A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
IS. m. c'est la neuvieme lettre de l'alphabet latin. Ce caractere avoit chez les Romains deux valeurs différentes ; il étoit quelquefois voyelle, & d'autres fois consonne.

I. Entre les voyelles, c'étoit la seule sur laquelle on ne mettoit point de ligne horisontale pour la marquer longue, comme le témoigne Scaurus. On allongeoit le corps de la lettre, qui par-là devenoit majuscule, au milieu même ou à la fin des mots PISO, VIVUS, AEDILIS, &c. C'est à cette pratique que, dans l'Aululaire de Plaute, Staphyle fait allusion, lorsque voulant se pendre, il dit : ex me unam faciam litteram longam.

L'usage ordinaire, pour indiquer la longueur d'une voyelle, étoit, dans les commencemens, de la répéter deux fois, & quelquefois même d'insérer h entre les deux voyelles pour en rendre la prononciation plus forte ; de-là ahala ou aala, pour ala, & dans les anciens mehecum pour mecum ; peut-être même que mihi n'est que l'orthographe prosodique ancienne de mi que tout le monde connoit, vehemens de vemens, prehendo de prendo. Nos peres avoient adopté cette pratique, & ils écrivoient aage pour âge, roole pour rôle, sépareement pour séparément, &c.

Un I long, par sa seule longueur, valoit donc deux i i en quantité ; & c'est pour cela que souvent on l'a employé pour deux i i réels, MANUBIS pour MANUBIIS, DIS pour DIIS. De-là l'origine de plusieurs contractions dans la prononciation, qui n'avoient été d'abord que des abréviations dans l'écriture.

Par rapport à la voyelle I, les Latins en marquoient encore la longueur par la diphthongue oculaire e i, dans laquelle il y a grande apparence que l'e étoit absolument muet. Voyez sur cette matiere le traité des lettres de la Méth. lat. de P. R.

II. La lettre I étoit aussi consonne chez les Latins ; & en voici trois preuves, dont la réunion combinée avec les témoignages des Grammairiens anciens, de Quintilien, de Charisius, de Diomede, de Térencien, de Priscien, & autres, doit dissiper tous les doutes, & ruiner entierement les objections des modernes.

1°. Les syllabes terminées par une consonne, qui étoient brèves devant les autres voyelles, sont longues devant les i que l'on regarde comme consonnes, comme on le voit dans djvat, b Jve, &c. Scioppius répond à ceci, que ad & ab ne sont longs que par position, à cause de la diphthongue iu ou io, qui étant forte à prononcer, soutient la premiere syllabe. Mais cette difficulté de prononcer ces prétendues diphthongues, est une imagination sans fondement, & démentie par leur propre briéveté. Cette brièveté même des premieres syllabes de jvat & de Jve prouve que ce ne sont point des diphthongues, puisque les diphthongues sont & doivent être longues de leur nature, comme je l'ai prouvé à l'article HIATUS. D'ailleurs si la longueur d'une syllabe pouvoit venir de la plénitude & de la force de la suivante, pourquoi la premiere syllabe ne seroit-elle pas longue dans dactus, dont la seconde est une diphthongue longue par nature, & par sa position devant deux consonnes ? Dans l'exacte vérité, le principe de Scioppius doit produire un effet tout contraire, s'il influe en quelque chose sur la prononciation de la syllabe précédente ; les efforts de l'organe pour la production de la syllabe pleine & forte, doivent tourner au détriment de celles qui lui sont contiguës soit avant soit après.

2°. Si les i, que l'on regarde comme consonnes, étoient voyelles ; lorsqu'ils sont au commencement du mot, ils causeroient l'élision de la voyelle ou de l'm finale du mot précédent, & cela n'arrive point : Audaces fortuna juvat ; interpres divûm Jove missus ab ipso.

3°. Nous apprenons de Probe & de Térencien, que l'i voyelle se changeoit souvent en consonne ; & c'est par-là qu'ils déterminent la mesure de ces vers : Arietat in portas, parietibusque premunt arctis, où il faut prononcer arjetat & parjetibus. Ce qui est beaucoup plus recevable que l'opinion de Macrobe, selon lequel ces vers commenceroient par un pié de quatre breves : il faudroit que ce sentiment fût appuyé sur d'autres exemples, où l'on ne pût ramener la loi générale, ni par la contraction, ni par la syncrèse, ni par la transformation d'un i ou d'un u en consonne.

Mais quelle étoit la prononciation latine de l'i consonne ? Si les Romains avoient prononcé, comme nous, par l'articulation je, ou par une autre quelconque bien différente du son i ; n'en doutons pas, ils en seroient venus, ou ils auroient cherché à en venir à l'institution d'un caractere propre. L'empereur Claude voulut introduire le digamma F ou à la place de l'u consonne, parce que cet u avoit sensiblement une autre valeur dans uinum, par exemple, que dans unum : & la forme même du digamma indique assez clairement que l'articulation désignée par l'u consonne, approchoit beaucoup de celle que représente la consonne F, & qu'apparemment les Latins prononçoient vinum, comme nous le prononçons nous mêmes, qui ne sentons entre les articulations f & v d'autre différence que celle qu'il y a du fort au foible. Si le digamma de Claude ne fit point fortune, c'est que cet empereur n'avoit pas en main un moyen de communication aussi promt, aussi sûr, & aussi efficace que notre impression : c'est par-là que nous avons connu dans les derniers tems, & que nous avons en quelque maniere été contraints d'adopter les caracteres distincts que les Imprimeurs ont affectés aux voyelles i & u, & aux consonnes j & v.

Il semble donc nécessaire de conclure de tout ceci, que les Romains prononçoient toûjours i de la même maniere, aux différences prosodiques près. Mais si cela étoit, comment ont-ils cru & dit eux-mêmes qu'ils avoient un i consonne ? c'est qu'ils avoient sur cela les mêmes principes, ou, pour mieux dire, les mêmes préjugés que M. Boindin, que les auteurs du dictionnaire de Trévoux, que M. du Marsais lui-même, qui prétendent discerner un i consonne, différent de notre j, par exemple, dans les mots aïeux, foyer, moyen, payeur, voyelle, que nous prononçons a-ïeux, fo-ïer, moi-ïen, pai-ïeur, voi-ïelle : MM. Boindin & du Marsais appellent cette prétendue consonne un mouillé foible. Voyez CONSONNE. Les Italiens & les Allemands n'appellent-ils pas consonne un i réel qu'ils prononcent rapidement devant une autre voyelle, & ceux-ci n'ont-ils pas adopté à peu-près notre i pour le représenter ?

Pour moi, je l'avoue, je n'ai pas l'oreille assez délicate pour appercevoir, dans tous les exemples que l'on en cite, autre chose que le son foible & rapide d'un i ; je ne me doute pas même de la moindre preuve qu'on pourroit me donner qu'il y ait autre chose, & je n'en ai encore trouvé que des assertions sans preuve. Ce seroit un argument bien foible que de prétendre que cet i, par exemple dans payé, est consonne, parce que le son ne peut en être continué par une cadence musicale, comme celui de toute autre voyelle. Ce qui empêche cet i d'être cadencé, c'est qu'il est la voyelle prépositive d'une diphthongue ; qu'il dépend par conséquent d'une situation momentanée des organes, subitement remplacée par une autre situation qui produit la voyelle postpositive ; & que ces situations doivent en effet se succéder rapidement, parce qu'elles ne doivent produire qu'un son, quoique composé. Dans lui, dira-t-on que u soit une consonne, parce qu'on est forcé de passer rapidement sur la prononciation de cet u pour prononcer i dans le même instant ? Non ; ui dans lui est une diphthongue composée des deux voyelles u & i ; ïé dans pai-ïé en est une autre, composée de i & de é.

Je reviens aux Latins : un préjugé pareil suffisoit pour décider chez eux toutes les difficultés de prosodie qui naîtroient d'une assertion contraire ; & les preuves que j'ai données plus haut de l'existence d'un i consonne parmi eux, démontrent plutôt la réalité de leur opinion que celle de la chose : mais il me suffit ici d'avoir établi ce qu'ils ont crû.

Quoi qu'il en soit, nos peres, en adoptant l'alphabet latin, n'y trouverent point de caractere pour notre articulation je : les Latins leur annonçoient un i consonne, & ils ne pouvoient le prononcer que par je : ils en conclurent la nécessité d'employer l'i latin, & pour le son i & pour l'articulation je. Ils eurent donc raison de distinguer l'i voyelle de l'i consonne. Mais comment gardons-nous encore le même langage ? Notre orthographe a changé ; le Bureau typographique nous indique les vrais noms de nos lettres, & nous n'avons pas le courage d'être conséquens & de les adopter.

L'Encyclopédie étoit assûrément l'ouvrage le plus propre à introduire avec succès un changement si raisonnable : mais on a craint de tomber dans une affectation apparente, si l'on alloit si directement contre un usage universel. Qu'il me soit permis du moins de distinguer ici ces deux lettres, & de les coter comme elles doivent l'être, & comme elles le sont en effet dans notre alphabet. Peut-être le public en sera-t-il plus disposé à voir l'exécution entiere de ce système alphabétique, ou dans une seconde édition de cet ouvrage, ou dans quelque autre dictionnaire qui pourroit l'adopter.


Ic'est la neuvieme lettre & la troisieme voyelle de l'alphabet françois. La valeur primitive & propre de ce caractere est de représenter le son foible, délié, & peu propre au port de voix que presque tous les peuples de l'Europe font entendre dans les syllabes du mot latin inimici. Nous représentons ce son par un simple trait perpendiculaire, & dans l'écriture courante nous mettons un point audessus, afin d'empêcher qu'on ne le prenne pour le jambage de quelque lettre voisine. Au reste, il est si aisé d'omettre ce point, que l'attention à le mettre est regardée comme le symbole d'une exactitude vetilleuse : c'est pour cela qu'en parlant d'un homme exact dans les plus petites choses, on dit qu'il met les points sur les i.

Les Imprimeurs appellent ï trema, celui sur lequel on met deux points disposés horisontalement : quelques Grammairiens donnent à ces deux points le nom de diérèse ; & j'approuverois assez cette denomination, qui serviroit à bien caractériser un signe orthographique, lequel suppose effectivement une séparation, une division entre deux voyelles ; , divisio, de , divido. Il y a deux cas où il faut mettre la diérèse sur une voyelle. Le premier est, quand il faut la détacher d'une voyelle précédente, avec laquelle elle feroit une diphthongue sans cette marque de séparation : ainsi il faut écrire Laïs, Moïse, avec la diérèse, afin que l'on ne prononce pas comme dans les mots laid, moine.

Le second cas est, quand on veut indiquer que la voyelle précédente n'est point muette comme elle a coûtume de l'être en pareille position, & qu'elle doit se faire entendre avant celle où l'on met les deux points : ainsi il faut écrire aiguïlle, contiguïté, Guïse (ville) avec diérèse, afin qu'on les prononce autrement que les mots anguille, guidé, guise, fantaisie.

Il y a quelques auteurs qui se servent de l'ï tréma dans les mots où l'usage le plus universel a destiné l'y à tenir la place de deux i i : c'est un abus qui peut occasionner une mauvaise prononciation ; car si au lieu d'écrire payer, envoyer, moyen, on écrit païer, envoïer, moïen, un lecteur conséquent peut prononcer pa-ïer, envo-ïer, mo-ïen, de même que l'on prononce pa-ïen, aïeux.

C'est encore un abus de la diérèse que de la mettre sur un i à la suite d'un e accentué, parce que l'accent suffit alors pour faire détacher les deux voyelles ; ainsi il faut écrire, athéisme, réintégration, déifié, & non pas athéïsme, réïntégration, déïfié.

Notre orthographe assujettit encore la lettre i à bien d'autres usages, que la raison même veut que l'on suive, quoiqu'elle les desapprouve comme inconséquens.

1°. Dans la diphthongue oculaire A I, on n'entend le son d'aucune des deux voyelles que l'on y voit.

Quelquefois ai se prononce de même que l'e muet ; comme dans faisant, nous faisons, que l'on prononce fesant, nous fesons : il y a même quelques auteurs qui écrivent ces mots avec l'e muet, de même que je ferai, nous ferions. S'ils s'écartent en cela de l'étymologie latine facere, & de l'analogie des tems qui conservent ai, comme faire, fait, vous faites, &c. ils se rapprochent de l'analogie de ceux où l'on a adopté universellement l'e muet, & de la vraie prononciation.

D'autres fois ai se prononce de même que l'e fermé ; comme dans j'adorai, je commençai, j'adorerai, je commencerai, & les autres tems semblables de nos verbes en er.

Dans d'autres mots, ai tient la place d'un è peu ouvert ; comme dans les mots plaire, faire, affaire, contraire, vainement, & en général par-tout où la voyelle de la syllabe suivante est un e muet.

Ailleurs ai représente un ê fort ouvert ; comme dans les mots dais, faix, mais, paix, palais, portraits, souhaits. Au reste, il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, d'établir des regles générales de prononciation, parce que la même diphthongue, dans des cas tout-à-fait semblables, se prononce diversement : on prononce je sais, comme je sés ; & je fais, comme je fés.

Dans le mot douairière, on prononce ai, comme a, douarière.

C'est encore à-peu-près le son de l'e plus ou moins ouvert, que représente la diphthongue oculaire ai, lorsque suivie d'une m ou d'une n, elle doit devenir nasale ; comme dans faim, pain, ainsi, maintenant, &c.

2°. La diphthongue oculaire E I est à-peu-près assujettie aux mêmes usages que A I, si ce n'est qu'elle ne représente jamais l'e muet. Mais elle se prononce quelquefois de même que l'é fermé ; comme dans veiné, peiner, seigneur, & tout autre mot où la syllabe qui suit ei n'a pas pour voyelle un e muet. D'autres fois ei se rend par un è peu ouvert, comme dans veine, peine, enseigne, & tout autre mot où la voyelle de la syllabe suivante est un e muet : il en faut seulement excepter reine, reitre & seize, où ei vaut un ê fort ouvert. Enfin, l'ei nasal se prononce comme ai en pareil cas : plein, sein, éteint, &c.

3°. La voyelle i perd encore sa valeur naturelle dans la diphthongue oi, qui est quelquefois impropre & oculaire, & quelquefois propre & auriculaire.

Si la diphthongue oi n'est qu'oculaire, elle représente quelquefois l'è moins ouvert, comme dans foible, il avoit ; & quelquefois l'ê fort ouvert, comme dans Anglois, j'avois, ils avoient.

Si la diphthongue oi est auriculaire, c'est-à-dire, qu'elle indique deux sons effectifs que l'oreille peut discerner ; ce n'est aucun des deux qui sont représentés naturellement par les deux voyelles o & i : au lieu de o, qu'on y prenne bien garde, on prononce toujours ou ; & au lieu de i, on prononce un e ouvert qui me semble approcher souvent de l'a ; devoir, sournois, lois, moine, poil, poivre, &c.

Enfin, si la diphthongue auriculaire oi, au moyen d'une n, doit devenir nasale, l'i y désigne encore un è ouvert ; loin, foin, témoin, jointure, &c.

C'est donc également un usage contraire à la destination primitive des lettres, & à l'analogie de l'orthographe avec la prononciation, que de représenter le son de l'e ouvert par ai, par ei & par oi ; & les Ecrivains modernes qui ont substitué ai à oi par-tout où cette diphthongue oculaire représente l'e ouvert, comme dans anglais, français, je lisais, il pourrait, connaître, au lieu d'écrire anglois, françois, je lisois, il pourroit, connoître ; ces écrivains, dis-je, ont remplacé un inconvénient par un autre aussi réel. J'avoue que l'on évite par-là l'équivoque de l'oi purement oculaire & de l'oi auriculaire : mais on se charge du risque de choquer les yeux de toute la nation, que l'habitude a assez prémunie contre les embarras de cette équivoque ; & l'on s'expose à une juste censure, en prenant en quelque sorte le ton législatif, dans une matiere où aucun particulier ne peut jamais être législateur, parce que l'autorité souveraine de l'usage est incommunicable.

Non seulement la lettre i est souvent employée à signifier autre chose que le son qu'elle doit primitivement représenter : il arrive encore qu'on joint cette lettre à quelqu'autre pour exprimer simplement ce son primitif. Ainsi les lettres u i ne représentent que le son simple de l'i dans les mots vuide, vuider, & autres dérivés, que l'on prononce vide, vider, &c. & dans les mots guide, guider, &c. quitte, quitter, acquiter, &c. & par-tout où l'une des deux articulations gue ou que précede le son i. De même les lettres i e représentent simplement le son i dans maniement, je prierois, nous remercierons, il liera, qui viennent de manier, prier, remercier, lier, & dans tous les mots pareillement dérivés des verbes en ier. L'u qui précéde l'i dans le premier cas, & l'e qui le suit dans le second, sont des lettres absolument muettes.

La lettre J, chez quelques auteurs, étoit un signe numéral, & signifioit cent, suivant ce vers,

J, C compar erit, & centum significabit.

Dans la numération ordinaire des Romains, & dans celle de nos finances, I signifie un ; & l'on peut en mettre jusqu'à quatre de suite pour exprimer jusqu'à quatre unités. Si la lettre numérale I est placée avant V qui vaut cinq, ou avant X qui vaut dix, cette position indique qu'il faut retrancher un de cinq ou de dix ; ainsi IV signifie cinq moins un ou quatre, IX signifie dix moins un ou neuf : on ne place jamais I avant une lettre de plus grande valeur, comme L cinquante, C cent, D cinq cent, M mille ; ainsi on n'écrit point IL pour quarante-neuf, mais XLIX.

La lettre I est celle qui caractérise la monnoie de Limoges.

J, s. m. c'est la dixieme lettre & la septieme consonne de l'alphabet françois. Les Imprimeurs l'appellent i d'Hollande, parce que les Hollandois l'introduisirent les premiers dans l'impression. Conformément au système de la Grammaire générale de P. R. adoptée par l'auteur du Bureau typographique, le vrai nom de cette lettre est je, comme nous le prononçons dans le pronom de la premiere personne : car la valeur propre de ce caractere est de représenter l'articulation sifflante qui commence les mots Japon, j'ose, & qui est la foible de l'articulation forte qui est à la tête des mots presque semblables, chapon, chose. J est donc une consonne linguale, sifflante, & foible. Voyez au mot CONSONNE, le système de M. du Marsais sur les consonnes, & à l'article H, celui que j'adopte sur le même sujet.

On peut dire que cette lettre est propre à l'alphabet françois, puisque de toutes les langues anciennes que nous connoissons, aucune ne faisoit usage de l'articulation qu'elle représente ; & que parmi les langues modernes, si quelques-unes en font usage, elles la représentent d'une autre maniere. Ainsi les Italiens, pour prononcer jardino, jorno, écrivent giardino, giorno. Voyez le Maître italien de Veneroni, p. 9. édit. de Paris 1709. Les Espagnols ont adopté notre caractere, mais il signifie chez eux autre chose que chez nous ; hijo, fils, Juan, Jean, se prononçant presque comme s'il y avoit ikko, Khouan. Voyez la Méthode espagnole de P. R. p. 5. édit. de Paris, 1660.

Les maîtres d'écriture ne me paroissent pas apporter assez d'attention pour différencier le J capital de l'I : que ne suivent-ils les erremens du caractere courant ? L'i ne descend pas au-dessous du corps des autres caracteres, le j descend : voilà la regle pour les capitales. Article de M. BEAUZEE.

* J, (Ecriture) nous avons aussi dans l'écriture, ainsi que dans l'impression, un j consonne & un i voyelle ; & dans chacun de ces caracteres, un i consonne ou voyelle, coulé ; un aigu, un rond. Après avoir expliqué la formation du g, nous n'avons rien à dire de la formation de l'j consonne, qui n'en est qu'une portion. Pour l'i voyelle coulé, il se forme d'un trait plus droit & d'un angle de plume moins obtus que l'i italien, & celui-ci d'un trait plus droit & d'un angle de plume moins obtus que le rond. On n'emploie à tous que le mouvement simple des doigts mus dans une direction verticale, mais un peu plus ou un peu moins inclinée de droite à gauche. A la partie inférieure de cette lettre, le poignet agit de concert avec les doigts. Voyez nos Planches d'Ecriture.


IACCHAGOGUES. m. (Antiq.) on nommoit de ce nom ceux qui portoient en procession la statue de Iacchus, c'est-à-dire de Bacchus, à la célébration des fêtes éleusiniennes ; ils avoient leurs têtes couronnées de mirthe. (D.J.)


IACCHUSS. m. (Littér.) c'est le nom, sous lequel Bacchus étoit révéré à Eleusis. Des neuf jours destinés chaque année à la célébration des mysteres de Cérès, le sixieme étoit entierement consacré à Iacchus, c'est-à-dire à Bacchus. Ce jour-là on portoit sa statue en grande cérémonie d'Athènes à Eleusis, & tous les initiés chantoient & dansoient autour depuis le matin jusqu'au soir. Les Grecs ayant une fois admis l'existence des dieux, ils en tirerent parti pour satisfaire leurs goûts & leurs penchans. Ce sont eux qui pourroient dire à Cérès, à Iacchus, à l'Amour, vous n'êtes dieux que pour nos plaisirs. (D.J.)


IAGOIAGO

IAGO de CUBA, Sant, (Géog.) ville de l'Amérique septentrionale, sur la côte méridionale de l'île de Cuba, avec un port au fond d'une baie, & sur la riviere de même nom ; elle fut bâtie par les Espagnols en 1514, mais la Havane a pris le dessus, & tout le commerce de cette ville y a été transféré. (D.J.)

IAGO del ESTERO, Sant, (Géog.) ville de l'Amérique méridionale, sans murs, sans fossés, & sans habitans, car on y trouveroit à peine une centaine de maisons ; c'est néanmoins la résidence de l'inquisiteur ordinaire de la province. Elle est située sur une riviere poissonneuse, dans un pays plat, fertile en froment, en seigle, en orge, en fruits, & en tigres carnassiers ; sa distance du Potosi est à environ 70 lieues. Long. 315. 35. lat. mérid. 28. 25. (D.J.)

IAGO de las VALLES, Sant, (Géog.) petite ville presque deserte de l'Amérique septentrionale, dans l'audience de Mexico ; elle est sur la riviere de Panuco, à 30 lieues de Panuco. Long. 276. 40. lat. 23. (D.J.)

IAGO de la VEGA, Sant, (Géog.) belle ville de l'Amérique, capitale de la Jamaïque, bâtie par les Espagnols, à qui les Anglois l'ont enlevée ; c'est la résidence du gouverneur de la Jamaïque : elle est à présent fort peuplée, sise à 2 lieues de la mer, dans une plaine, sur une riviere, à 5 lieues de Port-Royal. Long. 300. 50. lat. 18. (D.J.)

IAGO, Sant, (Géog.) considérable ville de l'Amérique méridionale, capitale du Chili, avec un beau port, un évêché suffragant de Lima, & une audience royale ; c'est la résidence du gouverneur du Chili, & du tribunal de l'inquisition. Elle fut bâtie par Pierre de Valdivia en 1541, dans une belle & vaste plaine, abondante en tout ce qui est nécessaire à la vie, au pié de la Cordillera de los Andès, sur la petite riviere de Mapécho, qui la traverse de l'E. à l'O. Il y a différens canaux, par le moyen desquels on arrose les jardins, & on rafraîchit les rues.

Elle a éprouvé de fréquens tremblemens de terre, & quelques-uns qui l'ont fort endommagée, entr'autres ceux de 1647 & 1657. Le premier renversa cette ville de fond en comble, & répandit dans l'air des vapeurs si vénéneuses, que tous les habitans, qui sont Espagnols & Indiens, en moururent, à trois ou quatre cent personnes près.

Cependant les chaleurs de ce climat, qui gît sous le 33e. degré de lat. Sud, sont extrêmement modifiées par le voisinage des montagnes de la Cordeliere, dont les cimes élevées jusqu'aux cieux, & couvertes d'une neige éternelle, entretiennent à Sant-Iago, au plus fort de l'été, une heureuse température ; la terre y est d'une fertilité singuliere, & procure toutes sortes d'arbres fruitiers ; le pâturage est excellent, & on y engraisse une grande quantité de bétail ; le boeuf & le mouton s'y vendent pour rien, & sont d'un goût délicieux. Long. 308. lat. mérid. 33. 40. (D.J.)


IAHOUA KATTou AIOUA, s. m. (Hist. nat.) poisson des mers du Brésil, dont la face ressemble, dit-on, à la tête d'un boeuf ; c'est un poisson de la famille des orbes ; il a la queue fourchue.


IALEMES. m. (Belles-Lettres) sorte de chanson lugubre, en usage parmi les anciens grecs dans le deuil & les funérailles.

Ces pieces étoient ordinairement si languissantes qu'elles avoient donné lieu au proverbe grec, rapporté par Hesychius , plus misérable, ou plus froid qu'un ïalème. Adrianus Junius rapporte aussi, comme un proverbe, ces mots grecs, , digne d'être mis au rang des ïalèmes. Il se fonde sur ce que dit le poëte comique Menandre ; que si vous ôtez la hardiesse à un amant, c'est un homme perdu, qu'il faut que vous mettiez au rang des ïalèmes. Junius ajoûte qu'ïalème étoit le nom d'un homme plein de défauts & de desagrémens, quoique fils de Calliope. On ignore quelle forme de vers entroit dans la composition des ïalèmes.


IAMBES. m. (Littér.) ïambus, terme de prosodie greque & latine, pié de vers composé d'une breve & d'une longue, comme dans , D, ms. Syllaba longa brevi subjecta vocatur iambus, comme le dit Horace, qui l'appelle aussi un pié vîte, rapide, pes citus.

Ce mot, selon quelques-uns, tire son origine d'Iambe, fils de Pan & de la nymphe Echo, qui inventa ce pié, ou qui n'usa que de paroles choquantes & de sanglantes railleries à l'égard de Cerès affligée de la perte de Proserpine. D'autres aiment mieux tirer ce mot du grec , venenum, venin, ou de , maledico, je médis ; parce que ces vers composés d'ïambes, furent d'abord employés dans la satyre. Dict. de Trévoux.

Il semble qu'Archiloque, selon Horace, en ait été l'inventeur, ou que ce vers ait été particulierement propre à la satyre.

Archilochum proprio rabies armavit ïambo. Art Poët. Voyez IAMBIQUE.


IAMBIQUEadj. (Littér.) espece de vers composé entierement, ou, pour la plus grande partie, d'un pié qu'on appelle ïambe. Voyez IAMBE.

Les vers ïambiques peuvent être considérés ou selon la diversité des piés qu'ils reçoivent, ou selon le nombre de leurs piés. Dans chacun de ce genre, il y a trois especes qui ont des noms différens.

1°. Les purs ïambiques sont ceux qui ne sont composés que d'ïambes, comme la quatrieme piece de Catulle, faite à la louange d'un vaisseau.

Phaselus ille, quem videtis hospites.

La seconde espece sont ceux qu'on appelle simplement ïambes ou ïambiques. Ils n'ont des ïambes qu'aux piés pairs, encore y met-on quelquefois des tribraques, excepté au dernier qui doit toûjours être un ïambe ; & aux impairs des spondées, des anapestes, & même un dactyle au premier. Tel est celui que l'on cite de la Médée de Seneque.

Servare potui, perdere an possim rogas ?

La troisieme espece sont les vers ïambiques libres, qui n'ont par nécessité d'ïambe qu'au dernier pié, comme tous les vers de Phedre.

Amittit meritò proprium, qui alienum appetit.

Dans les comedies, on ne s'est pas plus gêné, & peut-être moins encore, comme on le voit dans Plaute & dans Térence, mais le sixieme pié est toûjours indispensablement un ïambe.

Quant aux variétés qu'apporte le nombre de syllabes, on appelle ïambe ou ïambique dimetre celui qui n'a que quatre piés.

Queruntur in sylvis aves.

Ceux qui en ont six s'appellent trimetres, ce sont les plus beaux, & ceux qu'on emploie pour le théatre, sur-tout pour la tragédie ; ils sont infiniment préférables aux vers de dix ou douze piés en usage dans nos pieces modernes, parce qu'ils approchent plus de la prose, & qu'ils sentent moins l'art & l'affectation.

Dii conjugales, tuque genialis tori

Lucina custos, &c.

Ceux qui en ont huit, se nomment tétrametres, & l'on n'en trouve que dans les comédies.

Pecuniam in loco negligere, maximum

Interdum est lucrum. Terent.

Quelques-uns ajoûtent un ïambe monometre, qui n'a que deux piés.

Virtus beat.

On les appelle monometres, dimetres, trimetres & tétrametres, c'est-à-dire, d'une, de deux, de trois, & quatre mesures, parce qu'une mesure étoit de deux piés, & que les Grecs les mesuroient deux piés à deux piés, ou par épitrices, & en joignant l'ïambe & le spondée ensemble.

Tous ceux dont on a parlé jusqu'ici sont parfaits, ils ont leur nombre de piés complets, sans qu'il y manque rien, ou qu'il y ait rien de trop.

Les imparfaits sont de trois sortes ; les catalectiques auxquels il manque une syllabe.

Musae jovem canebant.

Les brachycatalectiques auxquels il manque un pié entier.

Musae jovis gnatae.

Les hypercatalectiques qui sont ceux qui ont une syllabe ou un pié de trop.

Musae sorores sunt Minervae,

Musae sorores Palladis lugent.

La plûpart des hymnes de l'Eglise sont des ïambiques dimetres, c'est-à-dire de quatre piés. Dict. de Trévoux.


IATRALIPTES. m. (Gymn. milit. & medic.) un ïatralipte dans sa premiere signification, étoit un officier particulier du gymnase, dont l'emploi se bornoit à oindre les athletes pour les exercices athlétiques ; on le nommoit autrement aliptés, alipte.

Ensuite le mot ïatralipte, désigna un medecin, qui traitoit les maladies par les frictions huileuses, un medecin oignant, , mot composé de , medecin, & , je oins ; cette méthode de traitement s'appella , ïatroliptique. Ce fut, au rapport de Pline, liv. XXIX. ch. j. Prodicus, natif de Sélymbria, & disciple d'Esculape, qui mit ce genre de medecine en usage.

On sait que dans le tems des Romains, l'application des huiles, des onguens, des parfums liquides, dont on se servoit avant & après le bain, occupoit un grand nombre de personnes. Alors ceux qui enseignoient l'art d'administrer ces onguens ou ces huiles aux gens en santé, se firent à leur tour appeller ïatraliptes, & établirent sous eux en hommes & en femmes, des manieurs ou manieuses de jointures pour assouplir les membres, tractatores, & tractatrices ; des dépileurs & des dépileuses, alipilarii & tonstrices ; enfin, des personnes de l'un & de l'autre sexe, pour oindre le corps des différentes huiles, onguens, & parfums nécessaires, unctores, & unctrices ; j'ai déja dit quelque chose de ces divers offices, au mot GYMNASTIQUE (medicinale.) Voyez-le. (D.J.)


    
    
IATRIQUES. f. (Med.) , ïatrice, medica ; c'est une épithete du mot grec , ars, qui est sous-entendu ; ensorte qu'elle est employée comme substantif, pour signifier l'art ou la science de la Medecine.

C'est dans le même sens, que le mot est synonyme de medicus, medecin : ainsi on dit ïater, archiater, poliater, chimiater, philiater, pour medicus, protomedicus, medicus publicus, medicus chimicus, medicinae studiosus, c'est-à-dire, medecin, premier medecin, medecin praticien, medecin chimiste, étudiant en Medecine. Voyez MEDECINE, MEDECIN.

Le terme grec est encore employé quelquefois, pour signifier un médicament, comme le mot françois medecine a aussi deux acceptions : par l'une il signifie l'art de guérir ; par l'autre, une purgation ou un purgatif ; puisqu'on dit prendre une medecine, dans le même sens, que se purger : & même dans quelques provinces le peuple appelle toute sorte de remede une medecine. Voyez PURGATION, PURGATIF, MEDICAMENT, REMEDE.


IBA-PARANGAS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de prunier du Brésil ; il a le fruit doux, il renferme un noyau de la grosseur & de la figure d'une amande ; il en renferme trois : il est bon à manger, mais on ne lui attribue aucune vertu, ni à l'arbre qui le produit. Ray.


IBAICAVAL(Géog.) riviere d'Espagne dans la Biscaye, qui va se jetter dans la mer à Bilbao.


IBAR(Géog.) riviere de la Servie en Hongrie, qui se jette dans le Danube près de Semendria.


IBÉIXUMAS. m. (Botan. exot.) arbre du Brésil, décrit par Marggrave. Il porte un fruit sphérique, de la grosseur d'une balle de paume & verd avant que d'être mûr ; il est hérissé de tubercules bruns, & contient une substance visqueuse ; il noircit dans sa maturité, & se partage ensuite en cinq segmens égaux, contenant chacun des semences brunes, rondes & oblongues, de la grosseur de celles de moutarde. L'écorce de cet arbre est gluante, & sert aux mêmes usages que le savon d'Espagne. Marggrave, Hist. Brasil. & Ray. Hist. plant. Voyez aussi SAVONIER. (D.J.)


IBÉRIE(Géog. anc.) ancien nom de deux pays différens, l'un en Asie & l'autre en Europe. L'Ibérie asiatique est une contrée de l'Asie, entre la mer Noire & la mer Caspienne ; Ptolomée dit qu'elle étoit terminée au nord par une partie de la Sarmatie, à l'orient par l'Albanie, au midi par la grande Arménie, & au couchant par la Colchide ; elle est présentement comprise dans la Géorgie.

L'Ibérie européenne est l'ancienne Espagne, nommée Iberia, soit pour sa position occidentale à cause des Ibériens asiatiques qui s'y établirent selon Varron, soit à cause de l'Ebre, en latin berus, qui la séparoit en deux parties, dont l'une appartenoit aux Carthaginois & l'autre aux Romains, avant que ces derniers l'eussent entierement conquise.

L'Ibérie maritime européenne fut découverte par les Celtes, par les Iberes, & ensuite par les Phéniciens, ainsi que depuis les Espagnols ont découvert l'Amérique ; les Tyriens, les Carthaginois, les Romains y trouverent tour-à-tour de quoi les enrichir dans les trésors que la terre produisoit alors.

Les Carthaginois y firent valoir des mines, aussi riches que celles du Méxique & du Pérou, que le tems a épuisées comme il épuisera celles du nouveau monde. Pline rapporte que les Romains en tirerent en neuf ans huit mille marcs d'or, & environ vingtquatre mille d'argent. Il faut avouer que ces prétendus descendans de Gomer profiterent bien mal des présens que leur faisoit la nature, puisqu'ils furent subjugués successivement par tant de peuples. Ils ne profitent guere mieux aujourd'hui des avantages de leur heureux climat, & sont aussi peu curieux des antiquités ibériques, monumens, inscriptions, médailles, qui se trouvent par-tout dans leur royaume, que le seroient les Ibériens asiatiques, habitans de la Géorgie.

On reconnoît encore les Espagnols de nos jours dans le portrait que Justin fait des Ibériens de l'Europe ; corpora hominum ad inediam.... parati ; dura omnibus & adstricta parcimonia. Illis fortior taciturnitatis cura quam vitae. Leurs corps peuvent souffrir la faim ; ils savent vivre de peu, & ils craignent autant de perdre la gravité, que les autres hommes de perdre la vie. (D.J.)


IBIBIRABAS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre du Brésil, qui porte des baies, une fleur en rose, & un fruit de la grosseur de la cerise, où l'on trouve plusieurs pepins que l'on mange avec la chair. Ce fruit est doux, & d'un goût un peu résineux ; il irrite la gorge quand on en mange beaucoup. On emploie la feuille de l'ibibiraba avec sa fleur, mêlée au camara, dans les lotions des piés indiquées par le mal de tête : on tire de ses fleurs, cueillies avant le lever du soleil, & de ses feuilles, une eau rafraîchissante & mondificative, dont on use dans les inflammations des yeux. Ray.


IBIBOBOCAsubst. masc. (Hist. nat. Zoolog.) serpent d'Amérique que les Portugais nomment cobra de coral. Il a communément deux pieds de long, est gros comme le pouce, & sa queue se termine en une pointe très-mince ; il est entierement d'un blanc luisant sous le ventre, sa tête est couverte d'écailles d'une figure cubique dont quelques-unes sont noires sur les bords. Son corps est moucheté de blanc, de noir & de rouge. Il ne se remue que fort lentement, & est regardé comme très-venimeux. Ray, synops. anim.


IBIJARAsubst. mas. (Ophiol. exot.) le même serpent d'Amérique que les Portugais nomment cega cobre vega, ou cobra de las cabeças. Il passe pour être de la classe des amphisbènes, c'est-à-dire, des serpens à deux têtes, ce qui est une grande erreur. Comme sa tête & sa queue sont d'une même forme & épaisseur, & que cet animal frappe également par ces deux parties de son corps, on a supposé qu'elles étoient également dangereuses, seconde erreur à ajouter à la premiere. L'ibijara est un serpent de la plus petite espece ; car il n'a guere que la longueur d'un pied, & la grosseur du doigt ; sa couleur est d'un blanc luisant, tacheté de rayures & d'anneaux d'un jaune de cuivre ou brun ; ses yeux sont si petits qu'ils ne paroissent que comme une tête d'épingle ; il vit en terre de fourmis & autres petits insectes. Les Portugais du Brésil prétendent que sa piquûre est inguérissable. Ray, Syn. anim. p. 289. (D.J.)


IBIJAUS. m. (Ornith. exot.) sorte de chat-huant du Brésil, du genre des tete-chevres, & de la grosseur d'une hirondelle ; sa tête est grosse & applatie ; son bec est extrêmement fin, & laisse appercevoir au-dessus ses deux narines ; sa bouche ouverte est excessivement grande ; sa queue est large, & ses jambes sont basses ; tout son corps est couvert de plumes les unes blanches, les autres jaunes. (D.J.)


IBIRACOAS. m. (Ophiol. exot.) serpent des Indes occidentales, marbré de blanc, de noir, & de rouge ; sa morsure passe pour être extrêmement cruelle par ses effets. (D.J.)


IBISibis, s. m. (Ornith.) oiseau d'Egypte : celui qui a été décrit dans les mémoires pour servir à l'Hist. nat. dressée par M. Perrault, III. partie, ressembloit beaucoup à la cigogne. Voyez CIGOGNE. Voyez aussi la Pl. X. fig. 3. Hist. nat. Cependant il étoit un peu plus petit, & il avoit le col & les piés à proportion encore plus petits ; le plumage étoit d'un blanc sale & un peu roussâtre, excepté des taches d'un rouge pourpre & d'un rouge de couleur de chair, qui étoient au-dessous de l'aile, & la couleur des grandes plumes du bout de l'aile qui étoient noires. Le bec avoit un pouce & demi de largeur à son origine ; le bout n'étoit pas pointu ; il avoit un demi-pouce de largeur ; les deux pieces du bec étoient recourbées en-dessous dans toute leur longueur : elles avoient à la base une couleur jaune claire ; & sur l'extrémité une couleur orangée ; toute leur surface étoit polie comme de l'ivoire : lorsque le bec étoit fermé, il paroissoit parfaitement conique au-dehors, & il avoit au-dedans une cavité de même forme qui communiquoit au-dehors par un trou rond placé au bout du bec ; le bas de la jambe & le pié en entier, depuis le talon jusqu'aux doigts, étoient gris ; les côtés des quatre doigts étoient garnis, bordés d'une membrane, excepté le côté interne des deux doigts extérieurs qui n'en avoient point ; les ongles étoient étroits, pointus & noirâtres, de même que l'extrémité des doigts. L'ibis se nourrit de serpens, de lézards, de grenouilles, &c. Voyez OISEAU.


IBITINS. m. (Hist. naturelle) serpent très-dangereux des îles Philippines ; il est d'une grosseur & d'une longueur prodigieuse ; il se tient suspendu par la queue au tronc d'un arbre, pour attendre sa proie sur laquelle il s'élance. Il attaque de cette maniere les hommes, les cerfs, les sangliers, &c. qu'il dévore tout entiers, après quoi il se serre contre son arbre pour digérer ce qu'il a mangé.


IBUMS. m. (Théologie) les rabbins ont donné ce nom à la cérémonie du frere qui, selon la loi mosaïque rapportée au chap. xxv. du Deutéronome, peut épouser sa belle-soeur, veuve de son frere, mort sans enfans. (D.J.)


IBURG(Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de Westphalie, dans l'évêché d'Osnabruck ; elle est à quatre lieues d'Osnabruck, 12. N. E. de Munster. Long. 25. 46. lat. 52. 20. (D.J.)


IBYARAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) serpent du Brésil, dont on nous dit que la morsure produit le même effet que celle de l'hemorrhois. Voyez HEMORRHOIS.


ICACOS. m. (Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond ; il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ovale & charnu. Ce fruit renferme un noyau de la même forme, qui est cassant & ridé, & qui contient une amande arrondie. Plumier.


ICADESsubst. fem. (Hist. ancienne) fêtes que les philosophes épicuriens célébroient tous les mois en l'honneur d'Epicure, le vingtieme de la lune, qui étoit le jour de la naissance de ce philosophe. C'est du mot vingtaine, qu'ils donnerent à ces fêtes le nom d'Icades. Ils ornoient ce jour-là leurs chambres, portoient en cérémonie le portrait d'Epicure de chambre en chambre dans leurs maisons, & lui faisoient des sacrifices ou des libations.


ICANATESS. m. (Hist. & Art milit.) soldats qui dans l'empire grec gardoient les dehors du palais. Ce corps avoit pour chef un officier qu'on appelloit domestique. Diction. de Trév.


ICAQUESS. m. pl. (Géog.) peuples du golfe d'Honduras, ainsi appellés d'un petit prunier dont les branches sont revêtues en tout tems de petites feuilles longuettes, & deux fois l'an d'une grande quantité de fleurs blanches ou violettes, suivies d'un petit fruit rond de la grosseur d'une prune de damas. Les Icaques qui s'en nourrissent, empêchent leurs voisins de dépouiller cet arbre de son fruit quand il est mûr, par des gardes composés des plus braves d'entr'eux, & armés de fleches & de massues. L'icaque croît aux Antilles en buisson.


ICARIENNEMER. (Géog. anc.) Les anciens ont appellé de ce nom cette partie de l'Archipel qui s'étend entre les isles de Nicaria, de Samos, de Co, & le continent de la Natolie. Le grand nombre de petites isles & de rochers dont elle est remplie, en rend la navigation dangereuse, scopulis surdior Icari, dit Horace. Les Poëtes ont feint qu'Icare, dont tout le monde sait l'avanture, tomba dans cette mer & lui laissa son nom. (D.J.)


ICCIUS PORTUSou STIUS, & même ITCIUS PORTUS, (Géog. anc.) car on varie sur l'orthographe de ce mot, Strabon écrit , ancien port de la Gaule, sur la Manche. Les uns, comme M. de Thou, Vigenere, Marlieu, &c. pensent que c'étoit le port où l'on a bâti depuis la ville de Calais. Cluvier, Joseph Scaliger, Sanson, & plusieurs autres, prétendent que c'est Boulogne ; ce dernier a composé un traité pour la défense de cette opinion. Enfin d'autres savans (car nous avons quantité de dissertations sur ce port) disent que c'est entre Boulogne & Calais qu'il faut chercher l'Ictius portus : or Wissant ou Wissand est situé au nord de Boulogne, à l'endroit où le détroit qu'on nomme le pas de Calais, est le plus resserré, & d'où le trajet pour passer en Angleterre est le plus court ; son nom signifie originairement sable blanc ; les Romains n'ayant point de double w, l'ont obmis, & avec une terminaison latine en ont fait Itius, Itcius, Iccius. Vissand est présentement un village assis sur le bord de la mer, entre Boulogne & Calais ; mais ce lieu a été de plus grande étendue ; c'étoit un bourg précédemment ; & Froissard lui donnoit de son tems le nom de grosse ville. Trente Historiens rapportent qu'avant que les Anglois se fussent emparé de Calais, c'étoit-là le lieu ordinaire où l'on s'embarquoit pour passer en Angleterre, & pour venir d'Angleterre en France, quoiqu'aujourd'hui il n'en reste aucun vestige. M. Ducange a remarqué en se rendant sur les lieux, que les grands chemins qu'on nomme chaussées de Brunehaut, aboutissent à Wissand aussi bien qu'à Boulogne. (D.J.)


ICÈLES. m. (Mythol.) fils du sommeil, selon la fable, & frere de Morphée. Il avoit la propriété de se changer en toutes sortes de formes parfaitement ressemblantes, comme son nom le désigne du verbe , je suis semblable. Les dieux, dit Ovide, Métam. liv. XI. v. 639. l'appelloient Icèle, & les hommes Phobetor, c'est-à-dire, celui qui épouvante. Cette fable étoit prise des illusions trompeuses que font les songes dans le sommeil, varias imitantia formas somnia, delusae mentis imago. Voyez SONGE, (D.J.)


ICÉNIENSIceni, (Géogr. anc.) ancien peuple de l'isle de la Grande-Bretagne ; ils habitoient les bords de l'Ouse, que d'autres appellent Iken ou Yan. Dans ces quartiers-là on trouve encore des lieux qui conservent des traces de leur ancien nom, comme Ikentorp, Ikenworth ; & la petite riviere qui tombe dans le port d'Oxford, s'appelle Ike : mais il y avoit aussi d'autres Icéniens dans l'Hampshire, auprès de la riviere d'Iken, aujourd'hui nommée Iching ; Cambden donne aux Icéniens le pays voisin des Trinobantes, qui fut ensuite appellé Cast Angleae ; il y comprend Suffolck, Norfolck, Cambridge, Huntingtonshire, & il décrit les avantures de ce peuple lors de la conquête des Romains. Quand les Saxons eurent affermi leur heptarchie, le pays des Icéniens devint le royaume des Anglois orientaux, qui, à cause de sa position à l'orient fut appellé East-Angle-Ryk, & eut pour premier roi Uffa. (D.J.)


ICH-DIEN(Hist. mod.) C'est le mot des armes du Prince de Galles, qui signifie en haut-Allemand je sers.

M. Henri Spelman croit que ce mot est saxon ic ien, ic-thien ; le saxon d avec une barre au-travers étant le même que th, & signifiant je sers ou je suis serviteur ; car les ministres des rois saxons s'appelloient thiens.


ICHARA-MOULIS. m. (Hist. nat. Botan.) racine qui croît aux indes orientales, & à laquelle on attache plusieurs propriétés médicinales, mais dont on ne donne aucune description.


ICHIEou ICHIN, s. m. (Commerce) C'est l'aulne du Japon, à laquelle on mesure les étoffes de soie & les toiles qui s'y fabriquent. L'ichien est à-peu-près de trois aulnes de Hollande. Voyez l'article suivant. (G)


ICHINS. m. (Commerce) aulne ou mesure des longueurs dont on se sert au Japon. Cette mesure est uniforme dans toutes les îles qui composent ce vaste empire ; non-seulement chaque marchand a des ichins dans sa boutique auxquels il mesure & vend ses marchandises ; mais encore il y a des ichins publics qu'on trouve pendus presqu'à chaque coin de rue, où l'acheteur peut aller vérifier si on ne lui a point fait faux aunage. Cette espece d'aulne a environ six pieds de long divisés en six parties, & chacune de ses divisions en dix autres, ensorte que l'ichin entier a soixante divisions. Un ichin fait à-peu-près trois aulnes de Hollande, & une canne de Provence. Voyez AULNE & CANNE, Dictionnaire de Commerce. (G)


ICHNÉadj. fém. (Mythologie) surnom de Thémis déesse de la justice, & de Nemesis vangeresse des crimes. Ichnée vient de , trace, vestige. Ces divinités furent ainsi appellées de ce qu'on les supposoit toujours attachées sur les pas des coupables.


ICHNEUMONS. m. (Hist. nat.) animal quadrupede. Voyez MANGOUSTE.

ICHNEUMON, (Hist. nat.) insecte ; on a donné ce nom à des mouches voraces qui mangent les araignées ; elles ont deux fortes dents, quatre aîles, & d'assez longues antennes qu'elles agitent continuellement ; c'est pourquoi on a appellé ces insectes vibrantes. Le ventre ne tient à la poitrine que par un filet très-fin. Il y a grand nombre d'especes d'ichneumons, & de grandeur très-différente ; les uns n'ont point de queue apparente ; d'autres en ont une qui est très-longue dans plusieurs especes. Les ichneumons qui n'ont point de queue apparente, déposent leurs oeufs sur des chenilles ; les vers qui en éclosent vivent de la substance de ces chenilles, & forment des coques qui sont rangées régulierement les unes à côté des autres, & attachées à des branches d'arbres, d'arbrisseaux, ou à des tiges de chaume. Des vers un peu plus gros, & qui éclosent aussi sur des chenilles, forment leurs coques sur une feuille ; ces coques sont blanches & dispersées sur la feuille ; de gros ichneumons ne déposent qu'un oeuf ou deux sur chaque chenille : les vers qui en sortent suffisent pour la manger, & deviennent presqu'aussi grands qu'elle. Il y a de ces vers qui après avoir vécu dans le corps d'une chenille, la percent par le côté, & filent une coque qu'ils attachent à la chenille & au terrein sur lequel elle se trouve posée : ces coques sont rondes, blanches, & grosses comme un grain de froment ; elles semblent être les oeufs de la chenille. On trouve de ces coques qui sont sur des feuilles, & qui ont différentes couleurs, du noir, du blanc, du brun, disposées par bandes. On voit dans les forêts de chênes des coques d'ichneumons qui sont attachées à des fils longs de trois ou quatre pouces, & attachées à de petites branches. Ces coques ont une bande blanche sur le milieu. " Lorsqu'on les prend sur la main elles sautent à terre où elles continuent de faire plusieurs sauts à des distances de tems trop éloignées les unes des autres pour que l'on puisse croire que ce sont les bonds d'une balle qui feroit ressort ". En effet les bonds que fait la coque sont causés par le mouvement du ver qu'elle renferme. Les femelles des ichneumons ont à leur partie postérieure une espece d'aiguillon qui pénetre dans les chairs les plus compactes, & même dans des substances beaucoup plus dures ; cet aiguillon est renfermé dans le corps de l'ichneumon, ou sort tout entier en dehors ; il paroît être la queue de l'insecte ; il s'en sert pour enfoncer ses oeufs dans le corps des chenilles. Il y en a qui les déposent seulement sur la chenille, mais le ver sort de l'oeuf par le bout qui pose sur son corps, & y entre en naissant. D'autres ichneumons placent leurs oeufs auprès de ceux d'autres insectes, tels que l'abeille maçonne, avant que le nid soit fermé ; lorsque le ver de l'ichneumon est éclos, il mange les vers qui sortent des autres oeufs. Les ichneumons à longue queue, c'est-à-dire à longue tariere, percent avec cette tariere des matieres dures, telles que le bois, la terre, le mortier, pour introduire leurs oeufs dans des lieux convenables. La tariere des ichneumons est composée de trois filets aussi déliés que des poils. Quelquefois ils sont réunis ensemble, d'autrefois ils sont séparés les uns des autres : celui du milieu est la tige de la tariere, les autres sont les étuis. La tariere est ferme, solide & dentelée par le bout : " l'espece de cannelure qui paroît la partager en deux est le canal par lequel l'insecte fait descendre ses oeufs ". Il fait faire à sa tariere des demi-tours à droite & à gauche en la pressant contre la substance qu'il veut percer. Abregé de l'histoire des Insectes, tom. III. pag. 142. & suiv. Voyez INSECTE.


ICHNOGRAPHIEsub. f. (Mathem.) Ce mot signifie proprement le plan ou la trace que forme sur un terrein la base d'un corps qui y est appuyé.

Ce mot vient du grec , vestigium, trace, & de , scribo, je décris ; l'ichnographie étant véritablement une description de l'empreinte ou de la trace d'un ouvrage.

En perspective, c'est la vûe ou la représentation d'un objet quelconque, coupé à sa base ou à son rez-de-chaussée par un plan parallele à l'horison.

L'ICHNOGRAPHIE, en Architecture, est une section transverse d'un bâtiment, qui représente la circonférence de tout l'édifice, des différentes chambres & appartemens, avec l'épaisseur des murailles, les distributions des pieces, les dimensions des portes, des fenêtres, des cheminées, les saillies des colonnes & des piédroits, en un mot, avec tout ce qui peut être vû dans une pareille section.

En Fortification, le mot ichnographie signifie le plan ou la représentation de la longueur & de la largeur des différentes parties d'une forteresse, soit qu'on trace cette représentation sur le terrein ou sur le papier. Voyez FORTIFICATION. (E)

C'est aussi, dans la même science, le plan ou le dessein d'une forteresse coupée parallelement & un peu au-dessus du rez-de-chaussée. Voyez PLAN.

L'ICHNOGRAPHIE est la même chose que ce que nous appellons plan géométral, ou simplement plan. L'ichnographie est opposée à la stéréographie, qui est la représentation d'un objet sur un plan perpendiculaire à l'horison, & qu'on appelle autrement élévation géométrale. Voyez PLAN.


ICHOGLANS. m. (Hist. turq.) espece de page du grand-seigneur.

Les ichoglans sont de jeunes gens qu'on éleve dans le serrail, non-seulement pour servir auprès du prince, mais aussi pour remplir dans la suite les principales places de l'empire.

L'éducation qu'on leur donne à ce dessein, est inestimable aux yeux des Turcs. Il n'est pas inutile de la passer en revûe, afin que le lecteur puisse comparer l'esprit & les usages des différens peuples.

On commence par exiger de ces jeunes gens, qui doivent un jour occuper les premieres dignités, une profession de foi musulmane, & en conséquence on les fait circoncire : on les tient dans la soumission la plus servile ; ils sont châtiés séverement pour les moindres fautes par les eunuques qui veillent sur leur conduite ; ils gémissent pendant 14 ans sous ces sortes de précepteurs, & ne sortent jamais du serrail, que leur terme ne soit fini.

On partage les ichoglans en quatre chambres bâties au-delà de la salle du divan : la premiere qu'on appelle la chambre inférieure, est ordinairement de 400 ichoglans, entretenus de tout aux dépens du grand-seigneur, & qui reçoivent chacun quatre ou cinq aspres de paye par jour, c'est-à-dire, la valeur d'environ sept à huit sols de notre monnoie. On leur enseigne sur-tout à garder le silence, à tenir les yeux baissés, & les mains croisées sur l'estomac. Outre les maîtres à lire & à écrire, ils en ont qui prennent soin de les instruire de leur religion, & principalement de leur faire faire les prieres aux heures ordonnées.

Après six ans de cette pratique, ils passent à la seconde chambre avec la même paye, & les mêmes habits qui sont assez communs. Ils y continuent les mêmes exercices, mais ils s'attachent plus particulierement aux langues : ces langues sont la turque, l'arabe, & la persienne. A mesure qu'ils deviennent plus forts, on les fait exercer à bander un arc, à le tirer, à lancer la zagaie, à se servir de la pique, à monter à cheval, & à tout ce qui regarde le manege, comme à darder à cheval, à tirer des fleches en-avant, en arriere, & sur la croupe, à droite & à gauche. Le grand-seigneur s'amuse quelquefois à les voir combattre à cheval, & récompense ceux qui paroissent les plus adroits. Les ichoglans restent quatre ans dans cette classe, avant que d'entrer dans la troisieme.

On leur apprend dans celle-ci pendant quatre ans, de toutes autres choses, que nous n'imaginerions pas, c'est-à-dire, à coudre, à broder, à jouer des instrumens, à raser, à faire les ongles, à plier des vestes & des turbans, à servir dans le bain, à laver le linge du grand-seigneur, à dresser des chiens & des oiseaux ; le tout afin d'être plus propres à servir auprès de sa hautesse.

Pendant ces 14 ans de noviciat, ils ne parlent entr'eux qu'à certaines heures ; & s'ils se visitent quelquefois, c'est toûjours sous les yeux des eunuques, qui les suivent par-tout. Pendant la nuit, non-seulement leurs chambres sont éclairées ; mais les yeux de ces argus, qui ne cessent de faire la ronde, découvrent tout ce qui se passe. De six lits en six lits, il y a un eunuque qui prête l'oreille au moindre bruit.

On tire de la troisieme chambre les pages du trésor, & ceux qui doivent servir dans le laboratoire, où l'on prépare l'opium, le sorbet, le caffé, les cordiaux, & les breuvages délicieux pour le serrail. Ceux qui ne paroissent pas assez propres à être avancés plus près de la personne du sultan, sont renvoyés avec une petite récompense. On les fait entrer ordinairement dans la cavalerie, qui est aussi la retraite de ceux qui n'ont pas le don de persévérance ; car la grande contrainte & les coups de bâton leur font bien souvent passer la vocation. Ainsi la troisieme chambre est réduite à environ 200 ichoglans, au lieu que la premiere étoit de 400.

La quatrieme chambre n'est que de 40 personnes, bien éprouvées dans les trois premieres classes ; leur paye est double, & va jusqu'à neuf ou dix aspres par jour. On les habille de satin, de brocard, ou de toile d'or, & ce sont proprement les gentils-hommes de la chambre. Ils peuvent fréquenter tous les officiers du palais ; mais le sultan est leur idole ; car ils sont dans l'âge propre à soupirer après les honneurs. Il y en a quelques-uns qui ne quittent le prince, que lorsqu'il entre dans l'appartement des dames, comme ceux qui portent son sabre, son manteau, le pot à eau pour boire, & pour faire les ablutions, celui qui porte le sorbet, & celui qui tient l'étrier quand sa hautesse monte à cheval, ou qu'elle en descend.

C'est entre ces quarante ichoglans de la quatrieme chambre, que sont distribuées les premieres dignités de l'empire, qui viennent à vaquer. Les Turcs s'imaginent que Dieu donne tous les talens & toutes les qualités nécessaires à ceux que le sultan honore des grands emplois. Nous croirions nous autres, que des gens qui ont été nourris dans l'esclavage, qui ont été traités à coups de bâton par des eunuques pendant si long-tems, qui ont mis leur étude à faire les ongles, à raser, à parfumer, à servir dans le bain, à laver du linge, à plier des vestes, des turbans, ou à préparer du sorbet, du caffé, & autres boissons, seroient propres à de tous autres emplois qu'à ceux du gouvernement des provinces. On pense différemment à la cour du grand-seigneur ; c'est ces gens-là que l'on en gratifie par choix & par préférence ; mais comme ils n'ont en réalité ni capacité, ni lumieres, ni expérience pour remplir leurs charges, ils s'en reposent sur leurs lieutenans, qui sont d'ordinaire des fripons ou des espions que le grand-visir leur donne, pour lui rendre compte de leur conduite, & les tenir sous sa férule. (D.J.)


ICHOREUXEUSE, adj. (terme de Chirurgie) on appelle ichoreuse, l'humeur séreuse & âcre qui découle de certains ulceres. Les parties exangues, telles que les ligamens, les membranes, les aponévroses, les tendons, ne fournissent jamais une suppuration vraiment purulente ; les ulceres qui affectent ces parties donnent un pus ichoreux, une espece de sanie : ce mot vient du grec , ichor, sanies, sanie, ou sérosité âcre.

On tarit la source de l'humeur ichoreuse dans les plaies des parties membraneuses & aponévrotiques, par l'usage de l'esprit de térébenthine. Ce médicament desseche l'extrémité des vaisseaux qui fournit l'ichor. Lorsque dans la piquûre d'une aponévrose ou d'un ligament, les matieres ichoreuses & âcres seront retenues derriere, elles y produisent des accidens qu'on ne fait cesser ordinairement qu'en faisant une incision pour donner une issue à ces matieres ; l'incision est d'ailleurs indiquée pour arrêter les suites funestes de l'étranglement que l'aponévrose enflammée fait sur les parties qu'elle embrasse. Voyez GANGRENE.

Si le pus est ichoreux par le défaut de ressort des chairs relâchées & spongieuses d'un ulcere, les remedes détersifs corrigent ce vice ; l'indication particuliere peut déterminer à les rendre cathérétiques ou anti-putrides. Voyez DETERSIF. Les chairs mollasses d'un cautere forment quelquefois un bourrelet pâle dont il ne sort qu'un pus ichoreux. On applique ordinairement de l'alun calciné pour détruire les chairs excédentes. Je me suis servi avec succès dans ce cas de la poudre de scammonée & de rhubarbe ; j'en ai même chargé une boule de cire pour mettre à la place du pois. La vertu de ces médicamens ranime les chairs, & produit un dégorgement purulent : ces bons effets montrent la justesse de l'idée des anciens sur la qualité des remedes détersifs qu'ils appelloient les purgatifs des ulceres. (Y)


ICHOROIDES. f. (Medecine) moiteur, sueur, dite malsaine, & semblable à la sanie que rendent les ulceres.


ICHTHYOLOGIES. f. (Hist. nat.) la science qui traite des poissons, ces animaux aquatiques qui ont des nageoires, & qui n'ont point de piés.

L'affaire de l'Ichthyologie est premierement de distinguer toutes les parties des poissons, par leurs noms propres ; secondement, d'appliquer à chaque poisson ses noms génériques & spécifiques, c'est-à-dire ceux qui constituent son genre & ses especes ; troisiemement d'exposer quelques-unes des qualités particulieres de l'animal.

Le naturaliste qui s'applique à cette étude, doit d'abord connoître les parties externes & internes du poisson, pour rapporter à sa propre famille tout poisson étranger ou inconnu qui s'offre à ses yeux ; desorte qu'au moyen de ses marques caractéristiques, il puisse découvrir son espece & l'assigner au genre de la famille à laquelle il appartient. Ensuite, par des observations subséquentes, il tâchera de savoir le lieu de l'habitation du poisson dont il s'agit, si c'est l'eau douce, salée, courante ou dormante ; item sa nourriture végétable ou animale, & de quelle sorte ; son tems, sa maniere de multiplier & de faire des petits. Ces dernieres particularités veulent être jointes très-briévement à la description des parties du poisson ; car les discours étendus à cet égard sont plutôt une charge qu'une instruction judicieuse. La vraie méthode des genres & des especes, est la principale fin de l'Histoire naturelle.

On divise communément les poissons en trois classes, les cétacés, les cartilagineux & les épineux. Les cétacés sont ceux dont la queue est parallele à l'horison, quand le poisson est dans sa posture naturelle : les cartilagineux sont ceux dont les nageoires qui servent à nager sont soûtenues par des cartilages à la place des rayons osseux qui soûtiennent les nageoires dans les autres poissons, qui ont par tout le corps des cartilages au lieu d'os. Tels sont les caracteres des deux premieres classes de poissons. Tous les poissons qui ont leurs nageoires soûtenues par des rayons osseux, qui ont leur queue placée perpendiculairement & non horisontalement, & qui ont des os & non des cartilages, se nomment poissons épineux.

Les poissons cétacés sont rangés par les derniers écrivains de l'Histoire naturelle, sous le nom latin de plagiuri. Ils s'accordent en plusieurs choses avec les animaux terrestres ; & on les distingue les uns des autres par les caracteres qui servent à la distinction des quadrupedes, particulierement par les dents. La structure générale de ces poissons, c'est la même dans tous ; leur seule différence consiste dans les dents & le nombre des nageoires. C'est donc des dents & des nageoires seules qu'on tire proprement les caracteres génériques des plagiuri, ou poissons cétacés.

Les poissons cartilagineux different seulement les uns des autres, par la forme de leur corps, & le nombre de trous de leur ouie, le nombre de leurs nageoires, la figure & la position de leurs dents, qui dans les cétacés constituent les caracteres génériques, varient si fort dans les cartilagineux, que cela s'étend jusques sur les diverses especes du même genre : ainsi les distinctions des genres des poissons cartilagineux, ne peuvent être tirés que de leurs figures & du nombre des trous de leurs ouies.

Les caracteres des deux classes des poissons qu'on nomme cétacés & cartilagineux, sont aisés à trouver ; mais les caracteres des épineux demandent plus de soins, & ne s'offrent pas promtement aux yeux. L'étendue de cette classe & la grande ressemblance qui se trouve entre plusieurs genres différens, ne facilitent pas l'entreprise qui consiste à les distinguer les uns des autres. Quoique ce soit une regle générale, que les caracteres génériques des poissons doivent être pris de leurs parties extérieures ; cependant dans les cas où ces parties extérieures different elles-mêmes en nombre, en figure & en proportion, il est nécessaire que les caracteres primitifs du genre soient tirés des parties qui sont les moins variables de toutes, les plus particulieres au genre de poisson dont il s'agit, en même tems qu'elles sont les moins communes aux autres genres. Il faut beaucoup d'attention & de capacité à l'ichthyologiste pour discerner solidement ces caracteres ; & après un mûr examen, il trouve que les parties qui lui sembloient d'abord les plus propres à les établir, sont quelquefois celles qui y conviennent le moins en réalité.

La forme des nageoires & de la queue du poisson peut paroître un des caracteres essentiels pour fonder la distinction générique ; néanmoins une recherche approfondie, démontre que ces deux choses ne sont ici d'aucun service. Presque toutes les especes de cyprini, genre fondé sur des caracteres naturels & invariables, ont les nageoires pointues à l'extrémité, & offrent des queues fourchues. Si on eût fait de ces deux choses les caracteres de ce genre de poisson, on en eût exclus la tenche & autres qui lui appartiennent, quoiqu'elles aient des nageoires obtuses & des queues unies. D'ailleurs il y a plusieurs genres différens de poissons, dans lesquels les nageoires & la queue sont entierement semblables, comme la perche, le maquereau, le congre. On prétendra peut-être que les nageoires & la queue peuvent au-moins passer pour des marques collatérales de distinction ; mais cette idée même n'est pas suffisante, parce que ces marques sont communes à plusieurs genres de poissons.

La forme du dos, du ventre, & de toute la figure du corps considéré en longueur & largeur, semblent encore des caracteres essentiels ; mais ils ne le sont pas davantage pour établir les distinctions des genres. Le dos, dans quelques cyprini, est un peu pointu, comme dans la carpe ordinaire, tandis qu'il est convexe dans presque tous les autres. Ce seul fait écartoit l'idée de la forme du dos, comme propre à constituer un caractere générique.

Le ventre de la plûpart des poissons du même genre est applati dans la partie antérieure, & s'éleve en maniere de sillon entre les nageoires du ventre & l'anus : cependant dans la tenche tout le corps est applati de la tête à la queue. Ajoûtez que la figure générale du corps en grandeur & en largeur, varie singulierement dans les cyprini de différentes especes, dont quelques-uns ont le corps plat, & d'autres rond.

La tête, la bouche, les yeux, les narines & les autres parties de la tête, sont plus fixes, & par conséquent d'une grande importance pour constituer les distinctions des genres entre les poissons. Cependant comme les mêmes figures sont communes à plusieurs especes également, elles servent plutôt à distinguer les ordres, les classes & les familles des poissons, que leurs genres. Ainsi les poissons nommés clupeae, les cotti, les coregoni, les scorpaenae des auteurs, se ressemblent par la figure de la tête, & néanmoins sont de genres très-différens.

Comme la position & la forme des écailles sont assez semblables dans le même genre de poisson, on peut l'admettre en qualité de marque collatérale distinctive ; mais cette forme même d'écailles étant commune à plusieurs genres de poissons, il est impossible d'en tirer avantage pour les caracteres des genres. Disons la même chose d'autres parties extérieures du corps, qui ne donnent pas des indices suffisans, pour former les caracteres distinctifs des genres.

Quant à la position des nageoires, tout le monde convient que les saumons, les clupeae, les coregoni, les cohitides, ou loches, sont autant de divers genres de poissons ; cependant dans tous, leurs nageoires ont la même situation. Celles de la poitrine sont dans tous, les plus proches de la tête, puis la nageoire du dos, ensuite celles du ventre, & derriere toutes, est la nageoire de l'anus. La même observation se peut étendre à d'autres genres de poissons.

La situation des dents est semblable dans plusieurs especes d'un même genre, comme dans plusieurs genres différens. Tous les cyprini ont leurs dents placées avec le même ordre & de la même maniere, savoir dans le gosier à l'orifice de l'estomac. Les saumons & les brochets ont leurs dents en quatre endroits, aux mâchoires, au palais, à la langue, & au gosier. Les perches & les cotti les ont en trois endroits, à la mâchoire, au palais, & au gosier, & n'en ont point sur la langue ; mais parmi les coregoni, il y a une espece, savoir l'albula nobilis de Schoenfeld, qui a les dents à la mâchoire supérieure, au palais, & au gosier. Une autre espece que les Suédois nomment silk-joia, n'en a que sur la langue ; & une autre espece du même genre, le thymallus des auteurs, que les Anglois nomment gréyling, les a dans les deux mâchoires, au palais, & sur la langue. Il est donc certain, qu'aucun caractere générique ne sauroit s'établir par ce moyen.

Le nombre des dents ne peut pas mieux servir à former le caractere des genres, à cause de leur variété dans les individus d'une même espece, comme dans les brochets, & les saumons.

Le nombre des nageoires n'est pas plus favorable à ce dessein, parce qu'il est égal dans plusieurs genres, & quelquefois variable dans diverses especes des mêmes genres. La longue merluche, asellus longus, est évidemment du même genre que les autres aselli ; néanmoins elle n'a que deux nageoires sur le dos, tandis que les autres en ont trois ; elle n'en a qu'une sur le ventre, au lieu que les autres en ont deux. Le maquereau a dix-sept nageoires, & le thon vingt-cinq ou environ ; cependant on n'en fera pas deux genres de poissons, puisqu'ils conviennent ensemble à tous les autres égards.

Le nombre des os qui soutiennent les nageoires des poissons, particulierement celles du dos & de l'anus, varie beaucoup, même dans les diverses especes d'un même genre ; il est vrai toutefois, que l'on doit regarder cette marque comme utile, pour distinguer les especes, mais elle ne l'est pas pour former les genres.

Pour ce qui concerne les autres parties extérieures, il n'y en a aucune qui se trouvant dans tous les poissons épineux, ne differe dans tous les différens genres, excepté les deux petits os qu'on voit de chaque côté de la membrane de la tête qui couvre les ouies. Ces os se rencontrent dans presque tous les poissons épineux, quoique dans quelques genres, l'épaisseur de la membrane les rende moins visibles que dans d'autres. Le nombre de ces os est d'ailleurs beaucoup plus régulier dans les mêmes genres de poissons, que celui des nageoires.

Les quatre genres de maquereaux ou scombri, de perches, de gadi, de syngnathi, c'est-à-dire, de ceux dont les mâchoires sont fermées par les côtés, & dont la bouche ne s'ouvre qu'à l'extrémité du museau, ont le nombre des nageoires très-varié dans les diverses especes de chaque genre ; mais dans tous ces genres, le nombre des os de la membrane qui tapisse les ouies, est régulierement le même dans chaque espece ; tous les gadi ont régulierement sept os de chaque côté ; tous les cyprini en ont trois, les cotti six, les clariae sept, les clupeae huit, les ésoces quatorze, & ainsi des autres.

Il n'y a que deux genres connus de poissons, qui ne s'accordent pas dans toutes leurs especes pour le nombre de ces os ; ce sont les saumons & les coregoni. Parmi les saumons, quelques especes en ont sept, d'autres huit, neuf, dix, onze, & douze. C'est une chose cependant bien digne d'observation, que la nature a mis cette variété du nombre de ces os dans les différentes especes, seulement pour les genres de poissons, chez lesquels toutes les especes se ressemblent si fort par leurs parties extérieures, qu'il ne falloit pas moins que cette ressemblance, pour faire juger qu'ils appartenoient les uns aux autres ; car outre que tous les saumons & les coregoni ont une appendice membraneuse, semblable à une nageoire sur le derriere du dos, les diverses especes de chaque genre se ressemblent tellement, qu'il est difficile de les distinguer en plusieurs occasions.

Par rapport aux nageoires, plusieurs genres de poissons, comme on l'a déja dit, en ont tous le même nombre en général, comme les saumons, les cyprini, les clupeae, les coregoni, les osmeri, les cobitides, les spari, ou ceux qui tremblent de tout leur corps quand ils sont hors de l'eau ; les labri, ou ceux dont les levres sont épaisses & proéminentes ; les gastérostei, ou ceux dont le ventre est soutenu par des bandes osseuses, les ésoces, les pleuronecti, ou ceux qui nagent d'un seul côté ; tous, disje, ont sept nageoires radiées de côtes osseuses. Ce même nombre de sept nageoires est commun à divers autres genres.

Mais tandis que toutes les especes d'un même genre ont constamment même nombre d'os dans la membrane qui couvre les ouies, il est très-rare que les divers genres ayent ce même nombre. Les perches, les maquereaux, les gadi en ont tous sept de chaque côté. Les cyprini & les gasterostei en ont chacun trois, les cotti, les pleuronecti en ont six. Cependant tous ces genres different tellement dans leurs autres caracteres & dans leur face externe, qu'on n'est point en crainte de les confondre ensemble. Concluons que le nombre des os qui soutiennent la membrane des ouies, fournit le premier & le plus essentiel de tous les caracteres pour la distinction des genres des ostéoptérygions ou poissons osseux ; cependant, quoique ce caractere soit essentiel à la détermination des genres, il n'est pas toûjours suffisant.

En effet, pour rapporter solidement les poissons à leurs propres genres, il est non-seulement nécessaire, que tous ceux d'un même genre ayent le même nombre d'os dans les ouies, il faut encore qu'ils ayent dans les genres la même forme externe. Il faut 3°. qu'ils ayent une même position, & le même nombre de nageoires. 4°. La position des dents doit semblablement être la même ; car généralement toutes les especes de poissons ont dans chaque genre le même ordre de dents. 5°. Enfin, on y joindra les écailles qui doivent être semblables en figure & en position. Voilà les considérations nécessaires pour fonder les genres naturels & véritables de poissons. Si toutes ces choses se rencontrent dans toutes les especes ; s'il se trouve de plus une analogie dans la situation, la forme des autres parties externes & internes, particulierement de l'estomac, des appendices, des intestins, de la vessie urinaire, il ne restera plus de doute pour établir les genres en Ichthyologie, sur des fondemens inébranlables.

Cependant, il ne faut pas s'attendre que chacun de ces caracteres se trouve régulierement parfait dans chaque espece du même genre ; quelques-uns le seront plus, d'autres moins ; mais les trois choses essentielles au genre pour la similitude, sont le même nombre d'os dans la membrane branchiostege, la même figure & forme extérieure générale, & la même position de nageoires ; les autres circonstances ne sont qu'additionnelles & confirmatives.

Il résulte de ce détail, qui est un précis du système & des découvertes d'Artedi, quelles sont les vraies marques qui peuvent fonder les caracteres génériques des poissons, & quelles sont les marques équivoques. Nous ne prétendons point qu'Artédiait indubitablement trouvé la vérité à tous égards, nous disons seulement que ses recherches sur cette matiere, sont plus approfondies & plus solides que celles de tous les naturalistes qui l'ont précédé jusqu'à ce jour en cette partie. (D.J.)


ICHTHYOLOGISTES. m. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on appelle, en termes d'art, un naturaliste qui a donné quelque ouvrage sur les poissons.

Quoique les auteurs, qui ont traité ce sujet, soient en grand nombre, on peut néanmoins les ranger commodément sous les classes particulieres que nous allons parcourir.

Les Ichthyologistes systématiques sont Aristote, Pline, Albert-le-Grand, Gaza, dans son interprétation d'Aristote, Marschall, Wotton, Belon, Rondelet, Salvian, Gesner, Aldrovand, Jonston, Charleton, Ray, Willughby, Artédi.

Les Ichthyologistes, qui ont écrit seulement sur des poissons de pays ou de lieux particuliers, sont Ovide, sur les poissons du Pont-Euxin ; Oppian & Donati, sur ceux de la mer Adriatique ; Ausone & Figulus, sur ceux de la Moselle ; Mangold, sur ceux du lac Podamique ; Paul Jove, sur ceux du lac Larins ; Pierre Gilles, sur ceux de la côte de Marseille ; Salviani, sur ceux de la mer de Toscane ; Schwenckfelt, sur ceux de Silésie ; Schoenveld, sur ceux d'Hambourg ; Pison & Marggrave, sur ceux du Brésil ; Petiver, Ruysch & Valentin, sur ceux d'Amboine. Entre ces auteurs, Ovide, Ausone, Oppian, ont écrit en vers, & les autres en prose.

Les Ichthyologistes, qui ont tiré leurs observations des écrivains qui les ont précédé, sont Pline, Athénée, l'auteur des livres de naturâ rerum, Albert-le-Grand, Marschall, Gesner en grande partie, Aldrovand en grande partie, Jonston, Charleton & autres.

Par rapport à la méthode, il y a des Ichthyologistes qui n'en ont point observé ; d'autres ont mieux aimé en adopter une bonne ou mauvaise ; d'autres enfin se sont contentés de l'ordre alphabétique.

Les Ichthyologistes, qui n'ont point suivi de méthode, sont Ovide, Aelien, Athénée, Ausone, Paul Jove, Figulus, Salviani, dans son Histoire des poissons romains, Parthénius, Ruysch, &c.

Les Ichthyologistes méthodiques sont Aristote, inventeur de la division générale des poissons en cétacés, cartilagineux & épineux ; Wotton & Rondelet sont encore de ce nombre ; mais Willughby & Ray ont ajouté plusieurs choses aux idées d'Aristote, & ont fait un pas en avant, qui a donné naissance à la belle méthode trouvée par Artédi.

Les Ichthyologistes qui, négligeant toute méthode, ont employé l'ordre alphabétique, pour ne se point gêner, sont Marschall, Salviani, dans sa Tabula piscatoria, Gesner, Schoenveld, Jonston, &c.

Il est d'autres écrivains qui n'ont considéré que l'Ichthyologie sacrée, ou l'anatomie particuliere de quelques poissons, comme par exemple, Blasius, Severinus, Tyson ; outre d'autres naturalistes dans les mémoires de l'académie des Sciences & de la société royale ; il faut mettre au rang de ceux qui se sont attachés à éclaircir l'Ecriture-sainte dans cette partie, Bochart, Rudbeck, Franzius, & Dom Calmet.

En général, les plus recommandables Ichthyologistes sont sans-doute Aristote, Belon, Rondelet, Salviani, Willughby, Ray, Klein & Artédi. Il faut aussi leur joindre, pour cette étude, tous ceux qui, dans leurs descriptions de poissons particuliers, ont jetté des lumieres sur cette partie de l'histoire naturelle : tels sont Paul Jove, Pierre Gilles, Schoenveld, Sibbald, Marsigli, Grew, Catesby, &c. Cependant Willughby est avec raison regardé par Artédi, comme étant à tous égards le premier des Ichthyologistes ; mais Artédi lui-même ne mérite guere de moindres éloges.

Indiquons maintenant les ouvrages de tous les auteurs que nous venons de nommer, & leurs meilleures éditions, en faveur des curieux qui voudront se faire une belle bibliotheque ichthyologique.

Aelianus, de animalibus, curâ Gronovii. Amst. 1731. in-4°. 2 vol. edit. opt.

Albertus Magnus, de animalibus, libri xxvi. Venet. 1519 fol. Lugd. 1651 fol. edit. opt.

Aldrovandi (Ullyssis) de piscibus. Bonon. 1613, in-fol. cum fig. edit. opt.

Athenaeus, graeco-latin. è curâ Casauboni. Lugd. 1657. in fol. edit. opt.

Aristoteles, de animalibus, graec. & lat. curâ Scaligeri. Tolosae 1619, fol. ed. opt. item, ex interpretatione Theod. Gaza, Lugd. 1590, fol. edit. opt.

Artedi (Petri) Ichthyologia, ex edit. Caroli Linnaei. Lugd. Batav. 1738, in-8°.

Ausonii (Decii Magni) Opera, curâ Tollii. Ultraj. 1715, in-4°. Son poëme de la Moselle, dont il décrit les poissons, est le meilleur de ses ouvrages.

Belon, (Pierre) Histoire naturelle des étranges poissons marins. Paris 1551, in-4°. Item, la nature & diversité des poissons, chez Charles Etienne 1555, in-8°. obl. Item, Observations de choses mémorables, &c. Paris 1554, in-4°.

Blasii (Gerardi). Anatom. aquatilium, Amstel. 1681. 4°. fig.

Bochart (Samuel). Hierozoicon, Lond. 1663, fol. fig. edit. opt.

Boussueti (Francisci) de universâ aquatilium naturâ, carmen. Lugd. 1558, in-4°.

Catesby (Marc). History of Florida, Carolina, &c. Lond. 1731. fol. fig. edit. prima.

Calmet (Dom), dans son dictionnaire & dans ses commentaires sur la bible.

Charleton (Gualter.) Onomasticon zoicon. Oxon. 1677, fol. edit. secunda opt.

Columna (Fabius). aquatilium nonnullorum Historia. Romae 1616, in-4°. edit. unica.

Donati (Antonii) Trattato de'pesci marini, che nascono nel lito di Venezia, Venet. 1631 in-4°.

Dubravius (Janus,) de piscinis & piscibus, Tiguri 1659. 8°. edit. prima. Norimb. 1623 8°. ed. auctior. Helmst. 1671, in-4°. edit. opt.

Figuli (Caroli) , sive de piscibus Dialogus, Colon. 1540, in-4°.

Franzii (Wolfgangi) Historia animalium, &c. Francof. 1712, 4°. 4 vol.

Gesnerus (Conrad.) de piscibus & aquatilibus, lib. iv. Tiguri 1558. fol. fig.

Gillius (Petrus) de gallicis & latinis nominibus piscium. Lugd. 1535, 4°. edit. prima.

Grew (Nehem.) in musoeo societ. regiae. Lond. 1681. fol. fig.

Jonstonus (Joannes,) de piscibus & cetis, lib. v. Francof. 1649. fol. fig. edit. prima.

Jovius (Paulus,) de piscibus romanis. Romae 1524. fol. edit. prima opt. Basil. 1531, in-8°. edit. secunda.

Klein (Jacob. Theodor.) de piscibus Tractatus. Gedani 1739. in-4°.

Linocier (Geoffroy,) Histoire des plantes, animaux, poissons, serpens. Paris 1584. in-8°.

Mangoldus (Joan. Gaspar.) in operibus editis. Basileae 1710, in-4°.

Marschalcus (Nicolaüs,) de aquatilium & piscium historiâ. Rostochii apud autorem 1520, in-fol.

Marsigli (Aloisius Ferdin. Comes de), dans son histoire physique de la mer, Amst. 1725, fol. fig. & dans son quatrieme tome de son Danube.

Massarius (Franc.) Annotationes & castigationes in nonum Plinii librum, de naturâ piscium. Basileae 1537, in-4°. Lutetiae apud Vascosan 1542, in-4°. edit. opt.

Oppiani A', sive de naturâ & venatione piscium, lib. v. apud Juntas, 1515 in-8°. Lutetiae 1555, in-4°. Lugd. Batav. 1597 in-8°. edit. opt.

Parthenius (Nicolaus) de halieuticâ. Neapoli 1693, in-12.

Petiver (Jacob.) aquatilium amboinae icones & nomina, XX tabulis. Lond. 1713, in-fol. Item, in sui gazophylacii naturae & artis, decadibus X. Lond. 1702, in-fol.

Piso & Marggravius, in historiâ Brasiliae. Lugd. Batav. 1648 & 1651, in-fol.

Plinius (Cajus) in historiâ naturali, curâ Harduini. Lutetiae 1723, in-fol.

Raii (Joannis) synopsis methodica piscium. Lond. 1713, in-8°.

Rondelet (Guillaume) de piscibus marinis. Lugd. 1554, fol. 2 tom. fig. Le même ouvrage en françois plus abregé parut à Lyon en 1558, fol. fig.

Rudbeck (Olai) Ichthyologia Biblica. Upsal. 1705, in-4°.

Rumphii (Georg. Everhard.) thesaurus imaginum piscium testaceorum, &c. Lugd. Batav. 1711. fol. & dans son livre intitulé, Amboinische Rariteit-Kamer, Amst. 1705, fol.

Ruysch (Frederic) Il n'y a de ce célébre Anatomiste, que quelques courtes descriptions de poissons étrangers dans ses ouvrages. Le Trésor latin des animaux, publié sous son nom, à Amsterdam en 1718, in-fol. fig. n'est autre chose qu'une nouvelle édition de Jonston.

Salviani (Hippoliti) aquatilium historia. Romae 1555, 1558, 2 tom. fol. fig. nitid. édition unique, rare & précieuse.

Schoenveld (Stephani) Ichthyologia. Hamb. 1624, in-4°.

Schwencfeldi (Gaspari) Theoriotrophaeum Silesiae. Lignit. 1603, in-4°.

Seba (Alberti) Thesaurus rerum naturalium. Amstel. 1734. 4 vol. fol. Max. ubi nonnulla de piscibus exoticis.

Severinus (Marc. Aurel.) De respiratione piscium, Neapoli 1659, in-fol. Amstel. 1661, fol. edit. opt.

Sibbaldi (Roberti) dans sa scotiâ illustratâ. Edimb. 1684, fol. fig.

Sideta (Marcellus,) de remediis ex piscibus ; Graece cum metricâ versione. Lutet. apud Morellum, 1591, in-8°. rare.

Valentini (Michael Bernardus) Amphitheatrum zootomicum. Francof. 1720, fol. fig.

Vincentii (Bellovacensis) Speculum naturale. Duaci 1604, fol. 4 vol. Ibi quaedam de piscibus.

Willughby (Francisci) Historia piscium. Oxonii 1686, fol. fig. C'est une édition donnée par Ray, qui a revû, corrigé & augmenté ce bel ouvrage.

Wotton (Edward.) de differentiis animalium, lib. X. Lutetiae apud Vascosan, 1552, in-fol. (D.J.)


ICHTHYOPHAGES(Géog. anc.) c'est-à-dire, mangeurs de poissons ; les anciens ont ainsi nommé plusieurs nations, dont ils ignoroient les vrais noms, & savoient seulement qu'elles habitoient au bord de la mer, & qu'elles vivoient principalement de la pêche. Ptolomée trouve des Ichthyophages dans la Chine ; Agatharchide en place vers la Germanie & la Gédrosie ; Pausanias en décrit sur la mer Rouge ; & Pline en peuple plusieurs îles à l'orient de l'Arabie heureuse. C'en est assez pour faire voir que cette dénomination générale, donnée par les anciens à tant de peuples différens, prouve qu'ils ne les connoissoient point. (D.J.)


ICHTHYPÉRIES. m. (Hist. des Fossiles) le D. Hill a donné le nom d'ichthypéries, ichthypersa, aux palais osseux des poissons, qu'on trouve fréquemment fossiles, à une grande profondeur en terre, & ensevelis d'ordinaire dans des lits pierreux. M. Lhuyd les a nommés siliquastra, à cause de leur ressemblance dans cet état à des siliques, ou gousses de lupins, & autres plantes légumineuses.

C'est cette ressemblance qui a fait croire à plusieurs naturalistes, que c'étoit des fossiles qui provenoient des végétaux dans leur premiere origine ; mais ce sont uniquement des couvertures osseuses des différentes parties de la bouche de poissons cartilagineux, & peut-être d'autres especes, dont la principale nourriture ayant été de coquillages, un palais osseux leur convenoit pour les pouvoir briser ; en effet, les ichthypéries sont pour la plûpart entiérement déchirés ou arrondis.

On les trouve quelquefois dans leur état fossile, en tas joints ensemble, tels qu'ils étoient dans la bouche du poisson ; cependant ils paroissent communément en pieces & en fragmens.

Ils sont tous de la substance des crapaudines, & de cent figures différentes, conformément aux diverses especes de poissons, ou aux différentes parties de la bouche du poisson.

Le plus grand nombre ressemble de figure à une demi-gousse de lupin, à un poids, ou à une feve de marais ; mais courts, larges, les autres longs & éfilés, bosselés, cintrés, applatis, crochus à une extrémité, tortueux, rhomboïdes, triangulaires, en un mot de toutes sortes de formes & de grandeurs. Il y en a depuis un dixieme de pouce jusqu'à deux pouces de long & un pouce de large ; les uns lisses & polis, d'autres striés, cannelés, & d'autres tout couverts de tubercules ; leur couleur n'est pas moins variée, on en voit de bruns, de fauves, de noirâtres, de noirs, de verds, de bleus, de jaunâtres, de blanchâtres, enfin de tachetés de diverses couleurs.

On les trouve enfouis dans différens lits pierreux, en Allemagne, en France, en Italie, dans les îles de l'Archipel, en Syrie, & plus fréquemment en Angleterre que par-tout ailleurs ; car il est peu de carrieres de pierres de ce pays-là qui n'en fournissent plus ou moins. Voyez l'Histoire des fossiles, écrite par M. Hill, en anglois. (D.J.)


ICHTYODONTESS. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs aux dents de poissons que l'on trouve répandues dans l'intérieur de la terre, telles que les glossopetres ou dents de lamies, les crapaudines, &c. (-)


ICHTYOLITESS. f. (Hist. nat. Lythologie) nom générique donné par quelques naturalistes à toutes les pierres dans lesquelles on trouve des empreintes de poissons, ou à toutes les parties de poissons pétrifiées, telles que des têtes, des arêtes, des vertebres, des dents, &c. En un mot, le nom d'ichtyolite peut s'appliquer à toutes les pierres qui renferment des poissons ou quelques-unes de leurs parties. Le mont Bolca, près de Vérone, fournit un grand nombre de pierres chargées des empreintes de poissons ; on en trouve aussi en Allemagne dans le voisinage d'Abensleben, d'Eisleben, de Mansfeld, d'Osterode, ainsi que dans le duché de Deux-Ponts. Voyez PIERRES, EMPREINTES, PETRIFICATIONS, &c. (-)


ICHTYOMANTIES. f. (Art divinat.) espece de divination qui se tiroit en considérant les entrailles des poissons. On faisoit sur ces animaux à peu près les mêmes observations, que l'on avoit coutume de faire sur les autres victimes. Tirésias & Polydamas y recoururent dans le tems de la guerre de Troye. Pline, livre xxxij, chap. ij, rapporte qu'à Mire en Lycie, on jouoit de la flute à trois reprises, pour faire approcher les poissons de la fontaine d'Apollon, appellée curius ; que ces poissons ne manquoient pas de venir ; que tantôt ils dévoroient la viande qu'on leur jettoit, ce que les consultans prenoient en bonne part ; & que tantôt ils la méprisoient & la repoussoient avec leur queue, ce qu'on regardoit comme un présage funeste. Ichthyomantie est un terme formé de , poisson, & de , divination. (D.J.)


ICHTYOPETRESS. f. (Hist. nat. foss.) pierres qui portent empreinte de poissons. Voyez l'article PIERRE.


ICHTYS(Hist. ecclésiastiq.) fameuse acrostiche de la sibylle Erytrée, dont parlent Eusebe & saint Augustin, dans laquelle les premieres lettres de chaque vers formoient les mots de , c'est-à-dire, Jesus Christ fils de Dieu sauveur, dont les lettres initiales en grec sont , Supplément de Chambers.


ICIadv. de lieu, (Gramm.) il désigne l'endroit où l'on est ; mais il comprend une certaine étendue qui varie. Celui qui entre dans une maison & qui demande du maître s'il est ici, l'adverbe ici comprend l'étendue de la maison. En changeant la question, on concevra par la réponse que l'adverbe ici peut comprendre l'étendue d'une ville ; mais je ne connois aucun cas où il puisse désigner une province, une très-grande contrée ; je ne crois pas qu'un homme qui seroit aux îles, dise d'un autre qu'il est ici. Il répéteroit le mot îles, ou il changeroit sa façon de parler.


ICICARIBAS. m. (Botan. exot.) c'est l'arbre qui fournit la résine élémi d'Amérique ; car l'arbre d'où découle le vrai élémi d'Ethiopie, est l'olivier d'Egypte assez semblable à ceux de la Pouille.

L'icicariba est caractérisé par Ray, arbor Brasiliensis, foliis pinnatis, flosculis verticillatis, fructu olive figurâ & magnitudine, hist. 2. 1546. C'est le prunus javanica, atriplicis foliis commelini, kakousa javanis, Hort. Beaum. 35. Prunifera fago similis, ex insula Barbadensi, Pluken. Almag. 306. Arbor ex surinamâ, myrti laureae foliis, Breyn Prodrom. 2. 19. Kakuria, myrabolanus zeylanica, Herman. Mus. Zeylan. 48, &c.

C'est un grand arbre qui s'éleve & vient comme le hêtre, son tronc cependant n'est pas fort gros ; son écorce est lisse & cendrée ; ses feuilles sont composées de deux & quelquefois de trois paires de petites feuilles, terminées à l'extrémité par une seule, semblable à celle du poirier, longue de trois doigts, finissant en pointe, épaisse comme du parchemin, d'un verd gai & luisant. Elles ont une côte qui les partage dans toute leur longueur, & des nervures qui s'étendent obliquement.

Vers la base des feuilles composées, sortent plusieurs petites fleurs ramassées en grappes ou par anneaux ; elles sont fort petites, à quatre pétales verds, en forme d'étoile, bordées d'une ligne blanche ; le milieu de la fleur est occupé par quelques petites étamines jaunâtres.

Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des fruits de la grosseur & de la figure d'une olive, & de la couleur de la grenade. Ils renferment une pulpe qui a la même odeur que la résine de cet arbre ; car si l'on fait le soir une incision à l'écorce, il en découle pendant la nuit une résine très-odorante, ayant l'odeur de l'anis nouvellement écrasé, & que l'on peut recueillir le lendemain. Cette résine a la consistance de la manne, est d'une couleur verte un peu jaunâtre, & se manie aisément. Voyez son article. Si l'on presse un peu fortement l'écorce extérieure de l'icicariba sans l'ouvrir, elle donne par la seule pression une odeur assez vive. (D.J.)


ICIDIENSou DOMESTIQUES, subst. m. pl. (Mytholog.) il se disoit des dieux lares ou pénates. Servius en fait des freres. Ce mot vient de , dérivé de , maison.


ICONDRE(Géog.) petit pays d'Afrique dans l'île de Madagascar. Il est montueux, fertile en bons plantages & pâturages, par la hauteur de 22. 30. (D.J.)


ICONE(Géog. anc.) ancienne ville de la Cappadoce, dans le département de la Lycaonie, selon Ptolomée : Strabon, contemporain d'Auguste & de Tibere, en parle lib. XII. p. 586, comme d'une petite ville, mais bien bâtie ; elle s'aggrandit sans-doute peu de tems après ; car nous lisons dans les actes des Apôtres, chap. xiv. v. 1. 18. 20. qu'il y avoit à Icone une grande multitude de Juifs & de Grecs. Il est encore question de cette ville dans les mêmes actes des Apôtres, chap. xiij. v. 51. chap. xvj. v. 2. & dans la I. à Timothée, chap. iij. v. 1. Tout cela s'accorde avec le témoignage de Pline, liv. V. chap. xxvij. qui dit que de son tems c'étoit une ville célebre ; elle fut épiscopale de bonne heure. Hieroclès & les autres auteurs des Notices ecclésiastiques, la nomment métropole.

Icone devint la conquête des Turcs avant qu'ils eussent passé en Europe ; ils en formerent le siége d'un grand gouvernement, & défirent devant cette ville l'armée des Croisés d'Allemagne conduits par Conrard ; l'empereur blessé, qui comptoit arriver à Jérusalem en général d'armée victorieux, s'y rendit en pélerin.

Cogni est le nom moderne de l'ancienne Icone ; elle est grande, peuplée, située dans une belle campagne, fertile en blé, en arbres fruitiers, & en toutes sortes de légumes. Elle est la capitale de toute la Caramanie, & le Beglierbeg y fait sa résidence ordinaire. Le sangiac de Cogni a sous lui dix huit ziamets & cinq cent douze timars. Rochefort, dans son voyage de Turquie, en a donné une ample description. (D.J.)


ICONIQUE STATUE(Antiq. greq.) on nommoit ainsi dans la Grece les statues que l'on élevoit en l'honneur de ceux qui avoient été trois fois vainqueurs aux jeux sacrés. On mesuroit exactement ces statues sur leur taille & sur leurs membres, & l'on les appella statues iconiques, parce qu'elles étoient censées devoir représenter plus parfaitement qu'aucune autre, la ressemblance de ceux pour qui elles étoient faites. Voyez STATUE. (D.J.)


ICONIUM(Géog. anc.) Voyez-en l'article sous le nom françois ICONE.


ICONOCLASTESS. m. (Théologie) briseurs d'images. Nom qu'on donna dans le vij. siecle à une secte d'hérétiques qui s'éleva contre le culte religieux que les Catholiques rendoient aux images. Voyez IMAGES.

Ce mot est grec formé de , image, & , rumpere, rompre, parce que les Iconoclastes brisoient les images.

On a depuis donné ce nom à tous ceux qui se sont déclarés avec la même fureur contre le culte des images. C'est dans ce sens qu'on appelle Iconoclastes non-seulement les réformés, mais encore quelques-unes des églises d'orient, & qu'on les regarde comme hérétiques, parce qu'ils s'opposent au culte des images de Dieu & des saints, & qu'ils en brisent toutes les figures & représentations dans les églises. Voyez LATRIE, culte, &c.

Les anciens Iconoclastes soutenus d'abord par les califes sarrasins, ensuite par quelques empereurs grecs, tels que Leon l'Isaurien & Constantin Copronyme, remplirent l'orient de carnage & d'horreurs. Sous Constantin & Irene le culte des images fut rétabli, & l'on tint un concile à Nicée, où les Iconoclastes furent condamnés. Mais leur parti se releva sous Nicephore, Leon l'Arménien, Michel le Begue & Theophile, qui les favoriserent & tolérerent, & commirent eux-mêmes contre les Catholiques des cruautés inouies, dont on peut voir le détail dans l'histoire que M. Maimbourg a donnée de cette hérésie.

Parmi les nouveaux Iconoclastes, on peut compter les Pétrobrusiens, les Albigeois & les Vaudois, les Wiclefites, les Hussites, les Zuingliens & les Calvinistes, qui dans nos guerres de religion, se sont portés aux mêmes excès contre les images que les anciens Iconoclastes. (G)


ICONOGRAPHIES. f. iconographia, (Antiq.) description des images ou statues antiques de marbre & de bronze, des bustes, des demi-bustes, des dieux pénates, des peintures à fresque, des mosaïques & des miniatures anciennes. Voyez ANTIQUE, STATUE, &c.

Ce mot est grec, , & vient d', image, & , je décris.


ICONOLATRES. m. (Théologie) qui adore les images, est le nom que les Iconoclastes donnent aux Catholiques qu'ils accusent faussement d'adorer les images, & de leur rendre le culte qui n'est dû qu'à Dieu.

Ce mot vient du grec , image, & , j'adore. Voyez IMAGE, IDOLATRIE, &c. (G)


ICONOLOGIES. f. (Antiq.) science qui regarde les figures & les représentations, tant des hommes que des dieux.

Elle assigne à chacun les attributs qui leur sont propres, & qui servent à les différencier. Ainsi elle représente Saturne en vieillard avec une faux ; Jupiter armé d'un foudre avec un aigle à ses côtés ; Neptune avec un trident, monté sur un char tiré par des chevaux marins ; Pluton avec une fourche à deux dents, & traîné sur un char attelé de quatre chevaux noirs ; Cupidon ou l'Amour avec des fleches, un carquois, un flambeau, & quelquefois un bandeau sur les yeux ; Apollon, tantôt avec un arc & des fleches, & tantôt avec une lyre ; Mercure, un caducée en main, coeffé d'un chapeau aîlé, avec des talonnieres de même ; Mars armé de toutes pieces, avec un coq qui lui étoit consacré ; Bacchus couronné de lierre, armé d'un tirse & couvert d'une peau de tigre, avec des tigres à son char, qui est suivi de bacchantes ; Hercule revêtu d'une peau de lion, & tenant en main une massue ; Junon portée sur des nuages avec un paon à ses côtés ; Vénus sur un char tiré par des cignes, ou par des pigeons ; Pallas le casque en tête, appuyée sur son bouclier, qui étoit appellé égide, & à ses côtés une chouette qui lui étoit consacrée ; Diane habillée en chasseresse, l'arc & les fleches en main ; Cérès, une gerbe & une faucille en main. Comme les Payens avoient multiplié leurs divinités à l'infini, les Poëtes & les Peintres après eux se sont exercés à revêtir d'une figure apparente des êtres purement chimériques, ou à donner une espece de corps aux attributs divins, aux saisons, aux fleuves, aux provinces, aux sciences, aux arts, aux vertus, aux vices, aux passions, aux maladies, &c. Ainsi la Force est représentée par une femme d'un air guerrier appuyée sur un cube ; on voit un lion à ses piés. On donne à la Prudence un miroir entortillé d'un serpent, symbole de cette vertu ; à la Justice une épée & une balance ; à la Fortune un bandeau & une roue ; à l'Occasion un toupet de cheveux sur le devant de sa tête chauve par-derriere ; des couronnes de roseaux & des urnes à tous les fleuves ; à l'Europe une couronne fermée, un sceptre & un cheval ; à l'Asie un encensoir, &c.


ICONOMAQUEadj. (Gramm.) qui attaque le culte des images. L'empereur Leon Isaurien fut appellé iconomaque après qu'il eut rendu l'édit qui ordonnoit d'abattre les images. Iconomaque est synonyme à Iconoclaste. Voyez ICONOCLASTE.


ICOSAEDRES. m. terme de Géometrie, c'est un corps ou solide régulier terminé par vingt triangles équilatéraux & égaux entr'eux.

On peut considérer l'icosaëdre comme composé de vingt pyramides triangulaires, dont les sommets se rencontrent au centre d'une sphere, & qui ont par conséquent leurs hauteurs & leurs bases égales ; d'où il suit qu'on aura la solidité de l'icosaëdre, en multipliant la solidité d'une de ces pyramides par 20, qui est le nombre des bases. Harris & Chambers. (E)


ICOSAPROTES. m. (Hist. mod.) dignité chez les Grecs modernes. On disoit un icosaprote ou un vingt-princier, comme nous disons un cent suisse.


ICREPOMONGAS. m. (Hist. nat.) serpent marin des mers du Brésil, qui se tient communément immobile sous les eaux ; on lui attribue la propriété d'engourdir comme la torpille ; on assure que tous les animaux qui s'en approchent y demeurent si fortement attachés, qu'ils ne peuvent s'en débarrasser, & le serpent en fait sa proie. Il s'avance quelquefois sur le rivage, où il s'arrange de maniere à occuper un très-petit espace ; les mains des hommes qui voudroient le saisir demeurent attachées à son corps, & il les entraîne dans la mer pour les dévorer.


ICTERE(Medecine) Voyez JAUNISSE.


ICTERIUS LAPIS(Hist. nat.) nom que les anciens ont donné à une pierre fameuse par la vertu de guérir la jaunisse qu'on lui attribuoit. Pline en décrit quatre especes ; la premiere étoit d'un jaune foncé ; la seconde d'un jaune plus pâle & plus transparente ; la troisieme se trouvoit en morceaux applatis, & étoit d'une couleur verdâtre avec des veines foncées ; la quatrieme espece enfin étoit verdâtre, avec des veines noires. Sur une description aussi seche, il est très-difficile de deviner de quelle nature étoit cette pierre si vantée. Voyez Pline, hist. nat. (-)


ICTIARS. m. (Hist. d'Asie) officier qui a passé par tous les grades de son corps, & qui par cette raison a acquis le droit d'être membre du divan. Pococ. aegypt. pag. 166. (D.J.)


IDAS. m. (Géog. anc.) il y a deux montagnes de ce nom également célebres dans les écrits des anciens, l'une dans la Troade, & l'autre dans l'île de Crete.

Le mont Ida en Troade, pris dans toute son étendue, peut être regardé comme un de ces grands réservoirs d'eau, que la nature a formés pour fournir & entretenir les rivieres ; de celles-là, quelques-unes tombent dans la Propontide, comme l'Aesepe & le Granique ; d'autres dans l'Hellespont, comme les deux entre lesquelles la ville d'Abidos étoit située ; j'entends le Ximois, & le Xante qui se joint avec l'Andrius : d'autres enfin vont se perdre au midi dans le Golphe d'Adramyte, entre le Satnioeis & le Cilée. Ainsi Horace, liv. III. ode 20, a eu raison d'appeller l'Ida de la Troade, aquatique, lorsqu'il dit de Ganymede,

Raptus ab aquosâ Idâ.

Diodore de Sicile ajoute que cette montagne est la plus haute de tout l'Hellespont, & qu'elle a au milieu d'elle un antre qui semble fait exprès pour y recevoir des divinités ; c'est là où l'on prétend que Paris jugea les trois déesses, qui disputoient le prix de la beauté. On croit encore que dans ce même endroit, étoient nés les Dactyles d'Ida, qui furent les premiers à forger le fer, ce secret si utile aux hommes, & qu'ils tenoient de la mere des dieux ; ce qui est plus sûr, c'est que le mont Ida s'avance par plusieurs branches vers la mer, & de là vient qu'Homere se sert souvent de cette expression, les montagnes d'Ida. Virgile, Aeneid. liv. III. v. 5. parle de même.

Classemque sub ipsâ

Antandro & Phrygiâ molimur montibus Ida.

En un mot, Homere, Virgile, Strabon, Diodore de Sicile, ne s'expriment guere autrement. En effet le mont Ida qui, comme on sait, est dans cette partie de la Natolie occidentale nommée Aidinzic, ou la petite Aidine, pousse plusieurs branches, dont les unes aboutissent au golphe d'Aidine ou de Booa dans la mer de Marmora ; les autres s'étendent vers l'Archipel à l'ouest, & quelques-unes s'avancent au sud, jusques au golphe de Gueresto, vis-à-vis de l'île de Mételin ; l'ancienne Troade étoit entre ces trois mers.

Parlons à présent du mont Ida de Crete, situé au milieu de cette île. Virgile, Aeneid. liv. III. v. 104. l'appelle mons Idaeus.

Creta Jovis magni medio jacet insula ponto,

Mons Idaeus ubì, & gentis cunabula nostrae.

L'Ida de Crete étoit fameux, non-seulement par les belles villes qui l'environnoient, mais sur-tout parce que selon la tradition populaire, le souverain maître des dieux & des hommes, Jupiter lui-même, y avoit pris naissance. Aussi l'appelle-t-on encore aujourd'hui Monte-Giove, ou Psiloriti.

Cependant cet Ida de Crete n'a rien de beau que son illustre nom ; cette montagne si célebre dans la Poésie, ne présente aux yeux qu'un vilain dos d'âne tout pelé ; on n'y voit ni paysage ni solitude agréable, ni fontaine, ni ruisseau ; à peine s'y trouve-t-il un méchant puits, dont il faut tirer l'eau à force de bras, pour empêcher les moutons & les chevaux du lieu d'y mourir de soif. On n'y nourrit que des haridelles, quelques brebis & de méchantes chevres, que la faim oblige de brouter jusques à la Tragacantha, si hérissée de piquans, que les Grecs l'ont appellée épine de bouc. Ceux donc qui ont avancé que les hauteurs du mont Ida de Candie étoient toutes chauves, & que les plantes n'y pouvoient pas vivre parmi la neige & les glaces, ont eu raison de ne nous point tromper, & de nous en donner un récit très-fidele.

Au reste le nom Ida dérive du grec , qui vient lui-même d', qui signifie voir, parce que de dessus ces montagnes, qui sont très-élevées, la vue s'étend fort loin, tant de dessus le mont Ida de la Troade, que de dessus le mont Ida de Crete. (D.J.)


IDALIUM(Géog. anc.) ville de l'île de Chypre consacrée à la déesse Venus, & qui ne subsistoit plus déja du tems de Pline. Lucain nomme la Troade, Idalis Tellus ; Idalis veut dire le pays du mont Ida. J'ai déja parlé de cette montagne. (D.J.)


IDANHA NUEVA(Géog.) petite ville de Portugal dans la province de Béira, à deux lieues S. O. de la vieille Idanha. Longit. 11. 23. latit. 39. 42. (D.J.)


IDANHA-VELHA(Géog.) c'est-à-dire Idanha la vieille, ville de Portugal dans la province de Béira, elle fut prise d'assaut par les Irlandois en 1704 ; elle est sur le Ponsul, à dix lieues N. E. de Castel-Branco, huit N. O. d'Alcantara. Long. 11. 32. lat. 39. 46. (D.J.)


IDÉALadj. (Gramm.) qui est d'idée. On demande d'un tableau si le sujet en est historique ou idéal ; d'où l'on voit qu'idéal s'oppose à réel. On dit c'est un homme idéal, pour désigner le caractere chimérique de son esprit ; c'est un personnage idéal, pour marquer que c'est une fiction, & non un être qui ait existé ; sa philosophie est toute idéale, par opposition à la philosophie d'observations & d'expérience.

IDEAL, (Docimast.) poids idéal ou fictif. Voyez POIDS FICTIF.


IDÉES. f. (Philos. Log.) nous trouvons en nous la faculté de recevoir des idées, d'appercevoir les choses, de se les représenter. L'idée ou la perception est le sentiment qu'a l'ame de l'état où elle se trouve.

Cet article, un des plus importans de la Philosophie, pourroit comprendre toute cette science que nous connoissons sous le nom de Logique. Les idées sont les premiers degrés de nos connoissances, toutes nos facultés en dépendent. Nos jugemens, nos raisonnemens, la méthode que nous présente la Logique, n'ont proprement pour objet que nos idées. Il seroit aisé de s'étendre sur un sujet aussi vaste, mais il est plus à propos ici de se resserrer dans de justes bornes ; & en indiquant seulement ce qui est essentiel, renvoyer aux traités & aux livres de Logique, aux essais sur l'entendement humain, aux recherches de la vérité, à tant d'ouvrages de Philosophie qui se sont multipliés de nos jours, & qui se trouvent entre les mains de tout le monde.

Nous nous représentons, ou ce qui se passe en nous mêmes, ou ce qui est hors de nous, soit qu'il soit présent ou absent ; nous pouvons aussi nous représenter nos perceptions elles-mêmes.

La perception d'un objet à l'occasion de l'impression qu'il a fait sur nos organes, se nomme sensation.

Celle d'un objet absent qui se représente sous une image corporelle, porte le nom d'imagination.

Et la perception d'une chose qui ne tombe pas sous les sens, ou même d'un objet sensible, quand on ne se le représente pas sous une image corporelle, s'appelle idée intellectuelle.

Voilà les différentes perceptions qui s'allient & se combinent d'une infinité de manieres ; il n'est pas besoin de dire que nous prenons le mot d'idée ou de perception dans le sens le plus étendu, comme comprenant & la sensation & l'idée proprement dite.

Réduisons à trois chefs ce que nous avons à dire sur les idées ; 1°. par rapport à leur origine, 2°. par rapport aux objets qu'elles représentent, 3°. par rapport à la maniere dont elles représentent ces objets.

1°. Il se présente d'abord une grande question sur la maniere dont les qualités des objets produisent en nous des idées ou des sensations ; & c'est sur celles-ci principalement que tombe la difficulté. Car pour les idées que l'ame apperçoit en elle-même, la cause en est l'intelligence, ou la faculté de penser, ou si l'on veut encore, sa maniere d'exister ; & quant à celles que nous acquérons en comparant d'autres idées, elles ont pour causes les idées elles-mêmes, & la comparaison que l'ame en fait. Restent donc les idées que nous acquérons par le moyen des sens ; sur quoi l'on demande comment les objets produisant seulement un mouvement dans les nerfs, peuvent imprimer des idées dans notre ame ? Pour résoudre cette question, il faudroit connoître à fond la nature de l'ame & du corps, ne pas s'en tenir seulement à ce que nous présentent leurs facultés & leurs propriétés, mais pénétrer dans ce mystere inexplicable, qui fait l'union merveilleuse de ces deux substances.

