sépultures. L'édit ordonnoit aussi que six semaines après l'expiration de chaque année, les greffiers pourroient retirer les grosses qui auroient servi pendant l'année précédente ; & que les juges ou greffiers des jurisdictions royales, à qui les grosses de ces registres avoient été remises depuis l'ordonnance de 1667, seroient tenus de les remettre entre les mains de ces greffiers, aussi-bien que les registres des consistoires qui avoient été déposés entre leurs mains en vertu de la déclaration du mois d'Octobre 1685. Ces greffiers furent supprimés par édit du mois de Décembre 1716. (A)

GREFFIERS DES BATIMENS, qu'on appelle aussi GREFFIERS DES EXPERTS, ou GREFFIERS DE L'ECRITOIRE, sont des personnes établies en titre d'office pour rédiger par écrit tous les rapports des experts jurés ; tels que les visites, alignemens, prisées, & estimations, & autres actes que font les experts, en garder la minute, & en délivrer des expéditions à ceux qui les en requierent. On les appelloit anciennement clercs des bâtimens, ou de l'écritoire.

Le premier office de cette espece fut créé pour Paris par édit du mois d'Octobre 1565, registré le 5 Mars 1568.

Par un édit du mois d'Octobre 1574, on en créa cinq pour Paris. On en créa aussi dans les autres villes du Royaume.

Il y eut encore différentes créations & suppressions jusqu'au mois de Mai 1690, qu'on en créa quatre pour Paris, outre les 16 qui existoient alors. Mais le nombre en a été depuis réduit à 16, comme il est présentement.

Le même édit du mois de Mai 1670 supprima tous les offices des greffiers de l'écritoire, créés anciennement pour les provinces ; & en créa deux nouveaux dans les villes où il y a parlement, chambre des comptes, ou cour des aides, & un dans chaque ville où il y a bureau des finances ou présidial.

L'édit du mois de Juillet suivant en créa un dans chaque ville où il y a bailliage, sénéchaussée, ou autre siége royal. Il y a encore eu depuis diverses créations & suppressions de ces sortes d'offices. Voyez les édits du mois de Novembre 1704, 1 Mars 1708, 12 Août 1710. (A)

GREFFIERS DES CHANCELLERIES, sont des officiers établis dans les chancelleries pour garder & conserver les minutes de toutes les lettres, & autres actes qui sont présentés au sceau, & pour écrire en parchemin, ou faire écrire par leur commis les expéditions de toutes lesdites lettres & actes qu'ils sont tenus de collationner sur la minute, & de mettre le mot collationné. Il fut créé quatre de ces offices pour la grande chancellerie par édit du mois de Mai 1674, lesquels ayant été acquis par les secrétaires du roi, sont exercés par quartier par certains d'entr'eux.

Au mois de Mars 1692, le roi créa de semblables offices de greffiers gardes-minutes dans les chancelleries près les parlemens, cours supérieures, & présidiaux du royaume. Il y en a huit en la chancellerie du palais à Paris, qui sont exercés par des procureurs au parlement. (A)

GREFFIER EN CHEF, est le premier greffier d'une cour souveraine, ou autre tribunal ; c'est le seul auquel appartienne vraiment le titre de greffier. Tous les autres ne sont proprement que ses commis, quoique par les édits de création de leurs charges, ou par extension dans l'usage, on leur ait aussi appliqué le titre de greffiers ; mais on les appelle greffiers simplement, ou commis-greffiers, au lieu que le greffier primitif de la jurisdiction est appellé greffier en chef, pour le distinguer des autres greffiers qui lui sont subordonnés.

Dans quelques tribunaux il y a un greffier en chef pour le civil, un pour le criminel ; dans d'autres il y a deux greffiers en chef qui font concurremment toutes les expéditions. Voyez COMMIS-GREFFIERS. (A)

GREFFIERS DU PREMIER CHIRURGIEN DU ROI, sont des officiers nommés par le premier chirurgien du roi, tant dans les communautés de Chirurgiens, que dans celles de Barbiers-Perruquiers-Baigneurs, & Etuvistes, pour y tenir le registre des réceptions & celui des délibérations.

L'établissement de ces greffiers est aussi ancien que celui des lieutenans du premier chirurgien du roi ; ils furent supprimés dans les provinces du royaume par l'édit du mois de Février 1692, qui, en créant deux chirurgiens royaux dans chaque communauté, ordonna qu'ils feroient alternativement chacun pendant une année la fonction de greffiers-receveurs & gardes des archives.

L'édit du mois de Septembre 1723 a depuis rétabli le premier chirurgien dans le droit de nommer des lieutenans & greffiers dans toutes les villes où il y a archevêché, évêché ; par les chambres des comptes, cour des aides, bailliage ou sénéchaussée ressortissans uniment aux cours de parlement, & l'exécution de cet édit a été ordonnée par une déclaration du 3 Septembre 1736.

Suivant les nouveaux statuts des chirurgiens des provinces du 14 Février 1720, & ceux des barbiers-perruquiers du 6 Février 1725, tous les anciens registres, titres, & papiers de chaque communauté sont enfermés dans un coffre ou armoire fermant à trois clés, dont le greffier en a une. Les registres courans des réceptions & délibérations restent pendant trois ans entre ses mains.

Ce sont eux qui font toutes les expéditions, copies, & extraits que l'on tire sur les registres, titres & papiers de la communauté.

Ceux qui sont nommés pour remplir la fonction de greffier dans les communautés de chirurgiens, joüissent de l'exemption de logement de gens de guerre, de collecte, guet & garde, tutele, curatelle, & autres charges de ville, & publiques. Voyez les statuts imprimés avec les notes de M. d'Olblen, secrétaire de M. le premier chirurgien du roi. (A)

GREFFIER CIVIL, est celui qui tient la plume pour les affaires civiles. Voyez GREFFIER CRIMINEL & GREFFIER EN CHEF. (A)

GREFFIERS-COMMIS, sont des commis du greffe qui ont été érigés en charge pour aider à faire les expéditions du tribunal sous le greffier en chef. Ils furent créés dans toutes les cours souveraines, bailliages, sénéchaussées, & autres jurisdictions royales. Par édit du 22 Mars 1578, on les appelloit alors clercs des greffiers. Ce titre de clerc étoit celui que les greffiers même portoient anciennement ; dans la suite on les a appellés commis-greffiers ; ils prennent même présentement le titre de greffiers simplement, quoique ce titre n'appartienne régulierement qu'au greffier en chef.

Outre ces commis-greffiers qui sont en charge, ces mêmes greffiers ont sous eux d'autres commis ou clercs amovibles qui sont à leurs ordres pour faire leurs expéditions. On appelle ceux-ci commis du greffe, ou au greffe ; il y a aussi des greffiers-commis, sur lesquels voyez l'article suivant. (A)

GREFFIERS-COMMIS, sont différens des commis-greffiers dont on a parlé ci-devant ; ceux-ci sont des praticiens qu'un juge nomme commissaires & délegue pour faire quelqu'acte particulier, commet pour tenir la plume sous lui, comme lorsqu'un juge est nommé pour faire une descente sur les lieux, ou quelqu'autre procès-verbal. Voyez ci-dev. COMMIS-GREFFIERS. (A)

GREFFIERS DES CRIEES, est celui qui tient la plume à l'audience particuliere, destinée à faire la certification des criées, comme il y en a un au châtelet de Paris. (A)

GREFFIER CRIMINEL, DU CRIMINEL, ou AU CRIMINEL, est celui qui tient la plume lorsqu'on juge les affaires criminelles. Ces sortes de greffiers n'ont été établis dans les tribunaux qu'à mesure que les affaires se sont multipliées, & que l'on a vû qu'un seul greffier ne pouvoit suffire pour faire toutes les expéditions tant au civil qu'au criminel.

Le greffier en chef au criminel du parlement est un officier qui a la direction de tout ce qui dépend du greffe criminel, dont il fait faire les expéditions par ses commis. Voyez au mot PARLEMENT, à l'article GREFFIER. Voyez ci-devant GREFFIER CIVIL. (A)

GREFFIERS DES DEPRIS, c'étoient des officiers héréditaires créés par l'édit du mois de Février 1627, pour recevoir les dépris des vins, ou déclarations que l'on vient faire au bureau des aides pour la vente des vins. Ils furent supprimés par édit du mois de Janvier 1692. (A)

GREFFIER DES DOMAINES DES GENS DE MAIN-MORTE, voyez ci-devant GREFFE DES DOMAINES, &c.

GREFFIER GARDE-MINUTE, voyez ci-dev. GREFFIERS DES CHANCELLERIES.

GREFFIER GARDE-SAC, voyez ci-devant GARDE-SAC.

GREFFIER DES GENS DE MAIN-MORTE, ou DES DOMAINES DES GENS DE MAIN-MORTE, voyez ci-devant l'article GREFFE DES DOMAINES, &c.

GREFFIER DE LA GEOLE, voyez ci-devant GREFFE DE LA GEOLE.

GREFFIER DES HYPOTHEQUES, voyez GREFFE DES HYPOTHEQUES.

GREFFIER DES INSINUATIONS, voyez ci-devant GREFFE DES INSINUATIONS, & ci-après au mot INSINUATION.

GREFFIERS DES INSTRUCTIONS, étoient des greffiers créés par édit du mois d'Octobre 1660, pour tenir la plume dans toutes les instructions qui se font aux conseils d'état, des finances, & des parties. Ils furent supprimés par édit du mois de Juin 1661. (A)

GREFFIERS DES INVENTAIRES, étoient des officiers établis en certains lieux pour écrire les inventaires sous la dictée d'autres officiers appellés commissaires aux inventaires, auxquels on avoit attribué dans ces mêmes lieux la confection des inventaires ; les uns & les autres furent établis par édit du mois de Mai 1622 & Décembre 1639 : dans le ressort des parlemens de Toulouse, Bordeaux, & Aix seulement, il ne fut levé qu'un petit nombre de ces offices, cette création n'ayant point eu lieu dans le ressort des autres parlemens. La confection des inventaires étoit souvent contestée entre différens officiers ; c'est pourquoi par un édit du mois de Mars 1702, portant suppression des commissaires aux inventaires & de leurs greffiers créés par les édits dont on a parlé, & création de nouveaux offices de commissaires aux inventaires, & de greffiers d'iceux dans toutes les justices royales, excepté dans la ville de Paris ; ces offices de commissaires & de greffiers aux inventaires ont depuis été unis aux offices des justices royales, & à ceux des notaires, chacun en droit soi, pour la faculté qu'ils ont de faire les inventaires. Voyez INVENTAIRES. (A)

GREFFIERS DES NOTIFICATIONS, étoient ceux qui recevoient les notifications de tous les contrats d'acquisition. Ils furent établis par édit du mois de Décembre 1587, portant création d'un office de greffier des notifications des contrats en chaque siége royal, & autres principales villes. Ces offices furent créés à l'occasion de la disposition de l'édit du mois de Novembre précédent, portant que le retrait lignager auroit lieu dans toute l'étendue du royaume, & que l'an du retrait lignager ne couroit que du jour que les contrats seroient notifiés ou insinués au greffe des jurisdictions royales, dans le ressort desquelles les biens seroient situés ; il fut dit que les greffiers feroient registre à part de ces notifications, contenant l'an & jour des acquisitions par eux insinuées, le nom des contractans, le prix & charges de la vente, & des notaires qui auroient reçû le contrat, & qu'ils ne délivreroient ni endosseroient ladite notification aux contrats d'acquisition, qu'ils n'en eussent d'abord fait registre. C'étoient d'abord les greffiers ordinaires qui faisoient ces notifications ; mais par l'édit du mois de Décembre 1581, on en établit de particuliers pour rendre plus promte l'expédition des notifications. Ils furent supprimés par édit du mois de Novembre 1584, & rétablis & réunis au domaine par autre édit du mois de Mars 1586. Ils étoient encore connus sous ce titre en 1640, suivant une déclaration du 10 Décembre 1639, registrée le 17 Janvier suivant ; on les a depuis appellés greffiers des insinuations, & leurs fonctions ont été reglées par différens édits concernant les insinuations laïques. Voyez GREFFIER DES INSINUATIONS. (A)

GREFFIER DES PAROISSES, ou DES TAILLES, voyez ci-après GREFFIER DES TAILLES.

GREFFIERS EN PEAU, ou comme on dit vulgairement, greffiers à peau, sont ceux qui transcrivent sur le parchemin les jugemens & autres actes émanés du tribunal où ils sont établis ; ils furent créés en titre d'office héréditaire dans toutes les cours & jurisdictions royales du royaume, par édit du mois de Février 1577 : par un autre édit de 1580, ces offices furent déclarés domaniaux, & en conséquence aliénés à faculté de rachat perpétuel. (A)

GREFFIER PLUMITIF, ou AU PLUMITIF, est celui qui tient le plumitif de l'audience, c'est-à-dire une feuille sur laquelle il écrit sommairement & en abregé le jugement à mesure que le juge prononce. Voyez PLUMITIF. (A)

GREFFIERS DES SUBDELEGATIONS : par l'édit du mois de Janvier 1707, il fut établi un greffier de la subdélégation dans les villes du royaume où il a été établi des subdélégués, pour tenir minute & registre de tous les actes émanés des subdélégués, & d'en délivrer des expéditions. Ces offices furent réunis à ceux des subdélégués par une déclaration du 17 Janvier 1708. Voyez SUBDELEGUE. (A)

GREFFIERS DES TAILLES, ou DES ROLES DES TAILLES, ou GREFFIERS DES PAROISSES, furent établis par édit du mois de Septembre 1515, portant création d'un office de greffier en chaque paroisse du royaume, pour tenir registre, dresser, & écrire sous les assesseurs, les rôles de tous les deniers qui se levent par forme de taille. Ces offices avoient d'abord été créés héréditaires ; mais par une déclaration du 16 Janvier 1581, il fut dit qu'ils étoient compris dans l'édit du mois de Mars 1580, portant suppression & réunion au domaine de tous les greffes du royaume, pour être vendus à faculté de rachat perpétuel.

Ces offices furent supprimés par édit du mois de Novembre 1616.

Cependant par édit du mois de Juillet 1622, il fut encore créé un office de greffier héréditaire des tailles en tous les diocèses, villes, communautés, & consulats de la province de Languedoc, & ressort de la cour des aides de Montpellier.

Par un autre édit du mois d'Août 1690, on créa pareillement des offices de greffiers des rôles & des tailles, & impositions ordinaires & extraordinaires en chaque ville, bourg, & paroisse taillable du ressort des cours des aides de Paris, Roüen, Montauban, Libourne, Clermont-Ferrand, & Dijon ; on en créa d'alternatifs dans le ressort de ces mêmes cours, par une déclaration du mois de Novembre 1694.

Tous ces offices furent encore supprimés par un édit du mois d'Août 1698.

On les rétablit dans le ressort des cours des aides de Paris, Roüen, Montauban, Bordeaux, Clermont-Ferrand, & Dijon, par un édit du mois d'Octobre 1703 ; mais en même tems ils furent unis aux offices de syndics créés par édit de Mars 1702, à ceux de greffiers des hôtels-de-ville établis par l'édit de Juillet 1690, où il n'y avoit point de syndic, & à ceux de maire, créés par édit du mois d'Août 1692, où il n'y a ni greffier ni syndic.

Ces mêmes offices furent supprimés par édit du mois de Novembre 1703, & leurs fonctions, droits, & priviléges attribués aux offices des syndics.

Ils furent encore rétablis par un autre édit du mois d'Août 1722, & confirmés dans leurs fonctions par un arrêt du conseil d'état du 15 Février 1724, portant qu'aucun rôle des tailles ne pourra être mis à exécution qu'il n'ait été signé par eux.

Enfin ces mêmes offices ont depuis encore été supprimés. (A)


GREFFOIRS. m. voyez les outils du Jardinier à l'article JARDINAGE.


GREGORIEN adj. (Hist. ecclés.) il se dit de quelques institutions, usages, réglemens ecclésiastiques dont on attribue l'origine à S. Grégoire le grand, pape qui vivoit dans le vj. siecle. Ainsi l'on dit rit grégorien, & chant grégorien.

Le rit grégorien sont les cérémonies que le pape saint Grégoire introduisit dans l'Eglise romaine, tant pour la célébration de la liturgie, que pour l'administration des sacremens ; & qui sont contenues dans le livre de ce pontife, connu sous le nom de sacramentaire de S. Grégoire. Voyez LITURGIE, SACREMENS, & SACRAMENTAIRE.

S. Grégoire ne se contenta pas de regler les prieres que l'on devoit chanter : il en regla aussi le chant ; & c'est ce chant que l'on appelle grégorien, du nom de son auteur, qui, pour en conserver la tradition, établit à Rome une école de chantres qui subsistoit encore trois cent ans après, du tems de Jean Diacre. Le moine Augustin allant en Angleterre, emmena des chantres de cette école romaine, qui instruisirent aussi les Gaulois. Quant à la nature & au caractere distinctif du chant grégorien, voyez CHANT, & PLEIN-CHANT. (G)

GREGORIEN, (Chronol.) on appelle calendrier grégorien, le calendrier réformé en 1582 par le pape Grégoire XIII. (voyez CALENDRIER) ; année grégorienne, l'année julienne réformée suivant ce calendrier (voyez AN) ; & on appelle quelquefois époque grégorienne, l'année 1582, époque de la réformation de ce même calendrier. Ainsi on dit : l'année 1757 est la 175e de l'époque grégorienne.


GRÊLES. f. (Physique) La grêle est de même nature que la glace ordinaire ; ce sont des glaçons d'une figure qui approche le plus souvent de la sphérique, formés par des gouttes de pluie qui s'étant gelées dans l'air, tombent sur la terre avant que d'avoir pu se dégeler. Voyez GLACE & PLUIE.

La neige dont les différences d'avec la grêle sont visibles & connues de tout le monde, n'est aussi que de l'eau qui s'est glacée dans l'air. Lorsque les molécules aqueuses qui se sont élevées dans l'atmosphere en forme de vapeurs, retombent en bruine ou en pluie, il arrive souvent que le froid est assez considérable pour les geler ; elles se changent alors en neige ou en grêle ; en neige, si la congélation les saisit avant qu'elles se soient réunies en grosses gouttes ; en grêle, si les particules d'eau ont le tems de se joindre avant que d'être prises par la gelée. Voyez NEIGE.

Les petits glaçons dont la neige est composée s'unissant mal entr'eux, les flocons qui résultent de cette union imparfaite sont fort rares & fort legers ; il n'en est pas de même des grains de grêle, dont le tissu est compact & serré, la dureté grande, & qui en un mot sont semblables à la glace ordinaire.

On remarque d'ailleurs dans les grains de grêle une assez grande variété ; ils different par la grosseur, par la figure, par la couleur : examinons en particulier toutes ces différences.

La grosseur de la grêle dépend beaucoup de celle des gouttes de pluie dont elle est formée ; cela est évident. Ainsi les mêmes variétés qu'on observe dans les gouttes de pluie quant à la grosseur, se feront remarquer dans les grains de grêle. On sait que la pluie est fort menue à une certaine hauteur dans l'atmosphere, & qu'elle devient toûjours plus grosse à-mesure qu'elle tombe, plusieurs petites gouttes s'unissant en une seule. Il n'est donc pas surprenant que la grêle qui tombe sur le haut des montagnes, soit plus petite, toutes choses d'ailleurs égales, que celle qui tombe dans les vallées, comme Scheuchzer, Fromond, & plusieurs autres physiciens & naturalistes l'ont observé.

Il semble d'abord que la grêle ne devroit jamais être plus grosse que des gouttes de pluie : mais si l'on fait réflexion qu'un grain de grêle déjà formé par un degré de froid considérable, gele toutes les particules d'eau qu'il touche dans sa chûte, on concevra aisément comment il peut devenir le noyau d'une ou de plusieurs couches de glace, qui augmenteront considérablement son volume & son poids : ce qui prouve que la grosse grêle se forme de cette maniere, c'est qu'elle n'est jamais d'une densité uniforme depuis la surface jusqu'au centre.

Les gouttes de pluie ont rarement plus de trois lignes de diametre, ce n'est que dans certaines pluies extraordinaires qu'on a vû tomber des gouttes dont le diametre étoit de près d'un pouce : on voit par-là jusqu'où peut aller la grosseur des grains de grêle, lorsqu'elle n'excede point celle des gouttes de pluie ; ce qui est le cas le plus fréquent.

Lorsque par les causes que nous avons exposées, ou par quelque autre semblable, le volume & le poids de la grêle sont plus grands qu'ils ne devroient être naturellement, il arrive quelquefois que la grêle est d'une grosseur prodigieuse ; on en a vû dont les grains étoient aussi gros que des oeufs de poule & d'oie, d'autres qui pesoient une demi-livre, trois quarts, & une livre : dans les mêmes orages comme dans les orages différens, les grains de grêle ne sont pas tous de même grosseur. L'histoire de l'académie des Sciences parle d'une grêle qui ravagea le Perche en 1703 ; les moindres grains étoient comme des noix, les moyens comme des oeufs de poule, les autres étoient comme le poing, & pesoient cinq quarterons. Ce n'est pas dans les seuls écrits des physiciens, qu'il faut chercher des détails sur ces sortes de phénomenes ; les historiens dans tous les tems ont pris soin de nous en transmettre le souvenir. Aujourd'hui, lorsqu'une de ces grêles extraordinaires desole quelque contrée, les nouvelles publiques ne manquent guere d'en faire mention.

Nous avons dit que la figure des grains de grêle approchoit ordinairement de la sphérique ; cette rondeur est une suite de celle qu'affectent naturellement les gouttes de pluie, comme toutes les autres gouttes d'eau, tant par l'attraction mutuelle des particules qui les composent, que parce que l'eau s'unit difficilement avec l'air ; plusieurs causes peuvent empêcher que cette rondeur ne soit parfaite ; le vent en est une des principales ; il comprime les gouttes de pluie, il les applatit, il les rend concaves ou anguleuses dans certaines portions de leurs surfaces. Les gouttes en se convertissant en grêle, conservent ces mêmes figures, & de-là vient qu'il est si rare de voir des grains de grêle parfaitement sphériques, principalement quand leur chûte est accompagnée d'un vent violent.

La grosse grêle formée par la réunion des différentes couches de glace, est tantôt conique ou piramydale, quelquefois hémi-sphérique, souvent fort anguleuse. Une chose assez constante parmi toutes ces variétés, c'est que les grains qui tombent dans le même orage sont tous à-peu-près de même figure ; dans certains orages, par exemple, ils sont tous coniques, dans d'autres hémi-sphériques, &c.

La transparence & la couleur de la grêle ne sont pas plus exemptes de variations que sa grosseur & que sa figure. Si l'on voit tomber des grains de grêle dont la transparence est seulement un peu moindre que celle de l'eau dont ils sont formés, on en observe assez communément qui sont opaques & blanchâtres. Souvent le noyau qu'on apperçoit au milieu de certains grains de grêle, est fort blanc, tandis que les couches de glace qui l'environnent sont transparentes : en découvrant ce noyau, on le trouve semblable à de la neige ramassée.

Il y a une sorte de menue grêle connue sous le nom de grésil, dont la blancheur égale celle de la neige. Le grésil est dur & peut être comparé à de la coriandre sucrée.

On ne doit pas confondre le grésil avec une autre sorte de grêle fort menue aussi, qu'on voit quelquefois tomber par un tems calme, humide & tempéré, & qui se fond presque toûjours en tombant : elle a peu de consistance, & paroît comme saupoudrée d'une espece de farine : on peut dire qu'elle tient en quelque sorte le milieu entre la neige & la grêle ordinaire.

La chûte de la grêle est accompagnée de plusieurs circonstances la plûpart assez connues. 1°. Le tems est fort sombre, couvert & orageux. 2°. Toutes les fois que la grêle est un peu grosse, l'orage qui la donne est excité par un vent d'ordinaire assez impétueux & qui continue de souffler avec violence pendant qu'elle tombe. 3°. Le vent n'a quelquefois aucune direction bien déterminée, & il paroît souffler indifféremment de tous les points de l'horison : ce qu'on remarque assez constamment, c'est qu'avant la chûte de la grêle il y a toûjours du changement dans les vents ; si, par exemple, le vent de midi a chassé vers nous l'orage, il ne grêlera que quand le vent de nord aura commencé à souffler. 4°. Quand il grêle, & même avant que la grêle tombe, on entend souvent un bruit dans l'air causé par le choc des grains de grêle que le vent pousse les uns contre les autres avec impétuosité. 5°. La grêle tombe seule ou mêlée avec la pluie, & dans le premier cas, la pluie la précede ou la suit. 6°. Lorsque la grêle est un peu considérable, elle est presque toûjours accompagnée de tonnerre. Plusieurs auteurs vont plus loin, car ils assûrent comme une chose indubitable, qu'il ne grêle jamais sans qu'il tonne ; je crois qu'il seroit difficile de le prouver. A Montpellier où la grêle n'est pas fréquente à beaucoup près, si l'on en juge par comparaison à ce qu'il en tombe chaque année à Paris, j'ai vû grêler plus d'une fois sans entendre le moindre coup de tonnerre. On dira peut-être qu'il tonnoit alors à quelques lieues de Montpellier dans les endroits où étoit le fort de l'orage : cela peut être vrai, mais le contraire pourroit l'être aussi. Ne donnons pas à la nature des lois générales qu'elle desavoue : arrêtons-nous à ce qu'il y a de certain sur cette matiere, c'est que le tonnerre accompagne toûjours la grêle qui est un peu considérable. Jamais le tonnerre ne gronde & n'éclate avec plus de force que dans ces grêles extraordinaires dont nous avons parlé, dont les grains sont d'une grosseur si prodigieuse ; les éclairs, les foudres, se succedent sans interruption ; le ciel est tout en feu, l'obscurité de l'air est d'ailleurs effroyable, on diroit que l'univers va se plonger dans son premier cahos. 7°. Quoique les orages qui donnent la grêle soient quelquefois précédés de chaleurs étouffantes, on remarque néanmoins qu'aux approches de l'orage, & plus encore après qu'il a grêlé, l'air se refroidit considérablement.

Des physiciens célebres paroissent persuadés qu'il ne grêle jamais que pendant le jour : M. Hamberger dit à cette occasion qu'un de ses amis âgé de soixante-dix ans l'a assûré qu'il n'avoit jamais vû grêler la nuit. Elém. physiq. n°. 520. Tout jeune que je suis, je puis assûrer le contraire ; j'ai vû plus d'une fois tomber de la grêle à Montpellier pendant la nuit & à différentes heures de la nuit.

La grêle est plus fréquente à la fin du printems & pendant l'été, qu'en aucun autre tems de l'année ; elle est moins fréquente en automne & assez rare en hyver. Le grésil tombe communément au commencement du printems.

Quand on dit que la grêle est rare en hyver, on ne prétend point que ce soit un phénomene tout-à-fait extraordinaire d'en voir dans cette saison. A Montpellier, où l'on passe quelquefois des années entieres sans avoir de la grêle, j'en ai vû tomber quatre fois pendant l'hyver dans l'intervalle de huit années consécutives. Le 30 Janvier 1741 fut à cet égard singulierement remarquable : la grêle qui tomba ce jour-là s'amassa en moins d'une demi-heure dans les rues & sur les toîts des maisons à la hauteur de plusieurs pouces ; celle qui étoit sur les toîts fut plus de vingt-quatre heures à se fondre, on ne se souvenoit pas d'en avoir jamais tant vû en aucune saison de l'année : pendant qu'elle tomboit, le tonnerre gronda sans interruption comme dans les plus grands orages de l'été. On doit remarquer qu'elle tomba vers les neuf heures du soir ; ce qui fortifie ce qu'on a déjà dit contre ceux qui prétendent qu'il ne grêle que pendant le jour.

Les funestes effets de la grêle ne sont malheureusement que trop connus : celle dont les grains égalent en grosseur des oeufs de poule & pesent jusqu'à une livre, fait des ravages affreux ; elle détruit sans ressource les moissons, les vendanges, & les fruits ; elle coupe les branches d'arbres, tue les oiseaux dans l'air & les troupeaux dans les pâturages ; les hommes mêmes en sont quelquefois blessés mortellement.

Quelque terribles que soient ces effets, la grêle en produiroit de plus funestes encore, si la vîtesse qu'elle acquiert dans sa chûte n'étoit diminuée par la résistance de l'air.

Tous les pays ne sont pas également sujets à la grêle, les nuages qui la donnent se forment & s'arrêtent par préférence, si l'on peut s'exprimer ainsi, sur certaines contrées : rarement ces nuages parviennent jusqu'au sommet de certaines montagnes fort élevées, mais les montagnes les rompent, comme on dit, & les attirent sur les vallons voisins. L'exposition à de certains vents, les bois, les étangs, les rivieres qui se trouvent dans un pays, doivent être considérés. Indépendamment des variétés qui naissent de la situation des lieux, il en est d'autres d'un autre genre, dont nous sommes tous les jours les témoins ; de deux champs voisins exposés au même orage, l'un sera ravagé par la grêle, l'autre sera épargné : c'est que toutes les nues dont la réunion forme l'orage sur une certaine étendue de pays, ne donnent pas de la grêle ; il grêlera fortement ici, & à quatre pas on n'aura que de la pluie. Tout ceci est assez connu.

La grêle, comme tous les autres météores, presente dans le méchanisme de sa formation des difficultés considérables, des mysteres profonds, que toute la sagacité des physiciens n'a pû encore pénétrer.

Descartes suppose que les nues, où elle se forme, sont composées de très-petites parcelles de neige ou de glace, qui se fondent à-demi, & qui se réunissent ; un vent froid qui survient acheve de les geler ; d'autres fois la neige se fond totalement, & alors le vent doit être extrêmement froid pour convertir ces gouttes d'eau en grêle. Tract. de meteor. cap. vj.

Tout le monde sait aujourd'hui que les nuages ne sont pas des amas de glaçons, mais des brouillards semblables à ceux que nous voyons si souvent s'élever & se répandre sur la superficie de la terre. Voyez NUAGE. L'hypothèse de Descartes est donc insoûtenable dans sa totalité : il n'y a que le vent froid que plusieurs physiciens continuent d'admettre sans trop rechercher les différentes causes, qui peuvent la produire.

D'autres philosophes, sans avoir recours au vent froid, imaginent simplement qu'à la hauteur où se forme la grêle, le froid de l'atmosphere est toûjours assez considérable, au milieu même de l'été, pour convertir l'eau en glace : cette opinion est sujette à de grandes difficultés. On a vû souvent la grêle se former au-dessus d'un vallon à une hauteur fort inférieure à celle des montagnes voisines, qui joüissoient pendant ce tems-là d'une douce température. C'est d'ailleurs sans beaucoup de fondement qu'on se représente les nuages comme si fort élevés audessus de nos têtes ; ils sont au contraire très-voisins de nous dans les grands orages. Nous avons remarqué que le tonnerre accompagne ordinairement la grêle ; on peut donc imaginer que ces deux météores se forment à peu-près à la même distance de la terre. Or quand le tonnerre est perpendiculaire sur quelque lieu & qu'il éclate fortement, l'intervalle d'une ou deux secondes qu'on observe entre l'éclair & le bruit, fait juger que la matiere de la foudre n'est guere qu'à 180 ou tout au plus à 360 toises de distance. Croira-t-on qu'à cet éloignement de la terre il regne naturellement pendant l'été un froid assez grand pour geler l'eau ? Ce dernier raisonnement est pris d'une dissertation sur le sujet que nous traitons, couronnée par l'académie de Bordeaux en 1752.

M. Musschenbroeck attribue la formation de la grêle aux particules congelantes, qui répandues dans l'air en certaines circonstances glacent les gouttes de pluie. Essai de Physique, tome II. chap. xxxjx. Selon M. Hamberger, quand la partie supérieure d'un gros nuage est directement exposée aux rayons du soleil & que l'inférieure est à l'ombre, celle-ci se refroidit au point, que toutes les gouttes d'eau qui la composent & celles qui leur succedent, se convertissent en glace. Elém. physic. n. 520. Si c'étoit-là la véritable origine de la grêle, on n'en verroit jamais tomber que pendant le jour. Dissert. sur la glace, pp. 259 & 260.

M. de Mairan ayant observé que de l'eau exposée à un courant d'air se refroidit de deux degrés au-delà de la température actuelle de cet air environnant, croit que le même effet doit avoir lieu à l'égard des vapeurs aqueuses suspendues dans un air agité, & qu'il doit être plus considérable à raison de la ténuité de ces molécules. Voilà d'où naissent selon lui certaines grêles d'été *.

Un sentiment fort différent de tous ceux que nous venons d'exposer, est celui de l'auteur de la dissertation déjà citée, qui a remporté le prix au jugement de l'académie de Bordeaux. La grêle est selon lui un mélange d'eau glacée, de sel volatil, de sel concret, & de soufre : c'est le résultat d'une congelation artificielle pareille à celle que nous faisons tous les jours par le moyen des sels : les idées de l'auteur sur les sels répandus dans l'air, ne sont pas toûjours conformes aux principes de la bonne Chimie. On peut se passer d'admettre avec lui des parties frigorifiques proprement dites : il y a d'ailleurs des vûes très-ingénieuses dans sa dissertation.

Toutes ces explications roulent visiblement sur quelques idées principales qui ne paroissent pas devoir refuser de s'unir. Peut-être suffira-t-il de les combiner d'une certaine maniere, pour approcher beaucoup du système de la nature.

A la hauteur où se forme la grêle dans notre atmosphere, la température de l'air est souvent exprimée par 10 ou 8 degrés du thermometre de M. de Réaumur au-dessus de la congelation. Ce premier point sera facilement accordé.

Un vent médiocrement froid, tel qu'il s'en éleve au commencement de presque tous les orages, diminuera cette température de trois ou quatre degrés.

Les gouttes d'eau refroidies au cinquieme ou sixieme degré par la communication du froid de l'atmosphere, recevront encore deux degrés de froideur, par cela seul qu'elles seront exposées à un courant d'air, à un air incessamment renouvellé.

* N'est-ce pas en facilitant l'évaporation de l'eau, que l'air agité la refroidit ? Les expériences communiquées depuis peu à l'académie des Sciences par M. Baume, maître apothicaire de Paris, ne permettent guere d'en douter.

Encore quelques degrés de froid, & les gouttes d'eau perdant leur liquidité, se convertiront en glace.

Ici je pense avec l'auteur de la dissertation couronnée par l'académie de Bordeaux, qu'il faut avoir recours à quelque opération chimique semblable à une infinité d'autres que nous mettons tous les jours sur le compte de la nature.

Nous avons vû que le tonnerre accompagnoit le plus souvent la grêle ; les seules vapeurs aqueuses ne paroissent donc pas devoir suffire pour faire naître ce météore : il faut que l'air soit chargé de plusieurs sortes d'exhalaisons.

Les parties propres de l'air qui nous environne & que nous respirons, sont mêlées avec plusieurs substances hétérogenes. Notre atmosphere contient de l'eau, un acide vitriolique, connu sous le nom d'acide universel, des matieres oléagineuses, grasses & inflammables fournies par la plûpart des corps terrestres, des alkalis volatils qui s'exhalent des animaux & des végétaux putréfiés.

Je ne parle point du nitre aérien ni de tous ces autres sels fixes qu'on ne faisoit pas difficulté d'admettre autrefois comme abondamment répandus dans notre atmosphere. Ces sortes de sels ne sauroient s'y élever en grande quantité, moins encore s'y soûtenir à une certaine hauteur.

Les alkalis volatils dissous dans l'eau la refroidissent sans la glacer, ils font avec l'acide vitriolique des effervescences froides : ces dissolutions & ces effervescences font descendre le thermometre de plusieurs degrés. Il suit évidemment de-là qu'une certaine quantité d'alkalis volatils combinés avec l'eau & l'acide vitriolique dans une nuée, y exciteront un froid considérable.

Ce froid ne glacera point les gouttes d'eau intimement mêlées avec l'alkali volatil, mais il pourra glacer les gouttes voisines auxquelles il se communiquera. Toutes les gouttes d'eau qui composent une nuée destituée d'alkali volatil, se glaceront par le froid d'une nuée voisine dans laquelle la présence des sels volatils aura excité des dissolutions & effervescences froides.

Les alkalis volatils s'élevent dans l'air avec les matieres inflammables ; & quand celles-ci sont abondamment répandues dans l'atmosphere, les premiers s'y trouvent pareillement en grande quantité : voilà pourquoi le tonnerre accompagne si souvent la grêle. On explique aussi par-là pourquoi il grêle plus fréquemment sur la fin du printems & pendant l'été, qu'en aucun autre tems de l'année, toutes ces sortes d'exhalaisons ne s'élevant qu'à un certain degré de chaleur.

Tous les autres phénomenes de la grêle s'expliqueront avec la même facilité, un plus long détail seroit inutile ; ceux qui se plaisent à la recherche des causes physiques, pourront appliquer d'eux-mêmes les principes que nous avons exposés ; & à l'égard de ceux qui n'exigent de nous que le simple récit des faits, peut-être trouveront-ils que nous en avons trop dit. Musschenbroeck, essai de Physiq. tom. II. chap. xxxjx. Dechales, de meteoris ; Nollet, leçons de Physiq. tome III. &c. Article de M. DE RATTE.

GRELE, terme de Chirurgie, maladie des paupieres ; c'est une petite tumeur ronde, mobile, dure, blanche, assez semblable à un grain de grêle.

La matiere qui forme ces sortes de tumeurs est si épaisse, qu'on ne doit rien espérer des remedes qu'on proposeroit pour ramollir cette humeur : ce n'est point une maladie dangereuse, mais elle est très-incommode quand la grêle est sous la membrane interne des paupieres. L'opération est l'unique ressource, & elle doit se pratiquer différemment suivant le siége de la tumeur.

Quand elle est à la superficie extérieure de l'une ou de l'autre paupiere, on étend avec les doigts la peau de la paupiere d'un angle à l'autre, afin d'affermir la grêle sur laquelle on fait une incision suffisante selon la longueur de la paupiere. On fait sauter le grain avec une petite curete. Le pansement doit être des plus simples, c'est une plaie qui se réunit d'elle-même, & qui seroit indifférente au bon ou au mauvais traitement. Lorsque la grêle est en-dedans, après avoir situé commodément le malade, on renverse la paupiere pour découvrir la maladie ; il faut inciser jusqu'au grain : mais à la paupiere inférieure, la direction de l'incision doit être d'un angle à l'autre, comme pour l'extérieur : au contraire à la paupiere supérieure, l'incision doit être longitudinale. Ce sont les connoissances anatomiques qui prescrivent ces différences : par une incision transversale, on pourroit couper les fibres du releveur de la paupiere supérieure, en opérant sans attention sous cette partie. Le pansement consiste à défendre l'oeil de l'inflammation : ce qu'on obtient aisément par le régime, & par l'application des collyres convenables. (Y)

GRELE, s. f. (Tabletier-Cornetier) c'est une lame d'acier plate & dentelée, dont on se sert pour grêler les dents de peigne. Voyez GRELER.

GRELE, adj. il se dit des corps qui ont beaucoup plus de longueur & de fragilité qu'ils n'en doivent avoir naturellement. Un cerf a le merrien grêle : on dit aussi des châtrés & de ceux qui en ont la voix, qu'ils ont la voix grêle. La même épithete se donne à une partie du canal intestinal. Voyez l'article suivant & l'article INTESTIN.

GRELE, en Anatomie, c'est un muscle de la jambe ainsi nommé à cause de sa forme grêle. Voyez les Pl. anatomiques.

Il prend son origine par un tendon plat de la branche de l'os pubis & de l'ischium, descend sur le côté interne du fémur, se retrécit & devient tendineux un peu au-dessous du couturier, à la partie supérieure de la face interne du tibia. Lorsqu'il est parvenu à la partie latérale interne du condyle interne de cet os, il se contourne & va s'attacher à la partie latérale interne de la tubérosité antérieure du tibia.

On donne encore le nom de grêle antérieur à un muscle de la jambe qui s'appelle aussi droit antérieur. Voyez DROIT. (L)

GRELE, adj. on appelle, en terme de Blason, couronnes grêlées, celles qui sont chargées d'un rang de perles grosses & rondes, comme les couronnes des comtes & des marquis.


GRÊLEAUS. m. (Economie rustique) C'est ainsi qu'on appelle dans la forêt d'Orléans un baliveau au-dessous de trois piés de tour. C'est ce qu'on appelle chêneteau dans d'autres forêts. Voyez le dictionn. du Commerce & de Trévoux.


GRÊLERv. n. voyez l'article GRELE, (Physiq.)

GRELER, en termes de Blanchisserie. Voyez METTRE EN RUBAN.

GRELER, en termes de Tabletier-Cornetier, c'est l'action d'arrondir les dents sur toute leur longueur ; ce que l'estadou n'avoit point fait, ne les ayant fendues que quarrément. Voyez ESTADOU.


GRELINS. m. terme de Corderie, cordage composé de plusieurs aussieres, & commis deux fois.

Les grelins se fabriquent de la même façon que les aussieres ; la seule différence qu'il y a entre ces deux sortes de cordages, c'est que les grelins sont composés d'aussieres, au lieu que les aussieres sont faites de torons.

M. Duhamel dit, dans son art de la Corderie, que les grelins ont plusieurs avantages sur les aussieres.

1°. Comme ils sont commis deux fois, les fibres de chanvre sont entrelacées, de maniere que les frottemens violens que ces cordages ont à souffrir, ne peuvent déranger facilement ces fibres : avantage que n'ont pas les aussieres ; aussi sont-elles moins de durée.

2°. Les grelins sont plus serrés que les aussieres ; ainsi l'eau les pénetre plus difficilement.

3°. On a dit dans l'article AUSSIERES A QUATRE TORONS, qu'il est avantageux de multiplier le nombre des torons : or il n'y a pas de moyen plus sûr de les multiplier, que de faire des cordages en grelin.

On peut faire des grelins avec toutes sortes d'aussieres, & les composer d'autant d'aussieres qu'on met de torons dans les aussieres.

Grelins en queue de rat, sont des grelins qui ont une fois plus de grosseur par un bout que par l'autre.

Quand on a fait des aussieres en queue de rat, on en prend autant qu'on veut que le grelin ait de cordons, & on les commet de la même façon que les grelins ordinaires, excepté que pour tordre les grelins on ne fait virer que les manivelles du chantier. Voyez l'article CORDERIE.


GRÊLOIRES. f. en termes de Blanchisserie, est une espece d'auge de cuivre rouge étamé, de quatre piés de long sur demi-pié de large en-haut, & sur trois pouces par en-bas. Cette partie inférieure est percée de trous égaux dans toute sa longueur ; chaque bout en-haut est la place d'un petit réchaud, pour empêcher la cire de se figer. La grêloire se nomme ainsi, parce qu'elle partage la matiere en filets qui s'applatissent en tombant sur le cylindre. Voyez METTRE EN RUBAN. La grêloire est soûtenue sur une chevrette. Voyez CHEVRETTE & l'artic. BLANCHIR.


GRÊLOTS. m. (Hydr.) est un marteau pointu appellé têtu, avec lequel les Limosins piquent les anciens massifs de ciment pour les renduire. (K)


GREMILS. m. ou HERBE AUX PERLES, lithospermum, genre de plante à fleur monopétale, infundibuliforme, & découpée. Le calice est divisé jusqu'à la base ; il en sort un pistil qui entre dans la partie inférieure de la fleur, & qui est entouré de quatre embryons : ces embryons deviennent des semences arrondies, dures, polies & luisantes ; elles mûrissent dans le calice qui l'aggrandit. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Sa racine est dans nos climats de la grosseur du pouce, ligneuse & fibreuse. Ses tiges sont hautes de près de deux coudées, droites, roides, cylindriques & branchues. Ses feuilles sont nombreuses, placées alternativement, longues de deux ou trois pouces, pointues, rudes, sans queue, & d'un verd noirâtre. Ses fleurs naissent au sommet des tiges & des rameaux, de chaque aisselle des feuilles ; elles sont portées sur des pédicules courts, & sont d'une seule piece, blanches ou d'un verd blanchâtre, à entonnoir, partagées en cinq segmens obtus, renfermées dans un calice velu, découpées jusqu'à la base en cinq quartiers étroits : leur pistil est verd, comme accompagné de quatre embryons, qui se changent ensuite en autant de graines arrondies, dures, polies, luisantes, d'un gris de perle, & semblables à de petites perles : ces graines grossissent & mûrissent dans le calice même ; souvent elles sont au nombre de deux ou de trois, rarement de quatre. Cette plante vient dans les lieux secs parmi les haies, & fleurit en Mai ; elle ne rougit presque pas le papier bleu ; mais comme sa graine est d'usage, elle demande un petit article séparé. (D.J.)

GREMIL ou HERBE AUX PERLES, (Mat. méd.) La graine de gremil qui est émulsive, est la seule partie de cette plante qui soit d'usage en Medecine.

Elle passe pour un puissant diurétique, & pour un bon anodin adoucissant. On prétend qu'elle chasse les graviers & les petits calculs, & même qu'elle les brise. On la prend réduite en poudre, à la dose d'un gros, dans un véhicule convenable, dans du vin blanc par exemple ; ou on en fait une émulsion, qu'on édulcore avec un sirop approprié, tel que celui des cinq racines. On ne croit aujourd'hui que très-difficilement aux prétendus lythomtriptiques tirés des végétaux ; & cette incrédulité est très-raisonnable sans-doute, lorsqu'il ne s'agit, comme dans ce cas-ci, que d'une semence émulsive. La vertu que Mathiole & quelques autres auteurs accordent à cette semence prise à la dose de deux gros, de favoriser la sortie des foetus dans les accouchemens difficiles, & de chasser l'arriere-faix, ne paroît pas mériter beaucoup plus de confiance, quoiqu'un bon diurétique soit plus capable en général de produire ces derniers effets, que de fondre la pierre dans les reins ou dans la vessie. Voyez DIURETIQUE & UTERIN.

La semence du gremil entre dans les deux compositions suivantes de notre pharmacopée ; savoir le sirop de guimauve composé, & la bénédicte laxative.

On substitue souvent à la graine de l'herbe aux perles celle du gremil rampant, & même celle d'un autre gremil, connu plus communément sous le nom de larmes de Job. (b)

GREMIL RAMPANT, (Botan.) plante connue des Botanistes sous le nom de lithospermum minùs repens latifolium, C. B. P. 258. J. R. H. 137. Sa racine est ligneuse, tortueuse, noire. Ses tiges sont nombreuses, grêles, longues, noirâtres, rudes, velues, couchées pour la plus grande partie sur terre, & poussant quelques fibres par intervalles. Ses feuilles sont longues d'environ deux pouces, larges d'un demi-pouce, terminées en pointe, d'un verd foncé, noirâtres, rudes & velues. Ses fleurs sont bleues, placées au sommet des rameaux en grand nombre ; il leur succede des graines dures, blanches, de la grosseur de celles de l'orobe. La tige qui porte les fleurs est droite & garnie de longues feuilles d'un verd pâle. (D.J.)

GREMIL RAMPANT, (Mat. méd.) on attribue à sa graine les mêmes propriétés qu'à celle du gremil ou herbe aux perles. Voyez GREMIL.

GREMIL LARME DE JOB, (Mat. méd.) la semence de cette plante passe pour avoir les mêmes vertus que celle de l'herbe aux perles, & celle du gremil rampant. Voyez GREMIL.


GRENADES. f. (Pharm. & Mat. méd.) c'est le fruit du grenadier. Voyez l'article GRENADIER. Des trois especes de grenades, on n'employe guere en Medecine que la grenade aigre.

Les graines ou semences contenues dans ce fruit, le suc qu'on en exprime, l'écorce du fruit & les fleurs qui l'ont précédé, sont en usage en Medecine.

Le suc des grains de grenade a une saveur aigrelette très-agréable ; il est moins acide que celui du citron, de la groseille, & de l'épine-vinette, avec lesquels il est d'ailleurs parfaitement analogue. Il faut les ranger avec ces autres sucs, dans l'ordre des muqueux acides. Voyez MUQUEUX.

Si l'on garde dans un lieu frais ce suc exprimé, clarifié, & enfermé dans un vaisseau convenable, il donne du sel essentiel d'une saveur acide.

Il est susceptible de la fermentation vineuse, ne donne point de gelée comme le suc de groseille, & peut être mis par conséquent sous la forme de sirop avec suffisante quantité de sucre. Ce sirop se prépare de la même maniere que le sirop de limon. Voyez CITRON.

On prépare beaucoup de ces sirops dans les pays où les grenades croissent abondamment. Celui qu'on employe à Paris vient du Languedoc.

Les grains de grenade mangés tout entiers sont regardés comme amis de l'estomac, comme en tempérant l'ardeur, calmant la soif, rafraîchissant, arrêtant le flux hémorrhoïdal trop abondant, corrigeant l'acrimonie de la bile, arrêtant le vomissement & le hoquet. Les malades attaqués de fievres ardentes & bilieuses, éprouvent un leger soulagement, & même un certain degré de plaisir, lorsqu'on leur permet de rouler de-tems-en-tems dans leur bouche & de sucer quelques grains de grenade.

On fait une eau de grenades dans le pays où elles sont communes, en étendant le suc exprimé de ses grains dans suffisante quantité d'eau, & l'édulcorant avec un peu de sucre, ou en dissolvant le sirop de grenade dans sept à huit parties d'eau. Cette boisson a les mêmes usages que la limonade ou l'eau de groseille ; elle est seulement un peu moins agaçante, & par conséquent moins sujette aux inconvéniens des acides donnés mal-à-propos.

L'écorce de grenade prise intérieurement, passe pour un puissant astringent ; sa saveur amere & austere est une preuve suffisante de la réalité de cette vertu. Il est à présumer cependant que son action se borne à l'oesophage, à l'estomac & au canal intestinal ; que par conséquent ce remede n'est véritablement utile que contre les diarrhées, qu'on peut arrêter sans danger, & qu'on ne doit pas beaucoup compter sur son efficacité dans le relâchement ou les hémorrhagies des autres parties, comme dans les écoulemens immodérés des regles, les fleurs blanches, les gonorrhées, &c. On la donne en poudre depuis demi jusqu'à un gros pour chaque prise, & jusqu'à demi-once en décoction.

On employe l'écorce de grenade extérieurement dans les décoctions, les gargarismes & les lavemens astringens. La décoction très-chargée de cette écorce est sur-tout célebre pour redonner le ton naturel & la capacité convenable au vagin, relâché & délabré par un accouchement laborieux, ou par toute autre cause.

Les fleurs de grenade, plus connues dans les boutiques sous le nom de balaustes, ont la même vertu que l'écorce ; mais dans un degré inférieur ; on en fait à-peu-près le même usage, tant extérieurement qu'intérieurement. Voyez BALAUSTE. (b)

GRENADE, (Art milit.) c'est une espece de petite bombe, de même diametre ou calibre qu'un boulet de quatre livres, laquelle pese environ deux livres, & qui est chargée de quatre ou cinq onces de poudre.

Les grenades se jettent avec la main par des soldats nommés à cet effet grenadiers. Elles ont une lumiere comme la bombe, & une fusée de même composition. Le soldat met avec une meche le feu à la fusée, & il jette la grenade dans le lieu qui lui est indiqué. Le feu prenant à la poudre de la grenade, son effort la brise & la rompt en éclats, qui tuent ou estropient ceux qu'ils atteignent. Le soldat ne peut guere jetter de grenades qu'à la distance de quinze ou seize toises au plus. Il y a d'autres grenades qui ne se jettent point à la main, mais qui se roulent dans les fossés & dans les autres endroits où l'on veut en faire usage : ce sont proprement des especes de bombes, qui ont de diametre depuis trois pouces jusqu'à six. (Q)

GRENADE D'ARTIFICE, (Artificier) c'est une imitation du fruit appellé grenade, ou, si l'on veut, des grenades de guerre, par un petit globe de carton à-peu-près de même grosseur, qu'on remplit de poudre ou d'autre composition, pour le jetter à la main ou avec une fronde à l'instant qu'on y met le feu.

GRENADE, (le royaume de) Géog. province considérable d'Espagne, avec titre de royaume ; c'est proprement la haute Andalousie, qui fait partie de la Betique des anciens. Il est borné N. par la nouvelle Castille, E. par la Murcie, S. par la Méditerranée, O. par l'Andalousie. Les principales rivieres qui l'arrosent sont le Xénil, le Guadalentin, le Riofrio & le Guadalquivireja. Il a environ 70 lieues de long sur 30 de large, & 80 de côtes.

Malgré le manque de culture, le terrein est fertile en grains, en vins, en lin, en chanvre, en excellens fruits, & en passerilles ; il abonde en mûriers qui nourrissent quantité de vers à soie, & en forêts qui produisent des noix de galles, des palmiers & des glands de chêne d'un assez bon goût ; le sumac, si utile pour l'apprêt des peaux de bouc, de chevre & de maroquin, abonde dans les montagnes. La capitale du royaume s'appelle Grenade.

Ferdinand le Catholique prit cette province sur les Maures en 1492. Du tems qu'ils la possédoient, elle étoit le pays du midi le plus riche & le plus peuplé : il n'a fait depuis que dégénérer ; & sa destruction a été achevée par l'expulsion de tous les Maures qui restoient dans ce royaume, & que le conseil mal éclairé de Philippe III. roi d'Espagne, s'imagina devoir chasser en 1609. (D.J.)

GRENADE, (Géog.) grande ville d'Espagne, capitale du royaume de ce nom, avec un archevêché & une université, érigée depuis que Ferdinand V. conquit cette ville sur les Maures en 1492. Ils l'avoient fondé dans le dixieme siecle, & c'étoit le dernier domaine qui leur restoit dans cette partie de l'Europe. Ferdinand V. surnommé le Catholique, ne se fit point de scrupule d'attaquer son ancien allié Boabdilla, qui en étoit alors le maître. Le siége dura huit mois, au bout desquels Boabdilla fut obligé de la rendre. Les contemporains ont écrit qu'il versa des larmes en se retournant vers les murs de cette ville si peuplée, si riche, ornée du vaste palais des rois Maures ses ayeux, dans lequel se trouvoient les plus beaux bains du monde, & dont plusieurs sales voûtées étoient soûtenues sur cent colonnes d'albâtre. Quoique cette ville ait beaucoup perdu de sa splendeur, cependant les édifices publics y sont encore magnifiques, & il s'y fait un grand commerce de soie qui passe pour la meilleure de l'Europe.

Grenade est d'une situation très-riante & très-avantageuse, sur la riviere du Darro & du Xénil qui en baigne les murailles, à 50 lieues S. O. de Murcie, 25 N. E. de Malaga, 45 S. E. de Séville, 90 S. de Madrid. Long. 18. 19. lat. 37. 30.

Cette ville est la patrie de Louis de Grenade, de Suarez, & de Marmol. Le premier étoit dominicain, & publia deux volumes in folio sur la vie spirituelle. Il mourut en 1588, âgé de 84 ans. Le jésuite Suarez composa vingt-trois volumes de philosophie, de morale & de théologie scholastique. Marmol écrivit en espagnol une description générale d'Afrique, livre utile & que M. d'Ablancourt n'a point dédaigné de traduire en françois. (D.J.)

GRENADE, (Géog.) l'une des plus belles & des plus riches villes de l'Amérique espagnole, sur le bord de la Nicaragua, qu'on appelle aussi quelquefois le lac de Grenade, à 22 lieues E. de Léon, & à 28 de la mer du Sud. Les flibustiers françois la pillerent en 1665 & en 1675. Long. 292. 25. (D.J.)

GRENADE, (la nouvelle) Géog. pays de l'Amérique méridionale dans la Terre-ferme, d'environ 130 lieues de longueur, sur 30 dans sa plus grande largeur. Les Sauvages des vallées se nourrissent de mays, de pois, de patates. Il y a des mines d'or, de cuivre, d'acier, de bons pâturages, des grains, des fruits, du sel, & beaucoup de poisson dans les rivieres de ce pays. Il appartient aux Espagnols. Sancta Fé de Bogota en est la capitale, que Ximenès a fait bâtir. Lat. 12. (D.J.)

GRENADE, (la) Géog. île de l'Amérique septentrionale dans la mer du Nord, & l'une des Antilles. Sa longueur du N. au S. est de 10 lieues ; sa plus grande largeur de 5, & sa circonférence d'environ 22. Elle est très-fertile, appartient aux François depuis 1650, n'est éloignée que d'environ 30 lieues de la Terre-ferme, & de 70 de la Martinique. Longit. 315. 35. lat. nord 12. 15. (D.J.)


GRENADIERS. m. punica, genre de plante à fleur en rose, composé de plusieurs pétales, disposés en rond. Le calice a la forme d'une cloche, & il est découpé ; il devient un fruit presque rond, garni d'une couronne, & divisé en plusieurs loges remplies de grains pleins de suc, attachés à un placenta & séparés des uns des autres par des membranes très-minces. Il y a dans ces grains une semence ordinairement oblongue. Tourn. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le grenadier domestique, granata sive punica malus, sativa, C. B. P. 438. J. B. 1. 76. Raii, hist. 1462, &c. n'est qu'un arbrisseau, quoiqu'il s'éleve quelquefois à la hauteur d'un arbre lorsqu'on le cultive dans un terrein favorable, & qu'on en coupe les jeunes pousses. Ses branches sont menues, anguleuses, couvertes d'une écorce rougeâtre, partagées en des rameaux, armés d'épines roides, oblongues, droites. Ses feuilles sont placées sans ordre, semblables à celles du myrte ordinaire, ou de l'olivier, moins pointues, d'un verd luisant, portées sur des queues rougeâtres, garnies de veines rouges qui les traversent, & de côtes en-dessous, d'une odeur forte, urineuse, surtout si on les froisse entre les doigts. Les fleurs sortent des aisselles des branches ; elles sont en rose, à cinq pétales, de couleur écarlate : leur centre est occupé par plusieurs étamines, garnies de sommets & renfermées dans un calice de même couleur, long d'un pouce & plus, coriace, en forme de cloche, partagé en cinq lanieres, pointues, lesquelles dans la suite couronnent le nombril du fruit. Le calice se change en un fruit sphérique, un peu applati des deux côtés, de différente grosseur, qu'on nomme grenade, & qui est connu de tout le monde.

Le grenadier sauvage ressemble en tout au domestique, excepté qu'il est d'ordinaire plus épineux. Celui qui porte une fleur double s'appelle en Provence balaustier, & par les Botanistes malus punica, flore pleno majore, ou malus punica sylvestris major. Il produit d'amples fleurs, composées d'un très-grand nombre de pétales fort serrés. Les fleurs sont renfermées dans un calice qui n'est pas oblong, comme celui du grenadier domestique, mais large & applati, de couleur jaune purpurin, coriace, ligneux & divisé en plusieurs lanieres. Ses pétales sont quelquefois si nombreux, que les fleurs paroissent de grandes roses d'une couleur foncée : on les nomme balaustes quand elles sont contenues dans leur calice. Voyez BALAUSTE.

Le fruit du grenadier sauvage ou domestique égale en grosseur nos plus belles pommes. Son écorce est médiocrement épaisse & comme du cuir, un peu dure cependant & cassante, verte & lisse avant la maturité, ensuite de couleur rouge & ridée, qui approche enfin de la couleur de la châtaigne, jaune intérieurement, d'une saveur astringente.

Ce fruit renferme plusieurs grains disposés en différentes loges, d'un rouge foncé dans les uns, de couleur d'améthyste dans les autres, remplis de beaucoup de suc vineux, quelquefois doux, quelquefois acide ou tenant le milieu entre l'un & l'autre. Ces grains sont disposés en maniere de rayon de miel, séparés par des cloisons charnues & membraneuses, qui sont comme des parois mitoyennes, ameres, tantôt blanchâtres, tantôt purpurines, & ayant un placenta situé dans le milieu. Chaque grain est semblable à un grain de raisin, & renferme une seule semence, oblongue, composée d'une écorce ligneuse, & d'une amande amere un peu astringente. On trouve une espece singuliere de grenade dont les grains ne contiennent point de semence, mais c'est par accident & par un jeu de la nature.

Le grenadier vient naturellement dans le Languedoc, la Provence, l'Espagne & l'Italie. On le cultive avec soin dans les pays tempérés ; les fleurs, les pépins de ses fruits, le suc, l'amande & l'écorce de grenade, sont d'usage. Voyez GRENADE, (Matiere méd.) (D.J.)

GRENADIER, (Agricult.) Entre les especes de grenadiers cultivés par les curieux, on nomme principalement le grenadier à fleur double, le grenadier panaché, le grenadier nain d'Amérique, & le grenadier à fruit. Les trois premiers sont préférables au dernier par leurs fleurs : on les encaisse d'ordinaire ; & c'est ainsi qu'ils servent d'ornement aux jardins.

On choisit pour cet effet une terre à potager de la meilleure sorte, on la passe à la claie fine ; on a du terreau ; on fait du tout un mélange, moitié l'un, moitié l'autre ; on en remplit les caisses qui doivent être proportionnées à la grandeur des grenadiers qu'on leur destine. La terre étant ainsi préparée, on plante le grenadier après en avoir accommodé les racines ; quand cet arbre est planté, on a du terreau & de bon fumier de vache, dont on épanche un doigt d'épaisseur sur la superficie de la caisse, & on donne ensuite au grenadier un ample arrosement.

Les grenadiers à fruit ne demandent pas tant de précaution : ils réussissent même mieux en pleine terre qu'en caisse ; mais il faut que ce soit en espalier principalement, & à une bonne exposition, parce que les grenades en deviennent plus grosses & plus colorées. Les grenadiers en caisse se labourent avec une houlette ou une pioche, & ceux qui sont en pleine terre avec la beche. On doit dans les grandes chaleurs les arroser fréquemment, autrement la fleur coule.

Il est essentiel de tailler les grenadiers. Le secret consiste à rogner les branches qui naissent mal placées ; on les retranche ; on conserve celles qui sont courtes & bien nourries, & on raccourcit les branches dégarnies, afin de rendre le grenadier plus touffu : c'est ce qui en fait la beauté. On a soin de les pincer après leur premiere pousse de l'année, quand on voit qu'il y a quelques branches qui s'échappent. Miller donne sur cela d'excellens préceptes ; consultez-le.

Tout grenadier à fleur double, & autres qu'on éleve en caisse, ne doivent avoir le pié garni d'aucune branche, parce que ce défaut les défigure, & empêche que la tête de cet arbrisseau ne se forme agréablement. Si les grenadiers en caisse coulent, & que les trop grandes chaleurs de l'été en soient la cause, il faut les mouiller beaucoup ; & lorsque, malgré cette précaution, la coulure ne cesse point, il n'y a pas d'autre parti à prendre, que de les changer de caisses, si elles sont petites, ou bien de les rencaisser dans les mêmes, en remplissant les caisses d'une nouvelle terre préparée.

Les grenadiers s'élevent de semence ; ils se multiplient aussi de marcottes de la maniere qui suit. Supposez un grenadier de belle espece, au pié duquel il est venu quelques branches assez longues pour être couchées en terre, on en prend une, on l'émonde autant qu'on le juge à-propos, & de maniere que celle qui doit être couchée en terre soit tout-à-fait nette ; ensuite on couche cette branche dans un rayon, on l'arrête avec un petit crochet qu'on fiche en terre, on la couvre de terre, on l'arrose, & au bout de six mois elle prend racine.

S'il ne croît point de branches au pié de l'arbre, & qu'on soit obligé pour le marcotter d'avoir recours à la tête, on choisit la branche qui y paroît le plus propre ; on l'émonde, comme on l'a dit, & on la couche dans un pot plein de terre, & fendu par un côté, afin d'y passer la branche & de l'attacher au gros de l'arbre, ou à quelqu'autre appui que ce soit. Le tems favorable à marcotter les grenadiers est le printems, pour qu'on puisse voir en automne si les marcottes ont pris racine, afin de les sevrer de leur mere branche, & de les planter ailleurs.

Les grenadiers se perpétuent aussi de bouture, & c'est une bonne méthode. Pour cet effet, on choisit les branches les plus droites & les plus unies, qu'on coupe à un pié de longueur ; avant que de les mettre en terre, on en ratisse un peu l'écorce par le bas l'espace de deux travers de doigt ; on rogne le haut, puis on les fiche dans quelque caisse ou pot rempli de terre convenable, & ensuite on les arrose. L'expérience a fait connoître qu'une branche de grenadier, accommodée de cette façon, prenoit aisément racine.

Le froid est l'ennemi mortel des grenadiers. Pour les en garantir, on met ceux qui sont en caisse dans une serre à l'épreuve de la gelée. A l'égard des grenadiers en pleine terre, on les conserve contre les rigueurs du froid, si on met à leur pié beaucoup de fumier, & si l'on couvre de paillassons toute la palissade.

Les grenadiers à fleur double, & qui ne donnent point de fruit, commencent à fleurir au mois de Mai, & durent en fleurs jusqu'en Août, pourvû qu'ils soient bien gouvernés. Les Anglois ont éprouvé que le grenadier à fruit, à fleur simple, & à fleur double, supportoient très-bien les hyvers de leur climat ; les uns les taillent en pomme, d'autres les mettent en espalier ou en treille, & d'autres préferent de les planter en haie, ou dans des bosquets pour les moins exposer à sentir la serpette & le ciseau.

Le grenadier nain d'Amérique que les habitans cultivent dans leurs jardins, parce qu'il porte des fleurs & des fruits la plus grande partie de l'année, s'éleve rarement au-dessus de trois piés, produit un fruit qui n'excede pas la grosseur d'une noix, & qui n'est pas trop bon à manger. Cet arbrisseau est fort délicat ; cependant il prospere à merveille, si on le tient constamment dans la serre avec les autres plantes du même pays, & à un dégré de chaleur modéré. (D.J.)

GRENADIER, s. m. (Art milit.) soldat d'élite, l'exemple & l'honneur de l'infanterie.

La création des grenadiers dans l'infanterie françoise est de l'année 1667. L'objet de leur institution étoit de se porter en-avant pour escarmoucher & jetter des grenades parmi les troupes ennemies, afin d'y mettre le désordre au moment d'une action. C'est de ce service primitif qu'est dérivé leur nom. Les armés à la legere dans la légion romaine, & les ribauds dans les troupes de nos anciens rois, faisoient à-peu-près le même service que les grenadiers dans nos armées.

Toutes les puissances de l'Europe ont des grenadiers ; quelques princes en ont même des corps entiers. Nous n'examinerons ici ni leur forme, ni leur établissement ; notre objet est de faire connoître leur service dans les troupes de France.

Loüis XIV. en établit d'abord quatre par compagnie d'infanterie ; ils furent ensuite réunis, & formerent des compagnies particulieres, à l'exception de quelques régimens étrangers au service du Roi, qui les ont conservés jusqu'ici sur le pié de leur premiere distribution. Sa Majesté établit aussi en 1744 des compagnies de grenadiers dans chacun des bataillons de milice ; nous en parlerons à l'article GRENADIERS ROYAUX.

Le corps des grenadiers est le modele de la bravoure & de l'intrépidité. C'est dans ce corps redoutable que l'impétuosité guerriere, caractere distinctif du soldat françois, brille avec le plus d'éclat. Notre histoire militaire moderne fourmille de prodiges dûs à sa valeur. Les grenadiers sont des dieux à la guerre. Ils joüissent de l'honneur dangereux de porter & de recevoir les premiers coups, & d'exécuter toutes les opérations périlleuses. Il y a constamment une compagnie de ces braves à la tête de chaque bataillon. Cette portion précieuse en est l'ame & le soûtien. Elle est composée des soldats les plus beaux, les plus lestes, & les plus valeureux, fournis par les autres compagnies du bataillon. Un soldat doit avoir servi plusieurs années en cette qualité, avant de pouvoir obtenir le titre de grenadier. En le recevant, il contracte l'obligation de servir pendant trois ans au-delà du terme de son engagement ; mais il lui est libre d'y renoncer pour se conserver le droit d'obtenir son congé absolu à l'expiration de son service.

Le grenadier joüit d'une paye plus forte que le soldat, & d'autres distinctions. Une des plus flateuses est de porter un sabre au lieu d'épée, & dans le partage du service, d'occuper toûjours les postes d'honneur.

On conçoit que ces troupes, si souvent, & trop souvent exposées, essuient de fréquentes pertes, & ont besoin de réparations. On y fait remplir provisoirement les places vacantes par des grenadiers postiches. Ces postiches sont des soldats aspirans au titre de grenadier, désignés pour l'ordinaire par le suffrage des grenadiers même, sous les yeux desquels ils font leurs preuves de vertu guerriere ; ainsi le service des postiches est le séminaire des grenadiers. Voyez GRENADIER POSTICHE. Un soldat pour être brave, n'est pas toûjours jugé digne d'être grenadier ; il doit encore être exempt de tout reproche du côté de l'honneur & de la probité. Après des épreuves suffisantes, les grenadiers postiches sont enfin associés au corps des grenadiers ; ils en prennent bien-tôt l'esprit & en soûtiennent la réputation. Malheur à celui qui y porte atteinte par quelque action honteuse.

Il est sensible que chaque soldat choisi sur ce qu'il y a de meilleur pour entrer aux grenadiers, fait une plaie au corps du bataillon, & que par cette raison il seroit dangereux pour le service d'en multiplier trop l'espece. C'est aux maîtres de l'art à déterminer jusqu'à quel point ils peuvent être portés. On s'est fixé en France à une compagnie de quarante-cinq grenadiers par bataillon composé de 685 hommes.

C'est encore aux grands capitaines à décider la question, si dans une action on doit faire donner les grenadiers de prime-abord ; à distinguer les cas où l'on doit faire mouvoir à-la-fois tous les ressorts de la machine, de ceux où l'on peut reserver l'effort des grenadiers.

Dans le relâchement de la discipline, on a vû ce corps conspirant sa ruine, ne respirer que le duel, & ne mesurer sa considération que sur la quantité qu'il versoit de son propre sang. Cette fureur destructive s'est enfin ralentie. Le grenadier aujourd'hui moins féroce, plus docile, & toûjours également brave, n'exerce plus ordinairement son courage que contre les ennemis de l'état. Nous devons cet heureux changement & beaucoup d'autres avantages, au rétablissement de notre discipline militaire ; époque glorieuse du ministere de M. le comte d'Argenson. Cet article est de M. DURIVAL le jeune.

GRENADIERS A CHEVAL (Compagnie des). Cette compagnie fut créée par Loüis XIV. au mois de Décembre 1676, & unie à la maison du roi, sans néanmoins y avoir de rang, ni de service auprès de la personne de S. M. Elle fut tirée du corps des grenadiers, & composée de quatre-vingt-quatre maîtres, non compris les officiers, pour marcher & combattre à pié & à cheval à la tête de la maison du roi. Elle a soûtenu dans toutes les occasions la haute réputation du corps dont elle tire son origine, & la gloire de celui auquel elle a l'avantage d'être associée. Que ne pouvons-nous suivre cette troupe de héros dans le cours de ses exploits ! Nous la verrions dès le mois de Mars 1677, à peine formée & pour coup d'essai, attaquer en plein jour avec les mousquetaires le chemin couvert de Valenciennes, prendre d'assaut tous les ouvrages, tuer tout ce qui se présenta d'ennemis, monter sur le rempart, & emporter la place au moment qu'on s'y attendoit le moins ; défendre ensuite celle de Charleroy, & obliger l'ennemi d'en lever le siége ; l'année suivante s'emparer d'assaut de la contrescarpe d'Ypres ; en 1691 renverser, au fameux combat de Leuze, & tailler en pieces quatre escadrons ennemis, & successivement se signaler au siége de Namur, à la malheureuse affaire de Ramillies, aux glorieuses & fatales journées de Malplaquet & d'Ettingen, & à la célebre bataille de Fontenoy. Nous ne faisons que parcourir rapidement ces époques, & en omettons beaucoup d'autres consignées dans les fastes militaires de la France, à la gloire de cette valeureuse troupe. Le Roi en est capitaine.

Le corps qui lui donna naissance, la soûtient encore aujourd'hui. Ce sont les compagnies de grenadiers de l'infanterie françoise qui fournissent chacune à leur tour les remplacemens qui y sont nécessaires. Les sujets présentés pour y être admis, sont séverement examinés & éprouvés avant leur réception. La taille, la figure, la bravoure, sont des qualités nécessaires ; on exige encore la sagesse, la sobriété, & les bonnes moeurs ; avantages qui dans le soldat s'allient rarement avec les premiers. Les sujets qui ne les réunissent pas tous, sont refusés & renvoyés à leurs compagnies.

Celle des grenadiers à cheval est par sa création la plus nouvelle de la maison du Roi. Elle a souffert plusieurs changemens depuis son institution. Formée d'abord de quatre-vingt-quatre maîtres, elle fut portée peu après à cent vingt, réduite à cent en 1679, augmentée en 1691 jusqu'à cent cinquante maîtres, remise à quatre-vingt-quatre en 1725, & fixée enfin à ce qui la compose aujourd'hui ; savoir, un capitaine-lieutenant, trois lieutenans, trois sous-lieutenans, trois maréchaux-des-logis, six sergens, trois brigadiers, six sous-brigadiers, & cent quinze grenadiers formant un escadron. Article de M. DURIVAL le jeune.

GRENADIERS DE FRANCE (Corps des). Ce corps fut formé par ordonnance du Roi du 15 Février 1749, de quarante-huit compagnies de grenadiers réservées dans les réformes de 1748, " pour continuer, dit cette ordonnance, d'entretenir au service de Sa Majesté des troupes d'une espece si précieuse à conserver ". Il est composé de quatre brigades de douze compagnies chacune, & a rang dans l'infanterie du jour de la création des premiers grenadiers en France. Un officier général le commande supérieurement sous le titre d'inspecteur-commandant. Il y fut d'abord attaché un major pour tout le régiment, quatre colonels, deux lieutenans-colonels, & un aide-major par brigade. Cet arrangement a souffert depuis plusieurs changemens. Le nombre des colonels a été augmenté successivement jusqu'à vingt-quatre, & celui des lieutenans-colonels réduit à quatre. Le roi ayant encore reconnu qu'un seul officier-major par brigade ne pouvoit suffire aux différens détails de la discipline & du service, Sa Majesté régla par son ordonnance du 8 Juillet 1756, que l'état-major de chaque brigade seroit à l'avenir composé d'un sergent-major & d'un aide-major, & que les places de sergent-major seroient remplies par les aide-majors actuels, pour en joüir aux honneurs, autorités & prérogatives attribués aux autres majors de l'infanterie. Le commandement en second du corps fut en même tems conféré à l'ancien major.

Lorsqu'il vaque des compagnies, il doit y être nommé alternativement un capitaine des troupes réglées ayant au-moins deux ans de commission de capitaine, & un lieutenant du régiment.

Chacune des quarante-huit compagnies est composée de quarante-cinq hommes, & commandée par un capitaine, un lieutenant, & un lieutenant en second. L'un des deux lieutenans est pour l'ordinaire un soldat de fortune, que son mérite & ses services ont élevé au grade d'officier. Il y a dans chaque brigade un sergent, un caporal, & onze grenadiers entretenus sous la dénomination de charpentiers.

Le remplacement des grenadiers qui y manquent, se fait chaque année par les compagnies de grenadiers des bataillons des milices du royaume (voyez ci-après GRENADIERS ROYAUX) ; & les capitaines payent à chacun de ces grenadiers de remplacement la somme de 30 liv. pour leur tenir lieu d'engagement pendant six ans, au bout desquels ils reçoivent leurs congés absolus. Le Roi leur fait délivrer en outre une gratification de six liv. à chacun, au moment de leur engagement.

Le régiment des grenadiers de France depuis sa création, n'a pas eu jusqu'ici d'occasion de se signaler ; mais que ne doit-on pas attendre du mérite des officiers qui le commandent, de l'excellente discipline qui y regne, & de la qualité des hommes qui le composent ?

C'est avec ce corps, auquel fut joint pour cet effet celui des volontaires royaux, que M. le chevalier de Rostaing fit en 1754, sous les murs de Nancy, l'essai de la légion dont il avoit donné le plan. Article de M. DURIVAL le jeune.

GRENADIER POSTICHE, soldat choisi pour entrer aux grenadiers, avec lesquels, en attendant, il fait le service, quand la troupe n'est pas complete . Dans l'infanterie françoise, le choix de ces soldats se fait à tour de rôle sur toutes les compagnies de fusiliers de chaque bataillon, auxquelles néanmoins ils restent attachés, jusqu'à leur réception aux grenadiers. Voyez ci-devant GRENADIER.

Lorsqu'ils obtiennent ce grade, le capitaine des grenadiers paye 25 liv. pour chacun aux capitaines des compagnies dont ils ont été tirés, & rend en outre l'habit & les armes.

Les soldats destinés aux grenadiers ne peuvent être pris dans le nombre des hautes-payes des compagnies. Si une compagnie en tour de fournir un homme aux grenadiers, ne peut pas en présenter de qualité convenable au service de cette troupe, il est fourni par la compagnie qui suit immédiatement ; mais dans ce cas le capitaine de cette derniere compagnie est autorisé à prendre dans la premiere un soldat à son choix ; & le capitaine est en outre obligé de lui payer une indemnité réglée.

Dans les milices, les grenadiers postiches forment une compagnie particuliere établie dans chaque bataillon par ordonnance du 28 Janvier 1746. La compagnie des grenadiers postiches fournit à celle des grenadiers les remplacemens qui y sont nécessaires, & tire elle-même ceux dont elle a besoin de toutes les compagnies de fusiliers du bataillon. Pendant la guerre, ces deux troupes sont détachées des bataillons ; & de plusieurs réunies ensemble, on forme les régimens de grenadiers royaux. Voyez ci-après GRENADIERS ROYAUX. Article de M. DURIVAL le jeune.

GRENADIERS-ROYAUX (Régiment des). C'est un corps composé de plusieurs compagnies de grenadiers de milice, réunies sous un même chef.

Le Roi par son ordonnance du 15 Septembre 1744, établit des compagnies de grenadiers dans tous les bataillons de milice du royaume ; & par celle du 10 Avril 1745, il en forma sept régimens de grenadiers-royaux d'un bataillon chacun, qui servirent la campagne suivante, commandés par des colonels & lieutenans-colonels, avec les majors & aide-majors qui y furent attachés.

Sa majesté satisfaite du service de ces troupes, & voulant en augmenter la force pour les mettre en état d'être employés d'une maniere encore plus utile, établit par ordonnance du 28 Janvier 1746 des compagnies de grenadiers-postiches dans chaque bataillon de milice, les unit à celles des grenadiers par ordonnance du 10 Mars suivant, & de toutes ces troupes, composa sept régimens de grenadiers-royaux de deux bataillons chacun.

Ces corps servirent utilement & glorieusement pendant les campagnes qui suivirent leur institution, jusqu'à la paix de 1748. Réunis ou séparés, ils donnerent à l'envi l'un de l'autre, dans toutes les occasions, les plus grandes marques de zele & de bravoure. Ils se signalerent au siége de la citadelle d'Anvers, à celui de Mons, à la bataille de Raucoux, & à celle de Lawfeld, sur-tout au siége à jamais mémorable de Bergopzoom, enfin dans toutes les diverses opérations militaires auxquelles ils eurent part pendant toutes ces campagnes.

A la paix les régimens de grenadiers-royaux furent séparés ; les compagnies qui les composoient furent renvoyées à leurs bataillons de milice, & licenciées en même tems que les corps de ces bataillons.

Tous les bataillons de milice du royaume sont convoqués une fois par an pendant la paix, pour être recrûtés & passer en revûe, & sont séparés après quelques jours de service ; voyez LEVEE DES TROUPES. Mais les compagnies de grenadiers demeurent assemblées, & sont réunies pour composer des bataillons de grenadiers-royaux. Ces bataillons établis au nombre de onze par ordonnance du premier Mars 1750, sont exercés chaque année pendant un mois à toutes les manoeuvres de guerre, ensuite séparés, & les grenadiers renvoyés dans leurs paroisses, jusqu'à-ce qu'il plaise au Roi de les rappeller. On prépare ainsi ces corps dans le silence de la paix, aux opérations militaires qu'ils doivent exécuter pendant la guerre.

Les bataillons de grenadiers-royaux fournissent chaque année au corps des grenadiers de France, les remplacemens qui y sont nécessaires. Des officiers de ce corps sont détachés à chaque bataillon pendant le tems des assemblées, & y choisissent & engagent des grenadiers de bonne volonté, jusqu'à concurrence de ce que doit fournir chaque bataillon. Voyez GRENADIERS DE FRANCE.

Lors du licenciement des compagnies de grenadiers-royaux, on leur permet par distinction d'emporter leurs habits, à la différence des soldats, qui sont obligés de les laisser en dépôt dans le lieu d'assemblée ; voyez LICENCIEMENT. Le Roi accorde en outre 3 sous par jour à chaque sergent de ces compagnies pendant tout le tems de leur séparation ; un sou six deniers à chaque tambour, & un sou à chaque grenadier ; dont le décompte leur est fait à l'assemblée suivante de leur bataillon. Article de M. DURIVAL le jeune.


GRENADIERES. f. terme de Ceinturier, c'est une espece de gibeciere qu'on donne à chaque grenadier, pour y mettre ses grenades. Voyez GRENADIER.

Elle est composée d'une bande, d'un travers ou porte-hache, d'une bourse, d'un dessus, d'une boucle avec son attache pour fermer la grenadiere, & d'un poulvrin.

* GRENADIERE, ou GRANDE SAUTRELIERE, ou BOITEUX, ou CHAPEAU A SAUTERELLES, (Pêche) espece de filet qui ressemble assez au chalut. Il étoit en usage dans l'amirauté de Boulogne. On prenoit avec la grenadiere des sauterelles ou grandes chevrettes. Elle étoit faite d'une barre de fer quarrée, large d'un pouce, & longue de sept à huit piés. Sur ses extrémités étoit arrêté un demi-cercle de bois qui formoit l'entrée d'un verveux. La barre étoit percée à chaque bout, & là étoit frappé un cordage de la grosseur d'un pouce de diametre. Ce cordage avoit trois brasses de longueur. Un autre cordage étoit frappé sur le milieu du cercle. Celui-ci se réunissoit au premier. C'est sur cet appareil qu'étoit retenu le filet, ou l'espece de chausse dont il s'agit. Cette chausse étoit amarrée à un bateau par un autre cordage qui la traînoit à un quart-de-lieue de la côte.

Il y a une autre espece de grenadiere qui consiste en une traverse de bois A B, qu'on appelle le seuil, & un long manche C D, fixé sur le milieu du seuil. Le seuil est taillé en biseau, & peut avoir 8 à 9 piés de long. On y attache un filet à mailles fort étroites. Le filet ressemble à la truble ; le pêcheur descend dans l'eau jusqu'au cou, lors de la basse mer ; & marchant vers le rivage, il pousse devant lui ce filet dont le seuil laboure le sable, & enleve les chevrettes & les petits poissons mêlés avec le sable.

Ces pêches ont été défendues, ainsi que celles de la drege & du coloris. Voyez nos Planches de Pêche.

La maille du filet de la grenadiere est d'environ quatre à cinq lignes.


GRENADILLES. f. (Bot. exot.) genre de plante qu'on a déjà caractérisée sous son nom vulgaire de fleurs de la passion ; les Botanistes l'appellent granadilla ; c'est une belle plante étrangere de la nouvelle Espagne, dont on cultive pour la fleur un grand nombre d'especes ; Bradley rapporte en avoir vû plus de trente dans le jardin d'Amsterdam, mais il s'en faut de beaucoup qu'il s'en trouve aujourd'hui un nombre aussi considérable dans ce même jardin ; & selon toute apparence, M. Bradley s'est trompé. Miller n'en connoît que treize especes en Angleterre, sur la culture desquelles il a donné les meilleures & les plus exactes instructions qu'on puisse desirer ; j'y renvoye les curieux.

Tournefort a fait d'une des especes de grenadille, un genre particulier sous le nom de murucuja ; cette espece se trouve en plusieurs endroits de l'île Saint-Domingue, & produit bien rarement du fruit en Europe ; du-moins Miller, malgré ses talens, n'est jamais parvenu à lui en faire porter. Le P. Feuillée a aussi décrit quelques especes de grenadilles de la vallée de Lima, & entr'autres une qu'il surnomme pommifere : elle donne un fruit rond, de deux pouces & demi de diametre, rempli d'une substance aqueuse, douçâtre, & cependant agréable au goût : ce fruit contient de petites graines enfermées dans une peau blanche en-dedans, & cramoisi-jaune en-dehors. (D.J.)


GRENAGES. m. (Art milit.) c'est une des opérations de la fabrique de la poudre-à-canon ; elle consiste à mettre la poudre en grain. Voyez l'article POUDRE-A-CANON.


GRENAILLERv. act. (Docimasie) réduire un métal en petits grains, à-peu-près semblables au plomb à tirer qu'on nomme cendrée. Au moyen de cette division, on le dissout, on le pese, & on le mêle plus aisément. On la fait par la voie seche & par la voie humide, c'est-à-dire avec & sans eau. Il faut donc avoir les instrumens nécessaires pour ces deux méthodes. Ce sont des granulatoires secs & à l'eau.

Le granulatoire à l'eau se trouve dans nos Planc. de Chimie. Cette machine est particulierement destinée à l'opération en question. C'est un chauderon ou baquet sur lequel on met le treuil suivant. A un cylindre de bois ayant 6 pouces de long sur 4 de diametre, on ajuste un axe avec sa manivelle. On couvre ce cylindre parallelement à son axe, d'une couche de brins de balai épaisse de trois doigts, qu'on lie & qu'on serre fortement aux deux bouts avec une ficelle. On place ce treuil dans deux échancrures demi-circulaires, faites au bord du vaisseau, vis-à-vis l'une de l'autre. On l'y assujettit du côté de la manivelle au moyen d'un petit crampon recourbé à angle droit, comme un clou à crochet, fixé par sa jambe perpendiculaire, & libre par l'horisontale ; & à l'autre extrémité avec un crampon ordinaire, entre les jambes duquel passe l'axe du cylindre. Cette machine est de Cramer ; au lieu du treuil garni de brins de balai, on peut en employer un cannelé dans sa longueur, à-peu-près comme un moussoir de chocolat. Cette variété tirée de sa traduction angloise, se trouve aussi dans nos Planches de Chimie. On remplit d'eau le vaisseau, de façon qu'un tiers du cylindre y soit plongé.

Quand on veut granuler un métal, de l'argent orifere, par exemple, on commence par le fondre. Si on a une grande quantité à grenailler à-la-fois, on employe un grand creuset qui puisse contenir le tout ; & comme il y auroit trop à risquer si on l'enlevoit du feu, on y puise avec un petit qu'on a fait rougir, & l'on verse le métal doucement & sans discontinuer sur le treuil, qu'un aide tourne assez vîte au moyen de sa manivelle.

Cette machine est la plus commode de toutes. Par cette méthode on peut grenailler toute sorte de métaux & de demi-métaux ; & la grenaille est plus fine que par aucune autre.

Si elle manquoit, on ne laisseroit pas de faire de la grenaille avec un chauderon & un balai ; & même tout vaisseau large & médiocrement creux peut y servir, quoique le chauderon soit préférable. On remplira donc ce chauderon d'eau froide jusqu'à 8 pouc. de ses bords ; on donnera à cette eau un mouvement de gyration avec le balai ; on y versera l'or ou l'argent avec un petit creuset rougi au feu, d'un seul jet, sur les côtés, afin qu'il soit emporté par le mouvement donné à l'eau par le balai, qu'un aide remue circulairement. Plus l'argent peut s'étendre pendant qu'on le verse, plus ses grenailles en sont creuses & menues.

On peut encore, au lieu de donner à l'eau un mouvement circulaire en tenant le balai perpendiculairement, le coucher & le tourner à demi-plongé dans l'eau : & on imitera pour lors le granulatoire à treuil. Mais le balai en question ne doit pas être trop serré ; sans quoi le métal s'y arrêteroit, se refroidiroit, & se rassembleroit en masses avant que de parvenir à l'eau qui doit achever de le diviser & creuser ses grains. La même précaution doit avoir lieu à l'égard du treuil. Dans ces circonstances, on trouvera la grenaille au fond de l'eau, presqu'aussi divisée que si on eût employé le treuil. On la retire de l'eau, & on la seche dans un vaisseau de cuivre ou de terre.

Quelques artistes se contentent de grenailler leur argent orifere en le jettant simplement dans une bassine remplie d'eau froide qu'ils n'agitent point. Mais leur grenaille est grossiere, & forme des masses ou rochers ; car c'est le nom qu'on donne dans les monnoies à l'amas des grains d'or ou d'argent qui forment une masse au fond du bacquet.

En Hongrie on grenaille l'argent comme nous venons de le dire, dans un chauderon où l'eau est agitée circulairement avec un balai ; mais on le fait tomber du creuset en un jet le plus large qu'il est possible, & de fort haut. Par ce moyen, les grenailles se forment plus menues & plus universellement creuses & concaves. On les seche dans des bassines larges, qu'on pose sur deux buches, entre lesquelles on met des charbons ardens. Voyez INQUART & DEPART.

Les Chauderonniers donnent le nom de grenaille à leur soudure. Voyez FLUX & SOUDURE. Ils la versent de la poêle où elle a été fondue, dans une autre chauffée qu'ils tiennent sur l'eau où ils la plongent & l'agitent rapidement. Par ce moyen elle se met en des especes de rocailles, & se divise plus aisément dans le mortier de fonte où ils la pilent. Ils la passent ensuite par un petit crible de cuivre. Mais je crois que cette méthode tient encore de l'enfance des Arts, & qu'il vaudroit beaucoup mieux granuler cette espece de laiton avec notre granulatoire à l'eau ; car elle ne se convertit point proprement en grains, & elle est d'ailleurs d'une dureté extraordinaire, qui fait perdre un tems considérable à la piler. Quand on la tire du feu, & sur-tout qu'on la verse d'une poêle dans l'autre, elle jette une grande flamme jaune & bleue, très-agréable à voir.