Remonter à la premiere cause, en disant que la faculté de penser a été accordée à l'homme par le Créateur, ou avancer simplement que toutes nos idées viennent des sens ; ce n'est pas assez, & c'est même ne rien dire sur la question : outre qu'il s'en faut de beaucoup que nos idées soient dans nos sens, telles qu'elles sont dans notre esprit, & c'est là la question. Comment à l'occasion d'une impression de l'objet sur l'organe, la perception se forme-t-elle dans l'ame ?

Admettre une influence réciproque d'une des substances sur l'autre, c'est encore ne rien expliquer.

Prétendre que l'ame forme elle-même ses idées, indépendamment du mouvement ou de l'impression de l'objet, & qu'elle se représente les objets desquels par le seul moyen des idées elle acquiert la connoissance, c'est une chose plus difficile encore à concevoir, & c'est ôter toute relation entre la cause & l'effet.

Recourir aux idées innées, ou avancer que notre ame a été créée avec toutes ses idées, c'est se servir de termes vagues qui ne signifient rien ; c'est anéantir en quelque sorte toutes nos sensations, ce qui est bien contraire à l'expérience ; c'est confondre ce qui peut être vrai à certains égards, des principes, avec ce qui ne l'est pas des idées dont il est ici question ; & c'est renouveller des disputes qui ont été amplement discutées dans l'excellent ouvrage sur l'entendement humain.

Assurer que l'ame a toujours des idées, qu'il ne faut point chercher d'autre cause que sa maniere d'être, qu'elle pense lors même qu'elle ne s'en apperçoit pas, c'est dire qu'elle pense sans penser, assertion dont, par cela même qu'on n'en a ni le sentiment ni le souvenir, l'on ne peut donner de preuve.

Pourroit-on supposer avec Malebranche, qu'il ne sauroit y avoir aucune autre preuve de nos idées, que les idées mêmes dans l'être souverainement intelligent, & conclure que nous acquérons nos idées dans l'instant que notre ame les apperçoit en Dieu ? Ce roman métaphysique ne semble-t-il pas dégrader l'intelligence suprème ? La fausseté des autres systèmes suffit-elle pour le rendre vraisemblable ? & n'est-ce pas jetter une nouvelle obscurité sur une question déja très-obscure par elle-même ?

A la suite de tant d'opinions différentes sur l'origine des idées, l'on ne peut se dispenser d'indiquer celle de Leibnitz, qui se lie en quelque sorte avec les idées innées ; ce qui semble déjà former un préjugé contre ce système. De la simplicité de l'ame humaine il en conclut, qu'aucune chose créée ne peut agir sur elle ; que tous les changemens qu'elle éprouve dépendent d'un principe interne ; que ce principe est la constitution même de l'ame, qui est formée de maniere, qu'elle a en elle différentes perceptions, les unes distinctes, plusieurs confuses, & un très-grand nombre de si obscures, qu'à peine l'ame les apperçoit-elle. Que toutes ces idées ensemble forment le tableau de l'univers ; que suivant la différente relation de chaque ame avec cet univers, ou avec certaines parties de l'univers, elle a le sentiment des idées distinctes, plus ou moins, suivant le plus ou moins de relation. Tout d'ailleurs étant lié dans l'univers, chaque partie étant une suite des autres parties ; de même l'idée représentative a une liaison si nécessaire avec la représentation du tout, qu'elle ne sauroit en être séparée. D'où il suit que, comme les choses qui arrivent dans l'univers se succedent suivant certaines lois, de même dans l'ame, les idées deviennent successivement distinctes, suivant d'autres lois adaptées à la nature de l'intelligence. Ainsi ce n'est ni le mouvement, ni l'impression sur l'organe, qui excite des sensations ou des perceptions dans l'ame ; je vois la lumiere, j'entends un son, dans le même instant les perceptions représentatives de la lumiere & du son s'excitent dans mon ame par sa constitution, & par une harmonie nécessaire, d'un côté entre toutes les parties de l'univers, de l'autre entre les idées de mon ame, qui d'obscures qu'elles étoient, deviennent successivement distinctes.

Telle est l'exposition la plus simple de la partie du système de Leibnitz, qui regarde l'origine des idées. Tout y dépend d'une connexion nécessaire entre une idée distincte que nous avons, & toutes les idées obscures qui peuvent avoir quelque rapport avec elle, qui se trouvent nécessairement dans notre ame. Or, l'on n'apperçoit point, & l'expérience semble être contraire à cette liaison entre les idées qui se succedent ; mais ce n'est pas là la seule difficulté que l'on pourroit élever contre ce système, & contre tous ceux qui vont à expliquer une chose qui vraisemblablement nous sera toujours inconnue.

Que notre ame ait des perceptions dont elle ne prend jamais connoissance, dont elle n'a pas la conscience (pour me servir du terme introduit par M. Locke) ou que l'ame n'ait point d'autres idées que celles qu'elle apperçoit, ensorte que la perception soit le sentiment même, ou la conscience qui avertit l'ame de ce qui se passe en elle ; l'un ou l'autre système, auxquels se réduisent proprement tous ceux que nous avons indiqués, n'explique point la maniere dont le corps agit sur l'ame, & celle-ci réciproquement. Ce sont deux substances trop différentes ; nous ne connoissons l'ame que par ses facultés, & ces facultés que par leurs effets : ces effets se manifestent à nous par l'intervention du corps. Nous voyons par-là l'influence de l'ame sur le corps, & réciproquement celle du corps sur l'ame ; mais nous ne pouvons pénétrer au-delà. Le voile restant sur la nature de l'ame, nous ne pouvons savoir ce qu'est une idée considérée dans l'ame, ni comment elle s'y produit ; c'est un fait, le comment est encore dans l'obscurité, & sera sans-doute toujours livré aux conjectures.

2°. Passons aux objets de nos idées. Ou ce sont des être réels, & qui existent hors de nous & dans nous, soit que nous y pensions, soit que nous n'y pensions pas ; tels sont les corps, les esprits, l'être suprème. Ou ce sont des êtres qui n'existent que dans nos idées, des productions de notre esprit qui joint diverses idées. Alors ces êtres ou ces objets de nos idées, n'ont qu'une existence idéale ; ce sont ou des êtres de raison, des manieres de penser qui nous servent à imaginer, à composer, à retenir, à expliquer plus facilement ce que nous concevons ; telles sont les relations, les privations, les signes, les idées universelles, &c. Ou ce sont des fictions distinguées des êtres de raison, en ce qu'elles sont formées par la réunion ou la séparation de plusieurs idées simples, & sont plutôt un effet de ce pouvoir ou de cette faculté que nous avons d'agir sur nos idées, & qui, pour l'ordinaire est désignée par le mot d'imagination. Voyez IMAGINATION. Tel est un palais de diamant, une montagne d'or, & cent autres chimères, que nous ne prenons que trop souvent pour des réalités. Enfin, nous avons, pour objet de nos idées, des êtres qui n'ont ni existence réelle, ni idéale, qui n'existent que dans nos discours, & pour cela on leur donne simplement une existence verbale. Tel est un cercle quarré, le plus grand de tous les nombres, & si l'on vouloit en donner d'autres exemples, on les trouveroit aisément dans les idées contradictoires, que les hommes & même les philosophes joignent ensemble, sans avoir produit autre chose que des mots dénués de sens & de réalité. Ce seroit trop entreprendre que de parcourir dans quelque détail, les idées que nous avons sur ces différens objets ; disons seulement un mot sur la maniere dont les êtres extérieurs & réels se présentent à nous au moyen des idées ; & c'est une observation générale qui se lie à la question de l'origine des idées. Ne confondons pas ici la perception qui est dans l'esprit avec les qualités du corps qui produisent cette perception. Ne nous figurons pas que nos idées soient des images ou des ressemblances parfaites de ce qu'il y a dans le sujet qui les produit ; entre la plûpart de nos sensations & leurs causes, il n'y a pas plus de ressemblance, qu'entre ces mêmes idées & leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faisons une distinction.

Les qualités des objets, ou tout ce qui est dans un objet, se trouve propre à exciter en nous une idée. Ces qualités sont premieres & essentielles, c'est-à-dire, indépendantes de toutes rélations de cet objet avec les autres êtres, & telles qu'il les conserveroit, quand même il existeroit seul. Ou elles sont des qualités secondes, qui ne consistent que dans les relations que l'objet a avec d'autres, dans la puissance qu'il a d'agir sur d'autres, d'en changer l'état, ou de changer lui-même d'état, étant appliqué à un autre objet ; si c'est sur nous qu'il agit, nous appellons ces qualités sensibles ; si c'est sur d'autres, nous les appellons puissances ou facultés. Ainsi la propriété qu'a le feu de nous échauffer, de nous éclairer, sont des qualités sensibles, qui ne seroient rien s'il n'y avoit des êtres sensibles, chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations ; de même la puissance qu'il a de fondre le plomb par exemple, lorsqu'il lui est appliqué, est une qualité seconde du feu, qui excite chez nous de nouvelles idées, qui nous auroient été absolument inconnues, si l'on n'avoit jamais fait l'essai de cette puissance du feu sur le plomb.

Disons que les idées des qualités premieres des objets représentent parfaitement leurs objets ; que les originaux de ces idées existent réellement ; qu'ainsi l'idée que vous vous formez de l'étendue, est véritablement conforme à l'étendue qui existe. Je pense qu'il en est de même des puissances du corps, ou du pouvoir qu'il a en vertu de ses qualités premieres & originales de changer l'état d'un autre, ou d'en être changé. Quand le feu consume le bois, je crois que la plûpart des hommes conçoivent le feu, comme un amas de particules en mouvement, ou comme autant de petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles & les plus légeres pour s'élever en fumée, tandis que les plus grossieres tombent en forme de cendre.

Mais, pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s'y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles, elles ne sont point semblables aux idées que l'on s'en forme ; ce qui influe pour l'ordinaire, sur le jugement qu'on porte des puissances & des qualités premieres. Cela peut venir de ce que l'on n'apperçoit pas par les sens, les qualités originales dans les élemens dont les corps sont composés ; de ce que les idées des qualités sensibles, qui sont effectivement toutes spirituelles, ne nous paroissent tenir rien de la grosseur, de la figure, ou des autres qualités corporelles ; & enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir, comment ces qualités peuvent produire les idées & les sensations des couleurs, des odeurs, & des autres qualités sensibles, suite du mystere inexplicable qui regne, comme nous l'avons dit, sur la liaison de l'ame & du corps. Mais, pour cela, le fait n'en est pas moins vrai ; & si nous en cherchons les raisons, nous verrons que l'on en a plus d'attribuer au feu, par exemple, de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appellons la chaleur, nous est fidelement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom, que l'on en a de donner à une aiguille qui me pique, la douleur qu'elle me cause ; si ce n'est que nous voyons distinctement l'impression que l'aiguille produit chez moi, en s'insinuant dans ma chair, au lieu que nous n'appercevons pas la même chose à l'égard du feu ; mais cette différence, fondée uniquement sur la portée de nos sens, n'a rien d'essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, & de leur conformité à nos idées, ou sensations ; c'est que la même qualité nous est représentée par des sensations très-différentes, de douleur ou de plaisir suivant les tems & les circonstances. L'expérience montre d'ailleurs en plusieurs cas, que ces qualités que les sens nous font appercevoir dans les objets, ne s'y trouvent réellement pas. D'où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n'y pensions pas, & que les perceptions que nous en avons, peuvent être conformes à leurs objets ; mais que les qualités sensibles n'y sont pas plus réellement que la douleur dans une aiguille ; qu'il y a dans les corps quelques qualités premieres, qui sont les sources & les principes des qualités secondes, ou sensibles, lesquelles n'ont rien de semblable avec celles-ci qui en dérivent, & que nous prêtons aux corps.

Faites que vos yeux ne voyent ni lumiere ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d'aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur ; dès-lors toutes ces couleurs, ces sons, & ces odeurs s'évanouiront & cesseront d'exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, & ne seront plus ce qu'elles sont réellement, une figure, un mouvement, une situation de partie : aussi un aveugle n'a-t-il aucune perception de la lumiere, des couleurs.

Cette distinction bien établie pourroit nous mener à la question de l'essence & des qualités essentielles des êtres, à faire voir le peu d'exactitude des idées que nous nous formons des êtres extérieurs ; à ce que nous connoissons des substances, & à ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manieres d'être, & à ce qui en fait le principe ; mais outre que cela nous meneroit trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons-nous d'avoir indiqué cette distinction sur la maniere de connoître les qualités premieres, & les qualités sensibles d'un objet, & passons aux êtres qui n'ont qu'une existence idéale. Pour les faire connoître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considere d'une maniere générale, & dont il se forme ce que l'on appelle idées universelles.

Si je me représente un être réel, & que je pense en même tems à toutes les qualités qui lui sont particulieres, alors l'idée que je me fais de cet individu, est une idée singuliere ; mais, si écartant toutes ces idées particulieres, je m'arrête seulement à quelques qualités de cet être, qui soient communes à tous ceux de la même espece, je forme par-là une idée universelle, générale.

Nos premiéres idées sont visiblement singulieres. Je me fais d'abord une idée particuliere de mon pere, de ma nourrice ; j'observe ensuite d'autres êtres qui ressemblent à ce pere, à cette femme, par la forme, par le langage, par d'autres qualités. Je remarque cette ressemblance, j'y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon pere, ma nourrice, sont distingués de ces êtres ; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également ; je juge ensuite par ce que j'entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m'environnent, & qu'elle est désignée par le mot d'hommes. Je me fais donc une idée générale, c'est-à-dire, j'écarte de plusieurs idées singulieres, ce qu'il y a de particulier à chacune, & je ne retiens que ce qu'il y a de commun à toutes : c'est donc à l'abstraction que ces sortes d'idées doivent leur naissance. Voyez ABSTRACTION.

Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu'elles ne sont que des manieres de penser, & que leurs objets qui sont des êtres universels, n'ont qu'une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choses, ou dans la ressemblance des individus ; d'où il suit qu'en observant cette ressemblance des idées singulieres, on se forme des idées générales ; qu'en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s'en former de plus générales encore ; ainsi l'on construit une sorte d'échelle ou de pyramide qui monte par dégrés, depuis les individus jusqu'à l'idée de toutes, la plus générale, qui est celle de l'être.

Chaque degré de cette pyramide, à l'exception du plus haut & du plus bas, sont en même tems espece & genre ; espece, relativement au dégré supérieur ; genre, par rapport à l'inferieur. La ressemblance entre plusieurs personnages de différentes nations, leur fait donner le nom d'hommes. Certains rapports entre les hommes & les bêtes, les fait ranger sous une même classe, désignée sous le nom d'animaux. Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d'êtres vivans ; l'on peut aisément ajoûter des degrés à cette échelle. Si on la borne là, elle présente l'être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux especes, les animaux & les plantes, qui, relativement à des dégrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres.

Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles, que parce qu'elles ont moins de parties, moins d'idées particulieres, il semble qu'elles devroient être d'autant plus à la portée de notre esprit. Cependant l'expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, & plus on a de peine à les saisir & à les retenir, à moins qu'on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, & dans sa mémoire, par un emploi fréquent de ce nom ; c'est que ces idées abstraites ne tombent ni sous les sens, ni sous l'imagination, qui sont les deux facultés de notre ame, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer & retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu ; ce qui ne se fait pas sans un travail d'esprit, pénible pour le commun des hommes & qui devient difficile, si l'on n'appelle les sens & l'imagination au secours de l'esprit, en fixant ces idées par des noms ; mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familieres & les plus communes. L'étude & l'usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d'où l'on peut conclure, que presque toutes les idées des hommes sont des idées générales, & qu'il est beaucoup plus aisé & plus commode de penser ainsi d'une maniere universelle. Qui pourroit en effet imaginer & retenir des noms propres pour tous les êtres que nous connoissons ? A quoi aboutiroit cette multitude de noms singuliers ? Nos connoissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulieres, mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses, rangées pour cela sous certaines especes, & appellées d'un même nom.

Ce que nous venons de dire sur les idées universelles, peut s'étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l'existence n'est qu'idéale : passons à la maniere dont elles nous peignent ces objets.

3°. A cet égard on distingue les idées, en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vûe de l'esprit, les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vûe. C'est ainsi que nous disons qu'une idée est claire, quand elle est telle, qu'elle suffit pour nous faire connoître ce qu'elle représente, dès que l'objet vient à s'offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet, est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n'ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, le couleur de cerise pour le couleur de rose. Celui-là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d'une qui ne l'est pas ; mais c'est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.

La clarté & l'obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L'idée d'une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très-obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un tems, & devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être subdivisée en idée distincte & confuse. Distincte, quand nous pouvons detailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d'autres à peu-près semblables ; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu'étant claire, c'est-à-dire distinguée de toute autre, on n'est pas en état d'entrer dans le détail de ses parties.

Il en est encore ici comme du sens de la vûe. Tout objet vû clairement ne l'est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement à moins que d'affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L'idée de la couleur rouge est une idée claire, car l'on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais si l'on demande à quelqu'un, à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura que repondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, & je crois qu'on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d'un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n'hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu'ils n'ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire, & une idée distincte ; c'est que celui qui n'a qu'une idée claire d'une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n'a qu'une idée claire, mais confuse de la beauté d'un poëme, il vous dira que c'est l'Iliade, l'Enéide, ou il ajoûtera quelques synonymes ; c'est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez, mais des idées, n'en attendez pas de lui.

Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par-là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l'erreur ; ce qui mérite que l'on s'y arrête pour faire voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela une idée distincte doit être complete , c'est-à-dire qu'elle doit renfermer les marques propres à faire reconnoître son objet en tout tems & en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut-être une idée distincte, mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout tems un fou d'un homme sage ?

Outre cela les idées distinctes doivent être ce qu'on appelle dans l'école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques même qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c'est l'habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n'est ni complete ment distincte, ni adéquate, quand on ne sait que d'une maniere confuse ce que c'est que l'habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c'est qu'une action libre. Mais elle devient complete & adéquate, quand on se dit qu'une habitude est une facilité d'agir, qui s'acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c'est choisir entre plusieurs manieres d'agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du Législateur suprême qu'il a fait connoître aux hommes par la raison & par la conscience ; qu'enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.

Ainsi l'idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir entre plusieurs manieres d'agir, que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s'accommode le mieux à ce que la raison & la conscience nous représentent, comme conformes à la volonté de Dieu ; & cette idée de la vertu est non-seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la rendre plus distincte encore, on pourroit pousser cette analyse plus loin, & en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans l'idée de vertu, on seroit surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plûpart de ceux qui l'emploient, ne pensent gueres. Il convient même de s'arrêter quand on est parvenu à des idées claires, mais confuses que l'on ne peut plus résoudre ; aller au-de-là ce seroit manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s'éclairer soi-même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l'esprit. Dans le second cas nous remplissons nos vûes, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier il suffit d'être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.

De-là on peut conclure l'importance de ne pas se contenter d'idées confuses dans les cas où l'on peut s'en procurer de distinctes ; c'est ce qui donne cette netteté d'esprit qui en fait toute la justice. Pour cela il faut s'exercer de bonne heure & assidument sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, & sous toutes les relations qu'ils peuvent avoir en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, & en observant l'ordre & la liaison qu'elles ont entr'elles.

Passant ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, & l'on se fera par-là une habitude d'avoir presque sans travail & sans peine des idées distinctes, & même de discerner toutes les idées particulieres qui entrent dans la composition de l'idée principale. C'est ainsi qu'en analysant les idées de plusieurs objets, l'on parviendra à acquérir cette qualité d'esprit qu'on désigne par le mot profondeur. Au contraire en négligeant cette attention, l'on n'aura jamais qu'un esprit superficiel qui se contente des idées claires, & qui n'aspire point à s'en former de distinctes ; qui donne beaucoup à l'imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu'elles ont de sensible, ne voulant ou ne pouvant avoir d'idées de ce quelles ont d'abstrait & de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l'ordinaire est un fort mauvais guide.

C'est sur-tout le manque d'attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n'en avons que des idées obscures ; & comme nous ne pouvons pas toujours conserver présens les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais, si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre ame, l'expérience fait voir que les idées s'effaçent autant, & par les mêmes degrés par lesquels elles ont été acquises & se sont gravées dans l'ame, ensorte que nous ne pouvons plus nous représenter l'objet quand il est absent, ni le reconnoître quand il est présent : des idées légérement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seront bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, & deviendront si obscures qu'elles se réduisent à rien. L'exemple de la maniere dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en seroit une preuve, si l'on n'en avoit une infinité d'autres.

La maniere de voir, d'envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l'étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulieres qui en dépendent, de s'appliquer à se rendre familiers les premiers principes & les propositions générales, de se les rappeller souvent, de ne pas s'occuper de trop d'objets à la fois, ni d'objets qui ayant trop de rapports peuvent se confondre ; de ne point passer d'un objet à l'autre qu'on ne s'en soit fait une idée distincte s'il est possible. Tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connoître, d'étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les regles, que l'on trouvera dans un traité de logique bien fait.

Convenons cependant qu'il est des choses, dont avec toute l'attention & la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l'objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet different trop peu entr'elles pour que nous puissions les demêler & en saisir les différences, soit qu'elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l'essentiel d'une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangeres qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain, par exemple, est tellement combiné dans toutes ses parties, que la sagacité des plus habiles n'y peut voir la millieme partie de ce qu'il y auroit à connoître, pour s'en former une idée complete ment distincte. Le microscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets, qui avant ces découvertes, étoient dans le second cas, c'est-à-dire très-obscures par la petitesse ou l'éloignement de ces objets, & encore combien sommes-nous éloignés d'en avoir des idées nettes ! La plûpart des hommes n'ont qu'une idée assez obscure de ce qu'ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d'un effet la cause se trouve ordinairement enveloppée, & tellement jointe à diverses choses, qu'il leur est difficile de discerner en quoi elle consiste.

Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes, c'est l'imperfection & l'abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées. Voyez MOTS, SYNTAXE. Il n'est que trop fréquent, & l'expérience nous montre tous les jours que l'on est dans l'habitude d'employer des mots sans y joindre d'idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d'autres, qui en rendent la signification indéterminée, & de supposer toujours comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées. Comment se faire des idées distinctes avec des signes aussi équivoques ? Le meilleur conseil que l'on puisse donner contre cet abus, c'est qu'après s'être appliqué à n'avoir que des idées bien nettes & bien terminées, nous n'employons jamais, ou du moins le plus rarement qu'il nous sera possible, de mots qui ne nous donnent du moins une idée claire, que nous tâchions de fixer la signification de ces mots ; qu'en cela nous suivions autant qu'on le pourra, l'usage commun, & qu'enfin nous évitions de prendre le même mot en deux sens différens. Si cette regle générale dictée par le bon sens, étoit suivie & observée dans tous ses détails avec quelque soin, les mots bien loin d'être un obstacle, deviendroient un aide, un secours infini à la recherche de la vérité, par le moyen des idées distinctes, dont ils doivent être les signes. C'est à l'article des définitions & à tant d'autres, sur la partie philosophique de la Grammaire que nous renvoyons.

Quelque étendue que l'on ait donné à cet article, il y auroit encore bien des choses à dire sur nos idées, considérées relativement aux facultés de notre ame, sur leurs usages, comme étant les sources de nos jugemens, & les principes de nos connoissances. Mais tout cela a été dit, & se trouve dans un si grand nombre de bons ouvrages sur l'art de penser & de communiquer nos pensées, qu'il seroit superflu de s'y arrêter davantage. Quiconque voudra méditer sur ce qui se passe en lui, lorsqu'il s'applique à la recherche de quelque vérité, s'instruira mieux par lui-même de la nature des idées, de leurs objets, & de leur utilité.

IDEE, s. f. (Antiq. grecq. & rom.) Idaea, surnom de Cybele, qu'on adoroit particulierement sur le mont Ida ; par la même raison ses ministres les dactyles, ou les corybantes, étoient appellés Idéens, mais ils ne tenoient cette qualification que de l'honneur qu'ils avoient de servir la mere des dieux ; on la nommoit par excellence Idaea magna mater, & c'est elle que regardent les inscriptions avec ces trois lettres I. M. M. Idaeae magnae matri. On célébroit solemnellement dans toute la Phrygie la fête sacrée de la mere Idéenne, par des sacrifices & des jeux, & on promenoit sa statue au son de la flûte & du tympanon.

Les Romains lui sacrifierent à leur tour, & instituerent des jeux à sa gloire, avec les cérémonies romaines ; mais ils y employerent des Phrygiens & des Phrygiennes, qui portoient par la ville la statue de Cybele, en sautant, dansant, battant de leurs tambours, & jouant de leurs crotales. Denys d'Halycarnasse remarque qu'il n'y avoit aucun citoyen de Rome qui se mêlât avec ces Phrygiens, & qui fût initié dans les mysteres de la déesse. (D.J.)


IDÉENDACTYLE, (Littérat.) prêtre de Jupiter, sur le mont Ida en Phrygie, ou dans l'île de Crete. On n'est d'accord ni sur l'origine des dactyles idéens, ni sur leur nombre, ni sur leurs fonctions. On les confond avec les curetes, les corybantes, les telchines, & les cabires ; on peut consulter sur cet article, parmi les anciens, Diodore de Sicile, lib. V. & XVII. Strabon, lib. X. p. 473. le Scholiaste d'Apollonius de Rhodes, lib. I. Eustathe sur Homere, Iliad. 2. p. 353. & Pausanias, lib. V. cap. xvij.

Ce furent les dactyles idéens de Crete qui les premiers fondirent la mine de fer, après avoir appris dans l'incendie des forêts du mont Ida que cette mine étoit fusible. La chronique de Paros (Epoch. 11. Marm. oxon. p. 163.) met cette découverte dans l'année de cette chronique 1168, sous le regne de Pandion à Athenes, & l'attribue aux deux dactyles idéens, nommés Celmis & Damnacé ; voyez les mémoires de l'acad. des Inscr. tom. XIV. & le mot DACTYLE.


IDENTIFIERv. act. & neut. (Gram.) de deux ou plusieurs choses différentes n'en faire qu'une ; on dit aussi s'identifier.


IDENTIQUEadj. Voyez son substantif IDENTITE.

IDENTIQUE, (Alg.) on appelle équation identique celle dont les deux membres sont les mêmes, ou contiennent les mêmes quantités, sous la même ou sous différentes formes ; par exemple, a = a, ou aa - xx = (a + x) x (a - x), sont des équations identiques. Dans ces équations, si on passe tous les termes d'un même côté, on trouve qu'ils se détruisent mutuellement, & que tout se réduit à o = o, ce qui n'apprend rien. Ces sortes d'équations ne servent à rien pour la solution des problêmes, & il faut prendre garde dans la solution de certains problèmes compliqués de tomber dans des équations identiques ; car on croiroit être parvenu à la solution, & l'on se tromperoit : c'est ce qui arrive quelquefois ; par exemple, on veut transformer une courbe en une autre, on croit avoir résolu le problème, parce qu'on est parvenu à une équation qui en apparence differe de la proposée, & on n'a fait quelquefois que transformer les axes. (O)

IDENTITE, s. f. (Métaphysiq.) l'identité d'une chose est ce qui fait dire qu'elle est la même & non une autre ; il paroît ainsi qu'identité & unité ne different point, sinon par certain regard de tems & de lieu. Une chose considérée en divers lieux, ou en divers tems, se retrouvant ce qu'elle étoit, est alors dite la même chose. Si vous la considériez sans nulle différence de tems ni de lieu, vous la diriez simplement une chose ; car par rapport au même tems & au même lieu, on dit voilà une chose, & non voilà la même chose.

Nous concevons différemment l'identité en différens êtres ; nous trouvons une substance intelligente, toûjours précisément la même, à raison de son unité ou indivisibilité, quelques modifications qu'il y survienne, telles que ses pensées ou ses sentimens. Une même ame n'en est pas moins précisément la même, pour éprouver des changemens d'augmentation ou de diminution de pensées ou de sentimens ; au lieu que dans les êtres corporels, une portion de matiere n'est plus dite précisément la même, quand elle reçoit continuellement augmentation ou altération dans ses modifications, telles que sa figure & son mouvement.

Observons que l'usage admet une identité de ressemblance, qui se confond souvent avec la vraie identité ; par exemple, en versant d'une bouteille de vin en deux verres, on dit que dans l'un & l'autre verre c'est le même vin ; & en faisant deux habits d'une même piece de drap, on dit que les deux habits sont de même drap. Cette identité n'est que dans la ressemblance, & non dans la substance, puisque la substance de l'un peut se trouver détruite, sans que la substance de l'autre se trouve altérée en rien. Par la ressemblance deux choses sont dites aussi la même, quand l'une succede à l'autre dans un changement imperceptible, bien que très-réel, ensorte que ce sont deux substances toutes différentes ; ainsi la substance de la riviere de Seine change tous les jours imperceptiblement, & par-là on dit que c'est toûjours la même riviere, bien que la substance de l'eau qui forme cette riviere change & s'écoule à chaque instant ; ainsi le vaisseau de Thesée étoit dit toûjours le même vaisseau de Thesée, bien qu'à force d'être radoubé il ne restât plus un seul morceau du bois dont il avoit été formé d'abord ; ainsi le même corps d'un homme à cinquante ans n'a-t-il plus rien peut-être de la substance qui composoit le même corps quand cet homme n'avoit que six mois, c'est-à-dire qu'il n'y a souvent dans les choses materielles qu'une identité de ressemblance, que l'équivoque du mot fait prendre communément pour une identité de substance. Quelque mince que paroisse cette observation, on en peut voir l'importance par une réflexion de M. Bayle, dans son Dictionnaire critique, au mot Spinosa, lettre L. Il montre que cette équivoque pitoyable est le fondement de tout le fameux système de Spinosa.

Séneque fait un raisonnement sophistique, en le composant des différentes significations du terme d'identité. Pour consoler un homme de la perte de ses amis, il lui représente qu'on peut en acquérir d'autres ; mais ils ne seront pas les mêmes ? ni vous non plus, dit-il, vous n'êtes pas le même, vous changez toujours. Quand on se plaint que de nouveaux amis ne remplacent pas ceux qu'on a perdus, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas de la même humeur, du même âge, &c. ce sont là des changemens par où nous passons ; mais nous ne devenons pas nous-mêmes d'autres individus, comme les amis nouveaux sont des individus différens des anciens.

M. Locke me paroît définir juste l'identité d'une plante, en disant que l'organisation qui lui a fait commencer d'être plante subsiste : il applique la même idée au corps humain.

IDENTITE, (Gramm.) terme introduit récemment dans la Grammaire, pour exprimer le rapport qui sert de fondement à la concordance. Voyez CONCORDANCE.

Un simple coup d'oeil jetté sur les différentes especes de mots, & sur l'unanimité des usages de toutes les langues à cet égard, conduit naturellement à les partager en deux classes générales, caractérisées par des différences purement matérielles. La premiere classe comprend toutes les especes de mots déclinables, je veux dire les noms, les pronoms, les adjectifs & les verbes, qui, dans la plûpart des langues, reçoivent à leurs terminaisons des changemens qui désignent des idées accessoires de relation, ajoutées à l'idée principale de leur signification. La seconde classe renferme les especes de mots indéclinables, c'est-à-dire les adverbes, les prépositions, les conjonctions & les interjections, qui gardent dans le discours une forme immuable, parce qu'ils expriment constamment une seule & même idée principale.

Entre les inflexions accidentelles des mots de la premiere classe, les unes sont communes à toutes les especes qui y sont comprises, & les autres sont propres à quelqu'une de ces especes. Les inflexions communes sont les nombres, les cas, les genres & les personnes ; les tems & les modes sont des inflexions propres au verbe.

C'est entre les inflexions communes aux mots qui ont quelque correlation, qu'il y a, & qu'il doit y avoir concordance dans toutes les langues qui admettent ces inflexions. Mais pour établir cette concordance, il faut d'abord déterminer l'inflexion de l'un des mots corrélatifs, & ce sont les besoins réels de l'énonciation, d'après ce qui existe dans l'esprit de celui qui parle, qui reglent cette premiere détermination, conformément aux usages de chaque langue : les autres mots correlatifs se revêtent ensuite des inflexions correspondantes, par imitation, & pour être en concordance avec leur correlatif, qui leur sert comme d'original : celui-ci est dominant, les autres sont subordonnés. C'est ordinairement un nom ou un pronom qui est le correlatif dominant ; les adjectifs & les verbes sont subordonnés : c'est à eux à s'accorder, & la concordance de leurs inflexions avec celles du nom ou du pronom, est comme une livrée qui atteste leur dépendance.

Cette dépendance est fondée sur un rapport, qui est selon les meilleurs Grammairiens modernes, un rapport d'identité. On voit en effet que le nom & l'adjectif qui l'accompagne par opposition, ne font qu'un, n'expriment ensemble qu'une seule & même chose indivisible ; la loi naturelle, la loi politique, la loi évangélique, sont trois objets différens, mais il n'y en a que trois ; la loi naturelle est un objet aussi unique que la loi en général. C'est la même chose du verbe avec son sujet ; le soleil luit, est une expression qui ne présente à l'esprit qu'une seule idée indivisible.

Cependant l'adjectif & le verbe expriment très-distinctement une idée attributive, fort différente du sujet exprimé par le nom ou par le pronom : comment peut-il y avoir identité entre des idées si disparates ?

C'est que les noms & les pronoms présentent à l'esprit des êtres déterminés, voyez NOM & PRONOM, & que les adjectifs & les verbes présentent à l'esprit des sujets quelconques sous une idée précise, applicable à tout sujet déterminé qui en est susceptible ; voyez VERBE. Or il en est, dans le discours, de cette idée vague de sujet quelconque, comme de la signification générale & indéfinie des symboles algébriques dans le calcul : de part & d'autre, la généralisation des idées n'a été instituée que pour éviter l'embarras des cas particuliers trop multipliés ; mais de part & d'autre, c'est à la charge de ramener la précision dans chaque occurrence par des applications particulieres ou individuelles.

C'est la concordance des inflexions de l'adjectif ou du verbe avec celles du nom ou du pronom, qui désigne l'application du sens vague de l'un au sens précis de l'autre, & l'identification du sujet vague présenté par la premiere espece, avec le sujet déterminé énoncé par la seconde.

Pour prévenir une erreur dans laquelle bien des gens pourroient tomber, puisque M. l'abbé Fromant y a donné lui-même, qu'il me soit permis d'insister un peu sur la véritable idée que l'on doit prendre de l'identité, qui sert de fondement à la concordance. J'ose avancer que ce grammairien n'en a pas une idée exacte ; il la suppose entre le sujet d'un mode & ce mode : en voici la preuve dans son supplément, aux ch. ij. iij. & iv. de la II. partie de la gramm. gén. pag. 62. Il rapporte d'abord un passage de M. du Marsais, extrait de l'article adjectif, dans lequel il assure que la concordance n'est fondée que sur l'identité physique de l'adjectif avec le substantif ; puis il discute ainsi l'opinion du grammairien philosophe.

" S'il y a des adjectifs qui marquent l'appartenance sans marquer l'identité physique, il s'ensuit que la concordance n'est pas fondée uniquement sur cette identité, comme le prétend M. du Marsais. Or dans ces expressions meus liber, Evandrius ensis, meus marque l'appartenance du livre à moi, Evandrius marque l'appartenance de l'épée à Evandre ; ces deux mots meus liber, & ces deux autres Evandrius ensis, présentent à l'esprit deux objets divers, dont l'un n'est pas l'autre ; & bien loin de désigner l'identité physique, ils indiquent au contraire une vraie diversité physique. Meus liber équivaut à liber mei, , le livre de moi ; Evandrius ensis équivaut à ensis Evandri, l'épée d'Evandre ; par conséquent le sentiment qui fonde la concordance sur l'identité physique n'est pas exact, & M. du Marsais n'a point tant à se glorifier d'en être l'auteur ; encore s'il eût dit que la concordance est fondée sur l'identité physique ou métaphysique, il auroit rendu ce sentiment probable : ce n'est pas moi qui suis une même chose avec mon livre, c'est la qualité d'être à moi, c'est la propriété de m'appartenir qui est une même chose avec mon livre ; de même ce n'est pas Evandre qui est une même chose avec son épée, mais c'est la qualité d'être à Evandre. On peut soutenir qu'il y a rapport d'identité métaphysique entre la qualité d'appartenir & la chose appartenante ; mais on ne prouvera jamais, ce me semble, qu'il puisse s'y trouver un rapport d'identité physique, puisque l'appartenance n'est qu'une qualité métaphysique ".

La doctrine de M. Fromant sur l'identité n'est point équivoque, mais elle confond positivement la nature des choses. L'identité ne suppose pas deux choses différentes, il n'y auroit plus d'identité ; elle suppose seulement deux aspects d'un même objet : or une substance & un mode sont des choses si différentes, que nous en avons nécessairement des idées toutes différentes, & conséquemment il ne peut jamais y avoir d'identité, sous quelque dénomination que ce soit, entre une substance & un mode.

L'identité qui fonde la concordance est donc l'identité du sujet, présenté d'une maniere vague & indéfinie dans les adjectifs & dans les verbes, & d'une maniere précise & déterminée dans les noms & dans les pronoms. Ces deux mots, pour me servir du même exemple, meus liber, ne présentent pas à l'esprit deux objets divers ; meus exprime un être quelconque qualifié par la propriété de m'appartenir, & liber exprime un être déterminé qui a cette propriété : la concordance de meus avec liber, indique que le sujet actuel de la qualification exprimée par l'adjectif meus, est l'être particulier déterminé par le nom liber : meus, par lui-même, exprime un sujet quelconque ainsi qualifié ; mais dans le cas présent, il est appliqué au sujet particulier liber ; & dans un autre, il pourroit être appliqué à un autre sujet, en vertu même de son indétermination. La concordance indique donc l'application du sens vague d'une espece au sens précis de l'autre ; & l'identité, si j'ose le dire, très-physique du sujet énoncé par les deux especes de mots, sous des aspects différens.

Peut-être y a-t-il en effet peu d'exactitude à dire, l'identité physique de l'adjectif avec le substantif, comme a fait M. du Marsais, parce que l'adjectif & le substantif sont des mots absolument différens, & qui ne peuvent jamais être un même & unique mot : l'identité n'appartient pas aux différens signes d'un même objet, mais à l'objet désigné par différens signes. Il me semble pourtant que l'on pourroit regarder l'expression de M. du Marsais comme un abrégé de celle que la justesse métaphysique paroît exiger ; mais quand cela ne seroit point, ne faut-il donc avoir aucune indulgence pour la premiere exposition d'un principe véritablement utile & lumineux ? Et un petit défaut d'exactitude peut-il empêcher que M. du Marsais n'ait à se glorifier beaucoup d'être l'auteur de ce principe ? M. Fromant lui-même ne doit guere se glorifier d'en avoir fait une censure si peu mesurée & si peu juste ; je dis, si peu juste, car il est évident que c'est pour avoir mal compris le vrai sens du principe de l'identité, qu'il est tombé dans l'inconséquence qui a été remarquée en un autre lieu. Voyez GENRE. Art. de M. BEAUZEE.


IDESLES, s. f. plur. (Calendrier romain) idus, uum, ce terme étoit d'usage chez les Romains pour compter & distinguer certains jours du mois ; on se sert encore de cette méthode dans la chancellerie romaine, & dans le calendrier du breviaire.

Les ides venoient le treizieme jour de chaque mois, excepté dans les mois de Mars, de Mai, de Juillet & d'Octobre, où elles tomboient le quinzieme, parce que ces quatre mois avoient six jours devant les nones, & les autres en avoient seulement quatre.

On donnoit huit jours aux ides ; ainsi le huitieme dans les mois de Mars, Mai, Juillet & Octobre, & le sixieme dans les huit autres, on comptoit le huitieme avant les ides, & de même en diminuant jusqu'au douze ou au quatorze, qu'on appelloit la veille des ides, parce que les ides venoient le treize ou le quinze, selon les différens mois.

Ceux qui veulent employer cette maniere de dater, doivent encore savoir que les ides commencent le lendemain du jour des nones, & se ressouvenir qu'elles durent huit jours : or les nones de Janvier étant le cinquieme dudit mois, on datera le sixieme de Janvier, octavo idus Januarii, huit jours avant les ides de Janvier ; l'onzieme Janvier se datera tertio idus, le troisieme jour avant les ides ; & le treizieme idibus Januarii, le jour des ides de Janvier ; si c'est dans les mois de Mars, de Mai, de Juillet & d'Octobre, où le jour des nones n'est que le sept, on ne commence à compter avant les ides que le huitieme jour de ces quatre mois, à cause que celui des ides n'est que le quinze.

Pour trouver aisément le jour qui marque les dates des ides dont se sert la chancellerie romaine, comme nous l'avons dit ci-dessus, il faut compter combien il y a de jours depuis la date jusqu'au treize, ou au quinze du mois que tombent les ides, selon le nom du mois, en y ajoutant une unité, & l'on aura le jour de la date. Par exemple, si la lettre est datée quinto idus Januarii, c'est-à-dire le cinquieme jour avant les ides de Janvier, joignez une unité au treize, qui est le jour des ides de ce mois, vous aurez quatorze, ôtez-en cinq, il restera neuf ; ainsi le cinquieme avant les ides est le neuf de Janvier. Si la lettre est datée quinto idus Julii, qui est un mois où le jour des ides tombe le quinze, joignez une unité à quinze, vous aurez seize ; ôtez-en cinq, il reste onze ; ainsi le cinquieme avant les ides de Juillet, c'est le onzieme dudit mois.

On observera la même méthode quand on voudra employer cette sorte de date ; par exemple, si j'écris le neuf Juillet, depuis le neuf jusqu'à seize il y a sept jours ; ainsi je date septimo idus Julii, le septieme jour avant les ides de Juillet. Voyez Antoine Aubriot, Principes de compter les kalendes, ides & nones.

Le mot ides vient du latin idus, que plusieurs dérivent de l'ancien toscan iduare, qui signifioit diviser, parce que les ides partageoient les mois en deux parties presqu'égales. D'autres tirent ce mot d'idulium, qui étoit le nom de la victime qu'on offroit à Jupiter le jour des ides ; mais peut-être aussi qu'on a donné à la victime le nom du jour qu'elle étoit immolée. Quoi qu'il en soit, la raison pour laquelle chaque mois à huit ides, c'est que le sacrifice se faisoit toûjours neuf jours après les nones, le jour des nones étant compris dans le nombre de neuf.

Enfin, pour obmettre peu de chose en littérature sur ce sujet, nous ajouterons que les ides de Mai étoient consacrées à Mercure ; les ides de Mars passerent pour un jour malheureux, dans l'idée des partisans de la tyrannie, depuis que César eut été tué ce jour-là ; le tems d'après les ides de Juin étoit réputé favorable aux noces. Les ides d'Août étoient consacrées à Diane, & les esclaves les chommoient aussi comme une fête. Aux ides de Septembre on prenoit les augures pour faire les magistrats, qui entroient en charge autrefois aux ides de Mai, & puis aux ides de Mars, qui furent transportées finalement aux ides de Septembre. (D.J.)


IDIOCRASES. f. (Méd.) on entend par ce mot la nature, l'espece, le caractere, la disposition, le tempérament propre d'une chose, d'une substance animale, minérale ou végétale.


IDIOMES. f. (Gram.) variétés d'une langue propres à quelques contrées ; d'où l'on voit qu'idiome est synonyme à dialecte ; ainsi nous avons l'idiome gascon, l'idiome provençal, l'idiome champenois : on lui donne quelquefois la même étendue qu'à langue. Servez-vous de l'idiome que vous aimerez le mieux, je vous répondrai.


IDIOMELES. m. (Théolog.) certains versets qui ne sont point tirés de l'Ecriture-sainte, & qu'on chante sur un ton particulier dans l'office divin suivant le rit grec. Le mot idiomele vient de , propre, particulier, & de , chant.


IDIOPATHIES. f. (Méd.) , proprius affectus : c'est un terme de Pathologie, employé pour distinguer la maladie qui affecte une partie quelconque, qui ne dépend pas du vice d'une autre partie, parce que la cause physique de cette affection a son siége là où se manifeste la lésion des fonctions.

Ainsi l'apoplexie est idiopathique lorsqu'elle dépend d'une hémorrhagie, d'un épanchement de sang qui se forme dans les ventricules du cerveau.

La pleurésie est une maladie idiopathique, lorsqu'elle a commencé par un engorgement inflammatoire dans la plevre même.

On entend ordinairement par idiopathie la même chose que par protopathie, primarius affectus, & on attache à ces deux termes un sens opposé à ceux de sympathie & de deutéropathie. Voyez MALADIE, SYMPATHIE.


IDIOPATHIQUE(Patholog.) , mot dérivé du grec ; il est formé de , qui signifie propre, & , passion, affection, maladie ; c'est comme si on disoit maladie propre ; son sens est parfaitement conforme à son étymologie ; on l'ajoute comme épithete aux maladies dont la cause est propre à la partie où l'on observe le principal symptome. Il ne faut qu'un exemple pour éclaircir ceci ; on appelle une phrénésie idiopathique lorsque la cause, le dérangement qui excite la phrénésie, est dans le cerveau ; ces maladies sont par-là opposées à celles qu'on nomme sympathiques, qui sont entraînées par une espece de sympathie de rapport qu'il y a entre les différentes parties ; ainsi un délire phrénétique occasionné par la douleur vive d'un panaris, par l'inflammation du diaphragme, est censé sympathique ; l'affection se communique dans ce dernier cas par les nerfs ; on voit par-là qu'idiopathique ne doit point être confondu avec essentiel, & qu'il n'est point opposé à symptomatique, la même maladie pouvant être en même-tems symptomatique & idiopathique. Article de M. MENURET.


IDIOSYNCRASES. f. (Médec.) particularité de tempérament ; , mot composé de , propre, , avec, & , mêlange.

Comme il paroît que chaque homme a sa santé propre, & que tous les corps different entr'eux, tant dans les solides que dans les fluides, quoiqu'ils soient sains chacun ; on a nommé cette constitution de chaque corps, qui le fait différer des autres corps aussi sains, idiosyncrase, & les vices qui en dépendent passoient quelquefois pour incurables, parce qu'on pensoit qu'ils existoient dès les premiers instans de la formation de ce corps ; mais nous ne pouvons point attribuer toûjours à une disposition innée, ces maladies des vaisseaux & des visceres trop débiles.

Une fille de qualité élevée dans le luxe, la mollesse & le repos, a le corps foible & languissant ; une paysanne en venant au monde, semblable à cette fille de condition, s'accoutume au travail dès sa plus tendre jeunesse, devient forte & vigoureuse ; la débilité de la premiere, & les maladies qui en résultent, sont donc prises mal-à-propos pour des maladies innées, car on ne sauroit croire quels changemens on peut produire dès l'enfance dans ce qu'on appelle d'ordinaire tempérament particulier ; cependant quand cette idiosyncrase existe, il faut y avoir un grand égard dans l'usage des remedes, sans quoi l'on risque de mettre la vie du malade en danger. Hippocrate en a fait l'observation, confirmée par l'expérience de tous les tems & de tous les lieux. (D.J.)


IDIOTadj. (Gramm.) il se dit de celui en qui un défaut naturel dans les organes qui servent aux opérations de l'entendement est si grand, qu'il est incapable de combiner aucune idée, ensorte que sa condition paroît à cet égard plus bornée que celle de la bête. La différence de l'idiot & de l'imbécille consiste, ce me semble, en ce qu'on naît idiot, & qu'on devient imbécille. Le mot idiot vient de , qui signifie homme particulier, qui s'est renfermé dans une vie retirée, loin des affaires du gouvernement ; c'est-à-dire celui que nous appellerions aujourd'hui un sage. Il y a eu un célebre mystique qui prit par modestie la qualité d'idiot, qui lui convenoit beaucoup plus qu'il ne pensoit.


IDIOTISMEsubst. masc. (Gramm.) c'est une façon de parler éloignée des usages ordinaires, ou des lois générales du langage, adaptée au génie propre d'une langue particuliere. R. , peculiaris, propre, particulier. C'est un terme général dont on peut faire usage à l'égard de toutes les langues ; un idiotisme grec, latin, françois, &c. C'est le seul terme que l'on puisse employer dans bien des occasions ; nous ne pouvons dire qu'idiotisme espagnol, portugais, turc, &c. Mais à l'égard de plusieurs langues, nous avons des mots spécifiques subordonnés à celui d'idiotisme, & nous disons anglicisme, arabisme, celticisme, gallicisme, germanisme, hébraïsme, hellénisme, latinisme, &c.

Quand je dis qu'un idiotisme est une façon de parler adaptée au génie propre d'une langue particuliere, c'est pour faire comprendre que c'est plutôt un effet marqué du génie caractéristique de cette langue, qu'une locution incommunicable à tout autre idiome, comme on a coutume de le faire entendre. Les richesses d'une langue peuvent passer aisément dans une autre qui a avec elle quelque affinité ; & toutes les langues en ont plus ou moins, selon les différens degrés de liaison qu'il y a ou qu'il y a eu entre les peuples qui les parlent ou qui les ont parlées. Si l'italien, l'espagnol & le françois sont entés sur une même langue originelle, ces trois langues auront apparemment chacune à part leurs idiotismes particuliers, parce que ce sont des langues différentes ; mais il est difficile qu'elles n'aient adopté toutes trois quelques idiotismes de la langue qui sera leur source commune, & il ne seroit pas étonnant de trouver dans toutes trois des celticismes. Il ne seroit pas plus merveilleux de trouver des idiotismes de l'une des trois dans l'autre, à cause des liaisons de voisinage, d'intérêts politiques, de commerce, de religion, qui subsistent depuis long-tems entre les peuples qui les parlent ; comme on n'est pas surpris de rencontrer des arabismes dans l'espagnol, quand on sait l'histoire de la longue domination des Arabes en Espagne. Personne n'ignore que les meilleurs auteurs de la latinité sont pleins d'hellénismes : & si tous les littérateurs conviennent qu'il est plus facile de traduire du grec que du latin en françois, c'est que le génie de notre langue approche plus de celui de la langue greque que de celui de la langue latine, & que notre langage est presque un hellénisme continuel.

Mais une preuve remarquable de la communicabilité des langues qui paroissent avoir entr'elles le moins d'affinité, c'est qu'en françois même nous hébraïsons. C'est un hébraïsme connu que la répétition d'un adjectif ou d'un adverbe, que l'on veut élever au sens que l'on nomme communément superlatif. Voyez AMEN & SUPERLATIF. Et le superlatif le plus énergique se marquoit en hébreu par la triple répétition du mot : de là le triple kirie eleison que nous chantons dans nos églises, pour donner plus de force à notre invocation ; & le triple sanctus pour mieux peindre la profonde adoration des esprits célestes. Or il est vraisemblable que notre très, formé du latin tres, n'a été introduit dans notre langue, que comme le symbole de cette triple répétition, très-saint, ter sanctus, ou sanctus, sanctus, sanctus : & notre usage de lier très au mot positif par un tiret, est fondé sans-doute sur l'intention de faire sentir que cette addition est purement matérielle, qu'elle n'empêche pas l'unité du mot, mais qu'il doit être répété trois fois, ou du-moins qu'il faut y attacher le sens qu'il auroit s'il étoit répété trois fois ; & en effet les adverbes bien & fort qui expriment par eux-mêmes le sens superlatif dont il s'agit, ne sont jamais liés de même au mot positif auquel on les joint pour le lui communiquer. On rencontre dans le langage populaire des hébraïsmes d'une autre espece : un homme de Dieu, du vin de Dieu, une moisson de Dieu, pour dire un très-honnête homme, du vin très-bon, une moisson très-abondante ; ou, en rendant par-tout le même sens par le même tour, un homme parfait, du vin parfait, une moisson parfaite : les Hébreux indiquant la perfection par le nom de Dieu, qui est le modele & la source de toute perfection. C'est cette espece d'hébraïsme qui se trouve au Ps. 35. v. 7. justitia tua sicut montes Dei, pour sicut montes altissimi ; & au Ps. 64. v. 10. flumen Dei, pour flumen maximum.

Malgré les hellénismes reconnus dans le latin, on a cru assez légérement que les idiotismes étoient des locutions propres & incommunicables, & en conséquence on a pris & donné des idées fausses ou louches ; & bien des gens croient encore qu'on ne désigne par ce nom général, ou par quelqu'un des noms spécifiques qui y sont analogues, que des locutions vicieuses imitées mal-adroitement de quelqu'autre langue. Voyez GALLICISME. C'est une erreur que je crois suffisamment détruite par les observations que je viens de mettre sous les yeux du lecteur : je passe à une autre qui est encore plus universelle, & qui n'est pas moins contraire à la véritable notion des idiotismes.

On donne communément à entendre que ce sont des manieres de parler contraires aux lois de la Grammaire générale. Il y a en effet des idiotismes qui sont dans ce cas ; & comme ils sont par-là même les plus frappans & les plus aisés à distinguer, on a cru aisément que cette opposition aux lois immuables de la Grammaire, faisoit la nature commune de tous. Mais il y a encore une autre espece d'idiotismes qui sont des façons de parler éloignées seulement des usages ordinaires, mais qui ont avec les principes fondamentaux de la Grammaire générale toute la conformité exigible. On peut donner à ceux-ci le nom d'idiotismes réguliers, parce que les regles immuables de la parole y sont suivies, & qu'il n'y a de violé que les institutions arbitraires & usuelles : les autres au contraire prendront la dénomination d'idiotismes irréguliers, parce que les regles immuables de la parole y sont violées. Ces deux especes sont comprises dans la définition que j'ai donnée d'abord ; & je vais bientôt les rendre sensibles par des exemples ; mais en y appliquant les principes qu'il convient de suivre pour en pénétrer le sens, & pour y découvrir, s'il est possible, les caracteres du génie propre de la langue qui les a introduits.

I. Les idiotismes réguliers n'ont besoin d'aucune autre attention, que d'être expliqués littéralement pour être ramenés ensuite au tour de la langue naturelle que l'on parle.

Je trouve par exemple que les Allemands disent, diese gelehrten männer, comme en latin, hi docti viri, ou en françois, ces savans hommes ; & l'adjectif gelehrten s'accorde en toutes manieres avec le nom männer, comme l'adjectif latin docti avec le nom viri, ou l'adjectif françois savans avec le nom hommes ; ainsi les Allemands observent en cela, & les lois générales & les usages communs. Mais ils disent, diese männer sind gelehrt ; & pour le rendre littéralement en latin, il faut dire hi viri sunt doctè, & en françois, ces hommes sont savamment, ce qui veut dire indubitablement ces hommes sont savans : gelehrt est donc un adverbe, & l'on doit reconnoître ici que les Allemands s'écartent des usages communs, qui donnent la préférence à l'adjectif en pareil cas. On voit donc en quoi consiste le germanisme lorsqu'il s'agit d'exprimer un attribut ; mais quelle peut être la cause de cet idiotisme ? le verbe exprime l'existence d'un sujet sous un attribut. Voyez VERBE. L'attribut n'est qu'une maniere particuliere d'être ; & c'est aux adverbes à exprimer simplement les manieres d'être, & conséquemment les attributs : voilà le génie allemand. Mais comment pourra-t-on concilier ce raisonnement avec l'usage presque universel, d'exprimer l'attribut par un adjectif mis en concordance avec le sujet du verbe ? Je réponds qu'il n'y a peut-être entre la maniere commune & la maniere allemande d'autre différence que celle qu'il y auroit entre deux tableaux, où l'on auroit saisi deux momens différens d'une même action : le germanisme saisit l'instant qui précede immédiatement l'acte de juger, où l'esprit considere encore l'attribut d'une maniere vague & sans application au sujet : la phrase commune présente le sujet tel qu'il paroît à l'esprit après le jugement, & lorsqu'il n'y a plus d'abstraction. L'Allemand doit donc exprimer l'attribut avec les apparences de l'indépendance ; & c'est ce qu'il fait par l'adverbe qui n'a aucune terminaison dont la concordance puisse en désigner l'application à quelque sujet déterminé. Les autres langues doivent exprimer l'attribut avec les caracteres de l'application ; ce qui est rempli par la concordance de l'adjectif attributif avec le sujet. Mais peut-être faut-il sous-entendre alors le nom avant l'adjectif, & dire que hi viri sunt docti, c'est la même chose que hi viri sunt viri docti ; & que ego sum miser, c'est la même chose que ego sum homo miser : en effet la concordance de l'adjectif avec le nom, & l'identité du sujet exprimé par les deux especes, ne s'entendent clairement & d'une maniere satisfaisante, que dans le cas de l'apposition ; & l'apposition ne peut avoir lieu ici qu'au moyen de l'ellipse. Je tirerois de tout ceci une conclusion surprenante : la phrase allemande est donc un idiotisme régulier, & la phrase commune un idiotisme irrégulier.

Voici un latinisme régulier dont le développement peut encore amener des vues utiles : neminem reperire est id qui velit. Il y a là quatre mots qui n'ont rien d'embarrassant : qui velit id (qui veuille cela) est une proposition incidente déterminative de l'antécédent neminem ; neminem (ne personne) est le complément ou le régime objectif grammatical du verbe reperire ; neminem qui velit id (ne trouver personne qui veuille cela) ; c'est une construction exacte & réguliere. Mais que faire du mot est ? il est à la troisieme personne du singulier ; quel en est le sujet ? comment pourra-t-on lier à ce mot l'infinitif reperire avec ses dépendances ? Consultons d'autres phrases plus claires dont la solution puisse nous diriger.

On trouve dans Horace (III. Od. 2.) dulce & decorum est pro patriâ mori ; & encore (IV. Od. 12.) dulce est desipere in loco. Or la construction est facile : mori pro patriâ est dulce & decorum ; desipere in loco est dulce : les infinitifs mori & desipere y sont traités comme des noms, & l'on peut les considérer comme tels : j'en trouve une preuve encore plus forte dans Perse, Sat. 1. scire tuum nihil est ; l'adjectif tuum mis en concordance avec scire, désigne bien que scire est considéré comme nom. Voilà la difficulté levée dans notre premiere phrase : le verbe reperire est ce que l'on appelle communément le nominatif du verbe est ; ou en termes plus justes, c'en est le sujet grammatical, qui seroit au nominatif, s'il étoit déclinable : reperire neminem qui velit id, en est donc le sujet logique. Ainsi il faut construire, reperire neminem qui velit id, est ; ce qui signifie littéralement, ne trouver personne qui le veuille, est ou existe ; ou en transposant la négation, trouver quelqu'un qui le veuille, n'est pas ou n'existe pas ; ou enfin, en ramenant la même pensée à notre maniere de l'énoncer, on ne trouve personne qui le veuille.

C'est la même syntaxe & la même construction par-tout où l'on trouve un infinitif employé comme sujet du verbe sum, lorsque ce verbe a le sens adjectif, c'est-à-dire lorsqu'il n'est pas simplement verbe substantif, mais qu'il renferme encore l'idée de l'existence réelle comme attribut, & conséquemment qu'il est équivalent à existo. Ce n'est que dans ce cas qu'il y a latinisme ; car il n'y a rien de si commun dans la plûpart des langues, que de voir l'infinitif sujet du verbe substantif, quand on exprime ensuite un attribut déterminé : ainsi dit-on en latin turpe est mentiri, & en françois, mentir est une chose honteuse. Mais nous ne pouvons pas dire voir est pour on voit, voir étoit pour on voyoit, voir sera, pour on verra, comme les Latins disent videre est, videre erat, videre erit. L'infinitif considéré comme nom, sert aussi à expliquer une autre espece de latinisme qu'il me semble qu'on n'a pas encore entendu comme il faut, & à l'explication duquel les rudimens ont substitué les difficultés ridicules & insolubles du redoutable que retranché. Voyez INFINITIF.

II. Pour ce qui regarde les idiotismes irréguliers, il faut, pour en pénétrer le sens, discerner avec soin l'espece d'écart qui les détermine, & remonter, s'il est possible, jusqu'à la cause qui a occasionné ou pû occasionner cet écart : c'est même le seul moyen qu'il y ait de reconnoître les caracteres précis du génie propre d'une langue, puisque ce génie ne consiste que dans la réunion des vues qu'il s'est proposées, & des moyens qu'il a autorisés.

Pour discerner exactement l'espece d'écart qui détermine un idiotisme irrégulier, il faut se rappeller ce que l'on a dit au mot GRAMMAIRE, que toutes les regles fondamentales de cette science se réduisent à deux chefs principaux, qui sont la Lexicologie & la Syntaxe. La Lexicologie a pour objet tout ce qui concerne la connoissance des mots considérés en soi & hors de l'élocution : ainsi dans chaque langue, le vocabulaire est comme l'inventaire des sujets de son domaine ; & son principal office est de bien fixer le sens propre de chacun des mots autorisés dans cet idiome. La Syntaxe a pour objet tout ce qui concerne le concours des mots réunis dans l'ensemble de l'élocution ; & ses décisions se rapportent dans toutes les langues à trois points généraux, qui sont la concordance, le régime & la construction.

Si l'usage particulier d'une langue autorise l'altération du sens propre de quelques mots, & la substitution d'un sens étranger, c'est alors une figure de mots que l'on appelle trope. Voyez ce mot.

Si l'usage autorise une locution contraire aux lois générales de la Syntaxe, c'est alors une figure que l'on nomme ordinairement figure de construction, mais que j'aimerois mieux que l'on designât par la dénomination plus générale de figure de Syntaxe, en réservant le nom de figure de construction aux seules locutions qui s'écartent des regles de la construction proprement dite. Voyez FIGURE & CONSTRUCTION. Voilà deux especes d'écart que l'on peut observer dans les idiotismes irréguliers.

1°. Lorsqu'un trope est tellement dans le génie d'une langue, qu'il ne peut être rendu littéralement dans une autre, ou qu'y étant rendu littéralement il y exprime un tout autre sens, c'est un idiotisme de la langue originale qui l'a adopté ; & cet idiotisme est irrégulier, parce que le sens propre des mots y est abandonné ; ce qui est contraire à la premiere institution des mots. Ainsi le superstitieux euphémisme, qui dans la langue latine a donné le sens de sacrifier au verbe mactare, quoique ce mot signifie dans son étymologie augmenter davantage (magis auctare) ; cet euphémisme, dis-je, est tellement propre au génie de cette langue, que la traduction littérale que l'on en feroit dans une autre, ne pourroit jamais y faire naître l'idée de sacrifice. Voyez EUPHEMISME.

C'est pareillement un trope qui a introduit dans notre langue ces idiotismes déjà remarqués au mot GALLICISME, dans lesquels on emploie les deux verbes venir & aller, pour exprimer par l'un des prétérits prochains, & par l'autre des futurs prochains (voyez TEMS) ; comme quand on dit, je viens de lire, je venois de lire, pour j'ai ou j'avois lû depuis peu de tems ; je vais lire, j'allois lire, pour je dois, ou je devois lire dans peu de tems. Les deux verbes auxiliaires venir & aller perdent alors leur signification originelle, & ne marquent plus le transport d'un lieu en un autre ; ils ne servent plus qu'à marquer la proximité de l'antériorité ou de la postériorité ; & nos phrases rendues littéralement dans quelqu'autre langue, ou n'y signifieroient rien, ou y signifieroient autre chose que parmi nous. C'est une catachrese introduite par la nécessité (voyez CATACHRESE), & fondée néanmoins sur quelque analogie entre le sens propre & le sens figuré. Le verbe venir, par exemple, suppose une existence antérieure dans le lieu d'où l'on vient ; & dans le moment qu'on en vient, il n'y a pas long-tems qu'on y étoit : voilà précisément la raison du choix de ce verbe, pour servir à l'expression des prétérits prochains. Pareillement le verbe aller indique la postériorité d'existence dans le lieu où l'on va ; & dans le tems qu'on y va, on est dans l'intention d'y être bientôt : voilà encore la justification de la préférence donnée à ce verbe, pour désigner les futurs prochains. Mais il n'en demeure pas moins vrai que ces verbes, devenus auxiliaires, perdent réellement leur signification primitive & fondamentale, & qu'ils n'en retiennent que des idées accessoires & éloignées.

2°. Ce que l'on vient de dire des tropes, est également vrai des figures de Syntaxe : telle figure est un idiotisme irrégulier, parce qu'elle ne peut être rendue littéralement dans une autre langue, ou que la version littérale qui en seroit faite, y auroit un autre sens. Ainsi l'usage où nous sommes, dans la langue françoise, d'employer l'adjectif possessif masculin, mon, ton, son, avant un nom féminin qui commence par une voyelle ou par une h muette, est un idiotisme irrégulier de notre langue, un gallicisme ; parce que l'imitation littérale de cette figure dans une autre langue n'y seroit qu'un solécisme. Nous disons mon ame, & l'on ne diroit pas meus anima ; ton opinion, & l'on ne peut pas dire tuus opinio : c'est que les Latins avoient pour éviter l'hiatus occasionné par le concours des voyelles, des moyens qui nous sont interdits par la constitution de notre langue, & dont il étoit plus raisonnable de faire usage ; que de violer une loi aussi essentielle que celle de la concordance que nous transgressons : ils pouvoient dire anima mea, opinio tua ; & nous ne pouvons pas imiter ce tour, & dire ame ma, opinion ta. Notre langue sacrifie donc ici un principe raisonnable aux agrémens de l'euphonie (voyez EUPHONIE), conformément à la remarque sensée de Cicéron, Orat. n. 47 : impetratum est à consuetudine ut peccare, suavitatis causâ, liceret.

Voici une ellipse qui est devenue une locution propre à notre langue, un gallicisme, parce que l'usage en a prévalu au point qu'il n'est plus permis de suivre en pareil cas la Syntaxe pleine : il ne laisse pas d'agir, notre langue ne laisse pas de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas d'abandonner la vertu en la louant, c'est-à-dire il ne laisse pas le soin d'agir, notre langue ne laisse pas la faculté de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas la foiblesse d'abandonner la vertu en la louant. Nous préférons dans ces phrases le mérite de la briéveté à une locution pleine, qui sans avoir plus de clarté, auroit le désagrément inséparable des longueurs superflues.

S'il est facile de ramener à un nombre fixe de chefs principaux les écarts qui déterminent les différens idiotismes, il n'en est pas de même de vues particulieres qui peuvent y influer : la variété de ces causes est trop grande, l'influence en est trop délicate, la complication en est quelquefois trop embarrassante pour pouvoir établir à ce sujet quelque chose de bien certain. Mais il n'en est pas moins constant qu'elles tiennent toutes, plus ou moins, au génie des diverses langues, qu'elles en sont des émanations, & qu'elles peuvent en devenir des indices. " Il en est des peuples entiers comme d'un homme particulier, dit du Tremblay, traité des langues, chap. 22 ; leur langage est la vive expression de leurs moeurs, de leur génie & de leurs inclinations ; & il ne faudroit que bien examiner ce langage pour pénétrer toutes les pensées de leur ame & tous les mouvemens de leur coeur. Chaque langue doit donc nécessairement tenir des perfections & des défauts du peuple qui la parle. Elles auront chacune en particulier, disoit-il un peu plus haut, quelque perfection qui ne se trouvera pas dans les autres, parce qu'elles tiennent toutes des moeurs & du génie des peuples qui les parlent : elles auront chacune des termes & des façons de parler qui leur seront propres, & qui seront comme le caractere de ce génie ". On reconnoît en effet le flegme oriental dans la répétition de l'adjectif ou de l'adverbe ; amen, amen ; sanctus, sanctus, sanctus : la vivacité françoise n'a pû s'en accommoder, & très-saint est bien plus à son gré que saint, saint, saint.

Mais si l'on veut démêler dans les idiotismes réguliers ou irréguliers, ce que le génie particulier de la langue peut y avoir contribué, la premiere chose essentielle qu'il y ait à faire, c'est de s'assurer d'une bonne interprétation littérale. Elle suppose deux choses ; la traduction rigoureuse de chaque mot par sa signification propre, & la réduction de toute la phrase à la plénitude de la construction analytique, qui seule peut remplir les vuides de l'ellipse, corriger les rédondances du pléonasme, redresser les écarts de l'inversion, & faire rentrer tout dans le système invariable de la Grammaire générale.

" Je sais bien, dit M. du Marsais, Meth. pour apprendre la langue latine, pag. 14, que cette traduction littérale fait d'abord de la peine à ceux qui n'en connoissent point le motif ; ils ne voyent pas que le but que l'on se propose dans cette maniere de traduire, n'est que de montrer comment on parloit latin ; ce qui ne peut se faire qu'en expliquant chaque mot latin par le mot françois qui lui répond.

Dans les premieres années de notre enfance, nous lions certaines idées à certaines impressions ; l'habitude confirme cette liaison. Les esprits animaux prennent une route déterminée pour chaque idée particuliere ; de sorte que lorsqu'on veut dans la suite exciter la même idée d'une maniere différente, on cause dans le cerveau un mouvement contraire à celui auquel il est accoutumé, & ce mouvement excite ou de la surprise ou de la risée, & quelquefois même de la douleur : c'est pourquoi chaque peuple différent trouve extraordinaire l'habillement ou le langage d'un autre peuple. On rit à Florence de la maniere dont un François prononce le latin ou l'italien, & l'on se moque à Paris de la prononciation du Florentin. De même la plûpart de ceux qui entendent traduire pater ejus, le pere de lui, au lieu de son pere, sont d'abord portés à se moquer de la traduction.

Cependant comme la maniere la plus courte pour faire entendre la façon de s'habiller des étrangers, c'est de faire voir leurs habits tels qu'ils sont, & non pas d'habiller un étranger à la françoise ; de même la meilleure méthode pour apprendre les langues étrangeres, c'est de s'instruire du tour original, ce qu'on ne peut faire que par la traduction littérale.

Au reste il n'y a pas lieu de craindre que cette façon d'expliquer apprenne à mal parler françois.

1°. Plus on a l'esprit juste & net, mieux on écrit & mieux on parle : or il n'y a rien qui soit plus propre à donner aux jeunes gens de la netteté & de la justesse d'esprit, que de les exercer à la traduction littérale, parce qu'elle oblige à la précision, à la propriété des termes, & à une certaine exactitude qui empêche l'esprit de s'égarer à des idées étrangeres. "

2°. La traduction littérale fait sentir la différence des deux langues. Plus le tour latin est éloigné du tour françois, moins on doit craindre qu'on l'imite dans le discours. Elle fait connoître le génie de la langue latine ; ensuite l'usage, mieux que le maître, apprend le tour de la langue françoise. Article de M. de Beauzée.


IDOLATRIES. f. (Philos. & Théolog.) l'idolâtrie proprement dite differe de l'adoration légitime dans son objet. C'est un acte de l'esprit qui met finalement toute sa confiance dans un faux dieu, quel que soit au-dehors le signe toujours équivoque de cette vénération intérieure. L'idolâtrie peut en effet se rencontrer avec un vrai culte extérieur, au lieu que la superstition renferme tout faux culte qui se rend au vrai Dieu directement ou indirectement. L'une se méprend dans son objet, & l'autre dans la maniere du culte.

L'idée que les hommes se font de Dieu est plus ou moins conforme à son original ; elle est différente dans ceux-là mêmes qu'on ne sauroit appeller idolâtres. Enfin elle peut tellement changer & se défigurer peu-à-peu, que la divinité ne voudra plus s'y reconnoître, ou bien, ce qui est la même chose, l'objet du culte ne sera plus le vrai Dieu. Jusqu'à quel point faut-il donc avoir une assez juste idée de l'être suprême, pour n'être pas idolâtre, & pour être encore son adorateur ? C'est ainsi que par degrés insensibles, comme par des nuances qui vont imperceptiblement du blanc au noir, on seroit réduit à ne pouvoir dire précisément où commence le faux dieu.

La difficulté vient en partie du nom, qui voudroit limiter la chose. Faux dieu, dans le langage ordinaire, est un terme qui tranche, qui réveille l'idée, quoique confuse, d'un être à part & distingué de tout autre. A parler philosophiquement, ce ne seroit qu'une idée plus ou moins difforme de la divinité elle-même, qu'aucun adorateur ne peut se vanter de connoître parfaitement. L'idée qu'ils en ont tous, quelque différente qu'elle soit, n'est au fond que plus ou moins défectueuse ; & plus elle approche de la ressemblance ou de la perfection, plus son objet s'attire de vénération & de solide confiance. L'idolâtre seroit donc un adorateur plus ou moins imparfait, selon le degré d'imperfection dans l'idée qu'il se forme de la divinité. Il ne s'agiroit plus, pour assigner à chacun sa place, que d'estimer ce degré d'imperfection à mesure qu'il affoiblit la vénération ou la confiance, & de le qualifier, si l'on veut, d'un nom particulier, sans recourir aux deux classes générales ou cathégories d'adorateurs & d'idolâtres, qui souvent mettent trop de différence entre les personnes. D'ailleurs ces termes ont acquis une force qu'ils n'avoient pas d'abord. Aujourd'hui c'est une flétrissure que d'avoir le nom d'idolâtre, & une espece d'absolution pour celui qui ne l'a pas.

Mais si l'usage le veut ainsi, il faudroit du-moins être fort réservé dans l'accusation d'idolâtrie, & ne prononcer qu'avec l'Ecriture, dont la doctrine bien entendue semble revenir à ceci. Quand l'idée est corrompue à ce point, que l'honneur de l'être suprême & ses relations essentielles avec les hommes ne lui permettent plus de s'y reconnoître, ni d'accepter par conséquent l'hommage rendu sous cette même idée, elle prend dès-lors le nom de faux dieu, & son adorateur celui d'idolâtre.

A faire sur ce pié-là une courte revue des cas proposés, on seroit idolâtre, quand même on croiroit un seul Dieu créateur, mais cruel & méchant, caractere incompatible avec notre estime & notre confiance ; tel étoit à-peu-près le Moloc, à qui l'on sacrifioit des victimes humaines, & avec lequel le Jehova ne veut rien avoir de commun ; ainsi qu'un honnête homme à qui l'on feroit un présent dans la vue de le gagner, comme un esprit dangereux, & qui diroit aussi-tôt : vous me prenez pour un autre.

Au contraire, l'on ne seroit pas idolâtre, si l'on croyoit un être très-bon & très-parfait, mais d'une puissance que l'on ne concevroit pas aller jusqu'à celle de créer. Il seroit toujours un digne objet de la plus profonde vénération, & il auroit encore assez de pouvoir pour s'attirer notre confiance, même dans la supposition d'un monde éternel.

L'antropomorphite chrétien conçoit sous une figure humaine toutes les perfections divines ; il lui rend les vrais hommages de l'esprit & du coeur. L'antropomorphite payen la revêt au contraire de toutes les passions humaines qui diminuent la vénération & la vraie confiance d'autant de degrés qu'il y a de vices ou d'imperfections dans son Jupiter, en si grand nombre & à tel point, que la divinité ne sauroit s'y reconnoître ; mais elle daigneroit agréer l'hommage du chrétien, dont l'erreur laisse subsister tous les sentimens d'une parfaite vénération.

Encore moins une simple erreur de lieu, qui ne changeroit point l'idée en fixant son objet quelque part, pourroit-elle constituer l'idolâtrie ; mais le culte pourroit dégénérer en superstition, à-moins qu'il ne fût d'ordonnance ou de droit positif, comme d'adorer la divinité dans un buisson ardent ou bien à la présence de l'arche, pour ne rien dire d'un cas à-peu-près semblable, où l'on dispute seulement s'il est ordonné.

S'il étoit donc vrai que les Perses eussent adoré l'être tout parfait, ils ne seroient que superstitieux, pour l'avoir adoré sous l'emblême du soleil ou du feu. Et si l'on suppose encore avec l'écrit dont il s'agit, que tout faux culte qui se termine au vrai Dieu directement ou indirectement, est du ressort de la superstition, on mettroit encore au même rang cette espece de platoniciens qui rendoient à l'être tout parfait les hommages de l'esprit & du coeur, comme les seuls dignes de lui, & destinoient à des génies subalternes les génuflexions, les encensemens & tout le culte extérieur.

Il est plus aisé de juger des lettrés Chinois, des Spinosistes, & même des Stoïciens, en prenant leur opinion à toute rigueur, & la conséquence pour avouée. Ce qui n'est que pur méchanisme ou fatale nécessité, ne sauroit être & ne fut jamais un objet de vénération, ni par conséquent d'idolâtrie dans l'esprit de ceux dont je parle, qui vont tout-droit à la classe des athées. En sont-ils pires ou meilleurs ? On a fort disputé là-dessus. L'idolâtrie, pour le dire en passant, fait plus de tort à la divinité, & l'athéisme fait plus de mal à la société.

En général pour n'être point athée, il faut reconnoître à tout le moins une suprême intelligence de qui l'on dépende. Pour n'être point idolâtre, ou bien pour que la divinité se reconnoisse elle-même dans l'idée que l'on s'en fait, malgré certains traits peu ressemblans qu'elle y désavoue, il suffit que rien n'y blesse l'honneur, l'estime & la confiance qu'on lui doit. Enfin pour n'être point superstitieux, il faut que le culte extérieur soit conforme, autant qu'il se peut, à la vraie idée de Dieu & à la nature de l'homme.


IDOLEIDOLATRE, IDOLATRIE ; idole vient du grec , figure, , représentation d'une figure, , servir, révérer, adorer. Ce mot adorer est latin, & a beaucoup d'acceptions différentes ; il signifie porter la main à la bouche en parlant avec respect ; se courber, se mettre à genoux, saluer, & enfin communément rendre un culte suprême.

Il est utile de remarquer ici que le dictionnaire de Trévoux commence cet article par dire que tous les Payens étoient idolâtres, & que les Indiens sont encore des peuples idolâtres : premierement, on n'appella personne payen avant Théodose le jeune ; ce nom fut donné alors aux habitans des bourgs d'Italie, pagorum incolae pagani, qui conserverent leur ancienne religion : secondement, l'Indostan est mahométan, & les Mahométans sont les implacables ennemis des images & de l'idolatrie : troisiémement, on ne doit point appeller idolâtres beaucoup de peuples de l'Inde qui sont de l'ancienne religion des Perses, ni certaines côtes qui n'ont point d'idoles.

S'il y a jamais eu un gouvernement idolâtre. Il paroît que jamais il n'y a eu aucun peuple sur la terre qui ait pris le nom d'idolâtre. Ce mot est une injure que les Gentils, les Politéistes sembloient mériter ; mais il est bien certain que si on avoit demandé au sénat de Rome, à l'aréopage d'Athènes, à la cour des rois de Perse, êtes-vous idolâtres ? ils auroient à peine entendu cette question. Nul n'auroit répondu, nous adorons des images, des idoles. On ne trouve ce mot idolâtre, idolatrie, ni dans Homere, ni dans Hésiode, ni dans Hérodote, ni dans aucun auteur de la religion des Gentils. Il n'y a jamais eu aucun édit, aucune loi qui ordonnât qu'on adorât des idoles, qu'on les servît en dieux, qu'on les crût des dieux.

Quand les capitaines romains & carthaginois faisoient un traité, ils attestoient toutes les divinités ; c'est en leur présence, disoient-ils, que nous jurons la paix : or les statues de tous ces dieux, dont le dénombrement étoit très-long, n'étoit pas dans la tente des généraux ; ils regardoient les dieux comme présens aux actions des hommes, comme témoins, comme juges, & ce n'étoit pas assurément le simulacre qui constituoit la divinité.

De quel oeil voyoient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples ? du même oeil, s'il étoit permis de s'exprimer ainsi, que nous voyons les images des vrais objets de notre vénération. L'erreur n'étoit pas d'adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d'adorer une fausse divinité représentée par ce bois & par ce marbre. La différence entre eux & nous n'est pas qu'ils eussent des images, & que nous n'en ayons point ; qu'ils aient fait des prieres devant des images, & que nous n'en faisions point : la différence est que leurs images figuroient des êtres fantastiques dans une religion fausse, & que les nôtres figurent des êtres réels dans une religion véritable.

Quand le consul Pline adresse ses prieres aux dieux immortels, dans l'exorde du panégyrique de Trajan, ce n'est pas à des images qu'il les adresse ; ces images n'étoient pas immortelles.

Ni les derniers tems du paganisme, ni les plus reculés, n'offrent pas un seul fait qui puisse faire conclure qu'on adorât réellement une idole. Homere ne parle que des dieux qui habitent le haut olympe : le palladium, quoique tombé du ciel, n'étoit qu'un gage sacré de la protection de Pallas ; c'étoit elle qu'on adoroit dans le palladium.

Mais les Romains & les Grecs se mettoient à genoux devant des statues, leur donnoient des couronnes, de l'encens, des fleurs, les promenoient en triomphe dans les places publiques : nous avons sanctifié ces coutumes, & nous ne sommes point idolâtres.

Les femmes en tems de sécheresse portoient les statues des faux dieux après avoir jeûné. Elles marchoient piés nuds, les cheveux épars, & aussi-tôt il pleuvoit à sceaux, comme dit ironiquement Pétrone, & statim urceatim pluebat. Nous avons consacré cet usage illégitime chez les Gentils, & légitime parmi nous. Dans combien de villes ne porte-t-on pas nuds piés les châsses des saints pour obtenir les bontés de l'Etre suprême par leur intercession ?

Si un turc, un lettré chinois étoit témoin de ces cérémonies, il pourroit par ignorance nous accuser d'abord de mettre notre confiance dans les simulacres que nous promenons ainsi en procession ; mais il suffiroit d'un mot pour le détromper.

On est surpris du nombre prodigieux de déclamations débitées contre l'idolâtrie des Romains & des Grecs ; & ensuite on est plus surpris encore quand on voit qu'en effet ils n'étoient point idolâtres ; que leur loi ne leur ordonnoit point du tout de rapporter leur culte à des simulacres.

Il y avoit des temples plus privilégiés que les autres ; la grande Diane d'Ephèse avoit plus de réputation qu'une Diane de village, que dans un autre de ses temples. La statue de Jupiter Olympien attiroit plus d'offrandes que celle de Jupiter Paphlagonien. Mais puisqu'il faut toûjours opposer ici les coutumes d'une religion vraie à celles d'une religion fausse, n'avons nous pas eu depuis plusieurs siecles, plus de dévotion à certains autels qu'à d'autres ? Ne seroit-il pas ridicule de saisir ce prétexte pour nous accuser d'idolâtrie ?

On n'avoit imaginé qu'une seule Diane, un seul Apollon, & un seul Esculape ; non pas autant d'Apollons, de Dianes, & d'Esculapes, qu'ils avoient de temples & de statues ; il est donc prouvé autant qu'un point d'histoire peut l'être, que les anciens ne croyoient pas qu'une statue fût une divinité, que le culte ne pouvoit être rapporté à cette statue, à cette idole, & que par conséquent les anciens n'étoient point idolâtres.

Une populace grossiere & superstitieuse qui ne raisonnoit point, qui ne savoit ni douter, ni nier, ni croire, qui couroit aux temples par oisiveté, & parce que les petits y sont égaux aux grands ; qui portoit son offrande par coutume, qui parloit continuellement de miracles sans en avoir examiné aucun, & qui n'étoit guere au-dessus des victimes qu'elle amenoit ; cette populace, dis-je, pouvoit bien à la vûe de la grande Diane, & de Jupiter tonnant, être frappé d'une horreur religieuse, & adorer sans le savoir la statue même. C'est ce qui est arrivé quelquefois dans nos temples à nos paysans grossiers ; & on n'a pas manqué de les instruire que c'est aux bienheureux, aux immortels reçus dans le ciel, qu'ils doivent demander leur intercession, & non à des figures de bois & de pierre, & qu'ils ne doivent adorer que Dieu seul.

Les Grecs & les Romains augmenterent le nombre de leurs dieux par des apotheoses ; les Grecs divinisoient les conquérans, comme Bacchus, Hercule, Persée. Rome dressa des autels à ses empereurs. Nos apothéoses sont d'un genre bien plus sublime ; nous n'avons égard ni au rang, ni aux conquêtes. Nous avons élevé des temples à des hommes simplement vertueux qui seroient la plûpart ignorés sur la terre, s'ils n'étoient placés dans le ciel. Les apothéoses des anciens sont faites par la flatterie ; les nôtres par le respect pour la vertu. Mais ces anciennes apothéoses sont encore une preuve convaincante que les Grecs & les Romains n'étoient point idolâtres. Il est clair qu'ils n'admettoient pas plus une vertu divine dans la statue d'Auguste & de Claudius, que dans leurs médailles. Cicéron dans ses ouvrages philosophiques ne laisse pas soupçonner seulement qu'on puisse se méprendre aux statues des dieux, & les confondre avec les dieux mêmes. Ses interlocuteurs foudroient la religion établie ; mais aucun d'eux n'imagine d'accuser les Romains de prendre du marbre & de l'airain pour des divinités.

Lucrece ne reproche cette sottise à personne, lui qui reproche tout aux superstitieux : donc encore une fois, cette opinion n'existoit pas, & l'erreur du politéïsme n'étoit pas erreur d'idolâtrie.

Horace fait parler une statue de Priape : il lui fait dire : j'étois autrefois un tronc de figuier ; un charpentier ne sachant s'il feroit de moi un dieu ou un banc, se détermina enfin à me faire dieu, &c. Que conclure de cette plaisanterie ? Priape étoit de ces petites divinités subalternes, abandonnées aux railleurs ; & cette plaisanterie même est la preuve la plus forte que cette figure de Priape qu'on mettoit dans les potagers pour effrayer les oiseaux, n'étoit pas fort révérée.

Dacier, en digne commentateur, n'a pas manqué d'observer que Baruc avoit prédit cette avanture, en disant, ils ne seront que ce que voudront les ouvriers ; mais il pouvoit observer aussi qu'on en peut dire autant de toutes les statues : on peut d'un bloc de marbre tirer tout aussi-bien une cuvette, qu'une figure d'Alexandre ou de Jupiter, ou de quelque chose de plus respectable. La matiere dont étoient formés les chérubins du saint des saints, auroit pû servir également aux fonctions les plus viles. Un tronc, un autel en sont-ils moins révérés, parce que l'ouvrier en pouvoit faire une table de cuisine ?

Dacier au lieu de conclure que les Romains adoroient la statue de Priape, & que Baruc l'avoit prédit, devoit donc conclure que les Romains s'en mocquoient. Consultez tous les auteurs qui parlent des statues de leurs dieux, vous n'en trouverez aucun qui parle d'idolâtrie ; ils disent expressément le contraire : vous voyez dans Martial.

Qui finxit sacros auro vel marmore vultus,

Non facit ille deos.

Dans Ovide. Colitur pro Jove forma Jovis.

Dans Stace. Nulla autem effigies nulli commissa metallo.

Forma Dei montes habitare ac numina gaudet.

Dans Lucain. Est-ne Dei nisi terra & pontus, & aer ?

On feroit un volume de tous les passages qui déposent que des images n'étoient que des images.

Il n'y a que le cas où les statues rendoient des oracles, qui ait pu faire penser que ces statues avoient en elles quelque chose de divin ; mais certainement l'opinion regnante étoit que les dieux avoient choisi certains autels, certains simulacres, pour y venir résider quelquefois, pour y donner audience aux hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère, & dans les choeurs des tragédies greques, que des prieres à Apollon, qui rend ses oracles sur les montagnes, en tel temple, en telle ville ; il n'y a pas dans toute l'antiquité la moindre trace d'une priere adressée à une statue.

Ceux qui professoient la magie, qui la croyoient une science, ou qui feignoient de le croire, prétendoient avoir le secret de faire descendre les dieux dans les statues, non pas les grands dieux, mais les dieux secondaires, les génies. C'est ce que Mercure Trismégiste appelloit faire des dieux ; & c'est ce que S. Augustin réfute dans sa cité de Dieu ; mais cela même montre évidemment qu'on ne croyoit pas que les simulacres eussent rien en eux de divin, puisqu'il falloit qu'un magicien les animât ; & il me semble qu'il arrivoit bien rarement qu'un magicien fût assez habile pour donner une ame à une statue pour la faire parler.

En un mot, les images des dieux n'étoient point des dieux ; Jupiter & non pas son image lançoit le tonnerre. Ce n'étoit pas la statue de Neptune qui soulevoit les mers, ni celle d'Apollon qui donnoit la lumiere ; les Grecs & les Romains étoient des gentils, des polithéistes, & n'étoient point des idolâtres.

Si les Perses, les Sabéens, les Egyptiens, les Tartares, les Turcs ont été idolâtres, & de quelle antiquité est l'origine des simulacres appellés idoles ; histoire abrégée de leur culte. C'est un abus des termes d'appeller idolâtres les peuples qui rendirent un culte au soleil & aux étoiles. Ces nations n'eurent long-tems ni simulacres, ni temples ; si elles se tromperent, c'est en rendant aux astres ce qu'elles devoient au créateur des astres : encore les dogmes de Zoroastre, ou Zardust, recueillis dans le Sadder, enseignent-ils un être suprême vangeur & rémunérateur ; & cela est bien loin de l'idolâtrie. Le gouvernement de la Chine n'a jamais eu aucune idole ; il a toûjours conservé le culte simple du maître du ciel Kingtien, en tolérant les pagodes du peuple. Gengis-Kan chez les Tartares n'étoit point idolâtre, & n'avoit aucun simulacre ; les Musulmans qui remplissent la Grece, l'Asie mineure, la Syrie, la Perse, l'Inde, & l'Afrique, appellent les Chrétiens idolâtres, giaour, parce qu'ils croyent que les Chrétiens rendent un culte aux images. Ils briserent toutes les statues qu'ils trouverent à Constantinople dans sainte Sophie, dans l'église des saints Apôtres, & dans d'autres qu'ils convertirent en mosquées. L'apparence les trompa comme elle trompe toûjours les hommes ; elle leur fit croire que des temples dédiés à des saints qui avoient été hommes autrefois, des images de ces saints révérées à genoux, des miracles opérés dans ces temples, étoient des preuves invincibles de l'idolâtrie la plus complete ; cependant il n'en est rien. Les Chrétiens n'adorent en effet qu'un seul Dieu, & ne réverent dans les bienheureux que la vertu même de Dieu qui agit dans ses saints. Les Iconoclastes, & les Protestans ont fait le même reproche d'idolâtrie à l'Eglise ; & on leur a fait la même réponse.

Comme les hommes ont eu très-rarement des idées précises, & ont encore moins exprimé leurs idées par des mots précis, & sans équivoque, nous appellâmes du nom d'idolâtres les Gentils, & sur-tout les Polithéïstes. On a écrit des volumes immenses ; on a débité des sentimens différens sur l'origine de ce culte rendu à Dieu, ou à plusieurs dieux, sous des figures sensibles : cette multitude de livres & d'opinions ne prouve que l'ignorance.

On ne sait pas qui inventa les habits & les chaussures, & on veut savoir qui le premier inventa les idoles ! Qu'importe un passage de Sanchoniaton qui vivoit avant la guerre de Troie ? Que nous apprend-il, quand il dit que le cahos, l'esprit, c'est-à-dire le souffle, amoureux de ses principes, en tira le limon, qu'il rendit l'air lumineux, que le vent Colp, & sa femme Baü engendrerent Eon, & qu'Eon engendra Jenos ? que Cronos leur descendant avoit deux yeux par-derriere, comme par-devant, qu'il devint dieu, & qu'il donna l'Egypte à son fils Thaut ; voilà un des plus respectables monumens de l'antiquité.

Orphée, antérieur à Sanchoniaton, ne nous en apprendra pas davantage dans sa théogonie, que Damascius nous a conservée ; il représente le principe du monde sous la figure d'un dragon à deux têtes, l'une de taureau, l'autre de lion, un visage au milieu qu'il appelle visage-dieu, & des aîles dorées aux épaules.

Mais vous pouvez de ces idées bisarres tirer deux grandes vérités ; l'une que les images sensibles & les hiéroglyphes sont de l'antiquité la plus haute ; l'autre que tous les anciens philosophes ont reconnu un premier principe.

Quant au polithéïsme, le bon sens vous dira que dès qu'il y a eu des hommes, c'est-à-dire des animaux foibles, capables de raison, sujets à tous les accidens, à la maladie & à la mort, ces hommes ont senti leur foiblesse & leur dépendance ; ils ont reconnu aisément qu'il est quelque chose de plus puissant qu'eux. Ils ont senti une force dans la terre qui produit leurs alimens ; une dans l'air qui souvent les détruit ; une dans le feu qui consume, & dans l'eau qui submerge. Quoi de plus naturel dans des hommes ignorans, que d'imaginer des êtres qui président à ces élémens ! Quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisoit luire aux yeux le soleil & les étoiles ? Et dès qu'on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l'homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d'une maniere sensible ? La religion juive qui précéda la nôtre, & qui fut donnée par Dieu même, étoit toute remplie de ces images sous lesquelles Dieu est représenté. Il daigne parler dans un buisson le langage humain ; il paroît sur une montagne. Les esprits célestes qu'il envoie, viennent tous avec une forme humaine ; enfin, le sanctuaire est rempli de chérubins, qui sont des corps d'hommes avec des aîles & des têtes d'animaux ; c'est ce qui a donné lieu à l'erreur grossiere de Plutarque, de Tacite, d'Appion, & de tant d'autres, de reprocher aux Juifs d'adorer une tête d'âne. Dieu, malgré sa défense de peindre & de sculpter aucune figure, a donc daigné se proportionner à la foiblesse humaine, qui demandoit qu'on parlât aux sens par des images.

Isaïe dans le chap. VI. voit le Seigneur assis sur un trône, & le bas de sa robe qui remplit le temple. Le Seigneur étend sa main & touche la bouche de Jérémie au chap. I. de ce prophete. Ezéchiel au chap. III. voit un trône de saphir, & Dieu lui paroît comme un homme assis sur ce trône. Ces images n'alterent point la pureté de la religion juive, qui jamais n'employa les tableaux, les statues, les idoles, pour représenter Dieu aux yeux du peuple.

Les lettrés Chinois, les Perses, les anciens Egyptiens n'eurent point d'idoles ; mais bien-tôt Isis & Osiris furent figurés : bien-tôt Bel à Babylone fut un gros colosse ; Brama fut un monstre bizarre dans la presqu'île de l'Inde. Les Grecs sur-tout multiplierent les noms des dieux, les statues & les temples ; mais en attribuant toûjours la suprême puissance à leur Zeus, nommé par les Latins Jupiter, maître des dieux & des hommes. Les Romains imiterent les Grecs : ces peuples placerent toûjours tous les dieux dans le ciel sans savoir ce qu'ils entendoient par le ciel & par leur olympe. Il n'y avoit pas d'apparence que ces êtres supérieurs habitassent dans les nuées qui ne sont que de l'eau. On en avoit placé d'abord sept dans les sept planetes, parmi lesquelles on comptoit le soleil ; mais depuis, la demeure ordinaire de tous les dieux fut l'étendue du ciel.

Les Romains eurent leurs douze grands dieux, six mâles & six femelles, qu'ils nommerent dii majorum gentium ; Jupiter, Neptune, Apollon, Vulcain, Mars, Mercure, Junon, Vesta, Minerve, Cérès, Vénus, Diane. Pluton fut alors oublié ; Vesta prit sa place.

Ensuite venoient les dieux minorum gentium, les dieux indigetes, les héros, comme Bacchus, Hercule, Esculape ; les dieux infernaux, Pluton, Proserpine ; ceux de la mer, comme Thétis, Amphitrite, les Néréïdes, Glaucus ; puis les Driades, les Naïades, les dieux des jardins, ceux des bergers. Il y en avoit pour chaque profession, pour chaque action de la vie, pour les enfans, pour les filles nubiles, pour les mariées, pour les accouchées ; on eut le dieu Pet. On divinisa enfin les empereurs : ni ces empereurs, ni le dieu Pet, ni la déesse Pertunda, ni Priape, ni Rumilia la déesse des tétons, ni Stercutius le dieu de la garde-robe, ne furent à la vérité regardés comme les maîtres du ciel & de la terre. Les empereurs eurent quelquefois des temples ; les petits dieux Pénates n'en eurent point ; mais tous eurent leur figure, leur idole.

C'étoient de petits magots dont on ornoit son cabinet ; c'étoient les amusemens des vieilles femmes & des enfans, qui n'étoient autorisés par aucun culte public. On laissoit agir à son gré la superstition de chaque particulier : on retrouve encore ces petites idoles dans les ruines des anciennes villes.

Si personne ne sait quand les hommes commencerent à se faire des idoles, on sait qu'elles sont de l'antiquité la plus haute ; Tharé pere d'Abraham en faisoit à Ur en Chaldée : Rachel déroba & emporta les idoles de son beau-pere Laban ; on ne peut remonter plus haut.

Mais quelle notion précise avoient les anciennes nations de tous ces simulacres ? Quelle vertu, quelle puissance leur attribuoit-on ? Croira-t-on que les dieux descendoient du ciel pour venir se cacher dans ces statues ? ou qu'ils leur communiquoient une partie de l'esprit divin ? ou qu'ils ne leur communiquoient rien du tout ? C'est encore sur quoi on a très-inutilement écrit ; il est clair que chaque homme en jugeoit selon le degré de sa raison, ou de sa crédulité, ou de son fanatisme. Il est évident que les prêtres attachoient le plus de divinité qu'ils pouvoient à leurs statues, pour s'attirer plus d'offrandes ; on sait que les Philosophes détestoient ces superstitions ; que les guerriers s'en mocquoient ; que les magistrats les toléroient, & que le peuple toûjours absurde ne savoit ce qu'il faisoit : c'est en peu de mots l'histoire de toutes les nations à qui Dieu ne s'est pas fait connoître.

On peut se faire la même idée du culte que toute l'Egypte rendit à un boeuf, & que plusieurs villes rendirent à un chien, à un singe, à un chat, à des oignons. Il y a grande apparence que ce furent d'abord des emblèmes : ensuite un certain boeuf Apis, un certain chien nommé Anubis, furent adorés. On mangea toûjours du boeuf & des oignons ; mais il est difficile de savoir ce que pensoient les vieilles femmes d'Egypte, des oignons sacrés & des boeufs.

Les idoles parloient assez souvent : on faisoit commémoration à Rome le jour de la fête de Cybèle, des belles paroles que la statue avoit prononcées lorsqu'on en fit la translation du palais du roi Attale :

Ipsa peti volui, ne sit mora, mitte volentem,

Dignus Roma locus quo deus omnis eat.

" J'ai voulu qu'on m'enlevât, emmenez moi vîte ; Rome est digne que tout dieu s'y établisse ".

La statue de la fortune avoit parlé ; les Scipions, les Cicérons, les Césars à la vérité n'en croyoient rien ; mais la vieille à qui Encolpe donna un écu pour acheter des oies & des dieux, pouvoit fort bien le croire.

Les idoles rendoient aussi des oracles, & les prêtres cachés dans le creux des statues parloient au nom de la divinité.

Comment, au milieu de tant de dieux, & de tant de théogonies différentes & de cultes particuliers, n'y eût-il jamais de guerre de religion chez les peuples nommés idolâtres ? Cette paix fut un bien qui naquit d'un mal de l'erreur même : car chaque nation reconnoissant plusieurs dieux inférieurs, trouvoit bon que ses voisins eussent aussi les leurs. Si vous exceptez Cambise, à qui on reproche d'avoir tué le boeuf Apis, on ne voit dans l'histoire profane aucun conquérant qui ait maltraité les dieux d'un peuple vaincu. Les Gentils n'avoient aucune religion exclusive ; & les prêtres ne songerent qu'à multiplier les offrandes & les sacrifices.

Les premieres offrandes furent des fruits ; bientôt après il fallut des animaux pour la table des prêtres ; ils les égorgeoient eux-mêmes ; ils devinrent bouchers & cruels : enfin, ils introduisirent l'usage horrible de sacrifier des victimes humaines, & surtout des enfans & des jeunes filles. Jamais les Chinois, ni les Perses, ni les Indiens, ne furent coupables de ces abominations ; mais à Héliopolis en Egypte, au rapport de Porphire, on immola des hommes. Dans la Tauride on sacrifioit les étrangers : heureusement les prêtres de la Tauride ne devoient pas avoir beaucoup de pratiques. Les premiers Grecs, les Cipriots, les Phoeniciens, les Tyriens, les Carthaginois, eurent cette superstition abominable. Les Romains eux-mêmes tomberent dans ce crime de religion ; & Plutarque rapporte qu'ils immolerent deux Grecs & deux Gaulois, pour expier les galanteries de trois vestales. Procope, contemporain du roi des Francs Théodebert, dit que les Francs immolerent des hommes quand ils entrerent en Italie avec ce prince : les Gaulois, les Germains, faisoient communément de ces affreux sacrifices.

On ne peut guere lire l'histoire, sans concevoir de l'horreur pour le genre humain. Il est vrai que chez les Juifs Jephté sacrifia sa fille, & que Saül fut prêt d'immoler son fils. Il est vrai que ceux qui étoient voués au Seigneur par anathème, ne pouvoient être rachetés, ainsi qu'on rachetoit les bêtes, & qu'il falloit qu'ils périssent : mais Dieu qui a créé les hommes, peut leur ôter la vie quand il veut, & comme il le veut : & ce n'est pas aux hommes à se mettre à la place du maître de la vie & de la mort, & à usurper les droits de l'Etre suprème.

Pour consoler le genre humain de l'horrible tableau de ces pieux sacriléges, il est important de savoir que chez presque toutes les nations nommées idolâtres, il y avoit la Théologie sacrée, & l'erreur populaire ; le culte secret, & les cérémonies publiques ; la religion des sages, & celle du vulgaire. On n'enseignoit qu'un seul Dieu aux initiés dans les mysteres ; il n'y a qu'à jetter les yeux sur l'hymne attribué à Orphée, qu'on chantoit dans les mysteres de Cérès Eleusine, si célebres en Europe & en Asie.

" Contemple la nature divine, illumine ton esprit, gouverne ton coeur, marche dans la voie de la justice ; que le Dieu du ciel & de la terre soit toûjours présent à tes yeux. Il est unique, il existe seul par lui-même ; tous les êtres tiennent de lui leur existence ; il les soûtient tous ; il n'a jamais été vu des yeux mortels, & il voit toutes choses ".

Qu'on lise encore ce passage du philosophe Maxime de Madaure, dans sa lettre à saint Augustin. " Quel homme est assez grossier, assez stupide, pour douter qu'il soit un Dieu suprême, éternel, infini, qui n'a rien engendré de semblable à lui-même, qui est le pere commun de toutes choses " ? Il y a mille témoignages que les sages abhorroient nonseulement l'idolâtrie, mais encore le polithéïsme.

Epictete, ce modele de résignation & de patience, cet homme si grand dans une condition si basse, ne parle jamais que d'un seul Dieu : voici une de ses maximes. " Dieu m'a créé, Dieu est au-dedans de moi ; je le porte par-tout ; pourrois-je le souiller par des pensées obscènes, par des actions injustes, par d'infâmes desirs ? Mon devoir est de remercier Dieu de tout, de le louer de tout, & de ne cesser de le benir qu'en cessant de vivre ". Toutes les idées d'Epictete roulent sur ce principe.

Marc-Aurele, aussi grand peut-être sur le trône de l'empire romain qu'Epictete dans l'esclavage, parle souvent à la vérité des dieux, soit pour se conformer au langage reçu, soit pour exprimer des êtres mitoyens entre l'Etre suprême & les hommes. Mais en combien d'endroits ne fait-il pas voir qu'il ne reconnoît qu'un Dieu éternel, infini ? Notre ame, dit-il, est une émanation de la divinité ; mes enfans, mon corps, mes esprits viennent de Dieu.

Les Stoïciens, les Platoniciens admettoient une nature divine & universelle ; les Epicuriens la nioient ; les pontifes ne parloient que d'un seul Dieu dans les mysteres ; où étoient donc les idolâtres ?

Au reste, c'est une des grandes erreurs du Dictionnaire de Moréri, de dire que du tems de Théodose le jeune, il ne resta plus d'idolâtres que dans les pays reculés de l'Asie & de l'Afrique. Il y avoit dans l'Italie beaucoup de peuples encore gentils, même au septieme siecle : le nord de l'Allemagne depuis le Vezer n'étoit pas chrétien du tems de Charlemagne ; la Pologne & tout le Septentrion resterent long-tems après lui dans ce qu'on appelle idolâtrie : la moitié de l'Afrique, tous les royaumes au de-là du Gange, le Japon, la populace de la Chine, cent hordes de Tartares ont conservé leur ancien culte. Il n'y a plus en Europe que quelques lapons, quelques samoïedes, quelques tartares, qui ayent persévéré dans la religion de leurs ancêtres. Article de M. DE VOLTAIRE. Voyez ORACLES, RELIGION, SUPERSTITION, SACRIFICES, TEMPLES.


IDOLOTHYTESS. m. (Théolog.) c'est le nom que S. Paul donne aux viandes offertes aux idoles, & que l'on présentoit ensuite avec cérémonie, tant aux prêtres qu'aux assistans, qui les mangeoient couronnés. Il y eut entre les premiers chrétiens difficulté au sujet de la manducation de ces idolothytes, & dans le concile de Jérusalem il leur fut ordonné de s'en abstenir ; cependant comme les viandes qui étoient offertes aux idoles, étoient quelquefois vendues au marché, & présentées ensuite aux repas des chrétiens, les plus scrupuleux n'en vouloient pas, quoiqu'alors ce ne fut plus un acte de religion. S. Paul consulté sur cette question, répondit aux Corinthiens que l'on en pouvoit manger, sans s'informer si cette viande avoit été offerte aux idoles ou non, pourvû que cela ne causât point de scandale aux foibles. Cependant l'usage de ne point manger des idolothytes a subsisté parmi les chrétiens, & dans l'apocalypse ceux de Pergame sont repris de ce qu'il y avoit parmi eux des gens qui faisoient manger des viandes qui avoient été offertes aux idoles. Dans la primitive église il est défendu aux chrétiens, par plusieurs canons des conciles, de manger des idolothytes. Actor. j. 15. I. Corinth. j. 8. Apocalyps. 2.


IDON-MOULLYS. m. (Botan. exot.) c'est le nom malabare d'une espece de prunier des Indes orientales, que les Botanistes appellent prunus indica, fructu umbilicato, pyriformi, spinosa, racemosa, ce qui suffit pour le distinguer des autres pruniers ; ajoutez qu'il s'éleve jusqu'à la hauteur de soixante & dix piés ; il est décrit dans l'Hort. malab. part. IV. tab. 18. p. 41. (D.J.)


IDRA(Géog.) ville de Suede, capitale de la Dalécarlie, sur la riviere d'Elsinam : presque tous les habitans travaillent aux mines & aux forges.


IDRIA(Géog.) ville d'Italie dans le Frioul, au comté de Goritz, avec un château. Cette ville, célebre par sa mine de vif-argent, appartient à la maison d'Autriche ; elle est de tous côtés entourée de montagnes, à 7 lieues N. E. de Goritz, 10 N. de Trieste. Long. 31. 35. lat. 46. 16.

La riche mine de vif-argent que cette ville possede dans son propre sein, est une chose bien curieuse. L'entrée de cette mine n'est point sur une montagne, mais dans la ville même ; elle n'a pas plus de 120 ou 130 brasses de profondeur. On en tire du vif-argent vierge & du simple vif-argent, & c'étoit certainement autrefois une des plus riches mines du monde en ce genre ; car il s'y trouvoit d'ordinaire moitié pour moitié, c'est-à-dire de deux livres une, & quelquefois même lorsqu'on en tiroit un morceau qui pesoit trois livres, on en trouvoit encore deux après qu'il étoit raffiné. Le détail que Brown en a fait comme témoin oculaire, en 1669, mérite d'être lû.

Etant descendu dans cette mine par une échelle qui avoit 89 brasses de long, il vit dans un endroit où l'on travailloit à la purification du vif-argent par le feu seize mille barres de fer, qu'on avoit achetées dans la Carinthie ; on employoit aussi quelquefois au même usage 800 barres de fer tout-à-la-fois, pour purifier le vif-argent dans seize fournaises ; on en mettoit 50 dans chaque fournaise, 25 de chaque côté, 12 dessus & 13 au-dessous ; le produit étoit tel, que M. Brown vit emporter un jour 40 sacs de vif-argent purifié pour les pays étrangers, objet de 40 mille ducats. On en envoyoit jusqu'à Chremnitz, en Hongrie, pour s'en servir dans cette mine d'or ; chaque sac pesoit 315 livres. Il y avoit encore alors dans le château trois mille sacs de vif-argent purifié en réserve ; enfin, à force d'exploitations précipitées, on a presque épuisé la mine & le bois nécessaire pour le travail. (D.J.)


IDSTEIN(Géog.) bourg ou petite ville d'Allemagne, dans la Wétéravie, résidence d'une branche de la maison de Nassau, à qui elle appartient ; elle est à 5 lieues N. E. de Mayence. Long. 25. 33. lat. 50. 9. (D.J.)


IDULIES. f. (Belles-lettres) c'est ainsi qu'on appelloit la victime qu'on offroit à Jupiter le jour des ides, d'où peut-être elle a pris son nom. (D.J.)


IDUMÉES. f. (Géog. anc.) pays d'Asie, aux confins de la Palestine & de l'Arabie : l'Idumée tire son nom d'Edom ou Esaü, qui y fixa sa demeure. Il s'établit d'abord dans les montagnes de Seïr, à l'orient & au midi de la mer Morte ; ensuite ses descendans, comme nous le verrons tout-à-l'heure, se répandirent dans l'Arabie Pétrée, dans le pays qui est au midi de la Palestine, & finalement dans la Judée méridionale, lorsque ce pays devint comme desert durant la captivité de Babylone ; ainsi quand on parle de l'étendue de l'Idumée, il faut distinguer les tems. Sous les rois de Juda les Iduméens étoient resserrés à l'orient & au sud de la mer Morte, au pays de Seïr ; mais dans la suite l'Idumée s'étendit beaucoup davantage au midi de Juda. La ville capitale de l'Idumée orientale étoit Bosra, & la capitale de l'Idumée méridionale étoit Pétra ou Jectaël.

L'Idumée dont Strabon, Josephe, Pline, Ptolomée, & autres auteurs font mention, n'étoit pas le pays d'Edom, ou cette Idumée qui a donné le nom à la mer Rouge, mais une autre ancienne Idumée, d'une beaucoup plus grande étendue, car elle comprenoit toute cette région qui fut appellée Arabie Pétrée de Pétra sa capitale. Tout ce pays ayant été habité par les descendans d'Edom ou d'Esaü, fut delà nommé le pays d'Edom.

Dans la suite des tems une sédition, à ce que prétend Strabon, s'étant élevée parmi eux, une partie se sépara du reste, & vint s'établir dans les contrées méridionales de la Judée, qui se trouvoit alors comme deserte, par l'absence de ses habitans captifs à Babylone ; ceux-ci conserverent le nom d'Iduméens, & le pays qu'ils occuperent prit celui d'Idumée.

Les Iduméens qui ne suivirent pas les autres, se joignirent aux Ismaélites, & furent appellés comme eux Nabathéens, de Nébajoth ou Nabath fils d'Ismael, & le pays qu'ils posséderent Nabathée ; c'est sous ce nom qu'il en est souvent parlé dans les auteurs, tant grecs que latins.

Les Iduméens furent premierement gouvernés par des chefs ou princes, & puis par des rois ; Nabuchodonosor, cinq ans après la prise de Jérusalem, subjugua toutes les puissances voisines de la Judée, & en particulier les Iduméens ; Judas Macchabée leur fit la guerre, & les battit en plus d'une rencontre : enfin, Hircan les dompta & les obligea de recevoir la circoncision ; dès-lors ils demeurerent assujettis aux derniers rois de la Judée, jusqu'à la ruine de Jérusalem par les Romains. (D.J.)


IDYLLEterme de Poésie, petit poëme champêtre qui contient des descriptions ou narrations de quelques aventures agréables. Voy. EGLOGUE. Ce mot vient du grec , diminutif d', figure, représentation, parce que le propre de cette poésie est de représenter naturellement les choses.

Théocrite est le premier auteur qui ait fait des idylles ; les Italiens l'ont imité, & en ont ramené l'usage. Voyez PASTORAL.

Les idylles de Théocrite, sous une simplicité toute naïve & toute champêtre, renferment des agrémens inexprimables ; elles paroissent puisées dans le sein de la nature, & dictées par les graces elles-mêmes.

C'est une poésie qui peint naturellement les objets qu'elle décrit ; au lieu que le poëme épique les raconte, & le dramatique les met en action. On ne s'en tient plus dans les idylles à la simplicité originale de Théocrite : notre siecle ne souffriroit pas une fiction amoureuse qui ressembleroit aux galanteries grossieres de nos paysans. Boileau remarque que les idylles les plus simples sont ordinairement les meilleures.

Ce poëte en a tracé le caractere dans ce peu de vers, par une image empruntée elle-même des sujets sur lesquels roule ordinairement l'idylle.

Telle qu'une bergere au plus beau jour de fête

De superbes rubis ne charge point sa tête ;

Et sans mêler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens.

Telle aimable en son air, mais humble dans son style,

Doit éclater sans pompe une élégante idylle ;

Son tour simple & naïf n'a rien de fastueux,

Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.

Art poëtique, chant II.

S'il y a quelque différence entre les idylles & les églogues, elle est fort légere ; les auteurs les confondent souvent. Cependant il semble que l'usage veut plus d'action, de mouvement dans l'églogue, & que dans l'idylle on se contente d'y trouver des images, des récits, ou des sentimens seulement. Cours de belles-lettres, tom. I.

Un autre auteur moderne y trouve cette différence, qui n'est pourtant pas absolument générale. Dans l'églogue, dit-il, ce sont des bergers qu'on fait dialoguer entr'eux, qui racontent leurs propres aventures, leurs peines & leurs plaisirs, qui comparent la douceur de la vie qu'ils menent avec les passions & les soins dont la nôtre est traversée. Dans l'idylle, au contraire, c'est nous qui comparons le trouble & les travaux de notre vie avec la tranquillité de celle des bergers, & la tyrannie de nos passions ou de nos usages, avec la simplicité de leurs moeurs & de leurs sentimens. Celle-ci même peut rouler toute entiere sur une allégorie soutenue, tirée de l'instinct des animaux ou de la nature des choses inanimées ; tel est le ton de quelques idylles de madame Deshoulieres : d'où il est aisé de conclure que l'idylle pourroit admettre un peu plus de force & d'élévation que l'églogue, puisque sous ce rapport elle suppose un homme qui vit au milieu du monde, dont il reconnoît les dangers & les abus : son esprit peut donc être plus orné, plus vif, moins simple & moins uni que ne seroit celui des bergers, principalement occupés d'idées relatives à leur condition. Princip. pour la lect. des poët. tom. I.


IÉDO(Géog.) ville d'Asie, capitale du Japon, dans l'île de Niphon, avec un superbe palais fortifié, où l'empereur fait sa résidence.

Iédo est une des cinq grandes villes de commerce qui appartiennent au domaine de l'empereur, ou aux terres de la couronne ; mais elle est comptée comme la premiere, la plus considérable & la plus vaste de tout l'empire. Kempfer la regarde comme une des plus grandes villes du monde connu ; il mit un jour entier pour aller d'un bout à l'autre dans sa longueur : le nombre de ses habitans est prodigieux. La riviere de Tonkaw la traverse, & se jette dans la mer par cinq embouchures. On a construit sur cette riviere un pont de 42 brasses de longueur. Les maisons des particuliers sont petites, basses, & bâties de bois, ce qui occasionne souvent des incendies ; mais il y a quantité de palais bâtis de pierre, & des temples superbes consacrés aux dieux de toutes les sectes & religions établies au Japon. Le château destiné pour l'empereur & sa cour, a environ 5 lieues du pays de circuit ; celui que l'empereur habite en particulier, est fortifié de toutes parts ; la structure des appartemens qui le composent, & qui sont immenses pour la grandeur, est d'une beauté exquise selon l'architecture du pays, qui n'est pas la nôtre, & qui ne connoît ni regle, ni dessein, ni proportion ; les plafonds, les solives, & les piliers, sont de cedre, de camphre, de bois de jeseri, dont les veines forment naturellement des fleurs & d'autres figures. Le lecteur trouvera la description complete d'Iédo dans Kempfer. Long. 157. lat. 35. 32. (D.J.)


IÉRONYMITESS. m. (Théol.) est le nom que l'on donne à divers ordres ou congrégations de religieux, autrement appellés hermites de saint Jérôme. Voyez HERMITES.

Les premiers, que l'on appelle hermites de Saint Jérôme d'Espagne, doivent leur naissance au tiers-ordre de saint François, dont les premiers Jéronimites étoient membres. Grégoire XI. approuva cet ordre en 1373, ou 1374, sous le nom de saint Jérôme, qu'ils avoient choisi pour leur protecteur & leur modele, & leur donna les constitutions du couvent de sainte Marie du Sépulchre, avec la regle de saint Augustin ; & pour habit une tunique de drap blanc, un scapulaire de couleur tannée, un petit capuce & un manteau de même couleur ; le tout de couleur naturelle, sans teinture & d'un vil prix.

Les Jéronimites sont en possession du couvent de saint Laurent de l'Escurial, où les rois d'Espagne ont leur sépulture ; de ceux de saint Isidore de Seville, & de saint Just, où Charles V se retira après avoir abdiqué la couronne impériale & celle d'Espagne. Il y a aussi en Espagne des religieux Jéronimites, qui furent fondés vers la fin du XV siecle. Sixte IV. les mit sous la jurisdiction des Jéronimites, & leur donna les constitutions du monastere de Sainte Marthe de Cordoue, mais Léon X leur ordonna de prendre celle de l'ordre de saint Jérôme. Voyez le Dictionnaire de Trévoux.

Les hermites de saint Jérôme de l'Observance, ou de Lombardie, ont pour fondateur Loup d'Olmedo, qui les établit en 1424 dans les montagnes de Cazalla, au diocese de Séville, & leur donna une regle composée des sentimens de Saint Jérôme, approuvée par le pape Martin V. qui dispensa pour lors les Jéronimites de garder celle de saint Augustin.

Pierre Gambacorti fonda la troisieme congrégation des Jéronimites vers l'an 1377. Ils ne firent que des voeux simples jusqu'en 1568, que Pie V. leur ordonna d'en faire des solemnels ; ils ont des maisons en Italie, dans le Tirol & dans la Baviere.

La quatrieme congrégation des Jéronimites, dite des hermites de S. Jérôme de Fiesoli, commença l'an 1360, que Charles de Montegranelli, de la famille des comtes de Montegranelli, se retira dans la solitude, & s'établit d'abord à Vérone. Elle fut approuvée par Innocent VII. sous la regle & les constitutions de Saint Jérôme ; mais Eugene IV. leur donna en 1441 la regle de saint Augustin. Comme le fondateur étoit du tiers-ordre de saint François, il en garda l'habit ; mais en 1460, Pie II permit de le quitter à ceux qui voudroient, ce qui occasionna une division parmi eux. Clément IX. supprima tout-à-fait cet ordre en 1668.


IEROPHILAXS. m. (Hist.) garde des choses sacrées ; titre que désigne assez la fonction de celui qui le portoit dans l'Eglise grecque : il revient à notre sacristain.


IEROPHORES. m. (Hist. anc.) celui qui porte les choses sacrées. Ce titre s'étendoit chez les Grecs à un grand nombre de fonctions ; mais on appelloit sur-tout ïérophores, ceux qui, dans les cérémonies, portoient les statues des dieux.


IEROSCOPIES. f. (Divinat.) inspection des choses sacrées, & prédiction par ce moyen. Voyez ARUSPICES & ARUSPICINES.


IFS. m. taxus, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur composée de sommets, qui, pour la plûpart, ont la forme d'un champignon ; cette fleur est stérile, l'embryon devient dans la suite une baie concave faite en forme de cloche & pleine de suc ; elle renferme une semence. Il y a de ces fruits qui ressemblent à un gland, car ils ont une calotte qui embrasse la semence. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.

IF, taxus, arbre toûjours verd, qui vient naturellement dans quelques contrées méridionales de l'Europe ; mais par l'usage que l'on en fait, & la contrainte où on l'assujettit, il ne paroît nulle part que sous la forme d'un arbrisseau. Si cependant on le laisse croître de lui-même, il prend une tige droite, qui s'éleve, grossit, & devient un moyen arbre. Son écorce est mince, rougeâtre, & sans gersures à tout âge ; ses feuilles sont petites, étroites, assez ressemblantes à celles du sapin, mais d'un verd obscur & triste. L'arbre donne au printems, aux extrémités de ses jeunes rameaux, des fleurs mâles ou chatons écailleux qui servent à féconder ses fruits ; ce sont des baies molles, visqueuses, & d'un rouge vif, dont chacune contient une semence.

Cet arbre est très-robuste ; & quoiqu'il habite les pays tempérés, on le trouve plus volontiers sur le sommet des montagnes les plus froides, dans les gorges serrées & exposées au nord, dans des côteaux à l'ombre, dans les lieux secs & pierreux, dans les terres légeres & stériles. Il peut venir sous les autres arbres, & il est si traitable, qu'on le voit réussir dans tous les terreins où on l'emploie pour la décoration des jardins, & où il n'y a que l'humidité qui puisse le faire échouer.

L'if se multiplie aisément de semences, de boutures ou de branches couchées. Le premier moyen est le plus lent, mais le meilleur qu'on puisse employer pour avoir des arbres forts & bien enracinés. Les deux autres méthodes seroient préférables par leur célérité, si elles n'avoient l'inconvénient de donner des plants défectueux, soit parce qu'ils sont courbes, ou qu'ils n'ont point de tige déterminée. La graine de l'if est mûre au mois de Septembre, elle reste ordinairement sur les arbres jusqu'en Décembre ; mais comme les oiseaux en sont fort avides, on court risque de n'en plus trouver en différant plus long-tems de la faire cueillir : il vaut donc mieux faire cette récolte dans le mois d'Octobre. On peut la semer sur-le-champ, ou attendre le printems, ou bien l'automne suivante, ou même différer jusqu'à l'autre printems. En prenant le premier parti, il en pourra lever quelques-unes au printems suivant ; mais le plus grand nombre ne levera qu'au second printems, & il en sera de même des graines que l'on aura semées dans les trois autres tems ; ensorte qu'il faut que cette graine soit surannée pour être assuré de la voir lever au bout de six semaines. Comme il n'y a presque rien à gagner en la semant immédiatement après qu'elle a été recueillie, il vaut encore mieux la garder pendant la premiere année, dans de la terre ou du sable, en un lieu sec ; on épargnera l'occupation du terrein, & la peine de le tenir en culture. Si cependant on avoit intérêt d'accélérer, il y a différens moyens d'en venir à bout que l'on pourra employer ; il faudra où laisser suer les graines, ou les mettre en fermentation : voyez ce qui a été dit à ce sujet à l'article HOUX.

Il faut semer la graine d'if dans un terrein frais & léger, contre un mur exposé au nord. Bien des gens la sement en plein champ ; mais il vaut mieux la mettre en rayons, que l'on recouvrira d'un demi pouce de terreau fort léger ; cela donnera plus de facilité pour la culture. La premiere année les plants s'éleveront à un pouce ; la seconde, à environ trois ou quatre pouces ; & la troisieme année, ils auront communément un pié ; c'est alors qu'ils seront en état d'être mis en pepiniere. Mais comme les racines de cet arbre sont courtes, menues, en petite quantité, & à fleur de terre, il faut avoir la précaution de transplanter les jeunes plants tous les deux ans, afin de les empêcher d'étendre leurs racines, & les disposer à pouvoir être enlevés avec la motte lorsqu'on voudra les placer à demeure : pendant le séjour qu'ils font à la pepiniere on les taille tous les ans, pour les faire brancher & épaissir, & on les prépare ainsi à prendre les figures auxquelles on les destine.

Si on veut multiplier l'if de branches couchées, on doit faire cette opération au printems ; on se sert pour cela des branches qui se trouvent au pié des vieux arbres, & pour en assurer le succès il faut marcotter les branches en les couchant ; elles auront de bonnes racines au bout de deux ans, & alors on pourra les mettre en pepiniere. Si on prend le parti de propager cet arbre de boutures, il faut les faire au mois d'Avril, par un tems humide, dans un terrein frais & bien meuble, contre un mur, à l'exposition du nord. Les plus jeunes branches sont les meilleures pour cet oeuvre ; le plus grand nombre de ces boutures poussera la premiere année, & annoncera du succès ; mais la plûpart malgré cela n'ayant point encore fait racine, ou n'en ayant que de bien foibles, on les verra se dessécher & périr par le hâle du printems suivant, si on n'a grand soin de les couvrir & de les arroser : il ne faut s'attendre à les trouver bien enracinés qu'après la troisieme année, qui sera le tems de les transplanter en pepiniere.

Par les précautions que l'on a conseillé de prendre pour l'éducation de ces arbres durant le tems qu'ils sont en pepiniere, on doit juger qu'il ne faut pas moins d'attention pour les transplanter à demeure, & c'est sur-tout au choix de la saison qu'il faut s'attacher. Le fort de l'hiver & le grand été n'y sont nullement propres ; tous autres tems sont convenables, à l'exception toutes-fois des commencemens du printems, & particulierement de ce tems sec, vif & brûlant, que l'on nomme le hâle de Mars. Ce hâle est le fléau des arbres toûjours verds ; c'est l'intempérie la plus à craindre pour les plants de ces arbres, qui sont jeunes ou languissans, ou nouvellement plantés. Les mois que l'on doit préférer pour la transplantation de l'if sont ceux d'Avril & de Septembre, encore faut-il profiter pour cela d'un tems doux, nébuleux & humide ; garantir les plants du soleil en les couvrant de paille, & les arroser souvent, mais modérément. Si cependant les ifs que l'on prend le parti de transplanter sont trop forts, il sera bien difficile de les faire reprendre avec toutes les précautions possibles, & les plants jeunes ou moyens que l'on sera dans le cas d'envoyer au loin, doivent être enlevés avec la motte de terre, & mis en manequin pour en assurer le succès. L'if est un arbre agreste, sauvage, robuste ; dès qu'il est repris, il n'exige plus aucune culture.

Le bois de l'if est rougeâtre, veineux & fléxible, très-dur, très-fort, & presque incorruptible ; sa solidité le rend propre à différens ouvrages de Menuiserie, il prend un beau poli, & les racines s'emploient par les Tourneurs & les ébénistes.

On ne plante presque jamais cet arbre, pour le laisser croître naturellement ; on ne l'emploie au contraire que pour l'assujettir à différentes formes, qui demandent des soins, & encore plus de goût. L'if n'a nulle beauté, il est toûjours verd, & puis c'est tout ; mais sa verdure est si obscure, si triste, que tout l'agrément de cet arbre vient de la figure que l'art lui impose. Autrefois les ifs envahissoient les jardins par la quantité de plants de cet arbre qu'on y admettoit, & plus encore par les formes volumineuses & surchargées qu'on leur laissoit prendre. Aujourd'hui, quoique le goût soit dominant pour les arbrisseaux, on n'emploie l'if qu'avec ménagement, & on le retient à deux ou trois piés de haut ; on le met dans les plates-bandes des grands jardins pour en interrompre l'uniformité, & marquer à l'oeil des intervalles symmétriques ; on le place aussi entre les arbres des allées, autour des bosquets d'arbres toûjours verds, dans les salles de verdure, & autres pieces de décoration ; mais le meilleur usage que l'on puisse faire de cet arbre, c'est d'en former des banquettes, des haies de clôture ou de séparation, & sur-tout de hautes palissades ; il est très-propre à remplir ces objets, par la régularité dont il est susceptible. Ces haies & ces palissades sont d'une force impénétrable, par l'épaisseur qu'on peut leur faire prendre.

L'if est peut-être de tous les arbres celui qui souffre la taille avec le moins d'inconvénient, & qui conserve le mieux la forme qu'on veut lui donner. On lui voit prendre sous les ciseaux du jardinier des figures rondes, coniques, spirales, en pyramide, en vase, &c. le mois de Juillet est le tems le plus propre pour la taille de cet arbre.

Si l'on en croit la plûpart des anciens auteurs d'agriculture, & quelques-uns des modernes, cet arbre a des propriétés très-nuisibles ; le bois, l'écorce, le feuillage, la fleur & le fruit, son ombre même, tout en est venimeux, à ce qu'ils assurent ; il peut causer la mort à l'homme, à plusieurs animaux quadrupedes, & aux oiseaux : ils citent même quantité de faits à ce sujet. Mais il paroît que cette malignité si excessive doit être sur-tout attribuée à une autre espece d'if, qui ne se trouve que dans les contrées méridionales de l'Europe, & qui a les feuilles plus larges & plus luisantes que celles de l'espece que nous cultivons. M. Evelyn, dans son Traité des forêts, rapporte avoir vû à Pise en Italie, de ces ifs à larges feuilles, qui rendoient une odeur si forte & si active, que les Jardiniers ne pouvoient les tailler pendant plus d'une demi-heure, sans ressentir un grand mal de tête. Il est très-certain que le fruit de notre if, ne cause aucun mal ; on a vû souvent des enfans & des animaux en manger sans aucun inconvénient ; bien des gens se sont trouvés dans le cas de se reposer, & même de dormir sous son ombre, sans en avoir ressenti aucun mal ; mais à l'égard des rameaux, qui peuvent comprendre en même tems le bois, la feuille & la fleur, il y a lieu de soupçonner qu'il est très-dangereux d'en manger : il y a sur cela un exemple assez récent. Un particulier de Montbard, en Bourgogne, ayant conduit sur un âne des plantes au jardin du Roi à Paris, au mois de Septembre 1751, il attacha son âne dans une arriere cour du château, où il y avoit une palissade d'if ; pendant que le conducteur s'occupa à transporter dans les serres les plantes qu'il avoit amenées, l'animal, qui étoit pressé de la faim, brouta des rameaux d'if qui étoient à sa portée, & lorsque le conducteur revint pour prendre son âne & le conduire à l'écurie, il le vit tomber par terre, & mourir subitement, malgré les secours d'un maréchal qui fut appellé sur-le-champ, & qui reconnut par l'enflure qui étoit survenue à l'animal, & par d'autres indices, qu'il falloit qu'il eut mangé quelque chose de venimeux. Jean Bauhin dans son histoire des Plantes cite pareil fait d'un âne mort subitement, au village d'Oberentzingen, pour avoir mangé de l'if.

On ne connoît encore que deux variétés de cet arbre ; l'une, dont les feuilles sont plus larges & plus luisantes ; l'autre, dont les feuilles sont rayées de jaune : celle-ci a si peu d'agrément qu'on ne s'est point encore avisé de la tirer d'Angleterre, où la curiosité pour les plantes panachées trouve plus de partisans qu'en France. Les auteurs Anglois conviennent que cette sorte d'if panaché n'a presque nulle beauté ; que pendant l'été, qui est le tems où cet arbre pousse vigoureusement, à peine apperçoit-on la bigarrure, & qu'elle présente plutôt une défectuosité qu'un agrément ; qu'il est vrai qu'elle est plus apparente en hiver, mais qu'il faut beaucoup de soin pour empêcher l'arbre de reprendre son état naturel.

IF, (Médecine) Dioscoride, Galien, Pline, presque tous les anciens naturalistes, & quelques modernes, mettent cet arbre au rang des poisons ; nonseulement ses fruits, l'infusion ou la décoction de ses feuilles & de son bois, ont, selon ces auteurs, une qualité assoupissante & véritablement venimeuse, mais encore il est dangereux de dormir à son ombre, & de s'occuper pendant un certain tems continu à le tailler. Les naturalistes modernes s'accordent au contraire assez à absoudre cet arbre de ces qualités pernicieuses. Or, comme les anciens ont été beaucoup moins circonspects que les modernes sur les assertions de ce genre ; qu'ils ont moins reconnu que ceux-ci les droits de l'expérience, il paroît raisonnable de pancher vers le sentiment des derniers. (b)

IF, l'île d', Hypaea, (Géog.) île de France en Provence, la plus orientale des trois qui sont devant le port de Marseille. Le fort qui la défend passe pour un des meilleurs de la mer Méditerranée ; ce n'étoit auparavant qu'une place d'ifs, dont elle a gardé le nom. (D.J.)


IFRAN(Géog.) ou UFARAN selon Dapper, & OFIN selon d'autres, canton d'Afrique sur la côte de l'Océan, au sud-ouest du royaume de Maroc, dans le pays des Lucayes. Il y a dans ce canton quatre villes murées, bâties par les Numides, à une lieue l'une de l'autre ; le terroir donne beaucoup de dattes, & renferme quelques mines de cuivre. Les habitans sont tous Mahométans, & n'admettent point de supplices par leurs lois ; quelque crime qu'on ait commis, la punition la plus sévere se borne au bannissement, & cette peine suffit pour contenir dans le devoir. (D.J.)


IGBUCAMIS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre du Brésil, dont le fruit est semblable à la pomme, mais plein de petits grains, qu'on ordonne dans la dyssenterie. L'Igbucami est commun dans le gouvernement de S. Vincent.


IGCIGAS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre du Brésil qui produit un mastic odorant, & dont l'écorce pilée rend une liqueur blanche qui s'épaissit & sert d'encens. On fait un emplâtre de cette liqueur, qu'on applique sur les parties affectées d'humeurs froides.

Il y a un autre arbre de la même classe, qu'on appelle igraigeica ou mastic dur ; sa résine est transparente comme le verre. Les sauvages s'en servent pour blanchir leurs vaisseaux de terre. Dict. de Trévoux.


IGHUCAMICI(Hist. nat. Botan.) arbre du Brésil, dont le fruit ressemble assez au coing, mais qui est rempli de pepins. On dit que c'est un remede puissant contre le flux de sang & les diarrhées.


IGLAW(Géog.) ville d'Allemagne, en Moravie, sur l'Igla, à 16 lieues O. de Brinn, 17 N. de Krem, 30 S. E. de Prague. Elle a été plusieurs fois prise & reprise, pendant les guerres civiles de Boheme. Long. 33. 40. lat. 49. 10. (D.J.)


IGLÉSIAS(Géog.) ville de la partie méridionale de l'île de Sardaigne, avec un évêché suffragant de Cagliari. Elle est située à l'ouest, & au fond du golphe, auquel elle a donné son nom. Long. 26. 28. lat. 30. 30. (D.J.)


IGLO(Géog.) en allemand Neudorf, ville de Hongrie, dans le comté de Zips.


IGMANUS(Géog. anc.) ou SIGMANUS, selon les diverses éditions de Ptolomée, liv. II. c. vij. riviere de la gaule d'Aquitaine ; elle doit être entre l'Adour & la Garonne, & avoir son embouchure dans la mer. On conjecture que c'est l'Eyre ; mais ce seroit plutôt le Boucaut de Mémisan, où se portent quelques petites rivieres, qui en font une grande à leur embouchure commune. (D.J.)


IGNAMA-CONA(Hist. nat. Botan.) fruit des Indes orientales, dont la chair est fort blanche ; il croît en terre comme les pommes de terre, son poids ordinaire est de plusieurs livres ; il n'a aucun rapport, ni par la forme, ni par le goût, avec l'igname d'Afrique & d'Amérique, & qui se trouve aussi dans les Indes orientales ; celui-ci conserve toûjours le goût d'une châtaigne.


IGNAMES. m. (Hist. nat. Bot.) plante d'Amérique ; c'est une espece de patate ou de couleuvrée. Elle vient de bouture ; ses tiges sont quarrées & rampantes, elles s'attachent à la terre & aux haies ; les feuilles en sont plus grandes & plus fortes qu'à la patate, d'un verd plus brun & plus luisant, & la forme en coeur ; elles viennent deux à deux sur des pédicules quarrés, & laissent entr'elles une grande distance. Les fleurs sont jaunâtres, & ramassées en épi ; les racines grosses, longues, couvertes d'une petite peau cendrée, obscure & très-fibreuse, & d'une chair blanche, succulente, farineuse, & même vineuse ; on les mange cuites, elles tiennent lieu de pain. L'igname croît aussi en Afrique, en Guinée, &c. On a fait d'igniame & d'igname deux articles dans le dictionnaire de Trévoux, quoiqu'il soit évident que ce sont deux noms de la même plante, qui peut-être en a encore un troisieme. Cette imperfection de la nomenclature en histoire naturelle, multiplie les êtres à l'infini, & jette beaucoup de confusion & de difficulté dans l'étude de la science.


IGNARES. m. (Gram.) qui n'a point de lettres. Voyez IGNORANCE. Les élus ont été qualifiés en quelques édits de gens ignares & non lettrés. Voyez le Dict. de Trév. Il vient du latin ignarus.


IGNÉEadj. masc. & fém. (Phyl.) qui appartient au feu. On appelle la matiere du feu, matiere ignée. Voyez FEU & CHALEUR.


IGNICOLES. m. (Gram.) adorateur du feu. Voyez l'article GUEBRE.


IGNITIONS. f. (Chimie) état d'un corps quelconque, échauffé par un degré de chaleur qui le rend éclatant & brûlant, c'est-à-dire capable de porter l'incendie dans plusieurs matieres combustibles.

On emploie quelquefois aussi le mot d'ignition, pour désigner l'action de porter un corps à l'état que nous venons de décrire.

Le mot latin candefactio exprime assez bien le degré extrème d'ignition, car la plûpart des corps qui sont échauffés par le plus grand degré de chaleur qu'on puisse leur communiquer sont véritablement éblouissans, jettent une lumiere très-vive & très-abondante, & par conséquent paroissent blancs. Le degré moyen d'ignition qui fait paroître les corps rouges, pourroit s'appeller en françois rougissement.

L'usage ordinaire du mot d'ignition exclut la flamme de l'idée du phénomene qu'il exprime. Cette acception est assez arbitraire ; le mot ignition pourroit très-bien exprimer l'état générique de tout corps en feu, ensorte qu'il est une ignition avec flamme, & une ignition sans flamme ; mais c'est toûjours la derniere espece que cette expression désigne, & la premiere est toûjours nommée inflammation.

L'ignition proprement ou communément dite peut résider ou dans un corps combustible, ou dans un corps incombustible ; dans le premier cas elle s'appelle aussi embrasement, & elle ne subsiste dans l'air libre qu'aux dépens du corps même dans lequel elle existe, elle y consume un des principes de ce corps, sa matiere combustible ; le même degré de chaleur peut y être entretenu long-tems par le dégagement & l'ignition successive de cette substance, qui fournit, ce qu'on appelle dans le langage vulgaire des écoles, un aliment au feu ; & selon la théorie de ce phénomene, que j'ai proposée à l'art. Calcination, (Voyez CALCINATION) la matiere d'une flamme sensible ou insensible. L'ignition des corps combustibles n'a pas besoin par conséquent, pour être excitée, de l'application d'un feu extérieur aussi fort que celui qui la constitue elle-même, & encore moins de l'application continuelle d'une chaleur extérieure quelconque. L'ignition des corps incombustibles peut subsister au contraire très-long-tems, même à l'air libre, sans altération du corps qu'elle échauffe, & demande nécessairement pour être excitée & entretenue dans ces corps, l'application antécédente & continuelle d'une chaleur extérieure, au moins égale à celle du corps mis en ignition, que l'usage ne permet pas encore d'appeller igné.

Ces deux phénomenes sont si réellement distincts, & cependant si généralement confondus par les plus grands Physiciens, par Newton lui-même, (voyez son idée sur l'ignition ou sur le feu, rapportée & réfutée, art. CHIMIE, p. 419, col. ij.) qu'il me paroît nécessaire de les désigner par deux noms différens ; de consacrer le mot d'ignition pour les corps incombustibles, & de n'employer que celui d'embrasement pour les combustibles.

La consommation ou consomption de l'aliment du feu, ou du principe combustible par l'ignition, demande le concours de l'air, du moins n'a point lieu lorsque ces matieres sont à l'abri de l'abord libre de l'air de l'atmosphere. Voyez CALCINATION & CHARBON. L'espece de soufre formé par l'union de l'acide nitreux & du phlogistique, paroît seul excepté de cette loi. Voyez NITRE. Les matieres combustibles mises en ignition dans les vaisseaux fermés, sont donc exactement alors dans le cas des corps incombustibles. Toutes ces notions qui sont vraiment fondamentales dans la théorie du feu combiné, ou du phlogistique, seront ultérieurement développées à l'art. PHLOGISTIQUE. Il faut encore consulter les articles déja cités, CHIMIE, CHARBON & CALCINATION, & les articles CHAUX METALLIQUE, CENDRES, CHIMIE, COMBUSTION, FEU, FLAMME, INCOMBUSTIBLE. (b)


IGNOBLEadj. (Gram.) il se dit de l'air, des manieres, des sentimens, du discours & du style. L'air est ignoble, lorsqu'au premier aspect d'un homme qui se présente à nous, nous nous méprenons sur son état, & nous sommes tentés de le reléguer dans quelque condition abjecte de la société. Ce jugement naît apparemment de la conformation accidentelle & connue que les arts méchaniques donnent aux membres, ou de quelques rapports déliés que nous attachons involontairement entre les passions de l'ame & l'habitude extérieure du corps. Si l'homme s'estime, a de la confiance en lui-même, ne se fait aucun reproche secret, & n'en craint point des autres, sent ses avantages naturels ou acquis, est résigné aux évenemens, & ne fait des dangers & de la perte de la vie, qu'un compte médiocre, il annoncera communément ce caractere par ses traits, sa démarche, ses regards & son maintien, & il nous laissera dans l'esprit une image qui nous servira de modele. Si la noblesse de l'air se trouve jointe à la beauté, à la jeunesse & à la modestie, qui est-ce qui lui résistera ?

Les manieres sont ignobles, lorsqu'elles décelent un intérêt sordide ; les sentimens, lorsqu'on y remarque la vérité, la justice & la vertu blessées par la préférence qu'on accorde sur elles à tout autre objet ; le ton dans la conversation, & le style dans les écrits, lorsque les expressions, les comparaisons, les idées sont empruntées d'objets vils & populaires ; mais il n'y en a guere que le génie & le goût ne puissent annoblir.


IGNOMINIES. f. (Gram. & Morale) dégradation du caractere public d'un homme ; on y est conduit ou par l'action ou par le châtiment. L'innocence reconnue efface l'ignominie du châtiment. L'ignominie de l'action est une tache qui ne s'efface jamais ; il vaut mieux mourir avec honneur que vivre avec ignominie. L'homme qui est tombé dans l'ignominie est condamné à marcher sur la terre la tête baissée ; il n'a de ressource que dans l'impudence ou la mort. Lorsque l'équité des siecles absout un homme de l'ignominie, elle retombe sur le peuple qui l'a flétri. Un législateur éclairé n'attachera de peines ignominieuses qu'aux actions, dont la méchanceté sera avouée dans tous les tems & chez toutes les nations.


IGNORANCES. f. (Métaphysique) l'ignorance consiste proprement dans la privation de l'idée d'une chose, ou de ce qui sert à former un jugement sur cette chose. Il y en a qui la définissent privation ou négation de science ; mais comme le terme de science, dans son sens précis & philosophique, emporte une connoissance certaine & démontrée, ce seroit donner une définition incomplete de l'ignorance, que de la restraindre au défaut des connoissances certaines. On n'ignore point une infinité de choses qu'on ne sauroit démontrer. La définition que nous donnons dans cet article, d'après M. Wolf, est donc plus exacte. Nous ignorons, ou ce dont nous n'avons point absolument d'idée, ou les choses sur lesquelles nous n'avons pas ce qui est nécessaire pour former un jugement, quoique nous en ayons déja quelque idée. Celui qui n'a jamais vû d'huître, par exemple, est dans l'ignorance du sujet même qui porte ce nom ; mais celui à la vûe duquel une huître se présente en acquiert l'idée, mais il ignore quel jugement il en doit porter, & n'oseroit affirmer que ce soit un mets mangeable, beaucoup moins que ce soit un mets délicieux. Sa propre expérience, ni celle d'autrui, dans la supposition que personne ne l'ait instruit là-dessus, ne lui fournissent point matiere à prononcer. Il peut bien s'imaginer, à la vérité, que l'huître est bonne à manger, mais c'est un soupçon, un jugement hasardé ; rien ne l'assure encore de la possibilité de la chose.

Les causes de notre ignorance procedent donc 1°. du manque de nos idées ; 2°. de ce que nous ne pouvons pas découvrir la connexion qui est entre les idées que nous avons ; 3°. de ce que nous ne réfléchissons pas assez sur nos idées : car si nous considérons en premier lieu que les notions que nous avons par nos facultés n'ont aucune proportion avec les choses mêmes, puisque nous n'avons pas une idée claire & distincte de la substance même qui est le fondement de tout le reste, nous reconnoîtrons aisément combien peu nous pouvons avoir de notions certaines ; & sans parler des corps qui échappent à notre connoissance, à cause de leur éloignement, il y en a une infinité qui nous sont inconnus à cause de leur petitesse. Or, comme ces parties subtiles qui nous sont insensibles, sont parties actives de la matiere, & les premiers matériaux dont elle se sert, & desquels dépendent les secondes qualités & la plûpart des opérations naturelles, nous sommes obligés, par le défaut de leur notion, de rester dans une ignorance invincible de ce que nous voudrions connoître à leur sujet, nous étant impossible de former aucun jugement certain, n'ayant de ces premiers corpuscules aucune idée précise & distincte.

S'il nous étoit possible de connoître par nos sens ces parties déliées & subtiles, qui sont les parties actives de la matiere, nous distinguerions leurs opérations méchaniques avec autant de facilité qu'en a un horloger pour connoître la raison pour laquelle une montre va ou s'arrête. Nous ne serions point embarassés d'expliquer pourquoi l'argent se dissout dans l'eau-forte, & non point dans l'eau régale ; au contraire de l'or, qui se dissout dans l'eau régale, & non pas dans l'eau-forte. Si nos sens pouvoient être assez aigus pour appercevoir les parties actives de la matiere, nous verrions travailler les parties de l'eau-forte sur celles de l'argent, & cette méchanique nous seroit aussi facile à découvrir, qu'il l'est à l'horloger de savoir comment, & par quel ressort, se fait le mouvement d'une pendule ; mais le défaut de nos sens ne nous laisse que des conjectures, fondées sur des idées qui sont peut-être fausses, & nous ne pouvons être assurés d'aucune chose sur leur sujet, que de ce que nous pouvons en apprendre par un petit nombre d'expériences qui ne réussissent pas toûjours, & dont chacun explique les opérations secrettes à sa fantaisie.

La difficulté que nous avons de trouver la connéxion de nos idées, est la seconde cause de notre ignorance. Il nous est impossible de déduire en aucune maniere les idées des qualités sensibles que nous avons des corps ; il nous est encore impossible de concevoir que la pensée puisse produire le mouvement dans un corps, & que le corps puisse à son tour produire la pensée dans l'esprit. Nous ne pouvons pénétrer comment l'esprit agit sur la matiere, & la matiere sur l'esprit ; la foiblesse de notre entendement ne sauroit trouver la connéxion de ces idées, & le seul secours que nous ayons, est de recourir à un agent tout-puissant & tout sage, qui opere par des moyens que notre foiblesse ne peut pénétrer.

Enfin notre paresse, notre négligence, & notre peu d'attention à réfléchir, sont aussi des causes de notre ignorance. Nous avons souvent des idées complete s, desquelles nous pouvons aisément découvrir la connéxion ; mais faute de suivre ces idées, & de découvrir des idées moyennes qui puissent nous apprendre quelle espece de convenance ou de disconvenance elles ont entr'elles, nous restons dans notre ignorance. Cette derniere ignorance est blâmable, & non pas celle qui commence où finissent nos idées. Elle ne doit avoir rien d'affligeant pour nous, parce que nous devons nous prendre tels que nous sommes, & non pas tels qu'il semble à l'imagination que nous pourrions être. Pourquoi regretterions-nous des connoissances que nous n'avons pû nous procurer, & qui sans-doute ne nous sont pas fort nécessaires, puisque nous en sommes privés. J'aimerois autant, a dit un des premiers génies de notre siecle, m'affliger sérieusement de n'avoir pas quatre yeux, quatre piés, & deux aîles.

IGNORANCE, (Morale) L'ignorance, en morale, est distinguée de l'erreur. L'ignorance n'est qu'une privation d'idées ou de connoissance ; mais l'erreur est la non-conformité ou l'opposition de nos idées avec la nature & l'état des choses. Ainsi l'erreur étant le renversement de la vérité, elle lui est beaucoup plus contraire que l'ignorance, qui est comme un milieu entre la vérité & l'erreur. Il faut remarquer que nous ne parlons pas ici de l'ignorance & de l'erreur, simplement pour connoître ce qu'elles sont en elles-mêmes ; notre principal but est de les envisager comme principes de nos actions. Sur ce pié-là, l'ignorance & l'erreur, quoique naturellement distinctes l'une de l'autre, se trouvent pour l'ordinaire mêlées ensemble & comme confondues, ensorte que ce que l'on dit de l'une, doit également s'appliquer à l'autre. L'ignorance est souvent la cause de l'erreur ; mais jointes ou non, elles suivent les mêmes regles, & produisent le même effet par l'influence qu'elles ont sur nos actions ou nos omissions. Peut-être même que dans l'exacte précision, il n'y a proprement que l'erreur qui puisse être le principe de quelque action, & non la simple ignorance, qui n'étant en elle-même qu'une privation d'idées, ne sauroit rien produire.

L'ignorance & l'erreur sont de plusieurs sortes, & il est nécessaire d'en marquer ici les différences. 1°. L'erreur considérée par rapport à son objet est ou de droit ou de fait. 2°. Par rapport à son origine, l'ignorance est ou volontaire ou involontaire ; l'erreur est vincible ou invincible. 3°. Eu égard à l'influence de l'erreur sur l'action ou sur l'affaire dont il s'agit, elle est essentielle ou accidentelle.

L'erreur est de droit ou de fait, suivant que l'on se trompe, ou sur la disposition d'une loi, ou sur un fait qui n'est pas bien connu. Ce seroit, par exemple, une erreur de droit, si un prince jugeoit que de cela seul qu'un état voisin augmente insensiblement en force & en puissance, il peut légitimement lui déclarer la guerre. Au contraire, l'idée qu'avoit Abimelec de Sara, femme d'Abraham, en la prenant pour une personne libre, étoit une erreur de fait.

L'ignorance dans laquelle on se trouve par sa faute, ou l'erreur contractée par négligence, & dont on se seroit garanti, si l'on eût pris tous les soins dont on étoit capable, est une ignorance volontaire, ou bien c'est une erreur vincible. Ainsi le polithéïsme des Payens étoit une erreur vincible ; car il ne tenoit qu'à eux de faire usage de leur raison pour comprendre qu'il n'y avoit nulle nécessité de supposer plusieurs dieux. Mais l'ignorance est involontaire, & l'erreur est invincible, si elles sont telles que l'on n'ait pû ni s'en garantir, ni s'en relever, même avec tous les soins moralement possibles. C'est ainsi que l'ignorance où étoient les Américains de la religion chrétienne avant qu'ils eussent aucun commerce avec les Européens, étoit une ignorance involontaire & invincible.

Enfin, l'on entend par une erreur essentielle, celle qui a pour objet quelque circonstance nécessaire dans l'affaire dont il s'agit, & qui par cela même a une influence directe sur l'action faite en conséquence, ensorte que sans cette erreur, l'action n'auroit point été faite. C'étoit, par exemple, une erreur essentielle que celle des Troyens, qui, à la prise de leur ville, lançoient des traits sur leurs propres gens, les prenant pour des ennemis, parce qu'ils étoient armés à la greque.

Au contraire, l'erreur accidentelle est celle qui n'a par elle-même nulle liaison nécessaire avec l'affaire dont il s'agit, & qui par conséquent ne sauroit être considérée comme la vraie cause de l'action.

A l'égard des choses faites par erreur ou par ignorance, on peut dire en général que l'on n'est point responsable de ce que l'on fait par une ignorance invincible, quand d'ailleurs elle est involontaire dans son origine & dans sa cause. Si un prince traverse ses états, travesti & incognito, ses sujets ne sont point blâmables de ce qu'ils ne lui rendent pas les honneurs qui lui sont dûs. Mais on imputeroit avec raison une sentence injuste à un juge qui par sa négligence à s'instruire du fait ou du droit, auroit manqué des connoissances nécessaires pour juger avec équité. Au reste, la possibilité de s'instruire, & les soins que l'on doit prendre pour cela, ne s'estiment pas à toute rigueur dans le train ordinaire de la vie ; on considere ce qui se peut ou ne se peut pas moralement, & avec de justes égards à l'état actuel de l'humanité.

L'ignorance ou l'erreur en matiere de lois & de devoirs, passe en général pour volontaire, & n'empêche point l'imputation des actions ou des omissions qui en sont les suites. Mais il peut y avoir des cas particuliers, dans lesquels la nature de la chose qui se trouve par elle-même d'une discussion difficile, jointe au caractere & à l'état de la personne, dont les facultés naturellement bornées ont encore manqué de culture par un défaut d'éducation, rendent l'erreur insurmontable, & par conséquent digne d'excuse. C'est à la prudence du législateur à peser ces circonstances, & à modifier l'imputation sur ce pié-là.


IGUALADA(Géogr.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, sur la riviere de Noa.


IGUANAS. m. (Zoolog.) sorte de lézard amphibie, très-commun aux Indes occidentales. Sa couleur est dans quelques-uns mi-partie brune & mi-partie grise ; dans quelques autres elle est d'un beau verd, marqueté de taches noires & blanches. Du col à la queue regne une chaîne d'écailles vertes, applaties & dentelées dans les bords. Le cabinet du sieur Seba donne la description & la figure des plus beaux iguana. (D.J.)


IGUARUCUS. m. (Hist. nat. Zoologie) animal du Brésil ; c'est un amphibie. Il vit sous l'eau comme les poissons ; il marche sur la terre comme les quadrupedes ; il grimpe aux arbres comme quelques serpens. Il se retire dans les brossailles. Il a la forme du crocodile ; il est de la grosseur du boeuf ; sa peau est noire ; il n'a point d'écailles dures comme le crocodile ; son corps est uni, mais tacheté. Son dos est hérissé d'arêtes en forme de peigne, depuis la tête jusqu'à la queue. L'ouverture de sa gueule est grande ; ses dents d'une force médiocre, & plutôt menues que grosses. Ses ongles, semblables aux serres des oiseaux, mais foibles & innocens ; il pond des oeufs en grande quantité, & on les mange, Il souffre long-tems la soif & la faim. Sa chair est un mets délicat ; les Espagnols s'y sont faits, & l'exemple des Américains leur a ôté la répugnance qu'ils en avoient d'abord.


IHNA(Géogr.) riviere d'Allemagne, dans la nouvelle Marche de Brandebourg. Elle prend sa source à Reetz ; & après avoir traversé la Poméranie, se jette dans la mer Baltique.


IHOR(Géog.) ville d'un petit royaume de même nom en Asie, dans le continent de Malaca. Les habitans sont mahométans, & trafiquent le long des côtes dans leurs petites barques, qu'ils appellent procs, & que les Européens nomment demi-lunes, à cause de leur figure. Le roi de Siam se fait payer tous les ans par ce petit état un tribut de trois cent livres de notre monnoie actuelle. Long. 121. 30. lat. 1. 58. (D.J.)


IKAZINA(Géogr.) ville du grand-duché de Lithuanie, dans le palatinat de Wilna. Elle est bâtie en bois.


IKEGUOS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Ethiopiens & les Abyssins nomment les généraux de leurs ordres monastiques, dont il n'y en a que deux dans l'empire. L'ikeguo est élu par les abbés & supérieurs des différens monasteres, qui comme chez nos moines sont eux-mêmes élus à la pluralité des voix.


IKENDIS. m. (Hist. mod.) c'est le second mois des Tartares orientaux, & de ceux qui font partie de l'empire des Chinois. Il répond à notre Janvier. On l'appelle aussi aicundi. Voyez le dictionn. de Trévoux.


IKENDINS. m. (Hist. mod.) le midi des Turcs.


ILIL

Il vaudroit mieux sans-doute substituer à ces énormes toiles que l'érudition a si laborieusement tissues, quelque système philosophique où l'on vît l'art sortir comme d'un germe, s'accroître & prendre toute sa grandeur. Il est au moins certain que si ce système ne nous rapprochoit pas davantage de la vérité, il nous épargneroit des recherches dont l'utilité ne frappe pas tous les yeux. Il est cependant une sorte de curiosité qui peut se faire un amusement philosophique des recherches de l'érudition la plus frivole, du sérieux & de l'intérêt qu'on y a mis ; & ce sera dans cette vûe, autant qu'il nous sera possible d'y entrer, que nous allons exposer aux autres & nous représenter à nous-mêmes le labyrinthe des antiquités chimiques.

Nos antiquaires chimistes ne se sont pas contentés de fouiller dans tous les recoins de l'histoire sainte & de l'histoire prophane ; ils se sont emparés des fables anciennes ; & c'est une chose curieuse que les efforts prodigieux & les succès singuliers avec lesquels ils en ont quelquefois détourné le sens vers leur objet. Leurs explications sont-elles plus ridicules, plus forcées, plus arbitraires, que celles des Platoniciens modernes, de Vossius, de Noel le Comte, de Bochart, de Kircher, de Marsham, de Lavaur, de Fourmont, & autres interpretes de la Mythologie, qui ont vû dans ces fables la théologie des anciens, leur astronomie, leur physique, leur agriculture, notre histoire sainte défigurée ? Philon de Biblos, Eusebe, & d'après ceux-ci quelques modernes, ont-ils eu plus ou moins de raison que les premiers auteurs de prétendre que ce n'étoient que des faits historiques déguisés, & de reprocher aux Grecs leur goût pour l'allégorie ? Qui sont les plus fous ou de ceux qui discernent dans des contes surannés la vraie Théologie, la Physique, & une infinité d'autres belles choses ; ou de ceux qui croyent que pour y retrouver des procédés chimiques admirables, il ne s'agit que de les développer & que de les dégager de l'alliage poétique ? Sans rien décider là-dessus, je crois qu'on peut assûrer qu'en ceci, comme en beaucoup d'autres cas, nous avons fait aux anciens plus d'honneur qu'ils n'en méritoient : comme lorsque nous avons attaché à leurs lois, à leurs usages, à leurs institutions superstitieuses, des vûes politiques qu'apparemment ils n'ont guere eues. A tout moment nous leur prêtons notre finesse, & nous nous félicitons ensuite de l'avoir devinée. On trouvera dans les anciennes tout ce qu'on y cherchera. Qu'y devoient chercher des Chimistes ? des procédés ; & ils y en ont découvert.

Qu'étoit-ce, à leur avis, que cette toison d'or qui occasionna le voyage des Argonautes ? Un livre écrit sur des peaux, qui enseignoit la maniere de faire de l'or par le moyen de la Chimie. Suidas l'a dit ; mais cette explication est plus ancienne que Suidas : on la rencontre dans le commentaire d'Eusthate sur Denis de Periegete ; celui-ci la rapporte d'après un Charax, cité plusieurs fois dans un traité d'Hermolaüs de Bisance, dédié à l'empereur Justinien ; & Jean François de la Mirandole prétend que le scholiaste d'Apollonius de Rhode, & Apollonius lui-même, y ont fait allusion ; l'un dans cet endroit du second livre de ses Argonautiques ; l'autre dans son commentaire,

. Hermès la fit d'or.

Le scholiaste dit sur ce passage, : on dit qu'Hermès la changea en or en la touchant. Conringius incrédule en antiquités chimiques, ose avancer qu'il n'est pas clair dans ces passages qu'il soit question de l'art de faire de l'or.

Si l'on a vû l'art de faire de l'or dans la fable des Argonautes, que ne pouvoit-on voir dans celles du serpent tué par Cadmus, dont les dents semées par le conseil de Pallas, produisent des hommes qui s'entre-tuent ; du sacrifice à Hecate, dont parle Orphée ; de Saturne qui coupe les testicules au Ciel son pere, & les jette dans la mer, dont l'écume mêlée avec le sang de ces testicules coupés, donna naissance à Vénus ; du même qui dévore ses enfans à mesure qu'ils naissent, excepté le roi & la reine, Jupiter & Junon ; d'Esculape qui revivifie les morts ; de Jupiter transmué en pluie d'or ; du combat d'Hercule & d'Anthée ; des prodiges de la lyre d'Orphée ; de Pirrha & de Deucalion ; de Gorgone qui lapidifie tout ce qui la voit ; de Midas, à qui Bacchus accorda le don fatal de convertir en or tout ce qu'il touchoit ; de Jupiter qui emporte Ganimede au ciel, sous la forme d'une aigle ; de Dedale & d'Icare ; du nuage sous lequel Jupiter enveloppé joüit d'Io, & la dérobe à la colere de Junon ; du Phenix qui renaît de sa cendre ; du rajeunissement d'Aeson, &c. Aussi Robert Duval, R. Vallensis, prétend-il dans un traité intitulé de veritate & antiquitate artis Chimiae, imprimé en 1602, qu'il n'y a aucune de ces allégories dont on ne trouve la véritable clé dans les procédés de la Chimie.

En effet, quel est le vrai chimiste, le chimiste un peu jaloux de ce qui appartient à son art, qui pût se dessaisir sans violence de la fable des travaux d'Hercule ; de l'enlevement des pommes du jardin des Hespérides, après la défaite du dragon qui les gardoit ; de la destruction du lion de la forêt de Nemié ; de la biche aux piés d'airain, tuée sur le mont Menale, &c. Oh si les Chimistes avoient été plus érudits, ou plûtôt les érudits (Kircher par exemple) plus chimistes, quelle moisson d'interprétations à faire n'auroient-ils pas trouvée dans les sentences de Zoroastre, les hymnes d'Orphée, les symboles de Pythagore, les emblèmes, les hiéroglyphes, les tables mystiques, les énigmes, les gryphes, les paroemies, & tous les autres instrumens de l'art de voiler la vérité, dont on se servoit dans les tems où elle étoit autant respectée qu'elle mérite de l'être, où le peuple bien apprécié étoit jugé indigne de la connoître, où l'on croyoit que c'étoit la prostituer que de l'exposer toute nue aux yeux du vulgaire, & où le philosophe jaloux d'élever une barriere entre lui & le reste des hommes, étoit moins à blâmer de la manie qu'il avoit de la cacher, que de celle de faire croire qu'il la cachoit ; car on peut regarder la premiere comme infiniment meilleure que cette indiscrétion qui l'a divulguée depuis par tant de colléges, tant de facultés, tant d'académies plantées, comme disoit le moine Bacon,in omni castro & in omni burgo. Les douze classes ou chefs d'explications dans lesquels Kircher a divisé son gymnasium hieroglyphicum, se seroient réduites par quelques connoissances de la Chimie, à la dixieme seule, où il auroit encore été infiniment moins court & plus hardi. Si M. Jablonski avoit été chimiste, il se seroit bien gardé de voir dans la fameuse table d'Isis, si heureusement sauvée par le célebre cardinal Pietro Bembo, du sac de Rome par le connétable de Bourbon, la suite des fêtes célébrées en Egypte durant toute l'année (voy. Miscell. Berolin. tom. VI.) ; mais bien au lieu d'un almanach de cabinet égyptien, un tableau du procédé divin de la transmutation hermétique. Au reste, ceux qui seront curieux de savoir comment les Chimistes l'emportent sur les simples érudits, comme interpretes de l'histoire & de la fable, peuvent consulter principalement Majeri arcana arcanorum omnium arcanissima, & plusieurs ouvrages de P. J. Fabre de Castelnaudari (Faber Castrinovidariensis), médecin de Montpellier, sur-tout son Panchimicum, son Hercules Piochimicus, & son Alchimista christianus.

Au lieu de ce détail, voici une de ces explications qui pourra recréer quelques lecteurs : elle est du célebre Blaise Vigenere. Cet auteur prétend qu'il faut entendre, par la fable de Promethée puni pour avoir dérobé le feu du ciel, que " les dieux envierent le feu aux hommes, pour ce que par le moyen d'icelui ils sont venus à pénétrer dans les plus profonds & cachés secrets de la nature, de laquelle on ne peut bonnement découvrir & connoître les manieres de procéder, tant elle opere ratierement, sinon que par son contre-pié, que les Grecs appellent , la résolution & séparation des parties élémentaires qui se fait par le feu, dont procede l'exécution de tous les artifices presque que l'esprit de l'homme s'est inventé. Si que les premiers n'avoient autre instrument & outil que le feu, comme on a pû voir modernement ès découvertes des Indes occidentales ; Homere, en l'hymne de Vulcain, met qu'icelui assisté de Minerve, enseignerent aux humains leurs artifices & beaux ouvrages, ayant auparavant accoûtumé d'habiter en des cavernes & rochers creux à guise des bêtes sauvages. Voulant inférer par Minerve la déesse des Arts & Sciences, l'entendement & industrie, & le feu par Vulcain qui les met à exécution. Par quoi les Egyptiens avoient coûtume de marier ces deux déités ensemble (mariage respectable), ne voulant par-là dénoter autre chose, sinon que de l'entendement procede l'invention de tous les Arts & Métiers ; que le feu pais après effectue, & met de puissance en action ; nam agens in toto hoc mundo, dit Johancius, non est aliud quam ignis & calor,


ILA(Géogr.) île d'Ecosse entre les Hébrides, d'environ sept lieues de long sur cinq de large. Elle abonde en bétail ou bêtes fauves, en poisson, & en pierre à chaux. C'est ici que Magdonal, roi des Hébrides, tenoit autrefois sa cour, & l'on voit encore les ruines de son palais. (D.J.)


ILAMBA(Geog.) vaste province d'Afrique au royaume d'Angola. Elle est divisée en plusieurs seigneuries fort peuplées, dont chacune a son sova, qui commande au village de son ressort. On ne trouve dans toute cette province, qui a peut-être cent lieues d'étendue, ni forêts, ni citadelles pour fermer le passage à l'ennemi, mais nous n'en savons aucun autre détail. (D.J.)


ILANTZ(Géog.) ville des Grisons, capitale de la quatrieme communauté de la ligue grise ; elle a à son tour les assemblées des trois ligues du pays. Elle est sur le Rhin, à 7 lieues S. O. de Coire. Long. 26. 45. lat. 46. 38. (D.J.)


ILAPINASTES. m. (Myth.) surnom que l'on donnoit à Jupiter dans l'île de Chypre. Il vient de , célébrer par des festins. Ainsi Jupiter Ilapinaste, c'est la même chose que Jupiter honoré par des festins.


ILCHESTER(Géog.) ancienne ville à marché d'Angleterre en Sommersetshire. Elle envoye deux députés au Parlement, & est sur l'Ill, à 30 lieues O. de Londres.

Mais elle doit se vanter d'avoir donné naissance à Roger Bacon,religieux de l'ordre de S. François, dans le treizieme siecle. Il fut surnommé le docteur admirable, & il l'est par ses découvertes dans l'Astronomie, dans l'Optique, dans les Méchaniques & dans la Chimie. Depuis Archimede, la nature ne forma point de génie plus pénétrant ; il eut la premiere idée de la réformation du calendrier Julien, & à peu-près sur le plan qu'on a suivi sous Grégoire XIII. Il a décrit les lunettes, la chambre obscure, les télescopes & les miroirs ardens. S'il n'introduisit pas la Chimie en Europe, il est du moins un des premiers qui l'y ayent cultivé. Il a inventé, ou connu certainement, la poudre à canon, comme on en peut juger par la maniere précise dont il parle des effets de sa composition. Voici ses propres termes, ils sont bien curieux : Modica materia adaptata (scilicet ad quantitatem unius pollicis) sonum facit horribilem, & coruscationem ostendit violentam, & hoc fit multis modis, quibus civitas aut exercitus destruatur. Il mourut à Oxford en 1392, âgé de 78 ans. (D.J.)


ILCUSSIIA(Géogr.) ville du royaume de Pologne, du Palatinat de Cracovie, dans la petite Pologne, fameuse par ses mines de plomb & d'argent.


ILDEFONS(SAINT), Géog. magnifique maison royale d'Espagne dans la nouvelle Castille, au territoire de Ségovie. C'est le Versailles d'Espagne, & qui a commencé de même par être une maison de chasse. Philippe V. l'a bâti en 1720, & l'a depuis ce tems-là beaucoup embelli. (D.J.)


ILEO-COLIQUEadj. en Anatomie, nom d'une branche de l'artere mésentérique supérieure, qui se distribue à l'intestin iléon & au colon. Haller, icon. anat.


ILEou ILLER, (Géog.) riviere d'Allemagne, qui prend sa source dans les montagnes du Tyrol, & qui va se jetter dans le Danube près d'Ulme.


ILERCAONS(Géogr. anc.) Ilercaonae, Ilercaones, Ilercaonensium regio, ancien peuple de l'Espagne tarragonoise, vers l'embouchure de l'Ebre. Ce peuple occupoit une partie de la côte de Catalogne jusqu'à celle de Valence. (D.J.)


ILERGETESS. m. pl. (Géogr. anc.) Ilergetae, ancien peuple de l'Espagne tarragonoise sur la Segre. Ils étoient bornés au nord par les Pyrénées, par les Ilercaons au sud, & par les Vascons à l'ouest & au nord-ouest. (D.J.)


ILESS. f. en Anatomie, l'os des îles, l'os ileum ou l'os des hanches, & a été ainsi nommé par les anciens, parce qu'il soutient les flancs. Voyez FLANC.

C'est la plus grande des trois pieces dont les os innominés sont composés dans les jeunes sujets.

Il est situé à la partie supérieure du bassin : on le divise en crête, en base, en bord antérieur, en bord postérieur, en deux faces ; l'une latérale externe, l'autre latérale interne.

La crête est la partie supérieure arrondie en forme d'arcade, dont la portion postérieure, qui est la plus épaisse, est appellée tubérosité ; on distingue dans son épaisseur deux levres & deux interstices.

Le bord antérieur a deux interstices, appellées l'une épine antérieure supérieure, & l'autre épine antérieure inférieure. Ces deux éminences sont séparées par une échancrure ; on en remarque de même deux au bord postérieur, mais elles sont plus près l'une de l'autre.

La base ou partie inférieure est la plus épaisse de toutes ; elle forme antérieurement la portion supérieure de la cavité cotyloïde, & postérieurement presque toute la grande échancrure sciatique.

La face latérale externe est convexe antérieurement & concave postérieurement.

La face latérale interne est inégalement concave ; elle a en-arriere plusieurs inégalités, parmi lesquelles il y a une grande facette cartilagineuse de la figure d'une S qui sert à la symphise cartilagineuse de cet os avec l'os sacrum.


ILEUSUGAGUEN(Géog.) ville forte d'Afrique au royaume de Maroc, dans la province d'Héa, sur une montagne à trois lieues de Hadequis. Long. 8. 28. lat. 30. 40. (D.J.)


ILHEOS(Géog.) ville maritime de l'Amérique méridionale, capitale de la capitainerie de Rio dos Ilhéos au Brésil. Elle appartient aux Portugais, & est dans un pays fertile. Long. 340. 10. lat. mérid. 15. 40. (D.J.)


ILIADES. m. (Littérat.) nom d'un poëme épique, le premier & le plus parfait de tous ceux qu'Homere a composés. Voyez EPIQUE.

Ce mot vient du grec , ilium, nom de cette fameuse ville que les Grecs tinrent assiégée pendant dix ans, & qu'ils ruinerent à la fin, à cause de l'enlévement d'Helene, & qui fait l'occasion de l'ouvrage dont le véritable sujet est la colere d'Achille.

Le dessein d'Homere dans l'iliade a été de faire concevoir aux Grecs divisés en plusieurs petits états, combien il leur importoit d'être unis & de conserver entr'eux une bonne intelligence. Pour cet effet, il leur remet devant les yeux les maux que causa à leurs ancêtres la colere d'Achille, & sa mésintelligence avec Agamemnon ; & les avantages qu'ils retirerent de leur union. Voyez FABLE, ACTION.

L'iliade est divisée en vingt-quatre livres, que l'on désigne par les lettres de l'alphabet. Pline parle d'une iliade écrite sur une membrane si petite & si déliée, qu'elle pouvoit tenir dans une coque de noix.

Pour la conduite de l'iliade, voyez le P. le Bossu, Madame Dacier & M. de la Motte.

Les critiques soutiennent que l'iliade est le premier & le meilleur poëme qui ait paru au monde. Aristote en a presqu'entiérement tiré les regles de sa poétique ; & il n'a eu autre chose à faire que d'établir des regles sur la pratique d'Homere. Quelques auteurs disent qu'Homere a non-seulement inventé la Poésie, mais encore les Arts & les Sciences, & qu'il donne dans son poëme des marques visibles qu'il les possédoit toutes à un degré éminent. Voyez POESIE.

M. Barus de Cambridge va mettre un ouvrage sous presse, dans lequel il prouve que Salomon est l'auteur de l'iliade.

L'iliade, dit M. de Voltaire dans son essai sur la poésie épique, est pleine de dieux & de combats. Ces sujets plaisent naturellement aux hommes ; ils aiment ce qui leur paroît terrible. Ils sont comme les enfans qui écoutent avidement ces contes de sorciers qui les effraient. Il y a des fables pour tout âge, & il n'y a point eu de nation qui n'ait eu les siennes.

De ces deux sujets qui remplissent l'iliade, naissent deux grands reproches que l'on fait à Homere. On lui impute l'extravagance de ses dieux & la grossiéreté de ses héros. C'est reprocher à un peintre d'avoir donné à ses figures les habillemens de leur tems. Homere a peint les dieux tels qu'on les croyoit, & les hommes tels qu'ils étoient. Ce n'est pas un grand mérite de trouver de l'absurdité dans la théologie payenne, mais il faudroit être bien dépourvû de goût, pour ne pas aimer certaines fables d'Homere. Si l'idée des trois graces qui doivent toujours accompagner la déesse de la Beauté, si la ceinture de Venus sont de son invention, quelles louanges ne lui doit-on pas pour avoir ainsi orné cette religion que nous lui reprochons ? & si ces fables étoient déja reçûes avant lui, peut-on mépriser un siecle qui avoit trouvé des allégories si justes & si charmantes ?

Quant à ce qu'on appelle grossiéreté des héros d'Homere, on peut rire tant qu'on voudra de voir Patrocle au neuvieme livre de l'iliade, mettre trois gigots de mouton dans une marmite, allumer & souffler le feu, & préparer le dîner avec Achille. Achille & Patrocle n'en sont pas moins éclatans. Charles XII. roi de Suede, a fait six mois sa cuisine à Demir-Tocca, sans rien perdre de son héroïsme ; & la plûpart de nos généraux qui portent dans un camp tout le luxe d'une cour efféminée, auront bien de la peine à égaler ces héros.

Que si on reproche à Homere d'avoir tant loué la force de ses héros, c'est qu'avant l'invention de la poudre, la force du corps décidoit de tout dans les batailles. Les anciens se faisoient une gloire d'être robustes, leurs plaisirs étoient des exercices violens. Ils ne passoient point leurs jours à se faire traîner dans des chars à couvert des influences de l'air, pour aller porter languissamment d'une maison à l'autre, leur ennui & leur inutilité. En un mot, Homere avoit à représenter un Ajax & un Hector, & non un courtisan de Versailles ou de Saint-James. Essai sur la poésie épique.

On peut également excuser les défauts de style ou de détail qui se trouvent dans l'iliade ; ses censeurs n'y trouvent nulle beauté, ses adorateurs n'y avouent nulle imperfection. Le critique impartial convient de bonne foi qu'on y rencontre des endroits foibles, défectueux, traînans, quelques harangues trop longues, des descriptions quelquefois trop détaillées, des répétitions qui rebutent, des épithetes trop communes, des comparaisons qui reviennent trop souvent, & ne paroissent pas toujours assez nobles. Mais aussi ces défauts sont couverts par une foule infinie de graces & de beautés inimitables, qui frappent, qui enlevent, qui ravissent, & qui sollicitent pour les taches légeres dont nous venons de parler, l'indulgence de tout lecteur équitable & non prévenu.

Madame Dacier a traduit l'iliade en prose, M. de la Mothe l'a imitée en vers. L'une de ces traductions n'atteint pas la force de l'original, l'autre affecte en quelque sorte de le défigurer.


ILIAQUEadj. en Anatomie, se dit des parties relatives à l'ileon. Voyez ILEON.

L'artere iliaque est une des branches de la division de l'aorte inférieure. Voyez AORTE.

L'artere iliaque se porte obliquement vers la partie latérale & supérieure de l'os sacrum, là elle se divise en deux branches, l'une qu'on appelle artere iliaque interne, ou artere hypogastrique, qui se jette dans le bassin ; & l'autre artere iliaque externe, qui rampe le long des parties latérales & supérieures du bassin, sans jetter de branches considérables, & vient passer sous le ligament de Fallope, où elle fournit plusieurs branches, & prend le nom d'artere crurale. Voyez HYPOGASTRIQUE & CRURALE.

Le muscle iliaque vient de la face interne de l'os des îles de la crête, de ses épines antérieures, de leur intervalle ; en descendant sur la partie inférieure de ce même os, se joint au grand psoas, & s'insere avec lui au petit trochanter.

ILIAQUE passion, (Medecine) ileus, ; ce nom est dérivé du mot grec , qui signifie être replié, contourné ; circumvolvi, contorqueri, auxquels répondent les noms latins qu'on donne à cette maladie, de volvulus, passio volvulosa ; elle est décrite dans Caelius Aurelianus sous le nom de tormentum ; quelques auteurs grecs l'appellent aussi , pensant que les intestins sont alors tendus comme des cordes ; son nom vulgaire francisé est miserere, nom tiré sans-doute de la compassion qu'arrache l'état affreux des personnes qui en sont attaquées. Le symptome qui caractérise cette maladie est un vomissement presque continuel avec constipation ; on vomit d'abord les matieres contenues dans l'estomac, peu après on rejette la bile, des matieres chileuses, même des excrémens ; quelquefois aussi les malades ont rendu par la bouche les lavemens, les suppositoires, s'il en faut croire quelques medecins observateurs : en même tems ils ressentent des douleurs aiguës dans le bas-ventre ; la soif est immodérée, la chaleur excessive, la foiblesse extrême, le pouls est dur, vibratil, serré, vîte, la respiration est difficile ; à ces accidens surviennent quelquefois, lorsque la maladie est à son dernier période, le hoquet, convulsion, délire, sueurs froides, défaillances, refroidissement des extrémités, &c. Cette maladie est quelquefois contagieuse, comme l'a observé Schenckius, lib. III. observ. Amatus Lusitanus (Observ. cap. viij.) assure l'avoir vûe épidémique ; les malades qui en étoient attaqués rendoient beaucoup de vers par la bouche. Cette maladie est au rapport de Bartholin (Epistol. cap. iv. pag. 529.) endémique dans la Jamaïque, île d'Amérique. On lit dans Forestus une observation singuliere de Dodonée, touchant une passion iliaque périodique, dont les paroxysmes revenoient tous les trois jours. Lib. XXI. observ. 19.

Les causes de cette maladie sont extérieures ou internes ; on ne peut connoître celles-ci que par l'ouverture du cadavre, l'observation nous découvre les autres ; c'est par elle que nous savons que la passion iliaque est souvent excitée par les poisons, les champignons, les émétiques, les violens purgatifs. Un nommé Guilandius, au rapport de Prosper Alpin (Method. medend.), fut attaqué d'une passion iliaque mortelle, pour avoir pris des pilules & demi-once d'hiera picra ; un accès de colere, un exercice violent ont quelquefois produit le même effet ; Zacutus Lusitanus a observé une passion iliaque déterminée par un arrêt subit de la sueur & de la transpiration dans un jeune seigneur qui venoit de jouer à la paume ; l'abus & l'usage déplacé des astringens, a quelquefois occasionné cette maladie. Fernel raconte qu'une fille en fut atteinte pour avoir mangé trop abondamment des coings, & qu'on les trouva ramassés dans le coecum, qui en avoit été resserré & retréci. On en a vu survenir à la suite d'une blessure dans le bas-ventre ; mais les causes les plus fréquentes sont les hernies. L'ouverture des cadavres nous fait souvent appercevoir les causes internes, c'est-à-dire les vices, les dérangemens qui produisent plus immédiatement cette maladie. Dans tous les cadavres de personnes mortes de passion iliaque, on voit le conduit intestinal fermé dans quelques endroits, tantôt par des excrémens durs, des vers, des tumeurs, des ulceres, par des concrétions pierreuses, crétacées, plâtreuses, &c. tantôt par des inflammations considérables, très-souvent par l'étranglement des intestins descendus dans le scrotum dans les hernies ; quelquefois par des entrelacemens, des noeuds, des replis, des déplacemens de quelque portion d'intestin. Quelques auteurs ont refusé de croire que cette cause eût lieu, par la singuliere & cependant très-ordinaire raison, qu'ils ne comprenoient pas comment les intestins attachés au mesentere, pouvoient ainsi se déranger ; mais ce raisonnement, quelque plausible qu'il puisse être, doit céder à une foule d'observations qui constatent ce fait : ces replis sont même quelquefois très-multipliés. Riviere en a observé trois dans l'intestin ileon ; Henri de Keers en a trouvé cinq, & Barbette dit en avoir vû jusqu'à sept. On peut ajouter à cela les observations de Platter, de Panarole, d'Hyppolitus Boscus, & de plusieurs autres. Le vice le plus fréquent qu'on apperçoit dans les intestins des personnes qui sont mortes de cette maladie, est l'intussusception ou invagination d'une portion d'intestin dans un autre ; on a vû quelquefois tout le coecum rentré & caché dans l'ileum. Cette cause est attestée par beaucoup d'observations de Columbus, de Sylvius de le Boë, de Plempius, de Frédéric Ruysch ; c'est celle qui produit le plus ordinairement l'ileus endémique de la Jamaïque. Voyez Bartholin. Peyer a observé jusqu'à trois semblables invaginations dans le même sujet ; Patin traite aussi ce redoublement de chimérique, parce qu'il ne l'a jamais vû. Quelquefois ces duplicatures se rencontrent sans qu'il y ait passion iliaque, comme je l'ai observé dans un homme qui mourut subitement après avoir pris l'émétique, au premier effort qu'il fit pour vomir. Il n'est pas rare de trouver aussi dans les cadavres les intestins retrécis & étranglés dans certains endroits, comme s'ils fussent serrés par une corde. Le skirrhe du mésentere ou des parties environnantes est une des causes découvertes par les inspections anatomiques. Le pancreas grossi & obstrué en comprimant l'intestin, en a occasionné l'inflammation, l'ulcere & la passion iliaque, Kerkringius, observ. anatom. 42. On trouve souvent l'épiploon & les intestins gangrenés & sphacelés ; la corruption est quelquefois si grande, qu'elle empêche d'enlever les visceres & de pouvoir examiner la cause du mal. Baillou, liv. II. épidem. Hilden, de gangren. cap. iv. Il paroît pourtant par toutes ces observations, qu'il ne suffit pas que le conduit intestinal soit bouché, il faut encore qu'il y ait une irritation qui fasse sur les intestins le même effet que les émétiques font sur l'estomac. Ces causes peuvent agir dans les intestins greles ou dans les gros, ce qui produit quelque léger changement dans les symptomes ; lorsque les greles sont affectés, les douleurs sont plus vives, les vomissemens plus fréquens ; les matieres qu'on rend par le vomissement sont chimeuses ou chyleuses. Lorsque les gros intestins sont attaqués, les vomissemens sont plus lents, les douleurs moins aiguës ; elles se font sentir principalement aux hypochondres & aux reins, le malade vomit les excrémens, &c.

Le diagnostic de cette maladie n'est pas difficile, elle est très-bien caractérisée par le vomissement joint à la constipation totale ; mais il est très-important d'en bien distinguer les causes, sur-tout de reconnoître l'inflammation lorsqu'elle est présente ; alors les douleurs sont vives, la fievre est plus violente, l'altération & l'agitation du corps plus grandes, le pouls est dur & fréquent. La connoissance de ce qui a précédé peut aussi fournir des éclaircissemens ; on peut s'appercevoir facilement en examinant le malade si la maladie doit être attribuée à quelque hernie ; les autres causes sont trop cachées pour qu'on puisse même les soupçonner, on est obligé d'agir en aveugle, & ce n'est pas le seul cas où l'on soit réduit au tatonnement & à la divination souvent funestes, mais indispensables.

Prognostic. La passion iliaque est une maladie très-dangereuse, fort aiguë, qui est bientôt terminée plutôt en mal qu'en bien : lorsqu'elle dépend de l'inflammation, ou qu'elle en est accompagnée, il est rare qu'on en réchappe ; il y a plus à espérer si elle est la suite d'une hernie, parce qu'on peut rentrer l'intestin, ou du moins on a toujours le pis-aller de l'opération ; elle se guérit assez facilement lorsqu'elle est la suite d'une constipation opiniâtre, d'un rentrement d'intestin, &c. La guérison est prochaine lorsque le malade prend les lavemens & qu'il les rend facilement, que les douleurs ne sont point fixes ni continues ; il n'y a plus de danger lorsque les remedes laxatifs qu'on prend par la bouche, operent par les selles ; mais le péril est pressant, & il ne reste plus d'espérance, lorsque les douleurs qui étoient extrêmement aiguës, viennent à cesser tout-à-coup sans que les autres symptomes diminuent, alors l'abatement des forces est plus sensible, l'haleine est puante, la foiblesse & la vîtesse du pouls augmentent, les syncopes sont fréquens, la gangrene est formée, & la mort est prochaine ; le hoquet, la convulsion, le délire survenans à la passion iliaque sont des signes d'un très-mauvais augure. Hippocr. aphor. 10. lib. VII.

Curation. Cette maladie est une de celles où la nature n'opere rien pour sa guérison ; elle exige les secours de l'art les plus promts & les plus appropriés ; ils doivent être variés suivant les différentes causes : lorsqu'il y a inflammation ou qu'elle est à craindre, il est à propos de faire une ou deux saignées, de donner des lavemens émolliens, anodins, d'appliquer sur le bas-ventre des fomentations de la même nature ; intérieurement on doit avoir recours aux remedes rafraîchissans, tempérans, anti-orgastiques, calmans ; tels sont les eaux de poulet, tisanes émulsionées, le nitre, la liqueur minérale anodine d'Hoffman ; si les douleurs sont trop vives, il faut donner les narcotiques, mais à petite dose ; on peut essayer quelques légers purgatifs en les associant aux calmans même narcotiques. S'il y a hernie, il faut en tenter la réduction, ou en venir de bonne heure à l'opération. Voyez HERNIE. Lorsqu'on n'a à craindre ni l'inflammation ni l'hernie, on peut donner des lavemens plus actifs, plus stimulans ; la fumée du tabac injectée dans l'anus par l'instrument de Dekkers, est très-convenable ; Hippocrate conseille d'enfler les boyaux avec de l'air ; il y a des soufflets propres à cette opération : Celse recommande avec raison les ventouses. Les Chinois guérissent cette maladie par le cautere actuel. On a vû quelquefois de bons effets de l'application des animaux tout chauds sur le ventre ; il ne faut pas trop perdre du tems à employer ces remedes ; pour peu qu'ils tardent à produire de bons effets, il faut recourir au remede de van Helmont, aux balles de plomb, d'argent ou d'or ; avec ce remede, dit-il, neminem volvulo perire sivi ; ou ce qui est encore mieux, au mercure, dont il faut faire avaler une ou deux livres, & agiter, promener en voiture, s'il est possible, le malade ; mille observations constatent l'efficacité de ce remede. Ne seroit-il pas à propos de faire marcher ces malades piés nuds sur un terrein froid & mouillé ? Les personnes saines à qui il arrive de faire pareille chose, sont punies de cette imprudence par la diarrhée. Enfin tous ces secours inutilement employés, quelques auteurs proposent d'ouvrir le ventre, de dénouer & raccommoder les intestins ; cette opération est cruelle, elle peut être inutile, dangereuse ; mais c'est une derniere ressource dans des cas absolument désespérés. Article de M. MENURET.


ILIBOBOCAS. m. (Ophiolog. exot.) serpent du Brésil nommé par les Portugais, cobra de coral. Il est de la longueur de deux piés & de la grosseur du pouce, qui s'amenuise encore davantage vers la queue, & se termine en pointe ; son ventre est tout blanc, mais d'un blanc argentin & lustré ; sa tête est couverte d'écailles blanches de forme cubique, bordées de quelques autres écailles noires ; son corps est tacheté de blanc, de noir & de rouge. Il rampe avec lenteur, & passe pour très-dangereux. Ray, syn. anim. pag. 327. (D.J.)


ILIMSK(Géog.) province & ville de Sibérie, située sur la riviere d'Ylim qui se jette dans celle de Tungus, qui elle-même se perd dans le fleuve de Jenisci. Elle est habitée par des Tartares Tunguses & par des Russes, & releve du woinde ou gouverneur d'Irkusk.


ILION(Géog. anc. & Littér.) voilà le nom qui nous est si cher dans l'ancienne ville de Troie, dans l'Asie mineure.

Ilion, ton nom seul a des charmes pour moi !

Ne verrai je jamais rien de toi, ni la place

De ces murs élevés & détruits par les dieux,

Ni ces champs où couroient la fureur & l'audace,

Ni des tems fabuleux enfin la moindre trace

Qui pût me présenter l'image de ces lieux !

Non, on ne verra rien de tous ces précieux restes de l'antiquité ! L'Ilion dont il s'agit, fut détruite 850 ans avant l'arrivée d'Alexandre en Troade ; il ne trouva qu'un village qui portoit son nom, bâti à trente stades au-delà. Ce prince fit de riches présens à ce pauvre village, lui donna le titre de ville, & laissa des ordres pour l'aggrandir.

Après la mort d'Alexandre, Lysimaque amplifia le nouvel Ilion, & l'environna d'un mur de quarante stades ; mais cette ville n'avoit plus de murailles, quand les Gaulois y passerent, l'an 477 de Rome ; & la premiere fois que les Romains entrerent en Asie, c'est-à-dire l'an de Rome 564, Ilion avoit plutôt l'air d'un bourg que d'une ville ; Fimbria, lieutenant de Sylla, acheva de la ruiner en 668, dans la guerre contre Mithridate.

Cependant Sylla consola les habitans de leur perte, & leur fit du bien. Jules-César qui se regardoit comme un des descendans d'Enée, s'affectionna entiérement à cette petite ville, & la réédifia. Il donna non-seulement de nouvelles terres à ses habitans, mais la liberté & l'exemption des travaux publics. En un mot, il étendit si loin ses bienfaits sur Ilion, qu'au rapport de Suétone, on le soupçonna d'avoir voulu quitter Rome pour s'y établir, & y transporter les richesses de l'empire.

On eut encore la même frayeur sous Auguste, qui en qualité d'héritier de Jules-César, auroit pû exécuter ce grand projet. L'un & l'autre montrerent en plusieurs occasions, un penchant très-marqué pour la ville d'Ilion. Nous venons de voir ce que le premier fit pour elle ; le second y établit une colonie avec de nouveaux privileges, & rendit aux Troyens la belle statue d'Ajax, qu'Antoine avoit fait transporter en Egypte.

Enfin, M. le Fevre, Dacier, & le P. Sanadon, sont persuadés que ce fut pour détourner adroitement Auguste du dessein qu'il pourroit avoir de relever l'éclat de l'ancienne Troie, qu'Horace composa cette ode admirable, chef-d'oeuvre de la poésie lyrique, qui commence par justum & tenacem propositi virum, dans laquelle ode il fait tenir à Junon ce discours.

Ilion, Ilion !

Fatalis incestusque judex,

Et mulier peregrina vertit

In pulverem.

Ilion, la détestable Ilion ! c'est par cette répétition qu'il tâche d'imprimer des sentimens d'aversion pour cette ville ; par mépris encore, il ne daigne faire nommer à Junon, ni Paris, ni Hélene ; l'une est une femme étrangere, l'autre un juge fatal à sa patrie, un violateur de l'hospitalité ; Laomédon & les Troyens sont des perfides, des parjures, livrés depuis long-tems à la colere des dieux. Voilà le sujet de cette piece lyrique découvert ; & vraisemblablement Horace la fit de concert & par les conseils de Mécene & d'Agrippa : jamais le poëte n'eut un sujet plus délicat à manier, & jamais il ne s'en tira avec tant d'art.

Ilion subsista encore sous les empereurs. On a des médailles frappées au nom de ses habitans. Il y en a une de Marc Aurele, qui représente Hector sur un char à deux chevaux, avec cette légende . Il y en a d'autres de Commode & d'Antonin fils de Sévere, sur lesquelles la légende est la même ; mais le char est à quatre chevaux. On en a aussi à deux chevaux frappées sous Sévere & sous Gordien.

C'est de l'Ilion dont il est ici question, que les voyageurs disent avoir vû les ruines, & non pas de l'ancienne Troie, qu'Hector ne put défendre, & que les Grecs brulerent impitoyablement dans une seule nuit. Voyez TROIE. (D.J.)


ILISSIDESadj. fem. pl. (Mythol.) Ilissides, ou Ilissiades est un surnom des Muses, pris du fleuve Ilissus dans l'Attique, lequel fleuve rouloit des eaux sacrées. Voyez ILISSUS, Géog. (D.J.)


ILISSUS(Géog. anc.) ville & riviere de Grece dans l'Attique ; du tems de Pline on ne voyoit déja plus que les ruines de la ville, c'est pourquoi il dit, locus Ilissos ; les Athéniens avoient sur le bord de la riviere un autel consacré aux Muses Ilissiades ; c'étoit aussi sur les bords de l'Ilissus que se faisoit la lustration dans les petits mysteres ; ses eaux étoient réputées sacrées par un statut de religion, sacro instituto, dit Maxime de Tyr. Les Turcs ont aujourd'hui détourné les eaux de l'Ilissus, pour arroser leurs jardins, & on n'en voit presque plus que le lit. (D.J.)


ILITHYES. f. (Littérat. & Myth.) divinité de la Fable ; Ilithye fille de Junon & soeur d'Hébé, présidoit comme sa mere aux accouchemens ; les femmes dans les douleurs de l'enfantement, lui promettoient des sacrifices, si elles venoient à être heureusement délivrées. Cette déesse avoit à Rome un temple, dans lequel on étoit obligé de porter une piece de petite monnoie, savoir à la naissance & à la mort de chaque personne. Servius Tullius établit cet usage, pour avoir toutes les années un dénombrement exact des naissances & des morts des habitans de Rome. On trouve la déesse Ilithye sur les médailles & dans les inscriptions antiques, sous le titre de Juno Lucina, ou simplement de Lucina. Cependant les anciens ont fait mention de plusieurs Ilithyes & de plusieurs Lucines, parce qu'il y avoit plusieurs déesses qui présidoient aux enfantemens. Post haec Ilithyas placato puerperas hostiis, dit l'oracle de la Sybille. On les appelloit indifféremment Lucinas, Ilithyas, Genetyllidas, trois noms qui signifient la même fonction. Le premier est latin & vient de lux, le jour. Les deux autres sont grecs : Ilithya vient de , oriri ; & génétyllis de , nativité. (D.J.)


ILIVILIHUS. m. (Ornithol. exot.) nom que les habitans des îles Philippines donnent à un oiseau fort commun dans ce pays-là, & qui a toute l'encolure de nos cailles, d'où vient que quelques écrivains l'appellent coturnix parvula montana, petite caille de montagne, parce qu'elle vit dans les lieux élevés, & qu'elle n'est pas plus grosse qu'un moineau ; elle est remarquable par le joli mélange de la couleur de son pennage. (D.J.)


ILKUSCHIlcussum, (Géog.) ville royale de Pologne au palatinat de Cracovie, remarquable par ses mines d'argent, mêlées avec du plomb ; il est bon d'observer ici, que les mines ne sont point entiérement du droit royal en Pologne ; elles appartiennent au seigneur sur la terre duquel elles se rencontrent, & ce seigneur en fait quelque reconnoissance au roi ; mais les mines qui sont sur les terres de la couronne, comme par exemple, celle d'Ilkusch se partagent entre le roi, le palatin & l'évêque ; cette ville est dans un pays ingrat, au pié de plusieurs montagnes, à six lieues N. O. de Cracovie. Long. 37. 35. lat. 50. 26. (D.J.)


ILL L'(Géograph.) riviere de France en Alsace, qu'elle traverse presque dans toute sa longueur ; elle a sa source à l'extrémité du Santgaw, & se jette dans le Rhin à deux lieues au-dessous du pont de Strasbourg. L'Ill arrose plusieurs villes, & reçoit dans son cours quelques rivieres considérables ; ses débordemens ne sont guere moins nuisibles que ceux du Rhin. (D.J.)


ILLAPSS. m. (Théolog.) espece d'extase contemplative où l'on tombe par des degrés insensibles, où les sens extérieurs s'alienent, & où les organes intérieurs s'échauffent, s'agitent, & mettent dans un état fort tendre & fort doux, peu différent de celui qui succede à la possession d'une femme bien aimée & bien estimée.


ILLATIONS. f. (Logiq. Théolog. Hist.) ce terme est de l'école ; il vient du latin inferre, conclure ; ainsi connoître par illation, c'est la même chose que connoître par voie de conséquence.

L'illation est dans la messe mozarabique ce que nous appellons dans la nôtre la préface. L'illation & la préface avoient encore pour synonymes les mots contestation & immolation.

Illation se dit aussi pour retour ; ainsi l'illation de saint Benoît, c'est la fête du retour de ses reliques de l'église de saint Agnan d'Orleans à Fleure.


ILLE(Géog.) petite ville de France dans le Roussillon, à quatre lieues de Perpignan ; elle est jolie & bien bâtie, dit Piganiol de la Force, tom. VI. p. 449. Long. 21. 20. lat. 42. 25. (D.J.)


ILLÉGITIMEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est contre la loi, & opposé à quelque chose de légitime, comme une conjonction illégitime, un enfant illégitime. Voyez BATARD, LEGITIME. (A)


ILLESCAS(Géog.) petite ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, à six lieues au sud de Madrid.


ILLIBÉRALadv. (Gram.) services bas, méchaniques. Voyez LIBERAL.


ILLICITEadj. (Gram. & Morale) qui est défendu par la loi. Une chose illicite n'est pas toujours mauvaise en soi ; le défaut de presque toutes les législations, c'est d'avoir multiplié le nombre des actions illicites par la bisarrerie des défenses. On rend les hommes méchans en les exposant à devenir infracteurs ; & comment ne deviendront-ils pas infracteurs, quand la loi leur défendra une chose vers laquelle l'impulsion constante & invincible de la nature les emporte sans-cesse ? Mais quand ils auront foulé aux piés les lois de la société, comment respecteront-ils celles de la nature ; sur-tout s'il arrive que l'ordre des devoirs moraux soit renversé, & que le préjugé leur fasse regarder comme des crimes atroces, des actions presqu'indifférentes ? Par quel motif celui qui se regardera comme un sacrilege, balancera-t-il à se rendre menteur, voleur, calomniateur ? Le concubinage est illicite chez les chrétiens ; le trafic des armes est illicite en pays étrangers ; il ne faut pas se défendre par des voies illicites. Heureux celui qui sortiroit de ce monde sans avoir rien fait d'illicite ! plus heureux encore celui qui en sort sans avoir rien fait de mal ! Est-il, ou n'est-il pas illicite de parler contre une superstition consacrée par les lois ? Lorsque Ciceron écrivit ses livres sur la divination, fit-il une action illicite ? Hobbes ne sera pas embarrassé de ma question ; mais osera-t-on avouer les principes d'Hobbes, sur-tout dans les contrées où la puissance temporelle est distinguée de la puissance spirituelle ?


ILLIFONSOILLIFONSO


ILLIMITÉadj. (Gram.) qui n'a point de limite. Il est relatif au tems & à l'espace. On dit un tems illimité, un espace illimité : il l'est aussi à la puissance. Il n'y a point de puissance légitime & illimitée sur la terre ; il y a même un sens très-raisonnable dans lequel on peut dire que celle de Dieu ne l'est pas ; elle est bornée par l'essence des choses. Les notions que nous avons de sa justice sont immuables : où en serions-nous, s'il en étoit autrement ? Cependant on ne peut être trop circonspect lorsqu'il s'agit d'élever ses idées jusqu'à un être d'une nature aussi différente de la nôtre ; il ne faut pas s'attendre dans ces comparaisons, à une conformité bien rigoureuse. Mais, voulons-nous vivre & mourir en paix, faisons descendre notre justice jusqu'à la fourmi, afin que celui qui nous jugera, rabaisse la sienne jusqu'à nous.


ILLINOISS. m. pl. (Géog.) peuples sauvages de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle France, le long d'une grande riviere du même nom. Cette riviere des Illinois, qui vient du nord-est, ou est-nord-est, n'est navigable qu'au printems ; elle a plus de cent lieues de cours, qui va au sud-quart-sud-est, & se décharge dans le Mississipi, vers le 39 deg. de latitude.

Le pays des Illinois est encore arrosé par d'autres grandes rivieres ; on lui donne cent lieues de largeur, & beaucoup plus de longueur, car on l'étend bien loin le long du Mississipi. Il est par-tout couvert de vastes forêts, de prairies & de collines. La campagne & les prairies abondent en bysons, vaches, cerfs, & autres bêtes fauves, de même qu'en toute sorte de gibier, particulierement en cygnes, grues, outardes & canards.

Les arbres fruitiers peu nombreux, consistent principalement en des especes de néfliers, des pommiers, & des pruniers sauvages, qu'on pourroit bonifier en les greffant ; mais les Illinois ignorent cet art, ils ne se donnent pas même la peine de cueillir le fruit aux arbres, ils abattent les arbres pour en prendre le fruit.

Dans un si grand pays, on ne connoît que trois villages, dont l'un peuplé de huit ou neuf cent Illinois, est à plus de 50 lieues du second.

Les Illinois vont tout nuds depuis la ceinture ; toute sorte de figures bisarres, qu'ils se gravent sur le corps, leur tiennent lieu de vêtement. Ils ornent leur tête de plumes d'oiseaux, se barbouillent le visage de rouge, & portent des colliers de petites pierres du pays de diverses couleurs. Ils ont des tems de festins & de danses, les unes en signe de réjouissance, les autres de deüil ; ils n'enterrent point leurs morts, ils les couvrent de peaux, & les attachent à des branches d'arbres.

Les hommes sont communément grands, & tous très-lestes à la course. La chasse fait leur occupation, pour pourvoir à leur nourriture, à laquelle ils joignent le blé d'inde ; & quand ils en ont fait la récolte, ils l'enferment dans des creux sous terre, pour le conserver pendant l'été. Le reste du travail regarde les femmes & les filles ; ce sont elles qui pilent le blé, qui préparent les viandes boucannées, qui construisent les cabanes, & qui, dans les courses nécessaires, les portent sur leurs épaules.

Elles fabriquent ces cabanes en forme de longs berceaux, & les couvrent avec des nattes de jonc plat, qu'elles ont l'adresse de coudre ensemble très-artistement, & à l'épreuve de la pluie. Elles s'occupent encore à mettre en oeuvre le poil des bysons ou boeufs sauvages, à en faire des sacs & des ceintures. Ces boeufs sont bien différens de ceux d'Europe ; outre qu'ils ont une grosse bosse sur le dos vers les épaules, ils sont encore tout couverts d'une laine fine, qui tient lieu aux Illinois de celle qu'ils tireroient des moutons, s'ils en avoient dans leur pays.

Leur religion consiste à honorer une espece de génie qu'ils nomment Manitou, & qui, selon eux, est maître de la vie & de la mort. Voyez MANITOU.

Je ne conseille pas au lecteur qui sera curieux d'autres détails, de les prendre dans le P. Hennepin, ni dans la relation de l'Amérique du chevalier Tonti, ouvrage supposé ; mais il y a quelque chose de mieux sur les Illinois ; c'est une lettre du P. Gabriel Marest, Jésuite missionnaire, qui est insérée dans le Recueil des lettres édifiantes, tom. XI. (D.J.)


ILLOCK(Géog.) petite ville de la basse-Hongrie dans l'Esclavonie. Elle est sur le Danube, à 2 lieues de Peterwaradin, 8 S. E. d'Issek, 30 N. O. de Belgrade. Long. 37. 45. lat. 45. 30. (D.J.)


ILLUMINATIONS. f. (Gram.) c'est l'action d'un corps lumineux qui éclaire, ou la passion d'un corps opaque qui est éclairé ; il se dit au simple & au figuré. Au simple, de la maniere dont nos temples sont éclairés à certains jours solemnels ; des lumieres que le peuple est obligé d'entretenir la nuit sur ses fenêtres, lorsque quelque événement important & heureux l'exige ; & de celles dont les faces des grandes maisons sont décorées, dans les mêmes circonstances, ou dans quelques fêtes particulieres. Nos artistes se sont souvent distingués par le goût dans ce genre d'artifice, qui consiste à imiter des morceaux d'architecture & autres objets, par un grand nombre de lumieres symmétriquement distribuées. Au figuré, on appelloit autrefois le sacrement de baptême l'illumination, & nous nous servons de la même expression, pour désigner ces inspirations d'enhaut, que quelques personnes privilégiées ont éprouvées. La foi est un don & une illumination de l'Esprit-saint.

ILLUMINATIONS, se dit en Peinture de figures, ou autres objets peints sur des corps transparens, comme le verre, la gase, le papier, la toile, &c. derriere lesquels on met des lumieres qu'on ne voit point, & qui font appercevoir les objets représentés. On s'en sert dans les décorations de théâtre, dans celles des fêtes publiques, & on en fait de toutes couleurs.


ILLUMINÉadj. pris subst. (Théolog.) c'est le nom que l'on donnoit anciennement dans l'église à ceux qui avoient reçu le baptême. Voyez BAPTEME.

Ce nom leur venoit d'une cérémonie du baptême, qui consistoit à mettre dans la main du néophite qui venoit d'être baptisé, un cierge allumé, symbole de la foi & de la grace qu'il avoit reçu par ce sacrement. Voyez CATHECUMENE. Dictionnaire de Trévoux.

ILLUMINE, nom d'une secte d'hérétiques qui s'éleverent en Espagne, vers l'an 1575, que les Espagnols appelloient Alambrados.

Leurs chefs étoient Jean de Dillapando, originaire de l'île de Ténérif, & une carmélite appellée Catherine de Jésus. Ils avoient beaucoup de compagnons & de disciples, dont la plûpart furent pris par l'Inquisition, & punis de mort à Cordoue ; les autres abjurerent leurs erreurs.

Les principales erreurs de ces illuminés étoient que, par le moyen de l'oraison sublime à laquelle ils parvenoient, ils entroient dans un état si parfait, qu'ils n'avoient plus besoin ni de l'usage des sacremens, ni des bonnes oeuvres ; & qu'ils pouvoient même se laisser aller aux actions les plus infames sans pécher. Voyez le Dictionnaire de Trévoux.

La secte des illuminés fut renouvellée en France, en 1634, & les Guerinets, disciples de Pierre Guérin, s'étant joints à eux, ne firent qu'une seule secte, sous le nom d'illuminés ; mais Louis XIII. les fit poursuivre si vivement, qu'ils furent détruits en peu de tems.

Les principales erreurs de ces illuminés étoient, que Dieu avoit révélé à l'un d'eux, nommé Frere Antoine Bocquet, une pratique de foi & de vie suréminente, inconnue & inusitée dans toute la chrétienté. Qu'avec cette méthode on pouvoit parvenir en peu de tems au même degré de perfection que les SS. & la bienheureuse Vierge, qui, selon eux, n'avoient eu qu'une vertu commune. Ils ajoûtoient, que par cette voie, on arrivoit à une telle union avec Dieu, que toutes les actions des hommes en étoient déifiées ; qu'étant parvenus à cette union, il falloit laisser agir Dieu seul en nous, sans produire aucun acte. Que tous les docteurs de l'Eglise n'avoient jamais su ce que c'étoit que dévotion ; que saint Pierre étoit un homme simple, qui n'avoit rien entendu à la spiritualité, non plus que saint Paul ; que toute l'Eglise étoit dans les ténebres & dans l'ignorance sur la vraie pratique du Credo ; qu'il étoit libre de faire tout ce que dictoit la conscience ; que Dieu n'aimoit rien que lui-même ; qu'il falloit que dans dix ans leur doctrine fût reçue de tout le monde, & qu'alors on n'auroit plus besoin de prêtres, de religieux, de curés, d'évêques, ni autres supérieurs ecclésiastiques. Sponde. Vittorio Siri.

Les Freres de la Rose-Croix ont aussi été appellés illuminés. Voyez ROSE-CROIX.


ILLUSIONS. f. (Gram. & Littérat.) c'est le mensonge des apparences, & faire illusion, c'est en général tromper par les apparences. Nos sens nous font illusion, lorsqu'ils nous montrent des objets où il n'y en a point ; ou lorsqu'il y en a, & qu'ils nous les montrent autrement qu'ils ne sont. Les verres de l'Optique nous font illusion de cent manieres différentes, en altérant la grandeur, la forme, la couleur & la distance. Nos passions nous font illusion lorsqu'elles nous dérobent l'injustice des actions ou des sentimens qu'elles nous inspirent. Alors l'on croit parce que l'on craint, ou parce que l'on desire : l'illusion augmente en proportion de la force du sentiment, & de la foiblesse de la raison ; elle flétrit ou embellit toutes les jouissances ; elle pare ou ternit toutes les vertus : au moment où on perd les illusions agréables, on tombe dans l'inertie & le dégoût. Y-a-t-il de l'enthousiasme sans illusion ? Tout ce qui nous en impose par son éclat, son antiquité, sa fausse importance, nous fait illusion. En ce sens, ce monde est un monde d'illusions. Il y a des illusions douces & consolantes, qu'il seroit cruel d'ôter aux hommes. L'amour-propre est le pere des illusions ; la nature a les siennes. Une des plus fortes est celle du plaisir momentané, qui expose la femme à perdre sa vie pour la donner ; & celle qui arrête la main de l'homme malheureux, & qui le détermine à vivre. C'est le charme de l'illusion qui nous aveugle en une infinité de circonstances, sur la valeur du sacrifice qu'on exige de nous, & sur la frivolité de la récompense qu'on y attache. Portez mon illusion à l'extrême, & vous engendrerez en moi l'admiration, le transport, l'enthousiasme, la fureur & le fanatisme. L'orateur conduit la persuasion ; l'illusion marche à côté du poëte. L'orateur & le poëte sont deux grands magiciens, qui sont quelquefois les premieres dupes de leurs prestiges. Je dirai au poëte dramatique : voulez-vous me faire illusion, que votre sujet soit simple, & que vos incidens ne soient point trop éloignés du cours naturel des choses ; ne les multipliez point ; qu'ils s'enchaînent & s'attirent ; méfiez-vous des circonstances fortuites, & songez sur-tout au peu de tems & d'espace que le genre vous accorde.


ILLUSOIREadj. m. & f. (Jurisprud.) se dit de quelque convention ou disposition, qui est conçue de maniere que l'on peut s'en jouer, c'est-à-dire l'éluder, & faire qu'elle demeure sans effet, comme si on stipuloit qu'un homme, notoirement insolvable, payera après sa mort. (A)


ILLUSTRATIS. m. pl. (Hist. littér.) nom d'une académie ou société littéraire, établie à Casal en Italie. Elle a pris pour emblème le soleil & la lune, avec l'inscription, lux indeficiens : on ignore cependant ce que cette lumiere a produit.


ILLUSTREadj. (Littérat.) en latin illustris, titre autrefois des plus honorables.

Il y avoit dans la décadence de l'empire trois titres d'honneurs différens, qu'on accordoit aux personnes qui se distinguoient sur les autres par leur naissance, ou par leurs charges. Le premier étoit illustris, le second, clarissimus, & le troisieme spectabilis ; mais illustris marquoit une prééminence essentielle, desorte qu'il se donnoit seulement aux consuls, & aux grands officiers de l'empire.

Nos rois même dans la premiere & seconde race, se trouvoient honorés du titre d'illustris, ou illuster. Parmi ce grand nombre d'actes anciens que Doublet a recueillis dans son histoire de l'Abbaye de saint Denis, il y en a plusieurs, où Dagobert joint à la qualité de roi de France, celle de vir illuster. Chilpéric, Pépin & Charles I. ont cru ajoûter un nouvel éclat à celui de roi, par l'épithete d'homme illustre. Les maires du palais, après avoir usurpé peu à peu l'autorité souveraine, s'arrogerent aussi la même qualification. Mais Charlemagne devenu empereur, ayant dédaigné ce titre, il passa tout de suite aux comtes, & aux grands seigneurs du royaume, dans les lettres que ses successeurs leur adressoient. On en décoroit semblablement les évêques & les abbés de haute considération ; enfin il est tombé de mode, & s'est changé en superlatif dans le seul usage de la cour de Rome, qui donne le titre de seigneurie illustrissime aux nonces, aux archevêques, évêques, & principaux prélats romains. (D.J.)


ILLUTATIONS. f. (Médec.) c'est l'action d'enduire quelque partie du corps de boue. On se sert pour cet effet de la boue des eaux thermales, que l'on a soin de renouveller lorsqu'elle est seche, à dessein d'échauffer, de dessécher, & de discuter, dans le cas de rhumatisme, de douleur sciatique, &c.


ILLYRIE L(Géog. anc.) en latin Illyricum dans Pline, & il sousentend le mot solum, en grec Illyris dans Ptolomée, & Illyria dans Etienne le Géographe ; contrée de l'Europe qui, selon les divers tems, a été différemment bornée par les anciens Géographes ; & c'est à quoi on doit faire attention.

Il y avoit l'Illyrie en général, nom commun à plusieurs pays, au nombre desquels on comprenoit la Liburnie, la Dalmatie & l'Illyrie propre, qui faisoit elle-même partie de la grande Illyrie, étoit entre le Narenta & le Drin ; c'est dit le P. Briet, le pays situé sur la mer Adriatique, & que l'on divise en Liburnie & en Dalmatie : Ptolomée livre ij, chap. xvij. borne l'Illyrie au nord par les deux Pannonies, au couchant par l'Istrie, au levant par la haute Mysie, au midi par la Macédoine.

On voit par d'anciens monumens, & entr'autres par une inscription rapportée dans le recueil de Gruter, que du tems d'Auguste on divisoit l'Illyrie en haute & basse, apparemment par rapport aux montagnes & aux cours des rivieres ; les Japydes qui occupoient les montagnes, étoient de la haute-Illyrie ; le nom de mer d'Illyrie, dans Horace, est commun à tout le golfe de Venise.

Les Romains eurent de la peine à subjuguer les Illyriens ; mais Auguste les soumit entierement après la défaite d'Antoine ; la notice de l'Empire sous Hadrien met dans l'Illyrie dix-sept provinces ; & celle de l'Empire, depuis Constantin jusqu'à Arcadius & Honorius, partage toute l'Illyrie en trois diocèses, celui de la Macédoine, celui de la Dacie, & celui de l'Illyrie propre.

Arcadius retint pour lui tout ce qui étoit soumis au préfet du prétoire d'Italie ; savoir la Macédoine & la Dacie, ce qui formoit deux diocèses ; l'empire d'Occident eut pour sa part le diocèse de l'Illyrie propre, qui comprenoit les deux Pannonies, la Dacie, la Dalmatie, la Norique Méditerranée, & la Norique Ripense.

Chacun de ces trois diocèses avoit son métropolitain ; celui de l'Illyrie propre ou occidentale étoit l'évêque de Sirmich ; le second diocèse, ou la Dacie, qui comprenoit les pays situés entre la Macédoine & le Danube, avoit pour métropole Sardique ; le troisieme diocèse, qui portoit le nom de Macédoine, comprenoit toute la Grece, & avoit pour métropolitain l'évêque de Thessalonique.

La connoissance de l'Illyrie, prise dans toute son étendue, est très-nécessaire pour l'intelligence de l'Histoire ecclésiastique, car sans cela on ne concevroit point quel rapport il y avoit de la Thessalie, de l'Achaïe & de l'Isle de Crete, avec l'Illyrie, si on se figuroit seulement, sous le nom d'Illyrie, un petit canton, tel que Ptolomée le représente dans un coin du golphe Adriatique. (D.J.)


ILM(Géog.) riviere d'Allemagne, qui prend sa source dans le comté de Henneberg, & qui se jette dans la Sala au-dessus de Naumbourg.

Il y a une autre riviere appellée Ilm ou Ilme, qui arrose le duché de Brunswick, & qui se jette dans la Leine.


ILMEN LAC D'(Géog.) lac de l'Empire Russien, dans le duché de la grande Novogorod ; il a près de soixante werstes ou lieues Russiennes dans sa longueur du sud au nord, & environ quarante dans sa largeur, qui est en général assez égale. (D.J.)


ILMENT(Géog.) grand fleuve d'Asie, au royaume de Perse, qui se jette dans l'Océan.


ILOIRES(Marine.) Voyez HILOIRES.


ILOTESS. m. pl. (Hist. anc.) nom des esclaves chez les Lacédémoniens. Quand ceux-ci commencerent à s'emparer du Péloponese, ils trouverent beaucoup de résistance de la part des naturels du pays, mais sur-tout des habitans d'Elos qui, après s'être soumise, se révolta contr'eux. Les Spartiates assiégerent cette place, la prirent à discrétion, & pour faire un exemple de sévérité, en réduisirent en esclavage les habitans, eux & tous leurs descendans à perpétuité. Les Ilotes, ou comme d'autres les appellent, les Helotes étoient donc à Lacédémone des esclaves publics, employés aux ministeres les plus vils & les plus pénibles, & traités avec une extrême rigueur ; mais les magistrats les accordoient quelquefois aux particuliers, à condition de les rendre à la ville quand elle les redemanderoit. On les employoit à la culture des terres & aux autres travaux de la campagne. Dans des besoins pressans on s'en servoit à la guerre, & plusieurs y ont mérité leur liberté par leurs services. Dans les commencemens on avoit fixé leur nombre, de peur qu'en se multipliant ils ne fussent tentés de se révolter ; & par cette raison l'on exposoit les enfans qui naissoient d'eux au-delà du nombre fixé ; mais cette loi inhumaine dura peu ; du reste on en usoit très-rigoureusement avec les Ilotes ; on les fustigeoit cruellement & sans raison en certains tems de l'année seulement, pour leur faire sentir le poids de la servitude ; on alloit même jusqu'à les tuer quand ils devenoient trop gras, & on mettoit leurs maîtres à l'amende, comme les ayant trop bien nourris, & trop peu surchargés de travaux. Par une autre bisarrerie aussi condamnable, on les obligeoit à s'enyvrer à certains jours de fêtes, afin que les enfans fussent par ce spectacle détournés du vice de l'yvrognerie. Quelques-uns de ces Ilotes étoient pourtant employés à des occupations plus honnêtes, comme à conduire les enfans aux écoles publiques ou aux gymnases, & à les ramener. Ceux-ci étoient des especes d'affranchis, qui ne jouissoient pas néanmoins de tous les privileges des personnes libres, quoique par leur bonne conduite ils pussent arriver à ce dégré de liberté, puisque Lysandre, Callicratidas, Gylippe étoient ilotes de naissance, & qu'en considération de leur valeur on leur avoit accordé la liberté. Voyez aussi HELOTES.


ILS(Géog.) riviere d'Allemagne, au couchant de la Baviere ; elle a sa source dans un lac des montagnes qui séparent la Baviere de la Bohème, & tombe dans le Danube à Ilstadt, vis-à-vis Passaw ; elle produit des perles très-rondes & assez grosses, au rapport de Wagenseil. (D.J.)


ILSNA(Géog.) riviere de Lithuanie, dans le Palatinat de Bressici, qui se jette dans le Bug.


ILSTELZA, (Géog.) petite ville des Provinces-Unies, dans la Frise, au Westergoo, à deux lieues du Zuidersée, à quatre lieues de Leuwarden. Long. 23. 8. lat. 53. 3.

Quatre freres nommés Popma Ausone, Sixte, Tite & Cyprien, tous quatre nés à Ilst, ont tous quatre cultivé le même goût pour les Belles-Lettres, ce qui est très-rare dans une famille, & ont tous quatre été auteurs ; mais l'aîné Ausone Popma paroît s'être le plus distingué par son érudition, en qualité de grammairien ; voyez, sur ses ouvrages, Valere André, Suffridus Petri, Scioppius & Baillet. (D.J.)


ILSTADTIlstadium, (Géog.) ville d'Allemagne en Baviere, au confluent du Danube & de l'Ils, vis-à-vis de Passaw. Long. 31. 15. lat. 48. 28. (D.J.)


ILUANATERRA(Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une terre ferrugineuse que l'on prétend être bonne contre le scorbut. Wallerius donne ce nom à une espece de marne, ou à une terre argilleuse, blanche, de la même nature que la terre cimolée. On ne sait d'où lui vient ce nom.


ILURO(Géog. anc.) ancienne ville de l'Espagne Tarragonoise selon Pline, livre ix. & c'étoit une ville de citoyens Romains ; c'est présentement Mataro, au jugement de M. de Marca ; Iluro ayant été détruite par les Maures, fut depuis rebatie au même lieu ; on y trouva des débris d'anciennes pierres avec des inscriptions ; & on a tiré de ses ruines quantité de médailles d'or & d'argent au nom de Vespasien & de Titus. (D.J.)


IMAGES. f. en Optique, est la peinture naturelle & très-ressemblante qui se fait des objets, quand ils sont opposés à une surface bien polie. Voyez MIROIR.

Image signifie plus généralement le spectre ou la représentation d'un objet que l'on voit, soit par réflexion, soit par réfraction. Voyez VISION.

C'est un des problêmes des plus difficiles de l'Optique, que de déterminer le lieu apparent de l'image d'un objet que l'on voit dans un miroir, ou à-travers un verre. Voyez ce que nous avons dit sur ce sujet aux articles APPARENT, MIROIR, DIOPTRIQUE, &c.

IMAGE, (Hist. anc. & mod.) se dit des représentations artificielles que font les hommes, soit en peinture ou sculpture ; le mot d'image dans un sens est consacré aux choses saintes ou regardées comme telles. L'usage & l'adoration des images ont essuyé beaucoup de contradictions dans le monde. L'hérésie des Iconoclastes ou Iconomaques, c'est-à-dire, brise-images, qui commença sous Leon l'Isaurien en 724, remplit l'empire grec de massacres & de cruautés, tant sous ce prince, que sous son fils Constantin Copronyme ; cependant l'église grecque n'abandonna point le culte des images, & l'église d'Occident ne le condamna pas non plus. Le concile tenu à Nicée sous Constantin & Irene, rétablit toutes choses dans leur premier état ; & celui de Francfort n'en condamna les décisions que pour une erreur de fait & sur une fausse version. Cependant depuis l'an 815 jusqu'à l'année 855, la fureur des Iconoclastes se ralluma en Orient, & alors leur hérésie fut totalement éteinte : mais diverses sectes, à commencer par les Petrobrusiens & les Henriciens l'ont renouvellée en Occident depuis le douzieme siecle. A examiner tout ce qui s'est passé à cet égard, & à juger sainement des choses, on voit que ces sectaires & leurs successeurs ont fait une infinité de fausses imputations à l'église Romaine, dont la doctrine a toujours été de ne déférer aux images qu'un culte relatif & subordonné très-distinct du culte de latrie, comme on le peut voir dans l'exposition de la foi de M. Bossuet. Ainsi tant de livres, de déclamations, de satyres violentes des ministres de la Religion Prétendue Réformée, pour prouver que les Catholiques romains idolatroient & violoient le premier commandement du décalogue, ne sont autre chose que le sophisme que les Dialecticiens appellent ignoratio elenchi. Ces artifices sont bons pour séduire des ignorans ; mais il est étonnant que l'esprit de parti ait aveuglé des gens habiles d'ailleurs, jusqu'à leur faire hasarder de pareils écrits, & à les empêcher de discerner les abus qui pourroient se rencontrer dans le culte des images, d'avec ce que l'Eglise en avoit toujours cru, & d'avec le fond de sa doctrine sur cet article.