On réussit presqu'également & avec autant de sûreté par les trois premieres méthodes à granuler l'or, l'argent, & les alliages métalliques, comme nous l'avons dit des deux premiers, & de la soudure des Chauderonniers, qui est un laiton ou alliage de zinc & de cuivre. Mais il n'en est pas de même de ce dernier métal, du plomb & de l'étain ; leur granulation & sur-tout celle de cuivre, est toûjours accompagnée d'un danger qu'on n'évite qu'en le versant peu-à-peu, & très-lentement. Le meilleur moyen de ne courir aucun risque, c'est de les faire tomber tout divisés sur le balai ou sur le cylindre ; on y réussit en les faisant passer à-travers de petits trous faits au fond d'un creuset rougi au feu, qu'on tient suspendu sur le treuil ou le balai.

Pour les essais, ou le départ & inquart en petit, on fait des cornets de l'argent orifere. Dans les départs en grand, on le réduit en grenaille, soit qu'ils se fassent par la voie seche, soit qu'ils se fassent par l'humide. Et lorsqu'on veut savoir ce qu'ils tiennent d'or par marc, l'essayeur prend au hasard une ou deux de ces grenailles ; il en pese un demi-gros, & fait le départ à l'ordinaire : mais la chaux d'or qui en revient, n'est que très-rarement en rapport exact avec l'or contenu dans la totalité de l'argent granulé, parce que la pesanteur spécifique de celui-ci à celui-là étant comme de 654 à 1200, selon les observations de M. Wolf, il est presqu'impossible que, pendant qu'on verse lentement ces deux métaux en fonte, le plus pesant ne se précipite à-travers le plus leger, & ne rende conséquemment une partie de la grenaille plus riche que l'autre. Voyez-en la preuve aux articles LOTISSAGE, INQUART, DEPART, & POIDS FICTIF. Mais passons à la granulation seche.

Le granulatoire sec est une boîte de bois, aussi uniquement destinée à l'usage dont il est question. Il faut qu'elle soit garnie de son couvercle, & capable de contenir au-moins quatre fois plus de métal qu'on n'en veut grenailler d'un seul coup, afin qu'il y ait assez de jeu, & qu'on puisse l'y agiter fortement. Cette boîte doit être faite d'un bois très sec. Nous n'en avons point donné de figure, parce qu'elle n'a rien d'extraordinaire. Nous pensons seulement que celle qui aura le plus d'angles, sera la meilleure. Avant que de s'en servir, on aura soin de frotter uniformément dans tous leurs points, le fond & les parois, de craie ou de cire, ou de blanc dit d'Espagne, qui n'est qu'une craie lavée. Tout autre vaisseau, quel qu'il soit, peut servir à la granulation, pourvû qu'on y puisse secouer fortement un liquide sans craindre qu'il n'en sorte.

On employe ordinairement ce vaisseau pour granuler le plomb, &c. qu'il est indispensable d'avoir divisé pour les essais, soit pour la facilité des pesées, soit pour que le fin y soit uniformément distribué. Voyez GRAIN DE FIN, &c. Si on se sert moins du granulatoire à l'eau pour le plomb, c'est parce qu'on peut s'en passer, qu'il y a moins de danger par la voie seche, & qu'elle donne la grenaille plus fine : voici comment on y procede.

On fait fondre du plomb dans une cuilliere de fer ou dans un creuset sur un feu doux ; pour qu'il ait le degré de chaleur nécessaire, il faut qu'il puisse brûler sans faire flamber l'extrémité d'une petite baguette de coudrier avec laquelle on l'agite ; quand il en est à ce point, on le verse d'un seul jet dans la boîte ; on la recouvre très-rapidement, afin que le plomb s'aille briser contre ses parois, & l'on continue ainsi jusqu'à-ce qu'il ait perdu sa fluidité : on le trouve réduit pour la plus grande partie en une grenaille fine & raboteuse. On la lave pour en séparer la craie qui peut y adhérer, & on la frotte bien dans l'eau avec les mains, afin qu'il n'y en reste point du tout, car elle est réfractaire & ne manqueroit pas de nuire à la scorification des essais ; on la seche bien, ensuite de quoi on la passe à-travers un tamis de crin qui la donne assez uniformément grosse comme de la graine de navette, ou, ce qui seroit encore mieux, comme de la graine de pavot, si la granulation l'avoit faite de cette finesse. On la garde pour l'usage dans un vase propre & qu'on bouche bien. Voyez ESSAI, AFFINAGE, GRAIN DE FIN, RAFFINAGE, SEEESEE.

Le plus grossier se refond avec d'autre plomb & un peu de suif ou de graisse qu'on y fait brûler pour rendre le phlogistique à la partie calcinée ; on lui donne le degré de chaleur nécessaire, & on le jette dans la boîte pour le granuler ; on continue de la sorte tant qu'il en est besoin : vers la fin il en reste qu'il est presque impossible de grenailler ; on le lave de sa craie, & on le garde pour les essais qui sont plus en grand.

Si l'on verse le plomb fondu dans un mortier ou un chauderon de fer, & qu'on l'agite rapidement avec une cuilliere de fer jusqu'à-ce qu'il reprenne sa solidité, les secousses qu'on lui donne lui font perdre sa continuité. Cette méthode, quoique plus difficile, est préférable à la précédente, parce qu'elle donne du plomb granulé plus clair & plus net, n'étant mêlé d'aucune matiere hétérogene : il est vrai qu'il reste beaucoup plus de grenaille grossiere, que par la premiere, mais on la sépare aisément avec le tamis de crin.

De-là il s'ensuit qu'une boîte de taule vaut beaucoup mieux qu'une de bois, & que si l'on employe celle-ci, il est mieux de l'enduire avec la cire qu'avec la craie. Il est encore bon d'avertir que si on employe un mortier ou un chauderon de fer, faute de boîte de taule ou de bois enduite de cire, il faut les chauffer presque au ton de la chaleur du plomb ; sans quoi il se fige sur le champ qu'il y est versé, à-moins qu'il n'y en ait une grande quantité, & encore ce qui touche le fond se prend-il en une masse : ainsi quand on en a peu, il faut l'agiter dans la cuilliere où il a été fondu.

Au reste il n'est pas besoin de tant d'appareil pour granuler l'étain, on y réussit très-bien & très-commodément en le versant dans une de ces petites boîtes legeres de sapin dont on se sert pour mettre des pilules ; il se grenaille encore plus aisément que le plomb, & il n'est pas nécessaire de mettre à la boîte un enduit ou un défensif contre la chaleur ; l'étain se tient en bain à un degré de chaleur encore inférieur à celui du plomb.

D'autres artistes ont encore une autre méthode pour granuler ; ils prennent une pelle de bois d'aune, peu creuse, dont il ne reste du manche qu'une longueur de quatre ou cinq pouces, pour servir de poignée ; ils la frottent, comme nous l'avons dit du granulatoire sec, & y versent leur plomb ; d'abord ils remuent la pelle horisontalement pour le faire rouler circulairement, en tenant la pelle avec les deux mains, selon sa longueur ; puis quand ils le voyent au point de la granulation, ils le secouent comme on vanne le blé, & le font sauter le plus haut qu'il est possible, afin que les parties se desunissent en se brisant par des chûtes répétées.

On roule d'abord le plomb dans la pelle, pour attendre le point de la granulation ; il ne seroit pas convenable de l'y mettre à ce point, car on ne réussiroit jamais, par la raison qu'il se refroidiroit par le contact de l'air & de la pelle ; ainsi ce n'est point, comme on pourroit le penser, pour lui faire prendre la craie, ce n'est pas dans le dessein de desunir les parties du plomb qu'on l'employe, quoiqu'elle puisse bien y contribuer, mais pour empêcher le bois de se brûler & le plomb de s'y attacher.

Nous avons donné le dernier rang à cette méthode, parce qu'en effet c'est la plus incommode de toutes celles qu'on peut prendre : pour y avoir recours, il faudroit vouloir se donner beaucoup de peine pour réussir mal & risquer encore de se brûler, quelque adroit qu'on fût : nous n'avions garde de l'oublier, parce qu'elle existe, & que nous ne voulons omettre rien de ce qui peut satisfaire les différens goûts, pour peu que cela paroisse susceptible d'exécution.

Pour comprendre comment la granulation se fait, il faut savoir qu'il y a certains métaux & demi-métaux, qui étant près d'entrer en fusion ou de redevenir solides quand ils sont fondus, sont très-fragiles & ressemblent alors à un sable mouillé ; tels sont le plomb, l'étain, le laiton, le zinc, & le bismuth ; on frotte encore de craie les parois du vaisseau de bois pour en rendre la surface plus solide & plus unie, afin qu'elles puissent opposer plus de résistance au choc qu'elles reçoivent ; avantage qu'on retire également de la cire : ainsi on en doit préférer l'emploi à celui de la craie. Quand on balotte le plomb fondu de la maniere que nous l'avons exposé, & qu'on lui fait heurter les parois du vaisseau, comme il est près de reprendre sa solidité, & qu'il est pour lors très-fragile, il se divise en des grains très-fins, résultat qu'on ne peut guere obtenir que par cette méthode, ou du-moins qui la rend préférable à la voie humide. C'est dans un vase de fer qu'on doit granuler le zinc & les autres matieres qui ne se fondent que difficilement ; mais un vase de cette matiere vaut encore mieux pour le plomb qu'un de bois, comme nous l'avons déjà dit.

Nous avons fixé le degré de chaleur qu'exige le plomb au point que nous avons assigné, parce que plus bas il se congeleroit avant le tems ; plus haut, & si l'on donnoit le feu trop fort au commencement, sa surface se couvriroit d'une pellicule à laquelle une autre succéderoit toûjours, quelle quantité qu'on en retirât ; ensorte que comme il ne seroit pas possible d'épuiser tout-à-fait de ces pellicules ou chaux le plomb qu'on soûmettroit à la granulation, elles se trouveroient mêlées avec lui par l'agitation, & troubleroient l'opération, parce qu'elles sont tenaces & par-là capables de s'attacher au vaisseau qu'elles brûleroient : mais on prévient cet inconvénient par le phlogistique qui est fourni par le petit bâton de coudrier & le suif, ou la graisse que nous avons dit de jetter sur le bain.

Mais si la granulation se fait aisément par la voie seche sur les métaux fragiles quand ils sont près de se figer, il n'en est pas de même de ceux qui sont d'autant plus tenaces & pultacées qu'ils sont plus près de leur fusion, tels que l'or, l'argent, &c. & qu'il faut par conséquent avoir recours à la granulation humide que nous avons exposée d'abord. Voyez Cramer, Boizard, & Schlutter. Article de M. DE VILLIERS.


GRENATS. m. (Hist. nat. Minéralogie) pierre précieuse d'un rouge foncé, comme celui du gros vin, dont le nom semble dérivé des grains qui se trouvent dans la grenade. La couleur rouge des grenats varie ainsi que leurs dégrés de transparence : ce qui fait qu'on en compte ordinairement de trois especes ; la premiere, est d'un rouge clair & vif, comme celui des grains d'une grenade ; la seconde, est d'un rouge tirant sur le jaune, qui approche de celui de la pierre nommée hyacinthe ; la troisieme est d'un rouge qui tire sur le violet ou sur le gros bleu. Les grenats de cette derniere espece sont regardés comme les plus parfaits. Les Italiens les nomment rubini di rocca, rubis de roche ; on les nomme aussi quelquefois grenats syriens.

Les grenats varient aussi pour la grandeur. En effet il s'en trouve depuis la grosseur de la tête d'une épingle, jusqu'à un pouce de diametre. Boetius de Boot dit en avoir vû de la grosseur d'un oeuf de poule ; ceux qui ont cette taille sont très-rares, & d'un prix très-considérable ; il y a lieu de croire que c'est à des grenats d'une grandeur extraordinaire que l'on a donné le nom d'escarboucles.

Quant à la dureté, M. Wallerius ne donne aux grenats que la huitieme place parmi les pierres précieuses. Le même auteur en fait sept especes, eu égard à leurs figures. Il y en a qui sont en rhomboïdes, quadrangulaires ; d'autres sont octahedres, ou à huit facettes ou côtés ; d'autres sont dodécahedres, ou à douze côtés ; d'autres de quatorze, d'autres de vingt côtés ; d'autres enfin n'affectent aucune figure déterminée. Les grenats se trouvent dans des matrices de différentes natures, telles que l'ardoise, la pierre à-chaux, le grès, dans des pierres talqueuses, &c. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I. page 223.

La couleur du grenat paroît venir d'une portion de fer ; quelques auteurs ont crû qu'elle venoit de l'or & de l'étain ; ils se sont apparemment fondés sur ce que la dissolution de l'or précipitée par l'étain, donne une couleur rouge ou pourpre très-vive ; il seroit assez difficile de vérifier ce fait à cause de la petitesse du produit que pourroit donner l'analyse qu'on en feroit ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'on peut contrefaire les grenats ainsi que les rubis, au moyen de ce précipité, qu'on appelle pourpre minéral, en le mêlant avec de la fritte, ou matiere dont on fait le verre.

Le grenat lorsqu'il est parfait, ne differe du rubis que par sa dureté, qui est beaucoup moindre.

Quelques auteurs prétendent que les grenats entrent en fusion dans le feu, sans cependant rien perdre de leur couleur, mais M. Pott dit avoir fait entrer en fusion sans addition, des grenats, tant orientaux que de Boheme, en employant un feu très-violent. Cette opération lui a produit une masse brune foncée, & quelquefois tirant sur le noir. Ce célebre chimiste remarque que ces pierres en fondant, conservent & augmentent même leur dureté ; mais par malheur qu'elles ne conservent pas leur transparence ni leur couleur rouge : sans cela il seroit facile de fondre ensemble de petits grenats, comme de petites hyacinthes, pour en faire une grosse pierre. La couleur noire prouve que les grenats contiennent une portion de fer ; c'est aussi ce qui contribue à leur fusibilité. Voyez la Litogéognosie, t. I. pp. 157 & 158.

Les Joüailliers distinguent les grenats en orientaux & en occidentaux ; les premiers viennent des Indes, & sur-tout des royaumes de Calicut, de Cananor, de Cambaye, d'Ethiopie, &c. Il s'en trouve aussi en Europe, en Espagne, en Boheme, en Silésie, en Hongrie. On dit que les grenats d'orient se trouvent ordinairement détachés & répandus dans la terre de certaines montagnes, & dans le sable de quelques rivieres, mais que ceux d'Europe sont ordinairement placés en grand nombre dans une espece de roche talqueuse assez tendre. Voyez le supplément du dictionnaire de Chambers.

Boetius de Boot, dans son traité de gemmarum & lapidum historiâ, pag. 152 & suiv. donne aux grenats de Boheme la préférence sur tous les autres, même sur ceux de l'orient, à cause de leur pureté & de la vivacité de leur couleur, qui, selon lui, résiste au feu, & qu'ils conservent même après y avoir été exposés pendant plusieurs mois. Mais l'experience de M. Pott prouve qu'il se trompe ; & il faut que le feu auquel ces grenats avoient été exposés, n'eût pas été assez vif. Le même Boetius de Boot dit qu'en Boheme les gens de la campagne trouvent les grenats en morceaux gros comme des pois répandus dans la terre, sans être attachés à aucune matrice ; ils sont noirs à la surface, & l'on ne peut reconnoître leur couleur qu'en les plaçant entre l'oeil & la lumiere. Il paroît que ceux qu'on trouve ainsi isolés, ont été détachés de leurs matrices par la violence des eaux qui les ont portés dans les endroits où on les trouve. Les grenats de Silésie sont ordinairement d'une qualité très-médiocre. (-)

GRENAT, (Pharmacie, & Mat. med.) Le grenat est un des cinq fragmens précieux ; voyez FRAGMENS PRECIEUX.


GRENELERv. act. (Art méch.) c'est pratiquer à des grains la surface d'un corps ; on dit aussi grainer & grener.


GRENERv. n. (Economie rustiq.) c'est monter en graine. Voyez l'article GRAINE.


GRENETERv. act. (Gainier) fer à greneter, outil de gainier ; c'est un fer emmanché comme une lime, dont l'extrémité est terminée par une tête arrondie sphériquement, & qui est remplie de petits trous propres à former des grains semblables à ceux de la peau de requin. On fait chauffer ce fer, & on l'applique fortement sur les endroits où le grain a manqué, ou sur les points des pieces de requin, afin de rétablir la continuité des grains, & cacher la jonction des deux morceaux. Voyez la figure dans la Planche du Gainier.


GRENETIS. m. (Monnoie) petit cordon qui regne autour des monnoies & des médailles. Il est en forme de grains ou de points ; on l'appelle aussi le chapelet. Il termine & enferme la légende. On donne aussi le nom de greneti au poinçon qui sert à frapper ces points. Ce poinçon est bien acéré & bien trempé. Il est encore à l'usage des Ciseleurs & des Graveurs, tant en relief qu'en creux. Voyez nos planches de Gravure.


GRENETIERS. m. (Jurisprud.) c'est un officier royal préposé à un grenier à sel, sur lequel il a inspection pour recevoir le sel que l'on envoye dans ce grenier, juger de la bonté de ce sel, de la quantité qu'il en faut pour les paroisses qui sont dans l'arrondissement de ce grenier, & d'en faire la distribution à ceux auxquels il est destiné. C'est aussi un des officiers qui exercent la jurisdiction établie pour ce grenier à sel, où ils jugent en premiere instance, & même dans certains cas en dernier ressort, les différends qui surviennent par rapport au transport, distribution, & débit du sel.

Philippe de Valois ayant établi le 20 Mars 1342 des greniers ou gabelles de sel, nomma trois maîtres des requêtes clercs, & quatre autres personnes pour être maîtres, souverains commissaires-conducteurs & exécuteurs des greniers & gabelles ; leur donnant pouvoir d'établir dans tous les endroits du royaume où ils jugeroient à-propos, des commissaires, grenetiers, gabelliers, clercs, & autres officiers ; de leur faire donner des gages convenables, & de les destituer à leur volonté. Ainsi les grenetiers sont aussi anciens que les greniers à sel.

Ce même prince, par une ordonnance du 29 Mars 1346 touchant le fait des eaux & forêts, dit, article 89 : " si nos grenetiers ont besoin de bois pour la réparation de nos châteaux, ils ne le pourront prendre dans nos forêts, fors que par la main desdits maîtres ". Il sembleroit par-là que les grenetiers fussent alors chargés de la réparation des maisons royales, ce qui paroît pourtant bien étrange à leur fonction. Mais on soupçonne qu'au lieu de grenetiers, il pouvoit y avoir gruyers ; ce qui est d'autant plus probable, que cette ordonnance supprime les gruyers, & leur ôte tout pouvoir sur les bois.

Une instruction faite en 1360 par le grand-conseil du roi, sur la maniere de lever l'aide ordonnée pour la délivrance du roi Jean, porte que le grenetier commis à chaque grenier à sel payeroit aux marchands le sel qui se trouveroit dans le lieu, & qu'il le revendroit au profit du roi, le quint denier de plus ; on voit par-là que les grenetiers faisoient alors l'office de receveurs des gabelles. Dans la suite ces deux fonctions furent séparées ; on ne laissa au grenetier que l'inspection sur le grenier à sel, & la jurisdiction.

Les grenetiers furent compris dans la défense que Charles V. fit le 13 Novembre 1372 à certains officiers de se mêler d'aucun fait de marchandise.

Le 6 Décembre suivant il leur ordonna de remettre tous les mois le produit de leurs greniers au receveur du diocèse où leur grenier étoit établi.

Les généraux des aides avoient le pouvoir de les nommer, & à l'exclusion de tous autres juges, celui de les punir, s'ils commettoient quelque malversation dans l'exercice de leurs fonctions ; on envoyoit quelquefois dans les provinces des réformateurs pour punir ceux d'entre ces officiers & autres préposés à la levée des aides qui avoient malversé.

L'ordonnance de Charles VI. du premier Mars 1388, autorise les thrésoriers de France à voir les états des grenetiers, receveurs, & vicomtes des aides avant la reddition de leurs comptes, toutes les fois que bon leur semblera, & lorsqu'ils étoient mandés à la chambre pour aller compter, s'ils ne s'y rendoient pas au jour qui leur étoit assigné, ils étoient sujets à l'amende pour cause de leur desobéissance, suivant une autre ordonnance de la même année.

Il fut aussi enjoint dans le même tems aux grenetiers d'exercer leur office en personne, & non par des lieutenans.

On leur donna des contrôleurs pour tenir un double registre de leur recette & dépense.

On ne voit point rien jusque-là qui fasse mention que les grenetiers fissent des actes de jurisdiction. Il y a néanmoins apparence qu'ils en avoient déjà quelqu'un. En effet, dans une instruction donnée par Charles VI. au mois de Juillet 1388, il est dit que si quelqu'officier des aides est battu ou injurié, information en sera faite par les élus ou grenetiers, ou par celui ou ceux qu'ils y commettront ; que ceux qui seront trouvés coupables, seront punis ; que si pour ce faire les élus ou grenetiers, ou leurs commis ont besoin de conseil ou de force, ils appelleront les baillis & juges du pays, & le peuple, si besoin est, & que de tels cas les élus & grenetiers auront la connoissance, punition, ou correction ; ou que si bon leur semble, ils la renvoyeront à Paris devant les généraux des aides, lesquels pourront les évoquer, & prendre connoissance, quand même les élus & grenetiers ne la leur auroient pas renvoyée.

Il est encore dit que toutes manieres de gens menans & conduisans sel non gabellé, à port d'armes ou autrement, seroient par les grenetiers & contrôleurs, & par toutes justices où ils viendroient & passeroient, pris & punis de corps & de biens, selon que le cas le requerroit ; que si les grenetiers, contrôleurs, ou autres gens de justice demandoient aide pour le roi, chacun seroit tenu de leur aider, sur peine d'amende arbitraire.

Les anciennes ordonnances concernant la jurisdiction des grenetiers & contrôleurs, furent renouvellées par celle de Louis XII. du 24 Juin 1500, qui leur attribue la connoissance de toutes causes, querelles, débats, rébellions, injures, outrages, battures, meurtres, exactions, concussions, fraudes, fautes, & de tous excès, crimes, délits, maléfices, faussetés, procès, & matieres procédant du fait des gabelles, quart de sel, fournissement des greniers à sel, circonstances & dépendances en premiere instance, jusqu'à condamnation & exécution corporelle, sauf l'appel aux généraux des aides, appellés depuis cour des aides.

Les commissions de grenetier & de contrôleur surent érigées par François I. en titre d'office ; & le sel devenant par la suite un objet de plus en plus important pour la finance qui en revient au roi, Henri II. créa des grenetiers & contrôleurs alternatifs, afin que pendant que les uns seroient en exercice pour la distribution & vente du sel, & pour rendre la justice, les autres fissent la recherche dans les paroisses de l'étendue de leur grenier.

Ces grenetiers & contrôleurs alternatifs furent depuis supprimés en 1555, & rétablis en 1572. En 1615 on en créa de triennaux, pour exercer avec l'ancien & l'alternatif, chacun de trois années l'une. Il y a eu depuis différentes suppressions & réunions de ces grenetiers alternatifs & triennaux.

Anciennement le grenetier étoit le premier officier du grenier à sel ; mais depuis la création des présidens, dont l'époque est de 1629, il n'est plus que le second officier du tribunal. Voyez Chenu, des offices de France, tit. de la gabelle, & aux mots GABELLES, GRENIER A SEL, & SEL. (A)


GRENIERS. m. (Econom. rustiq.) Il y a le grenier à blé, & c'est celui où l'on serre le grain ou le blé après qu'il est battu ; il y a le grenier à foin, c'est celui où l'on serre le foin. Le grenier est aussi le réceptacle de beaucoup d'autres provisions, sur-tout de celles qui veulent être gardées seches, de même que la cave est le réceptacle de celles qui ne craignent point l'humidité, ou qui la demandent. Les caves sont les lieux les plus bas des maisons, & les greniers en sont les lieux les plus hauts : le grenier est immédiatement sous la couverture.

On conseille de donner aux greniers l'exposition du nord, autant que le terrein & le bâtiment peuvent le permettre, parce que cette exposition est la plus froide ou la plus tempérée dans les chaleurs.

On a observé que les meilleurs greniers sont bâtis de brique, dans laquelle on ajuste en-dedans des soliveaux pour y cloüer des planches dont les côtés intérieurs du mur doivent être revêtus de maniere que la brique soit assez exactement bouchée pour que la vermine ne puisse s'y cacher. On peut y pratiquer plusieurs étages les uns sur les autres, qui n'ayent que fort peu d'élévation, parce que plus le blé est couché bas, moins on a de peine à le remuer.

Quelques-uns ont pratiqué deux greniers l'un sur l'autre, & ont rempli de blé celui d'en-haut, en faisant un petit trou au milieu du plancher pour faire tomber le grain dans celui d'en-bas, comme le sable tombe dans une sabliere : quand tout le blé se trouve dans le grenier d'en-bas, on le reporte dans celui d'enhaut, & par ce moyen on donne au blé un mouvement perpétuel qui le garantit de la corruption.

On empêche le blé de s'échauffer, en faisant partout des trous quarrés dans les murs du grenier, & en y faisant passer des tuyaux de bois pour donner du jour & de l'air.

GRENIER PUBLIC, (Hist. rom.). Les greniers publics de Rome destinés à serrer les blés, composoient de vastes bâtimens dont l'intérieur formoit une grande cour environnée de portiques à colonnades ; c'étoit dans ces vastes bâtimens que l'on gardoit des provisions de blé pour plusieurs années, afin d'entretenir l'abondance, & de ne se point ressentir dans la capitale des tems de stérilité ; on en taxoit le prix d'après lequel on le vendoit aux particuliers ; les tributs que quelques provinces de l'empire payoient en blé, servoient à remplir ces greniers : l'on y prenoit celui qu'on donnoit tous les mois aux citoyens inscrits sur les rôles des distributions gratuites. (D.J.)

GRENIER A SEL, (Commerce) c'est un magasin ou dépôt où l'on conserve les sels de la ferme des gabelles. Voyez GABELLE.

Grenier à sel se dit encore de la jurisdiction où se jugent en premiere instance les contraventions sur le fait du sel ; les officiers aux greniers à sel en connoissent définitivement au-dessous d'un quart de minot ; au-dessus elles peuvent être portées par appel à la cour des aides.

Cette jurisdiction est composée de présidens, de lieutenans, de grenetiers, de contrôleurs, d'avocats & procureurs du roi, de greffiers, d'huissiers, & de sergens. Toutes ces charges sont doubles dans le grenier à sel de Paris, & les officiers servent alternativement d'année en année, à l'exception des avocats du roi & du premier huissier, qui sont toûjours de service ; pour les greffiers, ils ne servent que de trois années l'une. Il y a encore à Paris, outre ces officiers, un garde-contrôleur des mesures, un vérificateur des rôles, un capitaine, un lieutenant, & treize gardes. Les greniers à sel départis dans les provinces ont les mêmes officiers, mais seulement un de chaque rang.

Les directions pour les greniers à sel du royaume sont au nombre de dix-sept, savoir :

Ces dix-sept directions contiennent deux cent quarante-quatre greniers à sel, & trente-six dépôts & contrôles.

La direction de Paris a vingt-sept greniers à sel.

Tous ces greniers sont régis en chef par les fermiers généraux, qui ont sous eux les directeurs, les receveurs, & les contrôleurs des dix-sept directions générales, & sous ceux-ci sont d'autres directeurs, contrôleurs, & receveurs particuliers, qui sont chargés du détail de chaque dépôt & grenier à sel.

Les autres commis & officiers subalternes, sont les capitaines, leurs lieutenans, & les archers des gabelles, départis en grand nombre dans tous les greniers à sel, & particulierement sur les passages des provinces où l'on craint le reversement & commerce du faux sel ; les jurés mesureurs de sel, & les porteurs de sel, les uns & les autres pourvûs en titre d'office ; les manouvriers, les magasiniers, comme remueurs, briseurs, & enfin les voituriers par eau ou par terre, qui sont tous entretenus aux dépens de la ferme. Dictionn. de Commerce. (G)

GRENIER, (Marine, ou Architecture navale) ce sont des planches qu'on met au fond de cale & aux côtés jusqu'aux fleurs, quand on veut charger en grenier ; ces planches servent à conserver les marchandises.

On dit charger en grenier, quand ce sont des marchandises qu'on met au fond de cale sans les emballer, comme du sel, du blé, des légumes, &c. (Z)


GRENOBLEGratianopolis, (Geogr.) ancienne ville de France, capitale du Dauphiné, avec un évêché suffragant de Vienne, & un parlement érigé en 1493 par Louis XI. qui n'étoit encore que dauphin ; mais son pere ratifia cette érection deux ans après.

Grenoble est sur l'Isere, à onze lieues S. O. de Chambéri, quarante-deux N. O. de Turin, seize S. E. de Vienne, cent vingt-quatre S. O. de Paris. Long. suivant Harris, 23d. 31'. 15". suivant Cassini, 23d. 14'. 15". latit. 45d. 11'.

Cette ville reçut le nom de Gratianopolis de l'empereur Gratien fils de Valentinien I. car elle s'appelloit auparavant Cularo ; & c'est sous ce nom qu'il en est parlé dans une lettre de Plancus à Cicéron, epist. xxiij. Long-tems après, les Romains l'érigerent en cité : dans le cinquieme siecle, elle fut assujettie par les Bourguignons, & dans le sixieme par les François Mérovingiens ; ensuite elle a obéi à Lothaire, à Boson, à Charles le Gros, à Louis l'Aveugle, à Rodolphe II. à Conrad & à Rodolphe le lâche, ses fils, qui lui donnerent de grands priviléges.

On met au nombre des jurisconsultes dont Grenoble est la patrie, Pape (Guy), qui mourut en 1487 ; son recueil de décisions des plus belles questions de droit, n'est pas encore tombé dans l'oubli.

M. de Bouchenu de Valbonnais, (Jean Pierre Moret) premier président du parlement de Grenoble, né dans cette ville le 23 Juin 1651, mérite le titre du plus savant historiographe de son pays, par la belle histoire du Dauphiné, qu'il a publiée en trois vol. in-fol. il est mort en 1730, âgé de 79 ans. Il voyagea dans sa jeunesse, & se trouva sur la flotte d'Angleterre à la bataille de Solbaye, la plus furieuse qu'eût encore vû Ruyter, & où l'on s'attribua l'avantage de part & d'autre. (D.J.)


GRENOIRS. m. (Art milit.) instrument dont on se sert pour mettre la poudre à canon en grain. Voy. l'article POUDRE A CANON, & l'article SALPETRE.


GRENOUILLErana, s. f. animal qui a quatre piés, qui respire par des poumons, qui n'a qu'un ventricule dans le coeur, & qui est ovipare. On distingue deux sortes de grenouilles ; les unes restent ordinairement dans l'eau & sont appellées grenouilles aquatiques ; les autres se trouvent sur les feuilles des arbrisseaux & même des arbres : on leur donne le nom de rainettes. Voyez RAINETTE.

La grenouille a quatre doigts aux piés de devant, & cinq à ceux de derriere, avec des nageoires. Les jambes de derriere sont plus longues & plus fortes que celles de devant. Cet animal a la tête grosse, le cou large & court, le bout du museau mince, les yeux gros, & la bouche grande. La peau est inégale & tuberculeuse dans quelques endroits. Les unes sont vertes, les autres brunes ou jaunâtres ; le ventre est blanc & tacheté de noir. La grenouille est amphibie : elle n'a pas besoin de prendre l'air souvent ; car on en a retenu sous l'eau qui y sont restées vivantes pendant quelques jours, cependant elles s'élevent à la superficie de l'eau pour respirer, & elles en sortent pour s'exposer au soleil. Cet animal a la vie très-dure, si c'est vivre que de s'agiter & de sauter pendant quelque tems après qu'on lui a ouvert la poitrine & le ventre, & qu'on en a arraché le coeur & tous les autres visceres. La chair de ces animaux est assez bonne à manger ; pour cela on les écorche, & on ne prend que la partie postérieure du corps avec les cuisses. Les grenouilles ont deux cris différens : l'un est le croassement que l'on entend dans le tems de pluie & dans les jours chauds aux heures où l'ardeur du soleil ne se fait pas sentir ; l'autre cri est nommé par les Grecs & les Latins, ololo, parce que la prononciation de ce mot imite le cri dont il s'agit : comme il est propre aux mâles, les anciens les ont appellés ololyzontes. C'est au printems qu'ils crient ainsi en cherchant les femelles pour s'accoupler ; ce qui se fait d'une maniere très-singuliere, de même que la naissance, l'accroissement, & les transformations des grenouilles. Rondelet, hist. anim. palustr. cap. j. Rai, synop. method. anim. quad. p. 245 & sequent.

Au mois de Mars les mâles font leur cri & courent après les femelles ; dès que l'un des mâles en peut joindre une, il se jette sur son dos en l'assaillant par derriere, & la saisit à l'endroit de la poitrine, de sorte que les jambes de devant des mâles, passent de chaque côté derriere celles de la femelle, & se rejoignent sur le devant de sa poitrine. Le mâle se fixe dans cette situation, en entre-mêlant les doigts de l'un des pieds de devant avec ceux de l'autre, pour avoir un point d'appui qui l'empêche de glisser ; il serre si étroitement la femelle, qu'il n'est presque pas possible de l'en séparer sans lui casser les bras : aussi quelque mouvement que la femelle puisse faire, quelque part qu'elle aille, le mâle reste inébranlable dans la même situation, avec une constance surprenante ; car cet embrassement dure jusqu'à quarante jours consécutifs, selon que la saison est plus ou moins chaude.

Les oeufs de la femelle se détachent de l'ovaire qui est placé sur la matrice, se répandent dans l'abdomen, & entrent ensuite dans les trompes de la matrice. Chaque trompe est pelotonnée ; mais lorsqu'elle est étendue, elle a jusqu'à deux piés de longueur ; les oeufs parcourent cet espace & arrivent dans la matrice : lorsqu'ils y sont tous rassemblés, la femelle les pousse au-dehors par l'anus, car la matrice y aboutit, alors le mâle l'aide en la serrant plus fortement entre ses bras, & il répand sur les oeufs tandis qu'ils sortent, une liqueur prolifique qui coule de l'anus. Le mâle a des testicules placés près des reins, des vésicules séminales, & des canaux déférens qui aboutissent au rectum. Les oeufs que rend une grenouille sont au nombre d'environ onze mille, ils tombent tous à-la-fois au fond de l'eau, s'ils ne sont retenus par des herbes ou d'autres corps qu'ils rencontrent. Dès que la ponte est faite, le mâle quitte la femelle.

Comme les grenouilles n'ont aucune des parties de la génération placées à l'extérieur, il est assez difficile de distinguer leur sexe ; cependant on peut reconnoître le mâle par deux caracteres ; l'un consiste en deux vésicules qui sont situées derriere les yeux, une de chaque côté, & qui se dilatent ou se contractent lorsque l'air y entre ou en sort ; l'autre caractere se trouve sur le pouce des piés de devant, qui est fort épais, quelquefois très-noir & hérissé de plusieurs papilles assez semblables à celles qui sont sur la langue des boeufs : ces papilles se trouvent dirigées contre la poitrine de la femelle, dans le tems que le mâle la tient étroitement embrassée.

Chaque oeuf de grenouille est composé d'un petit globule noir qui est posé au centre & entouré d'un mucilage blanchâtre & visqueux ; le globule noir est le foetus dans ses enveloppes, & la liqueur épaisse qui l'environne fait sa nourriture. Lorsque le paquet d'oeufs est tombé au fond de l'eau, chaque oeuf se renfle, & quelques jours après ils s'élevent tous & nagent dans l'eau. Le quatrieme jour après la ponte, l'oeuf a déjà pris assez d'accroissement pour que l'on puisse voir très-distinctement le foetus avec ses enveloppes au milieu & la matiere mucilagineuse qui les environne ; au sixieme jour, le foetus sort de ses enveloppes & du mucilage qui est autour, alors il nage & il paroît à découvert sous la forme de tétard. Le mucilage s'est en partie dissous chaque jour jusqu'à ce tems, de sorte qu'il se trouve, pour ainsi dire, raréfié dans un plus grand volume, & qu'il ressemble dans cet état à un nuage ; le tétard y rentre de tems-en-tems pour y prendre de la nourriture & pour s'y reposer, lorsqu'il s'est fatigué en nageant, car ce nuage le soûtient sans qu'il fasse aucun effort.

Le tétard au sortir de ces enveloppes, semble n'être composé que d'une tête & d'une queue, mais la partie ronde que l'on prend pour la tête, contient aussi la poitrine & le ventre : dans la suite, les jambes de derriere commencent à paroître au-dehors ; mais celles de devant sont cachées sous la peau qui recouvre tout le corps, même les jambes de derriere : enfin il se dépouille de cette peau ; alors ses quatre jambes sont à découvert, il prend la forme de grenouille, & il ne lui reste de celle de tétard que la queue qui se desseche peu-à-peu & s'oblitere en entier : lorsqu'elle a disparu & que la transformation du tétard en grenouille est parachevée, la grenouille n'est pas encore en état de se reproduire, ce n'est qu'après deux ou trois ans qu'elle est propre à la génération, au contraire des insectes, qui s'accouplent dès qu'ils ont subi leur derniere métamorphose. Swammerdam, biblia naturae, p. 789 & sequent. (I)

GRENOUILLE, (Diete & Mat. méd.) les grenouilles sont très-rarement employées en Médecine, dit Juncker, conspectus Therapeiae gener. quoique plusieurs ayent recommandé de les appliquer vivantes sur la tête contre le délire qui accompagne les fievres malignes, ou sur la langue pour prévenir les angines. Le foie de grenouille est recommandé depuis longtems, dit le même auteur, pour calmer les mouvemens épileptiques ; & il avance que l'expérience est favorable à ce remede, pourvû, dit-il, qu'on l'employe assez récent, & après avoir fait précéder les remedes généraux. La grenouille séchée, tenue dans la main, arrête quelquefois l'hémorrhagie des narines dans les sujets très-sensibles : c'est encore Juncker qui rapporte cette vertu.

Cet auteur n'a pas seulement soupçonné qu'il y eût un pays au monde où l'on donnât des bouillons de grenouille à titre de remede dans la plûpart des maladies chroniques, & sur-tout dans les maladies de poitrine. Voyez l'article ÉCREVISSE, & l'article NOURRISSANT.

On retire par la distillation du frai de grenouille, une eau qui a été très-vantée comme cosmétique, comme excellente contre la brûlure, les érésypeles, la goutte, la douleur de tête, &c. employée extérieurement ; Sydenham la fait entrer dans les gargarismes contre les angines.

Les grenouilles entrent dans un emplâtre très-composé & fort usité, auquel elles donnent leur nom, mais qui est plus connu encore sous le nom d'emplâtre de Vigo. Voyez VIGO (emplâtre de).

On fait avec les cuisses de grenouille différens ragoûts que les personnes les plus délicates peuvent manger sans inconvénient, malgré l'épithete de chair glaireuse qu'on leur a donnée, mais aussi dont les sujets qui sont accusés d'avoir les humeurs acres ne doivent pas se promettre plus de bien que des bouillons de grenouille auxquels nous ne croyons guere, comme nous l'avons déjà insinué. (b)

GRENOUILLE, (Imprimerie) c'est en général une espece de vase de fer rond ou quarré, plus ou moins grand, au fond duquel est enchâssé un grain d'acier sur lequel tourne le pivot ou extrémité d'un arbre, d'une vis, &c. La grenouille de la presse d'Imprimerie a sept à huit pouces de diametre sur environ un pouce & demi de haut : en-dessous est une sorte de pié ou d'allongement quarré de dix à douze lignes de long sur environ trois pouces de diametre, qui s'emboîte dans le milieu du sommet de la platine, si elle est de cuivre, ou dans le milieu du sommet de la crapaudine, quand la platine est de fer. Voyez CRAPAUDINE.


GRENOUILLETTES. f. terme de Chirurgie, tumeur qui se forme sous la langue par l'amas de la salive dans ses reservoirs. Tous ceux qui ont parlé de cette maladie avant la découverte des organes qui servent à la secrétion de la salive, n'ont pû avoir des idées précises sur la nature de cette tumeur : on croit que Celse en parle dans le xij chap. du VII. liv. qui a pour titre, de abscessu sub linguâ. Ambroise Paré dit que la grenouillette est formée de matiere pituiteuse, froide, humide, grosse & visqueuse, tombant du cerveau sur la langue. Fabrice d'Aquapendente met cette tumeur au nombre des enkistées, & ajoûte qu'elle est de la nature du melliceris ; Dionis est aussi de ce sentiment, & il estime que la grenouillette tient un peu de la nature des loupes. Munnick instruit par les découvertes de l'anatomie moderne, ne s'est pas mépris sur la nature de cette maladie ; il dit positivement qu'elle vient d'une salive trop acre & trop épaisse, laquelle ne pouvant sortir par les canaux salivaires inférieurs, s'amasse sous la langue & y produit une tumeur. Une idée si conforme à la raison & à la nature des choses, n'a pas été suivie par M. Heister ; il a emprunté d'Aquapendente tout ce qu'il dit sur la grenouillette ; & M. Col de Villars, medecin de Paris, dans son cours de Chirurgie, dicté aux écoles de Medecine, dit que la ranule est causée par le séjour & l'épaississement de la lymphe qui s'accumule sous la membrane dont les veines ranules sont couvertes. Enfin M. de la Faye, dans ses notes sur Dionis, reconnoît deux especes de grenouillette, les unes rondes placées sous la langue, qu'il dit produites par la dilatation du canal excrétoire de la glande sublinguale, les autres sont plus longues que rondes, placées à la partie latérale de la langue, & formées, dit-il, par la dilatation du canal excrétoire de la glande maxillaire inférieure ; il ajoûte que la salive est la cause matérielle de ces tumeurs, par son épaississement & l'atonie du canal. Voilà le précis des diverses opinions qu'on a eues sur la nature & le siége de la grenouillette.

Ce n'est point une maladie rare, il n'y a point de praticien qui n'ait eu occasion de voir un grand nombre de tumeurs de cette espece : quand elles ne sont pas invétérées, la liqueur qui en sort ressemble parfaitement par sa couleur & sa consistance, à du blanc d'oeuf ; la matiere est plus épaisse si elle a séjourné plus long-tems ; elle devient quelquefois plâtreuse, & peut même acquérir une dureté pierreuse. Il sembleroit donc plus naturel de penser que l'épaississement de la salive n'est point la cause de la grenouillette, puisque l'épaississement de cette humeur est l'effet de son séjour. Cette maladie vient de la disposition viciée des solides ; elle dépend de l'oblitération du canal excréteur : en effet on guérit toûjours ces tumeurs sans avoir recours à aucun moyen capable de délayer la salive, & de changer le vice qu'on suppose dans cette humeur ; c'est une maladie purement locale ; l'atonie du canal ne retiendroit pas la salive ; & l'on n'a jamais obtenu la guérison de cette maladie que par le moyen d'un trou fistuleux resté pour l'excrétion de la salive dans un des points de l'ouverture qu'on a faite pour l'évacuation de la matiere renfermée dans la tumeur. J'en ai ouvert plusieurs ; & il est presque toûjours arrivé, lorsque l'incision n'avoit pas assez d'étendue, que les levres de la plaie se réunissoient, & la tumeur se reproduisoit quelque tems après : les anciens ont fait la même observation. C'est la raison pour laquelle Paré préfere le cautere actuel à la lancette, dans ces sortes de cas. Dionis dit aussi qu'il a vû des grenouillettes qui revenoient, parce qu'on s'étoit contenté d'une simple ouverture avec la lancette. Pour prévenir cet inconvénient, il prescrit de tremper dans un mélange de miel rosat & d'esprit de vitriol, un petit linge attaché au bout d'un brin de balai, avec lequel on frottera rudement le dedans du kiste, pour le faire exfolier ou se consumer. Il n'y a point d'auteur qui ne semble regretter que la situation de la tumeur ne permette pas la dissection totale du kiste. Les succès que Fabrice d'Aquapendente a eus en incisant seulement la tumeur dans toute son étendue, ne lui ont point ôté cette prévention ; & M. Heister conseilleroit l'extirpation, si la nature des parties voisines qu'on pourroit blesser, n'y apportoit, dit-il, le plus grand obstacle ; mais si ce prétendu kiste, si cette poche n'est autre chose que la glande même ou son canal excréteur dilaté par la rétention de l'humeur salivaire, on conviendra qu'il seroit dangereux d'irriter le fond de la tumeur, pour en détruire les parois, au défaut de l'extirpation qu'on estime nécessaire, & qu'on est fâché de ne pas trouver possible. Toutes les fois qu'on a fait une assez grande incision qui a permis l'affaissement des levres de la plaie, il n'y a point de récidive : Munnick recommande expressément cette incision ; & Rossius met la petite ouverture qu'on fait dans ce cas, au nombre des fautes principales qu'on peut commettre dans la méthode de traiter cette maladie, & d'où dépend le renouvellement de la tumeur. Il ne faut pas dissimuler qu'il recommande aussi la destruction du kiste : mais pour parvenir à ce but, il ne propose que des remedes astringens & dessicatifs, dont l'effet est borné à donner du ressort aux parties qui ont souffert une trop grande extension, & à les réduire, autant qu'il est possible, à leur état naturel : c'est donc par pure prévention que cet auteur croyoit dissoudre & consumer insensiblement le kiste avec des remedes de cette espece.

Les tumeurs salivaires sont les glandes même, & leurs tuyaux excrétoires dilatés par la matiere de l'excrétion retenue. Ainsi le nom de tumeur enkistée ne convient qu'improprement à la grenouillette, au-moins est-il certain que si l'on appelle ces sortes de dilatations, tumeurs enkistées, elles ne sont pas du genre de celles dont on doive détruire & extirper le kiste ; c'est bien assez de les ouvrir dans toute leur longueur, l'on peut même retrancher les levres de l'incision, dans le cas où ces bords seroient tuméfiés, durs, ou incapables de se rétablir à-peu-près dans l'état naturel, à cause de la grande extension que ces parties auroient soufferte par le volume considérable de la tumeur. J'ai observé que la guérison radicale dépendoit toûjours d'un trou fistuleux qui restoit pour l'excrétion de la salive ; & lorsqu'il se trouve inférieurement derriere les dents incisives, il y a dans certains mouvemens de la langue, une éjaculation de salive très-incommode. On peut prévenir cet inconvénient, puisque pour la guérison parfaite, il suffit de procurer à l'humeur salivaire retenue une issue qui ne puisse pas se consolider ; il semble que la perforation de la tumeur avec le cautere actuel, comme Paré l'avoit proposée, seroit un moyen aussi efficace que l'incision, mais moins douloureux, & préférable en ce que l'on seroit assûré de former l'ouverture de la tumeur pour l'excrétion permanente de la salive, dans la partie la plus éloignée du devant de la bouche, & de mettre les malades à l'abri de l'incommodité de baver continuellement, ou d'éjaculer de la salive sur les personnes à qui ils parlent. (Y)


GRÈSvoyez GRAIS.

GRES, s. m. (Vénerie) ce sont les grosses dents d'en-haut d'un sanglier qui touchent & frayent contre les défenses, & qui semblent les aiguiser ; c'est d'où ce nom est venu.


GRESILS. m. (Verrerie) c'est ainsi qu'on appelle des fragmens de crystal, destinés à être remis en fusion dans les pots. Voyez l'article VERRERIE.


GRESILLERGRÉSER, ou GROISER du verre, en termes de Vitrier, c'est le façonner avec l'outil qu'on nomme un grésoir. Voyez GRESOIR.


GRÉSOIRS. m. terme de Vitrier, est un instrument de fer qui sert à égruger les extrémités d'un carreau de verre. Cet instrument est de fer ; il a à chaque extrémité une entaille, dans laquelle l'ouvrier engage le bord du verre à égriser ; ce qu'il exécute en tenant ferme son outil de la main droite, en tournant le poignet sur lui-même, & faisant glisser de la main gauche le bord du verre dans l'entaille du grésoir, à mesure que le travail avance.


GREVES. f. (Géog.) le mot de Greve signifie une place sablonneuse, un rivage de gros sable & de gravier sur le bord de la mer ou d'une riviere, où l'on peut facilement aborder & décharger les marchandises. On appelle greve en Géographie, un fond de sable que la mer couvre & découvre, soit par ses vagues, soit par son flux & reflux : le mot de greve n'est usité que parmi les équipages des bâtimens de Terre-Neuve. (D.J.)


GREVERv. act. (Jurisp.) signifie charger quelqu'un de quelque condition ; ce terme s'applique, surtout en matiere de substitution & de fidéi-commis ; on dit grever un héritier ou légataire de substitution ou fidéi-commis : le grevant, gravans, est celui qui met la condition ; le grevé, gravatus, est celui qui en est chargé.

On ne peut en général grever personne, qu'en lui faisant quelque avantage ; c'est ce que signifie la maxime, nemo oneratus nisi honoratus. Voyez FIDEICOMMIS & SUBSTITUTION. (A)


GRIBANES. f. (Marine) c'est une espece de barque qui pour l'ordinaire est bâtie à sole, c'est-à-dire sans quille, & qui est du port depuis trente jusqu'à soixante tonneaux. Ce bâtiment porte un grand mât, un mât de misene sans hunier, & un beaupré ; ses vergues sont mises de biais comme celle de l'artimon. On se sert de cette sorte de bâtiment pour transporter des marchandises le long des côtes de Normandie, & sur la riviere de Somme depuis S. Valleri jusqu'à Amiens. (Z)


GRIEFSS. m. pl. (Jurisprud.) signifie tort, préjudice qu'un jugement fait à quelqu'un.

On entend aussi singulierement par griefs, les différens chefs d'appel que l'on propose contre une sentence rendue en procès par écrit ; on distingue le premier, le second grief, &c.

On appelle aussi griefs les écritures qui contiennent les causes & moyens d'appel dans un procès par écrit ; au lieu que sur une appellation verbale appointée au conseil, ces mêmes écritures s'appellent causes & moyens d'appel.

Les griefs sont quelquefois intitulés, hors le procès, parce que c'est une piece qui ne fait pas partie du procès par écrit : mais cette qualification ne convient proprement que quand il y a déjà des griefs qui font partie du procès, comme cela arrive quand il y a déjà eu appel devant un premier juge, & reglé comme procès par écrit, où l'on a fourni des griefs. Lorsqu'il y a encore appel devant le juge supérieur, les griefs que l'on fournit devant lui sont hors le procès ; à la différence des griefs qui ont été fournis devant les premiers juges, lesquels font partie du procès.

L'appellant en procès par écrit fournit donc ses griefs, & l'intimé ses réponses à griefs, auxquelles l'appellant peut répliquer par des écritures qu'on appelle salvations de griefs. (A)


GRIFFADES. f. (Vénerie) c'est la blessure d'une bête onglée.


GRIFFES. f. l'extrémité de la patte d'un animal lorsqu'elle est armée d'ongles crochus & recourbés : on dit la griffe d'un chat & la griffe de quelques oiseaux de proie, mais plus communément la serre de l'oiseau. Griffe se prend aussi quelquefois ou pour un doigt avec son ongle, ou pour l'ongle seul.

GRIFFES, (Commerce) marques en forme de pattes d'oie, que les essayeurs d'étain de la ville de Roüen font aux saumons de ce métal qui viennent d'Angleterre ; ces marques désignent la qualité. L'étain le plus pur n'a point de griffes, il a un agneau pascal ; les autres étains moins fins se marquent à une, deux, ou trois griffes.

GRIFFES de renoncule, (Jardinage) se dit de ses cayeux, & mieux qu'oignons. Ces griffes ont leurs doigts, d'où il sort des fibres, ainsi que du collet ou liaison dans lequel s'articulent les doigts de la griffe. (K)

GRIFFE, en terme de Doreur, c'est une espece de tenailles ou serres montées sur un morceau de bois, qui servent à tenir le bouton pour le brunir à la main.

GRIFFE, terme de Bijoutier & de Metteur en oeuvre, sont de petites épaisseurs de forme conique, prises & réservées sur l'épaisseur des sertissures, dont la tête excédant un peu la sertissure & le feuillet des pierres, repose en s'inclinant sur les faces de ces pierres, & les retient assujetties dans leur oeuvre.

Dans les ouvrages à griffe, ce ne sont que de petites branches soudées aux bâtes sur lesquelles reposent les pierres, & excédantes de beaucoup ces bâtes, qui étant rabattues, embrassent les pierres par-dessus, & les tiennent assujetties ; ces sortes d'ouvrages sont fort peu solides.

Griffe, ouvrage à griffe, ce sont des bijoux en pierreries fausses, dont les pierres reposent simplement sur une bâte, & sont retenues uniquement par des griffes.

* GRIFFE, (Serrurerie) on donne en général ce nom à un grand nombre de pieces de fer, qui sont recourbées, & qui servent à en fixer d'autres dans une situation requise, ou quelquefois à les reprendre, quand elles en sortent, & à les y ramener.


GRIFFENHAGENviritium (Géog.) ville d'Allemagne, dans la Poméranie prussienne, au duché de Stétin, sur l'Oder, à 4 lieues de la ville de Stétin. Long. 38. 45. lat. 53. 17.

Elle ne fut érigée en ville que l'an 1262, après avoir été prise & reprise durant les guerres civiles de l'Empire. Elle a été finalement cédée à l'électeur de Brandebourg par le traité de Saint-Germain-en-Laye en 1679.

Griffenhagen est la patrie d'André Muller, dont les ouvrages montrent la grande érudition qu'il avoit acquise dans les langues orientales & la littérature chinoise ; il mourut en 1694. (D.J.)


GRIFFERv. n. (Vénerie) c'est prendre de la griffe, comme les oiseaux de proie.


GRIFFONou plutôt GRYPHON, s. m. (Myth. & Littérat.) en grec , animal fabuleux qui pardevant ressembloit à l'aigle, & par derriere au lion ; avec des oreilles droites, quatre piés, & une longue queue.

Hérodote, Pomponius Méla, Elien, Solin, & Apulée, semblent avoir crû que cette espece d'animal existoit dans la nature ; car ils nous disent que près les Arismaspes dans les pays du nord, il y avoit des mines d'or gardées par des gryphons, & qu'on en immoloit quelquefois sur les hécatombes ; mais tous les autres écrivains de l'antiquité ne reconnoissoient de gryphons que dans la fable, & les écrits des Poëtes. Quand Virgile, parlant du mariage mal assorti de Mopsus & de Nisa, s'écrie, qu'on joindroit plutôt des gryphons avec des jumens ; il ne veut que peindre la bisarrerie d'une pareille union.

Le gryphon n'étoit dans son origine qu'un hiéroglyphe des Egyptiens, par lequel ils désignoient Osiris, ou si l'on veut, par lequel ils vouloient exprimer l'activité du soleil lorsqu'il est dans la constellation du lion. Les Grecs firent du hiéroglyphe un animal ; la Gravure le représenta, la Poésie le peignit, & les Mythologistes trouverent de belles moralités renfermées dans cette peinture.

Les gryphons furent consacrés à Jupiter, à la déesse Némésis, mais particulierement à Apollon ou au Soleil ; ils sont souvent attelés au char de ce dieu, & Claudien nous le représente visitant ses autels dans un char traîné par des gryphons.

Phoebus adest & fraenis grypha jugalem

Riphaeo, repetens tripodas, detorsit ab axe.

In panegyr. Honorii.

Sidoine Apollinaire lui donne le même équipage ; dans un grand nombre de médailles greques & latines, le gryphon entre avec le trépié, la lyre, & le laurier, dans les symboles qui indiquent le culte d'Apollon.

Les Panormitains, les Abdérites, les Teiens, les Sciotes, & la ville de Smyrne, ont aussi souvent un gryphon sur leurs médailles ; mais pour abréger, les curieux d'érudition sur cette matiere peuvent consulter Spanheim, diss. v. Beger, tom. II. pag. 368. Vossius de idolol. lib. III. cap. xcjx. Bochart, hyérozoic. part. II. lib. II. cap. v. & vj. & enfin Aldrovandus parmi les Naturalistes. Cet animal chimérique entre dans les armoiries. Il y est ordinairement rampant. (D.J.)

GRIFFON, (Tireur d'or) lime plate en-dessous, dentelée par les bords, en forme de peigne dont les Tireurs d'or se servent pour canneler les lingots de cuivre qu'ils veulent argenter, pour en faire du fil-d'argent faux.


GRIGNAN(Géogr.) petite ville de Provence, ou plutôt des annexes de la Provence, avec titre de comté, sur les confins du Dauphiné. Long. 22. 35. lat. 44. 25. (D.J.)


GRIGNONS. m. (Marine) c'est du biscuit qui est par gros morceaux, & non en galettes. (Z)


GRIGRIS. m. (Hist. nat. Bot.) est une des especes de palmiers très-commune dans les îles Coraïbes. L'arbre porte des grappes de petits cocos, de la grosseur d'une balle de pistolet, très-durs à rompre, & renfermant une amande dont on peut faire de l'huile. Article de M. LE ROMAIN.


GRILS. m. (Cuisine, Serrurerie) assemblage de différentes tringles de fer sur un chassis à pié, qui leur sert de soûtien ; cet instrument a une queue pardevant, qui n'est qu'un prolongement du chassis qui soûtient les tringles. On pose le gril sur des charbons ardens, & les viandes sur le gril, pour les faire cuire. Les viandes cuites de cette maniere sont ordinairement très-succulentes, l'ardeur du feu en saisissant brusquement l'extérieur, & ne permettant pas au suc de s'échapper.


GRILLADES. f. (Cuisine) viande cuite sur le gril.

Ce mot se prend aussi pour un mets ou ragoût que l'on fait roussir, en passant dessus un fer rouge. Griller des huitres, c'est les mettre dans de grandes coquilles, les assaisonner de sel, de poivre, de persil, & de fines herbes hachées menu ; les arroser de leur propre liqueur, les parsemer de chapelures de pain, les faire cuire une demi-heure, & les roussir enfin par-dessus avec une pelle rouge. Les chevrettes se grillent de la même maniere.


GRILLAGES. m. (Métallurgie) c'est une opération de Métallurgie, par laquelle on se propose de calciner ou de dégager des mines avant que de les fondre les parties sulfureuses, arsénicales, antimoniales & volatiles qui sont combinées avec le métal lorsqu'il est minéralisé ; parce que ces parties étrangeres, si elles restoient unies avec le métal, nuiroient à sa pureté, le rendroient aigre, cassant, & difficile à fondre. Comme presque toutes les mines d'argent, de plomb, de cuivre, d'étain, &c. contiennent ou du soufre, ou de l'arsenic, ou l'un & l'autre à-la-fois, on est obligé de les faire passer par l'opération du grillage avant que de les faire fondre : cette opération est de la plus grande importance ; & l'on en peut tirer un très-grand fruit quand elle se fait d'une façon convenable & analogue à la nature de la mine que l'on a à traiter. L'expérience a fait voir que le grillage n'est point du-tout indifférent, & que les mines qui ont été grillées, donnoient toûjours plus de métal que celles qui ne l'avoient point été.

La grande diversité qui se trouve dans la combinaison des différentes mines, fait que les méthodes qu'on employe pour le grillage, sont très-variées, & different autant que les mines elles-mêmes ; de-là vient aussi qu'il y en a qu'on est obligé de griller un très-grand nombre de fois, tandis que d'autres n'exigent qu'un petit nombre de grillages ; cela dépend de la quantité des matieres que l'on doit dégager, & de leur combinaison plus ou moins intime avec le métal lorsqu'il est minéralisé. C'est donc aux directeurs des mines & des fonderies à connoître parfaitement la nature de leur mine, & des matieres qui entrent dans sa composition & qui l'accompagnent, pour juger de la maniere dont le grillage doit lui être appliqué.

L'opération du grillage se pratique, ou avant de donner aux mines la premiere fonte au fourneau de fusion, ou bien il se fait sur la matte, c'est-à-dire sur la matiere impure & mélangée que l'on obtient après la premiere fonte de la mine ; ainsi on distingue deux especes de grillages, savoir, celui de la mine, & celui de la matte. L'une & l'autre de ces opérations se fait de plusieurs façons différentes, qui varient avec les lieux & suivant la nature des mines. On se contentera d'indiquer les méthodes les plus communes. Il y a des grillages qui se font à l'air libre : d'autres se font sous des angars ou toîts ; d'autres se font dans des fourneaux voûtés. Pour le grillage simple qui se fait à l'air libre, on choisit auprès de la fonderie un terrein uni, sur lequel on dispose en quarré du bois ou des fagots ; l'on étend la mine par-dessus, & l'on continue ainsi à faire des couches alternatives de bois & de mine : ce qui fait un tas qui a la forme d'une pyramide tronquée, comme on peut voir dans les Planches de Métallurgie, fig. 1. On a soin de laisser un intervalle vuide entre le sol du terrein & la premiere couche de bois, afin de pouvoir allumer le tas que l'on veut griller.

Le grillage à l'air libre se fait aussi sur une aire entourée d'un mur, à qui on donne des formes différentes dans les différens pays. A Fahlun en Suede, ce mur ressemble à un fer à cheval (Voyez dans la Planche la figure 2. la lettre A marque le registre ou la cheminée qu'on pratique pour que l'air fasse aller le feu). Mais la forme la plus ordinaire qu'on donne à ce mur, est celle qu'on voit à la fig. 3. c'est un mur à trois côtés A B C, partagé par plusieurs autres murailles D D D, qui forment comme des cloisons ; c'est dans l'espace compris entre ces murs ou cloisons, que l'on arrange le bois & la mine pour le grillage. Dans d'autres endroits le fourneau de grillage est un grand quarré de maçonnerie, voyez la figure 4, a a a sont les soupiraux pour le cours libre de l'air ; b est l'entrée du fourneau. A Freyberg en Saxe, on grille la mine d'argent & de plomb dans un fourneau qu'on voit représenté à la fig. 5. dont le sol A A sur lequel se fait le grillage, est revêtu de briques ; ce fourneau est couvert d'un toît soûtenu par des piliers de brique, qui portent sur la maçonnerie des côtés du fourneau ; on laisse une ouverture à ce toît, pour que la fumée se dégage. Il y a des occasions où l'on est obligé de faire le grillage dans des fourneaux de réverbere, voûtés & arrangés de maniere que la flamme qu'on allume dessous, vient rouler sur la matiere que l'on veut griller. Schlutter en inventa un de cette espece, dont il se servit avec succès ; il pouvoit contenir jusqu'à 32 quintaux de mine à-la-fois. Il en donne une description très-circonstanciée dans son traité de la fonte des mines, tom. II. p. 31. & §. de la traduction françoise.

Il y a encore un grand nombre de manieres pour faire le grillage des mines ; & chaque endroit où l'on s'occupe des travaux de la métallurgie, suit à cet égard une méthode particuliere, qui differe à quelques égards de celle des autres pays ; mais celles qui viennent d'être décrites, suffisent pour qu'on se fasse une idée de cette opération ; ceux qui voudront de plus grands détails sur le grillage, les trouveront dans le traité de la fonte des mines d'André Schlutter, publié en françois par M. Hellot, tom. II. & dans Emmanuel Swedenborg, opera mineralia. De cupro.

Les regles générales à observer pour le grillage, c'est d'employer un feu doux qui fasse simplement rougir doucement la mine sans la faire entrer en fusion. Il est nécessaire que le feu soit doux, parce que s'il étoit violent, en dégageant les parties volatiles qu'on veut faire partir, son impétuosité entraîneroit aussi les parties métalliques qui sont écartées les unes des autres dans la mine, & divisées en particules très-déliées.

La plûpart des métallurgistes préferent le feu de bois à celui de charbon pour le grillage des mines, tant parce qu'il est moins coûteux que le charbon, que parce qu'il ne chauffe point si vivement, & remplit mieux les vûes qu'on se propose dans cette opération. On regarde le bois de pin & de sapin comme préférable à tous les autres ; à son défaut on peut employer le bois de chêne ou de hêtre ; on peut aussi se servir de fagots. Il y a des endroits où l'on grille avec du bois verd & mouillé ; mais l'expérience a fait voir que l'usage du bois sec étoit beaucoup plus avantageux.

L'on est quelquefois obligé de réiterer le grillage de la même mine un grand nombre de fois ; cela dépend de sa nature & de ses propriétés ; & c'est l'expérience & l'habileté du métallurgiste qui doit en décider. Il y a des mines qu'on est obligé de faire passer par 16, 18, & même 20 feux ou grillages ; on voit que le traitement de ces sortes de mines ne peut être entrepris que dans des pays où le bois est très-commun, & la main-d'oeuvre à très-bon marché, comme en Suede.

Lorsqu'on fait griller des mines, on est souvent obligé d'y faire des additions qui, jointes à l'action du feu, servent à les développer & à détruire les substances étrangeres qui sont unies au métal dans sa mine ; c'est ainsi que l'on joint des pyrites avec de certaines mines de cuivre lorsqu'on les fait griller ; par-là l'acide du soufre que ces pyrites contiennent se dégage, & met en dissolution la miniere ou la pierre qui sert d'enveloppe à la mine, & détruit les parties ferrugineuses qui s'y trouvent jointes ; lorsque les mines sont arsénicales, il est aussi à propos d'y joindre des pyrites, parce que leur soufre se combine avec l'arsenic, qui par-là se dégage du métal. Quelquefois lorsque la mine est sulfureuse, on y joint de la chaux, qui dans le grillage absorbe la trop grande quantité de soufre. Par ces additions la mine est développée, & plus propre à recevoir le feu de fusion. (-)

* GRILLAGE, (Serrurerie) petit tissu ou de bois, ou de fil-de-fer, ou de laiton, qui s'entrelacent, qui se croisent, & qui laissent entr'eux des intervalles quarrés, oblongs, ou de toute autre figure. On pratique un grillage aux soupiraux des caves, aux portes d'un garde-manger, par-tout où l'on veut permettre l'entrée libre à l'air, & la fermer à toute autre chose.

GRILLAGE, en terme de Fabriquant de blonde, est un plein dessiné diversement selon les goûts divers, & travaillé avec un seul fuseau pour chaque fil ou trait, chargé d'un fil qui n'a qu'un double. Quoique tout grillage s'appelle plein ou point de fuseau, il ne faut pas croire qu'il n'y ait point d'espace d'un fil à l'autre ; il y en a toûjours de petits qui, pour l'ordinaire, forment autant de quarrés un peu inclinés.

GRILLAGE, en termes de Confiseur, est un ouvrage à qui l'on donne ce nom, parce que l'on le laisse un peu roussir sur le feu. On fait des grillages d'amandes, de tailladin, de citron, &c.

GRILLAGE, (Docimasie) voyez l'article ROTISSAGE.


GRILLES. f. on donne communément ce nom à tout assemblage de matiere solide, fait à claire voie ; ainsi la claie est une espece de grille. La barriere qui sépare en deux le parloir des religieuses, s'appelle la grille ; les religieuses sont d'un côté en-dedans ; ceux qui conversent avec elles sont de l'autre côté en-dehors ; cette grille est quelquefois couverte d'un voile : quelquefois elle reste ouverte, mais elle est doublée, & les traverses de l'une coupe & divise en plus petits espaces les intervalles vuides de l'autre. Voyez dans les articles suivans différentes autres acceptions du même mot. Les grilles, soit en porte, soit autre, sont de grands ouvrages de Serrurerie ; elles demandent du dessein, de la connoissance en Architecture, un grand art de manier le fer.

GRILLE, (Hydr.) en fait de Fontaines, est un assemblage de plusieurs cierges d'eau. Voyez CIERGE. On le dit aussi d'un treillis de grosse charpente mis dans les fondations, dans l'eau, ou dans un terrein plein de glaise, qu'il ne faut pas éventer par le pilotage, pour mieux fonder dessus. (K)

GRILLE, (Econom. rustique) on appelle grille de l'étang, le lieu par où l'eau se décharge quand il y en a trop.

* GRILLE, (Commerce) on appelle à Genes compagnie des grilles, une association de marchands pour la traite des Negres. Voyez COMPAGNIE.

* GRILLE, (Commerce) laine d'Espagne ; c'est de la prime, ou mere-laine, qu'on compare aux plus fines de Castille & d'Aragon.

GRILLE, terme de Blason, qui se dit de certains barreaux qui sont à la visiere d'un héaume, & qui empêchent les yeux du chevalier d'être offensés. On appelle aussi grille, une porte à-coulisse & grillée, qu'on peint quelquefois sur les écus.

* GRILLE, (Bas-au-métier) il y a la grille & les ressorts de grille. Ce sont des parties de cette machine. Voyez l'article BAS-AU-METIER.

* GRILLE A DORER, (Doreur) treillis de fer dont les mailles sont en losange. Il sert aux Doreurs qui exposent au feu leurs ouvrages, avec commodité & propreté, en les plaçant sur cette grille.

GRILLE, terme de Fonderie, est un chassis de plusieurs barres de fer d'un pouce & demi de grosseur, distantes de trois pouces, & couchées de niveau en croisant la galerie. Son usage est de porter le massif, sur lequel s'établit le modele, de soûtenir les briquaillons dont on remplit la fosse, & de lier les murs des galeries par une embrassure de fer, bandé avec des clavettes & des mouffles. Voyez les Planc. de la Fonderie des statues équestres.

GRILLE, terme de Hongroyeur, c'est un instrument de fer C (Pl. de l'Hongroyeur) garni de sept ou huit barres, qui entrent par leurs extrémités dans deux traverses aussi de fer, & recourbées par les bouts d'environ trois pouces, qui servent de pié à la grille. Cette grille se pose sur une grande pierre de taille, ou un massif de briques A B d'environ quatre piés en quarré, sur laquelle on a étendu des charbons ardens : c'est sur cette grille que l'on étend les cuirs frottés de suif, afin que par la chaleur des charbons, le suif puisse pénétrer dans l'intérieur du cuir. Voyez les figures 5. & 4. Planc. de l'Hongroyeur, qui représentent deux ouvriers qui passent un cuir enduit de suif sur la grille.

GRILLE, (Jard.) est un ornement des jardins, propre à perpétuer la vûe d'une allée. (K)

GRILLE d'Imprimeur en Taille-douce ; voyez l'article IMPRIMERIE EN TAILLE-DOUCE.

GRILLE, (à la Monnoie) sont les lames assemblées telles qu'elles sortent du moule, & comme elles se sont jointes à la tête du moule. On les sépare avec de grosses cisailles ou cisoirs ; c'est ce que l'on appelle ôter la tête des lames.

GRILLE, terme de jeu de Paume, c'est un trou d'environ trois piés de haut, sur environ deux piés de largeur, placé dans un des coins des jeux de paume, à la hauteur d'environ trois piés. Toute balle qui entre dans la grille vaut un quinze pour celui qui l'y a placée.

GRILLE, (Rubanier) ce sont quantité de tours des mêmes ficelles posées & garnies en tête des hautes-lisses, sur le devant des deux porte-rames. Ces grilles ne sont point limitées ; on en peut mettre tant que lesdits porte-rames en peuvent contenir. Ces grilles servent au passage des rames, dont on évite ainsi la confusion.


GRILLERvoyez l'article ROTISSAGE.


GRILLEou GRILLETTE, terme de Blason ; sonnette ronde qu'on met au cou des petits chiens & aux jambes des oiseaux de proie. On l'appelle aussi grillot.


GRILLETÉadj. en termes de Blason, se dit des oiseaux de proie qui ont des sonnettes aux piés.

Leaulmont Puy-Gaillard, d'azur au faucon d'argent, perché, lié & grilleté de même.


GRILLONS. m. grillus, insecte qui ressembleroit à la cigale, si elle n'avoit point d'aîles, & qui en differe peu par le bruit qu'il fait.

Il y a des grillons domestiques, & des grillons sauvages. Parmi ceux-ci, le mâle est presque aussi gros que la cigale, mais il a le corps plus long ; sa couleur est noirâtre ; il a la tête grande, & les yeux gros & saillans ; il porte sur le front des antennes qui se meuvent facilement, quoiqu'elles n'ayent point d'articulation ; il a six jambes de la même couleur que le corps, les dernieres sont très-longues, & donnent à cet insecte beaucoup de facilité pour sauter ; il peut marcher en-arriere comme en-avant ; les aîles couvrent presque tout le corps, elles sont courbes & legerement sillonnées ; la queue est fourchue, & le corps est plus petit que celui de la femelle, qui a le ventre plus gras, les yeux verdâtres, les antennes rouges, & la queue semblable à un trident. On voit ces insectes dans les champs pendant l'été ; ils entrent dans la terre & y nichent ; ils y restent pendant l'hyver, mais les grands froids les font périr.

Les mâles des grillons domestiques ont le corps brun, allongé, & beaucoup moins gros que celui du grillon sauvage ; la tête presque ronde, & les yeux noirs ; il y a deux lignes blanches transversales sur le dos, près des jambes du milieu ; la queue est fourchue. La femelle est plus grosse que le mâle ; elle a le ventre plus long ; elle vole avec quatre aîles ; celles du dessus sont plus courtes que celles du dessous ; la queue est divisée en trois soies. Il y a des grillons de plusieurs autres especes ; M. Linnaeus en compte quatorze. Mouffet, insect. theat. p. 134. Voyez INSECTE. (I)

GRILLON, (Comm.) terme usité parmi les marchands de bois pour signifier le bout d'une pile.


GRIMACES. f. (Peinture) Je regarde comme trop essentiel à l'intérêt de l'art de la Peinture, de recommander la simplicité dans les imitations de la nature, pour ne pas insister encore sur ce principe intéressant à l'occasion d'un mot dont l'usage a peut-être droit de devenir plus fréquent que jamais dans les Arts.

Artistes qui voulez plaire & toucher, soyez donc persuadés que les figures qui grimacent, soit pour paroître avoir des graces, soit pour joüer l'expression, sont aussi rebutantes dans vos ouvrages aux yeux équitables d'un spectateur instruit, que les caracteres faux sont odieux dans la société pour les honnêtes gens.

Je sais que vous pouvez m'objecter que presque toutes les expressions que vous envisagez autour de vous sont ou chargées ou feintes, que presque tout ce qu'on appelle grace est affectation & grimace : ce sont-là des obstacles qui s'opposent au progrès de l'art ; il faut les connoître, & sans perdre le tems à s'en plaindre, mettre ses efforts à les surmonter.

Refléchissez, pénétrez-vous des sujets que vous traitez, descendez en vous-mêmes, & cherchez-y cette naïveté des graces, cette franchise des passions, que l'intérêt que vous avez à les saisir, vous fera trouver.

Un intérêt mal-entendu qu'on envisage apparemment dans la société, à se tromper les uns & les autres, y introduit l'affectation des grimaces ; celui que vous avez à ne vous pas séduire vous-mêmes, vous fera dévoiler la vérité.

Etudiez les grands modeles, ils ne doivent leur réputation & leur gloire qu'à la simplicité & à la vérité ; plus ils sont exempts de grimaces, plus leur réputation doit augmenter.

Lisez aussi & relisez continuellement le petit nombre d'auteurs anciens, dans lesquels la simplicité de l'imitation triomphe des usages, des préjugés, des modes, des moeurs & des tems. Article de M. WATELET.


GRIMAUDvoyez HULOTE & HUETTE.


GRIMBERG(Géogr.) petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Treves, bâtie au douzieme siecle par Jean, quatre-vingt-sixieme évêque de Treves. Elle est à six lieues S. de cette ville. Long. 24. 10 lat. 49. 30. (D.J.)


GRIMELINS. m. (Commerce) celui qui fait un commerce de peu de conséquence. Il se dit particulierement, en terme de négoce de bestiaux, de certains particuliers qui, sans être pourvûs d'office, se trouvent dans les marchés de Poissy & de Sceaux, & y font les fonctions de vendeurs, en avançant aux marchands, moyennant quelque droit, l'argent des boeufs & des moutons qu'ils ont vendus aux Bouchers de Paris.

Ce grimelinage est défendu & déclaré usuraire par arrêt de la Tournelle du 29 Avril 1694. (G)


GRIMELINAGEpetit gain que l'on fait dans un trafic ou dans une affaire. (G)


GRIMELINERv. n. gagner peu dans un négoce, se contenter d'un profit médiocre. Dict. de Comm. & de Trév. (G)


GRIMM(Géogr.) petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Saxe en Misnie, sur la Mulde, à trois milles d'Allemagne de Leipsik : elle appartient à l'électeur de Saxe. Long. 30. 2. lat. 51. 20. (D.J.)


GRIMMEN(Géog.) ville ancienne de Poméranie, au duché de Bardt, à cinq milles d'Allemagne de Stralsund : elle fut entourée de murailles l'an 1190. Long. 37. 45. lat. 54. 18. (D.J.)


GRIMOIRES. m. voyez ci-après GRYMOIRE.


GRIMPEREAUS. m. picus varius minor, (Orn.) oiseau qui ressemble beaucoup à l'épeiche par sa figure & par son plumage, mais qui est beaucoup plus petit. Il ne pese pas une once. Il a près de six pouces depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout de la queue, & près d'onze pouces d'envergure. La queue est composée de dix plumes, & a deux pouces de longueur ; les quatre plumes du milieu sont les plus longues & les plus fermes, elles ont une couleur noire, & l'extrémité du tuyau est un peu recourbée en-dedans, & appuie contre les arbres pour soûtenir l'oiseau lorsqu'il grimpe le long des troncs ou des branches verticales : les autres plumes de la queue sont en partie noires & en partie blanches. La gorge, la poitrine & le ventre sont d'un blanc sale. Il y a du brun au-delà des narines, du blanc sur le sommet de la tête, & du noir sur l'occiput. Deux larges lignes blanches s'étendent depuis les yeux jusqu'au milieu du cou, où elles se joignent ; & les côtés de ces lignes sont terminés par du noir. Le commencement du dos & les petites plumes du haut de l'aîle, sont noires ; les grandes plumes & les autres petites plumes des aîles, sont parsemées de taches blanches qui ont la forme d'un demi-cercle. Le milieu du dos est blanc, avec des lignes noires transversales. Le mâle differe de la femelle, en ce qu'il a le sommet de la tête rouge, & non pas blanc. Willughby, ornith. Voyez EPEICHE, PIOCHET, OISEAU. (I).


GRIMSBY(Géog.) ville à marché d'Angleterre dans Lincolnshire, sur l'Humber, à huit lieues E. de Lincoln. Elle députe au parlement. Long. 16. 54. lat. 53. 10. (D.J.)


GRIMSEL(Géog.) montagne de Suisse aux confins du haut Vallais & du département de Goms, qu'elle sépare du canton de Berne. Elle est très-haute, & l'on ne peut y monter que par des sentiers escarpés. On trouve sur cette montagne une si riche mine de crystal, que l'on en tire des pieces de quelques quintaux. Voyez à ce sujet le trente-quatrieme volume des Transactions philosophiques.

M. Haller n'a pas oublié la montagne de Grimsel, ni sa curieuse mine, dans sa charmante description des Alpes. " Ces lieux, dit-il, où le soleil ne jette jamais ses doux regards, sont ornés d'une parure que le tems ne flétrit jamais, & que les hyvers ne sauroient ravir ; tantôt le limon humide forme des voûtes du plus brillant crystal, & tantôt des grottes naturelles qui ne sont pas moins surprenantes ; un roc de diamans où se jouent mille couleurs, éclate à-travers l'air ténébreux, & l'éclaire de ses rayons. Disparoissez foibles productions de l'Italie, ici le diamant porte des fleurs ; il croît & formera bien-tôt un rocher solide ".

On appelle fleur de crystal, un sélénite fort commun dans les carrieres du lieu. M. Haller ajoûte avoir vû la plus grande piece de crystal qu'on ait jamais découvert sur cette montagne ; elle pesoit 695 livres. Du tems d'Auguste, on trouva un bloc de crystal du poids de 50 livres, qui fut consacré aux dieux comme une merveille. (D.J.)


GRINGOLÉadject. terme de Blason ; il se dit des croix, fers de moulin, & autres choses de même nature qui se terminent en têtes de serpens. On appelloit autrefois ces serpens gargouilles ; & on a dit ensuite gringole par corruption, d'où est venu gringolé. Kaër de Montfort en Bretagne, de gueules à la croix d'hermine, anchrée & gringolée d'or.


GRIOTTES. f. espece de bouillie des anciens, faite avec de l'eau, du sel & de la farine d'orge nouveau, qui avoit été auparavant rôti. On y joignoit quelquefois de la coriandre, du moust, de l'hydromel : c'étoit-là la nourriture du peuple romain, de laquelle il est souvent parlé dans l'histoire, & qu'on appelloit polenta. Voyez POLENTA. (D.J.)

GRIOTTE, (Botan.) fruit du griottier. Voy. GRIOTTIER.


GRIOTTIERS. m. (Botan.) arbre qui porte les griottes ou grosses cerises à courte queue ; elles sont fermes, plus douces que les autres, & d'une couleur qui tire sur le noir. Le griottier est une espece de cerisier nommé cerasus sativa, fructu majori, J. R. H. 625. cerasus sativa major, C. B. P. 449. en anglois, large spanish-cherry.

Cet arbre n'est ni haut ni droit ; il jette plusieurs branches garnies de rameaux fragiles ; son tronc est médiocrement gros ; son écorce est d'un rouge noirâtre ; son bois est blanchâtre dans la circonférence, & noirâtre dans le coeur ; ses feuilles sont larges, veinées, noirâtres ; ses fleurs sont en roses, composées de plusieurs pétales blancs disposés en rond, & de quelques étamines de même couleur qui en occupent le milieu ; leur calice est partagé en cinq segmens recourbés ; il s'en éleve un pistil qui se change en un fruit arrondi, charnu, très-succulent dans sa maturité. Quand l'arbre est jeune, il donne des fruits plus gros que les autres especes de cerisiers, & qui sont soûtenus sur des queues plus courtes : on nomme ces fruits en Botanique, cerasa sativa majora. Depuis le tems de Lucullus, on cultive cet arbre dans toute l'Europe. (D.J.)


GRIPS. m. (Marine) ancien nom qu'on donnoit autrefois à une sorte de petit bâtiment que l'on armoit pour aller en course, tel à-peu-près qu'est aujourd'hui le brigantin. (Z)


GRIPPERv. n. (Manufact. d'ourdissage). Si une étoffe frappée inégalement, ou fabriquée sur une chaîne mal tendue, ou sur une lisiere mal disposée, forme à la surface de petits plis, des tiraillemens, &c. on dit qu'elle grippe.


GRIPSWALDGripsvaldia, (Géogr.) ville d'Allemagne dans la Poméranie, autrefois impériale ; mais depuis sujette aux Suédois, avec un bon port, & une université fondée en 1456 par Wratislas IX. duc de Poméranie. Elle est près de la mer, vis-à-vis l'île de Rugen, à huit lieues S. E. de Stralsund, 22 N. O. de Stétin. Longit. suivant les géographes du pays, 30d. suivant Pysius, 33d. 2'. 5". latit. 54d. 14'. 1". selon M. Cassini ; sa différence de Paris en long. a été trouvée par une éclipse de soleil, tantôt de 52d. 45'. tantôt de 52d. 40'. Hist. de l'académie des Sciences, année 1700.

Kuhnius, (Joachim) habile humaniste, naquit à Gripswald en 1647, & mourut le 11 Décembre 1697 à cinquante ans. On a de lui de savantes notes sur Pausanias, sur Elien, sur Pollux, & sur Diogene Laerce. (D.J.)


GRIS(Gramm.) Si l'on imagine une infinité de petits points noirs, distribués entre une infinité de petits points blancs, on aura le gris, & toutes ses nuances, selon que les points noirs ou blancs domineront. Voy. à l'art. suiv. les diverses especes de gris.

GRIS, (Manége & Maréchall.) épithete par laquelle nous désignons un cheval, dont le poil ou la robe présente un fond blanc mêlé de noir, ou même de quelqu'autre couleur : nous admettons diverses especes de gris.

Le gris sale est celui dans lequel le poil noir domine. Si les crins de l'animal sont blancs, la robe en est d'autant plus belle.

Le gris brun est différent du premier, en ce que les poils noirs y sont en moindre quantité que dans le gris sale, quoiqu'ils l'emportent néanmoins sur les poils blancs.

Le gris sanguin, le gris rouge, ou le gris vineux, est un gris mêlé de bai dans tout le poil.

Le gris argenté est une robe sur laquelle nous appercevons un gris vif, peu chargé de noir, & dont le fond blanc brille & reluit.

Le gris pommelé se reconnoît à des marques assez grandes de couleur blanche & noire parsemées, à distances assez égales, soit sur le corps, soit sur la croupe.

Le gris tisonné ou charbonné a des taches irrégulierement éparses de côté & d'autre, comme si le poil eût été noirci avec un charbon.

Le gris tourdille est un gris sale approchant de la couleur d'une grive.

Le gris truité autrement appellé tigre, consiste dans un fond blanc mêlé ou d'alzan ou de noir, semé par de petites taches assez également sur tout le corps. On appelle aussi cette robe gris moucheté, ces taches approchant de la figure des mouches.

Le gris de souris est ainsi nommé par sa ressemblance au poil de cet animal. Quelques chevaux de cette robe ont les jambes & les jarrets garnis de raies noires, comme certains mulets ; d'autres en ont une sur le dos ; les uns ont les crins d'une couleur claire, les autres les ont noirs.

Enfin il est encore une espece de gris que nous appellons gris étourneaux. Voyez ÉTOURNEAU. (e)

GRIS, (PETIT-GRIS) en Plumasserie, ce sont des plumes qui sont ordinairement sous le ventre & sous les aîles de l'autruche.


GRIS NEZpetite montagne du Boulonnois, qui forme la pointe méridionale de la baie de Willan. Le Roi y entretient un guetteur en tems de guerre. Voyez GARDE-COTES.

Cette montagne est le point des côtes de France le plus proche des côtes d'Angleterre. Le trajet de cette montagne à celle de Douvres n'est que de cinq lieues & demie, à 2400 toises la lieue. On peut observer que les bancs de pierre qui composent cette montagne, sont absolument de même nature que ceux des falaises de la côte de Douvres ; on y retrouve les mêmes bancs à la même hauteur & de la même épaisseur. Ces bancs sont de pierre calcinable fort blanche ; ce qui peut avoir fait donner le nom d'Albion à l'Angleterre. Cette conformité des bancs des côtes du détroit, donne lieu de penser que ce détroit s'est formé par une irruption de la mer qui a séparé l'Angleterre du Continent. (T)


GRISAILLES. f. (Peinture) façon de peindre avec deux couleurs, l'une claire, & l'autre brune : au moyen de leur mélange l'on exprime les lumieres & les ombres. On appelle encore cette façon de peindre, faire des tableaux de clair-obscur. L'on dit une grisaille, peindre une grisaille. Voyez CAMAYEU.

GRISAILLE, (Perruquier) c'est un beau mélange de cheveux blancs & bruns. Les perruques en grisaille sont cheres.


GRISARTvoyez COLIN.


GRISETTESS. f. pl. (Hist. nat. & Chasse) sont de petits oiseaux de passage qu'on appelle aussi syriots ; ils ont le bec & les jambes plus courtes, & sont un peu plus petits que les moyennes bécassines. Ils ont le plumage d'un brun-noir, hormis le ventre & les bouts des aîles qui sont blancs ; leur chair est blanche, tendre & très-délicate ; & c'est un des meilleurs mets, quoique rassasiant.

On les trouve en Août, Septembre & Octobre, au bord des marais & des terres joignantes, ou sur les côtes de la mer ; ils vont par bandes, & sont très-difficiles à approcher, quoiqu'ils aiment à se reposer sur les petites mottes de terre, pourquoi on les appelle aussi piés-de-terre. Mais dès qu'il y en a un de blessé, laissez-le crier pour qu'il fasse venir les autres ; ou s'il est mort, retournez-le sur le dos, tout le reste de la bande, après avoir un peu tourné, revient à l'endroit d'où elle est partie ; & appercevant le mort, elle viendra voltiger autour de lui ; pendant ces viremens on en tue beaucoup, quand on a eu la précaution de se couvrir de quelques bottes de roseau ou de branchages. Il faut les manger vîte, car ils ne se gardent pas plus de vingt-quatre heures, sans se corrompre.


GRISONNEMENTsub. m. terme d'Architecture ; on entend par ce terme dans l'Architecture la premiere esquisse d'un dessein. Voyez ESQUISSE. (P)


GRISONS(LES) Géog. peuple des Alpes que les anciens historiens nomment Rhoeti ; ils doivent leur origine à des colonies que les Toscans envoyerent au-delà de l'Appennin. Le pays qu'occupent les Grisons modernes a pour bornes au nord les comtés de Tirol & de Sargans, à l'occident les cantons de Glaris & d'Uri, au midi le comté de Chiavenne & la Valteline, & à l'orient le Tirol encore & le comté de Bormio.

Il est partagé en trois parties qu'on appelle ligues, en allemand bunt, savoir la ligue Grise, la ligue de la Cadée, & la ligue des dix communautés ; les deux premieres sont au midi, & la troisieme au nord : ce sont comme trois cantons, dont chacun a son gouvernement à part, & qui réunis forment un corps de république dans lequel réside l'autorité souveraine. La longueur du pays appartenant à ce corps de république, est d'environ trente-cinq lieues du nord au sud : on a donné aux habitans le nom de Grisons, parce que les premiers qui dans le quinzieme siecle se liguerent pour secoüer le joug de ceux qui les opprimoient, portoient des habits grossiers d'une étoffe grise qu'ils fabriquoient chez eux.