Les Luthériens blâment les Calvinistes d'avoir brisé les images dans les églises des Catholiques, & regardent cette action comme une espece de sacrilége, quoiqu'ils traitent les Catholiques romains d'idolâtres, pour en avoir conservé le culte. Les Grecs ont poussé ce culte si loin, que quelques-uns d'entr'eux ont reproché aux Latins de ne point porter de respect aux images ; cependant l'église d'Orient & celle d'Occident n'ont jamais disputé que sur des termes ; elles étoient d'accord pour le fond.

Les Juifs condamnent absolument les images, & ne souffrent aucunes statues ni figures dans leurs maisons, & encore moins dans leurs synagogues & dans les autres lieux consacrés à leurs dévotions. Les Mahométans ne les peuvent souffrir non plus, & c'est en partie pour cela qu'ils ont détruit la plûpart des beaux monumens d'antiquité sacrée & profane, qui étoient à Constantinople.

Les Romains conservoient avec beaucoup de soin les images de leurs ancêtres, & les faisoient porter dans leurs pompes funebres & dans leurs triomphes. Elles étoient pour l'ordinaire de cire & de bois, quoiqu'il y en eût quelquefois de marbre ou d'airain. Ils les plaçoient dans les vestibules de leurs maisons, & elles y demeuroient toujours, quoique la maison changeât de maître, parce qu'on regardoit comme une impiété de les déplacer.

Appius Claudius fut le premier qui les introduisit dans les temples l'an de Rome 259, & qui y ajouta des inscriptions, pour marquer l'origine de ceux qu'elles représentoient, aussi bien que les actions par lesquelles ils s'étoient distingués.

Il n'étoit pas permis à tout le monde de faire porter les images de ses ancêtres dans les pompes funebres. On n'accordoit cet honneur qu'à ceux qui s'étoient acquités glorieusement de leurs emplois. Quant à ceux qui s'étoient rendus coupables de quelques crimes, on brisoit leurs images.

IMAGE, (Belles-Lettres) se dit aussi des descriptions qui se font par le discours. Voyez DESCRIPTION.

Les images, suivant la définition qu'en donne Longin, sont des pensées propres à fournir des expressions, & qui présentent une espece de tableau à l'esprit.

Il donne, dans un autre endroit, à ce mot un sens beaucoup moins étendu, lorsqu'il dit que les images sont des discours que nous prononçons, lorsque par une espece d'enthousiasme, ou émotion extraordinaire de l'ame, nous croyons voir les choses dont nous parlons, & que nous tâchons de les peindre aux yeux de ceux qui nous écoutent.

Les images, dans la Rhétorique, ont un tout autre usage que parmi les Poëtes. Le but qu'on se propose dans la Poësie, c'est l'étonnement & la surprise ; au lieu que dans la prose, c'est de bien peindre les choses, & de les faire voir clairement. Elles ont pourtant cela de commun, qu'elles tendent à émouvoir dans l'un & l'autre genre. Voyez POESIE.

Ces images ou ces peintures sont d'un grand secours pour donner du poids, de la magnificence & de la force au discours. Elles l'échauffent & l'animent, & quand elles sont menagées avec art, dit Longin, elles domptent, pour ainsi dire, & soumettent l'auditeur.

On appelle généralement images, tant en éloquence qu'en poésie, toute description courte & vive, qui présente les objets aux yeux autant qu'à l'esprit. Telle est dans Virgile cette peinture de la consternation de la mere d'Euryale, en apprenant la mort de son fils :

Miserae calor ossa reliquit,

Excussi manibus radii, revolutaque pensa.

Aeneid. IX.

ou cette autre de Verrès par Ciceron : Stetit soleatus praetor populi romani, cum pallio purpureo, tunicaque talari, mulierculâ nixus in littore ; ou cette image de Racine dans Athalie :

De princes égorgés la chambre étoit remplie,

Un poignard à la main l'implacable Athalie

Au carnage animoit ses barbares soldats, &c.

Voyez HYPOTIPOSE.

IMAGE, (Gravure) il se dit aussi de certaines estampes pieuses, ou autres, grossierement gravées. C'est de-là que vient le substantif imager, ou marchand d'images. On dit de ceux qui sont curieux de livres embellis d'estampes, qu'ils aiment les images.

On fait des images & médailles avec la colle de poisson. Pour cet effet, prenez de la colle de poisson bien nette & bien claire ; brisez-la avec un marteau ; lavez-la d'abord en eau claire & fraiche, ensuite en eau tiede ; ayez un pot neuf ; mettez-la dans ce pot à tremper dans de l'eau pendant une nuit ; faites-la bouillir doucement une heure jusqu'à ce qu'elle prenne corps ; elle en aura suffisamment, si elle fait la goutte sur l'ongle. Cela fait, ayez vos moules prêts ; serrez-les à l'entour d'une corde, ou avec du coton, ou d'une meche de lampe, qui serve à retenir la colle ; frottez-les de miel ; versez dessus la colle jusqu'à ce que tout le moule en soit couvert ; exposez-les au soleil ; la colle s'égalisera & se séchera ; quand elle sera seche, l'image se détachera du creux, d'elle-même, sera mince comme le papier, ou de l'épaisseur d'une médaille, selon la quantité de colle dont on aura couvert le moule. Les traits les plus déliés seront rendus, & l'image sera lustrée. Si on l'eût voulu colorer, on eût teint l'eau dans laquelle on a fait bouillir la colle, soit avec le bois de Brésil, de Fernambouc, soit avec la graine d'Avignon, le bois d'Inde, &c. Il faut que l'eau n'ait qu'une teinte légere, & que la colle ne soit pas trop épaisse ; l'image en viendra d'autant plus belle.


IMAGINAIREadj. (Gram.) qui n'est que dans l'imagination ; ainsi l'on dit en ce sens un bonheur imaginaire, une peine imaginaire. Sous ce point de vûe, imaginaire ne s'oppose point à réel ; car un bonheur imaginaire est un bonheur réel, une peine imaginaire est une peine réelle. Que la chose soit ou ne soit pas comme je l'imagine, je souffre ou je suis heureux ; ainsi l'imaginaire peut être dans le motif, dans l'objet ; mais la réalité est toûjours dans la sensation. Le malade imaginaire est vraiment malade, d'esprit au moins, sinon de corps. Nous serions trop malheureux, si nous n'avions beaucoup de biens imaginaires.

IMAGINAIRE, adj. on appelle ainsi en Algebre les racines paires de quantités négatives. La raison de cette dénomination est, que toute puissance paire d'une quantité quelconque, positive ou négative, a nécessairement le signe +, parce que + par +, ou - par -, donnent également + ; Voyez QUARRE, PUISSANCE, NEGATIF & MULTIPLICATION. D'où il s'ensuit que toute puissance paire, tout quarré, par exemple, qui a le signe -, n'a point de racine possible (voyez RACINE), & qu'ainsi la racine d'une telle puissance est impossible ou imaginaire. Les quantités imaginaires sont opposées aux quantités réelles. Voyez REEL & ÉQUATION.

Non-seulement toute racine paire d'une quantité négative, comme , est imaginaire ; mais encore si on y joint une quantité réelle b, le tout devient imaginaire ; ainsi b + est imaginaire, ce qui est évident ; car si b + étoit égal à une quantité réelle c, on auroit = c - b, ce qui est impossible.

Les quantités composées de réel & d'imaginaire, s'appellent mixtes imaginaires, & les autres imaginaires simples.

J'ai démontré le premier dans les mémoires de l'académie de Berlin, pour l'année 1746, & même dans un ouvrage antérieur, envoyé à l'académie de Berlin au commencement de 1746, que toute quantité imaginaire donnée à volonté, & de telle forme qu'on voudra, peut toûjours se réduire à e+f, e & f étant des quantités réelles. M. Euler a démontré depuis cette même proposition, dans les mémoires de l'académie de Berlin 1749, mais il est aisé de voir que sa démonstration ne differe en aucune façon de la mienne. Pour s'en convaincre, on peut comparer la page 273 des mémoires de Berlin de 1749, avec l'article 79 de ma dissertation sur les vents.

J'ai démontré de plus, dans les mêmes mémoires de 1746, que toute racine imaginaire d'une équation quelconque pouvoit toûjours se reduire à e+f, e & f étant des quantités réelles. M. Euler a donné de son côté, dans les mémoires de 1749, une démonstration de cette proposition, qui differe entierement de la mienne, & qui ne me paroît pas aussi simple. On peut voir les démonstrations des deux propositions dont je viens de parler, dans le traité de M. de Bougainville le jeune, sur le calcul intégral.

Un corollaire de cette proposition, qui est démontré fort simplement dans les mémoires de Berlin 1746, c'est que si e+f est une des racines d'une équation, e-f en sera une autre ; & voilà pourquoi les racines imaginaires des équations vont toûjours en nombre pair. Voyez RACINE.

Deux quantités imaginaires jointes ensemble peuvent former une quantité réelle ; p. ex. + est une quantité réelle. Voyez CAS IRREDUCTIBLE. (O)

IMAGINAIRE, (Docimastique) poids imaginaire ou fictif. Voyez POIDS FICTIF.


IMAGINATIONIMAGINER, (Logique, Métaphys. Litterat. & Beaux-Arts) c'est le pouvoir que chaque être sensible éprouve en soi de se représenter dans son esprit les choses sensibles ; cette faculté dépend de la mémoire. On voit des hommes, des animaux, des jardins ; ces perceptions entrent par les sens, la mémoire les retient, l'imagination les compose ; voilà pourquoi les anciens Grecs appellerent les Muses filles de Mémoire.

Il est très-essentiel de remarquer que ces facultés de recevoir des idées, de les retenir, de les composer, sont au rang des choses dont nous ne pouvons rendre aucune raison ; ces ressorts invisibles de notre être sont dans la main de l'Etre suprême qui nous a faits, & non dans la nôtre.

Peut-être ce don de Dieu, l'imagination, est-il le seul instrument avec lequel nous composions des idées, & même les plus métaphysiques.

Vous prononcez le mot de triangle, mais vous ne prononcez qu'un son si vous ne vous représentez pas l'image d'un triangle quelconque ; vous n'avez certainement eu l'idée d'un triangle que parce que vous en avez vû si vous avez des yeux, ou touché si vous êtes aveugle. Vous ne pouvez penser au triangle en général si votre imagination ne se figure, au moins confusément, quelque triangle particulier. Vous calculez ; mais il faut que vous vous représentiez des unités redoublées, sans quoi il n'y a que votre main qui opere.

Vous prononcez les termes abstraits, grandeur, vérité, justice, fini, infini ; mais ce mot grandeur est-il autre chose qu'un mouvement de votre langue qui frappe l'air, si vous n'avez pas l'image de quelque grandeur ? Que veulent dire ces mots vérité, mensonge, si vous n'avez pas apperçu par vos sens que telle chose qu'on vous avoit dit existoit en effet, & que telle autre n'existoit pas ? & de cette expérience ne composez-vous pas l'idée générale de vérité & de mensonge ? & quand on vous demande ce que vous entendez par ces mots, pouvez-vous vous empêcher de vous figurer quelque image sensible, qui vous fait souvenir qu'on vous a dit quelquefois ce qui étoit, & fort souvent ce qui n'étoit pas ?

Avez-vous la notion de juste & d'injuste autrement que par des actions qui vous ont paru telles ? Vous avez commencé dans votre enfance par apprendre à lire sous un maître ; vous aviez envie de bien épeller, & vous avez mal épellé. Votre maître vous a battu, cela vous a paru très-injuste ; vous avez vû le salaire refusé à un ouvrier, & cent autres choses pareilles. L'idée abstraite du juste & de l'injuste est-elle autre chose que ces faits confusément mêlés dans votre imagination ?

Le fini est-il dans votre esprit autre chose que l'image de quelque mesure bornée ? L'infini est-il autre chose que l'image de cette même mesure que vous prolongez sans fin ?

Toutes ces opérations ne se font-elles pas dans vous à-peu-près de la même maniere que vous lisez un livre ? vous y lisez les choses, & vous ne vous occupez pas des caracteres de l'alphabet, sans lesquels pourtant vous n'auriez aucune notion de ces choses. Faites-y un moment d'attention, & alors vous appercevrez ces caracteres sur lesquels glissoit votre vûe ; ainsi tous vos raisonnemens, toutes vos connoissances sont fondées sur des images tracées dans votre cerveau : vous ne vous en appercevez pas ; mais arrêtez-vous un moment pour y songer, & alors vous voyez que ces images sont la base de toutes vos notions ; c'est au lecteur à peser cette idée, à l'étendre, à la rectifier.

Le célebre Adisson dans ses onze essais sur l'imagination, dont il a enrichi les feuilles du spectateur, dit d'abord que le sens de la vûe est celui qui fournit seul les idées à l'imagination ; cependant, il faut avouer que les autres sens y contribuent aussi. Un aveugle né entend dans son imagination l'harmonie qui ne frappe plus son oreille ; il est à table en songe ; les objets qui ont résisté ou cédé à ses mains, font encore le même effet dans sa tête : il est vrai que le sens de la vûe fournit seul les images ; & comme c'est une espece de toucher qui s'étend jusqu'aux étoiles, son immense étendue enrichit plus l'imagination que tous les autres sens ensemble.

Il y a deux sortes d'imagination, l'une qui consiste à retenir une simple impression des objets ; l'autre qui arrange ces images reçues, & les combine en mille manieres. La premiere a été appellée imagination passive, la seconde active ; la passive ne va pas beaucoup au-delà de la mémoire, elle est commune aux hommes & aux animaux ; de-là vient que le chasseur & son chien poursuivent également des bêtes dans leurs rêves, qu'ils entendent également le bruit des cors ; que l'un crie, & que l'autre jappe en dormant. Les hommes & les bêtes font alors plus que se ressouvenir, car les songes ne sont jamais des images fideles ; cette espece d'imagination compose les objets, mais ce n'est point en elle l'entendement qui agit, c'est la mémoire qui se méprend.

Cette imagination passive n'a pas certainement besoin du secours de notre volonté, ni dans le sommeil, ni dans la veille ; elle se peint malgré nous ce que nos yeux ont vû, elle entend ce que nous avons entendu, & touche ce que nous avons touché ; elle y ajoûte, elle en diminue : c'est un sens intérieur qui agit avec empire ; aussi rien n'est-il plus commun que d'entendre dire, on n'est pas le maître de son imagination.

C'est ici qu'on doit s'étonner & se convaincre de son peu de pouvoir. D'où vient qu'on fait quelquefois en songe des discours suivis & éloquens, des vers meilleurs qu'on n'en feroit sur le même sujet étant éveillé ? que l'on résoud même des problèmes de mathématiques ? voilà certainement des idées très-combinées, qui ne dépendent de nous en aucune maniere. Or, s'il est incontestable que des idées suivies se forment en nous, malgré nous, pendant notre sommeil, qui nous assurera qu'elles ne sont pas produites de même dans la veille ? est-il un homme qui prévoie l'idée qu'il aura dans une minute ? ne paroît-il pas qu'elles nous sont données comme les mouvemens de nos membres ? & si le pere Malebranche s'en étoit tenu à dire que toutes les idées sont données de Dieu, auroit-on pû le combattre ?

Cette faculté passive, indépendante de la réflexion, est la source de nos passions & de nos erreurs. Loin de dépendre de la volonté, elle la détermine, elle nous pousse vers les objets qu'elle peint, ou nous en détourne, selon la maniere dont elle les représente. L'image d'un danger inspire la crainte ; celle d'un bien donne des desirs violens : elle seule produit l'enthousiasme de gloire, de parti, de fanatisme ; c'est elle qui répandit tant de maladies de l'esprit, en faisant imaginer à des cervelles foibles fortement frappées, que leurs corps étoient changés en d'autres corps ; c'est elle qui persuada à tant d'hommes qu'ils étoient obsédés ou ensorcelés, & qu'ils alloient effectivement au sabat, parce qu'on leur disoit qu'ils y alloient. Cette espece d'imagination servile, partage ordinaire du peuple ignorant, a été l'instrument dont l'imagination forte de certains hommes s'est servie pour dominer. C'est encore cette imagination passive des cerveaux aisés à ébranler, qui fait quelquefois passer dans les enfans les marques évidentes d'une impression qu'une mere a reçue ; les exemples en sont innombrables, & celui qui écrit cet article en a vû de si frappans, qu'il démentiroit ses yeux s'il en doutoit ; cet effet d'imagination n'est guere explicable, mais aucun autre effet ne l'est davantage. On ne conçoit pas mieux comment nous avons des perceptions, comment nous les retenons, comment nous les arrangeons. Il y a l'infini entre nous & les premiers ressorts de notre être.

L'imagination active est celle qui joint la réflexion, la combinaison à la mémoire ; elle rapproche plusieurs objets distans, elle sépare ceux qui se mêlent, les compose & les change ; elle semble créer quand elle ne fait qu'arranger, car il n'est pas donné à l'homme de se faire des idées, il ne peut que les modifier.

Cette imagination active est donc au fond une faculté aussi indépendante de nous que l'imagination passive ; & une preuve qu'elle ne dépend pas de nous, c'est que si vous proposez à cent personnes également ignorantes d'imaginer telle machine nouvelle, il y en aura quatre-vingt-dix-neuf qui n'imagineront rien malgré leurs efforts. Si la centieme imagine quelque chose, n'est-il pas évident que c'est un don particulier qu'elle a reçu ? c'est ce don que l'on appelle génie ; c'est-là qu'on a reconnu quelque chose d'inspiré & de divin.

Ce don de la nature est imagination d'invention dans les arts, dans l'ordonnance d'un tableau, dans celle d'un poëme. Elle ne peut exister sans la mémoire ; mais elle s'en sert comme d'un instrument avec lequel elle fait tous ses ouvrages.

Après avoir vû qu'on soulevoit une grosse pierre que la main ne pouvoit remuer, l'imagination active inventa les leviers, & ensuite les forces mouvantes composées, qui ne sont que des leviers déguisés. Il faut se peindre d'abord dans l'esprit les machines & leurs effets pour les exécuter.

Ce n'est pas cette sorte d'imagination que le vulgaire appelle, ainsi que la mémoire, l'ennemie du jugement ; au contraire, elle ne peut agir qu'avec un jugement profond. Elle combine sans-cesse ses tableaux, elle corrige ses erreurs, elle éleve tous ses édifices avec ordre. Il y a une imagination étonnante dans la mathématique pratique, & Archimede avoit au moins autant d'imagination qu'Homere. C'est par elle qu'un poëte crée ses personnages, leur donne des caracteres, des passions ; invente sa fable, en présente l'exposition, en redouble le noeud, en prépare le dénouement ; travail qui demande encore le jugement le plus profond, & en même tems le plus fin.

Il faut un très-grand art dans toutes ces imaginations d'invention, & même dans les romans ; ceux qui en manquent sont méprisés des esprits bien faits. Un jugement toûjours sain regne dans les fables d'Esope ; elles seront toûjours les délices des nations. Il y a plus d'imagination dans les contes des fées ; mais ces imaginations fantastiques, toûjours dépourvues d'ordre & de bon sens, ne peuvent être estimées ; on les lit par foiblesse, & on les condamne par raison.

La seconde partie de l'imagination active est celle de détail, & c'est elle qu'on appelle communément imagination dans le monde. C'est elle qui fait le charme de la conversation ; car elle présente sans-cesse à l'esprit ce que les hommes aiment le mieux, des objets nouveaux ; elle peint vivement ce que les esprits froids dessinent à peine, elle emploie les circonstances les plus frappantes, elle allegue des exemples, & quand ce talent se montre avec la sobriété qui convient à tous les talens, il se concilie l'empire de la société. L'homme est tellement machine, que le vin donne quelquefois cette imagination, que l'oisiveté anéantit ; il y a là de quoi s'humilier, mais de quoi admirer. Comme se peut-il faire qu'un peu d'une certaine liqueur qui empêchera de faire un calcul, donnera des idées brillantes ?

C'est sur-tout dans la Poésie que cette imagination de détail & d'expression doit régner ; elle est ailleurs agréable, mais là elle est nécessaire ; presque tout est image dans Homere, dans Virgile, dans Horace, sans même qu'on s'en apperçoive. La tragédie demande moins d'images, moins d'expressions pittoresques, de grandes métaphores, d'allégories, que le poëme épique ou l'ode ; mais la plûpart de ces beautés bien ménagées font dans la tragédie un effet admirable. Un homme qui sans être poëte ose donner une tragédie, fait dire à Hyppolite,

Depuis que je vous vois j'abandonne la chasse.

Mais Hyppolite, que le vrai poëte fait parler, dit ;

Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.

Ces imaginations ne doivent jamais être forcées, empoulées, gigantesques. Ptolomée parlant dans un conseil d'une bataille qu'il n'a pas vûe, & qui s'est donnée loin de chez lui, ne doit point peindre

Des montagnes de morts privés d'honneurs suprèmes,

Que la nature force à se vanger eux-mêmes,

Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents,

De quoi faire la guerre au reste des vivans.

Une princesse ne doit point dire à un empereur,

La vapeur de mon sang ira grossir la foudre,

Que Dieu tient déjà prête à te réduire en poudre.

On sent assez que la vraie douleur ne s'amuse point à une métaphore si recherchée & si fausse.

Il n'y a que trop d'exemples de ce défaut. On les pardonne aux grands poëtes ; ils servent à rendre les autres ridicules.

L'imagination active qui fait les poëtes leur donne l'enthousiasme, c'est-à-dire, selon le mot grec, cette émotion interne qui agite en effet l'esprit, & qui transforme l'auteur dans le personnage qu'il fait parler ; car c'est-là l'enthousiasme, il consiste dans l'émotion & dans les images : alors l'auteur dit précisément les mêmes choses que diroit la personne qu'il introduit.

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vûe,

Un trouble s'éleva dans mon ame éperdue ;

Mes yeux ne voyoient plus, je ne pouvois parler.

L'imagination alors ardente & sage, n'entasse point de figures incohérentes ; elle ne dit point, par exemple, pour exprimer un homme épais de corps & d'esprit.

Qu'il est flanqué de chair, gabionné de lard,

Et que la nature

En maçonnant les remparts de son ame,

Songea plûtôt au fourreau qu'à la lame.

Il y a de l'imagination dans ces vers ; mais elle est grossiere, elle est déréglée, elle est fausse ; l'image de rempart ne peut s'allier avec celle de fourreau : c'est comme si on disoit qu'un vaisseau est entré dans le port à bride abattue.

On permet moins l'imagination dans l'éloquence que dans la poésie ; la raison en est sensible. Le discours ordinaire doit moins s'écarter des idées communes ; l'orateur parle la langue de tout le monde ; le poëte parle une langue extraordinaire & plus relevée : le poëte a pour base de son ouvrage la fiction ; ainsi l'imagination est l'essence de son art ; elle n'est que l'accessoire dans l'orateur.

Certains traits d'imagination ont ajouté, dit-on, de grandes beautés à la Peinture. On cite sur-tout cet artifice avec lequel un peintre mit un voile sur la tête d'Agamemnon dans le sacrifice d'Iphigénie ; artifice cependant bien moins beau que si le peintre avoit eu le secret de faire voir sur le visage d'Agamemnon le combat de la douleur d'un pere, de l'autorité d'un monarque, & du respect pour ses dieux ; comme Rubens a eu l'art de peindre dans les regards & dans l'attitude de Marie de Médicis, la douleur de l'enfantement, la joie d'avoir un fils, & la complaisance dont elle envisage cet enfant.

En général les imaginations des Peintres, quand elles ne sont qu'ingénieuses, font plus d'honneur à l'esprit de l'artiste qu'elles ne contribuent aux beautés de l'art ; toutes les compositions allégoriques ne valent pas la belle exécution de la main qui fait le prix des tableaux.

Dans tous les arts la belle imagination est toûjours naturelle ; la fausse est celle qui assemble des objets incompatibles ; la bizarre peint des objets qui n'ont ni analogie, ni allégorie, ni vraisemblance ; comme des esprits qui se jettent à la tête dans leurs combats, des montagnes chargées d'arbres, qui tirent du canon dans le ciel, qui font une chaussée dans le cahos. Lucifer qui se transforme en crapaud ; un ange coupé en deux par un coup de canon, & dont les deux parties se rejoignent incontinent, &c..... L'imagination forte approfondit les objets, la foible les effleure, la douce se repose dans des peintures agréables, l'ardente entasse images sur images, la sage est celle qui emploie avec choix tous ces différens caracteres, mais qui admet très-rarement le bizarre, & rejette toûjours le faux.

Si la mémoire nourrie & exercée est la source de toute imagination, cette même mémoire surchargée la fait périr ; ainsi celui qui s'est rempli la tête de noms & de dates, n'a pas le magasin qu'il faut pour composer des images. Les hommes occupés de calculs ou d'affaires épineuses, ont d'ordinaire l'imagination stérile.

Quand elle est trop ardente, trop tumultueuse, elle peut dégénérer en démence ; mais on a remarqué que cette maladie des organes du cerveau est bien plus souvent le partage de ces imaginations passives, bornée à recevoir la profonde empreinte des objets, que de ces imaginations actives & laborieuses qui assemblent & combinent des idées, car cette imagination active a toûjours besoin du jugement ; l'autre en est indépendante.

Il n'est peut-être pas inutile d'ajoûter à cet article, que par ces mots perception, mémoire, imagination, jugement, on n'entend point des organes distincts, dont l'un a le don de sentir, l'autre se ressouvient, un troisieme imagine, un quatrieme juge. Les hommes sont plus portés qu'on ne pense à croire que ce sont des facultés différentes & séparées ; c'est cependant le même être qui fait toutes ces opérations, que nous ne connoissons que par leurs effets, sans pouvoir rien connoître de cet être. Cet article est de M. DE VOLTAIRE.

IMAGINATION des femmes enceintes sur le foetus, pouvoir de l'. Quoique le foetus ne tienne pas immédiatement à la matrice ; qu'il n'y soit attaché que par de petits mamelons extérieurs à ses enveloppes ; qu'il n'y ait aucune communication du cerveau de la mere avec le sien : on a prétendu que tout ce qui affectoit la mere, affectoit aussi le foetus ; que les impressions de l'une portoient leurs effets sur le cerveau de l'autre ; & on a attribué à cette influence les ressemblances, les monstruosités, soit par addition, soit par retranchement, ou par conformation contre nature, que l'on observe souvent dans différentes parties du corps des enfans nouveaux-nés, & sur-tout par les taches qu'on voit sur leur peau, tous effets, qui, s'ils dépendent de l'imagination, doivent bien plus raisonnablement être attribués à celle des personnes qui croyent les appercevoir, qu'à celle de la mere, qui n'a réellement, ni n'est susceptible d'avoir aucun pouvoir de cette espece.

On a cependant poussé, sur ce sujet, le merveilleux aussi loin qu'il pouvoit aller. Non-seulement on a voulu que le foetus pût porter les représentations réelles des appétits de sa mere, mais on a encore prétendu, que par une sympathie singuliere, les taches, les excroissances, auxquelles on trouve quelque ressemblance, avec des fruits, par exemple des fraises, des cerises, des mûres, que la mere peut avoir desiré de manger, changent de couleur, que leur couleur devient plus foncée dans la saison où les fruits entrent en maturité, & que le volume de ces représentations paroît croître avec eux : mais avec un peu plus d'attention, & moins de prévention, l'on pourroit voir cette couleur, ou le volume des excroissances de la peau, changer bien plus souvent. Ces changemens doivent arriver toutes les fois que le mouvement du sang est accéléré ; & cet effet est tout simple. Dans le tems où la chaleur fait mûrir les fruits, ces élévations cutanées sont toujours ou rouges, ou pâles, ou livides, parce que le sang donne ces différentes teintes à la peau, selon qu'il pénetre dans ses vaisseaux, en plus ou moins grande quantité, & que ces mêmes vaisseaux sont plus ou moins condensés, ou relâchés, qu'ils sont plus ou moins grands & nombreux ; selon la différente température de l'air, qui affecte la surface du corps, & que le tissu de la peau qui recouvre la tache ou l'excroissance, se trouve plus ou moins compact ou délicat.

Si ces taches ou envies, comme on les appelle, ont pour cause l'appétit de la mere, qui se représente tels ou tels objets, pourquoi, dit M. de Buffon, (Hist. nat. tom. IV chap. xj.) n'ont-elles pas des formes & des couleurs aussi variées que les objets de ces appétits ? Que de figures singulieres ne verroit-on pas, si les vains desirs de la mere étoient écrits sur la peau de l'enfant !

Comme nos sensations ne ressemblent point aux objets qui les causent, il est impossible que les fantaisies, les craintes, l'aversion, la frayeur, qu'aucune passion en un mot, aucune émotion intérieure puissent produire aucune représentation réelle de ces mêmes objets ; encore moins créer en conséquence de ces représentations, ou retrancher des parties organisées ; faculté, qui pouvant s'étendre au tout, seroit malheureusement presqu'aussi souvent employée pour détruire l'individu dans le sein de la mere, pour en faire un sacrifice à l'honneur, c'est-à-dire au préjugé, que pour empêcher toutes conformations défectueuses qu'il pourroit avoir, ou pour lui en procurer de parfaites. D'ailleurs, il ne se feroit presque que des enfans mâles ; toutes les femmes, pour la plûpart, sont affectées des idées, des desirs, des objets qui ont rapport à ce sexe.

Mais l'expérience prouvant que l'enfant dans la matrice, est à cet égard aussi indépendant de la mere qui le porte, que l'oeuf l'est de la poule qui le couve, on peut croire tout aussi volontiers, ou tout aussi peu, que l'imagination d'une poule qui voit tordre le cou à un coq, produira dans les oeufs qu'elle ne fait qu'échauffer, des poulets qui auront le cou tordu ; que l'on peut croire la force de l'imagination de cette femme, qui ayant vu rompre les membres à un criminel, mit au monde un enfant, dont par hazard les membres se trouverent conformés de maniere qu'ils paroissoient rompus.

Cet exemple qui en a tant imposé au P. Malebranche, prouve très-peu en faveur du pouvoir de l'imagination, dans le cas dont il s'agit ; 1°. parce que le fait est équivoque ; 2°. parce qu'on ne peut comprendre raisonnablement qu'il y ait aucune maniere, dont le principe prétendu ait pu produire un pareil phénomène. Soit qu'on veuille l'attribuer à des influences physiques, soit qu'on ait recours à des moyens méchaniques ; il est impossible de s'en rendre raison d'une maniere satisfaisante.

Puisque le cours des esprits dans le cerveau de la mere, n'a point de communication immédiate qui puisse en conserver la modification jusqu'au cerveau de l'enfant ; & quand même on conviendroit de cette communication, pourroit on bien expliquer comment elle seroit propre à produire sur les membres du foetus les effets dont il s'agit ? L'action des muscles de la mere mis en convulsion par la frayeur, l'horreur, ou toute autre cause, peut-elle aussi jamais produire sur le corps de l'enfant renfermé dans la matrice, des effets assez déterminés, pour opérer des solutions de continuité, plus précisément dans certaines parties des os que dans d'autres, & dans des os qui sont de nature alors à plier, à se courber, plûtôt qu'à se rompre ? Peut-on concevoir que de pareils effets méchaniques, qui portent sur le foetus, puissent produire aucune autre sorte d'altération qui puisse changer la structure de certains organes, préférablement à tous autres ?

On ne peut donc donner quelque fondement à l'explication du phénomène de l'enfant rompu ; explication d'ailleurs, qu'il est toujours téméraire d'entreprendre à l'égard d'un fait extraordinaire, incertain, ou au moins dont on ne connoît pas bien les circonstances, qu'en supposant quelque vice de conformation, qui auroit subsisté indépendamment du spectacle de la roue, avec lequel il a seulement concouru, en donnant lieu de dire très-mal-à-propos, post hoc, ergo propter hoc. L'enfant rachitique, dont on voit le squelete au cabinet d'histoire naturelle du jardin du Roi, a les os des bras & des jambes marqués par des calus, dans le milieu de leur longueur, à l'inspection desquels on ne peut guere douter que cet enfant n'ait eu les os des quatre membres rompus, pendant qu'il étoit dans le sein de sa mere, sans qu'il soit fait mention qu'elle ait été spectatrice du supplice de la roue, qu'ils se sont réunis ensuite, & ont formé calus.

Les choses les plus extraordinaires, & qui arrivent rarement, dit M. de Buffon, loco citato, arrivent cependant aussi nécessairement que les choses ordinaires, & qui arrivent très-souvent. Dans le nombre infini de combinaisons que peut prendre la matiere, les arrangemens les plus singuliers doivent se trouver, & se trouvent en effet, mais beaucoup plus rarement que les autres ; dès-lors on peut parier que sur un million d'enfans, par exemple, qui viennent au monde, il en naîtra un avec deux têtes, ou avec quatre jambes, ou avec des membres qui paroîtront rompus ; ou avec telle autre difformité ou monstruosité particuliere, qu'on voudra supposer. Il se peut donc naturellement, & sans qu'on doive l'attribuer à l'imagination de la mere, qu'il soit né un enfant avec les apparences de membres rompus, qu'il en soit né plusieurs ainsi, sans que les meres eussent assisté au spectacle de la roue ; tout comme il a pu arriver naturellement qu'une mere, dont l'enfant étoit formé avec cette défectuosité, l'ait mis au monde après avoir vu ce spectacle dans le cours de sa grossesse ; ensorte que cette défectuosité n'ait jamais été remarquée comme une chose singuliere, que dans le cas du concours des deux événemens.

C'est ainsi qu'il arrive journellement qu'il naît des enfans avec des difformités sur la peau, ou dans d'autres parties, que l'on ne fait observer qu'autant qu'elles ont ou que l'on croit y voir quelque rapport avec quelque vive affection qu'a éprouvée la mere pendant qu'elle portoit l'enfant dans son sein. Mais il arrive plus souvent encore que les femmes qui croyent devoir mettre au monde des enfans marqués, conséquemment aux idées, aux envies, dont leur imagination a été frappée pendant leur grossesse, les mettent au monde sans aucune marque, qui ait rapport aux objets de ces affections, ce qui reste sous silence mille fois pour une ; ou le concours se trouve entre le souvenir de quelque fantaisie qui a précédé, & quelque défectuosité qui a, ou pour mieux dire, en qui on trouve quelque rapport avec l'idée dont la mere a été frappée. Ce n'est point une imagination agissante qui a produit les variétés que l'on voit dans les pierres figurées, les agathes, les dendrites ; elles ont été formées par l'épanchement d'un suc hétérogène, qui s'est insinué dans les diverses parties de la pierre : selon qu'il a trouvé plus de facilité à couler vers une partie, que vers une autre ; vers quelques points de cette partie, plutôt que vers quelques autres, sa trace a formé différentes figures. Or, cette distribution dépendant de l'arrangement des parties de la pierre, arrangement qu'aucune cause libre n'a pu diriger, & qui a pu varier ; la route de l'épanchement de ce suc, & l'effet qui en a résulté, sont donc un pur effet du hasard. Voyez HASARD.

Si un pareil principe peut occasionner dans ces corps des ressemblances assez parfaites avec des objets connus, qui n'ont cependant aucun rapport avec eux, il n'y a aucun inconvénient à attribuer à cette cause aveugle, les figures extraordinaires que l'on voit sur les corps des enfans. Il est prouvé que l'imagination ne peut rien y tracer ; par conséquent que les figures défectueuses ou monstrueuses qui s'y rencontrent, dépendent de l'effort des parties fluides, & des résistances ou des relâchemens particuliers dans les solides. Ces circonstances n'ayant pas plus de disposition à être déterminées par une cause libre, que celles qui produisent des irrégularités, des défectuosités, des monstruosités dans les bêtes, dans les plantes, les arbres ; elles ont pu varier à l'infini, & conséquemment faire varier les figures qui en sont la suite. Si elles semblent représenter une groseille plûtôt qu'un oeillet, ce n'est donc que l'effet du hasard. Un événement qui dépend du hasard, ne peut être prévu, ni prédit ; & la rencontre d'un pareil événement avec la prédiction (ce qui est aussi rare, qu'il est commun d'être trompé à cet égard), quelque parfaite qu'on puisse la supposer, ne pourra jamais être regardée que comme un second effet du hasard.

Mais, c'est assez s'arrêter sur les effets, dont la seule crédulité a fait des sujets d'étonnement. On peut prédire, d'après l'illustre auteur de l'histoire naturelle, que malgré les progrès de la Philosophie, & souvent même en dépit du bon sens, les faits dont il s'agit, ainsi que beaucoup d'autres, resteront vrais pour bien des gens, quant aux conséquences que l'on en tire. Les préjugés, sur-tout ceux qui sont fondés sur le merveilleux, triompheront toujours des lumieres de la raison ; & l'on seroit bien peu philosophe, si l'on en étoit surpris.

Comme il est souvent question dans le monde des marques des enfans, & que dans le monde les raisons générales & philosophiques font moins d'effet qu'une historiette ; il ne faut pas compter qu'on puisse jamais persuader aux femmes, que les marques de leurs enfans n'ont aucun rapport avec les idées, les fantaisies dont elles ont été frappées, les envies qu'elles n'ont pû satisfaire. Cependant ne pourroit-on pas leur demander, avant la naissance de l'enfant, quels ont été les objets de ces idées, de ces fantaisies, de ces envies souvent aussi respectées qu'elles sont impérieuses, & que l'on les croit importantes, & quelles devront être par conséquent les marques que leur enfant doit avoir. Quand il est arrivé quelquefois de faire cette question, on a fâché les gens sans les avoir convaincus.

Mais cependant, comme le préjugé à cet égard, est très-préjudiciable au repos & à la santé des femmes enceintes, quelques savans ont cru devoir entreprendre de le détruire. On a une dissertation du docteur Blondel, en forme de lettres, à Paris, chez Guérin, 1745, traduite de l'anglois en notre langue, qui renferme des choses intéressantes sur ce sujet. Mais cet auteur nie presque tous les faits qui semblent favorables à l'opinion qu'il combat. Il peut bien être prouvé, qu'ils ne dépendent pas du pouvoir de l'imagination ; mais la plûpart sont des faits certains. Ils serviront toujours à fortifier la façon de penser reçue, jusqu'à ce que l'on ait fait connoître, que l'on ait pour ainsi dire démontré qu'ils ne doivent pas être attribués à cette cause.

Les mémoires de l'académie des Sciences renferment plusieurs dissertations sur le même sujet, qui sont dignes sans-doute de leurs savans auteurs, & du corps illustre qui les a publiées ; mais, comme on y suppose toujours certains principes connus des seuls physiciens, elles paroissent peu faites pour ceux qui ignorent ces principes. Les ouvrages philosophiques destinés à l'instruction du vulgaire, & des dames surtout, doivent être traités différemment d'une dissertation, & tels que legat ipsa Lycoris. C'est à quoi paroît avoir eu égard l'auteur des lettres, qui viennent d'être citées, dans lesquelles la matiere paroît être très-bien discutée, & d'une maniere qui la met à la portée de tout le monde ; ce qui est d'autant plus louable, qu'il n'est personne effectivement qui ne soit intéressé à acquérir des lumieres sur ce sujet, que l'on trouve aussi très-bien traité dans les commentaires sur les institutions de Boerhaave, § 694. & dans les notes de Haller, ibid. où se trouvent cités tous les auteurs qui ont écrit & rapporté des observations sur les effets attribués à l'imagination des femmes enceintes. Voyez ENVIE, MONSTRE.

IMAGINATION, maladies de l', voyez PASSION DE L'AME, MELANCHOLIE, DELIRE.


IMALS. m. (Comm.) mesure des grains dont on se sert à Nancy. La carte fait deux imaux, & quatre cartes le réal, qui contient quinze boisseaux mesure de Paris ; ce qui s'entend de l'avoine. Voyez BOISSEAU. Dict. de comm.


IMAou IMAN, s. m. (Hist. mod.) ministres de la religion mahométane, qui répond à un curé parmi nous.

Ce mot signifie proprement ce que nous appellons prélats, antistes ; mais les Musulmans le disent en particulier de celui qui a le soin, l'intendance d'une mosquée, qui s'y trouve toujours le premier, & qui fait la priere au peuple, qui la répete après lui.

Iman, se dit aussi absolument par excellence des chefs, des instituteurs ou des fondateurs des quatre principales sectes de la religion mahométane, qui sont permises. Voyez MAHOMETISME. Ali est l'iman des Perses, ou de la secte des Schiaites ; Abu-beker, l'iman des Sunniens, qui est la secte que suivent les Turcs ; Saphii ou Safi-y, l'iman d'une autre secte.

Les Mahométans ne sont point d'accord entr'eux sur l'imanat, ou dignité d'iman. Quelques-uns la croyent de droit divin, & attachée à une seule famille, comme le pontificat d'Aaron ; les autres soutiennent d'un côté qu'elle est de droit divin, mais de l'autre, ils ne la croyent pas tellement attachée à une famille, qu'elle ne puisse passer dans une autre. Ils avancent de plus que l'iman devant être, selon eux, exempt non-seulement des péchés griefs, comme l'infidélité, mais encore des autres moins énormes, il peut être déposé, s'il y tombe, & sa dignité transférée à un autre.

Quoi qu'il en soit de cette question, il est constant qu'un iman ayant été reconnu pour tel par les Musulmans, celui qui nie que son autorité vient immédiatement de Dieu, est un impie ; celui qui ne lui obéit pas, un rébelle, & celui qui s'ingere de le contredire, un ignorant : c'est partout de même.

Les imans n'ont aucune marque extérieure qui les distingue du commun des Turcs ; leur habillement est presque le même, excepté leur turban qui est un peu plus large, & plissé différemment. Un iman privé de sa dignité, redevient simple laïc tel qu'il étoit auparavant, & le visir en nomme un autre ; l'examen & l'ordonnance du ministre font toute la cérémonie de la réception. Leur principale fonction, outre la priere, est la prédication, qui roule ordinairement sur la vie de Mahomet, sa prétendue mission, ses miracles, & les fables dont fourmille la tradition musulmane. Ils tâchent au reste de s'attirer la vénération de leurs auditeurs, par la longueur de leur manches & de leurs barbes, la largeur de leurs turbans, & leur démarche grave & composée. Un turc qui les auroit frappés, auroit la main coupée ; & si le coupable étoit chrétien, il seroit condamné au feu. Aucun iman, tant qu'il est en titre, ne peut être puni de mort ; la plus grande peine qu'on lui puisse infliger, ne s'étend pas au-delà du bannissement. Mais les sultans & leurs ministres ont trouvé le secret d'éluder ces privileges, soit en honorant les imans, qu'ils veulent punir, d'une queue de cheval, distinction qui les fait passer au rang des gens de guerre, soit en les faisant déclarer infideles par une assemblée de gens de loi, & dès-lors ils sont soumis à la rigueur des lois. Guer. moeurs des Turcs, liv. II. tome I.


IMARETS. m. (Hist. mod.) nom que les Turcs donnent à une maison bâtie près d'un jami, ou d'une grande mosquée ; elle est semblable à un hôpital ou hôtellerie, & est destinée à recevoir les pauvres & les voyageurs.


IMAÜS(Géog. anc.) longue chaîne de montagnes qui traverse l'Asie, au nord de ce que les anciens appellent proprement l'Inde, & qui envoie une de ses branches au septentrion, vers la mer glaciale. L'Imaüs séparoit l'Inde de la Scythie, comme il sépare encore aujourd'hui l'Indostan de la Tartarie. Il a différens noms dans les différens pays qu'il parcourt : on l'appelle dans la Tartarie propre, Belgian ; dans la Tartarie deserte, Moréghar ; dans le Mogolistan, Dalanguer, & Naugracut, vers les sources du Gange. Une de ses plus considérables branches, prend le nom de montagnes de Gate ; de plus l'Imaüs se divise au septentrion du royaume de Siam, & forme trois nouvelles chaînes, dont nous parlerons au mot montagne, où nous décrirons celles qui serpentent sur le globe de la terre, par une espece de connexion & d'enchaînement. (D.J.)


IMBÉCILLES. m. (Logique) c'est celui qui n'a pas la faculté de discerner différentes idées, de les comparer, de les composer, de les étendre, ou d'en faire abstraction. Tel étoit parmi les Grecs un certain Margitès, dont l'imbécillité passa en proverbe. Suidas prétend qu'il ne savoit pas compter au-dessus de cinq, & qu'étant parvenu à l'adolescence, il demanda à sa mere, si elle & lui n'étoient pas enfans d'un même pere....

Ceux qui n'apperçoivent qu'avec peine, qui ne retiennent qu'imparfaitement les idées, qui ne sauroient les rappeller, ou les rassembler promtement, n'ont que très-peu de pensées. Ceux qui ne peuvent distinguer, comparer & abstraire des idées, ne sauroient comprendre les choses, faire usage des termes, juger, raisonner passablement ; & quand ils le font, ce n'est que d'une maniere imparfaite sur des choses présentes, & familieres à leur sens.

Si l'on examinoit les divers égaremens des imbécilles, on découvriroit assez bien jusqu'à quel point leur imbécillité procede du manque ou de la foiblesse de l'entendement.

Il y a une grande différence entre les imbécilles & les fous. Je croirois fort, dit Locke, que le défaut des imbécilles, vient de manque de vivacité, d'activité, & de mouvement dans les facultés intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l'usage de la raison. Les fous au contraire, semblent être dans l'extrémité opposée ; car il ne paroît pas que ces derniers ayent perdu la faculté de raisonner, mais il paroît, qu'ayant joint mal-à-propos certaines idées, ils les prennent pour des vérités, & se trompent de la même maniere que ceux qui raisonnent juste sur de faux principes. Ainsi vous verrez un fou, qui, s'imaginant d'être roi, prétend par une juste conséquence, être servi, honoré selon sa dignité. D'autres qui ont cru être de verre, ont pris toutes les précautions nécessaires pour empêcher leur corps d'être cassé.

Il y a des degrés de folie, comme il y en a d'imbécillité ; l'union déréglée des idées, ou le manque d'idées, étant moins considérable dans les uns que dans les autres. En un mot, ce qui constitue vraisemblablement la différence qui se trouve entre les imbécilles & les fous ; c'est que les fous joignent ensemble des idées mal-assorties & extravagantes, sur lesquelles néanmoins ils raisonnent juste, au lieu que les imbécilles font très-peu ou point de propositions, & ne raisonnent que peu ou point du tout, suivant l'état de leur imbécillité.

Je ne sais, si certains imbécilles qui ont vêcu quarante ans sans donner le moindre signe de raison, ne sont pas des êtres qui tiennent le milieu entre l'homme & la bête ; car au fond, ces deux noms que nous avons faits, homme & bête, signifient-ils des especes tellement marquées par des essences distinctes, que nulle autre espece ne puisse intervenir entr'elles ?

En cas que quelqu'un vînt nous demander, ce que deviendront les imbécilles dans l'autre monde, puisque nous sommes portés à en faire une espece distincte entre l'homme & la bête, nous répondrions avec Locke, qu'il ne nous importe point de savoir & de rechercher de pareilles choses. Qu'ils tombent, ou qu'ils se soutiennent (pour me servir d'un passage de l'Ecriture, Rom. xjv. 4.) cela regarde leur maître. D'ailleurs, soit que nous déterminions quelque chose, ou que nous ne déterminions rien sur leur état à venir, il ne sera ni meilleur ni pire. Les imbécilles sont entre les mains d'un créateur plein de bonté, qui ne dispose pas de ses créatures suivant les bornes étroites de nos opinions particulieres, & qui ne les distingue point conformément aux noms, & aux chimères qu'il nous plaît de forger. (D.J.)


IMBIBERverb. act. & pass. (Gramm.) on dit imbiber, & s'imbiber. L'éponge s'imbibe d'eau. On imbibe d'huile une meche. La maniere physique dont se fait l'imbibition ne nous est pas toujours distinctement connue. Par quel méchanisme, si un fil trempe d'un bout dans un verre plein d'eau, & tombe de l'autre bout au-dehors du verre, fera-t-il fonction de siphon ; s'imbibera-t-il sans-cesse d'eau, & en vuidera-t-il le verre ? Si ces petits phénomenes étoient bien expliqués, on en appliqueroit bien-tôt la raison à de plus importans. L'action d'imbiber ou de s'imbiber s'appelle imbibition, terme que les Alchimistes ont transportés dans leur art, où il n'a aucune acception claire.


IMBIBITIONS. f. (Chimie) c'est une espece ou une variété de la macération, dont le caractere distinctif consiste en ce que le liquide appliqué à une substance concrete, est absorbé tout entier, ou presque entier par cette substance ; c'est ainsi qu'une éponge est imbibée d'eau, &c. Cette opération est peu en usage dans les travaux ordinaires de la Chimie. On l'emploie dans quelques arts chimiques ; par exemple, dans la préparation de l'orseil, du tournesol, & de quelques autres fécules colorées, dans laquelle on imbibe avec de l'urine les plantes desquelles on travaille à les extraire. (b)


IMBLOCATIONsubst. m. (Hist. des Coûtum.) terme consacré chez les écrivains du moyen âge, pour désigner la maniere d'enterrer les corps morts des personnes excommuniées ; cette maniere se pratiquoit en élevant un monceau de terre ou de pierres sur leurs cadavres, dans les champs, ou près des grands chemins, parce qu'il étoit défendu de les ensevelir, & à plus forte raison de les mettre en terre sainte. Imblocation est formé de bloc, amas de pierres. Voyez Ducange, Glossaire latin, au mot imblocatus. (D.J.)


IMBRICÉadj. (Art) c'est par cette épithete qu'on distingue les tuiles concaves des tuiles plates. On prétend que la couverture avec des tuiles imbricées dure plus ; mais il est sûr qu'elle charge davantage. Imbricé vient d'imbricatus, fait en gouttiere.


IMBRIKDAR-AGAsubst. m. (Hist. mod.) nom d'un officier de la cour du sultan, dont la fonction est de lui donner l'eau pour les purifications ordonnées par la loi mahométane.


IMBRIMS. m. (Hist. nat.) nom que l'on donne dans les îles de Feroe ou Farroe à un oiseau de la grosseur d'une oie, qui, dit-on, ne sort jamais de l'eau. Cet oiseau a le cou fort long ainsi que le bec ; ses plumes sont grises sur le dos & blanches sur la poitrine ; son cou est tout gris à l'exception d'un cercle blanc qui forme comme une espece de collier. Il vit dans l'eau parce que ses piés sont placés en arriere, & sont d'ailleurs si foibles qu'ils ne pourroient point soutenir son corps ; & ses aîles sont trop petites pour qu'il puisse voler. Sous chaque aîle il a un creux capable de contenir un oeuf, & l'on croit que c'est là qu'il tient ses oeufs cachés & qu'il les couve ; d'autant plus qu'on a remarqué que l'imbrim ne fait jamais éclorre que deux petits. Ces oiseaux paroissent sur les côtes à l'approche des tempêtes. On les a mal-à-propos confondus avec les alcyons, dont ils different suivant la description qui vient d'être donnée. Voyez Acta Hafniensia, ann. 1671 & 72, observ. 49.


IMBROS(Géog.) île vers la Quersonnèse de Thrace, séparée par un petit trajet de mer de la Thessalie. Philippe de Macédoine s'en rendit maître, & y exerça un pouvoir absolu. Le géographe Etienne place une ville de même nom dans cette île de l'Archipel, & dit qu'elle étoit consacrée à Cérès & à Mercure ; quoi qu'il en soit, l'île d'Imbros se nomme aujourd'hui l'île de Lembro. Voyez LEMBRO. (D.J.)


IMIS. m. (Commerce) mesure de liquides en usage dans le duché de Wirtemberg, qui tient environ onze pintes.


IMIRETTE(Géog.) petit royaume d'Asie entre les montagnes qui séparent la mer Caspienne & la mer Noire. Il est enfermé entre le mont Caucase, la Colchide, la mer Noire, la principauté de Garcil, & la Géorgie. Sa longueur est de six vingt mille stades, sa largeur de soixante mille. Les peuples du mont Caucase, avec qui l'Imirette confine, sont les Géorgiens & les Turcs au midi ; au septentrion, ces Caracioles ou Circassiens noirs, que les Européens ont appellé Huns, & qui firent tous les ravages en Italie & dans les Gaules, dont parlent les historiens, & Cédrénus en particulier.

L'Imirette est un pays de bois & de montagnes, comme la Mingrélie, mais il y a de plus belles vallées & de plus délicieuses plaines. Il s'y trouve des minieres de fer ; l'argent y a cours, & l'on y bat monnoie. Quant aux moeurs & aux coûtumes, c'est la même chose qu'en Mingrélie, qui a été autrefois sous sa domination, ainsi que les peuples du Guriel ; ils sont tous aujourd'hui tributaires du Turc. Le tribut du meppe, c'est-à-dire du roi d'Imirette est de 80 enfans, filles & garçons, depuis dix ans jusqu'à vingt ; il envoie son tribut au pacha d'Akalziche, & dans les lettres qu'il fait expédier, il se nomme le roi des rois : qu'est donc le pacha du grand-seigneur vis-à-vis de lui ?

La Turquie ne s'est point souciée de s'emparer de tous ces pays limitrophes, où il est impossible d'observer le Mahométisme, parce qu'ils n'ont rien de meilleur que le vin & le cochon, défendus par la loi mahométane ; outre que le peuple y est épars, errant & vagabond : desorte que les Turcs se sont contentés de faire ensorte que toutes ces provinces leur servissent de pepinieres d'esclaves. On dit qu'ils en tirent six ou sept mille chaque année.

Des égards & des obstacles à peu près semblables, empêchent encore apparemment les Turcs d'incorporer à leur empire les vastes plaines de Tartarie & de Scythie, & les pays immenses du mont Caucase. C'est une observation remarquable que cet ancien usage de tribut d'enfans pour esclaves. La Colchide le payoit à la Perse dès les premiers âges du monde ; c'est une autre chose bien singuliere, que dans tous les siecles, ces régions maritimes de la mer Noire, aient produit de si beau sang, & en si grande quantité. (D.J.)


IMITATIFadj. (Gramm.) qui sert à l'imitation ; c'est le nom général que l'on donne aux verbes adjectifs qui renferment dans leur signification un attribut d'imitation.

Ces verbes dans la langue greque, sont dérivés du nom même de l'objet imité, auquel on donne la terminaison verbale pour caractériser l'imitation : , de , de , de , &c. La terminaison pourroit bien venir elle-même de l'adjectif , pareil, semblable, qui semble se retrouver encore à la terminaison des noms terminés en , que les Latins rendent par ismus, & nous par ismes, comme archaïsme, néologisme, hellénisme, &c. Il me semble par cette raison même, que l'on pourroit les appeller aussi des noms imitatifs.

Nous avons conservé en françois la même terminaison imitative, en l'adaptant seulement au génie de notre langue, tyranniser, latiniser, franciser. Anciennement on écrivoit tyrannizer, latinizer, francizer, comme on peut le voir au traité de la Gramm. fr. de R. Etienne, imprimée en 1569 (pag. 42.) : & cette orthographe étoit plus conforme que la nôtre, & à notre prononciation & à l'étymologie. Par quelle fantaisie l'avons-nous altérée ?

Les Latins ont fait pareillement une altération à la terminaison radicale, dont ils ont changé le z en ss : atticissare, sicilissare, patrissare. Vossius (Gramm. lat. de derivitatis) remarque que les Latins ont préféré la terminaison latine en or à la terminaison greque en istare, & qu'en conséquence ils ont mieux aimé dire graecari que graecissare.

Si j'osois proposer une conjecture contre l'assertion d'un si savant homme, je dirois que cette différence de terminaison doit avoit un fondement plus raisonnable qu'un simple caprice ; & la réalité de l'existence des deux mots latins graecissare & graecari est une preuve de mon opinion d'autant plus certaine, que l'on sait aujourd'hui qu'aucune langue n'admet une exacte synonymie. Il me paroît assez vraisemblable que la terminaison issare n'exprime qu'une imitation de langage, & que la terminaison ari exprime une imitation de conduite, de moeurs : atticissare (parler comme les Athéniens), patrissare (parler en pere) ; graecari (boire comme les Grecs), vulpinari (agir en renard, ruser). Les verbes imitatifs de la premiere espece ont une terminaison active, parce que l'imitation de langage n'est que momentanée, dépendante de quelques actes libres qui se succedent de loin à loin, ou même d'un seul acte. Au contraire les verbes imitatifs de la seconde espece ont une terminaison passive ; parce que l'imitation de conduite & de moeurs est plus habituelle, plus continue, & qu'elle fait même prendre les passions qui caractérisent les moeurs, de maniere que le sujet qui imite est pour ainsi dire transformé en l'objet imité : graecari (être fait grec), vulpinari (être fait renard) : de sorte qu'il est à présumer que ces verbes, réputés déponens à cause de la maniere active dont nous les traduisons, & peut-être même à cause du sens actif que les Latins y avoient attaché, sont au fond de vrais verbes passifs, si on les considere dans leur origine & selon le véritable sens littéral. Dans la réalité, les uns & les autres, à raison de leur signification usuelle, sont des verbes actifs, absolus ; actifs, parce qu'ils expriment l'action d'imiter ; absolus, parce que le sens est complet & défini en soi, & n'exige aucun complément extérieur.

Remarquons que la terminaison latine en issare ne suffit pas pour conclure que le verbe est imitatif : l'assonnance seule n'est pas un guide assez sûr dans les recherches analogiques ; il faut encore faire attention au sens des mots & à leur véritable origine. C'est en quoi il me semble qu'a manqué Scaliger (De caus. ling. lat. cap. cxxiij.), lorsqu'il compte parmi les verbes imitatifs le verbe cyathissare : ce n'est pas qu'il ne sente qu'il n'y a point ici de véritable imitation : neque enim, dit-il, aut imitamur aut sequimur Cyathum ; mais il aime pourtant mieux imaginer une métonymie, que d'abandonner l'idée d'imitation qu'il croyoit voir dans la terminaison. Le verbe grec qui correspond à cyathissare, c'est , & non pas , comme les vrais imitatifs ; ce qui prouve que l'assonnance de cyathissare avec les verbes imitatifs est purement accidentelle, & n'a nul trait à l'imitation.


IMITATIONS. f. (Gramm. & Philosoph.) c'est la représentation artificielle d'un objet. La nature aveugle n'imite point ; c'est l'art qui imite. Si l'art imite par des voix articulées, l'imitation s'appelle discours, & le discours est oratoire ou poétique. Voyez ELOQUENCE & POESIE. S'il imite par des sons, l'imitation s'appelle musique. Voyez l'article MUSIQUE. S'il imite par des couleurs, l'imitation s'appelle peinture. Voyez l'article PEINTURE. S'il imite avec le bois, la pierre, le marbre, ou quelqu'autre matiere semblable, l'imitation s'appelle sculpture. Voyez l'article SCULPTURE. La nature est toujours vraie ; l'art ne risquera donc d'être faux dans son imitation que quand il s'écartera de la nature, ou par caprice ou par l'impossibilité d'en approcher d'assez près. L'art de l'imitation en quelque genre que ce soit, a son enfance, son état de perfection, & son moment de décadence. Ceux qui ont créé l'art, n'ont eu de modele que la nature. Ceux qui l'ont perfectionné, n'ont été, à les juger à la rigueur, que les imitateurs des premiers ; ce qui ne leur a point ôté le titre d'hommes de génie ; parce que nous apprécions moins le mérite des ouvrages par la premiere invention & la difficulté des obstacles surmontés, que par le degré de perfection & l'effet. Il y a dans la nature des objets qui nous affectent plus que d'autres ; ainsi quoique l'imitation des premiers soit peut-être plus facile que l'imitation des seconds, elle nous intéressera davantage. Le jugement de l'homme de goût & celui de l'artiste sont bien différens. C'est la difficulté de rendre certains effets de la nature, qui tiendra l'artiste suspendu en admiration. L'homme de goût ne connoît guere ce mérite de l'imitation ; il tient trop au technique qu'il ignore : ce sont des qualités dont la connoissance est plus générale & plus commune, qui fixeront ses regards. L'imitation est rigoureuse ou libre ; celui qui imite rigoureusement la nature en est l'historien. Voyez HISTOIRE. Celui qui la compose, l'exagere, l'affoiblit, l'embellit, en dispose à son gré, en est le poëte. Voyez POESIE. On est historien ou copiste dans tous les genres d'imitation. On est poëte, de quelque maniere qu'on peigne ou qu'on imite. Quand Horace disoit aux imitateurs, ô imitatores servum pecus, il ne s'adressoit ni à ceux qui se proposoient la nature pour modele, ni à ceux qui marchant sur les traces des hommes de génie qui les avoient précédés, cherchoient à étendre la carriere. Celui qui invente un genre d'imitation est un homme de génie. Celui qui perfectionne un genre d'imitation inventé, ou qui y excelle, est aussi un homme de génie. Voyez l'article suivant.

IMITATION, s. f. (Poésie, Rhétor.) on peut la définir, l'emprunt des images, des pensées, des sentimens, qu'on puise dans les écrits de quelqu'auteur, & dont on fait un usage, soit différent, soit approchant, soit en enchérissant sur l'original.

Rien n'est plus permis que d'user des ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde ; ce n'est point un crime de les copier ; c'est au contraire dans leurs écrits, selon Quintilien, qu'il faut prendre l'abondance & la richesse des termes, la variété des figures, & la maniere de composer : ensuite, ajoute cet orateur, on s'attachera fortement à imiter les perfections que l'on voit en eux ; car on ne doit pas douter qu'une bonne partie de l'art ne consiste dans l'imitation adroitement déguisée.

Laissons dire à certaines gens que l'imitation n'est qu'une espece de servitude qui tend à étouffer la vigueur de la nature ; loin d'affoiblir cette nature, les avantages qu'on en tire ne servent qu'à la fortifier. C'est ce que M. Racine a prouvé solidement dans un mémoire agréable, dont le précis décorera cet article.

Stésychore, Archiloque, Hérodote, Platon, ont été des imitateurs d'Homere, lequel vraisemblablement n'a pû lui-même, sans imitation de ceux qui l'ont précédé, porter tout d'un coup la Poésie à son plus haut point de perfection. Virgile n'écrit presque rien qu'il n'imite ; tantôt il suit Homere, tantôt Théocrite, tantôt Hésiode, & tantôt les poëtes de son tems ; & c'est pour avoir eu tant de modeles, qu'il est devenu un modele admirable à son tour.

J'avoue qu'il n'est pas impossible que des hommes plus favorisés du ciel que les autres, s'ouvrent d'eux-mêmes un chemin nouveau, & y marchent sans guides ; mais de tels exemples sont si merveilleux, qu'ils doivent passer pour des prodiges.

En effet, le plus heureux génie a besoin de secours pour croître & se soutenir ; il ne trouve pas tout dans son propre fonds. L'ame ne sauroit concevoir ni enfanter une production célebre, si elle n'a été comme fécondée par une source abondante de connoissances. Nos efforts sont inutiles, sans les dons de la nature ; & nos efforts sont imparfaits si l'on n'accompagne ces dons, si l'imitation ne les perfectionne.

Mais il ne suffit pas de connoître l'utilité de l'imitation ; il faut savoir encore quelles regles on doit suivre pour en retirer les avantages qu'elle est capable de procurer.

La premiere chose qu'il faut faire est de se choisir un bon modele. Il est plus facile qu'on ne pense de se laisser surprendre par des guides dangereux ; on a besoin de sagacité pour discerner ceux auxquels on doit se livrer. Combien Séneque a-t-il contribué à corrompre le goût des jeunes gens de son tems & du nôtre ? Lucain a égaré plusieurs esprits qui ont voulu l'imiter, & qui ne possédoient pas le feu de son éloquence. Son traducteur entraîné comme les autres, a eu la folle ambition de lui dérober la gloire du style ampoulé.

Il ne faut pas même s'attacher tellement à un excellent modele, qu'il nous conduise seul & nous fasse oublier tous les autres écrivains. Il faut comme une abeille diligente, voler de tous côtés, & s'enrichir du suc de toutes les fleurs. Virgile trouve de l'or dans le fumier d'Ennius ; & celui qui peint Phedre d'après Euripide, y ajoute encore de nouveaux traits que Séneque lui présente.

Le discernement n'est pas moins nécessaire pour prendre dans les modeles qu'on a choisis les choses qu'on doit imiter. Tout n'est pas également bon dans les meilleurs auteurs ; & tout ce qui est bon ne convient pas également dans tous les tems & dans tous les lieux.

De plus, ce n'est pas assez que de bien choisir ; l'imitation doit être faite d'une maniere noble, généreuse & pleine de liberté. La bonne imitation est une continuelle invention. Il faut, pour ainsi dire, se transformer en son modele, embellir ses pensées, & par le tour qu'on leur donne, se les approprier, enrichir ce qu'on lui prend, & lui laisser ce qu'on ne peut enrichir. C'est ainsi que la Fontaine imitoit, comme il le déclare nettement.

Mon imitation n'est point un esclavage :

" Je n'emploie que l'idée, les tours & les lois que nos maîtres suivoient eux-mêmes ".

Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence,

Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,

Je l'y transporte, & veux qu'il n'ait rien d'affecté,

Tâchant de rendre mien, cet air d'antiquité.

Malherbe, par exemple, montre comment on peut enrichir la pensée d'un autre, par l'image sous laquelle il représente les vers si connus d'Horace, pallida mors aequo pulsat pede, pauperum tabernas, regumque turres.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,

Est sujet à ses lois ;

Et la garde qui veille aux barrieres du louvre,

N'en défend pas nos rois.

Sophocle fait dire au malheureux Ajax, lorsqu'étant prêt de mourir, il trouve son fils :


IMITATIVEPHRASE, (Gram. & Poésie). J'appelle phrase imitative avec M. l'abbé du Bos (qui me fournira cet article de Grammaire philosophique) toute phrase qui imite en quelque maniere le bruit inarticulé dont nous nous servons par instinct naturel, pour donner l'idée de la chose que la phrase exprime avec des mots articulés.

L'homme qui manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à son gré le sentiment dont il est touché, a recours naturellement à l'expédient de contrefaire ce même bruit, & de marquer ses sentimens par des sons inarticulés. Nous sommes portés par un mouvement naturel à dépeindre par des sons inarticulés le fracas qu'une maison aura fait en tombant, le bruit confus d'une assemblée tumultueuse, & plusieurs autres choses. L'instinct nous porte à suppléer par ces sons inarticulés, à la stérilité de notre langue, ou bien à la lenteur de notre imagination.

Mais les Ecrivains latins, particulierement leurs poëtes qui n'ont pas été gênés comme les nôtres, & dont la langue est infiniment plus riche, sont remplis de phrases imitatives qui ont été admirées & citées avec éloge par les Ecrivains du bon tems. Elles ont été louées par les Romains du siecle d'Auguste qui étoient juges compétens de ces beautés.

Tel est le vers de Virgile qui dépeint Poliphème.

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum.

Ce vers prononcé en supprimant les syllabes qui font élision, & en faisant sonner l'u comme les Romains le faisoient sonner, devient si l'on peut s'exprimer ainsi, un vers monstrueux. Tel est encore le vers où Perse parle d'un homme qui nazille, & qu'on ne sauroit aussi prononcer qu'en nazillant.

Rancidulum quidam balbâ de nare locutus.

Le changement arrivé dans la prononciation du latin, nous a voilé, suivant les apparences, une partie de ces beautés, mais il ne nous les a point toutes cachées.

Nos poëtes qui ont voulu enrichir leurs vers de ces phrases imitatives, n'ont pas réussi au goût des François, comme ces poëtes latins réussissoient au goût des Romains. Nous rions du vers où du Bartas dit en décrivant un coursier, le champ plat, bat, abat. Nous ne traitons pas plus sérieusement les vers où Ronsard décrit en phrase imitative le vol de l'aloüette.

Elle guindée du zéphire,

Sublime en l'air, vire & revire,

Et y décligne un joli cri,

Qui rit, guérit, & tire l'ire

Des esprits mieux que je n'écris.

Pasquier rapporte plusieurs autres phrases imitatives des poëtes françois, dans le chap. x. liv. VIII. de ses recherches, où il veut prouver que notre langue n'est pas moins capable que la latine de beaux traits poétiques ; mais les exemples que Pasquier rapporte, réfutent seuls sa proposition.

En effet, parce qu'on aura introduit quelques phrases imitatives dans des vers, il ne s'ensuit pas que ces vers soient bons. Il faut que ces phrases imitatives y ayent été introduites, sans préjudicier au sens & à la construction grammaticale. Or on citeroit bien peu de morceaux de poésie françoise, qui soient de cette espece, & qu'on puisse opposer en quelque façon à tant d'autres vers, que les latins de tous les tems ont loué dans les ouvrages des poëtes qui avoient écrit en langue vulgaire. M. l'abbé du Bos ne connoissoit même en ce genre que la description d'un assaut qui se trouve dans l'ode de Despreaux sur la prise de Namur ; le poëte, dit-il, y dépeint en phrase imitative le soldat qui gravit contre une breche, & qui vient le fer & la flamme en main,

Sur les monceaux de piques,

Des corps morts, de rocs, de briques,

S'ouvrir un large chemin.

Je n'examinerai pas si l'exemple de l'Abbé du Bos est très-bon ; je dirai seulement qu'on en citeroit peu de meilleurs dans notre langue. Les poëtes anglois sont plus fertiles que les nôtres en phrases imitatives, comme Adisson l'a prouvé par plusieurs traits admirables tirés de Milton. J'en trouve aussi quelquefois dans le Virgile de Dryden, où il peint avec plaisir les objets par des phrases imitatives ; témoin la description suivante du travail des Cyclopes.

One stirs the fire and one the bellows blows,

The hissing steel in the smithy drownd ;

The grot with beating anvils groans around,

By turns their arms advance in equal time,

By turns their hand descend, and hammers chime.

They turn the glowing mass with crooked tongs

The fiery work proceeds with rustick songs.

(D.J.)


IMMACULÉadj. (Théolog.) qui est sans tache ou sans péché.

Les Catholiques se servent de ce terme en parlant de la conception de la Vierge qu'ils appellent immaculée, pour signifier qu'elle est née sans péché originel. Voyez PECHE ORIGINEL.

Quand on donne le bonnet à un docteur de sorbonne, on lui fait jurer qu'il soutiendra l'immaculée conception de la Vierge. La sorbonne fit ce decret dans le 14e siecle, & quatre-vingt autres universités l'ont fait depuis à son imitation. Voyez SORBONNE.

Au reste il faut observer que dans cette savante faculté on ne regarde pas ce point comme un article de foi, mais comme une opinion pieuse & catholique, & c'est en ce sens-là que ses candidats la soutiennent tous les jours dans leurs theses : mais il leur est défendu aussi bien qu'aux professeurs de tenir l'opinion contraire.

Les ordres militaires d'Espagne se sont obligés à soutenir cette prérogative de la Vierge. Voyez CONCEPTION.

Il y a aussi une congrégation de l'immaculée conception dans la plûpart des couvents, de laquelle il y a une société de filles séculieres qui ont pour fin d'honorer l'immaculée conception de la Vierge. Elles en font tous les ans une protestation en public, & tous les jours en particulier. (G)


IMMANENTadj. (Philos. Théolog.) qui demeure dans la personne, ou qui n'a point effet au-dehors.

Les Philosophes ont distingué les actions en immanentes & transitoires. Les Théologiens ont adopté la même distinction. L'action immanente est celle dont le terme est dans l'être même qui l'a produite. La transitoire est celle dont le terme est hors de l'être qui l'a produite. Ainsi Dieu a engendré le fils & le Saint Esprit par des actions immanentes ; & il a créé le monde & tout ce qu'il comprend, par des actions transitoires.


IMMATÉRIALISMou SPIRITUALITé. (Métaph.) L'immatérialisme est l'opinion de ceux qui admettent dans la nature deux substances essentiellement différentes ; l'une qu'ils appellent matiere, & l'autre qu'ils appellent esprit. Il paroît certain que les anciens n'ont eu aucune teinture de la spiritualité. Ils croyent de concert que tous les êtres participoient à la même substance, mais que les uns étoient matériels seulement, & les autres matériels & corporels. Dieu, les anges & les génies, disent Porphyre & Jamblique, sont faits de la matiere ; mais ils n'ont aucun rapport avec ce qui est corporel. Encore aujourd'hui à la Chine, où les principaux dogmes de l'ancienne philosophie se sont conservés, on ne connoît point de substance spirituelle, & on regarde la mort comme la séparation de la partie aërienne de l'homme de sa partie terrestre. La premiere s'éleve en haut, la seconde retourne en bas.

Quelques modernes soupçonnent que puisqu' Anaxagoras a admis un esprit dans la formation de l'univers, il a connu la spiritualité, & n'a point admis un Dieu corporel, ainsi qu'ont fait presque tous les autres philosophes. Mais ils se trompent étrangement ; car par le mot d'esprit les Grecs & les Romains ont également entendu une matiere subtile, ignée, extrêmement déliée, qui étoit intelligente à la vérité, mais qui avoit une étendue réelle & des parties différentes. Et en effet comment veulent-ils qu'on croye que les philosophes grecs avoient une idée d'une substance toute spirituelle, lorsqu'il est clair que tous les premiers peres de l'Eglise ont fait Dieu corporel, que leur doctrine a été perpétuée dans l'église greque jusque dans ces derniers siecles, & qu'elle n'a été quittée par les Romains que vers le tems de S. Augustin ?

Pour juger sainement dans quel sens on doit prendre le terme d'esprit dans les ouvrages des anciens, & pour décider de sa véritable signification, il faut d'abord faire attention dans quelle occasion il s'en faut servir, & à quel usage ils l'ont employé. Ils en usoient si peu pour exprimer l'idée que nous avons d'un être purement intellectuel ; que ceux qui n'ont reconnu aucune divinité, ou du moins qui n'en admettoient que pour tromper le peuple, s'en servoient très-souvent. Le mot d'esprit se trouve très-souvent dans Lucrece pour celui d'ame ; celui d'intelligence est employé au même usage : Virgile s'en sert pour signifier l'ame du monde, ou la matiere subtile & intelligente qui répandue dans toutes ses parties le gouverne & le vivifie. Ce systême étoit en partie celui des anciens Pythagoriciens ; les Stoïciens qui n'étoient proprement que des Cyniques réformés, l'avoient perfectionné ; ils donnoient le nom de Dieu à cette ame ; ils la regardoient comme intelligente, l'appelloient esprit intellectuel : cependant avoient-ils une idée d'une substance toute spirituelle ? pas davantage que Spinosa, ou du moins guere plus ; ils croyoient, dit le P. Mourgues dans son plan théologique du pythagorisme, avoir beaucoup fait d'avoir choisi le corps le plus subtil (le feu), pour en composer l'intelligence ou l'esprit du monde, comme on le peut voir dans Plutarque. Il faut entendre leur langage ; car dans le nôtre, ce qui est esprit n'est pas corps, & dans le leur au contraire on prouveroit qu'une chose étoit corps parce qu'elle étoit esprit... Je suis obligé de faire cette observation sans laquelle ceux qui liroient avec des yeux modernes cette définition du dieu des Stoïciens dans Plutarque, Dieu est un esprit intellectuel & igné, qui n'ayant point de forme peut se changer en telle chose qu'il veut, & ressembler à tous les êtres, croiroient que ces termes, d'esprit intellectuel, détermineroient la signification du terme suivant, à un feu purement métaphorique.

Ceux qui voudroient ne pas s'en tenir à l'opinion d'un savant moderne, ne refuseront peut-être pas de se soumettre à l'autorité d'un ancien auteur qui devoit bien connoître le sentiment des anciens philosophes, puisqu'il a fait un traité de leur opinion, qui, quoiqu'extrêmement précis, ne laisse pas d'être fort clair. C'est de Plutarque dont je veux parler. Il dit en termes exprès que l'esprit n'est qu'une matiere subtile, & il parle comme disant une chose connue & avouée de tous les philosophes. " Notre ame, dit-il, qui est air, nous tient en vie ; aussi l'esprit & l'air contient en être tout le monde, car l'esprit & l'air sont deux noms qui signifient la même chose ". Je ne pense pas qu'on puisse rien demander de plus fort & de plus clair en même tems. Dira-t-on que Plutarque ne connoissoit point la valeur des termes grecs, & que les modernes qui vivent aujourd'hui en ont une plus grande connoissance que lui ? On peut bien avancer une pareille absurdité ; mais où trouvera-t-elle la moindre croyance ?

Platon a été de tous les philosophes anciens celui qui paroît le plus avoir eu l'idée de la véritable spiritualité ; cependant lorsqu'on examine avec un peu d'attention la suite & l'enchaînement de ses opinions, on voit clairement que par le terme d'esprit il n'entendoit qu'une matiere ignée, subtile & intelligente ; sans cela, comment eût-il pu dire que Dieu avoit poussé hors de son sein une matiere dont il avoit formé l'univers ? Est-ce que dans le sein d'un esprit on peut placer de la matiere ? Y a-t-il de l'étendue dans une substance toute spirituelle ? Platon avoit emprunté cette idée de Timée de Locre qui dit que Dieu voulant tirer hors de son sein un fils très-beau, produisit le monde qui sera éternel, parce qu'il n'est pas d'un bon pere de donner la mort à son enfant. Il est bon de remarquer ici que Platon, ainsi que Timée de Locre son guide & son modele, ayant également admis la coéternité de la matiere avec Dieu, il falloit que de tout tems la matiere eût subsisté dans la substance spirituelle, & y eût été enveloppée. N'est-ce pas là donner l'idée d'une matiere subtile, d'un principe délié qui conserve dans lui le germe matériel de l'univers ?

Mais, dira-t-on, Ciceron en examinant les différens systêmes des Philosophes sur l'existence de Dieu, rejette celui de Platon comme inintelligible, parce qu'il fait spirituel le souverain être. Quod Plato sine corpore Deum esse censet, id quale esse possit intelligi non potest. A cela je réponds qu'on ne peut aucunement inférer de ce passage, que Ciceron ou Velleius qu'il fait parler, ait pensé que Platon avoit voulu admettre une divinité sans étendue impassible, absolument incorporelle, enfin spirituelle, ainsi que nous le croyons aujourd'hui. Mais il trouvoit étrange qu'il n'eût point donné un corps & une forme déterminée à l'esprit, c'est-à-dire à l'intelligence composée d'une matiere subtile qu'il admettoit pour ce Dieu suprême ; car toutes les sectes qui reconnoissoient des dieux, leur donnoient des corps. Les Stoïciens qui s'expliquoient de la maniere la plus noble sur l'essence subtile de leur dieu, l'enfermoient pourtant dans le monde qui lui servoit de corps. C'est cette privation d'un corps matériel & grossier, qui fait dire à Velleius que si ce dieu de Platon est incorporel, il doit n'avoir aucun sentiment, & n'être susceptible ni de prudence ni de volupté. Tous les philosophes anciens, excepté les Platoniciens, ne pensoient point qu'un esprit hors du corps pût ressentir ni plaisir ni douleur ; ainsi il étoit naturel que Velleius regardât le dieu de Platon incorporel, c'est-à-dire uniquement composé de la matiere subtile qui faisoit l'essence des esprits, comme un dieu incapable de plaisir, de prudence, enfin de sensations.

Si vous doutez encore du matérialisme de Platon, lisez ce qu'en dit M. Bayle dans le premier tome de la continuation de ses pensées diverses, fondé sur un passage d'un auteur moderne, qui a expliqué & dévoilé le platonisme. Voici le passage que cite M. Bayle. " Le premier dieu, selon Platon, est le dieu suprême à qui les deux autres doivent honneur & obéissance, d'autant qu'il est leur pere & leur créateur. Le second est le dieu visible, le ministre du dieu invisible, & le créateur du monde. Le troisieme se nomme le monde, ou l'ame qui anime le monde, à qui quelques-uns donnent le nom de démon. Pour revenir au second qu'il nommoit aussi le verbe, l'entendement ou la raison, il concevoit deux sortes de verbe, l'un qui a résidé de toute éternité en Dieu, par lequel Dieu renferme de toute éternité dans son sein toutes sortes de vertus, faisant tout avec sagesse, avec puissance & avec bonté : car étant infiniment parfait, il a dans ce verbe interne toutes les idées & toutes les formes des êtres créés. L'autre verbe qui est le verbe externe & proféré, n'est autre chose selon lui, que cette substance que Dieu poussa hors de son sein, ou qu'il engendra pour en former l'univers. C'est dans cette vûe que le mercure Trismegiste a dit que le monde est consubstantiel à Dieu ". Voici maintenant la conséquence qu'en tire M. Bayle : " Avez-vous jamais rien lû de plus monstrueux ? Ne voilà-t-il pas le monde formé d'une substance que Dieu poussa hors de son sein ? Ne le voilà-t-il pas l'un des trois Dieux, & ne faut-il pas le subdiviser en autant de dieux qu'il y a de parties dans l'univers diversement animées ? N'avez-vous point là toutes les horreurs, toutes les monstruosités de l'ame du monde ? Plus de guerres entre les dieux que dans les écrits des poëtes ? les dieux auteurs de tous les péchés des hommes ? les dieux qui punissent & qui commettent les mêmes crimes qu'ils ordonnent de ne point faire ? "

Enfin, pour conclure par un argument tranchant & décisif, c'est une chose avancée de tout le monde, que Platon & presque tous les philosophes de l'antiquité ont soutenu que l'ame n'étoit qu'une partie séparée du tout ; que Dieu étoit ce tout, & que l'ame devoit enfin s'y réunir par voie de réfusion. Or il est évident qu'un tel sentiment emporte nécessairement avec lui le matérialisme. L'esprit tel que nous l'admettons n'est pas sans-doute composé de parties qui puissent se détacher les unes des autres ; c'est là ce caractere propre & distinctif de la matiere. Voyez l'article de l'AME DU MONDE.

Comme l'ancienne philosophie confondoit la spiritualité & la matérialité, ne mettant entr'elles d'autre différence que celle qu'on met d'ordinaire entre les modifications d'une même substance, croyant de plus que ce qui est matériel peut devenir insensiblement spirituel, & le devient en effet. Les peres des premiers siecles de l'Eglise se livrerent à ce systême, car il est indispensable d'en avoir un quand on écrit pour le public. Les questions qui roulent sur l'essence de l'esprit, sont si déliées, si abstraites, les idées en échappent avec tant de légereté, l'imagination y est si contrainte, l'attention si-tôt épuisée, que rien n'est si facile, & dès-là si pardonnable que de s'y méprendre. Quiconque n'y saisit pas d'abord certains principes, est hors de route ; il marche sans rien trouver, on ne rencontre que l'erreur : ce n'est pourtant pas tout-à-fait à la peine de découvrir ces principes, la plûpart simples & naturels, qu'il faut attribuer les mécomptes philosophiques de quelques-uns de nos premiers écrivains ; c'est à leur déférence trop soumise pour les systêmes reçûs. Si le succès n'est presque dans tout que le prix d'une sage audace, on peut dire que c'est dans la philosophie principalement qu'il faut oser ; mais ce courage de raison qui se cherche une voie même où il ne voit point de trace, étoit un art d'inventer ignoré de nos peres : appliqués seulement à maintenir dans sa pureté ce dogme de la foi, tout le reste ne leur sembloit qu'une spéculation plus curieuse que nécessaire. Soigneux tout au plus d'arriver jusqu'où les autres avoient été, la plûpart très-capables d'aller plus loin, ne sentirent pas assez les ressources que leur offroit la beauté de leur génie.

Origene ce savant si respectable, & consulté de toutes parts, n'entendoit par esprit qu'une matiere subtile, & un air extrêmement léger. C'est le sens qu'il donne au mot , qui est l'incorporel des Grecs. Il dit encore que tout esprit selon la notion propre & simple de ce terme, est un corps. Par cette définition il doit nécessairement avoir cru que Dieu, les anges & les ames étoient corporels ; aussi l'a-t-il cru de même, & le savant M. Huet rapporte tous les reproches qu'Origene a reçus à ce sujet ; il tâche de le justifier contre une partie ; mais enfin il convient qu'il est certain que cet ancien docteur a avoué qu'il ne paroissoit point dans l'Ecriture quelle étoit l'essence de la divinité. Le même M. Huet convient encore qu'il a cru que les anges & les ames étoient composés d'une matiere subtile qu'il appelloit spirituelle, eu égard à celle qui compose les corps. Il s'ensuit donc nécessairement qu'il a aussi admis une essence subtile dans la divinité ; car il dit en termes exprès que la nature des ames est la même que celle de Dieu. Or si l'ame humaine est corporelle, Dieu doit donc l'être. Le savant M. Huet a rapporté avec soin quelques endroits des ouvrages d'Origene, qui paroissent opposés à ceux qui le condamnent ; mais les termes dont se sert Origene, sont si précis, & la façon dont parle le savant prélat est si foible, qu'on connoît aisément que la seule qualité de commentateur lui met des armes à la main pour défendre son original. S. Jérôme & les autres critiques d'Origene ont soutenu qu'il n'avoit pas été plus éclairé sur la spiritualité de Dieu, que sur celle des ames & des anges.

Tertullien s'est expliqué encore plus clairement qu'Origene sur la corporéïté de Dieu qu'il appelle cependant spirituel dans le sens dont on se servoit de ce mot chez les anciens. " Qui peut nier, dit-il, que Dieu ne soit corps, bien qu'il soit esprit ? tout esprit est corps, & a une forme & une figure qui lui est propre ". Quis autem negabit Deum esse corpus, etsi Deus spiritus ? spiritus etiam corpus sui generis in suâ effigie. Un livre entier nous reste de sa main, où il établit ce qu'il pense de l'ame ; & ce qu'il y a de singulier, c'est que l'auteur y est clair, sans mélange de ténebres, lui qu'on accuse d'être confus ailleurs, presque sans mélange de clarté. C'est-là qu'il renferme les anges dans ce qu'il nomme la cathégorie de l'étendue. Il y place Dieu même, & à plus forte raison y comprend-il l'ame de l'homme qu'il soutient corporelle.

Ce sentiment de Tertullien ne prenoit pourtant pas sa source comme celui des autres, dans l'opinion dominante ; il estimoit trop peu les Philosophes, & Platon lui-même, dont il disoit librement qu'il avoit fourni la matiere de toutes les hérésies. Il se trompoit ici par excès de religion, s'il étoit permis de s'exprimer de la sorte ; parce qu'une femme pieuse rapportoit que dans un moment d'extase, une ame s'étoit montrée à elle, revêtue des qualités sensibles, lumineuse, colorée, palpable, & qui plus est, d'une figure extérieurement humaine ; il crut devoir la maintenir corporelle, dans la crainte de blesser la foi. Circonspection dont on peut louer le motif, mais impardonnable entant que philosophe. Ce n'est pas qu'il ne dise quelquefois que l'ame est un esprit ; mais qu'en conclure, sinon que cette expression n'emporte point dans le langage des anciens ce qu'elle signifie dans le nôtre ? Par le mot esprit, nous concevons une intelligence pure, indivisible, simple ; eux n'entendoient qu'une substance plus déliée, plus agile, plus pénétrante que les corps exposés à la perception des sens.

Je sais que dans les écoles on justifie Tertullien, du-moins par rapport à la spiritualité de Dieu. Ils veulent que cet ancien docteur regarde les termes de substances & de corps comme synonymes ; ainsi lorsqu'on dit, qui peut nier que Dieu ne soit corps ? c'est comme si l'on disoit, qui peut nier que Dieu ne soit une substance ? Quant aux mots de spirituel & d'incorporel, ils ont chez Tertullien, selon les Scholastiques, un sens très-opposé. L'incorporel signifie le néant, le vuide, la privation de toute substance ; le spirituel au contraire désigne une substance, qui n'est point matérielle. Ainsi, lorsque Tertullien dit, que tout esprit est corps, il faut l'entendre en ce sens, que tout esprit est une substance.

C'est par ces distinctions que les Scholastiques prétendent réfuter les reproches que S. Augustin a faits à Tertullien d'avoir crû que Dieu étoit corporel ; il est assez singulier qu'ils se soient figurés que Tertullien ne connoissoit pas la valeur des termes latins, & qu'il exprimoit le mot de substance par celui de corps, & celui de néant par celui d'incorporel. Est-ce que tous les auteurs grecs & latins n'avoient pas fixé dans leurs écrits la véritable signification de ces termes ? Cette peine qu'on se donne pour justifier Tertullien, est aussi infructueuse que celle qu'ont pris certains Platoniciens modernes, dans le dessein de prouver que Platon avoit crû la création de la matiere. Le savant Fabricius a dit, en parlant d'eux, qu'ils avoient entrepris de blanchir un more.

S. Justin n'a pas eu des idées plus pures de la parfaite spiritualité qu'Origene & Tertullien. Il a dit en termes exprès, que les anges étoient corporels ; que le crime de ceux qui avoient péché, étoit de s'être laissé séduire par l'amour des femmes, & de les avoir connu charnellement. Certainement, je ne crois pas que personne s'avise de vouloir spiritualiser les anges de S. Justin, il leur fait faire des preuves trop fortes de leur corporéïté. Quant à la nature de Dieu, ce pere ne l'a pas mieux connue que celle des autres êtres spirituels. " Toute la substance, dit-il, " qui ne peut-être soûmise à aucune autre à cause de sa légéreté, a cependant un corps qui constitue son essence. Si nous appellons Dieu incorporel, ce n'est pas qu'il le soit ; mais c'est parce que nous sommes accoûtumés d'approprier certains noms à certaines choses, à désigner le plus respectueusement qu'il nous est possible, les attributs de la Divinité. Ainsi, parce que l'essence de Dieu ne peut être apperçue, & ne nous est point sensible, nous l'appellons incorporel ".

Tatien, philosophe chrétien, dont les ouvrages sont imprimés à la suite de ceux de S. Justin, parle dans ces termes de la spiritualité des anges & des démons : " Ils ont des corps qui ne sont point de chair, mais d'une matiere spirituelle, dont la nature est la même que celle du feu & de l'air. Ces corps spirituels ne peuvent être apperçûs que par ceux à qui Dieu en accorde le pouvoir, & qui sont éclairés par son esprit ". On peut juger par cet échantillon des idées que Tatien a eues de la véritable spiritualité.

S. Clément d'Aléxandrie a dit en termes formels, que Dieu étoit corporel. Après cela, il est inutile de rapporter s'il croyoit les ames corporelles ; on le sent bien sans-doute. Quant aux anges, il leur faisoit prendre les mêmes plaisirs que S. Justin ; plaisirs où le corps est autant nécessaire que l'ame.

Lactance croyoit l'ame corporelle. Après avoir examiné toutes les opinions des Philosophes sur la matiere dont l'essence de l'ame est composée, & les avoir toutes regardées comme incertaines ; il dit qu'elles ont toutes cependant quelque chose de véritable, notre ame ou le principe de notre vie étant dans le sang, dans la chaleur & dans l'esprit ; mais qu'il est impossible de pouvoir exprimer la nature qui résulte de ce mélange, parce qu'il est plus facile d'en voir les opérations que de la définir. Le même auteur ayant établi par ces principes la corporéïté de l'ame, dit qu'elle est quelque chose de semblable à Dieu. Il rend par conséquent Dieu matériel, sans s'en appercevoir, & sans connoître son erreur ; car selon les idées de son siecle, quoique ce fût celui de Constantin, un esprit étoit un corps composé de matiere subtile. Ainsi, disant que l'ame étoit corps, & cependant quelque chose de semblable à Dieu, il ne croyoit pas dégrader davantage la nature divine & la spiritualité, que lorsque nous assûrons aujourd'hui que l'ame étant spirituelle, est d'une nature semblable à celle de Dieu.

Arnobe n'est pas moins précis ni moins formel sur la corporéïté spirituelle que Lactance. On pourroit lui joindre S. Hilaire, qui dans la suite pensa que l'ame étoit étendue ; S. Grégoire de Nazianze, qui disoit qu'on ne pouvoit concevoir un esprit, sans concevoir du mouvement & de la diffusion ; S. Grégoire de Nysse, qui parloit d'une sorte de transmigration inconcevable sans matérialité ; S. Ambroise qui divisoit l'ame en deux parties, division qui la dépouilloit de son essence en la privant de sa simplicité ; Cassien qui pensoit & s'expliquoit presque de même ; & enfin Jean de Thessalonique, qui au septieme concile avance, comme un article de tradition attestée par S. Athanase, par S. Basile & par S. Méthode, que ni les anges, ni les démons, ni les ames humaines ne sont dégagés de la matiere. Déja néanmoins de grands personnages avoient enseigné dans l'Eglise une philosophie plus correcte ; mais l'ancien préjugé se conservoit apparemment dans quelques esprits, & se montroit encore une fois pour ne plus reparoître.

Les Grecs modernes ont été à peu-près dans les mêmes idées que les anciens. Ce sentiment est appuyé de l'autorité de M. de Beausobre, l'un des plus savans hommes qu'il y ait eu en Europe. Voici comme il parle dans son histoire de Manichée & du Manichéisme : " Quand je considere, dit-il, la maniere dont ils expliquent l'union des deux natures en J. C. je ne puis m'empêcher d'en conclure, qu'ils ont crû la nature divine corporelle. L'incarnation, disent-ils, est un parfait mélange des deux natures : la nature spirituelle & subtile pénetre la nature matérielle & corporelle jusqu'à ce qu'elle soit répandue dans toute cette nature, & mélée toute entiere avec elle, ensorte qu'il n'y ait aucun lieu de la nature matérielle qui soit vuide de la nature spirituelle. Pour moi, qui connois Dieu comme un esprit, je connois aussi l'Incarnation comme un acte constant & irrévocable de la volonté du fils de Dieu, qui veut s'unir à la nature humaine, & lui communiquer toutes les perfections qu'une nature créée est capable de recevoir. Cette explication du mystere de l'Incarnation est raisonnable ; mais, si je l'ose dire, ou celle des Grecs n'est qu'un amas de fausses idées & de termes qui ne signifient rien, ou ils ont connu la nature divine comme une matiere subtile ".

Le grand homme que je viens de citer, va nous prouver que dans le quatorzieme siecle, il falloit, selon le principe des Grecs, qu'ils crussent encore que l'essence de Dieu étoit une lumiere sublime incorporelle dans le sens des anciens peres, c'est-à-dire, étendue, ayant des parties diffuses ; enfin telle que les Philosophes grecs concevoient la matiere subtile, qu'ils nommoient incorporelle. Il rapporte qu'il s'éleva dans le quatorzieme siecle une vive contestation sur une question beaucoup plus curieuse qu'utile : c'est de savoir si la lumiere qui éclata sur la personne de J. C. lorsqu'il fut transfiguré, étoit une lumiere créée ou incréée. Grégoire Palamas, fameux moine du mont Athos, soutenoit qu'elle étoit incréée, & Barlaam défendoit le contraire. Cela donna lieu à la convocation d'un concile tenu à Constantinople sous Andronic le jeune. Barlaam fut condamné, & il fut décidé que la lumiere qui parut sur le Tabor étoit la gloire de la divinité de J. C., sa lumiere propre, celle qui émane de l'essence divine, ou plutôt celle qui est une seule & même chose avec cette essence, & non une autre. Voyons actuellement les réflexions de M. de Beausobre. " Il y a des corps, dit-il, que leur éloignement ou leur petitesse rendent invisibles ; mais il n'y a rien de visible qui ne soit corps, & les Valentiniens avoient raison de dire que tout ce qui est visible est corporel & figuré. Il faut aussi que le concile de Constantinople qui décida conformément à l'opinion de Palamas, & sur l'autorité d'un grand nombre de peres, qu'il émane de l'essence divine une lumiere incréée, laquelle est comme son vêtement, & qui parut en J. C. dans sa transfiguration ; il faut, dis je, ou que ce concile ait crû que la divinité est un corps lumineux, ou qu'il ait établi deux opinions contradictoires, car il est absolument impossible qu'il émane d'un esprit une lumiere visible, & par conséquent corporelle ".

Je crois qu'on peut fixer dans le siecle de S. Augustin la connoissance de la pure spiritualité. Je penserois assez volontiers que les hérétiques qu'on avoit à combattre dans ce tems-là, & qui admettoient deux principes, un bon & l'autre mauvais, qu'ils faisoient également matériels, quoiqu'ils donnassent au bon principe, c'est-à-dire à Dieu, le nom de lumiere incorporelle, ne contribuerent pas peu au développement des véritables notions sur la nature de Dieu. Pour les combattre avec plus d'avantage, on sentit qu'il conviendroit de leur opposer l'existence d'une Divinité purement spirituelle. On examina s'il étoit possible que son essence pût être incorporelle dans le sens que nous entendons ce mot, on trouva bien-tôt qu'il étoit impossible qu'elle en pût avoir un autre ; alors on condamna ceux qui avoient parlé différemment. On avoua pourtant que l'opinion qui donnoit un corps à Dieu, n'avoit point été regardée comme hérétique.

Quoique la pure spiritualité de Dieu fût connue dans l'Eglise quelque tems avant la conversion de S. Augustin, comme il paroit par les ouvrages de S. Jérome, qui reproche à Origene d'avoir fait Dieu corporel ; cependant cette vérité rencontroit encore bien des difficultés à vaincre dans l'esprit des plus savans Théologiens. S. Augustin nous apprend qu'il n'avoit été retenu si long-tems dans le Manichéisme que par la peine qu'il avoit à comprendre la pure spiritualité de Dieu. C'étoit-là, dit-il, la seule presque insurmontable cause de mon erreur. Ceux qui ont médité sur la question qui embarrassoit S. Augustin, ne seront pas surpris des difficultés qui pouvoient l'arrêter. Ils savent que malgré la nécessité qu'il y a d'admettre un Dieu purement spirituel, on ne peut jamais concilier parfaitement un nombre d'idées qui paroissent bien contradictoires. Est-il rien de plus abstrait & de plus difficile à comprendre qu'une substance réelle qui est par-tout, & qui n'est dans aucun espace ; qui est toute entiere dans des parties qui sont à une distance infinie les unes des autres, & cependant parfaitement unique ? Est-ce une chose enfin bien aisée à comprendre qu'une substance qui est toute entiere dans chaque point de l'immensité de l'espace, qui néanmoins n'est pas aussi infinie en nombre que le sont les points de l'espace dans lesquels elle est toute entiere ? S. Augustin est bien excusable d'avoir été arrêté par ces difficultés, sur-tout dans un tems où la doctrine de la pure spiritualité de Dieu ne faisoit, pour ainsi dire, qu'éclorre. Ce fut lui-même qui dans les suites la porta à un point bien plus parfait ; cependant il ne put la perfectionner alors sur l'essence de Dieu, il raisonna toûjours en parfait matérialiste sur les substances spirituelles. Il donna des corps aux anges & aux démons ; il supposa trois ou quatre differentes matieres spirituelles, c'est-à-dire subtiles. Il composa de l'une, l'essence des substances célestes ; de l'autre, qu'il disoit être comme un air épais, il fit celle des démons. L'ame humaine étoit aussi formée d'une matiere qui lui étoit affectée & particuliere.

On voit combien les idées de la pure spiritualité des substances immatérielles étoient encore confuses dans le tems de S. Augustin. Quant à celles que ce pere avoit de la nature de l'ame, pour montrer évidemment combien elles étoient obscures & inintelligibles, il ne faut que consulter ce qu'il dit sur l'ouvrage qu'il avoit écrit au sujet de son immortalité. Il avoue qu'il n'a paru dans le monde que malgré son consentement, & qu'il est si obscur, si confus, qu'à peine entend-il lui-même, lorsqu'il le lit, ce qu'il a voulu dire.

Il semble que quelque tems après S. Augustin, loin que la connoissance de la pure spiritualité se perfectionnât, elle fut peu-à-peu obscurcie. La philosophie d'Aristote, qui devint en vogue dans le douzieme siecle, fit presque retomber les Théologiens dans l'opinion d'Origene & de Tertullien. Il est vrai qu'ils nierent formellement que dans l'essence spirituelle il se trouvât rien de corporel, rien de subtil, rien enfin qui appartînt au corps ; mais d'un autre côté ils détruisoient tout ce qu'ils supposoient, en donnant une étendue aux esprits ; infinie à Dieu, & finie aux anges & aux ames. Ils prétendoient que les substances spirituelles occupoient & remplissoient un lieu fixe & déterminé : or ces opinions sont directement contraires aux saines idées de la spiritualité. Ainsi, l'on peut dire que jusqu'aux Cartésiens, les lumieres que S. Augustin avoit données sur la pure incorporéïté de Dieu, étoient diminuées de beaucoup. Les Théologiens condamnoient Origene & Tertullien ; & dans le fond, ils étoient beaucoup plus proches du sentiment de ces anciens que de celui de S. Augustin. Ecoutons sur cela raisonner M. Bayle à l'article de SIMONIDE de son dictionnaire historiq. & critique : " Jusqu'à M. Descartes, tous nos docteurs, soit théologiens, soit philosophes, avoient donné une étendue aux esprits, infinie à Dieu, finie aux anges & aux ames raisonnables. Il est vrai qu'ils soûtenoient que cette étendue n'est point matérielle, ni composée de parties, & que les esprits sont tout entiers dans chaque partie de l'espace qu'ils occupent : toti in toto, & toti in singulis partibus. De-là sont sortis les trois especes de présence locale, ubi circumscriptivum, ubi definitivum, ubi repletivum ; la premiere pour les corps, la seconde pour les esprits créés, & la troisieme pour Dieu. Les Cartésiens ont renversé tous ces dogmes ; ils disent que les esprits n'ont aucune sorte d'étendue, ni de présence locale ; mais on rejette leur sentiment comme très-absurde. Disons donc qu'encore aujourd'hui presque tous nos Philosophes & tous nos Théologiens enseignent, conformément aux idées populaires, que la substance de Dieu est répandue dans des espaces infinis. Or, il est certain que c'est ruiner d'un côté ce qu'on bâtit de l'autre. C'est redonner en effet à Dieu la matérialité qu'on lui avoit ôtée. Vous dites qu'il est un esprit, voilà qui est bien ; c'est lui donner une nature différente de la matiere. Mais en même tems vous dites que sa substance est répandue par-tout ; vous dites donc qu'elle est étendue ? Or nous n'avons point d'idée de deux sortes d'étendue : nous concevons clairement que toute étendue, quelle qu'elle soit, a des parties distinctes, impénétrables, inséparables les unes des autres. C'est un monstre que de prétendre que l'ame soit toute dans le cerveau & toute dans le coeur. On ne conçoit point que l'étendue divine & l'étendue de la matiere puissent être au même lieu, ce seroit une véritable pénétration de dimensions que notre raison ne conçoit pas. Outre cela les choses qui sont pénétrées avec une troisieme, sont pénétrées entr'elles, & ainsi le ciel & le globe de la terre sont pénétrés entre eux ; car ils seroient pénétrés avec la substance divine, qui, selon vous, n'a point de parties ; d'où il résulte que le soleil est pénétré avec le même être que la terre. En un mot, si la matiere n'est matiere que parce qu'elle est étendue, il s'ensuit que toute étendue est matiere : l'on vous défie de marquer aucun attribut différent de l'étendue par lequel la matiere soit matiere. L'impénétrabilité des corps ne peut venir que de l'étendue, nous n'en saurions concevoir que ce fondement ; & ainsi vous devez dire que si les esprits étoient étendus, ils seroient impénétrables ; ils ne seroient donc point différens des corps par la pénétrabilité. Après tout, selon le dogme ordinaire, l'étendue divine n'est ni plus ni moins ou impénétrable ou pénétrable que celle du corps. Les parties, appellez-les virtuelles tant qu'il vous plaira, ces parties, dis-je, ne peuvent point être pénétrées les unes avec les autres ; mais elles peuvent l'être avec les parties de la matiere. N'est-ce pas ce que vous dites de celles de la matiere ? mais elles peuvent pénétrer les parties virtuelles de l'étendue divine. Si vous consultez exactement le sens commun, vous concevrez que lorsque deux étendues sont pénétrativement au même lieu, l'une est aussi pénétrable que l'autre. On ne peut donc point dire que l'étendue de la matiere differe d'aucune autre sorte d'étendue par l'impénétrabilité : il est donc certain que toute étendue est aussi matiere ; & par conséquent vous n'ôtez à Dieu que le nom de corps, & vous lui en laissez toute la réalité lorsque vous dites qu'il est étendu " ? Consultez l'article de l'AME, où l'on prouve, à la faveur de la raison & de quelques étincelles de bonne philosophie, qu'outre les substances matérielles, il faut encore admettre des substances purement spirituelles & réellement distinctes des premieres. Il est vrai que nous ignorons ce que sont au fond ces deux sortes de substances ; comment elles viennent se joindre l'une à l'autre ; si leurs propriétés se réduisent au petit nombre de celles que nous connoissons. C'est ce qu'il est impossible de décider ; & d'autant plus impossible, que nous ignorons absolument en quoi consiste l'essence de la matiere, & ce que les corps sont en eux-mêmes. Les modernes, il est vrai, ont fait sur cela quelques pas de plus que les anciens ; mais qu'il leur en reste encore à faire !


IMMATRICULATIONS. f. (Jurisprud.) signifie inscription de quelqu'un dans la matricule ou registre ; les nouveaux officiers sont reçûs & immatriculés dans le siége où ils exercent leur fonction. Les nouveaux propriétaires des rentes assignées sur les revenus du Roi, se font immatriculer par les payeurs pour pouvoir toucher les rentes. Voyez IMMATRICULE & MATRICULE. (A)


IMMATRICULEadject. (Jurisprud.) est l'acte contenant l'inscription de quelqu'un dans la matricule ou registre commun. L'immatricule d'un huissier ou autre officier est l'acte par lequel il a été inscrit au nombre des officiers du tribunal. L'immatricule d'un nouveau rentier ou propriétaire de quelque partie de rente assignée sur les revenus du Roi, est l'acte par lequel il est inscrit & reconnu en qualité de nouveau propriétaire de cette rente, à l'effet d'en être payé au lieu & place du précédent propriétaire. Voyez IMMATRICULATION & MATRICULE. (A)


IMMEDIATadj. (Gramm.) qui suit ou précede un autre sans aucune interposition. V. MEDECINE.

Immédiat signifie aussi, qui agit sans moyen, sans milieu. On dit dans ce sens, grace immédiate, & cause immédiate.

On a vû depuis quelques années de grandes disputes sur la grace immédiate entre les Théologiens. Il s'agissoit de savoir, si la grace agit sur le coeur & sur l'esprit par une efficacité immédiate, indépendamment des circonstances externes ; ou si un certain assemblage, ou certain ménagement de circonstances, jointes au ministere de la parole, peuvent produire la conversion des ames. Voyez GRACE. Voyez le dictionn. de Trévoux.


IMMEMORIALadj. (Gram. & Jurisprud.) se dit de ce qui passe la mémoire des hommes qui sont actuellement vivans, & dont on ne connoît point le commencement. On dit, par exemple, que de tems immémorial on en a usé ainsi, ou que l'on a une possession immémoriale d'un héritage. La possession de trente ou quarante ans, & même de cent ans, n'est point immémoriale, dès que l'on en connoît l'origine. Voyez POSSESSION. (A)


IMMENSITÉS. f. (Métaphysiq.) ce terme est relatif à l'étendue, comme celui d'éternité à la durée. L'éternité est un tems sans limites ; l'immensité est un espace sans bornes.

On entend par l'immensité de Dieu, la présence de Dieu par-tout. Or on connoît que Dieu peut-être présent par-tout de trois manieres : 1°. par la connoissance, parce que rien ne lui est caché ; 2°. par son opération ou par sa puissance, parce qu'il produit & conserve tout en tout lieu ; 3°. par son essence ou par sa substance, entant qu'il pénetre tout, & qu'il se trouve par-tout substantiellement.

Parmi les anciens hérétiques qui ont erré sur l'immensité de Dieu, les Valentiniens, les Gnostiques, les Manichéens admettant deux principes de toutes choses, l'un bon, & l'autre mauvais, plaçoient le premier dans la région de la lumiere, & le second dans celle des ténebres, par conséquent ils nioient l'immensité de Dieu quant à sa substance.

Vorstius, les Calvinistes & les Sociniens ont renfermé Dieu dans le ciel, & ne veulent point qu'il soit présent ailleurs, autrement que par sa puissance.

Descartes & ses sectateurs ont nié, suivant leurs principes, que Dieu fût présent quelque part par sa substance ; ainsi, selon eux, Dieu n'est immense que par sa connoissance & par sa puissance. Il faut mettre ici une grande différence entre le sentiment de ces derniers & celui des Sociniens ; car du sentiment des Sociniens, il s'ensuit que Dieu est renfermé dans un lieu ; que par conséquent il est sujet au changement, ce qui est une grande imperfection ; au lieu que dans le sentiment de Descartes, c'est au contraire une grande imperfection à Dieu de ne pouvoir correspondre à un lieu, parce qu'autrement il seroit étendu & corporel ce qui est absurde.

Ce qui a trompé les Manichéens & les Sociniens, c'est qu'ils n'ont pas pris garde qu'on ne peut pas accorder que Dieu soit présent quelque part par sa substance, qu'on ne soit en même tems forcé d'accorder qu'il est par-tout : car si Dieu étoit seulement quelque part, ou il y seroit librement & par sa volonté, ou nécessairement & par sa nature. On ne peut point dire qu'il y soit librement, parce qu'il pourroit passer de ce lieu dans un autre, ce qui détruit entiérement l'infinité, la simplicité & l'immutabilité de Dieu. On ne peut pas dire non plus que Dieu soit borné quelque part par sa nature, parce qu'il faudroit dire en même tems que par sa nature il a une maniere d'exister finie, ce qui est ridicule ; & d'ailleurs on n'apperçoit ni dans la nature de Dieu, ni dans celle du lieu, rien par où Dieu doive être plutôt là qu'ici.

Les Scotistes admettent, 1°. deux sortes d'étendue. L'une qui est substance, l'autre qui est modification. La premiere a des parties substancielles, posées les unes hors des autres ; par conséquent elle est divisible, mobile & corporelle : la seconde est propre aux esprits. Elle a aussi des parties hors les unes des autres, mais distinguées seulement d'une maniere formelle, par conséquent cette étendue est indivisible. 2°. Ils soutiennent que Dieu a une étendue éternelle, nécessaire, infinie, par conséquent immobile ; de-là ils concluent que l'immensité de Dieu n'est point dans un lieu, mais qu'elle est plutôt le lieu universel, & que Dieu est tout entier sous chaque partie de l'immensité.

Les Thomistes rejettent cette étendue formelle pour en substituer une virtuelle ; mais ils admettent avec les Scotistes, que Dieu est infiniment répandu hors de lui-même, & qu'il existe tout entier sous chaque partie de l'étendue créée. Je n'entrerai point dans le détail des raisons dont les deux partis appuient leur opinion ; tout le monde tombe d'accord qu'il y a plus de subtilité que de vraie Logique. Voy. DIEU & L'ESPACE.


IMMERSIONS. f. (Gramm.) action par laquelle on plonge quelque chose dans l'eau, ou dans tel autre fluide. Voyez FLUIDE.

Dans les premiers siecles du Christianisme, on baptisoit par immersion, par trois immersions. On prétend que cette coûtume subsiste encore en Portugal & chez les Anabaptistes. Voyez BAPTEME. Elle a cessé dans le treizieme siecle dans l'église latine, & on lui a substitué le baptême par infusion, comme il se pratique aujourd'hui : mais le baptême par immersion est encore en usage dans l'église greque (G)

IMMERSION, en termes d'Astronomie, se dit quelquefois lorsqu'une étoile ou une planete est si proche du soleil qu'on ne peut la voir, parce qu'elle est comme enveloppée dans ses rayons. Voyez OCCULTATION HELIAQUE.

Immersion, se dit plus ordinairement pour signifier le commencement d'une éclipse de lune, c'est-à-dire, le moment où la lune commence à être obscurcie, & à entrer dans l'ombre de la terre.

On dit la même chose, mais moins proprement, de l'éclipse du soleil, lorsque le disque de la lune commence à le couvrir, & à le dérober à nos yeux. Voyez ECLIPSE.

Emersion est le terme opposé à immersion, & c'est le moment dans lequel la lune commence à sortir de l'ombre de la terre, celui où le soleil commence à montrer les parties de son disque que la lune nous cachoit.

Comme la lune n'est jamais entierement obscurcie dans ses éclipses, mais qu'elle conserve une couleur rougeâtre, le moment précis de son immersion, ou de son entrée dans l'ombre, n'est pas aisé à déterminer par observation ; il en est de même du moment précis de l'émersion. Au contraire dans les éclipses de soleil, le moment de l'immersion, ou le commencement de l'éclipse est instantané & très-remarquable, parce que la partie éclipsée du disque du soleil n'est pas simplement obscurcie, mais entierement cachée. Le moment de l'immersion, dans les éclipses de lune, arrive en même tems pour tous les peuples de la terre, il en est de même du moment de l'émersion ; cependant comme ces momens sont difficiles à déterminer, il est très-rare que deux observateurs placés dans le même endroit, les déterminent précisément à la même heure.

Immersion, se dit aussi en parlant des satellites de jupiter, & sur-tout du premier satellite, dont l'observation est d'une si grande utilité pour la découverte des longitudes. Voyez SATELLITES.

On appelle immersion du premier satellite, le moment auquel cette petite planete nous paroît entrer dans le disque de jupiter ; & émersion, le moment auquel elle paroît en sortir.

On observe les immersions depuis la conjonction de jupiter avec le soleil jusqu'à son opposition, & les émersions, depuis son opposition jusqu'à sa conjonction. La commodité de ces observations consiste en ce qu'on les peut faire de deux jours l'un au moins, pendant onze mois de l'année.

L'immersion des satellites de jupiter dans l'ombre de cette planete, est beaucoup plus aisée à déterminer avec précision que l'immersion de la lune, parce que ces satellites étant fort petits, s'obscurcissent & disparoissent presque dans un instant. C'est ce qui fait que les éclipses des satellites de jupiter donnent la longitude avec plus de justesse que les éclipses de lune. Voyez LONGITUDE. Chambers. (O)


IMMEUBLESS. m. pl. (Jurispr.) sont des biens fixes qui ont une assiette certaine, & qui ne peuvent être transportés d'un lieu à un autre, comme sont les terres, prés, bois, vignes, & les maisons.

Il y a néanmoins certains biens, qui, sans avoir de corps matériel ni de situation fixe, sont réputés immeubles par fiction, tels que sont les droits réels, comme cens, rentes foncieres, champart, servitude, & tels sont encore les offices ; tels sont aussi, dans certaines coutumes, les rentes constituées, lesquelles, dans d'autres, sont réputées meubles.

Les immeubles se reglent par la loi de leur situation ; ils sont susceptibles d'hypotheque.

En cas de vente, le vendeur peut être restitué lorsqu'il y a lésion d'outre-moitié de juste prix.

Si le possesseur d'un immeuble est troublé, il peut intenter complainte.

Quand on discute les biens d'un mineur, il faut priser les meubles avant de venir aux immeubles.

Le retrait lignager a lieu pour tous les immeubles réels, tels que les héritages, & même pour certains immeubles fiefs, tels que les cens & rentes foncieres non-rachetables ; mais les offices, & les rentes constituées à prix d'argent, & les rentes foncieres rachetables, ne sont pas sujettes à retrait.

Le retrait féodal n'a lieu que pour les immeubles réels, & droits incorporels tenus en fief. Voyez MEUBLES. (A)

IMMEUBLES AMEUBLIS, sont ceux que l'on répute meubles par fiction, ce qui ne se pratique que pour faire entrer en communauté des immeubles qui, sans cette fiction, n'y entreroient pas. Voyez AMEUBLISSEMENT, MMUNAUTE DE BIENSIENS.

IMMEUBLES FICTIFS ou PAR FICTION, sont ceux, qui n'étant pas de vrais corps immeubles, sont néanmoins considérés de vrais immeubles.

Tels sont les meubles attachés à fer & à clou, ou scellés en plâtre, & mis dans une maison pour perpétuelle demeure.

Les deniers stipulés propres, sont aussi réputés immeubles, à l'égard de la communauté de biens ; du reste ils conservent leur nature de meubles.

Les matériaux provenans d'un édifice démoli appartenant à un mineur, ou bien les deniers provenans de la vente de son héritage, ou du remboursement d'une rente à lui appartenante, sont réputés immeubles dans sa succession, comme l'auroit été le fond ou la rente.

Les offices & les rentes constituées dans les coutumes, où elles sont réputées immeubles, sont encore des immeubles fictifs. Voyez FICTION & PROPRES FICTIFS. (A)


IMMINENTadj. (Gramm.) qui menace d'une chûte prochaine. Imminent & éminent qu'on confond assez souvent, different, en ce que l'un appliqué par exemple au péril, marque qu'il est proche, & l'autre qu'il est grand.


IMMIXTIONS. f. (Jurisprud.) est le maniement des effets d'une succession que l'on fait en qualité d'héritier.

Chez les Romains l'immixtion ne se disoit que par rapport aux héritiers siens ; lorsque les héritiers étrangers faisoient acte d'héritier, cela s'appelloit adition d'hérédité.

Parmi nous l'adition d'hérédité semble s'entendre de tout acte exprès, par lequel on prend qualité d'héritier ; & immixtion est tout acte par lequel un héritier présomptif agit, comme s'il avoit pris qualité ; de sorte que l'immixtion opere le même effet que l'adition d'hérédité. Voyez HEREDITE, CCESSIONSION. (A)


IMMOBILEadj. (Gramm.) qui ne se meut point ; il se dit au simple & au figuré. La frayeur le saisit, il reste immobile. L'immobilité de l'apathie stoïcienne n'étoit qu'apparente. Le philosophe souffroit comme un autre homme, mais il gardoit, malgré la douleur, le maintien ferme & tranquille d'un homme qui ne souffre pas. Le stoïcisme pratique caractérisoit donc des ames d'une trempe bien extraordinaire ! Qu'est-ce qui pourroit émouvoir un homme, dont les plus violentes tortures n'ébranlent pas l'immobilité ? Que seroit-ce qu'une société d'hommes aussi maîtres d'eux-mêmes ? Nous ressemblons à ce duvet que l'haleine de l'air détache des plantes, & fait voltiger dans l'espace à son gré, sans qu'on puisse deviner ce qu'il va devenir, quelle route il suivra, où il pourra se fixer ; si un rien l'arrête, un rien le sépare & l'emporte. Un stoïcien est un rocher qui demeure immobile à l'endroit où la nature l'a placé ; ni le trouble de l'air, ni le mouvement des eaux, ni la secousse de la terre, ne l'ébranleront point.


IMMOBILIAIRE(Jurisprud.) se dit de ce qui est de la nature des immeubles, soit réels ou fictifs.

Il y a des choses immobiliaires tels que sont les immeubles réels ou fictifs, des dettes immobiliaires, telles que sont les rentes constituées ; des actions immobiliaires, savoir celles qui tendent à avoir quelque chose d'immobilier. Voyez MOBILIAIRE, ACTION, DETTES. (A)


IMMODÉRÉadj. (Gramm.) Voyez MODERATION.


IMMODESTEadj. (Gramm.) Voyez MODESTIE.


IMMOLA(Géog.) ville d'Italie & de l'état de l'Eglise dans la Romagne, avec un évêché suffragant de Ravenne. Cette ville est bien ancienne ; Cicéron en parle dans une de ses lettres, liv. XII. épist. 5. Strabon l'appelle . Le poëte Martial nous dit y avoir fait quelque séjour ; & Prudence nous apprend qu'elle avoit été fondée par Sylla.

Vers la décadence de l'empire, on y bâtit une citadelle nommée Immola, nom qui est resté à cette ville ; elle fut ruinée par Narsès, & réparée par Ivon II. roi des Lombards ; ensuite les Bolonois, les Manfrédi, Galéas Sforce en devinrent les maîtres ; enfin César-Borgia la prit, & la soumit au S. Siege, qui en est demeuré possesseur. Elle est sur le Santerno à trois lieues N. O. de Faenza, huit S. E. de Bologne, neuf S. O. de Ravenne, dix-huit N. E. de Florence, soixante-cinq N. de Rome. Long. 29. 18. lat. 44. 22.

Immola a produit quelques gens de lettres en divers genres, comme le poëte Flaminio, le jurisconsulte Tartagny, & l'anatomiste Valsalva.

Flaminio (Marc Antoine) fut le premier de son pays, dit M. de Thou, qui exprima assez heureusement en vers latins la majesté des pseaumes de David, & il invita par son exemple, François Spinola à prétendre à la même gloire. Il mourut jeune dans la bienveillance du Cardinal Farnese & du Cardinal Polus en 1550.

Tartagny (Alexandre) étoit un des habiles jurisconsultes de son siecle ; on le nommoit alors en Italie le monarque du droit ; ses conseils, ses traités sur les clémentines, sur le texte des decrétales, & ses autres ouvrages qu'on ne lit plus aujourd'hui, ont été souvent imprimés, comme à Venise en 1571, à Francfort en 1575, à Lyon en 1585, &c. Il mourut à Bologne en 1487 âgé de cinquante-trois ans.

Valsalva (Antoine Marie) mort en 1713 à cinquante-sept ans, fut disciple de Malpighi, & s'est distingué par son excellent traité de aure humanâ, dont la meilleure édition est Bononiae 1704, in-4°. avec figures. (D.J.)


IMMOLATIONIMMOLER, (Littérat.) ces termes ne désignoient point chez les Latins le sacrifice sanglant, mais la consécration faite aux dieux d'une victime, en mettant sur sa tête une espece de pâte salée. Immolare, n'étoit autre chose que molâ, ou farre molito & sale hostiam perpessam diis sacrare, comme Festus nous l'apprend. Mola signifie une espece de gâteau d'orge, que l'on assaisonnoit de sel ; on l'émioit sur le front de la victime, & c'étoit la marque de sa consécration, ou de son dévouement aux autels : voilà la cérémonie qui s'appelloit proprement immolation ; d'où l'on a fait le verbe immoler. Les mots immoler, immolation ont changé d'acception, & ils désignent le sacrifice sanglant d'une victime.

On appelloit autrefois immolation, la partie de la messe que nous appellons la préface.

Immoler se prend aussi au figuré. La pratique de la vertu est un sacrifice continuel, où nos passions, nos goûts, nos penchans, nos intérêts sont immolés.

On immole quelquefois un homme par la raillerie, d'une maniere bien cruelle. Ceux au mépris desquels on expose un de leurs semblables, sont des méchans, s'ils ne sont pas révoltés, & s'ils acceptent froidement le sacrifice qu'on leur offre. Que seroit-ce s'ils en jouissoient avec une joie secrette ?


IMMONDEadj. (Gramm.) expression inventée par le préjugé, qui attache des idées de pureté ou d'impureté à des êtres, qui tous également sortis des mains de la nature, cherchent leur bien-être, & suivent la grande loi de l'intérêt, sans qu'on puisse raisonnablement les en blâmer. Le pourceau est pour le juif un animal immonde, le juif est presque pour le chrétien un animal immonde. Moïse avoit distingué les animaux en animaux purs, & en animaux immondes. Les hommes religieux appellent le diable, l'esprit immonde.


IMMORTALITÉIMMORTEL, (Gramm. & Métaphys.) qui ne mourra point, qui n'est point sujet à la dissolution & à la mort. Dieu est immortel ; l'ame de l'homme est immortelle, non parce qu'elle est spirituelle, mais parce que Dieu qui est juste, & qui a voulu que les bons & les méchans éprouvassent dans l'autre monde un sort digne de leurs oeuvres dans celui-ci, a décidé & a dû décider qu'elle resteroit après la séparation d'avec le corps. Dieu a tiré l'ame du néant ; si elle n'y retombe pas, c'est qu'il lui plaît de la conserver. Matérielle ou spirituelle, elle subsisteroit également, s'il lui plaisoit de la conserver. Le sentiment de la spiritualité & de l'immortalité, sont indépendans l'un de l'autre ; l'ame pourroit être spirituelle & mortelle, matérielle & immortelle. Socrate qui n'avoit aucune idée de la spiritualité de l'ame, croyoit à son immortalité. C'est par Dieu & non pas par elle-même que l'ame est ; c'est par Dieu, & ce ne peut être que par Dieu, qu'elle continuera d'être. Les Philosophes démontrent que l'ame est spirituelle, & la foi nous apprend qu'elle est immortelle, & elle nous en apprend aussi la raison.

L'immortalité se prend encore pour cette espece de vie, que nous acquérons dans la mémoire des hommes ; ce sentiment qui nous porte quelquefois aux plus grandes actions, est la marque la plus forte du prix que nous attachons à l'estime de nos semblables. Nous entendons en nous-mêmes l'éloge qu'ils feront un jour de nous, & nous nous immolons. Nous sacrifions notre vie, nous cessons d'exister réellement, pour vivre en leur souvenir. Si l'immortalité considérée sous cet aspect est une chimère ; c'est la chimère des grandes ames. Ces ames qui prisent tant l'immortalité, doivent priser en même proportion les talens, sans lesquels elles se la promettroient envain ; la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, l'Histoire & la Poésie. Il y eut des rois avant Agamemnon, mais ils sont tombés dans la mer de l'oubli, parce qu'ils n'ont point eu un poëte sacré qui les ait immortalisés : la tradition altere la vérité des faits, & les rend fabuleux. Les noms passent avec les empires, sans la voix du poëte & de l'historien qui traverse l'intervalle des tems & des lieux, & qui les apprend à tous les siecles & à tous les peuples. Les grands hommes ne sont immortalisés que par l'homme de lettres qui pourroit s'immortaliser sans eux. Au défaut d'actions célebres, il chanteroit les transactions de la nature & le repos des dieux, & il seroit entendu dans l'avenir. Celui donc qui méprisera l'homme de lettres, méprisera aussi le jugement de la postérité, & s'élevera rarement à quelque chose qui mérite de lui être transmis.

Mais, y a-t-il en effet des hommes en qui le sentiment de l'immortalité soit totalement éteint, & qui ne tiennent aucun compte de ce qu'on pourra dire d'eux quand ils ne seront plus ? je n'en crois rien. Nous sommes fortement attachés à la considération des hommes avec lesquels nous vivons ; malgré nous, notre vanité excite du néant ceux qui ne sont pas encore, & nous entendons plus ou moins fortement le jugement qu'ils porteront de nous, & nous le redoutons plus ou moins.

Si un homme me disoit, je suppose qu'il y ait dans un vieux coffre relégué au fond de mon grenier, un papier capable de me traduire chez la postérité comme un scélérat & comme un infâme ; je suppose encore que j'aye la démonstration absolue que ce coffre ne sera point ouvert de mon vivant ; eh bien, je ne me donnerai pas la peine de monter au haut de ma maison, d'ouvrir le coffre, d'en tirer le papier, & de le brûler.

Je lui répondrois, vous êtes un menteur.

Je suis bien étonné que ceux qui ont enseigné aux hommes l'immortalité de l'ame, ne leur ayent pas persuadé en même tems qu'ils entendront sous la tombe les jugemens divers qu'on portera d'eux, lorsqu'ils ne seront plus.


IMMORTELLES. m. elychrisum, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur, composée de plusieurs fleurons découpés en forme d'étoile, portés sur un embrion, & soutenus par un calice écailleux, luisant, & de belle couleur d'or ou d'argent. L'embrion devient dans la suite une semence garnie d'aigrettes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

L'immortelle, autrement dite bouton d'or ou amarante jaune, est nommée par Tournefort, stoechas citrina, angustifolia. Sa racine est simple, grosse, ligneuse, rendant une odeur approchante de celle de la gomme élémi. Ses tiges qui s'élevent à la hauteur d'un ou deux piés, sont lanugineuses, blanches, garnies de petites feuilles étroites, velues & blanchâtres. Ses fleurs naissent au sommet des tiges, ramassées en maniere de têtes ou de bouquets, composées de plusieurs fleurons réguliers, découpées sur le haut en étoiles, de couleur citrine, & soutenues par des calices écailleux, secs, jaunes & brillans. La graine qui succede à chaque fleuron, est oblongue, odorante, âcre, rousse, garnie d'une aigrette. Cette plante croît d'elle-même aux lieux secs, sablonneux, arides des pays chauds, en Espagne, en Portugal, en Italie, en Provence, & en Languedoc près de Montpellier ; elle passe pour incisive, apéritive & emménagogue ; mais on ne la cultive dans nos jardins que pour la fleur qui est d'une grande beauté, d'une odeur forte & agréable.

Si on la cueille avant qu'elle vienne à décheoir sur la plante, & qu'ensuite on la tienne dans un endroit sec, elle se conserve quelques années sans se gâter, peut-être parce que son calice écailleux est privé de phlegme ; quoi qu'il en soit, cette prérogative lui a valu dans notre langue le nom d'immortelle. Les dames la mettent pour se parer dans leurs cheveux, & à cet égard elle est de beaucoup préférable aux fleurs artificielles. Les Portugais & les Espagnols la chérissent fort, & en cultivent une grande quantité dans leurs jardins, indépendamment de celles des champs, pour en orner les chapelles de leurs églises ; les curieux ne manquent pas d'avoir dans ces pays-là plusieurs belles variétés de cette fleur qui semble faite pour leur terroir. (D.J.)


IMMUABLEadj. (Gram.) qui ne peut changer. Il n'y a que Dieu qui soit immuable. La nature est dans un état de vicissitude perpétuelle. C'est une suite nécessaire de la loi générale de tous les corps : ou ils se meuvent, ou ils tendent à se mouvoir.


IMMUNITÉen latin immunitas, (Jurisprud.) est définie vacatio & libertas ab oneribus, exemption de quelque charge, devoir ou imposition.

Ce mot vient du latin munus, lequel en droit signifie trois choses différentes, savoir, don ou présent fait pour cause, charge ou devoir, & office ou fonction publique.

Les Romains appellerent leurs offices ou fonctions publiques munera, parce que dans l'origine c'étoit la recompense de ceux qui avoient bien mérité du public.

Par succession de tems plusieurs offices furent réputés onéreux, tels que ceux des décurions des villes, à cause qu'on les chargea de répondre sur leurs propres biens tant du revenu & autres affaires communes des villes, que des tributs du fisc, ce qui entraînoit ordinairement la ruine de ceux qui étoient chargés de cette fonction, au moyen de quoi il fallut user de contrainte pour obliger d'accepter ces sortes de places & autres semblables, & alors elles furent considérées comme des charges publiques, munera quasi onera ; munus enim aliquando significat onus, aliquando honorem seu officium, dit la loi munus, au digeste de verborum signific.

Les tuteles & curatelles furent dans ce même sens considérées comme des charges publiques, munera civilia.

Ceux qui avoient quelque titre ou excuse pour s'exempter de ces charges publiques, étoient immunes, seu liberi à muneribus publicis. Ainsi de munus pris pour charge, fonction ou devoir onéreux, on a fait immunité qui signifie exemption de quelque charge ou devoir ; & le terme d'immunitas a été consacré en droit pour exprimer cette exemption, ainsi qu'on le peut voir dans plusieurs titres du digeste & du code.

Le titre de excusationibus au digeste qui concerne les excuses que l'on peut donner pour s'exempter d'être tuteur ou curateur, appelle cette exemption vacatio munerum.

Le titre de vacatione & excusatione munerum, concerne les immunités par lesquelles on peut s'exempter des diverses fonctions publiques. Ces immunités ou excuses sont tirées de l'âge trop tendre ou trop avancé, des infirmités du corps ; de l'exercice de quelque autre fonction supérieure ou incompatible.

Le code contient aussi plusieurs titres sur les immunités, entr'autres celui de immunitate nemini concedendâ, où il est dit que les greffiers des villes qui auront fabriqué en faveur de quelqu'un de fausses immunités, seront punis du feu.

Les titres de decurionibus, de vacatione muneris publici, de decretis decurionum super immunitate quibusdam concedendâ, de excusationibus munerum, & autres titres suivans, traitent aussi de diverses immunités.

Dans notre usage on joint souvent ensemble les termes de franchises, libertés, privileges, exemptions & immunités. Ces termes ne sont cependant pas synonymes. La franchise consiste à n'être pas sujet à certaines charges ou devoirs ; les libertés sont aussi à-peu-près la même chose que les franchises ; le privilege consiste dans quelque droit qui n'est pas commun à tous ; les exemptions & immunités qui signifient la même chose, sont l'affranchissement de quelque charge ou devoir accordé à quelqu'un qui sans cette exemption y auroit été sujet.

L'immunité est quelquefois prise pour le droit d'asyle ; quelquefois le lieu même qui sert d'asyle, s'appelle l'immunité ; quelquefois enfin le terme d'immunité est pris pour l'amende que l'on paye pour avoir enfreint une immunité, comme quand on dit payer l 'immunité de l'Eglise.

Les immunités peuvent être accordées à des particuliers, ou à des corps & communautés.

Les provisions des officiers contiennent ordinairement la clause que le pourvû jouira des honneurs, prérogatives, franchises, privileges, exemptions & immunités attachés à son office.

Les villes & communautés ont aussi leurs immunités.

Toute immunité doit être accordée par le prince ou par quelqu'autre seigneur ou autre personne qui en a le pouvoir.

Au défaut de titre elle peut être fondée sur la possession.

L'immunité est personnelle ou réelle.

On entend par immunité personnelle celle qui exempte la personne de quelque devoir personnel, comme du service militaire de guet & de garde, de tutele & curatelle, de la collecte & autres fonctions publiques.

Telle est aussi l'exemption de payer certaines impositions, comme la taille, les droits de péages, les droits dûs au roi pour mutation des héritages qui sont dans sa mouvance.

L'immunité réelle est celle qui est attachée à certains fonds, & dont le possesseur ne jouit qu'à cause du fonds, & non à cause d'aucune qualité personnelle. Telles sont les immunités dont jouissent ceux qui demeurent dans certains lieux privilégiés, soit pour l'exemption de taille, soit pour avoir la liberté de travailler de certains arts & métiers sans avoir payé de maîtrise, soit pour n'être pas sujets à la visite & jurisdiction d'autres officiers que de ceux qui ont autorité dans ce lieu.

Chaque ordre de l'état a ses immunités. La noblesse est exempte de taille & des charges publiques qui sont au-dessous de sa condition.

Les bourgeois de certaines villes ont aussi leurs immunités plus ou moins étendues ; il y en a de communes à tous les citoyens, d'autres qui sont propres à certaines professions, & qui sont fondées ou sur la nécessité de leur ministere, ou sur l'honneur que l'on y a attaché.

Mais de toutes les immunités, les plus considérables sont celles qui ont été accordées soit à l'Eglise en général, ou singulierement à certaines Eglises, chapitres & monasteres, ou à chaque ecclésiastique en particulier.

Ces immunités sont de trois sortes ; les unes sont attachées à l'édifice même de l'Eglise, & aux biens ecclésiastiques ; les autres sont attachées à la personne des ecclésiastiques qui desservent l'église ; d'autres enfin sont attachées à la seule qualité d'ecclésiastique.

La premiere espece d'immunités qui est de celles attachées à l'édifice même de l'église, & aux biens ecclésiastiques, consiste 1°. en ce que ces sortes de biens sont hors du commerce. Les églises sont mises en droit dans la classe des choses appellées res sacrae, & sont du nombre de celles que les loix appellent res nullius, parce qu'elles n'appartiennent proprement à personne ; elles sont hors du patrimoine, & ne peuvent être engagées, vendues, ni autrement aliénées.

Nous n'avons pourtant pas là-dessus tout-à-fait les mêmes idées que les Romains ; car selon nos moeurs, quoique les églises n'appartiennent proprement à personne, cependant par leur destination elles sont attachées à certaines personnes plus particulierement qu'à d'autres ; ainsi chaque église cathédrale est le chef-lieu du diocèse ; chaque église paroissiale est propre à ses paroissiens ; les églises monachales appartiennent chacune à quelque ordre ou congrégation, & ainsi des autres ; desorte qu'on pourroit plutôt mettre les églises dans la classe des choses appellées en droit res communes, dont la propriété n'appartient à personne, mais dont l'usage est commun à tout le monde.

Les biens d'église ne peuvent être engagés, vendus, ni autrement aliénés, sans une nécessité ou utilité évidente pour l'église, & sans y observer certaines formalités qui sont une enquête de commodo & incommodo, l'autorisation de l'Evêque diocésain, le consentement du patron s'il y en a un, qu'il y ait des publications faites en justice en présence du ministere public, enfin que le contrat d'aliénation soit homologué par le juge royal.

2°. La prescription des biens d'église ne peut être acquise que par quarante ans, à la différence des biens des particuliers, qui, selon le droit commun, se prescrivent par dix ans entre présens, & vingt ans entre absens avec titre, & par trente ans sans titre.

3°. L'immunité des églises consiste en ce qu'elles sont tenues en franche aumône. Le seigneur, qui donne un fonds pour construire une église, cimetiere ou autre lieu sacré, ne se réserve ordinairement aucun droit ni devoir sur les biens par lui donnés, auquel cas on tient communément qu'il ne reste plus ni foi ni jurisdiction sur le fonds, du-moins quant à la chose, mais non pas quant aux personnes qui sont toujours justiciables du juge du lieu ; & même quoique le seigneur ne perçoive aucune redevance sur le fonds, & qu'on ne lui en passe point de déclaration ou aveu, il ne perd pas pour cela sa directe ni son droit de justice sur le fonds même, desorte que s'il est nécessaire de faire quelqu'acte de jurisdiction dans l'église même, ses officiers sont constamment en droit de le faire.

Le seigneur conserve aussi sur le fonds-aumôné le droit de patronage.

On distingue la pure-aumône de la tenure en franche-aumône ; la premiere est quand on donne à l'église des biens temporels, produisant un revenu sur lesquels le fief & la jurisdiction demeurent, soit au donateur, s'il a le fief & la jurisdiction sur le lieu, soit au seigneur, si le donateur ne l'est pas ; les héritages donnés à l'église en pure-aumône sont tenus franchement, & sans en payer aucune redevance ni autre droit, si ce n'est ad obsequium precum.

Mais l'église ne possede en franche-aumône ou pure-aumône que ce qui lui a été donné à ce titre ; ses autres biens sont sujets aux mêmes lois que ceux des particuliers.

4°. Une autre immunité des églises, c'étoit le droit d'asyle ; mais ce privilége n'appartenoit pas singulierement à l'église, car il tiroit son origine de ce que dans la loi de Moïse, Dieu avoit lui-même établi six villes de réfuge parmi les Israëlites, où les coupables pouvoient se mettre en sureté, lorsqu'ils n'avoient pas commis un crime de propos délibéré. Les payens avoient aussi leurs asyles ; non-seulement les autels & les temples en servoient, mais aussi les tombeaux & les statues de héros. Il y a encore des villes en Allemagne, qui ont conservé ce droit d'asyle ; les palais des princes ont ce même privilége, & tous les souverains ont le droit d'asyle dans leurs états pour les sujets d'un autre prince, qui viennent s'y réfugier, à moins que l'intérêt commun des puissances ne demande que le coupable soit rendu à son souverain.

A l'égard des églises, c'étoient les asyles les plus inviolables ; dans leur institution ils ne devoient servir que pour les infortunés & ceux que le hasard ou la nécessité exposoient à la rigueur de la loi ; mais dans la suite on en fit un usage odieux, en les faisant servir à protéger indifféremment & les coupables malheureux & les plus grands scelérats.

L'empereur Arcadius fut le premier qui abolit ces asyles, à l'instigation d'Eutrope son favori ; il fit entr'autres choses une loi pour assujettir les oeconomes des églises à payer les dettes des refugiés que les clercs refusoient de livrer. Eutrope eut bientôt lieu de se repentir de ce qu'il avoit fait faire ; car l'année d'après il fut obligé de venir chercher dans l'église de Constantinople l'asyle qu'il avoit voulu fermer aux autres. Cependant Arcadius ne pouvant résister aux cris du peuple qui demandoit Eutrope, envoya pour l'arracher de l'autel ; une troupe de soldats vint assiéger l'église l'épée à la main. Eutrope se cacha dans la sacristie ; S. Jean Chrisostome, patriarche de cette église, se présenta pour appaiser la fureur des soldats. Ils se saisirent de lui, & le menerent au palais comme un criminel ; mais il toucha tellement l'empereur & ceux qui étoient présens par ses larmes & par ce qu'il leur dit sur le respect dû aux saints autels, qu'il obtint enfin qu'Eutrope demeureroit en sûreté, tant qu'il seroit dans cet asyle. Il en sortit quelques jours après dans l'espérance de se sauver, mais il fut pris & banni, & dans la même année il eut la tête tranchée. Après sa mort, Arcadius rétablit l'immunité des églises.

Théodore le jeune fit en 431 une loi concernant les asyles dans les églises. Elle porte que les temples dédiés doivent être ouverts à tous ceux qui sont en péril, & qu'ils seront en sûreté non-seulement près de l'autel mais dans tous les bâtimens qui dépendent de l'église, pourvu qu'ils y entrent sans armes. Cette loi fut faite à l'occasion d'une profanation qui étoit arrivée nouvellement dans une église de Constantinople ; une troupe d'esclaves s'y étant refugiée près du sanctuaire, s'y maintint les armes à la main pendant plusieurs jours, au bout desquels ils s'égorgerent eux-mêmes.

L'empereur Léon fit aussi en 466 une loi, portant défense sous peine capitale, de tirer personne des églises, ni d'inquieter les évêques & les oeconomes pour les dettes des réfugiés dont on les rendoit responsables suivant la loi d'Arcadius.

Les évêques & les moines profiterent de ces dispositions favorables des souverains pour étendre cette immunité à tous les bâtimens qui étoient des dépendances de l'église. Ils marquoient même au dehors une enceinte, au-delà de laquelle ils plantoient des bornes pour limiter la jurisdiction séculiere. Ces couvens devenoient comme autant de forteresses où le crime étoit à l'abri, & bravoit la puissance du magistrat.

Nous avons d'anciens conciles qui ont fait des canons pour conserver aux églises le droit d'asyle. L'approbation que les souverains y donnoient, contribua beaucoup à faire faire ces decrets.

En Italie & dans plusieurs autres endroits, les églises & autres lieux saints sont encore des asyles pour les criminels. On y a même donné à ce privilége plus d'étendue qu'il n'avoit anciennement.

En France, sous la premiere race de nos rois, le droit d'asyle dans les églises étoit aussi un droit très-sacré. L'église de S. Martin de Tours étoit un asyle des plus respectables ; on ne pouvoit le violer sans se rendre coupable d'un sacrilége des plus scandaleux.

Les conciles tenus alors dans les Gaules, recommandoient de ne point attenter aux asyles que l'on cherchoit dans les églises.

L'immunité fut étendue jusqu'au parvis des églises, aux maisons des évêques, & à tous les autres lieux renfermés dans leurs enceintes, afin de ne pas obliger les réfugiés de rester continuellement dans l'église, où plusieurs actions nécessaires à la vie ne pourroient se faire avec bienséance.

Lorsqu'il n'y avoit point de porche ou de parvis & cimetiere fermé, l'immunité s'étendoit sur un arpent de terre autour de l'église, comme il est dit dans un decret de Clotaire, qui est à la suite de la loi salique, §. xiij.

Les réfugiés avoient la liberté de faire venir des vivres, & c'eût été violer l'immunité ecclésiastique, que de les en empêcher. On ne pouvoit les tirer de cet asyle, sans leur donner une assurance juridique de la vie & de la remission de leurs crimes, sans qu'ils fussent sujets à aucune peine.

Charlemagne fit sur cette matiere deux capitulaires fort différens ; l'un en 779, portant que les criminels dignes de mort suivant les lois, qui se réfugient dans l'église, n'y doivent point être protégés, & qu'on ne doit point les y tenir, ni leur porter à manger ; l'autre qui fut fait en 788, porte au contraire que les églises serviront d'asyle à ceux qui s'y réfugieront ; qu'on ne les condamnera à mort, n'y à mutilation de membre.

Mais il faut observer qu'on en exceptoit certains crimes, pour lesquels on n'accorde jamais de grace.

L'église ne pouvoit pas non plus servir d'asyle aux criminels qui s'étoient évadés de prison.

Lorsque le criminel avoit le tems de se retirer dans un lieu d'asyle, avant que la justice se fût emparée de lui, alors elle ne pouvoit lui faire son procès ; mais au bout de huit jours elle pouvoit l'obliger de forjurer le pays, suivant ce qui est dit en l'ancienne coutume de Normandie, chap. xxiv.

Philippe-le-Bel défendit de tirer les coupables des églises, où ils étoient refugiés, sinon dans les cas où le droit l'autorisoit.

Enfin, François I. par son ordonnance de 1539, art. 166, ordonne qu'il n'y auroit lieu d'immunité pour dettes ni autres matieres civiles, & que l'on pourra prendre toutes personnes en lieu de franchise, sauf à les réintégrer, quand il y aura decret de prise de corps décerné à l'encontre d'eux sur les informations, & qu'il sera ainsi ordonné par le juge ; tel est le dernier état de l'immunité ecclésiastique par rapport au droit d'asyle.

Pour ce qui est des immunités qui peuvent appartenir aux ecclésiastiques, soit en corps, ou en particulier, les princes chrétiens, pour marquer leur respect envers l'église dans la personne de ses ministres, ont accordé aux ecclésiastiques plusieurs priviléges, exemptions & immunités, soit par rapport à leur personne ou à leurs biens ; ces priviléges sont certainement favorables ; on ne prétend pas les contester.

Mais il ne faut pas croire, comme quelques ecclésiastiques l'ont prétendu, que ces priviléges soient de droit divin, ni que l'église soit dans une indépendance absolue de la puissance séculiere.

Il est constant que l'église est dans l'état & sous la protection du souverain ; les ecclésiastiques sujets & citoyens de l'état par leur naissance, ne cessent pas de l'être par leur consécration ; leurs biens personnels, & ceux mêmes qui ont été donnés à l'église (en quoi l'on ne comprend point les offrandes & oblations), demeurent pareillement sujets aux charges de l'état, sauf les priviléges & exemptions que les ecclésiastiques peuvent avoir.

Ces priviléges ont reçu plus ou moins d'étendue, selon les pays, les tems & les conjonctures, & selon que le prince étoit disposé à traiter plus ou moins favorablement les ecclésiastiques, & que la situation de l'état le permettoit.

Si on recherche ce qui s'observoit par rapport aux ministres de la religion sous la loi de Moïse, on trouve que la tribu de Lévi fut soumise à Saül, de même que les onze autres tribus, & si elle ne payoit aucune redevance, c'est qu'elle n'avoit point eu de part dans les terres, & qu'il n'y avoit alors d'autre imposition que le cens qui étoit dû à cause des fonds.

Jésus-Christ a dit qu'il n'étoit pas venu pour délier les sujets de l'obéissance des rois ; il a enseigné que l'église devoit payer le tribut à César, & en a donné lui-même l'exemple, en faisant payer ce tribut pour lui & pour ses apôtres.

La doctrine de S. Paul est conforme à celle de J. C. Toute ame, dit-il, est sujette aux puissances. S. Ambroise, évêque de Milan, disoit à un officier de l'empereur : si vous demandez des tributs, nous ne vous les refusons pas, les terres de l'église payent exactement le tribut. S. Innocent, pape, écrivoit en 404 à S. Victrice, évêque de Rouen, que les terres de l'église payoient le tribut.

Les ecclésiastiques n'eurent aucune exemption ni immunité jusqu'à la fin du troisieme siecle. Constantin leur accorda de grands priviléges ; il les exempta des corvées publiques ; on ne trouve cependant pas de loi qui exemptât leurs biens d'impositions.

Sous Valens, ils cesserent d'être exempts des charges publiques ; car dans une loi qu'il adressa en 370 à Modeste, préfet du prétoire, il soumet aux charges des villes les clercs qui y étoient sujets par leur naissance, & du nombre de ceux que l'on nommoit curiales, à moins qu'ils n'eussent été dix ans dans le clergé.

Honorius ordonna en 412 que les terres des églises seroient sujettes aux charges ordinaires, & les affranchit seulement des charges extraordinaires.

Justinien, par sa novelle 37, permet aux évêques d'Afrique de rentrer dans une partie des biens, dont les Ariens les avoient dépouillés, à condition de payer les charges ordinaires ; ailleurs il exempte les églises des charges extraordinaires seulement ; il n'exempta des charges ordinaires qu'une partie des boutiques de Constantinople, dont le loyer étoit employé aux frais des sépultures, dans la crainte que, s'il les exemptoit toutes, cela ne préjudiciât au public.

Les papes mêmes & les fonds de l'église de Rome, ont été tributaires des empereurs romains ou grecs jusqu'à la fin du huitieme siecle. S. Grégoire recommandoit aux défenseurs de Sicile de faire cultiver avec soin les terres de ce pays, qui appartenoient au saint siége, afin que l'on pût payer plus facilement les impositions dont elles étoient chargées. Pendant plus de cent vingt ans, & jusqu'à Benoît II, le pape étoit confirmé par l'empereur, & lui payoit 20 liv. d'or ; les papes n'ont été exempts de tous tributs, que depuis qu'ils sont devenus souverains de Rome & de l'exarchat de Ravenne, par la donation que Pepin en fit à Etienne III.

Lorsque les Romains eurent conquis les Gaules, tous les ecclésiastiques, soit gaulois ou romains, étoient sujets aux tributs, comme dans le reste de l'empire.

Depuis l'établissement de la monarchie françoise, on suivit pour le clergé ce qui se pratiquoit du tems des empereurs, c'est-à-dire que nos rois exempterent les ecclésiastiques d'une partie des charges personnelles ; mais ils voulurent que les terres de l'église demeurassent sujettes aux charges réelles.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, tems où les fiefs étoient encore inconnus, les ecclésiastiques devoient déja, à cause de leurs terres, le droit de giste ou procuration, & le service militaire ; ces deux devoirs continuerent d'être acquités par les ecclésiastiques encore long-tems sous la troisieme race.

Le droit de giste & de procuration consistoit à loger & nourrir le roi & ceux de sa suite, quand il passoit dans quelque lieu où des ecclésiastiques seculiers ou réguliers avoient des terres ; ils étoient aussi obligés de recevoir ceux que le roi envoyoit de sa part dans les provinces.

A l'égard du service militaire, lorsqu'il y avoit guerre, les églises étoient obligées d'envoyer à l'armée leurs vassaux & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir ; l'évêque ou l'abbé devoit être à la tête de ses vassaux. Quelques-uns de nos rois, tel que Charlemagne, dispenserent les prélats de se trouver en personne à l'armée, à condition d'envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelque autre seigneur ; il y avoit des monasteres qui payoient au roi une somme d'argent pour être déchargés du service militaire.

Outre le droit de giste & le service militaire, les ecclésiastiques fournissoient encore quelquefois au roi des secours d'argent pour les besoins extraordinaires de l'état. Clotaire I. ordonna en 558 ou 560, qu'ils payeroient le tiers de leur revenu ; tous les évêques y souscrivirent, à l'exception d'Injuriosus, évêque de Tours, dont l'opposition fit changer le roi de volonté ; mais si les ecclésiastiques firent alors quelque difficulté de payer le tiers, il est du-moins constant qu'ils payoient au roi, ou autre seigneur duquel ils tenoient leurs terres, la dixme ou dixieme partie des fruits, à l'exception des églises qui en avoient obtenu l'exemption, comme il paroît par une ordonnance du même Clotaire de l'an 560, ensorte que l'exemption de la dixme étoit alors une des immunités de l'église. Chaque église étoit dotée suffisamment, & n'avoit de dixme ou dixieme portion que sur les terres qu'elle avoit données en bénéfice. Dans la suite les exemptions de dixme étant devenues fréquentes en faveur de l'église, de même que les concessions du droit actif de dixmes, on a regardé les dixmes comme étant ecclésiastiques de leur nature.

Les églises de France étoient aussi dès lors sujettes à certaines impositions. En effet, Grégoire de Tours rapporte que Theodebert, roi d'Austrasie, petit-fils de Clovis, déchargea les églises d'Auvergne de tous les tributs qu'elles lui payoient. Le même auteur nous apprend que Childebert, aussi roi d'Austrasie & petit-fils de Clotaire I. affranchit pareillement le clergé de Tours de toutes sortes d'impôts.

Charles Martel, qui sauva dans tout l'Occident la religion de l'invasion des Sarrasins, fit contribuer le clergé de France à la récompense de la noblesse qui lui avoit aidé à combattre les infideles ; l'opinion commune est qu'il ôta aux ecclésiastiques les dixmes pour les donner à ses principaux officiers ; & c'est de-là que l'on tire communément l'origine des dixmes inféodées ; mais Pasquier, en ses recherches, liv. III. cap. xxxxij, & plusieurs autres auteurs tiennent que Charles Martel ne prit pas les dixmes ; qu'il prit seulement une partie du bien temporel des églises, sur-tout de celles qui étoient de fondation royale, pour le donner à la noblesse françoise, & que l'inféodation des dixmes ne commença qu'au premier voyage d'outremer, qui fut en 1096. On a même vu, par ce qui a été dit il y a un moment, que l'origine de ces dixmes inféodées remonte beaucoup plus haut.

Il est certain d'ailleurs que sous la seconde race, les ecclésiastiques, aussi bien que les seigneurs & le peuple, faisoient tous les ans chacun leur don au roi en plein parlement, & que ce don étoit un véritable tribut, plutôt qu'une libéralité volontaire ; car il y avoit une taxe sur le pié du revenu des fiefs, aleux & autres héritages que chacun possédoit. Les historiens en font mention sous les années 826 & suivantes.

Fauchet dit qu'en 833 Lothaire reçut à Compiegne les présens que les évêques, les abbés, les comtes & le peuple faisoient au Roi tous les ans, & que ces présens étoient proportionnés au revenu de chacun ; Louis le Débonnaire les reçut encore des trois ordres à Orléans, Worms & Thionville en 835, 836 & 837.

Chaque curé étoit obligé de remettre à son évêque la part pour laquelle il devoit contribuer à ces dons annuels, comme il paroît par un concile de Toulouse tenu en 846, où il est dit que la contribution que chaque curé étoit obligé de fournir à son évêque, consistoit en un minot de froment, un minot d'orge, une mesure de vin & un agneau ; le tout étoit évalué deux sols, & l'évêque avoit le choix de le prendre en argent ou en nature.

Outre ces contributions annuelles que le clergé payoit comme le reste du peuple, Charles le Chauve, empereur, fit en 877 une levée extraordinaire de deniers, tant sur le clergé que sur le peuple ; ayant résolu, à la priere de Jean VIII. dans une assemblée générale au parlement, de passer les monts pour faire la guerre aux Sarrasins qui ravageoient les environs de Rome & tout le reste de l'Italie, il imposa un certain tribut sur tout le peuple, & même sur le clergé. Fauchet, dans la vie de cet empereur, dit que les évêques levoient sur les prêtres, c'est-à-dire, sur les curés & autres bénéficiers de leur diocèse, cinq sols d'or pour les plus riches, & quatre deniers d'argent pour les moins aisés ; que tous ces deniers étoient mis entre les mains de gens commis par le Roi ; on prit même quelque chose du trésor des églises pour payer ce tribut ; cette levée fut la seule de cette espece qui eut lieu sous la seconde race.

On voit aussi, par les actes d'un synode tenu à Soissons en 853, que nos rois faisoient quelquefois des emprunts sur les fiefs de l'Eglise. En effet, Charles le Chauve, qui fut présent à ce synode, renonça à faire ce que l'on appelloit praestarias, c'est-à-dire, de ces sortes d'emprunts, ou du-moins des fournitures, devoirs ou redevances, dont les fiefs de l'Eglise étoient chargés.

On n'entrera point ici dans le détail des subventions que le clergé de France a fourni dans la suite à nos rois, cela étant déja expliqué aux mots décimes & don gratuit.

Les ecclésiastiques sont exempts comme les nobles de la taille, mais ils payent les autres impositions, comme tous les sujets du roi, telles que les droits d'aides & autres droits d'entrée.

Ils sont exempts du logement des gens de guerre, si ce n'est en cas de nécessité.

On les exempte aussi des charges publiques, telles que celles de tutele & curatelle, & des charges de ville, comme de guet & de garde, de la mairie & échevinage ; mais ils ne sont pas exempts des charges de police, comme de faire nettoyer les rues au devant de leurs maisons, & autres obligations semblables.

Une des principales immunités dont jouit l'église, c'est la jurisdiction que les souverains lui ont accordée sur ses membres, & même sur les laïcs dans les matieres ecclésiastiques ; c'est ce que l'on traitera plus particulierement au mot JURISDICTION ECCLESIASTIQUE.

L'ordonnance de Philippe-le-Bel en 1302 dit que si on entreprend quelque chose contre les priviléges du clergé qui lui appartiennent de jure vel antiquâ consuetudine, restaurabuntur ad egardum concilii nostri ; on rappelle par-là toutes les immunités de l'église aux regles de la justice & de l'équité.

On ne reconnoit point en France les immunités accordées aux églises & au clergé par les bulles des papes, si ces bulles ne sont revêtues de lettres patentes dûement enregistrées.

Les libertés de l'église gallicane sont une des plus belles immunités de l'église de France. Voyez LIBERTES.

Voyez les conciles, les historiens de France, les ordonnances de la seconde race, les mémoires du clergé.

Voyez aussi les traités de immunitate ecclesiasticâ par Jacob Wimphelingus, celui de Jean Hyeronime Albanus. (A)

IMMUNITE, (Hist. greq.) les immunités que les villes greques, & sur-tout celle d'Athènes, accordoient à ceux qui avoient rendus des services à l'état, portoient sur des exemptions, des marques d'honneur & autres bienfaits.

Les exemptions consistoient à être déchargés de l'entretien des lieux d'exercices, du festin public à une des dix tribus, & de toute contribution pour les jeux & les spectacles.

Les marques d'honneur étoient des places particulieres dans les assemblées, des couronnes, le droit de bourgeoisie pour les étrangers, celui d'être nourri dans le pritanée aux dépens du public, des monumens, des statues, & semblables distinctions qu'on accordoit aux grands hommes, & qui passoient quelquefois dans leurs familles. Athènes ne se contenta pas d'ériger des statues à Harmodius & à Aristogiton ses libérateurs, elle exempta à perpétuité leurs descendans de toutes charges, & ils jouissoient encore de ce glorieux privilege plusieurs siecles après. Ainsi tout mérite étoit sûr d'être récompensé dans les beaux jours de la Grece ; tout tendoit à faire germer les vertus & à allumer les talens, le desir de la gloire & l'amour de la patrie. (D.J.)


IMMUTABILITÉS. f. (Gramm. & Théologie) c'est l'attribut de Dieu, considéré en tant qu'il n'éprouve aucun changement. Dieu est immuable quant à sa substance ; il l'est aussi quant à ses idées. Il est, a été, & sera toujours de l'unité la plus rigoureuse.


IMOLA(Géog.) ville d'Italie & de l'état de l'Eglise dans la Romagne, avec un évêché suffragant de Ravenne. Cette ville est bien ancienne; Cicéron en parle dans une de ses lettres, liv. XII. épit. 5. Strabon l'appelle *FO/RON *KORNH/LION. Le poëte Martial nous dit y avoir fait quelque séjour; & Prudence nous apprend qu'elle avoit été fondée par Sylla.

Vers la décadence de l'empire, on y bâtit une citadelle nommée Imola, nom qui est resté à cette ville; elle fut ruinée par Narsès, & réparée par Ivon II. roi des Lombards; ensuite les Bolonois, les Manfrédi, Galéas Sforce en devinrent les maîtres; enfin César - Borgia la prit, & la soumit au S. Siege, qui en est demeuré possesseur. Elle est sur le Santerno à trois lieues N. O. de Faenza, huit S. E. de Bologne, neuf S. O. de Ravenne, dix - huit N. E. de Florence, soixante - cinq N. de Rome. Long. 29. 18. lat. 44. 22.

Imola a produit quelques gens de lettres en divers genres, comme le poëte Flaminio, le jurisconsulte Tartagny, & l'anatomiste Valsalva.

Flaminio (Marc Antoine) fut le premier de son pays, dit M. de Thou, qui exprima assez heureusement en vers latins la majesté des pseaumes de David, & il invita par son exemple, François Spinola à prétendre à la même gloire. Il mourut jeune dans la bienveillance du Cardinal Farnese & du Cardinal Polus en 1550.

Tartagny (Alexandre) étoit un des habiles jurisconsultes de son siecle; on le nommoit alors en Italie le monarque du droit; ses conseils, ses traités sur les clémentines, sur le texte des decrétales, & ses autres ouvrages qu'on ne lit plus aujourd'hui, ont été souvent imprimés, comme à Venise en 1571, à Francfort en 1575, à Lyon en 1585, &c. Il mourut à Bologne en 1487 âgé de cinquante - trois ans.

Valsalva (Antoine Marie) mort en 1713 à cinquante - sept ans, fut disciple de Malpighi, & s'est distingué par son excellent traité de aure humanâ, dont la meilleure édition est Bononioe 1704, in - 4°. avec figures. (D. J.)


IMPAIR1. IMPAIR, adj. (Arith.) c'est ainsi qu'on nomme par opposition à pair, un nombre qui ne se peut exactement diviser par 2.

2. Tout nombre impair est essentiellement terminé vers la droite par un chiffre impair, & c'est de ce chiffre seul qu'il prend son nom ; car ceux qui précedent étant tous des multiples de 10 = 2 x 5, sont conséquemment divisibles par 2 ; & jusques-là le nombre reste pair.

3. Il est évident que l'obstacle qui se rencontre à la division exacte d'un chiffre simple par 2, ne réside que dans une unité qui s'y trouve de trop ou de trop peu. Tout chiffre impair devient donc pair par l'addition ou la soustraction de l'unité, & par une suite (n °. 2.) le nombre même qu'il termine.

4. Un impair étant combiné avec un autre nombre quelconque b.

Si c'est par addition ou par soustraction, la somme ou la différence sont d'un nom différent de celui de b.

Si c'est par multiplication ou par division (on suppose celle-ci exacte) le produit ou le quotient sont de même nom que b.

S'il s'agit d'exaltation ou d'extraction, une racine exprimée par un nombre impair donne une puissance de même nom, & réciproquement.

5. Telles sont les principales propriétés du nombre impair pris en général ; mais le caprice & la superstition lui en ont attribué d'autres bien plus importantes. Il fut en grande vénération dans l'antiquité payenne. On le croyoit par préférence agréable à la divinité : numero Deus impari gaudet. C'est en nombre impair que le rituel magique prescrivoit ses plus mystérieuses opérations ; necte tribus nodis ternos, &c. Il n'étoit pas non plus indifférent dans l'art de la Divination ni des augures. Ne s'est-il pas assujetti jusqu'à la Medecine ? L'année climatérique est dans la vie humaine une année impaire ; entre les jours critiques d'une maladie (voyez CRISE), les impairs sont les jours dominans, soit par leur nombre, soit par leur énergie. Au reste, en rejettant ce qu'il y a de chimérique dans la plûpart de ces attributions ; nous ne laissons pas de reconnoître en certains impairs des propriétés très-réelles, mais numériques, c'est-à-dire du genre qui leur convient ; & nous en ferons mention dans leur article particulier. Voyez entr'autres NEUF & ONZE.

6. Si l'on conçoit les nombres impairs rangés par ordre à la suite l'un de l'autre, il résulte une progression arithmétique indéfinie, dont le premier terme est 1, & la différence 2 : c'est ce qu'on nomme la suite des impairs.

Cette suite a une propriété remarquable relative à la formation des puissances ; mais qui n'a jusque ici, du-moins que nous sachions, été connue ni développée qu'en partie. La voici dans toute son étendue.

7. A toute puissance numérique d'une racine r & d'un exposant e quelconques, répond dans la suite générale des impairs une suite subalterne des termes consécutifs, dont la somme est cette puissance même.

Il s'agit d'en déterminer généralement le premier terme p, & le nombre des termes n.

8. A l'égard des puissances d'un exposant pair, la chose a déjà été exécutée. On s'est apperçu que le premier terme de la progression subalterne ne diffère point de celui de la suite principale, & que le nombre des termes est exprimé par la racine seconde de la puissance cherchée ; c'est-à-dire que pour ce

S'agit-il d'élever 3 à la septieme puissance ; on trouve

10. Les choses considérées sous ce point de vûe ; élever une racine quelconque à une puissance donnée, ce n'est que chercher la somme d'une progression arithmétique, dont, avec la différence constante 2, on connoît le premier terme & le nombre des termes (variables l'un & l'autre, mais déterminés par les formules.)

Pour faciliter l'opération ; comme en toute progression arithmétique qui a 2 pour différence (Voyez PROGRESSION ARITHMETIQUE.), la somme est x (n/2) = x n ; en substituant au lieu de p & de n leurs valeurs indiquées par les formules, le résultat sera la puissance demandée.

Si p = 1, x n se réduit à n x n = n 2 : mais (n°. 8.) quand l'exposant est pair, on a p = 1. Donc quand l'exposant est pair, la somme de la progression subalterne (égale à la puissance cherchée) est le quarré du nombre même de ses termes.

En effet, dans le premier exemple ci-dessus, n 2 = 2 = 625 = 5 4.

11. Il n'est pas besoin de faire observer que quand r e/2 ou r (qui expriment le nombre des termes), sont des puissances elles-mêmes trop élevées, on peut les former par la même méthode, & rabaisser tant qu'on voudra de l'un en l'autre l'exposant de r, jusqu'à le reduire à l'unité.

12. Au reste il est facile de rappeller les puissances de l'une & de l'autre classe à une formule commune, qui aura même sur celles qu'on vient de voir cet avantage, qu'outre la solution de tous les cas possibles, elle donnera de plus toutes les solutions possibles de chaque cas. (Car dès que e > 3, le problème devient indéterminé ; c'est-à-dire qu'il y a dans la suite générale des impairs plusieurs suites subalternes, dont la somme est la puissance cherchée).

m, dans la nouvelle formule ci-audessous, est un nombre quelconque < e pair, dans les puissances d'un exposant pair, où il peut même être o, & impair dans celles d'un exposant impair. Autant que m aura de valeurs, autant le problème aura de solutions ; & m aura autant de valeurs que e/2 (pour les puissances de la premiere classe), ou (pour celles de la seconde), expriment d'unités.

13. Plus simplement encore & sans l'attirail d'aucune formule, partagez e en deux parties à volonté, & donnez à r chacune de ces deux parties pour exposant ; vous aurez deux puissances de r. Leur différence augmentée de l'unité sera la valeur de p ; celle des deux qu'on soustrait de l'autre sera la valeur de n.

14. Si les deux parties dans lesquelles e se trouve partagé sont le moins inégales qu'il se puisse ; ou (ce qui revient au même) si faisant usage de la formule, on y donne à m la plus petite valeur qu'elle puisse avoir ; ensorte qu'elle soit o pour les puissances d'un exposant pair, & 1 pour celles d'un exposant impair : on verra naître les formules des numéros 8 & 9.

15. Reprenant les exemples que nous avons donnés sous ces deux articles, pour former la quatrieme puissance de 5.

16. Si l'on vouloit une démonstration, on peut s'en procurer une fort simple. Pour cela, qu'on prenne dans celle qu'on voudra des formules l'expression de p & de n pour le premier terme & pour le nombre de termes d'une progression arithmétique dont la différence soit 2, & qu'on se donne la peine d'en faire la somme ; on trouvera pour dernier résultat re, c'est-à-dire la puissance cherchée.

17. Ce qu'on connoissoit jusqu'à-présent de cette propriété de la suite des impairs ne pouvoit être d'un grand secours, & ne dispensoit pas de recourir à la pratique usitée pour former les puissances même d'un exposant pair, toutes les fois que e/2 exprimoit un nombre impair. Ayant à former par exemple la dixieme puissance de 7, il falloit préalablement trouver 75, qui indique le nombre des termes dont la somme est 710. En un mot on ne pouvoit se passer de la méthode ordinaire que dans le seul cas (assez rare) où e est une puissance de 2.

De plus, on ne soupçonnoit pas que la progression subalterne, dont la somme est la puissance d'un exposant pair cherchée, se trouvât ailleurs qu'à l'origine de la suite principale. On tenoit, il est vrai, une solution de cette partie la plus exposée en vûe du problème ; mais on ne s'avisoit pas qu'il y en eût d'autres : or il y en a, comme on l'a vû, autant que e /2 exprime d'unités.

18. Nommant s le nombre des termes qui précedent p dans la suite générale des impairs, & qu'il faut sauter vers l'origine pour monter jusqu'à lui ; on aura (par la nature des progressions) 25 + 1 = p : & substituant cette valeur dans x n, on trouvera la somme de la progression ou re = x n. Mais on a aussi, comme il est évident, re = r x r ; & d'ailleurs (n°. 12.) n = r : donc . C'est-à-dire que

" Si au nombre des termes de la suite subalterne dont la somme est une puissance quelconque re, on ajoûte le double du nombre de ceux qui en précédent le premier dans la suite générale ; il en résulte une puissance complete de r, dont l'exposant est invariablement ".

Théorême assez singulier ! car il ne s'agit nullement ici de la valeur même des termes, mais simplement de leur nombre.

Article de M. RALLIER DES OURMES.


IMPALANCA(Hist. nat.) animal quadrupede, qui a la forme & la taille d'un mulet, mais dont la peau est tachetée & de différentes couleurs. Il a le front armé de deux cornes pointues & recourbées en raison de son âge. Sa chair est très-bonne à manger, excepté dans le tems du rut. On estime sur-tout le bézoard, ou la pierre qu'on en retire, qui est regardée comme un excellent antidote contre toutes sortes de poisons. Cet animal se trouve dans plusieurs parties de l'Afrique, & sur-tout dans le royaume de Congo.


IMPALPABLEadj. (Physiq.) est ce dont on ne peut distinguer les petites parties par les sens, & particulierement par celui du toucher.


IMPANATEURSS. f. (Théologie) nom donné aux Luthériens, qui rejettant le dogme de la transubstantiation, soutenoient que dans le sacrement de l'eucharistie, après les paroles de la consécration, le corps de Jesus-Christ se trouvoit avec la substance du pain, qui n'étoit point détruite. Voyez CONSUBSTANTIATEURS & CONSUBSTANTIATION. Cette opinion qui avoit paru dès le tems de Berenger, fut renouvellée par Osiander, l'un des principaux Luthériens, qui passa jusqu'à dire en parlant des especes eucharistiques, ce pain est Dieu. Une si étrange opinion, dit M. Bossuet, n'eut pas besoin d'être refutée, elle tomba d'elle-même par sa propre absurdité, & Luther ne l'approuva point. Hist. des variat. liv. II. n°. 3. (G)


IMPANATIONS. f. (Théol.) est un terme dont les Théologiens se servent pour expliquer l'opinion des Luthériens, qui étoit qu'après la consécration, le corps de notre Seigneur Jesus-Christ demeure dans l'eucharistie avec la substance du pain & du vin. Voyez CONSUBSTANTIATION.


IMPANGAZZAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede d'Afrique, commun dans les royaumes de Congo & d'Angola, & qui paroît être particulier à ces contrées. Il ressemble assez à un boeuf ou à un bufle ; ses cornes sont faites comme celles d'un bouc, mais très-lisses. Les habitans font leurs boucliers avec la peau de cet animal, qui devient assez dure pour être à l'épreuve des fleches. Il est aussi connu sous le nom de dante. Cet animal est d'une grande vîtesse ; quand il a été blessé il se tourne contre son chasseur, qui ne peut éviter sa furie qu'en grimpant promtement à un arbre, au pié duquel l'animal reste jusqu'à ce que quelque nouveau coup le fasse tomber mort. Sa chair est très-bonne à manger. Les tigres & les lions en sont aussi friands que les hommes. Les impangazzas pour se mettre en défense contre les premiers, vont ordinairement par troupeaux de plus d'une centaine ; lorsqu'ils sont attaqués, ils forment un cercle, en présentant leurs cornes de tous les côtés, ainsi ils se défendent avec beaucoup de dextérité. On en trouve de bruns, de gris, de noirs & de différentes couleurs, comme les vaches. On regarde la moëlle de ces animaux comme très-bonne dans la Medecine ; on en frotte les membres attaqués de paralysie.


IMPARDONNABLEadj. (Gramm.) une action est impardonnable, c'est-à-dire qu'il n'y a point de pardon pour elle. Voyez PARDON. Il semble que les hommes paitris d'imperfections, sujets à mille foiblesses, remplis de défauts, soient plus séveres dans leurs jugemens que Dieu même. Il n'y a point d'action impardonnable aux yeux de Dieu. Il y en a que les hommes ne pardonnent jamais. Celui qui en est une fois flétri l'est pour toujours.


IMPARFAITadj. (Gramm.) à qui il manque quelque chose. Ainsi un ouvrage est imparfait, ou lorsqu'on y remarque quelque defaut, ou lorsque l'auteur ne l'a pas conduit à sa fin. Un livre est imparfait s'il y manque un feuillet. Un grand bâtiment demeure imparfait lorsqu'un ministre est déplacé, & que celui qui lui succede a la petitesse d'abandonner ses projets. Il y a dans la Musique des accords imparfaits. Voyez ACCORDS. Une cadence imparfaite. Voyez CADENCE. En Arithmétique, des nombres imparfaits. Voyez NOMBRES. En Botanique, des plantes imparfaites, & très-improprement appellées ainsi, car il n'y a rien d'imparfait dans la nature, pas même les monstres. Tout y est enchaîné, & le monstre y est un effet aussi nécessaire que l'animal parfait. Les causes qui ont concouru à sa production tiennent à une infinité d'autres, & celles-ci à une infinité d'autres, & ainsi de suite en remontant jusqu'à l'éternité des choses. Il n'y a d'imperfection que dans l'art, parce que l'art a un modele subsistant dans la nature, auquel on peut comparer ses productions. Nous ne sommes pas dignes de louer ni de blâmer l'ensemble général des choses, dont nous ne connoissons ni l'harmonie ni la fin ; & bien & mal sont des mots vuides de sens, lorsque le tout excede l'étendue de nos facultés & de nos connoissances.

IMPARFAIT, adj. (Gramm.) employé quelquefois comme tel en Grammaire, avec le nom de prétérit : & quelquefois employé seul & substantivement, ainsi l'on dit le prétérit imparfait ou l'imparfait. C'est un tems du verbe distingué de tous les autres par ses inflexions & par sa destination : j'étois (eram) est l'imparfait de l'indicatif ; que je fusse (essem) est l'imparfait du subjonctif. Voilà des connoissances de fait, & personne ne s'y méprend. Mais il n'en est pas de même des principes raisonnés qui concernent la nature de ce tems : il me semble qu'on n'en a eu encore que des notions bien vagues & même fausses ; & la dénomination même qu'on lui a donnée, caractérise moins l'idée qu'il en faut prendre, que la maniere dont on l'a envisagé. Ceci est développé & justifié à l'article TEMS. On y verra que ce tems est de la classe des présens, parce qu'il désigne la simultanéité d'existence, & que c'est un présent antérieur, parce qu'il est relatif à une époque antérieure à l'acte même de la parole. Article de M. BEAUZEE.


IMPARTABLEadj. (Jurisprud.) signifie ce qui ne peut pas se partager ; on le dit aussi quelquefois de ce qui ne peut pas se partager commodément. Voyez PARTAGE. (A)


IMPARTIALadj. (Gram.) on dit d'un juge qu'il est impartial lorsqu'il pese sans acception des choses ou des personnes, les raisons pour & contre. Un examen impartial, lorsqu'il est fait par un juge impartial. Il n'y a guere de qualité plus essentielle & plus rare que l'impartialité. Qui est-ce qui l'a ? le voyageur ? il a été trop loin pour regarder les choses d'un oeil non prévenu : le juge ? il a ses idées particulieres, ses formes, ses connoissances, ses préjugés : l'historien ? il est d'un pays, d'une secte, &c. Parcourez ainsi les différens états de la vie, songez à toutes les idées dont nous sommes préoccupés, faites entrer en considération l'âge, l'état, le caractere, les passions, la santé, la maladie, les usages, les goûts, les saisons, les climats, en un mot la foule des causes tant physiques que morales, tant innées qu'acquises, tant libres que nécessaires, qui influent sur nos jugemens ; & prononcez après cela si l'homme qui se croit sincérement très- impartial, l'est en effet beaucoup. Il ne faut pas confondre un juge ignorant avec un juge partial. L'ignorant n'a pas les connoissances nécessaires pour bien juger ; le partial s'y refuse.


IMPASSIBLEIMPASSIBILITé, (Gramm. & Théolog.) qui ne peut éprouver de douleurs. C'est un des attributs de la Divinité. C'en fut un du corps de Jesus-Christ après la résurrection. C'en est un de son corps dans l'eucharistie. Les esprits & les corps glorieux seront impassibles. Si l'ame est fortement préoccupée de quelque grande passion, elle en devient pour ainsi dire impassible. Une mere qui verroit son enfant en danger, couroit à son secours les piés nuds à-travers des charbons ardens, sans en ressentir de douleur. L'enthousiasme & le fanatisme peuvent élever l'ame au-dessus des plus affreux tourmens. Voyez dans le livre de la cité de Dieu, l'histoire du prêtre de Calame. Cet homme s'aliénoit à son gré, & se rendoit impassible même par l'action du feu.


IMPASTATIONS. f. (Pharmacie) c'est la réduction d'une poudre, ou de quelqu'autre substance en forme de pâte, au moyen de quelque liquide convenable pour en faire des trochisques, des tablettes, ou autre composition de forme solide.

IMPASTATION, (Architect.) mélange de divers matériaux de couleur & de consistance différente, qui se fait par le moyen de quelque ciment, & que l'on durcit à l'air ou au feu.

L'impastation est quelquefois un ouvrage de maçonnerie, fait de stuc ou de pierre broyée, rejointe en maniere & forme de parement, tels que les marbre-feuils.

Quelques-uns croient que les obélisques & ces grosses colomnes antiques qui nous restent, étoient faites les unes par impastation & les autres par fusion. Dict. de Trévoux.


IMPATIENCES. f. (Morale) inquiétude de celui qui souffre, ou qui attend avec agitation l'accomplissement de ses voeux.

Ce mouvement de l'ame plus ou moins bouillant, procede d'un tempérament vif, facile à s'enflammer, & qu'on auroit pû souvent modérer par les secours d'une bonne éducation.

Les princes qui croient pouvoir tout, & qui se livrent à leurs impatiences, imitent ces enfans qui rompent les branches des arbres, pour en cueillir le fruit avant qu'il soit mûr. Il faut être patient pour devenir maître de soi & des autres.

Loin donc que l'impatience soit une force & une vigueur de l'ame, c'est une foiblesse & une impuissance de souffrir la peine. Elle tombe en pure perte, & ne produit jamais aucun avantage. Quiconque ne sait pas attendre & souffrir, ressemble à celui qui ne sait pas taire un secret ; l'un & l'autre manquent de force pour se retenir.

Comme à l'homme qui court dans un char, & qui n'a pas la main assez ferme pour arrêter quand il le faut ses coursiers fougueux, il arrive qu'ils n'obéissent plus au frein, brisent le char, & jettent le conducteur dans le précipice ; ainsi les effets de l'impatience peuvent souvent devenir funestes. Mais les plus sages leçons contre cette foiblesse sont bien moins puissantes pour nous en garantir, que la longue épreuve des peines & des revers. (D.J.)


IMPECCABILITÉS. f. (Théologie) état de celui qui ne peut pécher. C'est aussi la grace, le privilege, le principe qui nous met hors d'état de pécher. Voyez PECHE.

Les Théologiens distinguent différentes sortes & comme différens degrés d'impeccabilité. Celle de Dieu lui convient par nature ; celle de Jesus-Christ entant qu'homme, lui convient à cause de l'union hypostatique ; celle des bienheureux est une suite de leur état ; celle des hommes est l'effet de la confirmation en grace, & s'appelle plutôt impeccance qu'impeccabilité : aussi les Théologiens distinguent-ils ces deux choses ; ce qui est sur-tout nécessaire dans les disputes contre les Pélagiens, pour expliquer certains termes qu'il est aisé de confondre dans les peres grecs & latins. Dict. de Trévoux. (G)


IMPÉNÉTRABILITÉS. f. (Métaphysiq. & Phys.) qualité de ce qui ne se peut pénétrer ; propriété des corps qui occupent tellement un certain espace, que d'autres corps ne peuvent plus y trouver de place. Voyez MATIERE.

Quelques auteurs définissent l'impénétrabilité, ce qui distingue une substance étendue d'avec une autre, ou ce qui fait que l'extension d'une chose est différente de celle d'une autre ; ensorte que ces deux choses étendues ne peuvent être en même lieu, mais doivent nécessairement s'exclure l'une l'autre. Voyez SOLIDITE.

Il n'y a aucun doute sur cette propriété à l'égard des corps solides, car il n'y a personne qui n'en ait fait l'expérience, en pressant quelque métal, pierre, bois, &c. Quant aux liquides, il y a des preuves qui les démontrent à ceux qui pourroient en douter. L'eau, par exemple, renfermée dans une boule de métal, ne peut être comprimée par quelque force que ce soit. La même chose est vraie encore à l'égard du mercure, des huiles & des esprits. Pour ce qui est de l'air renfermé dans une pompe, il peut en quelque sorte être comprimé, lorsqu'on pousse le piston en bas ; mais quelque grande que soit la force qu'on emploie pour enfoncer le piston dans la pompe, on ne lui pourra jamais faire toucher le fond.

En effet, dès que l'air est fortement comprimé, il fait autant de résistance qu'en pourroit faire une pierre.

Les Cartésiens prétendent que l'étendue est impénétrable par la nature : d'autres philosophes distinguent l'étendue des parties pénétrables & immobiles qui constituent l'espace, & des parties pénétrables & mobiles qui constituent les corps. Voyez ETENDUE, ESPACE & MATIERE.

Si nous n'eussions jamais comprimé aucun corps, quand même nous eussions vû son étendue, il nous eût été impossible de nous former aucune idée de l'impénétrabilité. En effet, on ne se fait d'autre idée d'un corps lorsqu'on le voit, sinon qu'il est étendu de la même maniere que lorsqu'on se trouve devant un miroir ardent de figure sphérique & concave, on apperçoit entre le miroir & son oeil d'autres objets représentés dans l'air, lesquels personne ne pourroit jamais distinguer des objets solides & véritables, si l'on ne cherchoit à les toucher avec la main, & si l'on ne découvroit ensuite que ce ne sont que des images. Si un homme n'eût vû pendant toute sa vie que de pareils fantômes, & qu'il n'eût jamais senti aucun corps, il auroit bien pû avoir une idée de l'étendue, mais il n'en auroit eu aucune de l'impénétrabilité. Les Philosophes qui dérivent l'impénétrabilité de l'étendue, le font parce qu'ils veulent établir dans la seule étendue la nature & l'essence du corps. C'est ainsi qu'une erreur en amene une autre. Ils se fondent sur ce raisonnement. Par-tout où il y a une étendue d'un pié cube, il ne peut y avoir aucune autre étendue d'un second pié cube, à moins que le premier pié cube ne soit anéanti : par conséquent l'étendue oppose à l'étendue une résistance infinie, ce qui marque qu'elle est impénétrable. Mais c'est une pure pétition de principe, qui suppose ce qui est en question, que l'étendue soit la seule notion primitive du corps, laquelle étant posée, conduit à toutes les autres propriétés. Article de M. FORMEY.


IMPÉNITENCES. f. (Théolog.) dureté, endurcissement de coeur qui fait demeurer dans le vice, qui empêche de se repentir. Voyez PENITENCE & PERSEVERANCE.

L'impénitence finale est un péché contre le S. Esprit, qui ne se pardonne ni en ce monde ni en l'autre. (G)


IMPENSESS. f. pl. (Jurispr.) sont les choses que l'on a employées, ou les sommes que l'on a déboursées, pour faire rétablir, améliorer, ou entretenir une chose qui appartient à autrui, ou qui ne nous appartient qu'en partie, ou qui n'appartient pas incommutablement à celui qui en jouit.

On distingue en droit trois sortes d'impenses, savoir, les nécessaires, les utiles & les voluptuaires.

Les impenses nécessaires sont celles sans lesquelles la chose seroit périe, ou entierement détériorée, comme le rétablissement d'une maison qui menace ruine.

Les impenses utiles sont celles qui n'étoient pas nécessaires, mais qui augmentent la valeur de la chose, comme la construction d'un nouveau corps de bâtiment, soit à l'usage du maître ou autrement.

Les impenses voluptuaires sont celles qui sont faites pour l'agrément, & n'augmentent point la valeur de la chose, comme sont des peintures, des jardins de propreté, &c.

Le possesseur de bonne foi qui a fait des impenses nécessaires ou utiles dans le fonds d'autrui, peut retenir l'héritage, & gagne les fruits jusqu'à ce qu'on lui ait remboursé ses impenses.

A l'égard des impenses volontaires, elles sont perdues même pour le possesseur de bonne foi.

Pour ce qui est du possesseur de mauvaise foi qui bâtit, ou plante sciemment sur le fonds d'autrui, il doit s'imputer la perte de ce qu'il a dépensé ; cependant comme on préfére toujours l'équité à la rigueur du droit, on condamne le propriétaire qui a souffert les impenses nécessaires, à les lui rembourser, & même les impenses utiles, supposé qu'elles ne puissent s'emporter sans grande détérioration ; mais le possesseur de mauvaise foi n'est jamais traité aussi favorablement que le possesseur de bonne foi, car on rend à celui-ci la juste valeur de ses impenses, au lieu que pour le possesseur de mauvaise foi, on les estime au plus bas prix.

Voyez la loi 38. au ff. de heredit. petit. les lois 53. & 216. ff. de reg. jur. & la loi 38. ff. de rei vindicat. Les institut. liv. II. tit. 1. §. 30. Le Brun de la commun. liv. III. chap. ij. sect. 1. dist. 7. Le Prêtre, arrêts de la cinquieme, cent. 2. chap. lxxxix. Levest, arrêt 17. Carondas, liv. V. rep. 10. Auzannet sur l'art. 244. de la coût. de Paris. (A)


IMPÉRATIFv. adj. (Gramm.) on dit le sens impératif, la forme impérative. En Grammaire on emploie ce mot substantivement au masculin, parce qu'on le rapporte à mode ou moeuf, & c'est en effet le nom que l'on donne à ce mode qui ajoute à la signification principale du verbe l'idée accessoire de la volonté de celui qui parle.

Les Latins admettent dans leur impératif deux formes différentes, comme lege & legito ; & la plûpart des Grammairiens ont cru l'une relative au présent, & l'autre au futur. Mais il est certain que ces deux formes différentes expriment la même relation temporelle, puisqu'on les trouve réunis dans les mêmes phrases pour y exprimer le même sens à cet égard, ainsi que l'observe la méthode latine de P. R. Rem. sur les verbes, chap. ij. art. 5.

Aut si es dura, NEGA ; sin es non dura, VENITO.

Propert.

Et potum pastas AGE, Tityre ; & interagendum,

Occursare capro (cornu ferit ille) CAVETO. Virg.

Ce n'est donc point de la différence des relations temporelles que vient celle de ces deux formes également impératives ; & il est bien plus vraisemblable qu'elles n'ont d'autre destination que de caractériser en quelque sorte l'espece de volonté de celui qui parle. Je crois, par exemple, que lege exprime une simple exhortation, un conseil, un avertissement, une priere même, ou tout au plus un consentement, une simple permission ; & que legito marque un commandement exprès & absolu, ou du-moins une exhortation si pressante, qu'elle semble exiger l'exécution aussi impérieusement que l'autorité même : dans le premier cas, celui qui parle est ou un subalterne qui prie, ou un égal qui donne son avis ; s'il est supérieur, c'est un supérieur plein de bonté, qui consent à ce que l'on desire, & qui par ménagement, déguise les droits de son autorité sous le ton d'un égal qui conseille ou qui avertit : dans le second cas, celui qui parle est un maître qui veut absolument être obéi, ou un égal qui veut rendre bien sensible le desir qu'il a de l'exécution, en imitant le ton impérieux qui ne souffre point de délai. Ceci n'est qu'une conjecture ; mais le style des lois latines en est le fondement & la preuve ; ad divos ADEUNTO castè (Cic. iij. de leg.) ; & elle trouve un nouveau degré de probabilité dans les passages mêmes que l'on vient de citer.

Aut si es dura, NEGA ; c'est comme si Properce avoit dit : " si vous avez de la dureté dans le caractere, & si vous consentez vous-même à passer pour telle, il faut bien que je consente à votre refus, nega " : (simple concession). Sin es non dura, VENITO ; priere urgente qui approche du commandement absolu, & qui en imite le ton impérieux ; c'est comme si l'auteur avoit dit : " mais si vous ne voulez point avouer un caractere si odieux ; si vous prétendez être sans reproche à cet égard, il vous est indispensable de venir, il faut que vous veniez, venito ".

C'est la même chose dans les deux vers de Virgile. Et potum pastas AGE, Tityre ; ce n'est ici qu'une simple instruction, le ton en est modeste, age. Mais quand il s'intéresse pour Tityre, qu'il craint pour lui quelqu'accident, il éleve le ton, pour donner à son avis plus de poids, & par-là plus d'efficacité ; occursare Capro... CAVETO : cave seroit foible & moins honnête, parce qu'il marqueroit trop peu d'intérêt, il faut quelque chose de plus pressant, caveto.

Trompé par les fausses idées qu'on avoit prises des deux formes impératives latines, M. l'abbé Régnier a voulu trouver de même dans l'impératif de notre langue, un présent & un futur : dans son systême le présent est lis ou lisez ; le futur, tu liras ou vous lirez (Gram. franç. in-12. Paris 1706, pag. 340) ; mais il est évident en soi, & avoué par cet auteur même, que tu liras ou vous lirez ne differe en rien de ce qu'il appelle le futur simple de l'indicatif, & que je nomme le présent postérieur (voyez TEMS) ; si ce n'est, dit-il, en ce qu'il est employé à un autre usage. C'est donc confondre les modes que de rapporter ces expressions à l'impératif : & il y a d'ailleurs une erreur de fait, à croire que le présent postérieur, ou si l'on veut, le futur de l'indicatif, soit jamais employé dans le sens impératif. S'il se met quelquefois au lieu de l'impératif, c'est que les deux modes sont également directs (voyez MODE), & que la forme indicative exprime en effet la même relation temporelle que la forme impérative. Mais le sens impératif est si peu commun à ces deux formes, que l'on ne substitue celle de l'indicatif à l'autre, que pour faire disparoître le sens accessoire impératif, ou par énergie, ou par euphémisme.

On s'abstient de la forme impérative par énergie, quand l'autorité de celui qui parle est si grande, ou quand la justice ou la nécessité de la chose est si évidente, qu'il suffit de l'indiquer pour en attendre l'exécution : Dominum Deum tuum ADORABIS, & illi soli SERVIES (Matth. iv. 10.), pour adora ou adorato, servi ou servito.

On s'abstient encore de cette forme par euphémisme, ou afin d'adoucir par un principe de civilité, l'impression de l'autorité réelle, ou afin d'éviter par un principe d'équité, le ton impérieux qui ne peut convenir à un homme qui prie.

Au reste le choix entre ces différentes formes est uniquement une affaire de goût, & il arrive souvent à cet égard la même chose qu'à l'égard de tous les autres synonymes, que l'on choisit plutôt pour la satisfaction de l'oreille que pour celle de l'esprit, ou pour contenter l'esprit par une autre vûe que celle de la précision. Au fond il étoit très-possible, & peut-être auroit-il été plus régulier, quoique moins énergique, de ne pas introduire le mode impératif, & de s'en tenir au tems de l'indicatif que je nomme présent postérieur : vous ADOREREZ le Seigneur votre Dieu, & vous ne SERVIREZ que lui. C'est même le seul moyen direct que l'on ait dans plusieurs langues, & spécialement dans la nôtre, d'exprimer le commandement à la troisieme personne : le style des réglemens politiques en est la preuve.

Puisque dans la langue latine & dans la françoise, on remplace souvent la forme reconnue pour impérative par celle qui est purement indicative, il s'ensuit donc que ces deux formes expriment une même relation temporelle, & doivent prendre chacune dans le mode qui leur est propre, la même dénomination du présent postérieur. Cette conséquence se confirme encore par l'usage des autres langues. Non-seulement les Grecs emploient souvent comme nous, le présent postérieur de l'indicatif pour celui de l'impératif, ils ont encore de plus que nous la liberté d'user du présent postérieur de l'impératif pour celui de l'indicatif : , pour (Eurip.) ; littéralement, scis ergo quid fac, pour facies (vous savez donc ce que vous ferez ?) C'est pour la même raison que la forme impérative est la racine immédiate de la forme indicative correspondante, dans la langue hébraïque ; & que les Grammairiens hébreux regardent l'une & l'autre comme des futurs : par égard pour l'ordre de la génération, ils donnent à l'impératif le nom de premier futur, & à l'autre le nom de second futur. Leur pensée revient à la mienne ; mais nous employons diverses dénominations. Je ne puis regarder comme indifférentes, celles qui sont propres au langage didactique ; & j'adopterois volontiers dans ce sens la maxime de Comenius (Janua ling. tit. 1. period. 4.) : Totius eruditionis posuit fundamentum, qui nomenclaturam rerum artis perdicit. J'ose me flater de donner à l'article TEMS une justification plausible du changement que j'introduis dans la nomenclature des tems.

Je me contenterai d'ajouter ici une remarque tirée de l'analogie de la formation des tems : c'est qu'il en est de celui que je nomme présent postérieur de l'impératif, comme de ceux des autres modes qui sont reconnus pour des présens en latin, en allemand, en françois, en italien, en espagnol ; il est dérivé de la même racine immédiate qui est exclusivement propre aux présens, ce qui devient pour ceux qui entendent les droits de l'analogie, une nouvelle raison d'inscrire dans la classe des présens, le tems impératif dont il s'agit.

Si nos Grammairiens avoient donné aux analogies l'attention qu'elles exigent ; outre qu'elles auroient servi à leur faire prendre des idées justes de chacun des tems, elles les auroient encore conduits à reconnoître dans notre impératif un prétérit, dont je ne sache pas qu'aucun grammairien ait fait mention, si ce n'est M. l'abbé de Dangeau, qui l'a montré dans ses tables, mais qui semble l'avoir oublié dans l'explication qu'il en donne ensuite. Opusc. sur la lang. franç. On avoit pourtant l'exemple de la langue greque ; & la facilité que nous avons de la traduire littéralement dans ces circonstances, devoit montrer sensiblement dans nos verbes ce prétérit de l'impératif. Mais Apollone avoit dit (lib. I. cap. 30.) qu'on ne commande pas les choses passées ni les présentes : chacun a répeté cet adage sans l'entendre, parce qu'on n'avoit pas des notions exactes du présent ni du prétérit ; & il semble en conséquence que personne n'ait osé voir ce que l'usage le plus fréquent mettoit tous les jours sous les yeux. AYEZ LU ce livre quand je reviendrai : il est clair que l'expression ayez lû est impérative ; qu'elle est du tems prétérit, puisqu'elle désigne l'action de lire comme passée à l'égard de mon retour : enfin que c'est un prétérit postérieur, parce que ce passé est relatif à une époque postérieure à l'acte de la parole, je reviendrai.

Ce prétérit de notre impératif a les mêmes propriétés que le présent. Il est pareillement bien remplacé par le prétérit postérieur de l'indicatif ; vous AUREZ LU ce livre quand je reviendrai : & cette substitution de l'un des tems pour l'autre a les mêmes principes que pour les présens ; c'est énergie ou euphémisme quand on s'attache à la précision ; c'est harmonie quand on fait moins d'attention aux idées accessoires différencielles. Enfin ce prétérit se trouve dans l'analogie de tous les prétérits françois ; il est composé du même auxiliaire, pris dans le même mode.

M. l'abbé Girard prétend (vrais princ. Disc. viij. du verbe, pag. 13.) que l'usage n'a point fait dans nos verbes de mode impératif, parce qu'il ne caractérise l'idée accessoire de commandement, à la premiere & seconde personne, que par la suppression des pronoms dont le verbe se fait ordinairement accompagner, & à la troisieme personne par l'addition de la particule que.

J'avoue que nous n'avons pas de troisieme personne impérative, que nous employons pour cela celle du tems correspondant du subjonctif, qu'il lise, qu'il ait lû ; & qu'alors il y a nécessairement une ellipse qui sert à rendre raison du subjonctif, comme s'il y avoit par exemple, je veux qu'il lise, je désire qu'il ait lû. En cela nous imitons les Latins qui font souvent le même usage, non-seulement de la troisieme, mais même de toutes les personnes du subjonctif, dont on ne peut alors rendre raison que par une ellipse semblable.

Mais pour ce qui concerne la seconde personne au singulier, & les deux premieres au pluriel, la suppression même des pronoms, qui sont nécessaires partout ailleurs, me paroît être une forme caractéristique du sens impératif, & suffire pour en constituer un mode particulier ; comme la différence de ces mêmes pronoms suffit pour établir celle des personnes.

D'après toutes ces considérations, il résulte que l'impératif des conjugaisons latines n'a que le présent postérieur ; que ce tems a deux formes différentes, plus ou moins impératives, pour la seconde personne tant au singulier qu'au pluriel, & une seule forme pour la troisieme.

Ce qui manque à l'impératif, l'usage le supplée par le subjonctif ; & ce que les rudimens vulgaires ajoutent à ceci, comme partie du mode impératif, y est ajouté faussement & mal-à-propos.

La méthode latine de P. R. propose une question, savoir comment il se peut faire qu'il y ait un impératif dans le verbe passif, vû que ce qui nous vient des autres ne semble pas dépendre de nous, pour nous être commandé à nous-mêmes : & on répond que c'est que la disposition & la cause en est souvent en notre pouvoir ; qu'ainsi l'on dira amator ab hero, c'est-à-dire faites si bien que votre maître vous aime. Il me semble que la définition que j'ai donnée de ce mode, donne une réponse plus satisfaisante à cette question. La forme impérative ajoute à la signification principale du verbe, l'idée accessoire de la volonté de celui qui parle ; & de quelque cause que puisse dépendre l'effet qui en est l'objet, il peut le desirer & exprimer ce desir : il n'est pas nécessaire à l'exactitude grammaticale, que les pensées que l'on se propose d'exprimer aient l'exactitude morale ; on en a trop de preuves dans une foule de livres très-bien écrits, & en même tems très-éloignés de cette exactitude morale que des écrivains sages ne perdent jamais de vûe.

Par rapport à la conjugaison françoise, l'impératif admet un présent & un prétérit, tous deux postérieurs ; dans l'un & dans l'autre, il n'y a au singulier que la seconde personne, & au pluriel les deux premieres.

Je m'arrête principalement à la conjugaison des deux langues, qui doivent être le principal objet de nos études ; mais les principes que j'ai posés peuvent servir à rectifier les conjugaisons des autres langues, si les Grammairiens s'en sont écartés.

Je terminerai cet article par deux observations, la premiere, c'est qu'on ne trouve à l'impératif d'aucune langue, de futur proprement dit, qui soit dans l'analogie des futurs des autres modes ; & que les tems qui y sont d'usage, sont véritablement un présent postérieur, ou un prétérit postérieur. Quel est donc le sens de la maxime d'Apollone, qu'on ne commande pas les choses passées ni les présentes ? On ne peut l'entendre que des choses passées ou présentes à l'égard du moment où l'on parle. Mais à l'égard d'une époque postérieure à l'acte de la parole, c'est le contraire ; on ne commande que les choses passées ou présentes, c'est-à-dire que l'on desire qu'elles précedent l'époque, ou qu'elles coexistent avec l'époque, qu'elles soient passées ou présentes lors de l'époque. Ce n'est point ici une these métaphysique que je prétends poser, c'est le simple résultat de la déposition combinée des usages des langues ; mais j'avoue que ce résultat peut donner lieu à des recherches assez subtiles, & à une discussion très-raisonnable.

La seconde observation est de M. le président de Brosses. C'est que, selon la remarque de Léibnitz (Otium Hanoverianum, pag. 427.), la vraie racine des verbes est dans l'impératif, c'est-à-dire au présent postérieur. Ce tems en effet est fort souvent monosyllabe dans la plûpart des langues : & lors même qu'il n'est pas monosyllabe, il est moins chargé qu'aucun autre, des additions terminatives ou préfixes qu'exigent les différentes idées accessoires, & qui peuvent empêcher qu'on ne discerne la racine premiere du mot. Il y a donc lieu de présumer, qu'en comparant les verbes synonymes de toutes les langues par le présent postérieur de l'impératif, on pourroit souvent remonter jusqu'au principe de leur synonymie, & à la source commune d'où ils descendent, avec les altérations différentes que les divers besoins des langues leur ont fait subir. (B. E. R. M.)


IMPÉRATOIRES. f. imperatoria, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales entiers ou échancrés en forme de coeur, disposés en rond, & soûtenus par un calice qui devient un fruit composé de deux semences plates, presqu'ovales, legerement cannelées & bordées ; la plûpart de ces semences quittent leurs enveloppes : ajoûtez à ces caracteres que les feuilles de la plante sont aîlées & assez grandes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

L'impératoire commune, qui est une des sept especes de genre de plante, se nomme simplement imperatoria ou imperatoria major, & par Dodonée astrantia.

Sa racine qui serpente obliquement, est de la grosseur du pouce, & très-garnie de fibres : les feuilles sont composées de trois côtes arrondies, d'un verd agréable, de la longueur d'une palme, partagées en trois, & découpées à leurs bords. La tige s'éleve jusqu'à une coudée, ou une coudée & demie : elle est cannelée, creuse, & porte des fleurs en rose, disposées en parasol : les fleurs sont à cinq pétales blancs, échancrés en maniere de coeur, placés en rond à l'extrémité d'un calice, qui devient un fruit formé de deux graines applaties, presque ovales, rayées légerement sur le dos, & bordées d'une aîle très-mince.

Les anciens Grecs n'ont pas connu l'impératoire, ou du-moins ils l'ont décrite avec tant d'obscurité, qu'on ne peut la retrouver dans leurs écrits. Lorsqu'on fait une incision dans sa racine, ses feuilles, & sa tige, il en découle une liqueur huileuse, d'un goût très-âcre, qui ne le cede guere en acrimonie au lait du tithymale : si l'on coupe en particulier la racine par tranches, on y découvre une infinité de vésicules, qui sont remplies d'une substance oléagineuse, d'une qualité chaude & active.

Cette plante fleurit en Juillet, & se plaît dans les montagnes d'Autriche, de Stirie, d'Auvergne, de plusieurs endroits des Alpes & des Pyrénées : c'est de-là qu'on nous apporte la racine seche, dont on fait avec raison un grand usage en Medecine : celle qu'on cultive dans les jardins & dans les plaines, est fort inférieure à la montagneuse.

La racine d'impératoire est genouillée, de la grosseur du pouce, ridée, comme sillonnée, d'une odeur pénétrante, d'un goût très-âcre, aromatique, & qui pique fortement la langue. (D.J.)

IMPERATOIRE, (Mat. med.) la racine que l'on trouve dans les boutiques sous le nom d'impératoire, est d'une odeur vive & aromatique, & d'une saveur âcre & brûlante : elle donne par la distillation une grande quantité d'huile essentielle, selon Geoffroy. On nous l'apporte des Alpes & des Pyrénées.

Elle doit être rangée avec les alexipharmaques & les sudorifiques. Voyez ALEXIPHARMAQUE & SUDORIFIQUE.

Entre plusieurs excellentes propriétés que lui accordent divers auteurs, son efficacité contre la froideur & l'impuissance est sur-tout remarquable.

Cette racine est presque absolument inusitée dans les prescriptions magistrales ; elle entre dans les préparations suivantes de la pharmacopée de Paris, savoir, l'eau thériacale, l'eau impériale, l'eau générale, l'esprit carminatif de Sylvius, & l'orviétan commun. (b)


IMPERATORS. m. (Belles-Lettres) titre que les soldats déféroient par des acclamations à leur général, après quelque victoire signalée. Il ne le gardoit que jusqu'à son triomphe ; mais Jules-César l'ayant retenu en s'emparant de l'empire, il devint le nom propre de ses successeurs, & de leur souveraine puissance. (D.J.)


IMPÉRATRICES. f. (Hist. anc.) femme de l'empereur : le sénat, immédiatement après l'élection de l'empereur, donnoit le nom d'Auguste, Augusta, à sa femme & à ses filles. Entre les marques d'honneur attachées à leurs personnes, une des principales étoit, qu'elles avoient droit de faire porter devant elles du feu dans un brasier, & des faisceaux entourés de lauriers, pour les distinguer de ceux des principaux magistrats de l'empire. Cependant comme plusieurs impératrices ont joué un fort petit rôle dans le monde, ou sont restées peu de tems sur le trône, les plus habiles antiquaires se trouvent fort embarrassés pour ranger quelques médailles singulieres d'impératrices, dont on ne connoît ni le regne, ni les actions, & dont les noms manquent le plus souvent dans l'histoire. Faustine & Lucile sont les seules qui nées de peres empereurs, ont été cause en quelque maniere, du rang qu'ont obtenu leurs maris. (D.J.)

IMPERATRICE, imperatrix, augusta, &c. (Hist. mod. & droit public) c'est le nom qu'on donne en Allemagne à l'épouse de l'empereur. Lorsque l'empereur se fait couronner, l'impératrice reçoit après lui la couronne & les autres marques de sa dignité ; cette cérémonie doit se faire comme pour l'empereur à Aix-la-Chapelle : elle a un chancelier pour elle en particulier ; c'est toûjours l'abbé prince de Fulde qui est en possession de cette dignité : son grand-aumônier ou chapelain est l'abbé de S. Maximin de Treves. Quoique les lois d'Allemagne n'admettent les femmes au gouvernement qu'au défaut des mâles, les Jurisconsultes s'accordent pourtant à dire que l'impératrice peut avoir la tutele de ses enfans, & par conséquent gouverner pendant leur minorité.

La princesse qui regne aujourd'hui en Russie, porte le titre d'impératrice, qui est à présent reconnu par toutes les puissances de l'Europe ; ce titre a été substitué à celui de Czarine, & à celui d'Autocratrice de toutes les Russies, qu'on lui donnoit en Pologne & ailleurs.


IMPERCEPTIBLEadj. (Gramm.) il se dit au simple de tout ce qui échappe par sa petitesse à l'organe de la vûe ; & au figuré, de tout ce qui agit en nous & sur nous d'une maniere fugitive & secrette qui échappe quelquefois à notre examen le plus scrupuleux. Il y a, je ne dis pas des élémens des corps, des corps composés, des mixtes, des sur-composés, des tissus, mais des corps organisés, vivans, des animaux qui nous sont imperceptibles, & ces animaux qui se dérobent à nos yeux & à nos microscopes, sont peut-être une vermine qui les dévore, & ainsi de suite. Qui sait où s'arrête la progression de la nature organisée & vivante ? Qui sait quelle est l'étendue de l'échelle selon laquelle l'organisation se simplifie ? Qui sait où aboutit le dernier terme de cette simplicité, où l'état de nature vivante cesse, & celui de nature brute commence ? Nous sommes quelquefois entraînés dans nos jugemens & dans nos goûts par des mouvemens de coeur & d'esprit qui, pour être très imperceptibles, n'en sont pas moins puissans.


IMPERFECTIONS. f. (Gramm.) voyez IMPARFAIT.


IMPERFORATIONS. f. (Chirurgie) maladie chirurgicale qui consiste dans la clôture des organes qui doivent naturellement être ouverts. L'anus, le vagin & l'urethre, sont les parties les plus sujettes à l'imperforation. Le défaut d'ouverture peut être accidentel à la suite des plaies, des ulceres ou des inflammations qui auront procuré l'adhérence des orifices de ces parties ; mais il est plus souvent un vice de premiere conformation.

M. Petit a donné des remarques sur les vices de conformation de l'anus, qui sont insérées dans le premier tome des Mém. de l'acad. royale de Chirurgie. L'auteur distingue les différens états de l'intestin fermé ; & d'après plusieurs observations, il indique les moyens qui conviennent pour en procurer l'ouverture. Le cas le plus épineux est lorsque la nature a, pour ainsi dire, oublié la partie du rectum qui doit former l'anus ; alors il n'y a aucune marque extérieure capable de diriger le chirurgien ; & il est certain qu'on ne peut réparer ce vice de conformation. Les enfans n'en meurent cependant pas tous ; car il est quelquefois possible de donner issue aux matieres fécales : M. Petit a imaginé à ce sujet un trocart dont la cannule est fendue des deux côtés ; il est plus gros & plus court que les trocarts ordinaires. Voyez TROCART. Il faut souvent faire une incision entre les fesses, & porter le doigt dans cette incision pour tenter la découverte de l'anus, & pouvoir porter le trocart dans l'intestin. Si l'on a réussi, on peut aggrandir l'ouverture en introduisant une lancette ou un bistouri dans la fente de la cannule : on ne risquera pas que la pointe de ces instrumens blesse aucune partie, parce qu'elle est toujours cachée dans la cannule dont elle garde le centre. Dans cette opération, le chirurgien doit tâcher de découvrir le centre du boyau qui doit former l'anus, & qui se présente ordinairement sous la forme d'une corde dure & compacte : car si l'on manque de passer par l'enceinte du muscle sphincter, s'il y en a un, l'enfant guéri aura nécessairement pendant toute sa vie une issue involontaire de matieres ; ce qui est un mal plus fâcheux que la mort n'est à cet âge. Malgré ces inconvéniens, qui sont souvent inévitables, le chirurgien doit procurer à tout événement l'évacuation des matieres retenues ; ce qui est fort facile, lorsque, comme il arrive souvent, il ne se trouve qu'une membrane à percer, ou qu'il y a ouverture externe & vestige d'anus. Voyez le Mém. de M. Petit.

L'urethre n'est jamais imperforé qu'il n'y ait une ouverture fistuleuse par où les urines ont un cours libre ; c'est un fait prouvé par un grand nombre d'observations. Si l'ouverture qui donne passage à l'urine se trouve au perinée ou à la verge, à une distance assez éloignée de l'extrémité du gland, il est impossible de réparer ce défaut, qui est un obstacle à la génération. Si l'ouverture étoit près du frein, on pourroit avec cet instrument convenable percer le gland jusqu'à l'urethre, & mettre une bougie dans cette ouverture : on pourroit ensuite, à l'aide d'une cannule, empêcher les urines de passer par l'ancienne ouverture, dont il faudroit consumer les bords avec quelques caustiques, pour, après la chûte de l'escare, réunir les parois de l'urethre. Cette opération a été pratiquée par le docteur Turner, chirurgien aggrégé au collége des Medecins de Londres. Voyez son traité des maladies de la peau.

Les femmes naissent souvent avec l'imperforation du vagin : cette maladie n'est pas si dangereuse que la clôture de l'anus ; les accidens qu'elle cause ne se manifestent que lorsque les regles surviennent. Fabrice d'Aquapendente, rapporte qu'une jeune fille qui s'étoit bien portée jusqu'à l'âge de 13 ans, commença à sentir des douleurs autour des lombes, & vers le bas du ventre, qui se communiquoient à la jointure de la hanche & aux cuisses ; les Medecins la traitoient comme si elle eût une goutte sciatique. Le corps s'exténua ; il survint une petite fiévre presque continue, avec dégoût, insomnie, & délire. Il se forma enfin une tumeur dure & douloureuse au bas du ventre, à la région de la matrice : on observa que tous ces accidens augmentoient régulierement tous les mois. L'auteur fut appellé à la derniere extrémité ; & ayant visité la malade, il fendit d'une simple incision la membrane hymen ; il sortit une grande quantité de sang épais, gluant, verdâtre, & puant, & à l'instant la malade fut délivrée comme par miracle de toutes ses incommodités.

Le docteur Turner rapporte un fait à-peu-près semblable ; une femme mariée, d'environ vingt ans, avoit le bas-ventre distendu comme si elle avoit été enceinte ; à l'examen des parties on trouva l'hymen sans aucune ouverture & débordant les grandes levres, comme si ç'eût été une chûte de matrice : il sortit par l'incision qu'on y fit quatre pintes de sang grumelé de couleurs & de consistances différentes, qui n'étoit que celui des regles supprimées. La malade guérit parfaitement & eut un enfant un an après. Son mari dit que les premieres approches leur avoient été fort douloureuses à l'un & à l'autre, mais qu'enfin il avoit trouvé un accès plus facile : Turner croit que c'étoit par l'orifice de l'urethre.

L'hymen sans être imperforé forme quelquefois une cloison qu'il est nécessaire d'inciser ; nous nous contenterons d'en rapporter l'exemple qui suit. Une femme de Hesse, au rapport de Moecius & de Schenckius, n'avoit au lieu de la grandeur ordinaire de la vulve, qu'un trou à admettre une plume : elle voulut néanmoins se marier, & vécut dans cet état avec son mari (fort paisible sans-doute sur l'article) pendant huit ans ; mais enfin il plaida pour le divorce. L'affaire fut portée devant le landgrave de Hesse, qui par l'avis des mages & de Dryander fameux praticien, ordonna que la femme fût opérée ; mais dans le cours de la cure, le bon homme mourut, laissa la jouissance de son épouse à un second mari qu'elle épousa bien-tôt après, & qui en eut un fils, dont le landgrave lui-même eut la bonté d'être parein.

Dionis (cours d'opérations), en parlant sur cette matiere, fait observer que l'étendue de l'incision dépend de la prudence du chirurgien. Si on consultoit, dit-il, le caprice de quelques maris, on les feroit très-petites : mais si on regarde l'avantage des femmes, on les fera plutôt grandes que petites, parce qu'elles accoucheront plus facilement.

Fabrice d'Aquapendente dit que la situation trop supérieure du trou de l'hymen est un obstacle au coït. Cet auteur fut consulté par une fille-de-chambre que quelques écoliers essayerent en vain de dépuceller, ce sont ses termes. Moi voyant, continue-t-il, qu'elle avoit le trou de l'hymen placé trop haut, & qu'il n'étoit pas directement opposé au vuide de la vulve, mais que néanmoins il donnoit passage aux menstrues, je lui dis de me venir trouver lorsqu'elle voudroit se marier, lui promettant lui ôter ce défaut, mais elle n'y est point venue : je crois qu'elle trouva bien quelque plus habile anatomiste que moi, qui lui enfonça son hymen. L'auteur se proposoit de lui fendre avec un bistouri la cloison membraneuse depuis le trou vers la fourchette, pour la rendre propre, dit-il, à souffrir l'accointance d'un mari. (Y)


IMPÉRIAL(Hist. mod.) ce qui appartient à l'empereur ou à l'empire. Voyez EMPEREUR & EMPIRE.

On dit sa majesté impériale, couronne impériale, armée impériale. Couronne impériale. Voyez COURONNE. Chambre impériale, est une cour souveraine établie pour les affaires des états immédiats de l'empire. Voyez CHAMBRE.

Il y a en Allemagne des villes impériales. Voyez aux articles suivans IMPERIALES villes.

Diete impériale, est l'assemblée de tous les états de l'empire. Voyez DIETE.

Elle se tient ordinairement à Ratisbonne ; l'empereur ou son commissaire, les électeurs, les princes ecclésiastiques & séculiers, les princesses, les comtes de l'empire, & les députés des villes impériales y assistent.

La diete est divisée en trois colléges, qui sont ceux des électeurs, des princes, & des villes. Les électeurs seuls composent le premier, les princes, les prélats, les princesses & les comtes le second, & les députés des villes impériales, le troisieme.

Chaque collége a son directeur qui propose & préside aux délibérations. L'électeur de Mayence l'est du collége des électeurs, l'Archevêque de Saltzbourg & l'archiduc d'Autriche, président à celui des princes ; & le député de la ville de Cologne, ou de toute autre ville impériale où se tient la diete, est directeur du collége des villes.

Dans les dietes impériales, chaque principauté a sa voix ; mais les prélats (c'est ainsi qu'on appelle les abbés & prevôts de l'empire) n'ont que deux voix, & tous les comtes n'en ont que quatre.

Quand les trois colléges sont d'accord, il faut encore le consentement de l'empereur, & sans cela les résolutions sont nulles : s'il consent on dresse le recès ou résultat des résolutions, & tout ce qu'il porte est une loi, qui oblige tous les états médiats & immédiats de l'empire. Voyez RECES DE L'EMPIRE, DIETE, COLLEGE.

IMPERIALES (villes), Droit public german. en allemand reichs sttadte. On appelle villes libres & impériales, certaines villes, qui ne reconnoissant point de souverain particulier, sont immédiatement soumises à l'empire & à son chef qui est l'empereur. Ces villes se trouvant exemptes de la jurisdiction du souverain, dans les états duquel elles sont situées, ont séance & droit de suffrage à la diete de l'empire, comme en étant des états immédiats ; autrefois les villes médiates y avoient aussi le même droit, mais elles en sont excluses aujourd'hui ; c'est pour cela que Brème & Hambourg n'en jouissent point.

On ne convient pas de l'origine des villes impériales, mais elle ne peut remonter que depuis Charlemagne, qui le premier donna lieu à murer les villes en Allemagne. On commença par les monasteres, afin de garantir des religieux & des religieuses desarmés contre les insultes des barbares. On fit la même chose pour les cités où demeuroient les évêques, auxquels on permit de faire murer leur résidence. Henri l'Oiseleur acheva d'établir l'usage des villes, en établissant des marchés dans les villes, & en les fortifiant pour la défense de l'empire.

Le nombre des évêques & des ducs s'augmentant de jour en jour, fit aussi multiplier les villes ; les empereurs qui seuls avoient le privilége de donner les droits municipaux à une nouvelle ville, accorderent aux évêques, aux ducs, & aux comtes, la permission d'en bâtir. Ensuite l'abus que plusieurs ducs & comtes firent de leur autorité, & l'oppression qu'ils exercerent, ayant causé des desordres dans l'empire, donna quelquefois occasion aux empereurs de soustraire certaines villes à la jurisdiction de ces seigneurs.

Les évêques n'eurent pas d'abord la souveraineté de leurs métropoles, qui ne reconnoissoient que les empereurs & leurs officiers ; mais ces prélats ayant avec le tems obtenu des états en souveraineté, voulurent l'exercer aussi sur leurs métropoles. De-là tant de querelles entre les évêques & les villes métropolitaines, & qui ont été différemment terminées. Quelques-unes de ces villes, comme Cologne, Lubeck, Worms, Spire, Augsbourg, ont conservé leur liberté : d'autres, comme Munster, Osnabrug, Treves, Magdebourg, ont été obligées de reconnoître la jurisdiction de leurs évêques pour le temporel.

Les ligues auxquelles donnerent occasion les interregnes & les troubles de l'empire, telle que fut celle du Rhin, la Hanse teutonique, la confédération de Souabe, furent cause que diverses villes se voyant appuyées par une alliance, devinrent indépendantes. Quoiqu' avec le tems la plûpart ayent été contraintes de rentrer sous l'obéissance, à mesure que le pouvoir de leurs anciens souverains croissoit, il s'en trouve néanmoins qui ont tenu tête aux princes qui vouloient les réduire, & qui ont eu le bonheur de conserver malgré eux leur liberté. D'autres se sont maintenues dans la possession de plusieurs grands priviléges ; telles sont les villes de Brunswick, Rostock, Wismar, Stralsund, Osnabrug, Herford.

Il est encore arrivé que durant les guerres civiles, des villes se sont attachées au parti de l'empereur, qui pour les récompenser, les a honorées des priviléges de villes impériales. Lubeck fut redevable de sa liberté à la proscription de Henri le Lion. D'autres villes étant riches, & leurs souverains dans le besoin, ou portés de bonne volonté pour elles, ont pu racheter leur liberté pour de l'argent ; c'est ce qu'a fait la ville de Lindau ; Ulme se conduisit de même envers l'abbaye de Reichenaw, racheta d'elle à beaux deniers comptans son indépendance, & pour lors Louis de Baviere la déclara ville impériale.

Plusieurs villes impériales ont été sujettes dans le cours des siecles à diverses révolutions ; telles, quoiqu' impériales, ont été forcées de se soûmettre à leurs évêques, & telles autres ont été engagées par les empereurs ; mais aujourd'hui la plûpart ont obtenu le privilége de ne pouvoir être engagées. Plusieurs de ces villes s'étant trouvées plus foibles que les princes contre lesquels elles étoient en guerre, sont restées sous la domination des vainqueurs : telles sont Attembourg, Chemnitz, Zwickau, autrefois villes impériales ; & enfin subjuguées par Fréderic marggrave de Misnie. Constance ayant refusé de recevoir l'interim, a été mise au banc de l'empire par Charles-Quint, & forcée de se soumettre ; d'autres villes impériales ont été absolument perdues pour l'empire, comme Basle, Berne, Zurich, qui aujourd'hui sont du corps de la république des Suisses. Metz, Toul, & Verdun, par la paix de Munster ; Strasbourg & autres par la paix de Ryswick, ont été cédées à la France.

On partage présentement les villes impériales d'Allemagne sous deux bancs, qui sont celui du Rhin, & celui de Suabe. Voyez IMPERIALES villes (Géog.).

Mais il faut lire Struvii syntagma Juris publici, Jenae 1711. in-4 °. pour de plus amples instructions sur l'origine, les droits, & les priviléges des villes nommées impériales. (D.J.)

IMPERIALE (ville) Géogr. ville immédiatement soumise à l'empire, & à son chef. Voyez l'article IMPERIALES (villes) Droit public german. On compte présentement quarante-neuf villes impériales, divisées en deux bancs, qui sont ceux du Rhin & de Suabe.

Les villes du banc du Rhin, au nombre de treize, sont Cologne, Aix-la Chapelle, Lubeck, Worms, Spire, Francfort sur le Mein, Goslar, Mulhausen, Nordhausen, Wetzlar, Gelnhausen, Dortmund & Friedberg.

Celles du banc de Suabe, au nombre de trente-six, sont Ratisbonne, Augsbourg, Nuremberg, Ulm, Memmingen, Kaufbeuren, Eslingen, Reutlingen, Nordlingen, Dunckelspihel, Biberach, Aalen, Bopfingen, Gihengen, Rotenbourg, Halle, Rotweil, Uberlingen, Pfullendorf, Weil, Hailbron, Buchorn, Wangen, Gemnid, Lindau, Ravensbourg, Winsheim, Wimpfen, Offembourg, Zell, Buchau, Leutkirk, Schweinfurt, Kempten, Weissembourg, & Gengenbach.

Il y a eu plusieurs autres villes impériales qui ont été démembrées, soit par cession, soit par aliénation des empereurs ; il y en avoit huit à dix dans l'Alsace seule, Strasbourg, Haguenau, Colmar, Schelstat, Landau, Keisersberg, Rosheim, Turcheim, &c. conquises par Louis XIV. & sur lesquelles l'Empire a cédé son droit de souveraineté à la France.

Les villes impériales subsistantes, font le troisieme collége de la diete ; mais ce collége des villes n'est presque plus aux dietes que le témoin de ce qui se passe entre les deux autres colléges, celui des électeurs & celui des princes. Il est vrai que le collége des villes a droit de connoitre de toutes les affaires qui concernent l'Empire ; mais ce droit ne consiste guere à consulter, il consiste seulement à conclure au point que ses résolutions n'ont aucune force, si elles sont différentes de celles des deux autres colléges que je viens de nommer. Le directoire de celui-ci est tenu d'ordinaire par le magistrat de la ville impériale où la diete est convoquée ; & si c'est dans une ville qui ne soit pas impériale, la premiere ville de chaque banc le fait exercer alternativement par son syndic. (D.J.)