Ils reçurent le Calvinisme en 1524, & contracterent des alliances avec les Suisses en différens tems ; mais en 1602, les trois ligues ensemble s'allierent avec la ville de Berne, & en 1707 elles renouvellerent une alliance solemnelle avec Zurich & quelques-uns des cantons voisins. Quoique les trois ligues soient mêlées de protestans & de catholiques, le nombre des premiers l'emporte de beaucoup sur celui des derniers, qui dépendent pour le spirituel de l'évêché de Coire & de l'abbé de Dissentis.

Le gouvernement temporel est démocratique, le peuple élit ses magistrats & officiers ; & tous ceux qui ont atteint l'âge de seize ans, ont droit de suffrage. Les affaires qui regardent le corps de l'état se terminent dans des dietes générales, composées des députés de chaque ligue qui s'assemblent aussi souvent que la nécessité le demande. Les affaires particulieres de chaque ligue se traitent dans les dietes provinciales.

Le comté de Bormio, celui de Chiavenne, & la Valteline, possédés par les Grisons, ne sont proprement qu'une vallée très-étroite qui s'étend au pié des Alpes Rhétiques, mais qui peut avoir vingt lieues de longueur. L'Adda qui sort du mont Braulio arrose cette vallée dans toute son étendue, lui fait beaucoup de bien, & quelquefois beaucoup de mal par ses inondations. (D.J.)


GRIVEturdus, s. f. (Ornithologie) genre d'oiseau dont on distingue quatre especes, savoir la drenne, la grive, la litorne, & le mauvis : tous ces oiseaux passent communément sous le nom de grives, quoiqu'ils soient fort différens les uns des autres soit par la grandeur du corps & par la couleur du plumage, soit par la qualité de la chair. Je designe par le nom de grive, celle que l'on nomme en latin turdus simpliciter dictus, seu viscivorus minor, c'est-à-dire grive simplement dite, ou petite mangeuse de gui ; cependant elle ne mange point de baies de gui ; elle n'a été ainsi appellée, que parce qu'elle ressemble beaucoup à la drenne, qui mange réellement du gui.

La grive est plus petite que la litorne & un peu plus grosse que le mauvis ; elle pese environ trois onces, elle a neuf pouces de longueur depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout de la queue ou des pattes ; le bec est long d'un pouce, & il a une couleur brune ; la langue paroît fourchue quand on la regarde de près ; l'intérieur du bec est jaune, & l'iris des yeux a une couleur de noisette. La grive ressemble beaucoup à la drenne par la couleur & les taches de la poitrine & du ventre ; ces taches sont brunes, la poitrine a une couleur jaunâtre, & le ventre est blanc : les taches de la poitrine sont plus étendues & en plus grand nombre sur la grive que sur le mauvis. Les petites plumes qui couvrent la face inférieure de l'aîle sont de couleur rousse jaunâtre, & celles qui couvrent les grandes plumes sont jaunâtres à la pointe ; les petites plumes du dessous de la queue ont une couleur blanchâtre. Il y a dix-huit grandes plumes dans les aîles ; la queue a trois pouces un quart de longueur, & elle est composée de douze plumes. Les jambes & les piés sont d'un brun pâle ; la plante est jaunâtre, le doigt extérieur tient au doigt du milieu par la premiere phalange.

Cet oiseau se nourrit plûtôt d'insectes que de baies, il mange de petits coquillages de terre : on ne connoît point le sexe par les couleurs. La grive construit l'extérieur de son nid avec de la mousse & des brins d'herbe ou de petit bois, & elle enduit le dedans avec du limon ; elle dépose ses oeufs à nud sur ce limon. Il y a d'une seule ponte cinq ou six oeufs ; ils sont d'un bleu verdâtre parsemé de quelques taches noires. Cet oiseau chante au printems, il est solitaire comme la drenne ; il se perche sur les arbres, mais il niche plûtôt dans les haies que sur les grands arbres ; il est aisé à prendre & bon à manger. Willug. Ornith. Voyez DRENNE, LITORNE, MAUVIS, OISEAU, (I)


GRIVELÉES. f. (Commerce) profit injuste & secret que l'on fait dans un emploi ou sur les marchandises qu'on achete par commission. De ce mot on a fait griveler, grivelerie ; & griveleur, celui qui grivelle. Dictionnaire de Commerce.


GRODECK(Géog.) nom de quatre petites villes de Pologne ; la premiere dans la Russie Rouge, la seconde dans le palatinat de Podolie, la troisieme sur la rive gauche du Niester, la quatrieme au palatinat de Kiovie ; les unes ni les autres ne méritent aucun détail. (D.J.)


GRODNOGrodna, (Géog.) ville de Pologne en Lithuanie, au palatinat de Troki. Elle est remarquable par une citadelle, par l'assemblée de la diete qui s'y tient tous les trois ans, & pour avoir souffert en 1743 un incendie qui l'a presque entierement réduite en cendres : sa position est dans une plaine sur le Niémen, à trente lieues sud-oüest de Troki, cinquante N. E. de Varsovie, vingt-quatre oüest de Novogrodeck. Longit. 42. 45. latit. 53. 18. (D.J.)


GROENLAND(LE) Groenlandia, (Géog.) grand pays des terres arctiques, entre le détroit de Davis au couchant, le détroit de Forbisher au midi, & l'Océan septentrional où est l'Islande, à l'oüest : on ignore ses bornes au nord, & on ne sait pas encore si ce vaste pays est un continent attaché à celui de l'Amérique ou à celui de la Tartarie, ou si n'étant joint à pas un des deux, ce n'est qu'une île.

Quoi qu'il en soit, il est habité par des sauvages ; & malgré le grand froid qui y regne, il s'y trouve du gros & du menu bétail, des rennes, des loups-cerviers, des renards, & des ours blancs ; on y a pris autrefois de très-belles martres, & des faucons en grand nombre. La mer est pleine de loups, de chiens, de veaux marins, & sur-tout d'une quantité incroyable de baleines, à la pêche desquelles les Anglois & les Hollandois envoyent chaque année plusieurs bâtimens.

La Peyrere a donné une relation du Groenland, qu'il a tirée de deux chroniques, l'une islandoise & l'autre danoise ; cette relation est imprimée dans les voyages au nord.

Il attribue la découverte de ce pays à Eric le Rousseau, norvégien, qui vivoit dans le neuvieme siecle ; plusieurs de ses compatriotes s'y fixerent dans la suite, y bâtirent, & y établirent avec les habitans un commerce qui subsista jusqu'en 1348 : il se perdit alors ; & quelques tentatives que l'on ait faites depuis pour retrouver l'ancien Groenland, c'est-à-dire l'endroit autrefois habité par les Norvégiens, & où étoit leur ville de garde, il n'a pas été possible d'y réussir. Cependant Martin Forbisher crut avoir retrouvé ce pays en 1578, mais il ne put y aborder à cause de la nuit, des glaces, & de l'hyver ; une compagnie danoise y envoya deux navires en 1636, mais ils aborderent seulement au détroit de Davis.

La partie des côtes la plus connue du Groenland, s'étend depuis environ 325d. de longitude jusqu'au premier méridien, & de-là jusqu'au 12 ou 13d. en-deçà ; sa latitude commence vers le 73d. on n'en connoît point les côtes au-delà du 78d. (D.J.)


GROGNAUTS. m. voyez ROUGET.


GROIZONS. m. terme de Mégissier, c'est une craie blanche que les Mégissiers réduisent en poudre très-fine, & dont ils se servent pour préparer le parchemin. Voyez PARCHEMIN.


GROLLGrolla, (Géog.) petite ville des Pays-Bas dans la Gueldre, au comté de Zultphen ; elle est à six lieues sud-est de Zultphen. Long. 24. 5. latit. 52. 7. (D.J.)


GROLLEvoyez FREUX.


GROMAS. m. (Art milit. des Rom.) c'étoit une espece de perche ou piece de bois d'environ 20 piés, soûtenue en équilibre par le milieu comme un fléau de balance, qui servoit chez les Romains à mesurer l'étendue d'un camp pour la distribution des tentes. Aux deux extrémités de cette machine qu'on plantoit près de la tente du général, pendoient deux cordeaux, au bout desquels étoient attachés des poids de plomb qui servoient à niveler les logemens militaires ; de-là vint qu'on appella cette espece de science, l'art gromatique, terme qui s'est étendu depuis à toutes sortes d'arpentage. Mais on est fatigué de l'érudition aussi grande qu'inutile, que Saumaise déploye sur ce seul mot dans ses notes sur Solin ; l'objet n'en valoit pas la peine. (D.J.)


GRONDEURvoyez ROUGET.


GRONEAUS. m. voyez ROUGET.


GRONINGUE(LA SEIGNEURIE DE) Groningerland, (Géog.) l'une des sept Provinces-Unies, bornée à l'est par l'Oost-Frise, à l'oüest par la Frise, au nord par la mer d'Allemagne, au sud par l'Overissel & le comté de Benthem qui est de la Westphalie. La province de Groningue n'est guere fertile qu'en très-gras pâturages où l'on nourrit quantité de gros chevaux.

Cette province est distribuée en deux corps différens ; les habitans de la ville de Groningue en composent un, & ceux du plat-pays qu'on appelle les Ommelandes, forment l'autre ; ce sont ces deux corps assemblés par leurs députés, aux états de la province, qui en constituent la souveraineté : la moitié des députés est nommée par la ville, & l'autre moitié par les Ommelandes. Il semble en gros que le gouvernement de cette province a quelque conformité à celui de l'ancienne Rome, du-moins autant qu'il est permis de comparer le petit au grand. (D.J.)

GRONINGUE, (Géog.) ville des Pays-Bas, capitale de la province ou seigneurie du même nom, l'une des Provinces-Unies, avec une citadelle, une université fondée en 1614, & autrefois un évêché qui étoit suffragant d'Utrecht ; elle est sur les rivieres de Hunnes & d'Aa, à quatre lieues de la mer, onze est de Leeuwarden, vingt-deux nord-est de Deventer, trente-quatre nord-est d'Amsterdam. Long. 24. latit. 53. 13.

Cette ville subsistoit déjà l'an 1040 ; on croit qu'elle est bâtie dans le même lieu où Corbulon général des Romains, fit construire une citadelle pour s'assûrer de la fidélité des Frisons : c'est la conjecture d'Altingius.

Entre les savans que cette ville a produits, je n'en citerai que trois qu'il n'est pas permis d'oublier, Vesselus, Trommius, & Schultens.

Vesselus, (Jean) l'un des plus habiles hommes du quinzieme siecle, naquit à Groningue vers l'an 1419, & doit être regardé comme le précurseur de Luther : ses manuscrits furent brûlés après sa mort ; mais ceux qui échapperent des flammes furent imprimés à Groningue en 1614, & puis à Amsterdam en 1617. Le pape Sixte IV. avec lequel cet homme rare avoit été autrefois fort lié, lui offrit toutes sortes d'honneurs & de faveurs, & des bénéfices & des mitres : Vesselus refusa tout, & n'accepta que deux exemplaires de la bible, l'un en grec & l'autre en hébreu ; il revint chargé de ces deux livres plus chers à ses yeux que les dignités de la cour de Rome, & il en fit ses délices dans son pays.

Trommius, (Abraham) a immortalisé son nom par ses concordances flamande & greque de l'ancien testament de la version des Septante. Il est mort en 1719 âgé de quatre vingt-six ans.

Schultens, (Albert) réunit dans tous ses ouvrages la saine critique à la plus grande érudition. Le dixhuitieme siecle n'a point eu de savant plus versé dans les langues orientales que l'étoit M. Schultens ; il a fini ses jours à Leyde en 1741. (D.J.)


GROSadj. (Gramm.) terme de comparaison ; son correlatif est petit. Il me paroît dans presque tous les cas, s'étendre aux trois dimensions du corps, la longueur, la largeur, & la profondeur, & en marquer une quantité considérable dans le corps appellé gros par comparaison à des corps de la même espece. J'ai dit presque dans tous les cas, parce qu'il y en a où il ne désigne qu'une dimension ; ainsi un gros homme est celui dont le corps a plus de diametre que l'homme n'en a communément, relativement à la hauteur de cet homme ; alors petit n'est pas son correlatif ; il se dit de la hauteur, & un petit homme est celui qui est au-dessous de la hauteur commune de l'homme.


GROS TOURNOIS(Hist. des monn.) ancienne monnoie de France en argent, qui fut d'abord faite à bordure de fleurs-de-lis.

Les gros tournois succéderent aux sous d'argent ; ils sont quelquefois nommés gros deniers d'argent, gros deniers blancs, & même sous d'argent ; il n'est rien de si célebre que cette monnoie depuis S. Louis jusqu'à Philippe de Valois, dans les titres & dans les auteurs anciens, où tantôt elle est appellée argenteus Turonensis, tantôt denarius grossus, & souvent grossus Turonensis. Le nom de gros fut donné à cette espece, parce qu'elle étoit alors la plus grosse monnoie d'argent qu'il y eût en France, & on l'appella tournois, parce qu'elle étoit fabriquée à Tours, comme le marque la légende de Turonus civis pour Turonus civitas.

Quoique Philippe d'Alsace comte de Flandres, qui succéda à son pere en 1185, eût fait fabriquer avant S. Louis des gros d'argent avec la bordure de fleurs-de-lis, S. Louis passe pour l'auteur des gros tournois de France avec pareille bordure ; c'est pourquoi dans toutes les ordonnances de Philippe le Bel & de ses successeurs, où il est parlé de gros tournois, on commence toûjours par ceux de S. Louis : cette monnoie de son tems étoit à onze deniers douze grains de loi, & pesoit un gros sept grains 26/58 : il y en avoit par conséquent cinquante-huit dans un marc. Chaque gros tournois valoit douze deniers tournois ; de sorte qu'en ce tems-là le gros tournois étoit le sou tournois. Il ne faut pourtant pas confondre ces deux especes ; la derniere a été invariable & vaut encore douze deniers, au lieu que le gros tournois a souvent changé de prix.

Remarquez d'abord, si vous le jugez à-propos, la différence de l'argent de nos jours à celui du tems de S. Louis ; alors le marc d'argent valoit 54 sous 7 den. il vaut aujourd'hui 52 liv. ainsi le gros tournois de S. Louis, qui valoit 12 den. tournois, vaudroit environ 18 s. de notre monnoie actuelle.

Remarquez encore que les gros tournois, qui du tems de S. Louis étoient à 11 den. 12. grains de loi, ne diminuerent jamais de ce côté-là ; qu'au contraire ils furent quelquefois d'argent fin, comme sous Philippe de Valois, & souvent sous ses successeurs, à 11 den. 15, 16, 17 grains : mais il n'en fut pas de même pour le poids & pour la valeur ; car depuis 1343 sous Philippe de Valois, leur poids diminua toûjours, & au contraire leur valeur augmenta ; ce qui montre que depuis S. Louis jusqu'à Louis XI. la bonté de la monnoie a toûjours diminué, puisqu'un gros tournois d'argent de même loi, qui pesoit sous Louis XI. 3 den. 7 grains, ne valoit sous S. Louis que 12 den. tournois, & que ce même gros sous Louis XI. ne pesant que 2 den. 18 grains & demi, valoit 34 den.

Enfin observez que le nom de gros s'est appliqué à diverses autres monnoies qu'il faut bien distinguer des gros tournois : ainsi l'on nomma les testons grossi capitones ; les gros de Nesle ou négelleuses, étoient des pieces de six blancs. Les gros de Lorraine étoient des carolus, &c. mais ce qu'on nomma petits tournois d'argent étoit une petite monnoie qui valoit la moitié du gros tournois : on les appelloit autrement mailles ou oboles d'argent, & quelquefois mailles ou oboles blanches.

M. le Blanc, dans son traité des monnoies, vous donnera les représentations des gros tournois pendant tout le tems qu'ils ont eu cours. Au reste cette monnoie eut différens surnoms selon les différentes figures dont elle étoit marquée ; on les appella gros à la bordure de lis, gros à la fleur-de-lis, gros royaux, gros à l'O, gros à la queue, parce que la croix qui s'y voyoit avoit une queue ; gros à la couronne, parce qu'ils avoient une couronne, &c. (D.J.)

GROS ou GROAT, (Hist. mod.) en Angleterre signifie une monnoie de compte valant quatre sous. Voyez SOU.

Les autres nations, savoir les Hollandois, Polonois, Saxons, Bohémiens, François, &c. ont aussi leurs gros. Voyez MONNOIE, COIN, &c.

Du tems des Saxons, il n'y avoit point de plus forte monnoie en Angleterre que le sou, ni même depuis la conquête qu'en firent les Normans jusqu'au regne d'Edoüard III. qui en 1350 fit fabriquer des gros, c'est-à-dire de grosses pieces, ayant cours pour 4. den. piece : la monnoie resta sur ce pié-là jusqu'au regne d'Henri VIII. qui en 1504 fit fabriquer le premier les schelins. Voyez SCHELIN & GROSCHEN.

GROS, est aussi une monnoie étrangere qui répond au gros d'Angleterre. En Hollande & en Flandre on compte par livres de gros, valant six florins chacune. Voyez LIVRE. Chambers. (G)

GROS, (Commerce) droit d'aides établi en plusieurs provinces de France : on le nomme droit de gros, parce qu'il se perçoit sur les vins, bierres, cidres, poirés, & eaux-de-vie qui se vendent en gros.

Ce droit consiste au vingtieme du prix de la vente de ces liqueurs ; on prétend que son établissement est de l'an 1355, sous le regne du roi Jean. Diction. de Commerce. (G)

GROS, (Pharmacie) voyez DRAGME.

GROS, (Marine) le gros du vaisseau, c'est l'endroit de sa plus grande largeur vers le milieu ; on y met les plus épais bordages, parce que le bâtiment fatigue plus en cet endroit, & qu'il a moins de force que vers l'avant & l'arriere. (Z)

GROS TEMS, signifie tems orageux, vent forcé, ou tempête.

GROS D'HALEINE, (Manége & Maréchall.) cheval qui souffle considérablement dans l'action & dans le travail, & dont le flanc néanmoins n'est nullement altéré dans le repos, ni plus agité qu'il ne doit l'être naturellement ensuite d'une course violente. Communément il fournit avec autant de vigueur que si l'on ne pouvoit pas lui reprocher cette incommodité, plus disgracieuse pour le cavalier qui le monte que préjudiciable au service dont l'animal lui peut être.

Nous l'attribuons en général à un défaut de conformation : dans ces sortes de chevaux en effet les côtes sont ordinairement plates & serrées, & la capacité du thorax trop peu vaste pour permettre une grande dilatation des poumons ; or ce viscere se trouvant gêné dans son expansion & dans son jeu, il n'est pas étonnant que l'animal soit obligé d'inspirer & d'expirer plus fréquemment, sur-tout dans des momens où l'action des muscles hâte & accélere plus ou moins la marche circulaire, & où le cheval est machinalement obligé de faire de continuels efforts pour faciliter le cours du sang dans des canaux qu'il ne sauroit parcourir avec promtitude & avec aisance, dès que l'extension n'est pas telle qu'elle puisse en favoriser le passage.

Souvent aussi l'animal est gros d'haleine, attendu l'étroitesse de la glotte, de la trachée artere, & principalement des nasaux, dont il est d'autant plus essentiel que le diametre soit considérable, que la plus grande quantité de l'air inspiré & expiré enfile spécialement leurs cavités ; c'est ce qu'il est très-aisé d'observer dans les tems froids & rigoureux ; on voit en effet alors que l'espece de nuage résultant des vapeurs condensées des poumons, sort & s'échappe en plus grande partie par cette voie que par la bouche ; d'où l'on doit juger de l'inconvénient du resserrement du double canal qui forme les fosses nasales, & de la nécessité de sa largeur & de son évasure, pour l'accomplissement d'une respiration libre & parfaite.

L'impossibilité de remédier à un vice qui reconnoît de pareilles causes, est sensible ; mais le cheval n'en étant pas moins utile, pourquoi nous plaindrions nous de notre impuissance ? Nous devons cependant faire attention à ce qu'il ne provienne pas d'un polype (voyez POLYPE), ou de la viscosité de l'humeur bronchiale ; ce qui n'est pas extraordinaire dans des chevaux gros d'haleine, qui font entendre un rallement produit presque toûjours par les différentes collisions de l'air contre les matieres visqueuses qui tapissent les canaux aériens : dans ce dernier cas, le flanc de l'animal n'est point aussi tranquille, & il est fort à craindre qu'il ne devienne poussif, si l'on n'a recours promtement aux médicamens incisifs, atténuans, & fondans, tels que la poudre du lierre terrestre, de racine de méum, d'énula campana, d'iris de Florence, de cloportes, d'éthiops minéral, d'acier, ou de plumbum ustum, &c. qu'il est très-à-propos de lui donner exactement tous les matins & à jeun dans une jointée d'avoine. Voyez POUSSE. (e)


GROS-DE-TOURS& GROS-DE-NAPLES, s. m. (Manufacture en soie) étoffe de soie, dont la chaîne & la trame sont plus fortes qu'au taffetas. La différence du gros-de-Tours & du gros-de-Naples consiste en ce que la trame & la chaîne de celui-ci sont encore plus fortes qu'au gros-de-Tours, ce qui lui donne un grain plus saillant. Il y en a d'unis, de rayés, de façonnés, de brochés en soie, & en dorure. Ceux-ci ne different du taffetas, qu'en ce qu'au lieu de deux coups de navette qu'on passe au taffetas entre les lacs brochés, on n'en passe qu'un ici ; mais en revanche la trame en doit être d'autant plus grosse, n'y ayant qu'une duie ou un croisé entre les brochés, au lieu qu'il y en a deux au taffetas.

Le liage doit aussi différer. Il le faut prendre sur chaque lisse, c'est-à-dire de 4 le 5, afin qu'à chaque coup de navette, on puisse faire baisser la lisse sur laquelle se trouvent les fils qui doivent lier. Ainsi dans l'ordre du remettage, la premiere lisse fournira le fil de la premiere lisse de liage ; la seconde, celui de la seconde de liage, & ainsi des deux autres.

Si l'on veut commencer à lier par la premiere lisse, pour éviter la contrariété, on fera lever la seconde & la quatrieme au premier coup ; au second coup, où la seconde lisse de liage doit baisser, on fera lever la premiere & la troisieme ; au troisieme coup, où la troisieme lisse de liage doit baisser, on fera lever la seconde & la quatrieme ; & au quatrieme & dernier coup du course, où la quatrieme lisse de liage doit baisser, on fera lever la premiere & la troisieme lisse.

Il ne faut pas oublier que dans les taffetas & gros-de-Tours façonnés ou à la tire, les fils sont doubles à chaque maille, & passés comme dans les satins brochés ; mais comme ces étoffes levent la chaîne moitié par moitié, & qu'il y auroit à craindre que les fils de dessous ne suivissent ceux de dessus, ou qui levent, on a soin de mettre à ces étoffes autant de lisses, pour rabattre, que de lisses pour lever, c'est-à-dire quatre de chaque façon ; de maniere que quand la premiere lisse & la troisieme levent, on a soin de faire baisser la seconde & la quatrieme : ce qui fait que l'ouverture est nette & que l'étoffe vient parfaite. Pareillement quand on fait lever la seconde & la quatrieme, on fait baisser la premiere & la troisieme.

Voici l'armure du gros-de-Tours broché à l'ordinaire.

On fait aussi des gros-de-Tours dans lesquels on ne fait point baisser de lisses de rabat au coup de fond : parce qu'on tire un lac qui fait une figure ordinairement delicate, & qui ne paroîtroit pas, si on faisoit rabattre la moitié ; elle ne formeroit pour lors que le gros-de-Tours ordinaire, comme si on ne tiroit point du-tout : au lieu que le rabat ne baissant point, cette figure embellit le fond. Il faut pour ce genre d'étoffe une soie très-belle, afin que les fils qui ne levent point, ne suivent pas en partie ceux qui levent.

C'est la même démonstration pour le taffetas façonné que pour le gros-de-Tours, avec cette différence qu'au taffetas façonné, au lieu de commencer le liage par la quatrieme lisse, il faudroit le commencer par la premiere, afin d'éviter la contrariété des mouvemens dont a parlé ci-dessus, & contre laquelle on ne peut trop se mettre en garde.


GROSCHEou GROS, s. m. (Commerce) monnoie usitée dans quelques parties de l'Allemagne. Il y en a de plusieurs especes. Le gros ou groschen de Saxe fait quatre dreyers, & il faut 24 groschen pour faire un écu d'Empire, qui vaut environ 3 liv. 15 s. argent de France. Le groschen ou gros impérial vaut 3 kreutzers ; il en faut 30 pour faire un écu d'Empire. Le gros appellé en allemand marien-groschen, est une monnoie d'argent usitée dans les duchés de Brunswick & de Lunebourg, dont il faut 36 pour faire un écu d'Empire. Cette monnoie a cours aussi dans les états du roi de Prusse. Le gros ou groschen de Pologne ne vaut qu'un kreutzer : il en faut 90 pour faire un écu d'Empire, ou 3. liv. 15 s. de France. Hubner, dictionnaire géographique. Voyez KREUTZER, &c.


GROSEILLES. f. fruit du groseiller. Il y en a de rouges & de blanches. Voyez GROSEILLER.

GROSEILLE ROUGE, (Chimie Pharmac. & Mat. med.) ce fruit contient un suc aigrelet fort agréable au goût & legerement parfumé, qui appartient à la classe des corps doux végétaux dont il occupe une division caractérisée par l'excès d'acide avec le citron, l'orange, l'épine-vinette, &c. Voyez DOUX & MUQUEUX.

Le suc de groseille un peu rapproché par le feu, ou mêlé d'un peu de sucre, acquiert facilement la consistance de gelée : on en obtient une belle, tremblante, & de garde, en le mêlant au sucre à parties égales ; ensorte qu'on ne conçoit point comment on pourroit en préparer un sirop qui demanderoit qu'on employât une plus grande quantité de sucre, & que le mélange restât cependant sous une consistance liquide. On peut donc avancer sans témérité que le sirop de groseille qu'on trouve au rang des compositions officinales dans plusieurs pharmacopées, est une préparation impossible, du moins si on employe le suc récent ; car l'on peut aisément préparer un sirop avec ce suc altéré par la fermentation acéteuse qui est la seule dont il soit susceptible. Voyez MUQUEUX & VIN. Mais alors on a un sirop de vinaigre plûtôt que de groseille. Voyez VINAIGRE.

On peut employer l'acide de la groseille comme celui de l'épine-vinette à saturer les alkalis terreux, tels que le corail, les yeux d'écrevisse, &c. Voyez CORAIL, voyez aussi YEUX D'ECREVISSE.

On prépare un rob avec ce suc, mais on le conserve plus ordinairement sous la forme de gelée. Voyez ROB & GELEE.

Ce suc étendu de trois ou quatre parties d'eau & édulcoré avec suffisante quantité de sucre, est connu sous le nom d'eau de groseille. Le goût agréable de cette boisson l'a faite passer de la boutique de l'apotiquaire à celle du limonadier : comme la gelée a cessé bien-tôt d'être un remede officinal pour devenir une confiture très-agréable qu'on sert journellement sur les meilleures tables, & dont les bons bourgeois du vieux tems font seuls un remede domestique.

Cette gelée est un excellent analeptique ; elle convient très-bien dans les convalescences des maladies aigues, & sur-tout après les fiévres putrides & bilieuses ; elle fournit un aliment leger, tempérant, & véritablement rafraîchissant. Voyez TEMPERANT & RAFRAICHISSANT.

L'eau de groseille prise à grandes doses est rafraîchissante & humectante ; elle convient dans les chaleurs d'entrailles, les coliques bilieuses & néphrétiques, certaines diarrhées (voyez DIARRHEE), les digestions fongueuses, & toutes les autres incommodités comprises sous le nom général d'échauffement. Voyez ECHAUFFEMENT. Cette boisson est absolument analogue avec la limonade. Voyez CITRON & LIMONADE. On peut la donner pour boisson ordinaire dans certaines fievres ardentes & putrides ; mais dans ce cas, il faut la faire très-legere, & l'employer avec beaucoup de circonspection, principalement lorsqu'on craint l'inflammation des visceres du bas-ventre.

Il ne faut point donner de l'eau de groseille aux personnes qui ont l'estomac foible, facile à être agacé, ni à ceux qui sont sujets aux rhumes, à la toux, & qui ont la poitrine délicate ; car selon une observation constante, les acides affectent particulierement ces organes, & excitent la toux tant pectorale que stomacale.

Geoffroy rapporte, d'après Hanneman cité par Donat, lib. II. Medic. septentrion. que l'usage trop continué des groseilles a causé la consomption ; & d'après George Hannaeus, qu'un homme étoit attaqué de l'enchifrenement aussi-tôt qu'il avoit avalé deux grappes de groseilles rouges. (b)


GROSEILLIER-ÉPINEUXS. m. (Botaniq.) bas arbrisseau dont toutes les tiges sont armées d'épines, & qui portent des baies séparées les unes des autres ; ce genre de plante renferme deux especes générales, l'une sauvage, qui vient parmi les buissons dans la campagne, ou en forme de haies : & l'autre cultivée dans un grand nombre de jardins. Ces deux especes générales contiennent en outre plusieurs especes particulieres ; mais il suffira de caractériser la plante.

Ses feuilles sont laciniées ou déchiquetées ; ses fleurs sont à cinq pétales ; toute la plante est garnie d'épines ; le fruit croît épars sur l'arbre, qui n'a d'ordinaire sur chaque bouton de ses tiges qu'un seul fruit, lequel est d'une figure ovalaire ou sphérique, renfermant plusieurs petites graines environnées d'une pulpe molle.

Ses noms botaniques sont grossularia, ou uva crispa, Park. théat. 1560. Ger. 1. 143. J. B. 147. Raii, hist. 1484. grossularia simplici acino, spinosa sylvestris, C. B. P. 455. Tourn. inst. 639. Boerh. ind. alt. 2. 153. En françois le groseillier-blanc-épineux, dont le fruit s'appelle groseille-blanche-épineuse, en anglois, the goose-berry tree.

Cet arbrisseau est haut de deux coudées & plus ; sa racine est ligneuse, garnie de quelques fibres ; ses tiges sont nombreuses, & se partagent en plusieurs rameaux ; son écorce est purpurine dans les vieilles branches, blanchâtre dans les jeunes ; son bois est de couleur de boüis pâle ; il est garni de longues & fortes épines près de l'origine des feuilles ; quelquefois les épines sont seules à seules ; d'autres fois elles sont deux à deux, ou trois à trois.

Ses feuilles sont larges d'un doigt, quelquefois arrondies, legerement découpées, semblables en quelque façon à celles de la vigne, d'un verd foncé, luisantes en-dessus, d'un verd plus clair en-dessous, molles, un peu velues, acidules, & portées sur de courtes queues.

Ses fleurs sont petites, d'une odeur suave, mais un peu forte ; elles naissent plusieurs ensemble du même tubercule d'où sortent les feuilles, sur un pédicule très-court, rougeâtre, velu. Elles sont pendantes, faites en rose, composées de cinq pétales placées en rond, d'un verd blanchâtre ; leur calice est d'une seule piece, en forme de bassin, partagé en cinq segmens rouges des deux côtés, réfléchis en-dehors ; elles ont cinq étamines, & un pistil verdâtre, garni à sa partie inférieure d'un duvet blanc.

La partie postérieure du calice est comme sphérique ; elle se change en une baie sphérique ou ovalaire, quelquefois velue, le plus souvent lisse, molle, pleine de suc, marquée d'un nombril, distingué par plusieurs lignes qui s'étendent depuis le pédicule jusqu'au nombril, & qui sont comme autant de méridiens. Cette baie est de couleur verte, dans le commencement acide & austere au goût, jaunâtre quand elle est mûre, d'une saveur douce & vineuse, remplie de plusieurs petites graines blanchâtres.

Cet arbrisseau vient de lui-même en France, presque par-tout, & n'est pas moins fréquent en Allemagne & en Angleterre. Mais on le cultive dans ce dernier pays, de même qu'en Hollande, où ses feuilles & ses baies deviennent plus grandes. Alors on l'appelle groseillier épineux cultivé. Les Botanistes l'ont nommé grossularia spinosa sativa, C. B. P. 455. J. R. H. 639. grossularia majore fructu, Clus. Hist. 120. uva crispa fructu cerasi magnitudine. Gesn. hort.

On ne fait usage que des fruits du groseillier épineux. soit sauvage, soit cultivé. On les mange verds ou mûrs. Dans leur maturité ils ont une saveur un peu douce, mais fade. Quand ils sont verds, ils sont acides, austeres, rafraîchissans, & astringens. On s'en sert quelquefois à la place de verjus ; ils sont agréables aux personnes qui ont du dégoût pour toutes sortes de nourriture alkaline, & alors ils appaisent les nausées & les maux de coeur qui proviennent d'une bile prédominante ; mais si l'on en abuse, ils sont flatulenteux, & nuisent aux estomacs foibles.

Il s'en consomme une grande quantité en Hollande & en Angleterre ; & on ne voit à Londres pendant la saison de ces fruits dans les boutiques de pâtissier, que des gooseberries-pyes ; il faut convenir que ce fruit est utile pour tempérer l'acrimonie muriatique & alkaline de la nourriture angloise. En France, il n'y a que les enfans, les femmelettes, ou les gens de la campagne qui en mangent. Ce fruit étant mou dans sa maturité avec une douceur fade, se corrompt promtement dans l'estomac, & n'est plus astringent comme quand il est verd. On n'en use guere en Medecine, excepté quelquefois dans les tisanes, pour rafraîchir & ranimer le ton des fibres du ventricule.

Les Anglois, au rapport de Ray, font du vin des fruits mûrs du groseillier épineux. Ils les mettent dans un tonneau, & répandent de l'eau bouillante dessus ; ils bouchent bien le tonneau, & le laissent dans un lieu tempéré pendant trois ou quatre semaines, jusqu'à-ce que la liqueur soit imprégnée du suc & de l'esprit de ces fruits, qui restent insipides. Ensuite on verse cette liqueur dans des bouteilles : on y jette du sucre, on les bouche bien, & on les laisse jusqu'à-ce que la liqueur mêlée intimement avec le sucre par la fermentation, se soit changée en une liqueur pénétrante, & assez semblable à du vin.

Miller compte neuf especes de groseilliers-épineux cultivés en Angleterre, auxquels il faut ajoûter le groseillier-épineux de l'Amérique que nous nous contenterons de décrire.

Ses tiges sont jaunes, rondes, deux fois grosses comme le pouce, & hérissées de petites étoiles piquantes, si près les unes des autres, qu'il est presque impossible de les prendre sans se blesser. Ses feuilles sont petites, de la largeur de la filaria, mais un peu plus longues, & deux fois plus épaisses. Au haut de ses tiges croissent des bouquets de fleurs blanches comme neige, toutes semblables aux roses de Gueldre. A leur chûte succedent des fruits gros comme des oeufs de pigeon, de couleur jaune quand ils sont bien mûrs : Il sort de l'écorce du fruit cinq ou six petites feuilles pointues & fort étroites. Le dedans du fruit est assez semblable à celui des groseilles, mais d'un mauvais goût.

Les botanistes qui ont nommé le groseillier épineux uva crispa simplici acino, l'ont fort bien désigné ; 1°. parce que son fruit ressemble au raisin, & qu'il est velu ; 2°. parce que ce fruit vient en grains ou baies séparées, & non pas en grappe. Pour le nom de grossularia, j'en ignore l'origine : car celle qu'on donne à cute grossâ, de sa peau grosse ou épaisse, est aussi pitoyable que barbare. (D.J.)

GROSEILLIER-EPINEUX, (Jardin) cet arbrisseau cultivé se met ordinairement en France dans un lieu écarté du jardin. Il n'est point d'une nature délicate, & pourvû qu'on l'entretienne de tems en tems par un labour, il vient également bien dans toute sorte de terre. Les labours lui sont nécessaires, parce que portant successivement une nouvelle nourriture à leurs racines, ils procurent un fruit plus beau, plus gros, & d'un meilleur goût. Tous les groseilliers-épineux chargent extrèmement, & quoique leur bois soit d'un génie assez retenu, pour peu qu'il s'échappe, on prend soin de l'arrêter avec des ciseaux. Ils rapportent beaucoup, & produisent autour de leurs vieux piés un grand nombre de rejettons enracinés, qui servent à les multiplier ; outre que les branches, & particulierement les jeunes prennent de bouture. On les plante en rigole ainsi qu'on fait une haie vive, au mois de Septembre ou de Mars, & on les espace de six à huit piés ; c'est à-peu-près-là toute la façon que nous y employons dans ce royaume.

Mais comme les Anglois font une consommation prodigieuse des baies de cet arbuste, les jardiniers de Londres pour pourvoir à cette consommation, & profiter en même tems de leur terrein, qui est très-cher, taillent leurs groseilliers-épineux après la Saint-Michel, bechent la terre qui est entre chaque arbrisseau, & y plantent tels légumes que le débit en soit fait au printems : saison où leurs groseilliers-épineux commencent à pousser. Au moyen de cette méthode ingénieuse, qu'on peut appliquer à d'autres points d'Agriculture dans tous les lieux où le terrein est précieux & borné, ils ne portent aucun préjudice à leurs autres arbres, & ils se servent même de cette ressource pour mettre à l'abri du grand froid des légumes qui périroient ailleurs, & dont ils tirent en outre un profit considérable. (D.J.)

GROSEILLIER, ou GROSEILLIER A GRAPPES, (Botanique) en anglois, the currant-tree, & par les Botanistes, ribes, ou ribes vulgaris non spinosa.

Voici ses caracteres : c'est un arbrisseau sans piquans, à larges feuilles ; son pédicule se termine par un ovaire couronné d'un calice divisé en cinq segmens ; sa fleur est pentapétale, & est garnie de cinq étamines ; l'ovaire donne un tuyau qui forme un fruit long en ombilic figuré en grappes, & plein de petits pepins.

On compte plusieurs especes de groseilliers à grappes, dont la plus commune qu'il suffira de décrire dans cet ouvrage, est le ribes vulgaris acidus, ruber, de J. Bauhin, Boerhaave, Gérard, Ray, Parkinson, &c.

Il a ses racines branchues, fibreuses, & astringentes ; ses tiges ou verges sont nombreuses, pliantes, & flexibles, hautes de deux ou de trois coudées, couvertes d'une écorce brune ou cendrée ; leur bois est verd, & renferme beaucoup de moëlle ; ses feuilles sont semblables à celles de la vigne, mais beaucoup plus petites, molles, sinuées, d'un goût acerbe, d'un verd foncé en-dessus, lisses, blanchâtres, & couvertes en-dessous de duvet ; ses fleurs sont par grappes, disposées en rose, composées de cinq pétales purpurins en maniere de coeur. Elles naissent des crenelures du calice, qui est en forme de bassin découpé en cinq segmens, dont la partie postérieure se change en une baie ou grain verd d'abord, rouge ou blanc quand il est mûr, large de deux lignes, sphérique, rempli d'un suc acide, agréable, & de plusieurs petites semences.

Cet arbrisseau vient en France, par exemple, dans les forêts des Alpes & des Pyrénées. On le cultive communément dans les jardins & dans les vergers. Il fleurit en Avril & Mai ; son fruit est mûr en Juin & Juillet. On le mange & on s'en sert en Medecine. Voyez GROSEILLE. (D.J.)

GROSEILLIER, ribes, (Agric. Jard.) il réussit mieux de bouture que de plan ; mais quand il a bien repris, il ne faut pas couper le bout des branches, ni les arrêter, à-moins que ces branches ne nuisent. On peut aisément multiplier les groseilliers en plantant leurs rejettons en Octobre, en les arrosant dans la sécheresse, & en les garantissant des mauvaises herbes. La terre sablonneuse est celle de toutes qui leur convient le mieux ; & pour que les groseilles deviennent belles, il est bon d'amender & de labourer le terrein : ensuite il sera nécessaire de renouveller cet arbuste tous les dix ans, parce qu'au bout de ce terme il ne donne que des petits fruits, & ne fait plus de beau bois.

On plante communément ces arbrisseaux à l'ombre d'autres arbres : cependant dans nos climats tempérés, le fruit est tout autrement meilleur, quand on les expose en plein air : méthode qui se pratique en Hollande, le pays de l'Europe où l'on entend le mieux la culture du groseillier, & où l'on en voit davantage ; c'est-là qu'on les diversifie de toutes manieres : on les met en buisson, on les tient en arbrisseaux, auxquels on donne un à deux piés de tige ; on les attache à des échalas, on les range par allées, on les éleve en espaliers contre des murs ou palissades, à six ou sept piés de hauteur, & finalement on en fait des contr'espaliers ; à tous ces égards ils offrent une charmante perspective dans la saison, & fournissent en abondance un fruit recherché par sa beauté, sa grosseur, sa qualité, & son éclat.

Pour mettre en buisson les groseilliers avec profit, il faut les planter à une distance convenable les uns des autres, & leur donner deux ou trois labours tous les ans.

Le groseillier en buisson demande une forme ronde & bien évuidée dans le dedans ; sa tige doit être touffue par le bas, plus ou moins grosse, & les branches doivent sortir du pié pour former le corps de ce buisson. On ne les taille point les deux premieres années, afin de conserver le jeune bois qui donne du fruit, mais on ne négligera pas de les tailler les années suivantes : car autrement par la confusion des branches qui passeroient, le groseillier ne seroit plus agréable à la vûe, ne joüiroit plus des rayons du soleil, & ne produiroit plus d'aussi beaux fruits.

Les groseilliers plantés en alignement par rangées, requierent quatre piés d'espace d'un rang à l'autre, & environ dix piés entre chaque groseillier. La distance qu'ils doivent avoir en espaliers sera de huit piés, afin que leurs branches puissent être traînées horisontalement, ce qui contribue beaucoup à améliorer leurs fructifications. Ceux qu'on plante contre des murs ou des palissades, sont plus précoces qu'en plein vent, & en outre donnent leurs fruits mûrs quinze jours plûtôt ou plus tard, suivant leur exposition au midi ou au nord.

La bonne maniere de tailler les groseillers, est de couper les branches fort courtes, afin d'avoir l'année suivante un fruit gros, nourri, & moins sujet à couler ; mais comme ce fruit est produit sur les petits noeuds qui sortent du vieux bois, il faut conserver ces noeuds, & raccourcir les jeunes rejettons à proportion de leur force ; il est donc très-essentiel en taillant le groseillier, de ne point toucher à ces noeuds pour les rendre unis.

Les groseilliers ne tirent pas seulement leur mérite de donner du fruit promtement, mais encore de produire un fruit durable, & qu'on peut manger jusqu'aux gelées, en mettant des plans de groseilliers à l'ombre entre deux buissons assez grands pour qu'ils soient moins frappés du soleil. Si l'ombrage de ces buissons ne suffit pas, on peut empailler les groseilliers, & par ce moyen conserver les groseilles fort avant dans la saison. Quant aux fourmis, qui sont les ennemis de cet arbuste, il faut tâcher de les détruire avec de l'eau bouillante, ou par quelqu'un des artifices indiqués au mot FOURMILIERE. (D.J.)

GROSEILLIER NOIR, (Mat. med.) voyez CASSIS.


GROSSAISOLA, (Géog.) île de la Dalmatie dans le golphe de Venise au comté de Zara, d'environ 20 lieues de circuit. Elle appartient aux Vénitiens. Long. 32d. 33'. 6". latit. 44d. 4'25". (D.J.)


GROSSES. f. (Jurisprud.) est une expédition d'un acte public, comme d'un contrat, d'une requête, d'une sentence ou arrêt. Dans les contrats, inventaires, procès-verbaux & jugemens, la grosse est la premiere expédition tirée sur la minute qui est l'original ; au contraire pour les requêtes, inventaires de production, & autres écritures, la grosse est l'original, & la copie est ordinairement plus minutée.

On appelle grosse ces sortes d'expéditions, parce qu'elles sont ordinairement écrites en plus gros caracteres que la minute ou copie. Voyez ce caractere dans les Planches de l'écrivain.

En fait de contrats & de jugemens on n'appelle grosse que la premiere expédition qui est en forme exécutoire.

Dans un ordre il faut rapporter la premiere grosse de l'obligation dont on demande le payement, si la premiere est perdue on en peut faire lever une seconde, en le faisant ordonner avec les parties intéressées ; mais en ce cas on n'est colloqué que du jour de la seconde grosse, parce que l'on présume que la premiere pourroit être quitancée : au parlement de Normandie, le créancier ne laisse pas d'être colloqué du jour de l'obligation. Voyez l'art. 119. du reglement de 1660.

Dans quelques pays on ne connoît point de forme particuliere pour les grosses des contrats & sentences : on dit premiere & seconde expédition. (A)

GROSSE, (Commerce) c'est un compte de douze douzaines, c'est-à-dire de douze fois douze, qui font cent quarante-quatre, une demi-grosse est six douzaines ou la moitié d'une grosse.

Il y a quantité de marchandises que les marchands grossiers manufacturiers & ouvriers vendent à la grosse, comme les boutons de soie, fil & poil, les couteaux de table, & ceux à ressort, les ciseaux à lingeres & à tailleurs, les limes, les vrilles, les écritoires, les peignes, dez à coudre, & plusieurs autres ouvrages de quincaillerie & de mercerie : comme aussi le fil à marquer, les rubans de fil, &c. Dictionn. du Comm. & de Trévoux. (G)

GROSSE-AVANTURE, s. f. (Jurisprud.) qu'on appelle aussi contrat à la grosse, ou contrat à retour de voyage, & que les Jurisconsultes appellent trajectitia pecunia, est un prêt que l'on fait d'une somme d'argent à gros interêt, comme au denier quatre, cinq, six, ou autres qui excedent le taux de l'ordonnance, à quelqu'un qui va trafiquer au-delà des mers, à condition que si le vaisseau vient à périr, la dette sera perdue.

Ces contrats sont admis en France nonobstant le chapitre dernier aux décrétales de usuris, dont la décision n'a point été suivie par nos théologiens. Ils sont aussi autorisés par l'ordonnance de la Marine, liv. III. tit. v. La raison qui fait qu'on ne les regarde pas comme usuraires, est tant par rapport aux gains considérables, que peut faire celui qui emprunte pour le commerce maritime, qu'à cause du risque que court le créancier de perdre son argent : : c'est d'ailleurs une espece de société dans laquelle le créancier entre avec celui auquel il prête.

Les contrats à grosse-avanture peuvent être faits devant notaire ou sous seing-privé.

L'argent peut être prêté sur le corps & quille du vaisseau, sur agrêts & apparaux, armement & victuailles, conjointement & séparément, & sur le tout ou partie de son chargement pour un voyage entier, ou pour un tems limité.

Il n'est pas permis d'emprunter sur le navire ou sur le chargement au-delà de leur valeur ; à peine d'être contraint en cas de fraude au payement des sommes entieres, nonobstant la perte ou prise du vaisseau.

Il est aussi défendu sous même peine, de prendre des deniers sur le fret à faire par le vaisseau & sur le profit espéré des marchandises, même sur les loyers des matelots, si ce n'est en présence & du consentement du maître, & au-dessous de la moitié du loyer.

On ne peut pareillement donner de l'argent à la grosse, aux matelots sur leurs loyers ou voyages, sinon en présence & du consentement du maître, à peine de confiscation du prêt & de 50 liv. d'amende.

Les maîtres sont responsables en leur nom du total des sommes prises de leur consentement par les matelots si elles excedent la moitié de leurs loyers, & ce nonobstant la perte ou prise du vaisseau.

Le navire, ses agrêts & apparaux, armement & victuailles, même le fret, sont affectés par privilége au principal & intérêt de l'argent prêté sur le corps & quille du vaisseau pour les nécessités du voyage, & le chargement au payement des deniers pris pour le faire.

Ceux qui prêteront à la grosse au maître dans le lieu de la demeure des propriétaires, sans leur consentement, n'auront hypotheque ni privilége que sur la portion que le maître pourra avoir au vaisseau & au fret, quoique les contrats fussent causés pour radoub ou victuailles de bâtiment.

Mais les parts & portions des propriétaires qui auroient refusé de contribuer pour mettre le bâtiment en état, sont affectées aux deniers pris par les maîtres pour radoub & victuailles.

Les deniers laissés pour renouvellement ou continuation, n'entrent point en concurrence avec ceux qui sont actuellement fournis pour le même voyage.

Tous contrats à la grosse demeurent nuls par la perte entiere des effets sur lesquels on a prêté, pourvû qu'elle arrive par cas fortuit dans le tems & dans les lieux des risques.

Les prêteurs à la grosse contribuent à la décharge des preneurs aux grosses avaries, comme rachats, compositions, jets, mâts & cordages coupés pour le salut commun du navire & des marchandises, & non aux simples avaries ou dommages particuliers qui leur pourroient arriver, s'il n'y a convention contraire.

En cas de naufrage les contrats à la grosse sont réduits à la valeur des effets sauvés.

Lorsqu'il y a contrat à la grosse, & assûrance sur un même chargement, le donneur à la grosse est préféré aux assûreurs sur les effets sauvés du naufrage pour son capital seulement.

Il y a encore plusieurs regles pour ces contrats, que l'on peut voir dans l'ordonnance. Voyez aussi la loi 4. ff. de nautico foenore, & la loi 1. cod. eodem. (A)


GROSSEN(Géog.) ville d'Allemagne dans la Silésie, avec titre de duché. Elle est au confluent du Bober & de Loder, à 16 lieues N. O. de Glogaw, 10 S. E. de Francfort sur l'Oder. Long. 32. 58. latit. 52. 2. (D.J.)


GROSSESSES. f. (Econom. anim. Medecin.) c'est le terme ordinaire que l'on employe pour désigner l'état d'une femme enceinte, c'est-à-dire d'une femme dans laquelle s'est opéré l'ouvrage de la conception, pour la production d'un homme, mâle ou femelle, quelquefois de deux, rarement d'un plus grand nombre.

On entend aussi par le terme de grossesse, le tems pendant lequel une femme qui a conçu, porte dans son sein l'effet de l'acte de la génération, le fruit de la fécondation ; depuis le moment où la faculté prolifique a été réduite en acte, & où toutes les conditions requises de la part de l'un & de l'autre sexe, concourent dans la femme, & commencent à y jetter les fondemens du foetus, jusqu'à sa sortie.

Il suffit pour caractériser la grossesse, que ce qui est engendré prenne accroissement ou soit présumé pouvoir le prendre (dans les parties qui sont susceptibles de le contenir, mais ordinairement dans la matrice, rarement dans les trompes, & hors des parties de la génération), au point de procurer au bas-ventre une augmentation de volume, de le rendre plus renflé, plus gros, qu'il n'est ordinairement. Ainsi il n'y a pas moins grossesse, soit que le germe reste parfait, ou qu'il devienne imparfait dans sa formation, dans son développement, & dans celui de ses enveloppes : les cas où il ne se forme que des monstres, des moles, de faux-germes, qui prennent néanmoins un certain accroissement, constituent toûjours de vraies grossesses.

L'état où les germes restent enfermés, se nourrissent & croissent dans le sein des femelles de tous les animaux vivipares, comme dans l'espece humaine, a beaucoup de rapport avec l'incubation des ovipares ; il peut être regardé lui-même comme une véritable incubation qui se fait au-dedans du corps des femelles pour la même fin que celles des ovipares se fait au dehors. Le foetus humain, comme celui de tous les vivipares, prend son accroissement dans le ventre de sa mere pour acquérir des forces, qui lui donnent le moyen d'en sortir, & de pouvoir subsister hors d'elle, d'une maniere convenable aux dispositions qu'il a acquises ; de même que le poulet couvé dans l'oeuf, s'y nourrit & y grossit, jusqu'à-ce qu'il soit assez fort pour en sortir & pour travailler ultérieurement à sa nourriture & à son accroissement d'une maniere proportionnée à ses forces. Voyez GENERATION, FOETUS, INCUBATION.

L'exposition de ce qui se passe pendant la grossesse, n'étant donc que l'histoire de la formation du foetus humain, de son développement, de la maniere particuliere dont il vit, dont il se nourrit, dont il croît dans le ventre de sa mere, & dont se font toutes ces différentes opérations de la nature à l'égard de l'un & de l'autre ; c'est proprement l'histoire du foetus même qu'il s'agiroit de placer ici, si elle ne se trouvoit pas suffisamment détaillée en son lieu. Voyez FOETUS. Ainsi il ne reste à traiter dans cet article, que des généralités de la grossesse, & de ce qui y est relatif ; savoir, des signes qui l'annoncent, de sa durée, des causes qui en déterminent les différens termes naturels & contre-nature ; & ensuite du régime qu'il convient aux femmes d'observer pendant la grossesse, des maladies qui dépendent de cet état, & de la cure particuliere dont elles sont susceptibles. Cela posé, entrons en matiere, suivant l'ordre qui vient d'être établi.

Des signes de la grossesse. Quelques auteurs, dit M. de Buffon dans son histoire naturelle, tom. IV. en traitant de l'homme ; quelques auteurs ont indiqué deux signes pour reconnoître si une femme a conçu. Le premier est un saisissement ou une sorte d'ébranlement qu'elle ressent dans tout le corps au moment de la conception, & qui dure même pendant quelques jours. Le second est pris de l'orifice de la matrice, qu'ils assûrent être entierement fermé après la conception. Mais ces signes sont au-moins bien équivoques, s'ils ne sont pas imaginaires.

Le saisissement qui arrive au moment de la conception est indiqué par Hippocrate dans ces termes : liquidò constat earum rerum peritis, quod mulier, ubi concepit, statim inhorrescit ac dentibus stridet, & articulum reliquumque corpus convulsio prehendit : c'est donc une sorte de frisson que les femmes ressentent dans tout le corps au moment de la conception, selon Hippocrate ; & le frisson seroit assez fort pour faire choquer les dents les unes contre les autres, comme dans la fievre. Galien explique ce symptome par un mouvement de contraction ou de resserrement dans la matrice ; & il ajoûte que des femmes lui ont dit qu'elles avoient eu cette sensation au moment qu'elles avoient conçu. D'autres auteurs l'expriment par un sentiment vague de froid qui parcourt tout le corps, & ils employent aussi les mots d'horror & d'horripilatio. La plûpart établissent ce fait, comme Galien, sur le rapport de plusieurs femmes. Ce symptome seroit donc un effet de la contraction de la matrice qui se resserreroit au moment de la conception, & qui fermeroit par ce moyen son orifice, comme Hippocrate l'a exprimé par ces mots, quae in utero gerunt, harum of uteri clausum est ; ou, selon un autre traducteur, quaecumque sunt gravidae, illis of uteri connivet. Cependant les sentimens sont partagés sur les changemens qui arrivent à l'orifice interne de la matrice après la conception : les uns soûtiennent que les bords de cet orifice se rapprochent, de façon qu'il ne reste aucun espace vuide entr'eux ; & c'est dans ce sens qu'ils interpretent Hippocrate : d'autres prétendent que ces bords ne sont exactement rapprochés qu'après les deux premiers mois de la grossesse ; mais ils conviennent qu'immédiatement après la conception, l'orifice est fermé par l'adhérence d'une humeur glutineuse ; & ils ajoûtent que la matrice qui hors de la grossesse pourroit recevoir par son orifice un corps de la grosseur d'un pois, n'a plus d'ouverture sensible après la conception ; & que cette différence est si marquée, qu'une sage-femme habile peut la reconnoître. Cela supposé, on pourroit donc constater l'état de la grossesse dans les premiers jours. Ceux qui sont opposés à ce sentiment, disent que si l'orifice de la matrice étoit fermé après la conception, il seroit impossible qu'il y eût de superfétation. On peut répondre à cette objection, qu'il est très-possible que la liqueur séminale pénetre à travers les membranes de la matrice ; que même la matrice peut s'ouvrir pour la superfétation, dans certaines circonstances, & que d'ailleurs les superfétations arrivent si rarement, qu'elles ne peuvent faire qu'une legere exception à la regle générale. D'autres auteurs ont avancé que le changement qui arriveroit à l'orifice de la matrice, ne pourroit être marqué que dans les femmes qui auroient déjà mis des enfans au monde, & non pas dans celles qui auroient conçu pour la premiere fois : il est à croire que dans celles-ci la différence doit être moins sensible ; mais quelque grande qu'elle puisse être, en doit-on conclure que ce signe est réel & certain ? Ne faut-il pas du-moins avoüer qu'il n'est pas assez évident ? L'étude de l'anatomie & de l'expérience ne donnent sur ce sujet que des connoissances générales, qui sont fautives dans un examen particulier de cette nature. Il en est de même du saisissement ou du froid convulsif, que certaines femmes ont dit avoir ressenti au moment de la conception. Comme la plûpart des femmes n'éprouvent pas le même symptome, que d'autres assûrent au contraire avoir ressenti une ardeur brûlante, causée par la chaleur de la liqueur séminale du mâle, & que le plus grand nombre avoue n'avoir rien senti de tout cela, on doit en conclure que ces signes sont très-équivoques, & que lorsqu'ils arrivent c'est peut-être moins un effet de la conception, que d'autres causes qui paroissent plus probables.

A ce qui vient d'être dit des signes de la grossesse, M. de Buffon ajoûte un fait qui prouve que l'orifice de la matrice ne se ferme pas immédiatement après la conception, ou bien que s'il se ferme, la liqueur séminale du mâle ne laisse pas de pouvoir entrer dans la matrice, en pénétrant à-travers le tissu de ce viscere. Une femme de Charles-Town, dans la Caroline méridionale, accoucha en 1714 de deux jumeaux, qui vinrent au monde tout-de-suite l'un après l'autre ; il se trouva que l'un étoit un enfant negre, & l'autre un enfant blanc ; ce qui surprit beaucoup les assistans. Ce témoignage évident de l'infidélité de cette femme à l'égard de son mari, la força d'avouer qu'un negre qui la servoit étoit entré dans sa chambre un jour que son mari venoit de la laisser dans son lit ; & elle ajoûta pour s'excuser, que ce negre l'avoit menacée de la tuer, & qu'elle avoit été contrainte de le satisfaire. Voyez lectures on muscular motion, by M. Parsons. London, 1745, pag. 79. Ce fait ne prouve-t-il pas aussi que la conception de deux ou de plusieurs jumeaux ne se fait pas toûjours en même tems ? Voyez SUPERFETATION.

La grossesse, continue M. de Buffon, a encore un grand nombre de symptomes équivoques, auxquels on prétend communément la reconnoître dans les premiers mois ; savoir une douleur legere dans la région de la matrice & dans les lombes ; un engourdissement dans tout le corps, & un assoupissement continuel ; une mélancolie qui rend les femmes tristes & capricieuses ; des douleurs de dents, le mal de tête, des vertiges qui offusquent la vûe, le retrécissement des prunelles, les yeux jaunes & injectés, les paupieres affaissées, la pâleur & les taches du visage, le goût dépravé, le dégoût, les vomissemens, les crachemens, les symptomes hystériques, les fleurs blanches, la cessation de l'écoulement périodique, ou son changement en hémorrhagie, la secrétion du lait dans les mammelles, &c. L'on pourroit encore rapporter plusieurs autres symptomes, qui ont été indiqués comme des signes de la grossesse, mais qui ne sont souvent que les effets de quelques maladies particulieres ; il n'y a que les mouvemens du foetus, devenu assez fort environ le quatrieme mois, pour les rendre sensibles au toucher sur le ventre, qui puisse assûrer l'état de la grossesse, & qui en soient par conséquent le signe le moins équivoque, si on les distingue bien des remuemens d'entrailles : on peut même dire qu'ils sont un signe certain, lorsqu'ils sont joints à la dureté, à l'enflure particuliere de l'hypogastre, dans un sujet qui joüit d'ailleurs d'une bonne santé ; les symptomes ci-devant mentionnés cessant ordinairement vers ce tems-là, lorsqu'ils sont l'effet de la grossesse.

On seroit obligé d'entrer dans un trop grand détail, si l'on vouloit considérer chacun de ces symptomes & en rechercher la cause : pourroit-on même le faire d'une maniere avantageuse, puisqu'il n'y en a pas un qui ne demandât une longue suite d'observations bien faites ? Il en est ici comme d'une infinité d'autres sujets de physiologie & d'économie animale ; à l'exception d'un petit nombre d'hommes rares, qui ont répandu de la lumiere sur quelques points particuliers de ces sciences ; la plûpart des auteurs qui en ont écrit, les ont traités d'une maniere si vague, & les ont expliqués par des rapports si éloignés & par des hypotheses si fausses, qu'il auroit mieux valu n'en rien dire du tout.

Ce qu'on peut cependant indiquer ici de plus vraisemblable concernant les incommodités, les desordres dans l'économie animale, qu'éprouvent la plûpart des femmes dans les commencemens de leur grossesse, c'est que l'on doit les attribuer en général à la suppression des menstrues, plûtôt qu'à toute autre cause. Voyez ci-après GROSSESSE (maladie de la). Ce sont les mêmes symptomes que souffrent les filles à qui cette évacuation périodique manque. En effet, les incommodités des femmes grosses ne commencent à se faire sentir qu'au tems après la conception, où les regles auroient paru, si elle n'avoit pas eu lieu ; ensorte qu'il se passe quelquefois près d'un mois sans que les maux de la grossesse surviennent, si la conception s'est faite immédiatement après les regles. Les bêtes qui ne sont pas sujettes à cette évacuation périodique, n'éprouvent aucun des effets qui suivent la suppression. La subversion de l'équilibre dans les solides & dans les fluides, qui résulte du reflux dans la masse des humeurs du sang qui devroit être évacué pour le maintien de cet équilibre, semble une cause suffisante pour rendre raison de tous les accidens occasionnés par les regles retenues. Voyez ce qui est dit à ce sujet dans l'art. EQUILIBRE, (Econ. anim.) ; & pour ce qui regarde le goût dépravé des femmes grosses, leurs fantaisies singulieres, voyez ENVIE, (Pathol.) MALACIE, OPILATION, MENSTRUES. Voyez aussi ci-après ce qui est dit des maladies dépendantes de la grossesse.

Dans le cours ordinaire de la nature, les femmes ne sont en état de concevoir qu'après la premiere éruption des regles ; & la cessation de cet écoulement à un certain âge, les rend stériles pour le reste de leur vie. Voyez PUBERTE, MENSTRUES. Il arrive cependant quelquefois que la conception devance le tems de la premiere éruption des regles. Il y a beaucoup de femmes qui sont devenues meres avant d'avoir eu la moindre marque de l'écoulement naturel à leur sexe ; il y en a même quelques-unes qui, sans être jamais sujettes à cet écoulement périodique, ne laissent pas d'être fécondes. On peut en trouver des exemples dans nos climats, sans les chercher jusque dans le Bresil, où des nations entieres se perpétuent, dit-on, sans qu'aucune femme ait d'écoulement périodique. On sait aussi que la cessation des regles, qui arrive ordinairement entre quarante & cinquante ans, ne met pas toutes les femmes hors d'état de concevoir. Il y en a qui ont conçû après cet âge, & même jusqu'à soixante & soixante & dix ans : mais on doit regarder ces exemples, quoique assez fréquens, comme des exceptions à la regle ; & d'ailleurs, quoiqu'il ne se fasse pas d'évacuation périodique de sang, il ne s'ensuit pas toûjours que la matiere de cette évacuation n'existe point dans la matrice. Voyez MENSTRUES.

La durée de la grossesse est pour l'ordinaire d'environ neuf mois, c'est-à-dire de deux cent soixante & quatorze jours : ce tems est cependant quelquefois plus long, & très-souvent bien plus court. On sait qu'il naît beaucoup d'enfans à sept & à huit mois ; on sait aussi qu'il en naît quelques-uns beaucoup plûtard qu'au neuvieme mois : mais en général les accouchemens qui précedent le terme de neuf mois, sont plus communs que ceux qui le passent ; aussi on peut avancer que le plus grand nombre des accouchemens qui n'arrivent pas entre le deux cent soixante & dixieme jour & le deux cent quatre-vingtieme, arrivent du deux cent soixantieme au deux cent soixante & dixieme ; & ceux qui disent que ces accouchemens ne doivent pas être regardés comme prématurés, paroissent bien fondés. Selon ce calcul, les tems ordinaires de l'accouchement naturel s'étendent à vingt jours, c'est-à-dire depuis huit mois & quatorze jours, jusqu'à neuf mois & quatre jours.

On a fait une observation qui paroît prouver l'étendue de cette variation dans la durée des grossesses en général, & donner en même tems le moyen de la réduire à un terme fixe, dans telle ou telle grossesse particuliere. Quelques personnes prétendent avoir remarqué que l'accouchement arrivoit après dix mois lunaires de vingt-sept jours, ou neuf mois solaires de trente jours, au premier ou au second jour qui répondoit aux deux premiers jours auxquels l'écoulement périodique étoit arrivé à la mere avant sa grossesse. Avec un peu d'attention, l'on verra que le nombre de dix périodes de l'écoulement des regles peut en effet fixer le tems de l'accouchement à la fin du neuvieme mois, ou au commencement du dixieme.

Il naît beaucoup d'enfans avant le deux cent soixantieme jour ; & quoique ces accouchemens précedent le terme ordinaire, ce ne sont pas de fausses-couches, parce que ces enfans vivent pour la plûpart. On dit ordinairement qu'ils sont nés à sept mois ou à huit mois ; mais il ne faut pas croire qu'ils naissent en effet précisément à sept mois ou à huit mois accomplis ; c'est indifféremment dans le courant du sixieme, du septieme, du huitieme, & même dans le commencement du neuvieme mois. Hippocrate dit clairement que les enfans de sept mois naissent dès le cent quatre-vingt-deuxieme jour ; ce qui fait précisément la moitié de l'année solaire.

On croit communément que les enfans qui naissent à huit mois, ne peuvent pas vivre, ou du-moins qu'il en périt beaucoup plus de ceux-là, que de ceux qui naissent à sept mois. Pour peu que l'on refléchisse sur cette opinion, elle paroît n'être qu'un paradoxe ; & je ne sai si en consultant l'expérience, on ne trouvera pas que c'est une erreur. L'enfant qui vient à huit mois est plus formé, & par conséquent plus vigoureux, plus fait pour vivre, que celui qui n'a que sept mois : cependant cette opinion, que les enfans de huit mois périssent plûtôt que ceux de sept, est assez communément reçûe ; elle est fondée sur l'autorité d'Aristote, qui dit : caeteris animantibus ferendi uteri unum est tempus ; homini vero plura sunt, quippe & septimo mense & decimo nascitur, atque etiam inter septimum & decimum positis ; qui enim mense octavo nascuntur, etsi minus, tamen vivere possunt. De generat. animal. lib. IV. cap. ult. Le commencement du septieme mois est donc le premier terme de la grossesse ; si le foetus est rejetté plûtôt, il meurt, pour ainsi dire, sans être né : c'est un fruit avorté qui ne prend point de nourriture, & pour l'ordinaire il périt subitement dans la fausse-couche.

Il y a, comme l'on voit, de grandes limites pour les termes de la durée de la grossesse, puisqu'elles s'étendent depuis le septieme jusqu'au neuvieme & dixieme mois, & peut-être jusqu'au onzieme : il naît à la vérité beaucoup moins d'enfans au dixieme mois, qu'il n'en naît dans le huitieme, quoiqu'il en naisse beaucoup au septieme. Mais en général les limites de la grossesse sont renfermées dans l'espace de trois mois, c'est-à-dire depuis le septieme jusqu'au dixieme de sa durée possible.

Les femmes qui ont fait plusieurs enfans, assûrent presque toutes que les femelles naissent plûtard que les mâles : si cela est, on ne devroit pas être surpris de voir naître des enfans à dix mois, sur-tout des femelles. Lorsque les enfans viennent avant neuf mois, ils ne sont pas aussi gros ni aussi formés que les autres : ceux au contraire qui ne viennent qu'à dix mois ou plutard, ont le corps sensiblement plus gros & mieux formé, que ne l'est ordinairement celui des nouveau-nés ; les cheveux sont plus longs ; l'accroissement des dents, quoique cachées sous les gencives, est plus avancé ; le son de la voix est plus net & le ton en est plus grave qu'aux enfans de neuf mois. On pourroit reconnoître à l'inspection du nouveau-né, combien sa naissance auroit été retardée, si les proportions du corps de tous les enfans de neuf mois étoient semblables, & si les progrès de leur accroissement étoient reglés : mais le volume du corps & son accroissement varient, selon le tempérament de la mere & celui de l'enfant ; ainsi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne sera pas plus avancé qu'un autre qui sera né à neuf mois.

Les foetus des animaux n'ont qu'un terme pour naître. Les jumens portent le leur pendant onze à douze mois ; d'autres comme les vaches, les biches, pendant neuf mois ; d'autres comme les renards, les louves, pendant cinq mois ; les chiennes pendant neuf semaines ; les chattes pendant six ; les femelles des lapins trente-un jours : la plûpart des oiseaux sortent de l'oeuf au bout de vingt-un jours ; quelques-uns, comme les serins, éclosent au bout de treize ou quatorze jours, &c. La variété est à cet égard tout aussi grande qu'en toute autre chose qui est du ressort & des opérations de la nature : cependant il paroît que les femelles des plus gros animaux, qui ne produisent qu'un petit nombre de foetus, sont constamment celles qui portent le plus long-tems ; & que le tems du séjour de leur foetus dans le ventre de la mere est toûjours le même.

On doit observer aussi que l'accouchement dans ces différens animaux est sans hémorrhagie : n'en doit-on pas conclure que le sang que les femmes rendent toûjours après leur accouchement, est le sang des menstrues ; & que si le foetus humain naît à des termes si différens, ce ne peut être que par la variété de l'action de ce sang, qui se fait sentir sur la matrice à toutes les révolutions périodiques ; action qui est aussi vraisemblablement une des principales causes de l'exclusion du foetus, dans quelque tems qu'elle se fasse, & par conséquent des douleurs de l'enfantement qui la précedent. En effet ces douleurs sont, comme on sait, tout au-moins aussi violentes dans les fausses-couches de deux & de trois mois, que dans les accouchemens ordinaires ; & il y a bien des femmes qui ont dans tous les tems & sans avoir conçu, des douleurs très vives, lorsque l'écoulement périodique est sur le point de paroître : ces douleurs sont de la même espece que celles de la fausse-couche ou de l'accouchement ; dès-lors ne doit-on pas soupçonner qu'elles viennent de la même cause ?

L'écoulement des menstrues se faisant périodiquement & à des intervalles déterminés, quoique la grossesse supprime cette apparence, elle n'en détruit cependant pas la cause ; & quoique le sang ne paroisse pas au terme accoûtumé, il doit se faire dans ce même tems une espece de révolution, semblable à celle qui se faisoit avant la grossesse : aussi y a-t-il des femmes dont les menstrues ne sont pas supprimées dans les premiers mois de la grossesse : il y a donc lieu de penser que lorsqu'une femme a conçû, la révolution périodique se fait comme auparavant ; mais que comme la matrice est gonflée, & qu'elle a pris de la masse & de l'accroissement (Voyez MATRICE), les canaux excrétoires étant plus serrés & plus pressés qu'ils ne l'étoient auparavant, ne peuvent s'ouvrir ni donner d'issue au sang, à moins qu'il n'arrive avec tant de force, ou en si grande quantité, qu'il puisse se faire passage malgré la résistance qui lui est opposée : dans ce cas il paroîtra du sang ; & s'il en coule en grande quantité, l'avortement suivra ; la matrice reprendra la forme qu'elle avoit auparavant, parce que le sang ayant rouvert tous les canaux qui s'étoient fermés, ils reviendront au même état qu'ils étoient. Si le sang ne force qu'une partie de ses canaux, l'oeuvre de la génération ne sera pas détruite, quoiqu'il paroisse du sang ; parce que la plus grande partie de la matrice se trouve encore dans l'état qui est nécessaire pour qu'elle puisse s'exécuter : dans ce cas il paroîtra du sang, & l'avortement ne suivra pas ; ce sang sera seulement en moindre quantité que dans les évacuations ordinaires.

Lorsqu'il n'en paroît point du tout, comme c'est le cas le plus ordinaire, la premiere révolution périodique ne laisse pas de se marquer & de se faire sentir par les mêmes symptomes, les mêmes douleurs : il se fait donc dès le tems de la premiere suppression, une violente action sur la matrice ; & pour peu que cette action fût augmentée, elle détruiroit l'ouvrage de la génération : on peut même croire avec assez de fondement, que de toutes les conceptions qui se font dans les derniers jours qui précedent l'arrivée des menstrues, il en réussit fort peu, & que l'action du sang détruit aisément les foibles racines d'un germe si tendre & si délicat, ou entraîne l'oeuf avant qu'il se soit attaché à la matrice. Les conceptions au contraire qui se font dans les jours qui suivent l'écoulement périodique, sont celles qui tiennent & qui réussissent le mieux ; parce que le produit de la conception a plus de tems pour croître, pour se fortifier & pour résister à l'action du sang & à la révolution qui doit arriver au tems de l'écoulement. C'est sans-doute par cette considération que le célebre Fernel, pour calmer les allarmes que donnoit à toute la France la stérilité de la reine, donna d'abord ses attentions aux écoulemens périodiques : après en avoir corrigé les irrégularités, il crut que le tems qui pouvoit le plus faire espérer la fécondité, étoit celui qui suivoit de près les regles.

Le foetus ayant eu le tems de prendre assez de force pour résister à la premiere épreuve de la révolution périodique, est ensuite plus en état de souffrir la seconde, qui arrive un mois après cette premiere : aussi les avortemens causés par la seconde période sont-ils moins fréquens que ceux qui sont causés par la premiere ; à la troisieme, le danger est encore moins grand, & moins encore à la quatrieme & à la cinquieme : mais il y en a toûjours. Il peut arriver & il arrive en effet de fausses-couches dans les tems de toutes ces révolutions périodiques ; seulement on a observé qu'elles sont plus rares dans le milieu de la grossesse, & plus fréquentes au commencement & à la fin. On entend bien, par ce qui vient d'être dit, pourquoi elles sont plus fréquentes au commencement : il reste à expliquer (toûjours d'après M. de Buffon, qui nous fournit une grande partie de cet article) pourquoi elles sont aussi plus fréquentes vers la fin que vers le milieu de la grossesse.

Le foetus vient ordinairement au monde dans le tems de la dixieme révolution ; lorsqu'il naît à la neuvieme ou à la huitieme, il ne laisse pas de vivre, & ces accouchemens précoces ne sont pas regardés comme de fausses-couches, parce que l'enfant quoique moins formé, ne laisse pas de l'être assez pour pouvoir vivre ; on a même prétendu avoir des exemples d'enfans nés à la septieme & même à la sixieme révolution, c'est-à-dire à cinq ou six mois, qui n'ont pas laissé de vivre ; il n'y a donc de différence entre l'accouchement & la fausse-couche, que relativement à la vie du nouveau-né ; & en considérant la chose généralement, le nombre des fausses-couches du premier, du second, & du troisieme mois, est très-considérable par les raisons que nous avons dites, & le nombre des accouchemens précoces du septieme & du huitieme mois, est aussi assez grand en comparaison de celui des fausses-couches des quatrieme, cinquieme & sixieme mois, parce que dans ce tems du milieu de la grossesse, l'ouvrage de la génération a pris plus de solidité & plus de force, & qu'ayant eu celle de résister à l'action des quatre premieres révolutions périodiques, il en faudroit une beaucoup plus violente que les précédentes, pour le détruire : la même raison subsiste pour le cinquieme & le sixieme mois, & même avec avantage ; car l'ouvrage de la génération est encore plus solide à cinq mois qu'à quatre, & à six mois qu'à cinq ; mais lorsqu'on est arrivé à ce terme, le foetus qui jusqu'alors est foible & ne peut agir que foiblement par ses propres forces, commence à devenir fort & à s'agiter avec plus de vigueur ; & lorsque le tems de la huitieme période arrive, & que la matrice en éprouve l'action, le foetus qui l'éprouve aussi, fait des efforts qui se réunissant avec ceux de la matrice, facilitent son exclusion ; & il peut venir au monde dès le septieme mois, toutes les fois qu'il est à cet âge plus vigoureux ou plus avancé que les autres, & dans ce cas il pourra vivre ; au contraire, s'il ne venoit au monde que par la foiblesse de la matrice, qui n'auroit pû résister au coup du sang dans cette huitieme révolution, l'accouchement seroit regardé comme une fausse-couche, & l'enfant ne vivroit pas ; mais ces cas sont rares : car si le foetus a résisté aux sept premieres révolutions, il n'y a que des accidens particuliers qui puissent faire qu'il ne résiste pas à la huitieme, en supposant qu'il n'ait pas acquis plus de force & de vigueur qu'il n'en a ordinairement dans ce tems. Les foetus qui n'auront acquis qu'un peu plus tard ce même degré de force & de vigueur plus grandes, viendront au monde dans le tems de la neuvieme période ; & ceux auxquels il faudra le tems de neuf mois pour avoir cette même force, viendront à la dixieme période ; ce qui est le terme le plus commun & le plus général : mais lorsque le foetus n'aura pas acquis dans ce tems de neuf mois ce même degré de perfection & de force, il pourra rester dans la matrice jusqu'à la onzieme & même jusqu'à la douzieme période, c'est-à-dire ne naître qu'à dix ou onze mois, comme on en a des exemples.

Il paroît donc que la révolution périodique du sang menstruel peut influer beaucoup sur l'accouchement, & qu'elle est la cause de la variation des termes de la grossesse dans les femmes, d'autant plus que toutes les autres femelles qui ne sont pas sujettes à cet écoulement périodique, mettent bas toûjours au même terme ; mais il paroît aussi que cette révolution occasionnée par l'action du sang menstruel, n'est pas la cause unique de l'accouchement, & que l'action propre du foetus ne laisse pas d'y contribuer, puisqu'on a vû des enfans qui se sont fait jour & sont sortis de la matrice après la mort de la mere ; ce qui suppose nécessairement dans le foetus une action propre & particuliere, par laquelle il doit toûjours faciliter son exclusion, & même se la procurer en entier dans de certains cas. Voyez ACCOUCHEMENT, ENFANTEMENT.

Il est naturel d'imaginer que si les femelles des animaux vivipares étoient sujettes aux menstrues comme les femmes, leurs accouchemens seroient suivis d'effusion de sang, & qu'ils arriveroient à différens termes. Les foetus des animaux viennent au monde revêtus de leurs enveloppes, & il arrive rarement que les eaux s'écoulent & que les membranes qui les contiennent se déchirent dans l'accouchement ; au lieu qu'il est très-rare de voir sortir ainsi le sac tout entier dans les accouchemens des femmes : cela semble prouver que le foetus humain fait plus d'effort que les autres pour sortir de sa prison, ou bien que la matrice de la femme ne se prête pas aussi naturellement au passage du foetus, que celle des animaux ; car c'est le foetus qui déchire sa membrane par les efforts qu'il fait pour sortir de la matrice ; & ce déchirement n'arrive qu'à cause de la trop grande résistance que fait l'orifice de ce viscere avant que de se dilater assez pour laisser passer l'enfant. M. de Buffon, hist. nat. tom. III. IV.

Quant aux autres circonstances de ce qui se passe dans l'exclusion du foetus, & de ce qui la suit, voy. ACCOUCHEMENT, NAISSANCE, RESPIRATION, MAMELLE, LAIT.

Régime pendant la grossesse. Il s'agit maintenant de dire quelque chose des précautions que doit observer une femme grosse par rapport à son enfant, & de la conduite qu'elle doit tenir pendant tout le cours de la grossesse, pour éviter bien des indispositions & des maladies particulieres à son état, dont il sera aussi fait une brieve mention à la fin de cet article.

" Aussi-tôt que la grossesse est déclarée, dit l'auteur de l'essai sur la maniere de perfectionner l'espece humaine, que nous suivons en partie dans ce que nous avons à dire ici, la femme doit tourner toutes ses vûes sur elle-même & mesurer ses actions aux besoins de son fruit ; elle devient alors la dépositaire d'une créature nouvelle ; c'est un abrégé d'elle-même, qui n'en differe que par la proportion & le développement successif de ses parties ".

On doit regarder l'embryon dans le ventre de la mere, comme un germe précieux auquel elle est chargée de donner l'accroissement, en partageant avec lui la partie la plus pure de ce qui est destiné à être converti en sa propre substance : elle doit donc s'intéresser bien fortement à la conservation de ce précieux rejetton, qui exige de sa tendresse tous les soins dont elle est capable ; ils consistent en général à respirer, autant qu'il est possible, un air pur & serein, à proportionner sa nourriture à ses besoins, à faire un exercice convenable, à ne point se laisser excéder par les veilles ou appesantir par le sommeil, à soûtenir les évacuations ordinaires communes aux deux sexes dans l'état de santé, & à mettre un frein à ses passions.

Nous allons suivre sommairement tous ces préceptes les uns après les autres ; nous tracerons aux femmes grosses les regles les plus salutaires pour leur fruit, & nous leur indiquerons la conduite la plus sûre & la moins pénible pour elles.

Quoique l'embryon cantonné comme il l'est dans la matrice, paroisse vivre dans un monde différent du nôtre ; quoique la nature l'ait muni d'une triple cloison pour le défendre des injures de l'air, il est cependant quelquefois la victime de cet ennemi qu'il ne s'est pas fait : renfermé dans le ventre de sa mere comme une tendre plante dans le sein de la terre, son organisation, sa force, sa constitution & sa vie, dépendent de celle qui doit lui donner le jour ; si la mere ressent donc quelques incommodités des effets de l'air, le foetus en est nécessairement affecté. Ainsi les femmes enceintes doivent éviter, autant qu'il est en leur pouvoir, de respirer un air trop chaud, de vivre dans un climat trop sujet aux chaleurs, sur tout si elles n'y sont pas habituées, parce que leur effet tend principalement à causer trop de dissipation dans les humeurs, trop de relâchement dans les fibres ; ce qui est ordinairement suivi de beaucoup de foiblesse, d'abattement, de langueur dans l'exercice des fonctions, d'où peuvent résulter bien des desordres dans l'économie animale par rapport à la mere, qui ne manquent pas de se transmettre à l'enfant. L'air froid ne produit pas de moins mauvais effets relativement à sa nature, sur-tout par les dérangemens qu'il cause dans l'évacuation si nécessaire de la transpiration insensible, entant qu'ils occasionnent des maladies catarrheuses qui portent sur la poitrine, y excitent la toux, dont les violentes secousses, les fortes compressions opérées sur les parties contenues dans le bas ventre, peuvent donner lieu à de fausses-couches & à bien des fâcheux accidens qui s'ensuivent. La sécheresse & l'humidité peuvent aussi faire des impressions très-nuisibles sur le corps des femmes grosses & sur celui de leurs enfans ; autant qu'elles peuvent, elles doivent éviter de demeurer dans les campagnes marécageuses, au bord des rivieres, dans le voisinage des égoûts, des cloaques, sur les hautes montagnes, ou dans des endroits trop exposés aux vents desséchans du nord. Les odeurs, tant bonnes que mauvaises, peuvent leur être très-pernicieuses, entant qu'elles peuvent nuire à la respiration, en altérant les qualités de l'air, ou qu'elles affectent le genre nerveux. On a vû, selon que le dit Pline, des femmes si délicates & si sensibles, que l'odeur d'une chandelle mal éteinte leur a fait faire des fausses-couches : Liébault assûre avoir observé un pareil effet, qui peut être produit encore plus fréquemment par les vapeurs de charbon mal allumé ; Mauriceau rapporte une observation de cette espece à l'égard d'une blanchisseuse. Il y a aussi bien des exemples des mauvais effets que produisent les parfums dans l'état de grossesse, sur-tout par rapport aux femmes sujettes aux suffocations hystériques. Voyez ODEUR, PARFUM, PASSION HYSTERIQUE.

Si l'enfant dans la matrice trouvoit des sucs entierement préparés pour servir à sa nourriture, il risqueroit beaucoup moins pour sa conformation & sa vie, du défaut de régime de la mere ; mais elle ne fait qu'ébaucher l'élaboration des humeurs qui doivent fournir au développement & à l'accroissement de son fruit : ainsi quand elles sont mal digérées, il reste à l'embryon beaucoup de travail pour en achever l'assimilation, à quoi ses organes délicats ne suffisent pas le plus souvent ; d'où peuvent s'ensuivre bien des maux différens, tant pour la mere que pour l'enfant. Lorsqu'il s'agit donc d'établir les regles auxquelles les femmes enceintes doivent se conformer pour la maniere de se nourrir, il est nécessaire de considérer les différens états où elles se trouvent, la différence de leur tempérament, & les différens tems de leur grossesse. Plus les femmes sont délicates, moins elles sont avancées dans leur grossesse, & plus le foetus est incommodé du trop de nourriture ; il faut qu'elle soit proportionnée aux forces & aux besoins réciproques de la mere & de l'enfant. Quand les femmes enceintes se sentent des dégoûts, des nausées, de la plénitude, elles doivent se condamner à la diete ; il arrive quelquefois qu'elles ont une aversion marquée pour la viande, les oeufs, & toutes les substances animales ; c'est un avertissement de la nature qui leur conseille de vivre de végétaux & de les assaisonner avec des aromates ou des acides, pour tempérer leurs humeurs qui ont trop de penchant à la putréfaction. Voyez DEGOUT, ENVIE. Il est donc souvent très-important aux femmes-grosses d'écouter leur sentiment secret, comme la voix de la nature qui les instruit de la conduite qu'elles doivent tenir ; elles peuvent en sûreté suivre le conseil d'Hippocrate (aphoris. xxxviij. lib. II.) qui porte que les alimens & la boisson qui ne sont pas de la meilleure qualité, sont cependant préférables dès qu'ils sont plus propres à exciter l'appétit, & qu'on en use en quantité convenable : car il n'est pas moins pernicieux aux femmes grosses de manger trop, que de vivre d'alimens indigestes, sur-tout dans le commencement de la grossesse, qu'il faut chercher à diminuer la plénitude & à ne point affoiblir l'estomac ; à quoi on ne peut réussir qu'en ne prenant que peu d'alimens, mais autant qu'on le peut, bien choisis & qui puissent s'assimiler aisément. Voyez ALIMENS, ASSIMILATION. Au bout de deux ou trois mois, les femmes enceintes qui joüissent d'une bonne santé, peuvent augmenter la quantité de leur nourriture à mesure que le foetus consume davantage des humeurs de la mere ; elles peuvent manger indifféremment de toutes sortes d'alimens qui ne sont pas indigestes : elles doivent cependant préférer ceux qui contiennent peu d'excrémens & plus de parties aqueuses. Les femmes grosses qui digerent bien le lait, peuvent en faire usage, il donne un chyle doux, à-demi assimilé ; le lait de vache est le plus nourrissant, & dans le dernier mois de la grossesse, il est le plus convenable.

Si les femmes enceintes doivent se garantir des mauvais effets du trop de nourriture, elles n'ont pas moins à craindre de l'excès opposé, à cause de l'alkalescence des humeurs que produit toûjours une diete trop sévere. Les femmes grosses & les enfans ne peuvent point-du-tout supporter l'abstinence ; on doit y avoir égard jusque dans leurs maladies : le jeûne forcé leur est presque toûjours préjudiciable, à-moins qu'elles ne soient extrèmement pléthoriques, ou que l'embryon ne soit très-petit ; ainsi quand elles se sentent de la disposition à manger, elles seroient très-imprudentes de ne pas se satisfaire avec modération, & elles doivent se faire un peu de violence pour prendre de la nourriture, quand elles en sont détournées par un dégoût excessif, sur-tout lorsque la grossesse est avancée.

La boisson des femmes grosses est aussi sujette à quelques variétés ; dans les commencemens, la petitesse du foetus & la mollesse de ses organes exigent moins de boissons aqueuses ; ainsi elles peuvent boire dans ce tems-là un peu de vin pur, & ensuite le bien tremper dans le cours de la grossesse. Quand la température de l'air est très-chaude, il faut qu'elles fassent un grand usage de boissons délayantes, mais elles doivent craindre l'usage de la glace, qui peut causer de violentes coliques, & quelquefois même des fausses-couches, comme l'éprouva, selon que le rapporte Mauriceau, une impératrice de son tems ; à l'égard des liqueurs fortes, ce sont de vrais poisons pour les femmes enceintes, mais sur-tout pour leur fruit, attendu que par l'effet qu'elles produisent de racornir les fibres, d'épaissir, de coaguler la lymphe, elles s'opposent à son développement, produisent des engorgemens, des tumeurs, des difformités, qui se manifestent quelquefois aussi-tôt que l'enfant voit le jour, ou dans la suite entant qu'il ne prend pas un accroissement proportionné à son âge, & qu'il vieillit de bonne heure : c'est ce qu'on observe à l'égard des enfans qui naissent de femmes du peuple & de celles qui habitent des pays où l'on fait un grand usage d'eau-de-vie. En général les femmes enceintes doivent éviter tout ce qui peut donner trop de mouvement, d'agitation, au sang, & disposer à des pertes, &c. comme sont les alimens acres, échauffans, les boissons de même qualité, & l'exercice du corps poussé à l'excès.

C'est principalement dans les premiers tems de la grossesse, que l'exercice pouvant être facilement nuisible, est presqu'absolument interdit ; c'est avec raison que l'on condamne la conduite des femmes enceintes qui se livrent à des mouvemens violens : rien cependant n'est plus commun parmi elles, sur-tout lorsqu'elles sont dans la vivacité de la premiere jeunesse ; à-peine la conception est-elle déclarée, qu'il leur arrive quelquefois de passer les nuits à danser & le jour à chanter ; ce qui est le plus souvent la cause des fausses-couches auxquelles elles sont sujettes. Si dans les commencemens de la grossesse les femmes avoient l'attention de se reposer, elles pourroient ensuite se livrer à l'exercice avec plus de sécurité, lorsque les racines du placenta seroient implantées plus solidement dans la substance de la matrice, & que le foetus y auroit acquis plus de force. Les femmes élevées délicatement ne doivent pas se modeler sur celles de la campagne, qui malgré leur grossesse, continuent dans tous les tems leurs travaux ordinaires ; la vie dure qu'elles menent, donne à leurs fibres plus de force, plus de ressort, & les garantit des accidens qu'éprouvent les femmes des villes : les danseuses publiques sont à-peu-près dans le même cas que celles qui sont habituées au travail. Ainsi les femmes enceintes doivent proportionner l'exercice qu'elles font, à la force de leur tempérament ; il est toûjours plus sûr de s'y livrer moins qu'on ne pourroit le soûtenir, cependant sans passer d'une extrémité à l'autre, parce que le défaut nuit comme l'excès. Voyez EXERCICE, (Econom. anim.)

Mais lorsqu'il s'agit de s'exercer avec modération pendant la grossesse, ce ne doit jamais être par des moyens qui puissent causer des secousses dans le corps ; on ne doit par conséquent se servir qu'avec beaucoup de prudence, de voitures roulantes, & ne pas s'exposer aux accidens de l'équitation, sur-tout aux approches de l'accouchement ; le repos est alors plus nécessaire que dans aucun autre tems. C'est un préjugé pernicieux de croire que les mouvemens du corps aident alors à détacher l'enfant & à favoriser son exclusion ; il en est comme d'un fruit que l'on abat à coups de gaule avant sa maturité : cet abus est une des causes les plus communes des mauvais accouchemens, des pertes qui les précedent, des situations desavantageuses dans lesquelles se présente l'enfant pour sortir de la matrice. Voyez ACCOUCHEMENT, FAUSSE-COUCHE.

Des différens états de santé dans lesquels peut se trouver la femme. Il en est peu où le sommeil paroisse lui convenir autant que pendant la grossesse ; l'embryon ou le foetus qu'elle porte est dans un repos presque continuel. Voyez FOETUS. Puisque le repos du foetus est un des moyens que la nature se choisit pour travailler à sa formation, attendu la délicatesse de ses organes, qui ne pourroient pas être mis en mouvement dans les premiers tems sans danger de solution de continuité, les meres doivent donc être attentives à tout ce qui peut troubler ce repos, sur-tout dans les premiers tems de la grossesse : ainsi elles doivent dormir dans cet état plus qu'elles ne font ordinairement ; mais en général le sommeil doit être proportionné à leurs forces & à l'exercice qu'elles font. Les femmes délicates dissipent moins que les autres, elles ont les fibres plus foibles, le sommeil les relâche, les affoiblit encore plus ; elles doivent donc aussi s'y livrer avec modération : celles qui sont robustes & qui font beaucoup d'exercice, ou qui sont accoûtumées à des travaux pénibles, ont besoin de plus de repos, & le sommeil leur convient mieux. La vie oisive équivaut presque au sommeil ; la vie exercée est l'état le plus marqué de la veille, & celui qui paroît être le plus éloigné du sommeil. Plus on s'exerce, plus on a besoin de repos ; c'est ce qui doit servir aux femmes grosses pour se régler sur le plus ou moins d'avantage qu'elles peuvent retirer du sommeil, entant qu'il peut contribuer au parfait développement & à l'accroissement du foetus.

Quant aux évacuations naturelles, il est ordinaire dans l'état de santé, que les femmes grosses ne soient point sujettes au flux menstruel, le plus souvent il est nuisible qu'elles le soient ; ainsi elles doivent éviter tout ce qui peut les échauffer, foüetter le sang, & faire reparoître cette évacuation qui est alors contre-nature ; les exercices violens, les passions vives produisent souvent cet effet, & sont par-là également préjudiciables à la mere & à l'enfant : quand au contraire la suppression naturelle des menstrues cause quelque atteinte à la santé des femmes grosses, elles peuvent y remédier par de plus grands exercices, par la diminution des alimens & le choix de ceux qui sont plus liquides, & par la saignée ; le volume & le poids de la matrice, en resserrant le boyau rectum sur lequel elle porte principalement, y retient les matieres fécales, en retarde l'excrétion ; ce qui donne lieu à ce qu'elles s'y dessechent par leur séjour dans un lieu chaud, & occasionne le plus souvent la constipation. On peut remédier à cet inconvénient (qui peut même être cause de quelque fausse-couche par les efforts qu'il fait faire dans la déjection), en usant de quelques legers laxatifs huileux ou de quelques minoratifs, & sur-tout en employant les remedes ou lavemens, avec la précaution de ne rien faire qui puisse rendre le ventre trop libre, parce que ce vice opposé à celui qu'il s'agit de combattre, dispose souvent à l'avortement, selon que l'a remarqué Hippocrate, qui dit, aphor. xxxjv. lib. V. que si une femme enceinte a un cours de ventre considérable, elle est en grand danger de se blesser.

Tout annonce que la femme est plus délicate que l'homme, par conséquent plus sensible ; c'est pourquoi elle est plus susceptible des plus fortes passions, mais elle les retient moins long-tems que l'homme. De tous les différens états de la vie dans lesquels peut se trouver la femme, il n'en est point dans lequel sa grande sensibilité soit plus marquée, & les passions qui en peuvent résulter lui soient plus nuisibles que dans celui de la grossesse : cette différence ne peut être attribuée qu'au changement qui se fait dans l'équilibre de l'économie animale par rapport à la femme grosse, par l'effet de la suppression des menstrues, qui rend le système des vaisseaux en général plus tendu, qui augmente l'érétisme du genre nerveux ; ce qu'on observe également dans cette même suppression, lorsqu'elle est morbifique. Voyez ÉQUILIBRE (Econom. anim.), ORGASME, MENSTRUES, PASSION (Physique). En général toutes les passions agissent en tendant ou détendant les organes du sentiment, en contractant ou relâchant les fibres motrices ; de quelque maniere qu'elles produisent leurs effets, elles ne peuvent que troubler l'action des solides & le cours des humeurs : ainsi les passions de l'ame ne peuvent manquer de produire de plus grands desordres dans les femmes grosses, à proportion qu'elles y ont plus de disposition. Ainsi soit que les passions accélerent l'exercice de toutes leurs fonctions, ou qu'elles le retardent, il ne peut que s'en suivre des lesions qui doivent se communiquer au foetus ou par les compressions, par les resserremens spasmodiques, convulsifs, auxquels il est exposé de la part de la matrice & des parties ambiants, ou par les étranglemens des vaisseaux utérins, qui lui transmettent la matiere de sa nourriture, ou par le défaut d'impulsion dans le cours des humeurs de la mere, qui dispose celles qui sont portées au foetus à perdre leur fluidité, & à contracter d'autres mauvaises qualités, &c. ensorte que les passions excessives ne peuvent qu'être très-pernicieuses au foetus, lorsqu'elles le sont à celle qui le porte dans son sein ; d'autant plus qu'il est lui-même plus susceptible d'impression à-proportion que son organisation est plus foible, plus délicate ; mais il faut observer que les influences de l'ame de la mere sur le foetus se réduisent toûjours à des impressions purement méchaniques, & qu'elles n'ont sur lui aucun pouvoir physique, tel que celui qu'on attribue communément à l'imagination. Voy. IMAGINATION.

On peut juger de tout ce qui vient d'être dit des mauvais effets des passions dans les femmes grosses, par ceux qu'elles produisent dans les femmes pendant l'évacuation menstruelle : la terreur causée par le bruit subit du tonnerre, d'un coup de canon, arrête souvent tout-à-coup le flux utérin dans les unes, & l'excite dans les autres au point de causer une suppression ou une perte, & quelquefois même une fausse-couche. Les passions sont donc extrèmement à craindre pour les femmes grosses, sur-tout quand elles font des révolutions subites ; c'est pourquoi on doit éviter soigneusement qu'il ne leur soit annoncé aucun évenement qui soit propre à exciter tout-à-coup une grande joie, un grand chagrin, ou une grande crainte ; qu'elles ne soient affectées de rien qui puisse les effrayer, les épouvanter, en un mot qui puisse causer des agitations subites, violentes dans l'ame, ou en suspendre considérablement les influences sur le corps. Elles doivent donc sur-tout être fort attentives à ne pas se laisser aller à la disposition qu'elles peuvent avoir à la colere, à la tristesse, ou à toute autre affection vive, forte, dont les rend susceptibles leur sensibilité naturelle, qui est fort augmentée ordinairement, comme il a été dit, par les changemens que la grossesse occasionne dans l'économie animale. Il faut qu'elles s'abstiennent généralement, autant qu'il est possible, de tout ce qui peut animer le sang & lui donner de l'acreté, pour ne pas augmenter cette disposition, c'est-à-dire le trop d'érétisme du genre nerveux dont elle dépend : on doit leur procurer de la dissipation & mettre en usage tous les moyens, tant physiques que moraux, propres à conserver ou à ramener le calme dans leur esprit.

Une autre sorte de passion qu'ont la plûpart des femmes enceintes, qui n'est pas la moins nuisible aux foetus qu'elles portent dans leur sein, c'est le soin qu'elles prennent de la partie de leurs ajustemens, qui tend à leur conserver ou à leur faire paroître la taille aussi bien faite qu'elles peuvent en être susceptibles. Elles employent communément pour cet effet, ce qu'on appelle corps, qui est une espece de vêtement peu flexible, armé de busques roides, dont elles se serrent le tronc pour le tenir droit ; qui comprime fortement la partie moyenne & inférieure de la poitrine & toute la circonférence du bas-ventre au-dessus des hanches & des of pubis, autant qu'elle en est susceptible, par le moyen des lacets qui rapprochent avec violence les pieces de ce vêtement, que l'on tient toûjours fort étroit, pour que le resserrement, la constriction en soit d'autant plus considérable : ensorte que le bas-ventre prend la figure en em-bas d'un cone tronqué, dont la poitrine est la base : ce qui ne peut manquer de gêner tous les visceres de l'abdomen dans leurs différentes fonctions, d'empêcher notablement le jeu des organes de la respiration, & de presser les mammelles, d'en comprimer les vaisseaux en les tenant soulevées vers la partie supérieure du thorax, qui est la moins resserrée par l'espece de cuirasse dans laquelle le bas de la poitrine se trouve emboîté tout comme le bas-ventre.

Mais tous ces mauvais effets sont encore plus marqués dans les femmes grosses, en tant qu'elles se servent de ce vêtement, joint au poids des jupons & des paniers liés fortement & suspendus sur les hanches, pour empêcher autant qu'il est possible, le ventre de grossir en-avant, & de leur gâter la taille ; ce qui ne peut que gêner la matrice dans sa dilatation, l'empêcher de prendre une forme arrondie, rendre sa cavité moins ample, déranger la situation naturelle du foetus & de ses enveloppes, rendre ses mouvemens moins libres, &c. d'où doivent s'ensuivre bien des desordres, tant par rapport à l'enfant, que par rapport à la mere, dont tous les visceres du bas-ventre trop pressés entr'eux, ne lui permettent pas de prendre des alimens, d'augmenter le volume de l'estomac, sans empêcher ultérieurement le jeu, l'abaissement du diaphragme, & disposer à la suffocation ; embarrassent le ventricule & les intestins dans leurs fonctions, en détruisant la liberté du mouvement péristaltique ; dérangent les digestions, la distribution du chyle ; resserrent la vessie, le rectum ; causent des rétentions d'urine, des constipations ou des évacuations forcées ; exposent en un mot la mere à un grand nombre d'accidens qui augmentent considérablement les dérangemens de sa santé, qui peuvent même occasionner des avortemens : attendu que le foetus se ressentant de tous ces desordres par les vices qui en résultent dans le cours & la qualité des humeurs qu'il reçoit de sa mere, est d'ailleurs exposé à des compressions qui nuisent à sa conformation & à son accroissement ; & tous ces funestes inconvéniens ont lieu, sans que les femmes y gagnent autre chose que l'apparence d'un peu moins de rotondité ; tandis qu'elles augmentent par-là réellement les défectuosités qui résultent de la grossesse pour leur ventre, qui en est ensuite plus ridé, plus mou, plus pendant, à-proportion que les enveloppes, c'est-à-dire les tégumens ont été plus forcés à se recourber en em-bas, à s'étendre sous les busques, pour donner au bas-ventre dans un sens ou dans un autre, la capacité qui lui est nécessaire pour loger les visceres & tout ce que la matrice contient de plus qu'à l'ordinaire.

M. Winslow a écrit en général sur les abus des corps, des busques, dont se servent les femmes : on peut le consulter sur ce qui a plus particulierement rapport aux femmes grosses, à cet égard, pour avoir un détail qui ne peut pas trouver sa place ici.

GROSSESSE (maladies dépendantes de la) Les femmes enceintes sont sujettes à des desordres plus ou moins considérables dans l'économie animale, qui ne proviennent absolument que des changemens qu'y occasionne la grossesse.

La plûpart des lésions de fonctions qu'elles éprouvent dans les commencemens, dans les premiers mois, ne doivent être attribuées qu'à la suppression du flux menstruel, à la pléthore, qui résulte de ce que cette évacuation n'a pas lieu comme auparavant, à cause que les effets de la conception ont excité une sorte d'érétisme dans la matrice, qui en a fermé l'orifice & resserré tous les pores, par lesquels se faisoit l'excrétion du sang utérin ; d'où s'ensuit le reflux dans la masse des humeurs, de la portion surabondante de ce sang qui auroit été évacuée : reflux qui subsiste tant que le foetus & ses dépendances contenues dans la matrice ne sont pas suffisans pour consumer, pour employer à leur accroissement cette portion de la masse des humeurs qui est destinée à en fournir les matériaux.

Les indispositions qui surviennent dans des tems plus avancés de la grossesse, proviennent du volume & de la masse du foetus & de ses dépendances, qui en distendant la matrice, en pressant les parties ambiantes, en opérant sur elles, gênent leurs fonctions, y font obstacle au cours des humeurs, y causent des dérangemens qui se communiquent souvent à toute la machine, soit en augmentant le renversement d'équilibre dans les fluides, soit en augmentant la sensibilité, l'irritabilité des solides qui en sont susceptibles par la communication de proche en proche, de ces qualités que possede plus éminemment la matrice, à-proportion qu'elle souffre une plus grande distension dans ses parois.

Ainsi les maladies de la grossesse commençante & de ses premiers tems, sont les nausées, les vomissemens, le dégoût ou la dépravation de l'appétit, les défaillances, les vertiges, les douleurs que la plûpart des femmes ressentent alors aux reins, aux aînes, aux mamelles, la pesanteur, la lassitude, la difficulté de respirer, & souvent des dispositions aux fausses-couches, des symptomes qui en sont les avant-coureurs. Et comme toutes ces lésions sont les effets d'une même cause, c'est-à-dire du reflux dans la masse des humeurs, du sang surabondant dans la matrice, on réussit ordinairement à y remédier par la saignée, qui fait cesser cette cause, en faisant cesser la pléthore.

Mais ce moyen doit être employé avec beaucoup de prudence, parce que selon l'observation d'Hippocrate, aph. 31. lib. V. une saignée faite mal-à-propos, peut causer l'avortement. Ainsi on ne doit y avoir recours que pour les femmes d'un assez bon tempérament, qui sont sujettes à avoir leurs regles abondamment ou plus long-tems que d'autres ; qui menent une vie sédentaire, & se nourrissent bien. Si elles sont fort incommodées pendant le cours de leurs grossesses, on peut leur tirer du sang par intervalles jusqu'à cinq ou six fois : pour celles qui le sont moins, trois fois suffisent ; savoir, dans le second mois, dans le cinquieme, & dans le neuvieme. On a cependant vû des cas, selon Mauriceau, de praegnant. morb. lib. I. cap. xj. où on a été obligé d'y revenir jusqu'à dix fois. Cet auteur rapporte même avoir vu une femme qu'on fut obligé de saigner jusqu'à quarante-huit fois, pour l'empêcher d'être suffoquée, sans que l'accouchement qui suivit, en fût moins heureux & moins à terme ; mais de pareils exemples sont très-rares. Le plus grand nombre de femmes enceintes n'a pas besoin de beaucoup de saignées ; elles sont très-dangereuses à celles qui, étant d'un tempérament délicat, font peu de sang. Elles sont inutiles à celles qui sont robustes & font beaucoup d'exercice, comme les femmes de la campagne.

Il est beaucoup de femmes à qui il suffit de prescrire la diete, ou au moins de retrancher de la nourriture ordinaire ; de faire faire un peu plus d'exercice qu'à l'ordinaire, avec ménagement ; de faire user de quelques boissons délayantes ; pour qu'elles se délivrent de la plûpart des incommodités de la grossesse. En général, lorsqu'elles ne sont pas urgentes, on doit toûjours tenter ces derniers moyens, avant d'en venir à la saignée. On éprouve aussi très-souvent, selon Boerhaave, de bons effets de l'usage des remedes cardiaques legerement aromatiques, unis à de doux anti-hystériques, ou de celui des boissons acidules, comme la limonade, les ptisanes nitreuses, lorsque les différens accidens de la grossesse sont accompagnés de foiblesse ou d'ardeurs d'entrailles.

On doit être aussi très-reservé dans l'usage des purgatifs pour le cas dont il s'agit. Les émétiques sur-tout, par les violentes secousses qu'ils occasionnent, sont très-dangereux, & peuvent causer des avortemens : l'expérience prouve cependant qu'ils sont très-peu sûrs pour les procurer à dessein : mais le tempérament & la disposition actuelle du sujet décident toûjours de l'effet qu'on a lieu d'attendre de pareils moyens. Les vomitifs & les purgatifs doux peuvent être employés sans danger à l'égard des femmes qui ont beaucoup de facilité à être évacuées par le haut & par le bas. Elles peuvent par-là se décharger de la surabondance d'humeurs qui refluent sur-tout dans les vaisseaux de l'estomac, qui en distendent les fibres nerveuses, & y excitent le sentiment de nausée ou les efforts qui font le vomissement ; & les purgatifs en dégorgeant de même les intestins, font cesser les coliques ou les cours de ventre, qui incommodent souvent les femmes grosses : mais les purgatifs forts sont absolument à éviter, parce qu'en irritant trop les intestins, ils peuvent par communication exciter des mouvemens convulsifs dans la matrice, qui pourroient procurer l'avortement, principalement dans les premiers tems, & sur la fin de la grossesse.

Il n'y a pas moins d'attention à faire concernant l'usage des narcotiques, qui peuvent aussi produire des effets fâcheux par le relâchement général qu'ils procurent dans le genre nerveux ; relâchement qui, comme il peut favoriser un accouchement trop douloureux, peut de même contribuer à l'exclusion du foetus dans tous les tems de la grossesse. Ainsi ce ne peut être qu'après avoir inutilement employé les saignées, (si elles sont praticables) pour calmer les douleurs qui surviennent dans cet état, que l'on peut recourir aux préparations d'opium, avec tout le ménagement possible. On ne peut guere indiquer de cas où ces remedes puissent être employés avec plus de sûreté & de succès, selon Horstius, lib. X. observ. 3. que lorsque les femmes grosses sont affectées de violentes douleurs rhumatismales, qui causent des insomnies opiniâtres, pourvû qu'ils ne soient pas contre-indiqués d'ailleurs.

En général, on ne doit s'obstiner à combattre aucun des symptomes des maladies dépendantes de la grossesse, qu'entant que les forces ne suffisent pas pour les soûtenir ; qu'il y a danger qu'il ne survienne une fausse couche. Voyez FAUSSE-COUCHE. Ceci soit dit des vomissemens, des flux-de-ventre, & même des hémorrhagies quelconques ; à plus forte raison, de toute autre accident de moindre conséquence.

Il faut s'appliquer à bien distinguer les douleurs des reins, des lombes, qui sont causées par la grossesse, d'avec celles qui pourroient être occasionnées par des calculs, des pierres contenues dans les voies urinaires. Voyez CALCUL, PIERRE. Dans ce dernier cas, on ne pourroit faire usage des bains qu'avec beaucoup de précaution, parce qu'ils operent des effets, d'où peuvent aisément résulter de fausses couches, sur-tout les bains chauds. Il y a des exemples qui prouvent que les bains de riviere, pris dans la saison convenable, même dans les commencemens de la grossesse, ne sont point nuisibles à cet état.

Les maladies qui surviennent aux femmes enceintes dans le milieu, & vers la fin de leur grossesse, sont principalement la difficulté d'uriner, la rétention ou le vice opposé, qui est l'incontinence d'urine, la fréquente envie de rendre cette humeur excrémentitielle, la constipation ou la déjection difficile, les hémorrhoïdes, les varices, l'enflure des piés, des jambes, des levres de la vulve, la disposition à faire des chûtes, & autres approchantes. Toutes ces lesions dépendent d'une seule & même cause, ci-devant mentionnée, qui est le volume & le poids de la matrice, qui comprime la vessie contre les of du bassin, y forme un étranglement qui exige de grands efforts de la part des fibres musculaires de ce reservoir de l'urine, pour surmonter l'obstacle qu'il trouve à se vuider du liquide qu'il contient, ce qui établit la difficulté d'uriner ; ou la pression de la vessie forme un empêchement qu'elle ne peut pas vaincre, ce qui donne lieu à la rétention d'urine ; ou l'urine ne peut être retenue qu'en petite quantité, à cause de cette pression qui laisse peu de capacité au reservoir, ce qui oblige à une fréquente évacuation. La matrice comprimant aussi le rectum contre l'os sacrum, empêche qu'il ne se remplisse de matieres fécales, fait séjourner ces matieres dans les parties supérieures des gros boyaux où elles se dessechent ; ce qui fournit différentes causes de la constipation & de la déjection difficile. Cette même compression de la matrice portant sur les veines hémorrhoïdales, empêche le libre retour du sang qu'elles contiennent, qui dilate ses vaisseaux, y cause des distensions douloureuses, ou les rompt & se fait issue en s'évacuant, & les veines iliaques étant aussi comprimées par la même cause, il en résulte une gêne, un obstacle dans le retour du sang des extrémités inférieures, qui donne lieu aussi à la dilatation forcée des rameaux veineux les moins forts, tels que ceux qui ne sont point soûtenus par l'action des muscles, ceux qui ne sont recouverts que de la peau ; ce qui produit des varices aux piés, aux jambes. Voyez VARICE. Et les principaux vaisseaux qui rapportent la lymphe de ces mêmes parties, soit qu'ils ne puissent pas se vuider aisément dans les veines engorgées, ou qu'ils soient aussi comprimés à leur passage par le bassin pour se rendre au reservoir, deviennent aussi engorgés eux-mêmes ; ensorte que la surabondance de la liqueur qu'ils contiennent, venant à refluer dans le tissu cellulaire, en augmente le volume ; d'où les enflures des piés & des jambes, qui s'étendent quelquefois jusqu'aux cuisses de proche en proche. Et par la même raison le tissu cellulaire des bords du vagin s'enfle aussi très-souvent, vers la fin de la grossesse sur-tout, où la cause de l'engorgement des vaisseaux produit des effets plus étendus. Pour ce qui est de la disposition qu'ont les femmes grosses à faire des chûtes, on peut l'attribuer encore à la compression des muscles psoas & iliaques, qui gêne la flexion des cuisses : mais la principale cause est le volume, le poids du ventre, qui dispose le corps à se porter aisément hors de son centre de gravité.

La compression que produit la matrice & son poids, étant la cause générale & commune de tous ces symptomes, ou de toutes ces différentes lésions, cette cause n'est pas de nature à pouvoir être détruite ; elle ne peut cesser que par l'exclusion du foetus, qui ne laisse à la matrice que son volume & son poids ordinaire : ainsi on ne peut apporter à ces maux-là d'autres remedes que des palliatifs. Voyez URINAIRES, (maladies des voies) CONSTIPATION, DEJECTION, HEMORRHOÏDES, VARICE, OEDEME), attendu qu'il n'y a rien de particulier à observer par rapport à ces remedes employés dans le cas de grossesse.

Pour ce qui est de la disposition à faire des chûtes, qui est ordinaire aux femmes grosses, surtout dans les derniers tems de la grossesse où le ventre a le plus de volume & de poids ; comme cette disposition, outre les causes mentionnées, dépend beaucoup aussi de ce qu'elles ne peuvent pas voir leurs piés en marchant, ni par conséquent où elles les posent, d'autant plus qu'elles sont obligées de porter le corps en-arriere pour conserver l'équilibre de gravitation entre les parties du corps étant debout : lorsque les choses en sont venues à ce point-là, il n'y a pas d'autre moyen d'éviter les chûtes, qui sont très-dangereuses dans cet état pour la mere & pour l'enfant, que de ne jamais marcher sans être appuyé sur quelqu'un qui conduise ou soûtienne la femme grosse, & regle, pour ainsi dire, ses pas. Si le ventre par son volume & par son poids tombe sur les cuisses, & contribue à empêcher de marcher, on peut prendre le parti de le suspendre par des bandages appropriés, qui soient arrêtés fixes derriere les reins.

Les maladies tant aiguës que chroniques, qui ne dépendent pas de la grossesse essentiellement, doivent être traitées comme dans les autres sujets, avec attention de n'employer aucun remede qui puisse être contre-indiqué par l'état de grossesse, sans y avoir eu égard, sans avoir bien pesé, lorsqu'on se détermine à en faire de contraires à cet état, les inconvéniens, le danger de part & d'autre, & sans y avoir été forcé par l'urgence du cas. C'est d'après ces précautions que l'on doit traiter les maladies inflammatoires, les fievres violentes, les hydropisies, la phthisie, la vérole même dans les femmes grosses, que l'expérience a appris être susceptibles de faire usage de toute sorte de remedes, avec les ménagemens convenables ; ce qu'il seroit trop long d'établir ici avec un certain détail. Ce qui a été ébauché du régime des femmes grosses, & ce qui vient d'être dit du traitement des maladies propres à la grossesse, peut suffire pour servir de regle à l'égard de toutes autres maladies dans cet état : mais pour suppléer à ce qui manque ici, on ne peut trop recourir aux ouvrages où il est traité, ex professo, des maladies des femmes grosses ; tels que ceux de Varandaeus, de Sennert, Etmuller, Mauriceau, &c. On trouve aussi bien des choses intéressantes à ce sujet dans les oeuvres d'Hoffman, passim : la continuation bien attendue du commentaire des aphorismes de Boerhaave, par l'illustre baron Wanswieten, premier medecin de la cour impériale, ne laissera sans-doute rien à desirer en traitant de cette matiere en son lieu. (d)


GROSSETTORossetum, (Géog.) petite ville d'Italie en Toscane, avec un évêché suffragant de Sienne : elle est à deux lieues de la mer, à quatorze sud-est de Sienne. Long. 28. 8. lat. 25. 50. (D.J.)


GROSSEURS. f. (Gramm.) ce mot a deux acceptions assez différentes : on dit la grosseur, & une grosseur. Voyez pour grosseur pris dans le premier sens, l'article GROS, adjectif. Dans le second sens, c'est presque la même chose que tumeur, si ce n'est que toute tumeur est une grosseur, & que je ne crois pas que toute grosseur soit une tumeur. Voyez TUMEUR.

De gros on a fait le substantif grosseur, & le verbe grossir.


GROSSIERadj. (MARCHAND) négociant qui vend ou qui achete des marchandises pour les revendre en gros. On dit en ce sens, un marchand grossier d'épiceries, de draperies, &c.

A Amsterdam, il n'y a point de différence entre grossier & détailleur, étant permis à chacun de faire tout ensemble le commerce en gros & en détail, à l'exception néanmoins de celui des vins & des eaux-de-vie étrangeres. Dictionnaire de Commerce & de Trévoux. (G)


GROSSIRv. act. (Optiq.) signifie faire paroître un objet plus grand qu'il n'est en effet : ainsi on dit d'un microscope, qu'il grossit les objets. Voyez MICROSCOPE, LOUPE, LUNETTE ; voyez aussi MIROIR, &c.

Il le faut avoüer, nous n'avons point encore de théorie bien satisfaisante, & qui soit à l'abri de toute difficulté, sur la propriété qu'ont les instrumens de Dioptrique ou de Catoptrique, de grossir les objets : en général cela vient de ce que le miroir ou le verre refléchit ou rompt les rayons, de maniere qu'ils entrent dans l'oeil sous un plus grand angle que s'ils partoient de l'objet apperçu à la vûe simple ; mais cet angle ne suffit pas pour déterminer la grandeur de l'objet (Voyez VISION), il faut le combiner avec la distance apparente (Voyez DISTANCE), & par conséquent connoître le lieu de l'image. Or les Opticiens ne nous ont point encore donné de regles sûres touchant ce dernier point. Voyez DIOPTRIQUE. (O)


GROSSOYER(Jurispr.) signifie mettre en grosse. On dit grossoyer une requête, une piece d'écriture, une sentence ou arrêt, une obligation ou autre contrat. Voyez ci-devant GROSSE. (A)


GROTESQUESS. f. pl. (Beaux-Arts) vient du mot italien grotta, grotte. Ce genre de sujets de peinture, que nous nommons aussi ornement & arabesque, a été appellé grotesque, parce qu'il est une imitation de certaines peintures anciennes qui ont été découvertes dans des grottes soûterreines.

Bellori nous dit, dans son introduction aux peintures antiques : " On voit au palais Farnese à Rome, un morceau d'ornement admirable ; il représente des feuillages avec un mascaron, deux enfans, une figure dont la moitié offre le corps d'une nymphe, & l'autre moitié le corps d'un cheval. Ces figures sortent des branches, des feuillages, & cette composition est un de ces caprices que Vitruve appelle monstres & figures partagées, & nous autres grotesques. "

On ne peut disconvenir que ces sortes d'inventions ne portent le caractere des songes d'un malade, & que ce ne soit précisément ce que peint Horace, lorsqu'il dit :

Humano capiti cervicem pictor equinam

Jungere si velit, & varias inducere plumas,

Undique collatis membris, ut turpiter atrum

Desinat in piscem mulier formosa supernè,

Spectatum admissi risum teneatis amici ?

On pourroit peut-être induire de ce passage avec assez de vraisemblance, que le goût pur & solide n'approuvoit pas du tems d'Horace ce qu'on a depuis imité avec une espece de vénération. Mais je n'entrerai point dans une discussion qui seroit trop longue ici : je crois au-moins qu'on ne sauroit faire honneur à la raison austere de l'invention de ce genre de peinture, dont cependant on ne peut pas sans se montrer trop sévere, blâmer l'usage circonspect & modéré. Comme la sagesse n'exclut point une espece de déraison aimable qui lui sert d'ornement lorsqu'elle est placée, les Arts faits pour être sages & reservés ont le droit aussi de déroger quelquefois à l'austérité des grands principes. Le point important est de placer leurs écarts, & de ne les pas rendre excessifs : mais ce point, peut-être plus embarrassant pour une nation vive que pour celles qui sont plus refléchies, a été plus d'une fois perdu ou ignoré parmi nous. Une histoire de nos grotesques en tout genre produiroit assûrément ce rire dont parle Horace,

Spectatum admissi risum teneatis amici ?

Au reste, les modeles qui ont été regardés comme les meilleurs en ce genre, sont les ornemens trouvés dans les palais & dans les thermes de Titus, à Tivoli, & dans les grottes de Naples & de Pouzzoles. Ces modeles, qui ont presque tous péri, ont servi à Raphael, à Jules Romain, à Polidore, & à Jean de Udine, pour imposer une espece de regle à ce genre qui n'a que trop de penchant à s'affranchir de tout esclavage. La symmétrie, l'élégance des formes, le choix agréable des objets, la legereté non-excessive dans l'agencement, sont les points sur lesquels on peut appuyer les principes de l'art des ornemens ou des grotesques. Leur convenance avec les lieux où on les employe, leur rapport avec les décorations dont ils font partie, doivent guider ces sortes d'égaremens. Enfin comme ce genre est uniquement de convention, il faut tâcher d'adopter en y travaillant, non pas les conventions excessives qui n'existent qu'un instant, mais celles qui par quelques points au-moins tiennent à la raison & se rapprochent de la nature. Article de M. WATELET.


GROTKAW(Géog.) petite ville d'Allemagne, capitale de la principauté de même nom, qu'on appelle aussi la principauté de Neiss, en Silésie. Elle est située dans une plaine fertile, à quatre lieues S. O. de Brieg, dix S. O. de Breslau, douze N. E. de Glatz. Long. 35. 10. lat. 50. 42. (D.J.)


GROTTA-FERRATA(Géog.) fameuse abbaye de la campagne de Rome, située près de la ville de Frescati. Ce monastere orné des peintures du Dominiquain, est desservi par des moines grecs, dont un cardinal est ordinairement abbé. C'étoit-là jadis le Tusculum de Cicéron, sa maison de campagne la plus chérie, celle où il alloit se délasser du poids des affaires de l'état : ex omnibus laboribus & molestiis, uno illo in loco conquiescimus, écrivoit-il avec délices à Atticus. Elle avoit appartenu auparavant à Sylla, & l'on y voyoit, dit Pline, entr'autres magnificences, un admirable tableau représentant la victoire que ce dictateur avoit remportée dans la guerre des Marses, où Cicéron avoit servi sous ses ordres en qualité de volontaire.

Le consul de Rome seroit sans-doute bien surpris, s'il revenoit au monde, de voir sur les ruines de la maison dans laquelle il étoit né, sur les débris de son portique & de son palais, d'un côté un couvent d'inquisiteurs, la villa di S. Dominico, & de l'autre une abbaye qu'occupent des moines Calabrois. Quantùm mutatus ab illo !

Mais enfin le Tusculum de Cicéron a eu le même sort que tous les édifices des plus grands hommes de son siecle ; leurs maisons de plaisance, leurs temples & leurs palais sont devenus l'habitation des moines, des prélats & des cardinaux qui gouvernent Rome moderne.

Des prêtres fortunés foulent d'un pié tranquille

Le tombeau des Catons & la cendre d'Emile.

(D.J.)


GROTTES. f. crypta, (Hist. nat.) On nomme ainsi les cavernes, les creux ou les espaces vuides qui se rencontrent dans le sein de la terre, & surtout dans l'intérieur des montagnes. Buttner & la plûpart des Naturalistes attribuent la formation des grottes aux bouleversemens causés par le déluge universel ou par d'autres révolutions particulieres, telles que celles qu'ont pu causer les feux soûterreins ; ou aux eaux qui en pénétrant au-travers des montagnes & des roches qui les composent, ont entraîné & détaché les substances, telles que la terre, le sable, &c. qui leur présentoient le moins de résistance, & n'ont laissé subsister que les plus solides qu'elles n'ont pû entraîner avec elles. Les grottes varient pour la grandeur & pour les phénomenes qu'elles présentent ; il n'y a guere de pays montagneux où l'on n'en trouve quelques-unes.

La grotte de Baumann, située dans le duché de Brunswick, entre Blankenbourg & Elbingrode, est une des plus fameuses que l'on connoisse en Europe ; elle est d'une étendue très-considérable, & composée d'un grand nombre de cavernes qui communiquent les unes aux autres. Ces cavernes sont remplies de stalactites & de concrétions pierreuses, qui offrent aux yeux des figures tout-à-fait singulieres, & que l'imagination prévenue rend peut-être encore plus merveilleuses. Il y auroit même lieu de soupçonner que l'art a quelquefois aidé à perfectionner des ressemblances que la nature n'avoit fait qu'ébaucher ; tel est peut-être le cheval, &c. que l'on dit être ou avoir été dans cette grotte. On trouve encore dans la roche qui forme cette grotte, des ossemens d'animaux, que la crédulité a fait regarder comme des of de géants. L'on vante encore l'unicornu fossile, ou le squelete d'un animal fabuleux appellé licorne, mais que l'on ne regarde actuellement que comme le squelete du poisson appellé narwal. Voyez Behrens, Hercynia curiosa.

Le célebre Tournefort nous a donné dans son voyage du Levant, tome I. pag. 190. une description très curieuse de la fameuse grotte d'Antiparos, dans l'Archipel : elle est remarquable par la beauté des stalactites & des concrétions d'une forme singuliere qu'elle présente. Ces stalactites sont de l'espece de marbre veiné & couleur d'onyx, que l'on nomme communément albâtre oriental, & qui ne doit être regardé que comme un marbre plus épuré, entraîné par les eaux, & déposé ensuite sur les parois de la grotte par ces mêmes eaux, après qu'elles ont été filtrées au-travers de la pierre.

La France fournit un grand nombre de grottes, aussi curieuses & intéressantes pour les observateurs de l'Histoire naturelle, que celles d'aucune autre contrée de l'Univers : telle est entr'autres la grotte ou caverne d'Arcy dans la Bourgogne, décrite à l'article ARCY, sans compter celles qui se trouvent en plusieurs autres endroits du Dauphiné, de la Franche-Comté, &c. & en général dans les pays montagneux. Voyez l'artic. GLACIERE NATURELLE. La plûpart de ces grottes & cavernes sont sujettes à se remplir peu-à-peu, au point que des endroits où l'on passoit librement, se trouvent resserrés au bout d'un certain tems, & finissent même par se boucher entierement. Cela arrive par le concours continuel d'une eau chargée de parties lapidifiques, qui tombe goutte-à-goutte de la voûte ou partie supérieure de ces cavernes.

Les rochers dont les Alpes sont composés, sont remplis en quelques endroits de cavités ou de grottes, d'où les habitans de la Suisse vont tirer le crystal de roche. On reconnoît la présence de ces cavités, lorsqu'en frappant avec de grands marteaux de fer sur les roches, elles rendent un son creux. Ce qui les indique d'une maniere encore plus sûre, c'est une veine ou zone de quartz blanc, qui coupe la roche en différens sens ; elle est beaucoup plus dure que le reste de la roche. Les habitans de la Suisse la nomment bande ou ruban. Un autre signe auquel on connoît la présence d'une grotte contenant du crystal de roche, c'est lorsqu'il suinte de l'eau au-travers du roc, près des endroits où l'on a observé ce qui précede. Lorsque toutes ces circonstances se réunissent, on ouvre la montagne avec une grande apparence de succès, soit à coups de ciseau, soit à l'aide de la poudre à canon ; on forme ensuite un passage à-peu-près semblable aux galeries des mines. On a remarqué qu'il se trouvoit toûjours de l'eau dans ces grottes ; elle s'amasse dans le bas après être tombée goutte à goutte par la partie supérieure.

Il y a tout lieu de croire qu'on acquerroit beaucoup de connoissances sur la formation des crystaux & des pierres, si on examinoit attentivement la maniere dont la nature opere dans les grottes, & si l'on analysoit par les moyens que fournit la Chimie, les eaux qu'on y rencontre, & auxquelles sont dûs tous les phénomenes qu'on y remarque. Voyez CRYSTAL, CRYSTALLISATION, ERREERRE. (-)

GROTTE DU CHIEN, (Géogr. & Hist. nat.) en italien grotta del cane, buco velenoso, grotte ou caverne d'Italie, au royaume de Naples, célebre de tout tems par ses exhalaisons mortelles.

Les anciens l'ont nommé spiracula & scrobes Charoneae ; Pline en fait mention liv. II. ch. cxiij. Elle est située proche du lac d'Agnano, entre Naples & Pouzzoles, sur le chemin qui conduit à cette derniere ville, à deux milles de la premiere, & au pié de la montagne appellée de nos jours la solfatara, autrefois forum Vulcani, & leucogaei colles.

Cette fameuse moféta a pris le nom moderne qu'elle porte, de ce qu'on éprouve communément ses effets pernicieux sur les chiens ; elle ne laisse pas cependant d'être également funeste aux autres animaux qui se trouvent exposés à la portée de ses vapeurs. On dit que Charles VIII. roi de France en fit l'essai sur un âne, & que deux esclaves qui y furent mis la tête en-bas par ordre de Pedro de Tolede, vice-roi de Naples, y perdirent la vie ; je ne garantis point ces sortes de traits historiques : une exacte description de la grotte est ici l'objet le plus important.

Elle a environ huit piés de haut, douze de long, sur six de large. Il s'éleve de son fond une vapeur chaude, ténue, subtile, qu'il est aisé de discerner à la vûe. Cette vapeur ne sort point par des petites parcelles, mais elle forme un jet continuel qui couvre toute la surface du fond de la grotte ; & il y a cette différence entre cette vapeur & les vapeurs ordinaires, que la vapeur malfaisante de la grotte du chien ne se disperse point dans l'air, & qu'elle retombe un moment après s'être élevée. La couleur des parois de notre grotte est la mesure de son élévation : car les parois sont d'un verd foncé jusque-là, & de couleur de terre ordinaire au-dessus, à la hauteur de plus de dix pouces.

Le docteur Méad s'est tenu debout dans la grotte, la tête haute, sans en recevoir aucune incommodité ; & tout animal dont la tête se trouve au-dessous de cette marque, ou que sa petitesse empêche de porter sa tête au-dessus de la vapeur, perd tout-d'un coup le mouvement, comme s'il étoit étourdi ; ensuite au bout d'une trentaine de secondes, il paroît comme mort ou en défaillance : bien-tôt après ses membres sont attaqués de tremblemens convulsifs ; à la fin, j'entends dans l'espace d'une minute, il ne conserve d'autre signe de vie qu'un battement presqu'insensible du coeur & des arteres, qui ne tarde même pas à cesser, lorsqu'on laisse l'animal un peu trop long-tems, je veux dire deux ou trois minutes, & pour lors sa mort est infaillible. Si au contraire, d'abord après la défaillance on le tire dehors de la grotte, il reprend ses sens & ses esprits, sur-tout lorsqu'on le plonge dans le lac d'Agnano, qui est à vingt pas de-là.

Cette derniere circonstance n'est point toutefois d'une nécessité absolue. On lit dans l'hist. de l'ac. des Scienc. qu'un chien qui servit à l'épreuve ordinaire, en présence de M. Taitbout de Marigny, consul à Naples, fut simplement jetté sur l'herbe, & que peu de tems après il reprit sa vigueur au point de courir ; on conçoit même que si on jettoit le chien au sortir de la grotte, assez avant dans le lac pour qu'il y nageât, immobile comme il est dans ce moment, il périroit plutôt que de revenir.

J'ajoûte en terminant la description de la grotte de Naples, qu'on ne la laisse point ouverte ; que celui qui en a la clé, fait ordinairement son expérience sur un chien quand quelqu'un desire de la voir ; & enfin qu'il couche toûjours cet animal à terre dans la grotte, en faisant son expérience.

Peut-être que les animaux qu'on éprouve de cette maniere, respirent au lieu d'air, des vapeurs minérales, suffoquantes, c'est-à-dire une vapeur ténue, imprégnée de certaines particules, qui étant unies ensemble, composent des masses très pesantes, lesquelles bien-loin de faciliter le cours du sang dans les poumons, sont plus propres à chasser l'air de leurs vésicules, & à retrécir les vaisseaux par leur trop grande pesanteur ; au moyen de ce poids subit, les vésicules pulmonaires s'affaissent, & la circulation du sang vient à cesser. Lors au contraire qu'on tire à tems l'animal de cette vapeur minérale, la petite portion d'air qui reste dans les vésicules après chaque expiration, peut avoir assez de force pour expulser ce fluide pernicieux, sur-tout si l'on plonge l'animal dans l'eau ; en effet il arrive que l'eau aidant par sa froideur la contraction des fibres, fait reprendre au sang son premier cours, comme on l'éprouve tous les jours dans les syncopes ; mais si cette stagnation continue trop long-tems, il est aussi impossible de rendre la vie à l'animal, que s'il étoit parfaitement étranglé ; & le lac d'Agnano même n'est d'aucune utilité dans ce dernier cas, ce qui montre que son eau n'a pas plus de vertu qu'une autre, & qu'elle n'est point un spécifique particulier contre le poison de la grotte.

Il semble présentement qu'on est dispensé de recourir à un poison singulier des vapeurs minérales de la caverne, pour expliquer la mort des animaux qui y périssent, si l'on considere que ces animaux, quand on les tire promtement hors de cet endroit, reviennent à eux sans conserver aucun signe de foiblesse, ni aucun des symptomes que l'on remarque dans ceux qui ont respiré un air imprégné de particules malignes par elles-mêmes ; de plus, les corpuscules venéneux, s'il y en avoit, devroient infecter pour le moins à quelque degré l'air qui regne dans la partie supérieure de la grotte, & cependant ils ne causent aucun dommage à ceux qui le respirent. Ajoûtez, que par l'ouverture faite des animaux auxquels l'air du bas de la grotte a causé la mort, on ne découvre rien d'extraordinaire ni dans leurs fluides, ni dans leurs solides.

Cependant j'avoue que toutes ces raisons ne suffisent pas, pour porter la conviction dans l'esprit, parce que la nature & les effets des poisons nous sont entierement inconnus ; celui-ci peut n'exercer son empire qu'à une certaine distance, & ne produire aucun changement dans le cadavre. Tout ce qu'on a pû découvrir de la qualité des particules minérales qui s'élevent en vapeurs dans la grotte du chien, c'est qu'elles doivent être pour la plûpart vitrioliques, du-moins à en juger par la couleur verdâtre de la terre, & par son goût aigrelet qui tient beaucoup de celui du phlegme de vitriol.

Au reste, il est très-apparent qu'on pourroit creuser ici sur la même ligne d'autres grottes funestes, où les mêmes effets se feroient sentir.

Quoi qu'il en soit, l'antiquité nomme plusieurs autres cavernes célebres par des exhalaisons mortiferes. Telle étoit la Méphitis d'Hiérapolis, dont il est parlé dans Cicéron, dans Galien, & dans Strabon, qui avoient été témoins de ses effets. Telle étoit encore la caverne de Corycie, specus Corycius, dans la Cilicie, qui, à cause de ses exhalaisons empestées, pareilles à celles que les Poëtes donnent à Typhon, étoit appellée l'antre de Typhon, cubile Typhonis. Pomponius Méla n'a pas oublié de la décrire, & elle paroît aussi ancienne qu'Homere : car le mont Arima où il place cette caverne méphitique, étoit à ce que dit Eustathius, une montagne de Cilicie.

Enfin les vapeurs pernicieuses de toute nature ne sont pas rares : & bien qu'elles soient plus fréquentes dans les mines, dans les puits, dans les carrieres, & dans d'autres lieux semblables, on ne laisse pas d'en rencontrer quelquefois sur la surface de la terre, sur-tout dans les pays qui abondent en minéraux, ou qui renferment des feux soûterreins, tels que sont en Europe la Hongrie, la Sicile, & l'Italie. Voyez EXHALAISON, MOPHETE, &c. (D.J.)

GROTTE d'Arcy, voyez l'article ARCY.

GROTTE du desert de la tentation, (Géog.) grotte de la Palestine, où l'on suppose sans aucun fondement que Jesus-Christ fut tenté par le démon dans un lieu desert ; je dis, où l'on suppose sans aucun fondement, parce que les Evangélistes qui nous donnent le détail de la tentation, ne parlent point de grotte : cependant le P. Nau prétend dans son voyage de la Terre-Sainte, liv. IV. ch. jv. qu'elle se voit sur une montagne de la Palestine, dont le sommet est extrêmement élevé, & dont le fond est un abysme. Il ajoûte que cette montagne se courbant de l'occident au septentrion, présente une façade de rochers escarpés, qui s'ouvrent en plusieurs endroits, & forment plusieurs grottes de différentes grandeurs. Voilà donc chacun maître de fixer à sa fantaisie sur cette montagne la grotte prétendue de la tentation de notre Sauveur ; & comme tout y est également desert, le choix ne sera que plus facile. (D.J.)

GROTTE de Naples, (Géog.) quelques-uns l'appellent aussi grotte de Pouzzoles, parce qu'elle conduit de Naples à Pouzzoles au-travers de la montagne Pausilipe. Voyez PAUSILIPE. (D.J.)

GROTTE de Pouzzoles, (Géog.) voyez PAUSILIPE.

GROTTE de Notre-Dame de la Balme, (Géog. & Hist. nat.) grotte de France dans le Dauphiné, sur le chemin de Grenoble. On lui donnoit autrefois 50 toises d'ouverture & 60 de largeur ; mais il est arrivé par un nouvel examen que cette spacieuse caverne a diminué prodigieusement de dimension : & les physiciens modernes après bien des recherches, n'ont pû trouver de nos jours, ni le gouffre, ni le lac dont parle Mézeray dans la vie de François I. année 1548. Ce gouffre affreux a entierement disparu, & ce vaste lac se réduit à un petit ruisseau. (D.J.)

GROTTE de Quingey, (Géogr. & Hist. nat.) grotte de Franche-Comté, à une lieue de Quingey, & à cinquante pas du Doux. Elle est longue & large, & la nature y a formé des colonnes, des festons, des trophées, des tombeaux, enfin tout ce que l'on veut imaginer : car l'eau dégouttant sur diverses figures, s'épaissit, & fait mille grotesques. Cette caverne est habitée par des chauves-souris du-haut en-bas ; ainsi ceux qui voudront la visiter, doivent faire provision de flambeaux & de just-au-corps de toile, tant pour y voir clair, que pour ne pas gâter leurs habits. Le terrein est fort inégal, selon les congelations qui s'y sont faites ; il est même vraisemblable qu'avec le tems il sera entierement bouché. Voyez la description que M. l'abbé Boizot a donnée de cette grotte dans le journal des savans, du 9 Septembre 1686. (D.J.)

GROTTE de la Sibylle, (Géog. & Hist. nat.) grotte d'Italie au royaume de Naples, auprès du lac d'Averne. La principale entrée en est déjà comblée, & celle par laquelle on y parvient aujourd'hui, s'affaisse & se bouche tous les jours ; c'est une des merveilles d'Italie qu'il faut rayer de ses fastes. (D.J.)

GROTTES de la Thébaïde, (Géog.) Ces grottes sont de vraies carrieres qui, selon le récit des voyageurs, occupent un terrein de dix à quinze lieues, & qui sont creusées dans la montagne du levant du Nil. Voyez THEBAÏDE. (D.J.)

GROTTE ARTIFICIELLE, (Hist. des Arts.) Les grottes artificielles sont des bâtimens rustiques faits de la main des hommes, & qui imitent des grottes naturelles autant que l'on le juge à-propos ; on les décore au-dehors d'architecture rustique ; on les orne en-dedans de statues & de jets-d'eau ; on y employe les congelations, les pétrifications, les marcassites, les crystaux, les améthystes, le nacre, le corail, l'écume de fer, & généralement toutes sortes de minéraux fossiles, & de coquillages ; chaque nation porte ici son goût particulier ; mais un des ouvrages des plus nobles & des plus achevés qu'il y ait eu en ce genre, étoit la grotte de Versailles, qui ne se voit plus qu'en estampe. (D.J.)


GROUS. m. GROUETTE, s. f. (Hydraulique) l'un & l'autre se dit d'une matiere pierreuse qui se trouve au-dessus de la superficie des terres ; si on néglige de percer cette grouette bien avant & au pourtour du trou où l'on veut planter un arbre, on ne pourra jamais réussir à l'élever. On sent bien que cette croûte pierreuse empêcheroit la communication des engrais & des arrosemens qui font tomber sur les racines d'un arbre les sels qui y sont contenus. Vrai moyen de maintenir la souplesse des plantes, de developper leurs germes, & de donner à la seve la facilité de se porter de tous côtés. (K)


GROUGROUS. m. (Hist. nat. bot.) c'est une des especes de palmier qui croissent en Amérique. Le grougrou ne s'éleve pas si haut que le palmier franc ; & quoiqu'il soit garni d'épines longues de quatre à cinq pouces, menues comme des aiguilles à tricoter, & extrêmement polies, il ne faut pas pour cela le confondre avec le palmier épineux. Son fruit vient par grappes ; il est de la grosseur d'une balle de paume, & renferme un petit cocos plus gros qu'une aveline, noir, poli, & très-dur ; au-dedans duquel est une substance blanchâtre, coriace, insipide, & très-indigeste. Cependant les Negres en mangent beaucoup ; les Sauvages en font une huile qui renaît en peu de tems, & dont ils se frottent le corps ; le chou qui provient de cet arbre est bien meilleur que celui du palmier franc, mais moins délicieux que celui du palmier épineux.

De toutes les îles françoises, celle qui abonde le plus en grougrou, c'est la Grenade ; il y a des montagnes qui en sont toutes couvertes. Article de M. LE ROMAIN.


GROULARDS. m. voyez BOUVREUIL.


GROUPS. m. (Comm.) se dit dans le commerce des paquets d'or ou d'argent en especes que les marchands ou négocians s'envoyent les uns aux autres par la poste, par le messager, ou par quelqu'autre commodité. Ainsi on dit, un paquet, ou un group de deux cent loüis. Dictionnaire de Commerce & de Trévoux. (G)


GROUPPES. m. signifie en Peinture l'assemblage de plusieurs objets qui sont tellement rapprochés ou unis, que l'oeil les embrasse à-la-fois. Les avantages qui résultent de cette union dans les ouvrages de la Peinture, tiennent, à ce que je crois, d'une part au principe d'unité, qui dans tous les arts est la source des vraies beautés ; d'un autre ils ont rapport à l'harmonie, qui est la correspondance & la convenance générale des parties d'un tout, comme on le verra au mot HARMONIE.

Développons la premiere de ces idées. Si nos yeux n'étoient pas asservis à la nécessité de rassembler leurs rayons visuels à-peu-près dans un même point, pour appercevoir nettement un objet ; si au contraire nos yeux indépendans l'un de l'autre, pouvoient s'occuper également de plusieurs objets séparés les uns des autres ; si leurs perceptions rapportées au terme qui fait la liaison de notre partie intellectuelle avec nos ressorts matériels, pouvoient sans se nuire exciter à-la-fois différentes idées, vraisemblablement le principe d'unité seroit sujet à contestation, ou n'existeroit pas, & l'usage de groupper seroit moins autorisé ; mais la nécessité où nous sommes de n'appercevoir, de ne sentir, de ne penser qu'un seul objet à-la-fois, nous oblige d'établir ce principe d'unité auquel nous sommes astreints ; & c'est pour s'y conformer que l'artiste qui traite un sujet rassemble le plus qu'il est possible, les objets dont il souhaite que le spectateur s'occupe & joüisse. L'usage de former des grouppes est donc pris dans la nature, quoiqu'il se rencontre peut-être rarement que dans une action qu'on peint, les objets soient rassemblés & unis précisément comme le peintre a intérêt de les unir & de les rassembler. Mais en justifiant aux Artistes une forme de composition, dont la plûpart ne se sont peut-être pas rendu une raison bien exacte ; je leur observerai que l'on a abusé, & que l'on abuse encore de l'usage où l'on est de groupper, & que les conventions auxquelles on semble avoir soûmis cette partie de la composition, peuvent entraîner une école entiere à des défauts essentiels.

C'est principalement dans le genre héroïque de la Peinture, qu'il est essentiel d'approfondir de quelle considération l'usage de groupper doit être pour les Artistes. Dans un tableau d'histoire, le but principal du peintre est de fixer les yeux du spectateur sur l'objet le plus intéressant de la scene. Deux moyens principaux s'offrent pour cela : l'effet & l'expression. Il est le maître de l'un, il n'a aucun droit sur l'autre.

L'expression est indépendante de l'artiste, puisque la nature, d'une justesse invariable dans ses mouvemens, ne laisse rien au choix du peintre, & qu'il s'égare dès qu'il la perd de vûe.

L'effet est subordonné à l'artiste, parce que cette partie qui dépend de plusieurs suppositions arbitraires, lui permet de disposer le lieu de la scene, les objets qui le constituent, & la lumiere, de la maniere la plus favorable à son projet. C'est en conséquence de cette liberté qu'il forme des especes de divisions dans son sujet, & que celle de ces divisions qui doit renfermer son objet principal, est le but le plus intéressant de ses réflexions & de son travail.

En conséquence il dirige vers ce point sa plus brillante lumiere ; mais si l'objet principal est seul & isolé, cette lumiere pourra bien s'y distinguer par quelques touches éclatantes, mais elle n'attirera pas l'oeil par sa masse ; il faut donc, s'il est possible, reproduire cette lumiere, l'étendre autour de l'objet principal, enfin former un grouppe de lumieres qui se lient, qui s'unissent, & dont la masse étendue frappe l'oeil du spectateur & le retienne. Cette sorte de grouppe qui tient à la partie de l'harmonie, est celle qui risque le moins de s'éloigner de la nature ; elle est d'une ressource infinie pour ceux qui savent l'employer : c'est une espece de magie d'autant plus puissante que ses prestiges sont cachés sous les apparences les plus naturelles : c'est enfin, j'ose le dire, un des moyens les plus puissans que puisse employer l'art de la peinture. La seconde espece de grouppe est celle qui consiste dans l'assemblage de plusieurs figures, dont l'union est l'effet d'une composition refléchie ; la nature offre des exemples de ces assemblages, mais ils ne sont pas toûjours assez heureux pour que l'artiste les adopte tels que le hasard les assemble ; il se croit autorisé s'il les copie, à y faire quelques changemens dont il espere plus de grace dans la forme générale du grouppe ; il lui arrive alors de considérer un grouppe de plusieurs figures comme un seul corps, dont il veut que les différentes parties contrastent, dans lequel il évite avec soin (heureux si ce n'est point avec affectation) la moindre uniformité de position dans les membres, où il cherche enfin à quelque prix que ce soit une forme pyramidale, qu'il croit, sur la foi du préjugé, faite pour plaire préférablement à d'autres.

Il est bien facile de sentir combien cette espece de méchanisme s'éloigne de la nature ; il est aisé de voir quelle porte on ouvre par-là au préjugé, à la mode, & à ces especes d'imitations de maniere, qui circulant d'attelier en attelier, attaquent l'art dans ses principes, & qui parviendroient à l'asservir, si le génie, par son indépendance, ne rompoit ces indignes chaînes.

Je ne prétends pas cependant qu'on doive se refuser à groupper les figures principales d'un objet, lorsque le sujet le comporte. Je ne dis pas même qu'en grouppant plusieurs figures, on ne doive éviter certaines rencontres desagréables ou trop uniformes ; mais qu'il y a loin d'un choix sage & réservé que j'approuve, d'un art modéré qui se cache si bien qu'on le prend pour la nature même, à des oppositions recherchées & à des contrastes affectés, par le moyen desquels les figures d'un grouppe ressemblent à une troupe de danseurs dont les pas, dont les attitudes, dont tous les mouvemens sont combinés & écrits ?

Quelques auteurs ont établi des regles sur la quantité de grouppes qu'on doit admettre dans une composition ; je n'engagerai jamais les Artistes à adopter ni à former des systèmes de compositions de cette espece. Les détails dans lesquels je pourrois m'étendre sur cela, ont rapport aux mouvemens qu'occasionnent certaines passions ; & je les réserve pour l'article où ce mot sera traité dans ses rapports avec la Peinture. Article de M. WATELET.

GROUPPE, s. m. en Musique, selon l'abbé Brossard, se dit de quatre notes égales & diatoniques dont la premiere & la troisieme sont sur le même degré. Quand la seconde note descend & que la quatrieme monte, c'est grouppe ascendant ; quand la seconde monte & que la quatrieme descend, c'est grouppe descendant ; & il ajoûte que ce nom a été donné à ces notes à cause de la figure qu'elles forment ensemble.

Je ne me souviens pas d'avoir jamais oüi prononcer ce mot de grouppe, ni même de l'avoir lu dans le sens que lui donne l'abbé Brossart, ailleurs que dans son dictionnaire. (S)


GRUS. m. (Gramm.) ancien terme des eaux & forêts. Il se dit de tous les fruits sauvages qui croissent dans les forêts.


GRUAGES. m. (Jurisp.) terme usité dans quelques coûtumes, pour exprimer la maniere de vendre & exploiter les bois ; c'est proprement l'exercice des droits de grurie ou grairie, tiers & danger segrairie.

Suivant un registre du thrésor des chartres de l'an 1315, le roi expose qu'il a droit de gruage dans les bois de Gilles Bergines son chambellan ; mais en considération de ses services, il lui donne ledit gruage estimé 52 liv. 14 s. 6 den.

La coûtume de gruage est celle selon laquelle il faut mesurer, arpenter, layer, crier, & livrer le bois.

Droit de gruage se prend quelquefois pour grurie. Voyez ci-après GRURIE.

Gruage est aussi quelquefois un droit qui appartient à certains officiers : par exemple, dans le registre du thrésor des chartres de l'an 1315, pag. 57. il se trouve une chartre, portant que les gruyers de la forêt auront pour leur gruage soixante arpens de bois, exempts de toute redevance. Le concierge & bailli du palais a le droit de gruage sur tous les bois de la forêt Yveline, lequel droit consiste en une certaine quantité de charbon & d'écorce, que doivent lui payer ceux qui en voiturent. Il est parlé de ce droit dans des lettres données au mois de Janvier 1358, par Charles V. alors régent du royaume. (A)


GRUAUS. m. (Gram.) farine d'avoine ou d'orge dont on a séparé le son, & qu'on a séchée au four ; on en fait de la bouillie ; on en prend au lait & à l'eau. C'est un aliment fort sain. Voyez FARINE & FARINEUX.

Le gruau est encore une espece de farine grossiere, mêlée de son, & qui dans le blé étoit voisine de l'écorce. Il y a des gruaux fins & des gruaux gros.

Les gruaux fins, c'est la farine au-dessous de la blanche. Ces gruaux sont les meilleurs.

Les gruaux gros, c'est la farine au-dessous des gruaux fins.

GRUAU, s. m. (Méchan.) cette machine a le même usage que la grue, à l'exception qu'elle n'a point tant de saillie. Elle est composée des pieces suivantes.

1°. Le sol ; 2°. la fourchette ; 3°. le poinçon ; 4°. les bras ou liens en contre-fiche ; 5°. la jambette ; 6°. le treuil ; 7°. l'arrêtier ; 8°. la roue ; 9°. le rancher avec ses chevilles ou ranche. La volée qui est la partie mouvante du gruau, comme de la grue, sont les pieces suivantes ; 10°. le rancher ; 11°. le lien ; 12°. la grande moise ; 13°. la poulie ; 14°. les boulons ; 15°. le chable. Voyez l'article GRUE, & les Planches du Charpentier.


GRUES. f. grus, (Ornith.) grand oiseau aquatique qui a le cou & les jambes fort longues. Il pese pour l'ordinaire dix livres, & il a près de cinq piés de longueur, depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout des piés. Le bec est droit, pointu, & de couleur verdâtre teinte de noirâtre. Il a près de quatre pouces de longueur, & il est applati sur les côtés. Le sommet de la tête a une couleur noire, & il est couvert de poil ou de soie, au lieu de plumes. Il y a sur l'occiput une aréole rouge & nue ; deux bandes blanches s'étendent depuis les yeux jusqu'au sommet d'une tache de couleur de cendrée qui est sur l'occiput, au-dessous de l'aréole dont il a été fait mention : ces deux bandes descendent ensuite jusqu'à la poitrine. La gorge & les côtés de la tête sont noirs ; le dos, les épaules & la poitrine, le ventre en entier, les cuisses & presque toutes les petites plumes des aîles ont une couleur cendrée ; les aîles sont très-étendues, & ont vingt-quatre grandes plumes ; la queue est petite, ronde & composée de douze plumes qui sont de couleur cendrée, à l'exception du bout qui est noir ; les jambes ont aussi une couleur noire, & sont nues jusqu'au-dessous de l'articulation. Cet oiseau est passager, & il a la chair assez bonne ; il vit de semences & d'herbes. Willughbi, Ornit. Voyez
GRUE' a>OISEAU (I)

GRUE
, (Astron.) constellation de l'hémisphere austral, située entre le Poisson austral & le Toucan. C'est une de celles qui ne sont point visibles dans nos climats. V. CONSTELLATION & ETOILE. (O)

GRUE, (Méchan.) machine en usage dans la construction des bâtimens, pour élever des pierres & autres grands fardeaux.

M. Perrault dans ses notes sur Vitruve, prétend que la grue est le corbeau des anciens. Voyez CORBEAU.

La grue des modernes est composée de plusieurs pieces, dont la principale est un arbre élevé perpendiculairement, & terminé en poinçon par le haut : cet arbre est garni par le milieu de huit pieces de bois posées en croix, & soûtenu de huit bras ou liens en contre-fiche, qui s'assemblent vers le haut de l'arbre, & y sont joints avec tenon & mortoise. La piece de bois qui porte & qui sert à élever les fardeaux, s'appelle échelier ou rancher ; elle est garnie de chevilles ou ranches, & posée sur un pivot de fer qui est au bout du poinçon de l'arbre : il est assemblé avec plusieurs moises à des liens montans. Il y a des pieces de bois que l'on nomme soûpentes, attachées à la grande moise d'en-bas & à l'échelier, & qui servent à porter la roue & le treuil, autour duquel se devide le cable. Le cable passe dans des poulies qui sont au bout des moises, & à l'extrémité de l'échelier. Tout le corps de la grue, c'est-à-dire, l'échelier, les moises, les liens montans, les soûpentes, la roue & le treuil, tourne sur le pivot autour de l'arbre pour placer les fardeaux où l'on veut. Chambers.

A proprement parler la grue est un composé du treuil & de la poulie : ainsi pour connoître l'effet de cette machine & sa force, il ne faut qu'y appliquer ce que nous dirons de ces deux machines. Voyez donc POULIE & TREUIL. Voyez aussi AXE DANS LE TAMBOUR, qui est la même chose que treuil, &c.

GRUE, (la danse de la) c'est un ballet des anciens, par lequel ils représentoient les divers détours du labyrinthe de Crete. Il fut inventé par Thesée, après la défaite du Minotaure. Il l'exécuta lui-même avec la jeunesse de Délos ; & cette danse passa dans les tragédies des Grecs, pour y servir d'intermedes. Elle fut mise à la place des ballets qui représentoient le mouvement des astres, &c.

La danse de la grue fut nommée ainsi, parce que tous les danseurs s'y suivoient à la file, comme font les grues lorsqu'elles volent en troupe. Plutarque, dans la vie de Thesée. Voyez BALLET. (B)


GRUGEou EGRUGER, v. act. (Gramm.) il se dit en général de l'action de réduire en poudre un corps dur par le moyen de quelque instrument ; ainsi on gruge le marbre avec la marteline. Le même terme se prend aussi au figuré.


GRUMES. f. (Eaux & Forêts) c'est en général le bois couvert de son écorce & non équarri. On vend beaucoup de bois en grume.


GRUMEAUS. m. grumus, (Med.) ce terme est employé pour signifier une petite masse de sang, de lait, ou d'autre humeur concrescible, qui s'est figée même jusqu'à devenir assez dure.

Hippocrate fait souvent mention de sang grumelé, aph. 80. sect. 4. coac. t. 123. l. V. epid. v. 5. Il se sert aussi quelquefois de cette expression à l'égard de différentes matieres excrémentitielles ; comme de la bile (l. II. de morb. lxxiij. 2.), de l'urine, aph. 69. sect. 4. & coac. 597. Il parle aussi d'un vomissement de matieres grumeleuses. Ibid. t. 636.

La concrétion des humeurs sous forme de grumeau, est ce que les Latins appellent grumescentia, & les Grecs : Galien se sert de ce dernier terme. c. ij. de fract. t. 16.

On a long-tems attribué le vice des humeurs qui les dispose à se grumeler, à l'acide prédominant dans leur masse. Castell. lexic. Voyez COAGULATION, CONCRETION.

Les pulmoniques crachent souvent du sang sous forme de grumeaux. Voyez PULMONIE, PHTHISIE.

On appelle grumeaux de lait, ou lait grumelé, les petits durillons qui restent dans le sein des nouvelles accouchées, surtout lorsqu'elles n'alaitent pas leurs enfans. Voyez LAIT, MAMELLES.

De grumeau on fait grumeler, grumeleux, &c. (d)


GRUMENTUM(Géog. anc.) petite ville de la grande Grece dans la Lucanie, vers le golfe de Tarente. Titus Sempronius y remporta la victoire sur Hannon, au rapport de Tite-Live ; Ptolomée, dans sa géographie, Pline dans son histoire naturelle, & Antonin dans son itinéraire, parlent aussi de cette ville. C'est la Saponara de nos jours, qui est dans le diocèse de Massico, ainsi qu'on l'a démontré par des inscriptions & d'autres monumens qui ont été trouvés aux environs. Voyez SAPONARA. (D.J.)


GRUNINGEN(Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de la Basse-Saxe, dans la principauté d'Halberstadt, sur la riviere de Felk, à l'E. & à une lieue d'Halberstadt. Long. 26. lat. 56. 7. 6. (D.J.)


GRUNSFELD(Géog.) petite ville d'Allemagne en Franconie, à trois lieues E. de Rothenbourg : elle appartient au landgrave de Leuchtenberg. Long. 27. 7. lat. 49. 41. (D.J.)


GRUNSTADTGrunstadium, (Géogr.) petite ville d'Allemagne au Palatinat du Rhin, située dans un terroir fertile. Long. 25. 46. lat. 49. 31. (D.J.)


GRURIES. f. (Jurispr.) est une jurisdiction qui connoît en premiere instance de toutes les contestations qui peuvent s'élever au sujet des eaux & forêts de son ressort, & des délits & malversations qui peuvent y être commis.

Il y a des gruries royales, & d'autres seigneuriales.

On appelle aussi grurie par rapport au roi, un droit qui se perçoit en quelques endroits à son profit sur les bois d'autrui lors de la vente des coupes, à cause de la justice qu'il fait exercer sur ces bois.

Ailleurs ce droit est nommé grairie, segrairie, ou segreage, tiers & danger, gruage ; tous ces différens noms sont synonymes, excepté que la quotité des droits qu'ils désignent, n'est pas communément la même ; le nom & la quotité du droit dépendent de l'usage des lieux.

Quelques-uns tirent l'étymologie de grurie & de gruyers, à gruibus, à cause que ces animaux veillent la nuit, soûtenant une pierre en l'air avec leur pié. D'autres font venir grurie du mot grec , qui signifie chêne & même tout autre arbre. Mais Pithou, sur l'article 181. de la coûtume de Troyes, dit que grurie vient de gru, qui signifioit autrefois toute sorte de fruits tant de forêts qu'autres. En effet le droit de grurie dans son origine ne se levoit pas seulement sur les bois, il se levoit aussi sur les terres labourables ; comme il paroît par une charte de l'an 1204, rapportée par Duchesne en ses preuves de la maison de Montmorency, où il est parlé d'un accord fait super griaria tam in nemore quam in plano. Ragueau en son glossaire dit qu'il y a la grurie de charbon, dont on fait bail à Paris au profit du roi. Ducange tient que grurie vient de l'allemand gruen ou groen, qui signifie viridis, d'où on a fait viridarius ; & en effet les gruyers sont aussi appellés verdiers en plusieurs endroits.

La grurie prise pour jurisdiction sur les eaux & forêts, est un attribut naturel de la haute-justice. Avant que l'on eût introduit les inféodations, les seigneurs qui avoient des hautes-justices, soit à cause de leurs aleux, ou à cause de leurs bénéfices civils, avoient droit de grurie. Ce ne fut que depuis l'usage des inféodations que la grurie fut démembrée de plusieurs hautes-justices, pour en former un fief séparé ; ce qui arriva dans les xj. & xij. siecles, où l'on donnoit en fief toutes sortes de choses, ainsi que le remarque M. Brussel, usage des fiefs.

En Champagne la grurie étoit encore séparée de la haute-justice en l'an 1317 ; comme il paroît par une contestation rapportée dans les registres olim, laquelle se mut entre le gruyer de Champagne & le procureur du comte palatin de Champagne & de Brie. Le gruyer prétendoit avoir droit de chasse dans la garenne, dans les bois & dans tout le territoire du village appellé la Chapelle, de nuit, de jour, à cor & à cri, tant par lui-même que par ses gens ; d'y prendre des bêtes de toute espece, de punir les délinquans, d'en exiger des amendes quand le cas y échéoit. La contestation fut décidée en sa faveur après une enquête.

La grurie de la forêt de la Cuisse est encore un fief héréditaire dans la personne du seigneur du Haroy. Ses titres lui donnent la qualité de gruyer hérédital, & à son fief celle de fief de la grurie en la dite forêt. Les prérogatives de ce fief sont entr'autres de mener le roi quand il chasse dans cette forêt ; de pouvoir chasser lui-même dans tous les endroits de la forêt, son valet après lui portant une trousse de la gutte avec trois levriers & trois petits chiens, & un vautour sur le poing ; d'y prendre toutes sortes de bêtes à pié rond ; & en cas qu'il en prenne à pié fourché, il en est quitte en avertissant le garde de la forêt : plus le pouvoir de sargenter, allant par la dite forêt à cheval ou à pié ; de prendre 60 sous & un denier sur les chevaux ; en cas de confiscation de charrette & chariots, de pouvoir mener un sergent en sa place ; d'avoir droit de panage & d'herbage ; de prendre la fille ou filles du chesne ; tant pour adoire que pour édifier, faire cuves, tonneaux, &c. & ce au haut du genou, à la serpe & à la coignée ; comme aussi d'ébrancher les chênes jusqu'à la premiere fourche. Voyez le droit public de M. Bouquet, tom. I. p. 331.

Miraumont cite une vieille loi de Louis & de Clotaire, en laquelle il est parlé du droit de grurie, jus gruariae, & où il est dit que l'on institua des gruyers, verdiers, gardes des eaux & forêts : & ne fraus fieret canoni, instituti praefecti, gruarii, viridarii, custodes silvarii, aliique quibus silvarum procuratio demandata ; mais dans les justices des seigneurs, lorsque la grurie n'en avoit point été démembrée, ou qu'elle y avoit été réunie, elle en faisoit toûjours partie. Voyez M. Bouquet, pag. 331.

Une ordonnance de Philippe-le-Bel de 1291, dit que les maîtres des eaux & forêts, les gruyers, gruerir, & forestiers, feront serment entre les mains de leurs supérieurs, en la forme qui avoit déjà été ordonnée.

Les gruries avoient dès-lors l'inspection sur les eaux, de même que sur les forêts : en effet Philippe V. ordonna en 1318 que les gruyers gouverneroient les eaux & les viviers en la maniere accoûtumée ; que sous prétexte d'aucun don ou mandement du roi, ils ne délivreroient à personne aucuns poissons du roi, jusqu'à ce que tous ses viviers & ses eaux fussent à plein publiés ; que quand les sergens des bois auroient compté de leurs prises & des exploits des forêts, les gruyers leur feroient écroues de leur compte sous leurs sceaux ; enfin que les gruyers ne feroient aucunes ventes, qu'elles ne fussent mesurées.

Les gruries royales furent érigées en titre d'office par édit du mois de Février 1554, & rendues héréditaires par édit du mois de Janvier 1583.

Pour ce qui est des gruries seigneuriales, il n'y en avoit anciennement que dans les terres des seigneurs qui avoient une concession particuliere du droit de grurie, auquel cas le seigneur commettoit un juge particulier pour exercer sa jurisdiction de la grurie. Il est fait mention de ces gruries seigneuriales dès l'an 1380, & il y en avoit même long-tems auparavant, ainsi qu'on l'a déjà observé. Voyez ci-apr. le mot GRUYER.

Les choses demeurerent dans cet état jusqu'à l'édit du mois de Mars 1707, par lequel le roi créa une grurie dans chaque justice des seigneurs ecclésiastiques & laïques, pour faire dans l'étendue de ces justices les mêmes fonctions qu'exerçoient les gruyers du roi dans ses eaux & forêts. L'appel de ces gruries étoit porté aux maîtrises.

Les offices de ces nouvelles gruries n'ayant pas été levés ; par une déclaration du mois de Mars 1708, ils furent réunis aux justices des seigneurs moyennant finance. Depuis ce tems, tous les seigneurs hauts-justiciers sont réputés avoir droit de grurie chacun dans l'étendue de leur haute-justice, & tous juges de seigneurs sont gruyers.

Mais les inconveniens que l'on trouva à laisser les gruyers des seigneurs seuls maîtres de la poursuite de toutes sortes de délits indistinctement, sur-tout dans les bois des gens de main-morte, donnerent lieu à la déclaration du 8 Janvier 1725, par laquelle il a été ordonné que les officiers des eaux & forêts du roi exerceront sur les eaux & forêts des prélats & autres ecclésiastiques, chapitres & communautés régulieres, séculieres & laïques, la même jurisdiction qu'ils exercent sur les eaux & forêts du roi, en ce qui concerne le fait des usages, délits, abus & malversations qui s'y commettent, sans qu'il soit besoin qu'ils ayent prévenu, ni qu'ils en ayent été requis, encore que les délits n'ayent pas été commis par les bénéficiers dans les bois dépendans de leurs bénéfices ; & à l'égard des usages, abus & malversations qui concernent les eaux & forêts qui appartiennent aux seigneurs laïques ou autres particuliers, il est dit que les officiers des eaux & forêts du roi en connoîtront pareillement sans qu'ils en ayent été requis, ni qu'ils ayent prévenu, lorsque les propriétaires de ces eaux & forêts auront eux-mêmes commis les délits & abus ; mais ils ne peuvent en prendre connoissance quand ils ont été commis par d'autres, à-moins qu'ils n'en ayent été requis & qu'ils n'ayent prévenu les juges gruyers des seigneurs : enfin cette déclaration ordonne que l'appel des gruyers des seigneurs se relevera directement à la table-de-marbre, comme avant l'édit du mois de Mars 1707.

Les bois tenus en grurie sont ceux qui sont soûmis à la jurisdiction des officiers du roi, & sur lesquels il joüit de quelques droits, à cause de la justice qu'il y fait exercer. Les bois de cette qualité ne peuvent être vendus que par le ministere des officiers du roi pour les eaux & forêts, & avec les mêmes formalités que les bois & forêts du roi.

Dans tous les bois sujets aux droits de grurie ou grairie, la justice & en conséquence tous les profits qui en procedent, tels que les amendes & confiscations, appartiennent au roi ; ensemble la chasse, paisson & glandée, privativement à tous autres, si ce n'est qu'à l'égard de la paisson & glandée il y eût titre au contraire.

Le droit de grurie qu'on appelle aussi en quelques endroits grairie, est une portion de la vente que le roi perçoit sur les bois d'autrui, soit en argent ou en essence du meilleur bois.

Dans la forêt d'Orléans, le droit de grurie ou grairie est de deux sous parisis d'une part du prix de la vente, & de dix-huit deniers d'autre part.

Dans d'autres endroits, comme dans la Beauce, le Gatinois & le Hurepois, ce droit est de treize parts dans trente ; à Beaugency il est de la moitié, le quint du principal, & toute l'enchere qui se fait sur la publication de la vente faite par le tréfoncier. A Senlis, le roi a dans quelques bois le tiers ; dans d'autres la moitié, dans d'autres le quint & le vingtieme, dans d'autres le vingtieme seulement. A Chauny, il a le quart & le quint. Au pays de Valois, il a le tiers dans les bois des tréfonciers. En Normandie & dans quelques autres pays, le roi a le tiers & danger, c'est-à-dire le tiers & le dixieme. Voyez DANGER, TIERS ET DANGER.

Les parts & portions que le roi prend lors de la coupe & usance des bois sujets aux droits de grurie & grairie, sont levées & perçues en espece ou argent, suivant l'ancien usage de chaque maîtrise où ils sont situés.

L'ordonnance de Moulins défend de donner, vendre ni aliéner en tout ou partie, les droits de grurie, ni même de les donner à ferme pour telle cause & prétexte que ce soit. Ces défenses ont été renouvellées par l'ordonnance de 1669, au moyen dequoi ces droits ne peuvent être engagés ni affermés ; mais leur produit ordinaire est donné à recouvrer au receveur des domaines & bois.

Les autres regles que l'on observe pour les bois tenus en grurie, sont expliquées dans le titre 22 de la même ordonnance de 1669.

L'appel des gruries royales doit être relevé aux maîtrises du ressort ; au lieu que l'appel des gruries seigneuriales, c'est-à-dire des juges de seigneurs en matiere d'eaux & forêts, se releve directement en la table-de-marbre. Voyez Saint-Yon, dans son commentaire, titre des bois tenus à tiers & danger, & la conférence des eaux & forêts, titre des gruyers & tit. des bois tenus en grurie. Voyez ci-après GRUYER, & ci-devant GRAIRIE. (A)


GRUYERS. m. (Jurisprud.) est un officier particulier des eaux & forêts, qui juge en premiere instance les délits & malversations qui se commettent dans les forêts.

L'institution des gruyers est aussi ancienne que le droit de grurie dont ils ont pris leur nom ; il en est fait mention dans les ordonnances dès le tems de la premiere race ; ils sont nommés gruarii custodes, saltuarii, viridarii, & en françois verdiers, forestiers, maîtres-sergens : on leur donne encore ces différens noms selon l'usage des lieux.

Il en est aussi parlé dans une ordonnance de l'an 1318 ; il y a aussi une sentence du 22 Mars 1365, rendue par le maître-général des eaux & forêts du royaume, adressée au gruyer de Champagne & de Brie.

Le nom de gruyer étoit le titre que les ducs de Bourgogne & de Bretagne, & les comtes de Champagne, donnoient au principal officier chargé du gouvernement de leurs eaux & forêts.

Les ordonnances de 1346, Septembre 1402, & Mars 1515, défendirent aux gruyers d'avoir des lieutenans ; s'ils en avoient, ils en étoient responsables, à-moins qu'ils ne fussent officiers de la maison du roi ou des enfans de France.

Il y a deux sortes de gruyers ; les uns royaux, les autres seigneuriaux.

Les gruyers royaux ont été créés en titre d'office par édit du mois de Février 1554, suivant lequel ils doivent être reçûs par le maître particulier dans le ressort duquel ils sont établis.

Les ordonnances de 1346, Juillet 1376, Mars 1388, Septembre 1402, Mars 1515, 1556, & d'Orléans en 1560, ordonnent de donner caution lors de leur réception.

Leurs offices ont été déclarés héréditaires par édit de Janvier 1583.

Par d'autres édits des mois de Mai, Août, & Septembre 1645, il en fut créé d'alternatifs, triennaux & quatriennaux, qui furent supprimés par édit de Décembre 1663 & Avril 1667.

Au mois de Mars 1707, le roi créa un gruyer dans chaque justice des seigneurs ecclésiastiques & laïques ; mais par une déclaration du mois de Mai 1708, ces offices furent réunis aux justices des seigneurs ; ce qui a été confirmé & expliqué par la déclaration du 8 Janvier 1715.

Suivant l'ordonnance des eaux & forêts les gruyers royaux doivent avoir un lieu fixe pour y tenir leur siége à jour & heure certains chaque semaine, & doivent résider dans le détroit de leur grurie le plus près des bois que faire se peut, à peine de perte de leurs gages & d'interdiction.

Ils doivent aussi avoir un marteau particulier pour marquer les arbres de délit & les chablis.

Ils ne peuvent juger d'autres délits que ceux dont l'amende est fixée par les ordonnances à 12 liv. & au-dessous ; si elle excede ou qu'elle soit arbitraire, ils doivent renvoyer la cause en la maîtrise du ressort, à peine de 500 liv. d'amende pour la premiere fois, & d'interdiction en cas de récidive.

Leur devoir est de visiter tous les quinze jours les eaux & forêts de leur grurie en la même forme que les officiers des maîtrises.

Les sergens à garde doivent affirmer devant eux leurs rapports dans les vingt-quatre heures, à peine de nullité.

Ils ont un registre paraphé par le maître particulier, le lieutenant & procureur du roi, où ils transcrivent leurs visites, les rapports, affirmés devant eux, & autres actes de leur charge.

Faute d'avoir fait les diligences nécessaires, ils sont responsables des délits.

Tous les trois mois ils délivrent au procureur du roi en la maîtrise, le rôle des amendes qu'ils ont prononcées, pour être par lui fourni au collecteur, à l'effet d'en faire le recouvrement.

Il leur est défendu, sous peine d'interdiction, de disposer des amendes, sauf au grand-maître à leur faire taxe pour leurs vacations.

L'appel des gruyers royaux ne peut être relevé directement en la table de marbre, mais en la maîtrise, où il doit être jugé définitivement sur le champ.

Ces appellations doivent être relevées & poursuivies dans la quinzaine de la sentence, sinon elle s'exécute par provision ; & le mois écoulé sans appel ou sans poursuite, elle passe en force de chose jugée en dernier ressort.

Tous seigneurs hauts-justiciers ont droit de grurie, & leur juge est gruyer dans l'étendue de leur haute justice ; ce qui ne fait plus de difficulté depuis la déclaration du roi du 8 Janvier 1715.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que le droit de grurie a été accordé à des seigneurs ; car dans un réglement fait par Charles V. au mois d'Avril 1380, pour les pêcheurs de Nogent-sur-Seine, il est parlé du gruyer de la reine Jeanne, qui étoit dame de ce lieu ; & dans des lettres de Charles VI. du mois d'Octobre 1381, il est dit que le seigneur de Dourlemont en Champagne établira un gruyer auquel seront soûmis les messiers & forestiers qui gardent ses bois. Il paroît aussi qu'au-dessus de ces gruyers des seigneurs particuliers, il y avoit un gruyer général pour toute la province : c'est ce que supposent des lettres de Charles VI. du mois de Janvier 1382, qui sont adressées au gruyer de Champagne.

Les gruyers seigneuriaux peuvent connoître de tous délits dans les eaux & forêts, à quelque somme que l'amende puisse monter ; en quoi leur pouvoir est beaucoup plus étendu que celui des gruyers royaux.

L'appel de leurs sentences dans ces matieres ressortit directement au siége de la table de marbre, omisso medio. Voyez le gloss. de Ducange, au mot gruarius, & ci-devant GRUAGE, GRURIE. (A)


GRUYERES(Géog.) petite ville de Suisse au canton de Fribourg ; elle étoit autrefois la résidence des comtes de Gruyeres, & la capitale de leur comté. Son terroir abonde en pâturages, où l'on nourrit beaucoup de vaches, du lait desquelles on fait ces grands fromages qui prennent leur nom du lieu, & dont la vente fait la seule richesse du canton. Gruyeres est située sur le Sana, à six lieues S. O. de Fribourg. Long. 24. 58. latit. 46. 35. (D.J.)


GRc'est ainsi que les Anglois appellent une mesure qui contient un dixieme de ligne. Voyez LIGNE.

Une ligne est la dixieme partie du doigt, le doigt la dixieme partie d'un pié, & le pié philosophique le tiers d'un pendule, dont les vibrations dans la latitude de 45 degrés, sont égales chacune à une seconde ou soixantieme de minute. Voyez POUCE, PIE, PENDULE, &c. Chambers.


GRYMOIRES. m. (Divination) art magique d'évoquer les ames des morts ; Delrio remarque avec raison que tout ce qu'on dit de cet art prétendu est sans fondement. Voyez NECROMANCIE.

Nous ajoûterons que dans plusieurs provinces le peuple est persuadé qu'il existe un grymoire, c'est-à-dire un recueil de conjurations magiques propres à appeller & à faire paroître les démons ; que les ecclésiastiques seuls ont droit de lire dans ce livre & de converser avec les démons sans que ceux-ci puissent leur faire aucun mal ; & qu'au contraire ces esprits de ténebres emporteroient en enfer ou tordroient le cou à tout laïc qui auroit l'imprudence de lire dans ce grymoire : & l'on ne manque pas d'appuyer ces préjugés d'histoires ou de contes encore plus ridicules. (G)


GRYPHITES. f. (Hist. nat.) nom que l'on donne à une coquille fossile que l'on trouve assez communément dans le sein de la terre, mais dont l'analogue vivant nous est entierement inconnu ; cette coquille est bivalve, les deux pieces qui la composent sont inégales pour la grandeur ; la plus grande est de la forme d'un bateau, recourbée par le côté le plus mince, & va en s'élargissant. Wallerius en distingue trois especes ; les gryphites unies, loeves ; cannelées, rugosi ; & sillonnées, lacunosi : il les regarde comme des ostracites ou huîtres : on la nomme aussi huître recourbée. (-)


GUACA(Géog.) petite province de l'Amérique méridionale, aux confins du Popayan & de Quito. C'est-là où l'on commence à voir le fameux chemin des Incas, pratiqué avec tout le travail & l'industrie possibles, au-travers de plusieurs montagnes fort hautes, & de lieux aussi deserts que raboteux ; ce chemin est, comme autrefois, garni par intervalles de tambos ou d'hôtelleries qui servent encore aujourd'hui dans le Pérou ; il y a toûjours dans chacune quelques indiens avec un commandeur qu'on nomme alcade ; sa charge est aussi-tôt qu'un voyageur arrive, de lui donner un américain pour lui fournir de l'eau, du bois, & autres choses semblables dont il peut avoir besoin ; il lui donne en outre deux autres serviteurs l'un pour lui apprêter à manger, & le second pour avoir soin de sa monture ; ce qui est exécuté gratuitement, fidelement, & promtement ; enfin il donne à ce voyageur des guides quand il part, & les habitans appellent cette hospitalité, un service personnel ; il est grand, noble, & digne de l'humanité. Deus est mortali juvare mortalem. (D.J.)


GUADALAJARA(Géog.) ville d'Espagne dans la Nouvelle Castille, sur le Hénarès, à quatre lieues N. E. d'Alcala, douze de Madrid. On a raison de douter que cette ville soit la Caraca de Ptolomée ; en 1460 Henri IV. l'honora du nom de cité, & elle a droit d'assister aux états généraux de Castille.

C'est la patrie de Gomez de Ciudad-Réal (Alvarès) poëte latin espagnol, qui fut élevé avec Charles-Quint, & se fit de la réputation dans son pays par son poëme de la toison d'or : il mourut le 14 Juillet 1538, âgé de cinquante ans. Longit. 14. 50. latit. 40. 36. (D.J.)

GUADALAJARA, ou GUADALAXARA, (Géogr.) province de l'Amérique septentrionale dans la Nouvelle-Espagne ; elle est bornée au levant & au sud par le Méchoacan, & au couchant par la province de Xalisco : au midi de cette province est le grand lac nommé lac de Chapala, formé par Riogrande & par deux autres rivieres, & formant à son tour le fleuve de Sant-Iago. On ne peut rien ajoûter à la fertilité du pays, qui porte en abondance le mays, le froment & tous les fruits de l'Europe. Guadalajara, capitale ; Lagos, Léon, & Zamora en sont les villes les plus considérables. (D.J.)