* IMPERIALES, s. f. pl. (Manufact. d'ourdissage) serges fabriquées de laine fine de toison du pays de Languedoc, ou de laine d'Espagne de pareille qualité.

Elles auront quarante-trois portées & demi de quarante fils chacune, faisant dix-sept cent quarante fils, qui seront passés dans des peignes larges de quatre pans, pour avoir quatre pans moins un pouce au sortir du métier, & trois pouces & demi au retour du foulon.

Celles du Gevaudan seront de dix-neuf portées de quatre-vingt-seize fils chacune, & passées en peignes ou rots de quatre pans moins un doigt, pour avoir en toile quatre pans moins deux doigts de large, & au retour du foulon trois pans & demi, mesure de Montpellier, ou trois quarts d'aune, mesure de Paris.

Nous avons douze cannes quatre pans de longueur en toile, pour revenir à douze cannes foulées, ou vingt aunes de Paris. Libre aux manufacturiers de doubler ou tripler cette longueur, sauf l'attention de les marquer par des montres placées à chaque douze cannes quatre pans, qu'ils seront obligés de couper avant que de les exposer en vente.

Et les ouvriers mettront à un coin du chef de chaque piece le nom du lieu, avec du fil ou coton, si la piece est en toile.

Les tondeurs payeront cinquante livres d'amende, si pliant quelque piece, ils laissent dehors le bout où sera le nom du lieu de la fabrique. Combien de sottises ! sans compter la défense de sortir ces étoffes de la province, sans avoir été visitées & marquées à Montpellier & à Nismes par les inspecteurs.

IMPERIALE, s. f. (Menuiserie) est le chassis d'un lit, ou le dessus de la caisse d'un carrosse.

IMPERIALE, (Jeu) nom d'une sorte de jeu de cartes qu'on croit, avec quelque vraisemblance, avoir été ainsi nommé, parce que ce fut un empereur qui le mit le premier en crédit. On le joue comme le piquet à deux personnes, & à trente-deux cartes, le roi, dame, valet, as, dix, neuf, huit & sept. Il y a quelques provinces où on le joue à 36 cartes, y ajoûtant les six de chaque couleur.

On convient de ce que l'on veut jouer avant de commencer, & à combien d'impériales se jouera la partie. Le nombre ordinaire des impériales, dont est composée une partie, est de cinq ; mais on peut l'augmenter & le diminuer au gré des joueurs, qui peuvent être trois si on le juge à propos, en jouant toutefois nécessairement avec trente-six cartes.

C'est un avantage pour celui qui donne ; celui qui tire la plus haute carte fait, en quoi l'impériale est différente du piquet où la plus haute carte fait battre & donner les cartes par son adversaire.

Celui qui fait commence donc à donner les cartes alternativement à soi-même ou à son adversaire deux à deux ou trois à trois, il tourne ensuite la carte qui est immédiatement derriere le talon, & cette carte s'appelle la triomphe. Voyez TRIOMPHE.

Au jeu de l'impériale, les cartes ont toûjours la même valeur, & cette valeur est aussi la même qu'à tous les autres jeux de cartes selon l'ordre qui suit, le roi, la dame, le valet, l'as, le dix, neuf, huit, sept & six, la plus forte enlevant toûjours la plus foible.

Lorsque l'on joue à trois, il ne reste point de cartes ; & celui qui fait tourne la derniere des cartes qu'il se donne, & c'est la triomphe du coup.

Le premier à jouer assemble d'abord toutes les cartes de la même couleur comme au jeu de piquet, & fait son point de même. Si son adversaire ne le pare avec un plus haut, il compte quatre points, & en cas d'égalité, c'est le premier en cartes qui compte par droit de primauté.

S'il a quelque impériale, il doit la montrer avant que d'accuser son point, sans quoi elle ne lui vaudroit rien. Voyez IMPERIALES.

Celui qui a dans son jeu le roi, la dame, le valet & l'as de la couleur dont il tourne, compte pour cela deux impériales. Ces impériales étalées sur la table, on compte alors le point, comme on l'a déja dit plus haut ; & celui qui est le premier à jouer, jette une carte, celle de son jeu qu'il juge à propos, forçant son antagoniste de prendre, s'il peut, avec une carte de la même couleur, & de couper s'il n'en a point.

Après que l'on a joué de la sorte toutes les cartes, celui qui a plus de mains compte quatre points pour chaque levée qu'il a de plus que les six qu'il doit avoir, & il les marque pour lui.

Si l'on joue à trois, le premier à jouer est obligé de faire atout. Le reste du jeu se joue comme à deux ; car si l'on fait plus de quatre levées, on marque quatre points pour celles qu'on a de plus.

Quant à la maniere dont on marque ses points au jeu de l'impériale, on le fait avec des fiches & des jettons ; les fiches servent à marquer les impériales, & les jettons tous les quatre points dûs à ceux qui font plus de six levées à deux, & de quatre à trois ; & lorsque l'on a six jettons de marqués, l'on les leve & l'on met une fiche à leur place, parce que six jettons font 24 points qui valent une impériale.

Si celui qui a fait, tourne un honneur, il marque pour lui un jetton.

Celui qui coupe avec le six de triomphe, ou avec le sept à son défaut, ou même l'as, le valet, la dame, le roi, ou bien jouant ce six ou ce sept autrement, & faisant la main, marque autant de jettons qu'il a levé d'honneurs.

Celui qui ne fait point la levée avec un honneur qu'il a joué, son adversaire en ayant un plus fort que le sien, ne compte point pour l'honneur qu'il a joué ; mais celui qui l'a pris, marque pour les deux qu'il a levé. De même, celui qui ayant joué le six de triomphe ou le sept, s'il n'y a point de six, perdroit la main que l'autre leveroit par une triomphe qui ne seroit pas un honneur, il ne laisseroit pas de marquer à son avantage l'honneur qu'il leveroit, encore qu'il ne l'ait pas joué. Ayant fini de jouer ses cartes, un joueur qui en trouve de plus que les douze qu'il doit avoir de son jeu, marque quatre points pour chaque levée qu'il a de surplus que l'autre.

Nous avons dit que vingt-quatre points faisoient une impériale. Mais ces points pris à plusieurs fois, peuvent être effacés, s'il y en a moins que vingtquatre. Par exemple, si un joueur avoit marqué du coup précédent, dix, quinze ou vingt points, moins ou plus, pourvû que cela n'aille pas à vingt-quatre, & que son adversaire se trouve avoir une impériale en main le coup d'après, ou retournée, elle rendroit ses points nuls, & il seroit obligé de les démarquer, sans que celui qui auroit une impériale démarquât rien, à moins que son adversaire n'en eût une aussi.

L'impériale que l'on marque pour six jettons assemblés en divers coups, efface de même les points que l'adversaire peut avoir.

On doit commencer à compter par la tourne, puis les impériales que l'on a en main, ou celles qui sont retournées & le point, les honneurs suivent le point, & ensuite ce que l'on a levé de cartes de plus que celles de son jeu.

A l'égard des regles prescrites dans le jeu de l'impériale, elles sont d'autant moins variables qu'elles sont fondées sur la maniere dont il se joue, & tirées du fond même de ce jeu, comme on peut le voir dans les suivantes. Lorsque le jeu se trouve faux, c'est-à-dire, lorsque le nombre des cartes n'y est pas, le coup où l'on s'en apperçoit est nul, mais les précédens sont bons, & valent de même que si le jeu eut été complet.

On doit faire refaire, s'il y a quelques cartes retournées dans le jeu.

Celui qui renonce, c'est-à-dire, ne joue pas de la couleur qu'on lui a demandée, en ayant dans son jeu, perd deux impériales. Les cartes ne se donnent que par trois ou par quatre.

Qui oublie de compter son point, ne peut le compter après le coup, non plus que les impériales.

Pour compter ses impériales, il faut les avoir accusées devant le point.

On ne peut mêler son jeu au talon, sous peine de perdre la partie.

Qui donne mal, perd son tour & une impériale.

Le jeu est bon, quoiqu'il y ait une carte de retournée au talon.

On compte quatre points pour un honneur qu'on a levé, soit qu'on l'ait jetté ou non.

On perd une impériale, lorsque pouvant prendre une impériale, on ne le prend pas, soit qu'on ait de la couleur jouée, soit qu'on manque à couper quand on le peut.

Une impériale en main ou retournée, lorsqu'elle vaut, efface les points que son adversaire a. Il en est de même de l'impériale faite de six jettons assemblés à diverses reprises.

On profite des fautes que son adversaire fait, & on marque les impériales qu'il perd.

Une impériale faite avec des points des cartes qui surpassent le nombre de celles de son jeu, ne laisse aucuns points marqués à l'autre joueur ; au lieu qu'une impériale finie par les honneurs, ne peut point empêcher de marquer ce que l'on gagne de cartes.

La tourne est reçûe à finir la partie par préférence à une impériale en main.

L'impériale en main passe devant une impériale tournée, si elle a lieu. L'impériale tournée devant le point, le point devant l'impériale qu'on fait tomber, & celle-ci devant les honneurs, & les honneurs devant les cartes qui font les derniers points du jeu à compter.

L'impériale retournée & celle que l'on fait tomber, n'ont lieu que lorsque l'on joue sans restriction. Voyez IMPERIALE RETOURNEE & IMPERIALE qu'on fait tomber.

L'impériale qu'on fait tomber n'a lieu que dans la couleur qui est triomphe.

L'impériale de triomphe en main, en vaut deux sans compter la marque des honneurs. Celui qui est le premier en cartes, marque son point par droit de primauté, quand l'autre joueur l'a égal. On ne quitte point la partie sans le consentement respectif des joueurs, sous peine de la perdre.

IMPERIALE, en termes du jeu de ce nom, signifie un certain nombre de cartes formant entr'elles une séquence réguliere, ou étant toutes d'une même valeur. Il y a plusieurs sortes d'impériales, comme sous les noms de premiere, seconde impériales, d'impériales tournées ou retournées, & d'impériales qu'on fait tomber. Voyez chacun de ces mots à leur article.

IMPERIALE RETOURNEE est celle qui se fait lorsqu'ayant dans sa main trois cartes de la même valeur ou de la même couleur, on tourne la quatrieme, après avoir donné les cartes qu'il faut donner à chacun.

IMPERIALE qu'on fait tomber est celle qu'on acheve avec des triomphes qu'on leve, n'en ayant dans sa main qu'une partie de ce qu'il en faut pour faire une impériale.

IMPERIALE (premiere) est un assemblage de quatre cartes de la même valeur, comme les quatre rois, les quatre dames, les quatre valets, les quatre sept, si le jeu n'a que trente-deux cartes, & les quatre six s'il en a trente-six.

IMPERIALE (seconde) c'est une séquence de quatre cartes de la même couleur, comme le roi, la dame, le valet & l'as.

IMPERIALE, (Géogr.) ville de l'Amérique méridionale au Chili, à quatre lieues de la mer du Sud, au bord de la riviere de Cauter. Elle a été fondée par le gouverneur Pierre Valdivia en 1551, à 39 lieues de la Conception, où l'évêque s'est retiré depuis la prise de la ville par les Indiens. Elle est dans un pays charmant, sur une roche escarpée ; mais il lui manque un bon port, à cause des bancs de sable, qui y mettront toûjours un obstacle invincible. Long. 305. latit. mérid. 38. 40. (D.J.)


IMPÉRIEUX(Gram. & Morale) on le dit de l'homme, du caractere, du geste & du ton. L'homme impérieux veut commander par-tout où il est ; cela est dans son caractere ; il a le ton haut & fier, & le geste insolent. Les hommes impérieux avec leurs égaux sont impertinens, ou vils avec leurs supérieurs ; impertinens, s'ils demeurent dans leurs caracteres ; vils, s'ils en descendent. Si les circonstances favorisoient l'homme impérieux, & le portoient aux premiers postes de la société, il y seroit despote. Il est né tyran, & il ne songe pas à s'en cacher. S'il rencontre un homme ferme, il en est surpris ; il le regarde au premier coup d'oeil comme un esclave qui méconnoit son maître. Il y a des amis impérieux ; tôt ou tard on s'en détache. Il y a peu de bienfaiteurs qui ayent assez de délicatesse pour ne le pas être. Ils rendent la reconnoissance onéreuse, & font à la longue des ingrats. On s'affranchit quelquefois de l'homme impérieux par les services qu'on en obtient. Il contraint son caractere, de peur de perdre le mérite de ses bienfaits. L'amour est une passion impérieuse, à laquelle on sacrifie tout. Et en effet, qu'est ce qu'il y a à comparer à une femme, à une belle femme, au plaisir de la posséder, à l'ivresse qu'on éprouve dans ses embrassemens, à la fin qui nous y porte, au but qu'on y remplit, & à l'effet dont ils sont suivis ?

Les femmes sont impérieuses ; elles semblent se dédommager de leur foiblesse naturelle par l'exercice outré d'une autorité précaire & momentanée. Les hommes impérieux avec les femmes, ne sont pas ceux qui les connoissent le plus mal ; ces rustres-là semblent avoir été faits pour vanger d'elles les gens de bien qu'elles dominent, ou qu'elles trahissent.


IMPÉRISSABLEadj. (Gram. & Philosoph.) qui ne peut périr. Ceux qui regardent la matiere comme éternelle, la regardent aussi comme impérissable. Rien, selon eux, ne se perd de la quantité du mouvement, rien de la quantité de la matiere. Les êtres naissans s'accroissent & disparoissent, mais leurs élémens sont éternels. La destruction d'une chose a été, est & sera à jamais la génération d'une autre. Ce sentiment a été celui de presque tous les anciens Philosophes, qui n'avoient aucune idée de la création.


IMPÉRITIMPÉRITIE, (Gram.) ignorance des choses de l'état qu'on professe. Un juge, un avocat, un ecclésiastique, un notaire, un érudit, un médecin, un chirurgien, peuvent être accusés d'impéritie. Impéritie est un peu plus d'usage qu'impérit. Cependant on lit, école du monde : " le bon prélat Salcidius fut tellement pénétré de l'esprit du népotisme, que quoique son neveu, très- impérit en toutes choses, eût une femme vivante & des enfans, il trouva le moyen de le faire prêtre, chanoine, official, grand-vicaire, & surintendant du temporel & du spirituel de son évêché ". Voyez le diction. de Trévoux.


IMPERIUM(Littér.) ce mot qu'on ne peut rendre en françois que par périphrase, & qu'on trouve si souvent dans les auteurs, mérite une explication. Il faut savoir, que lorsqu'il regarde le consul ou le préteur qu'on envoyoit gouverner les provinces, ce consul ou préteur partoit avec deux sortes de puissance, dont l'une se nommoit potestas, & l'autre imperium ; la premiere étoit le droit de jurisdiction sur les personnes ; droit qui étoit déféré par un décret du sénat ; mais la seconde se conféroit par une loi que le peuple assemblé faisoit exprès. Cette derniere puissance consistoit dans un pouvoir suprème donné au consul ou au préteur sur les gens de guerre, comme gens de guerre ; ensorte qu'alors ils avoient sur le militaire pouvoir de vie & de mort, sans forme de procès, & sans appel. Cette grande prérogative se nommoit en un seul mot imperium ; prérogative dont le peuple romain retint toûjours à lui la collation, la continuation, ou prorogation. Quand c'étoient des magistrats ordinaires, qu'il falloit envoyer dans les provinces, le peuple assemblé par curies, leur conféroit ou leur refusoit le pouvoir nommé imperium. De même si c'étoit à quelque personne privée que le gouvernement d'une province fût accordé, par la recommandation de son rare mérite, le peuple s'assembloit par tribus pour lui conférer la puissance nommée imperium. Il résulte de-là, que potestas senatus-consulto, imperium lege deferebatur. (D.J.)


IMPERSONNELadject. (Gramm.) le mot personnel signifie qui est relatif aux personnes, ou qui reçoit des inflexions relatives aux personnes. C'est dans le premier sens, que les Grammairiens ont distingué les pronoms personnels, parce que chacun de ces pronoms a un rapport fixe à l'une des trois personnes : & c'est dans le second sens que l'on peut dire que les verbes sont personnels, quand on les envisage comme susceptibles d'inflexions relatives aux personnes. Le mot impersonnel est composé de l'adjectif personnel, & de la particule privative in : il signifie donc, qui n'est pas relatif aux personnes, ou qui ne reçoit pas a'inflexions relatives aux personnes. Les Grammairiens qualifient d'impersonnels certains verbes qui n'ont, disent-ils, que la troisieme personne du singulier dans tous leurs tems ; comme libet, licet, evenit, accidit, pluit, lucescit, oportet, piget, poenitet, pudet, miseret, taedet, itur, fletur, &c. Cette notion, comme on voit, s'accorde assez peu avec l'idée naturelle qui résulte de l'étymologie du mot ; & même elle la contredit, puisqu'elle suppose une troisieme personne aux verbes que la dénomination indique comme privés de toutes personnes.

Les Grammairiens philosophes, comme Sanctius, Scioppius, & l'auteur de la Grammaire générale, ont relevé justement cette méprise ; mais ils sont tombés dans une autre : ils ne se contentent pas de faire entrer dans la définition des verbes impersonnels, la notion des personnes ; ils y ajoûtent celle des tems & des nombres : quod certâ personâ non finitur, sed nec numerum aut tempus certum habet, ut amare, amavisse, dit Scioppius (Gram. philos. de verbo) ; impersonale illud omninò deberet esse, quòd personis, numeris, & temporibus careret, quale est amare & amari, dit Sanctius, (Minerv. lib. I. cap. xij.) N'est-il pas évident que les idées du nombre & du tems ne font rien à l'impersonnalité ? D'ailleurs, pour donner en ce sens la qualification d'impersonnels aux infinitifs amare, amavisse, amari, & semblables, il faut supposer que les infinitifs n'admettent aucune différence de tems, ainsi que le prétend en effet Sanctius (ibid. cap. xiv.) mais c'est une erreur fondée sur ce que ce savant homme n'avoit pas des tems une notion bien exacte ; la distinction en est aussi réelle à l'infinitif qu'aux autres modes du verbe. (Voyez INFINITIF & TEMS) & l'auteur de la Grammaire générale (Part. II. ch. xix.) semble y avoir fait attention, lorsqu'il attribue au verbe impersonnel de marquer indéfiniment, sans nombre & sans personne.

En réduisant donc l'idée de la personnalité & de l'impersonnalité à la seule notion des personnes, comme le nom même l'exige ; ces mots expriment des propriétés, non d'aucun verbe pris dans sa totalité, mais des modes du verbe pris en détail : de maniere que l'on peut distinguer dans un même verbe, des modes personnels & des modes impersonnels ; mais on ne peut dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

Les modes sont personnels ou impersonnels, selon que le verbe y reçoit ou n'y reçoit pas des inflexions relatives aux personnes ; & cette différence vient de celle des points de vûe sous lesquels on y envisage la signification essentielle du verbe. Voyez MODES.) L'indicatif, l'impératif, & le subjonctif, sont des modes personnels ; l'infinitif & le participe sont des modes impersonnels. Les premiers sont personnels, parce que le verbe y reçoit des inflexions relatives aux personnes : à l'indicatif, 1. amo, 2. amas. 3. amat ; à l'impératif 2. ama ou amato, 3. amato ; au subjonctif, 1. amem, 2. ames, 3. amet. Les derniers sont impersonnels, parce que le verbe n'y reçoit aucune inflexion relative aux personnes : à l'infinitif, amare & amavisse n'ont de rapport qu'au tems ; au participe, amatus, a, um, amandus, a, um, ont rapport au tems, au genre, au nombre, & au cas, mais non pas aux personnes.

Or il n'y a aucun verbe, dont la signification essentielle & générique ne puisse être envisagée sous chacun des deux points de vûe qui fondent cette différence de modes : on ne peut donc dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

On m'objectera peut-être que la signification des mots étant arbitraire, les Grammairiens ont pu donner la qualification d'impersonnels à certains verbes défectifs qui n'ont que la troisieme personne du singulier, & qui s'emploient sans application à aucun sujet déterminé ; qu'en ce cas, leur usage devient pour nous une loi inviolable, malgré toutes les raisons d'analogie & d'étymologie que l'on pourroit alléguer contre leur pratique.

Je connois toute l'étendue des droits de l'usage en fait de langue : mais j'observerai avec le P. Bouhours, (Rem. nouv. tom. ij. pag. 340.) que comme il y a un bon usage qui fait la loi en matiere de langue, il y en a un mauvais contre lequel on peut se révolter justement ; & la prescription n'a point lieu à cet égard : j'ajoûterai avec M. de Vaugelas, (Rem. sur la langue franç. tom. I. préf. pag. 20.) que le mauvais usage se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur ; que le bon au contraire est composé, non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix ; & que c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues. Si ces deux écrivains, reconnus avec justice pour les plus sûrs appréciateurs de l'usage, ont pu en distinguer un bon & un mauvais dans le langage national, & faire dépendre le bon de l'élite, & non de la pluralité des voix ; combien n'est-on pas plus fondé à suivre la même regle en fait du langage didactique, où tout doit être raisonné, & transmettre avec netteté & précision les notions fondamentales des Sciences & des Arts ? Si l'usage, dit encore M. de Vaugelas, (ibid. pag. 19.) n'est autre chose, comme quelques-uns se l'imaginent, que la façon ordinaire de parler d'une nation dans le siége de son empire ; ceux qui y sont nés & élevés, n'auront qu'à parler le langage de leurs nourrices & de leurs domestiques pour bien parler la langue de leur pays. J'en dis autant du langage didactique : s'il ne faut qu'adopter la façon ordinaire de parler de ceux qui se mêlent d'expliquer les principes des Arts & des Sciences ; il n'y a plus de choix à faire, les termes techniques ne feront plus techniques, par la raison même que souvent ils seront introduits par le hasard, ou même par l'erreur, plûtôt que par la réflexion & par l'art.

Tel est en effet le mot impersonnel ; on l'applique mal, & il suppose faux. J'ai déja fait sentir qu'il est mal appliqué, quand j'ai remarqué qu'il désigne comme privés de toutes personnes les prétendus verbes impersonnels, dans lesquels on reconnoît néanmoins une troisieme personne du singulier. Pour ce qui est de la supposition de faux, elle consiste en ce que les Grammairiens s'imaginent que ces verbes s'emploient sans application à aucun sujet déterminé, quoiqu'ils ne soient pas à l'infinitif, qui est le seul mode où le verbe puisse être dans cette indétermination. Voyez INFINITIF.

Mais ne nous contentons pas d'une remarque si générale ; peut-être ne seroit-elle pas suffisante pour les Grammairiens qu'il s'agit de convaincre. Entrons dans une discussion détaillée des exemples les plus plausibles qu'ils alleguent en leur faveur. Ces verbes prétendus impersonnels sont de deux sortes ; les uns ont une terminaison active, & les autres une terminaison passive.

I. Parmi ceux de la premiere sorte, arrêtons-nous d'abord à cinq, qui dans les rudimens font ordinairement une figure très-considérable ; savoir miseret, piget, poenitet, pudet, taedet. On a déjà indiqué, article GENITIF, que ces verbes étoient réellement personnels, & appliqués à un sujet déterminé : le génitif qui les accompagne pour l'ordinaire, suppose un nom appellatif qui le précede dans l'ordre analytique, & dont il doit être le déterminatif ; que feroit-on de ce nom appellatif communément sousentendu, si on ne le mettoit au nominatif comme sujet grammatical des verbes en question ? On trouve à l'article GENITIF, plusieurs exemples où l'on a suppléé ainsi ce nom ; mais on ne s'y est autorisé pour le faire, que d'un seul texte de Plaute, (stich. in arg.) & me quidem haec conditio nunc non poenitet, (& à la vérité cette condition ne me peine point à présent) ; explication littérale, qui fait assez sentir combien est possible l'application de ce verbe à d'autres sujets. Voici des preuves de fait pour les autres. On lit dans Valerius Flaccus, (lib. II. de Vulcano), Adelinem scopulo inveniunt, miserentque, foventque ; où l'on voit miserent au pluriel, & appliqué au même sujet que les deux autres verbes inveniunt & fovent. Plaute nous fournit un passage où piget & pudet tout-à-la-fois sont appliqués personnellement, s'il est possible de le dire : quod pudet faciliùs fertur quàm illud quod piget ; (in Pseud.) Lucain emploie pudebunt au pluriel ; semper metuit quem saeva pudebunt supplicia ; & l'on trouve pudent dans Térence, non te haec pudent ? (in Adelph.) Pour ce qui est de taedet, on le trouve avec un sujet au nominatif dans Séneque, (lib. I. de irâ) ira ea taedet quae invasit : & Aulu-Gelle, (lib. I.) s'en sert même au pluriel ; verbis ejus defatigati pertaeduissent.

S'il s'agit des verbes qui expriment l'existence des météores & autres phénomenes naturels, comme pluit, fulminat, fulgurat, lucescit ; ils sont dans le même cas que les précédens. On trouve dans les écrivains les plus sûrs, des exemples où ils sont accompagnés de sujets particuliers, comme tous les autres verbes reconnus pour personnels. Malum quam impluit caeteris, non impluat mihi ; (Plaut. Mostell.) Multus ut in terras deplueritque lapis ; (Tib. lib. II.) non densior aëre grando, nec de concussâ tantum pluit ilice glandis ; (Virg. Geor. IV.) Fulminat Aeneas armis ; (Id. Aen. XII.) Antra aetnea tonant (Id. Aen. VIII.) Et elucescet aliquando ille dies ; (Cic. pro Mil.) Vesperascente coelo Thebas possunt pervenire (Corn. Nep. Pelop.) Il seroit superflu d'accumuler un plus grand nombre d'exemples ; mais je remarquerai que la maniere dont quelques grammairiens veulent que l'on supplée le sujet de ces verbes, lorsqu'il n'est pas exprimé, ne me paroît pas assez juste : ils veulent qu'on leur donne un sujet cognatae significationis, c'est-à-dire un nom qui ait la même racine que le verbe, & que l'on dise par exemple pluvia pluit, fulmen fulminat, fulgur fulgurat, lux lucescit. C'est introduire gratuitement un pléonasme ; ce qu'on ne doit jamais se permettre qu'en faveur de la netteté ou de l'énergie. On a voulu indiquer un moyen général de suppléer l'ellipse ; mais ne vaudroit-il pas mieux renoncer à cette vûe, que de lui sacrifier la justesse de l'expression, comme il semble qu'on la sacrifie en effet dans lux lucescit ? Lux signifie proprement la splendeur du corps lumineux ; lucescit veut dire acquiert des degrés de splendeur ; car lucescere est un verbe inchoatif. Voyez INCHOATIF. Réunissez ces deux traductions, & jugez ; la splendeur acquiert des degrés de splendeur ! Consultons les bonnes sources, & réglons-nous dans chaque occurrence sur les exemples les plus analogues que nous aurons trouvés ailleurs : c'est, je crois, la regle générale la plus sûre que l'on doive proposer, & qu'il faille suivre.

Parcourons encore quelques verbes de terminaison active, prétendus impersonnels par la foule des grammatistes, & cependant appliqués par les meilleurs auteurs à des sujets déterminés, quelquefois même au nombre pluriel.

Accidit. Qui dies quàm crebro accidat, experti debemus scire ; (Cic. pro Mil.) En accido ad tua genua ; (Tacit.)

Contingit. Nam neque divitibus contingunt gaudia solis. (Hor. epist. I. 17.)

Decet. Nec velle experiri quàm se aliena deceant ; id enim maximè quemque decet quod est cujusque maximè suum. (Cic. Offic. I.)

Libet & lubet. Nam quod tibi lubet, idem mihi libet. (Plaut. Mostell.)

Licet. Non mihi idem licet quod iis qui nobili genere nati sunt. (Cic.)

Licet & oportet. Est enim aliquid quod non oporteat, etiamsi liceat ; quidquid verò non licet, certè non oportet. (Cic. pro Balbo.)

Oportet. Haec facta ab illo oportebant. (Terent.) Adhuc Achillis quae adsolent, quaeque oportent signa ad salutem esse, omnia huic esse video. (Id.)

Si nous trouvons ces verbes appliqués à des sujets déterminés dans les exemples que l'on vient de voir, pourquoi faire difficulté de reconnoître qu'il en est encore de même, lorsque ces sujets ne sont pas exprimés, ou qu'ils sont moins apparens ? Me liceat casum miserari insontis amici ; (Aen. V.) le sujet de liceat dans ce vers, c'est me miserari casum insontis amici : c'est la même chose dans ce texte d'Horace, Licuit semperque licebit signatum praesente nota producere nomen ; (art poet. 58.) le sujet grammatical de licuit & de licebit, c'est l'infinitif producere ; le sujet logique, c'est signatum praesente notâ producere nomen. On lit dans Corn. Nepos, (Milt. 1.) Accidit ut Athenienses Chersonesum colonos vellent mittere ; la construction pleine montre clairement le sujet du verbe accidit : c'est res accidit ita ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum ; ou bien, haec res, ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum accidit : selon la premiere maniere, le nom sous-entendu res est le sujet d'accidit, & ita ut Athenienses, &c. est une expression adverbiale, modificative du même verbe accidit ; selon la seconde maniere, le nom sous-entendu res, n'en est que le sujet grammatical, haec ut Athenienses vellent, &c. est une proposition incidente, déterminative de res, & qui constitue avec res le sujet logique du verbe accidit. On peut, si je ne me trompe, choisir assez arbitrairement l'une de ces deux constructions, également approuvées par la saine Logique ; mais il résulte également de l'une & de l'autre qu'accidit n'est pas impersonnel. Je ne dois pas insister davantage sur cette matiere ; il suffit ici d'avoir indiqué la voie pour découvrir le sujet de ces verbes revétus de la terminaison active, & taxés faussement d'impersonnalité.

II. Il ne faut pas croire davantage que ceux que l'on allegue sous la terminaison passive, soient employés sans relation à aucun sujet ; cela est absolument contraire à la nature des modes personnels, qui ne sont revétus de cette forme, que pour être mis en concordance avec le sujet particulier & déterminé auquel on les applique. Mais la méthode de trouver ce sujet mérite quelque attention ; & je ne puis approuver celle que Priscien enseigne, & qui a été adoptée ensuite par les meilleurs grammairiens.

Voici comment s'explique Priscien : (lib. XVIII.) sed si quis & haec omnia impersonnalia velit inspicere penitùs, ad ipsas res verborum referuntur, & sunt tertiae personae, etiamsi prima & secunda deficiant. Il ajoute un peu plus bas : possunt habere intellectum nominativum ipsius rei, quae in verbo intelligitur : nam cùm dico curritur, cursus intelligitur ; & sedetur, sessio ; & ambulatur, ambulatio ; sic & similia ; quae res in omnibus verbis etiam absolutis necesse est ut intelligatur ; ut vivo, vitam ; & ambulo, ambulationem ; & sedeo, sessionem ; & curro, cursum.

Sanctius, (Minerv. lib. III. cap. j.) donne à ces paroles de Priscien, le nom de paroles d'or, aurea Prisciani verba, tant la doctrine lui en paroît plausible : aussi l'adopte-t-il dans toutes ses conséquences ; & il s'en sert (cap. iij.) pour prouver qu'il n'y a point de verbes neutres, & que tous sont actifs ou passifs. Pour moi je ne saurois me persuader, que pour rendre raison de quelques locutions particulieres, il faille adopter universellement le pléonasme, qui est en soi un vice entierement opposé à l'exactitude grammaticale, & qui n'est en effet permis en aucune langue, que dans quelques cas rares, & pour des vûes particulieres que l'art de la parole ne doit point négliger. " Il y auroit autant de raison, comme l'observe très-bien M. Lancelot, (Gramm. gén. part. II. ch. xviij.) de prétendre que quand on dit homo candidus, il faut sous-entendre candore, que de s'imaginer que quand on dit currit, il faut sous-entendre cursum, ou currere ". Toute la langue latine deviendroit donc un pléonasme perpétuel : que dis-je ? il en seroit ainsi de toutes les langues ; & rien ne me dispenseroit de dire que je dormois, signifie en françois, je dormois le dormir ; & ainsi du reste. Credat judaeus Apella, non ego.

Tout le monde sait que l'on dit également en latin, multi homines reperiuntur, plusieurs hommes sont trouvés, & multos homines reperire est, trouver, ou l'action de trouver plusieurs hommes, est ; ce qui signifie également, selon le tour de notre langue, on trouve plusieurs hommes. C'est ainsi que Virgile (Aen. VI. 595.) dit, Necnon & Tityon terrae omnipotentis alumnum cernere erat, & qu'il auroit pû dire, n'eût été la contrainte du vers, Necnon & Tityus terrae omnipotentis alumnus cernebatur. Il n'y a plus qu'à se laisser aller au cours des conséquences de cette observation fondamentale, afin d'expliquer la langue latine par elle-même, plutôt que par des suppositions arbitraires & peu justes. Itur, fletur, statur, curritur, &c. sont pareillement des expressions équivalentes à ire est, flere est, stare est, currere est ; ce qui paroît sans-doute plus raisonnable que ire, ou itio itur ; flere, ou fletus fletur ; stare, ou statio statur ; currere, ou cursus curritur ; quoiqu'en ait pensé Priscien, & ceux qui l'ont répété d'après lui. Or dans ire est, flere est, stare est, il y a très-nettement un sujet, savoir, ire, flere, stare ; & le verbe personnel est : itur, fletur, statur, ne sont que des expressions abrégées, qui renferment tout-à-la-fois le sujet & le verbe, de même à-peu-près que eo, fleo, sto, sont équivalens à ego sum iens, ego sum flens, ego sum stans, renfermant conjointement le sujet de la premiere personne, & le verbe.

On a coutume de regarder comme un latinisme très-éloigné des lois de la syntaxe générale, le tour ire est ; & je ne sais si l'on s'est doute que l'équivalent itur s'écartât le moins du monde des lois les plus ordinaires ; c'est pourtant l'expression la moins naturelle des deux, & la plus difficile à justifier. Ire est l'action d'aller, cela est simple, quand on ne veut affirmer que l'action d'aller, sans assigner à cet acte aucun sujet déterminé. Mais comment le tour passif itur peut-il présenter la même idée ? c'est que l'effet produit par une cause est en soi purement passif, & n'existe que passivement ; ainsi il suffit d'employer la voix passive pour affirmer l'existence passive de cet effet, quand on ne veut pas en désigner la cause active. Ceci me paroît encore naturel, mais beaucoup plus détourné que le premier moyen ; & par conséquent le second tour approche plus que le premier de ce que l'on nomme idiotisme.

Cette observation me conduit à une question qui y a bien du rapport, & qui va peut-être apprêter à rire à cette foule d'érudits, qui ont garni leur mémoire de tous les mots & de tous les tours matériels de la langue latine, sans en approfondir un seul ; qui en connoissent la lettre, si l'on veut, mais qui n'en ont jamais pénétré l'esprit. Itum est, fletum est, statum est, on alla, on pleura, on s'arrêta ; ces tours sont-ils actifs ou passifs ?

Afin de répondre avec précision, qu'il me soit permis de remarquer en premier lieu que, ire est est au présent, itum est au prétérit, & eundum est au futur ; personne apparemment ne le contestera. En second lieu que ces trois tours sont analogues entr'eux, puisque dans tous trois, l'idée individuelle de la signification du verbe ire est employée comme sujet du verbe substantif ; d'où il suit que ces trois expressions sont comparables entr'elles, comme parties d'une même conjugaison, de la même maniere, quant au sens, que doceo, docui, docturus sum. Il en est donc du sens d'itum est, comme de celui d'ire est, & de celui d'eundum est ; mais il est hors de doute que ire est est un tour actif, & il est aisé de prouver qu'il en est de même de eundum est. On lit dans Virgile (Aenéide XI. 230.) pacem trojano ab rege petendum, il faut demander la paix au prince troyen : pacem est à l'accusatif à cause du verbe actif petendum, qui n'est autre chose que le gérondif de petere, & qui n'en differe que par la relation au tems. Nos rudimentaires modernes imagineront peut-être une faute des copistes à ce vers de Virgile, & croiront qu'il faut lire petendam, afin de ne pas y avouer le sens actif, mais mal-à-propos. Servius qui vivoit au quatrieme siecle, dont le latin étoit la langue naturelle, & qui nous a laissé sur Virgile un commentaire estimé, loin de vouloir esquiver pacem petendum, remarque que c'est un tour nécessaire quand on employe le gérondif ; cum per gerundi modum aliquid dicimus, per accusativum elocutionem formemus necesse est, ut petendum mihi est equum ; il ajoûte à cela un exemple pris dans Lucrece, aeternas quoniam poenas in morte timendum. Min-Ellius, dans ses annotations sur Virgile, observe sur le même vers que c'est une façon de parler familiere à Lucrece, dont il cite d'abord le même exemple que Servius, & ensuite un second, motu privandum est corpora. Il faut donc avouer que comme petendum est pacem est une locution active, eundum est à plus forte raison doit être pris également dans le sens actif ; devoir aller, eundum est, est ; devoir aller est, c'est-à-dire on doit aller, comme aller est, ire est, signifie on va.

Servius au même endroit déja cité, après l'exemple tiré de Lucrece, en ajoûte un autre tiré de Salluste, castra sine vulnere introitum, mettant ainsi sur la même ligne petendum, timendum & introitum, qu'il désigne également par la dénomination de gerundi modus. Sur le servitum matribus ibo (Aeneide II. 786.) il s'étoit expliqué de même, modus gerundi est, & à propos de quis talia fando, &c. (ibid. 6.) gerundi modus est, dit-il, sive pro infinitivo modo dictum accipiunt. Ce dernier mot est important ; il prouve que ire, itum & eundum, sont également du mode infinitif, & qu'apparemment ils ne doivent différer entr'eux que par les relations temporelles ; aussi n'est-ce que par ces mots que different les trois phrases ire est, itum est, eundum est, que nous traduisons activement par on va, on est allé, on doit aller.

Concluons donc par analogie que itum est est également actif, qu'il signifie littéralement être allé est, & selon le tour françois, on est allé.

Il faut bien que Varron ait pensé que le supin spectatum avoit le sens actif, quand il a dit esse in Arcadia scio spectatum suem pour spectasse, dit la méthode latine de Port-royal. Et Plaute a dit dans le même sens (Amphytr. in prol.) justam rem & facilem esse oratum à vobis volo : sur quoi il est bon de remarquer que sans volo, ce comique auroit dit, justam rem & facilem esse oratum à vobis, conformément à l'analogie que j'établis ici, & que lui-même a suivie dans le texte dont il s'agit.

Quelques-uns de nos grammairiens françois, par un attachement aveugle à la prétendue impersonnalité des verbes latins, ont voulu la retrouver dans notre phrase françoise, on va, on est allé, on doit aller ; il faut, il pleut, &c. mais il est évident que c'est fermer les yeux à la lumiere : quelle que puisse être l'origine de notre on, il est constant que c'est un pronom général qui désigne par l'idée précise de la troisieme personne, un sujet d'une nature quelconque, & conséquemment qu'il n'y a point d'impersonnalité partout où on le rencontre. Dans les autres exemples notre il est chargé des mêmes fonctions, avec cette différence que on fixe plus particulierement l'attention sur les hommes, & que il détermine d'une maniere plus générale. Il pleut, c'est-à-dire, l'eau pleut. Il faut aimer Dieu, il est un pronom appellatif, déterminé par ces mots aimer Dieu, desorte que le sujet total est il aimer Dieu ; faut manque, est nécessaire, à l'imitation du desideratur latin. Il y a des hommes, ou plusieurs philosophes qui le nient, c'est-à-dire il des hommes, ou il savoir plusieurs philosophes qui le nient, a place ici. Dans il des hommes le déterminatif de il y est joint par la préposition de ; dans il plusieurs philosophes, le déterminatif est joint à il par simple opposition, comme cela étoit très-commun al tems Innocent III. Villehardouin.


IMPERTINENCES. f. (Morale) l'usage a changé le sens de ce mot ; il exprimoit autrefois une action ou un discours opposé au sens commun, aux bienséances, aux petites regles qui composent le savoir vivre. On ne s'en sert guere aujourd'hui que pour caractériser une vanité dédaigneuse, conçue sans fondement, & montrée sans pudeur ; cette sorte de vanité est assez commune. Heureux qui peut en rire ! l'homme sage & sensé en est plus le martyr que le frondeur. La vanité, l'impertinence, le sot orgueil des rangs, lui paroissent les inconvéniens nécessaires de l'hiérarchie, qui maintient l'ordre de l'amour de la gloire qui vivifie la nation.

IMPERTINENT, (Gramm. & Morale) l'impertinence se dit du caractere de l'homme, & d'une action qu'il aura faite : on dit de l'homme c'est un impertinent ; de l'action c'est une impertinence. Il faut cependant observer qu'il en est de l'impertinence comme du mensonge, de l'injustice, & de la plûpart des autres qualités bonnes ou mauvaises. Celui qui a dit un mensonge, ou qui a commis une injustice, n'est pas pour cela un homme injuste ni un menteur ; & celui qui a dit ou fait une impertinence, un homme impertinent. L'impertinent ne distingue ni les lieux, ni les circonstances, ni les choses, ni les personnes. Il parle, & il offense ; il parle encore, & il offense encore. Il n'est pas toujours sans esprit, mais il est sans jugement, sans délicatesse ; il rebute, il aigrit, on le hait, on le fuit ; c'est un fat outré. Je ne sais si l'impertinent est fort sensible à son propre caractere, quand il le rencontre dans un autre : je ne le crois pas. C'est le bon esprit, & un grand usage du monde qui corrigent de l'impertinence qu'on tient de la mauvaise éducation. S'il y a des hommes impertinens, il ne manque pas de femmes impertinentes. Une petite maîtresse ou une impertinente, c'est presque la même chose ; il y en a d'autres encore.

IMPERTINENT, (Jurisprud.) est opposé à pertinent. Ce terme ne s'applique guere qu'en matiere de faits dont on demande à faire preuve, quand les faits ne sont pas de nature à être admis ; pour en ordonner la preuve, on dit qu'ils sont impertinens & inadmissibles. Voyez FAITS, PERTINENT & PREUVE. (A)


IMPERTURBABLEIMPERTURBABILITé, (Gram.) il ne se dit guere que de la mémoire. Ce prédicateur a une mémoire qui ne se trouble jamais, imperturbable. Cependant, on dit encore d'un homme qu'aucune objection n'ébranle, qu'il est imperturbable dans ses principes ; alors il est relatif à la dispute. C'est par l'étude, les connoissances acquises, la réflexion, l'intérêt, le caractere, que nous nous rendons imperturbables dans nos sentimens, nos projets, nos résolutions, &c. il faut avoir la raison pour soi, sinon d'imperturbable qu'on étoit, on devient entêté, opiniâtre.


IMPÉTRABLEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui se peut demander ; ce terme n'est guere usité qu'en matiere bénéficiale. On dit qu'un bénéfice est vacant & impétrable, lorsqu'il n'est pas rempli de fait ou de droit. Voyez BENEFICE, DEVOLUT, VACANCE. (A)


IMPÉTRANTadj. (Jurisprud.) en termes de chancellerie, signifie celui qui obtient des lettres du prince ; cependant dans les lettres il n'est qualifié que d'exposant, parce qu'il n'est impétrant qu'après avoir obtenu les lettres. Voyez IMPETRATION. (A)


IMPÉTRATIONS. f. (Jurisprud.) en matiere bénéficiale, se dit de l'obtention que l'on fait d'un bénéfice en cour de Rome ; il se dit aussi en style de chancellerie, pour exprimer l'obtention de toutes sortes de lettres : celui qui les obtient est appellé l'impétrant. Voyez IMPETRANT. (A)


IMPÉTUEUXIMPÉTUOSITé, (Gram.) termes relatifs à la violence du mouvement. Le vent est impétueux ; les flots de la mer sont impétueux ; le Rhône est impétueux. Il se dit au figuré de la jeunesse, de la colere, du caractere, du zele, du style, du discours, & de presque toutes les qualités qui peuvent pécher par excès. C'est une affaire d'organisation, à laquelle ni l'éducation, ni la réflexion, ni les malheurs, ni l'âge ne remédient pas toujours. Il est dangereux de s'opposer à l'impétuosité, soit au simple, soit au figuré. Un Orateur impétueux nous entraîne ; un Orateur grave nous accable. L'impétuosité est communément de courte durée ; il faut la laisser passer.


IMPIEadj. (Gram.) Celui qui médit d'un Dieu qu'il adore au fond de son coeur. Il ne faut pas confondre l'incrédule & l'impie. L'incrédule est un homme à plaindre ; l'impie est un méchant à mépriser. Les chrétiens qui savent que la foi est le plus grand de tous les dons, doivent être plus circonspects que les autres hommes, dans l'application de cette injurieuse épithete. Ils n'ignorent pas qu'elle devient une espece de dénonciation, & qu'on compromet la fortune, le repos, la liberté, & même la vie de celui qu'on se plaît à traduire comme un impie. Il y a beaucoup de livres hétérodoxes, il y a peu de livres impies. On ne doit regarder comme impies que les ouvrages où l'auteur inconséquent & hérétique blasphême contre la religion qu'il avoue. Un homme a ses doutes ; il les propose au public. Il me semble qu'au lieu de brûler son livre, il vaudroit beaucoup mieux l'envoyer en sorbonne, pour qu'on en préparât une édition où l'on verroit, d'un côté les objections de l'auteur, de l'autre les réponses des docteurs. Que nous apprennent une censure qui proscrit, un arrêt qui condamne au feu ? rien. Ne seroit-ce pas le comble de la témérité, que de douter que nos habiles théologiens dispersassent comme la poussiere toutes les misérables subtilités du mécréant. Il en seroit ramené dans le sein de l'Eglise, & tous les fideles édifiés s'en fortifieroient encore dans leur foi. Un homme de goût avoit proposé à l'académie françoise une occupation bien digne d'elle, c'étoit de publier de nos meilleurs auteurs, des éditions où ils remarqueroient toutes les fautes de langue qui leur auroient échappé. J'oserois proposer à la sorbonne un projet bien digne d'elle, & d'une toute autre importance ; ce seroit de nous donner des éditions de nos hétérodoxes les plus célébres, avec une réfutation, page à page. D'impie on fait impieté.


IMPITOYABLEadj. (Gramm.) qui est sans pitié. Voyez PITIE. On doit être impitoyable envers les méchans, toutes les fois que la commisération qu'on exerceroit envers eux, tourneroit contre les bons. Ce n'est pas toujours le juge, c'est la loi qui est sourde & impitoyable. On dit le fer impitoyable ne pardonnoit à personne ; l'enfer & la mort sont impitoyables. Les pécheurs impénitens trouveront dans le Dieu de la misericorde qui les a faits, & qui connoît leur foiblesse, un arbitre impitoyable. Voilà le seul cas peut-être, où la foi nous empêche de prendre ce mot en mauvaise part.


IMPLANTERverbe actif. (Gramm. & Anat.) c'est avoir son origine & son attache profondement en quelque endroit. Les cheveux sont implantés sur la tête. Les oreillettes & les arteres s'implantent dans le coeur.


IMPLEXEadj. (Littérat.) Il se dit des poëmes épiques, & des ouvrages dramatiques ; c'est l'opposé de simple. L'ouvrage est simple quand il n'y a point de renversement dans la fortune du héros. Implexe si la fortune du héros devient mauvaise de bonne qu'elle étoit, ou de mauvaise devient bonne. On croit que le sujet implexe est plus propre à émouvoir les passions.


IMPLICITEIMPLICITEMENT, Implicite, adj. terme de l'école, est le contraire d'explicite, & signifie non expliquée, non développée. Volonté implicite, foi implicite.

Volonté implicite est celle qui se manifeste moins par des paroles que par des circonstances & par des faits. Telle clause, par exemple, sans être énoncée dans un contrat, y est censée contenue, parce qu'elle suit de la volonté implicite & primitive des contractans, laquelle se démontre, tant par la nature de l'acte, que par d'autres clauses équivalentes, & nettement exprimées.

Foi implicite est un acquiescement général & sincere à tout ce que l'Eglise nous propose, sans que le fidele porte sa vûe ni sa foi, sur tel ou tel article de croyance, qu'il ignore le plus souvent.

La plûpart des hommes n'ont, comme on sait, qu'une foi implicite ; trop occupés de leurs affaires temporelles, ils n'ont ni le tems, ni le génie nécessaire pour acquérir les connoissances que suppose une foi explicite un peu étendue. Heureusement ils en ont toujours assez pour saisir le principal objet de la foi que J. C. nous demande, je veux dire la ferme confiance que nous devons avoir en sa parole. En effet, le Sauveur n'insiste pas, comme les Théologiens, sur une adhésion expresse, pas même sur une adhésion implicite à des opinions controversées dans l'école, & dont la plûpart n'intéressent ni la religion, ni les moeurs.

La confiance, la foi invariable en sa puissance & en sa médiation, est presque le seul article qu'il exige de nous ; & c'est ce qu'il témoigne sans équivoque dans les divers passages où il parle de la foi ; en voici quelques-uns pris au hasard & sans choix, car ils ont tous le même sens dans la bouche du Sauveur.

Jésus admirant l'extrême confiance du Centenier, dit en marquant sa surprise : " en vérité je n'ai point trouvé une si grande foi, même en Israël ". Matth. 8. 10.

Dans une autre occasion, voyant la foi de ceux qui lui présentoient un paralytique : " mon fils, dit-il au malade, ayez confiance, vos péchés vous sont remis ". Matth. 9. 2.

Il dit de même à l'hémorroisse : " ma fille ayez confiance, votre foi vous a sauvée. " Matth. 9. 22.

Saint Pierre marchant sur les eaux, & paroissant effrayé, Jésus lui tendit la main, en lui disant : " homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté " ? Matth. 14. 31.

Il dit à un aveugle qui demandoit sa guérison avec de grands cris : " allez, votre foi vous a sauvé ". Marc, 10. 52.

Il dit encore à un lépreux qu'il avoit guéri, & qui lui rendoit grace à genoux : " levez-vous, allez, votre foi vous a sauvé ". Luc, 17. 19.

" Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ". Jean, 3. 16.

Qu'on examine dans le texte des évangelistes tous les passages où il est question de la foi, & l'on verra qu'ils n'expriment que l'intime persuasion de la divinité du Sauveur, que la confiance en ses mérites infinis. Principe fondamental de la foi nécessaire à tous les hommes, & qui semble se réduire à croire l'unité d'un Dieu en trois personnes, & la divinité de J. C. unie à l'humanité, pour opérer le salut du genre humain ; foi efficace & fructifiante, dont le Sauveur fait dépendre non-seulement les guérisons miraculeuses, & les autres prodiges de la toute-puissance, mais encore la rémission des péchés, & les récompenses de la vie éternelle ; foi par conséquent bien différente d'une adhésion stérile à tant de propositions débattues parmi les scholastiques, & qui n'ont au reste que peu ou point de rapport au perfectionnement de nos moeurs.

Il résulte de ces observations que la plûpart des dogmes énoncés par l'Eglise, bien que solidement établis sur son infaillibilité, ne tiennent pourtant que le second rang dans le système de notre croyance ; & qu'ainsi la connoissance expresse en est moins nécessaire au salut ; en un mot, qu'ils peuvent devenir l'objet de la foi implicite, ou de ce qu'on appelle foi du peuple ou du charbonnier.

Implicitement, adverbe, vient d'implicite, & se prend à proportion dans le même sens. Telle proposition qui n'est pas en termes exprès dans un livre, y est pourtant contenue implicitement, parce qu'elle est une conséquence nécessaire de la doctrine qu'on y établit.


IMPLIQUERverbe actif, (Gramm.) c'est engager dans un soupçon, une affaire, une accusation. Cet accusé a impliqué beaucoup de monde dans son action. Les plus braves d'entre les Romains se trouverent impliqués dans les conjurations qu'on forma contre les oppresseurs de leur liberté.

On dit encore, cette proposition implique contradiction, lorsqu'en la décomposant, on y remarque ou des conditions, ou des circonstances, ou des idées, ou des suppositions, qui ne peuvent co-exister, ou qui s'excluent réciproquement.


IMPLORERverbe actif, (Gramm.) c'est demander avec toutes les marques de l'instance. On implore du secours ; on implore la justice ; on implore le bras séculier. Si les Ecclésiastiques implorent le bras séculier contre ceux qui refusent de les écouter avec docilité, ils oublient que leur conduite est proscrite dans l'Evangile, qui leur ordonne d'enseigner, & non de persécuter ; de sauver, & non de perdre ; de s'éloigner, & non de frapper ; d'être des hommes de paix, & non des hommes de sang.


IMPOLIIMPOLITESSE, (Gramm.) c'est une ignorance grossiere, ou un mépris déplacé des égards de convention dans la société. Voyez l'article POLITESSE.


IMPORCITORS. m. (Myth.) dieu de la campagne & de l'agriculture, qui présidoit chez les anciens Romains, à la troisieme façon que l'on donnoit aux terres, après qu'on leur avoit confié le grain. Ce mot vient de porcae, terme par lequel on désignoit la forme élevée des sillons ; le flamine invoquoit le dieu imporcitor, en sacrifiant à Cérès & à la Terre. Dict. de Trévoux.


IMPORTANCES. f. (Gram.) terme relatif à la valeur d'un objet. S'il a, ou si nous y attachons une grande valeur, il est important. On dit d'un meuble précieux, un meuble d'importance ; d'un projet, d'une affaire, d'une entreprise, qu'elle est d'importance, si les suites en peuvent devenir ou très-avantageuses, ou très-nuisibles. Le mal & le bien donnent également de l'importance. D'importance on a fait important, qui se prend à peu-près dans le même sens. On dit, il est important de bien commencer, d'aller vîte, de marcher sourdement. Il faut que le sujet d'un poëme épique ou dramatique soit important. Combien de questions futiles qui auroient à peine agité les scholastiques dans l'ombre & la poussiere de leurs classes, si le gouvernement ne leur avoit donné de l'importance, par la part qu'il y a prise ! Qu'il ose les mépriser, & bientôt il n'en sera plus parlé. Qu'il en fasse un sujet de distinction, de préférence, de grace, & bientôt les haines s'accroîtront ; les peuples s'armeront, & une dispute de mots finira par des assassinats & des ruisseaux de sang. L'adjectif important a deux acceptions particulieres. On dit d'un homme qui peut beaucoup dans la place qu'il occupe, c'est un homme important ; on le dit aussi de celui qui ne peut rien ou peu de chose, & qui met tout en oeuvre pour se faire attribuer un crédit qu'il n'a pas. Les nouveaux débarqués, ceux qui sollicitent des graces, des places, sont à tout moment ici la dupe des importans. La ville & la cour regorgent d'importans qui font payer bien cher leur nullité. Les importans sont dans les cours, ce que les prêtres du paganisme étoient dans leurs temples. On les croyoit en grande familiarité avec les dieux, parce qu'ils ne s'en éloignoient jamais. On leur portoit des offrandes qu'ils acceptoient, & ils s'engageoient à parler au ciel, à qui ils ne disoient rien, ou qui ne les entendoit pas. En un mot l'important est sans naissance, mais il voit des gens de qualité ; il est sans talens, mais il protege ceux qui en ont ; il est sans crédit, mais il se met en chemin pour rendre service ; il ne fait rien, mais il conseille ceux qui font mal. S'il a une petite place, il croit y faire de grandes choses ; enfin il voudroit faire croire à tout le monde & se persuader à lui-même, que ses discours, ses actions, son existence, influent sur la destinée de la société.


IMPORTATIONS. f. (Commerce) il se dit de tous les objets de commerce que nous recevons de l'étranger. Son correlatif est exportation, qui se dit de tous les objets de commerce que l'étranger reçoit de nous. Si la valeur de l'importation est égale à la valeur de l'exportation, nous ne perdons ni ne gagnons. Une vûe de politique, ce seroit d'accroître l'exportation autant qu'il est possible, & peut-être de diminuer autant qu'il est possible l'importation.


IMPORTUNS. m. (Morale) c'est celui qui embarrasse, incommode, ennuie, chagrine par sa présence, ses discours & ses actions hors de saison.

Un importun offre avec vivacité ses services à des gens qui ne veulent pas l'employer ; il prend le moment que son ami est accablé d'affaires pour lui parler de sciences ; il va souper chez sa maîtresse, le soir même qu'elle a la fièvre ; il entraîne à la promenade des gens à peine arrivés d'un long voyage, & qui ne cherchent qu'à se reposer de leurs fatigues ; en un mot, il ne sait jamais discerner le tems & les occasions, & loin d'obliger les autres, il leur déplaît, & leur devient à charge. Ce rôle ridicule, qu'il joue dans la société, est le vrai rôle d'un sot ; un homme habile, dit la Bruyere, sent d'abord s'il convient ou s'il ennuie ; il sait disparoître l'instant qui précede celui où il seroit de trop quelque part. (D.J.)


IMPOSANTad. IMPOSER, v. act. (Gram.) c'est l'effet de tout ce qui imprime un sentiment de crainte, d'admiration, de respect, d'égard, de considération. On en impose ou par des qualités réelles, ou par des qualités apparentes. Il se dit & des personnes & des choses. La dignité, le ton, le visage, le caractere, le regard, en imposent dans la personne. La grandeur, l'élévation, la masse, le faste, l'éclat, la dépense, l'espace, l'étendue, la durée, l'ancienneté, le travail, la perfection, en imposent dans les choses. Rien n'en impose au sage que ce qui excite en lui un sentiment réfléchi d'admiration, d'estime ou de respect. En imposer se prend encore dans un sens différent ; pour tromper, mentir, séduire. On impose aussi une pénitence, une tâche, un nom, une taxe, les mains, un fardeau, &c. acceptions du verbe imposer, assez éloignées des précédentes.

IMPOSER, terme d'Imprimerie en lettres. Imposer une forme, c'est après avoir arrangé les pages sur le marbre selon l'art, les renfermer dans un chassis de fer, les garnir en tout sens de différens bois taillés pour les différentes sortes de formats, & par le moyen des bizeaux & des coins, rendre le tout solide & portatif. Voyez les mots italiques chacun à leur article. Voyez aussi IMPOSITION, terme d'Imprimerie en lettres, & les Planches de l'Imprimerie.


IMPOSITION(Jurisprud.) signifie souvent la même chose qu'impôt ou tribut : on dit, par exemple, l'imposition des tailles, celle du dixieme ou du vingtieme, &c.

Quelquefois par imposition, on entend la repartition qui est faite de ces impôts sur les contribuables. Voyez IMPOT. (A)

IMPOSITION. On se sert de ce mot en Lorraine, au lieu de celui de taille, pour exprimer les sommes qui se levent sur les sujets pour les besoins de l'état. Les impositions de cette province pour l'année 1748 montent, sans y comprendre celle du vingtieme, à près de deux millions neuf cent trente-cinq mille livres au cours de France. La principale imposition est appellée subvention. C'étoit autrefois la seule, & elle comprenoit toutes les charges. Elle n'est ni réelle, ni personnelle ; elle est mixte. Les autres impositions, qui se répartissent sur les mêmes principes que la subvention, sont pour la dépense des ponts & chaussées ; la solde de la maréchaussée ; les gages & appointemens d'officiers militaires, de judicature, de finance, & pour le supplément du prix des fourrages aux troupes de cavalerie en quartier dans la province. Le roi de Pologne, duc de Lorraine & de Bar, fixe chaque année par des arrêts de son conseil des finances, la somme imposée sur les deux duchés. La Lorraine en supporte ordinairement les deux tiers, le Barrois le surplus. Ces arrêts sont adressés avec des lettres patentes à la chambre des comptes de Lorraine & à la chambre des comptes de Bar, lesquelles en font chacune dans sa province la répartition sur les différentes paroisses ou communautés qui en dépendent. Elles adressent à chaque communauté un mandement fort étendu, qui explique les principes & la maniere de procéder à la levée des deniers de l'imposition, l'exemption qui en est accordée aux nobles, aux ecclésiastiques, &c. Aussi-tôt après la réception du mandement de la chambre des comptes, le maire ou principal officier fait assembler la communauté, & on élit trois asseyeurs à la pluralité des voix, l'un tiré de la haute classe, un autre de la moyenne classe, le troisieme de la basse classe des contribuables. Ces asseyeurs font seuls sur les particuliers la répartition de la somme imposée sur le corps de la communauté. Le rôle qu'ils en ont formé est remis à deux collecteurs choisis & différens des asseyeurs. Ces collecteurs font la levée & le recouvrement des deniers sans le ministere d'huissiers ou sergens, & portent les deniers au receveur particulier des finances en deux termes, Janvier & Juillet. Les sommes se remettent ensuite par le receveur particulier au receveur général des finances en exercice.

L'imposition du vingtieme n'a commencé en Lorraine qu'en 1750. Le second vingtiéme au premier Octobre 1756 ; & les quatre sous en sus du premier vingtieme en Janvier 1757. Il s'y perçoit comme en France. Article de M. DURIVAL le jeune.

IMPOSITION des mains, (Théologie) onction ecclésiastique par laquelle la mission évangélique & le pouvoir d'absoudre sont communiqués. Voyez CHIROTONIE & MAIN.

L'imposition des mains étoit une cérémonie judaïque, qui s'étoit introduite, non par quelque loi divine, mais par la coûtume, & toutes les fois que l'on prioit Dieu pour quelqu'un, on lui mettoit les mains sur la tête.

Notre Sauveur a suivi cette coûtume, soit qu'il fallût benir des enfans ou guérir des malades, en joignant la priere à cette cérémonie. Les apôtres de même imposoient les mains à ceux à qui ils conféroient le S. Esprit. Les prêtres en usoient ainsi, lorsqu'ils introduisoient quelqu'un dans leur corps ; & les apôtres eux-mêmes recevoient de nouveau l'imposition des mains, lorsqu'ils s'engageoient à quelque nouveau dessein. L'ancienne église donnoit l'imposition des mains à ceux qui se marioient, & les Abyssins le font encore. Voyez MARIAGE.

Mais ce nom qui est général dans sa premiere signification, a été restraint par l'usage à l'imposition des mains par laquelle on confere les ordres. Spanheim a fait un traité de impositione manuum. Tribenhorius & Braunius ont suivi son exemple. Voyez ORDINATION.

Il est aussi fait mention fréquemment dans les écrits des peres & des auteurs ecclésiastiques, d'une imposition des mains par laquelle on recevoit les hérétiques qui, abjurant leurs erreurs, rentroient dans le sein de l'Eglise. On sait que le sacrement de confirmation se confere par l'imposition des mains de l'évêque, jointe à l'onction du saint chrême & à la priere. Il y avoit encore une autre imposition des mains pour reconcilier les pénitens, ce qui a fait soûtenir à quelques théologiens que l'imposition des mains étoit la matiere du sacrement de pénitence, mais ce sentiment n'est pas suivi. Le plus grand nombre pense que cette imposition des mains usitée dans la primitive Eglise à l'égard des pénitens, étoit seulement cérémonielle & non sacramentelle.

Imposition se dit aussi d'une espece de transplantation qui se fait pour la cure de certaines maladies. Voyez TRANSPLANTATION.

On prend le plus que l'on peut de la mumie ou de l'excrément de la partie malade, ou de tous les deux ensemble, on les place dans un arbre ou dans une plante, entre l'écorce & le bois, & on recouvre le tout avec du limon. Au lieu de cela, il y en a qui font un trou de tariere dans le bois pour y placer cette mumie ou cet excrément ; après quoi ils bouchent le trou avec un tampon de même bois, & mettent du limon par-dessus.

Lorsqu'on souhaite un effet durable, il faut choisir un arbre de longue durée, comme le chêne. Si on le veut promt, il faut un arbre qui croisse promtement ; & dans ce dernier cas, on doit retirer ce qui sert de milieu à la transplantation, si-tôt que l'effet s'est ensuivi, à cause que la trop grande altération de l'esprit pourroit nuire au malade. Dict. de Trévoux.

IMPOSITION, terme d'Imprimerie en lettres ; c'est une des fonctions du compositeur : lorsqu'il a le nombre de pages qu'il lui faut pour imposer, il les arrange sur le marbre, suivant les regles de l'art, amplement détaillées dans l'article de la main d'oeuvre de l'IMPRIMERIE. Voyez cet article. Ensuite il confere les folio de ses pages pour voir si elles sont bien placées, pose le chassis, place la garniture, délie les pages, & les serre dans la garniture, jette les yeux sur chaque page l'une après l'autre pour voir s'il n'y a point quelques lettres dérangées ; s'il y en a, les redresse avec la pointe, garnit la forme de coins, les serre avec la main, taque la forme, & la serre. Les pages doivent être placées de maniere que quand les deux côtés du papier sont imprimés, la seconde page se trouve au revers de la premiere, la quatrieme au revers de la troisieme, & ainsi de suite. Voyez tous les mots italiques chacun à leur article. Voyez aussi les Planches de l'Imprimerie.


IMPOSSIBLEadj. (Métaphysique) c'est tout ce qui renferme contradiction. Deux idées qui s'excluent réciproquement, forment un assemblage qui est impossible, de même que l'assemblage qui l'exprime.

Il faut bien prendre garde ici aux notions trompeuses & déceptrices que l'on prend quelquefois pour des idées claires. Il arrive en effet que nous nous formons de semblables idées qui nous paroissent évidentes, faute d'attention, parce que nous avons une idée de chaque terme en particulier, quoiqu'il soit impossible d'en avoir aucune de la phrase qui naît de leur combinaison. Ainsi l'on penseroit d'abord entendre ce que l'on veut dire par une figure renfermée entre deux lignes droites ; & l'on croiroit parler d'un corps régulier en parlant d'un corps à neuf faces égales, parce qu'on entend tous les termes qui entrent dans ces propositions. Cependant il implique contradiction que deux lignes droites renferment un espace, & fassent une figure, & qu'un corps ait neuf faces égales & semblables. On a encore un exemple de ces idées déceptrices dans le mouvement le plus rapide d'une roue, dont M. Leibnitz s'est servi contre les Cartésiens ; car il est aisé de faire voir que le mouvement le plus rapide est impossible, puisqu'en prolongeant un rayon quelconque, ce mouvement devient plus rapide à l'infini. On voit par ces exemples, qu'il est très-possible de croire avoir une idée claire d'une chose, dont cependant nous n'avons aucune idée.

L'impossible est tel absolument ou hypothétiquement, suivant qu'il répugne au principe de contradiction, ou à celui de la raison suffisante. L'impossible absolu, c'est ce qui ne sauroit être, quelque supposition que vous fassiez, parce qu'il répugne à l'essence même du sujet, dont on voudroit le rendre attribut, comme un triangle à quatre angles, une montagne sans vallée. C'est-là l'impossible, proprement dit ; mais on connoit aussi une impossibilité conditionnelle, qui vient de ce qu'une chose n'a ni n'aura jamais de raison suffisante de son existence. Un voyage de la terre à la lune implique contradiction, entant que les hommes sont destitués des moyens requis pour l'exécuter. C'est sur cette distinction que MM. Leibnitz & Wolf fondent leur nécessité absolue & hypothétique.

On peut regarder comme impossible au premier sens, 1°. tout ce qui se contredit soi-même ; 2°. tout ce qui contredit à quelque proposition démontrée ; 3°. toute combinaison d'attributs qui s'excluent réciproquement.

Tout impossible absolu est un véritable rien, à quoi ne répond aucune idée. Car si l'on met ensemble deux choses inalliables, elles se détruisent l'une l'autre, & il ne reste rien. Des propositions qui expriment des combinaisons absolument impossibles, ne sauroient donc être l'objet de la puissance de Dieu, qui s'exerceroit en ce cas sur le rien. Ce n'est point la borner que dire qu'elle ne s'étend pas jusques-là ; car le néant ne sauroit être son objet, puisqu'il n'est susceptible de rien. De telles propositions ne sauroient être non plus l'objet de notre foi ; car il ne dépend pas de moi de croire qu'une chose soit & ne soit pas, qu'elle soit ici & ailleurs, qu'elle soit une & trois au même sens & de la même maniere.


IMPOSTES. f. (Coupe des pierres) du latin impositum, mis dessus, est le rang ou plutôt le lit de pierre sur lequel on établit la naissance de la voute, dit le coussinet. Imposte signifie aussi cet ornement de moulures qui couronne un piédroit sous la naissance d'une arcade ; lequel sert de base à un autre ornement cintré, appellé archivolte.


IMPOSTURES. f. (Gram. Morale) ce mot vient du verbe imposer. Or on en impose aux hommes par des actions & par des discours. Les deux crimes les plus communs dans le monde, sont l'imposture & le vol. On en impose aux autres, on s'en impose à soi-même. Toutes les manieres possibles dont on abuse de la confiance ou de l'imbécillité des hommes, sont autant d'impostures. Mais le vrai champ & sujet de l'imposture sont les choses inconnues. L'étrange des choses leur donne crédit. Moins elles sont sujettes à nos discours ordinaires, moins on a le moyen de les combattre. Aussi Platon dit-il, qu'il est bien plus aisé de satisfaire, parlant de la nature des dieux que de la nature des hommes, parce que l'ignorance des auditeurs prête une belle & large carriere. D'où il arrive que rien n'est si fermement cru que ce qu'on sait le moins, & qu'il n'y a gens si assûrés que ceux qui nous content des fables, comme alchimistes, prognostiqueurs, indicateurs, chiromanciens, medecins, id genus omne, auxquels je joindrois volontiers, si j'osois, dit Montagne, un tas d'interpretes & contrôleurs des desseins de Dieu, faisant état de trouver les causes de chaque accident, & de voir dans les secrets de la volonté divine les motifs incompréhensibles de ses oeuvres ; & quoique la variété & discordance continuelle des événemens les rejette de coin en coin & d'orient en occident, ils ne laissent pourtant de suivre leur esteuf, & de même crayon peindre le blanc & le noir. Les imposteurs qui entraînent les hommes par des merveilles, en sont rarement examinés de près ; & il leur est toûjours facile de prendre d'un sac deux moutures. Voyez la suite du xxxj. chap. du I. livre des essais.

IMPOSTURE, en maladie, est une ruse ou artifice qu'on pratique pour paroître attaqué d'une maladie qu'on n'a pas. Les Medecins & les Chirurgiens, dans les rapports qu'ils sont obligés de faire en justice, doivent être très-attentifs à ne se point laisser tromper. Il y a dans les ouvrages de Galien un petit traité sur ce sujet. Jean-Baptiste Sylvaticus a composé une dissertation dans laquelle il donne des regles pour découvrir les maladies simulées : de iis qui morbum simulant deprehendendis. Tous les auteurs qui ont écrit avec quelque attention sur la medecine légale, n'ont point oublié les tromperies imaginées pour paroître malade. Fortunatus Fidelis, qui passe pour le premier qui ait écrit des questions medicales relatives à la Jurisprudence, a donné sur cette matiere des principes auxquels Zacchias, medecin de Rome, a ajoûté quelques détails. Mais ils ont tous été devancés dans cette carriere par notre fameux chirurgien Ambroise Paré, qui a spécialement écrit sur les impostures des gueux qui feignent d'être sourds & muets, qui contrefont les ladres, sur les artifices des femmes qui paroissent avoir des cancers à la mammelle, des descentes de matrice, & autres maux, pour exciter la compassion du peuple, & en recevoir de plus amples aumônes. Il est entré de l'art & de l'industrie jusque dans les moyens d'abuser le public par les voies les plus honteuses. En général, il y a trois motifs auxquels on peut rapporter tous les faits dont les auteurs ont fait mention ; la crainte, la pudeur & l'intérêt. C'est par la crainte du supplice qu'un criminel contrefait l'insensé ; par pudeur, une fille se plaint d'hydropisie, pour cacher une grossesse ; par intérêt, une femme se dit enceinte, & prend les précautions qui peuvent le faire croire, afin de pouvoir supposer un enfant, &c. Il y a beaucoup de circonstances délicates où il faut user d'une grande prudence, & être capable de discernement pour aller à la recherche de la vérité, & rendre aux juges un témoignage fidele & éclairé. Le motif présumé conduit à l'examen des différentes impostures qu'on a rangées sous trois gentes, qui ont chacun leurs regles générales & particulieres. Le premier genre comprend les maladies dont la nature ne se manifeste pas, & qui n'ont d'autres signes de leur existence supposée que les plaintes & les cris de ceux qui s'en disent attaqués. On met dans le second genre des maladies réelles, mais factices ; & sous le troisieme, les apparences positives de maladies qui n'existent point, comme des échymoses artificielles pour s'être frotté de mine de plomb, des crachemens de sang simulés, &c. Il faut voir ces détails dans les livres qui en traitent, afin d'être en garde contre de pareilles supercheries, par lesquelles on pourroit être l'occasion de torts fort préjudiciables ; par des jugemens portés avec légereté, faute de connoissances ou d'attention suffisante. (Y)


IMPOTS. m. (Droit politiq. & Finances) contribution que les particuliers sont censés payer à l'état pour la conservation de leurs vies & de leurs biens.

Cette contribution est nécessaire à l'entretien du gouvernement & du souverain ; car ce n'est que par des subsides qu'il peut procurer la tranquillité des citoyens ; & pour lors ils n'en sauroient refuser le payement raisonnable, sans trahir leurs propres intérêts.

Mais comment la perception des impôts doit-elle être faite ? Faut-il la porter sur les personnes, sur les terres, sur la consommation, sur les marchandises, ou sur d'autres objets ? Chacune de ces questions, & celles qui s'y rapportent dans les discussions de détails, demanderoit un traité profond qui fût encore adapté aux différens pays, d'après leur position, leur étendue, leur gouvernement, leur produit & leur commerce.

Cependant nous pouvons établir des principes décisifs sur cette importante matiere. Tirons-les ces principes des écrits lumineux d'excellens citoyens, & faisons-les passer dans un ouvrage où l'on respire les progrès des connoissances, l'amour de l'humanité, la gloire des souverains, & le bonheur des sujets.

La gloire du souverain est de ne demander que des subsides justes, absolument nécessaires ; & le bonheur des sujets est de n'en payer que de pareils. Si le droit du prince pour la perception des impôts, est fondé sur les besoins de l'état, il ne doit exiger de tribut que conformément à ces besoins, les remettre d'abord après qu'ils sont satisfaits, n'en employer le produit que dans les mêmes vûes, & ne pas le détourner à ses usages particuliers, ou en profusions pour des personnes qui ne contribuent point au bien public.

Les impôts sont dans un état ce que sont les voiles dans un vaisseau, pour le conduire, l'assurer, l'amener au port, non pas pour le charger, le tenir toujours en mer, & finalement le submerger.

Comme les impôts sont établis pour fournir aux nécessités indispensables, & que tous les sujets y contribuent d'une portion du bien qui leur appartient en propriété, il est expédient qu'ils soient perçus directement, sans frais, & qu'ils rentrent promtement dans les coffres de l'état. Ainsi le souverain doit veiller à la conduite des gens commis à leur perception, pour empêcher & punir leurs exactions ordinaires. Néron dans ses beaux jours fit un édit très-sage. Il ordonna que les magistrats de Rome & des provinces reçussent à toute heure les plaintes contre les fermiers des impôts publics, & qu'ils les jugeassent sur le champ. Trajan vouloit que dans les cas douteux, on prononçât contre ses receveurs.

Lorsque dans un état tous les particuliers sont citoyens, que chacun y possede par son domaine ce que le prince y possede par son empire, on peut mettre des impôts sur les personnes, sur les terres, sur la consommation, sur les marchandises, sur une ou sur deux de ces choses ensemble, suivant l'urgence des cas qui en requiert la nécessité absolue.

L'impôt sur la personne ou sur sa tête, a tous les inconvéniens de l'arbitraire, & sa méthode n'est point populaire : cependant elle peut servir de ressource lorsqu'on a un besoin essentiel de sommes qu'il faudroit indispensablement rejetter sur le commerce, sur les terres ou leur produit. Cette taxe est encore admissible, pourvû qu'elle soit proportionnelle, & qu'elle charge dans une proportion plus forte les gens aisés, en ne portant point du tout sur la derniere classe du peuple. Quoique tous les sujets jouissent également de la protection du gouvernement & de la sûreté qu'il leur procure, l'inégalité de leurs fortunes & des avantages qu'ils en retirent, veut des impositions conformes à cette inégalité, & veut que ces impositions soient, pour parler ainsi, en progression géométrique, deux, quatre, huit, seize, sur les aisés ; car cet impôt ne doit point s'étendre sur le nécessaire.

On avoit divisé à Athenes les citoyens en quatre classes ; ceux qui tiroient de leurs biens cinq cent mesures de fruits secs ou liquides, payoient au public un talent, c'est-à-dire soixante mines. Ceux qui en retiroient trois cent mesures, devoient un demi-talent. Ceux qui avoient deux cent mesures, payoient dix mines. Ceux de la quatrieme classe ne payoient rien. La taxe étoit équitable : si elle ne suivoit pas la proportion des biens, elle suivoit la proportion des besoins. On jugea que chacun avoit un nécessaire physique égal ; que ce nécessaire physique ne devoit point être taxé ; que l'abondant devoit être taxé ; & que le superflu devoit l'être encore davantage.

Tant que les impôts dans un royaume de luxe ne seront pas assis de maniere qu'on perçoive des particuliers en raison de leur aisance, la condition de ce royaume ne sauroit s'améliorer ; une partie des sujets vivra dans l'opulence, & mangera dans un repas la nourriture de cent familles, tandis que l'autre n'aura que du pain, & dépérira journellement. Tel impôt qui retrancheroit par an cinq, dix, trente, cinquante louis sur les dépenses frivoles dans chaque famille aisée, & ce retranchement fait à proportion de l'aisance de cette famille, suffiroit avec les revenus courans pour rembourser les charges de l'état, ou pour les frais d'une juste guerre, sans que le laboureur en entendît parler que dans les prieres publiques.

On croit qu'en France une taxe imposée dans les villes seulement, sur les glaces, l'argenterie, les cochers, les laquais, les carrosses, les chaises à porteurs, les toiles peintes des Indes, & autres semblables objets, rendroit annuellement quinze ou vingt millions ; elle ne seroit pas moins nécessaire pour mettre un frein à la dépopulation des campagnes, que pour achever de répartir les impôts de la façon la plus conforme à la justice distributive ; cette façon consiste à les étendre sur le luxe le plus grand, comme le plus onéreux à l'état. C'est une vérité incontestable que le poids des tributs se fait sur-tout sentir dans ce royaume, par l'inégalité de son assiette, & que la force totale du corps politique est prodigieuse.

Passons à la taxe sur les terres, taxe très-sage quand elle est faite d'après un dénombrement, une estimation vraie & exacte ; il s'agit d'en exécuter la perception à peu de frais, comme cela se pratique en Angleterre. En France l'on fait des rôles où l'on met les diverses classes de fonds. Il n'y a rien à dire quand ces classes sont distinguées avec justice & avec lumieres ; mais il est difficile de bien connoître les différences de la valeur des fonds, & encore plus de trouver des gens qui ne soient pas intéressés à les méconnoître dans la confection des rôles. Il y a donc deux sortes d'injustices à craindre, l'injustice de l'homme & l'injustice de la chose. Cependant si la taxe est modique à l'égard du peuple, quelques injustices particulieres de gens plus aisés ne mériteroient pas une grande attention. Si au contraire on ne laisse pas au peuple par la taxe, de quoi subsister honnêtement, l'injustice deviendra des plus criantes, & de la plus grande conséquence. Que quelques sujets par hasard ne payent pas assez dans la foule, le mal est tolérable ; mais que plusieurs citoyens qui n'ont que le nécessaire payent trop, leur ruine se tourne contre le public. Quand l'état proportionne sa fortune à celle du peuple, l'aisance du peuple fait bien-tôt monter la fortune de l'état.

Il ne faut donc point que la portion des taxes qu'on met sur le fermier d'une terre, à raison de son industrie, soit forte, ou tellement décourageante de sa nature, qu'il craigne de défricher un nouveau champ, d'augmenter le nombre de ses bestiaux, ou de montrer une nouvelle industrie, de peur de voir augmenter cette taxe arbitraire qu'il ne pourroit payer. Alors il n'auroit plus d'émulation d'acquérir, & en perdant l'espoir de devenir riche, son intérêt seroit de se montrer plus pauvre qu'il n'est réellement. Les gens qui prétendent que le paysan ne doit pas être dans l'aisance, débitent une maxime aussi fausse que contraire à l'humanité.

Ce seroit encore une mauvaise administration que de taxer l'industrie des artisans ; car ce seroit les faire payer à l'état, précisément parce qu'ils produisent dans l'état une valeur qui n'y existoit pas : ce seroit un moyen d'anéantir l'industrie, ruiner l'état, & lui couper la source des subsides.

Les impôts modérés & proportionnels sur les consommations des denrées, des marchandises, sont les moins onéreux au peuple, ceux qui rendent le plus au souverain, & les plus justes. Ils sont moins onéreux au peuple, parce qu'ils sont payés imperceptiblement & journellement, sans décourager l'industrie, d'autant qu'ils sont le fruit de la volonté & de la faculté de consommer. Ils rendent plus au souverain qu'aucune autre espece, parce qu'ils s'étendent sur toutes choses qui se consomment chaque jour. Enfin ils sont les plus justes, parce qu'ils sont proportionnels, parce que celui qui possede les richesses ne peut en jouir sans payer à proportion de ses facultés. Ces vérités, malgré leur évidence, pourroient être appuyées par l'expérience constante de l'Angleterre, de la Hollande, de la Prusse, & de quelques villes d'Italie, si tant est que les exemples soient propres à persuader.

Mais il ne faut pas ajouter des impôts sur la consommation, à des impôts personnels dejà considérables ; ce seroit écraser le peuple, au lieu que substituer un impôt sur la consommation, à un impôt personnel, c'est tirer plus d'argent d'une maniere plus douce & plus imperceptible.

Il faut observer en employant cet impôt, que l'étranger paye une grande portion des droits ajoutés au prix des marchandises qu'il achete de la nation. Ainsi les marchandises qui ne servent qu'au luxe, & qui viennent des pays étrangers, doivent souffrir de grands impôts. On en rehaussera les droits d'entrée, lorsque ces marchandises consisteront en des choses qui peuvent croître, ou être également fabriquées dans le pays, & on en encouragera les fabriques ou la culture. Pour les marchandises qu'on peut transporter chez l'étranger, s'il est de l'avantage public qu'elles sortent, on levera les droits de sortie, ou même on en facilitera la sortie par des gratifications.

Enfin les impôts sur les denrées & les marchandises qu'on consomme dans le pays, sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu'on ne leur fait pas une demande formelle. Ces sortes de droits peuvent être si sagement ménagés, que le peuple ignorera presque qu'il les paye.

Pour cet effet, il est d'une grande conséquence que ce soit le vendeur de la marchandise qui paye le droit. Il sait bien qu'il ne le paye pas pour lui, & l'acheteur qui donne le fonds, le paye, le confond avec le prix. De plus, quand c'est le citoyen qui paye, il en résulte toutes sortes de gênes, jusqu'à des recherches qu'on permet dans sa maison. Rien n'est plus contraire à la liberté. Ceux qui établissent ces sortes d'impôts, n'ont pas le bonheur d'avoir rencontré la meilleure sorte d'administration.

Afin que le prix de la chose, & l'imposition sur la chose puisse se confondre dans l'esprit de celui qui paye, il faut qu'il y ait quelque rapport entre la valeur de la marchandise & l'impôt ; & que sur une denrée de peu de valeur on ne mette point un droit excessif. Il y a des pays où le droit excede de quinze à vingt fois la valeur de la denrée, & d'une denrée essentielle à la vie. Alors le prince qui met de pareilles taxes sur cette denrée, ôte l'illusion à ses sujets ; ils voyent qu'ils sont imposés à des droits tellement déraisonnables, qu'ils ne sentent plus que leur misere & leur servitude. D'ailleurs, pour que le prince puisse lever un droit si disproportionné à la valeur d'une chose, il faut qu'il la mette en ferme, & que le peuple ne puisse l'acheter que de ses fermiers, ce qui produit mille desastres.

La fraude étant dans ce cas très-lucrative, la peine naturelle, celle que la raison demande, qui est la confiscation de la marchandise, devient incapable de l'arrêter ; il faut donc avoir recours à des peines japonoises, & pareilles à celles que l'on inflige aux plus grands crimes. Des gens qu'on ne sauroit regarder comme des hommes méchans, sont punis comme des scélérats : toute la proportion des peines est ôtée.

Ajoutons que plus on met le peuple dans la nécessité de frauder ce fermier, plus on enrichit celui-ci, & plus on appauvrit celui-là. Le fermier avide d'arrêter la fraude, ne cesse de se plaindre, de demander, de surprendre, d'obtenir des moyens de vexations extraordinaires, & tout est perdu.

En un mot les avantages de l'impôt sur les consommations, consistent dans la modération des droits sur les denrées essentielles à la vie, dans la liberté de contribution à leur consommation, & dans l'uniformité d'imposition. Sans cela, cette espece d'impôt admirable dans le principe, n'a plus que des inconveniens. Voyez-en la preuve dans l'excellent ouvrage intitulé recherches & considérations sur les finances, 1758, in-4°. 2 vol.

L'impôt arbitraire par tête est plus conforme à la servitude que tout autre. L'impôt proportionnel sur les terres est conforme à la justice. L'impôt sur les marchandises convient à la liberté d'un peuple commerçant. Cet impôt est proprement payé par l'acheteur, quoique le marchand l'avance & à l'acheteur & à l'état. Plus le gouvernement est modéré, plus l'esprit de liberté regne, plus les fortunes ont de sûreté, plus il est facile aux négocians d'avancer à l'état & aux particuliers des droits considérables. En Angleterre, un marchand prête réellement à l'état cinquante livres sterling, à chaque tonneau de vin qu'il reçoit de France. Quel est le marchand qui oseroit faire une chose de ce genre dans un pays gouverné comme la Turquie ? Et quand il l'oseroit faire, comment le pourroit-il avec une fortune suspecte, incertaine, ruinée ?

La plûpart des républiques peuvent augmenter les impôts dans les pressans besoins, parce que le citoyen qui croit les payer à lui-même, a la volonté de les payer, & en a ordinairement le pouvoir, par l'effet de la nature du gouvernement. Dans la monarchie mitigée, les impôts peuvent s'augmenter, parce que la sagesse, l'habileté du gouvernement, y peut procurer des richesses ; c'est comme la récompense du prince, à cause du respect qu'il a pour les lois.

Cependant plus il les respecte, plus il doit borner les impôts qu'il est forcé d'établir, les distribuer proportionnellement aux facultés, les faire percevoir avec ordre, sans charges & sans frais. L'équité de la levée des tributs de la ville de Rome, tenoit au principe fondamental du gouvernement, fondé par Servius Tullius, & ne pouvoit être enfreinte que la république ne fût ébranlée du même coup, comme l'expérience le justifia.

L'imposition mise par Aristide sur toute la Grece, pour soutenir les frais de la guerre contre les Perses, fut répartie avec tant de douceur & de justice, que les contribuables nommerent cette taxe l'heureux sort de la Grece ; & c'est vraisemblablement la seule fois qu'une taxe a eu cette belle qualification. Elle montoit à 450 talens ; bien-tôt Périclès l'augmenta d'un tiers ; enfin ayant été triplée dans la suite, sans que la guerre fût plus ruineuse par sa longueur, ou par les divers accidens de la fortune, cette pesanteur d'impôt arrêta le progrès des conquêtes, épuisa les veines du peuple, qui devenu trop foible pour résister à Philippe, tomba sous le joug de son empire.

Ayons donc pour maxime fondamentale de ne point mesurer les impôts à ce que le peuple peut donner, mais à ce qu'il doit donner équitablement ; & si quelquefois on est contraint de mesurer les impôts à ce que le peuple peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner ; sans ce ménagement il arrivera qu'on sera forcé ou de surcharger ce malheureux peuple, c'est-à-dire de ruiner l'état, ou de faire des emprunts à perpétuité, ce qui conduit à la surcharge perpétuelle de l'imposition, puisqu'il faut payer les intérêts ; finalement il en résulte un désordre assuré dans les finances, sans compter une infinité d'inconvéniens pendant le cours de ces emprunts. Le principe qu'on vient de poser est bien plus constant, d'un effet plus étendu, & plus favorable à la monarchie, que les trésors amassés par les rois.

Le souverain doit ôter tous les impôts qui sont vicieux par leur nature, sans chercher à en réprimer les abus, parce que la chose n'est pas possible. Lorsqu'un impôt est vicieux par lui-même, comme le sont tous les tributs arbitraires, la forme de la régie, toute bonne qu'elle est, ne change que le nom des excès, mais elle n'en corrige pas la cause.

La maxime des grands empires d'orient, de remettre les tributs aux provinces qui ont souffert, devroit être portée dans tous les états monarchiques. Il y en a où elle est adoptée, mais où en même tems elle accable autant & plus que si elle n'y étoit pas reçue, parce que le prince n'en levant ni plus ni moins, tout l'état devient solidaire. Pour soulager un village qui paye mal, on charge de la dette un autre village qui paye mieux ; on ne rétablit point le premier, on détruit le second. Le peuple est désespéré entre la nécessité de payer pour éviter des exécutions qui suivent promtement, & le danger de payer, crainte de surcharges.

On a osé avancer que la solidité des habitans d'un même village étoit raisonnable, parce qu'on pouvoit supposer un complot frauduleux de leur part. Mais où a-t-on pris, que sur des suppositions, on doive établir une chose injuste par elle-même, & ruineuse pour l'état ? Il faut bien, dit-on, que la perception des impôts soit fixe pour répondre aux dépenses qui le sont. Oui la perception des impôts qui ne seront pas injustes & ruineux. Remettez sans hésiter de tels impôts, ils fructifieront immanquablement. Cependant ne peut-on pas faire des retranchemens sur plusieurs de ces dépenses qu'on nomme fixes ? Ce que l'entente peut dans la maison d'un particulier, ne le pourroit-elle pas dans l'administration d'un état ? N'a-t-il point de ressources pour économiser dans des tems de paix, se libérer s'il est endetté, former même des épargnes pour les cas fortuits, les consacrer au bien public ; & en attendant, les faire toujours circuler entre les mains des tresoriers, des receveurs, en prêts à des compagnies solides, qui établiroient des caisses d'escompte, ou par d'autres emplois.

Il y a cent projets pour rendre l'état riche, contre un seul dont l'objet soit de faire jouir chaque particulier de la richesse de l'état. Gloire, grandeur, puissance d'un royaume ! Que ces mots sont vains & vuides de sens, auprès de ceux de liberté, aisance, & bonheur des sujets ! Quoi donc, ne seroit-ce pas rendre une nation riche & puissante, que de faire participer chacun de ses membres aux richesses de l'état ? Voulez-vous y parvenir en France ? les moyens s'offrent en foule à l'esprit ; j'en citerai quelques-uns par lesquels je ne puis mieux terminer cet article.

1°. Il s'agit de favoriser puissamment l'Agriculture, la population & le commerce, sources des richesses du sujet & du souverain. 2°. Proportionner le bénéfice des affaires de finances à celui que donne le négoce & le défrichement des terres en général ; car alors les entreprises de finances seront encore les meilleures, puisqu'elles sont sans risque, outre qu'il ne faut jamais oublier que le profit des financiers est toujours une diminution des revenus du peuple & du roi. 3°. Restraindre l'usage immodéré des richesses & des charges inutiles. 4°. Abolir les monopoles, les péages, les privileges exclusifs, les lettres de maîtrise, le droit d'aubaine, les droits de franc-fiefs, le nombre & les véxations des fermiers. 5°. Retrancher la plus grande partie des fêtes. 6°. Corriger les abus & les gênes de la taille, de la milice & de l'imposition du sel. 7°. Ne point faire de traités extraordinaires, ni d'affoiblissement dans les monnoies. 8°. Souffrir le transport des especes, parce que c'est une chose juste & avantageuse. 9°. Tenir l'intérêt de l'argent aussi bas que le permet le nombre combiné des prêteurs & des emprunteurs dans l'état. 10°. Enfin, alléger les impôts, & les répartir suivant les principes de la justice distributive, cette justice par laquelle les rois sont les représentans de Dieu sur la terre. La France seroit trop puissante, & les François seroient trop heureux, si ces moyens étoient mis en usage. Mais l'aurore d'un si beau jour est-elle prête à paroître ? (D.J.)

IMPOT en faveur du Théâtre, c'est dans les anciens auteurs un impôt qu'on levoit sur le peuple par voie de taxe, pour payer les frais des représentations théatrales, ou d'autres spectacles. Voyez SPECTACLE.

Il y avoit plusieurs questeurs ou tresoriers particuliers pour cet impôt ; il fut établi par une loi d'Eubulus, que ce seroit un crime capital de détourner à d'autres usages l'argent destiné aux frais du théâtre, & même de s'en servir pour les besoins de la guerre.

Parmi nous on tire du théâtre même une espece d'impôt en faveur des pauvres. C'est le quart de la somme que produit chaque représentation, & on l'appelle le quart des hôpitaux à l'entretien desquels cet argent est affecté. On accepte l'aumône du comédien, & on lui refuse des prieres.


IMPRATICABLE(Gramm.) qui ne peut être pratiqué. Il se dit des choses & des personnes. Ces chemins sont impraticables. C'est un homme impraticable. Tout ce qui fait un obstacle insurmontable à l'exercice de nos facultés, sur-tout corporelles, s'appelle ou peut s'appeller impraticable.


IMPRÉCATIONS. f. (Antiq. greq. & rom.) execratio, devotio, deprecatio, obsecratio, c'est-à-dire malédiction. Ce terme dans l'acception commune, désigne proprement des voeux formés par la colere ou par la haine.

On appelle de ce mot les expressions emportées, que le desir de la vengeance nous arrache, lorsque nous sentant trop foibles pour nuire par nous-mêmes à ce que nous haïssons, nous osons réclamer le secours de la divinité, & l'inviter à épouser nos ressentimens.

Mais il s'agit ici de ces imprécations singulieres des anciens, que leur religion & la croyance des peuples autorisent. Ce sujet vraîment curieux pour un littérateur philosophe, a fait la matiere de plusieurs savans mémoires insérés dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres : il en faut détacher les généralités les plus importantes & les plus assortissantes au plan de cet Ouvrage.

Commençons par distinguer les imprécations des anciens, en imprécations publiques, en imprécations des particuliers, & en imprécations contre soi-même, lorsqu'on se dévouoit pour la patrie ; mais nous ne dirons rien de ces dernieres, parce que nous en avons déja traité à l'article DEVOUEMENT, (Hist. & Littér.)

J'entends par imprécations publiques, celles que l'autorité publique ordonnoit en certains cas chez les Grecs, chez les Romains, & chez quelques autres peuples.

Les citoyens impies, mais sur-tout les oppresseurs de la liberté & les ennemis de l'état, furent l'objet le plus ordinaire de ces sortes d'imprécations. Alcibiade en subit la peine, pour avoir mutilé les statues de Mercure, & pour avoir profané les sacrés mysteres de Cérès.

Dès que les Athéniens eurent secoué le joug des Pisistratides, un decret du sénat ordonna des imprécations contre Pisistrate & ses descendans. Un pareil decret en ordonna de plus fortes encore contre Philippe, roi de Macédoine. Tite-Live nous en a conservé la teneur que voici.

Le peuple, dit-il, obtint du sénat un decret, qui portoit que les statues qu'on avoit élevées à ce prince, seroient renversées ; que tous ses portraits seroient déchirés ; que son nom & ceux de ses ancêtres de l'un & de l'autre sexe, seroient effacés ; que les fêtes établies en son honneur seroient réputées profanes, & les jours où on les célebroit, des jours malheureux ; que les lieux où l'on avoit placé quelque monument à sa gloire, seroient déclarés des lieux exécrables ; enfin, que les prêtres dans toutes leurs prieres publiques pour les Athéniens & pour leurs alliés, seroient obligés de joindre des malédictions contre la personne & la famille de Philippe. On inséra depuis dans le decret, que tout ce qui pourroit être imaginé pour flétrir le nom du roi de Macédoine, seroit avoué & adopté par le peuple d'Athènes ; & que si quelqu'un osoit s'y opposer, il seroit regardé pour ennemi de l'état.

Eschine nous apprend que les Amphictions s'obligerent par une amere imprécation, non-seulement à ne jamais cultiver, mais même à ne jamais permettre qu'on cultivât les terres des Cyrrhéens & des Acragallides, qui avoient prophané le temple de Delphes, & s'étoient gorgés du butin des offrandes dont l'avoit enrichi la piété des peuples : voici les propres termes de l'imprécation, ils sont bien curieux.

" Si quelqu'un, soit particulier, soit ville, soit nation entiere, viole cet engagement, qu'on les déteste comme criminels de leze-majesté divine envers Apollon, Latone, Diane & Minerve ; que leurs terres ne donnent point de fruits ; que leurs femmes n'enfantent pas des hommes, mais des monstres ; que leurs troupeaux ne produisent que des masses contraires à l'ordre de la nature ; que sans-cesse de tels gens succombent dans toute expéditions de guerre, dans tout jugement de tribunal, dans toute délibération de peuple ; qu'eux, leur famille & leur race, périssent par une extermination totale ; qu'enfin aucune victime de leur part ne trouve grace devant les quatre divinités offensées, & qu'à jamais elles rejettent de semblables sacrifices.

Comme toutes les imprécations avoient pour but d'attirer la colere des dieux sur la tête de celui contre qui on les prononçoit, les divinités, qui dans la Mythologie présidoient à la vengeance, entre lesquelles les Furies tenoient le premier rang, étoient celles qu'on invoquoit le plus généralement dans les imprécations.

Les voeux qu'on leur adressoit sont appellés indistinctement, execrationes, execrationum carmen, dirae, deprecationes, devotiones, vota feralia, termes qui marquent qu'on ne les invoquoit que pour en obtenir quelque chose de funeste ; afin de répandre une sorte d'horreur sur les sacrifices qui faisoient partie de la cérémonie, on les offroit ces sacrifices, non sur des autels élevés, mais dans des fosses profondes que l'on creusoit exprès.

Le premier but de ces prieres vengeresses étoit de mettre les divinités infernales en possession du coupable, qu'on leur abandonnoit ; c'est ce qu'on entendoit par les deux mots devovere diris. Ceux qui avoient été ainsi dévoués étoient regardés comme des ennemis publics, & comme des hommes exécrables. Bannis de la société, ils n'avoient plus de part aux aspersions qui se faisoient avec les tisons sacrés trempés dans le sang des victimes. Ils n'avoient plus la liberté d'offrir des libations dans les temples, ni d'assister aux assemblées du peuple. Chassés de leur patrie, ils n'y étoient pas même reçûs après leur mort : on ne vouloit pas que leurs vêtemens fussent confondus avec ceux des citoyens, ni que la terre natale qu'ils avoient deshonorée, servît à les couvrir ; à moins que sur des preuves bien authentiques de leur innocence, ils ne fussent réhabilités. La réhabilitation se faisoit en immolant quelques victimes à l'honneur des mêmes dieux, dont on avoit imploré l'assistance par les imprécations.

Mais les meurtriers, les assassins, les parricides ne pouvoient jamais se flater de cet avantage. C'est ainsi que le déclare Oedipe dans Sophocle, lorsqu'il prononce ces violentes imprécations contre le meurtrier de Laïus. " Je défends, dit-il, qu'en aucun lieu de mes états, ce malheureux soit reçû dans les sacrifices & dans les compagnies : je défends qu'on ait rien de commun avec lui, pas même la participation de l'eau lustrale ; & j'ordonne qu'on le bannisse comme un monstre, de toutes les maisons où il se retireroit. Puisse le criminel éprouver l'effet des malédictions dont je l'accable aujourd'hui. Qu'il traîne une vie misérable, sans feu, sans lieu, sans secours, & sans espoir d'être jamais réhabilité.

Les imprécations furent originairement établies par le concours de la religion & de la politique, pour exclure de la société & de la participation aux avantages qui y sont attachés, ceux qui seroient capables d'en détruire l'ordre & l'administration. On regarda les imprécations comme une suite naturelle du droit commun dont jouit tout gouvernement, de pouvoir retrancher de son sein, les membres qui le bouleversent & les sujets rebelles.

Je n'examinerai point si l'usage qu'on en a fait dans l'antiquité en divers tems & en plusieurs pays, n'a pas quelquefois dégénéré en abus ; & si la passion se couvrant du voile de la religion & du bien public, ne les a pas quelquefois injustement appliquées ; je sais qu'on les employoit très-rarement & seulement dans des cas extrêmes. Cependant on ne sauroit nier que les formules n'en fussent blâmables, & qu'en même tems elles étoient accompagnées de cérémonies infamantes, qu'il falloit retrancher. Mais les abus des excommunications qui ont succédé aux imprécations des Payens, sont bien autrement condamnables. Il n'y en a que trop d'exemples dans les derniers siecles. " Dieu, dit M. l'abbé de Fleury, a permis les suites affreuses des fausses idées qu'on a eu si long-tems sur l'excommunication pour nous en desabuser à jamais, du-moins par l'expérience ". Voyez EXCOMMUNICATION.

On peut même ajouter, à la décharge des imprécations des anciens, qu'elles n'étoient pas toujours mêlées de formalités odieuses, & qu'elles varioient suivant la nature du crime qui y donnoit lieu, & suivant les idées que les peuples en avoient. Lorsque les Crétois, chez qui la dépravation des moeurs étoit regardée comme la source de tous les desordres, chassoient de leur île un citoyen corrompu ; ils ne fermoient contre lui d'autre voeu, sinon qu'il fût obligé de passer sa vie hors de sa patrie, dans la compagnie de gens qui lui ressemblassent ; imprécation bien digne d'un peuple qui avoit eu Minos pour législateur.

L'usage des imprécations passa des Grecs chez les Romains ; elles s'étoient glissées à Rome, dès la naissance de la république ; & elles y subsisterent dans les tems postérieurs. Valerius Publicola, autorisé par le peuple, dévoua aux dieux infernaux la vie & les biens de quiconque oseroit aspirer à la royauté. Crassus, ce Romain si fameux par ses richesses, ayant formé le dessein d'aller conquérir le pays des Parthes, surmonta par la faveur de Pompée, l'opposition que les pontifes mettoient à cette entreprise ; mais le tribun Atéius s'étant fait apporter dans l'endroit par où Crassus devoit passer, un réchaud plein de feu, y jetta quelques parfums, fit des aspersions, & prononça une formule conçûe en termes si effrayans, qu'on la nomma carmen desperatum.

Telles étoient la plûpart des imprécations particulieres ; je les définis, des prieres qu'on adresse à un être suprême, pour l'engager à se porter vangeur des injures, dont sa protection n'a pas garanti, & dont on est hors d'état de se vanger.

Rien n'est plus naturel à la foiblesse accablée, que d'implorer l'assistance d'un pouvoir supérieur à ceux qui l'oppriment. Les hommes dans tous les tems ont adressé leurs voeux aux dieux protecteurs de l'humanité. L'idée de tirer vengeance des maux qu'on a soufferts par la malice ou la violence des autres, est une idée pleine de douceur & de consolation. Les malheureux ne desirent guere moins la vengeance de leurs calamités, que la protection des dieux, pour la conservation de leurs repos. Ils se sont toujours adressés à la justice divine, pour la punition des offenses dont ils ne peuvent se flater d'obtenir la satisfaction d'une autre maniere. Les voeux commencent où l'espoir vient à cesser.

Il est beaucoup parlé dans l'antiquité des imprécations célebres, dont l'effet a rempli également de terreur & de pitié, les théâtres de la Grece, & quelquefois les nôtres. Il est vrai que c'est par le canal des poëtes que la connoissance de ces imprécations est parvenue jusqu'à nous ; mais il n'est pas moins vrai que les poëtes sont les historiens des tems les plus éloignés, & les témoins d'une vieille tradition, dont le souvenir quand ils écrivoient, n'étoit pas encore effacé de la mémoire des hommes.

Or de toutes les imprécations, dont les écrits des poëtes sont remplis, les plus remarquables ont été celles que les peres irrités ont faites contre leurs enfans.

Il faut d'abord observer que soit qu'elles eussent leur fondement légitime dans quelque grand outrage, soit qu'elles ne fussent que le produit d'un esprit troublé par des soupçons injustes, l'événement n'en étoit pas moins funeste à ceux qui en étoient frappés.

Pour découvrir la cause de cette opinion reçûe chez les anciens, il faut remonter aux tems du monde, qui ont précédé l'établissement des états. Alors un pere de famille, maître absolu de la destinée de ses enfans, ne voyoit rien au-dessus de lui que les dieux. Il en étoit en quelque sorte l'image vivante ; & comme les peres par leur sagesse, s'attiroient de leurs enfans l'admiration, & le respect qui en est inséparable, de même par leur tendresse & par leurs soins, ils en avoient le coeur & l'attachement. Les enfans ne voyoient donc après les dieux, rien qui fût si bon ni si grand, que les auteurs de leur naissance ; aussi de toute ancienneté, le respect dû aux peres par leurs enfans marche à côté du culte des dieux.

Les Furies, nées selon Hésiode du sang d'un pere outragé par son fils, de Célus mutilé par Saturne, étoient les ministres infatigables des vengeances paternelles. C'étoit à elles que les peres dans l'excès de leur colere adressoient les imprécations contre leur propre sang ; & s'ils appelloient quelque autre divinité à leur vengeance, les Furies étoient toujours prêtes à se joindre à elles, pour exécuter leurs ordres. Althée, dit Homere, frappoit à genoux la terre avec les mains, lorsqu'elle proféroit son imprécation contre son fils Méléagre, & demandoit aux dieux des enfers & à Proserpine la mort de ce fils infortuné, la Furie qui erre dans les ténebres, entendit du fond du Tartare sa funeste priere.

L'effet même des imprécations paternelles sur des enfans innocens ne se révoquoit point en doute, parce que le pere étoit regardé comme le souverain seigneur de sa famille. La politique fortifia dans l'esprit des hommes une opinion d'où dépendoit le repos de l'ordre public.

Entre les imprécations prononcées par un pere avec justice, personne ne peut oublier celle d'Oedipe contre Etéocle & Polinice, qui leur fut si fatale. C'est le principal point de vûe des Phéniciennes d'Euripide, & de la tragédie d'Eschyle intitulée les sept devant Thebes.

On ne se ressouvient pas moins des imprécations de Thésée, qui toutes injustes qu'elles étoient, donnerent la mort à Hyppolite son fils vertueux, & à lui une douleur mortelle. C'est encore le sujet de la tragédie d'Euripide, qui a pour titre Hyppolite.

L'histoire moderne rapporte que le malheureux Henri IV. empereur d'Allemagne, trompé par son indigne fils, qui le dépouilla de sa couronne, s'écrioit en mourant, " Dieu des vengeances, vous vengerez ce parricide ". Ainsi de tout tems, les hommes ont imaginé que Dieu exauçoit les imprécations des mourans, & sur-tout celles des peres. Erreur utile & respectable, dit M. de Voltaire, si elle pouvoit arrêter le crime !

En général, les Romains croyoient que les imprécations avoient une telle force, qu'aucun de ceux contre qui elles avoient été faites n'en pouvoit éviter l'effet. C'est en profitant de cette opinion superstitieuse, qu'Horace dans une ode satyrique contre la magicienne Canidie, lui dit " vos maléfices ne changeront point le cours de la justice des dieux ; mais mes imprécations vont attirer sur vous la colere du ciel, & nul sacrifice n'en pourra détourner l'accomplissement. "

Dira detestatio

Nullâ expiatur victimâ. Ode V. lib. V.

Je ne dois pas oublier de remarquer que les anciens, à la prise & à la destruction des villes, qui leur avoient couté beaucoup de sang, prononcerent quelquefois des imprécations contre quiconque oseroit les rétablir.

Quelques-uns croient que ce fut-là la principale raison, pour laquelle Troie ne put jamais se relever de ses cendres, les Grecs l'ayant dévouée à une chûte éternelle & irréparable.

Ces imprécations contre des villes entieres saccagées & renversées, passerent chez les Juifs, qui les goûterent avec avidité, & les employerent impitoyablement. Ainsi nous lisons que Josué à la destruction de Jéricho, fit de fatales imprécations contre quiconque oseroit la rebâtir ; ce qui fut accompli au bout d'environ 537 ans dans la personne d'Hiel de Béthel ; & s'il est parlé dans ce long espace de tems d'une ville de Jéricho, cette ville n'avoit point été bâtie sur les fondemens de l'ancienne, mais dans son voisinage. Ce ne fut qu'après la mort d'Hiel, qu'on vint demeurer dans la premiere qu'il avoit réparée.

Mais tous les peuples s'accorderent à lancer des imprécations contre les violateurs des sépulchres, qui par-tout étoient des lieux réputés sacrés. On chargeoit les tombeaux de diverses formules terribles : que le violateur meure le dernier de sa race, qu'il s'attire l'indignation des dieux, qu'il soit privé de la sépulture, qu'il soit précipité dans le Tartare, qu'il voie les ossemens des siens déterrés & dispersés, que les mysteres d'Isis troublent à jamais son repos, que ses descendans soient réduits au même état qu'il éprouve. Deos iratos habeat....ossa suorum eruta atque dispersa videat, si quis de eo sepulchro violarit, &c.

Enfin, les imprécations furent en usage chez les Gaulois, mais il n'appartenoit qu'aux druides de les prononcer, & la désobéissance à leurs décisions étoit au rapport de César, de bello Gallico, lib. VI. p. 220, edit. variorum, le cas le plus ordinaire où ils les employassent. On en peut croire César sur sa parole, il avoit vû ce qu'il avançoit, & s'il ne l'avoit pas vû, on pourroit l'en croire encore. (D.J.)

IMPRECATIONS, s. f. pl. (Littérat.) dirae ; ce sont les déesses impitoyables que l'on nommoit Furies sur la terre ; Euménides aux enfers, & imprécations dans le ciel, dit Servius sur le quatrieme livre de l'Enéïde.

Quelques uns croient que leur nom latin dirae vient du grec , qui signifie terribles.

Incinctae igni

Incedunt cum ardentibus taedis.

On les invoquoit toujours dans toutes les prieres qu'on faisoit contre ses ennemis, ou contre les scélerats.

Ces prétendues déesses vengeresses avoient outre leurs temples & leurs bois sacrés, des libations qui leur étoient propres, & dans lesquelles on n'employoit que l'eau & le miel, sans aucun mêlange de vin. On ne parloit qu'avec une horreur religieuse de ces divinités infernales & célestes. On évitoit de prononcer leurs deux noms d'imprécations & de Furies, & l'on leur substituoit celui d'Euménides, qui n'offroit rien d'affreux. Voyez EUMENIDES.

Enfin, comme on tremble toujours à l'aspect de la main qui va nous frapper, aussi n'y avoit-il rien qui portât avec soi plus d'épouvante que le caractere des Furies, dont Héraclite disoit qu'elles arrêteroient le soleil même, s'il vouloit se détourner de sa route ; mais il ne s'agit pas ici de s'étendre davantage, le lecteur peut consulter leur article, où l'on est entré dans de grands détails. (D.J.)

IMPRECATION, (Littérat.) figure de rhétorique par laquelle l'orateur souhaite des malheurs à ceux à qui il parle. Elle est quelquefois dictée par l'horreur pour le crime & pour les scélérats, comme celle-ci du grand-prêtre Joad dans l'Athalie de Racine.

Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan & sur elle

Répandre cet esprit d'imprudence & d'erreur,

De la chûte des rois, funeste avant-coureur.

Quelquefois elle est l'effet de l'indignation, mais le plus souvent celui de la colere & de la fureur. Ainsi dans Rodogune Cléopatre expirante, souhaite à son fils Antiochus & à cette princesse tous les malheurs réunis.

Puisse le ciel, tous deux vous prenant pour victimes,

Laisser tomber sur vous la peine de mes crimes.

Puissiez-vous ne trouver dedans votre union,

Qu'horreur, que jalousie, & que confusion ;

Et pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,

Puisse naître de vous un fils qui me ressemble.