GUADALAJARA, ou GUADALAXARA, (Géogr.) ville considérable de l'Amérique septentrionale, capitale de la riche & fertile province de même nom, dans la Nouvelle-Espagne, avec un évêché suffragant de Mexico. Nuño de Gusman la fit bâtir en 1531 ; elle est à 87 lieues O. N. O. de Mexico. Long. 271. 40. lat. N. 20. 2. (D.J.)


GUADALAVIAR(Géog.) riviere d'Espagne au royaume de Valence ; ce nom qui lui a été donné par les Maures, signifie eau pure : les anciens ont nommé cette riviere Turia. Elle a ses sources dans les montagnes qui séparent la Nouvelle-Castille du royaume d'Aragon ; elle coule dans ce dernier d'Occident en Orient, se courbant vers le S. O. elle entre dans le royaume de Valence, baigne la capitale au-dessous de laquelle elle se perd dans la Méditerranée. Ses rivages sont communément bordés de saules, de planes, de pins, & d'autres arbres semblables, depuis sa source jusqu'à son embouchure. (D.J.)


GUADALENTIN(Géog.) riviere d'Espagne qui a plusieurs sources dans le royaume de Grenade, & se perd à Almaxaran dans le golfe de Carthagene. (D.J.)


GUADALOUPEaquae Lupiae, (Géog.) ville d'Espagne dans l'Estramadure, avec un célebre couvent d'Hiéronymites, d'une structure magnifique & d'une richesse immense ; ils sont au nombre de cent vingt, & ont vingt-huit mille ducats de revenu pour leur entretien. La ville est sur le ruisseau de même nom à onze lieues de Truxillo. Long. 13. 15. lat. 39. 15. (D.J.)

GUADALOUPE (LA) ou GUADELOUPE, (Géog.) île de l'Amérique, l'une des Antilles françoises, entre l'île S. Domingue au sud, la Marie-Galande au sud-est, la Desirade à l'est, & l'île de Montserrat au nord ; sa plus grande largeur est d'environ dix lieues & son circuit de soixante. Elle est fertile, peuplée, défendue par quelques forts, & conquise sur les Espagnols par les François qui en sont les maîtres depuis 1635 ; les matelots la nomment par corruption la Gardeloupe : elle est divisée en deux parties par un petit bras de mer. La partie orientale s'appelle la grande terre ; la partie occidentale dont le milieu est hérissé de montagnes, est proprement la Guadeloupe. Voyez-en la description détaillée dans les voyages du P. Labat. Long. suivant Harris, 319. 51. 55. & suivant Varin & Deshayes, 315. 18. 15. latit. 14. 0. 0. (D.J.)


GUADALQUIVIR(LE) Boetis, (Géogr.) grand fleuve d'Espagne dans la Nouvelle-Castille & dans l'Andalousie ; il prend sa source dans la Manche ou plutôt il tire son origine du mont Siéra-Ségura ; reçoit dans son cours le Guardemena, le Guadaloulou, le Marbella, le Xénil ; passe à Cordoue, à Séville ; forme quelques îles, & va se perdre dans le golfe de Cadix, à S. Lucar de Baraméda : il est large d'une lieue dans son embouchure, & la marée y monte jusqu'à Séville. Les Espagnols attribuent à ses eaux la propriété de teindre en rouge la laine des brebis, c'est-à-dire qu'elles peuvent faciliter cette teinture.

Le Guadalquivir, mot arabe qui signifie le grand fleuve, est le Boetis des anciens ; le tems qui détruit toutes choses y a fait des changemens considérables ; il a fermé sa branche orientale. Ceux qui savent les révolutions que des tremblemens de terre & autres accidens ont produit sur d'autres fleuves, ne s'étonneront pas de celles qui sont arrivées au Guadalquivir. (D.J.)


GUADARAMA(Géog.) petite ville d'Espagne dans la vieille Castille ; elle est sur le Guadaran, à 10 lieues N. O. de Madrid, 6 S. de Ségovie. Long. 13. 53. lat. 40. 43. (D.J.)


GUADEL(Géog.) ville de Perse dans la province de Mékran, sur la côte orientale, avec un assez bon port. Long. 80. 30. lat. 25. (D.J.)


GUADIANA(LE) Anas, au génitif Anae, (Géog.) riviere d'Espagne qui prend sa source dans la Nouvelle-Castille proche de Canamayez ; elle semble d'abord se cacher sous terre, renaît ensuite par des ouvertures que l'on appelle los oyos de Guadiana ; coule à Calatrava, à Ciudad-Réal ; se jette dans l'Estramadure ; passe à Mérida, à Badajoz ; entre dans le Portugal ; sépare l'Algarve du Contado qui appartient à l'Espagne, & se jette enfin dans l'Océan entre Castro Marino & Agramonte.

Les Latins l'ont décrit sous le nom d'Anas, auquel les Maures ont ajoûté les deux premieres syllabes du nom moderne. Bochart a cherché l'étymologie du mot Guadiana dans les langues punique & arabe, comme si la premiere lui étoit connue, ou que les Arabes eussent été en Espagne du tems des Romains.

Au reste, comme cette riviere a très-peu d'eau en été près de sa source, & d'une eau qui par la lenteur de son cours semble croupir sous des rochers, on a cru qu'elle se perdoit sous terre, parce que dans la sécheresse on la perd de vûe dans les lieux voisins de son origine ; c'est ce qui a donné lieu à un bel esprit du siecle, de dire dans un de ses ouvrages, au sujet des fleuves d'Espagne : " l'Ebre l'emporte pour le nom, le Duéro pour la force, le Tage pour la renommée, le Guadalquivir pour les richesses ; mais le Guadiana n'ayant pas dequoi se mettre en parallele avec les autres, va de honte se cacher sous terre ". Cette pensée puérile fait honneur au goût de l'écrivain. (D.J.)


GUADIL-BARBAR(Géog.) riviere d'Afrique sur la côte septentrionale de Barbarie ; elle a sa source auprès de l'Orbus, & tombe dans la Méditerranée à Tabarca : c'est la Tusca & le Rubricatus des anciens. (D.J.)


GUADIX(Géog.) les Romains l'ont connue sous le nom d'Acci ; ancienne & grande ville d'Espagne, mais dépeuplée, dans le royaume de Grenade, avec un évêché suffragant de Séville. Ferdinand le Catholique l'a reprise sur les Maures en 1489. Elle est dans un terroir très-fertile, environné de tous côtés de hautes montagnes, & arrosé par des torrens ; à neuf lieues N. E. de Grenade, sept S. O. de Baca, dix-neuf N. O. d'Alméria. Long. 15. 23. lat. 37. 5. (D.J.)


GUAGIDA(Géog.) ancienne ville d'Afrique au royaume de Trémecen, dans une plaine agréable, à quatorze lieues de la mer & à pareille distance de la ville de Trémecen. Elle abonde en blés, en pâturages, & produit les plus belles mules d'Afrique ; Ptolomée nomme cette ville Lanigara, & la met à 12d. de long. & à 33. de latit. nos géographes modernes estiment la longit. à 16d. 24'. & la latit. à 33d. 46'. (D.J.)


GUAGOCINGO(Géog.) ville de l'Amérique septentrionale dans la Nouvelle-Espagne, entre Pueblo de los Angelès & la ville de Mexico, à douze lieues S. E. de cette derniere. Long. 277. 10. latit. 19. 40. (D.J.)


GUAIACANA(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale campaniforme ; il sort du calice un pistil qui entre dans la partie inférieure de la fleur, & qui devient un fruit mou, arrondi, & partagé en plusieurs loges ; il contient des semences très-dures, selon J. Bauhin, & cartilagineuses, selon Caesalpin. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


GUAIAVEguaiava, (Hist. nat. bot.) genre de plante observé par le P. Plumier ; la fleur est en rose, & composée de plusieurs pétales disposés en rond : le calice a la forme d'une cloche. Il devient un fruit qui a presque la figure d'un oeuf, & qui est de consistance molle, & garni d'une couronne ; il y a dans sa chair plusieurs petites semences. Tournefort, inst. rei herb. appendix. Voyez PLANTE. (I)


GUAIRANE(Géog.) province du Paraguai, qui est pour la plus grande partie sous le tropique du Capricorne ; les chaleurs excessives qu'il y fait & l'humidité de son terroir, la rendent également propre à produire des maladies & toutes sortes de fruits, ainsi que de grains ; cependant on n'y mange point d'autre pain que la manioque, ni d'autre chair que celle des animaux que l'on tue à la chasse ; il y a beaucoup d'étangs, de singes, de tigres, & de couleuvres ; le pays en est infecté. Les oiseaux y sont en grand nombre, sur-tout les perroquets dont on compte vingt especes, parmi lesquelles il s'en trouve de fort jolis verds & bleus, gros comme des moineaux & très-faciles à apprivoiser.

On parle de cinq fleuves qui arrosent cette contrée ; on les nomme l'Huibai, le Tipaxiva, le Paranapana, le Pirape, & le Parana. La largeur de cette vaste province est d'une étendue immense, & jusqu'ici entierement inconnue ; cependant les Jésuites y ont établi une mission. Voyez PARAGUAI.

Les Guairains occupent tout le pays entre la riviere des Amazones & le Parana, & entre le Parana & le Paraguai, jusqu'aux confins du Pérou ; leurs armes sont la massue & les fleches : on dit qu'ils engraissent leurs prisonniers de guerre, & qu'ils les mangent ensuite avec délices ; mais nous n'avons encore que des relations mensongeres & superficielles de ce pays-là, & les Espagnols n'y possedent que deux petites villes ou bourgs très-éloignés l'un de l'autre. (D.J.)


GUALATA(Géog.) royaume d'Asie dans la Nigritie ; il est borné au nord par les Derveches, au sud par le royaume de Zanhagua, à l'est par une chaîne de montagnes, & à l'oüest par les Ludayes : on ne connoît dans tout ce pays que quelques endroits habités par des peuples qui menent une vie sauvage & misérable ; on y recueille seulement du riz, du petit millet, de l'orge, & des dattes. Sanut dit qu'il y a dans ce royaume une ville sans murailles nommée Hoden, située à six journées du Cap-Blanc, par le 19d. 30'. de latitude septentrionale, mais que cette place n'est faite que pour la commodité des caravanes qui vont de Tombut en Barbarie. (D.J.)


GUALEMBOULOU(Géog.) voyez GALEMBOULE.


GUALÉORou GOUADÉOR, selon Delisle, (Géog.) grande ville de l'empire du Mogol en Asie, capitale de la province du même nom, avec une bonne forteresse où le grand Mogol tient ses trésors, à vingt lieues S. d'Agra. Long. 93. 18. latit. 25. 5. (D.J.)


GUAMautrement GUAN, ou GUAHAN, (Géog.) la premiere & la plus méridionale des îles des Larrons, ou, ce qui est la même chose, des îles Marianes ; elle dépend des Espagnols qui y ont un petit fort avec sept canons, un gouverneur, & quelques soldats ; c'est-là que se viennent rafraîchir leurs vaisseaux des Philippines qui vont d'Acapulco à Manille ; mais pour le retour les vents ne leur laissent pas aisément reprendre cette route. Guam est à sept lieues de Rota ou Sarpana, suivant le P. Morales ; & suivant Wodes Rogers, à quarante lieues ; son terroir est rougeâtre & aride. Les principaux fruits qu'elle produit sont des pommes de pin, des melons d'eau, des melons musqués, des oranges, des citrons, des noix de cacao. Le vent reglé y souffle toûjours du sud-est, excepté pendant la mousson de l'oüest, qui dure depuis la mi-Juin jusqu'à la mi-Août. Les habitans y sont presque tous naturels du pays ; leur teint est d'un brun olivâtre ; ils vont tout nuds, à la reserve d'un torchon qui leur pend au derriere, & les femmes y portent de petits jupons. Long. 157. 10. lat. 13. 25. (D.J.)


GUAMANGA(Géog.) ville considérable & épiscopale de l'Amérique méridionale, capitale de la province de même nom au Pérou, dans l'audience de Lima ; son commerce consiste en cuirs, en pavillons qui servent de rideaux pour les lits, & en confitures. Cette ville est dans une plaine ouverte, à 20 lieues des montagnes des Andes, à 7 lieues de Lima & à 80 de Pisco. Long. 306. 40. lat. méridion. 13. 4. (D.J.)


GUANABANE(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose composée ordinairement de trois pétales disposés en rond ; il s'éleve du fond d'un calice à trois feuilles un pistil qui devient dans la suite un fruit arrondi ou conique, charnu, mou ; ce fruit renferme plusieurs semences dures & oblongues. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


GUANAHANI(ISLE DE) Géograph. autrement nommée par Christophe Colomb, l'île de Saint-Sauveur ; île de l'Amérique septentrionale, l'une des Lucaies dans la mer du Nord ; ce fut la premiere terre que Colomb découvrit dans le Nouveau-Monde en 1492, le jour même que les Espagnols avoient dessein de le tuer, fatigués de ne rien trouver ; elle est au sud de Guanima & au nord de Triangulo, avec un assez bon port. Longit. 32. 30. lat. 25. 10. 40. (D.J.)


GUANAPE(Géog.) port de la mer du Sud dans l'Amérique méridionale au Pérou dans l'audience de Lima, au midi de Truxillo. Les navires qui viennent de Panama ont coûtume d'aborder à ce port pour y prendre ce qui leur est nécessaire. Sa position est à peu-près sous le 8d. 30'. de latit. méridionale. (D.J.)


GUANAPI(Géog.) volcan des Indes orientales, près de l'île de Néra. Il fume sans-cesse, vomit souvent des flammes & du feu de son sommet ; mais s'étant entr'ouvert dans le dernier siecle, il jetta tant de pierres hors de son sein, que le canal creusé entre cette montagne & celui de Néra en fut comblé, & n'a pas été navigable depuis ce tems-là. Cette montagne ardente est par le 4e. degré de latitude méridionale. Voyez VOLCAN. (D.J.)


GUANAYA(Géog.) île de l'Amérique, dans le golfe de Honduras, à six ou sept lieues du cap auquel elle est opposée vers le nord-oüest. Christophe Colomb qui la découvrit le premier, l'avoit appellée l'île des pins, à cause de la quantité de ces arbres qui y abondent : mais elle a retenu jusqu'à présent le nom sauvage de guanaya ; on transporte dans son golfe sur des mulets les marchandises de l'audience de Guatimala, pour les charger sur les vaisseaux d'Espagne, qui ont coûtume d'y arriver tous les ans. (D.J.)


GUANÇAVELICAou GUANCABELICA, (Géogr.) petite ville de l'Amérique méridionale au Pérou, dans l'audience de Lima, à 60 lieues de Cusco. Long. 305. 30. lat. mérid. 12. 40.

C'est auprès de cette ville qu'est la grande miniere de mercure, qui sert à purifier l'or & l'argent de toute l'Amérique méridionale. Cette mine est creusée dans une montagne fort vaste, & les seules dépenses qu'on a faites en bois pour la soûtenir, sont immenses. On trouve dans cette mine des places, des rues, & une chapelle où l'on célebre la messe les jours de fêtes ; on y est éclairé par un grand nombre de chandelles allumées pendant qu'on y travaille. Les particuliers y font travailler à leurs frais, & sont obligés sous les plus grandes peines de remettre au roi d'Espagne tout le mercure qu'ils en tirent. On le leur paye à un certain prix fixé ; & lorsqu'on en a tiré une quantité suffisante, l'entrée de la mine est fermée, & personne n'en peut avoir que de celui des magasins. On tire communément tous les ans des mines de Guançavelica, pour un million de livres de vif-argent, qu'on mene par terre à Lima, puis à Arica, & de-là à Potosi. Les Indiens qui travaillent dans ces mines deviennent au bout de quelques années perclus de tous leurs membres, & périssent enfin misérablement.

La terre qui contient le vif-argent des mines de Guançavelica, est d'un rouge blanchâtre, comme de la brique mal cuite ; on la concasse, dit M. Frézier (voyages de la mer du sud), & on la met dans un fourneau de terre, dont le chapiteau est une voûte en cul-de-four, un peu sphéroïde ; on l'étend sur une grille de fer recouverte de terre, sous laquelle on entretient un petit feu avec de l'herbe icho, qui est plus propre à cela que toute autre matiere combustible ; c'est pourquoi il est défendu de la couper à 20 lieues à la ronde. La chaleur se communique au-travers de cette terre, & échauffe tellement le minéral concassé, que le vif-argent en sort volatilisé en fumée ; mais comme le chapiteau est exactement bouché, elle ne trouve d'issue que par un petit trou qui communique à une suite de cucurbites de terre, rondes, & emboîtées par le cou les unes dans les autres ; là cette fumée circule & se condense, par le moyen d'un peu d'eau qu'il y a au fond de chaque cucurbite, où le vif-argent tombe condensé, & en liqueur bien formée. Dans les premieres cucurbites, il s'en forme moins que dans les dernieres ; & comme elles s'échauffent si fort qu'elles casseroient, on a soin de les rafraîchir par-dehors avec de l'eau. (D.J.)


GUANCHACO(Géog.) port de la mer du Sud dans l'Amérique méridionale, sur la côte du Bresil, sous le huitieme degré de latitude méridionale, à 9 lieues de la montagne de Guanac. Ce port est rempli d'une si grande quantité d'herbes maritimes, que, quand on est sur les ancres, il faut avoir grand soin de les en débarrasser fréquemment. Voyez à ce sujet le supplément aux voyages de Wodes Roger. (D.J.)


GUANIMA(Géog.) petite île de l'Amérique septentrionale dans la mer du Nord, & l'une des Lucayes ; elle s'étend en long l'espace de 12 lieues ; Christophe Colomb qui la découvrit, la nomma Sainte-Marie de la Conception. Long. 22. 30. lat. 24. 12. (D.J.)


GUANUCO(Géog.) ville de l'Amérique méridionale, capitale d'une contrée de même nom, dans l'audience de Lima ; elle abonde en ce qui est nécessaire à la vie, & elle a quelques mille Indiens tributaires ; elle est à 45 lieues N. E. de Lima. Long. 34. 40. lat. mérid. 9. 55. (D.J.)


GUAPAY(LE) Géog. grande riviere de l'Amérique méridionale. Elle a ses sources au Pérou, dans les montagnes des Andes ; & après un très-long cours, elle prend le nom de Mamorre, qu'elle perd en tombant dans le fleuve des Amazones ; voyez la carte que les Jésuites ont donnée en 1717, des sources de cette riviere, auprès de laquelle ils ont quelques missions. (D.J.)


GUARou GUAURA, (Géog.) comme l'écrit M. de Lisle, port de l'Amérique méridionale dans la mer du Sud, sur la côte du Pérou, à une lieue de l'île Saint-Martin, sous le 11d. 30'. de latitude méridionale. Voyez le supplément aux voyages de Wodes Roger. (D.J.)


GUARCO(Géog.) vallée de l'Amérique méridionale au Pérou. Elle est fort large, & couverte d'arbres odoriférans. Les Incas avoient sur son côteau une somptueuse forteresse qui conduisoit jusqu'à la mer par un escalier contre lequel se brisoient les flots. Cette forteresse où l'on gardoit le thrésor des Incas, étoit bâtie de grosses pierres de taille jointes ensemble sans aucun mortier, & cependant avec tant d'art, qu'on pouvoit à peine appercevoir les jointures. Le tems a fait tomber cette masse, mais les ruines font encore connoître qu'elle en a été la magnificence. La vallée de Guarco & toutes les vallées voisines étoient alors peuplées d'un nombre prodigieux d'habitans, qui ont presque entierement disparu. (D.J.)


GUARDAFUI(Géog.) capitale de l'Ethiopie en Afrique, sur la côte d'Abyssinie, à l'extrémité orientale du royaume d'Adel, & à l'entrée du détroit de Babel-Mandel. Long. 312. lat. 11. 40. (D.J.)


GUARDIA(Géog.) ville de Portugal, dans la province de Beira, avec un évêché suffragant de Lisbonne, à 12 lieues S. E. de Visen, 20 O. de Lamego, 50 N. E. de Lisbonne. Long. 11. 18. lat. 40. 20. (D.J.)


GUARDIA-ALFÉREZ(Géograph.) petite ville d'Italie presque deserte au royaume de Naples, dans le comté de Molise, avec un évêché suffragant de Bénevent. Elle est sur le Tiferno, à deux lieues N. O. de Larino. Long. 32. 28. lat. 41. 50. (D.J.)


GUARGALou GUERGUELA, (Géog.) ville d'Afrique, capitale d'un petit royaume de même nom, dans le Bilédulgerid, au S. du mont Atlas ; on s'y nourrit de dattes, de chair de chameau & d'autruche. Elle est à 140 lieues S. d'Alger. Long. 37. 30. lat. 25. 50. (D.J.)


GUARMAY(Géog.) port & vallée de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans la mer du Sud, sous le 10d. 30'. de latit. méridionale. La vallée autrefois très-peuplée, n'est plus qu'une habitation de pâtres qui y nourrissent des cochons. (D.J.)


GUASCO(Géog.) port, riviere, & vallée de l'Amérique méridionale, sur la côte du Chily. La vallée est pleine de perdrix, de brebis, & d'écureuils, dont les peaux sont d'usage. Le port est une baie ouverte. Lat. mérid. 28. 45. (D.J.)


GUASTALLAGuardastallum, (Géog.) petite, mais forte ville d'Italie, en Lombardie, au duché de Mantoüe, sur la frontiere du duché de Modene. Elle est près du Pô, à 6 lieues N. O. de Reggio, 8 S. O. de Mantoüe. Long. 28. 8. lat. 44. 45. (D.J.)


GUATAO(Géog.) île de l'Amérique septentrionale, dans la mer du Nord, & l'une des Lucayes. Elle est environnée d'écueils, de basses, & de rochers. Son extrémité orientale est à 25d. 46'. & son extrémité occidentale à 27d. 6'. (D.J.)


GUATCHAPÉLI(Botaniq.) bois fort dur & fort commun dans les forêts voisines de Guayaquil, port de la province de Quito, au Pérou. Ce bois est jaune, & a l'odeur & le goût de reglisse. On s'en sert pour les varangues & autres pieces courbes des vaisseaux.


GUATIMALA(Géog.) province considerable de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne. Elle embrasse 12 autres provinces, & abonde en cacao. Les Indiens qui l'habitent sous la domination espagnole, sont grossiers, & la plûpart professent la religion chrétienne, à laquelle ils mêlent mille superstitions ; ils aiment extrêmement la danse & les boissons qui peuvent enivrer, couchent sur des ais ou des roseaux liés ensemble, un peu élevés de terre, posés dessus une natte, & un petit billot de bois leur sert de chevet ; ils ne portent ni bas ni souliers, ni chemises ; leur unique vêtement consiste en une espece de surplis, qui pend depuis les épaules jusqu'au-dessous de la ceinture, avec des manches ouvertes qui leur couvrent la moitié du bras. Guatimala est la capitale de la province. (D.J.)

GUATIMALA, (Géogr.) grande & riche ville de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, capitale de la province du même nom, avec un évêché, & une école que les Espagnols nomment université. Cette ville est située dans une vallée environnée de hautes montagnes qui semblent pendre dessus, du côté de l'orient. Il y en a une entierement stérile, sans verdure, couverte de cendres, de pierres, & de cailloux calcinés ; c'est le gibel de l'Amérique, terrible volcan qui vomit sans-cesse des flammes, des torrens de feu bitumineux, & quelquefois jette des pierres & des roches qui pourront un jour détruire Guatimala de fond-en-comble ; elle fait néanmoins un commerce considérable avec le Mexique par le secours des mulets, & par la mer avec le Pérou. Long. 286. 5. lat. 14. 6. (D.J.)


GUAXACA(Géogr.) province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne. Elle a 100 lieues de long, 50 de large, & est très-fertile en froment, mays, cacao, casse, & cochenille. Antiquéra en est la capitale. La vallée de Guaxaca commence au pié de la montagne de Cocola, sur la latit. septentrionale de 18d. (D.J.)


GUAXATÉCAS(Géog.) province de l'Amérique septentrionale au Mexique ; elle renferme plusieurs bourgades qui sont situées sur la riviere de Panuco, & c'est pourquoi M. de Lisle appelle cette province Panuco. (D.J.)


GUAYAQUILou GUYAQUIL, (Géog.) ville, baie, & port de l'Amérique méridionale au Pérou, capitale d'une province de même nom, dans l'audience de Quito, avec deux forts. La riviere est navigable à 14 lieues au-dessus de la ville ; mais tous vaisseaux qui y mouillent, sont obligés d'attendre un pilote, parce que l'entrée de cette riviere est très-dangereuse. La province est fertile en bois de charpente d'un grand usage pour la construction & la réparation des vaisseaux. On y recueille une si grande quantité de cacao, qu'on en fournit presque toutes les places de la mer du Sud, & qu'il s'en transporte tous les ans plus de 30 mille ballots, dont chacun pese 81 livres, & le ballot vaut deux piastres & demi. Il n'y a point de mines d'or & d'argent dans le pays, mais toutes sortes de gros bétail.

Guayaquil a une audience royale, dont l'Espagne vend les emplois ; cette ville fut pillée en 1685 par des flibustiers françois de Saint-Domingue, qui en retirerent plus d'un million en or, en perles, & en pierreries. L'inquisition y regne avec sévérité, & ne défendra jamais des flibustiers cette malheureuse ville. Guayaquil est située à 7 lieues de Puna, & à 10 de la mer. Long. 300. 40. lat. mérid. 4. 10. (D.J.)


GUAZACOALCO(Géogr.) riviere de la nouvelle Espagne en Amérique, dans la province de Guaxaca qu'elle arrose, & va se perdre ensuite dans la baie de Campeche. (D.J.)


GUAZUMAgenre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond ; il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ovoïde, charnu & tuberculeux à l'extérieur, ligneux dans l'intérieur, & divisé en plusieurs loges qui contiennent des semences en forme de rein. Plumier, nova plant. Amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


GUAZZO(Peinture) c'est le nom que les Italiens donnent à la peinture en détrempe.

On a quelque raison de croire que ce genre de peinture est le premier qui ait été pratiqué, parce que toutes sortes de couleurs s'y peuvent employer, & qu'il ne faut que de l'eau avec un peu de gomme ou de colle pour les détremper & les fixer. On peint à guazzo sur des murs de plâtre, sur des bois, sur des peaux, sur des toiles, sur du papier fort ; son plus grand usage est consacré pour les éventails & les décorations de théatre ; cependant il est assez indifférent sur quel fond on l'employe, pourvû que ce fond ne soit pas gras, & que ce ne soit point sur un enduit frais, où il entre de la chaux, comme sont les enduits pour la peinture à fresque. Elle a cela de commun avec cette derniere, que les clairs en sont très-vifs ; & elle a de plus, que les bruns en ressortent mieux. Un avantage particulier de la peinture à guazzo, c'est qu'étant exposée à quelque lumiere que ce soit, elle produit son effet ; & plus le jour est grand, plus elle paroît éclatante. Elle dure long-tems à couvert dans un lieu sec, & ses couleurs ne changent point tant que le fond subsiste. Enfin elle est à l'abri des vernis, des frottemens, & autres supercheries des brocanteurs ; mais malgré toutes ces prérogatives, la peinture à guazzo doit céder le pas à la peinture à l'huile, qui a les avantages admirables d'être plus douce, d'imiter mieux le naturel, de marquer plus fortement les ombres, de pouvoir se remanier, & de conserver son effet d'assez près comme de loin. Voy. PEINTURE. (D.J.)


GUBENGuba, (Géog.) petite ville d'Allemagne dans la basse Lusace, sur la Neiss, à 10 lieues S.O. de Francfort sur l'Oder, & 25 N. E. de Dresde. Long. 32. 34. lat. 51. 55.

Elle est la patrie des Kirch (Godefroy, & Christ-Fried.) pere & fils, tous deux distingués par leurs observations & leurs ouvrages en Astronomie. (D.J.)


GUBER(Géog.) royaume d'Afrique dans la Nigritie, au nord & au midi de la riviere de Senega, qui le coupe en deux parties d'orient en occident. M. de Lisle appelle ce pays Goubour, & le met au nord du Ganbarou. La Croix en parle comme d'un canton ravagé par les rois de Tombut, qui l'ont conquis & ruiné. (D.J.)


GUBIOEugubium, (Géogr.) ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, au duché d'Urbin, avec un évêché suffragant d'Urbin, mais exempt de sa jurisdiction. Elle est à 12 lieues S. O. d'Urbin, 7 N. E. de Pérouse, 35 N. E. de Rome. Long. 30. 16. lat. 43. 18.

Gubio est la patrie de Lazzarelli (Jean-François) poëte connu par son recueil intitulé la Cicceide, dans lequel il s'est permis des excès honteux ; c'est une satyre composée de sonnets & d'autres poésies obscenes qu'il publia contre Arriguini. Il mourut en 1694, âgé de plus de 80 ans.

Steucus (Augustin) surnommé Eugubinus, du nom de sa patrie, étoit un théologien du xvj. siecle, qui possédoit bien les langues orientales. Ses ouvrages ont été imprimés à Paris en 1577. (D.J.)


GUCHEU(Géog.) ville de la Chine sur la riviere de Ta, dans la province de Quangsi, dont elle est la cinquieme métropole. La commodité des rivieres qui l'arrosent, y fait fleurir le commerce ; on recueille le cinnabre en abondance dans les montagnes de son territoire : mais ce qui vaut mieux, on y voit deux temples consacrés aux hommes illustres. Elle est de 6d. 33'. plus occidentale que Pékin ; sa latit. est de 24d. 2'. (D.J.)


GUÉS. m. (Gramm.) lieu où l'on peut passer une riviere, un marais, un ruisseau, à pié ou à cheval, mais sans nager.


GUEBRESS. m. pl. (Hist. anc. & mod.) peuple errant & répandu dans plusieurs des contrées de la Perse & des Indes. C'est le triste reste de l'ancienne monarchie persane que les caliphes arabes armés par la religion ont détruite dans le vij. siecle, pour faire regner le dieu de Mahomet à la place du dieu de Zoroastre. Cette sanglante mission força le plus grand nombre des Perses à renoncer à la religion de leurs peres : les autres prirent la fuite, & se disperserent en différens lieux de l'Asie, où sans patrie & sans roi, méprisés & haïs des autres nations, & invinciblement attachés à leurs usages, ils ont jusqu'à présent conservé la loi de Zoroastre, la doctrine des Mages, & le culte du feu, comme pour servir de monument à l'une des plus anciennes religions du monde.

Quoiqu'il y ait beaucoup de superstition & encore plus d'ignorance parmi les Guebres, les voyageurs sont assez d'accord pour nous en donner une idée qui nous intéresse à leur sort. Pauvres & simples dans leurs habits, doux & humbles dans leurs manieres, tolérans, charitables, & laborieux ; ils n'ont point de mendians parmi eux, mais ils sont tous artisans, ouvriers & grands agriculteurs. Il semble même qu'un des dogmes de leur ancienne religion ait été que l'homme est sur la terre pour la cultiver & pour l'embellir, ainsi que pour la peupler. Car ils estiment que l'agriculture est non-seulement une profession belle & innocente, mais noble dans la société & méritoire devant Dieu. C'est le prier, disent-ils, que de labourer ; & leur créance met au nombre des actions vertueuses de planter un arbre, de défricher un champ, & d'engendrer des enfans. Par une suite de ces principes, si antiques qu'ils sont presque oubliés par-tout ailleurs, ils ne mangent point le boeuf, parce qu'il sert au labourage, ni la vache qui leur donne du lait ; ils épargnent de même le coq animal domestique, qui les avertit du lever du Soleil ; & ils estiment particulierement le chien qui veille aux troupeaux, & qui garde la maison. Ils se font aussi un religieux devoir de tuer les insectes & tous les animaux malfaisans ; & c'est par l'exercice de ce dernier précepte, qu'ils croyent expier leurs péchés ; pénitence singuliere, mais utile. Avec une morale pratique de cette rare espece, les Guebres ne sont nulle part des hôtes incommodes ; on reconnoît par-tout leurs habitations au coup d'oeil, tandis que leur ancienne patrie, dont l'histoire nous a vanté la fertilité, n'est plus qu'un desert & qu'une terre inculte sous la loi de Mahomet, qui joint la contemplation au despotisme.

Ils sont prévenans envers les étrangers de quelque nation qu'ils soient ; ils ne parlent point devant eux de leur religion, mais ils ne condamnent personne, leur maxime étant de bien vivre avec tout le monde, & de n'offenser qui que ce soit. Ils haïssent en général tous les conquérans ; ils méprisent & détestent singulierement Alexandre, comme un des plus grands ennemis qu'ait eu le genre humain. Quoiqu'ils ayent lieu de haïr particulierement les Mahométans, ils se sont toûjours reposés sur la providence du soin de punir ces cruels usurpateurs ; & ils se consolent par une très-ancienne tradition dont ils entretiennent leurs enfans, que leur religion reprendra un jour le dessus, & qu'elle sera professée de tous les peuples du monde : à cet article de leur croyance, ils joignent aussi cette attente vague & indéterminée, qu'on retrouve chez tant d'autres peuples, de personnages illustres & fameux qui doivent venir à la fin des tems, pour rendre les hommes heureux & les préparer au grand renouvellement.

Une discipline sévere & des moeurs sages regnent dans l'intérieur de leurs maisons ; ils n'épousent que des femmes de leur religion & de leur nation ; ils ne souffrent point la bigamie ni le divorce ; mais en cas de stérilité, il leur est permis de prendre une seconde femme au bout de neuf années, en gardant cependant la premiere. Par-tout où ils sont tolérés, ils reçoivent le joug du prince, & vivent entr'eux sous la conduite de leurs anciens qui leur servent de magistrats.

Ils ont aussi des prêtres, qui se disent issus des anciens mages, & qui dépendent d'un souverain pontife, & que les Guebres appellent destour, destouran, la regle des regles ou la loi des lois. Ces prêtres n'ont aucun habit particulier, & leur ignorance les distingue à peine du peuple. Ce sont eux qui ont le soin du feu sacré, qui imposent les pénitences, qui donnent des absolutions, & qui pour de l'argent distribuent chaque mois dans les maisons le feu sacré, & l'urine de vache qui sert aux purifications.

Ils prétendent posséder encore les livres que Zoroastre a reçus du ciel ; mais ils ne peuvent plus les lire, ils n'en ont que des commentaires qui sont eux-mêmes très-anciens. Ces livres contiennent des révélations sur ce qui doit arriver jusqu'à la fin des tems, des traités d'Astrologie & de divination. Du reste leurs traditions sur leurs prophetes & sur tout ce qui concerne l'origine de leur culte, ne forment qu'un tissu mal assorti de fables merveilleuses & de graves puérilités. Il en est à cet égard de la religion des Guebres comme de toutes les autres religions d'Asie ; la morale en est toûjours bonne, mais l'historique, ou pour mieux dire le roman, n'en vaut jamais rien. Ces histoires, il est vrai, devroient être fort indifférentes pour le culte en général ; mais le mal est que les hommes n'ont fait que trop consister l'essentiel de la religion dans un nom. Si les nations asiatiques vouloient cependant s'entendre entr'elles, & oublier ces noms divers de Confucius, de Brahma, de Zoroastre, & de Mahomet, il arriveroit qu'elles n'auroient presque toutes qu'une même créance, & qu'elles seroient par-là d'autant plus proches de la véritable.

Plusieurs savans ont crû reconnoître dans les fables que les Guebres débitent de Zoroastre, quelques traits de ressemblance avec Cham, Abraham & Moyse ; on pourroit ajoûter aussi avec Osiris, Minos, & Romulus : mais il y a bien plus d'apparence que leurs fables sont tirées d'une formule générale que les anciens s'étoient faite pour écrire l'histoire de leurs grands hommes, en abusant des sombres vestiges de l'histoire ancienne de la nature.

Plus l'on remonte dans l'antiquité, & plus l'on remarque que l'historique & l'appareil des premieres religions ont été puisés dans de pareilles sources. Toutes les fêtes des mages étoient appellées des mémoriaux (Selden, de diis Syris) ; & à en juger aujourd'hui par les usages de leurs descendans, on ne peut guere douter que leur culte n'ait effectivement été un reste des anciennes commémorations de la ruine & du renouvellement du monde, qui a dû être un des principaux objets de la Morale & de la religion sous la loi de nature. Nous savons que sous la loi écrite & sous la loi de grace, les fêtes ont successivement eu pour motifs la célébration des évenemens qui ont donné & produit ces lois : nous pouvons donc penser que sous la loi de nature qui les a précédées, les fêtes ont dû avoir & ont eu pour objet les grands évenemens de l'histoire de la nature, entre lesquels il n'y en a pas eu sans-doute de plus grands & de plus mémorables que les révolutions qui ont détruit le genre humain, & changé la face de la terre.

C'est après avoir profondément étudié les différens âges du monde sous ces trois points de vûe, que nous osons hasarder que telle a été l'origine de la religion des Guebres & des anciens mages. Si nous les considérons dans leurs dogmes sur l'Agriculture, sur la population, & dans leur discipline domestique, tout nous y retracera les premiers besoins & les vrais devoirs de l'homme, qui n'ont jamais été si bien connus qu'après la ruine du genre humain devenu sage par ses malheurs. Si nous les envisageons dans les terreurs qu'ils ont des éclipses, des cometes, & de tous les écarts de la nature, & dans leurs traditions apocalyptiques, nous y reconnoîtrons les tristes restes de l'espece humaine long-tems épouvantée & effrayée par le seul souvenir des phénomenes de leurs anciens désastres. Si nous analysons leur dogme des deux principes & leurs fables sur les anciens combats de la lumiere contre les ténebres, & que nous en rapprochions tant d'autres traditions analogues répandues chez divers peuples ; nous y reverrons aussi ce même fait que quelques-uns ont appellé cahos, débrouillement, & d'autres création & renouvellement. En étudiant leur culte du feu, & leurs pressentimens sur les incendies futurs, nous n'y retrouverons que le ressentiment des incendies passés, & que des usages qui en devoient perpétuer le souvenir : enfin si nous les suivons dans ces fêtes qu'ils célebrent pour le soleil & pour tous les élémens, tout nous y retracera de même des institutions relatives à cet ancien objet qui a été perdu, oublié, corrompu par les Guebres, par les Perses eux-mêmes, & par tous les autres peuples du monde qui n'ont présentement que des traces plus ou moins sombres de ces religieuses commémorations, qui dans un certain âge ont été générales par toute la terre.

C'est une grande question de savoir si les Guebres d'aujourd'hui sont idolatres, & si le feu sacré est l'objet réel de leur adoration présente. Les Turcs, les Persans, & les Indiens les regardent comme tels ; mais selon les voyageurs européens, les Guebres prétendent n'honorer le feu qu'en mémoire de leur législateur qui se sauva miraculeusement du milieu des flammes, & pour se distinguer des idolatres de l'Inde, ils se ceignent tous d'un cordon de laine ou de poil de chameau. Ils assûrent reconnoître un dieu suprème, créateur & conservateur de la lumiere ; ils lui donnent sept ministres, & ces ministres eux-mêmes en ont d'autres qu'ils invoquent aussi comme génies intercesseurs : l'être suprème est supérieur aux principes & aux causes ; mais il est vrai que leur théologie ou leur superstition attribue tant de pouvoir à ces principes subalternes, qu'ils n'en laissent guere au souverain, ou qu'il en fait peu d'usage ; ils admettent aussi des intelligences qui résident dans les astres & gouvernent les hommes, & des anges ou créatures inférieures qui gouvernent les corps inanimés ; & chaque arbre, comme chaque homme, a son patron & son gardien.

Ils ont persisté dans le dogme du bon & du mauvais principe : cette antique hérésie, & peut-être la premiere de toutes, n'a été vraisemblablement qu'une suite de l'impression que fit sur les hommes le spectacle affreux des anciens malheurs du monde, & la conséquence des premiers raisonnemens qu'on a crû religieusement devoir faire pour ne point en accuser un dieu créateur & conservateur. Les anciens théologiens s'embrouilloient autrefois fort aisément dans les choses qu'ils ne pouvoient comprendre ; & l'on peut juger combien cette question doit être épineuse pour de pauvres gens, tels que les Guebres, puisque tant & de si grands génies ont essayé en vain de la résoudre avec toutes les lumieres de la raison.

Au reste les Guebres n'ont aucune idole & aucune image, & ils sont vraisemblablement les seuls peuples de la terre qui n'en ont jamais eu ; tout l'appareil de leur religion consiste à entretenir le feu sacré, à respecter en général cet élément, n'y mettre jamais rien de sale ni qui puisse faire de la fumée, & à ne point l'infecter même avec leur haleine en voulant le souffler ; c'est devant le feu qu'ils prient dans leurs maisons, qu'ils font les actes & les sermens ; & nul d'entr'eux n'oseroit se parjurer quand il a pris à témoin cet élément terrible & vangeur : par une suite de ce respect, ils entretiennent en tout tems le feu de leur foyer, ils n'éteignent pas même leurs lampes, & ne se servent jamais d'eau dans les incendies qu'ils s'efforcent d'étouffer avec la terre. Ils ont aussi diverses cérémonies légales pour les hommes & pour les femmes, une espece de baptême à leur naissance, & une sorte de confession à la mort ; ils prient cinq fois le jour en se tournant vers le soleil, lorsqu'ils sont hors de chez eux ; ils ont des jeûnes reglés, quatre fêtes par mois, & surtout beaucoup de vénération pour le vendredi, & pour le premier & le 20 de chaque lune : dans leurs jours de dévotion, ils ont entr'eux des repas communs où l'on partage également ce que chacun y apporte suivant ses facultés.

Ils ont horreur de l'attouchement des cadavres, n'enterrent point leurs morts ni ne les brûlent ; ils se contentent de les déposer à l'air dans des enceintes murées, en mettant auprès d'eux divers ustensiles de ménage. L'air & la sécheresse du pays permettent sans-doute cet usage qui seroit dangereux & desagréable pour les vivans dans tout autre climat ; mais il en est sorti chez les Guebres cette superstition singuliere, d'aller observer de quelle façon les oiseaux du ciel viennent attaquer ces corps ; si le corbeau prend l'oeil droit, c'est un signe de salut, & l'on se réjoüit ; s'il prend l'oeil gauche, c'est une marque de réprobation, & l'on pleure sur le sort du défunt : cette espece de cruauté envers les morts, se trouve réparée par un autre dogme qui étend l'humanité des Guebres jusque dans l'autre vie ; ils prétendent que le mauvais principe & l'enfer seront détruits avec le monde ; que les démons seront anéantis avec leur empire, & que les réprouvés après leurs souffrances, retrouveront à la fin un dieu clément & miséricordieux dont la contemplation fera leurs délices. Malgré l'ignorance des Guebres, il semble qu'ils ayent voulu prendre un milieu entre le paradis extravagant de Mahomet & le redoutable enfer du Christianisme.

Des peuples qui ont un culte si simple & des dogmes si pacifiques, n'auroient point dû sans-doute être l'objet de la haine & du mépris des Mahométans ; mais non-seulement ceux-ci les détestent, ils les ont encore accusés dans tous les tems d'idolatrie, d'impiété, d'athéisme, & des crimes les plus infames. Toutes les religions persécutées & obligées de tenir leurs assemblées secrettes, ont essuyé de la part des autres sectes des calomnies & des injures de ce genre. Les Payens ont accusé les premiers chrétiens de manger des enfans, & de se mêler sans distinction d'âge & de sexe : quelques-uns de nos hérétiques à leur tour ont essuyé un pareil traitement ; & c'est de même le venin calomnieux que répandent les disputes de religion, qui a donné aux restes des anciens Perses le nom de guebre, qui dans la bouche des Persans modernes, désigne en général un payen, un infidele, un homme adonné au crime contre nature.

Quelques-uns les ont aussi nommés Parsis, Pharsis, & Farsis, comme descendans des Perses, & d'autres Magious, parce qu'ils descendent des anciens mages ; mais leur nom le plus connu & le plus usité est l'infame nom de guebre.

Ce qu'il y a de singulier dans ce nom, c'est qu'il est d'usage chez plusieurs nations d'Europe & d'Asie, & que sous différentes formes & en différens dialectes, il est par-tout l'expression d'une injure grossiere.

Le changement du b en u donne gaur, autre nom des Guebres ; une inflexion legere dans les voyelles donne giaour chez les Turcs qui ont fréquemment ce mot à la bouche, & qui les prodiguent particulierement en faveur des Juifs, des Chrétiens, des infideles, & de tous ceux qu'ils veulent outrager & insulter : le changement du g en k, donne kebre, qui est aussi d'usage ; & celui du b en ph, produit kaphre & kafre, nom que plusieurs peuples d'Afrique ont reçû des Arabes leurs voisins, parce qu'ils ne suivent point la loi de Mahomet.

L'inverse & la méthathèse des radicaux de ce nom de gebr, qui dans l'hébreu sont gabar, gibor, giber, & geber, ont porté dans l'Europe par le canal des Phéniciens ou des Arabes espagnols, les expressions populaires de bogri, borgi, bougari, & bougeri, qui conservent encore l'idée du crime abominable dont les Guebres sont accusés par les Persans modernes ; nos ayeux n'ont pas manqué de même d'en décorer les hérétiques du douzieme siecle, & nos étymologistes ont savamment dérivé ces mots des Bulgares, à Bulgaris.

Les racines primitives de ces noms divers ne portent cependant point avec elles le mauvais sens que le préjugé leur attribue ; gabar dans l'hébreu signifie être fort, être puissant, être valeureux, dominer : gibor & giber y sont des épithetes qui indiquent la force, le courage, la puissance, & l'empire. Geber désigne le maître, le dominateur ; & gebereth, la maîtresse : d'où nos ancêtres ont formé berger & bergereth. Les Chaldéens dérivent aussi de cette source guberin, en latin gubernatores, & en françois gouverneurs. Les Orientaux anciens & modernes en ont tiré Gabriel, Kébrail, Kabir, Giaber, & Giafar, noms illustres d'archanges & de grands hommes.

Les dérivés de gibor, de bogri, & de borgi, désignent encore chez les Flamans, un bel homme, un homme puissant & de taille avantageuse ; & nous exprimons le contraire par le diminutif rabougri : ce qui prouve que nos anciens ont connu le sens naturel & véritable de ces dénominations.

Si cependant elles sont devenues injurieuses pour la plûpart, c'est par une allusion dont il faut ici chercher la source dans les légendes des premiers âges du monde ; elles nous disent qu'il y eut autrefois des hommes qui ont rendu leur nom célebre par leur puissance & leur grandeur ; que ces hommes couvrirent la terre de leurs crimes & de leurs forfaits, & qu'ils furent à la fin exterminés par le feu du ciel : cette race superbe est la même que celle des géants, que les Arabes nomment encore giabar, & au plurier giabaroun, potentes ; & que les anciens ont appellé gibor & gibborim, ainsi qu'on le voit en plusieurs endroits de la bible. Nous devons donc présumer que c'est sous cet aspect particulier que le nom de gibor avec ses dialectes gebri, bogri, borgi, & leurs dérivés sont devenus chez tant de peuples différens des termes insultans ; & que c'est de-là qu'est sortie l'application presque générale qu'on en a faite à tous ceux que la justice ou le fanatisme calomnieux ont accusés de ce même crime qui a fait tomber le feu du ciel sur la tête des puissans mais abominables gibborim. Article de M. BOULANGER.


GUEDES. f. ou PASTEL, drogue employée par les Teinturiers, pour teindre en bleu. Voyez BLEU & TEINTURE.

Le pastel vient d'une graine semée tous les ans au printems, & qui produit une plante appellée en latin glastum satum. On cueille ordinairement quatre ou cinq fois les feuilles de cette plante tous les ans ; il n'y a guere que les feuilles des deux ou trois premieres cueillettes dont on fasse quelque cas ; & ce sont sur-tout les premieres qu'on estime le plus : lorsque les feuilles sont dans leur maturité, on les cueille, on les porte ensuite au moulin à pastel pour les mettre en pieces ; on les laisse huit ou dix jours en tas, après quoi on en fait une espece de balle qu'on laisse sécher sur des claies.

Cela fait, on les broye & on les réduit en poudre ; on les laisse ensuite sur le plancher, & on les arrose : c'est-là l'operation qu'on appelle coucher.

Lorsque le pastel s'est ensuite échauffé, & qu'il a fumé quelques jours, il devient entierement sec : c'est ce qu'on appelle blanchir.

Huit jours après il est bon à employer par les Teinturiers.

Les anciens Bretons se servoient de pastel pour se colorer le corps.

Quelques-uns prétendent que c'est de cette plante appellée glastum en latin, qu'est venu le nom de glass qui signifie wede dans les pays du nord ; & d'autres prétendent que glass & glastum sont tirés de l'ancien breton, dans lequel glass signifioit la couleur bleue.

Le pastel bleu est le plus foncé de tous ; il est d'une couleur fort approchante du noir, & sert de base à former différentes couleurs qui servent d'échelles aux Teinturiers pour former les différens degrés des pastels. Chambers.


GUELDRE(DUCHE DE) Géog. contrée des Pays-Bas qui a eu autrefois ses ducs particuliers, & qui est aujourd'hui partagée entre plusieurs souverains ; de maniere pourtant que la partie la plus considérable fait une province qui est la premiere dans l'union des Provinces-Unies.

Le duché de Gueldre considéré dans toute son étendue, est borné au nord par le Zuydersée & par la province d'Overissel ; au sud par le duché de Cleves, par l'électorat de Cologne, & par le duché de Juliers ; à l'oüest par le Brabant, la Hollande, & par la province d'Utrecht ; à l'est il touche par le comté de Zutphen, à l'évêché de Munster.

Cette étendue de pays a été habitée depuis Jules-César, par les Sicambres, par les Ménapiens, par les Mattiaques, & par les Ténétériens ; les Romains en ont possédé une partie jusqu'à l'ancien bras du Rhin, & ils l'avoient jointe à la seconde Germanie ; les Francs & les Frisons l'occuperent ensuite ; & ceux-ci ayant été vaincus, tout ce pays fut uni au royaume d'Austrasie, qui fut lui-même joint à l'empire dans le douzieme siecle, sous le regne d'Othon le Grand. On sait comment il a passé depuis entre les mains de Charles-Quint & de Philippe II. & comment ce dernier en perdit la plus grande partie par la confédération qui se forma sous son regne en république indépendante. (D.J.)

GUELDRE, (le haut quartier de) Géog. autrement dit le quartier de Ruremonde, qui faisoit anciennement une portion du duché de Gueldre. Cette portion étoit même encore demeurée aux Espagnols après l'érection de la république des Provinces-Unies ; mais depuis le traité d'Utrecht, le haut quartier de Gueldre se trouve partagé entre trois souverains ; le roi de Prusse a pour sa part la ville de Gueldres ; la maison d'Autriche, Ruremonde & ses dépendances ; & les états-généraux y possedent la ville de Venlo avec sa banlieue, le fort de Stevenswert avec son territoire, & les petites villes de Nieustadt & d'Echt avec leurs préfectures. (D J.)

GUELDRE, (la province de) Gueldria, (Géog.) démembrement de l'ancien duché de Gueldre qui forme présentement une des sept Provinces-Unies ; elle tient même le premier rang dans la république des Provinces-Unies, quoi qu'elle ne soit ni la plus riche ni la plus puissante ; elle consiste en trois quartiers qui sont Nimegue, Zutphen, & Arnhem, ou le Veluve. Chaque quartier forme un état particulier dont la jurisdiction & les droits ne sont ni confondus ni partagés avec ceux des autres quartiers. Voyez Basnage, descrip. historiq. des Provinces-Unies. (D.J.)

GUELDRES, (Géog.) petite ville forte des Pays-Bas, au duché de même nom, cédée au roi de Prusse par le traité d'Utrecht ; elle est dans des marais sur la Niers, à deux lieues nord-est de Venlo. Ce n'est donc pas la Gelduba mentionnée dans l'itinéraire d'Antonin, & dans Pline, liv. XIX. ch. v. car la ville de Gueldres est à quatre lieues du Rhin, & Gelduba étoit sur ce fleuve, castellum rheno impositum, dit Pline. Long. 23. 56. latit. 5. 30. (D.J.)


GUELFES. f. (Hist. mod.) nom de la faction opposée à celle des Gibelins.

Les étymologies différentes, aussi puériles qu'incertaines du nom de ces deux factions, recueillies dans les Bollandistes, le dictionnaire de Trévoux & autres lexicographes, ne se retrouveront pas ici.

Nous nous contenterons de rappeller à la mémoire, que les Guelfes tenoient pour le pape & les Gibelins pour l'empereur ; qu'après des dissensions qui sembloient passageres, la querelle de la couronne impériale & de la thiare s'échauffa violemment, divisa l'Italie au commencement du treizieme siecle, la remplit de carnage, de meurtres, d'assassinats, & produisit d'autres malheurs qui ont troublé le monde : mais il faut tâcher de les oublier & porter ses yeux sur la renaissance des Beaux-Arts qui succederent à ces cruelles desolations. (D.J.)


GUELLESterme de Blason, qu'on a dit autrefois pour gueules ; couleur rouge appellée ainsi de la gueule des animaux.


GUÉONIMou GÉHONIM, (Théolog.) mot hébreu qui signifie excellent ; c'est le titre qu'ont pris certains rabbins qui demeuroient dans le territoire de Babylone, comme M. Simon l'a remarqué dans son supplément aux céremonies des Juifs : il observe en même tems que les Arabes s'étant rendus les maîtres de ce pays-là, & ayant détruit les écoles des Juifs, les Guéonims se retirerent en Europe & principalement en Espagne où R. Isaac Alfez qui vivoit sur la fin des tems où les Guéonims ont été en crédit, fit un excellent recueil des décisions de la gémare qui est une glose du talmud, sans s'arrêter aux questions & aux disputes inutiles : Buxtorf, dans sa bibliotheque des rabbins, a parlé fort au long de cet ouvrage.

Il y a grande apparence que ces Guéonims ou Géhonims sont les mêmes que ceux que d'autres auteurs appellent Gaons. Voyez GAONS. (G)


GUÊPES. f. vespa ; mouche qui a beaucoup de rapport avec l'abeille, mais qui en differe par des caracteres très-marqués : le plus apparent au premier coup-d'oeil, est le filet, par lequel le ventre de la guêpe tient au corcelet ; ce filet est plus ou moins long dans les différentes especes de guêpes, tandis qu'on ne le voit pas dans les abeilles. On peut aussi distinguer aisément les guêpes par leurs couleurs jaunes & noires qui forment des taches & des raies. Elles n'ont point de trompe, mais leur lévre supérieure est plus grande & plus longue que l'inférieure, & sert en quelque façon de trompe pour détacher les alimens & les porter à la bouche : il y a aussi deux dents, une de chaque côté de la tête, qui se touchent en-devant par leur extrémité, & qui broyent les corps que la lévre supérieure ne pourroit pas entamer. Enfin les guêpes sont différentes de toutes les autres mouches à quatre aîles, en ce que les aîles supérieures paroissent fort étroites, & sont pliées en deux, suivant leur longueur, lorsque l'insecte est en repos, mais elles se déplient lorsqu'il vole. On a observé au-dessus de l'origine de chacune de ces aîles, une partie écailleuse qui empêche que la mouche ne les rende inutiles en les élevant trop haut.

Il y a plusieurs especes de guêpes ; les unes habitent sous terre, & les autres en plein air : les premieres sont les plus communes : on les a nommées guêpes soûterreines, à cause que leurs nids sont dans la terre, & guêpes domestiques, parce qu'elles entrent dans les maisons & qu'on les voit manger dans les plats que l'on sert sur les tables. Ces guêpes vivent plusieurs ensemble comme les abeilles. Il y a des guêpes mâles & des guêpes femelles, mais la plûpart n'ont point de sexe, c'est pourquoi on leur donne le nom de mulets : on les appelle aussi guêpes ouvrieres, parce qu'elles travaillent à la construction du nid, & qu'elles y apportent des alimens. Les guêpes mâles, femelles, & mulets d'un même nid viennent d'une seule mere, qui est fécondée dans l'automne, & qui après avoir passé l'hyver dans quelque lieu abrité, se trouve au printems en état de faire sa ponte.

Cette guêpe creuse un trou dans un lieu où la terre est facile à remuer, & où il n'y a point de pierres : c'est ordinairement dans un pré, dans un champ, ou sur les bords d'un grand chemin. Quoique seule, elle déplace une assez grande quantité de terre pour former une cavité où elle puisse construire le commencement d'un guêpier, c'est-à-dire d'un nid qui doit contenir un très-grand nombre de guêpes. Voyez GUEPIER. Elle commence l'enveloppe du guêpier sur les parois supérieures de la cavité, & y attache le premier gâteau. A mesure qu'elle acheve un alvéole, & même avant qu'il soit achevé, elle y pond un oeuf, qui est blanc, transparent, de figure oblongue, plus gros à l'un des bouts qu'à l'autre ; un de ces oeufs est collé au fond de chaque alvéole, pendant qu'elle en construit de nouveaux & qu'elle y dépose des oeufs. Ceux qui ont été pondus les premiers, éclosent au bout de huit jours ; il en sort des vers que la mere nourrit ; elle va dans la campagne chercher des alimens pour les vers, & la matiere qu'elle employe pour la construction du guêpier. Les vers avancent la tête hors de leurs alvéoles, & ouvrent la bouche pour recevoir la nourriture que la mere leur apporte. Lorsqu'ils sont devenus assez gros pour remplir les alvéoles, ils en ferment l'ouverture avec un couvercle de soie, qu'ils filent comme les vers à soie ; & ils tapissent les parois de l'alvéole. Après quelques jours de repos ils se transforment en nymphes. L'Insecte reste dans cet état pendant huit ou neuf jours, ensuite il se dépouille de son enveloppe, il ronge les bords du couvercle de l'alvéole, le pousse en-dehors, & paroît enfin sous la forme de mouche.

Dès que les guêpes sortent des alvéoles, elles aident la mere à nourrir les vers, & à construire le guêpier, tandis qu'elle continue sa ponte. Tous les premiers oeufs ne produisent que des mulets ; & lorsqu'il y en a un assez grand nombre pour multiplier les alvéoles, pour soigner les vers, & pour apporter la nourriture, la mere ne sort plus du guêpier, elle pond continuellement. Après qu'il y a plusieurs milliers de mulets éclos, elle commence à pondre des oeufs de mâles & de femelles. Elle dépose ces oeufs dans des alvéoles qui ne se trouvent que dans les quatre ou cinq derniers gâteaux du guêpier, & qui sont plus grands que ceux qui renferment les oeufs des mulets. Les guêpes femelles sont plus grandes que les mâles, & les mulets plus petits ; ceux-ci sont de deux grandeurs différentes, de même que les mâles. Les mulets ont un aiguillon qui cause plus de douleur que celui des abeilles ; les femelles ont aussi un aiguillon, & il est plus long & plus gros que celui des mulets ; les mâles n'en ont point. Lorsqu'il y a quinze ou seize milliers de mulets, il ne se trouve ordinairement à la fin de l'été que trois cent mâles & autant de femelles.

Les mulets vont chaque jour chercher dans la campagne des alimens, qu'ils rapportent dans le guêpier pour nourrir les mâles, les femelles, & les mulets qui y restent ; ces alimens sont des fruits, de la chair, des mouches, & sur-tout des abeilles. Lorsqu'une guêpe rencontre une abeille, elle se jette dessus, la divise en deux parties avec ses dents, & emporte le ventre, qu'elle trouve sans-doute meilleur que le corcelet & la tête, parce qu'il est rempli de miel. On ne sait que trop combien les guêpes gâtent les fruits en les suçant ; ces insectes sont si avides de chair, que les bouchers de campagne ne pourroient pas en préserver leurs viandes, s'ils ne prenoient le parti d'exposer en-avant sur leurs boutiques un foie de veau ou une rate de boeuf, que les abeilles préferent à d'autres viandes, parce qu'ils sont plus aisés à couper ; elles se jettent toutes sur ces morceaux, & ne vont pas plus loin. Les Bouchers trouvent encore un autre avantage en les rassemblant ainsi, c'est que les grosses mouches bleues dont viennent les vers qui font corrompre la viande, craignent les guêpes, & n'approchent pas d'un lieu où il y en a beaucoup. Lorsqu'un mulet arrive au guêpier avec sa proie, plusieurs guêpes l'entourent & prennent leur part de ce qu'il a apporté ; si c'est un aliment solide, elles le coupent en morceaux ; si c'est un suc tiré des fruits, le mulet le fait sortir de sa bouche par gouttes que les autres viennent sucer.

A la fin du mois d'Août, les mulets construisent les derniers gâteaux du guêpier, & la mere y dépose les oeufs des mâles & des femelles en finissant sa ponte ; ainsi c'est au commencement de l'automne que le guêpier est complet, & que le nombre des guêpes y est le plus grand. Un guêpier a quelquefois plus de seize mille alvéoles. Comme il arrive souvent que la mere pond successivement deux, & même trois oeufs dans chacun, il se trouve à la fin de l'été jusqu'à trente mille guêpes dans ce guêpier. Alors la mere, les mâles, & les femelles nouvellement nés sortent du guêpier comme les mulets pour chercher leur nourriture. Tout est en vigueur & en bon ordre, mais cet état florissant ne dure qu'un mois ou six semaines. Au commencement d'Octobre ces insectes semblent n'avoir plus d'instinct, tout est en desordre dans le guêpier ; les mulets & les mâles tirent des alvéoles les oeufs & les petits vers, les tuent & les dispersent au loin : ensuite toutes les guêpes languissent dans les premiers froids de l'automne ; si elles se raniment lorsque le soleil les rechauffe, ce n'est que pour quelques momens ; à mesure que l'hyver approche, elles perdent leurs forces ; les mouches dont elles se nourrissoient leur résistent, enfin les mâles & les mulets périssent par le froid. Les femelles se soûtiennent mieux, elles se retirent dans le guêpier ou dans des trous, mais il en meurt beaucoup : celles qui peuvent vivre jusqu'au printems ayant été fécondées avant la mort des mâles, sont en état de former chacune un guêpier.

Pour observer les guêpes, on renferme un guêpier dans une ruche vitrée ; pour cette opération il faut être vêtu de façon à ne pas craindre leur aiguillon. On déterre un guêpier & on le met dans une ruche ; les guêpes après s'être dispersées y rentrent, & lorsque la nuit est venue, on ferme la ruche & on la transporte où l'on veut avec le guêpier qu'elle contient. Les guêpes appellées aériennes, parce qu'elles ont leurs nids en plein air, sont plus petites qu'aucunes de celles qui vivent en société ; leurs guêpiers sont attachés à une branche d'arbre, à une paille de chaume, à une plante, à un mur, &c. Ils different des aut res en ce que les gâteaux sont posés verticalement, & qu'ils n'ont point d'enveloppe commune qui les mette à l'abri ; mais leur position est favorable à l'écoulement de l'eau, & ils sont enduits d'un vernis qui y résiste. Ces guêpes ne quittent leur nid que pour chercher leur nourriture & celle des vers qui doivent perpétuer leur espece : elles ressemblent aux guêpes soûterreines par leur maniere de vivre & de se multiplier.

On a donné le nom de cartonnieres à de petites guêpes d'Amérique, parce que leur guêpier est enveloppé d'une sorte de carton très fort & très-blanc ; cette couverture leur est nécessaire, parce qu'elles sont plus délicates que les guêpes d'Europe, & que l'air est nuisible à leurs vers. La plus grande différence qu'il y a entre ces guêpes cartonnieres & les guêpes soûterreines dont il a été fait mention, consiste dans la maniere de construire le guêpier. Voyez GUEPIER. Mém. pour servir à l'hist. des Insectes, tom. VI. Abregé de l'hist. des Insectes, tom. II. Voyez INSECTE. (I)


GUÊPIERS. m. Les guêpes construisent comme les abeilles des gâteaux & des alvéoles, qui forment un grouppe revêtu d'une enveloppe en tout ou en partie ; cette masse est appellée guêpier. Les guêpes soûterreines placent leur guêpier sous terre ; elles font d'abord un trou qui a un pouce de diametre, sur un demi-pié, ou un pié, & quelquefois deux piés de longueur ; ensuite elles creusent une cavité qui a jusqu'à quatorze ou quinze pouces de diametre ; à mesure qu'elles allongent le guêpier, elles transportent au-dehors, grain à grain, toute la terre qui remplit cet espace. La figure de ces guêpiers n'est pas toûjours la même ; il y en a de sphériques, d'ovoïdes, & de coniques : on ne voit à l'extérieur que deux ouvertures, les guêpes entrent par l'une & sortent par l'autre : l'enveloppe a un pouce ou un pouce & demi d'épaisseur ; elle est composée de plusieurs lames minces, dont la forme ressemble en quelque façon à celles des coquilles appellées peignes ; leur convexité est du côté extérieur du guêpier, & les bords de l'une de ces lames sont collés sur le milieu de celles sur lesquelles elle se trouve, desorte qu'il reste entr'elles des cavités ; leur substance est de même nature que celle du papier, aussi les guêpes la tirent des végétaux. L'humidité de la terre & l'eau des pluies ne pénetre pas à-travers l'enveloppe, parce qu'il y a dans son épaisseur des cavités entre les différentes lames qui la composent, & qui sont quelquefois jusqu'au nombre de quinze ou seize les unes sur les autres. L'intérieur du guêpier est divisé par plusieurs cloisons horisontales, de même substance que l'enveloppe extérieure, il s'en trouve jusqu'à quinze dans les plus grands guêpiers ; celles du milieu ont un plus grand diametre que les autres ; dans ceux dont la forme est ovoïde, il y a un demi-pouce de distance entre chacune des cloisons, & elles tiennent les unes aux autres par des liens verticaux, qui sont placés en différens endroits de la surface des cloisons ; il n'y en a que trois ou quatre entre les plus petites, mais on en a vû jusqu'à cinquante entre les plus larges ; ces liens ont une ou deux lignes de diametre. Les bords de chaque cloison sont aussi attachés à l'enveloppe du guêpier par quelques liens, entre lesquels les guêpes peuvent passer pour aller d'une cloison à une autre, & traverser le guêpier entre toutes les cloisons. Chacune de ces cloisons est un gâteau où se trouvent des alvéoles hexagones comme celles des abeilles, mais il n'y en a que sur la face inférieure. Ces alvéoles servent de logement aux oeufs, aux vers, aux nymphes, & aux jeunes guêpes qui n'ont pas encore pris l'essor. On a compté jusqu'à dix mille alvéoles dans des guêpiers de grandeur médiocre ; ceux des guêpes aériennes n'ont point d'enveloppe commune. Voyez GUEPE.

On donne le nom de guêpier aux nids des frélons comme à ceux des guêpes. Voyez FRELON.

Les guêpiers des guêpes de Cayenne, appellées cartonnieres (voyez GUEPE) ont ordinairement la figure d'une cloche allongée, dont l'ouverture seroit fermée, à l'exception d'un trou d'environ cinq lignes de diametre : les plus grands de ces guêpiers ont un pié & demi de longueur ; ils sont suspendus à des branches d'arbres. L'intérieur est divisé par des cloisons horisontales, dont les bords sont adhérens à l'enveloppe extérieure du guêpier, sans qu'il reste d'ouverture entre les cloisons & l'enveloppe, comme dans les guêpiers des guêpes soûterraines d'Europe, mais il y a un trou au centre de chaque cloison, qui la traverse d'une face à l'autre, & qui sert de passage aux guêpes pour aller dans tous les intervalles qui sont entre les cloisons ; chacune est composée d'une lame & d'un rang d'alvéoles, qui tiennent par le fond à la face inférieure de cette lame. Ces guêpes commencent comme les autres leur guêpier, par l'anneau qui doit le tenir suspendu autour de la branche qu'il embrasse ; ensuite elles construisent une premiere lame horisontale, & des alvéoles contre sa face inférieure ; elles allongent le guêpier, en formant autour une bande qui doit faire partie de l'enveloppe extérieure ; elles attachent à cette bande une seconde lame horisontale, à quelque distance des alvéoles qui tiennent à la premiere lame ; alors elles passent par le trou qui est au centre de cette lame, pour déposer des oeufs dans les alvéoles, pour porter de la nourriture aux vers qui y éclosent, &c. au moyen de la seconde lame, qui existe déjà, ces vers & les nymphes qui leur succedent sont à l'abri du grand air qui leur seroit nuisible. C'est ainsi que ces guêpes construisent toutes les cloisons de leur guêpier, & qu'elles pondent des oeufs successivement dans chacune, à mesure que les alvéoles se trouvent renfermés par le moyen de l'enveloppe extérieure, & de la lame de la cloison inférieure : on a vû de ces guêpiers où il y avoit jusqu'à onze cloisons. La matiere dont ils sont composés est un vrai carton, qui a l'épaisseur d'un écu de trois livres dans l'enveloppe extérieure & dans les lames des cloisons : il est très-ferme & très-blanc, sans-doute parce que les guêpes le tirent des bois blancs, parce qu'ils sont moins durs que les autres. Mém. pour servir à l'hist. des Insect. tome VI. abregé de l'hist. des Insect. tome II. Voyez ci-devant GUEPE. (I)


GUÊPIERS. m. merops, apiaster, (Ornithologie) oiseau un peu plus grand que le merle. Il a le bec épais, droit, pointu, noir, fort & un peu recourbé en-bas. La conformation du pié de cet oiseau est singuliere ; car le doigt extérieur tient à celui du milieu par trois phalanges, & le doigt intérieur par une phalange seulement. Ce doigt est le plus petit de tous ; il n'a que la moitié de la longueur de celui du milieu. Le doigt antérieur est presque égal à celui du milieu, & le doigt postérieur est un peu plus grand que l'intérieur. Le sommet de la tête est roux ; le derriere de la tête & les épaules ont une couleur verdâtre, mêlée d'une teinte de rouge. Il y a de chaque côté de la tête une bande noire, qui s'étend depuis les coins de la bouche jusqu'au-delà des oreilles, en passant autour des yeux. Le dessous du menton est jaune ; la poitrine & le ventre sont bleus ; la queue est composée de douze plumes ; les deux du milieu sont plus longues que les autres, & terminées en pointe. Le guêpier a les jambes courtes & grosses, les ongles noirs, & les piés d'une couleur brune rougeâtre ; il se nourrit d'insectes, tels que des abeilles, des cigales, des scarabés, &c. il mange aussi des graines de plantes. Willug. ornith. Voyez OISEAU. (I)


GUERANDEGueranda, (Géog.) ville de France en Bretagne, au comté de Nantes. Il s'y fait avec les Anglois quelque commerce de sel blanc, qu'elle tire des salines de son territoire. Elle est à une lieue de l'Océan, & à treize N. O. de Nantes. Long. 15. 13. 24. lat. 47. 19. 39. (D.J.)


GUERCHE(LA) ou GUIERCHE, (LA) Géog. ville de France en Touraine sur la Creuse. Long. 18. 28. lat. 46. 48. (D.J.)


GUERETVaractus, (Géog.) petite ville de France dans la Haute-Marche, dont elle est la capitale : elle est sur la Gartampe, à dix lieues N. E. de Limoges. Long. 19. 32. lat. 46. 10.

Varillas, (Antoine) historien françois plus fécond qu'exact, plus agréable que fidele, naquit à Gueret en 1624, & mourut à Paris le 6 Juin 1696. (D.J.)


GUERETSS. m. pl. (Agriculture) il se dit de la terre labourée & prête à être ensemencée. (K)


GUERGUELA(Géog.) Voyez GUARGALA.


GUERIDONS. m. (Gramm.) meuble de chambre, composé d'un pié, d'un pilier & d'un plateau. Ces pieces se font au tour, & sont communément en bois. Le guéridon sert à porter un flambeau. Sa commodité est d'être transporté où l'on veut.

GUERIDON, (Marine) Voyez ECOUPE.

* GUERIDON, (Manuf. en soie) machine qui a la forme de ce meuble, mais dont le plateau est divisé en petites cases, où l'on place les espolins qu'on est obligé d'ôter de dessus l'étoffe quand on ne s'en sert pas.


GUÉRIRv. act. pass. & n. (Gramm.) On dit se guérir, guérir quelqu'un, & guérir d'une maladie. Ce terme est relatif à l'état de santé & à l'état de maladie, & marque le passage de celui-ci au premier, soit par le secours de la medecine, soit par les forces de la nature. Il se prend au simple & au figuré, & il s'applique aussi communément aux maladies de l'esprit, qu'à celles du corps. On guérit de la fievre par le quinquina, & de la gloire littéraire ou autre, par la raison, les mauvais succès, les préférences injustes, les inimitiés, les jalousies, les satyres, &c.


GUÉRITES. f. (Art mil.) espece de petites tours de maçonnerie ou de charpente, qu'on construit aux angles saillans des ouvrages de la fortification, pour découvrir ce qui se passe dans le fossé.

Les guérites des ouvrages de la fortification sont de niveau au terre-plein de ces ouvrages. On fait une coupure de trois piés de largeur dans le parapet, pour entrer dans la guérite du terre-plein du rempart de plain-pié.

La figure des guérites est ronde, pentagonale ou hexagonale. Le diametre en-dedans est d'environ quatre piés, & la hauteur de six à la naissance de la calotte, ou de la partie supérieure qui les termine.

Les guérites doivent être percées de quatre ou cinq ouvertures ou petites fenêtres ouvertes, de maniere que la sentinelle qui est dedans puisse découvrir le fond du fossé & le chemin couvert.

On fait aussi des guérites aux différentes entrées de la place, mais elles ne servent qu'à mettre à couvert de la pluie les sentinelles placées à ces endroits. Ces dernieres guérites sont ordinairement de bois, & de figure quarrée.

On donnoit anciennement le nom d'échauguette aux guérites. Voyez ÉCHAUGUETTE. (Q)


GUERLINS. m. (Marine) Voyez GRELIN.


GUERPIRv. act. (Jurisp.) se disoit anciennement pour ensaisiner, transférer, mettre en possession, du mot allemand verp ou guerp, qui signifie possession ou l'héritage dont on est vêtu, & ensaisiner : de-là on a fait déguerpir, qui est opposé à guerpir, pour dire quitter la possession d'un héritage. Dans la suite on a quelquefois dit guerpir pour déguerpir ; comme guerpir l'hommage du roi, dans la chronique de Flandre, chap. xcviij. c'est refutare feudum regium. Voyez Loyseau, traité du déguerpissement, liv. I. chap. ij. n. 4. & DEGUERPISSEMENT. (A)


GUERRES. f. (Art milit. & Hist.) différend entre des princes ou des états, qui se décide par la force ou par la voie des armes. C'est-là à-peu-près la définition de Grotius, qui dit que la guerre est l'état de ceux qui tâchent de vuider leurs différends par la voie de la force.

Suivant Montecuculli, la guerre est une action d'armées qui se choquent en toute sorte de manieres, & dont la fin est la victoire. Cette définition n'est pas absolument exacte, parce que lorsqu'un état puissant en attaque un plus foible, le but de la guerre dans le dernier n'est pas tant de remporter la victoire sur l'aggresseur, que de s'opposer à ses desseins.

Quoi qu'il en soit, l'idée de la guerre est trop commune & ses effets trop connus, pour s'arrêter à l'expliquer plus particulierement. Comme les princes n'ont point de tribunal sur terre qui puisse juger de leurs différends & de leurs prétentions, c'est la guerre ou la force qui peut seule en décider, & qui en décide ordinairement.

Nous n'entrerons dans aucun détail sur les différentes circonstances qui rendent les guerres justes ou injustes. Nous renvoyons pour ce sujet au savant traité de Grotius, de jure belli ac pacis ; nous donnerons seulement une legere idée de la guerre offensive & de la guerre défensive. Elles peuvent se diviser chacune en guerre de campagne, & en guerre des siéges.

La guerre offensive est celle dans laquelle on se propose d'attaquer l'ennemi. Dans la défensive, on a pour principal objet de résister aux efforts de l'ennemi, & de l'empêcher de faire des conquêtes.

La guerre de campagne est celle qui se fait entre deux armées opposées. A l'égard de celle des siéges, elle consiste dans l'attaque & dans la défense des places.

Avant que d'entrer dans quelque détail sur ce sujet, observons d'abord que la guerre est un art qui a ses regles & ses principes, & par conséquent sa théorie & sa pratique. " Tous les Arts & tous les Métiers se perfectionnent par l'exercice. Si cette maxime a lieu dans les plus petites choses, à plus forte raison dans les plus importantes. Or qui doute que l'art de la guerre ne soit le plus grand de tous ? C'est par lui que la liberté se conserve, que les dignités se perpétuent, que les provinces & l'empire se maintiennent : c'est cet art auquel les Lacédémoniens autrefois, & ensuite les Romains, sacrifierent toutes les autres sciences. C'est l'art de ménager la vie des combattans & de remporter l'avantage " Vegece, traduction de M. de Segrais.

L'étude d'un art si important doit, selon M. de Folard, faire la principale occupation des princes & des grands. Rien de plus brillant que la carriere d'un général qui fait servir sa science, son zele, & son courage au service du prince & de la patrie : " quel est l'art, dit cet auteur, qui égale un particulier à son souverain, qui le rend dépositaire de toute sa puissance, de toute la gloire, & de toute la fortune des états " ? La guerre seule a cet avantage : peut-il être un motif plus noble & plus intéressant pour chercher à s'y distinguer !

Les regles ou les principes de la guerre qui en forment la théorie, ne sont autre chose que le fruit des observations faites en différens tems pour faire combattre les hommes le plus avantageusement qu'il est possible. Thucidide remarque que la fameuse guerre du Péloponnèse servit à augmenter l'expérience des Grecs dans l'art militaire ; parce que comme cette guerre fut souvent interrompue & recommencée, chacun s'appliquoit à rectifier les fautes qui avoient été remarquées dans les campagnes précédentes.

La premiere idée qu'on a dû avoir lorsqu'on a formé des hommes pour combattre, a sans-doute été de les armer pour agir offensivement contre l'ennemi.

Les premieres armes furent d'abord fort simples ; c'étoit de gros bâtons, ou des especes de massues ou casse-têtes, ainsi qu'en ont encore aujourd'hui les Sauvages. On dut aussi se servir de pierres, qu'on jettoit de loin avec la main : mais on trouva bientôt l'invention de la fronde, pour les jetter de plus loin & avec plus de force. Il y a apparence qu'on songea ensuite à armer les bâtons d'un fer pointu ; qu'on trouva bientôt après l'invention des épées ou des sabres ; & qu'à l'imitation des pierres qu'on lançoit avec la fronde, on imagina l'arc pour lancer également les fleches : car toutes ces armes sont de la plus haute antiquité.

Après avoir armé les combattans, il fut aisé de s'appercevoir qu'en les faisant agir en foule & sans ordre, ils ne pouvoient se servir de leurs armes, & qu'ils s'embarrassoient réciproquement.

Pour remédier à cet inconvénient, on les forma sur des lignes droites, & l'on mit plusieurs de ces lignes les unes derriere les autres, pour en augmenter la force. Voyez RANGS & FILES.

Après avoir armé les troupes & leur avoir donné l'arrangement précédent, il fallut leur apprendre à se servir de leurs armes, & à se mouvoir en ordre de tous les sens ; c'est-à-dire qu'il fallut leur apprendre l'exercice ou le maniement des armes, & les évolutions. Voyez EXERCICE & EVOLUTION.

Les hommes en faisant usage de leurs armes contre l'ennemi, chercherent à se couvrir ou à se garantir de l'effet des siennes. Pour cet effet on imagina les armes défensives, telles que les casques, cuirasses, boucliers, &c. Voyez ARMES DEFENSIVES.

Les troupes étant armées ou exercées, il fallut les diviser en plusieurs corps, propres à agir & à se mouvoir facilement : de-là l'origine des compagnies, des cohortes, des régimens, des bataillons, &c.

On songea aussi à arranger ces différens corps entr'eux, comme les troupes le sont dans leurs corps particuliers, & l'on forma les ordres de bataille sur deux ou trois lignes de troupes. Voyez LIGNE DE TROUPES & ORDRE DE BATAILLE.

On ne s'avisa vraisemblablement pas dans les premiers tems de faire combattre les hommes à cheval ; mais il fut aisé de s'appercevoir bien-tôt du besoin de la cavalerie pour poursuivre l'ennemi, le disperser après sa défaite, & l'empêcher de se rallier.

Il y a apparence que la cavalerie fut d'abord destinée à cet effet, & qu'elle ne consistoit guere qu'en troupes legeres : mais on vit ensuite que cette cavalerie pourroit encore rendre d'autres services ; qu'elle étoit propre en plaine à combattre l'ennemi, & que d'ailleurs par la rapidité de ses mouvemens, elle pouvoit se transporter bien-tôt d'un lieu en un autre & se tirer du danger bien plus promtement que l'infanterie : on forma donc des corps de cavalerie plus ou moins nombreux, suivant la nature des peuples & des pays où l'on faisoit la guerre (a)

La cavalerie pouvant harceler l'infanterie en campagne, & essayer de la défaire sans craindre de se commettre par la facilité qu'elle a de se retirer, on imagina des armes de longueur pour la tenir en respect ; c'est-à-dire qu'on inventa les sarisses ou les piques, dont la longueur empêchoit le cheval du cavalier de tomber sur le fantassin : par-là l'infanterie

(a) Il n'est pas question d'examiner ici si les anciens, au lieu de monter sur les chevaux pour combattre, les ont d'abord attelés à des chars. Nous renvoyons pour ce sujet à l'article EQUITATION. Il nous suffit que la cavalerie ait été de la plus haute antiquité dans les armées, & c'est surquoi les anciens auteurs ne laissent aucun doute.

put paroître en plaine devant la cavalerie, & la combattre même avec avantage ; mais la cavalerie fut toûjours jugée nécessaire dans les armées pour soûtenir & fortifier l'infanterie dans les lieux ouverts, donner des nouvelles de l'ennemi, le poursuivre après la défaite, &c.

Il est vraisemblable que les différentes choses dont on vient de parler, occuperent d'abord les nations guerrieres, & que la fortification doit aussi son origine aux premieres entreprises des puissances qui vouloient s'assujettir les autres. " D'abord, dit le comte de Pagan dans son traité de fortification, " les campagnes étoient les plus agréables demeures ; l'assûrance des particuliers consistoit en l'innocence de tous, & les vertus & les vices n'admettoient point encore de différence parmi les hommes ; mais lorsque l'avarice & l'ambition donnerent lieu aux commandemens & aux conquêtes, la foiblesse cédant à la force, l'oppression suivit les vaincus ". Les moins puissans se réunirent ensemble dans le même lieu, pour être plus en état de se défendre : de-là l'origine des villes. On s'appliqua à les entourer d'une enceinte, capable d'en fermer l'entrée à l'ennemi. Cette enceinte fut d'abord de simples palissades, puis des murs entourés de fossés ; on y ajoûta ensuite des tours. Voyez FORTIFICATION.

A mesure que la fortification se perfectionnoit, l'ennemi inventoit différentes machines propres à en détruire les ouvrages : telles furent le bélier & les autres machines de guerre des anciens. Voyez BELIER, BALISTE, CATAPULTE, &c.

Ces machines ont été en usage jusqu'à l'invention de la poudre, qui donna lieu d'imaginer le canon, le mortier, les arquebuses, les mousquets, les fusils, & nos autres armes à feu.

L'invention ou la découverte de la poudre à canon, qui a donné lieu de changer l'ancienne fortification, n'a pas introduit beaucoup de nouveautés dans les armes offensives du soldat. Le fusil répond assez exactement aux armes de jet des anciens ; mais les armes défensives ont été abandonnées insensiblement dans l'infanterie, à cause de la difficulté d'en avoir d'assez fortes pour résister à la violence du fusil. La cavalerie a seulement des plastrons ou des devants de cuirasse, & les officiers des cuirasses entieres, que les réglemens les obligent de porter. Voyez ARMES DEFENSIVES.

Dans les commencemens, où les armées s'éloignoient peu de leur demeure ordinaire, & où elles étoient peu de jours en campagne, les troupes pouvoient rester sans inconvéniens exposées aux injures de l'air. Mais lorsqu'on voulut leur faire tenir la campagne plus long-tems, on imagina de leur donner des tentes ou des especes de maisons de toile, que les soldats pouvoient porter avec eux. On forma alors des camps, & l'on fit camper les armées. Voyez CASTRAMETATION.

On pensa aussi alors à fortifier ces camps, pour les mettre à l'abri des surprises de l'ennemi, faire reposer les troupes plus tranquillement, & diminuer le grand nombre de gardes qu'il auroit fallu pour la sûreté du camp.

Toutes les différentes choses dont nous venons de parler, se sont insensiblement établies par l'usage parmi toutes nations policées. Celles qui y ont donné le plus d'attention & qui les ont portées au plus grand point de perfection, ont toûjours eu un avantage considérable sur celles qui les avoient plus négligées. Ce n'est pas le grand nombre qui décide des succès à la guerre, mais l'habileté des chefs, & la bonté des troupes disciplinées avec soin, & formées dans tous les exercices & les manoeuvres militaires. De-là vient que les Grecs, auxquels on est particulierement redevable des progrès de l'art militaire, avoient trouvé le moyen avec de petites armées de vaincre les nombreuses armées des Perses. Rien de plus admirable que la fameuse retraite des dix mille de Xenophon. Ces grecs, quoiqu'en petit nombre au milieu de l'empire des Perses, ayant près de huit cent lieues à faire pour se retirer, ne pûrent être entamés par les forces d'Artaxerxès. Ils surmonterent par leur courage & par l'habileté de leurs chefs tous les obstacles qui s'opposoient à leur retour.

Quelqu'utiles que soient l'exercice & la discipline pour former de bonnes troupes, l'art de la guerre ne consiste pas uniquement dans cet objet. Ce n'est qu'un moyen de parvenir plus sûrement à réussir dans ses entreprises : ce qui appartient essentiellement à l'art de la guerre, & qui le caractérise, c'est l'art de savoir employer les troupes pour leur faire exécuter tout ce qui peut réduire l'ennemi plus promtement, & le forcer à faire la paix ; car la guerre est un état violent qui ne peut durer, & l'on ne doit la faire que pour se procurer la joüissance des douceurs & des avantages de la paix.

Il est facile avec de la bonne volonté, de l'application, & un peu de discernement, de se mettre au fait de toutes les regles ordinaires de la guerre, & de savoir les différentes manoeuvres des troupes ; mais le génie de la guerre ne peut se donner ni s'acquérir par l'étude. Elle peut seulement le perfectionner. On peut appliquer à l'art de la guerre ce que l'Horace françois dit du jeu d'échets comparé à l'art de faire des vers.

Savoir la marche est chose très-unie,

Joüer le jeu, c'est le fruit du génie ;

Je dis le fruit du génie achevé,

Par longue étude & travail cultivé.

Savoir toutes les manoeuvres de la guerre, tout ce qui concerne l'ordre, la disposition & l'arrangement des troupes, tout cela quoique très-utile en soi & absolument nécessaire en général, est chose très-unie. Mais faire la guerre avec succès, rompre les desseins de l'ennemi, trouver le moyen d'éluder sa supériorité, faire des entreprises continuellement sur lui sans qu'il puisse s'y opposer, c'est-là le véritable fruit du génie, & du génie achevé par longue étude & travail cultivé.

" Si un homme, dit M. le maréchal de Saxe, n'est pas né avec les talens de la guerre, & que ces talens ne soient perfectionnés, il ne sera jamais qu'un général médiocre : l'application rectifie les idées, mais elle ne donne jamais l'ame ; c'est l'ouvrage de la nature ".

Mais quelqu'avantage qu'on en ait reçû, si on ne cultive pas ses talens par l'étude & la méditation, il ne faut pas espérer, dit M. de Folard, que Dieu nous accorde la science de la guerre par infusion. " Cependant à voir, dit-il, le peu d'application que chacun apporte à s'y rendre capable, on croiroit assez qu'elle s'apprend en un jour, & que cette lumiere d'ordre, de ruse, d'artifice pour s'en bien démêler, de profondeur dans la conduite des guerres les plus difficiles, de prévoyance & de précaution qui nous éclaire, qui ne se perd ni ne s'éteint point dans les dangers les plus éminens, naît avec nous, & que nous sommes de ces génies extraordinaires que la providence se plaît quelquefois à faire paroître dans le monde & de loin, pour sauver ou renverser les monarchies ".

On ne peut acquérir la science de la guerre que par l'étude & par la pratique. La pratique seule sans la théorie ne peut jamais donner que des connoissances fort bornées. Il faut qu'elle soit aidée & soûtenue par les lumieres de la théorie.

On a vû dans l'article ÉTUDE MILITAIRE, quelles sont les différentes connoissances qui servent de base au grand art de la guerre. Lorsqu'on est parvenu à se les rendre propres, il faut chercher dans les livres les regles & les principes de cet art important. " Ce n'est pas, dit M. de Folard sur ce sujet, dans la moyenne antiquité qu'il faut aller chercher nos maîtres ; c'est chez les Grecs & les Romains, lorsque ces peuples étoient dans leur force, & que leur discipline militaire, ou pour mieux dire, la science de la guerre qui renferme tout, avoit été portée au plus haut point de perfection où ces grands hommes avoient pû la porter. C'est sur-tout chez les Grecs qu'il faut les chercher. Ce sont eux qui d'une routine (car la guerre n'étoit autre chose d'abord) poserent des principes certains & assûrés. Il y eut alors des maîtres & des professeurs pour l'enseigner, & l'expérience ne fut plus nécessaire pour former d'excellens officiers & des généraux d'armées ; elle ne servoit que pour les perfectionner, comme Thucydide, Xenophon, & Plutarque nous l'assûrent. Préface du V. vol. du comment. sur Polybe.

Comme l'étude de la guerre demande du tems, du travail, & de l'application, il se trouve bien des gens, qui, pour en éluder les difficultés, prétendent que cette étude n'est point nécessaire, & que la pratique peut seule apprendre l'art de la guerre. " Mais s'il étoit vrai, dit le savant auteur que nous venons de citer, que la guerre ne roulât que sur l'expérience, un royaume, par exemple, comme la France, approcheroit de sa décadence selon le plus ou moins de tems qu'il se maintiendroit en paix, & dix ou douze années de repos ou d'inaction nous seroient plus ruineuses que quinze ou vingt années d'une guerre continuelle. Que l'on considere, dit toûjours cet auteur, quinze ou vingt ans de service sur la tête d'un vieux officier qui ne connoît que son expérience & sa routine, & qui se reposant vingt autres dans la paix, oublie ce qu'il a appris dans la guerre. Car qui peut disconvenir que l'expérience ne se perde & ne s'oublie par le défaut d'exercice ? Les officiers-généraux affoiblis par leur âge, ou abatardis par une longue paix, la noblesse amollie & devenue paresseuse sans aucun soin des armes, se livre à toutes sortes de débauches ; & les soldats à leur imitation, n'observent pas certaine discipline qui peut suppléer au défaut de la science de la guerre. Tous ceux qui tiennent pour l'expérience conviennent qu'il n'y a rien à faire, si elle n'est entée sur la prudence militaire : & cette prudence est-elle autre chose que la science qui nous fait voir les routes qui sont capables de nous conduire où nous tendons ? Tel qui a donné bataille dans un pays de plaine, se trouve embarrassé dans un terrein inégal. Il l'est encore plus dans un pays fourré. Il en donnera cinquante toutes différentes les unes des autres, par les différentes situations des lieux qui ne se ressemblent jamais. Souvent les deux champs de bataille different l'un de l'autre : ce qui n'est pas un petit embarras entre deux généraux ; & soit qu'on attaque ou qu'on soit attaqué, il y a mille changemens, mille mouvemens à faire très-dangereux & très-délicats, soit dans le commencement ou dans les suites d'un combat, sans compter le fort ou le foible d'une armée sur l'autre, qui peut être mis en considération, c'est-à-dire le plus ou le moins de cavalerie ou d'infanterie, le bon ou le mauvais de l'une & de l'autre. Comment tirer de l'expérience ce que l'on n'a jamais vû ni pratiqué, & les autres choses qui n'en dépendent pas, &c. ". Nouv. découvert. sur la Guerre.

A toutes ces réflexions de M. de Folard, & à beaucoup d'autres sur la nécessité de la science militaire qu'on trouve en différens endroits de son commentaire sur Polybe, on peut ajoûter que s'il faut qu'un officier voye exécuter tout ce qu'il a besoin d'apprendre, il lui sera presqu'impossible de se rendre habile dans les différens mouvemens des armées. Car lorsqu'il est employé à la guerre, il ne voit que la manoeuvre particuliere de la troupe à laquelle il est attaché, & non pas les mouvemens des autres troupes qui sont quelquefois tous différens. Mais supposant qu'il puisse observer quelque disposition particuliere dans les autres troupes, comment pourra-t-il en deviner la cause s'il ignore les principes qui peuvent servir à la dévoiler ? Il arrive de-là, comme l'expérience le démontre, que bien des officiers qui ont servi long-tems, & qui même se sont trouvés à de grands mouvemens de troupes, ignorent la science de ces mouvemens, & qu'ils ne pourroient ni les commander, ni les faire exécuter. L'expérience leur apprend seulement les petits détails de l'exercice & du service particulier, qu'on trouve partout, & qu'il est impossible d'ignorer, parce qu'on est chargé de le faire exécuter journellement ; mais cette partie de la police militaire, quoiqu'elle soit utile en elle-même & qu'elle fasse honneur à l'officier qui la fait observer avec le plus de soin, ne forme pas la science militaire ; elle n'en renferme tout-au-plus que les premiers rudimens.

L'étude de l'art de la guerre peut tenir lieu d'expérience, mais d'une expérience de tous les siecles. On peut appliquer à cette étude ce que Diodore de Sicile dit de l'histoire si utile à tous les hommes, & principalement à ceux qui veulent posséder la science de la guerre. " C'est un bonheur, dit cet auteur, de pouvoir se conduire & se redresser par les erreurs & par les chûtes des autres, & d'avoir pour guide dans les hasards de la vie & dans l'incertitude des succès, non une recherche tremblante de l'avenir, mais une connoissance certaine du passé. Si quelques années de plus font préférer dans les conseils les vieillards aux jeunes gens, quelle estime devons-nous faire de l'histoire qui nous apporte l'expérience de tant de siecles ? En effet elle supplée à l'âge qui manque aux jeunes gens, & elle étend de beaucoup l'âge même des vieillards ".

C'est ainsi que ceux qui ont étudié avec soin l'histoire des différentes guerres des nations, qui ont examiné, discuté tout ce qui s'y est observé dans la conduite des armées & des différentes entreprises militaires, peuvent acquérir par-là une expérience qui ne peut être comparée avec la pratique de quelques campagnes.

Comme peu de personnes sont en état de faire une étude aussi étendue de l'art de la guerre, il est à-propos d'indiquer les principaux ouvrages qui peuvent servir à donner les connoissances les plus nécessaires sur la théorie de cet art. Nous avons déjà vû que M. Folard veut qu'on consulte les Grecs & les Romains. C'est chez eux qu'il faut chercher les vrais principes de l'art militaire ; mais le nombre de leurs auteurs sur ce sujet n'est pas considérable.

" Il y en avoit autrefois une infinité, dit M. de Folard dans la préface que nous avons déjà citée, mais tout cela s'est perdu par les malheurs & la barbarie des tems. L'histoire nous a conservé les titres de quelques-uns de ces livres, & les noms de quelques auteurs qui avoient écrit de la guerre, entr'autres de Pyrrhus, roi des Epirotes ; car pour ce qui est des auteurs de la moyenne antiquité, c'est fort peu de chose. A peine ont-ils donné une idée de la guerre, tant ils sont abregés. Il ne nous en reste qu'un au-dessus des autres, qui est Vegece. Onosander & l'empereur Léon, tous deux Grecs, n'en approchent pas ; & tous les trois ne sont guere plus étendus que nos modernes, mais ils sont plus savans, bien que la science des armées fût presque tombée & même oubliée de leur tems ".

Les anciens ouvrages qu'on peut consulter le plus utilement sur l'art de la guerre, outre celui de Vegece, sont la Cyropédie, ou l'histoire de Cyrus par Xénophon : la retraite des dix mille, & l'histoire de Polybe, les commentaires de César, la tactique d'Elien, &c.

Parmi les modernes, on peut lire le parfait capitaine du duc de Rohan ; les mémoires de M. de Turenne, insérés à la suite de la vie de ce grand capitaine, par M. de Ramsai ; ceux de Montecuculli, de M. le marquis de Feuquieres ; les réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Cruz ; le commentaire sur Polybe par M. le chevalier Folard ; l'art de la guerre par M. le maréchal de Puysegur ; les rêveries ou mémoires sur la guerre par M. le maréchal de Saxe, &c.

La science de la guerre est si étendue qu'on ne doit pas être surpris du petit nombre de ceux qui y excellent. Ce n'est pas assez que les généraux sachent ranger les armées en bataille, les faire marcher, camper, & combattre ; il faut qu'ils sachent encore préserver leurs armées des maladies qui pourroient les ruiner ou les affoiblir. Il faut aussi savoir encourager le soldat pour le faire obéir volontairement, & supporter patiemment les fatigues extraordinaires auxquelles il peut être exposé. Il faut avoir soin que les vivres ne lui manquent point, & que la cavalerie n'éprouve aucune disette de fourrage. C'est à quoi l'on doit toûjours penser de bonne heure. C'est une épargne à contre-tems, dit Vegece, que de commencer à ménager les vivres lorsqu'ils manquent. Cet auteur observe que dans les expéditions difficiles, les anciens distribuoient les vivres par tête, sans avoir égard au grade ; mais on en tenoit compte ensuite à ceux à qui on les avoit ainsi diminués.

Outre ces différentes attentions, il y en a encore beaucoup d'autres, qu'on peut voir dans l'entretien de Cyrus & de Cambyse, rapporté dans le premier livre de la Cyropédie ; tout cela doit faire sentir combien la science de la guerre demande de travail & d'application. Cependant Polybe conseille encore à ceux qui aspirent au commandement des armées, d'étudier les Arts & les Sciences qui ont quelque rapport à l'art militaire. " Ajoûter, dit cet auteur, des connoissances inutiles au genre de vie que nous professons, uniquement pour faire montre & pour parler, c'est une curiosité que je ne saurois approuver ; mais je ne puis non plus goûter que dans les choses nécessaires on s'en tienne à l'usage & à la pratique, & je conseille fort de remonter plus haut. Il est absurde que ceux qui s'appliquent à la danse & aux instrumens souffrent qu'on les instruise de la cadence & de la Musique ; qu'ils s'exercent même à la lutte, parce que cet exercice passe pour contribuer à la perfection des deux autres ; & que des gens qui aspirent au commandement des armées, trouvent mauvais qu'on leur inspire quelque teinture des autres Arts & des autres Sciences. De simples artisans seront-ils donc plus appliqués & plus vifs à se surpasser les uns & les autres, que ceux qui se proposent de briller & de se signaler dans la plus belle & la plus haute des dignités ? Il n'y a personne de bon sens qui ne reconnoisse combien cela est peu raisonnable ". Hist. de Polybe, trad. de dom Vincent Thuillier, liv. IX. ch. jv.

Après avoir fait sentir la nécessité de l'étude de la guerre, entrons dans quelques détails sur ce qui en regarde l'exécution, ou les principales opérations.

La guerre ne doit s'entreprendre qu'après beaucoup de réflexions ; il faut avoir tout prévû & tout combiné, pour n'être pas surpris par les événemens.

" Il y a deux sortes d'actions militaires, dit Polybe : les unes se font à découvert & par force, les autres par finesse & par occasion. Celles-ci sont en beaucoup plus grand nombre que les autres ; il ne faut que lire l'Histoire pour s'en convaincre. De celles qui se sont faites par occasion, on en trouve beaucoup plus qui ont été manquées que de celles qui ont eu un heureux succès. Il est aisé d'en juger par les évenemens : on conviendra encore que la plûpart des fautes arrivent par l'ignorance ou la négligence des chefs. Ce qui se fait à la guerre sans but & sans dessein, continue le même auteur, ne mérite pas le nom d'actions. Ce sont plutôt des accidens & des hasards dont on ne peut tirer aucune conséquence, parce qu'elles ne sont fondées sur aucune raison solide ".

Avant de commencer la guerre, il est donc important d'avoir des vûes & des desseins, qu'on se propose de suivre autant que les circonstances pourront le permettre. C'est ce qu'on appelle, suivant M. de Folard, regler l'état de la guerre. Voyez ÉTAT DE LA GUERRE.

Lorsqu'on veut entreprendre une guerre, il faut commencer par des préparatifs de longue main, nonseulement pour avoir le nombre des troupes nécessaires, mais encore de l'argent pour fournir à sa dépense. Henri IV. ayant formé le dessein de porter la guerre en Allemagne, M. de Sully sut ralentir son ardeur jusqu'à ce que ce prince eût dans ses coffres de quoi la faire pendant plusieurs années. Il faut des magasins considérables de munitions de guerre & de bouche dans les lieux à portée de ceux que les armées doivent occuper. Dans toute expédition, dit Vegece, le point capital est d'avoir toûjours des vivres, & de ruiner l'ennemi en les lui coupant. Outre cette attention indispensable, il est important de prendre de bonne heure des arrangemens avec les puissances auxquelles on pourroit causer de la jalousie, pour n'en être point traversé dans ses opérations : c'est ce que fit Louis XIV. dans la guerre de 1672.

Ce prince avoit pris toutes les précautions que la prudence peut suggérer, pour n'être point distrait de la poursuite de son objet ; & si les évenemens heureux de cette guerre ne l'avoient pas excité à la continuer au-delà des bornes nécessaires pour humilier cette république, dont il avoit lieu de se plaindre, il seroit parvenu à son but sans obstacles de la part des puissances voisines.

Quelque nécessaires que soient les préparatifs dont on vient de parler, ils ne doivent pas faire toute l'application de celui qui veut commencer la guerre. " Il doit encore s'appliquer à connoître le génie de son ennemi & le caractere de ses généraux ; s'ils sont sages ou téméraires, hardis ou timides, s'ils combattent par principes ou au hasard ; avec quelles nations braves ou lâches ils ont eu à faire ;.... comment sont affectées ses troupes ; ce que pensent celles de l'ennemi ; lequel des deux partis a le plus de confiance, pressentiment qui éleve ou abaisse le coeur.... Un général vigilant & sage doit peser dans son conseil ses forces & celles des ennemis, comme s'il avoit à juger civilement entre deux parties. S'il se trouve supérieur en plusieurs endroits, il ne doit pas différer de profiter de son avantage ; mais s'il sent que l'ennemi soit plus fort que lui, il doit éviter une affaire générale, & s'en tenir aux ruses, aux surprises, & aux embuscades qui ont souvent fait triompher des troupes inférieures en force & en nombre sous de bons généraux ". Vegece, même traduction que ci-dessus.

Il faut connoître aussi le plus exactement qu'il est possible, le pays qui doit être le théatre de la guerre ; savoir les secours qu'on en pourra tirer pour la subsistance des troupes & pour les fourrages & les incommodités qui pourront en résulter pour l'ennemi. Enfin ce n'est pas assez d'assembler une armée, il faut savoir auparavant où elle agira, & comment elle le fera. Lorsqu'on est une fois entré en campagne, il ne doit plus être question de délibérer, mais d'entamer avec vivacité les opérations qu'on s'est proposé d'exécuter. M. de Folard dit quelque part sur ce sujet, " que les lents & les engourdis à la guerre auront aussi peu de part à la gloire de ce monde, que les tiedes à celle du ciel.

Il ne faut pas toûjours regler l'état de la guerre sur le nombre & la qualité des forces que l'on veut opposer à l'ennemi, qui sera peut-être plus fort. Il y a certains pays où le plus foible peut paroître & agir contre le plus fort, où la cavalerie est de moindre service que l'infanterie, qui souvent supplée à l'autre par sa valeur. L'habileté d'un général est toûjours plus avantageuse que la supériorité du nombre, & les avantages d'un pays. Un Turenne regle l'état de la guerre sur la grandeur de ses connoissances, de son courage, & de sa hardiesse. Un général qui ne lui ressemble en rien, malhabile, peu entreprenant, quelque supérieur qu'il soit, craint toûjours, & n'est jamais assez fort ". Comment. sur Polybe, par M. le chevalier de Folard, tome V. p. 347.

On doit toûjours commencer la guerre par quelque action d'éclat, & ne point se laisser prévenir par l'ennemi. " S'il incline à combattre, dit l'auteur que nous venons de citer, il faut aller au-devant plutôt que de l'attendre : que s'il évite un engagement, il faut le pousser à quelque prix que ce soit ; car un siége est très-difficile lorsqu'on ne le fait pas ensuite d'une grande victoire ou d'un avantage considérable. Il faut observer toutes ces choses, lorsqu'on regle l'état de la guerre, & que l'on établit son plan avant de la commencer ; car lorsqu'on a médité à loisir sur ce qu'on est résolu de faire, & sur ce que l'ennemi peut raisonnablement opposer, on vient à bout de ses desseins ". Même ouvrage que ci-dessus, tome V. p. 350.

Il seroit aisé d'ajoûter beaucoup d'autres réflexions sur cette matiere ; mais comme il ne s'agit point ici d'un traité sur la guerre, mais d'expliquer ce qu'elle a de plus général, nous donnerons seulement un précis de la guerre offensive & de la guerre défensive ; l'on dira aussi un mot de la guerre de secours.

De la guerre offensive. Dans la guerre offensive, comme on se propose d'attaquer l'ennemi, il faut être assez exactement informé de ses forces pour être assûré qu'on en aura de plus grandes, ou que l'on sera en état de faire des conquêtes avant qu'il ait le tems de rassembler son armée pour s'y opposer.

" Si le pays que l'on veut attaquer, dit M. de Feuquieres, est bordé de places fortes, il faut attaquer le quartier qui y donne une entrée libre, & qui porte avec plus de facilité vers la capitale, à qui il faut, autant qu'il est possible, au commencement de la guerre, faire voir l'armée, afin d'y jetter la terreur, & tâcher par-là d'obliger l'ennemi de dégarnir quelques-unes des places de la frontiere pour rassûrer le coeur du pays.

Il faut ensuite tomber sur les places dégarnies pour ouvrir davantage le pays attaqué, faire apporter dans ces places après leur prise, tous les dépôts qui étoient dans les vôtres, & faire ainsi la guerre avec plus de commodité.

Lorsqu'on aura pénétré le plus avant qu'on l'aura pû faire, il faut faire camper l'armée en lieu sain & commode pour les fourrages, & même en lieu avantageux par son assiette, afin de pouvoir de-là faire des détachemens considérables, pour réduire par la terreur des armes les extrémités du pays où l'on ne pourroit pas avec sûreté & commodité pour les vivres, se porter avec l'armée entiere ". Mém. de M. le marquis de Feuquieres, tome II. p. 15 & suivantes.

C'est particulierement dans ces commencemens qu'il faut user de diligence pour l'exécution des différens projets qu'on a formés. On vit d'abord aux dépens de l'ennemi, on ruine le pays par où il peut s'assembler, & l'on jette la terreur parmi les troupes & les peuples. " Une bataille, dit l'auteur que nous venons de citer, donnée à-propos dans un commencement de guerre, en décide presque toûjours le succès : ainsi il ne faut point hésiter à la donner, si l'ennemi par quelque mouvement pour mettre ses troupes ensemble, se met à-portée de risquer un évenement ".

Quelque incertain que soit le succès des batailles, il paroît en effet que loin de les éviter au commencement d'une guerre, il faut chercher l'occasion d'en donner. " C'est un paradoxe, dit Montecuculli, que d'espérer de vaincre sans combattre. Le but de celui qui fait la guerre est de pouvoir combattre en campagne pour gagner une victoire ; & quiconque n'a pas dessein d'en venir-là, est éloigné de la fin naturelle de la guerre. On a bien vû, continue ce grand capitaine, des armées foibles en défaire de fortes en campagne ; mais on n'a jamais vû une armée qui se renferme dans un camp fortifié pour éviter le combat, défaire celle qui l'attaque : c'est assez à l'aggresseur que de plusieurs attaques une seule lui réussisse pour le rendre victorieux ". Mém. de Montecuculli, liv. II. chap. vj.

Le gain d'une bataille peut avoir les suites les plus heureuses, lorsque le général a toute la capacité nécessaire pour en profiter ; mais sa perte en a ordinairement de si fâcheuses, qu'on ne doit la risquer qu'avec beaucoup de circonspection. Montecuculli qui conseille d'en chercher l'occasion au commencement de la guerre, observe néanmoins " que dans une matiere si importante on ne peche pas deux fois ; & que quand le mal est arrivé, il ne sert de rien de se repentir & de rejetter sa faute sur celui-ci ou sur celui-là ; qu'il faut beaucoup de fermeté & de présence d'esprit pour pourvoir à tout, & ne pas préférer les murmures de la populace au salut public ; qu'il faut chercher à faire quelque coup d'importance sans tout risquer, parce qu'il n'y eut jamais de prudence à risquer beaucoup pour gagner peu. Mém. de Montecuculli, liv. III. chap. jv.

M. le maréchal de Saxe n'étoit point pour les batailles, sur-tout, dit-il, au commencement d'une guerre. Il prétend, dans ses mémoires, qu'un habile général peut la faire toute sa vie sans s'y voir obligé : " Rien, dit cet illustre général, ne réduit tant l'ennemi que cette méthode (d'éviter les batailles), & n'avance plus les affaires. Il faut, ajoûte-t-il, donner de fréquens combats & fondre, pour ainsi dire, l'ennemi petit-à-petit ; après quoi il est obligé de se cacher ".

Cette méthode est sans-doute plus sûre & plus prudente que la précédente ; mais outre qu'elle demande beaucoup de science & de génie dans le général, il faut observer que si en agissant de cette maniere on se commet moins, on réduit aussi l'ennemi moins promtement : la guerre est alors plus longue & moins décisive. On se ruine en détail sans rien faire de grand : c'est pourquoi cette conduite excellente dans la guerre défensive, ne l'est peut-être pas autant dans l'offensive. " S'imaginer faire des conquêtes sans combattre, c'est, dit Montecuculli, un projet chimérique. Les guerres des Romains qui étoient courtes & grosses, sont, dit-il, bonnes à imiter ; mais on ne les peut faire sans batailles. ".

M. de Puysegur pensoit sur les batailles à-peu-près comme M. le maréchal de Saxe. Selon cet auteur, elles sont la ressource des généraux médiocres qui donnent tout au hasard ; au lieu que ceux qui sont savans dans la guerre, cherchent par préférence les actions où ils peuvent soûtenir les troupes par leur savoir & leur habileté. Voyez BATAILLE.

Il est certain que si l'on peut sans donner de batailles exécuter les différentes choses que l'on s'est proposé, il y auroit une imprudence inexcusable à vouloir en risquer l'évenement : mais il y a plusieurs circonstances où elles sont inévitables. Si par exemple l'ennemi que vous avez en tête attend des secours considérables qui lui donnent la supériorité sur vous ; si les affaires du prince exigent qu'il tire de forts détachemens de votre armée pour aller au secours d'un corps d'armée dans une province éloignée ; si les subsistances manquent & qu'il ne soit pas possible de s'en procurer sans chasser l'ennemi des lieux qu'il occupe : dans ces circonstances & dans beaucoup d'autres qui arrivent à la guerre, les batailles sont absolument nécessaires. M. de Turenne, qui savoit les éviter quand il le falloit, en a donné plusieurs dans des cas de cette espece ; & c'est par cette conduite qu'avec des armées inférieures, il a toûjours sû se conserver la supériorité sur l'ennemi.

Ce qu'il y a d'essentiel à observer dans les batailles, c'est de savoir se soûtenir & ne point se décourager pour avoir été poussé & même battu dans quelques endroits de sa ligne. " C'est être habile, je le veux, dit Polybe, que de faire ensorte après avoir bien commencé une action, que la fin ne démente pas le commencement : mais la gloire est bien plus grande lorsqu'après avoir eu du pire au premier choc, loin d'en être ébranlé & de perdre la tête, on refléchit sur les fautes que les bons succès font commettre à son ennemi, & qu'on les tourne à son avantage. Il est assez ordinaire de voir des gens à qui tout semble prospérer au commencement d'un combat, tourner le dos peu de tems après, & être vaincus ; & d'autres au contraire qui après des commencemens très-desavantageux, savent par leur bonne conduite changer la face des choses, & remporter la victoire lorsqu'on s'y attendoit le moins ". Hist. de Polybe, liv. XI. ch. iij.

Polybe en donne pour exemple la bataille de Mantinée, gagnée par Philopemen sur Machanidas, tyran de Sparte.

Au commencement de cette bataille l'armée de Philopemen fut poussée, même mise en partie en déroute : mais ce grand capitaine ne s'épouvanta pas, & ne perdit pas l'espérance de faire changer la fortune ; il sut remédier au désordre de son armée, & trouver ensuite le moyen de remporter une victoire complete , dans laquelle il tua lui-même Machanidas.

Nous avons un exemple à-peu-près de même espece, rapporté dans les mémoires de M. de Turenne, à la bataille de Nordlingue.

Dans cette bataille, l'aîle droite de l'armée de France fut entierement mise en déroute, le centre battu, & l'aîle gauche un peu poussée. Malgré cela M. le Prince soûtint le combat ; M. de Turenne battit l'aîle droite des ennemis ; & la nuit venant incontinent, les deux aîles qui avoient battu ce qui étoit devant elles, demeurerent en bataille l'une devant l'autre. A une heure après minuit, l'armée ennemie commença à se retirer, &c.

Un des principaux avantages de la guerre offensive, c'est de faire subsister l'armée aux dépens de l'ennemi. Par cette raison, cette guerre peut être moins dispendieuse que la guerre défensive, où l'on est obligé de vivre sur son propre terrein.

" L'empereur Léopold Ignace se plaignant, dit M. de Santa-Cruz, " de ce qu'il ne savoit où prendre des fonds pour payer ses armées, Walstein son général lui répondit, que le remede qu'il y trouvoit étoit de lever une fois plus de troupes. L'empereur lui ayant repliqué comment il pourroit entretenir cent mille hommes, puisqu'il n'avoit pas le moyen d'en faire subsister cinquante mille ; Walstein le satisfit, en lui représentant que cinquante mille hommes tiroient leur subsistance du pays ami, & que cent mille le tireroient du pays ennemi. "

Le prince d'Orange, suivant ce proverbe allemand, il est toûjours bon d'attacher les chevaux aux arbres des ennemis, dit " que celui qui fait une guerre offensive peut, dans un malheur, avoir recours à son propre pays ; parce que n'ayant point souffert de la guerre, on y trouvera abondamment tout ce qui est nécessaire : au lieu que celui qui la soûtient sur ses états, ne sauroit en plusieurs jours faire les préparatifs convenables pour entrer dans le pays ennemi. Enfin en se tenant sur la défensive on ne peut que perdre, ou tout-au-plus conserver ce que l'on a, & en attaquant on peut gagner. Réfl. mil. par M. le marquis de Santa-Cruz, tome IV. ch. ij.

De la guerre défensive. La guerre défensive est beaucoup plus difficile & plus savante que la précédente. Elle demande plus d'adresse, plus de ressource dans l'esprit, & beaucoup plus d'attention dans la conduite.

" Dans la guerre offensive on compte pour rien ce qu'on manque de faire ; parce que les yeux attentifs à ce qui se fait, & remplis d'une action éclatante, ne se tournent point ailleurs, & n'envisagent point ce qu'on pouvoit faire. Dans la guerre défensive, la moindre faute est mortelle, & les disgraces sont encore exagérées par la crainte, qui est le vrai microscope des maux, & on les attribue toutes à un seul homme. On ne regarde que le mal qui arrive, & non ce qui pouvoit arriver de pis, si on ne l'avoit empêché ; ce qui en bonne partie devroit être compté pour un bien ". Mém. de Montecuculli, liv. III. ch. iij.

M. de Feuquieres observe qu'il est bien difficile de prescrire des maximes générales dans cette espece de guerre, parce qu'elle est toute, dit-il, dans la prudence & l'esprit de prévoyance de celui qui la conduit.

" On peut dire seulement qu'elle a été tout-à-fait imprévûe, ou qu'elle n'a pas été prévûe assez tôt, ou que la perte d'une bataille, ou de quelque place considérable, l'a rendue telle, quoiqu'elle eût eu un autre commencement.

Au premier cas, le peu de troupes qu'on a sur pié doit être ménagé ; l'infanterie jettée, selon la quantité des places qu'on a à garder, dans celle que l'on peut croire le plus indispensablement attaquée, abandonnant ainsi à l'ennemi celles qui dans la suite de la guerre pourroient être plus facilement conquises, ou qu'il pourra le plus difficilement conserver. La cavalerie doit être mise en campagne, mais en état d'avoir une retraite sûre ; elle doit incommoder les fourrages & les convois de l'ennemi, empêcher que ses partis ne s'écartent trop de son armée, & ne jettent trop facilement la terreur dans le dedans du pays.

Le plat pays ne doit point être ménagé. Il faut en retirer dans les meilleures places tout ce que l'on peut en ôter, & consumer même par le feu tous les grains & fourrages qu'on ne peut mettre en lieu sûr, afin de diminuer par-là la substance aisée de l'armée ennemie. Les bestiaux doivent être aussi renvoyés dans les lieux les plus éloignés de l'ennemi ; & autant qu'il se peut, couverts de grandes rivieres, où ils trouveront plus de sûreté & une subsistance plus aisée ". Mém. de M. le marquis de Feuquieres, tome II. pag. 2.

Quelque inconvénient qu'il paroisse y avoir à ruiner son pays, c'est pourtant dans des cas pressans une opération indispensable ; " car il vaut mieux, dit un grand capitaine, " se conserver un pays ruiné, que " de le conserver pour son ennemi... C'est une maxime, que nul bien public ne peut être sans quelque préjudice aux particuliers.... aussi un prince ne se peut démêler d'une périlleuse entreprise, s'il veut complaire à tout... & les plus grandes & ordinaires fautes que nous faisons en matiere d'état & de guerre, proviennent de se laisser emporter à cette complaisance, dont le repentir nous vient quand on n'y peut plus remédier ". Parfait capitaine, par M. le duc de Rohan.

Lorsque la guerre n'a pas été absolument imprévûe, qu'on a dû s'y attendre par les dispositions de l'ennemi, par l'augmentation de ses troupes, les amas de vivres & de fourrages dans ses places frontieres ; alors on peut prendre des précautions pour lui résister. Pour cet effet on fait promtement de nouvelles levées de troupes ; on réunit ensemble dans les lieux les plus propres à fermer l'entrée du pays, celles qu'on a déjà sur pié ; & l'on forme des magasins de munitions de toute espece dans les lieux les moins exposés.

On cherche aussi à tirer du secours de ses alliés, soit par des diversions, ou par des corps de troupes. Enfin l'on doit s'appliquer à faire ensorte de n'être point surpris, à bien démêler les desseins de l'ennemi, & à employer tous les expédiens que la connoissance de la guerre, & du pays peuvent suggérer pour lui résister.

Il arrive souvent qu'un prince qui fait la guerre à-la-fois de plusieurs côtés, n'est pas en état de la faire offensivement par-tout ; alors il prend le parti de la défensive du côté où il se croit le plus en sûreté ; mais cette défensive doit être conduite avec tant d'art & de prudence, que l'ennemi ne puisse s'en douter. " Le projet de cette espece de guerre, dit M. de Feuquieres, mérite autant de réflexions & de capacité, qu'aucune autre ; elle ne doit jamais se faire que du côté où l'on est sûr de réduire l'ennemi à passer une riviere difficile, ou un pays serré, coupé de défilés, & lorsqu'on a sur cette riviere une place forte bien munie, que l'on saura être un objet indispensable, par l'attaque de laquelle on pourra présumer qu'il perdra un tems assez considérable pour avoir celui de la secourir ou de le combattre ".

Quoique la guerre défensive soit plus difficile à soûtenir que l'offensive, M. le chevalier Folard prétend que les généraux les plus mal-habiles sont ceux qui la proposent ; au lieu que les plus consommés dans la science des armes cherchent à l'éviter : la raison en est sans-doute, qu'il paroît plus aisé de s'opposer aux desseins de l'ennemi, que d'en former soi-même ; mais avec un peu d'attention on s'apperçoit bien-tôt que l'art de réduire un ennemi à l'absurde, & de deviner tous ses projets, demande plus de capacité & d'intelligence que pour l'attaquer à force ouverte, & le faire craindre pour son pays. Si l'ennemi peut pénétrer qu'on a dessein de se tenir sur la défensive à son égard, il doit devenir plus entreprenant. " Ajoûtez à cela, dit le savant commentateur de Polybe, qu'une défensive ruine l'état, si elle dure long-tems ; car outre qu'elle n'est jamais sans quelque perte, ou sans la ruine de notre frontiere que nos armées mangent, c'est que comme on craint également que l'ennemi coule sur toute sa ligne de communication, pour couper ou pénétrer la nôtre pour faire quelques conquêtes, on se voit obligé de munir extraordinairement toutes les places de cette frontiere, parce qu'elles se trouvent également menacées : & quel est le prince assez puissant, continue ce même auteur, pour fournir toutes ses forteresses de vivres & de munitions de guerre pour soûtenir un long siége " ?

Lorsque par les évenemens d'une guerre malheureuse on est dans le cas de craindre de se commettre avec l'ennemi, il faut éviter les actions générales en plaine, & chercher, comme le faisoit Fabius Maximus, à harceler l'ennemi, lui couper ses vivres & ses fourrages, s'appliquer à ruiner son armée en détail, en se tenant toûjours à-portée de profiter de ses fautes, en occupant des postes sûrs & avantageux, où sa supériorité ne soit point à craindre ; en un mot " fuir, comme le dit M. Folard, toute occasion de combattre où la supériorité du nombre peut beaucoup, & chercher celles où le pays militera pour nous : mais il n'appartient pas, dit-il, aux généraux médiocres de faire la guerre de cette sorte ; & lorsqu'un prince est assez heureux pour avoir des généraux du premier ordre à son service, il n'a garde de les brider. Contre ceux-ci, Dieu n'est pas toûjours pour les gros bataillons. M. de Turenne a fait voir mille fois que cette maxime étoit fausse, & elle l'est en effet à l'égard des grands capitaines & des officiers expérimentés. " Comm. sur Polybe, liv. V. chap. xij.

Lorsqu'on veut empêcher l'ennemi de pénétrer dans un pays fermé de montagnes & de défilés, il est bien difficile de s'assûrer de les garder tous également ; car comme l'ennemi peut donner de la jalousie de plusieurs côtés, il vous oblige par-là de partager vos forces ; ce qui fait qu'on ne se trouve pas en état de résister dans le lieu où il fait ses plus grands efforts. Dans le cas de cette espece, & lorsqu'on est à-peu-près égal en force à l'ennemi, il faudroit s'attacher à le mettre lui-même sur la défensive : c'est le moyen de déranger ses projets, & de l'occuper de la conservation de son pays. Si l'on peut réussir, on éloigne la guerre de ses frontieres ; mais si l'entreprise paroît trop difficile, il faut faire ensorte que l'ennemi ne trouve aucune subsistance dans les lieux où il aura pénétré, qu'il s'y trouve gêné & à l'étroit par un bon corps d'armée qui occupe un camp sûr & avantageux, & qu'il ne lui permette pas de pouvoir aller en-avant. C'est un principe certain, que le partage des forces les diminue, & qu'en voulant se défendre de tous côtés, on se trouve trop foible partout : c'est pourquoi le parti le plus sûr dans les occasions où l'on craint pour plusieurs endroits à-la-fois, est de réunir ses forces ensemble, de maniere que s'il est nécessaire de combattre, on le fasse avec tout l'effort dont on est capable. C'est par cette raison qu'un général habile qui a des lignes d'une grande étendue à garder, trouve plus avantageux d'aller au-devant de l'ennemi, pour le combattre avec toutes ses forces, que de se voir forcé dans des retranchemens. Voyez LIGNE.

De la guerre de secours. Un prince secourt ses voisins à cause des alliances ou des traités qu'il a faits avec eux ; il le fait aussi souvent pour les empêcher de succomber sous la puissance d'un prince ambitieux que la prudence demande qu'on arrête de bonne heure : car, comme le dit très-judicieusement le chevalier de Ville, on ne doit pas rester tranquille lorsque le feu est aux maisons voisines ; autrement on en sentira bien-tôt les effets.

Lorsqu'on donne du secours à un prince en vertu des traités, la justice & l'équité exigent qu'on lui tienne exactement tout ce qu'on lui a promis, soit pour lui fournir un certain nombre de troupes, soit pour attaquer soi-même l'ennemi de son allié, si l'on est à portée de le faire.

Si l'on donne des secours à un prince pour l'empêcher d'être opprimé par une puissance formidable qui veut envahir son pays, la prudence demande qu'avant de le faire, on prenne toutes les sûretés convenables pour que le prince attaqué ne fasse pas la paix à votre préjudice & sans votre participation.

Pour cet effet, on doit exiger quelques places de sûreté qui puissent garantir la fidélité du prince auquel on donne du secours.

" Que si, comme il arrive souvent, dit M. de Feuquieres, la jalousie que l'on aura sujet de prendre d'un prince inquiet & ambitieux, a formé les alliances dans lesquelles on est entré, & qu'on se trouve hors de portée de joindre ses troupes à celles de l'état attaqué, il faut en ce cas-là le secourir ou par argent qu'on lui fournira, ou par des diversions dans le pays de l'attaquant, qui le forcent à diviser ses armées, & qui l'empêchent de pousser ses conquêtes avec trop de rapidité ".

Lorsqu'un prince envoye un corps de troupes au secours d'un autre prince, " le général de ses troupes doit être sage & prévoyant, pour maintenir la discipline dans son corps, de maniere que le prince allié ne fasse point de plaintes contre lui, & prévoyant, pour que ses troupes ne tombent dans aucun besoin pour les subsistances, & qu'elles ne soient exposées au péril de la guerre qu'avec proportion de ses forces à celles du prince allié, & enfin pour qu'il ne se passe rien à son insû dans le cabinet du prince allié, qui puisse être préjudiciable à son maître ". Mémoires de M. de Feuquieres, tome II. pag. 32 & suiv.

De la guerre des siéges. Quoique nous ayons exposé fort brievement ce qui concerne les guerres précédentes, nous serons encore plus succints sur celle des siéges.

Nous observerons seulement qu'on ne doit entreprendre aucun siége que lorsqu'on a acquis quelque supériorité sur l'ennemi par le gain d'une bataille ou d'un combat, ou bien lorsqu'on est en état en se mettant de bonne heure en campagne, de finir le siége avant que l'ennemi ait eu le tems d'assembler une armée pour s'y opposer. Une armée qui fait un siége s'affoiblit toûjours beaucoup : par conséquent si elle est de pareille force que celle de l'ennemi, elle devient alors inférieure ; c'est pourquoi pour éviter tout inconvénient à cet égard, il ne faut se livrer à ces sortes d'entreprises, que lorsqu'on peut présumer que l'ennemi ne pourra empêcher de les terminer heureusement. Il y a des places dont la disposition du terrein des environs est si favorable pour une armée d'observation, qu'il est difficile à l'ennemi, lorsqu'on y est une fois établi, de vous y attaquer avec avantage. Mais comme ces situations ne sont pas ordinaires, les habiles généraux pensent qu'il faut être maître de la campagne, pour faire un siége tranquillement.

On doit avoir pour objet principal à la guerre, celui de pousser son ennemi & de l'empêcher de paroître ; lorsqu'on y est parvenu, les siéges se font sans difficulté & sans inquiétude : à l'égard des différentes opérations du siége, voyez ATTAQUE DES PLACES, INVESTISSEMENT, CIRCONVALLATION, DEFENSE, SIEGE, TRANCHEES, &c.

Avant de finir cet article, observons que les succès à la guerre dépendent non-seulement du général, mais encore des officiers généraux qui sont sous ses ordres, & de ceux qui sont chargés du détail des subsistances : si le général n'en est pas bien secondé, les projets les mieux pensés & les mieux entendus peuvent manquer dans l'exécution, sans qu'il y ait aucune faute de sa part : on veut cependant le rendre responsable de tout ; & ce qui est encore plus singulier, tout le monde veut s'ingérer de juger de sa conduite, & chacun s'en croit capable. Cette manie n'est pas nouvelle.

" Il y a des gens, disoit Paul-émile, qui dans les cercles & les conversations, & même au milieu des repas, conduisent les armées, reglent les démarches du consul, & prescrivent toutes les opérations de la campagne : ils savent mieux que le général qui est sur les lieux, où il faut camper & de quel poste il faut se saisir, où il est à-propos d'établir des greniers & des magasins ; par où, soit par terre soit par mer, on peut faire venir des vivres ; quand il faut en venir aux mains avec l'ennemi, & quand il faut se tenir en repos : & non-seulement ils prescrivent ce qu'il y a de meilleur à faire ; mais pour peu qu'on s'écarte de leur plan, ils en font un crime au consul, & ils le citent à leur tribunal.

Sachez, Romains, que cette licence qu'on se donne à Rome apporte un grand obstacle au succès de vos armées & au bien public. Tous vos généraux n'ont pas la fermeté & la constance de Fabius, qui aima mieux voir son autorité insultée par la témérité d'une multitude indiscrette & imprudente, que de ruiner les affaires de la république en se piquant à contre-tems de bravoure pour faire cesser des bruits populaires.

Je suis bien éloigné de croire que les généraux n'ayent pas besoin de recevoir des avis ; je pense au contraire que quiconque veut seul tout conduire par ses seules lumieres & sans consulter, marque plus de présomption que de sagesse. Que peut-on donc exiger raisonnablement ? c'est que personne ne s'ingere de donner des avis à vos généraux, que ceux premierement qui sont habiles dans le métier de la guerre, & à qui l'expérience a appris ce que c'est que de commander ; & secondement ceux qui sont sur les lieux, qui connoissent l'ennemi, qui sont en état de juger des différentes conjonctures, & qui se trouvant embarqués comme dans un même vaisseau, partagent avec nous tous les dangers. Si donc quelqu'un se flatte de pouvoir m'aider de ses conseils dans la guerre dont vous m'avez chargé, qu'il ne refuse point de rendre ce service à la république, & qu'il vienne avec moi en Macédoine ; galere, chevaux, tentes, vivres, je le défrayerai de tout. Mais si l'on ne veut pas prendre cette peine, & qu'on préfere le doux loisir de la ville aux dangers & aux fatigues du camp, qu'on ne s'avise pas de vouloir tenir le gouvernail en demeurant tranquille dans le port : s'ils ont une si grande demangeaison de parler, la ville par elle-même leur fournit assez d'autres matieres ; celle-ci n'est point de leur compétence ".

L'abus dont se plaint Paul-émile dans ce discours dicté par le bon sens & la raison, nous montre, dit M. Rollin, qui le rapporte dans son histoire romaine, que les hommes dans tous les tems sont toûjours les mêmes.

On se fait un plaisir secret & comme un mérite d'examiner, de critiquer, & de condamner la conduite des généraux, & l'on ne s'apperçoit pas qu'en cela on peche visiblement & contre le bon-sens & contre l'équité : contre le bon-sens ; car quoi de plus absurde & de plus ridicule que de voir des gens sans aucune connoissance de la guerre & sans aucune expérience, s'ériger en censeurs des plus habiles généraux, & prononcer d'un ton de maître sur leurs actions ? contre l'équité ; car les plus experts même n'en peuvent juger sainement s'ils ne sont sur les lieux ; la moindre circonstance du tems, du lieu, & de la disposition des troupes, des ordres même secrets qui ne sont pas connus, pouvant changer absolument les regles ordinaires. Mais il ne faut pas espérer qu'on se corrige de ce défaut, qui a sa source dans la curiosité & dans la vanité naturelle à l'homme ; & les généraux, à l'exemple de Paul-émile, font sagement de mépriser ces bruits de ville, & ces rumeurs de gens oisifs sans occupation & souvent sans jugement. Hist. rom. tome VIII. pag. 119.

Outre les différentes guerres précédentes, il y en a une particuliere qui se fait avec peu de troupes par des détachemens ou des partis, à laquelle on donne le nom de petite guerre ; ceux qui commandent ces petits corps de troupes sont appellés partisans.

Ils servent à mettre le pays ennemi à contribution ; à épier, pour ainsi dire, toutes les démarches du général ennemi : pour cet effet, ils rodent continuellement autour de son camp, ils y font des prisonniers qui donnent souvent des lumieres sur ses desseins ; on s'instruit par ce moyen de tout ce que fait l'ennemi, des différentes troupes qu'il envoye à la guerre, & des fourrages qu'il ordonne. En un mot cette guerre est absolument nécessaire non-seulement pour incommoder & harceler l'ennemi dans toutes ses opérations, mais pour en informer le général ; ce qui le met en état de n'être point surpris. Rien ne contribue plus à la sûreté d'une armée que les partis, lorsqu'ils sont commandés par des officiers habiles & intelligens. Voyez PARTIS, PARTISANS, & l'article suivant.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que de la guerre de terre : la guerre navale ou la guerre de mer demanderoit beaucoup plus de détails ; mais nous nous contenterons d'observer que cette guerre peut heureusement seconder celle de terre, dans les pays ou les royaumes à portée de la mer.

Les armées navales assûrent les côtes, elles peuvent dispenser d'employer un grand nombre de troupes pour les garder. " Je pense, dit M. de Santa-Cruz sur ce sujet, qu'il faut que vos armées navales soient supérieures, ou n'en point avoir du-tout, à l'exception de quelques galeres qui servent toûjours soit pour garder les côtes contre les corsaires, soit pour les secours. Un prince puissant sur mer évite la dépense de beaucoup de troupes, il se rend sans opposition maître des îles des ennemis, en leur coupant par ses vaisseaux tous les secours de terre-ferme ; il ruine le commerce de ses ennemis, & rend libre celui de ses états, en faisant escorter par des vaisseaux de guerre ceux des marchands, qui payent au-delà de l'escorte.

Celui qui est supérieur sur mer fait avec les princes neutres tous les traités de Commerce aussi avantageux qu'il veut ; il tient dans le respect les pays les plus éloignés, qui pour n'avoir pas eu tous les égards convenables, ont lieu de craindre un débarquement ou un bombardement. Quand même les ennemis, pour garder leurs côtes, seroient forcés de faire la dépense d'entretenir beaucoup de troupes ; si la frontiere de mer est longue, ils ne sauroient vous empêcher de prendre terre, & de piller une partie de leur pays, ou de surprendre quelque place, parce que votre flotte qui menace un endroit, pourra au premier vent favorable, arriver infiniment plutôt à un autre que ne sauroient faire les régimens ennemis qui avoient accouru à l'endroit où votre armée navale les appelloit d'abord ; & chacun comprend aisément qu'il est impossible que les ennemis ayent cent lieues de côtes de mer assez bien garnies & retranchées, sans qu'il soit nécessaire pour empêcher un débarquement, que les troupes d'un autre poste accourent pour soûtenir celles du poste où se fait la descente ".

Les forces navales sont en effet si importantes, qu'elles ne doivent jamais être négligées. " La mer, dit un grand ministre, est celui de tous les héritages sur lequel tous les souverains prétendent plus de part, & cependant c'est celui sur lequel les droits d'un chacun sont moins éclaircis : l'empire de cet élément ne fut jamais bien assûré à personne ; il a été sujet à divers changemens, selon l'inconstance de sa nature. Les vieux titres de cette domination sont la force & non la raison ; il faut être puissant pour prétendre à cet héritage. Jamais un grand état ne doit être dans le cas de recevoir une injure, sans pouvoir en prendre revanche " ; & l'on ne le peut à l'égard des puissances maritimes, que par les forces navales.

" Dans l'établissement d'une puissance navale, il faut éviter, dit M. le marquis de Santa-Cruz, de risquer par le sort d'un combat votre marine naissante, & de tenir vos vaisseaux dans des ports où les ennemis pourroient les détruire.

Il faut bien payer les naturels du pays qui fréquentent les côtes ennemies, & qui vous donnent des avis promts & sûrs de l'armement & des voyages de leurs escadres ; assembler secrettement vos vaisseaux pour attaquer une escadre des ennemis inférieure, & qui se seroit séparée des autres ; si les ennemis sont en mer avec une grosse armée navale, ne faire cette année dans la Marine, que la dépense absolument nécessaire pour bien entretenir dans des ports sûrs vos gros vaisseaux & quelques frégates sur mer, afin que votre nation ne cesse pas entierement de s'exercer dans la navigation, & qu'elle puisse traverser un peu le commerce des ennemis, qui est toûjours considérable à proportion de leurs armées navales ".

Cet auteur donne différens conseils qui peuvent contribuer à la sûreté des corsaires qui courent sur l'ennemi. " Il faut, dit-il, qu'ils ayent dans les ports marchands des correspondances avec divers patrons de felouques & d'autres legers bâtimens neutres, pour leur donner avis du tems que les bâtimens ennemis doivent sortir des ports sans escorte ; & si leurs navires gardes-côtes en sont sortis pour côtoyer, ou s'ils ont jetté l'ancre. Ces patrons doivent être d'une fidélité reconnue & de beaucoup de secret, pour pouvoir leur confier sur quelle côte ou sur quel cap ils rencontreront chacun de vos corsaires, depuis un tel tems jusqu'à tel autre : vos corsaires conviendront avec eux des signaux de reconnoissance, de peur qu'ils ne craignent d'en approcher ". Réflexions milit. de M. le marquis de Santa-Cruz, tome IV. ch. x. (Q)

GUERRE ; envoyer à la guerre, aller à la guerre, se dit d'un détachement dont le général de l'armée donne le commandement à un officier de confiance, pour investir une place, pour couvrir ou attaquer un convoi, pour reconnoître l'ennemi, entreprendre sur les quartiers, sur les gardes ou sur les postes avancés, enlever des ôtages, établir des contributions, & souvent pour marcher en-avant, reconnoître un camp & couvrir un fourrage ou quelqu'autre manoeuvre de l'armée.

Les détachemens de guerre réguliers sont commandés à l'ordre, les officiers principaux y sont nommés ; l'état major de l'armée commande selon leur ancienneté, les brigadiers, les colonels, & les lieutenans-colonels ; les brigades qui doivent fournir les troupes sont nommées à l'ordre ; les majors de brigade commandent les capitaines à marcher, & prennent ce service par la tête, comme service d'honneur. Chaque troupe est de cinquante hommes ; quelquefois on met doubles officiers à chaque troupe ; les compagnies de grenadiers qui doivent y marcher sont nommées à l'ordre.

Ces détachemens s'assemblent à l'heure & au rendez-vous marqués sur l'ordre : le commandant après avoir reçû du général les instructions & son ordre, se met en marche pour sa destination ; il envoye des nouvelles au général à mesure qu'il découvre quelque chose d'intéressant ; il s'applique à bien exécuter la commission dont il est chargé, & avec l'intelligence & la capacité qu'on est en droit d'exiger d'un officier que le roi a déjà honoré d'un grade supérieur.

Quelquefois le général de l'armée commande des détachemens dont il veut dérober la connoissance aux transfuges & aux espions qui pourroient être dans son armée : on prend alors toutes les précautions nécessaires pour que rien ne transpire jusqu'au moment où l'on fait marcher les troupes que chaque major de brigade commande, & qu'il envoye avec un guide au rendez-vous général.

Le général n'est point assujetti à confier ces détachemens aux plus anciens officiers généraux ; il peut & doit même les donner à ceux qui méritent le plus sa confiance, & sur-tout à ceux dans lesquels il a reconnu du zéle, de la prudence, & de l'activité, & qui ont prouvé leur desir de se rendre capables d'exécuter de pareilles commissions, en allant souvent en détachement même sans être commandés, pendant qu'ils ont servi dans des grades inférieurs.

On envoye souvent à la guerre de petits détachemens irréguliers depuis cinquante jusqu'à trois cent hommes ; quoique les objets qu'ils ont à remplir paroissent de moindre importance que ceux des détachemens réguliers, on verra par les détails suivans, quelle est leur utilité pour la guerre de campagne, & combien ils sont propres à développer le génie & à former des officiers utiles & distingués.

Anciennement on nommoit partis ces sortes de petits détachemens, & l'officier qui les commandoit partisan. Ces partis se donnoient alors le plus ordinairement à des officiers de fortune ; & quoiqu'il n'y ait aucune espece de service qui ne soit honorable, malheureusement il n'étoit pas d'usage pour des officiers d'un certain grade de demander à les commander. Aujourd'hui l'émulation & le véritable esprit de service ont changé ce système, qu'une vanité très déplacée avoit seule établi. Les officiers les plus distingués d'un corps demandent ces petits détachemens avec ardeur ; & les jeunes officiers qui desirent apprendre leur métier & se former une réputation, viennent s'offrir avec empressement, & même comme simples volontaires, pour marcher sous les ordres d'un officier expérimenté.

Feu M. le maréchal de Saxe avoit souvent employé de petits détachemens de cette espece pendant sa savante campagne de Courtray ; sa position, le peu de troupes qu'il avoit, la nécessité plus pressante alors que jamais d'être bien averti, lui avoit fait choisir des officiers de réputation pour les commander. M. le comte d'Argenson saisit ce moment pour détruire à jamais un faux système, dont la nation eût pu rappeller le souvenir. Il obtint du Roi des pensions sur l'ordre de S. Loüis & des grades, pour ceux qui s'étoient distingués.

Ces sortes de détachemens ne sont jamais commandés à l'ordre ; les officiers, les soldats même qui marchent, ne suivent point leur rang. Le commandant avertit en secret les officiers dont il a besoin : ce sont eux qui choisissent dans leurs régimens le nombre de soldats de confiance & de bonne volonté qu'ils sont convenus de mener avec eux : ces petites troupes se rendent séparément au rendez-vous marqué ; elles ne portent avec elles que du pain, leurs munitions, & leurs armes. Pendant la derniere guerre, feu M. de Maeric & M. de Nyhel, lieutenant-colonel d'infanterie & major du régiment de Dillon, n'ont jamais souffert dans leur détachement rien qui pût en embarrasser la marche ou les exposer à être découverts. Ils marchoient à pié à la tête de leur troupe ; un seul cheval portoit les manteaux des officiers. Arrivés au rendez-vous, ils faisoient une inspection sévere, & renvoyoient au camp tous ceux qui n'étoient point en état de bien marcher & de combattre.

Rien n'est plus essentiel pour la tranquillité d'une armée, & pour avoir des nouvelles certaines de l'ennemi, que ces petits détachemens ; ne marchant presque jamais que la nuit, s'embusquant dans des postes avantageux, quelquefois ces petites troupes suffisent pour porter le desordre en des postes avancés, & faire retirer de gros détachemens qui se mettroient en marche. La méthode de M. de Maeric fut toûjours d'attaquer fort ou foible en colonne ou par pelotons, dès qu'il ne pouvoit être tourné, & que le fond & le nombre de la troupe ne pouvoit être reconnu.

Le commandant doit avoir soin d'examiner les routes par lesquelles il peut se retirer, & d'en faire prendre connoissance aux officiers qui commandent les divisions, afin que chacune puisse se retirer séparément, si la retraite en troupe est trop difficile ; il faut donc alors un rendez-vous & un mot de ralliement.

Il lui est important de savoir parler la langue du pays où il agit, & même celle de la nation contre laquelle on fait la guerre ; si cette partie lui manque, il doit choisir, en composant la troupe, des officiers propres à bien parler ces langues dans l'occasion. La connoissance du pays lui est absolument nécessaire ; il est bon même qu'il choisisse autant qu'il est possible pour son détachement quelques officiers ou soldats du pays où il agit.

Il faut sur-tout qu'il se mette en état de pouvoir rendre compte à son retour des chemins frayés, de ceux qu'on peut faire, des ruisseaux, des ravins, des marais, & en général de tout ce qui peut assûrer, faciliter, ou mettre obstacle à la marche d'une armée dans le pays qu'il aura parcouru.

Ces connoissances sont essentielles pour le général & le maréchal général des logis de l'armée ; & l'objet principal de l'officier détaché est de les mettre en état de diriger l'ordre de marche de l'armée, sur le détail qu'il leur fait de la nature du pays & des terreins.

Lorsque ses connoissances & son intelligence lui permettent même de reconnoître l'assiette d'un camp en-avant, son devoir est de l'examiner assez pour pouvoir juger ensuite si l'état présent de son terrein se rapporte exactement aux cartes du général ; s'il est en état d'en lever un plan figuré, le compte qu'il rendra sera d'autant plus utile & digne de loüange.

Il doit faire observer une sévere discipline & un grand silence ; il n'annoncera jamais ce qu'il doit faire qu'à quelque officier de confiance qui puisse le remplacer ; il doit rendre compte aux jeunes officiers des motifs qui l'ont fait agir dans tout ce qu'il a fait avec eux. Tout officier qui donne la marque d'estime à un commandant de détachement de marcher de bonne volonté sous ses ordres, mérite de lui l'instruction qu'il desire d'acquérir.

Ces petits détachemens que le soldat qui reste au camp sait être en-avant, sont aussi très-utiles pour empêcher la maraude & la desertion ; ils peuvent favoriser nos espions, intercepter ceux de l'ennemi ; en un mot cette espece de service est également utile aux opérations de la campagne, au service journalier de l'armée, à développer le génie, à faire naître les talens, & à former de bons officiers. Cet article est de M. le Comte DE TRESSAN.

GUERRE, (HOMME DE) c'est celui qui se rend propre à exécuter avec force, adresse, exactitude & célérité, tous les actes propres à le faire combattre avec avantage.

Cette partie de l'éducation militaire fut toûjours en grand honneur chez les anciens, & le fut parmi nous jusqu'au milieu du dernier siecle. Elle a été depuis trop négligée. On commence à s'occuper plus sérieusement à la remettre en vigueur ; mais on éprouve ce qui doit arriver toûjours de la langueur où l'on a laissé tomber les arts utiles. Il faut vaincre aujourd'hui la mollesse, & détruire l'habitude & le préjugé.

Les exercices du corps si nécessaires à l'homme de guerre, étoient ordonnés chez les Grecs par des lois que les Ephores & les Archontes soûtinrent avec sévérité. Ces exercices étoient publics. Chaque ville avoit son gymnase où la jeunesse étoit obligée de se rendre aux heures prescrites. Le gymnastique chef de ces exercices étoit revêtu d'une grande autorité, & toûjours choisi par élection parmi les citoyens les plus expérimentés & les plus vertueux. Les jeux olympiques, Néméens, Isthmiens & les Pithiens, ne furent institués que pour juger des progrès que la jeunesse faisoit dans les exercices. On y décernoit des prix à ceux qui avoient remporté la victoire à la course, & dans les combats de la lutte, du ceste, & du pugilat. C'est ainsi que la Grece, trop foible contre la multitude d'ennemis qu'elle avoit souvent à combattre, multiplioit ses forces, & préparoit ses enfans à devenir également intrépides & redoutables dans les combats.

On en voit un exemple bien frappant dans l'action vraiment héroïque des trois cent Lacédémoniens qui défendirent le pas des Thermopyles ; le courage seul n'eût pu suffire à leur petit nombre pour soûtenir si long-tems les efforts redoublés d'une armée presque innombrable, s'ils n'eussent joint la plus grande force & l'adresse à leur dévouement entier à la défense de la patrie.

Le même art fut cultivé chez les Romains ; & leurs plus grands capitaines en donnerent l'exemple. Marcellus, César & Antoine, traversoient couverts de leurs armes des fleuves à la nage ; ils marchoient à pié & tête nue à la tête des légions, depuis Rome jusqu'aux extrémités des Alpes, des Pyrénées, & du Caucase. Les dépouilles opimes offertes à Jupiter Férétrien furent toûjours regardées comme l'action la plus héroïque ; mais bien-tôt le luxe & la mollesse s'introduisirent, lorsque la voix de Caton & son souvenir eurent perdu leurs droits dans la capitale du monde. Si le siecle d'Auguste vit les Arts se perfectionner, les Belles-Lettres l'éclairer, les moeurs se polir, il vit aussi dégénérer toutes les qualités qui avoient rendu les Romains les maîtres de toutes les autres nations.

Les exercices du corps se soûtinrent long-tems parmi les Scythes, les Gaulois, & les Germains ; mais il n'est point de nation où ils ayent été plus long-tems pratiqués que chez les François.

Avant l'invention des armes-à-feu, la chevalerie françoise décidoit seule du gain d'une bataille ; & lorsque nous voyons dans les arsenaux les anciennes armes offensives & défensives dont elle se servoit, nous avons peine à concevoir comment il étoit possible d'en faire usage.

La nature cependant n'a point dégénéré. Les hommes sont les mêmes qu'ils étoient ; mais l'éducation est bien différente. On accoûtumoit alors les enfans à porter de certains poids qu'on augmentoit peu-à-peu ; on les exerçoit dès que leur force commençoit à se déployer ; leurs muscles s'endurcissoient en conservant la souplesse. C'est ainsi qu'on les formoit aux plus durs travaux. L'éducation & l'habitude font presque tout dans les hommes, & les enfans des plus grands-seigneurs n'étoient point exempts de ces exercices violens ; souvent même un pere envoyoit son fils unique pour être élevé à l'exercice des armes & de la vertu chez un autre chevalier, de peur que son éducation ne fût pas suivie avec assez de rigidité dans la maison paternelle. On nommoit cette espece d'éducation nourriture ; & l'on disoit d'un brave chevalier, qu'il avoit reçu chez tel autre une bonne & loüable nourriture. Rien ne pouvoit dispenser de cette éducation militaire tous ceux qui prétendoient à l'honneur d'être armés chevaliers. Quelles actions héroïques de nos rois & de nos princes ne lisons-nous pas dans notre histoire !

Quoique l'usage des armes-à-feu ait changé le système de combattre dans presque toute l'Europe, les exercices propres à former l'homme de guerre se sont soûtenus jusqu'à la minorité du feu roi ; mais alors les tournois & les combats de la barriere avec des armes pesantes dégénérerent en course de bague & de têtes & en carrousels. Les armes défensives furent changées en ornemens somptueux & en livrées galantes ; bien-tôt l'art de combattre de sa personne fut négligée ; la mollesse s'introduisit au point de craindre même de se servir de la seule arme défensive qui nous reste de l'ancienne chevalerie ; & la cuirasse devenant un poids trop incommode, on attacha l'idée d'une fine valeur à ne s'en plus servir.

Les ordonnances du Roi ont remédié à cet abus ; & la raison éclairée démontre à l'homme de guerre que lorsqu'il ne se tient pas en état de bien combattre de sa personne, il s'expose à devenir inutile à lui-même & à sa patrie en beaucoup d'occasions, & à donner l'exemple de la mollesse à ceux qui sont sous ses ordres.

La valeur est sans-doute la vertu la plus essentielle à l'homme de guerre ; mais heureusement c'est la plus commune. Eh, que seroit-il, s'il ne la possédoit pas ?

Il n'est personne qui dans le fond de son coeur ne se rende justice à soi-même. L'homme de guerre doit se connoître, s'apprécier avec sévérité ; & lorsqu'il ne se sent pas les qualités qui lui sont nécessaires, il manque à la probité, il manque à sa patrie, à son roi, à lui-même, s'il s'expose à donner un mauvais exemple, & s'il occupe une place qui pourroit être plus dignement remplie.

Le mérite de l'homme de guerre est presque toûjours jugé sainement par ses pareils ; il l'est encore avec plus de justice & de sévérité par le simple soldat.

On ne fait jamais plus qu'on ne doit à la guerre. C'est s'exposer à un deshonneur certain, que de négliger d'acquérir les connoissances nécessaires au nouveau grade qu'on est sûr d'obtenir ; mais malheureusement rien n'est si commun.

Nous n'entrerons point ici dans les détails de la science immense de la guerre. Que pourrions-nous dire qui puisse égaler les écrits immortels des Vauban, des Feuquieres, & des Puységur ?

Au reste, on se feroit une idée très-fausse de l'homme de guerre, si l'on croyoit que tous ses véritables devoirs sont renfermés dans un art militaire qu'il ne lui est pas permis d'ignorer. Exposé sans-cesse à la vûe des hommes, destiné par état à les commander, le véritable honneur doit lui faire sentir qu'une réputation intacte est la premiere de toutes les récompenses.

Nous nous renfermons ici dans les seuls devoirs respectifs des hommes. L'homme de guerre n'est dispensé d'en remplir aucun. Si par des circonstances toûjours douloureuses pour une belle ame il se trouve dans le cas de pouvoir se dire comme Abner,

Ministre rigoureux des vengeances des rois ;

qu'il reçoive, qu'il excite sans-cesse dans son ame les sentimens de ce même Abner ; qu'il distingue le mal nécessaire que les circonstances l'obligent à faire, d'avec le mal inutile & les brigandages qu'il ne doit point tolérer ; qu'au milieu des spectacles cruels & des desordres qu'enfante la guerre, la pitié trouve toûjours un accès facile dans son coeur ; & que rien ne puisse jamais en bannir la justice, le desintéressement, & l'amour de l'humanité. Article de M. le Comte DE TRESSAN.

GUERRE, (Droit naturel & Politique) c'est, comme on l'a dit plus haut, un différend entre des souverains, qu'on vuide par la voie des armes.

Nous avons hérité de nos premiers ayeux,

Dès l'enfance du monde ils se faisoient la guerre.

Elle a regné dans tous les siecles sur les plus legers fondemens ; on l'a toûjours vû désoler l'univers, épuiser les familles d'héritiers, remplir les états de veuves & d'orphelins ; malheurs déplorables, mais ordinaires ! De tout tems les hommes par ambition, par avarice, par jalousie, par méchanceté, sont venus à se dépouiller, se brûler, s'égorger les uns les autres. Pour le faire plus ingénieusement, ils ont inventé des regles & des principes qu'on appelle l'Art militaire, & ont attaché à la pratique de ces regles l'honneur, la noblesse, & la gloire.

Cependant cet honneur, cette noblesse, & cette gloire consistent seulement à la défense de sa religion, de sa patrie, de ses biens & de sa personne, contre des tyrans & d'injustes aggresseurs. Il faut donc reconnoître que la guerre sera légitime ou illégitime, selon la cause qui la produira ; la guerre est légitime, si elle se fait pour des raisons évidemment justes ; elle est illégitime, si on la fait sans une raison juste & suffisante.

Les souverains sentant la force de cette vérité, ont grand soin de répandre des manifestes pour justifier la guerre qu'ils entreprennent, tandis qu'ils cachent soigneusement au public, ou qu'ils se cachent à eux-mêmes les vrais motifs qui les déterminent. Ainsi dans la guerre d'Alexandre contre Darius, les raisons justificatives qu'employoit ce conquérant, rouloient sur les injures que les Grecs avoient reçûes des Perses ; les vrais motifs de son entreprise étoient l'ambition de se signaler, soûtenue de tout l'espoir du succès. Il ne seroit que trop aisé d'apporter des exemples de guerres modernes entreprises de la même maniere, & par des vûes également odieuses ; mais nous n'approcherons point si près des tems où nos passions nous rendent moins équitables, & peut-être encore moins clairvoyans.

Dans une guerre parfaitement juste, il faut non-seulement que la raison justificative soit très-légitime, mais encore qu'elle se confonde avec le motif, c'est-à-dire que le souverain n'entreprenne la guerre que par la nécessité où il est de pourvoir à sa conservation. La vie des états est comme celle des hommes, dit très-bien l'auteur de l'esprit des lois ; ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle, ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation : dans le cas de la défense naturelle, j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui ; de même un état fait la guerre justement, parce que sa conservation est juste, comme toute autre conservation.

Le droit de la guerre dérive donc de la nécessité & du juste rigide. Si ceux qui dirigent les consciences ou les conseils des princes ne se bornent pas là, tout est perdu ; car les principes arbitraires de gloire, de bienséance, d'aggrandissement, d'utilité, ne sont pas des droits, ce sont des horreurs ; si la réputation de la puissance d'un monarque peut augmenter les forces de son royaume, la réputation de sa justice les augmenteroit de même.

Mais toute guerre est injuste dans ses causes, 1°. lorsqu'on l'entreprend sans aucune raison justificative, ni motif d'utilité apparente, si tant est qu'il y ait des exemples de cette barbarie : 2°. lorsqu'on attaque les autres pour son propre intérêt, sans qu'ils nous ayent fait de tort réel, & ce sont-là de vrais brigandages : 3°. lorsqu'on a des motifs fondés sur des causes justificatives spécieuses, mais qui bien examinées sont réellement illégitimes : 4°. lorsqu'avec de bonnes raisons justificatives, on entreprend la guerre par des motifs qui n'ont aucun rapport avec le tort qu'on a reçu, comme pour acquérir une vaine gloire, se rendre redoutable, exercer ses troupes, étendre sa domination, &c. Ces deux dernieres sortes de guerre sont très-communes & très-iniques. Il faut dire la même chose de l'envie qu'auroit un peuple, de changer de demeure & de quitter une terre ingrate, pour s'établir à force ouverte dans un pays fertile ; il n'est pas moins injuste d'attenter par la voie des armes sur la liberté, les vies, & les domaines d'un autre peuple, par exemple des Américains, sous prétexte de leur idolatrie. Quiconque a l'usage de la raison, doit jouir de la liberté de choisir lui-même ce qu'il croit lui être le plus avantageux.

Concluons de ces principes que toute guerre juste doit se faire pour nous défendre contre les attaques de ceux qui en veulent à nos vies & à nos possessions ; ou pour contraindre les autres à nous rendre ce qu'ils nous doivent en vertu d'un droit parfait & incontestable qu'on a de l'exiger, ou pour obtenir la réparation du dommage qu'ils nous ont injustement causé : mais si la guerre est légitime pour les raisons qu'on vient d'alléguer, c'est encore à cette seule condition, que celui qui l'entreprend se propose de venir par ce moyen violent à une paix solide & durable.

Outre la distinction de la guerre, en celle qui est juste & celle qui est injuste, quelques auteurs politiques distinguent la guerre en guerre offensive & en défensive. Les guerres défensives sont celles que les souverains entreprennent pour se défendre contre d'autres souverains, qui se proposent de les conquérir ou de les détruire. Les guerres offensives sont celles que les souverains font pour forcer d'autres souverains à leur rendre ce qu'ils prétendent leur être dû, ou pour obtenir la réparation du dommage qu'ils estiment qu'on leur a causé très-injustement.

On peut admettre cette distinction, pourvû qu'on ne la confonde pas avec celle que nous avons établie, & qu'on ne pense pas que toute guerre défensive soit juste, & que toute guerre offensive soit injuste ; car il y a des guerres offensives qui sont justes, comme il y a des guerres défensives qui sont injustes. La guerre offensive est injuste, lorsqu'elle est entreprise sans une cause légitime, & alors la guerre défensive, qui dans d'autres occasions pourroit être injuste, devient très-juste. Il faut donc se contenter de dire, que le souverain qui prend le premier les armes, soit qu'il le fasse justement ou injustement, commence une guerre offensive, & que celui qui s'y oppose, soit qu'il ait ou qu'il n'ait pas tort de le faire, commence une guerre défensive. Ceux qui regardent le mot de guerre offensive comme un terme odieux, qui renferme toûjours quelque chose d'injuste, & qui considerent au-contraire la guerre défensive comme inséparable de l'équité, s'abusent sur cette matiere. Il en est des princes comme des particuliers en litige : le demandeur qui entame un procès à quelquefois tort, & quelquefois raison ; il en est de même du défendeur : on a tort de ne vouloir pas payer une somme justement dûe, comme on a raison de se défendre de payer ce qu'on ne doit pas.

Quelque juste sujet qu'on ait de faire la guerre offensive ou défensive, cependant puisqu'elle entraîne après elle inévitablement une infinité de maux, d'injustices, & de desastres, on ne doit se porter à cette extrémité terrible qu'après les plus mûres considérations. Plutarque dit là-dessus, que parmi les anciens Romains, lorsque les prêtres nommés féciaux avoient conclu que l'on pouvoit justement entreprendre la guerre, le sénat examinoit encore s'il seroit avantageux de s'y engager.

En effet, ce n'est pas assez que le sujet de la guerre soit juste en lui-même, il faut avant que d'en venir à la voie des armes, qu'il s'agisse de la chose de la plus grande importance, comme de sa propre conservation.

Il faut que l'on ait au-moins quelque apparence probable de réussir dans ses justes projets ; car ce seroit une témérité, une pure folie, que de s'exposer à une destruction totale, & se jetter dans les plus grands maux, pour ne pas en sacrifier de moindres.

Il faut enfin qu'il y ait une nécessité absolue de prendre les armes, c'est-à-dire qu'on ne puisse employer aucun autre moyen légitime pour obtenir ce qu'on a droit de demander, ou pour se mettre à couvert des maux dont on est menacé.

Je n'ai rien à ajouter sur la justice des armes ; on la déguise avec tant d'art, que l'on a quelquefois bien de la peine à découvrir la vérité : de plus, chaque souverain porte ses prétentions si loin, que la raison parvient rarement à les modérer : mais quelles que soient leurs vûes & leurs démarches, toute guerre, dit Cicéron, qui ne se fait pas pour la défense, pour le salut de l'état, ou pour la foi donnée, n'est qu'une guerre illégitime.

Quant aux suites de la prise des armes, il est vrai qu'elles dépendent du tems, des lieux, des personnes, de mille événemens imprévûs, qui variant sans-cesse, ne peuvent être déterminés. Mais il n'en est pas moins vrai, qu'aucun souverain ne devroit entreprendre de guerres, qu'après avoir reconnu dans sa conscience qu'elles sont justes, nécessaires au bien public, indispensables, & qu'en même tems il y a plus à espérer qu'à craindre dans l'événement auquel il s'expose.

Non-seulement ce sont-là des principes de prudence & de religion, mais les lois de la sociabilité & de l'amour de la paix ne permettent pas aux hommes de suivre d'autres maximes. C'est un devoir indispensable aux souverains de s'y conformer ; la justice du gouvernement les y oblige par une suite de la nature même, & du but de l'autorité qui leur est confiée ; ils sont obligés d'avoir un soin particulier des biens & de la vie de leurs sujets ; le sang du peuple ne veut être versé que pour sauver ce même peuple dans les besoins extrêmes ; malheureusement les conseils flateurs, les fausses idées de gloire, les vaines jalousies, l'avidité qui se couvre de vains prétextes, le faux honneur de prouver sa puissance, les alliances, les engagemens insensibles qu'on a contractés par les suggestions des courtisans & des ministres, entraînent presque toûjours les rois dans des guerres où ils hasardent tout sans nécessité, épuisent leurs provinces, & font autant de mal à leurs pays & à leurs sujets, qu'à leurs propres ennemis.

Supposé cependant, qu'une guerre ne soit entreprise qu'à l'extrémité pour un juste sujet, pour celui de sa conservation, il faut encore qu'en la faisant on reste dans les termes de la justice, & qu'on ne pousse pas les actes d'hostilité au delà de leurs bornes & de leurs besoins absolus. Grotius, en traitant cette matiere, établit trois regles, qui peuvent servir à faire comprendre en peu de mots qu'elle est l'étendue des droits de la guerre, & jusqu'où ils peuvent être portés légitimement.

La premiere regle, c'est que tout ce qui a une liaison moralement nécessaire avec le but d'une guerre juste, doit être permis, & rien davantage. En effet, il seroit inutile d'avoir droit de faire une chose, si l'on ne pouvoit se servir des moyens nécessaires pour en venir à bout ; mais il seroit fou de penser, que pour défendre ses droits on se crût tout loisible & tout légitime.

Seconde regle. Le droit qu'on a contre un ennemi, & que l'on poursuit par les armes, ne doit pas être considéré uniquement par rapport au sujet qui fait commencer la guerre, mais encore par rapport aux nouvelles choses qui surviennent durant le cours de la guerre, tout de même qu'en justice une partie acquiert souvent un nouveau droit pendant le cours du procès ; c'est-là le fondement du droit qu'on a d'agir contre ceux qui se joignent à notre ennemi, soit qu'ils dépendent de lui ou non.

Troisieme regle. Il y a bien des choses, qui, quoiqu'illicites d'ailleurs, deviennent permises & nécessaires dans la guerre, parce qu'elles en sont des suites inévitables, & qu'elles arrivent contre notre intention & sans un dessein formel ; ainsi, par exemple, pour avoir ce qui nous appartient, on a droit de prendre une chose qui vaut davantage, si l'on ne peut pas prendre précisément autant qu'il nous est dû, sous l'obligation néanmoins de rendre la valeur de l'excédent de la dette. On peut canonner un vaisseau plein de corsaires, quoique dans ce vaisseau il se trouve quelques hommes, quelques femmes, quelques enfans, ou autres personnes innocentes qui courent risque d'être enveloppées dans la ruine de ceux que l'on veut & que l'on peut faire périr avec justice.

Telle est l'étendue du droit que l'on a contre un ennemi en vertu de l'état de guerre : cet état anéantissant par lui-même l'état de société, quiconque se déclare notre ennemi les armes à la main, nous autorise à agir contre lui par des actes d'hostilité, de dégât, de destruction, & de mort.

Il est certain qu'on peut tuer innocemment un ennemi qui a les armes à la main, je dis innocemment aux termes de la justice extérieure & qui passe pour telle chez toutes les nations, mais encore selon la justice intérieure, & les lois de la conscience. En effet, le but de la guerre demande nécessairement que l'on ait ce pouvoir ; autrement ce seroit envain que l'on prendroit les armes pour sa conservation, & que les lois de la nature le permettroient. Par la même raison les lois de la guerre permettent d'endommager les biens de l'ennemi, & de les détruire, parce qu'il n'est point contraire à la nature de dépouiller de son bien une personne à qui l'on peut ôter la vie. Enfin, tous ces actes d'hostilité subsistent sans injustice, jusqu'à ce qu'on se soit mis à l'abri des dangers dont l'ennemi nous menaçoit, ou qu'on ait recouvré ce qu'il nous avoit injustement enlevé.

Mais quoique ces maximes soient vraies en vertu du droit rigoureux de la guerre, la loi de nature met néanmoins des bornes à ce droit ; elle veut que l'on considere, si tels ou tels actes d'hostilité contre un ennemi sont dignes de l'humanité où même de la générosité ; ainsi tant qu'il est possible, & que notre défense & notre sûreté pour l'avenir le permettent, il faut toûjours tempérer par ces sentimens si naturels & si justes les maux que l'on fait à un ennemi.

Pour ce qui est des voies mêmes que l'on emploie légitimement contre un ennemi, il est sûr que la terreur & la force ouverte dont on se sert, sont le caractere propre de la guerre : on peut encore mettre en oeuvre l'adresse, la ruse, & l'artifice, pourvû qu'on le fasse sans perfidie ; mais on ne doit pas violer les engagemens qu'on a contractés, soit de bouche ou autrement.

Les lois militaires de l'Europe n'autorisent point à ôter la vie de propos délibéré aux prisonniers de guerre, ni à ceux qui demandent quartier, ni à ceux qui se rendent, moins encore aux vieillards, aux femmes, aux enfans, & en général à aucun de ceux qui ne sont ni d'un âge, ni d'une profession à porter les armes, & qui n'ont d'autre part à la guerre, que de se trouver dans le pays ou dans le parti ennemi.

A plus forte raison les droits de la guerre ne s'étendent pas jusqu'à autoriser les outrages à l'honneur des femmes ; car une telle conduite ne contribue point à notre défense, à notre sûreté, ni au maintien de nos droits ; elle ne peut servir qu'à satisfaire la brutalité du soldat effrené.

Il y a néanmoins mille autres licences infames, & mille sortes de rapines & d'horreurs qu'on souffre honteusement dans la guerre. Les lois, dit-on, doivent se taire parmi le bruit des armes ; je répons que s'il faut que les lois civiles, les lois des tribunaux particuliers de chaque état, qui n'ont lieu qu'en tems de paix, viennent à se taire, il n'en est pas de même des lois éternelles, qui sont faites pour tous les tems, pour tous les peuples, & qui sont écrites dans la nature : mais la guerre étouffe la voix de la nature, de la justice, de la religion, & de l'humanité. Elle n'enfante que des brigandages & des crimes ; avec elle marche l'effroi, la famine, & la désolation ; elle déchire l'ame des meres, des épouses, & des enfans ; elle ravage les campagnes, dépeuple les provinces, & réduit les villes en poudre. Elle épuise les états florissans au milieu des plus grands succès ; elle expose les vainqueurs aux tragiques revers de la fortune : elle déprave les moeurs de toutes les nations, & fait encore plus de misérables qu'elle n'en emporte. Voilà les fruits de la guerre. Les gazettes ne retentissent actuellement (1757), que des maux qu'elle cause sur terre & sur mer, dans l'ancien & le nouveau monde, à des peuples qui devroient resserrer les liens d'une bienveillance qui n'est déjà que trop foible, & non pas les couper. (D.J.)

GUERRE, (Jeu de la) c'est une maniere particuliere de joüer au billard plusieurs à-la-fois. Le nombre des personnes qui doivent joüer étant arrêté, chacun prend une bille marquée différemment, c'est-à-dire d'un point, de deux, & de plus, si l'on est davantage à joüer. Quand les billes sont tirées, chaque joüeur joue à son tour, & selon que le nombre des points qui sont sur la bille lui donne droit : il est défendu de se mettre devant la passe sans le consentement de tous les joüeurs. Celui qui joue une autre bille que la sienne perd la bille & le coup.

Qui touche les deux billes en joüant, perd sa bille & le coup ; il faut remettre l'autre à sa place.

Qui passe sur les billes, perd la bille & le coup ; & on doit mettre cette bille dans la belouse. Qui fait une bille & peut buter après, gagne toute la partie ; c'est pourquoi il est de l'adresse d'un joüeur de tirer à ces sortes de coups autant qu'il lui est possible. Qui bute dessous la passe, gagne tout, fût-on jusqu'à neuf joüeurs.

Les lois du jeu de la guerre veulent qu'on tire les billes à quatre doigts de la corde.

Il est défendu de sauver d'enjeu, à moins qu'on ne se soit repassé.

Qui perd son rang à joüer, ne peut rentrer qu'à la seconde partie.

Ceux qui entrent nouvellement au jeu, ne sont point libres de tirer le premier coup sur les billes, en plaçant les leurs où bon leur semble. Il faut qu'ils tirent la passe à quatre doigts de la corde.

Il faut remarquer que lorsqu'on n'est que cinq, on doit faire une bille avant que de passer.

Si on n'est que trois ou quatre, il n'est pas permis de passer jusqu'aux deux derniers.

Si celui qui tire à quatre doigts fait passer une bille, elle est bien passée.

Qui touche une bille de la sienne & se noye, perd la partie ; il faut que la bille touchée reste alors où elle est roulée.

Si celui qui touche une bille en joüant la noye & la sienne aussi, il perd la partie, & on remet la bille touchée où elle étoit. Si du côté de la passe on fait passer une bille espérant la gagner, & qu'on ne la gagne pas, cette bille doit rester où elle est, supposé qu'il y eût encore quelqu'un à joüer ; mais s'il n'y avoit personne, on la remettroit à sa premiere place.

Quand un joüeur a une fois perdu, il ne peut rentrer au jeu que la partie ne soit entierement gagnée.

Les billes noyées appartiennent à celui qui bute, les deux derniers qui restent à joüer peuvent l'un & l'autre se sauver d'enjeu.

Si celui qui est passé ne le veut pas, il n'en sera rien. S'il y consent, il doit être préféré à celui qui n'est pas passé.

Celui qui par inadvertance joue devant son tour, ne perd que le coup & non pas la bille, c'est-à-dire qu'il y peut revenir à son rang. Qui tire à une bille la gagne ; & si en tirant le billard il touche une autre bille gagnée, elle est censée telle ; & la bille de celui qui a joüé le coup doit être mise dans la belouse.


GUESTES. f. (Commerce) mesure de longueur dont on se sert en quelques endroits du Mogol ; elle revient à une aune de Hollande 1/5. Dictionn. de Commerce & de Trévoux. (G)


GUETS. m. (Art milit.) ce mot signifie un corps-de-garde placé sur quelque passage, ou une compagnie de gardes qui font la patrouille. Voyez GARDE.

Il y a des officiers qui sont exempts de guet ou de garde. C'est dans le même sens que l'on dit guet de nuit, mot du guet, guet du roi, guet de la ville. Chambers.

GUET, dans la maison du Roi, se dit du service que les gardes du corps, les gendarmes, & les chevau-legers de la garde font auprès du Roi : ainsi être du guet, c'est, dans ces différens corps, être de service à la cour.

Chevalier du guet, est le nom que l'on donne à Paris à l'officier qui commande le guet, c'est-à-dire l'espece de milice établie pour la garde & la sûreté de Paris. On dit le guet à pie & le guet à cheval : le premier est proprement l'infanterie de cette milice, & l'autre la cavalerie. On dit aussi un cavalier du guet, pour exprimer un homme du corps de cette cavalerie. (Q)

GUET, (mot du) Art milit. des Romains. Il falloit qu'un soldat de la derniere cohorte pour l'infanterie, ou de la derniere turme pour la cavalerie, vînt au logis du tribun qui commandoit ce jour-là, prendre le mot du guet sur une tablette : on écrivoit sur cette tablette le nom du soldat qui venoit le prendre, & le lieu de son logement ; ce soldat rendoit la tablette qu'il avoit prise, au chef de sa troupe, & en présence de témoins ; ce chef remettoit ladite tablette au chef de la cohorte voisine ; & ainsi de main en main, la tablette revenoit à la premiere cohorte placée près de la tente du tribun, auquel elle étoit rapportée avant la nuit ; par ce moyen le tribun de jour étoit assûré que toute l'armée avoit le mot du guet ; & si quelque tablette manquoit à être rendue, il étoit facile de trouver où elle étoit demeurée, & dans les mains de qui. (D.J.)

GUET, (Jurisprud.) droit dû à quelques seigneurs par leurs hommes. Il est ordinairement au droit de garde, c'est pourquoi on dit guet & garde, quoique ce soient deux droits différens. Voyez GARDE.

L'origine du droit de guet vient du tems des guerres privées ; les vassaux & sujets étoient obligés de faire le guet, de crainte de surprise ; mais depuis que les guerres privées ont été abolies, ce droit de guet a été converti en une redevance en argent, pour tenir lieu du service du guet.

Ce que l'on appelle guet de prevôt dans la coûtume de Châlons, art. iij. est la comparution que les sujets sont obligés de faire tous les ans devant le prevôt du seigneur, en mémoire du service du guet auquel ils étoient autrefois obligés. Voyez le glossaire de M. Delauriere au mot guet ; les coût. de Tours, article ccvc. Lodunois, c. xxviij. art. 3. Bourbonnois, chap. xxxvj. Bretagne, art. ccxcij. Auvergne, ch. xxv. art. 17. & ci-devant au mot GARDE. (A)

GUET-A-PENS, (Jurisp.) est l'embuscade qu'une personne a faite pour en assassiner une autre de dessein prémédité.

Ce crime est beaucoup plus grave que le simple meurtre ; il est condamné dans le Deuteronome, chap. xxvij. vers. 26. & par nos ordonnances qui ne veulent pas que l'on accorde de rémission de ce crime ; elles prononcent même peine de mort contre ceux qui ont conseillé le guet-à-pens, ou qui y ont participé.

Le guet-à-pens est un cas présidial qui se juge en dernier ressort, & sans appel. Voyez l'ordonnance de 1670. tit. j. art. xij. la déclaration du 5 Février 1731 sur les cas prevôtaux ou présidiaux. Voyez MEURTRE. (A)


GUÉTARIAMenosca, (Géog.) petite ville d'Espagne, dans la province de Guipuscoa, avec un château & un port sur la mer de Biscaye. Long. 15. 12. latit. 43. 26.

C'est la patrie de Cano (Sebastien), ce fameux navigateur, qui fit le premier le tour du monde sous Magellan, & rentra dans Séville le 8 Septembre 1522, après trois ans un mois de navigation. (D.J.)


GUETE(Géog.) ancienne ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, dans la Sierra. Alphonse VI. roi de Castille la conquit sur les Maures en 1080. Elle est à 6 lieues N. O. de Cuença, 26 S. E. de Madrid. Long. 15. 36. lat. 40. 20. (D.J.)


GUÊTRESS. f. pl. espece de chaussure faite de grosse toile ou de coutis, qui s'attache à boutonniere ou à cordons sur le côté de la jambe qu'elle couvre toute entiere, ainsi que le genou & le coup-de-pié sur lequel elle est detenue par une courroie de cuir, faite en étrier. On en prend pour la chasse, pour le voyage, soit à pié, soit à cheval.


GUETTES. f. (Charpenterie) c'est une demi-croix de S. André, posée en contrefiches dans les pans de bois. Voyez les figures du Charpentier.


GUETTESS. m. pl. hommes employés dans les salines ; leur fonction est de garder à tour de rôle les portes de la saline, & de remplir tous les devoirs des portiers.


GUETTONS. m. (Charpenterie) petite guette qui se met sous les appuis des croisées & exhaussemens, sous les sablieres de l'entablement, sur les linteaux des portes, &c. Voyez les figures du Charpentier.


GUEULES. f. (Gramm.) c'est ainsi qu'on appelle dans la plûpart des animaux, l'intérieur de la partie qui est armée de dents, où sont la langue & le palais, & qu'on appelle dans l'homme & le cheval la bouche.

GUEULE droite & renversée, (Architecture) ce sont les deux parties de la cimaise qui forment un membre, dont le contour est en S. La plus avancée & concave s'appelle gueule droite ou doucine, voyez DOUCINE ; & l'autre qui est convexe s'appelle gueule renversée ou salon ; voyez CIMAISE.

GUEULE BEE, terme de Tonnelier ; c'est ainsi qu'on appelle une futaille ouverte qu'on a défoncée par un bout. Voyez FUTAILLE.

GUEULE DE LOUP, (Bas au métier) partie du métier à bas. Voyez cet article.

GUEULES, en termes de Blason, c'est la couleur rouge ; voyez ROUGE.

Le pere Monet dit que le mot de gueules dérive de l'hébreu gulud, ou gulidit, petite peau rougeâtre qui paroît sur une plaie quand elle commence à se guérir : le P. Ménétrier dit que ces mots ne se trouvent point dans la langue hébraïque : mais cela n'est pas exactement vrai ; car dans les langues orientales, comme l'hébreu, le chaldéen, le syriaque, & l'arabe, on dit gheld, pour cutis, pellis, peau, d'où est venu le mot arabe gulud : & en général le mot de gueules signifie la couleur rouge chez la plûpart des orientaux. Les Arabes & les Persans donnent ce nom à la rose.

D'autres avec Nicod dérivent le mot de gueules de gula, la gueule des animaux, qui l'ont ordinairement rouge ; ou du latin cusculium, qui est le coccos des Grecs, ou la graine d'écarlate.

Dans la Gravure, la couleur de gueules s'exprime par des hachures perpendiculaires, tirées du chef de l'écusson à la pointe. On la marque aussi par la lettre G.

Cette couleur passe pour un symbole de charité, de bravoure, de hardiesse, & de générosité ; elle représente la couleur du sang, le cinnabre, & la vraie écarlate : c'est la premiere des couleurs qu'on employe dans les armoiries ; & elle marque une si grande distinction, que les anciennes lois défendoient à tout le monde de la porter dans les armoiries, à-moins qu'on ne fût prince, ou qu'on n'en eût la permission du souverain.