IMPRÉGNATIONsub. f. (Oecon. anim.) ce terme est proprement synonyme de fécondation. Voy. FECONDATION, GENERATION, GROSSESSE.


IMPREGNERverb. act. (Gram.) impregner un corps d'un autre, c'est répandre les molécules de celui-ci entre les molécules du premier, ensorte qu'il y en ait par-tout également : c'est ainsi qu'un drap est imprégné de la liqueur colorante ; qu'une eau est imprégnée de sel, &c. Ainsi l'imprégnation se fait ou par le mélange, ou par l'imbibition, ou par la combinaison, ou par la dissolution, &c.


IMPRENABLEadj. (Gram.) qui ne peut être pris, forcé. Il ne se dit guere que d'une place fortifiée. Il n'y a aucune place imprenable depuis l'invention de la poudre à canon.


IMPRESCRIPTIBILITÉS. f. (Jurisprud.) est la nature d'une chose qui la rend imprescriptible, ou non sujette à être prescrite, soit activement ou passivement. Voyez PRESCRIPTION. (A)


IMPRESCRIPTIBLEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui ne peut être prescrit, comme le domaine du roi. Il y a des choses qui sont imprescriptibles de leur nature, de maniere qu'elles ne peuvent jamais être prescrites ; d'autres qui, quoique sujettes en général à la loi de la prescription, ne peuvent être prescrites pendant un certain tems où la prescription ne court pas. Voyez PRESCRIPTION. (A)


IMPRESSEadj. (Philosop.) on dit des especes impresses, & des especes expresses. On entend par les premieres, des émanations qui se détachant des corps dont elles sont des simulacres legers, viennent frapper nos organes, & sont transmises au sensorium commune, où le principe intelligent s'en occupe & s'en forme des concepts qu'on appelle especes expresses. Les especes impresses sont matérielles, les expresses sont spirituelles ; les unes & les autres sont chimériques. Voyez les articles IDEES, SENSATION, &c.


IMPRESSIONS. f. (Gram.) c'est en général la marque de l'action d'un corps sur un autre. Les piés des animaux s'impriment sur la terre molle. Le coin laisse son impression sur la monnoie. Les objets extérieurs font impression sur nos sens. Les impressions reçues dans la jeunesse, ressemblent aux caracteres gravés sur l'écorce des arbres ; ils croissent & se fortifient avec eux. Ce n'est point par les impressions de détail, qu'il faut juger de la bonté morale d'un ouvrage dramatique, mais par l'impression derniere qu'on en remporte. Vous avez cent fois ri du misanthrope Alceste ; vous l'avez trouvé brutal, opiniâtre, insensé, ridicule ; mais à la fin, vous prendriez volontiers son rôle dans la société, & vous l'estimez assez pour souhaiter de lui ressembler. Le mot impression a cent autres acceptions diverses, tant simples que figurées.

IMPRESSION, s. f. c'est le produit de l'art de l'Imprimeur. La beauté d'une impression dépend de tant de circonstances différentes, qu'il est presque impossible de trouver à cet égard un seul livre également bien conditionné : il n'y a guere que du plus ou moins.

L'impression d'Hollande a dû la réputation dont elle jouissoit, à l'élégance de ses caracteres, & à la beauté de son papier. La fonderie en caracteres a surpassé ici celle de Hollande ; mais il seroit encore à desirer qu'en faisant l'oeil un peu plus creux, il devînt moins sujet à se remplir d'encre, & s'écrasât moins promtement. Les caracteres anciens sont moins beaux, mais ils conservent plus long-tems l'oeil net par cette raison.

Il seroit encore d'une grande utilité dans l'Imprimerie, que tous les caracteres, même chez les différens fondeurs, fussent exactement de la même hauteur ; mais par une politique qui nuit extrêmement à la qualité de l'impression, chaque fondeur a presque des hauteurs particulieres. Et quand dans la même feuille on est obligé d'employer différens caracteres, ce qui arrive souvent, on a le desagrément de voir une partie noire, & l'autre blanche. Tout le talent des imprimeurs à la presse ne peut y remédier entierement.

Pour le papier, bien-loin que nos manufactures égalent celles de Hollande, il devient de plus en plus mauvais. Dans la même main de papier, il se trouve souvent des feuilles de trois épaisseurs différentes ; du blanc & du gris. Les imprimeurs trempant leur papier, & touchant leur forme suivant la qualité du papier, ne peuvent que se tromper souvent. On voit dans une édition une feuille noire, après une blanche. C'est cependant quelquefois la faute des imprimeurs.


IMPRESSIONS digitales, (Anatom.) c’est ainsi qu’on nomme quelques enfoncemens superficiels, que présente la partie de l’os frontal, qui forme la voûte orbitaire. On appelle ces enfoncemens impressions digitales, parce qu’ils ressemblent assez à ceux qu’on feroit avec l’extrémité des doigts sur une matiere molle. Ils sont formés par les circonvolutions de la substance corticale des lobes antérieurs du cerveau. Voyez FRONTAL os. (D. J.)


IMPRIMAGES. m. se dit parmi les Tireurs d'or, de l'action de l'avanceur qui passe une fois son fil dans chacun de ses prégatons, ce qui fait le premier & le second imprimage.


IMPRIMER(Grammaire) c'est porter l'empreinte d'un objet sur un autre.

Imprimer en lettres, c'est porter l'empreinte des lettres sur du papier, ou quelqu'autre matiere propre à la recevoir.

Imprimer en taille-douce, c'est porter l'empreinte d'une planche gravée sur des surfaces propres à la prendre ; & aussi de toutes les autres manieres d'imprimer. Voyez les articles IMPRIMERIE EN LETTRES, & IMPRIMERIE EN TAILLE-DOUCE.

IMPRIMER, en Architec. v. a. c'est peindre d'une ou de plusieurs couches d'une même couleur à l'huile ou à détrempe les ouvrages de charpenterie, de menuiserie, de serrurerie, & quelquefois les plâtres qui sont au dedans ou au dehors des bâtimens, autant pour les conserver, que pour les décorer.

On appelle toutes les peintures de bâtimens peintures d'impressions.

IMPRIMER, en terme de Cirier, c'est imbiber la méche d'une premiere couche de cire, pour la rendre plus facile à prendre les autres.

IMPRIMER, se dit en Peinture, des couches de colle & de celles de couleurs qu'on met sur les toiles, pour les rendre telles qu'elles doivent être pour y faire quelque tableau. Lorsque les toiles sont imprimées, il faut qu'elles soient bien seches avant de peindre dessus.

Imprimer se dit aussi des couches de couleurs à huile ou en détrempe qu'on donne sur les ouvrages de charpenterie, de menuiserie, & de serrurerie & de maçonnerie, soit pour les conserver ou les embellir de divers ornemens, de figures, panneaux, &c.

Imprimer se dit encore des estampes que l'on imprime.


IMPRIMERIES. f. (Hist. des Invent. modern.) art de tirer sur du papier l'empreinte des lettres, des caracteres mobiles, jettés en fonte, & qui servent de moule. On l'appelle autrement art typographique, & c'est un fort bon terme. Venons à la chose.

L'Imprimerie, cet art si favorable à l'avancement des Sciences, qui acquierent toûjours de la perfection à mesure que les connoissances se multiplient, fut trouvée vers le milieu du quinzieme siecle, à-peu-près dans le tems que la Gravûre fut connue, & les Romains n'avoient qu'un pas à faire pour en avoir la gloire.

Les auteurs qui ont écrit sur cette matiere s'accordent assez à fixer l'époque de cet art depuis l'année 1440, & à faire honneur à la ville de Mayence de l'avoir vû naître dans son sein. Harlem, qui se vante de cette gloire, a des partisans, & entr'autres Boxhorn. Enfin, la ville de Strasbourg a les siens, & en particulier MM. Mentel & Schefflin.

Toutefois, si l'on en juge impartialement, on ne peut guere douter que Guttenberg ne soit le véritable auteur de l'Imprimerie. Il étoit natif de Mayence, & sortoit d'une famille patricienne de cette ville, qui paroît avoir porté différens noms, celui de Zumjungen-aben, & celui de Gensfleisch. On trouve dans des contrats passés à Strasbourg, en 1441 & 1442, qu'il est appellé Joannes dictus Gensfleisch, aliàs nuncupatus Guttenberg, de Moguntia.

On assûre que Guttenberg, étant à Strasbourg en 1439, passa un acte avec trois bourgeois de cette ville, pour mettre en oeuvre plusieurs arts, & secrets merveilleux qui tiennent du prodige. Ce sont, dit M. Schefflin, les termes du traité (écrit en allemand) sans toutefois spécifier en quoi consistoient ces arts ; cependant il est permis de soupçonner que l'art d'imprimer étoit du nombre de ces secrets qualifiés de merveilleux.

En effet, l'invention de l'Imprimerie a été regardée, dans les commencemens, comme tenant du prodige, & même du sortilege. Les parties contractantes n'auront pas jugé à propos de s'expliquer plus clairement, dans l'espérance de tirer un profit considérable d'un art pour lequel il n'y avoit pas même encore de terme consacré.

En 1450, Guttenberg étant à Mayence pour chercher des amis qui vinssent au secours de ses fonds épuisés, fit dans cette année une nouvelle association avec Faust de Mayence. Voilà pourquoi Pierre Schoeffer, associé & gendre de Faust, a mis l'époque de l'origine de l'Imprimerie à Mayence dans ladite année 1450.

En 1452, le même Pierre Schoeffer, domestique de Faust, trouva le secret de jetter en fonte les caracteres, & mit par conséquent la derniere main à la perfection de l'Imprimerie ; car jusqu'alors Guttenberg & Faust n'avoient imprimé qu'avec des lettres sculptées en relief sur le bois & sur le métal : il falloit des lettres mobiles fondues, & c'est ce que Schoeffer exécuta.

En 1465, l'électeur de Mayence Adolphe II. honora Guttenberg de ses bonnes graces, eut soin de sa fortune, & le reçut au nombre des gentilshommes de sa maison, avec une pension honnête. Guttenberg ne jouit pas long-tems de ces avantages ; il mourut trois ans après à Mayence en 1468, & fut enterré dans l'église des Cordeliers de cette ville.

Je n'entrerai point ici dans un plus grand détail sur la vie des trois hommes qui ont les premiers imprimé des livres, & je ne dirai rien de la maniere dont se fait l'Imprimerie. Voyez cet article.

Je remarquerai seulement que ceux qui ne sont pas instruits de ce qui constitue essentiellement cet art admirable, ont fixé son origine ou à l'invention des tables gravées en bois, ou à celle des lettres fixes ; tandis qu'il est aisé de concevoir que la découverte des lettres mobiles, gravées en relief & jettées en fonte, en est la vraie base. Si donc la mobilité des caracteres fait le fondement de l'Imprimerie, ce ne sont ni les Chinois qui impriment à-peu-près de la même façon qu'on imprime aujourd'hui les estampes, ni ceux de Harlem dont la prétention ne sauroit s'étendre au-delà des tables de bois gravées, qui peuvent s'attribuer la gloire de l'invention. Ainsi le speculum humanae salvationis, gardé précieusement dans leur ville comme un monument incontestable de l'Imprimerie inventée chez eux par Laurent Coster, ne décide rien. Plusieurs autres ouvrages de cette espece, qu'on trouve chez des curieux, sont imprimés dans le même goût de gravûre.

On sait comment l'Imprimerie s'est répandue depuis 1462, par la révolution que Mayence éprouva cette même année. Adolphe, comte de Nassau, soutenu par le pape Pie II. ayant surpris cette ville impériale, lui ôta ses libertés & ses priviléges. Alors, tous les ouvriers, qu'elle avoit dans son sein, à l'exception de Guttenberg, s'enfuirent, se disperserent, & porterent leur art dans les lieux & les pays où il n'étoit pas connu. C'est à cet événement que tous les historiens réunis à Jean Schoeffer, fils de Pierre & petit-fils de Faust, placent l'époque de la dispersion, dont l'Europe profita.

En effet, par cette dispersion, les ouvriers de Mayence porterent leur industrie de toutes parts. Udalric, Han, Suvenheim, & Arnold Pannarts, se rendirent à Rome, où on les logea dans le palais des Maximes. Ils y imprimerent en 1467 le traité de S. Augustin de la cité de Dieu, une Bible latine, les offices de Ciceron, & quelques autres livres. En 1468, on vit un ouvrage sortir de l'Imprimerie d'Angleterre. A Venise, Jean de Spire & Vandelein publierent les épitres de S. Cyprien en 1471. Dans la même année, Sixtus Rufinger fit paroitre à Naples quelques ouvrages pieux. A Milan, Philippe de Lavagna mit au jour un Suétone en 1475.

A Paris, Ulric Gering, Martin Grantz, & Michel Fribulger, commencerent à imprimer dans une salle de la maison de Sorbonne ; & quatre ans après, Pierre Maufer, natif de Rouen, mit au jour dans sa patrie Alberti Magni de lapidibus & mineralibus.

A Strasbourg, selon le témoignage de Gebweiler & de Wimphelinge, Jean de Cologne & Jean Mentheim se distinguerent par leurs caracteres de fonte, & eurent pour successeur Henri Eggestein.

On vit paroitre à Lyon en 1478, les pandectes medicinales de Matthaeus Sylvaticus. On imprima la même année dans Geneve, un traité des anges du cardinal Ximenès.

Abbeville fit voir en 1486, en 2 volumes in-fol. l'ouvrage de la cité de Dieu de S. Augustin, traduit par Raoul de Presles en 1375. C'est le premier & peut-être l'unique livre qui ait été imprimé dans cette ville.

Jean de Westphalie mit au jour à Louvain, Petrus Crescentius de agriculturâ. A Anvers, Gérard Leeuw publia en 1489, ars epistolaris Francisci Nigri. A Déventer, Richard Pasraer imprima itinerarium Johannis de Hese.

Enfin, à Seville même, Paul de Cologne, & ses associés tous allemands, publierent un Floretum S. Matthaei en 1491.

Dans ce tems-là, Jean Amerbach faisoit imprimer de bons ouvrages à Basle, en caracteres ronds & parfaits. Mais dix ans auparavant, l'Italie donnoit déja des éditions précieuses en caracteres grecs. Milan, Venise, ou Florence, en eurent l'honneur.

Ainsi non-seulement l'on est parvenu rapidement, par le secours de l'impression, à multiplier les connoissances, mais encore à fixer & à transmettre jusqu'à la fin des siecles les pensées des hommes, tandis que leurs corps sont confondus avec la matiere, & que leurs ames se sont envolées au séjour des esprits.

Tous les autres arts qui servent à perpétuer nos idées, périssent à la longue. Les statues tombent finalement en poussiere. Les édifices ne subsistent pas aussi long-tems que les statues, & les couleurs durent moins que les édifices. Michel Ange, Fontana & Raphael sont ce que Phidias, Vitruve & Appelles étoient dans la sculpture, & les travaux de ceux-ci n'existent plus.

L'avantage que les auteurs ont sur ces grands maîtres, vient de ce qu'on peut multiplier leurs écrits, en tirer, en renouveller sans-cesse le nombre d'exemplaires qu'on desire, sans que les copies le cedent en valeur aux originaux.

Que ne payeroit-on pas d'un Virgile, d'un Horace, d'un Homere, d'un Cicéron, d'un Platon, d'un Aristote, d'un Pline, si leurs ouvrages étoient confinés dans un seul lieu, ou entre les mains d'une personne, comme peut l'être une statue, un édifice, un tableau ?

C'est donc à la faveur du bel art de l'Imprimerie que les hommes expriment leurs pensées dans des ouvrages qui peuvent durer autant que le soleil, & ne se perdre que dans le bouleversement universel de la nature. Alors seulement, les oeuvres inimitables de Virgile & d'Homere périront avec tous ces mondes qui roulent sur nos têtes.

Puisqu'il est vrai que les livres passent d'un siecle à l'autre, quel soin ne doivent pas avoir les auteurs d'employer leurs talens à des ouvrages qui tendent à perfectionner la nature humaine ? si par notre condition de particuliers nous ne pouvons pas faire des choses dignes d'être écrites, disoit Pline le jeune, tâchons du moins d'en écrire qui soient dignes d'être lûes.

Les personnes qui seroient avides de discussions détaillées sur l'origine de l'Imprimerie, & sur ses inventeurs, pourront se satisfaire dans Baillet, Chevillier, la Caille, Mallinkroot, Mentel, Pancirole, Polydore Virgile de rerum inventoribus, Michael Mayer verba Germanorum inventa, Almeloveen de novis inventis, les Transact. philosoph. &c. Schefflin, Fournier.

Mais les personnes curieuses d'acquérir la connoissance des premieres & des meilleures éditions des livres en tout genre, doivent feuilleter la plume à la main, la bibliotheque de Fabricius & les annales typographiques de Maittaire. Cette étude fait une branche d'érudition, qu'on aime beaucoup dans les pays étrangers, & à laquelle je ne me repens pas de m'être autrefois attaché. Elle est du-moins indispensable aux bibliothécaires des rois, & aux libraires qui recherchent l'acquisition des livres précieux, ou qui s'adonnent à en faire des catalogues. (D.J.)

IMPRIMERIE, c'est l'art de rendre le discours, parlé ou écrit, par des caracteres mobiles convenablement assemblés & contenus, & d'en attacher l'empreinte sur des feuilles de papier.

La main d'oeuvre de l'Imprimerie en lettres, ou Typographie, consiste dans deux opérations principales ; savoir la composition ou l'assemblage des caracteres, & l'impression ou l'empreinte des caracteres sur le papier. On appelle, dans l'Imprimerie, compositeur ou ouvrier de la casse celui qui travaille à l'assemblage des caracteres ; on appelle imprimeur ou ouvrier de la presse celui qui travaille à l'impression ou à l'empreinte des caracteres sur le papier par le moyen de la presse.

Nous allons commencer par les opérations du compositeur, qui sont la distribution, l'assemblage des lettres ou la composition, l'imposition, & la correction.

Il prend d'abord dans les rayons ou tablettes de l'imprimerie, deux casses du caractere destiné pour l'ouvrage sur lequel il doit travailler, une casse de romain & une d'italique. Il dresse ces deux casses dans le rang ou la place qu'il doit occuper. Le rang le plus clair est le plus avantageux ; & il doit être arrangé de façon que quand le compositeur travaille à sa casse, il présente le côté gauche à l'endroit d'où il tire son jour. Le caractere romain étant ordinairement celui dont il entre le plus dans la composition, la casse de romain se place le plus près du jour, & la casse d'italique à côté. S'il y a quelque tems que les casses n'ont servi & qu'elles soient poudreuses, le compositeur prend un soufflet, & souffle tous les cassetins l'un après l'autre pour en faire sortir la poussiere, en commençant par le haut de la casse. Il regarde ensuite s'il n'y a point dans ses deux casses quelques lettres d'un autre corps ; s'il en trouve, il les ôte & les donne au prote (qui est celui qui a soin des caracteres & des ustenciles de l'imprimerie) pour les mettre à leur place. S'il y a quelques sortes de trop, il les survuide & les met dans des cornets. Voyez l'article CASSE, & nos Planches d'Imprimerie.

Distribution. Après que le compositeur a donné à ses deux casses le plus de propreté qu'il lui a été possible, il doit distribuer. Pour cela le prote lui donne des paquets de lettres si le caractere est en paquet. Le compositeur en ôte l'enveloppe, les arrange sur le marbre (voyez MARBRE) ou sur un ais, l'oeil en dessus & le cran tourné de son côté, prend de l'eau claire avec une éponge, en mouille la quantité qui lui est nécessaire pour emplir sa casse, & délie les paquets à mesure qu'il les distribue. Si le caractere est en forme, le prote indique au compositeur une forme de distribution. Il va la prendre, l'apporte, met sur le marbre un grand ais ou le plus souvent deux demi-ais, met la forme sur ces ais, l'oeil du caractere en-dessus, prend un marteau, l'y desserre, mouille le caractere avec l'éponge, ôte le chassis (voyez CHASSIS), ôte aussi la garniture (voyez GARNITURE), la met arrangée sur un autre ais, garde ce chassis & cette garniture s'ils doivent lui servir, sinon il les donne au prote pour les serrer. Le compositeur prend une réglette (voyez REGLETTE), qui doit être un peu plus longue que les lignes de distribution, & enleve les titres courans des pages, les lignes de quadrats (voyez QUADRATS), les vignettes (voyez VIGNETTES), les réglets doubles ou simples (voyez REGLETS), en un mot tout ce qu'il croit pouvoir lui servir dans sa composition, & le met dans une galée. Voyez GALEE.

Ensuite il pose le plat de sa réglette contre le corps du caractere du côté du cran, & du côté de la main gauche le bout de la réglette au niveau des lignes de distribution ; il appuie le doigt annullaire de chaque main contre la réglette ; & pressant les lignes de côté également en sens contraire avec l'indicateur & le doigt du milieu aussi de chaque main, & tirant un peu vers lui, il sépare, puis enleve une quantité de caractere qui s'appelle une poignée, plus ou moins grosse à proportion de la longueur des lignes de distribution. La main droite soutient seule un instant cette poignée, pendant lequel la gauche s'ouvre & se présente les doigts écartés pour la recevoir & la soutenir sur le doigt annullaire ou sur le petit doigt, appuyée contre le pouce dans toute sa hauteur. Le compositeur commence à distribuer. Il prend avec le doigt du milieu, l'index & le pouce de la main droite, en commençant par la fin de la ligne qui se trouve la premiere en-dessus, un, deux ou trois mots de la distribution, à proportion de leur longueur ; & soutenus sur le doigt annullaire, il les lit, & par un petit mouvement du pouce, de l'index & du doigt du milieu, en met chaque lettre l'une après l'autre dans le cassetin (voyez CASSETIN) de la casse, qui lui est destiné. Il prend ensuite deux ou trois autres mots, il les distribue de même, & encore deux ou trois autres après jusqu'à-ce que la premiere ligne soit finie. Il entame de même la ligne suivante qui se trouve la premiere en-dessus, & ainsi successivement les autres lignes jusqu'à-ce que la poignée soit entierement distribuée. Ensuite il prend plusieurs autres poignées & les distribue de même, jusqu'à-ce que la casse se trouve remplie. En distribuant, le cran doit être dessous, & l'oeil de la lettre tourné du côté du compositeur, à cause de la commodité évidente qui en résulte dans la distribution, malgré la méthode contraire de quelques étrangers, qui distribuent le cran dessus, & le pié du caractere tourné de leur côté. Le compositeur doit en distribuant éviter avec le plus grand soin de faire ce qu'on appelle dans l'Imprimerie des coquilles, c'est-à-dire de mettre dans un cassetin les lettres qui sont d'un autre cassetin. Les lettres de la distribution devant entrer dans la composition, il arrive de ce mélange, que le compositeur qui porte la main dans un cassetin pour prendre une lettre, en prend une autre, ce qui charge l'épreuve de fautes & le compositeur de corrections. Si en distribuant il lui échappe quelque lettre & qu'elle tombe dans un autre cassetin, il doit la chercher aussi-tôt, & faire ensorte de la trouver pour la mettre à sa place. Quand le compositeur a fini de distribuer, il voit si sa casse est bien assortie ; s'il lui manque quelque sorte, il la cherche dans les autres casses du même caractere ; s'il en a quelqu'une de trop, il la survuide.

Il prend ensuite la justification. Prendre la justification, c'est desserrer, avec le dos de la lame d'un couteau, la vis d'un composteur, & en faire mouvoir les branches, c'est-à-dire les avancer ou reculer dans toute la longueur de la lame, en portant la vis & l'écrou d'un trou à un autre, à proportion de la longueur des lignes de l'ouvrage, & serrer la vis. Voyez COMPOSTEUR, & les mots marqués en caracteres italiques. Voyez aussi les Planches d'Imprimerie. Si l'ouvrage est commencé, il faut prendre la justification sur une ligne bien justifiée (c'est-à-dire ni forte ni foible) d'une nouvelle composition. Il ne faut point la prendre sur une ligne de distribution ; on risqueroit de la prendre trop foible, parce que les lignes se resserrent & se retrécissent plus ou moins à proportion du plus ou moins de tems qu'elles restent en chassis, & les lignes de petit caractere plus que les lignes de gros caractere. Si la copie est imprimée, & que la réimpression se fasse du même format & du même caractere, il faut en présentant le composteur sur une page, prendre la justification tant soit peu plus large que les lignes, par exemple d'un t, parce que le papier, qui a été trempé pour l'impression, s'est retréci en séchant : ou bien le compositeur choisit une ligne un peu serrée de cette page imprimée, la compose, & prend la justification sur cette même ligne. Quand on prend la justification d'un ouvrage de longue haleine, on détermine ordinairement la longueur des lignes sur un nombre d'm m du caractere ; par exemple la justification des lignes à deux colonnes de l'Encyclopédie est de 20 couchées & un ç droit. Au moyen de cette détermination, si l'on est obligé de déjustifier le composteur pour un autre ouvrage, on est sûr en reprenant de trouver juste la justification, & de ne point varier.

La justification prise, le compositeur prend une galée ou in-fol. ou in-4 °. ou in-8 °. suivant le format de l'ouvrage sur lequel il va travailler, & la place sur les petites capitales de sa casse de romain.

Composition. Le prote lui donne une quantité de copie plus ou moins considérable, après avoir marqué l'alinéa où il doit commencer ; c'est une attention à laquelle il ne faut point manquer quand il y a plusieurs compositeurs sur un ouvrage, pour éviter de composer deux fois la même chose, comme cela arrive quelquefois. Si cette copie est in-fol. ou in-4°. le compositeur la plie en deux, en met le bas dans la crenure de son visorion (voyez l'article VISORION & nos Planches), & en arrête le haut avec le mordant (voyez l'article MORDANT), précisément audessus de la ligne où il doit commencer. Ensuite tenant son composteur de la main gauche, le rebord en-dessus & en-dedans de la main, les quatre doigts dessous, & le pouce dans le vuide que forment le rebord des coulisses & l'équerre qui est au bout du composteur, il lit trois ou quatre mots de la copie, puis avec le pouce, le doigt index & le doigt du milieu de la main droite, il leve toutes les lettres de ces trois ou quatre mots, l'une après l'autre dans chaque cassetin où elle se trouve, après avoir donné un coup-d'oeil pour en voir le cran, & les arrange dans le vuide du composteur sous le pouce de la main gauche qui les maintient, l'oeil de la lettre en haut, & le cran en-bas & en-dessous, observant de mettre un espace moyen ou deux minces entre chaque mot, & d'avancer le pouce & les doigts de la main gauche vers le bout du composteur à mesure qu'il s'emplit. Quand ces trois ou quatre mots sont composés, il en lit trois ou quatre autres, en leve de même toutes les lettres, & les met dans le composteur jusqu'à-ce qu'il soit plein ou à peu de chose près. Alors le mot qui se trouve au bout de la ligne est fini, ou il ne l'est pas ; si le mot est fini, le compositeur justifie sa ligne, c'est-à-dire la fait de la longueur déterminée dans le composteur par la justification qu'il a prise, en mettant également des espaces plus ou moins entre chaque mot, jusqu'à-ce que le composteur soit tout-à-fait plein, & que la ligne s'y trouve un peu serrée. Si le mot n'est pas fini, le compositeur peut le diviser par syllabes, & avant une syllabe au moins de deux lettres, en mettant une division au bout de la ligne, plus ou moins forte, suivant la place qu'il a. Si la ligne est d'un petit format, c'est-à-dire in-12, in-16, in-18, &c. le compositeur peut la mettre dans la galée avec les doigts de la main droite seulement, sans le secours de la réglette, en pressant le commencement de la ligne avec le pouce, pressant la fin en sens contraire avec le doigt index, la ligne appuyée sur le côté du doigt du milieu dans sa longueur. Si la ligne est in-8°. ou in-4°. le compositeur prend sa réglette de la main droite, la pose à plat sur la ligne qui est dans le composteur, appuie un bout de la réglette contre le talon de la coulisse du composteur ; & avec le pouce en-dessus sur la réglette, le doigt annullaire ou le petit doigt qui arrête le commencement de la ligne, le doigt index qui en maintient la fin, & le doigt du milieu qui la soutient par le milieu en-dessous, il transporte la ligne du composteur dans la galée. Si la ligne est in-fol. le compositeur est obligé de se servir des deux mains pour la mettre dans la galée. Il commence ensuite la seconde ligne, la finit, la justifie, la met dans la galée de la même maniere, puis la troisieme, la quatrieme & les suivantes de la même maniere, observant d'espacier également les mots & de bien justifier les lignes, à cause de l'égal inconvénient qui résulte d'une ligne trop forte ou d'une ligne trop foible. Une ligne trop foible ne peut pas être serrée dans l'imposition par les bois de la garniture, & met les lettres de cette ligne dans le cas de s'écarter les unes des autres, & même de tomber dans le transport qu'on fait de la forme, du marbre sur la presse aux épreuves, & de la presse aux épreuves sur le marbre pour corriger. Une ligne trop forte empêche les lignes de dessus & les lignes de dessous d'être serrées, & les met dans l'inconvénient des lignes trop foibles. Le compositeur doit aussi avoir l'attention de jetter la vûe sur chaque ligne avant de la justifier ou en la justifiant, pour voir s'il n'a point en composant oublié ou doublé quelque lettre ou quelque mot, s'il n'a point renversé ou mis quelque lettre pour une autre, comme cela arrive très-souvent : alors il ajoutera dans la ligne ce qui sera oublié, ôtera ce qui sera doublé, & changera les lettres qui devront être changées avant de mettre la ligne dans la galée. Le compositeur n'oubliera pas non plus de baisser son mordant sur la copie à mesure qu'il compose, pour faire ensorte de ne rien oublier, & pour trouver du premier coup d'oeil la ligne & le mot où il en est.

Quand il a composé le nombre de lignes qu'il faut pour former une page ou un paquet, & même une ligne de plus, qui est celle qui doit commencer la page suivante, & qu'il laisse dans le composteur pour se retrouver plus facilement sur la copie, il prend de la main droite une ficelle plus ou moins fine, suivant le corps du caractere, & coupée de longueur à pouvoir faire deux tours & demi ou trois tours autour de la page ; il en saisit un bout avec le pouce & le doigt index de la main gauche, pour le mettre au coin que forme le dernier mot de la derniere ligne de la page, & l'y maintient pendant que la main droite après avoir fait avec la ficelle un tour entier autour de la page, vient arrêter ce bout en passant par-dessus, serre la ficelle en appuyant contre le rebord de la galée, pendant que la main gauche maintient la page ; fait un second tour entier avec la ficelle au-dessous du premier, en la maintenant de même, & la serre encore, & vient l'arrêter en tête de la page, en passant par-dessous les tours la partie de la ficelle qui est avant l'autre bout, & la serrant dans le coin que forme le dernier mot de la premiere ligne. Quand la ficelle est plus longue, le compositeur fait un tour de plus ; quand elle ne l'est pas assez, il ne fera que deux tours, & l'arrêtera au bas de la page, au commencement de la derniere ligne. Il évitera de l'arrêter à côté de la page si le caractere est petit, à cause du vuide qui se fait en ce cas entre le côté de la page & la ficelle, & qu'il peut s'échapper quelques lettres. En quelque part qu'il l'arrête, il doit toujours faire ensorte qu'il en reste un bout long d'un pouce ou deux, & qu'en tirant ce bout, la ficelle puisse se dégager facilement.

Quand la page est liée, le compositeur la met au milieu de la galée, pour baisser la ficelle en tête & au commencement des lignes, un peu plus bas que la moitié du corps de la lettre, le rebord de la galée en ayant empêché. Si la page est d'un grand format, par exemple in-fol. ou in-4°. le compositeur la laisse sur la coulisse, & la met sur les planches qui sont sous son rang. Si la page est in-8°. in-12. in-18. &c. il leve de la main gauche le bout de la galée, pour donner la facilité à la main droite de saisir la page & de la soutenir, pendant que la main gauche, après avoir quitté la galée, prend un porte-page, & se présente les doigts étendus pour recevoir la page. Le compositeur reprend alors de la main droite la page soutenue sur le porte-page, (le porte-page est une feuille de papier pliée à peu-près du format de la page, qui sert à soutenir les pages liées, pour les transporter sans risque d'un endroit à l'autre), & la met dessous son rang. Il met ensuite la galée à sa place sur les petites capitales, prend son composteur dans lequel il trouve la premiere ligne de la seconde page, la met dans la galée, compose la seconde ligne & les suivantes, forme la seconde page, la lie avec une ficelle, & la met aussi soutenue sur un porte-page sous son rang à côté de la premiere. Quand la troisieme est faite, il la met sur la seconde, observant de mettre ensuite l'une sur l'autre, la quatre & la cinq, la six & la sept, la huit & la neuf, &c. jusqu'à la derniere, qui doit être seule, ou qu'on pose sur la premiere. Cet arrangement est nécessaire pour ne se point tromper dans l'imposition.

Imposition. Aussi-tôt que le compositeur a, soit de sa composition, soit de celle des autres compositeurs qui travaillent avec lui sur le même ouvrage, le nombre de pages suffisant pour faire une feuille (voyez METTRE EN PAGE, & tous les mots marqués en lettres italiques) ; c'est-à-dire quatre pages pour un in-fol. huit pages pour un in-4°. seize pages pour un in-8°. vingt-quatre pages pour un in-12. &c. il doit imposer, c'est-à-dire partager en deux formes (voyez l'article FORME) les pages qui doivent entrer dans la feuille, une forme servant pour imprimer un côté du papier, & l'autre forme servant pour l'autre côté. Ces deux formes ont chacune un nom différent : l'une s'appelle le côté de la premiere, parce que la premiere page y entre ; l'autre s'appelle la deux & trois, ou le côté de la deux & trois, parce que la deuxieme & la troisieme pages y entrent.

Supposons donc que ce soit un in-8°. On choisit ce format comme étant plus compliqué que l'in-fol. & l'in-4°. & l'étant moins que l'in-12. l'in-18. &c. Voyez IMPOSITION ; & aux Planches d'Imprimerie, les différentes especes d'impositions. Supposons que ce soit un in 8°. que le compositeur ait à imposer, & qu'il veuille commencer par la deux & trois : il laisse la premiere, & prend ensemble dessous son rang, de la main droite, la deux & la trois, qu'il met dans sa main gauche ; laisse la quatre & la cinq, & prend la six & la sept : il les apporte sur le marbre, ôte à chacune son porte-page, met la deux sous sa main droite, la trois sous sa main gauche, le bas de ces deux pages de son côté ; la six, tête contre tête au-dessus de la trois, & la sept, tête contre tête au-dessus de la deux, ensorte que les quatre coins de la forme se trouvent occupés. Il retourne ensuite à son rang : laisse la huit & la neuf, & prend la dix & la onze ; laisse la douze & la treize, & prend la quatorze & la quinze. Il vient au marbre, met la dix à côté de la sept, & la onze à côté de la six ; met la quatorze à côté de la trois, & la quinze à côté de la deux. Voilà les huit pages de la forme deux & trois rangées sur le marbre comme elles doivent être pour l'imposition. Le compositeur collationne les folio de ces huit pages, & en mouille les bords avec une éponge, pour éviter que les lettres ne tombent étant debout ; ce qui peut arriver sur-tout si le caractere est petit. Il pose d'abord son chassis, dont la barre du milieu étant du haut en bas, partage la forme en deux parties de quatre pages chacune. La partie du côté gauche du compositeur, s'appelle le premier coup ; la partie du côté droit s'appelle le second coup. Il place ensuite les bois de la garniture & les biseaux, qui se trouvent proportionnés au format & à la grandeur des pages, observant de ne point engager sous les bois le bout de la ficelle qui lie chaque page. Il serre un peu les pages entre les bois, & délie chaque page l'une après l'autre, en commençant par celles qui sont le plus près de la barre du milieu du chassis. Pour cela il prend de la main droite le bout de la ficelle d'une page, tire un peu pour dégager l'avant-bout de cette ficelle, en appuyant de la main gauche sur le bord de la page où il trouve quelque résistance, & prenant garde d'enlever aucune lettre, jusqu'à ce que la page soit entierement déliée. Il met cette ficelle à part, approche les bois de la page déliée autant qu'il est possible, & délie de même celle qui en est la plus proche ; ensuite il délie les pages qui sont dans le même côté du chassis, les serre dans les bois de garniture, en appuyant les doigts contre le dedans du chassis, & poussant les biseaux avec le pouce. Puis il redresse les lettres qui paroissent n'être pas droites, en frappant doucement avec le bout des doigts sur l'oeil de la lettre, & parcourt des yeux toutes les extrémités des pages, pour voir s'il y a quelque lettre dérangée ; alors il la redresse avec la pointe, serre le côté de la forme avec les doigts le plus qu'il peut, & le garnit de coins. Ensuite il délie les pages de l'autre côté du chassis, avec la même précaution & la même attention, serre avec les doigts, & y met les coins. Puis il prend un taquoir (voyez l'article TAQUOIR & les Planches), taque la forme, c'est-à-dire porte le taquoir sur toutes les pages de la forme l'une après l'autre, en frappant doucement dessus avec le manche d'un marteau, pour abaisser les lettres hautes ; ensuite en frappant avec la masse du même marteau sur les coins, il les serre peu-à-peu, & par degrés l'un après l'autre, en commençant par ceux du pié & par les plus petits. Après avoir serré, il souleve tant-soit-peu la forme, pour voir s'il y a quelque lettre qui branle, & qui puisse tomber en levant la forme. Si cet inconvénient vient d'un défaut des bois de garniture ou du chassis, il est facile d'y remédier, en poussant un peu avec la pointe les lettres de dessus ou de dessous sur celles qui veulent tomber. Si au contraire l'inconvénient vient de quelque ligne mal justifiée, c'est-à-dire trop foible par elle-même, ou parce qu'elle se trouve précédée ou suivie d'une ligne trop forte, qui l'empêche d'être serrée par le bois de la garniture, le compositeur est obligé de desserrer, de justifier la ligne, ou celle de dessus ou de dessous qui cause l'inconvénient, de serrer, & de sonder la forme : alors si rien ne branle, il la leve, regarde sur le marbre si rien n'est tombé, la porte auprès de la presse aux épreuves, & la met de champ contre un mur ou quelque chose de stable, de façon qu'elle ne présente que le pié de la lettre.

Il n'y a encore qu'une forme imposée, qui est celle appellée la deux & trois ; il faut présentement imposer le côté de la premiere. Le compositeur va prendre sous son rang les huit pages qui restent, qui sont la premiere, la quatre & la cinq, la huit & la neuf, la douze & la treize, & la seize, qui est la derniere, & les apporte sur le marbre. Il place la premiere sous sa main gauche, la quatre sous sa main droite, la cinq, tête contre tête au-dessus de la quatre, la huit, tête contre tête au-dessus de la premiere, la neuf à côté de la huit, la douze à côté de la cinq, la treize à côté de la quatre, & la seize à côté de la premiere ; la premiere & la derniere d'une feuille étant toujours dans l'imposition à côté l'une de l'autre, excepté dans le cas où la feuille forme plusieurs cartons séparés ; alors la premiere & la derniere de chaque carton doivent être placées à côté l'une de l'autre, ainsi qu'à toutes les impositions quelconques. Le compositeur revoit les folio de ses pages, les mouille avec une éponge, couche son chassis, met la garniture, délie ses pages, garnit de coins un côté, puis en fait autant de l'autre côté, taque la forme, la serre, la sonde pour voir si rien ne branle, la leve, la porte où il a mis l'autre, & la met avec elle pié contre pié.

Aussitôt que ces deux formes sont imposées, le compositeur avertit les ouvriers de la presse (voyez l'article PRESSE & les Planches) de faire épreuve (voyez l'article EPREUVE), leur indique où il a mis les formes, & de quel format elles sont, & leur en donne la copie (voyez l'article COPIE) pour la remettre au prote avec l'épreuve. Celui des deux ouvriers de la presse qui doit faire l'épreuve, prend les balles (voy. l'article BALLE & nos Planches) & une feuille de papier blanc ramoitie, enveloppée (si c'est l'été) dans une feuille de papier gris aussi ramoitie, pour empêcher la feuille blanche de secher, va à la presse aux épreuves (dans presque toutes les imprimeries, il y en a une destinée à cet usage), met les balles sur les chevilles, & les feuilles ramoities sur le tympan, déroule la presse si elle est roulée, regarde s'il y a dessus quelques lettres tombées de la forme dont on a fait précédemment épreuve, & les ôte s'il en trouve. Pendant cet intervalle le second ouvrier de la presse prend une des formes à faire épreuve, celle qui se trouve devant, la met de champ sur la presse de façon que le côté de l'oeil soit tourné du côté des jumelles, & la présente au premier imprimeur, qui la reçoit, la couche, l'ajuste bien au milieu de la presse, roule un peu la presse pour voir si la forme se trouve précisément sous le milieu de la platine, déroule la presse, prend de l'encre, en appuyant légérement une des balles sur le bord de l'encrier, les distribue en les faisant plusieurs fois passer & repasser l'une sur l'autre, en les tournant en sens contraire ; touche la forme, c'est-à-dire l'empreint d'une couche d'encre très-légere, en appuyant deux ou trois fois les balles sur l'oeil du caractere, & remet les balles sur les chevilles. Comme en touchant la forme avec les balles, les bois de la garniture ont été un peu atteints d'encre, & qu'ils pourroient noircir les marges de la feuille destinée pour l'épreuve, les deux ouvriers de la presse couvrent ces bois avec des bandes de maculature, ou avec une braie, qui est une maculature découpée suivant la grandeur des pages ; puis ils regardent avec attention si la braie ou les bandes ne portent pas sur la lettre, ce qui feroit mordre l'épreuve, c'est-à-dire qu'il y auroit sur l'épreuve quelqu'endroit qui ne viendroit pas, ou ne paroîtroit pas imprimé ; à quoi on remédie facilement en éloignant la bande ou la braie autant qu'il est nécessaire. Celui qui fait l'épreuve, couche sa feuille de papier blanc sur la forme, en prenant garde à la bien marger ; couche aussi sur cette feuille la feuille de papier gris, s'il craint que la feuille blanche ne soit pas assez moite, ou qu'elle seche trop tôt ; met par-dessus un blanchet, abaisse dessus le tympan dégarni pour maintenir le blanchet ; roule la presse à moitié, & tire le barreau deux ou trois fois, plus ou moins fort, en raison de la grandeur du format & de la petitesse du caractere ; roule encore la presse plus ou moins avant, suivant la grandeur de la forme, & tire le barreau deux ou trois fois ; déroule assez pour que le milieu de la forme se trouve sous le milieu de la platine, & tire encore le barreau deux ou trois fois. L'ouvrier de la presse déroule alors entierement la presse, leve le tympan & les blanchets seulement, & regarde son épreuve. S'il s'apperçoit qu'il y ait quelqu'endroit qui n'ait point été imprimé, il monte ou descend, avance ou recule la forme sur la presse, sans déranger aucunement la feuille qui tient encore à l'oeil du caractere, remet le blanchet, abaisse le tympan, fait repasser sous la platine l'endroit qui n'a point été foulé, & tire le barreau deux ou trois fois. S'il n'y a que quelque inégalité dans le foulage, il y supplée en appuyant la racine du pouce sur les endroits qui paroissent avoir été moins foulés ; puis il leve la feuille de dessus la forme doucement & avec précaution, crainte de la déchirer, & la remet dans son enveloppe pour la maintenir moite & en état de recevoir l'impression de l'autre côté, n'étant encore imprimée que d'un seul côté. Il leve la forme de dessus la presse, l'y maintient de champ un instant avec une main, reçoit de l'autre main l'autre forme qui lui est présentée par le second ouvrier qui saisit celle qui vient de passer sous la presse, & la porte auprès du compositeur. Le premier ouvrier abaisse la seconde forme sous la presse, en regarde la signature pour voir si son compagnon ne s'est point trompé, & ne lui a point apporté une forme pour une autre, parce qu'en ce cas il faudroit faire une autre épreuve, l'ajuste bien au milieu de la presse, prend un peu d'encre s'il est nécessaire, distribue les balles, touche la forme, met les bandes ou la braie sur les bois de garniture, pose la feuille du côté qu'elle est blanche sur la forme, de façon que les pages à imprimer puissent se rencontrer juste sur celles qui viennent de l'être, & prenant garde de transposer, c'est-à-dire intervertir l'ordre des pages en renversant la feuille au lieu de la retourner, ou la retournant au lieu de la renverser ; met la feuille de papier gris ; met le blanchet par-dessus, abaisse le tympan, roule la presse, imprime le second côté comme il a imprimé le premier ; déroule la presse, leve le tympan & le blanchet, observe le foulage, remédie aux défauts, leve la feuille, la plie en trois ou quatre, selon le format, la presse un peu avec la main sur le tympan pour abaisser le foulage, & la porte au prote avec la copie, tandis que le compagnon porte la seconde forme auprès du compositeur, & la met avec la premiere. Il y a de l'art à faire une bonne épreuve ; tous les ouvriers qui travaillent à la presse n'y réussissent pas également, parce qu'ils négligent souvent les précautions indiquées ici.

Le prote déploie l'épreuve & la laisse sécher : quand elle est seche, il la plie & la coupe : alors il fait venir un lecteur, qui est ordinairement un apprenti, qui lit la copie, pendant que le prote le suit attentivement mot à mot sur l'épreuve, & marque à la marge, au moyen de différens signes usités dans l'Imprimerie, & qu'on voit dans nos Planches, les fautes que le compositeur a faites en composant, comme les lettres renversées, les coquilles, les fautes d'orthographe, les fautes de grammaire & de ponctuation, les bourdons ou omissions, les doublons ou répétitions ; observant de rendre ses corrections intelligibles, de les placer par ordre, & autant que faire se peut, à côté des lignes où elles se trouvent. Après que l'épreuve a été lûe sur la copie, le prote la repasse encore seul, s'il en a le tems, & marque les fautes qui lui ont échappé à la premiere lecture. Enfin il vérifie les folio, les signatures & la réclame ; après quoi il porte l'épreuve au compositeur, & lui explique les endroits où par la multiplicité des corrections il pourroit y avoir quelque difficulté, & qui ont besoin d'explication.

Correction. Le compositeur examine son épreuve : c'est là qu'il trouve ou la récompense de sa capacité & de son application, ou la peine dûe à son impéritie & à son inattention. Etant obligé de corriger ses fautes, moins il y en a sur son épreuve, plutôt il en est quitte ; au lieu que quand l'épreuve est chargée de corrections, il faut y employer un tems considérable, ce qui le fatigue beaucoup, la correction étant la fonction la plus pénible du compositeur ; encore est-il presqu'impossible que l'ouvrage n'en souffre. Après donc avoir examiné son épreuve & bien compris toutes les corrections, il va prendre une de ses formes à corriger, la premiere qui se présente, s'il n'y a point dans la correction à reporter d'une forme à l'autre : s'il y a à reporter d'une forme à l'autre, le compositeur ne commence pas à corriger celle dans laquelle il y aura à reporter, pour éviter de desserrer deux fois la même forme. Il prend donc une des deux formes, la met sur un marbre, l'y couche, & la desserre avec le marteau. Il revient ensuite à sa casse, prend un composteur, & leve sa correction, c'est-à-dire prend dans sa casse les lettres dont il aura besoin pour faire les corrections marquées sur son épreuve. En levant sa correction exactement, le compositeur ne peut manquer de tout corriger ; car s'il oublie de faire quelque correction, les lettres qu'il trouve dans son composteur, autres que celles qu'il a ôtées dans la forme corrigée, l'avertissent de l'omission. On suppose encore que l'ouvrage est in-8°. & que la forme desserrée sur le marbre est le côté de deux & trois. Il commence par lever les lettres qui sont marquées à la deux, puis il va à la trois ; passe la quatre & la cinq, leve la correction de la six & la sept ; passe la huit & la neuf, leve la correction de la dix & la onze ; passe la douze & la treize, leve la correction de la quatorze & de la quinze, & laisse la seize. Il met ensuite une pincée ou deux d'espaces sur un papier, prend sa pointe, & va au marbre pour corriger. Il regarde si les coins de la forme sont assez desserrés pour donner tant-soit-peu de jeu au caractere, sans cependant qu'aucune lettre puisse se déplacer.

Le compositeur tenant donc de la main gauche le composteur dans lequel sont les lettres nécessaires pour la correction, & la pointe de la main droite, exécute sur la forme de la façon que nous allons l'expliquer, les corrections marquées sur son épreuve, dans le même ordre qu'il en a levé les lettres : il commence par corriger la deux, puis il va à la trois, à la six & à la sept, à la dix & à la onze, à la quatorze & à la quinze. Chaque ligne où il y a de la correction (à-moins que ce ne soit simplement un espace à abaisser, ce qui se corrige en appuyant sur cet espace le bout de la pointe), il faut l'élever tant-soit-peu au-dessus des autres, en pressant avec le bout de la pointe une extrémité de la ligne (le commencement ou la fin, selon que la page est tournée relativement au compositeur) & en pressant en sens contraire l'autre extrémité avec le bout du doigt du milieu ou du doigt annullaire de la main gauche. Au moyen de cette petite élévation, il peut piquer avec sa pointe les lettres à changer, sans craindre d'affecter l'oeil des lettres qui se trouvent au-dessus ou au-dessous. Il est cependant mieux d'enlever la lettre que l'on veut ôter avec le pouce & l'index de la main droite ; on ne risque nullement alors de gâter la lettre ; les bons compositeurs l'exécutent ainsi. Quand donc il n'y a qu'une lettre à changer, il pique cette lettre du côté du cran ou du côté opposé, relativement à la position de la page, il l'enleve, la met dans le composteur après les lettres de la correction, prend la lettre qui se trouve la premiere dans le composteur, la met à la place de celle qu'il vient d'ôter, & l'enfonce avec le bout du doigt du milieu de la main droite, ou avec le bout du manche de la pointe, en frappant legerement dessus. Si cette lettre substituée est precisément de la même force, il n'y a rien à ajouter ni à diminuer dans la ligne. Si la lettre substituée est plus forte, il faut diminuer à proportion dans les espaces de la ligne : si au contraire cette lettre substituée est plus foible, il faut ajouter aux espaces dans la même proportion ; il en est de même quand il y a dans la ligne quelque lettre à ajouter ou à supprimer. S'il y a à ajouter quelque lettre, il faut autant diminuer dans les espaces qui sont entre les mots : s'il y a quelque lettre à supprimer, il faut ajouter dans les espaces. Quand il y a quelque mot à changer, & que le mot à substituer est à-peu-près égal en nombre de lettres, cette correction est très-facile à faire, & s'exécute le plus souvent dans la même ligne & sans aucun remaniment, c'est-à-dire sans aucun mouvement d'une ligne à l'autre. Mais s'il y a quelque mot à ajouter ou à supprimer, cela ne peut se faire qu'en remaniant plusieurs lignes, & quelquefois même toutes les lignes jusqu'à la fin de l'alinéa. S'il y a un mot à ajouter, le compositeur enleve la ligne de la forme, la met dans le composteur de la justification, ôte de la fin de la ligne autant de syllabes qu'il est nécessaire pour faire place au mot à ajouter, met ces syllabes à part, justifie la ligne & la met à sa place. Il prend ensuite ce qu'il a mis à part, le met d'abord dans son composteur, enleve de la forme la ligne suivante, en met ce qu'il peut dans le composteur, diminue dans les espaces le plus qu'il lui est possible, s'il croit par ce moyen pouvoir s'exempter de remanier le reste de l'alinéa, ôte le surplus de la ligne, le met encore à part, justifie cette ligne, & la met dans la forme. Il continue ainsi de porter d'une ligne à l'autre ce qu'il a de trop, jusqu'à-ce qu'il ne lui reste plus rien & qu'il tombe juste en ligne. Quand au contraire il y a quelque mot à supprimer, il faut mettre la ligne dans le composteur, ôter ce qui est à supprimer, rapprocher les mots qui doivent se suivre, tirer de la forme la ligne suivante, la mettre couchée sur le bord du chassis, en prendre le nombre de syllabes nécessaire pour remplir la ligne où est la suppression, justifier cette ligne en ajoutant quelques espaces de plus entre les mots, & la remettre dans la forme. Il faut ensuite remettre dans le composteur le restant de la ligne dans laquelle on a pris pour remplir la précédente, tirer de la forme la ligne suivante, la mettre de même couchée sur le bord du chassis, en prendre ce qui sera nécessaire pour parfaire la ligne qui la précede, la justifier en mettant quelques espaces de plus entre les mots, la remettre dans la forme, & continuer ainsi d'emprunter d'une ligne à l'autre jusqu'à-ce qu'il soit tombé juste en ligne. Il est presque impossible que ces deux inconvéniens ne nuisent à l'économie de l'ouvrage. Les lignes où l'on a été obligé d'ajouter quelque mot, sont plus serrées que les autres, c'est-à-dire qu'il y a moins d'espace entre les mots ; au contraire dans celles dont on a retranché quelque chose, les lignes en paroissent plus au large. Il vaut mieux dans l'un & l'autre cas remanier quelques lignes de plus, pour éviter toute difformité. Ce ne sont jusqu'ici que les corrections ordinaires. Quand le compositeur a corrigé la premiere forme, que nous avons supposé être le côté de la deux & trois, il compose les lettres qui sont restées de sa correction, les va distribuer, leve la correction de la seconde forme, en commençant par la premiere page de la feuille ; passe la deux & la trois, leve la correction de la quatre & de la cinq ; passe la six & la sept, leve la correction de la huit & la neuf ; passe la dix & la onze, leve la correction de la douze & la treize ; passe la quatorze & la quinze, leve la correction de la seize qui est la derniere. Il retourne au marbre, regarde s'il n'est rien resté sur la forme, serre les coins avec la main, taque la forme, la serre avec le marteau, la sonde, la leve sur le marbre, regarde s'il n'en est rien tombé, & la porte aux environs de la presse aux épreuves. Ensuite il desserre l'autre forme qui est le côté de la premiere, & la corrige de même & dans le même ordre qu'il a corrigé l'autre forme qui étoit le côté de la deux & trois.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent, comme nous venons de le dire, que des corrections ordinaires. Quand il y en a d'extraordinaires, c'est-à-dire que le compositeur a fait quelque bourdon ou omission considérable, par exemple de huit lignes ; alors, après avoir fait dans les deux formes les corrections ordinaires, telles que celles dont nous venons de parler, il faut composer le bourdon tout simplement, si c'est un alinéa qui a été omis : si au contraire le bourdon est au milieu d'un alinéa & au milieu d'une ligne, il faut prendre dans la forme la ligne où il est marqué, la mettre dans le composteur, mettre à part ce qui ne doit aller qu'après le bourdon, le composer, & faire ensorte en mettant un peu plus ou un peu moins d'espaces entre les mots, de tomber en ligne juste avec ce qui a été mis à part. Ensuite il faut mouiller les deux formes avec l'éponge, les desimposer, c'est-à-dire en ôter la garniture, & remanier en cette sorte. Supposons donc, comme nous avons dit, que le bourdon soit de huit lignes, & qu'il tombe à la neuvieme page de la feuille, il faut y placer les huit lignes du bourdon, puis ôter huit lignes du bas de cette page, pour les mettre au haut de la dix, ôter huit lignes du bas de la dix, & les mettre au haut de la onze, & ainsi porter du bas d'une page au haut de la suivante, jusqu'à la derniere de la feuille, & même jusqu'à la derniere qui sera en page, à-moins qu'il ne se trouve au bas d'une page quelque blanc occasionné par un titre qui n'a pas pû entrer, ou qu'il a fallu faire commencer en page ; en ce cas s'il se trouve assez de place pour les huit lignes qu'il y a de trop, le compositeur ne touchera point aux pages suivantes.

Si au contraire le compositeur a fait un doublon, c'est-à-dire s'il a composé deux fois la même chose, & que ce doublon soit d'un alinéa entier, il faut séparer la page en deux dans sa longueur, soit avec un couteau, soit en pressant les lignes par les extrémités en sens contraire, & enlever le doublon, puis rapprocher les lignes qui doivent se suivre. Mais si le doublon se trouve au milieu d'un alinéa & au milieu d'une ligne, il faut mettre cette ligne dans le composteur, ôter de cette ligne ce qu'il y a à supprimer, ôter les lignes suivantes jusqu'à la fin du doublon, parfaire la ligne qui est dans le composteur, & faire en sorte en remaniant quelques lignes, s'il est nécessaire, & mettant un peu plus ou un peu moins d'espaces entre les mots, de tomber en ligne ; ensuite en supposant toûjours le doublon de huit lignes, & qu'il se trouve à la neuvieme page de la feuille, il faut prendre huit lignes du haut de la dix, & les mettre au bas de la neuf pour la complete r ; prendre huit lignes du haut de la onze, & les mettre au bas de la dix, & ainsi prendre du haut d'une page pour porter au bas de la précédente, jusqu'à la derniere de la feuille, dont il faudra remplir le vuide avec de la nouvelle composition ; à moins, comme nous venons de le dire, qu'il ne se trouve au haut d'une page un titre qui ne puisse entrer dans le vuide de la précédente, ou qui doive absolument commencer en page ; en ce cas on met un petit fleuron au bas de la page qui précéde le titre, & les pages suivantes restent dans le même état. Les mouvemens tant pour l'augmentation que pour la suppression se peuvent faire aisément sur le marbre quand les pages ne sont pas additionnées ; mais quand elles le sont, & qu'il y a des additions à porter d'une page à l'autre, il faut mettre les pages dans la galée ; il ne seroit guere possible de justifier sur le marbre les colonnes d'addition.

Quand le bourdon n'est que d'une, deux, trois, & même de quatre lignes, le compositeur peut s'exempter de remanier la feuille entierement, en regagnant quelques lignes, s'il est possible, c'est-à-dire en supprimant les lignes qui à la fin d'un alinéa ne sont composées que d'une, ou de deux syllabes, & en faisant entrer ces syllabes dans la ligne précédente en diminuant les espaces. Il peut aussi faire deux pages longues, c'est-à-dire y mettre une ligne de plus, pourvû que ces deux pages se rencontrent l'une sur l'autre, l'une au folio recto, l'autre au folio verso ; mais cela ne peut se faire qu'aux pages où il n'y a point de signature. Il en est de même quand le compositeur n'a doublé que deux ou trois lignes ; il pourra en allonger quelqu'une, s'il se trouve que la fin d'un alinéa remplisse justement la ligne, & que cette ligne, ou même celle qui la précéde se trouve un peu serrée : alors il ne sera pas difficile de rejetter une syllabe de la pénultieme ligne de cet alinéa dans la derniere, & de prendre dans cette derniere ligne une syllabe ou deux pour former une ligne de plus. Il pourra aussi faire deux pages courtes, c'est-à-dire y mettre une ligne de moins, soit qu'il y ait une signature, soit qu'il n'y en ait point, en observant aussi que les deux pages courtes se rencontrent l'une sur l'autre, c'est-à-dire l'une au folio recto, l'autre au folio verso. Au moyen de cette ressource qui est un peu contraire à la régularité de l'ouvrage, le compositeur trouve le moyen, sans remanier beaucoup de pages, de placer un bourdon & de remplir un doublon de quelques lignes.

Voilà enfin la premiere épreuve corrigée. Le compositeur serre les deux formes, les porte à la presse aux épreuves, & avertit les imprimeurs qu'il y a une seconde à faire. Les imprimeurs font cette seconde épreuve comme nous avons vû qu'ils ont fait la premiere, reportent les formes à la place du compositeur, & donnent l'épreuve au prote, qui l'envoye avec la copie à l'auteur ou au correcteur. Cette seconde épreuve ne devroit servir que pour suppléer à ce qui a été omis à la premiere, soit de la part du prote en lisant, soit de la part du compositeur en corrigeant : mais il y a des auteurs qui par négligence ou autrement attendent l'épreuve pour mettre la derniere main à leur ouvrage, & font des changemens, des augmentations, des suppressions qui rendent la correction de la seconde épreuve beaucoup plus épineuse que celle de la premiere ; ensorte qu'il faut une troisieme & même quelquefois une quatrieme épreuve. Le compositeur est obligé de corriger la seconde épreuve, mais c'est quand il n'y a que quelques lettres à changer & que les corrections sont légeres : quand elles sont considérables, elles se font ordinairement par les compositeurs en conscience, qui sont des ouvriers capables d'aider le prote dans ses fonctions ; ou si c'est le compositeur qui les fait, il en est dédommagé à proportion du tems qu'il y a employé. La derniere épreuve étant corrigée, il porte les formes aux ouvriers de la presse qui doivent les tirer, & son ministere est entierement rempli pour cette feuille. Voyez COMPOSITION, COMPOSITEUR, & les mots marqués en lettres italiques. Voyez aussi, pour tout ce qui entre dans la composition, comme reglets, filets, vignettes, fleurons, lettres de deux points, &c. ces articles à leur ordre alphabétique.

Impression. Quoique les opérations du compositeur pour la préparation des formes soient longues & demandent beaucoup d'attention, cependant son travail demeureroit dans l'obscurité sans le secours des ouvriers de la presse ; c'est la presse qui donne pour ainsi dire le jour & la publicité à l'ouvrage du compositeur : mais auparavant il y a plusieurs fonctions à faire, qui se partagent entre les deux compagnons, y ayant ordinairement deux ouvriers à chaque presse ; on les distingue par les noms de premier & de second.

Les fonctions des ouvriers de la presse sont de tremper le papier & le remanier, préparer les cuirs pour les balles, monter les balles & les démonter, laver les formes, mettre en train, &c.

Préparation du papier. L'imprimeur, après avoir mis des cuirs dans l'eau, pour l'usage dont nous parlerons dans la suite, doit tremper son papier ; & il le doit faire avec d'autant plus d'attention, que la bonne préparation du papier est une des choses qui contribuent principalement à la bonté de l'impression. Mais avant de le tremper, il doit s'informer, s'il y en a eu déja d'employé, combien de fois il le faut tremper la main. Si c'est la premiere fois qu'on en emploie, il examinera le format & le caractere de l'ouvrage ; parce que si le format est grand & le caractere petit, le papier doit être plus trempé que quand le format est petit & le caractere gros. Il y a même quantité de petits ouvrages, comme billets de mariage, billets de bout-de-l'an, avertissemens de communauté, quittances, &c. qui s'impriment à sec. Il examinera ensuite la qualité du papier, s'il est collé ou s'il ne l'est pas, une main de papier collé devant être trempée plus de fois qu'une main de papier non-collé, parce que le papier collé prend beaucoup moins d'eau, & que l'eau le pénetre peu. Il compte ensuite son papier & le partage par dix mains, qui doivent faire quand les mains sont à 25, deux cent cinquante feuilles ou une marque : les quatre marques font un mille. C'est un soin que l'imprimeur doit prendre pour savoir si son papier est juste, & si celui qui le lui a donné ne s'est pas trompé. S'il lui manque quelques mains, il doit les demander, pour éviter les défets, qui malgré les soins ne sont toûjours que trop considérables.

Dans toutes les imprimeries il y a une bassine de cuivre ou un bacquet de bois ou de pierre, qui peut contenir trois ou quatre voies d'eau ; l'eau doit être nette : l'eau de fontaine ou de riviere est préférable à l'eau de puits. L'imprimeur étend d'abord une maculature grise sur une table ou sur un ais à côté de la bassine. Cette table doit être unie & ne doit pancher d'aucun côté, afin qu'en trempant le papier, l'eau ne se porte pas plus d'un côté que d'un autre. Dessus la maculature grise l'imprimeur doit mettre une maculature blanche, parce que la feuille blanche ou imprimée qui se trouve immédiatement dessus ou dessous la maculature grise, est presque toûjours gâtée, la maculature grise lui communiquant des taches. L'imprimeur jette avec la main un peu d'eau sur ces deux maculatures, plus ou moins selon qu'il le juge à propos. Ensuite d'une main il prend une main de papier par le dos, & par la tranche de l'autre main ; il la plonge d'une main par le dos dans l'eau, plus ou moins profondément & plus ou moins vîte en raison du caractere de l'ouvrage & de la qualité du papier, la retire de l'eau, & avec les deux mains la met vîte sur la maculature blanche, le dos de la main au milieu, en sépare sept à huit feuilles, les étend ; reprend par le dos le reste de la main, le plonge dans l'eau, le retire, le met sur la partie qui vient d'être trempée, en sépare sept à huit feuilles & les étend ; reprend encore par le dos le reste de la main, le plonge dans l'eau, le retire, l'ouvre juste par le milieu, & l'étend sur les deux parties qui viennent d'être trempées. Il prend une autre main de papier & la trempe de même, puis encore une autre, & la trempe encore de même, & ainsi de suite jusqu'à la quantité de quatre ou cinq marques, qui font mille ou douze cent cinquante feuilles, observant à chaque marque de plier une feuille en biais par le coin, de façon que le coin déborde le papier de huit ou dix lignes ; cette feuille ainsi pliée sert à marquer le papier, c'est-à-dire à le partager en marques, prenant garde qu'il ne se fasse des plis au papier, & ayant grand soin d'appuyer de tems en tems les deux mains sur le milieu du papier pour abaisser les dos : sans cette attention il se feroit une élévation au milieu qui empêcheroit l'eau d'y pénétrer, & qui la feroit s'écouler uniquement vers les bords ; d'où il s'ensuivroit que les bords du papier seroient plus trempés que le milieu. Nous avons supposé que le papier devoit être trempé trois fois la main. Quand il ne faut le tremper que deux fois, après avoir plongé la main dans l'eau, on en sépare dix ou douze feuilles, & on les étend ; on prend le reste de la main, on le plonge dans l'eau, on l'ouvre juste par le milieu, on l'étend, & la main est trempée deux fois. Il y a du papier qu'on ne trempe qu'une fois la main ; il y en a d'autre qu'on trempe trois fois les deux mains ; pour cela on trempe alternativement une main deux fois, & l'autre main une fois. Quand l'imprimeur a trempé son papier, il met dessus une maculature blanche, puis une maculature grise, sur laquelle il jette de l'eau avec la main autant qu'il le juge nécessaire ; ensuite il le met sur un ais aux environs de sa presse, met un autre ais par dessus, avec une pierre ou un poids de quarante ou cinquante livres pour le charger. Si le papier est collé, l'imprimeur ne le charge pas tout de suite ; il le laisse quelque tems pour prendre son eau.

Remanier le papier. Sept à huit heures après que le papier a été trempé, il faut le remanier, c'est-à-dire changer la position des feuilles relativement les unes aux autres, afin que la moiteur du papier se distribue également dans toutes ses parties ; car c'est dans cette égalité que consiste la bonne préparation du papier. Pour cela l'imprimeur décharge son papier, le transporte sur une table, le découvre, étale d'abord sur la table la maculature grise, puis la blanche, prend une poignée de trois ou quatre mains, la met à deux mains sur la maculature blanche, ne la quitte point d'une main, pendant que l'autre passe & repasse plusieurs fois sur le papier pour en ôter les rides. Il coupe sa poignée à huit ou dix feuilles en dessous, qu'il laisse sur la maculature blanche, reprend ce qui reste de la poignée, le renverse, passe & repasse la main sur le papier qui se trouve en dessus. Il coupe encore son papier à huit ou dix feuilles en dessous, qu'il laisse sur celles qu'il a déja laissées, reprend le reste de la poignée, le renverse, passe & repasse la main sur le papier qui se trouve en dessus. Il réitere cette manoeuvre de couper son papier à sept à huit feuilles en dessous, de les laisser sur le tas, de renverser ou retourner ce qui reste de la poignée, passer la main sur le papier qui se trouve en dessus pour en ôter les rides, & frapper dessus s'il y a quelques endroits plus élevés, jusqu'à ce que la poignée soit entierement remaniée. Après cette poignée il en prend une autre, puis encore une autre jusqu'à la fin du papier. S'il s'apperçoit qu'il soit trop trempé, il le partage en plusieurs poignées, & les laisse exposées à l'air dans l'Imprimerie autant de tems qu'il faudra ; ensuite il le remanie. Si au contraire il n'étoit pas assez trempé, il pourra jetter de l'eau dessus avec la main ou avec l'éponge à chaque poignée, plus ou moins grosse, autant qu'il le jugera à propos, ensuite le charger, puis le remanier. Il y a du papier qu'il faut remanier plusieurs fois. L'inconvénient est égal quand le papier est trop trempé, ou qu'il ne l'est pas assez. Quand il est trop trempé il refuse l'encre, ou reste dessus la forme, l'emplit, & l'impression est pochée. Quand il ne l'est pas assez, les lettres ne viennent qu'à moitié, & l'impression paroît égratignée. Après que le papier a été remanié, il faut le couvrir avec la maculature blanche, puis avec la maculature grise, mettre un ais par-dessus, le charger, & le laisser encore sept à huit heures avant de l'employer.

Si la peau du tympan n'est pas bonne, l'imprimeur en prend une bien saine, sans tache autant que faire se peut, d'égale épaisseur par-tout. Il la met tremper une demi-heure ou une heure dans la bassine, la retire, en exprime l'eau, & la met pliée une heure ou deux sous du papier trempé ; puis après avoir arraché la vieille peau, il enduit de colle le chassis du tympan, & la tringle de fer ; il pose dessus la nouvelle peau du côté de la chair, & la queue en bas, l'étend, & l'applique bien tout-autour ; la découpe en haut pour laisser sortir les petits couplets, y passe les brochettes, & la laisse sécher. Quand elle est seche, il la perce avec la pointe de ses ciseaux à l'endroit qui répond aux trous du chassis, & y passe la vis, qui avec l'écrou, sert à maintenir les pointures en état.

Quand l'imprimeur veut faire une braie, qui n'est autre chose qu'une peau plus petite que celle que l'on vient d'employer, il coupe avec ses ciseaux la vieille peau tout-autour du chassis en dedans, enduit le chassis de colle & y applique la braie. L'imprimeur fait alternativement un tympan & une braie, c'est-à-dire qu'il emploie alternativement une grande & une petite peau.

La peau du petit tympan se colle comme celle du grand. La différence qu'il y a c'est que la peau du petit tympan doit être plus forte & plus épaisse, & qu'après l'avoir collée, on met un bois de longueur (on appelle ainsi les bois à l'usage de l'Imprimerie) au long de chaque bande en dedans, & un autre bois en travers, que l'on fait entrer un peu à force, pour maintenir ces bandes en état ; sans cette précaution les bandes n'étant que de fer mince, rentreroient en dedans à mesure que la peau se banderoit en séchant.

Préparation des cuirs. Il faut aussi préparer les cuirs pour les balles. Ces cuirs sont taillés dans des peaux de moutons, que l'on prend chez les Mégissiers, après avoir été quelque tems dans le plein pour en faire tomber la laine. Les cuirs ne durent point quand les peaux ont resté trop long-tems dans le plein, parce que la chaux les consume. On choisit ordinairement les plus épaisses.

Pour tailler ces cuirs, on met une peau de mouton sur une table, le côté de la chair en-dessous ; on l'étend ; on a un rond de bois ou de maculature, de deux piés & demi de circonférence, que l'on applique sur le milieu de la peau, en commençant par la tête ; on décrit une ligne tout-autour du rond avec la pointe des ciseaux ; on pose ensuite le rond audessous de la ligne ronde que l'on vient de décrire, & on en décrit une seconde ; on en décrit une troisieme au-dessous de la seconde. Ensuite en coupant avec de bons ciseaux dans ces lignes rondes, on a trois cuirs dans chaque peau. Si la peau est grande, on coupe dans les côtés des especes de cuirs, qui étant plus minces, ne sont bons qu'à faire ce qu'on appelle dans l'Imprimerie des doublures, qui sont un double cuir qu'on met sous le principal. Quand les cuirs sont coupés, on les étend pour les faire sécher ; sans cela ils se corromproient, & on ne pourroit pas les garder ; mais quand on les garde trop long-tems ils se racornissent & deviennent difficiles à apprêter. Quand on veut s'en servir, on les met tremper dans de l'eau nette, comme nous avons dit que l'imprimeur doit faire avant de tremper son papier.

Après qu'un cuir a trempé sept ou huit heures, plus ou moins, à proportion du tems qu'il y a que les cuirs ont été coupés, l'imprimeur le corroie, c'est-à-dire le tire de l'eau, le met sur une planche, l'arrête avec un pié, & de l'autre le crosse en appuyant de toute sa force, pour en exprimer l'eau & le rendre souple & maniable. Ensuite il le ramasse, l'étend tant qu'il peut avec les deux mains, le frappe plusieurs fois contre le mur, & le corroie encore. Il le met tremper une seconde fois, & le corroie de la même maniere. Il le met tremper une troisieme fois, s'il est nécessaire, & le corroie, jusqu'à ce que presque toute l'humidité en soit exprimée, & qu'il soit doux & souple comme un gant. Il enduit ensuite de petit vernis, qui est de l'huile de noix ou de lin recuite, le cuir du côté de la laine, & le laisse s'imbiber pendant quelque tems, enveloppé d'une maculature humide si c'est l'été. Il en faut faire autant à l'autre cuir. En préparant ainsi deux cuirs pour les deux balles, on a soin de préparer aussi deux doublures, qui sont ou deux autres cuirs plus minces de même espece, & qui ne demandent d'autres préparations que d'être souples & ramoitis, ou deux vieux cuirs qu'on fait servir en doublures, après les avoir brossés dans la lessive pour en ôter l'encre. Cette sorte de doublure est préférable & conserve mieux les cuirs. La doublure maintient le cuir dans une douce humidité pendant cinq ou six heures, plus ou moins selon la saison, & l'empêche de se racornir.

Il faut aussi de la laine telle qu'on l'achete chez les marchands, on la tire quand elle est neuve, ou on la carde quand elle a servi quelque tems. Il en faut environ une demi-livre pour chaque pain. On appelle dans l'Imprimerie un pain de laine, la quantité de laine qui se met dans chaque balle.

Monter les balles. Quand les cuirs sont bien préparés, & qu'il y a de la laine tirée ou cardée, un des ouvriers de la presse monte ses balles. Pour cela il commence par attacher légerement le cuir & la doublure au bois de balle, avec un clou qu'il met sur le bord du bois de balle, & au bord du cuir & de la doublure, de façon que le côté de la laine se trouve en-dessus ; puis il fait faire un demi-tour à son bois de balle, étale bien le cuir & la doublure ; ensuite le bois de balle couché & le manche tourné de son côté, il prend avec ses deux mains la quantité de laine qu'il juge nécessaire pour former son pain de laine, & la met dans la capacité du bois de balle appuyé contre son estomac. Il prend l'extrémité du cuir & de la doublure diamétralement opposée à celle qu'il a déjà attachée, & l'attache aussi. Il examine ensuite s'il a pris assez de laine pour donner à sa balle une figure ronde, & qu'elle soit un peu ferme ; il attache un troisieme clou au milieu des deux qui viennent d'être attachés. Ces trois clous sont seulement pour maintenir le cuir & la doublure, pendant que l'imprimeur les attache plus solidement sur le bord du bois de balle, au moyen de dix ou douze clous qu'il met à la distance de trois doigts l'un de l'autre en plissant les extrémités du cuir & de la doublure l'un sur l'autre, & en les appliquant le plus ferme qu'il peut dessus le bord du bois de balle, afin qu'en touchant la laine ne sorte pas.

Quand les balles sont montées, il faut les ratisser pour enlever les ordures qui se sont attachées aux cuirs en les corroyant, & en montant les balles : l'imprimeur verse sur le milieu du cuir d'une balle environ plein une cuilliere à bouche de petit vernis, tourne la balle pour que le vernis ne tombe point, prend l'autre balle, les met l'une sur l'autre, & les distribue comme après avoir pris de l'encre, pour que ce vernis s'étende bien sur toute la surface des cuirs des deux balles, & en détache les ordures. Ensuite il en met une sur les chevilles de la presse, prend un coûteau dont la lame soit non tranchante, & avec cette lame il enleve le petit vernis & toutes les ordures qui se rencontrent sur la superficie du cuir d'une balle. Il met cette balle aux chevilles, & prend l'autre qu'il ratisse de même, puis la suspend au-dessus de la premiere à une corde attachée à la jumelle. L'imprimeur ratisse les balles toutes les fois qu'il les a montées ; il doit les ratisser aussi dans le courant de la journée, pour enlever de dessus les cuirs les ordures qui s'y attachent en travaillant, & qui viennent de l'encre & du papier. En un mot il ne doit rien négliger pour avoir de bonnes balles, car elles sont l'ame de l'ouvrage ; & il est impossible de faire de bonne impression avec de mauvaises balles.

Pendant la préparation des balles & du papier, un des deux imprimeurs a dû coller une frisquette, c'est-à-dire coller au chassis de la frisquette un parchemin ou deux ou trois feuilles de papier fort, pour l'usage dont nous allons parler. On se sert ordinairement de vieilles peaux de tympan ; on colle par-dessus une feuille de papier blanc.

Laver les formes. L'imprimeur doit aussi laver les formes avant que de les mettre sous presse. Comme il n'y a point de forme prête, sur laquelle il n'y ait eu deux ou trois épreuves, & même davantage, & qu'il faut plus d'encre pour une épreuve que pour une feuille ordinaire quand la forme est en train, l'oeil du caractere se trouve encré ; ce qui rendroit l'impression pâteuse, si on n'avoit pas le soin de laver les formes auparavant. Un des deux imprimeurs prend donc une forme une heure ou deux avant de la mettre sous presse, pour qu'elle ait le tems de sécher, la porte au bacquet, en bouche le trou avec un tampon, la couche, verse dessus une quantité de lessive pour la couvrir, la brosse jusqu'à ce que l'oeil du caractere soit net, & le chassis & la garniture propres, débouche le trou pour laisser écouler la lessive, leve la forme, la laisse égoutter quelque tems, regarde attentivement s'il n'en est rien tombé, la retire du bacquet, la rince avec de l'eau nette, & la laisse sécher. La lessive dont on se sert pour laver les formes n'est autre chose que de la lessive de blanchisseuse, dans laquelle on met de la potasse ou une espece de sel blanc qu'on appelle drogue, qui fond dans la lessive, & qui la rend plus douce. Quand le tirage d'une forme est fini, l'imprimeur est obligé de la laver. Il doit y avoir dans toutes les imprimeries un endroit destiné à tremper le papier, laver les formes, laisser les formes de distribution, mettre les cuirs tremper, &c. on le nomme tremperie. Voyez ce mot & nos Pl.

Il doit ensuite préparer son encre ; cette fonction n'est pas longue ; il ne faut que bien nettoyer l'encrier, prendre avec la palette une quantité d'encre dans le barril, la mettre dans l'encrier, la bien broyer avec le broyon, la ramasser avec la palette, la broyer encore, puis la mettre dans un des coins de l'encrier. Un ouvrier de la presse curieux de son ouvrage, ne manque pas le matin de broyer toute l'encre qu'il a dans son encrier, avant que de se mettre au travail, pour l'entretenir dans un état de liquidité convenable.

Nous avons laissé les balles, l'une aux chevilles de la presse, & l'autre suspendue à la jumelle ; il faut leur faire prendre l'encre ; l'imprimeur en broie sur le bord de l'encrier, & en prend avec une de ses balles, puis avec l'autre, & les distribue, c'est-à-dire les fait passer & repasser l'une sur l'autre, en les frottant & les appuyant avec force l'une contre l'autre, jusqu'à ce que toute la surface des deux cuirs, de grise qu'elle étoit, soit d'un beau noir luisant, & également noire par tout. Si l'imprimeur voit qu'il y ait quelqu'endroit sur les cuirs qui n'a pas bien pris l'encre, & qu'il s'apperçoive que cela vient de ce que les cuirs sont humides, il brûle une feuille de papier, & passe les cuirs par-dessus la flamme, en distribuant les balles. Si après cela les cuirs refusent encore de prendre, il les frotte sur une planche ou dans les cendres, pour en dissiper l'humidité, puis y met du petit vernis, les ratisse, prend de l'encre, & les distribue jusqu'à ce que les cuirs paroissent bien pris également. Quand les cuirs n'ont pas été bien corroyés, ils ont de la peine à prendre, sur-tout l'hiver tems pendant lequel les imprimeries sont fort humides ; de façon que l'imprimeur est quelquefois obligé de les démonter, c'est-à-dire de les détacher entierement du bois de balle, & de les corroyer de nouveau. Pour éviter cet inconvénient qui fait perdre du tems, il ne s'agit que de les bien corroyer avant de les monter. Dans les imprimeries où il y a d'autres ouvriers de la presse, ceux qui ont des cuirs bien pris, pour faire plaisir à ceux qui en ont deux nouveaux, prennent une de leurs balles, & leur en donnent une des leurs ; au moyen de cet arrangement les deux cuirs neufs sont bientôt pris, les deux vieux cuirs aidant à faire prendre les nouveaux.

Mettre en train. Après que le compositeur a corrigé la derniere épreuve d'une feuille, il porte les formes auprès de la presse des imprimeurs qui doivent les tirer, & leur donne en même tems cette épreuve. Le premier des deux ouvriers, qui est celui qui doit mettre en train, essuie le marbre de la presse avec un morceau de papier, prend une forme (on commence ordinairement par le côté de deux & trois), la met sur la presse, l'ajuste bien au milieu de la presse & sous le milieu de la platine, & l'arrête avec six coins par le moyen des cornieres. Il abaisse ensuite le tympan sur la forme, le mouille en dedans avec une éponge, le laisse quelque tems prendre son eau, pendant lequel il frotte ses blanchets, puis après avoir pressé son éponge pour en faire sortir l'eau, il ramasse avec cette éponge toute l'eau qui peut-être dans le tympan, met dedans les blanchets bien étendus, & le carton, & par-dessus le petit tympan pour les maintenir en état.

L'imprimeur leve son tympan & fait la marge. Nous continuons de supposer que la forme est in 8°. Il prend une feuille de son papier, la plie en deux, en marque bien le pli, la porte bien au milieu sur un côté de la forme, de maniere que le pli de cette feuille se trouve au milieu de la barre du milieu du chassis, déplie la feuille & l'étend, & tâte avec son doigt si sa marge est égale tout-autour. Il porte ensuite légerement l'éponge sur le tympan, l'abaisse sur la feuille, passe la main sur le petit tympan en appuyant un peu afin que la feuille s'attache au grand tympan, & enleve la feuille. C'est cette feuille qui regle la marge de toutes les autres, c'est-à-dire que c'est sur cette feuille que l'on pose toutes les autres avant que de les imprimer en papier blanc ou du premier côté. Puis il déchire deux doigts de l'angle de cette feuille qui se trouve en bas du tympan sous sa main gauche, parce que cet angle l'empêcheroit d'enlever de dessus le tympan les feuilles à mesure qu'elles s'impriment.

Il pose ses pointures de façon que l'ardillon se rencontre juste sur le pli du milieu de la feuille, & réponde à la mortaise de la barre du milieu du chassis. Pour en être sûr, il couvre sa marge d'une mauvaise feuille, abaisse le tympan sur la forme, & appuie la main sur le petit tympan vers le bout des pointures ; s'il ne trouve point de résistance c'est signe que l'ardillon répond juste à la mortaise du chassis. On arrête les pointures sur chaque côté du tympan au moyen d'une vis & d'un écrou. Elles servent au moyen des trous qu'elles font à chaque feuille qui s'imprime du premier côté, à faire rencontrer les pages de la seconde forme exactement sur les pages de la premiere forme tirée.

Il taille sa frisquette quand elle est seche. Il l'attache au tympan par le moyen des brochettes, & l'abaisse ; puis après avoir touché la forme, il abaisse le tympan, roule la presse, & imprime le parchemin ou le papier collé sur la frisquette. Il déroule, leve le tympan, & avec des ciseaux découpe dans la frisquette ce qui doit être imprimé, & laisse tout ce qui doit être blanc. Puis il appuie le doigt tout autour des pages découpées, pour voir si rien ne mord, c'est-à-dire s'il a bien coupé tout ce qui doit être imprimé, & si quelque partie de la frisquette ne porte pas sur le caractere, ce qui l'empêcheroit de venir. Il doit aussi éviter de couper plus qu'il ne faut, car cela barbouilleroit, & il faudroit en collant la frisquette, y remettre ce qu'il en auroit ôté de trop. Au moyen de la frisquette, les feuilles passent sous la presse, & en reviennent sans avoir la moindre atteinte d'encre dans les marges.

Quand l'imprimeur a taillé sa frisquette, quelquefois même avant de la tailler, il fait son registre en papier blanc. Il prend une feuille de son papier, la marge, la couvre d'une mauvaise feuille, abaisse le tympan, & la fait passer sous presse pour l'imprimer, quoique la forme n'ait point été touchée. Il déroule la presse, leve le tympan, leve aussi la feuille, la retourne in-8°., c'est-à-dire de haut-en-bas & sens-dessus-dessous, la pointe ou la met dans les mêmes trous, la couvre de la mauvaise feuille, & la fait passer une seconde fois sous presse sans avoir été touchée ; puis il déroule la presse, leve le tympan, & voit sur cette feuille, sur laquelle il n'y a des deux côtés que l'empreinte en blanc des caracteres, si les huit pages de cette même forme se rencontrent exactement les unes sur les autres. Si les pages se rencontrent exactement les unes sur les autres, le registre en papier blanc est fait ; & cela doit être quand le chassis est juste, quand les garnitures sont bonnes, & les pointures bien au milieu. Si les pages ne se rencontrent pas, il examine si le défaut vient du chassis, de la garniture, ou des pointures. Il remédie aux défauts du chassis & de la garniture en y ajoûtant quelques reglettes, & à l'égard des autres défauts, il y remédie aussi en faisant mouvoir les pointures. Après cela il tire une seconde feuille en blanc, pour être plus sûr de la rencontre juste des pages de sa forme les unes sur les autres. Quand l'imprimeur a bien fait son registre en papier blanc, sa forme est en train ; & il lui est beaucoup plus facile de faire le registre de la retiration, c'est-à-dire de la seconde forme.

Il fait la tierce, jette avec l'éponge de l'eau sur le tympan, & desserre la forme. La tierce est la premiere feuille qu'il tire après avoir mis sa forme en train. Il porte cette feuille avec la derniere épreuve au prote, qui examine avec attention si rien ne mord ou si rien ne barbouille, si la marge est bonne, si toutes les fautes marquées par l'auteur ou le correcteur sur la derniere épreuve ont été exactement corrigées, & s'il n'y a point dans la forme des lettres mauvaises, dérangées, hautes ou basses, tombées, &c. S'il y a quelque chose à corriger, le prote le marque sur la tierce, & le corrige, après quoi il avertit les imprimeurs qu'ils peuvent aller leur train.

Alors l'imprimeur prend le taquoir, taque la forme, la serre un peu moins que quand il faut la lever, & décharge le tympan, en mettant dessus deux ou trois mauvaises feuilles de papier sec, & les tirant comme pour les imprimer. Puis les deux compagnons partagent le travail : l'un prend le barreau, l'autre prend les balles, & cela pendant le tirage d'une rame, qui contient cinq cent feuilles ; après quoi celui qui étoit au barreau prend les balles, & celui qui avoit les balles prend le barreau : quand la presse est rude, la mutation se fait plus souvent.

L'office de celui qui a les balles est de broyer de l'encre, d'en prendre, de distribuer les balles, de toucher & de veiller à l'ouvrage. Pour broyer de l'encre, il pose le bord du broyon sur le tas d'encre ; il s'y en attache un peu qu'il étend sur le bord de l'encrier. Il vaut mieux en broyer peu à la fois & en broyer plus souvent. Quand on en broie peu à la fois, elle s'étend plus facilement sur l'encrier, & se distribue mieux. Il prend de l'encre en approchant le cuir d'une des balles du bord de l'encrier. Il en faut prendre plus ou moins souvent, en raison du format & du caractere ; puis il distribue les balles, c'est-à-dire qu'il les passe & repasse plusieurs fois l'une sur l'autre en les tournant en sens contraire. C'est une fonction qu'il ne doit point se lasser de faire ; car rien ne contribue plus à faire une impression égale, que de prendre peu d'encre à la fois, & de distribuer souvent les balles. Ensuite il touche la forme, c'est-à-dire qu'il empreint l'oeil du caractere d'une couche d'encre légere, en faisant passer & repasser les balles successivement sur toutes les parties de la forme, en observant de bien appuyer les balles sur le caractere, de ne presque point le quitter en touchant, & de toucher du milieu des balles en les tenant bien droites. Enfin après avoir touché, il doit regarder attentivement l'ouvrage, pour voir si la frisquette ne mord point, ou si rien ne barbouille, si tout vient également, & quand on est en papier blanc, si la marge est bonne. Quand il y a quelque ordure sur la forme, ce qui arrive souvent, aussi-tôt qu'il s'en apperçoit sur le papier, il doit la chercher sur la forme & l'enlever avec la pointe. S'il voit quelque défaut, il doit y remédier, en avertir son compagnon. Par exemple, s'il y a quelques endroits sur la forme qui viennent plus foibles, on met sur le tympan quelques hausses de papier gris, précisément de la grandeur de l'endroit foible ; on les fait tenir avec un peu de salive, & on les mouille avec l'éponge. Si au contraire il y a quelques endroits qui viennent trop fort, & qui fassent sur la feuille comme une espece de bouquet, il faut mettre un support, qui est une réglette plus ou moins forte, pour empêcher le trop de foulage.

L'ouvrier de la presse qui est au barreau est celui qui imprime. Il prend la feuille, la porte sur le tympan, la pose sur la marge le plus juste qu'il peut, en jettant un coup d'oeil tout-autour, abaisse la frisquette, abat le tympan, roule la presse à moitié de la main gauche, prend le barreau de la main droite, tire le premier coup, c'est-à-dire imprime la moitié de la forme, laisse le barreau s'en retourner sans le quitter, roule la presse tout au fond ou à peu près, suivant le format de l'ouvrage, tire le second coup, c'est-à-dire imprime l'autre moitié de la forme ; laisse le barreau s'en retourner seul & de son propre mouvement sous le chevalet, déroule la presse, leve le tympan & la frisquette, prend la feuille imprimée avec les deux mains, & la pose à côté du papier blanc ; observant, quand il a bien réglé son coup, de ne point aller ni plus ni moins avant, & de veiller aussi à l'ouvrage.

Quand donc les compagnons sont en train, tout le travail se partage de façon qu'ils sont également occupés tous les deux, & que ni l'un ni l'autre ne perd un moment. Pendant que le second imprimeur touche, le premier prend une feuille, la marge & abaisse la frisquette. Après que la forme est touchée, il abat le tympan, roule la presse, tire son premier & son second coup, déroule la presse & leve le tympan. Aussi-tôt que le tympan est levé, le second imprimeur touche pour une autre feuille ; & pendant qu'il touche, le premier leve la frisquette, prend la feuille imprimée, la met à côté du papier à imprimer, prend une feuille blanche, la marge, & abaisse la frisquette, & après que la forme a été touchée, abat le tympan, roule la presse, imprime la feuille, déroule la presse, & leve le tympan. Pendant que le premier imprimeur abat le tympan, roule la presse, imprime la feuille, déroule la presse, & leve le tympan, le second a alternativement le tems de broyer de l'encre, d'en prendre, de distribuer les balles, & de regarder l'ouvrage ; car aussitôt que le tympan est levé, si rien n'arrête, le second imprimeur doit toucher, afin que son compagnon n'attende pas après lui. Cette manoeuvre se continue ainsi pendant tout le tirage d'une forme. Voyez au mot PRESSE, le détail & la description de toutes ses parties, & les Planches d'Imprimerie.

Quand tout le papier blanc est tiré d'un côté, le premier imprimeur serre la forme, ôte trois coins de registre, ordinairement les deux d'en bas & un des côtés près de la platine, leve la forme, & la donne au second imprimeur qui la reçoit, & lui présente en même tems la retiration, c'est-à-dire la forme du côté de la premiere. Le premier imprimeur couche cette forme sur le marbre de la presse, & doit avoir attention à la mettre dans la même position que l'autre. Ce qui se fait au moyen d'un clou qui est au coffre, & qui indique le milieu de la presse ; & au moyen du compas, avec lequel il a dû prendre la hauteur de la premiere forme avant de la lever. Puis il voit si l'ardillon de ses pointures entre dans la mortaise du chassis en abaissant le tympan, & appuyant la main sur le bout des pointures. Ensuite l'imprimeur retourne son papier de haut-en-bas & sens-dessus-dessous, ensorte que le côté imprimé se trouve dessous, & le côté à imprimer dessus ; puis il fait son registre en retiration. Il prend une feuille de son papier imprimé d'un côté, il la pointe, c'est-à-dire il la met dans les mêmes trous qui ont été faits en imprimant le premier côté, la couvre d'une mauvaise feuille, & la tire en blanc. Sur cette feuille il voit si les pages de la seconde forme se rencontrent justes sur les pages de la premiere forme. Si elles se rencontrent, le registre est fait : si elles ne se rencontrent pas, il faut y remédier, comme nous avons dit au registre en papier blanc, en ajoûtant au chassis ou à la garniture, & en faisant mouvoir les pointures. Ensuite il fait la tierce du second côté, & la porte au prote qui la voit comme il a vu la tierce du premier côté, & qui la corrige s'il trouve quelque chose à corriger. Pendant que le prote voit la tierce, l'imprimeur met une feuille de papier de décharge ou de papier gris sur son tympan, par-dessous les pointures sans les remuer, la mouille avec l'éponge, & l'étend bien en passant le dos de la main par-dessus, déchire l'angle qui se trouve de son côté au bas du tympan, & arrête la feuille aux quatre coins avec un peu de colle, comme il a fait à la marge.

Pendant que le premier imprimeur fait les fonctions dont nous venons de parler, le second n'est pas oisif. D'abord il lave la forme qui sort de dessous la presse ; puis si les balles sont seches, il les démonte, rafraîchit les cuirs, remonte les balles & les ratisse ; ou bien il prépare du papier, soit en le trempant, soit en le remaniant, pour une autre feuille à tirer, après que celle qui est sous presse sera finie. Pour démonter les balles & rafraîchir les cuirs, il prend le pié-de-chevre, détache seulement quatre ou cinq clous de suite, ceux qui paroissent le moins bien attachés, sépare le cuir de la doublure, & passe, sans ôter le pain de laine, l'éponge mouillée sur l'envers du cuir & sur le côté de la doublure qui touche au cuir, puis remonte les balles & les ratisse.

Le premier imprimeur, dès que la tierce est corrigée, taque la forme, la serre, & décharge le tympan. Le second touche, & le premier tire ; ils font tous deux la même manoeuvre qui a été expliquée au tirage de la premiere forme, & avec le même soin & la même attention. Toute la différence qu'il y a, c'est qu'au lieu de marger les feuilles, on les pointe, & qu'au lieu de prendre garde à la marge, on prend garde si le registre ne se dérange point, c'est-à-dire si les pages du premier & du second côté se rencontrent bien les unes sur les autres ; en observant de retourner de tems en tems une feuille, pour voir la couleur de l'impression du premier côté, afin de donner au second côté la même teinte ; au moyen de cette attention, l'impression sera égale & suivie des deux côtés. Il observera aussi de changer la feuille de décharge à chaque rame plus ou moins, à proportion que le premier côté décharge sur cette feuille ; sans cela l'impression maculeroit.

Tous les soirs en quittant l'ouvrage, celui des deux imprimeurs qui est au barreau, décharge la forme, si le tirage n'en est pas fini, en mettant sur le tympan deux ou trois mauvaises feuilles seches & les tirant, il retourne ces feuilles & les tire une seconde fois : ou bien il trempe superficiellement la brosse dans la lessive, en donne quatre ou cinq tours à la forme, & la décharge comme nous venons de voir, ou bien, s'il y a encore beaucoup à tirer sur la forme, il la porte au bacquet, la lave, la laisse sécher pendant la nuit, & le lendemain matin la met sur la presse.

L'autre imprimeur démonte les balles, mais il y fait un peu plus de façon que pour les rafraîchir pendant la journée. Après avoir détaché cinq ou six clous, il ôte le pain de laine, le presse entre ses deux mains en tournant pour le desapplatir, sépare le cuir de la doublure, plie le cuir en deux du côté qu'il est encré ; prend de l'eau nette dans une jatte, y plonge plusieurs fois la doublure en la maniant pour la rendre douce ; y plonge aussi le cuir à l'envers, & le frotte à deux mains principalement quand il est neuf ; étale la doublure & le cuir par-dessus, & les roule l'un sur l'autre jusque sur l'extrèmité du bois de balle : le cuir & la doublure roulés ensemble font alors comme une espece de bourlet, que l'imprimeur plonge plusieurs fois dans l'eau & presse avec la main. Il en fait autant à l'autre balle ; puis il les met l'une auprès de l'autre à terre dans un lieu humide, & les couvre d'un vieux blanchet ramoiti.

Quand il y a mille ou douze cent cinquante de papier tiré des deux côtés, les imprimeurs le chargent. On le met entre deux ais, sous un poids de quarante ou cinquante livres, plus que moins, & on l'y laisse pendant cinq ou six heures. Après que le papier a été chargé, le foulage étant applati, l'impression paroît plus unie, plus nourrie, & sort davantage. Cet article est du Prote de l'Imprimerie de M. LE BRETON.

Il nous reste à parler de l'impression en rouge & noir, c'est-à-dire de celle dans laquelle on imprime sur la même forme avec ces deux couleurs. Pour y procéder, quand les épreuves ont été faites en noir, on doit laver la forme avec une plus grande attention qu'à l'ordinaire, de façon qu'il ne reste point de noir sur le caractere ; on doit la laver avec de la lessive bien chaude. De-là on la met en train sur la presse avec une grande précaution : on serre bien les coins de registre, de maniere que la forme ne puisse nullement se déranger ; on fait ensorte que les couplets du tympan & de la frisquette ne puissent vaciller aucunement. On découpe ensuite sur la frisquette la partie qui doit venir en rouge, & les morceaux de parchemin que l'on en ôte doivent se coller sur le tympan, au même endroit où ils étoient à la frisquette ; ou on les met sous chacun des mots de la forme qui doivent se trouver en rouge ; c'est ce qu'on appelle taquonner, ces morceaux détachés de la frisquette se nomment taquons. Par ce moyen on donne plus de hauteur au caractere. (Dans les imprimeries où l'on fait souvent des livres d'église, & autres où cette impression est plus usitée, il y a des caracteres plus hauts destinés à cet usage.). On imprime comme à l'ordinaire la partie rouge ; quand elle est finie sur une forme, on la lave encore fortement pour détacher le rouge, on ôte les mots ou les lignes qui ont été imprimés, on y substitue des quadrats, on reporte la forme sur la presse, & avec les mêmes précautions on imprime la partie noire. Il n'est pas aisé de faire rencontrer exactement & en ligne cette sorte d'impression ; le moindre dérangement dans le jet du tympan ou de la frisquette, ou dans les pointures, suffit pour la gâter. Peu d'imprimeurs y réussissent ; & c'est ce qu'ils ont de plus difficile à exécuter.

Les peaux dont on se sert pour les balles à l'impression rouge sont des peaux blanches. Pour la composition de cette espece d'encre, voyez au mot ENCRE d'imprimerie.

IMPRIMERIE EN TAILLE DOUCE, (Art méchanique) c'est l'art de porter sur une feuille de papier, un morceau de satin, ou quelqu'autre substance semblable, l'empreinte des traits qu'on a tracés à l'eau-forte, ou au burin, ou autrement sur une planche de cuivre ou de bois.

Cette opération se fait par le moyen de deux rouleaux, entre lesquels on fait passer la planche, après qu'elle est encrée. Ces rouleaux font partie d'une machine qu'on appelle la presse.

L'action des rouleaux attache l'encre qui remplit les traits dont la planche est gravée, à la feuille de papier, au vélin, ou au satin dont on l'a couverte.

La feuille chargée de ces traits, s'appelle une estampe.

La fonderie en caracteres, & l'Imprimerie proprement dite, ont concouru pour multiplier à l'infini les productions de l'esprit, ou plutôt les copies de ces productions. La gravure & l'imprimerie en taille douce ont rendu à la peinture le même service, ou à peu près. Je dis à peu près, parce que l'estampe ne conserve pas tout le mérite du tableau.

Grace à ces deux derniers arts, avec un peu de goût, on peut sans grande opulence renfermer dans quelques porte-feuilles choisis, plus de morceaux en gravure, que le potentat le plus riche ne peut avoir de tableaux dans ses galeries. La gloire des grands maîtres ne passe pas tout-à-fait.

Description de la presse. La presse des imprimeurs en taille douce est composée de deux forts assemblages de charpente A, B, C, D, Planche de l'imprimerie en taille douce, fig. 6. Ces assemblages sont entretenus l'un avec l'autre par deux traverses. Ils sont composés chacun d'un patin A, B, aux extrémités duquel sont des billots ou calles l, m, qui élevent la presse.

La face supérieure du patin est percée de cinq mortaises. Celle du milieu reçoit le tenon de la jumelle C. D. Les deux plus voisines sont destinées aux tenons inférieurs des jambettes I K, qui maintiennent les jumelles dans la position verticale. Les deux autres sont les lieux des tenons inférieurs des colonnes G H, qui portent les bras O F de la presse.

Il faut imaginer un assemblage tout-à-fait semblable à celui-ci, & tenu parallellement par les deux traverses dont nous avons parlé.

Dans ces deux assemblages, chaque jumelle est percée des deux grandes ouvertures quadrangulaires r s x, y z x, arrondies en plein ceintre du côté qu'elles se regardent. C'est dans ces ouvertures que passent les tourillons des rouleaux, comme nous l'expliquerons plus bas.

Chaque jumelle est encore percée sur chaque face latérale de deux mortaises ; l'une, qui est la supérieure, est double, & reçoit le double tenon du bras, dont l'autre extrémité est portée par la colonne. La mortaise inférieure reçoit le tenon supérieur de la jambette.

Les deux assemblages ou fermes de l'un desquels on vient de donner la description, sont arrêtés ensemble par deux traverses de deux piés de longueur. La traverse inférieure qu'on voit en P O, fig. 5, & en P, fig. 1, est fixée par un tenon & une vis L dans chaque jumelle. On voit, fig. 1 & 6, cette place L. La traverse supérieure H H, fig. 5 & 6, que l'on nomme aussi le sommier, l'est par des queues d'aronde & communément ornée de quelques moulures. Le tout est fait de bon bois de chêne ou de noyer.

Les rouleaux, fig. 7 & 8, qui ont environ sept pouces de diamêtre, & sont terminés par des tourillons, dont le diamêtre est de quatre pouces & demi, doivent être de bon bois de noyer sans aubier, de quartier, & non de rondin. On peut aussi y employer l'orme.

Un des tourillons du rouleau supérieur, fig. 7, est terminé par un quarré, auquel on adapte un moulinet croisé, par le moyen duquel on fait tourner ce rouleau, comme on le dira plus bas.

Les tourillons des rouleaux, fig. 7 & 8, s'appliquent aux parties arrondies des ouvertures r s x, y z x des jumelles, fig. 6 ; & le reste de leur espace est rempli des boëtes, des hausses & des calles.

Les boëtes O P, fig. 9, au nombre de quatre, sont des pieces de bois de même dimension, soit en largeur, soit en épaisseur, que l'ouverture de la jumelle. Elles ont trois pouces & demi ; elles sont évuidées cylindriquement pour s'appliquer sur le tourillon. On les garnit intérieurement d'une plaque de fer blanc, dont les oreilles a, b, fig. 9, percées chacune d'un trou, entrent dans les entailles a, b, pratiquées aux faces latérales de la boëte, où elles sont fixées par des clous.

Les hausses K K sont aussi au nombre de quatre. Ce sont de petites planches d'un pouce environ d'épaisseur, & des mêmes dimensions du reste que la base des boëtes auxquelles elles doivent s'appliquer.

Les calles sont des pieces de carton, dont le nombre est indéterminé, & dont les dimensions correspondent à celles des hausses auxquelles on les appliquera.

Les deux fermes étant assemblées, pour achever de monter la presse, on fera entrer les tourillons des rouleaux dans les ouvertures des jumelles ; savoir, ceux du rouleau dont un des tourillons est terminé par un quarré, fig. 7, dans les ouvertures supérieures r s x, fig. 6 ; & ceux de l'autre rouleau, fig. 8, dans les ouvertures inférieures y z x, fig. 6. On placera aussi les tenons de la traverse P O, fig. 5. & 1, dans les mortaises des jumelles, destinées à les recevoir, & où ils seront fixés par les vis L, fig. 1 & 6, & l'on couronnera cette charpente du sommier H H, fig. 5 & 6. La fonction du sommier est d'empêcher l'écartement des jumelles.

Cela fait, on introduira dans l'entaille inférieure de chaque jumelle, & du côté de x y, fig. 6, une boëte o, fig. 9, garnie de sa plaque de fer blanc, & préalablement enduite de vieux-oing. On enduira de la même matiere le tourillon du rouleau. On placera sous cette boëte une hausse, ensorte que le tourillon du rouleau accole la partie concave x de l'ouverture y z x. Sur les tourillons du rouleau supérieur, on place de semblables boëtes, surmontées par des hausses recouvertes de calles, jusqu'à ce que les ouvertures r s x soient suffisamment garnies.

On ajustera ensuite deux petits ais dans les rainures des bras de la presse, au-dessous desquels on placera une traverse terminée par des queues d'aronde, qui entreront dans les entailles pratiquées aux extrémités des bras. Ces traverses en empêcheront l'écartement.

Une attention essentielle, c'est que la ligne de jonction des deux rouleaux soit plus élevée d'environ un pouce, que la surface supérieure des petits ais dont on vient de parler.

On adapte le moulinet au rouleau supérieur, en faisant entrer le tenon quarré de ce rouleau dans l'ouverture de même forme qu'on voit au centre de la croisée du moulinet, fig. 10, & bientôt la presse sera prête à marcher. Il ne s'agit plus que d'y ajuster la table.

La table de la presse est une planche de noyer, d'un pouce & demi environ plus étroite que l'intervalle qui est entre les jumelles. Elle a environ trois piés & demi de longueur ; les faces doivent en être parfaitement dressées, sur-tout celle de dessus ; on l'introduit entre les rouleaux, ôtant pour cet effet, s'il est nécessaire, quelques-unes des calles qui remplissent les ouvertures supérieures des jumelles, ou en faisant, au moyen du moulinet, tourner le rouleau supérieur. Une des extrémités de la table étant amincie, elle sera prise par les rouleaux, & entraînée entr'eux dans leur mouvement. Les rouleaux doivent la comprimer fortement. Elle ne doit toucher à aucune autre partie de la presse ; c'est par cette raison qu'on a fait la partie supérieure du rouleau de dessous d'environ un pouce plus élevée que la table dormante, composée des petits ais placés entre les bras de la presse.

Outre la presse qui est à la vérité l'instrument principal, l'attelier de l'imprimeur en taille-douce doit encore être pourvû,

1°. de langes.

2°. de linges ou torchons.

3°. d'un tampon ou d'une balle.

4°. de noir de fumée, ou noir d'Allemagne.

5°. d'une marmite de fer pour cuire l'huile de noix.

6°. d'un marbre & de sa molette pour broyer le noir.

7°. d'une poële à feu & d'un gril pour chauffer la planche.

8°. de différens ais & de bacquets pour la trempe du papier.

Des langes. Ils sont de laine blanche, d'un bon drap bien foulé sans aucune inégalité. On en emploie quelquefois de serge fine que l'on applique les premiers sur la planche, & qu'on recouvre de langes plus grossiers. Ils n'auront ni ourlet ni lisiere. On s'en pourvoira de deux ou trois grandeurs différentes, pour les changer au besoin selon l'étendue des planches & des papiers ; mais comme à force de passer sous le rouleau, ils deviennent durs, & se chargent d'humidité, il est à propos de les étendre le soir ; & le matin, lorsqu'ils seront secs, on les maniera, froissera ou foulera en tous sens, pour les bien assouplir. Il faut aussi en avoir de rechange, afin de pouvoir, sans interruption de travail, laver ceux qui sont devenus trop durs, & les débarrasser de la colle qu'ils ont prise du papier mouillé, sur lequel on les a posés si souvent dans le cours du tirage.

Des linges ou torchons. Ce sont des lambeaux de vieux linges dont on se servira pour essuyer la planche, lorsqu'elle aura été encrée.

Du tampon ou de la balle. On la fait d'un bon linge de chanvre, doux & fin, à demi usé ; on le coupe par bandes larges de cinq à six pouces ; on roule ces bandes fort serré, comme on rouleroit un ruban, mais le plus fermement possible ; on en forme comme une molette de peintre. En cet état on les coud avec du bon fil, en plusieurs doubles, qu'on fait passer à-travers dans tous les sens. On s'aide dans ce travail d'une alene. Le tampon ou la balle bien cousue, & réduite à environ trois pouces de diamêtre, on la rogne avec un couteau bien tranchant ; l'autre côté sera arrondi en demi-boule, afin que le creux de la main s'y puisse appliquer commodément lorsqu'il s'agira d'encrer la planche.

Du noir de fumée ou du noir d'Allemagne. Le meilleur noir qui soit à l'usage des Imprimeurs en taille-douce se fait par la combustion des matieres résineuses ; c'est une véritable suite. Voyez l'article NOIR DE FUMEE. Le bon noir doit avoir l'oeil velouté ; en le froissant entre les doigts, il s'y écrasera comme l'amidon. Le noir commun n'aura pas un oeil si beau ; au lieu de l'éprouver doux entre les doigts, on le trouvera rude & graveleux. Il use fort les planches ; on le tire des lies du vin brûlées.

De la marmite à cuire l'huile. Elle sera de fer, assez grande ; il faut que son couvercle s'y ajuste bien exactement. On y mettra la quantité qu'on voudra d'huile de noix, la meilleure & la plus pure, ensorte toutefois qu'il s'en manque au moins quatre à cinq doigts qu'elle ne soit pleine. On la couvrira, & l'on fera bouillir l'huile, ayant attention qu'elle ne se répande & ne s'enflamme. On la remuera souvent, soit avec une pince, soit avec des cuilleres de fer, jusqu'à ce que le feu y prenne légerement de lui-même. On pourra l'allumer avec un morceau de papier enflammé qu'on y jettera, lorsqu'elle sera chaude au point requis ; alors on retirera la marmite de dessus le feu, on la placera dans un coin de la cheminée, observant de remuer l'huile. Cette ignition durera au moins une demi-heure, & l'on aura fait la premiere huile, celle qu'on appelle huile foible.

On arrêtera la combustion, en fermant la marmite de son couvercle, ou en appliquant à la surface un linge mouillé qui empêche la communication avec l'air.

Cela fait, on aura un vaisseau net, dans lequel on versera l'huile qu'on conservera.

On préparera l'huile forte comme on a préparé l'huile foible, on la laissera seulement brûler beaucoup plus de tems. On poussera l'inflammation jusqu'à ce qu'elle soit devenue épaisse & gluante, ce qu'on reconnoîtra en en laissant tomber quelques gouttes sur une assiette ; si ces gouttes refroidies filent comme un syrop très fort, l'huile forte est faite.

Il y en a qui jettent dans l'huile bouillante, ou qui font bouillir en même tems & avec elle, une croute de pain ou de la terre d'ombre.

S'il arrivoit que l'huile fût trop brûlée, on ajouteroit dans la marmite une quantité convenable d'huile non brûlée.

Il est prudent de faire cette opération dans un jardin, une cour, ou quelque lieu découvert.

De la maniere de broyer le noir. On nettoyera bien le marbre & sa molette, qu'on voit fig. 4, on écrasera la quantité de noir qu'on veut broyer. On aura à côté de soi de l'huile foible, on en arrosera peu à-peu le noir ; on observera de ne pas mettre trop d'huile à la fois sur le noir, qui veut être broyé le plus à sec qu'il est possible.

Cette détrempe étant faite, on retirera avec le couteau ou l'amassette le noir sur un des angles de la pierre, & reprenant petite portion à petite portion le noir qui n'a été broyé qu'en gros, on le rétendra sur toute la pierre, en repassant dessus la molette en tout sens, jusqu'à ce que le broyement & l'affinage soient achevés.