Spelman dans son aspilogia, dit que cette couleur étoit dans une estime particuliere chez les Romains, comme elle avoit été auparavant chez les Troyens : qu'ils peignoient en vermillon les corps de leurs dieux, aussi-bien que de leurs généraux le jour de leur triomphe. Sous le gouvernement des consuls, les soldats étoient habillés de rouge, d'où étoit venu le nom de russati. Jean de Bado Aureo ajoûte que la teinture rouge appellée par les Grecs phénicienne, & par nous écarlate, fut adoptée d'abord par les Romains, pour empêcher que l'on ne s'effrayât du sang qui découloit des plaies des blessés dans la bataille.

En effet le rouge a toûjours passé pour une couleur impériale, & les empereurs étoient toûjours vêtus, chaussés, & meublés de rouge. Leurs édits, dépêches, signatures, & sceaux, étoient d'encre & de cire rouges ; & c'est de-là qu'est venu le nom de rubrique. Dictionn. étymol. de Trév. & Chambers.


GUEUSES. f. (Art d'ourdissage) dentelle très-legere qui se fait de fil blanc, & dont le fond est de réseau, & les fleurs de couronnes très-déliées ; elle se fabrique sur l'oreillier à l'ordinaire. Voyez l'article DENTELLE.

GUEUSE, (Manufact. en laine) petite étoffe qui se fabrique en Flandres, & qu'on nomme plus communément PLICOLE.

GUEUSE, (Forges) dont le diminutif est gueusillon. Ces deux termes se disent dans les grosses forges, des masses prismatiques de fer qu'on a coulées dans le sable au sortir du fourneau de fusion. Voyez l'article FORGE.


GUEUX(LES) Hist. mod. sobriquet qui fut donné aux confédérés des Pays-Bas en 1566 ; la duchesse de Parme ayant reçû l'ordre de Philippe II. roi d'Espagne d'introduire dans les Pays-Bas de nouvelles taxes, le concile de Trente & l'inquisition, les états de Brabant s'y opposerent vivement, & plusieurs seigneurs du pays se liguerent ensemble pour la conservation de leurs droits & de leurs franchises ; alors le comte de Barlemont, qui haïssoit ceux qui étoient entrés dans cette confédération, dit à la duchesse de Parme, gouvernante, qu'il ne falloit pas s'en mettre en peine, & que ce n'étoit que des gueux. Le prince d'orange, Guillaume de Nassau, surnommé le taciturne, & Bréderode, chefs de ces prétendus gueux, furent effectivement chassés d'Anvers l'année suivante ; mais ils équiperent des vaisseaux, firent des courses sur la côte, se rendirent maîtres d'Enckhuysen, puis de la Brille, & s'y établirent en 1572 malgré tous les efforts du duc d'Albe. Tel fut le commencement de la république de Hollande, qui d'un pays stérile & méprisé, devint une puissance respectable. (D.J.)


GUEZES. f. (Commerce) mesure des longueurs en usage chez les Persans, pour mesurer les étoffes, les toiles, & autres semblables marchandises.

Il y a deux sortes de gueze en Perse : la gueze royale, qu'on nomme autrement gueze monkelser : & la gueze raccourcie, qu'on appelle simplement gueze. Celle-ci n'est que les deux tiers de l'autre.

La gueze royale contient 2 piés 10 pouces 11 lignes, ce qui revient à 4/5 d'aune de Paris : ensorte que les cinq guezes font quatre aunes, ou les quatre aunes font cinq guezes.

On se sert dans les Indes d'une sorte de mesure de longueurs, qu'on appelle aussi gueze ; elle est plus courte que celle de Perse d'environ 6 lignes, ce qui peut aller à 1/78 d'aune moins. Dictionn. de Comm. & de Trévoux. (G)


GUGERNI(Géog. anc.) ancien peuple de la Belgique, entre les Eubéens & les Bataves ; le canton qu'il habitoit se nomme présentement le pays de Cleves. (D.J.)


GUGUAN(Géogr.) île de l'Océan oriental, & l'une des îles Marianes. Elle a 3 lieues de tour, & est à 17d. 45'. de latit. suivant les observations publiées par le pere Gouye. (D.J.)


GUHRS. m. creta fluida, medulla fluida, lac lunae, &c. (Hist. nat. Minéralogie) mot allemand adopté par les Naturalistes pour désigner différentes especes de terres métalliques que l'on rencontre quelquefois, même à la surface de la terre, dans des fentes de roches, & des montagnes qui contiennent des mines. Les premiers auteurs qui ont écrit sur la Minéralogie ont regardé les guhrs comme la matiere premiere, & l'origine de la formation des métaux ; ils se présentent aux yeux sous la forme d'une terre blanche en poudre très-fine, semblable à de la craie, mais dans leur origine ils sont d'une consistance fluide comme du lait, ou plûtôt comme de la bouillie ; les eaux soûterreines après les avoir atténués, les entraînent & les portent en différens endroits, où ils se durcissent par le contact de l'air, & la partie aqueuse s'en dégage par évaporation ou par dessication.

Les Minéralogistes regardent les guhrs comme un indice assez sûr de la présence d'une mine métallique, & croyent que quand on les rencontre, cela prouve que la nature a été troublée dans l'opération par laquelle elle vouloit encore produire des métaux ; de-là vient la façon de s'exprimer des mineurs, qui disent qu'ils sont venus de trop bonne heure, quand ils rencontrent des guhrs. Il y a des guhrs qui ne sont presque que de l'argent tout pur ; ceux qui sont d'une couleur verte ou bleue, annoncent une mine de cuivre ; ceux qui sont blancs ou d'un bleu clair & leger, & qui se trouvent dans des fentes qui paroissent quelquefois même à la surface de la terre, donnent lieu de soupçonner la présence d'un filon de mine d'argent. Voyez Lehman, traité des mines.

Wallerius distingue deux especes de guhrs, l'un est crétacé, l'autre est métallique : il définit le premier une terre crétacée, fluide, qui quelquefois se desseche & forme des incrustations, des stalactites, & autres concrétions semblables ; il y en a de blanche & de liquide comme du lait, & de grise, mais d'une consistance épaisse comme de la bouillie.

Le guhr minéral ou métallique est gris ou blanchâtre ; il coule dans les soûterreins des mines, & contient quelque chose de métallique, ou du-moins quelque chose qui est propre à contribuer à la formation des métaux. Voyez la Minéralogie & l'Hydrologie de Wallerius. (-)


GUIS. m. (Hist. nat. Bot.) Cette plante passoit jadis pour une panacée, & faisoit l'objet de la vénération payenne chez les anciens Gaulois ; mais les idées de leurs successeurs sont bien différentes. Le gui n'est plus pour eux qu'une plante parasite qui fait grand tort aux arbres dont elle tire sa nourriture, & que les gens soigneux de l'entretien de leurs vergers, s'efforcent à l'envi de détruire.

Cependant cette même plante parasite n'en est pas moins dans l'esprit du physicien un végétal singulier, dont l'origine, la germination, le développement méritent un examen attentif, & des recherches particulieres. C'est ainsi qu'en ont pensé Malpighi, Tournefort, Vaillant, Boerhaave, Linnaeus, Barel, & Camérarius : enfin M. du Hamel a publié dans les mém. de l'Acad. des Scien. année 1740, des observations trop curieuses sur ce sujet, pour négliger de les rapporter ici ; elles rendront cet article intéressant.

Caracteres du gui. On pourroit peut-être caractériser ainsi le gui. Il est mâle & femelle ; ses feuilles sont conjugées, étroites, & oblongues ; les fleurs de la plante mâle sont monopétales, faites en bassin, divisées d'ordinaire en quatre parties égales, marquetées de porreaux. L'ovaire est une substance tendre, environnée de quatre petites feuilles ; il devient ensuite une baie à-peu-près ronde, pleine d'une sorte de glu, & contenant une semence plate, ovale, triangulaire, en forme de coeur, & de différente figure. Les baies du gui donnent chacune quelquefois deux semences.

Il faut remarquer que ces fruits commencent par des embryons couronnés de quatre feuilles, ou qui portent une couronne radiée, composée de quatre petites feuilles jaunâtres, articulées autour de la tête de chaque embryon. Ces embryons partent d'une masse ronde, jaunâtre, articulée avec l'extrémité de la branche & de deux feuilles opposées qui la terminent des deux côtés.

Il n'y a qu'une espece de gui qui vient sur tout arbre. On est presque d'accord à n'admettre qu'une seule espece de gui. Il est vrai que le P. Plumier en décrit plusieurs dans son histoire des Antilles, qui paroissent différentes de notre gui ordinaire ; cependant le sentiment le plus généralement reçu des botanistes modernes, est qu'il n'y en a qu'une seule espece, & ils n'en ont jamais vû davantage.

Que l'on seme sur le tilleul, sur le saule, sur le poirier, sur l'épine, &c. des semences, des piés de gui qui auront cru sur le pommier, elles végetent également sur ces différens arbres avec succès. D'ailleurs on ne remarque aucune différence considérable ni dans la figure des feuilles, ni dans la forme des fruits, ni dans le port extérieur des piés de gui qui viennent sur les divers arbres de nos forêts de France. Les expériences faites en Angleterre confirment le même fait. Concluons donc que nous ne connoissons qu'une seule espece de gui ; elle est nommée simplement par les Botanistes viscum, viscus, viscum vulgare, viscus arborum, par C. Bauh. J. Bauh. Ray, Gerard, Barkinson, Tournefort, Boerhaave, &c.

Cette plante ne vient jamais à terre, mais sur tous les arbres.

Les uns disent l'avoir trouvé sur le sapin, sur la meleze, sur le pistachier, sur le noyer, sur le coignassier, sur le poirier franc, & sur le sauvage, sur le pommier sauvage & sur le domestique, sur le nefflier, sur l'épine blanche, sur le cormier, sur le prunier, sur l'amandier, sur le rosier. D'autres disent l'avoir vû sur le liége, sur le châtaignier, sur le noisettier, sur le tilleul, sur le saule, sur le peuplier noir & sur le blanc, sur le hêtre, sur l'orme, sur le noirprun, sur le buis, sur la vigne, sur le faux acacia : enfin le gui vient sur l'yeuse, & sur le chêne commun. Comme ce dernier gui est le plus fameux, il suffira d'en donner ici la description.

Description du gui de chêne. C'est une maniere d'arbrisseau qui croît à la hauteur d'environ deux piés ; les tiges sont ordinairement grosses comme le doigt, dures, ligneuses, compactes, pesantes, de couleur rougeâtre en-dehors, blanche-jaunâtre en-dedans. Il pousse beaucoup de rameaux ligneux, plians, entrelacés souvent les uns dans les autres, & couverts d'une écorce verte.

Ses feuilles sont opposées deux-à-deux, oblongues, épaisses, dures, assez semblables, mais un peu plus longues que celles du grand buis, veineuses dans leur longueur, arrondies par le bout, de couleur verte-jaunâtre ou pâle. Ses fleurs naissent aux noeuds des branches, petites, jaunâtres, formées chacune en bassin à quatre crenelures.

Quelquefois ces fleurs ne laissent point de fruits après elles ; mais quelquefois on trouve des fruits sur des piés différens qui ne portent point de fleurs. Ces fruits sont de petites baies rondes ou ovales, molles, blanches, luisantes, ressemblantes à nos petites groseilles blanches, remplies d'un suc visqueux, dont les anciens se servoient pour faire de la glu. Au milieu de ce fruit se rencontre une petite semence applatie, & ordinairement échancrée en coeur.

Il ne faut pas croire qu'on trouve communément des chênes qui portent du gui ; c'est un phénomene en général assez rare ; il l'est par exemple beaucoup en Angleterre.

Des semences du gui, & de leur germination. Théophraste (de caus. Plant. l. II. chap. xxjv.) & Pline (Hist. nat. l. XVI. ch. xxxxjv.) avoient assûré contre le sentiment d'Aristote, que le gui venoit de semences, mais qui avoient besoin de passer par l'estomac des oiseaux, pour se dépouiller, disoient-ils, d'une qualité froide qui les empêchoit de germer. Cependant comme les semences du gui ne sont pas fort dures, on comprend avec peine, qu'elles ne soient pas digérées par l'estomac des oiseaux. Il est vrai que Boccone assûre avoir observé que les oiseaux les rendoient entieres dans leurs excrémens ; mais il faudroit savoir si Boccone a bien observé.

Quoiqu'il en soit, toutes les observations modernes prouvent que le gui se multiplie de semence, sans qu'il soit nécessaire qu'elles passent par l'estomac des oiseaux. Ray dit qu'il a vû germer les semences du gui dans l'écorce même du chêne, & que depuis son observation, Doody apotiquaire de Londres, avoit mis la chose hors de doute, ayant élevé des piés de gui de graines qu'il avoit semées.

Léonhard Frédéric Hornung assûre dans une dissertation latine à ce sujet, avoir semé du gui sur un pommier, qu'il y germa en poussant deux cornes de la base du fruit, qu'il s'attacha à la branche, & qu'il y fructifia.

M. Edmond Barel, dans un mémoire qu'il a envoyé au chevalier Hans-Sloane, & qui est imprimé dans les Transactions philosophiques, témoigne aussi avoir élevé le gui de graine.

Enfin, M. Duhamel a répété toutes ces expériences sur un grand nombre d'arbres de différentes especes, & les graines du gui ont germé également bien sur tous, excepté sur le figuier, peut-être à cause du lait corrosif qui s'échappoit des plaies qu'il avoit fallu faire pour poser les semences, & qui les brûloit.

Il n'est pas surprenant que le gui germe à-peu-près également bien sur des arbres très-différens ; il ne faut que de l'humidité pour faire germer toutes sortes de semences, & celle des pluies & des rosées suffit pour la germination du gui, puisque M. Duhamel en a vû germer sur des morceaux de bois mort, sur des tessons de pots, & sur des pierres seulement tenues à l'ombre du Soleil. De plus il a posé des semences de gui sur les vases de terre à demi-cuits, qui laissent échapper l'eau peu-à-peu, & sur lesquels on se fait quelquefois un plaisir d'élever de petites salades. Les semences de gui y ont germé plus promtement, & elles sont venues plus vigoureuses que sur les corps secs ; la transpiration du vase favorise leur germination ; probablement la transpiration des arbres ne leur est pas non plus inutile.

Il faut pourtant convenir que quoique le gui germe sur des pots, sur du bois mort, & qu'il s'attache également sur tous les arbres, il ne végete pas aussi heureusement sur tous ceux auxquels il s'attache. Il ne réussit pas si bien sur le chêne & sur le noyer que sur le poirier, le pommier, l'épine-blanche, & le tilleul. Il vient avec plus de peine sur le génevrier ; mais après tout, il ne s'éleve bien que sur des arbres.

Les semences de gui mises sur des arbres en Février, commencent à germer à la fin de Juin. Alors on voit sortir de la graine du gui plusieurs radicules ; & cette multiplicité de radicules est une singularité, qui n'est peut-être propre qu'à la seule semence du gui. Quand les radicules se sont allongées de deux à trois lignes, elles se recourbent, & elles continuent de s'allonger, jusqu'à ce qu'elles ayent atteint le corps sur lequel la graine est posée ; & sitôt qu'elles y sont parvenues, elles cessent de s'allonger.

Cette radicule prend indifféremment toutes sortes de directions, tant en-haut qu'en-bas, ce qui lui est encore particulier ; car, suivant la remarque de M. Dodart, tous les germes tendent vers le bas.

Les radicules du gui sont formées d'une petite boule qui est seulement soûtenue par un pédicule qui part du corps de la semence. Elles s'allongent jusqu'à ce que la petite boule qui les termine, porte sur l'écorce des arbres ; alors elles s'épanoüissent, & s'y appliquent fortement par une matiere visqueuse.

De la formation & du progrès des racines du gui. La jeune plante commence à introduire ses racines dans cette écorce ; aussi-tôt la seve contenue dans l'écorce de l'arbre, s'extravase ; il se forme à cet endroit une grosseur, une loupe, ou si l'on veut, une espece de gale, & cette gale augmente en grosseur à mesure que les racines de la plante parasite font du progrès.

Entre les premieres racines du gui, il y en a qui rampent dans les couches les plus herbacées de l'écorce, & les autres en traversent les différens plans jusqu'au bois où elles se distribuent de côté & d'autre, se réfléchissant quand elles rencontrent quelques corps durs qui s'opposent à leur passage. Alors elles cheminent entre les lames de l'écorce, & y forment plusieurs entrelacemens ; mais comme les lames intérieures de l'écorce sont destinées à faire dans la suite de nouvelles couches de bois, ces lames s'endurcissent ; les racines du gui se trouvent donc engagées de l'épaisseur de ces lames dans le bois ; d'autres lames de l'écorce deviennent bois à leur tour ; voilà les racines du gui engagées encore plus avant dans le bois, & à la fin elles le sont beaucoup, sans que pour cela elles ayent pénétré le bois en aucune façon. On peut ajoûter que comme les racines du gui occasionnent une extravasation du suc ligneux, qui forme une loupe à l'endroit de l'insertion ; cette loupe contribue beaucoup à engager plus promtement & plus avant les racines du gui dans le bois.

Quand elles y sont engagées à un certain point, le gui a besoin de ressources pour subsister, & il en a effectivement. 1°. Les racines nouvelles épanouies dans l'écorce, & celles qui sont engagées dans le bois, lui fournissent de la nourriture. 2°. Il se trouve souvent aux piés du gui une espece de bulbe charnuë de la consistance des racines, qui est engagée dans l'écorce, & qui lui peut être d'un grand secours pour vivre.

Cependant ces ressources lui manquent quelquefois ; par exemple, lorsque la branche sur laquelle est un pié de gui se trouve grosse & vigoureuse, & qu'il ne peut plus tirer de subsistance des écorces, alors il languit & meurt à la fin. Il n'en est pas de même quand la branche est menue, & les piés de gui vigoureux ; car alors ce sont ces branches mêmes de l'arbre qui cessent de profiter. Pour que le gui coupe les vivres à l'extrémité de la branche sur laquelle il est enté, il faut que la force avec laquelle il tire la séve soit supérieure à celle que la branche avoit pour se la procurer. Le gui dans ce cas, peut être comparé à ces branches gourmandes, qui s'approprient toute la séve qui auroit dû passer aux branches circonvoisines.

Du progrès des tiges du gui. Le progrès des racines du gui est d'abord très-considérable en comparaison de celui des tiges ; en effet, ce n'est que la premiere année, & quelquefois la seconde, que les jeunes tiges commencent à se redresser, & souvent elles ont bien de la peine à y parvenir. Quand cela arrive, on voit cette jeune tige terminée par un bouton, ou par une espece de petite houppe, qui semble être la naissance de quelques feuilles, & elle en reste-là pour la premiere année, & même quelquefois pour la seconde.

Le printems de l'année suivante, ou de la troisieme, il sort de ce bouton deux feuilles, & il se forme deux boutons dans les aisselles de ces deux feuilles : de chacun de ces boutons, il sort ensuite une ou plusieurs branches, qui sont terminées par deux, & quelquefois par trois feuilles. C'est-là la production de la troisieme ou de la quatrieme année. La cinquieme, la sixieme, & les années suivantes, il continue à sortir plusieurs branches, & quelquefois jusqu'à six des aisselles des feuilles. Le gui devient ainsi un petit arbrisseau très-branchu, formant une boule assez réguliere, qui peut avoir un pié & demi, ou deux piés de diametre.

Les vieilles feuilles jaunissent & tombent, sans qu'il en vienne de nouvelles à la place ; ce qui fait que les tiges sont presque nues, & que l'arbrisseau n'est garni de feuilles qu'à l'extrémité de ses branches.

Il y a ici une chose bien digne d'être remarquée, & que M. Duhamel dit avoir observée avec M. Bernard de Jussieu, c'est que chaque bouton de gui contient presque toûjours le germe de trois branches, qu'on peut appercevoir par la dissection : ainsi chaque noeud devroit souvent être garni de six branches, & il le seroit en effet s'il n'en périssoit pas plusieurs, ou avant que d'être sorties du bouton, ou peu de tems après en être sorties ; ce qui arrive fréquemment.

Une autre chose singuliere, c'est que les branches du gui n'ont point cette affectation à monter vers le ciel, qui est propre à presque toutes les plantes, surtout aux arbres & aux arbustes. Si le gui est implanté sur une branche d'arbre, ses rameaux s'éleveront à l'ordinaire ; s'il part de dessous la branche, il pousse ses rameaux vers la terre ; ainsi il végete en sens contraire, sans qu'il paroisse en souffrir.

Le gui garde ses feuilles pendant l'hyver, & même pendant les hyvers les plus rudes. Théophraste se trompe donc, lorsqu'il dit que le gui ne conserve ses feuilles que quand il tient à un arbre qui ne les quitte point l'hyver, & qu'il se dépouille quand il est sur un arbre qui perd ses feuilles. Mais qui est-ce qui n'a pas vû l'hyver, sur des arbres dépouillés de leurs feuilles, des piés de gui qui en étoient tous garnis ? Et ce fait est-il plus singulier que de voir le chêne verd conserver ses feuilles lorsqu'il est greffé sur le chêne ordinaire ?

De l'écorce, du bois, des tiges & des feuilles du gui. L'écorce extérieure des feuilles & des tiges du gui est d'un verd terne & foncé, sur-tout lorsqu'elles sont vieilles, car les jeunes feuilles & les nouveaux bourgeons sont d'un verd jaunâtre. Cette écorce extérieure est un peu inégale & comme grenue. Sous cette écorce il y en a une autre plus épaisse, d'un verd moins foncé, grenue & pâteuse comme l'écorce des racines, & elle est traversée par des fibres ligneuses qui s'étendent suivant la longueur des branches. Sous cette derniere écorce est le bois, qui est à-peu-près de sa couleur ; il est assez dur quand il est sec, mais il n'a presque point de fils, & se coupe presque aussi facilement de travers qu'en long.

Les tiges sont droites d'un noeud à l'autre, où elles font de grandes inflexions. Les noeuds du gui sont de vraies articulations par engrenement, & les pousses de chaque année se joignent les unes aux autres, comme les épiphyses se joignent au corps des os.

Les feuilles du gui sont épaisses & charnues, sans être succulentes. En les examinant avec un peu d'attention, on découvre cinq à six nervures saillantes qui partent du pédicule, & qui s'étendent jusqu'à l'extrémité sans fournir beaucoup de ramifications. Leur figure est un ovale fort allongé ; les feuilles & l'écorce des branches ont un goût legerement amer & astringent : leur odeur est foible à la vérité, mais desagréable.

Le gui étant vivace & ligneux, il faut le mettre au nombre des arbrisseaux, entre lesquels il y en a de mâles & de femelles.

Il y a un gui mâle, & un gui femelle. Pline n'en doutoit point, car il a distingué un gui mâle qui ne porte point de fruit, & un gui femelle qui en porte. Cependant MM. de Tournefort, Boerhaave & Linnaeus dont le sentiment est d'un plus grand poids que celui de Pline, pensent que les deux sexes se trouvent sur les mêmes individus dans des endroits séparés. Des autorités si respectables ont engagé d'autres botanistes à éplucher ce fait avec une grande attention ; & c'est d'après cet examen qu'ils se sont crus en droit de décider comme Pline.

Edmond Barel, dans le mémoire que nous avons déjà cité, dit qu'il a élévé quatre piés de gui, dont deux produisirent du fruit, & les deux autres fleurirent sans fructifier.

M. Duhamel assûre aussi avoir constamment remarqué des piés de gui mâle qui ne produisoient jamais de fruit, & d'autres femelles qui presque tous les ans en étoient chargés. Il va bien plus loin ; il prétend que les piés de gui de différens sexes ont chacun un port assez différent pour qu'on les puisse distinguer les uns des autres, indépendamment de leurs fruits & de leurs fleurs.

Voici en quoi consiste cette différence, suivant notre académicien.

Les boutons qui contiennent les fleurs mâles sont plus arrondis, & trois fois plus gros que les boutons qui contiennent les fleurs femelles, ou les embryons des fruits. On distingue assez bien en Décembre ces boutons les uns des autres, quoiqu'ils ne soient point encore ouverts, & que les piés femelles soient encore chargés du fruit de l'année précédente.

Les boutons mâles viennent ordinairement trois-à-trois sur un pédicule commun, & ils commencent à s'ouvrir dans le mois de Mars. Leur fleur est d'une seule piece irréguliere, formant une cloche ouverte, échancrée par les bords en quatre jusque vers le milieu de la fleur. Ces fleurs sont ramassées par bouquets : chaque bouton mâle contient depuis deux jusqu'à sept fleurs, & ces bouquets sont placés dans les aisselles des branches, ou à leur extrémité : dans le mois de Mai toutes ces fleurs tombent, & il ne reste plus que les calices ; enfin ces calices jaunissent, se dessechent & tombent à leur tour.

Les boutons à fruit qui ne se rencontrent que sur les individus femelles, sont placés dans les mêmes endroits, & ne contiennent ordinairement que trois fleurs disposées en treffle, ou quatre, dont il y en a une plus relevée que les autres, & qui forment un triangle autour du pédicule. Toutes ces fleurs ne viennent pas à bien ; il y en a qui périssent avant que de former leur fruit ; c'est ce qui fait qu'on voit quelquefois des fruits qui sont seuls, ou deux-à-deux.

Ces boutons commencent à s'ouvrir dans le mois de Mars : quand ils sont tout-à-fait ouverts, on apperçoit les jeunes fruits ou les embryons surmontés de quatre pétales, dont ils paroissent ensuite être comme couronnés. Ces pétales tombent dans le mois de Juin, & l'on voit alors les fruits gros comme des grains de chenevi, renfermant l'amande dans le centre. Ces fruits continuent à grossir dans le mois de Juillet & d'Août ; ils mûrissent en Septembre & Octobre, & on les peut semer en Février & Mars.

Toutefois comme le plus grand nombre des plantes est hermaphrodite, on ne sauroit assûrer qu'il ne se trouve jamais de fruit sur des guis mâles, ou quelques fleurs sur des guis femelles. Tout ce qu'un observateur peut dire, c'est qu'il n'en a pas vû.

Erreurs des anciens sur le gui. Telle est l'origine, l'accroissement du gui, sa fructification, & la différence du sexe de cette plante : c'est aux recherches des modernes qu'on en doit les connoissances, les anciens n'en avoient que de fausses.

Ils ont regardé le gui comme une production spontanée, provenant ou de l'extravasation du suc nourricier des arbres qui le portent, ou de leur transpiration ; en conséquence ils lui ont refusé des racines. Ceux qui l'ont fait venir de semences, ont imaginé qu'elles étoient infructueuses, à-moins qu'elles n'eussent été mûries dans le corps des oiseaux. Ils ont créé des plantes différentes, des côtés ou des parties d'arbres sur lesquels croît le gui : de-là vient qu'ils ont nommé stelis ou ixia le gui attaché sur le bois du côté du nord, & hyphear celui qui est attaché du côté qui regarde le midi. C'est ce qu'on lit dans Pline, lib. XVI. ch. xxx.

La distinction qu'ils ont encore tiré de la variété des arbres sur lesquels il vient pour en former différentes especes, n'a pas un fondement plus solide ; comme si une plante cessoit d'être la même, parce qu'elle croît dans des terreins différens. Mathiole a beau répéter, d'après Théophraste, que le gui de chêne, du roure, du châtaignier, perd ses feuilles à l'approche de l'hyver ; il n'a répété qu'une fausse observation, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus.

Malpighi s'est bien gardé de tomber dans aucune de ces diverses erreurs. Cet admirable observateur en tout genre, qui ne s'en tenoit point aux apparences ni aux idées des autres, mais qui cherchoit à voir, & qui rapportoit après avoir bien vû, a décrit très-exactement, quoiqu'en peu de mots, la semence du gui, sa germination & ses racines. M. de Tournefort ne nous a rien appris de plus, que ce qu'avoit enseigné l'ami & le medecin d'Innocent XII. & il paroît même s'être trompé sur la description des embryons qui forment le fruit du gui femelle. (D.J.)

GUI, (Med. & Mat. med.) Si le gui touche la curiosité des Botanistes, je ne lui connois aucun point de vûe qui puisse intéresser le medecin. Il est vrai que cette plante parasite passoit autrefois pour une panacée ; mais ces préjugés émanés de la superstition gauloise, doivent cesser aujourd'hui. Cependant on n'ignore pas les grandes vertus que quelques auteurs continuent de lui assigner ; les uns le louent pour chasser la fievre quarte, pour provoquer les regles, pour tuer les vers des enfans ; & d'autres le recommandent dans plusieurs remedes externes, emplâtres & onguens, pour mûrir ou pour résoudre les tumeurs.

Je sai qu'un docteur anglois nommé Colbatch, a fait un discours sur cette plante, dans lequel il a transcrit les merveilles que Pline, Galien & Dioscoride lui ont attribuées ; il la vante comme eux dans toutes les especes de convulsions, dans le vertige, l'apoplexie, la paralysie ; & pour comble de ridicule, il donne la préférence au gui du noisettier sur celui du chêne. On retrouve toutes ces sottises dans d'autres ouvrages ; mais l'entiere inutilité du gui en Medecine, & du plus beau gui de chêne qui soit au monde, n'en est pas moins constatée par l'expérience ; & dans le fond d'où tireroit-il son mérite, que des arbres dont il se nourrit ?

Il y a même en particulier du danger à craindre dans l'usage des baies du gui ; leur acreté, leur amertume & leur glutinosité, les font regarder comme une espece de poison. L'on prétend qu'employés intérieurement, elles purgent par le bas avec violence, & causent une grande inflammation dans l'estomac & les intestins. On comprend sans peine que l'acreté, la figure & la glu de ces baies, sont très-propres à produire les mauvais effets dont on les accuse, en s'attachant fortement aux visceres & en les irritant : c'est néanmoins à l'expérience à décider. Mais au cas qu'on eût fait usage de ces baies en quelque quantité, soit par malheur ou par des conseils imprudens, un bon & simple remede seroit d'avaler peu-à-peu une grande abondance d'eau tiede, pour laver insensiblement cette glu, & faciliter par ce moyen l'expulsion des baies hors du corps.

On composoit jadis avec les baies de gui le viscum aucupum, ou la glu des oiseleurs ; mais présentement on a abandonné cet usage. On fait la bonne glu avec l'écorce de houx. Voyez GLU. (D.J.)

GUI ou GUY, (Marine) c'est une piece de bois ronde & de moyenne grosseur ; on y amarre le bas de la voile d'une chaloupe & de quelques autres petits bâtimens. Il tient la voile étendue par le bas, & vient appuyer contre le mât. C'est proprement une vergue qui est au-bas de cette sorte de voile ; au lieu que les vergues sont par le haut dans les voiles à trait quarré. (Z)


GUIAGEGUIDAGé ou GUIONAGE, guidagium, guidaticum, (Jurispr.) est un droit dû en Languedoc par les habitans des lieux qui sont le long de la côte de la mer, en vertu duquel ils sont obligés de tenir toutes les nuits des flambeaux allumés sur les tours les plus élevées, pour servir de guide aux vaisseaux qui sont en mer. Ce droit a été longtems sans être exigé ; mais par arrêt du conseil d'état de 1673, il a été ordonné que ceux qui le devoient le payeroient à l'avenir. Les comtes de Toulouse levoient aussi autrefois un impôt pour la sûreté des chemins, appellé guiage. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot guiage. (A)


GUIANACOESS. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede d'Amérique, qui est de la taille de nos plus grands cerfs ; il a le cou fort long, les jambes menues, & le pié fourchu ; sa tête ressemble tout-à-fait à celle du mouton, & il la porte avec grace ; sa queue est touffue & d'un roux très-vif ; son corps est garni de laine rouge sur le dos, blanche sur les côtés & sous le ventre. Cet animal est extrèmement agile ; il a la vûe perçante & fuit dès qu'on veut l'approcher, les Indiens se servent de sa peau pour faire leurs vêtemens. Voyez le voyage à la mer du Sud, fait par quelques officiers commandant le vaisseau le Wager. (-)


GUIANE(Géog.) les Géographes donnent aujourd'hui ce nom à tout le pays qui s'étend le long des côtes de l'Amérique méridionale, entre l'Orinoque & l'Amazone. On peut le diviser du nom de ses possesseurs d'orient en occident, en Guiane portugaise, Guiane françoise, Guiane hollandoise, & Guiane espagnole. La Guiane portugaise, que la France a cédée à la couronne de Portugal par la paix d'Utrecht, s'étend depuis la rive septentrionale & occidentale de l'Amazone jusqu'à la riviere d'Yapoco, que les François de Cayenne nomment Oyapoc, & qui fut mal-à-propos confondue alors avec la riviere de Vincent Pinçon, qui est beaucoup plus au sud. La Guiane françoise, ou la France équinoxiale, qui est la colonie de Cayenne, embrasse l'espace compris entre la riviere d'Oyapoc & celle de Marawini, que l'on nomme à Cayenne Marauni ou Maroni. La Guiane hollandoise commence à la riviere de Marawini, & se termine à celle d'Esséquébé. Il reste pour la Guiane espagnole le pays renfermé entre l'Esséquébé, où se termine la colonie hollandoise & l'Orinoco. Dans les premiers tems de la découverte de l'Amérique, où les Espagnols en prétendoient la possession exclusive, ils avoient donné le nom de nouvelle Andalousie à toutes les terres voisines des côtes, entre l'embouchure de l'Orinoco & celle de l'Amazone ; & ils n'avoient donné le nom de Guiane ou plûtôt de Goyana, qui s'est depuis étendu jusqu'à la mer, qu'à la partie intérieure du Continent, renfermée entre leur nouvelle Andalousie & le fleuve des Amazones. C'est dans cet intérieur des terres qu'on plaçoit le fameux lac Parime, sur les bords duquel étoit située la ville fabuleuse de Manoa del Dorado. Voyez PARIME & MANOA. Article de M. DE LA CONDAMINE.


GUIBERT(Manuf. en toile) espece de toiles de lin blanchi, qui se fabriquent à Louviers proche Roüen. Il y en a de fines, de moyennes, & de grosses. Elles sont appellées Guibert du nom de l'inventeur. Elles ont depuis 70 jusqu'à 75 aunes de longueur, & leur largeur de 2/3, de 7/8, ou de l'aune de Paris. On en fait des draps & des chemises.


GUIBRAI(FIL DE) Cirier, fil d'étoupe blanchi dont on fait la meche des cierges, de la bougie filée, & des flambeaux de poing. Voyez les articles CIRE, CIRIER, CIERGE, BOUGIE.


GUICHETou VOLET, s. m. (Menuiserie) c'est ce qui ferme sur les chassis à verre, des croisées pour empêcher le jour : on nomme aussi guichets les petites portes d'une grande porte cochere. Voyez les Planches de Menuiserie.

GUICHET, (Hydraulique) les guichets sont des ouvertures pratiquées dans les grandes portes & vannes des écluses, pour introduire l'eau dans les petits bassins appellés formes, pour faire sortir les vaisseaux qui y ont été radoubés & mis en état d'entreprendre de grandes routes : ces guichets se ferment avec de petites vannes qu'on leve & baisse à l'aide des crichs attachés sur l'entre-toise supérieure. (K)


GUICHETIERS. m. (Jurisprud.) est un valet de geolier ou concierge des prisons, qui est préposé à la garde des guichets ou portes de la geole, & qui a soin d'enfermer & de garder les prisonniers.

L'ordonnance de 1660, tit. xiij. contient plusieurs dispositions sur le devoir des guichetiers. (A)


GUIDAUXGUIDELÉS, QUIRIATES, QUIDIATES, HAUTS ÉTALIERS, terme de Pêche ; c'est une sorte de filet composé de mailles de diverses grandeurs ; il a la forme d'un sac de rets, ou d'une chausse d'apothicaire, à cette différence près, que le bout en est plus long, & qu'il finit en pointe émoussée.

Cette espece de chausse a en tout environ trois brasses & demie ou quatre brasses, le haut une brasse de plus que le bas ; ce qui donne une ouverture d'environ sept à huit piés de large.

Pour établir ce filet, on plante sur les fonds de fortes perches ou de petits poteaux de la longueur de neuf à dix piés ; ils sont enfoncés entre les roches ou dans le terrein d'environ deux piés ; ce qui les fait sortir d'environ sept à huit piés, pour soûtenir les pieux à l'ebbe & à la marée ; ils ont chacun deux étais frappés d'un bout sur la tête du pieux & de l'autre à un piquet convenablement éloigné. Ces pieux des bouts de la rangée sont en cone chacun, soûtenu par un étai, l'un dans l'eau, & l'autre vers la tête.

L'ouverture du sac est garnie d'une ralingue ou gros cordage au haut du pieu du côté de l'eau : il y a au cordage un tillet de fer & un de corde du côté de terre ; on distend cette ouverture tant par le haut que par le bas, qui est éloigné du terrein d'environ dix-huit pouces.

Ce filet ne peut pêcher que d'ebbe, l'ouverture étant de ce côté, ensorte que rien ne s'y prend de flot ; il y a quelques petites cordes qui tiennent l'ouverture en état. Après que les Pêcheurs ont nettoyé & vuidé le bout de leur guidau, ils le retroussent sur le haut des pieux ; la marée retournant le fait tomber en s'entonnant dedans ; il arrête toutes sortes de poissons en grande quantité, sur-tout du fretin si petit qu'à peine l'espece s'en peut-elle distinguer. Qu'on juge par-là du tort que ce filet fait en général à la Pêche.

On met sur une même ligne plusieurs de ces guidaux ; il y en a jusqu'à vingt, trente, & plus, ce qui forme ce que les Pêcheurs appellent des étaliers ; ils se réunissent ensemble pour cela. Voyez la disposition de ces guidaux dans nos Planches de Pêche.

On se sert aussi de ce filet dans les rivieres ; on le place à une arche de pont dont on retrécit l'ouverture par un clayonnage : cette disposition differe peu de ce qu'on appelle gorre ou gort.

Les basches ne sont autre chose que des guidaux à bas étaliers, c'est-à-dire dont l'ouverture est beaucoup plus petite ; les perches qui les soûtiennent n'ont que six piés de haut, & leur chausse n'a que deux brasses & demie à trois brasses au plus de long : on les établit pour pêcher au reflux, mais on peut s'en servir de flot ou d'ebbe.

La basche est encore une espece de bout de quievre ; il consiste en un sac de grosse toile formé en pointe, d'environ trois brasses de long & de deux de large : lorsqu'il est monté, les deux côtés sont arrêtés sur deux morceaux de bois que les Pêcheurs nomment canons ou colonnes. Ces canons ont trois piés & demi de haut ; on passe dans le milieu une traverse de deux brasses de long pour distendre le haut & le bas du sac, ensorte que cette charpente a la figure H : au haut & au bas de ces deux colonnes est frappé un moyen cordage de deux à trois brasses de long. Les Pêcheurs passent sur leurs épaules les cordages des colonnes, & traînent cet instrument derriere eux à un jusqu'à deux & trois piés d'eau ; il differe en ceci du boutteux ou bout de quievre, en ce que ces derniers instrumens sont poussés en-avant ; au lieu que celui-ci est tiré derriere le pêcheur. Voyez nos Planches de Pêche. (D)


GUIDES. m. (Gramm.) on donne ce nom en général à tout ce qui sert à nous conduire dans une route qui nous est inconnue : il se prend au simple & au figuré.

GUIDES, (Art milit.) ce sont à la guerre, des gens du pays choisis pour conduire l'armée & les détachemens dans la marche.

On forme dans les armées des compagnies de guides ; elles sont commandées par un officier auquel on donne le nom de capitaine des guides. " Les guides, dit Montecuculli, sont dans une armée comme les yeux dans le corps ; on doit les bien garder, se les attacher par la récompense, par l'espérance, & par la crainte du châtiment ". Il observe qu'on leur fait quelquefois donner des ôtages pour gages de leur fidélité. L'emploi de capitaine des guides demande beaucoup d'habileté & de pénétration : cet officier doit absolument savoir la langue du pays où l'on fait la guerre, & ne rien négliger pour se procurer des guides sûrs & intelligens. (Q)

GUIDE, en Musique, est la premiere partie qui entre dans une fugue & qui annonce le sujet. Voyez FUGUE.

Ce mot commun en Italie n'est guere en usage en France en ce sens ; mais il seroit à desirer qu'il le devînt, aussi-bien que tous ceux qui sont propres dans quelque art que ce soit, & dont la privation oblige de recourir à des périphrases. (S)

GUIDE, s. f. terme de Bourrelier ; c'est ainsi qu'on appelle des bandes de cuir étroites que l'on attache au bas des branches du mors des chevaux d'équipage, & qui servent à les gouverner. On distingue deux sortes de guides, les grandes & les petites : les petites guides sont des bandes de cuir garnies de boucles, que l'on attache aux branches du mors qui sont en-dedans & du côté du timon, & qui par l'autre bout vont, après s'être croisés, aboutir aux grandes guides où elles sont aussi attachées par des boucles : les grandes guides sont des bandes de cuir qui s'attachent aux branches du mors en-dehors au moyen de deux boucles, & que le cocher tient dans ses mains afin de pouvoir par leur moyen gouverner les chevaux & leur faire faire tous les mouvemens qu'il convient.

GUIDE, c'est dans le sommier de l'orgue une regle ou barre de bois, m (fig. 5, 7 & 9.) collée & cloüée sur la partie intérieure du dessous de la laie. Cette barre est traversée par des traits de scie m m m (fig. 7.) paralleles & directement placés vis-à-vis ceux des soupapes qu'ils doivent regarder. Ces traits de scie du guide & ceux des soupapes, servent à loger les ressorts f g e (fig. 6 & 9, Pl. d'Orgue) qui renvoyent les soupapes contre le sommier. Voyez RESSORTS & SOMMIER.

Guide, c'est aussi dans le sommier la suite des pointes c c c c (fig. 4.) entre lesquelles les soupapes se meuvent.

Guide, c'est pour les pilotes la planche D D (fig. 20 & 22.) percée de trous, au-travers desquels les pilotes passent : la partie D E de la pilote qui entre dans le trou du guide, doit être plus menue que l'autre partie D C (fig. 22.) qui doit ne point pouvoir y passer.

Guide de clavier, c'est la suite de pointes E F, (fig. 15.) entre-deux desquelles les touches se meuvent, & les pointes b b b (fig. 18.) qui guident les touches du clavier de pédale. Voyez CLAVIER & CLAVIER DE PEDALE.

Guide, c'est pour les bascules brisées & les bascules du positif, des rangées de pointes en tout semblables à celles du guide des claviers, mais d'une grandeur & grosseur proportionnées à l'étendue des mouvemens qu'elles doivent conduire. Voyez les articles BASCULES BRISEES, & BASCULES DU POSITIF.

GUIDE des sautereaux, des épinettes, & des clavecins ; c'est une regle de bois mince & qui est doublée de peau : cette regle est percée d'autant de trous que les registres au-dessous desquels ils répondent perpendiculairement. Le guide est placé à environ trois pouces au-dessous des registres dans l'intérieur du clavecin, & au-dessus des queues des touches ; ensorte que lorsque les sautereaux ont traversé les registres & le guide, ils tombent directement sur les queues des touches. Voyez CLAVECIN, & la figure du profil de cet instrument, Pl. XV. de Lutherie, fig. 2.

GUIDE, (Menuiserie) ces ouvriers nomment ainsi le morceau de bois qui s'applique au côté d'un rabot ou autre instrument de cette nature, & qui dirige le mouvement lorsqu'il s'agit de pousser une feuillure.

GUIDE-ANE, en terme de Cornetier, s'entend d'une espece de couteau à deux lames dont l'une est placée plus bas que l'autre, de façon que quand celle-ci coupe, l'autre ne fait que marquer la place où la tranchante coupera au trait suivant. Cet outil sert à faire les dents d'un peigne.

GUIDE-CHAINE, ou GARDE-CORDE, (Horlog.) nom que les Horlogers donnent à une piece qui sert à empêcher la fusée de tourner, lorsqu'une fois la montre est montée tout au haut. Voyez la fig. 44. Pl. d'Horlogerie, où l'on voit en plan ce guide-chaîne & son pié : i g représente l'extrémité de cette piece qui sert à arrêter la fusée lorsqu'une fois la montre est montée jusqu'au haut ; & i une petite lame fort mince percée d'un trou dans son milieu : c'est au moyen de cette lame que cette piece s'ajuste dans son pié, comme il est marqué à l'art. PIE DE GUIDE-CHAINE. Par cet ajustement, le guide-chaîne, sans pouvoir sortir de son pié, est mobile, & sa partie g peut s'approcher ou s'éloigner de la platine. Le petit ressort r (fig. 44.) qu'on appelle le ressort du guide-chaîne, sert à tenir toûjours cette partie à une certaine distance de la platine, afin que le crochet de la fusée passe facilement dessous sans y toucher. Son pié est placé de façon que la chaîne passe au-dessus de sa partie g ; & que son extrémité g posant sur la platine, rencontre le crochet de la fusée, quand on la tourne dans un sens contraire à celui où elle tourne, lorsque la montre marche ; cette disposition bien entendue, voici comment cette piece empêche de tourner la fusée, lorsqu'une fois la montre est montée jusqu'au haut.

Quand on monte une montre, la chaîne s'approche de plus en plus de la platine de dessus ou du balancier, comme il est facile de le voir en en remontant une hors de sa boîte : or lorsque la montre est montée presqu'au haut, la chaîne est fort près de cette platine ; mais, comme nous l'avons dit, elle passe au-dessus du guide-chaîne qui est continuellement élevé par le petit ressort r : par conséquent en approchant de la platine de dessus, elle le force à s'abaisser & à s'en approcher aussi ; ce qu'il continue de faire jusqu'à ce que son extrémité g posant sur la platine, elle ne puisse plus baisser davantage ; alors le crochet de la fusée la rencontrant, il est impossible de faire tourner la fusée davantage en ce sens ; & par ce moyen on ne court point le risque de casser la chaîne ; ce qui arriveroit presque immanquablement si l'on montoit la montre au-delà d'un certain nombre de tours. Voy. FUSEE, CROCHET DE FUSEE, CHAINE, PIE DE GUIDE-CHAINE, &c. (T)


GUIDONS. m. (Art milit. & Hist. mod.) se prend dans l'art militaire pour une sorte d'étendard particulier à la gendarmerie françoise, & pour l'officier qui le porte.

Il n'y a que les gendarmes de la garde & les gendarmes des compagnies d'ordonnance qui ayent cette espece d'étendard & d'officier ; les chevau-legers d'ordonnance ne l'ont point.

Cet étendard est plus long que large & fendu par le bout, les deux pointes arrondies.

Il y a trois officiers dans les gendarmes de la garde avec le titre de guidon ; ils sont après les enseignes : il n'y a qu'un officier avec ce titre dans chaque compagnie de gendarmes ; c'est le dernier des grands officiers. (Q)

GUIDON, s. m. (Musique) en italien mostra, en latin index ou custos, est un petit signe de Musique qui se met à l'extrémité de chaque portée sur le degré où sera située la note qui doit commencer la portée suivante, afin de l'indiquer d'avance & d'empêcher qu'on ne prenne une portée pour l'autre. Si cette premiere note est accompagnée d'un dièse, d'un bémol ou d'un béquarre, il est bon d'en accompagner aussi le guidon. (S)

GUIDON, terme d'Arquebusier, c'est un petit morceau d'argent ou de cuivre taillé en grain d'orge un peu plus gros, qui est soudé au-dessus du canon, à un pouce du bout d'en-haut, qui sert pour viser & fixer le point de vûe.


GUIDONES. f. guidonia, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de l'un des noms de baptême de M. Gui Crescent Fagon, premier medecin du roi Louis XIV. & intendant du jardin royal des plantes. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, ressemblante à un cone tronqué, & posée sur un calice découpé ; il s'éleve du nombril de ce calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ovoïde & charnu ; ce fruit s'ouvre d'un bout à l'autre en quatre parties, & il est rempli de semences ordinairement oblongues & attachées à un placenta. Plumier, nova plant. american. gener. Voyez PLANTE. (I)


GUIENNE(LA) Aquitania, (Géog.) partie considérable du royaume de France ; mais il faut bien distinguer la guienne, province, de la Guienne propre.

La Guienne, province, est bornée au nord par le Poitou, l'Angoumois, & la Marche ; à l'est par l'Auvergne & par le Languedoc ; au sud par les Pyrénées, & à l'oüest par l'Océan. Elle forme le plus grand gouvernement de France, qui a quatre-vingt lieues de large sur quatre-vingt-dix de long : les rivieres qui l'arrosent sont l'Adour, le Tarn, l'Avéiron, & le Lot.

Il ne paroît pas que le nom de Guienne qui a succédé à celui d'Aquitaine connu des Romains, ait été en usage avant le commencement du quatorzieme siecle ; cependant il commença dès-lors à prendre faveur, & il prévalut sur la fin du siecle suivant. Le duché de Guienne acquis par l'Angleterre dans le douzieme siecle, revint à la France sous le regne de Charles VII. l'an 1553 ; & cette derniere puissance en a toûjours joüi depuis.

La Guienne entiere est divisée en haute & basse : la basse comprend le Bourdelois, le Périgord, l'Agénois, le Condomois, le Bazadois, les Landes, la Gascogne proprement dite, le pays de Soule & de Labour.

La haute Guienne dont la principale ville est Montauban, comprend le Quercy, le Roüergue, l'Armagnac, le comté de Comminges, le Couserans, & la Bigorre. Ces pays qui composent la haute Guienne, sont tous du ressort du parlement de Toulouse ; il n'y a que la basse Guienne qui reconnoisse le parlement de Bordeaux.

Je supprime les autres détails de géographie, pour ajoûter une seule remarque qui intéresse le bien de l'état. Cette partie de la Guienne qui porte le nom de haut-pays, ne connoît que l'Agriculture & les arts qui en dépendent, sans lesquels lorsque les récoltes manquent, les habitans sont dans l'impossibilité de payer leurs charges : c'est donc au prince à les faire joüir de la liberté de leur commerce, & à leur accorder un droit naturel dont la propriété ne peut se prescrire, & dont l'exercice ne peut etre interrompu, sans supposer que la religion du souverain a été surprise. Il ne faut point perdre à la discussion de vains titres d'abus, un tems mieux employé à les abolir. (D.J.)


GUIENNE PROPRE(la) Géogr. la Guienne propre, ou proprement dite, est une contrée de province de France, au gouvernement de Guienne, dont elle fait partie, & auquel elle donne son nom. Elle est bornée au N. par la Saintonge, à l'E. par l'Agénois & le Périgord, au S. par le Bazadois & par la Gascogne, à l'O. par l'Océan. Ce pays comprend le Bourdelois, le Médoc, le capitalat de Buch, & le pays entre deux mers. La ville principale de la Guienne propre est Bordeaux. (D.J.)


GUIGNEAUXS. m. (Charpenterie) pieces de bois qui s'assemblent dans la charpente d'un toît, & sur les chevrons, où elles laissent un passage à la cheminée, comme le chevêtre dans les planchers.


GUIGNESS. f. pl. (Jardinage & Diete) espece de cerises, voyez CERISE & GUIGNIER.


GUIGNIERS. m. (Botan.) arbre qui porte les guignes ; c'est une espece de cerisier nommé des Botanistes cerasus fructu aquoso, J. D. R. 626. cerasus carne tenerâ & aquosâ, C. B. P. 450. Cet arbre ne differe pas du bigarreautier ; ses fruits nommés en Botanique cerasa aquea, sont plus mous que les bigarreaux, plus succulens, & d'un rouge plus foncé ; ils chargent moins l'estomac, donnent par l'analyse chimique une moindre portion d'huile, & par conséquent contiennent un sel essentiel tartareux, délayé dans beaucoup de flegme ; ils se corrompent plus aisément que les cérises ordinaires ; il y a des guignes blanches, des rouges, & des noires. (D.J.)


GUIGNOLES. f. (Balances) c'est un pié d'où part une branche recourbée & terminée en crochet ; elle sert à suspendre les trebuchets ou petites balances, afin de peser plus juste. Cet instrument est à l'usage de tous ceux qui débitent des marchandises précieuses.


GUILFORDGuillofordium, (Géog.) ville à marché d'Angleterre, capitale du comté de Surrey, sur le Wey. Elle envoye deux députés au parlement, & est à 25 milles S. O. de Londres. Long. 17. 6. lat. 51. 10.

Robert & Georges Abbot, freres, étoient tous les deux de Guilford. Robert Abbot y naquit en 1560, & mourut en 1618. Le roi Jacques fut si charmé de son livre latin de la souveraine puissance, qu'il fit l'auteur évêque de Salisbury, & le combla de bienfaits ; en échange Georges Abbot ayant eu le malheur de déplaire au même prince, fut suspendu des fonctions de son archevêché de Cantorbery, & mourut de chagrin au château de Croyedom, le 4 Août 1633. Tel a été le sort des deux freres : celui qui soûtint la mauvaise thèse, fut magnifiquement récompensé ; & celui qui défendit la bonne cause, fut disgracié. (D.J.)


GUILLAGES. m. (Brasserie) c'est la fermentation & l'action que fait la biere dans les pieces pour pousser dehors l'écume épaisse que les Brasseurs appellent levure.


GUILLAIN(SAINT-) Gislenopolis, Géog. ville des Pays-Bas autrichiens, au Hainaut, dans la prevôté de Mons, qu'elle défend par ses écluses. Elle est dans un lieu marécageux, sur la riviere de Haine, à deux lieues de Mons. Longit. 21. 29. latit. 50. 25. (D.J.)


GUILLAUMES. m. (Menuiserie) c'est un outil de 18 à 20 pouces de long, sur 4 à 5 de large, & un pouce plus ou moins d'épaisseur. Il y a au milieu une espece de mortaise, qui perce jusqu'aux trois quarts de la largeur ou hauteur ; c'est le passage de la queue du fer qui y est serré avec un coin ; le surplus est ouvert en-travers ; c'est la place du tranchant du fer ; car le fer est de toute l'épaisseur du fust jusqu'à la hauteur d'un pouce & demi ou environ ; il est tranchant sur les deux côtés, pas tout-à-fait tant du côté de dessous, qui est son vrai tranchant. Il y a plusieurs sortes de guillaumes. Voyez les Planches de Menuiserie, & les articles suivans.

Il y a le guillaume ceintré, & plusieurs especes de guillaumes ceintrés. Le guillaume ceintré sur le plat, & le guillaume ceintré sur les côtés. Ceux-ci sont d'usage dans les ouvrages ceintrés.

Le guillaume debout, c'est celui dont le fer n'est point incliné & n'a point de pente ; on s'en sert lorsque les bois sont trop rustiques, & que les autres ne peuvent les couper net.

Le guillaume à ébaucher, qui sert à commencer les ravalemens de feuillures.

Le guillaume à plate-bande, avec lequel on forme les plates-bandes ; il est fait comme les autres, à l'exception qu'il a une joue qui dirige l'outil dans le travail de la plate-bande ; que l'angle extérieur en est arrondi, & que quelquefois il porte un quarré.

Le guillaume à recaler, qui sert à finir les feuillures, les ravalemens, &c.

Il y a encore un guillaume qui est commun aux Menuisiers & aux Charpentiers, avec lequel ils dressent les tenons & moulures de fond des feuillures.


GUILLEDINS. m. (Manége) terme qui dans notre langue signifie proprement un cheval hongre anglois. Il a été fait du mot gelding, usité pour exprimer dans la langue angloise, l'action de châtrer ou de couper, & par lequel on désigne encore un cheval hongre, un cheval coupé, cuthorse (e)


GUILLELMITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) congrégation de religieux, instituée par S. Guillaume, hermite de Malaval en Toscane, & non par Guillaume dernier duc de Guienne, comme le prétendent ces religieux contre le sentiment des critiques. Ils ne suivent point non plus la regle de S. Augustin, puisqu'ils s'opposerent à l'union qu'on avoit faite de leur ordre à celui des hermites de S. Augustin, & que le pape Alexandre IV. par une bulle de l'an 1256, leur permit de conserver leur habit particulier, & de suivre la regle de S. Benoît avec les instructions de S. Guillaume leur fondateur. Cet ordre subsiste encore en Allemagne & en Flandres. Il avoit aussi autrefois des maisons en France, & le roi Philippe le Bel donna à ces religieux celle que les Blancs-Manteaux avoient à Paris, qu'ils occuperent depuis l'an 1299 jusqu'en 1630, que les Bénédictins de S. Vanne prirent leur place ; & ceux-ci l'ont cédée à la congrégation de S. Maur. Voyez BLANCS-MANTEAUX. (G)


GUILLEMETS. m. dans l'usage de l'Imprimerie ; c'est le nom d'une espece de caractere figuré ainsi ", & qui représente deux virgules assemblées, dont on se sert pour annoncer au lecteur que ce qu'il va lire, est tiré d'un autre auteur que celui qu'il lit. Au défaut de guillemets, on met les citations d'auteurs en caractere italique. Cet article-ci est précédé de guillemets, pour en faire voir la figure & l'usage, dans le cas où l'article est tiré d'un autre auteur ".


GUILLOCHERv. act. (Tourneur) voyez à l'article TOUR la maniere de guillocher. Les Vernisseurs font des tabatieres de carton, & autres ouvrages qui semblent être guillochés, par les différentes couleurs qui y sont posées. Pour cet effet les ouvriers qui forment la boîte, la guillochent sur le tour quand elle est bien seche, comme on fait aux boîtes d'écaille ; ensuite le vernisseur remplit ces guillochures avec différentes couleurs au vernis, & ensuite y met autant de touches de vernis qu'il est nécessaire pour la rendre unie & luisante.


GUILLOCHISS. m. terme d'Architecture, c'est un ornement qui se taille sur les faces, plates-bandes, & sofites d'architrave en formes d'entre-bas. Cet ornement est antique : il s'en voit au plafond du temple de Mars le vangeur à Rome. (P)

GUILLOCHIS ou ENTRELAS, (Jardinage) est un compartiment formé de lignes ou d'allées quarrées entrelacées les unes dans les autres. Ces sortes de desseins, qui se font avec du bois, du gason, ou de la charmille, conviennent également aux parterres comme aux bosquets. (K)


GUILLOIRECUVE, battre la guilloire ; voyez l'article BRASSERIE.


GUIMARAENSVimananum, (Géog.) ancienne, forte, & considérable ville du Portugal, dans la province d'entre Duéro-e-Minho, & dans la Comarca. Elle a été souvent le séjour des rois de Portugal, & ce qui en est une suite, les édifices publics modernes ont de l'éclat. Elle est à 3 lieues de Brague, 11 de Porto, 16 N. O. de Lamégo, 66 N. E. de Lisbonne. Long. 9. 46. latit. 41. 25.

Guimaraens donna le jour au pape Damase, successeur de Libere en 366 ; ce pape tint plusieurs conciles, excommunia les Lucifériens, introduisit l'usage de chanter l'alleluia, & eut un illustre secrétaire en la personne de S. Jérôme.

Cette ville est encore la patrie d'Alphonse, premier roi de Portugal, qui défit cinq rois Maures confédérés, à la bataille d'Ourique en 1139, & mourut à Coïmbre en 1185, âgé de 76 ans. (D.J.)


GUIMAUVES. f. (Botan.) althaea ou bismalva des Botanistes ; ses caracteres sont les mêmes que ceux de la mauve, voyez MAUVE. Ses racines qui sortent d'une tête, sont blanches en-dedans, nombreuses, de la grosseur d'un doigt, fibreuses, & remplies d'un mucilage gluant ; ses tiges sont hautes d'environ trois piés & demi, tendres, greles, cylindriques, velues, garnies de feuilles alternes, d'un verd-pâle, arrondies, pointues, blanchâtres, cotonneuses, longues d'environ trois pouces, ondées, dentelées, & portées sur une grande queue. Ses fleurs naissent des aisselles des feuilles ; elles sont d'un blanc tirant sur le rouge, d'une seule piece, partagées en cinq parties jusque vers la base, & garnies dans cet endroit d'un tuyau pyramidal chargé d'étamines & de sommets ; le pistil s'emboîte dans ce tuyau, & devient un fruit applati & arrondi, composé de plusieurs capsules, disposées en maniere d'anneau, arrangées autour d'un placenta qui occupe le centre. Ces capsules sont membraneuses, minces, en forme de rein, & elles contiennent une graine de même figure.

Il n'est pas aisé de décider si notre guimauve est l'althaea de Dioscoride ; on peut soûtenir également le pour & le contre : mais nos botanistes modernes l'ont trop bien caractérisée, pour qu'on la confonde dans la suite ; elle vient par-tout dans les lieux maritimes, dans les marais, le long des ruisseaux, & fleurit au mois de Juillet. On fait un grand usage en Medecine des feuilles, des fleurs, des graines, & sur-tout des racines de cette plante. (D.J.)

GUIMAUVE, (Pharmacie & Mat. med.) on n'employe ordinairement en Medecine que la racine de cette plante ; elle contient un mucilage abondant : on en retire par une legere ébullition dans l'eau jusqu'à trois gros & quelques grains par once, selon Cartheuser. Mais il est difficile d'estimer au juste la quantité de cette matiere, parce que son poids varie considérablement selon le plus ou le moins d'eau auquel elle est unie. Voyez l'article MUCILAGE.

Ce mucilage est la vraie partie médicamenteuse de la guimauve.

Les usages médicinaux de la guimauve lui sont communs avec les autres substances végétales mucilagineuses ; & les propriétés particulieres que plusieurs auteurs lui ont accordées contre la pleurésie, l'asthme, les graviers, & les petits calculs des reins & de la vessie, ne sont rien moins que vérifiées. On l'ordonne pour l'usage intérieur sous forme de tisane, ordinairement avec d'autres remedes analogues, tels que les fruits doux, le chiendent, la réglisse, l'orge, &c.

On doit avoir soin de ne la faire entrer qu'en petite quantité dans ces tisanes, à la dose d'une once tout-au-plus par pinte d'eau, & de ne l'introduire dans la décoction que sur la fin de l'ébullition, parce que trop de mucilage rendroit cette boisson gluante, épaisse, dégoûtante, & nuisible à l'estomac.

On employe encore cette racine en cataplasme, dans la vûe de ramollir les tumeurs inflammatoires, de calmer les douleurs qu'elles causent, & de les mener à suppuration ; on en fait des lotions & des fomentations dans la même vûe : quelques praticiens recommandent ces remedes extérieurs dans quelques affections des parties internes, dans la pleurésie, par exemple, l'inflammation du foie, des reins, & de la vessie. Voyez quel succès on doit attendre de ces remedes aux articles INFLAMMATOIRES, (MALADIES) & TOPIQUE.

On employe aussi aux mêmes usages, mais beaucoup plus rarement, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur, les feuilles, les semences, & les fleurs de guimauve ; ces parties sont moins mucilagineuses que les racines.

On prépare avec la guimauve un sirop simple, & des tablettes ; elle donne son nom au sirop de guimauve composé ou sirop de ibisco, au sirop de guimauve de Fernel, à la pâte de guimauve, & à l'onguent appellé communément d'althaea.

Sirop de guimauve simple. Prenez des racines fraîches de guimauve mondées & coupées par tranches, six onces : faites-les cuire dans huit livres d'eau commune : passez, ajoûtez six livres de sucre, clarifiez & cuisez en consistance de sirop.

Cette composition a les mêmes usages intérieurs que la décoction de la racine. Elle n'est pas de garde, c'est pourquoi les bons apothicaires la renouvellent très-souvent, sur-tout en été.

Sirop de guimauve de Fernel. Prenez de racines de guimauve deux onces ; de pois chiches une once ; de racines de chiendent, d'asperges & de réglisse, de chacune demi-once ; de raisins secs mondés, demi-once ; de sommités de guimauve, de mauve, de pariétaire, de pimprenelle, de plantain, de capillaire commun, de chacun une once ; des quatre grandes semences froides majeures, & des mineures, de chacune trois gros : cuisez dans demi-livre d'eau jusqu'à la moitié : passez : ajoûtez à la colature quatre livres de sucre : clarifiez & unissez en consistance de sirop.

On ordonne ce sirop depuis demi-once jusqu'à une & deux onces dans les juleps béchiques & diurétiques ; on l'ajoûte en plus grande dose aux tisanes & aux émulsions pour boisson ordinaire ; on le fait prendre aussi par petites cuillerées pour calmer la toux. C'est un remede fort innocent, c'est-à-dire peu dangereux & peu utile.

Le sirop de ibisco est proprement le même que celui-ci ; les seuls de ses ingrédiens qui pourroient l'en faire différer essentiellement, sont les racines de raifort sauvage & de raifort de jardin, qui contiennent, comme on sait, un alkali volatil libre ; mais la décoction que ces racines essuient, remet la partie qu'elles fournissent au sirop dans le rang de simple extrait.

Onguent d'althaea. Prenez d'huile de mucilage, deux livres ; de cire jaune, demi-livre ; de poix résine & de térébenthine claire, de chacune quatre onces : faites fondre le tout à petit feu : retirez du feu, & remuez avec une spatule de bois jusqu'à ce que le mélange soit refroidi, & vous aurez votre onguent.

Il n'y a pas un atome de mucilage de guimauve dans cet onguent (voyez MUCILAGE) ; il est résolutif, maturatif, & anodyn ; on l'employe quelquefois avec succès dans les rhumatismes legers & dans les douleurs de côté ou fausses pleurésies. Quelques medecins en font faire aussi des frictions legeres sur le côté dans les vraies pleurésies (voyez PLEURESIE, RHUMATISME, & TOPIQUE).

Tablettes de guimauve de la pharm. de Paris. Prenez de la pulpe de racine de guimauve passée par le tamis, douze onces ; sucre blanc, deux livres ; eau de fleurs d'orange, deux onces : cuisez au bain-marie jusqu'à la consistance d'électuaire solide : faites des tablettes selon l'art. Voyez TABLETTES.

L'usage de ces tablettes est très-fréquent dans le rhume. On les laisse fondre dans la bouche ; la salive qui s'en charge peut calmer la toux gutturale & stomacale. La toux pectorale, le vrai rhume, ne paroît point pouvoir être soulagé par ce remede.

Pâte de guimauve. Prenez de la gomme arabique, la plus blanche, deux livres & demie ; du sucre blanc, deux livres & quatre onces ; d'eau commune, huit livres : faites fondre le sucre & la gomme : passez, faites cuire jusqu'à consistance d'extrait en remuant continuellement avec une spatule ; alors remuez & battez fort & sans relâche, en jettant dans votre masse peu-à-peu six blancs d'oeufs battus, avec demi-once d'eau de sleurs d'orange : continuez à brasser jusqu'à ce que votre masse devienne d'un beau blanc : enfin cuisez encore sur un feu doux en remuant toûjours, jusqu'à ce qu'en frappant sur la masse avec la main, elle ne s'y colle point. Tirez-la de la bassine encor chaude, jettez-la sur une feuille de papier couverte d'une petite couche de farine, elle s'y étendra d'elle-même, & prendra une épaisseur à-peu-près uniforme, d'un demi-pouce ou environ. Cette préparation est connue sous le nom de pâte de guimauve, parce que dans les dispensaires, la décoction de guimauve est demandée au lieu de l'eau.

On fait de cette pâte le même usage que des tablettes de guimauve.

La racine de guimauve entre dans plusieurs compositions officinales. (b)


GUIMBARDES. f. (Menuiserie) outil qui sert à égaliser le fond des rainures, lorsque le guillaume ni le bouvet ne peuvent y atteindre. Cet outil est un morceau de bois plat environ d'un pié de long sur cinq à six pouces de large, & un pouce & demi d'épaisseur, au milieu duquel on place un fer de bouvet arrêté avec un coin.

GUIMBARDE (LA) Jeux ; on appelle autrement ce jeu de cartes, la mariée, parce qu'il s'y fait un mariage entre le roi & la dame de coeur ; il se peut joüer jusqu'à neuf personnes, & pour lors on se sert du jeu complet de cinquante-deux cartes. La dame de coeur est la guimbarde, & la principale carte du jeu.


GUIMBERGEterme d'Architecture gothique ; ce mot s'entend dans Philibert de Lorme, de certains ornemens de mauvais goût, aux clés suspendues ou culs-de-lampe des voûtes gothiques.


GUIMPES. f. (Hist. mod.) partie du vêtement des religieuses ; c'est une espece de bande ou de mouchoir dont elles se couvrent le cou & la poitrine.


GUIMPLES. m. (Comm.) droit qui se leve sur le sel dans quelques endroits de la Bretagne, particulierement dans toute la prevôté de Nantes.

Il est dit dans la pancarte de cette prevôté, que le roi & duc prend par chacun an sur le sel, passant le trépas S. Nazaire, le droit appellé le devoir de guimple, c'est-à-dire le devoir de salage, sur trois vaisseaux portant chacun plus de six muids de sel, mesure nantoise, au choix & élection du receveur, une fois en l'an. Voyez les dictionn. de Commerce & de Trévoux. (G)


GUINDAS. m. (Tondeurs de draps) petite presse à moulinet & sans vis, dont on se sert pour donner le cati à froid aux étoffes de laine, après qu'elles sont tendues à fin ou en dernier, comme disent les ouvriers ; la presse à vis ou à jumelles n'est plus d'usage. Le guinda n'est guere employé qu'à Paris, Tours, & Orléans.


GUINDAGES. m. terme d'Architecture ; c'est l'équipage des poulies, mouffles, & cordages, avec les halemens, qu'on attache à une machine & à un fardeau, pour l'enlever ; ce qui est signifié par carchesium dans Vitruve, lorsqu'il parle des machines de guerre. (P)


GUINDALS. m. (Architecture) voyez CHEVRE.


GUINDANTadj. pris subst. (Marine) c'est la hauteur d'un pavillon, d'une flamme, ou d'une cornette ; sa longueur se nomme battant. (Z)

GUINDANT D'UN PAVILLON, (Marine) c'est sa hauteur, c'est-à-dire la partie du pavillon qui regne le long du bâton de pavillon qu'on appelle épars ; & sa longueur qu'on nomme le battant, est la partie qui voltige en l'air. (Z)


GUINDERv. act. terme d'Architecture, c'est enlever les pierres d'un bâtiment par le moyen des machines, comme grue, gruau, guindal, ou engin. (P)


GUINDERESSES. f. (Marine) cordage qui sert à guinder & à amener les mâts de hune. (Z)


GUINDRES. m. (Manufactures en soie) petites tournettes de roseau sur lesquelles on met les écheveaux de soie à devider ; elles ont ordinairement quatorze à quinze pouces de diamêtre sur dix pouces de hauteur.


GUINÉES. f. (Commerce) toile de coton blanche plûtôt fine que grosse, qui vient de Pondichery ; la piece est de vingt-neuf à trente aunes de longueur, sur 7/8 de largeur : il y a des guinées stufs, rayées, blanches, bleues, qui n'ont que trois aunes & demie de long sur deux tiers de large. Ces toiles sont bonnes pour la traite qu'on fait sur les côtes d'Afrique ; c'est-là ce qui les a fait appeller guinées.

GUINEE, s. f. (Commerce) monnoie d'or qui se fabrique en Angleterre ; elle a été ainsi appellée de la contrée d'où l'on apporta la matiere dont les premieres furent frappées. La guinée a beaucoup varié de valeur ; elle est de vingt-un schellings. Voy. SCHELLING.

GUINEE, (LA) Géog. vaste contrée d'Afrique, qui renferme plusieurs royaumes grands & petits, & divers peuples différemment gouvernés. Ce grand pays est situé entre la Nigritie au nord, l'Abyssinie à l'orient, & la Cafrerie au midi.

La Guinée a été entierement inconnue aux anciens. Nous n'en connoissons guere que les côtes qui commencent à la riviere de Sierra-Lionna, & s'étendent jusqu'au Cap-Negre, c'est-à-dire environ dix degrés en-deçà de la ligne, & seize degrés au-delà.

On divise la Guinée en haute & basse ; la basse Guinée est le même état que le Congo, dont la traite des Negres fait le plus important commerce des Portugais dans ce pays-là.

La haute Guinée est bornée au sud par l'Océan, & comprend divers pays que l'on trouve de suite & qu'on subdivise chacun en divers royaumes, dont les noms changent à mesure qu'on avance d'occident en orient : ces pays sont la côte de Malaguette, la côte des Dents, la côte d'Or, les royaumes de Juda, du grand Ardre, & de Bénin. Tout le négoce des Européens se fait sur les côtes des lieux que nous venons de nommer.

Les naturels sont des idolatres, superstitieux, vivans très-mal-proprement ; ils sont paresseux, yvrognes, fourbes, sans souci de l'avenir, insensibles aux évenemens heureux & malheureux qui réjoüissent ou qui affligent les autres peuples ; ils ne connoissent ni pudeur ni retenue dans les plaisirs de l'amour, l'un & l'autre sexe s'y plonge brutalement dès le plus bas âge.

Leur peau est très-noire ; leurs cheveux sont une véritable laine, & leurs moutons portent du poil. Ils vont tout nuds pour la plûpart ; & ceux qui sont assez riches pour être vêtus, ont une espece de pagne qu'ils roulent autour du corps, & qu'ils laissent pendre depuis le nombril jusqu'à mi-jambe : ces derniers se frottent d'huile & de peinture, & ornent leur cou, leurs bras, & leurs jambes, d'anneaux d'or, d'argent, d'ivoire, & de corail.

Presque tous les naturels de Guinée sont exposés à des dragonneaux, espece de vers qui entrent dans leur chair, & la rongent par des ulceres qu'ils y causent. La petite vérole est un autre fléau encore plus redoutable, & qui les emporte de-tems-en-tems par milliers.

Il paroît que les Diépois découvrirent cette contrée en 1364 sous Charles V. & qu'ils y ont navigé avant les autres nations européennes ; mais ils n'y formerent aucune habitation. Les Portugais plus avisés s'y établirent au commencement du quinzieme siecle, & l'année 1604 fut l'époque fatale de leur déroute ; alors les Hollandois les chasserent des forts & des comptoirs qu'ils avoient sur les côtes, & les contraignirent de se retirer bien avant dans les terres, où pour se maintenir ils se sont alliés avec les naturels du pays. Depuis cette époque, les Hollandois & les Anglois font presque tout le commerce des côtes de Guinée : les Brandebourgeois & les Danois y ont cependant quelques comptoirs.

Sous le regne de Jean II. roi de Portugal, qui travailloit avec tant d'ardeur à l'établissement des colonies portugaises dans les Indes & en Afrique, on trouva de l'or sur les côtes de Guinée, mais en petite quantité ; c'est peut-être de-là qu'on donne depuis le nom de guinées aux monnoies que les Anglois firent frapper avec l'or qu'ils amasserent dans le même pays. (D.J.)

GUINEE, (LA NOUVELLE) Géog. grande contrée de l'Océan oriental des Moluques ; on ignore si c'est une île, ou si cette contrée est attachée au continent des terres Australes : quoi qu'il en soit, elle est entre le deuxieme & le neuvieme degré de latitude méridionale, & entre les 146 & les 165 degrés de longitude. Elle va en se retrécissant vers le nord-oüest, & en s'élargissant vers le sud-est : par les 150 degrés, on y apperçoit une montagne nommée par les Hollandois Sneberg, parce qu'elle est chargée de neige. On dit que ce pays fut découvert en 1527 par Alvar de Paavédra, mais il n'y fit que passer : le terroir fertile par lui-même, est habité par des sauvages d'un teint brun olivâtre. Il est bien étonnant qu'on ne connoisse rien de l'intérieur d'un pays voisin des Moluques, & que tout ce qu'on en sait se réduise au gissement d'une partie de ses côtes. (D.J.)


GUINES(Géog.) petite ville de France en Picardie, située dans un pays marécageux, à deux lieues de la mer ; elle est capitale d'un petit comté qui faisoit autrefois partie de celui de Boulogne. Long. 19. 30. latit. 50. 57. (D.J.)


GUINGAMP(Géogr.) petite ville de France en Bretagne, capitale du duché de Penthievre, à 103 lieues sud-oüest de Paris. Long. 14. 39. 15. latit. 48. 33. 42. (D.J.)


GUINGUANS(Comm.) toile de coton quelquefois mêlée de fils d'écorce d'arbres, qui n'est ni fine ni grosse, tantôt bleue, tantôt blanche, de huit aunes de long sur trois quarts ou cinq huitiemes de large, & qu'on tire des Indes orientales, sur-tout de Bengale ; il y en a qui sont moitié soie moitié écorce.


GUINGUETS. m. (Marine.) Voyez ÉLINGUET.


GUIONAGES. m. (Jurisprudence) est la même chose que guiage. Voyez ci-devant GUIAGE. (A)


GUIPÉadj. pris subst. (Brod.) point de broderie qui n'a lieu que sur le vélin ; il se fait en conduisant le fil d'or ou d'argent à une certaine distance où on l'arrête, & en ramenant la suite de ce fil au point d'où l'on est parti, & toûjours de même.

GUIPE, en terme de Boutonnier, il se dit d'un fil de deux ou plusieurs brins retordus ensemble dans le sens naturel, & d'un troisieme de même ou de différente couleur, attaché plus ou moins loin du roüet, mais vis-à-vis, sur un émerillon ; le roüet en mouvement y met les maîtres brins qui sont accrochés à l'émerillon, qui tourne & fait tourner le troisieme que l'on conduit de l'émerillon jusqu'au roüet, en laissant entre les tours qu'il fait sur les maîtres brins, plus ou moins de distance. Le guipé peut entrer dans toutes sortes d'enjolivemens.


GUIPERv. act. (Ruban.) c'est donner la derniere main à la frange que l'on appelle guipée : lorsque cette frange est hors de dessus le métier, & forme différens coupons, comme il sera dit à l'article TISSER, & comme on le voit dans nos Planches, elle est tendue par deux ficelles sur une longueur prise à volonté. Ces ficelles sont fixées à demeure le long d'un mur, mais il faut qu'elles en soient éloignées d'environ deux piés, pour la commodité de la guipeuse, & que la frange soit tendue le plus qu'il est possible ; plus elle l'est, mieux il en est : cela fait, la guipeuse passe le doigt index de la main gauche dans la boucle que forme le coupon ; puis avec le crochet du guipoir, elle débarasse un brin de la pente en le prenant contre la tête de la frange, où il est plus aisé à saisir ; ce brin séparé & pris dans le crochet du guipoir, elle fait tourner sur lui-même le guipoir avec le pouce & le doigt index de la main droite, & cela avec violence. Le guipoir mis en mouvement de cette maniere, retord le brin qui lui est attaché, & c'est de l'habileté de la guipeuse que dépend la beauté de la guipure ; puisque si la frange est trop guipée elle grippe ; que si elle ne l'est pas assez, elle se trouve trop lâche ; le brin guipé est terminé par le bout d'en-bas par une petite boucle que le crochet du guipoir y a laissée : ce brin est passé entre le doigt auriculaire & l'annulaire de la main gauche, pour avoir la liberté d'en séparer & guiper d'autres. Lorsque la guipeuse a fini ce coupon, elle en prend un autre, après cela un troisieme, toûjours en reculant de la droite à la gauche ; lorsque la longueur tendue est considérable, comme de quatre à cinq aunes, plusieurs guipeuses peuvent y travailler, en conservant entr'elles assez de distance pour ne se pas nuire l'une à l'autre. On facilite le tour du guipoir, en le garnissant de cire ; ce qui lui donne la force de tourner avec plus de vélocité. Voici une autre façon de le faire tourner, que l'on appelle filer : lorsque la guipeuse s'est emparée du brin avec le crochet de son guipoir, elle approche la paume de la main droite de celle de la gauche ; & par le frottement des pouces & de ces deux parties dont elle tire la droite à elle, elle donne le mouvement au guipoir avec la même dextérité que de l'autre maniere.


GUIPOIRS. m. (Rubanier) c'est un petit instrument de fer en forme de petite broche, de la longueur de cinq à six pouces, & terminée par en-haut en pointe extrèmement déliée, tournée en crochet recourbé ; l'autre bout est inséré dans une petite masse circulaire de plomb de sept à huit lignes de diamêtre, & d'environ un demi-pouce de long : cette petite masse sert à lui donner du poids & à conserver son mouvement. Il arrive souvent que la partie crochue qui est foible, se casse ; mais on peut la réformer avec la portion restante de la petite broche qui le compose, & cela autant de fois que l'on voudra, à-moins que l'instrument n'en devînt trop court.


GUIPUREen terme de Brodeur, ce n'est autre chose qu'un ornement de relief dont le fond est rempli de gros fil ou d'un carton découpé, recouvert ensuite de fil d'or en deux ou de clinquant simple ; ces fils se mettent à la broche. Voyez BROCHE. Moins il y a de carton, meilleure est la guipure : le carton, le vélin, ou parchemin qu'on y fait entrer, empêche que les ouvrages en guipure ne puissent s'exposer au lavage ni à l'eau.


GUIPUSCOA(LE) Géogr. petite province septentrionale d'Espagne, bornée à l'est par les Basques, au nord par l'Océan, à l'oüest par la Biscaie, au sud par la Navarre. Le pays abonde en tout, excepté en froment : Tolosa en est la capitale.

Ignace de Loyola, fondateur des Jésuites, naquit dans la province de Guipuscoa en 1491, & mourut à Rome en 1556, âgé de soixante-cinq ans ; sa vie est bien singuliere. Né avec un esprit romanesque, entêté de livres de chevalerie, il commença par être page à la cour de Ferdinand, roi d'Espagne, embrassa le parti des armes, fut blessé au siége de Pampelune en 1521, & se dévoüa dans sa convalescence à la mortification. On sait la suite de ses avantures, la maniere dont il s'arma chevalier de la Vierge, son projet de combattre un Maure qui avoit parlé peu respectueusement de celle dont il étoit chevalier ; le parti qu'il suivit d'abandonner la chose à la décision de son cheval, qui prit un autre chemin que celui du Maure ; ses premieres études de latin faites à Salamanque à l'âge de trente-trois ans ; son emprisonnement par l'inquisition ; la continuation de ses études à Paris où il fit sa philosophie au collége de sainte-Barbe, & sa théologie aux Jacobins ; son voyage à Rome en 1537 avec des Espagnols & des François qu'il s'associa pour former une congrégation ; la confirmation de son institut par Paul III. & enfin sa nomination en qualité de premier général de son ordre. Le pape Grégoire XV. a canonisé Ignace de Loyola en 1622 : le P. Bouhours a donné sa vie dans laquelle il le compare à César ; on fait plus de cas de celle du P. Mafféi écrite en latin ; c'est peut-être le meilleur livre du jésuite italien, & le moindre du jésuite françois. (D.J.)


GUIRLANDES. f. ornement pour la tête, fait en forme de couronne. Voyez COURONNE.

On fait des guirlandes de fleurs, de plumes, & même de pierreries. Janus passoit dans l'antiquité pour l'inventeur des guirlandes. Athenée, Dipnos. lib. XV.

On donne encore le nom de guirlande à un ornement composé de fleurs, de fruits, & de feuilles entre-mêlées ensemble, que l'on suspendoit anciennement aux portes des temples, où l'on célébroit quelque fête. On en mettoit aussi dans tous les endroits où l'on vouloit donner des marques de réjoüissance publique, comme aux arcs-de-triomphe, &c. Voyez FESTON. On en couronnoit la tête des victimes aux sacrifices des Payens. S. Paulin dans son poëme sur S. Felix, parle des guirlandes & des couronnes de fleurs dont on décoroit la porte de l'église & le tombeau de ce saint.

Les Italiens ont des décorateurs qu'ils appellent festaroli, qui font des festons, des guirlandes & autres ornemens pour les fêtes. Chambers.

Les guirlandes servent dans l'Architecture, & sont composées de petits festons, formés de bouquets d'une même grosseur, dont on fait des chûtes dans les ravalemens de pilastre, & dans les frises & panneaux de compartiment.

GUIRLANDES, dans la Marine, sont de grosses pieces de bois courbes, ou à fausse équerre, qu'on place à différentes hauteurs du vaisseau ; de façon qu'elles croisent à angle droit l'étrave & les allonges d'écubiers, étant solidement attachées à toutes ces pieces par des clous & des chevilles, qu'on frappe par le dehors du vaisseau ; de sorte qu'elles percent les bordages, les allonges d'écubiers, & toute l'épaisseur des guirlandes, & sont clavetées sur virole en-dedans. Voyez, Planche IV. de Marine, fig. 1. les guirlandes, cotées 36.

On en met ordinairement quatre ou cinq au fond de cale, depuis le bout de la carlingue jusqu'au premier pont, dont les bordages reposent dans une rablure pratiquée sur celle qui est la plus élevée. Entre le premier & le second pont on en met deux ; une immédiatement sous les écubiers, & l'autre sous le second pont, sur laquelle repose quelquefois le mât de beaupré, & aboutissent les bordages de ce pont. Voyez la figure citée ci-dessus.

La partie convexe des guirlandes se gabarie convenablement pour la place où on se propose de la mettre, c'est-à-dire qu'on lui fait prendre exactement la figure que le vaisseau a intérieurement enavant, à la hauteur où doit être placée la guirlande ; ce qui fait que les branches des guirlandes font un angle d'autant plus ouvert, qu'elles sont plus élevées au-dessus de la quille, & que celles d'en-bas sont figurées presque comme les fourcats.

Il n'est pas nécessaire que la partie concave des guirlandes ait une forme réguliere ; les constructeurs laissent quelquefois à leur collet toute l'épaisseur que ces pieces peuvent porter. (Z)


GUISE(Géog.) petite ville de France en Picardie dans la Thiérache, avec un fort château & titre de duché pairie. Elle est sur l'Oise, à 6 lieues N. O. de Saint-Quentin, 10 S. E. de Cambrai, 38 N. E. de Paris. Long. 21. 17. 22. lat. 49. 53. 47.

Billi, (Jacques de) un des savans françois du xvj. siecle, traduisit de grec en latin les ouvrages de S. Grégoire de Nazianze, de S. Isidore de Peluse, de S. Jean Damascene, &c. Il mourut en 1581, âgé de 47 ans. On ne doit pas le confondre avec Jacques de Billi jésuite, né dans le xvij. siecle. (D.J.)


GUISPONS. m. (Marine) c'est une espece de gros pinceau ou brosse fait de pennes de laine, dont on se sert à brayer ou à suifver les coutures & le fond d'un vaisseau. (Z)


GUITERNES. f. (Marine) c'est une sorte d'arcboutant qui tient les antennes d'une machine à mâter avec son mât.


GUITTARES. f. (Musique) instrument à cordes de boyau, que l'on joue en pinçant ou en battant les cordes avec les doigts, & que l'on tient dans la même position que le luth, le théorbe, la mandore & autres de ce genre ; attitude qui a très-bonne grace, sur-tout dans les mains d'une femme.

Sa forme semble avoir été prise d'après celle d'une moitié de calebasse ou gourde, à laquelle est ajustée une table de pin, & un manche au bout de la partie supérieure du corps de l'instrument.

Il a dix touches distribuées par semi-tons ; elles sont ordinairement de même nature que les cordes, & doivent être extrèmement serrées autour du manche, à cause de leur mobilité.

Les cordes sont attachées à un chevalet, fixé sur la table de la partie inférieure, & sont supportées par un sillet au bout du manche, où elles sont arrêtées par des chevilles tournantes dessous le manche.

Il n'avoit d'abord que quatre cordes. Depuis on l'a mis à cinq doubles, dont les trois premieres sont à l'unisson, & les quatrieme & cinquieme à l'octave ; souvent même on ne souffre point de bourdon à la cinquieme, & dans ce cas on les met à l'unisson. On ne met aussi qu'une seule chanterelle, par la difficulté d'en trouver d'assez justes. Les différentes manieres de joüer de cet instrument, dont on parlera ci-après, décident de celle de le monter.

Son étendue est de deux octaves & demie, depuis le la jusqu'au mi.

On n'en peut guere déterminer l'origine. Nous le tenons des Espagnols, chez qui les Maures l'ont vraisemblablement apporté : c'est l'opinion commune en Espagne, qu'il est aussi ancien que la harpe. Soit respect pour cette opinion, soit plûtôt que le charme de la douce rêverie qu'il inspire, ait de l'analogie avec le caractere d'une nation tendre, galante, discrette & mélancolique ; soit enfin que le silence des belles nuits d'Espagne où l'on en fait le plus d'usage, soit plus favorable à son harmonie, il s'y est constamment établi, & y a acquis le droit d'instrument national. Il a eu le même succès chez les Portugais & les Italiens, & il étoit fort en vogue en France sous le regne de Louis XIV.

Le son de cet instrument est si doux, qu'il faut le plus grand silence pour sentir toutes les délicatesses d'un beau toucher. Dans un lieu bruyant, on n'entend souvent que le tac des doigts, le charme est totalement perdu.

Il est fait pour joüer seul, ou accompagner une voix sur des instrumens du même genre. Il ne réussiroit pas dans un concert ; aussi a-t-il fait place, ainsi que le luth & le théorbe, aux instrumens qui y sont propres, depuis que le goût s'en est aussi étendu qu'il l'est actuellement.

Quelques amateurs l'ont fait renaître, & ont en même tems réveillé notre goût pour nos vaudevilles, pastorales & brunettes, qui en acquerrent un nouvel agrément.

De la tablature. On se sert de lettres ou de chiffres pour noter les airs ou accompagnemens. Cette méthode, quoique ancienne, s'est conservée pour cet instrument par la commodité dont elle est pour la bonne grace de la main, l'arrangement des doigts, la beauté du son, l'harmonie, & la facilité dans l'exécution ; à-moins qu'on ne se propose de faire pour le moins autant d'étude de cet instrument, que du clavecin, il n'est guere possible de faire sur le champ le choix des positions de la main sans une grande habitude.

En France on se sert des onze premieres lettres de l'alphabet, depuis l'a jusqu'à l, sur chaque corde, pour les dix touches qui produisent onze semi-tons, à partir de la corde à vuide au sillet, c'est-à-dire sans mettre de doigt dessus, & qui se marque par un a ; la premiere touche par un 6, & les autres successivement.

On se sert encore d'autres signes pour les doigts des deux mains. Ceux de la main gauche, dont l'exécution se fait sur toute la partie du manche, sont les tirades , qui se font lorsque les doigts étant posés, il faut couler d'une note à l'autre en descendant ; les chûtes, lorsqu'il faut couler les notes en montant, ce qui se fait en laissant tomber les doigts sur la corde avec assez de force, pour que le seul tac du bout des doigts lui fasse produire le son ; les miaulemens ou plaintes * qui se font en appuyant & balançant le doigt sur la corde pour augmenter la durée du son ; les tremblemens ou cadences) qui se font en battant avec le doigt plus ou moins vîte sur la corde, en empruntant un ton ou un semi-ton audessus de la note du chant ; les barres courbes (pour avertir qu'il faut coucher le premier doigt sur toutes les cordes, pour former, pour ainsi dire, un sillet ambulant de touche en touche.

Les signes de la main droite qui tient lieu d'archet & dont l'exécution se fait dans la partie de la table de la guittare, sont les petites barres droites |, ou demi-cercles , que l'on place sous la lettre qui doit être touchée du pouce ; les points que l'on place sous celles qui doivent être touchées du premier, du second & du troisieme doigt ; & enfin la maniere d'annoncer quand on doit battre ou relever les accords en batterie qui se fait, en plaçant immédiatement après l'accord marqué par les lettres, les notes entre la premiere & la seconde ligne de la portée, la queue en-bas ou en-haut ; en-bas, pour frapper des doigts de haut en-bas ; & en-haut, pour frapper en relevant de bas en-haut, & l'on fait durer plus ou moins la batterie, en dépliant successivement les doigts suivant la valeur de la note. Quant aux notes des lettres que l'on doit pincer, on les place au-dessus & hors de la portée où sont les lettres. Cette portée a cinq lignes représentatives des cinq rangs de cordes de la guittare. Quand il y a plusieurs lettres de suite de même valeur, on se contente de mettre une seule note sur la premiere, par exemple une seule croche pour toute une mesure, & même plusieurs mesures, dont les notes seroient de même valeur, jusqu'à ce qu'il leur succede une autre note de plus ou moins de valeur. On se sert à cet égard des mêmes signes usités pour la Musique, tant pour les notes que pour les soupirs, &c. Voyez les livres de Visé, gravés sous le regne précédent.

On distingue deux manieres de joüer de cet instrument, qui sont en batteries ou pincés. Plusieurs affectent l'une plus que l'autre : d'autres se servent agréablement des deux, & c'est le meilleur parti qu'on ait à prendre. La plus étendue & la plus susceptible d'exécution, est le pincé. Les batteries sont plus harmonieuses, parce que toutes les cordes sont en jeu ; mais il faut bien de la legereté, de la douceur dans la main droite, & de la fermeté & de la justesse dans la position de la main gauche, pour qu'elles produisent un bon effet : car rien n'est si facile que de faire de cet instrument, dont l'harmonie est très-douce & agréable, un vrai chauderon.

Les pincés se font entre la rose & le chevalet ; mais les batteries doivent se faire entre la rose & la derniere touche du manche, c'est-à-dire vers le milieu de l'étendue des cordes, pour éviter la dureté qui résulteroit du voisinage du chevalet, qu'on ne maîtriseroit pas aussi aisément qu'en pinçant.

Des cordes. Le choix des cordes demande une grande attention pour la justesse & la proportion, sur-tout pour les unissons. Les bourdons filés ont deux inconvéniens, l'un d'user & de couper les touches ; l'autre plus grand, est de dominer trop sur les autres cordes, & d'en faire perdre le son final par la durée du leur, principalement dans les batteries. Il est des accords où ils peuvent bien faire, c'est lorsqu'ils produisent le son fondamental ; mais comme cela n'arrive pas le plus souvent, il vaut mieux s'en tenir aux bourdons simples, à-moins qu'on ne veuille que pincer. Visé, célébre maître de guittare sous Louis XIV. n'en mettoit point au cinquieme rang ; mais il y perdoit l'octave du la, & par conséquent une demi-octave. Elle s'accorde par quartes, à l'exception de la seconde & de la troisieme, qui n'ont entr'elles qu'un intervalle de tierce. L'accord est la, ré, sol, si, mi, en comptant du son le plus grave.

OBSERVATIONS SUR LA FIGURE SUIVANTE.

Le nom des notes est posé sur le manche à l'endroit même où il faut poser les doigts, le plus près de la touche qu'il est possible, mais jamais dessus la touche. Il ne faut pas poser de doigt près le sillet qui se marque par un a, parce que le son des cinq cordes y est déterminé par leur position ; c'est ce qu'on appelle sonner les cordes à vuide. C'est-là l'accord de la guittare.

Dans la progression des sémi-tons du diapason on ne trouve point de bémols marqués. On s'est déterminé à ne marquer que des dièses, pour ne point faire de confusion. Mais ce qui est la # sera si b quand il le faudra, parce qu'il se fait au même endroit, le ton du la au si naturels se trouvant partagé également par la touche. Ainsi des autres.

Quant à la forme des lettres, la plus usitée est la bâtarde, un peu plus panchée qu'à l'ordinaire, à cause des lettres à queue qui pourroient s'entre-lacer, & embarrasser les autres lettres & les signes dont on se sert. Les b se font comme des 6 ; les c comme des r, dont le jambage droit est un peu raccourci & le trait circonflexe un peu allongé. Voyez l'exemple ci-dessus, & les livres gravés de Visé. On leur donne cette forme pour éviter que la ligne sur laquelle les c sont posés ne les ferme par en-haut, & ne les fasse prendre pour des e. On ne sauroit mettre trop de netteté dans cette maniere de noter, bien moins avantageuse pour la vûe que les notes de Musique ; mais cette méthode est propre & commode pour cet instrument, quand on ne peut y donner assez de tems pour acquérir le grand usage des positions.

TABLEAU DU MANCHE DE LA GUITTARE DE GRANDEUR ORDINAIRE.

Maniere de noter en tablature, & rapport des lettres avec tous les tons du diapason.


GUIVRÉterme de Blason. Voyez GIVRE.


GUJACANA(Botaniq. exotiq.) arbre étranger dont voici les caracteres. Ses feuilles sont alternes & de peu de durée ; le calice est divisé en quatre parties ; ses fleurs sont monopétales en forme de cloche, faites en tuyau dans leur partie inférieure, & divisées dans la partie supérieure en cinq segmens, quelquefois même davantage ; l'ovaire est posé au centre du calice, & se change en un fruit plat, charnu, arrondi, partagé en plusieurs loges qui contiennent un grand nombre de semences dures, rangées circulairement. Miller compte trois especes de gujacana, dont il enseigne la culture : on l'appelle en Angleterre the date-plumb-trec. Celui de Virginie qu'ils cultivent beaucoup, y croît à une hauteur considérable. (D.J.)


GULPES. m. terme de Blason, tourteau de pourpre qui tient le milieu entre le besan qui est toûjours de métal, & le tourteau qui est toûjours de couleur. Celui-ci est nommé gulpe, à cause qu'il est de pourpre, & que le pourpre est pris tantôt pour couleur, & tantôt pour métal. Dict. de Trév. & Chambers.


GULTZOW(Géog.) petite ville d'Allemagne en Poméranie. Long. 39. 20. lat. 53. 39. (D.J.)


GUMENES & GUMMES(Marine.) on donne ce nom aux cables dont on se sert dans les galeres pour retenir les grapins.

GUMENE se dit, en termes de Blason, de la corde d'une anchre, soit qu'elle soit d'un même émail que l'autre, ou d'un émail différent : d'azur à l'anchre d'or, la gumene de gueules. On dit aussi gume.


GUMMA(Medecine) ce terme est quelquefois employé dans les écrits des Medecins, pour désigner une sorte de tumeur enkistée, de consistance assez solide, le plus souvent indolente, qui survient sur les parties osseuses ou cartilagineuses, & qui se forme d'une concrétion lymphatique, par l'effet d'un vice scrophuleux ou vérolique, dominant dans la masse des humeurs. Il est fait mention de cette sorte de tumeur parmi les symptomes de la vérole confirmée, dans le traité de M. Astruc sur les maladies vénériennes. Voyez ECROUELLE, VEROLE. (d)


GUNDELES. f. gundelia, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur composée de plusieurs fleurons rassemblés en bouquets. Ils sortent d'un calice commun, & ils tiennent à des fruits naissans qui sont cachés dans des loges du calice, & qui deviennent des semences en partie arrondies, & en partie pointues pour l'ordinaire. Tournefort, rei herb. coroll. Voyez PLANTE (I)


GUNDELFINGEN(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la Soüabe, sujette à la maison palatine. Elle est à six lieues d'Ulm. Long. 27. 36. lat. 48. 22. (D.J.)


GUNTER(ECHELLE ou LIGNE DE) Voyez LIGNE.


GUNTZBOURGGuntia, (Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de Soüabe. Elle est sur le Danube, à 8 lieues d'Ulm ; & c'est, selon Beatus Rhenanus, le Guntiensis transitus des anciens. Long. 27. 34. lat. 48. 20. (D.J.)


GUNTZENHAUSEN(Géog.) petite ville d'Allemagne dans le cercle de Franconie, sur la riviere d'Altmal, près de Weissenbourg. Long. 28. 26. lat. 48. 58.

Elle n'est remarquable que par la naissance d'André Osiander, un des premiers sectateurs de Luther, & qui défendit sa doctrine par un grand nombre d'ouvrages. Il mourut en 1552, à 54 ans. Tous les gens de son nom se sont distingués dans la même carriere. (D.J.)


GUNUGI(Géog.) ancienne ville de la Mauritanie cézariense. Le P. Hardoüin croit que cette ville est présentement Mestagan. (D.J.)


GUPPASS. m. (Commerce) poids dont on se sert dans quelques villes du détroit de Malaca, particulierement à Queda. Quatre guppas font le guantas, & seize guantas font le hali ou nali. Il faut quinze halis pour le bahar pesant 450 livres poids de marc. Voyez BAHAR, HALI, &c. Dict. de Comm. & de Trév. (G)


GURS. m. (Comm.) toile de coton blanche, qui vient des Indes orientales ; elle a 14 aunes de long, sur 7 à 8 de large.


GURACS(Comm.) toiles peintes qui viennent de Bengale ; elles ont 36 cobres de long, sur deux de large, & le cobre est de 17 pouces de roi & 1/2.


GURCK(Géog.) ville d'Allemagne dans la basse Carinthie, avec un évêché suffragant de Saltzbourg, érigé l'an 1073. Elle est sur la petite riviere de Gurck à 5 lieues N. E. de Clagenfurt, 16 S. E. de Saltzbourg. Long. 31. 50. lat. 47. 10. (D.J.)


GURIARÉ(Géog.) ville ouverte d'Amérique dans la Terre-Ferme, sur la côte septentrionale, assez près de Caracos, à 5 lieues oüest du Cap-blanc. Long. 312. 32. lat. 9. 30. (D.J.)


GURIEL(Géog.) petite province d'Asie dans la Mingrelie, bornée N. par l'Imerette, E. par le Caucase, O. par la mer Noire, S. par la Turquie. Elle est sous la domination d'un prince particulier qu'on dit chrétien, & qui pour être maintenu dans son indépendance, paye au grand-seigneur un tribut annuel de 46 enfans, garçons & filles, qu'il livre au bacha d'Alcazike. Le Guriel faisoit anciennement la partie méridionale de la Colchide. (D.J.)


GUSES. f. en termes de Blason, se dit des tourteaux de couleur sanguine ou de laque. Voyez TOURTEAU.


GUSÉLISAR(Géog.) ville ruinée de la Turquie asiatique, dans la Natolie ; Paul Lucas après avoir donné une magnifique description de ses ruines, conclud que cette ville ne peut être que celle de Magnésie dans l'Ionie. Voyez MAGNESIE. (D.J.)


GUSTATIFadj. en Anatomie, se dit des parties relatives au goût. Voyez GOUT.

On donne le nom de gustatifs aux nerfs qui se distribuent à la langue qui est l'organe du goût ; on les nomme aussi hypoglosses. Voyez HYPOGLOSSE & LANGUE.

Trous gustatifs, ce sont trois trous dont l'un situé à la partie antérieure du palais, derriere les dents incisives, prend aussi le nom d'incisif, & les deux autres situés aux parties latérales & postérieures s'appellent trous palatins. Voyez INCISIF & PALATIN. (L)


GUSTROW(Géog.) ville d'Allemagne dans la basse-Saxe, au duché de Meckelbourg, dans la Vandalie proprement dite ; on y professe la confession d'Augsbourg. Elle est à 4 lieues S. O. de Rostock, 7. E. de Wismar, 8 N. E. de Schwérin. Long. 30. 18. latit. 53. 57. (D.J.)


GUTTE(GOMME) (Chimie, Pharmacie, & Mat. méd.) la gomme-gutte est un suc qu'on pourroit très-bien compter parmi les gommes-résines, puisqu'il est résineux & mêlé d'environ une sixieme partie d'une matiere insoluble dans l'esprit-de-vin, & qui se dissout très-bien dans les menstrues aqueux. Elle peut contracter aussi à la faveur de cette derniere partie une legere union avec l'eau qui la tient suspendue sous la forme d'un lait jaunâtre ; mais cette dissolution imparfaite est peu constante ; les particules résineuses se réunissent bien-tôt au fond du vaisseau, & laissent la liqueur surnageante claire & limpide.

Cette liqueur éclaircie par le repos, prend une couleur de sang quand on y verse de l'alkali fixe ou de l'eau-de-chaux. Cette propriété l'a faite compter par quelques auteurs parmi les réactifs employés à l'analyse des eaux minérales ; mais ce moyen est pour le moins superflu. Voyez MINERALE (EAU.)

La gomme-gutte est un purgatif hydragogue des plus efficaces ; elle est aussi vomitive. Geoffroi recommande beaucoup ce remede, pourvû qu'on l'administre avec précaution & à propos ; il prétend que dans tous les cas où les évacuans actifs sont indiqués, on trouve dans celui-ci cet avantage singulier, qu'il est sans goût & sans odeur, qu'on le donne en petite dose, qu'il fait son effet en peu de tems, qu'il dissout puissamment les sucs visqueux & tenaces en quelque partie du corps qu'ils croupissent & qu'ils soient attachés, & enfin qu'il chasse par le vomissement ceux qui sont dans l'estomac, & tous les autres fort abondamment par les selles. Il en fixe la dose à deux, cinq, ou sept grains, jusqu'à quinze. Il dit avoir souvent donné ce remede depuis deux grains jusqu'à quatre, sans causer de vomissement ; & que si l'on réitere cette dose pendant plusieurs jours, il n'y a plus de vomissement, sur-tout si on l'étend dans beaucoup de liqueur ; que si on le donne sous la forme de pilule, il excite plus facilement le vomissement, mais très-rarement lorsqu'il est joint avec le mercure doux.

La gomme-gutte est un ingrédient très-ordinaire & très-utile des opiates & des pilules purgatives & fondantes, & en particulier des pilules mercurielles dont la plûpart des apothicaires ont des dispensations secrettes. Elle entre dans les pilules hydragogues de Bontius, & dans la poudre hydragogue de la pharmacopée de Paris.

La gomme-gutte a été vantée particulierement contre la goutte ; mais sa réputation à cet égard ne s'est pas soûtenue. (b)


GUTTETE(POUDRE DE) selon la pharmacopée de Paris, (Pharmacie & Mat. méd.) Prenez du bois de gui de chêne, de racines de Fraxinelle, de racines de pivoine mâle & de sa semence, de chacun demi-once ; de semences d'aroche deux gros ; de crane humain trois gros ; de corail rouge préparé deux gros ; de cornes de pié d'élan demi-once ; de feuilles d'or un scrupule : faites du tout une poudre très-fine.

Cette poudre passe pour un grand antispasmodique, & pour un spécifique éprouvé contre l'épilepsie. On la donne à la dose d'un scrupule, d'un demi-gros ou d'un gros dans une liqueur appropriée, & on la continue pendant long-tems. On pourroit sans inconvénient la prendre à une dose beaucoup plus considérable. Voyez éPILEPSIE. (b)


GUTTURALadj. en Anatomie, se dit des parties relatives au gosier : l'artere gutturale est une branche de la carotide externe qui se distribue principalement à la partie supérieure de la glande thyroïde & au gosier. (L)

GUTTURAL, (Gramm.) on distingue en différentes classes les diverses articulations usitées dans chaque langue ; & cette distinction se fonde sur la diversité des parties organiques qui paroissent le plus contribuer à la production de ces articulations. Les consonnes qui les représente nt se partagent de même : de-là les labiales, les linguales, les gutturales, &c. Voyez CONSONNE. (E. R. M.)


GUTTUS(Antiquités) nom purement latin, dont les antiquaires sont obligés de se servir ; parce que nous n'avons point de nom françois qui y réponde. C'étoit un vase dont le sacrificateur se servoit chez les Romains pour prendre le vin & le répandre goutte-à-goutte sur la victime. Voyez SACRIFICE. Vigenere sur Tite-Live donne la figure du guttus, tel qu'on le voit représenté sur les médailles & d'autres monumens antiques. Dictionn. de Trévoux & Chambers.


GUTZKOW(Géog.) petite ville d'Allemagne, capitale d'un comté de même nom, appartenante à la Suede ; les Danois & les Russiens la saccagerent en 1357. Elle est sur la Péene, à 4 lieues S. O. de Wolgtz, 15 N. E. de Gustrow. Long. 31. 32. latit. 54. 4. (D.J.)


GUZS. m. (Commerce) c'est l'aune dont on se sert à Mocha, pour mesurer les longueurs. On l'appelle aussi coüit. Voyez cet article. (G)


GUZARATEou GUZURATE, (Géog.) province de l'empire du Mogol dans l'Indoustan ; le Mogol Akébar s'en rendit maître en 1565 : Amadalab en est la capitale.

Ce pays le plus agréable de la presqu'île en-deçà du Gange, est arrosé de belles rivieres qui le fertilisent extrêmement ; il contient plusieurs villes ou bourgs, où l'on fabrique des marchandises très-précieuses, des brocards d'or & d'argent, des étoffes de soie magnifiques, & d'admirables toiles de coton. Thevenot prétend que le Guzarat paye au Mogol vingt millions par an, & la somme du P. Catrou est encore plus forte ; mais les récits de ces deux voyageurs paroissent plutôt des calculs romanesques, que des appréciations éclairées. (D.J.)


GYAROS(Géog.) petite île de l'archipel, près de Délos ; tous les anciens en font mention. Pline lui donne douze mille pas de circuit, & la place à soixante-deux mille pas d'Andros. Elle est non-seulement fort petite, mais en partie couverte de rochers ; ce qui fait dire à Juvenal, Satyre x. v. 170.

Gyarae clausus scopulis, parvâque Seripho.

Rome y reléguoit les criminels ; c'est pourquoi nous lisons dans Tacite, que Lucius Pison opine qu'il falloit interdire le feu & l'eau à Silanus, & le reléguer dans l'île de Gyaros. On la nomme à présent Joura ; elle n'a point changé de face ; elle est aussi sauvage, aussi deserte, aussi délaissée qu'autrefois. (D.J.)


GYFHORN(Géog.) petite ville d'Allemagne, dans la basse-Saxe, au duché de Lunebourg, sur l'Aller & l'Ise qui s'y joignent ensemble, à 10 lieues N. E. de Brunswick, 9 S. E. de Zell. Long. 28. 24. lat. 52. 36. (D.J.)


GYMNASES. m. gymnasium, (Littér. greq. & rom.) édifice public chez les Grecs & les Romains, où ceux qui vouloient s'instruire & se perfectionner dans les exercices, trouvoient tous les secours nécessaires. Ces lieux se nommoient gymnases, à cause de la nudité des athletes ; palestres, à cause de la lutte, qui étoit un des exercices qu'on y cultivoit le plus ; & quelquefois chez les Romains thermes, parce que l'appartement des bains & des étuves en faisoit une des parties principales.

Les différentes pieces qui composoient ces grands édifices peuvent, suivant M. Burette, se réduire à douze principales, savoir : 1°. les portiques extérieurs, où les Philosophes, les Rhéteurs, les Mathématiciens, les Medecins, & autres savans, faisoient des leçons publiques, disputoient, ou lisoient leurs ouvrages. 2°. L'éphébeum, où les jeunes gens s'assembloient de grand matin, pour y apprendre les exercices dans le particulier, & sans spectateurs. 3°. Le coryceum, autrement nommé l'apodyterion ou le gymnastérion, qui étoit une espece de garderobe où l'on quittoit ses habits, soit pour les bains, soit pour les exercices. 4°. L'élaeothésium, l'aliptérion, ou l'unctuarium, destiné aux oignemens qui précédoient, ou qui suivoient l'usage des bains, la lutte, le pancrace, &c. 5°. La palestre proprement dite, où l'on s'exerçoit à la lutte, au pugilat, au pancrace, & autres exercices. 6°. Le sphaeristérium ou jeu de paume, réservé pour les exercices où l'on employoit une balle. 7°. Les grandes allées non-pavées, lesquelles occupoient le terrein compris entre les portiques & les murs qui entouroient tout l'édifice. 8°. Les xystes, (xysti) qui étoient des portiques, sous lesquels les athletes s'exerçoient pendant l'hyver & le mauvais tems. 9°. D'autres xystes, (xysta) qui étoient des allées découvertes, destinées pour l'été & pour le beau tems, & dont les unes étoient toutes nues, & les autres plantées d'arbres. 10°. L'appartement des bains composé de plusieurs pieces. 11°. Le stade qui étoit un terrein spacieux, demi-circulaire, sablé, & entouré de gradins pour les spectateurs des exercices. 12°. Le grammatéion, qui étoit le lieu destiné à la garde des archives athlétiques.

Ces gymnases étoient gouvernés par plusieurs officiers ; tels étoient 1°. le gymnasiarque, ou le surintendant de toute la gymnastique ; 2°. le xystarque, ou celui qui présidoit aux xystes & au stade ; 3°. le gymnaste ou le maître des exercices, qui en connoissoit les différentes qualités, & les accommodoit aux âges & aux diverses complexions ; 4°. le poedotriba, ou prevôt de salle, employé à enseigner méchaniquement les exercices, sans en entendre les avantages par rapport à la santé. Sous ces quatre principaux officiers, dont on peut consulter les articles, servoit une foule de subalternes, dont les noms assez peu importans désignoient les différentes fonctions qu'ils avoient en sous-ordre. (D.J.)


GYMNASIARQUES. m. (Littér. greq. & rom.) officier qui avoit la surintendance & l'administration suprème des gymnases ; Plaute l'appelle gymnasii praefectus.

Le gymnasiarque régloit souverainement tout ce qui regardoit la police du gymnase ; sa jurisdiction s'étendoit sur les athletes, & sur tous les jeunes gens qui venoient y apprendre les exercices nécessaires. Il étoit le dispensateur des récompenses & des châtimens ; & pour marque de son pouvoir sur ce dernier article, il avoit droit de porter une baguette, & d'en faire porter devant lui par des bedeaux, toûjours prêts à exécuter ses ordres lorsqu'il s'agissoit de punir ceux qui contrevenoient aux lois athlétiques : il paroît même que cet officier suprème exerçoit dans le gymnase une espece de sacerdoce, & qu'il y prenoit soin des choses sacrées. Pausanias témoigne que jusqu'à son tems, le gymnasiarque d'Olympie célébroit chaque année l'anniversaire d'Aetolus ; il étoit vêtu de pourpre à la célébration des jeux publics.

Les prérogatives du gymnasiarque alloient même jusqu'à lui permettre de célébrer des jeux en son nom propre, comme il est facile de le recueillir d'une ancienne inscription publiée par Fulvius Ursinus, où il est parlé de Baton le gymnasiarque, qui avoit donné des jeux gymniques en l'honneur d'Hercule, & en mémoire du retour de la santé du prince ; dans lesquels jeux il avoit proposé des prix pour les combattans. Plutarque dans la vie de Marc-Antoine, nous représente ce romain au milieu d'Athenes, se dépouillant de toutes les marques de sa dignité, pour prendre l'équipage de gymnasiarque, & en faire publiquement les fonctions.

Au reste, tout ce qui concerne les gymnasiarques & les autres officiers des gymnases, est traité si complete ment dans une savante dissertation de M. Vandale de gymnasiarchis, qu'il est à propos d'y renvoyer le lecteur ; car l'Encyclopédie n'a point pour objet les détails de ce genre d'érudition. (D.J.)


GYMNASTES. m. (Littér. greq. & rom.) officier préposé pour accommoder les différentes especes d'exercices d'usage dans les gymnases, aux diverses complexions des athletes, & pour les élever dans ces exercices. La plûpart des auteurs confondent le gymnaste & le pédotribe, paedotriba, & Pollux entr'autres appelle du même nom, celui qui présidoit aux lieux d'exercice & aux exercices mêmes ; mais Galien établit une différence considérable entre le gymnaste & le pédotribe. Elle consiste selon lui, en ce que le gymnaste joignoit à la science des exercices un discernement exact de tous leurs avantages par rapport à la santé ; au lieu que le pédotribe ou prevôt de salle, peu inquiet sur ce dernier point, bornoit ses lumieres au détail méchanique de ces mêmes exercices, & ses soins à former de bons athletes. C'est pourquoi Galien compare le gymnaste à un medecin ou à un général qui prescrivent avec connoissance de cause, & le pédotribe à un cuisinier, ou à un simple officier, qui se contentent d'exécuter. On ne doit pas même s'imaginer qu'il fut nécessaire pour être un bon gymnaste, ou pour être un bon pédotribe, d'avoir brillé dans les jeux publics ; l'on en trouvoit quantité de cette derniere profession au rapport de Galien, qui n'étoient que de très-médiocres athletes, & que nulle victoire n'avoit jamais illustrés. Nous voyons de même parmi nous, divers maîtres d'exercice très-capables de former d'excellens disciples, mais qui cependant soûtiendroient mal leur réputation, s'il étoit question pour eux de se donner en spectacle au public. Les gymnastes étoient quelquefois chargés à la place des agonothetes d'encourager les athletes avant le combat, & les animer par les motifs les plus pressans à remporter la victoire. (D.J.)


GYMNASTÉRION(Littérat. greq. & rom.) appartement des gymnases, qui servoit d'une garderobe où l'on quittoit ses habits, soit pour les exercices, soit pour le bain, & où l'on se r'habilloit ensuite ; il se nommoit aussi apodyterion & spoliarium, car ces deux mots ont le même sens. On fit cet appartement avec une grande magnificence, quand les bains reprirent faveur sur la fin du regne de Néron ; il composoit dans les thermes de Dioclétien, un sallon octogone, de figure oblongue, dont chaque face formoit un demi-cercle, dont la voûte étoit soûtenue par plusieurs rangs de colonnes d'une hauteur extraordinaire. (D.J.)


GYMNASTIQUES. f. (Littérat. greq. & rom.) l'art ou la science des divers exercices du corps.

Les hommes acquérant la force & l'agilité de leur corps par divers exercices, se sont proposé différentes fins : d'abord ils ont eu en vûe de pourvoir à leur sûreté, & de se rendre plus propres aux fonctions de la guerre, en s'accoûtumant à tous les mouvemens qui peuvent être de quelque utilité pour l'attaque ou pour la défense ; & c'est ce qui a produit la gymnastique militaire. Voyez GYMNASTIQUE MILITAIRE.

Le soin qu'ils ont pris de leur santé, les a engagés à la fortifier du secours des exercices les plus convenables, qu'ils ont assujettis à certaines lois, conformément aux avis & aux décisions des medecins ; & de-là est née la gymnastique médicinale. Voyez GYMNASTIQUE MEDICINALE.

L'amour du plaisir, & sur-tout de celui qui est inséparable des spectacles, joint au desir de donner des preuves publiques de sa force & de son agilité, en remportant un prix proposé, mit en grande vogue une troisieme espece de gymnastique, la plus fameuse de toutes, la gymnastique athlétique. Voy. GYMNASTIQUE ATHLETIQUE.

On vint à introduire dans les cérémonies de la religion, c'est-à-dire dans le culte divin & dans les honneurs funebres rendus aux manes des défunts, la plûpart de ces exercices qui n'avoient servi qu'à disposer les hommes au métier de la guerre : or comme il étoit difficile de perfectionner tous ces exercices, sans les assujettir à certaines lois ou les renfermer dans certaines regles, on forma de toutes ces choses une science fort étendue à laquelle on donna le nom général de gymnastique, parce qu'elle enseignoit tout ce qui concernoit les exercices du corps ; mais cette doctrine gymnastique se trouve éparse en tant de livres différens d'antiquité, qu'on doit être fort redevable aux littérateurs modernes qui se sont donné la peine de la rassembler ; c'est à l'exécution de cette entreprise qu'ont dignement concouru Mercurialis, Faber, Falconerii, Van-Dale, Meursius, & M. Burette : disons un mot de leurs travaux.

Mercurialis (Hyeronimus) a singulierement approfondi la gymnastique des Grecs & des Romains, surtout la gymnastique médicinale : la bonne édition de ses six livres de arte gymnasticâ, est de Paris, 1677, in-4°.

Fabri (Petri) agonisticor. lib. III. peuvent servir de supplément à Mercurialis ; on auroit tort de lui refuser des loüanges du côté de l'érudition, ce n'est pas ce qui lui manque : mais le desordre qui regne dans son traité, est capable de pousser à bout la patience des lecteurs les plus studieux. L'ouvrage de M. Dufour, de même que celui de Mercurialis, sont insérés dans le trésor des antiq. greq. & rom. de Graevius & de Gronovius.

Falconerii (Octavii) notae ad inscript. athleticas : ce savant antiquaire a recueilli avec tant de soin tous les monumens, les statues, & les inscriptions décernées aux athletes, que son livre ne laisse presque rien à desirer en ce genre ; on le trouve aussi dans le trésor de Gronovius, tome VIII.

Van Dale a rassemblé plusieurs particularités très-curieuses sur la gymnastique & les officiers des gymnases, dans ses dissert. antiq. marmor.

Meursius, dans son petit livre intitulé, de orchestrâ, sive de saltationibus veterum, a surpassé tous les autres sur l'orchestrique, par l'exactitude du détail.

Enfin M. Burette a publié sur la gymnastique dans le recueil de l'académie des Inscriptions, des mémoires également exacts, profonds, méthodiques, agréables, & en même tems si bien digérés, qu'ils peuvent tenir lieu de tous les écrivains qui l'ont précédé.

Cependant je ne prétens point assûrer que ce sujet ne fournît encore de quoi glaner amplement à des érudits & des antiquaires de profession, qui se dévoüeroient à de nouvelles recherches sur les variétés & les circonstances de tous les exercices gymnastiques, sur la maniere dont les anciens les ont successivement cultivés, & les divers usages qu'ils en ont fait, soit pour la religion soit pour la guerre, soit pour la santé, soit pour le simple divertissement : cette riche mine n'est point épuisée, mais le goût de ces sortes d'études a passé de mode ; & c'est, je crois, pour long-tems. (D.J.)

GYMNASTIQUE ATHLETIQUE, (Littérat. greq. & rom.) art ou science qui consistoit à instruire dans les exercices des jeux publics, certains sujets que leur inclination & les qualités avantageuses de leur corps, en rendoient capables.

L'on appelloit aussi la gymnastique athlétique du nom de gymnique, à cause de la nudité des athletes, & de celui d'agonistique, à cause des jeux , qui en étoient le principal objet. La vogue, la magnificence, & le retour fréquent de ces jeux établis dans les principales villes de la Grece, fut ce qui contribua le plus à mettre en crédit la gymnastique athlétique.

Platon se déclara le zélé défenseur de cette espece de gymnastique ; car après avoir marqué dans le huitieme livre des lois, de quelle importance il étoit pour la guerre, de cultiver la force & l'agilité du corps, soit pour esquiver ou atteindre l'ennemi, soit pour remporter l'avantage lorsqu'on étoit aux prises & que l'on combattoit corps à corps ; il ajoûte que dans une république bien policée on doit y proposer des prix pour tous les exercices qui servent à perfectionner l'art militaire, tels que sont ceux qui rendent le corps plus leger & plus propre à la course, & que l'on doit se contenter de donner l'exclusion à ceux de ces exercices qui sont absolument inutiles à la guerre.

Solon ne blâmoit pas la gymnastique athlétique en elle-même : il trouvoit seulement & avec raison, que l'entêtement général pour les athletes entraînoit après soi une dépense excessive ; que les victoires de ces gens-là devenoient à charge au public ; & que leurs couronnes étoient plus dommageables à la patrie, qu'affligeantes pour les antagonistes vaincus.

Euripide se déclara, je ne sai pourquoi, si peu favorable à la gymnastique athlétique, qu'il n'hésita pas de heurter sur ce point, dans une de ses pieces satyriques, le goût dominant de toute la Grece : mais entre ceux qui ont décrié la gymnastique athlétique, il y en a peu qui l'ayent attaqué aussi vivement que Galien ; cependant toutes ses réflexions portent plus sur les défauts qui regnoient de son tems dans cet art, au sujet du régime & de la conduite des athletes, que sur l'art même, dont on tira de grands avantages avant qu'il eût dégénéré en extravagances & en folies. (D.J.)

GYMNASTIQUE MEDICINALE, (Hist. de la Méd. antiq.) c'étoit cette partie de la gymnastique qui enseignoit la méthode de conserver & de rétablir la santé par le moyen de l'exercice.

Hérodicus de Lentini, autrefois Léontini, en Sicile, né quelque tems avant Hippocrate & son contemporain, est déclaré par Platon pour être l'inventeur de la gymnastique médicinale, fille de la gymnastique militaire. Hérodicus étoit medecin, & de plus maître d'une académie où la jeunesse venoit s'exercer pour les jeux publics qu'on célebroit en divers lieux de la Grece avec tant de solennité. Voy. GYMNIQUES (JEUX).

Hérodicus ayant remarqué que les jeunes gens qu'il avoit sous sa conduite, & qui apprenoient ces exercices, étoient pour l'ordinaire d'une très-forte santé, il imputa d'abord ce bonheur au continuel exercice qu'ils faisoient : ensuite il poussa plus loin cette premiere réflexion qui étoit fort naturelle, & se persuada qu'on pouvoit tirer beaucoup d'autres avantages de l'exercice, si on se proposoit uniquement pour but l'acquisition ou la conservation de la santé.

Sur ces principes, il laissa la gymnastique militaire & celle des athletes, pour ne s'attacher qu'à la gymnastique médicinale, & pour donner là-dessus les regles & les préceptes qu'il jugea nécessaires. Nous ne savons pas quelles étoient ces regles ; mais il y a de l'apparence qu'elles regardoient d'un côté les différentes sortes d'exercices que l'on pouvoit pratiquer pour la santé, & de l'autre les précautions dont il falloit user selon la différence des sexes, des temperamens, des âges, des climats, des saisons, des maladies, &c. Hérodicus régloit encore sans-doute la maniere de se nourrir ou de faire abstinence, par rapport aux différens exercices que l'on feroit ; ensorte que sa gymnastique renfermoit la Diététique, cette partie de la Medecine auparavant inconnue, & qui fut depuis très-cultivée.

Hippocrate saisit des idées si sages, & ne manqua pas d'employer la gymnastique en diverses maladies. Tous les medecins qui lui succéderent goûterent tellement ce genre de medecine, qu'il n'y en eut point qui ne le regardât comme une partie essentielle de l'art : nous n'avons plus les écrits que Dioclès, Praxagore, Philotime, Erasistrate, Hérophile, Asclépiade, & plusieurs autres, avoient donnés sur cette matiere ; mais ce qui s'en trouve dans Galien & dans les auteurs qui citent ceux qu'on vient de nommer, suffit pour justifier en quelle estime étoit la gymnastique médicinale parmi les anciens.

Les Medecins n'étoient pas les seuls qui la recommandassent ; tout le monde en général se convainquit si fort de l'utilité qu'on en retiroit, qu'il y avoit une infinité de gens qui passoient une partie de leur vie dans les lieux d'exercices qu'on appelloit gymnases : il est vrai néanmoins que ces lieux étoient autant destinés à la gymnastique athlétique qu'à la gymnastique médicinale. Voyez GYMNASE.

Les exercices qu'on y faisoit, consistoient à se promener dans des allées couvertes & découvertes ; à joüer au palet, à la paume, au ballon ; à lancer le javelot, à tirer de l'arc, à lutter, à sauter, à danser, à courir, à monter à cheval, &c.

Une partie de ces exercices étoit pratiquée par toutes sortes de personnes pour la santé ; mais les appartemens affectés à ce dernier usage, étoient le lieu des bains, celui où l'on se deshabilloit, où l'on se faisoit décrasser, frotter avec des instrumens faits exprès, & oindre avec certaines drogues, &c. Chacun usoit de ces exercices comme il lui plaisoit ; les uns ne prenoient part qu'à un seul, pendant que d'autres s'occupoient successivement de plusieurs. Les gens de lettres commençoient par oüir les philosophes & les savans qui s'y rendoient ; ils joüoient ensuite à la paume, ou bien ils s'exerçoient de quelqu'autre maniere, & enfin ils entroient dans le bain : il n'y a rien de plus naturel que cette espece de medecine gymnastique ; tout homme judicieux la doit préférer à celle qui consiste dans l'usage des médicamens, parce que cette derniere est presque toûjours palliative, desagréable, & souvent dangereuse.

Les Romains ne commencerent à bâtir des lieux d'exercices que long-tems après les Grecs ; mais ils les surpasserent de beaucoup, soit par le nombre soit par la magnificence des bâtimens, comme on en peut juger par les descriptions des auteurs, & par les ruines qui subsistent encore : on en étoit si fort épris à Rome, que selon la remarque de Varron, quoique chacun eût le sien, à peine étoit-on content.

La gymnastique médicinale étoit déjà tombée dans des minuties aussi nombreuses que frivoles, témoins les conseils des trois livres intitulés du régime, attribués faussement à Hippocrate : ils ne roulent que sur les différens tems propres à s'exercer ; ils indiquent si ce doit être à jeun ou après avoir pris de la nourriture, le matin ou le soir, à l'air, au soleil ou à l'ombre ; s'il faut être nud, c'est-à-dire sans manteau, ou s'il faut être habillé ; quand il convient d'aller lentement, & quand il est nécessaire d'aller vîte ou de courir : ce même ouvrage traite de plusieurs autres minuties, comme d'un jeu de main & de doigts prétendu très-utile pour la santé, & qui s'appelloit chironomie ; il y est aussi parlé d'une espece de ballon suspendu qu'on nommoit corycus, & qu'on poussoit de toute sa force avec le bras.

Mais comme les bains composoient principalement la gymnastique médicinale, aussi bien que la coûtume de se faire frotter & de se faire oindre, il arriva que l'application des huiles, des onguens, & des parfums liquides dont on se servoit, soit avant soit après le bain, soit dans d'autres conjonctures, occupa chez les Romains, dans le tems de leur décadence, autant de personnes que les bains mêmes.

Ceux qui faisoient profession d'ordonner ces onguens ou ces huiles aux malades & aux gens sains, s'appelloient jatraliptae, c'est-à-dire medecins des onguens ; ils avoient sous leurs ordres des gens qu'on nommoit unctores, qui ne servoient qu'à oindre, & qu'il faut distinguer non-seulement des unguentarii, ou vendeurs d'huiles & d'onguens, mais encore des olearii, lesquels étoient des esclaves qui portoient le pot à essence pour leurs maîtres, lorsqu'ils alloient au bain.

Après avoir oint, & avant qu'on oignît on frottoit & on racloit la peau ; ce qui étoit l'office des frotteurs, fricatores : ils se servoient pour cela d'un instrument appellé strigil, fait exprès pour décrasser la peau, pour en ôter les restes de l'huile & même de la poussiere dont on se couvroit lorsqu'on vouloit lutter ou prendre quelqu'autre exercice. Voyez STRIGIL.

Ce n'est pas tout, les jatraliptes avoient encore sous eux des gens qui se mêloient de manier doucement les jointures & les autres parties du corps, pour les rendre plus souples ; on nommoit ceux-ci tractatores. C'est de ces gens-là que parle Séneque, lorsqu'il dit, indigné des abus qui se commettoient à cet égard : " Faut-il que je donne mes jointures à amollir à ces efféminés ? ou faut-il que je souffre que quelque femmelette ou quelque homme changé en femme, m'étende mes doigts délicats ? Pourquoi n'estimerai-je pas plus heureux un Mucius Scaevola qui manioit aussi aisément le feu avec sa main que s'il l'eût tendue à un de ceux qui professent l'art de manier les jointures " ? Ce qui mettoit Séneque de mauvaise humeur contre cette espece de remede & contre ceux qui le pratiquoient, c'est qu'ils le faisoient la plûpart par mignardise & par délicatesse.

Pour dire ici quelque chose de plus honteux, les hommes employoient à cet usage des femmes choisies que l'on appelloit tractatrices ; je ne veux pour preuve de cette dépravation, que l'épigramme de Martial contre un riche voluptueux de son tems.

Percurrit agile corpus arte tractatrix.

Manumque doctam spargit omnibus membris.

Lib. III. epigr. 81.

Enfin dans ce genre de luxe, comme les huiles, les onguens, les parfums liquides ne pouvoient pas être commodément administrés qu'on n'ôtât le poil, on dépiloit industrieusement avec des pincettes, des pierres-ponces, & toutes sortes de dépilatoires composés avec art : les hommes qui servoient à cet office, étoient appellés dropacistae & alipilarii, & les femmes picatrices & paratiltriae. Ainsi la medecine gymnastique, simple dans son origine, devint minutieuse dans la pratique, & finit par dégénérer en raffinement de luxe, de mollesse, & de volupté. Article de M(D.J.)

GYMNASTIQUE MILITAIRE, (Littérat. greq. & rom.) science des divers exercices du corps relativement à l'art militaire.

Les principaux de ces exercices étoient le saut, le disque, la lutte, le javelot, le pugilat, la course à pié & en chariots ; tous ces exercices furent extrêmement cultivés parce que donnant au corps de la force & de l'agilité, ils tendoient à rendre les hommes plus propres aux fonctions de la guerre ; c'est pourquoi Salluste loue Pompée de ce qu'il couroit, sautoit, & portoit un fardeau aussi-bien qu'homme de son tems ; en effet de l'exercice vient l'aisance à tout faire & à tout souffrir ; c'est l'école de la souplesse & de la vigueur. La souplesse rend l'homme expéditif dans l'action ; la force éleve le courage audessus des douleurs, & met la patience à l'épreuve des besoins.

La gymnastique militaire procuroit ces grands avantages, & entretenoit les forces de toute une nation ; elle fut établie chez les Grecs par les Lacédémoniens & les Crétois ; ils ouvrirent à ce sujet ces académies si célebres dans le monde, & qui dans le siecle de Platon, se rapportoient toutes à l'art militaire : du tems d'Epaminondas, le seul exercice de la lutte contribua principalement à faire gagner aux Thébains la bataille de Leuctres. C'étoit pour perfectionner ces exercices militaires, & pour exciter chez ceux qui les cultivoient une loüable émulation, que dans les fêtes & les autres cérémonies solemnelles on célebroit des jeux publics connus sous le nom de combats gymniques, où les vainqueurs recevoient tant d'honneurs & de récompenses. Voyez GYMNIQUES (JEUX).

Mais comme les coûtumes les plus utiles s'alterent, il arriva que ce qui n'étoit qu'un aiguillon pour réveiller la valeur martiale & disposer les guerriers à se procurer des avantages solides, en gagnant des victoires plus importantes, devint le pur objet des divertissemens publics auxquels les peuples accouroient en foule pour couronner les athletes qui rapportoient uniquement à ces jeux leurs talens, leur genre de vie, & leurs occupations les plus sérieuses.

Enfin quand les Grecs n'eurent plus de vertus, les institutions gymnastiques détruisirent l'art militaire même ; on ne descendit plus sur l'arene pour se former à la guerre, mais pour se corrompre : du tems de Plutarque, les parcs où l'on se battoit à nud, & les combats de la lutte rendoient les jeunes gens lâches, les portoient à un amour infâme, & ne faisoient que des baladins. Dans nos siecles modernes, un homme qui s'appliqueroit trop aux exercices, nous paroîtroit méprisable, parce que nous n'avons plus d'autres objets de recherches que ce que nous nommons les agrémens ; c'est le fruit de notre luxe asiatique. La danse ne nous inspire que la mollesse, & l'exercice des armes la fureur des combats singuliers ; deux pestes que nous ne regardons point avec effroi, & qui cependant moissonnent la jeunesse des états les plus florissans. (D.J.)


GYMNIQUES(JEUX, ou COMBATS) Littérat. greq. & rom. Les jeux ou combats gymniques étoient des exercices célebres chez les Grecs & les Romains, qui prirent leur nom de la nudité des athletes, lesquels pour être plus libres, se mettoient nuds ou presque nuds.

On convient qu'Hercule en instituant les jeux olympiques, imposa aux athletes qui devoient y combattre, la loi d'y paroître nuds ; la nature de la plûpart des exercices usités dans ces jeux jointe à la chaleur du climat & de la saison où l'on tenoit ces sortes d'assemblées exigeoient nécessairement cette nudité, qui pourtant n'étoit pas entiere ; on avoit soin de cacher ce que la décence défend de découvrir, & l'on employoit pour cela une espece de ceinture, de tablier, ou d'écharpe, dont on attribue l'invention à Palestre fille de Mercure. Nous voyons cet usage établi dès le tems d'Homere, qui appelle cette sorte de ceinture, en parlant du pugilat d'Euriale & d'Epeus.

Mais vers la quinzieme Olympiade, s'il en faut croire Denis d'Halicarnasse, les Lacédémoniens s'affranchirent de la servitude de l'écharpe ; ce fut, au rapport d'Eustathe, l'avanture d'un certain Orsippe qui en amena l'occasion : l'écharpe de cet athlete s'étant déliée lorsqu'il disputoit le prix de la course, ses piés s'y accrocherent, ensorte qu'il se laissa tomber, & se tua, ou du-moins fut vaincu par son concurrent, (car on compte la chose de deux façons). Ce malheur donna lieu de porter un réglement qui décidoit qu'à l'avenir les athletes combattroient sans écharpe & sacrifieroient la pudeur à leur commodité, en retranchant même ce reste d'habillement. Acanthe le Spartiate suivit le premier l'ordonnance, & disputa tout nud le prix de la course aux jeux olympiques : toutefois les autres peuples rejetterent cette coûtume, & continuerent à se couvrir de l'écharpe dans la lutte & dans le pugilat ; ce qu'observoient encore les Romains du tems de Denis d'Halicarnasse. Cependant l'époque de l'entiere nudité des athletes, que cet auteur met à la quinzieme olympiade, est démentie par Thucydide, qui prétend qu'elle ne s'étoit introduite que quelques années avant le tems où il écrivoit l'histoire de la guerre du Péloponnèse : or l'on sait que le commencement de cette guerre tombe à la premiere année de la 87e olympiade.

Quoi qu'il en soit, la nudité des athletes n'étoit d'usage que dans certains exercices, tels que la lutte, le pugilat, le pancrace, & la course à pié ; car il est prouvé par d'anciens monumens, que dans l'exercice du disque, les discoboles portoient des tuniques ; on ne se dépouilloit point pour la course des chars, non plus que pour l'exercice du javelot ; & c'est pour cette raison, comme le remarque Eustathe, qu'Homere, grand observateur des bienséances, ne fait paroître Agamemnon aux jeux funebres de Patrocle, que dans cette derniere espece de combats, où ce prince n'étoit point obligé de déroger en quelque sorte à sa dignité, en quittant ses habits.

Cependant comme dans les gymnases destinés à former la jeunesse aux combats gymniques, les jeunes gens y paroissoient d'ordinaire presque nuds, il y avoit des inspecteurs appellés sophronistes, préposés pour veiller sur eux & les maintenir dans la pudeur.

Lycon, selon Pline, institua les jeux gymniques en Arcadie, qui de-là se répandirent par-tout, firent successivement les délices des Grecs & des Romains, & accompagnerent presque toûjours la célébration des grandes fêtes, sur-tout celles des bacchanales.

Ces jeux se donnoient avec magnificence quatre fois l'année, savoir 1°. à Olympie, province d'Elide, & par cette raison furent appellés jeux olympiques, en l'honneur de Jupiter Olympien ; 2°. dans l'isthme de Corinthe, d'où ils prirent le nom de jeux isthmiens, & furent dédiés à Neptune ; 3°. dans la forêt de Némée, à la gloire d'Hercule, & furent appellés jeux néméens ; 4°. on les connut aussi sous le nom de jeux pythiens, en l'honneur d'Apollon qui avoit tué le serpent Python. Voyez OLYMPIQUES, ISTHMIENS, NEMEENS, PYTHIENS.

On y disputoit le prix du pugilat, de la lutte, de la course à pié, de la course des chars, de l'exercice du disque, & du javelot ; Lucien nous a laissé de ces divers combats avec son badinage ordinaire, un tableau fort instructif dans un de ses dialogues, où il fait parler ainsi Anacharsis & Solon.

Anacharsis. " A qui en veulent ces jeunes gens, de se mettre si fort en colere, & de se donner le croc en jambe, de se rouler dans la boue comme des pourceaux, tâchant de se suffoquer ? Ils s'huiloient, se rasoient d'abord paisiblement l'un l'autre : mais tout-à-coup baissant la tête, ils se sont entrechoqués comme des béliers ; puis l'un élevant en l'air son compagnon, le laisse tomber à terre par une secousse violente, & se jettant sur lui, l'empêche de se relever, lui pressant la gorge avec le coude, & le serrant si fort avec les jambes, que j'ai peur qu'il ne l'étouffe, quoique l'autre lui frappe sur l'épaule, pour le prier de le lâcher, comme se reconnoissant vaincu. Il me semble qu'ils ne devroient point s'enduire ainsi de boüe, après s'être huilés, & je ne puis m'empêcher de rire, quand je vois qu'ils esquivent les mains de leurs compagnons comme des anguilles que l'on presse ; en voilà qui se roulent dans le sable avant que de venir au combat, afin que leur adversaire ait plus de prise, & que la main ne coule pas sur l'huile ni sur la sueur.

Solon. La difficulté qui se trouve à colleter un adversaire lorsque l'huile & la sueur font glisser la main sur la peau, met en état d'emporter sans peine dans l'occasion un blessé hors du combat, ou d'enlever un prisonnier. Quant au sable & à la poussiere dont on se frotte, on le fait pour une raison toute différente, c'est-à-dire pour donner plus de prise, afin de s'accoûtumer à esquiver les mains d'un antagoniste malgré cet obstacle ; outre que cela sert, non-seulement à essuyer la sueur & à décrasser, mais encore à soûtenir les forces, en s'opposant à la dissipation des esprits, & à fermer l'entrée à l'air, en bouchant les pores qui sont ouverts par la chaleur.

Anacharsis. Que veulent dire ces autres qui sont aussi couverts de poussiere ? ils s'entrelacent à coups de pié & de poing, sans essayer de se renverser comme les premiers : mais l'un crache ses dents avec le sable & le sang, d'un coup qu'il a reçû dans la mâchoire, sans que cet homme vêtu de pourpre, qui préside à ces exercices, se mette en peine de les séparer ; ceux-ci font voler la poussiere en sautant en l'air, comme ceux qui disputent le prix à la course.

Solon. Ceux que tu vois dans la boüe ou dans la poussiere, combattent à la lutte ; les autres se frappent à coups de pié & de poing, au pancrace ; il y a encore d'autres exercices que tu verras, comme le palet, & le pugilat & tu sauras que par-tout le vainqueur est couronné ".

Mais avant que de parler de la couronne qu'obtenoit l'athlete vainqueur, il importe d'exposer avec quelque détail, la police, les lois, & les formalités qu'on observoit dans la célébration des jeux solemnels, qui intéressoient si fort & des villes fameuses à tous égards, & des peuples entiers.

Il ne suffisoit pas aux athletes pour être admis à concourir dans ces jeux, d'avoir soigneusement cultivé les divers exercices du corps dès leur plus tendre jeunesse, & de s'être distingués dans les gymnases parmi leurs camarades : il falloit encore, du-moins parmi les Grecs, qu'ils subissent d'autres épreuves par rapport à la naissance, aux moeurs, & à la condition : car les esclaves étoient exclus des combats gymniques ; les agonothetes, autrement dits les hellanodiques, préposés à l'examen des athletes, écrivoient sur un registre le nom & le pays de ceux qui s'enrôloient pour ainsi dire.

A l'ouverture des jeux, un héraut proclamoit publiquement les athletes qui devoient paroître dans chaque sorte de combats, & les faisoit passer en revûe devant le peuple, en publiant leurs noms à haute voix. On travailloit ensuite à regler les rangs de ceux qui dans chaque espece de jeux, devoient payer de leur personne ; c'étoit le sort qui seul en décidoit ; & dans les jeux où plus de deux concurrens pouvoient disputer en même tems le prix proposé, tels que la course à pié, la course des chars, &c. les champions se rangeoient dans l'ordre selon lequel on avoit tiré leur nom ; mais dans la lutte, le pugilat, & le pancrace, où les athletes ne pouvoient combattre que deux à deux, on apparioit les combattans en les tirant au sort d'une maniere différente ; c'est Lucien qui nous apprend encore toutes ces particularités.

Après avoir tiré les athletes au sort, & les avoir animés à bien faire, on donnoit le signal des divers combats, dont l'assemblage formoit les jeux gymniques : c'étoit alors que les athletes entroient en lice, & qu'ils mettoient en oeuvre toute la force & la dextérité qu'ils avoient acquise dans leurs exercices, pour remporter le prix. Il ne faut pas croire cependant qu'affranchis de toute servitude, ils fussent en droit de tout oser & de tout entreprendre pour se procurer la victoire ; les hellanodiques & les autres magistrats, par des lois sagement établies, avoient soin en conséquence de ces lois de refréner la licence des combattans, en bannissant de ces sortes de jeux la fraude, l'artifice, & la violence outrée. Toutes les lois athlétiques, & toutes celles de la police des jeux, étoient observées d'autant plus exactement, que l'on punissoit avec sévérité ceux qui manquoient d'y obéir. C'étoit-là d'ordinaire la fonction des mastigophores. Voyez MASTIGOPHORES.

Il étoit défendu de gagner ses juges & ses antagonistes par des présens ; & la violation de cette loi se punissoit par des amendes, dent on employoit l'argent à ériger des statues en l'honneur des dieux.

Enfin, ces hommes dévoüés aux divertissemens publics, après avoir passé par diverses épreuves laborieuses & rebutantes avant & pendant la célébration des jeux, recevoient à la fin les récompenses qu'ils se proposoient pour but, & dont l'attente étoit capable de les soûtenir dans une carriere aussi pénible que la leur.

Ces récompenses étoient de plus d'une espece ; les spectateurs célébroient d'abord la victoire des athletes remportée dans les jeux par des applaudissemens & des acclamations réïtérées ; on faisoit proclamer par un héraut le nom des vainqueurs ; on leur distribuoit les prix qu'ils avoient mérités, des esclaves, des chevaux, des vases d'airain avec leurs trépiés, des coupes d'argent, des vêtemens, des armes, de l'argent monnoyé ; mais les prix les plus estimés consistoient en palmes & en couronnes qu'on leur mettoit sur la tête, aux yeux des spectateurs, & qu'on gardoit pour ces occasions dans les thrésors des villes de la Grece.

On les conduisoit ensuite en triomphe, revêtus d'une robe de fleurs dans tout le stade, & ce triomphe n'étoit que le préliminaire d'un autre encore plus glorieux, qui les attendoit dans leur patrie. Le vainqueur en y arrivant, étoit reçû aux acclamations de ses compatriotes, qui accouroient sur ses pas : décoré des marques de sa victoire, & monté sur un char à quatre chevaux, il entroit dans la ville par une breche qu'on faisoit exprès au rempart ; on portoit des flambeaux devant lui, & il étoit suivi d'un nombreux cortége qui honoroit cette pompe. Le triomphe de Néron à son retour de Grece, tel que le décrivent Suetone & Xiphilin, nous présente une image complete de tout ce qui composoit la pompe de ces sortes de triomphes athlétiques.

La cérémonie se terminoit presque toûjours par des festins, dont les uns se faisoient aux dépens du public, les autres aux dépens des particuliers connus du vainqueur ; ensuite, ce vainqueur régaloit à son tour ses parens & ses amis. Alcibiade poussa plus loin la magnificence lorsqu'il remporta le premier, le second, & le quatrieme prix de la course des chars aux jeux olympiques ; car après s'être acquité des sacrifices dûs à Jupiter olympien, il traita toute l'assemblée : l'athlete Léophron en usa de même au rapport d'Athénée : Empédocle d'Agrigente ayant vaincu aux mêmes jeux, & ne pouvant comme Pythagoricien, régaler le peuple, ni en viande, ni en poisson, il fit faire un boeuf avec une pâte composée de myrrhe, d'encens, & de toutes sortes d'aromates, & le distribua par morceaux à tous ceux qui se présenterent. Le festin donné par Scopas, vainqueur dans un des jeux gymniques, est devenu célebre par l'accident qui le termina, & dont Simonide fut miraculeusement préservé ; cette histoire nous a été transmise par Cicéron, Phedre, & Quintilien, qui la racontent dans toute son étendue ; la Fontaine en a fait le sujet d'une de ses fables.

Ces couronnes, ces palmes, ces triomphes, ces acclamations, & ces festins, qui donnoient d'abord un si grand relief à la victoire des athletes dans les jeux gymniques, n'étoient au fond que des honneurs passagers, dont le souvenir se seroit bien-tôt effacé, si l'on n'en eût fait succéder d'autres plus fixes, plus solides, & qui duroient autant que la vie des vainqueurs : ces honneurs-ci consistoient en différens priviléges qu'on leur accordoit, & dont ils joüissoient paisiblement à l'abri des lois, & sous la protection des princes & des magistrats ; l'un des plus honorables de ces priviléges, étoit le droit de préséance dans les jeux publics. Une telle préséance étoit bien dûe à des hommes que les Grecs regardoient comme des dieux ; palmaque nobilis terrarum dominos evehit ad deos ; à des hommes pour lesquels ils avoient une si grande considération, que c'étoit, dit Cicéron, quelque chose de plus glorieux en Grece d'avoir vaincu dans les jeux olympiques, qu'à Rome d'avoir obtenu les honneurs du triomphe.

Un autre privilége des vainqueurs dans les combats gymniques, privilége où l'utile se trouvoit joint à l'honorable, c'étoit celui d'être nourri le reste de leurs jours aux dépens de leur patrie ; ce droit leur étoit acquis de toute ancienneté : mais dans la suite, leurs victoires se multipliant aussi-bien que les jeux publics, cette dépense seroit devenue fort à charge à leurs compatriotes, si l'on ne l'eût resserrée dans les bornes de la médiocrité ; les empereurs conserverent tous ces priviléges des vainqueurs aux jeux gymniques, & même les accrûrent ; Auguste en montra l'exemple, suivant le témoignage de Suetone.

L'exemption de toute charge & de toute fonction civile, n'étoit pas une de leurs moindres prérogatives ; mais il falloit pour l'obtenir, avoir été couronné au-moins trois fois aux jeux sacrés.

Le desir d'immortaliser les victoires des athletes remportées aux jeux gymniques, fit mettre en oeuvre divers moyens qui conduisoient naturellement à ce but : tels étoient les archives publiques, les écrits des poëtes, les statues, les inscriptions. La célébration des jeux finie, un des premiers soins des agonothetes étoit d'inscrire sur le registre public le nom, le pays des vainqueurs, & l'espece de combat dont ils étoient sortis victorieux. Leurs loüanges devinrent chez les Grecs un des principaux sujets de la poésie lyrique ; c'est sur quoi roulent, comme l'on sait, toutes les odes de Pindare, partagées en quatre livres, chacun desquels porte le nom des jeux où se sont signalés les athletes dont les victoires sont célébrées dans ces poëmes immortels.

Les peuples non contens du secours qu'ils empruntoient des archives publiques & des poëtes pour perpétuer le souvenir des victoires des athletes dans les jeux gymniques, employerent outre cela tout l'art des Sculpteurs pour transmettre aux siecles à venir la figure & les traits de ces mêmes hommes, qu'ils regardoient avec tant d'admiration. On peut lire dans Pausanias un dénombrement de toutes les statues qui se voyoient de son tems à Olympie, & ces statues ne devoient pas être plus grandes que le naturel ; on ornoit ces statues d'inscriptions, qui marquoient le pays des athletes vainqueurs, représentés par ces statues, le genre, & le tems de leurs victoires, & le prix qu'ils avoient remporté. Octavio Falconerii a recueilli, publié, & éclairci par de savantes notes plusieurs de ces inscriptions qui nous restent encore.

Enfin, malgré la défense des agonothetes, on est allé jusqu'à rendre des honneurs divins aux vainqueurs dans les combats gymniques, & cette espece de culte peut passer pour le comble de la gloire athlétique : On en cite trois exemples tirés de l'histoire : le premier rapporté par Hérodote, est de Philippe Crotoniate, vainqueur aux jeux olympiques, & le plus bel homme de son tems ; les Egestains lui dresserent après sa mort un monument superbe, & lui sacrifierent comme à un héros : le second exemple encore plus extraordinaire, est d'Euthime de Locres, excellent athlete pour le pugilat, lequel pendant sa vie reçut les honneurs divins ; Pline le naturaliste raconte ce fait, liv. VII. ch. lvij. de son histoire : le troisieme exemple est celui de l'athlete Théagene, qui au rapport de Pausanias, fut après sa mort nonseulement adoré par les Thasiens ses compatriotes, mais par divers peuples tant grecs que barbares. Voilà quels étoient les fruits des combats gymniques, ces exercices à jamais célebres, & dont nous n'avons plus d'idée. Article de M. le Chev(D.J.)


GYMNOPÉDIES. f. (Antiq. greq.) , mot composé de , nud, & jeune homme ; danse en usage chez les Lacédémoniens, & qui devoit son institution à Lycurgue. Cette danse faisoit partie d'une fête solemnelle qu'on célébroit publiquement à Lacédémone, en mémoire de la victoire remportée près de Thyrée par les Spartiates sur les Argiens. Deux troupes de danseurs nuds, la premiere de jeunes gens, la seconde d'hommes faits, composoient la gymnopédie, & lui donnoient son nom : celui qui menoit chaque troupe, portoit sur la tête une couronne de palmier, qu'on nommoit couronne thyréatique, à cause du sujet de la fête. Toute la bande en dansant chantoit les poésies lyriques de Thalétas & d'Aleman, ou les péanes de Dionysodote. Ces danses se faisoient dans la place publique ; & la partie de cette place destinée aux danseurs s'appelloit le choeur, .

La fête étoit consacrée à Apollon pour la poésie, & à Bacchus pour la danse ; cette danse, selon Athénée, avoit quelque rapport à une sorte d'exercice, connu anciennement sous le nom d', parce que les danseurs par les démarches entre-coupées & cadencées de leurs piés, & par les mouvemens figurés de leurs mains, offroient aux yeux une image adoucie de la lutte & du pancrace. Meursius a discuté cette matiere avec érudition, dans son livre intitulé orchestra ; on y peut recourir. Il me suffira d'ajoûter qu'on passoit ordinairement de cette danse à la pyrrhique, dont la gymnopédie étoit comme le prélude.

Le législateur de Lacédémone appliqua l'exercice de la danse aux vûes qu'il avoit de porter la jeunesse de Sparte à apprendre en se joüant l'art terrible de la guerre : non-seulement Lycurgue voulut que les jeunes garçons dansassent nuds, mais il établit que les jeunes filles, dans certaines fêtes solemnelles, ne danseroient que parées de leur propre beauté, & sans autre voile que leur pudeur. Quelques personnes lui ayant demandé la cause de cette institution : c'est afin, répondit-il, que les filles de Sparte faisant les mêmes exercices que les hommes, elles ne leur soient point inférieures ni pour la force & la santé du corps, ni pour la générosité de l'ame.

M. Guillet, dans sa Lacédémone ancienne, entreprend d'après Plutarque l'apologie de Lycurgue contre ceux qui prétendent que cette institution étoit plus capable de corrompre les moeurs que de les affiner. " Outre, dit M. Guillet, qu'il est impossible d'imaginer que Lycurgue, qui regardoit l'éducation des enfans pour la plus importante affaire d'un législateur, ait pû jamais fonder des usages qui tendissent au déréglement, il n'est pas douteux que la nudité étant commune à Lacédémone, ne faisoit point d'impression criminelle ou dangereuse. Il se forme par-tout naturellement une habitude de l'oeil à l'objet qui dispose à l'insensibilité, & qui bannit les desirs déréglés de l'imagination ; l'émotion ne vient guere que de la nouveauté du spectacle. Enfin (& c'est la meilleure raison de M. Guillet) dès qu'on s'est mis une fois dans l'esprit l'intégrité des moeurs de Sparte, on demeure persuadé de ce bon mot : les filles de Lacédémone n'étoient point nues, l'honnêteté publique les couvroit. Telle étoit, dit Plutarque, la pudicité de ce peuple, que l'adultere y passoit pour une chose impossible & incroyable. "

Ces usages nous paroissent également étranges & blâmables ; & nous sommes étonnés qu'un homme aussi renommé pour sa sagesse ait pû les proposer, ou qu'on ne les ait pas rejettés.

Après tout, quelque parti qu'on prenne pour ou contre Lycurgue, gardons-nous bien de croire que son excuse en fût une pour nous. Quoiqu'il y ait quantité de lieux dans le monde où les femmes paroissent toûjours dans l'état de celles qui dansoient à certaines fêtes de Sparte, & quoique nos voyageurs assûrent que dans ces lieux le déréglement des moeurs est très-rare ; le point important qu'il ne faut jamais perdre de vûe sur cette matiere, est de reconnoître que si la force de l'éducation générale, établie sur de bons principes, est infinie, lorsque des exemples contagieux n'en peuvent déranger les effets, nous ne joüissons malheureusement ni des avantages précieux de cette excellente éducation générale, ni de ceux d'une bonne éducation particuliere. (D.J.)


GYMNOSOPHISTESS. m. plur. philosophes indiens qui vivoient dans une grande retraite, faisant profession de renoncer à toutes sortes de voluptés pour s'adonner à la contemplation des merveilles de la nature. Ils alloient nuds la plûpart du tems, ce que signifie leur nom, & cela peut-être à cause de la chaleur excessive de leur pays. On en distinguoit deux sectes principales, les Brachmanes & les Hylobiens : ceux-ci fuyoient le commerce des hommes ; les autres un peu plus humanisés se couvroient d'écorce d'arbres, paroissoient quelquefois dans la société, & se mêloient de medecine. Les Gymnosophistes croyoient l'immortalité de l'ame, & sa métempsycose ou transmigration d'un corps dans un autre ; & l'on prétend que Pythagore avoit pris d'eux cette opinion. Ils faisoient consister le bonheur de l'homme à mépriser les biens de la fortune & les plaisirs des sens, & se glorifioient de donner des conseils desintéressés aux princes & aux magistrats. Lorsqu'ils devenoient vieux & infirmes, ils se jettoient eux-mêmes dans un bûcher embrasé, pour éviter l'ignominie qu'ils trouvoient à se laisser accabler par les années & les maladies. Un d'eux, nommé Calanus, se brûla ainsi lui-même en présence d'Alexandre le grand. Il y avoit aussi en Afrique & en Ethiopie des philosophes du même nom. Voyez BRACHMANES, & à l'article INDIENS, la Philosophie des Indiens. (G)


GYNÉCÉE(Antiq. rom.) logement destiné à mettre en réserve les habits, hardes, linge, meubles, & autres effets de la garderobe des empereurs, pour qu'ils pussent s'en servir lorsque les affaires les appelloient tantôt dans une province, tantôt dans une autre. Il y avoit de ces sortes de logemens en plusieurs villes des diverses provinces, situées sur de grandes routes.

Quoique le mot gynaeceum, emprunté des Grecs par les Latins, signifie proprement un cabinet où les femmes serrent leurs habits précieux, bagues, joyaux, ornemens, &c. néanmoins il s'applique particulierement à tous les endroits où on conservoit les habits & ameublemens impériaux dans les villes principales.

Quantité de personnes, sur-tout des femmes, étoient logées dans ces sortes de bâtimens, pour travailler à l'ameublement de l'empereur, ou à d'autres manufactures.

Les maîtres des garderobes impériales de Province se nommoient procuratores gynaeciorum ; parce qu'ils devoient avoir soin que rien ne manquât de ce qui concernoit le linge, vêtement, meubles, & autres commodités nécessaires au service domestique des empereurs en route. Ils devoient aussi tenir toûjours prêts un grand nombre d'habits pour les soldats : enfin ils devoient avoir en magasin des provisions suffisantes de toile à voiles pour les navires & vaisseaux de guerre, dont l'équipement seroit ordonné.

La notice de l'Empire appelle ces sortes d'intendans procuratores gynaegiorum, mais c'est par corruption du vrai mot ; car dans les lois impériales, gynaegium signifie un chenil, & selon Suidas, le lieu où on exposoit aux yeux du peuple les bêtes féroces que les gouverneurs des provinces envoyoient à l'empereur pour les spectacles publics. Il n'y a donc point de doute qu'il ne faille lire procuratores gynaeciorum, c'est-à-dire maîtres des garderobes impériales : on comptoit quinze de ces maîtres dans l'empire d'occident, dont il y en avoit six établis dans six villes ou cités des Gaules ; & tous étoient subordonnés à l'intendant général des finances, sub dispositione comitis sacrorum largitionum. (D.J.)


GYNÉCIAIRES. m. (Hist. anc.) ouvrier qui travaille dans le gynecée : les hommes faisoient le métier de tisserands & de tailleurs dans les gynecées ; les femmes filoient la laine & la soie que les hommes employoient à faire des étoffes.

Quelquefois on condamnoit les criminels à travailler dans le gynecée pour le prince, à-peu-près comme on les condamne aujourd'hui à servir sur les galeres : du-moins ce travail étoit une corvée que les princes exigeoient de leurs sujets, hommes ou femmes. Dictionn. de Trév. & Chambers.


GYNÉCOCRATIES. f. (Hist. anc.) état où les femmes peuvent gouverner, ou gouvernent.

Dans ce sens, l'Espagne & l'Angleterre sont des gynécocraties. Les François s'estiment fort heureux de ce que leur gouvernement ne peut être gynécocratique. Voyez LOI SALIQUE. Chambers.


GYNÉCOCRATUMÉNIENSsubst. m. pl. (Hist. anc.) nom propre d'un ancien peuple de la Sarmatie européenne, qui habitoit sur le bord oriental du Tanaïs vers son embouchure, dans les Palus Méotides. Ce nom lui vient, selon quelques auteurs, de ce qu'il n'y avoit aucune femme chez lui, ou plutôt parce qu'il étoit gouverné par une femme.

Le P. Hardouin dans ses notes sur Pline, dit qu'ils furent ainsi nommés parce qu'après un combat qu'ils perdirent sur les bords du Thermodoon avec les Amazones, ils eurent commerce avec elles pour leur donner des enfans & quod victricibus obsequantur ad procurandam eis sobolem.

Le P. Hardouin les appelle les maris des Amazones, Amazonum connubia : car comme ce pere l'observe, il faut ôter unde du texte de Pline, puisqu'il n'y a été ajoûté que par des gens qui n'ont point entendu cet auteur, unde Amazonum connubia.

Ceux qui prennent les Amazones pour un peuple fabuleux, en disent autant des Gynécocratuméniens. Voyez AMAZONE. Dictionn. de Trév. & Chambers.


GYNÉCONOMES. m. (Hist. anc.) nom d'un magistrat d'Athènes, qui avoit inspection sur les femmes.

Les gynéconomes étoient au nombre de dix ; ils s'informoient de la vie & des moeurs des dames de la ville, punissoient celles qui se comportoient mal & qui sortoient des bornes de la pudeur & de la modestie qui convient au sexe.

Ils exposoient dans un lieu public la liste de celles qu'ils avoient condamnées à quelque amende, ou à d'autres peines. Dictionn. de Trév. & Chambers.


GYPSEou PIERRE A PLATRE, gypsum, (Hist. nat. Minéral.) on appelle gypses ou pierres gypseuses, toutes les pierres que l'action du feu change en plâtre : ainsi le gypse ou la pierre à plâtre sont la même chose, & le plâtre est le produit que donne le gypse lorsqu'il a été calciné. Voyez PLATRE.

Les gypses sont des pierres très-tendres ; leur tissu est ordinairement si peu serré, qu'on peut les égratigner avec l'ongle, les pulvériser, ou les écraser entre les doigts : ils ne donnent point d'étincelles lorsqu'on les frappe avec de l'acier ; ils ne sont point solubles dans les acides, quoique quelques auteurs prétendent qu'ils s'y dissolvent.

Les anciens ont connu différentes especes de gypse, dont ils faisoient le même usage que nous ; l'île de Chypre en avoit des carrieres considérables. Ils nommoient metallum gypsinum, celui qu'ils regardoient comme le plus parfait ; c'étoit, suivant M. Hill, le gypse feuilleté, que nous appellons pierre spéculaire. Les naturalistes anciens parlent aussi d'une pierre qu'ils appelloient gypsum tymphaicum, qui mêlée avec l'eau sans avoir éprouvé l'action du feu, prenoit corps & faisoit un ciment ou plâtre. Ils s'en servoient aussi pour dégraisser les habits, comme de la terre cimolée : mais il y a lieu de croire que c'étoit plutôt une substance calcaire, telle que celle qu'on nomme calx nativa, & que c'est improprement qu'on lui donnoit le nom de gypsum. Voyez le traité des pierres de Théophraste, avec les notes de M. Hill, pag. 209 & suiv. de la traduction franç. & Plinii hist. nat. lib. XXXVI. cap. xvij.

Les gypses varient pour la couleur & pour la figure ; ce qui fait qu'on en compte plusieurs especes. La plus connue & la plus ordinaire est celle qu'on nomme pierre à plâtre ; elle se divise en masses d'une figure indéterminée : au premier coup-d'oeil elle a quelque ressemblance avec de la pierre à chaux, & quelquefois avec le grès. Elle paroît remplie de points luisans, qui la font en quelque sorte ressembler à du sucre brut ; elle est ou blanche ou d'un gris clair, ou semée de taches, ou rougeâtre, ou verdâtre, &c. On en trouve de cette espece à Montmartre & dans plusieurs autres endroits des environs de Paris, où on la nomme pierre à plâtre, ou moilon de plâtre.

Le gypse feuilleté, qui s'appelle aussi pierre spéculaire & miroir des ânes, est une pierre formée par l'assemblage de plusieurs feuillets très-minces & transparens, placés les uns sur les autres, & qui se séparent aisément. Ces feuillets sont quelquefois presque aussi transparens que du verre ; quelquefois ils sont colorés, ce qui fait que leur assemblage forme une pierre jaunâtre, ou brune & luisante, sur laquelle on voit des iris ou les couleurs de l'arc-en-ciel. Ce gypse ressemble beaucoup au talc, qu'on nomme glacies mariae, ou verre de Russie : voilà pourquoi plusieurs auteurs l'ont confondu avec lui, quoiqu'il en differe par les propriétés. Le gypse feuilleté devient blanc, & perd sa transparence dans le feu ; au lieu que le talc n'y éprouve aucun changement. Ce gypse a aussi de la ressemblance avec le spath feuilleté & rhomboïdal ; mais ce dernier est une pierre calcaire. On trouve aussi de la pierre spéculaire ou du gypse feuilleté dans les carrieres de Montmartre ; on regarde le plâtre qui en est fait, comme le plus pur. Il y a du gypse dont les lames ou feuillets sont disposés confusément : quelques auteurs le nomment gypse ardoisé. Il ne differe de l'autre que par l'arrangement de ses parties, qui font qu'il est plus ou moins opaque. Quelquefois les lames du gypse feuilleté se réunissant par une de leurs extrémités, forment différens angles plus ou moins aigus ; comme on peut le remarquer dans le gypse feuilleté de Montmartre ; souvent l'espace compris entre les deux angles, est rempli d'une substance étrangere qui est calcaire.

Le gypse strié est une pierre formée par un assemblage de filets ou d'aiguilles, paralleles les unes aux autres ; ce qui fait qu'elle ressemble parfaitement à de l'asbeste, ou à de l'amiante : quelques auteurs l'ont abusivement nommé alun de plume.

Les gypses crystallisés sont des pierres dont la figure varie ; elle est tantôt rhomboïdale, tantôt par filets, tantôt en pyramides de différentes grandeurs ; mais le plus souvent en colonnes, assez semblables aux crystaux du sel de Glauber : ces crystallisations gypseuses se reconnoissent aisément à leur peu de consistance & de dureté. C'est improprement que quelques auteurs ont donné le nom de sélénite à cette espece de gypse.

Le gypse solide est une pierre dont les parties sont liées si étroitement, qu'on a de la peine à distinguer la figure des parties qui la composent : cette pierre a de la transparence, & ressemble assez à de la cire blanche. On en fait en Allemagne des figures assez agréables.

Un très-grand nombre de naturalistes dont l'autorité est d'ailleurs respectable, mettent l'albâtre, au rang des gypses ; mais cela demande une explication. Ces auteurs semblent avoir donné le nom d'albâtre à une pierre qui, à la vérité, lui ressemble beaucoup, tant par son tissu que par sa blancheur, par les veines & les couleurs qu'on y remarque. Cette pierre, qui est un vrai gypse, se trouve sur-tout en différentes parties de l'Allemagne, & c'est sur elle que M. Pott a fait toutes ses expériences pour découvrir la nature de la pierre gypseuse : mais le véritable albâtre, & sur-tout celui que nous connoissons sous le nom d'albâtre oriental, dont on fait des tables, des colonnes, des manteaux de cheminées, & d'autres ouvrages, doit être regardé comme une pierre calcaire, puisqu'il fait effervescence avec les acides, & se change en chaux par la calcination. Ferrante Imperato regarde l'albâtre comme une stalactite, & il y a toute apparence que c'est le marbre qui produit cette stalactite. On peut voir plusieurs de ces albâtres en stalactite, dans le cabinet du jardin du Roi à Paris. Ainsi la pierre que MM. Wallerius & Pott nomment albâtre, & qu'ils placent parmi les gypses, n'a rien de commun, sinon la ressemblance extérieure, avec ce que nous entendons par albâtre.

M. Wallerius met aussi la pierre phosphorique, appellée pierre de Bologne, au regne des gypses ; mais de son aveu même elle est calcaire, puisqu'il dit qu'elle fait effervescence avec les acides. Le même auteur dit dans ses remarques, que tous les gypses acquerent par la calcination la propriété de luire dans l'obscurité, tout comme les pierres calcaires & les marbres ; mais M. Pott nous apprend que ses expériences lui ont fait voir le contraire. M. Wallerius met aussi la pierre néphrétique au rang des gypses, tandis qu'il lui attribue de même la propriété d'être soluble dans les acides. Voyez la minéralogie de Wallerius, tome I. pag. 98. & suiv. de la traduction françoise.

Le célebre M. Pott, dans sa lithogéognosie, fait une classe particuliere des gypses ; au lieu que d'autres auteurs pensent qu'on ne doit en faire qu'une soûdivision des pierres calcaires ; qu'elles n'en different qu'accidentellement & par des qualités qui ne sont point de l'essence de la pierre : ainsi ils regardent le gypse comme une pierre calcaire modifiée. M. de Justi est de ce sentiment, dans son plan du regne minéral, §. 410. & suiv.

M. Macquer regarde le plâtre comme une chaux grossiere, & croit que le gypse n'est point composé de parties homogenes, comme la pierre à chaux ; mais qu'il entre deux especes de pierres dans sa composition, dont l'une est calcinable, & l'autre ne l'est point ; il dit que c'est pour cela que le plâtre prend corps avec l'eau, & se durcit avec elle sans addition de sable, parce que le plâtre est une chaux qui porte déjà son sable avec elle. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1747, page 65. & suiv.

Quoi qu'il en soit de tous ces sentimens, voici les différences qui se trouvent entre le gypse & la pierre à chaux. 1°. Le gypse, soit cru, soit calciné, ne fait point d'effervescence avec les acides, tels que l'eau forte, l'esprit de sel, &c. au lieu que toute pierre calcaire s'y dissout très-promtement & avec effervescence, soit avant, soit après la calcination. Quand une pierre gypseuse fait effervescence, c'est une preuve qu'elle n'est point pure, mais mélangée avec quelque substance calcaire. Cependant M. de Justi prétend, dans sa minéralogie, que les gypses se dissolvent dans les acides lorsqu'ils ont été divisés & atténués, & qu'il y en a même qui se dissolvent avec une effervescence plus considérable que le marbre. Il faut que cet auteur ait été trompé par des pierres calcaires qui ressembloient à du gypse, ou par des pierres gypseuses, mêlées de parties calcaires. 2°. La pierre à chaux calcinée donne une substance qui s'échauffe fortement lorsqu'on la mêle avec de l'eau, & fait avec elle un bouillonnement sensible ; au lieu que le gypse calciné ou plâtre, ne s'échauffe point, à beaucoup près, si vivement avec l'eau, & n'y cause point de bouillonnement sensible. 3°. Le gypse calciné ou le plâtre mêlé avec l'eau, prend du corps & devient en peu de tems dur comme une pierre, sans qu'on soit obligé d'y joindre du sable ; au lieu que la pierre calcaire calcinée, ou la chaux, ne prend point seule du corps avec l'eau, il faut pour cela y joindre du sable, & le mélange ne prend de la consistance & de la dureté que lentement. 4°. La chaux éteinte reprend toutes ses propriétés par une nouvelle calcination ; au lieu que le plâtre ne les reprend jamais par ce moyen, & n'est plus propre à se durcir avec l'eau. Le plâtre en se séchant augmente de volume & se gonfle ; au lieu que le mortier diminue plutôt que d'augmenter. M. Macquer rend raison de ces différences par ses conjectures, confirmées par des expériences. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, an. 1747.

Les gypses se trouvent par couches dans le sein de la terre. C'est la bute de Montmartre qui fournit presque tout le plâtre qui s'employe dans les bâtimens de Paris. Cette petite montagne présente plusieurs phénomenes, dignes de l'attention des Naturalistes. Elle est placée au milieu d'un pays tout-à-fait calcaire, & composée d'un grand nombre de couches paralleles à l'horison, dans lesquelles on assûre n'avoir jamais trouvé de coquilles fossiles, quoi que toutes les pierres des environs de Paris en soient remplies, & ne soient, pour ainsi dire, formées que de leurs débris. On y trouve deux couches de gypse. La couche inférieure est d'une si grande épaisseur qu'on n'en a point encore trouvé la fin, quoique dans certains endroits on ait creusé jusqu'à 70 ou 80 piés de profondeur. On trouve assez fréquemment au milieu de cette masse de gypse, des ossemens & vertebres de quadrupedes qui ne sont point pétrifiés, mais qui sont déjà un peu détruits, & qui sont très-étroitement enveloppés dans la pierre : on assûre même qu'on y a trouvé autrefois un squelete humain tout entier ; mais comme ce dernier fait n'est point appuyé d'autorités incontestables, on n'en garantit point la vérité.

Quoiqu'on ne puisse point toûjours distinguer à la simple vûe les parties qui composent la pierre gypseuse, ces parties sont pourtant constamment d'une figure réguliere & déterminée. Suivant M. de Jussieu, tous les gypses réduits en poussiere, & considérés au microscope, présentent une infinité de petits parallelipipedes transparens, dont la longueur excede de beaucoup les autres dimensions, & dont la surface est parsemée irrégulierement de globules très petits par rapport à eux. M. de Jussieu ayant observé que quand l'air étoit humide, ces globules changeoient de figure & en prenoient une ovale applatie, & qu'ils disparoissoient quand l'humidité s'évaporoit, a jugé que c'étoient des parties salines qui entrent dans la composition du gypse. Quand on observe de même la poussiere de plâtras ou de plâtre desanimé & inutile, on voit encore les mêmes parallelipipedes & les globules ; mais ils sont mêlés avec beaucoup d'autres petits corps différens d'eux & de figures irrégulieres. M. de Jussieu conjecture que ces corps ont été introduits par l'eau quand on a gaché le plâtre, & croit que ce sont eux qui empêchent les platras de pouvoir être recalcinés de nouveau & redevenir utiles. Voyez l'histoire de l'académie des Sciences, ann. 1719. page 13. & suiv.

Les propriétés du gypse ont depuis long-tems attiré l'attention des Chimistes & des Naturalistes ; mais jusqu'à-présent on n'a point encore pû trouver exactement ce qui le constitue, & ce qui produit sa différence d'avec les pierres calcaires. Bien des auteurs ont cru que le gypse étoit formé par la combinaison de l'acide vitriolique, avec la terre calcaire ; ce qui fait qu'on nomme sélénite ce qui ressemble, à quelques égards, au gypse : mais M. Pott a trouvé qu'elle en différoit à beaucoup d'autres. Ce savant chimiste a fait un grand nombre d'expériences pour l'analyse du gypse : la pierre spéculaire lui a donné une quantité considérable de flegme ou d'eau d'une odeur desagréable, mais insipide, & dans laquelle il n'a pu trouver aucune trace sensible d'alkali volatil, quoique M. Henckel l'eût prétendu : il croit plutôt que la substance saline qui est contenue dans le gypse, est de la nature du sel marin. Le gypse pulvérisé & mis dans une chaudiere sur le feu, aussitôt qu'il est bien séché, devient fluide comme de l'eau & bouillonne ; il ne faut pour cela qu'un degré de feu qui rougisse la matiere : cela prouve qu'il est chargé d'une quantité d'eau très considérable ; c'est aussi ce qui paroît être cause de la promtitude avec laquelle il s'unit avec l'eau & prend corps avec elle. Quelques auteurs regardent ce phénomene comme une preuve que le gypse est très-chargé de sel, & prétendent que son durcissement avec l'eau n'est dû qu'à une crystallisation qui se fait sur le champ. Dans la calcination du gypse à feu ouvert, il en part pendant quelque tems une fumée ou vapeur très-forte ; si le feu est continué trop long-tems, le plâtre qui en provient ne se durcit point lorsqu'on le mêle avec de l'eau, & il reste en poudre sans prendre corps.

Le gypse entre en fusion au miroir ardent ; mais à un feu ordinaire il n'entre point en fusion sans addition : voilà pourquoi il est très-propre à faire des supports pour les substances qu'on veut exposer à un feu violent. M. Port nous apprend avoir trouvé dans le gypse une portion très-petite de phlogistique & de principe colorant ; & que dans la calcination des pierres gypseuses les moins pures, on apperçoit une matiere sulphureuse qui s'enflamme. Ce savant chimiste a combiné le gypse avec différentes substances, tant terreuses que salines, dans des proportions variées ; ce qui lui a donné un grand nombre de produits différens, comme on peut voir dans le II. chap. du t. I. de sa Lithogéognosie. Lorsqu'on répand de l'eau sur du gypse calciné, le mélange s'échauffe, & il en part une odeur très-desagréable. M. Rouelle a trouvé que lorsqu'on calcine le gypse il en part une odeur d'arsenic très-sensible. M. Brandt, savant chimiste suédois, a aussi examiné le gypse, & il a trouvé qu'il n'a point une terre qui par la calcination devienne caustique, comme la chaux vive. Il a mêlé du gypse avec du verre de bouteille, pour en faire une sorte de porcelaine ; il a donné un feu très-vif pendant 24 heures, & il est parti du mélange une odeur de foie de soufre très-forte qui remplit son laboratoire. Mémoires de l'académie royale de Suede, année 1749.

Suivant les observations des Minéralogistes, on n'a point encore trouvé de métaux dans le gypse.

Les anciens ont regardé le gypse comme un poison ; cependant quelques medecins en ont ordonné l'usage intérieur, qui ne peut être que très-inutile & même dangereux, comme on peut en juger par les accidens qui résultent des plâtres neufs. Voyez PLATRE.

On contrefait le marbre avec du gypse très-pur calciné, réduit en une poudre très-fine, passée au tamis ; on l'humecte avec de l'eau gommée, & on y mêle les couleurs convenables pour former les veines : ce mélange prend de la consistance & un très-beau poli. Voyez STUC.

On voit par ce qui vient d'être dit, 1°. que les Naturalistes ont souvent regardé comme gypse des substances qui ne l'étoient point ; 2°. que les principes qui constituent cette pierre, & qui produisent les phénomenes qu'elle présente, sont encore inconnus & demandent bien des expériences pour être développés. La maniere de calciner le gypse pour en faire du plâtre, se trouvera à l'article PLATRE. (-)


GYROLE(Bot.) Voyez CHERVI.


GYROMANCIES. f. (Divinat.) sorte de divination qui se pratique en marchant en rond. Voyez DIVINATION.

La gyromancie se pratiquoit en marchant en rond, ou en tournant autour d'un cercle, sur la circonférence duquel étoient tracées des lettres, ou d'autres caracteres significatifs. A force de tourner, on s'étourdissoit jusqu'à se laisser tomber ; & de l'assemblage des lettres qui se rencontroient aux divers endroits où l'on avoit fait des chûtes, on tiroit des présages pour l'avenir. Voyez DIVINATION. (G)


GYROVAGUESvoyez GIROVAGUES.


GYRTONE(Géog. anc.) ancienne ville de Grece dans la Thessalie, ou plutôt, suivant Ptolomée, dans la Stymphalie, province de Macédoine : c'est présentement Tachi Volicati. (D.J.)


GYTHIUM(Géog. anc.) ville du Péloponese dans la Laconie & qui étoit située, selon Ptolomée, à 30 stades de Lacédémone, c'est-à-dire à environ cinq quarts de lieues françoises. Son nom moderne est Colochine. (D.J.)