Le broyement & l'affinage parfaits, on relevera de-rechef avec le couteau ou l'amassette ce noir. On donnera le même apprêt à celui qu'on aura détrempé, puis on reviendra sur le tout ; on le remettra au milieu de la pierre ; on y ajoûtera en deux ou trois tours de molette une certaine quantité d'huile forte.

Il faut moins d'huile forte lorsque l'encre apprêtée doit servir à des planches usées, ou dont la gravure n'est pas profonde ; un peu d'usage & d'expérience dirigeront là-dessus.

De la poële à feu & du gril. On aura une poële de fer ou de fonte, sur laquelle on placera un gril ; c'est sur ce gril qu'on posera les planches pour les échauffer médiocrement. Il doit y avoir un peu d'intervalle entre le gril & la poële, pour donner un libre accès à l'air entre la planche & le feu, qui doit être couvert de cendres chaudes.

De la maniere de tremper le papier. Pour tremper de grand papier, il faut avoir un bacquet plein d'eau claire, & deux forts ais barrés par derriere ; que ces ais soient de la grandeur du papier déployé. Les barrures fortifieront les ais & les empêcheront de coffiner, & seront une commodité lorsqu'il s'agira d'enlever les ais avec le papier dont ils seront chargés.

Cela préparé, on prendra cinq ou six feuilles de papier avec les deux mains. On les tiendra par les angles, & on les passera toutes ensemble, deux ou trois fois, dans l'eau claire du bacquet, selon que le papier sera plus ou moins fort, plus ou moins collé ; ensuite on les étendra sur un des ais, par-dessus celles-ci les cinq ou six autres qu'on aura trempées, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ait épuisé la quantité de papier qu'on veut tremper.

Le papier trempé mis sur un des ais on le couvrira de l'autre ais, son côté uni appliqué au papier, & l'on chargera le tout d'un poids pesant, ou l'on serrera les ais dans une presse ; cette opération produira deux effets contraires, elle fera entrer dans le papier l'eau dont il a besoin, & elle en chassera celle qui est superflue.

Il faut laisser en cet état le papier jusqu'à ce qu'on veuille tirer. Le papier trempé le soir peut servir le lendemain, & s'il arrive qu'on en ait trempé plus qu'on n'en pourroit employer, on met ce qui en reste entre celui qu'on trempe le soir, & le lendemain on l'emploie le premier.

On trempera plus long-tems le papier fort & bien collé, moins long-tems le papier foible & le moins collé.

On alune quelquefois le papier ou les étoffes sur lesquelles on veut imprimer ; l'encre s'y attache plus facilement. Pour cet effet, on dissout de l'alun dans de l'eau bouillante, & l'on trempe le papier de cette eau.

De la maniere d'encrer & d'imprimer. L'ouvrier premier de la vignette imprime ; l'ouvrier second encre.

La planche gravée ayant été limée par les bords, on en pose l'envers sur le gril, qui est au-dessus de la poële à feu. On la laisse modérément chauffer ; on a un torchon blanc & net ; on la prend par un des angles ; on la porte sur une table bien affermie, & prenant le tampon, & avec le tampon du noir, on applique le tampon & le noir sur la planche, coulant, pressant, frappant en tous sens sa surface, jusqu'à ce que ses traits soient bien chargés de noir.

Si l'on se sert d'un tampon neuf, il faut prendre trois ou quatre fois plus de noir que quand le tampon sera vieux, aura servi, & sera bien abreuvé.

Une attention qu'il ne faut pas négliger, c'est de tenir le tampon & le noir en lieu propre, & où ils ne soient point exposés à la poussiere & aux ordures, car en encrant on feroit des rayures sur la planche.

Lorsque le tampon a beaucoup servi, & qu'il est devenu dur par le noir qui s'y est attaché & séché, il faut en enlever quelques rouelles, & le traiter ensuite comme un tampon neuf.

Ayant donc bien rempli de noir les tailles de la planche, on essuie légerement le plus gros du noir, le superflu qu'on emporte avec un torchon qu'on passe aussi sur les bords de la planche. On a un autre torchon blanc, on y essuie la paume de sa main ; on passe ensuite cette main essuyée sur la planche même, hardiment & en tous sens ; on réitere cet essuiement sur la planche, & à chaque fois on essuie sa main au torchon blanc, on parvient ainsi à ne laisser à la planche aucun noir superflu ; il n'en reste que dans ses tailles, & elle est disposée à l'impression.

Alors on étendra sur la table de la presse, que l'on aura fait venir par le moyen du moulinet de l'un ou de l'autre côté, une feuille du même papier sur lequel on doit imprimer ; sur cette feuille de papier on placera un lange fin, sur celui-ci un plus gros, & ainsi de suite jusqu'au dernier, observant que les extrémités des langes ne répondent pas vis-à-vis les unes des autres ; que, par exemple, si le premier lange est à sept ou huit pouces loin du rouleau, le second qui le couvre en soit moins éloigné d'un ou deux pouces, & ainsi du troisieme, du quatrieme, &c. on le pratique de cette maniere, pour former par les épaisseurs graduées de tous ces langes comme un plan mesuré qui facilite leur passage sous le rouleau.

Ayant donc tourné le moulinet du sens convenable, & fait par ce moyen passer les langes bien étendus de l'autre côté de la presse, sans toutefois qu'ils en sortent tout-à-fait & qu'ils ne soient plus sous le rouleau, on relevera les langes sur le rouleau, pour découvrir la feuille de papier qui y a passé avec eux, & prenant la planche encrée & essuyée, comme on l'a prescrit, & l'ayant modérément réchauffée, on la posera par l'envers sur la feuille de papier qui est sur la table, observant de laisser des marges paralleles & égales aux côtés opposés. Sur la planche ainsi placée, on posera une feuille de papier trempé. Le papier trempé, pour la commodité de l'imprimeur, sera sur un ais, au sommet de la presse. Sur la feuille de papier trempé on mettra une feuille de maculature ; on rabattra sur celle-ci les langes, & en tournant le moulinet d'un mouvement doux & uniforme, ce qui est essentiel, le tout sera entraîné entre les rouleaux. La forte pression attachera l'encre dont les tailles de la planche sont chargées, à la feuille de papier trempé, & l'estampe sera tirée. La feuille qu'on aura mise dessous la planche, de même grandeur que la feuille trempée, guidant l'ouvrier, l'estampe sera bien margée. On prend aussi la maculature de même grandeur que la feuille trempée.

L'imprimeur releve ensuite les langes sur le rouleau pour découvrir l'estampe, qu'il enleve de dessus la planche, & qu'il place sur la table, fig. 3. Il recommence ensuite à encrer la planche ; il la replace, & il tire une seconde épreuve, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ait entierement employé son papier trempé.

On fait quelquefois passer & repasser plusieurs fois la planche entre les rouleaux, sur-tout lorsque le noir a été détrempé avec de l'huile forte. Dans les autres cas, la planche n'y passe qu'une seule fois.

Alors l'imprimeur a deux tables, sur l'une il met les estampes tirées, & sur l'autre celles qui sortent de l'autre côté.

Il arrive encore que l'on pose premierement les langes sur la table ; sur les langes une maculature, ensuite le papier ; sur le papier, la planche gravée ; sur la planche gravée, deux ou trois gros langes, & que tout étant ainsi disposé on tire l'estampe.

On imprime aussi les estampes en plusieurs couleurs. Voyez là-dessus l'article GRAVURE.

Si la planche est inégale, c'est-à-dire plus ou moins épaisse en un endroit qu'en un autre, on met dessous, entre la planche & la table, des morceaux de carton ou de gros papier déchiré, suivant la forme de ces inégalités, on parvient à rendre par ce moyen la pression égale par-tout.

S'il arrive que les tailles d'une planche soient remplies de noir séché, il faut la faire bouillir dans de la lessive, ou bien poser la planche à l'envers sur deux petits chenets, & couvrir toute sa surface d'environ un doigt d'épaisseur de cendres sassées, tamisées & détrempées avec de l'eau, puis avec de mauvais papier, ou de la paille, faire du feu par-dessous, ensorte que la cendre mouillée soit comme bouillante ; en bouillant elle dissoudra & prendra tout le noir des tailles.

Après cela on jettera de l'eau claire sur la planche, jusqu'à ce qu'on n'y apperçoive aucun vestige de cendres. Si on essuyoit la planche sans cette précaution, on ne manqueroit pas de la rayer.

La planche étant ainsi nettoyée, on la serrera dans un endroit sec.

C'est à l'art d'imprimer, comme nous l'avons dit en commençant cet article, que nous devons la multiplication des chefs-d'oeuvres des grands Peintres.

Si les anciens qui connoissoient l'art de graver avoient sû tirer des épreuves de leurs planches, il est vraisemblable qu'ils auroient transporté cette invention à l'impression des livres ; il n'eût fallu pour cela qu'exercer des écrivains à écrire à rebours une écriture cursive sur des planches vernies ; mais peut-être l'art de forger, laminer & planer les planches de cuivre ; celui de préparer l'eau, leur étoient-ils inconnus. Du moins il paroît que la plûpart des ouvrages en cuivre qui nous sont parvenus d'eux ont été fondus. Si cela est, ceux qui connoissent ces sortes de travaux, jugeront de la difficulté qu'il y auroit eu à préparer, sans le secours des machines modernes, la quantité nécessaire de planches pour former l'édition d'un livre un peu considérable. Avec ce secours même, on emploie rarement la gravure à l'impression de la lettre, à moins qu'il ne s'agisse que de quelques lignes, ou tout au plus de quelques pages.

IMPRIMERIE, on appelle aussi de ce nom le lieu où l'on imprime. Ce lieu ne peut être trop clair ; il doit être solidement bâti : les imprimeries de Paris en général sont tenues dans des endroits fort incommodes, parce qu'un grand espace de terrein de plain-pié est fort-rare. Les maîtres Imprimeurs de Paris sont obligés par leurs réglemens de tenir leurs imprimeries dans l'enceinte de l'université.

IMPRIMERIE-ROYALE, (Hist. litt.) elle a été établie par François I. en 1531. Ce prince fit fondre des caracteres hébreux, grecs & latins, dont il confia la garde à Robert Etienne son imprimeur ordinaire, auquel son fils de même nom succéda en 1559.

L'Imprimerie royale fut perfectionnée sous Louis XIII. placée aux galeries du Louvre, & dirigée par Sebastien Cramoisi. Il eut la garde des poinçons, des matrices & de tout ce qui appartient à l'art d'imprimerie. Sebastien Mabre fils d'une de ses filles, lui succéda ; celui-ci mourut en 1687. Sa veuve fut continuée dans sa place.

En 1690 M. de Louvois appella de Lyon Jean Anisson ; dans les provisions expédiées en 1691 à Jean Anisson, il est qualifié de recteur & conducteur de son imprimerie royale, & garde des poinçons, matrices, caracteres, planches gravées, presses & autres ustensiles servant aux impressions.

Jean Anisson céda sa place en 1707 à Claude Rigaud son beau-frere.

Louis Laurent Anisson neveu de Jean Anisson obtint le 19 Mars 1723, la concurrence avec Rigaud ; & la survivance de celui-ci. Rigaud mourut au mois de Juillet suivant.

Le 22 Août 1735 Jacques Anisson du Perron entra en fonction avec Louis Laurent Anisson son frere.

C'est ce dernier qui préside maintenant à l'imprimerie royale qui, de quelque côté qu'on la considere, est une des mieux disposées, des plus occupées, des plus riches, des plus vastes, & des plus belles qu'il y ait au monde.

C'est-là qu'on imprime presque tous les papiers publics qui émanent du ministere.

On y a fait, & on y fait encore des éditions très-précieuses d'auteurs renommés, en toutes langues & en tous caracteres.

Les mémoires des académies, & quelquefois les ouvrages des académiciens s'impriment à l'imprimerie royale.

Lorsqu'il plaît au Roi d'honorer & de gratifier spécialement un auteur, il ordonne l'impression de son ouvrage à son imprimerie, & lui fait présent de son édition.

Quelquefois lorsqu'un ouvrage important est d'une grande exécution & d'une dépense considérable, le Roi, en qualité de protecteur des lettres, s'en charge, & les exemplaires restent entre les mains & à la garde de l'imprimeur du roi. On en fait des présens aux ambassadeurs, aux ministres, aux grands & aux gens de lettres qui sollicitent cette grace, & à qui il est rare qu'on la refuse.

IMPRIMERIE de Constantinople, (Hist turq.) elle a été dressée par les soins du grand-visir Ibrahim bacha, qui aimoit la paix & les sciences. Il employa tout son crédit auprès de Achmet III. pour former cet établissement, & en ayant eu la permission au commencement de ce siecle, il se servit d'un hongrois éclairé, & d'un juif nommé Jones pour diriger l'entreprise. Il fit fondre toutes sortes de caracteres au nombre de plus de deux cent mille, & l'on commença en 1727 par l'impression d'un dictionnaire turc, dont on a vendu les exemplaires jusqu'à 30 piastres. Cette imprimerie contient six presses, quatre pour les livres, & deux pour les cartes.

La révolution arrivée en 1730 par la déposition du grand-seigneur, & la mort de son visir qui fut sacrifié, n'a point détruit cet établissement, quoiqu'il soit contraire aux maximes du gouvernement, aux préceptes de l'alcoran, & aux intérêts de tant de copistes qui gagnoient leur vie à copier.

On sait aussi que les Juifs ont la liberté d'imprimer en Turquie les livres de leur religion. Ils obtinrent en 1576 d'avoir à Constantinople une imprimerie pour cet objet, & dès-lors ils répandirent en Orient les exemplaires de la loi qui y étoient fort peu connus. (D.J.)

IMPRIMERIE, c'est ainsi que les Tanneurs appellent une grande cuve de bois, dans laquelle ils mettent rougir les cuirs ; c'est ce qu'on appelle aussi les mettre en coudrement. Voyez TANNEUR.


IMPRIMEURouvrier travaillant à l'imprimerie : le prote, le compositeur, & l'imprimeur à la presse, sont compris sous ce nom. Pour les opérations differentes de chacun d'eux, voyez au mot IMPRIMERIE.

Le prote d'une imprimerie étant celui sur lequel roule tout le détail, & étant obligé de veiller également sur les compositeurs & les imprimeurs, il doit connoître parfaitement la qualité de l'ouvrage des uns & des autres, & sur-tout ne pas trop donner à l'habitude & aux préjugés d'état qui nuisent si fort au progrès de tous les arts. Pour ce qui regarde la composition, il doit savoir sa langue, & être instruit dans les langues latine & grecque ; posséder à fond l'orthographe & la ponctuation ; connoître & savoir exécuter la partie du compositeur, pour lui indiquer en quoi il a manqué, & le moyen le plus convenable pour réparer ses fautes. Quant à l'impression, il doit avoir assez de goût pour décider quelle est la teinte qu'il faut donner à l'ouvrage ; avoir l'oeil à ce que les étoffes soient préparées convenablement ; savoir par quel endroit peche la presse quand l'ouvrage souffre, & connoître assez toutes ses parties pour les faire réparer au besoin & comme il convient, Pour la lecture des épreuves, comme c'est sur lui que tombe le reproche des fautes qui peuvent se glisser dans une édition, il faudroit qu'il connût autant qu'il est possible, les termes usités, & savoir à quelle science, à quel art, & à quelle matiere ils appartiennent. Il y a de l'injustice à lui imputer les irrégularités, quelquefois même certaines fautes d'orthographe ; chaque auteur s'en faisant une à son goût, il est obligé d'exécuter ce qui lui est prescrit à cet égard. En un mot on exige d'un prote qu'il joigne les connoissances d'un grammairien à l'intelligence nécessaire pour toutes les parties du manuel de son talent. Voyez PROTE.

Il faut au compositeur, pour exceller dans son état, une grande partie des qualités nécessaires dans le prote, puisque c'est parmi ses semblables que l'on choisit ce dernier. Il a besoin dans ses opérations d'une grande attention pour saisir le sens de ce qu'il compose, & placer la ponctuation à-propos ; pour ne rien oublier, & ne pas faire deux fois la même chose, fautes dans lesquelles la plus légere distraction fait souvent tomber. Il doit éviter dans sa composition les mauvaises divisions d'une ligne à l'autre (on ne devroit jamais diviser un mot d'une page à l'autre) ; espacier également tous les mots de la même ligne, & tâcher qu'une ligne serrée ne suive ou ne précede pas une ligne trop au large ; mettre de l'élégance dans ses titres, sans défigurer le sens ; qu'il prenne garde, en corrigeant ses fautes, de rendre sa composition aussi belle & aussi bien ordonnée que s'il n'y avoit pas eu de fautes ; en un mot, qu'il exécute ce qui lui est prescrit à l'article IMPRIMERIE. Voyez aussi COMPOSITEUR.

Un imprimeur à la presse doit joindre à une grande attention sur la teinte & le bel oeil de l'impression, beaucoup de capacité pour juger d'où peuvent provenir les défauts de son impression, soit dans le dérangement de quelqu'une des parties de la presse, soit dans le mauvais apprêt de ses balles, de son papier & de ses étoffes, soit enfin dans la façon de manoeuvrer. Son talent est de faire paroître l'impression également noire & nette, non-seulement sur la même feuille, mais sur toutes les feuilles du même ouvrage, & de faire que toutes les pages tombent exactement l'une sur l'autre. Voyez IMPRIMERIE.

Il faut pour une belle impression qu'elle ne soit ni trop noire, ni trop blanche ; elle doit être d'un beau gris : trop noire, elle vient pochée, le caractere paroît vieux, & son oeil est plein ; trop blanche, elle vient égratignée, & fatigue les yeux du lecteur. Au reste on en juge mieux à la vûe que par raisonnement.

Il n'est peut-être pas inutile ici qu'un imprimeur fasse observer aux auteurs que c'est souvent leur faute si leurs livres ont besoin de si longs errata. Leur négligence à écrire lisiblement les noms propres & les termes de sciences ou d'arts qui ne peuvent être familiers à un compositeur, en est presque toujours la cause. Il est impossible qu'un imprimeur entende assez bien toutes les matieres sur lesquelles il travaille, pour ne pas se tromper quelquefois. On engage les gens de lettres à vouloir bien faire attention à cet avertissement pour que leurs oeuvres ne soient pas deshonorées aussi souvent qu'elles le sont par des fautes grossieres.

A l'art d'exprimer & de communiquer nos pensées les plus abstraites, à l'art d'écrire, on ne pouvoit rien ajoûter de plus intéressant, que celui de répéter cette écriture avec promtitude, avec élégance, avec correction, & presque à l'infini, par le moyen de l'imprimerie. De-là vint que bien-tôt après sa découverte, les imprimeurs se formerent & se multiplierent en si grand nombre.

Mais nous devons parler ici principalement de ceux qui joignirent à la science de l'art une vaste érudition, & une grande connoissance des langues savantes ; il y en a même plusieurs qui se sont immortalisés par d'excellens ouvrages sortis de leurs mains. Voici les noms des plus illustres, à qui tous les peuples de l'Europe doivent de la reconnoissance, car ils ont tous profité de leur savoir, de leurs travaux, & de leur industrie.

Amerbach (Jean) Amerbachius, Baslois, fleurissoit sur la fin du xv. siecle. Il publia divers auteurs, entre lesquels il corrigea lui-même les oeuvres de saint Ambroise qu'il mit au jour en 1492, & celles de saint Augustin qu'il n'acheva qu'en 1506, aidé des secours de son frere, ne desirant que la perfection de l'imprimerie, il fondit de nouveaux caracteres ronds, supérieurs à ceux qu'on connoissoit en Allemagne : & pour soutenir son art dans sa patrie, il y appella Froben & les Pétri. Il étoit extrêmement jaloux de la correction des livres qu'il publioit. Il eut des enfans qui se distinguerent dans la république des lettres, & il leur fit promettre en mourant de donner au public les oeuvres de saint Jérome, ce qu'ils exécuterent avec fidélité.

Badius (Josse), en latin Jodocus Badius, Ascensius, parce qu'il étoit d'Assche, bourg du territoire de Bruxelles, où il naquit en 1462. Il se rendit célebre par son savoir & par ses éditions : ayant été reçu professeur en grec à Paris, il y établit une belle imprimerie, sous le nom de praelum ascensianum, de laquelle sortirent entr'autres ouvrages, nos meilleurs auteurs classiques, imprimés en caracteres ronds, peu connus avant lui dans ce royaume, & qu'il substitua au gothique, dont on se servoit auparavant. Cependant ses caracteres n'ont pas l'agrément de ceux des Etiennes, mais ses éditions sont correctes. Il mettoit d'ordinaire ce vers latin à la premiere page de ses livres.

Aere meret Badius, laude auctorem, arte legentem.

Il mourut à Paris en 1535. Deux de ses filles épouserent de fameux imprimeurs, l'une Michel Vascosan, l'autre Robert Etienne. Cette derniere savoit très-bien le latin. Son fils Conrard Badius prit le parti de se retirer à Genève, où il fut à son tour imprimeur & auteur. Les fils, filles & gendres de Josse Badius, firent tous à l'envi prospérer avec zele l'art admirable de l'Imprimerie.

Blaew (Guillaume), dit Jansonius Caesius, né en Hollande dans le xvij. siecle avoit été ami particulier & disciple de Tycho-Brahé. Ses ouvrages géographiques & ses magnifiques impressions rendent sa mémoire honorable.

Bomberg (Daniel), natif d'Anvers dans le XV. siecle, alla s'établir à Venise, où après avoir appris l'hébreu, il s'acquit une gloire durable par ses éditions hébraïques de la bible, en toutes sortes de formats, & par les commentaires des Rabbins qu'il mit au jour. Il commença ce travail en 1511, & le continua jusqu'à sa mort arrivée vers l'an 1550. On fait grand cas de sa bible hébraïque publiée l'an 1525, en quatre volumes in-fol. Il a donné le Thalmud en xj. volumes in-folio : il imprima trois fois cet ouvrage, & chaque édition lui coûta cent mille écus. On dit qu'il dépensa quatre millions d'or en impressions hébraïques, & qu'il mourut fort pauvre. Alors l'imprimerie étoit glorieuse, aujourd'hui ce n'est qu'un art lucratif.

Camusat (Jean), se distingua dans le xvij. siecle à Paris, en recherchant par préférence à n'imprimer que de bons livres en eux-mêmes, sans en envisager le profit, de sorte qu'on regardoit comme une preuve de bonté pour l'ouvrage, lorsqu'il sortoit de son imprimerie.

Collines (Simon de), en latin Colinaeus, né au village de Gentilly près de Paris, dans le xvj. siecle ; il épousa la veuve de Henri Etienne l'aîné, employa d'abord les caracteres d'Etienne, mais dans la suite il en fondit lui-même de beaucoup plus beaux. Il introduisit en France l'usage du caractere italique, avec lequel il imprima des ouvrages entiers ; & son italique est préférable à celui d'Alde Manuce, qui en fut l'inventeur. Les éditions des livres grecs donnés par Collines, sont d'une beauté & d'une correction admirable. Il y a de lui une édition du testament grec, où le fameux passage de l'épitre de Saint Jean des trois témoins manque. J'ai une fois acheté par curiosité un petit testament latin dédié au pape, approuvé & imprimé à Louvain, où ce passage ne se trouvoit pas mieux. Collines mourut, à ce qu'on croit, vers l'an 1647 ; mais on ignore l'année de sa naissance.

Commelin (Jérome), né à Douay, s'établit & mourut à Heidelberg en 1597. Non-seulement ses éditions sont recherchées des curieux ; mais il étoit lui-même très-savant dans la langue greque ; nous en avons pour preuve des notes de sa façon sur Héliodore, Apollodore, & quelques autres auteurs.

Coster (Laurent), natif de Harlem, est celui à qui ses compatriotes attribuent l'invention de l'imprimerie. Ils disent qu'avant l'an 1440 il forma les premiers caracteres de bois de hêtre, qu'ensuite il en fit d'autres de plomb & d'étain, & qu'enfin il trouva l'encre dont l'Imprimerie se sert encore. En conséquence de cette opinion on grava sur la porte de la maison de cet homme ingénieux, l'inscription suivante : Memoriae sacrum, typographia, ars artium omnium conservatrix, nunc primùm inventa, circà annum 1440. On conserve encore soigneusement dans la ville de Harlem le premier livre fait par cet artiste, & qui porte pour titre, speculum humanae salvationis ; mais le lecteur peut voir ce qu'on a lieu de penser de la découverte de Coster, au mot IMPRIMERIE.

Cramoisi (Sébastien), né à Paris dont il fut échevin. Il obtint par son mérite la direction de l'imprimerie du louvre, établie par Louis XIII. mourut en 1669, & eut pour successeur son petit-fils. Mais quoique plusieurs de leurs éditions méritent fort d'être recherchées, elles n'ont ni l'exactitude, ni la beauté de celles qui sont sorties des imprimeries des Etienne, des Manuce, des Plantin, & des Froben. Les Martin, Coignard & Muguet ont succédé aux Cramoisi, & ont à leur tour enrichi la république des lettres, d'éditions très-belles & très-estimées.

Crespin (Jean), en latin Crispinus, natif d'Arras au commencement du xvj. siecle, & fils d'un jurisconsulte, étoit fort versé dans le droit, le grec & les belles-lettres ; fut reçu avocat au parlement de Paris ; mais s'étant retiré à Genève vers l'an 1548, pour y professer en sûreté le calvinisme, il y fonda une belle imprimerie, dans laquelle il publia entr'autres ouvrages un excellent lexicon grec & latin, infolio, dont la premiere édition vit le jour en 1560. Crespin mourut de la peste en 1572. Eustache Vignon son gendre continua & perfectionna l'imprimerie que son beau-pere avoit établie.

Dolet né à Orléans dans le xvj. siecle, imprimeur & Libraire à Lyon, a mis au jour quelques-uns des ouvrages recherchés d'Etienne Dolet, bon humaniste, & brûlé à Paris le 3 Août 1546, pour ses sentimens sur la religion. Il auroit encore imprimé la version françoise de la plûpart des oeuvres de Platon, du malheureux Etienne Dolet, s'il n'eût été prévenu par son supplice.

Elzévirs (les), bien des gens regardent les Elzévirs comme les plus habiles imprimeurs, non-seulement de la Hollande, mais de toute l'Europe. Bonaventure, Abraham, Louis, & Daniel Elzévirs, sont les quatre de ce nom, qui se sont tant distingués dans leur art. A la vérité, ils ont été fort audessous des Etiennes, tant pour l'érudition, que pour les éditions greques & hébraïques ; mais ils ne leur ont cédé, ni dans le choix des bons livres qu'ils ont imprimés, ni dans l'intelligence du métier ; & ils les ont surpassé pour l'agrément & la délicatesse des petits caracteres. Leur Virgile, leur Térence, leur Nouveau-Testament grec, & quelques autres livres de leur presse, où il se trouve des caracteres rouges, sont des chefs-d'oeuvres de leur art. Ils ont imprimé plusieurs fois le catalogue de leurs éditions, qui comprennent entr'autres tous les auteurs classiques, dont les petits caracteres sont aussi jolis, que nuisibles à la vûe.

Etienne (les), je les regarde comme les rois de l'Imprimerie, tant pour l'érudition, que pour les éditions greques & hébraïques. On nomme huit Etiennes, qui se sont illustrés dans leur carriere ; mais Robert Etienne, & Henri II. son fils, se sont immortalisés par leur goût pour leur art, & par leur savoir. Ils tiennent l'un & l'autre un grade supérieur dans la république des lettres.

Le célebre Robert Etienne avoit acquis une connoissance éminente des langues & des humanités. Il s'appliqua particulierement à mettre au jour de magnifiques éditions des bibles hébraïques & latines. Il est le premier qui les ait distinguées par versets : François I. lui donna son imprimerie royale. Claude Garamond, & Guillaume le Bé en fondirent les caracteres ; mais les traverses injurieuses que Robert Etienne essuya, l'obligerent de quitter sa patrie vers l'an 1551, & de se retirer à Genève, pour y professer sa religion en liberté. Là il continua d'enrichir le monde des plus beaux ouvrages littéraires.

Les éditions données par cet homme célebre, sont celles de toute l'Europe, où l'on voit le moins de fautes d'impression. Mill assure que dans son Nouveau-Testament grec des éditions de 1546, 1549, & 1551, ainsi que dans l'édition de 1549 in-seize, il ne s'y trouve pas une seule faute typographique, & qu'il n'y en a qu'une dans la préface latine, savoir pulres pour plures. On sait par quel moyen il parvint à cette exactitude : il exposoit à sa boutique & affichoit ses dernieres épreuves à la porte des colléges en promettant un sol aux écoliers pour chaque faute qu'ils découvriroient, & il leur tenoit exactement parole.

Il mourut à Genève le sept Septembre 1559, âgé de 56 ans, après s'être comblé de gloire ; je dis comblé de gloire, parce que nous devons peut-être autant à son industrie seule qu'à tous les autres savans & artistes qui ont paru en France depuis François I. jusqu'à nos jours.

Son bean trésor de la langue latine a immortalisé son nom, quoiqu'il ait été secouru dans ce travail par Budé, Tusan, Baif, Jean Thirry de Beauvoisis, & autres. La premiere édition est de Paris 1536, la seconde de 1542, la troisieme à Lyon en 1573, & la derniere à Londres en 1734, en quatre volumes in-folio.

Son desintéressement & son zele pour le bien public, peignent le caractere d'un digne citoyen. Je ne lui dois point d'éloges à cet égard ; mais du moins ne falloit-il pas le calomnier, jusqu'à l'accuser d'avoir volé les caracteres de l'imprimerie du Roi en se retirant, & d'avoir été brûlé en effigie pour ce sujet.

Il entretenoit chez lui dix à douze savans de diverses nations ; & comme ils ne pouvoient s'entendre les uns les autres qu'en parlant latin, cette langue devint si familiere dans cette maison, que ses correcteurs, sa femme, ses enfans, & les anciens domestiques, vinrent à la parler avec facilité. Il laissa un frere & deux fils dont il me convient de parler.

Etienne (Charles), frere de Robert I. après s'être fait recevoir docteur en Medecine dans la faculté de Paris, eut l'imprimerie du Roi & la soutint honorablement. Les Anatomistes lui doivent trois livres de dissectione partium corporis humani, qui ne sont point tombés dans l'oubli. Cet ouvrage parut en 1545 in-folio avec figures, & l'année suivante en françois chez Colinée. Charles Etienne a le premier prouvé contre Galien, que l'oesophage se divisoit séparément de la trachée-artere, & que la membrane charnue étoit adipeuse. Il mourut en 1568, ne laissant qu'une fille nommée Nicole, auteur de quelques ouvrages en prose & en vers. Elle fut recherchée par Jacques Grévin, medecin & poëte ; & c'est pour elle qu'il composa ses amours d'Olympe ; mais elle épousa Jean Liébaud medecin.

Etienne (Robert II.) ne voulut pas suivre son pere à Genève, & fut conservé conjointement avec son oncle Charles dans la direction de l'imprimerie royale, où il fit imprimer depuis l'année 1560, divers ouvrages utiles, mais dont les éditions n'égalent pas celles de son pere.

Etienne (Henri II.) fils de Robert I. & frere de Robert II. eut la réputation d'un des plus savans hommes de son siecle, & des plus érudits dans les langues greque & latine. Il publia le premier tout jeune encore, les poésies d'Anacréon, qu'il traduisit en latin. Il composa l'apologie pour Hérodote, espece de satyre contre les moines, qui lui en firent un procès criminel, dont il échappa par la fuite ; mais il s'est immortalisé par son trésor de la langue greque, en quatre tomes in-folio, qui parurent en 1572. Il mourut à Lyon en 1598. âgé de 70 ans, laissant des fils, & une fille qu'Isaac Casaubon ne dédaigna pas d'épouser.

Almelovéen a donné la vie des Etienne, qu'on peut lire : cette famille a produit je ne sais combien de gens de mérite.

Faust (Jean), associé pour l'imprimerie au célebre Guttemberg, qui lui en apprit le secret. Ils imprimerent conjointement avec le secours de Schoëffer, plusieurs livres, & entr'autres la bible, dont les facteurs de Faust apporterent en 1470, divers exemplaires à Paris, qu'ils vendirent d'abord soixante écus piece, au lieu de quatre-vingt ou cent écus, qu'ils en pouvoient tirer. Ce bon marché surprit les acheteurs, qui ne se lassoient d'admirer la parfaite ressemblance qu'ils trouvoient dans l'écriture de toutes ces bibles. Il furent encore plus étonnés de voir ces facteurs en diminuer le prix jusqu'à trente écus ; & n'en pouvant démêler la cause, ils les accuserent de magie. Enfin, ils apprirent que leurs exemplaires de la bible n'étoient point écrits, mais imprimés sans aucun sortilége, par un nouvel art, & à peu de frais, en comparaison de l'écriture. Alors ils se pourvurent en justice contre les facteurs de Faust ; mais le Parlement mit à néant toutes les demandes de ceux qui avoient acheté des bibles de ces étrangers, & les condamnerent à les payer.

Froben (Jean), natif d'Hammelburg, s'établit à Basle, & y fit fleurir l'Imprimerie sur la fin du xv. siecle. Il fut le premier dans toute l'Allemagne qui sut joindre à la délicatesse de son art, le choix des bons auteurs. On lui doit la premiere édition des ouvrages d'Erasme en neuf tomes in-folio, les ouvrages de S. Jérôme, & de S. Augustin ; & l'on prétend que ce sont ses trois chefs-d'oeuvre pour l'exactitude. Il mourut en 1527, laissant à son fils Jérôme, & à son gendre Episcopius, le soin de maintenir la réputation de son imprimerie. Nous devons à ces deux derniers, aidés de Sigismond Gélénius pour la correction des épreuves, l'édition des peres grecs qu'ils commencerent par les ouvrages de S. Basile ; mais quelqu'exactes qu'elles soient, celles du Louvre en ont fait tomber le mérite & le prix.

Géring (Ulric), allemand, fut un des trois imprimeurs, que les docteurs de la maison de Sorbonne firent venir à Paris vers l'an 1470, pour y faire les premieres impressions : les deux autres étoient Martin Crantz, & Michel Friburger. Il paroît en 1477, que Géring resta le maître des imprimeries établies par la Sorbonne, & qu'il s'associa Maynial en 1479 ; Rembolts prit la place de ce dernier en 1489, & Géring travailloit encore avec lui en 1508. Il mourut en 1510, & employa les grandes richesses qu'il avoit acquises dans son art, à des fondations considérables en faveur des colléges de Sorbonne & de Montaigu. Le premier livre qui sortit de la presse de la maison de Sorbonne, sont les épîtres de Gasparinus Pergamensis. Ce choix seul prouve assez la barbarie dans laquelle nous étions alors plongés, & que l'art même de l'Imprimerie ne put dissiper de long-tems.

Gravius (Henri), né à Louvain, où il avoit enseigné la Théologie ; mais il se rendit à Rome, appellé par le pape Sixte V, qui lui donna l'intendance de la bibliotheque, & de l'Imprimerie du Vatican. Il y mourut peu de tems après, en 1591, âgé de 55 ans.

Gryphius (Sébastien), né à Reutlingen, ville de Souabe, sur la fin du xv. siecle, vir insignis ac litteratus, dit Majorage. Il s'établit à Lyon, où il s'acquit un honneur singulier, par la beauté & l'exactitude de ses impressions. On estime beaucoup ses éditions de la bible en hébreu, & même tout ce qu'il a donné dans cette langue. On ne fait pas moins de cas de la bible latine qu'il publia en 1550, en 2 vol. in-folio. Il se servit pour cette édition latine du plus gros caractere qu'on eût vu jusqu'alors. Elle ne cede pour la beauté qu'à la seule bible imprimée au Louvre en 1642, en neuf volumes in-folio.

Son trésor de la langue sainte de Pagnin, qu'il mit au jour en 1529, est un chef-d'oeuvre. Il avoit de très-habiles correcteurs ; l'errata des commentaires sur la langue latine d'Etienne Dolet, n'est que de huit fautes, quoique cet ouvrage forme 2. vol. infolio. Gryphius mourut en 1556 à l'âge de 63 ans ; mais son fils Antoine Gryphius continua de soutenir la réputation de l'imprimerie paternelle.

Guttemberg (Jean), voilà le citoyen de Mayence, à qui l'opinion générale donne l'invention de l'Imprimerie dans le milieu du xv. siecle.

Après avoir essayé quelque tems l'idée qu'il en avoit conçûe, il s'associa Jean Faust, riche négociant de la même ville ; & avec l'aide de Schoëffer, qui étoit alors domestique, & qui depuis fut gendre de Faust, ils travaillerent à exécuter leur dessein depuis 1440. Leur ébauche étoit d'abord très-imparfaite, puisqu'ils ne firent que tailler des lettres sur des planches de bois, comme on fait quand on veut écrire sur les vignettes gravées en bois. Mais ayant remarqué la longueur du travail qu'ils avoient mis à imprimer de cette maniere un vocabulaire latin, intitulé Catholicon, ils inventerent des lettres détachées & mobiles qu'ils firent de bois dur, jusqu'à ce que Schoëffer s'avisa de frapper des matrices, pour avoir des lettres de métal fondu.

Tritheme qui nous apprend ces particularités, les écrivoit en 1514 dans sa chronique de Hirshaugen, où il assûre qu'il les tenoit de Schoëffer lui-même ; & son témoignage sur cette matiere, est appuyé par l'auteur d'une chronique allemande, qui écrivoit en 1499, & qui dit qu'il savoit ce fait particulier d'Olric Zell hanovrien, imprimeur à Cologne.

Il est certain, que de toutes les premieres impressions qui portent quelque date, on n'en connoît point de plus ancienne, que celles de Faust & de Schoëffer. D'ailleurs, ils se sont toûjours donnés pour les premiers Imprimeurs de l'Europe, en marquant que Dieu avoit favorisé la ville de Mayence, de l'invention de ce bel art, sans qu'on voye que personne pendant cinquante ans les ait démentis, ni ait attribué cette découverte à d'autres. Consultez l'article IMPRIMERIE, Hist. des inventions modernes.

Hervagius (Jean), né à Basle, contemporain d'Erasme, qui l'estimoit beaucoup. Si Alde Manuce, dit-il, a mis le premier au jour le prince des orateurs grecs, nous sommes redevables à Hervagius, de l'avoir fait paroître dans un état beaucoup plus accompli, & de n'avoir épargné ni soin, ni dépense, pour lui donner sa perfection. L'imprimerie de Basle, établie par Amerbach, soutenue par Froben, ne tomba point sous Hervagius, qui épousa la veuve de ce dernier.

Jenson (Nicolas), né en France, alla s'établir à Venise en 1486, où il surpassa par la beauté de ses caracteres, les imprimeurs allemands que cette ville avoit eu jusqu'alors, & jetta les fondemens de la réputation que l'imprimerie de Venise s'acquit depuis par les beaux talens des Manuces.

Juntes (les) Juntae, sont à jamais célebres entre les Imprimeurs du xvj. siecle. Ils s'établirent à Florence, à Rome, & à Venise, & tinrent le premier rang dans l'Italie avec les Manuces. Nous ne cessons d'admirer les éditions dont on leur est redevable ; & on a des catalogues qui font voir avec étonnement l'étendue & la multiplicité de leurs travaux.

Maire (Jean), hollandois, prit le parti de se fixer à Leyde, & d'y donner de charmantes éditions de livres latins. Grotius, Vossius, & Saumaise, en faisoient grand cas.

Manuces (les), ces habiles & laborieux artistes d'Italie, ont élevé l'Imprimerie dans leur pays au plus haut degré d'honneur.

Alde Manuce, Aldus Pius Manucius, le chef de cette famille, étoit natif de Bassano dans la marche Trévisane. Il a illustré son nom par ses propres ouvrages. On a de lui des notes sur Homere & sur Horace, qui sont encore estimées ; mais il est le premier qui imprima correctement le grec sans abréviations, & grava de même que Collines, les caracteres romains de son imprimerie. Il mourut à Venise en 1516, dans un âge fort avancé.

Paul Manuce son fils, né en 1512, soutint la réputation de son pere, & fut également versé dans l'intelligence des langues & des humanités. On lui doit en ce genre la publication d'excellens ouvrages de sa main, sur les antiquités grecques & romaines, outre des lettres composées avec un travail infini. On lui doit en particulier une édition très-estimée des oeuvres de Cicéron, avec des notes & des commentaires.

Pie IV. le mit à la tête de l'imprimerie apostolique & de la bibliotheque vaticane. Il mourut à 62 ans en 1574, & eut pour fils Alde Manuce le jeune, qui servit encore à rehausser sa gloire.

En effet, ce dernier passa pour l'un des plus savans hommes de son siecle. Clément VIII. lui donna la direction de l'imprimerie du Vatican ; mais cette place étant d'un fort modique revenu, il fut contraint pour subsister, d'accepter une chaire de rhétorique, & de vendre la magnifique bibliotheque que son pere, son ayeul, ses grands oncles, avoient formée avec un soin extrême, & qui contenoit, diton, quatre-vingt mille volumes. Enfin, il mourut à Rome en 1597, sans autre récompense, que les éloges dus à son mérite ; mais il laissa des ouvrages précieux ; tels sont ses commentaires sur Cicéron, Horace, Salluste, & Velleius Paterculus, de même que son livre dell'antichita delle romane inscrizioni. Ses lettere sont écrites avec la politesse d'un homme de cour qui seroit très-éclairé.

Mentel (Jean), gentilhomme allemand de Strasbourg, à qui quelques auteurs attribuent l'invention de l'Imprimerie en 1440. Ils disent qu'il fit des lettres de buis ou de poirier, puis d'étain fondu, & ensuite d'une matiere composée de plomb, d'étain, de cuivre, & d'antimoine, mêlés ensemble. Ils ajoutent que Mentel employa Guttemberg pour faire des matrices & des moules ; & qu'ensuite Guttemberg se rendit à Mayence, où il s'associa Faust. Mais, outre que tous ces faits ne sont point appuyés de preuves, on ne produit aucun livre imprimé dans les premiers tems à Strasbourg. Enfin, il est certain que Guttemberg & ses associés, ont passé pendant 50 ans, pour les inventeurs de l'Imprimerie, & s'en sont glorifiés hautement, sans que personne se soit alors avisé de les démentir, ni de leur opposer Mentel.

Millanges (Simon), né dans le Limousin en 1540, après avoir fait ses études, se rendit à Bordeaux en 1572, pour y dresser une belle imprimerie. Les jurats de cette ville soutinrent cette entreprise de leur argent & de leur crédit. Millanges se distingua par la correction de ses éditions, & mourut en 1621 âgé de 82 ans, ayant été un des bons imprimeurs du royaume pendant près d'un demi-siecle.

Morel (les), nous devons aux Morels bien des éloges pour leur savoir & les beaux livres qu'ils ont publiés.

Morel (Guillaume), né en Normandie, selon la Croix du Maine, & célebre imprimeur de Paris, étoit savant dans l'intelligence des langues. Il devint correcteur de l'imprimerie royale, après que Turnebe se fut démis de cet emploi en 1555. Ses éditions grecques sont fort estimées. Il commença lui-même quelques ouvrages, entr'autres un dictionnaire grec, latin, françois. Il mourut en 1564.

Morel (Frédéric), apparemment parent éloigné de Guillaume, versé dans les langues savantes, fut gendre & héritier de Vascosan, dont il fit valoir l'imprimerie ; & mourut à Paris en 1583, âgé d'environ 60 ans, laissant un fils d'un mérite supérieur, nommé semblablement Frédéric.

Celui-ci après avoir été professeur & interprete du Roi, fut pourvu de la charge d'imprimeur ordinaire de Sa Majesté pour l'hébreu, le grec, le latin, & le françois. Le grand nombre d'ouvrages qu'il a publiés & traduits du grec sur les manuscrits de la bibliotheque du Roi, avec des notes, sont des preuves authentiques de son érudition. Il mourut en 1630, âgé de 78 ans, & laissa deux fils Claude, & Gilles.

Claude Morel donna les éditions de plusieurs peres grecs, entr'autres S. Athanase. Gilles Morel son frere lui succéda, & publia les oeuvres d'Aristote en quatre vol. in-folio, outre la grande bibliotheque des peres, qu'il mit au jour en 1643, en dix-sept volumes in-folio. Gilles Morel est devenu conseiller au grand-conseil.

Moret (Jean), flamand, gendre de Plantin, & son successeur à Anvers. Plusieurs de ses éditions ne sont pas moins belles, ni moins exactes que celles de son beau-pere. Le docte Kilien donna son tems à les corriger jusqu'en 1607. Moret finit ses jours en 1610, & laissa son imprimerie à son fils Balthasar Moret. Celui-ci se fit connoître par son érudition, & par ses commentaires géographiques sur le théatre du monde d'Ortélius. Il mourut en 1641.

Nivelle (Sébastien), libraire & imprimeur de Paris, fleurissoit au milieu du xvj. siecle. Entre les ouvrages qu'il mit au jour à ses dépens, on ne doit jamais oublier le corps du Droit civil avec les commentaires d'Accurse. C'est un livre précieux, un chef-d'oeuvre que Nivelle fit paroître en 1576, en cinq volumes in-folio ; mais Olivier de Harzy, & Henri Thierry imprimeurs, en partagent aussi la gloire.

Oporin (Jean), natif de Basle, après d'excellentes études, prit le parti de l'Imprimerie, en s'associant aux Winter. Il faisoit rouler continuellement six presses, avoit plus de cinquante ouvriers, corrigeoit toutes les épreuves, & s'attachoit sur-tout à imprimer les ouvrages des anciens avec beaucoup de soin & d'exactitude ; mais il mourut fort endetté en 1568, à 61 ans. On lui doit des tables très-amples de Platon, d'Aristote, de Pline, & autres auteurs de l'antiquité.

Palliot (Pierre), imprimeur & généalogiste, né à Paris en 1608, de bonne famille, se maria à 25 ans à Dijon avec la fille d'un imprimeur ; alliance qui le détermina à embrasser la profession de son beau-pere, qu'il a exercée long-tems, & toûjours honorablement. Il a imprimé tous ses livres, qui sont en très-grand nombre, mais qui n'intéressent que les curieux de la généalogie des maisons de Bourgogne. Palliot grava lui-même le nombre prodigieux de planches de blason dont ils sont remplis. C'étoit un homme exact & infatigable au travail. Il mourut à Dijon en 1698 ; à l'âge de 89 ans, & laissa sur les familles de Bourgogne 13 volumes in-folio de mémoires manuscrits qui étoient dans la bibliotheque de M. Joly de Blezé, maître des Requêtes ; j'ignore où ils ont passé depuis.

Patisson (Mamert), natif d'Orléans, étoit très-habile dans les langues savantes & dans la sienne propre. Il épousa la veuve de Robert Etienne en 1580, se servit de son imprimerie & de sa marque. Ses éditions sont correctes, ses caracteres beaux, & son papier très-bon. En un mot, il n'a omis aucun des agrémens qu'on recherche dans les livres : aussi ses impressions vont presque de pair avec celles de Robert Etienne. Mamert mourut en 1600.

Plantin (Christophe), né en Touraine, acquit du savoir dans les belles-lettres, se retira à Anvers, & y porta l'impression au plus haut point de son lustre. Ses éditions sont extrêmement exactes, par les soins de plusieurs habiles correcteurs dont il se servoit, savoir de Victor Giselin, de Théodore Purman, de François Hardouin, de Corneille Kilien, & de Raphelinge, dont il fit son gendre. Le roi d'Espagne lui donna le titre d'archi-imprimeur ; mais ce sont les impressions, & non pas les rois qui donnent ce titre à un artiste. Le chef-d'oeuvre de celui-ci est la Polyglotte, qu'il imprima sur l'exemplaire de Complute, & cette édition faillit à le ruiner. M. de Thou passant à Anvers en 1576, vit chez Plantin dix-sept presses roulantes. Guichardin a fait une belle description de son imprimerie ; & d'autres ont vanté la magnificence avec laquelle il vivoit. Il finit sa carriere en 1598, âgé de 76 ans.

Quentel (Pierre), allemand, se rendit illustre à Cologne, sur la fin du xvj siecle, par l'édition de tous les ouvrages de Denys le Chartreux, qu'il fit imprimer avec soin, il valoit bien mieux faire rouler ses presses sur les livres utiles de l'antiquité qui manquoient en Allemagne.

Schoëffer (Pierre) de Gernsheim, pourroit être regardé comme l'inventeur de l'Imprimerie ; car c'est lui qui imagina de fondre des lettres mobiles, en quoi consiste principalement cet art. Jean Faust son maître fut si charmé de cette découverte, qu'il lui donna sa fille en mariage : ceci arriva vers le milieu du xv siecle.

Thori ou Tori (Geoffroi), né à Bourges dans le xv siecle, libraire-juré à Paris, contribua beaucoup à perfectionner les caracteres d'imprimerie, & composa un livre qui parut après sa mort, intitulé le Champ-fleuri, contenant l'art & science de la proportion des lettres, vulgairement appellées romaines, à Paris l'an 1592. in-4°. Il mourut en 1550.

Claude Garamond fut éleve & contemporain de Tori ; il fleurissoit déja en 1510, & porta la gravure des caracteres au plus haut point de perfection, par la figure, la justesse & la précision qu'il y mit. Voyez CARACTERES d'imprimerie.

Vascosan (Michel), né à Amiens, épousa une des filles de Josse Badius, & s'allia à Robert Etienne qui avoit épousé l'autre. Tous deux aussi sont les meilleurs imprimeurs que la France ait eû dans ces tems reculés. Tous les livres imprimés par Vascosan sont recommandables par le choix, par la beauté des caracteres, la bonté du papier, l'exactitude des corrections, & l'ampleur de la marge.

Vitré (Antoine) parisien, s'est rendu fameux dans le xvij. siecle, par le succès avec lequel il a porté l'imprimerie, presque au période de la perfection. Quoique de son tems les Hollandois semblassent être les maîtres de cet art. On croit que Vitré étoit capable de les surpasser, s'il se fût avisé d'observer, comme on a fait depuis, la distinction de la consonne d'avec la voyelle dans les lettres i & j, u & v.

Quoiqu'il en soit la polyglotte de Guy Michel le Jay qu'il a imprimée, est un chef-d'oeuvre de l'art, tant par la nouveauté & la beauté des caracteres, que par l'industrie & l'exactitude de la correction. Sa bible latine in-folio & in-4°, va de pair avec tout ce qu'on connoit de mieux. En un mot il a égalé Robert Etienne pour la beauté de l'imprimerie ; mais il a terni sa gloire en faisant fondre les caracteres précieux des langues orientales, qui avoient servi à imprimer la bible de M. le Jay, pour n'avoir aucun rival après sa mort.

M. de Flavigny s'étant avisé de censurer dans une brochure, non l'action de Vitré, mais quelques endroits de la bible magnifique qu'il avoit mise au jour, & qu'il étoit bien permis de critiquer, celui-ci éprouva des chagrins incroyables, par une seule faute d'impression qui n'étoit point dans son manuscrit. Il avoit cité le passage de S. Matthieu, ejice primùm trabem de oculo tuo. Gabriel Sionita prenant un vif intérêt à la défense de la bible où il avoit travaillé, ayant lû la critique de M. Flavigny, l'accusa par sa réponse de moeurs corrompues, de sacrilege, & d'une impiété sans exemple, d'avoir osé corriger le texte sacré, en substituant un mot infame, à la place du terme honnête de l'evangéliste. Qui croiroit que tous ces sanglans reproches n'avoient d'autre fondement qu'une inadvertance d'imprimerie ? La premiere lettre du mot oculo s'étoit échappée fortuitement de la forme, après la revûe de la derniere épreuve, lorsque le compositeur toucha une ligne mal dressée, pour la remettre droite.

Wechels (les) Chrétien & André son fils imprimeurs de Paris & de Francfort, sont très-estimés dans leur art, par les éditions qu'ils ont mises au jour. On dit qu'ils possédoient une bonne partie des caracteres de Henri Etienne. Mais ce qui a le plus contribué à rendre leurs éditions précieuses, c'est d'avoir eu pour correcteur de leur imprimerie Fréderic Sylburge, un des premiers grecs & des meilleurs critiques d'Allemagne. L'errata d'un in-folio qu'il avoit corrigé, ne contenoit pas quelquefois plus de deux fautes. Chrétien Wechel vivoit encore en 1552, & André qui se retira de Paris après le massacre de la saint Barthelemy, où il courut le plus grand danger, mourut à Francfort en 1582. Jean Wechel son fils lui succéda.

Westphale (Jean) " le premier de ma connoissance, dit Naudé, qui se soit mêlé de l'imprimerie dans les Pays-bas, fut un Jean de Westphale, lequel s'établit à Louvain l'an 1475, & commença son labeur par les morales d'Aristote. Cet imprimeur se nomma tantôt Johannes de Westphalia, tantôt Johannes Westphalia, Paderbornensis ".

Voilà depuis l'origine de l'Imprimerie les principaux maîtres qui se sont rendus célebres. Dans cette liste je n'ai point parlé des Anglois, parce que les noms de leurs habiles artistes en ce genre, ne sont guere connus hors de leur pays. D'ailleurs, il me semble que c'est seulement au commencement du dernier siecle que cet art fut poussé en Angleterre au point de perfection où il s'est toujours soutenu depuis ; alors on vit des chefs-d'oeuvres sortir de leurs imprimeries. Rien dans le monde n'est supérieur à l'édition greque de saint Jean Chrysostome, en huit volumes in-folio, de l'imprimerie de Norton, achevée en 1613 dans le college-royal d'Eaton (Etonae) près de Windsor, par les soins du docte Henri Savile.

Mais la beauté des caracteres qu'emploient les Imprimeurs anglois, le choix de leur papier, la grandeur des marges, le petit nombre d'exemplaires qu'ils tirent, & l'exactitude de la correction qu'ils mettent dans les livres importans, ne sont pas les seuls avantages qui peuvent attirer à l'Imprimerie de la Grande-Bretagne, une attention toute particuliere. (D.J.)

Il y a trois corps & communautés d'Imprimeurs.

Les Imprimeurs de livres, les Imprimeurs en taille-douce, & les Imprimeurs Imagers, Tapissiers & Dominotiers. Voyez DOMINOTIERS.

Avant l'invention des caracteres, le corps des Imprimeurs en lettres étoit composé d'Ecrivains, de Libraires, de Relieurs, d'Enlumineurs, & de Parcheminiers.

Ce corps étoit tout-à-fait dépendant de l'université & de son recteur.

Le parcheminier préparoit les peaux sur lesquelles on écrivoit.

L'écrivain qu'on appelloit stationnaire, copioit sur les peaux l'ouvrage que le libraire fournissoit.

Le relieur mettoit en volume les feuilles copiées.

L'enlumineur peignoit, relevoit d'or bruni ; en un mot décoroit le volume qui retournoit chez le libraire qui le vendoit.

Nos Imprimeurs en lettres ont succédé à l'état & aux privileges des stationnaires. Ils sont aggrégés à l'université, & soumis aux ordonnances & statuts du recteur ; mais le corps ne comprend plus que les Imprimeurs & les Libraires, que le réglement de 1686 affranchit en grande partie de l'autorité de l'Université.

Ce réglement fixe le nombre des Imprimeurs à trente-six.

Depuis ce réglement il est intervenu un grand nombre d'arrêts, d'édits & déclarations relatifs au corps & à la communauté des Imprimeurs-Libraires.

On a rassemblé toutes ces pieces dans un volume considérable, qui forme ce qu'on appelle le code de la Librairie.

Il est traité dans ce code de tout ce qui appartient aux privileges, au nombre, à la demeure, aux presses, aux caracteres, au papier, à la marge, à l'apprentissage, à la réception, aux visites, à la maîtrise, aux connoissances, aux permissions, aux approbations, à la censure, aux syndics, aux adjoints, aux correcteurs, aux compositeurs, aux pressiers, &c. voyez l'article LIBRAIRE.

Avant 1694 les Imprimeurs en taille-douce n'étoient que de simples compagnons que les Graveurs & Imagers de Paris avoient chez eux.

Ce fut dans cette année qu'ils eurent des statuts, dont les principaux reglent le nombre des syndics, l'apprentissage, la bourse commune, le chef-d'oeuvre, la reception, &c.

Il n'y a que deux syndics, dont l'un est le trésorier de la bourse commune. Le fond de la bourse consiste au tiers du salaire. Ce produit se distribue tous les quinze jours, frais & rentes constitués de la communauté déduits. Les veuves des maîtres jouissent de la maîtrise, & ont part à la bourse. Les apprentifs ne peuvent être obligés pour moins de quatre ans, & chaque maître n'en peut avoir qu'un à la fois. Avant que l'apprentif soit admis au chef-d'oeuvre, il doit avoir servi compagnon deux années depuis son apprentissage. Il n'y a que les fils de maîtres qui soient dispensés du chef-d'oeuvre. Les maîtres ne peuvent demeurer ailleurs que dans le quartier de l'université, & n'y peuvent avoir ou tenir plus d'une imprimerie. Il est défendu expressément à toutes personnes quelles qu'elles soient d'avoir des presses, soit en lettres, soit en taille-douce.

Imprimeur-Libraire ordinaire du Roi (Hist. litt.) Ce sont les titres de ceux qui ont été créés sous Louis XIII. le 22 Février 1620, pour imprimer les édits, ordonnances, réglemens, déclarations, &c. & de ceux qui leur ont succédé.

Ces Imprimeurs, de la création de Louis XIII, étoient de ses officiers domestiques, & commensaux de sa maison, avec attribution de gages. Leurs successeurs ont les mêmes prérogatives.

Il n'y en avoit que deux. L'une de ces charges est à présent possédée par André François Le Breton, & l'autre par Jacques Colombat, dont le pere obtint en 1719 le titre additionnel de préposé à la conduite de l'imprimerie du cabinet de sa majesté.

Ils sont aujourd'hui au nombre de six. Les quatre de création postérieure, n'ont d'abord été que brévetés par chacun des secrétaires d'état.

Plusieurs arrêts consécutifs les ont tous maintenus dans leurs premiers privileges & anciennes fonctions, & les dernieres lettres-patentes qu'ils ont obtenues en leur faveur, sont du 9 Décembre 1716, enregistrées au Parlement le 12 Janvier 1717.

Outre ces Imprimeurs, il y en a encore un particulierement titré Noteur de la chapelle de sa Majesté, & exclusivement privilégié à l'impression de sa musique. Cette charge fut créée par Henri II. Ce fut un Ballard qui la posséda, & c'est un de ses descendans qui la possede encore aujourd'hui.

Ceux qui ont rangé le code de la Librairie n'ont fait aucune mention de ces places, qui semblent destinées spécialement à ceux qui se conduisent avec honneur dans leurs corps.

IMPRIMEUR, s. f. (Peint.) pour préparer les toiles imprimées à l'huile dont on se sert dans la peinture ordinaire ; on a un couteau d'un pié & demi de longueur, qui a le tranchant émoussé, & dont le manche fait un angle obtus avec le dos ; on tend la toile sur un chassis : on la frotte avec la pierre ponce, pour en user les noeuds ; on lui donne un enduit de colle de poisson, lorsqu'elle est grosse & claire ; car si c'est une batiste, ou une autre toile serrée, comme les Peintres d'un genre précieux ont coutume de les prendre, l'enduit de colle devient superflu. On laisse sécher cet enduit ; on prépare un gris en délayant à l'huile du blanc & du noir : on jette ce gris sur la toile ; on l'étend & le traîne sur toute sa surface avec le couteau, ce qui s'appelle donner une impression ; on laisse sécher cette premiere impression : il faut pour cela quatre à cinq jours, selon la saison. Quand cette impression est séche, on en donne une seconde qu'on laisse sécher aussi, & alors la toile est préparée pour la peinture à l'huile.


IMPROBATIONIMPROUVER, (Gram.) il est plus court & plus clair de fixer l'acception des mots par des exemples que par des définitions, qui composées d'autres mots quelquefois plus abstraits, plus généraux, plus indéterminés, ne font que promener un lecteur sur un cercle vicieux. Un prince corrompu par la flatterie qui se récrie avec admiration sur tout, regarde le silence d'un homme de bien comme une improbation secrette, & celui-ci se trouve à la longue disgracié pour s'être tu, comme il l'eût été pour avoir parlé. M. Duguet dit de certains edits qu'on apporte quelquefois aux parlemens pour être enregistrés, que les juges n'opinent alors que par un morne & triste silence, & que la maniere dont ils enregistrent est le sceau de leur improbation. Si vos démarches sont innocentes, soyez tranquille ; l'improbation passagere des hommes prévenus ne les rendra point criminelles, tôt ou tard le public vous connoîtra pour ce que vous êtes, & l'ignominie s'asseiera sur vos ennemis.


IMPROMTUS. m. (Poésie) ou plutôt in-promtu, terme latin qui a passé dans notre langue ; c'est une petite piece de poésie assez semblable au madrigal ou à l'épigramme, mais dont le caractere propre & distinctif est d'être fait sans préparation, sur un sujet qui se présente.

L'in-promtu a commencé visiblement par les reparties grossieres des laboureurs dans leurs noces & fêtes rustiques, où ils ne connoissent que la joie & les vapeurs du vin. La nature libre a produit l'in-promtu, c'est sa premiere ébauche ; l'art est venu la corriger, la réformer & la polir ; sur quoi Moliere fait dire plaisamment à une de ses précieuses, que c'est la pierre de touche du bel esprit.

Les in-promtu que la nature avoit créés se tinrent quelque tems dans les bornes d'une raillerie plus divertissante que piquante & chagrine, mais peu-à-peu ses railleries devinrent ameres & mordantes ; leur excès excita des plaintes, & ces plaintes attirerent à Rome une loi qui sévit contre ceux qui blesseroient la réputation de quelqu'un par toutes sortes de vers dits in-promtu, ou autres.

Au lieu d'adopter la loi romaine, nous avons donné des lois aux in-promtu ; nous voulons que ces sortes de pieces soient le fruit d'un heureux moment, & qu'elles ayent toûjours un air simple, aisé, naturel, qui garantisse qu'elles n'ont point été faites à loisir ; c'est pourquoi nous permettons quelques licences dans ces sortes d'ouvrages en faveur de leur amusement passager ; le Comte Hamilton en a prescrit les regles dans les vers suivans, où il appelle l'in-promtu,

- Un certain volontaire,

Enfant de la table & du vin,

Difficile, & peu nécessaire,

Vif, entreprenant, téméraire,

Etourdi, négligé, badin,

Jamais rêveur ni solitaire,

Quelquefois délicat & fin,

Mais tenant toûjours de son pere.

La plûpart des jolies pieces de Lainez, madrigaux, chansons, épigrammes, ont été faites le verre à la main ; il partageoit son tems entre l'étude & le plaisir de la table. Un de ses amis lui témoignant un jour sa surprise de le voir à huit heures du matin à la bibliotheque du Roi, & pour ainsi dire au sortir d'un grand repas de la veille, Lainez lui répondit par cet in-promtu ingénieux,

Regnat nocte calix, volvuntur biblia mane,

Cum Phoebo, Bacchus dividit imperium.

On rapporte que Théophile étant allé dîner chez un grand seigneur, où tout le monde lui disoit qu'un de ses amis étoit fou puisqu'il étoit poëte, il répondit en riant.

J'avouerai sans peine avec vous

Que tous les poëtes sont fous ;

Mais sachant bien ce que vous êtes,

Tous les fous ne sont pas poëtes.

Non-seulement nous voulons que l'in-promtu naisse du sujet, mais il faut de plus qu'il renferme une pensée plaisante, vive, juste, neuve, agréable ; une raillerie ingénieuse, ou mieux encore, une louange fine & délicate.

Les vers que Gacon dit sur-le-champ à ses amis, qui lui montroient le portrait de Thomas Corneille, sont plaisans ;

Voyant le portrait de Corneille,

Gardez vous de crier merveille,

Et dans vos transports n'allez pas

Prendre ici Pierre pour Thomas.

On connoît l'in-promtu que Poisson (Raimond), un de nos meilleurs acteurs comiques, fit à dîner chez M. Colbert, qui avoit tenu un de ses enfans sur les fonts baptismaux. Comme M. Colbert ne devoit arriver qu'au fruit, tout le monde avoit profité de son absence pour élever sa gloire, quand Poisson prit la parole, & dit,

Ce grand ministre de la paix,

Colbert, que la France révere,

Dont le nom ne mourra jamais,

Hé bien, Messieurs, c'est mon compere.

L'impromptu suivant est de Mademoiselle Scudery, sur des fleurs que M. le Prince cultivoit.

En voyant ces oeillets qu'un illustre guerrier

Arrose d'une main qui gagne des batailles,

Souviens-toi qu'Apollon élevoit des murailles,

Et ne t'étonne pas que Mars soit jardinier.

Mais entre plusieurs jolis impromptu de nos poëtes, qu'on ne peut oublier, je ne dois pas taire celui que M. de S. Aulaire fit à l'âge de plus de quatre-vingt-dix ans, chez madame la duchesse du Maine, qui l'appelloit son Apollon. Cette princesse ayant proposé un jeu, où l'on devoit dire un secret à quelqu'un de la compagnie, elle s'adressa à M. de S. Aulaire, & lui demanda le sien ; il lui répondit :

La divinité qui s'amuse

A me demander mon secret,

Si j'étois Apollon ne seroit pas ma muse,

Elle seroit Thétis & le jour finiroit.

C'est une chose très-singuliere, dit M. de Voltaire, que les plus jolis vers qu'on ait de lui, ayent été faits lorsqu'il étoit plus que nonagénaire. (D.J.)


IMPROPREadj. Les Grammairiens usent de ce mot, comme d'un terme technique, en trois occasions différentes.

1°. Ils ont coutume de distinguer deux sortes de diphthongues, des propres & des impropres. Voyez DIPHTHONGUE. Ils appellent diphthongues propres celles qui font effectivement entendre deux sons consécutifs dans une même syllabe, comme ieu dans Dieu ; & ils appellent diphthongues impropres, celles qui n'en ont aux yeux que l'apparence, parce que ce sont des assemblages de voyelles qui ne représentent pourtant qu'un son unique & simple, comme ai dans mais.

La réunion de plusieurs voyelles représente une diphthongue ou un son simple ; dans le premier cas, c'est proprement une diphthongue ; mais dans le second, ce n'est point une diphthongue, & il y a une véritable antilogie à dire que c'est une diphthongue impropre. J'avoue cependant qu'il y a pour les yeux une apparence réelle de diphthongue, puisqu'il y a les signes de plusieurs sons individuels ; c'est pourquoi je pense que l'on peut donner à ces assemblages de voyelles le nom de diphthongues oculaires, & alors la dénomination de diphthongues auriculaires convient très-bien par opposition aux diphthongues propres. Ces dénominations semblent présenter à l'esprit des notions plus précises, plus exactes, & même plus lumineuses, que celles de propres & d'impropres.

2°. M. Restaut établit sept sortes de pronoms, & ceux de la septieme espece sont les indéfinis, qu'on appelle encore, dit-il, (VII. Ed. pag. 154.) pronoms impropres, parce qu'il y en a plusieurs qu'on pourroit aussi bien regarder comme des adjectifs que comme des pronoms.

Je ne dis rien ici de la division des pronoms, adoptée par cet auteur & par tant d'autres qui n'ont pas plus approfondi que lui la nature de cette partie d'oraison. Voyez PRONOM. Je ne veux que remarquer combien leur langage même est propre à les rendre suspects de peu d'exactitude dans leurs idées & dans leurs principes. Comment se peut-il faire en effet que des mots soient tout-à-la-fois pronoms & adjectifs, c'est-à-dire, selon les notions qu'ils établissent eux-mêmes, qu'ils tiennent la place des noms, & qu'ils soient en même tems inséparables d'un substantif ? De quels noms tiennent-ils donc la place, ces prétendus pronoms qui n'osent paroître sans être accompagnés par des noms ? La dénomination de pronoms impropres que leur donnent ces Grammairiens, est un aveu réel de leur déplacement dans la classe des pronoms, & tous leurs efforts pour les y établir ne peuvent leur ôter cet air étranger qu'ils y conservent, & qui certifie l'inconséquence des auteurs dans la distribution des especes. Enfin, ces mots sont pronoms ou ne le sont pas ; dans le premier cas, ils sont des pronoms propres, c'est-à-dire vraiment pronoms ; dans le second cas, il faut les tirer de cette classe & les placer dans une autre, où ils ne seront plus rangés improprement.

3°. On appelle encore terme impropre tout mot qui n'exprime pas exactement le sens qu'on a prétendu lui faire signifier ; ce qui fait, comme on voit, un véritable vice dans l'élocution. Par exemple, il faut choisir entre élection & choix : " ces deux mots, dit le P. Bouhours (Rem. nouv. tome I, pag. 170.), ne doivent pas se confondre. Election se dit d'ordinaire dans une signification passive, & choix dans une signification active. L'élection d'un tel marque celui qui a été élu ; le choix d'un tel marque celui qui choisit. L'élection du doge a été approuvée de tout le peuple de Venise ; le choix du sénat a été approuvé généralement ". Dans ces exemples les mots élection & choix sont pris dans une acception propre ; mais ils deviendroient des termes impropres, si l'on disoit au contraire le choix du doge ou l'élection du sénat. Le purisme du P. Bouhours lui-même ne l'a pas toûjours sauvé d'une pareille méprise. En expliquant (ibid. pag. 228.) la différence des mots ancien & vieux, voici comme il s'énonce : " on dit, il est mon ancien dans le parlement, c'est-à-dire qu'il est reçu devant moi, quoiqu'il soit peut-être plus jeune que moi ". Devant est ici un terme impropre ; il falloit dire avant. T. Corneille montre bien clairement la raison de cette différence, dans sa note sur la remarque 274 de Vaugelas ; & M. l'abbé Girard la développe encore davantage dans ses synonymes françois. Voyez PROPRIETE.

Ce n'est que dans ce troisieme sens que je trouverois convenable que le mot impropre fût regardé comme un terme technique de grammaire. Une idée ne laisse pas d'être exprimée par un terme impropre, quoiqu'il manque quelque chose à la justesse ou à la vérité de l'expression ; mais une diphthongue impropre n'est point une diphthongue, & un pronom impropre n'est point un pronom.


IMPROPRIATIONS. f. terme de Jurisprudence canonique, se dit des revenus d'un bénéfice ecclésiastique qui sont entre les mains d'un laïque.

Elle differe de l'appropriation par laquelle les profits d'un bénéfice sont entre les mains d'un évêque, d'un collége, &c. On emploie aujourd'hui ces deux termes indifféremment l'un pour l'autre. On prétend qu'il y a 3845 impropriations en Angleterre. Voyez APPROPRIATION.


IMPROPRIÉTÉS. f. (Gramm.) qualité de ce qui n'est pas propre. Voyez PROPRE & PROPRIETE.

Les Grammairiens distinguent trois sortes de fautes dans le langage, savoir le solécisme, le barbarisme, & l'impropriété. Celle-ci se commet quand on ne se sert pas d'un mot propre, & qui ait une signification convenable ; comme si on disoit un grand ouvrage, en parlant d'un livre prolixe & diffus ; le mot grand seroit impropre, ou parce qu'il seroit équivoque, grand ouvrage pouvant se dire d'un livre long, mais bien fait & utile ; & il ne seroit pas aussi net, aussi expressif que diffus, qui caractérise un défaut. Voyez SOLECISME & BARBARISME.


IMPROUVERv. act. (Gramm.) synonyme de desapprouver. Voyez APPROUVER & DESAPPROUVER.


IMPROVISTERIMPROVISTEUR, (Gram.) il se dit du talent de parler en vers, sur le champ & sur un sujet donné. Quelques italiens le possedent à un degré surprenant : on a d'eux des pieces qui ont été enfantées de cette maniere miraculeuse, & qui sont pleines d'idées, de nombre, d'harmonie, de fiction, de feu, & de chaleur. Après une longue méditation & un long travail, il est incertain qu'on eût mieux fait.


IMPRUDENCES. f. (Morale) manque de précaution, de réflexion, de délibération, de prévoyance, soit dans le discours, soit dans la conduite ; car la prudence consiste à régler l'un & l'autre. Voyez PRUDENCE.

L'imprudence, apanage ordinaire de l'humanité, est si souvent la cause de ses malheurs, que le cardinal de Richelieu avoit coûtume de dire, qu'imprudent & malheureux étoient deux termes synonymes. Il est du moins certain, que les imprudences consécutivement répétées, sont de très grandes fautes en matiere d'état ; qu'elles conduisent aux desastres des gouvernemens, & qu'elles en sont les tristes avant-coureurs. (D.J.)


IMPUBERESS. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux qui n'ont pas encore atteint l'âge de puberté, qui est de 14 ans accomplis pour les mâles, & 12 pour les filles.

On distingue entre les impuberes, ceux qui sont encore en enfance, c'est-à-dire au-dessous de sept ans ; ceux qui sont proches de l'enfance, c'est-à-dire qui sont encore plus près de l'enfance que de la puberté ; enfin, ceux qui sont proches de la puberté.

Suivant le Droit romain, les impuberes étant encore en enfance, ou proche de l'enfance, ne pouvoient rien faire par eux-mêmes ; ceux qui étoient proche de la puberté, pouvoient sans l'autorité de leur tuteur, faire leur condition meilleure ; au lieu qu'ils ne pouvoient rien faire à leur desavantage sans être autorisés de leur tuteur.

En France même, en pays de droit écrit, les impuberes ne peuvent agir par eux-mêmes, & leur tuteur ne les autorise point, il agit pour eux.

En matiere criminelle, on suit la distinction des lois romaines, qui veulent que les impuberes étant encore en enfance, ou proche de l'enfance, ne soient pas soumis aux peines établies par les lois, parce qu'on présume qu'ils sont encore incapables de dol, au lieu que les impuberes qui sont proche de la puberté, étant présumés capables de dol, doivent être punis pour les délits par eux commis : mais en considération de la foiblesse de leur âge, on adoucit ordinairement la peine portée par la loi. C'est pourquoi il est rare qu'ils soient punis de mort ; on leur inflige d'autres peines plus légeres, comme le fouet, la prison, selon l'attrocité du crime. Voyez la loi 7. cod. de poen. Voyez la Peirere au mot Crime ; Peleus, quest. 16. Soefve, tome I. cent. 1. chap. lviij. (A)


IMPUDENCES. f. (Morale) manque de pudeur pour soi-même, & de respect pour les autres. Je la définis une hardiesse insolente à commettre de gaieté de coeur des actions dont les lois, soit naturelles, soit morales, soit civiles, ordonnent qu'on rougisse ; car on n'est point blâmable, de n'avoir pas honte d'une chose, qu'aucune loi ne défend ; mais il est honteux d'être insensible aux choses qui sont deshonnêtes en elles mêmes.

Ce vice a différens degrés, & des nuances différentes, selon le caractere des peuples. Il semble que l'impudence d'un françois brave tout, avec des traits qui font rire, en même tems que la réflexion porte à en être indigné : l'impudence d'un italien est affectueuse & grimaciere ; celle d'un anglois est fiere & chagrine ; celle d'un écossois est avide ; celle d'un irlandois est flatteuse, légere, & grotesque. J'ai connu, dit Adisson dans le spectateur, un de ces impudens irlandois, qui trois mois après avoir quitté le manche de la charrue, prit librement la main d'une demoiselle de la premiere qualité, qu'un de nos anglois n'auroit pas osé regarder entre les deux yeux, après avoir étudié quatre années à Oxford, & deux ans au Temple.

Mais sous quelque aspect que l'impudence se manifeste, c'est toûjours un vice qui part d'une mauvaise éducation, & plus encore d'un caractere sans pudeur, ensorte que tout impudent est une espece de proscrit naturellement par les lois de la société. Voyez EFFRONTE.

IMPUDENCE, (Antiq. greq.) l'Impudence, ainsi que l'Injure ou l'Outrage, eurent dans la ville d'Athènes un temple commun, dont voici l'histoire en peu de mots. Il y avoit à l'Aréopage deux especes de masses d'argent taillées en siéges, sur lesquelles on faisoit asseoir l'accusateur & l'accusé. L'une de ces deux masses étoit consacrée à l'Injure, & l'autre à l'Impudence. Cette ébauche de culte fut perfectionnée par Epiménides, qui commença par élever à ces deux especes de divinités allégoriques, des autels dans les formes, & bien-tôt après, il leur bâtit un temple, dont Ciceron parle ainsi dans son II. livre des lois : illud vitiosum Athenis, quod Cylonis scelere expiato, Epimenide Cretensi suadente, fecerunt contumeliae fanum & impudentiae. Virtutes, ajoute l'orateur romain, non vitia consecrare decet. Sans doute qu'il faut consacrer les vertus & non pas les vices : mais, quoi qu'en dise Ciceron, ce que les Athéniens firent ici, ne s'écartoit point de son principe ; ils en remplissoient parfaitement l'idée ; leur temple à l'Outrage & à l'Impudence, n'indiquoit point qu'ils honorassent ces deux vices ; il désignoit tout au contraire, qu'ils les détestoient. C'est ainsi que les Grecs & les Romains sacrifierent à la peur, à la fiévre, à la tempête, aux dieux des enfers ; ils n'invoquoient en un mot toutes les divinités nuisibles, & ne leur rendoient un culte, que pour les détourner de nuire. Au reste, le temple dont il s'agit présentement, répondoit à celui qu'Oreste avoit consacré aux Furies, qui en l'amenant à Athènes, lui procurerent la protection de Minerve, comme nous l'apprenons de Pausanias, in Attic. (D.J.)


IMPUDICITÉIMPUDIQUE, (Gramm.) qui est contraire à la pudeur. Voyez PUDEUR.


IMPUISSANCES. f. (Med.) nom formé du mot puissance, & de la particule négative in ou im, qui désigne cette maladie, dans laquelle les hommes d'un âge requis ne sont pas propres à l'acte vénérien, ou du-moins ne peuvent pas l'accomplir exactement. Il faut pour une copulation complete non-seulement l'érection de la partie destinée à cette fonction, mais outre cela son intromission dans le vagin ; & cet acte n'est qu'une peine inutile, s'il n'est pas suivi de l'éjaculation : ce qui constitue trois especes particulieres d'impuissance, & qui en établit les trois causes générales.

1°. L'érection est une suite & un effet assez ordinaire de l'irritation singuliere occasionnée par la semence ; ainsi 1°. le défaut ou la vappidité de cette liqueur peuvent l'empêcher ; ce qui arrive à cette espece d'hommes que l'avarice ou la brutalité ont privés du caractere le plus distinctif de la virilité. (Voyez EUNUQUE.) Ceux qui ont fait un usage immodéré de remedes trop froids, tels que sont principalement le nénuphar, dont l'usage continué environ douze jours empêche, suivant le rapport de Pline, la génération de la semence ; l'agnus castus passe pour avoir cette propriété ; les vierges athéniennes pour conserver avec moins de peine leur virginité, parsemoient leurs lits de branches de cet arbre : quelques moines chrétiens ont aussi par le même remede diminué le mérite de leur continence forcée. On assûre que la semence de cet arbre produit le même effet prise intérieurement à ceux aussi qui sont encore convalescens d'une maladie aiguë. La matiere de la semence est employée chez eux à l'accroissement & à la nutrition qui sont alors plus considérables ; & enfin, aux personnes épuisées & affoiblies par toutes sortes de débauches.

2°. Une des grandes causes d'érection est l'imagination remplie d'idées voluptueuses, frappée de quelque bel objet, bouillante de le posséder : le sang & les esprits semblent alors agités par cette idée ; ils se portent avec rapidité à la verge, en dilatent & distendent toutes les petites cellules, & la mettent en état de remplir les desirs déja formés. Lorsque cette cause vient à manquer, l'érection ne se fait que mollement, ou même point du tout : ainsi un mari sera impuissant vis-à-vis d'une femme laide, dégoutante, libertine, gâtée, qui au lieu d'amour excitera chez lui l'aversion, le mépris, ou la crainte. La pudeur peut être aussi un obstacle à l'érection ; elle est gravée si profondément dans le coeur, que les libertins les plus outrés ne pouvant la secouer, il leur est impossible d'ériger devant beaucoup de monde : c'est ce qui fait encore voir l'absurdité des congrès établis autrefois pour constater la virilité. L'étude trop forcée, des méditations profondes, un état permanent de mélancolie, dissipent les pensées amoureuses, semblent empêcher la génération de la semence, rendent impuissant. Manget rapporte une observation d'un jeune homme qui tomba dans cette maladie après avoir passé plusieurs nuits à l'étude. Biblioth. medic. practic. lib. IX. La crainte d'un maléfice, l'imagination frappée des menaces des noueurs d'éguillette, a eu très-souvent l'effet attendu, & n'a que trop accrédité ce préjugé dans l'esprit du bas peuple, toûjours ignorant, & par conséquent crédule. Il y a une foule d'observations très-bien constatées de paysans, qui la premiere nuit de leurs noces, quoique très-bien conformés, n'ont jamais pû ériger malgré le voisinage, les caresses, les attouchemens d'une femme jolie, aimable, & aimée, parce qu'ils étoient, disoient-ils, enchantés, ensorcelés, parce qu'on leur avoit noué l'éguillette. Il est à remarquer que ceux qui veulent s'amuser ou se vanger de ces gens-là par ce prétendu maléfice, ont toûjours soin de les en avertir, de les en menacer ; ils pratiquent même en leur présence quelques-uns des secrets qui passent pour avoir cette vertu : ce qui leur frappe l'imagination, de façon que lorsqu'ils veulent se joindre amoureusement à leurs femmes, ils n'osent presque pas ; ils sont tristes, abattus, languissans. Ayant des causes aussi évidentes de ce fait, il seroit ridicule de l'attribuer aux effets magiques, ou à la puissance du démon : le seul magique ou miraculeux tire son origine du secret des causes ; mais finissons, c'est une folie, dit un auteur ancien, de s'arrêter trop à réfuter & approfondir les folles opinions. 3°. Une condition nécessaire à l'érection, est le bon état & l'action des muscles qui vont de l'os ischium sur le dos de la verge sous le nom d'érecteurs ; ainsi la paralysie de ces muscles est une raison suffisante d'impuissance par défaut d'érection ; elle peut dépendre des causes générales de la paralysie, voyez PARALYSIE, ou être une suite d'un exercice trop violent, trop continué de cette partie, ou même du non-exercice ; ces muscles perdent par un trop long repos leurs forces, leur jeu, & leurs actions ; les tuyaux nerveux qui y portent les esprits animaux s'engorgent ou se flétrissent ; la même chose arrive aux conduits séminaires, aux testicules, à la verge. Vidus Vidius rapporte qu'on trouva dans un jeune ecclésiastique qui avoit toûjours gardé la continence propre à son état, les testicules flétris, les vaisseaux spermatiques desséchés, & le membre viril extrêmement diminué. L'équitation trop long-tems continuée produit aussi quelquefois cette maladie. Jacques Fontanus raconte qu'un jeune seigneur devint impuissant par cette cause ; il y a beaucoup d'autres semblables observations. Les chûtes sur le dos, sur l'os sacrum, & autres parties voisines, peuvent être suivies de la paralysie des muscles érecteurs, comme il est arrivé à une personne dont Fabrice de Hilden nous a donné l'histoire, Cent. vj. observ. 59. qui quoique dans l'impossibilité d'ériger, avoit des desirs extrêmement lubriques, & sentoit cette douce irritation dans les parties génitales, qui prépare, dispose au plaisir, & en augmente la vivacité. Il arrive quelquefois même qu'on éjacule dans cet état-là ; Raymond-Jean Fortis a une observation qui le prouve. Consult. medic. Tom. I.

2°. La seconde cause d'impuissance est le défaut d'intromission qui arrive ordinairement par quelque vice de conformation, lorsque la verge manque tout-à-fait, lorsqu'elle n'est pas droite, lorsqu'elle est d'une grosseur monstrueuse, ou d'une extrême petitesse ; quoiqu'elle entre alors dans le vagin, elle est incapable d'exciter une femme à l'éjaculation, & il est bien difficile que la matrice puisse recevoir comme il faut la semence qui en sort, quoiqu'elle s'abaisse ou s'allonge à un certain point pour la pomper & l'absorber entierement. Dailleurs un homme si mal partagé manque de force, de chaleur, d'esprits, & de semence. L'intromission peut aussi être empêchée par la grosseur du ventre dans les hommes qui ont trop d'embonpoint, sur-tout s'ils ont à faire à une femme qui soit dans le même cas ; si ce vice est considérable, c'est inutilement qu'on cherche des situations plus avantageuses & commodes, il est ordinairement suivi d'impuissance.

3°. La troisieme cause enfin dépend de l'éjaculation : si elle ne se fait pas du tout, ou si elle se fait autrement qu'elle ne doit, l'éjaculation manque totalement, 1°. par l'absence des arteres spermatiques, ainsi que l'a observé Riolan, Anthropogr. lib. II. cap. xxiij. 2°. par le défaut des testicules qui peuvent manquer, être obstrués, desséchés, relâchés, &c. 3°. par le vice des canaux déférens, qu'on a quelquefois trouvés nuls, dérangés, flétris, desséchés, racornis, Plater. Prax. lib. I. cap. xvij. Scholtzius rapporte que dans un jeune homme mort impuissant & épileptique, les tuyaux déférens étoient à peine sensibles, les vaisseaux préparans ou spermatiques manquoient d'un côté, & les testicules étoient retirés dans le ventre. Journal des curieux, ann. 1671. observ. 62. 4°. par la foiblesse, le relâchement des vésicules séminales, ou l'obstruction de leurs tuyaux excrétoires. Ces conduits qui donnent issue à la semence peuvent être bouchés par les cicatrices des ulceres qui se trouvent dans ces parties à la suite des gonorrhées, par des caroncules, par des calculs. Marcellus Donatus dit avoir trouvés dans la prostate une pierre qui empêchoit l'élaboration de l'humeur prostatique, l'excrétion de la vraie semence. Histor. mirab. lib. IV. cap. vj. Il y a une autre observation parfaitement semblable dans Frédéric Lossius, lib. I. observ. 33. Il peut aussi arriver que la constriction dans laquelle sont ces parties durant l'acte vénérien, soit si forte qu'elle ferme totalement l'ouverture des conduits excréteurs ; c'est ce qui fait que souvent le trop d'ardeur empêche l'éjaculation ; c'est le cas d'un jeune homme bien constitué, dont le docteur Cockburne rapporte l'histoire, Essai & observat. d'Edimbourg. Lorsqu'il vaquoit aux devoirs & plaisirs conjugaux avec sa femme, il se tourmentoit inutilement sans pouvoir éjaculer ; cependant en même tems il éprouvoit des pollutions nocturnes, ce qui donna lieu de penser au medecin que l'érection trop forte, la trop grande vivacité du jeune homme étoient la cause de cette impuissance ; l'indication étoit claire ; le remede étoit naturel & facile : il érussit aussi ; quelques évacuations & un peu de régime guérirent totalement cette maladie. 4°. L'éjaculation de la semence sera interceptée, si le trou de l'urethre est bouché dans l'imperforation de la verge, ou recouvert par le prépuce dans le phimosis ; il y aura également impuissance si l'éjaculation ne se fait pas comme il faut, c'est-à-dire par le trou de l'urethre, avec force & vivacité ; si par exemple la verge est percée de plusieurs trous, ou s'il n'y en a qu'un qui soit placé en-dessous, à côté, ou ailleurs ; il y a un fait fort singulier à ce sujet rapporté dans la bibliotheque medico-pratique de Manget, lib. IX. touchant un jeune homme qui ne pouvoit jamais éjaculer, quoiqu'il érigeât fortement : il se forma après un an dans la région épigastrique droite trois petits trous par lesquels la semence sortoit pendant le coït ; il l'exprimoit aussi quand il vouloit comme du lait. Si le canal de l'urethre est parsemé de caruncules qui brisent, moderent, & dérangent le mouvement impétueux de la semence ; si les vésicules séminales affoiblies n'expriment cette humeur que lâchement, & qu'elle ne sorte que goutte à goutte, &c. toutes ces causes d'impuissance bien constatées, sont des raisons suffisantes de divorce.

On distingue l'impuissance de la stérilité ou infécondité de l'homme, en ce que celle-ci ne suppose que le défaut de génération, peut dépendre de quelques vices cachés de la semence & existe souvent sans impuissance. Un homme très-vigoureux, très-puissant, peut être inhabile à la génération, au lieu que celui qui est impuissant ou peu propre au coït, à l'acte venérien, est toûjours stérile.

Cette maladie n'est accompagnée ordinairement d'aucune espece de danger ; elle n'entraîne après elle que du desagrément ; elle prive l'homme d'une fonction très-importante à la société, & très-agréable à lui-même ; ce qui peut le rendre triste, le jetter dans la mélancolie ; & il y a cependant tout lieu de croire qu'une impuissance subite sans cause apparente, & dans une personne qui n'est point accoutumée à cet accident, est l'avant-coureur de quelque grande maladie ; la cessation de l'impuissance à la suite d'une maladie aiguë est un très-bon signe.

Curation. Il y a des cas où il n'est pas nécessaire de donner des remedes ; comme par exemple, lorsqu'un homme n'est impuissant que dans certaines circonstances, au sortir d'une maladie aiguë, après des exercices violens, ou vis-à-vis d'une seule femme par crainte, par pudeur, par mépris, par haine, ou par excès d'amour ; il seroit ridicule d'accabler, ainsi que le conseille un certain J. Louis Hanneman, le mari & la femme de saignées, de purgations, de pilules, d'aposèmes, de vins médicamenteux, de baumes, d'onguens, d'injections, &c. Il est d'autres cas où les remedes les plus propres à exciter l'appétit vénérien, les plus stimulans seroient parfaitement inutiles ; tels sont ceux où l'impuissance dépend d'un défaut de conformation. Ces remedes seroient aussi insuffisans, lorsque l'imagination est vivement frappée par la crainte & la persuasion d'un sortilége. Je remarquerai seulement par rapport à ces gens-là, qu'il ne faut pas heurter leurs sentimens ; les meilleures raisons ne font aucune impression sur ceux qui donnent tête baissée dans ce ridicule ; l'opiniâtreté suit de près l'ignorance. Ainsi il est à propos quand on veut guérir ces imaginations, de flatter ces personnes, de paroître persuadés & touchés de leur accident, & leur promettre des secours immanquables pour le dissiper ; les plus extraordinaires sont toûjours les plus efficaces ; comme merveilleux, ils sont plus propres à gagner la confiance, ce qui est un point important ; c'est une grande partie de la santé que de l'espérer. C'est ainsi que Montagne rétablit par un talisman d'or la vivacité d'un comte qui l'avoit perdue par la crainte d'un sortilége. Je ne suis pas surpris de voir détruire l'effet de ces prétendus maléfices par les testicules d'un coq pendus aux piés du lit, par la graisse de loup, ou d'un chien noir, frottée à la porte, en faisant pisser le malade à travers l'anneau conjugal, &c. Enfin, l'impuissance qui exige des remedes, & qui est guérissable, est celle qui dépend du relâchement, de la foiblesse, de la paralysie des parties destinées à la génération, du défaut de semence, ou de sa vappidité, de la froideur du tempérament, de l'indifférence pour les plaisirs vénériens. C'est ici que conviennent ces fameux remedes connus sous les noms fastueux de précipitans, aphrodisiaques, &c. & que l'euphémisme médicinal a appellé plus pudiquement remedia ad magnanimitatem. Il y a lieu de croire que ces remedes procurent une plus grande abondance de semence, qu'ils la rendent plus âcre, plus active, qu'ils déterminent le sang & les esprits animaux vers les parties génitales. Il n'est personne qui n'ait éprouvé que ces remedes échauffent, mettent en mouvement, & fouettent les humeurs ; que leur usage est suivi d'érections plus fortes & plus fréquentes. La plûpart sont des alimens, tels sont les écrevisses, les chairs des vieux animaux, les artichaux, les truffes, le céleri, la roquette, de qui on dit avec raison : excitat ad venerem tardos eruca maritos. A ceux-là on peut ajouter l'ambre, le musc, l'opium, chez ceux qui sont accoutumés à son action ; mais par-dessus tout, les mouches cantharides. On use de ces remedes intérieurement, & on en fait diverses compositions pour l'usage extérieur, pour frotter, fomenter les parties malades. Il n'en est point qui agisse aussi promtement & avec tant d'efficacité déterminément sur les parties qui servent à l'acte vénérien, que les mouches cantharides prises intérieurement, ou appliquées sous forme de vésicatoire. Il est inutile d'avertir qu'il ne faut avoir recours à ces remedes qu'après avoir éprouvé les naturels, c'est-à-dire l'attrait du plaisir permis à toute l'énergie licite des embrassemens, des attouchemens, des caresses, des baisers, des doux propos. Parmi les secours capables d'animer & d'exciter à l'acte vénérien, il faut compter le fouet. Meibomius a fait un traité particulier sur les avantages & sur les vertus aphrodisiaques, dans lequel on peut voir beaucoup d'observations qui en constatent l'efficacité. C'est un expédient usité chez les vieillards libertins, par lequel ils tâchent de réveiller leur corps engourdi & languissant. Cet article est de M. MENURET.

IMPUISSANCE, (Jurisprud.) est une inhabileté de l'homme ou de la femme pour la génération.

Les lois canoniques ne distinguent que trois causes d'impuissance ; savoir, la frigidité, le maléfice, & l'inhabileté qui vient ex impotentiâ coeundi.

Ces causes se subdivisent en plusieurs classes.

Il y a des causes d'impuissance qui sont propres aux hommes, comme la frigidité, le maléfice, la ligature ou nouement d'éguillette ; les causes propres aux femmes sont l'empêchement qui provient ex clausurâ uteri, aut ex nimiâ arctitudine ; les causes communes aux hommes & aux femmes sont le défaut de puberté, le défaut de conformation des parties nécessaires à la génération, ou lorsque l'homme & la femme ne peuvent se joindre propter surabondantem ventris pinguedinem.

Les causes d'impuissance sont naturelles ou accidentelles ; celles-ci sont perpétuelles ou momentanées ; il n'y a que les causes d'impuissance perpétuelles qui forment un empêchement dirimant du mariage, encore excepte-t-on celles qui sont survenues depuis le mariage.

On distingue aussi l'impuissance absolue d'avec celle qui est seulement respective ou relative. La premiere, quand elle est perpétuelle, qu'elle a précédé le mariage, le dissout, & empêche d'en contracter un autre. Au lieu que l'impuissance respective ou relative, c'est-à-dire, qui n'a lieu qu'à l'égard de deux personnes entr'elles, n'empêche pas ces personnes, ou celle qui n'a point en elle de vice d'impuissance, de contracter mariage ailleurs.

La frigidité est lorsque l'homme, quoique bien conformé extérieurement, est privé de la faculté qui anime les organes destinés à la génération.

Le défaut de semence de la part de l'homme est une cause d'impuissance : mais on ne peut pas le regarder comme impuissant, sous prétexte que sa semence ne seroit pas prolifique ; c'est un mystere que l'on ne peut pénétrer.

La stérilité de la femme, en quelque tems qu'elle arrive, n'est pas non plus considérée comme un effet d'impuissance proprement dite, & conséquemment n'est point une cause pour dissoudre le mariage.

On met au nombre des empêchemens dirimans du mariage le maléfice, supposé qu'il provînt d'une cause surnaturelle (ce que l'on ne doit pas croire légérement), & qu'après la pénitence enjointe & la cohabitation triennale, l'empêchement ne cessât point & fût réputé perpétuel : mais si l'impuissance provenant de maléfice, peut être guérie par des remedes naturels, ou que la cause ne paroisse pas perpétuelle, ou qu'elle ne soit survenue qu'après le mariage : dans tous ces cas elle ne forme point un empêchement dirimant.

Quoique le défaut de puberté soit un empêchement au mariage, cet empêchement ne seroit pas dirimant, si la malice & la vigueur avoient précédé l'âge ordinaire de la puberté.

La vieillesse n'est jamais réputée une cause d'impuissance, ni un empêchement au mariage, soit qu'elle précede le mariage, ou qu'elle survienne depuis.

Il en est de même des infirmités qui seroient survenues depuis le mariage, quand même elles seroient incurables, & qu'elles rendroient inhabile à la génération.

La connoissance des demandes en nullité de mariage pour cause d'impuissance appartient naturellement au juge séculier ; & pendant les six premiers siecles de l'Eglise, les juges séculiers étoient les seuls devant lesquels ces sortes de causes fussent portées. Néanmoins, présentement les juges d'église sont en possession de connoître de ces sortes de demandes, sauf en cas d'abus l'appel au parlement.

Les premieres auxquelles on a recours dans cette matiere, sont l'interrogatoire des parties, le serment des parens, la visite du mari & de la femme. On ordonne aussi la preuve du mouvement naturel, lorsque le mari est accusé de frigidité.

On ordonnoit aussi autrefois le congrès, ce qui a été sagement aboli.

On ordonne seulement encore quelquefois la cohabitation triennale pour éprouver les parties, & connoître si l'impuissance est réelle & perpétuelle.

Dans le cas où le mariage est déclaré nul pour cause d'impuissance, les canons permettent aux contractans la cohabitation fraternelle ; mais alors ils doivent réellement vivre avec la même retenue que des personnes qui ne sont point mariées.

Voyez au code le titre de frigidis & castratis, & aux décrétales le titre de frigidis & maleficiatis, les conférences de Caseneuve, Hotman & Tagerau, traités de l'impuissance. Voyez aussi le traité de la dissolution du mariage pour cause d'impuissance, par M. Bouhier. (A)


IMPUISSANTadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est inhabile à faire quelque chose.

On appelle impuissant un homme qui est inhabile à la génération. Voyez ci-dessus IMPUISSANCE.

On dit aussi qu'un acte ou un titre & un moyen est impuissant pour prouver telle chose, c'est-à-dire, qu'il ne peut pas avoir cet effet. (A)


IMPULSIFadj. (Physique) qui agit par impulsion. Ainsi on dit force impulsive, vertu impulsive. Voyez IMPULSIVE.


IMPULSIONS. f. (Physique) est l'action d'un corps qui en pousse un autre, & qui tend à lui donner du mouvement, ou qui lui en donne en effet. On trouvera à l'article PERCUSSION les lois de l'impulsion des corps. On verra dans ce même article & aux articles COMMUNICATION & ÉQUILIBRE, ce qu'on peut penser sur la nécessité de ces lois. Au reste, la propriété ou la vertu par laquelle un corps en pousse un autre, & lui communique du mouvement, est quelque chose de fort obscur, & il semble qu'on doit être presque aussi étonné de voir qu'un corps qui en frappe un autre, le dérange de sa place, que de voir un morceau de fer se précipiter vers une pierre d'aimant, ou une pierre tomber vers la terre. C'est donc une erreur de croire que l'idée de l'impulsion ne renferme aucune obscurité, & de vouloir, à l'exclusion de tout autre principe, regarder cette force comme la seule qui produise tous les effets de la nature. S'il n'est pas absolument démontré qu'il y en ait d'autre, il s'en faut beaucoup qu'il soit démontré que cette forme soit la seule qui agisse dans l'univers. Voyez ATTRACTION, GRAVITATION, &c. (O)


IMPUNIIMPUNITé, IMPUNÉMENT, (Gram. & Morale.) Les fautes demeurent impunies, ou parce que la loi n'a point décerné de châtiment contr'elles, ou parce que le coupable réussit à se soustraire à la loi. Ce qui arrive ou par les précautions qu'il a prises pour n'être point convaincu, ou par les malheureuses prérogatives de son état, de son rang, de son autorité, de son crédit, de sa fortune, de ses protections, de sa naissance, ou par la prévarication du juge ; & le juge prévarique, lorsqu'il néglige la poursuite du coupable ou par indolence ou par corruption. Quelle que soit la cause de l'impunité, elle encourage au crime.


IMPURETÉS. f. (Medecine) nom entierement françois, par lequel on désigne la non-pureté des premieres voies, c'est-à-dire, l'état de l'estomac & des intestins infectés, altérés & corrompus, il répond au mot grec . Il s'annonce par des pesanteurs d'estomac, douleurs de tête, diarrhées, vomissement, rots, défaut d'appétit ; la langue est chargée, amere &c. Ce vice est fameux en Medecine par les distinctions minutieuses, & innombrables qu'on en a établi, & par les rôles multipliés qu'on lui a fait jouer dans la production des maladies. En effet, quelques écrivains spéculatifs ont divisé & subdivisé les impuretés, sabure, crudités, en acide, alkaline, muriatique, insipide, bilieuse, pituiteuse, &c. & chaque vice particulier a été censé le germe d'une maladie différente ; le passage des impuretés dans le sang renferme presque toute la theorie moderne, c'est la base de toutes les maladies aiguës, la célebre cause morbifique à combattre, & dont il faut empêcher l'augmentation pour prévenir les redoublemens ; c'est aussi le foyer qu'il faut vuider dans toutes les maladies généralement, parce qu'il n'en est point, disent-ils, qui ne soient produites, ou du moins entretenues par un foyer d'impuretés, par un levain vicieux placé dans les premieres voies ; & c'est enfin la source de ces indications toûjours les mêmes, toûjours semblables & toûjours uniques, de purger & de rétablir les digestions dans des maladies essentiellement différentes, c'est ce qui fait redouter la saignée à quelques medecins dans les maladies aiguës, dans la crainte d'augmenter le repompement de ces impuretés ; car tel est le danger de ces théories, qu'elles influent sur la pratique, & la rendent de plus en plus incertaine, au grand détriment de l'humanité.

Ces impuretés sont le plus souvent la suite & le résidu d'une mauvaise digestion ; quelquefois aussi elles dépendent d'une altération générale des humeurs ; elles sont la cause la plus fréquente des indigestions. Voyez ce mot. Pour les dissiper, il ne faut ordinairement que du régime, une diete sévere ; car, remarque avec raison le divin Hippocrate, aphoris. 10. lib. II. plus on nourrira un corps impur, & plus on augmentera le mal. Celse recommande aux personnes chargées d'impuretés, de ne pas se baigner, corpora impura non sunt balneanda. Si quelques jours de diete ne dissipoient pas ces mauvais sucs, il faut donner un purgatif doux, ou un émétique, suivant l'indication ; mais il faut avoir soin de préparer à la purgation par beaucoup de lavages, de délayans, c'est un précepte du grand Hippocrate ; lorsqu'il s'agit de purger les corps impurs, dit-il, aphor. 9. lib. II. il faut rendre les matieres fluxiles ; les purgatifs réussissent alors beaucoup mieux, & ne sont sujets à aucuns inconvéniens. On peut avant & après la purgation faire usage de quelque léger stomachique. On peut parmi ces remedes en choisir d'agréables, & qui n'en sont pas moins efficaces ; tels sont les vins robustes d'Alicante, de Malaga, de Bordeaux, &c. Un mets ou un remede qui plaît, quoique moins bon, doit être préféré à ceux qui, avec plus de vertu, seroient desagréables. Hippoc. aphor. 38. lib. II.

IMPURETE, sub. fém. IMPUR, adj. (Morale) le mot d'impureté est un terme générique qui comprend tous les déréglemens dans lesquels l'on peut tomber, relativement à la jonction charnelle des corps, ou aux parties naturelles qui l'operent. Ainsi la fornication, l'adultere, l'inceste, les péchés contre nature, les regards lascifs, les attouchemens deshonnêtes sur soi ou sur les autres, les pensées sales, les discours obscènes, sont autant de différentes especes d'impureté.

Il ne suffit pas d'être marié pour ne point commettre d'actions impures avec la personne que l'hymen semble avoir livrée entierement à nos desirs. Si la chasteté doit régner dans le lit nuptial, l'impureté peut aussi le souiller ; on ne doit point, comme Onan, tromper les fins de la nature. Les plaisirs qu'elle nous offre sont assez grands, sans qu'un raffinement de volupté nous fasse chercher à les augmenter : il est même des tems où elle nous les défend par les obstacles qu'elle y apporte, & que nous devons respecter. L'ancienne loi ordonnoit la peine de mort contre le mari qui dans ces momens-là ne mettoit pas de frein à ses sales desirs, & contre la femme qui se prêtoit à ses honteuses caresses.

Au reste, nous ne prétendons pas suivre l'impureté dans toutes ses routes, ni entrer dans des détails que la décence ordonne de supprimer. Nous ne discuterons pas jusqu'à quel point peuvent aller les attouchemens voluptueux, sans devenir criminels ; nous ne chercherons pas les circonstances où ils peuvent être permis ou même nécessaires ; nous nous garderons bien de décider, comme l'a fait un honnête jesuite, que le mari a moins à se plaindre, lorsque sa femme s'abandonne à un étranger d'une maniere contraire à la nature, que quand elle commet simplement avec lui un adultere ; parce que, dit-il, de la premiere façon on ne touche pas au vase légitime sur lequel seul l'époux a reçu des droits exclusifs. Il faut laisser toutes ces horreurs ensevelies sous les cendres des Filliutius, des Escobar, & des autres casuistes leurs confreres, dont le parlement de Paris par arrêt du six Août 1761, vient de faire brûler les ouvrages, pour une raison plus importante encore.

Il y avoit dans l'ancienne loi une impureté légale qui se contractoit de différentes façons, comme par l'attouchement d'un mort, &c. on alloit s'en purifier par certaines cérémonies. C'est encore une des choses que Mahomet a prises chez les Juifs, & qu'il a transportées dans son alcoran.

La religion des Payens étoit remplie de divinités qui favorisoient l'impureté. Vénus en étoit la déesse, & les bois sacrés qu'on trouvoit ordinairement autour de ses temples, étoient les théatres de sa débauche. Il y avoit même des pays où toutes les femmes étoient obligées de se prostituer une fois en l'honneur de la déesse ; & l'on peut juger si la dévotion naturelle à leur sexe, leur permettoit de s'en tenir-là. S. Augustin, dans sa cité de Dieu, rapporte que l'on voyoit au capitole des femmes impudiques qui se destinoient à satisfaire les besoins amoureux de la divinité, dont elles ne manquoient guere de devenir enceintes. Il est à croire que les prêtres s'en aidoient un peu, desservoient alors plus d'un autel. Le même pere dit qu'en Italie, & sur-tout à Lavinium, dans les fêtes de Bacchus, on portoit en procession des membres virils, sur lesquels la matrone la plus respectable mettoit une couronne. Les fêtes d'Isis en d'autres pays étoient semblables à celles-là : c'étoit même relique & mêmes cérémonies.

On trouve encore dans la cité de Dieu, (lib. VI. cap. ix.) l'énumération des divinités que les Payens avoient créées pour le mariage, & auxquelles ils avoient donné des fonctions assez deshonnêtes, & qui présentoient des images fort impures. Lorsque la fille avoit engagé sa foi à son époux, les matrones la conduisoient au dieu Priape, qui avoit toûjours un membre d'une grosseur monstrueuse, sur lequel on faisoit asseoir la nouvelle mariée. On lui ôtoit sa ceinture, en invoquant la déesse appellée Virginiensis ; le dieu Subigus soumettoit la femme aux transports de son mari ; la déesse Préma la tenoit sous lui pour empêcher qu'elle ne se remuât trop ; & venoit enfin la déesse Pertunda, comme qui diroit perforatrice. Son emploi étoit d'ouvrir à l'homme le sentier de la volupté : heureusement que cette fonction avoit été donnée à une divinité femelle ; car, comme le remarque très-bien S. Augustin, le mari n'eût pas souffert volontiers qu'un dieu lui rendît ce service ; & (pourroit-on ajouter encore) qu'il lui donnât du secours dans un endroit où trop souvent il n'a guere besoin d'aide.


IMPUTABILITÉS. f. (Droit naturel) c'est la qualité de l'action imputable en bien, ou en mal ; l'imputation est l'acte du législateur, du juge, du magistrat, ou de tout autre, qui met actuellement sur le compte de quelqu'un une action de nature à lui être imputée. Voyez IMPUTATION. (D.J.)


IMPUTATIONS. f. (Droit politiq. & Moral) Une qualité essentielle des actions humaines est d'être susceptible d'imputation ; c'est-à-dire, que l'agent en peut être regardé avec raison comme le véritable auteur, que l'on peut les mettre sur son compte ; tellement que les effets bons ou mauvais qui en proviennent, lui seront justement attribués, & retomberont sur lui comme en étant la cause.

Il ne faut pas confondre l'imputabilité des actions humaines avec leur imputation actuelle. La premiere est une qualité de l'action ; la seconde est un acte du législateur, du juge, &c. qui met actuellement sur le compte de quelqu'un une action qui de sa nature peut être imputée.

L'imputation est donc proprement un jugement par lequel on déclare que quelqu'un étant l'auteur ou la cause morale d'une action commandée ou défendue par les lois, les effets bons ou mauvais qui s'ensuivent, doivent actuellement lui être attribués ; qu'en conséquence il en est responsable, & qu'il doit en être loué ou blâmé, récompensé ou puni.

Ce jugement d'imputation, aussi-bien que celui de la conscience, se fait en appliquant la loi à l'action dont il s'agit, en comparant l'une avec l'autre, pour prononcer ensuite sur le mérite du fait, & faire ressentir en conséquence à celui qui en est l'auteur, le bien ou le mal, la peine ou la récompense que la loi y a attaché. Tout cela suppose nécessairement une connoissance exacte de la loi & de son véritable sens, aussi-bien que du fait en question & de ses circonstances. Le défaut de ces circonstances ne pourroit que rendre l'application fausse & le jugement vicieux.

Pour bien établir les principes & les fondemens de cette matiere, il faut d'abord remarquer que l'on ne doit pas conclure de la seule imputabilité d'une action à son imputation actuelle. Afin qu'une action mérite d'être actuellement imputée, il faut le concours de ces deux conditions, 1°. qu'elle soit de nature à pouvoir l'être, & 2°. que l'agent soit dans quelque obligation de la faire ou de s'en abstenir. Un exemple rendra la chose sensible. De deux jeunes hommes que rien n'oblige d'ailleurs à savoir les Mathématiques, l'un s'applique à cette science, & l'autre ne le fait pas. Quoique l'action de l'un & l'omission de l'autre soient par elles-mêmes de nature à pouvoir être imputées, cependant elles ne le seront dans ce cas-ci, ni en bien, ni en mal. Mais si l'on suppose que ces deux jeunes hommes sont destinés, l'un à être conseiller d'état, l'autre à quelque emploi militaire : en ce cas, leur application ou leur négligence à s'instruire dans la Jurisprudence, ou dans les Mathématiques, leur seroit méritoirement imputée ; d'où il paroît que l'imputation actuelle demande qu'on soit dans l'obligation de faire quelque chose ou de s'en abstenir.

2°. Quand on impute une action à quelqu'un, on le rend, comme on l'a dit, responsable des suites bonnes ou mauvaises de l'action qu'il a faite. Il suit de-là que pour rendre l'imputation juste, il faut qu'il y ait quelque liaison nécessaire ou accidentelle entre ce que l'on a fait ou omis, & les suites bonnes ou mauvaises de l'action ou de l'omission ; & que d'ailleurs l'agent ait eu connoissance de cette liaison, ou que du moins il ait pû prévoir les effets de son action avec quelque vraisemblance. Sans cela, l'imputation ne sauroit avoir lieu, comme on le sentira par quelques exemples. Un armurier vend des armes à un homme fait qui lui paroît en son bon sens, de sang froid, & n'avoir aucun mauvais dessein. Cependant cet homme va sur le champ attaquer quelqu'un injustement, & il le tue. On ne sauroit rien imputer à l'armurier, qui n'a fait que ce qu'il avoit droit de faire, & qui d'ailleurs ne pouvoit ni ne devoit prévoir ce qui est arrivé. Mais si quelqu'un laissoit par négligence des pistolets chargés sur la table, dans un lieu exposé à tout le monde ; & qu'un enfant qui ne connoît pas le danger, se blesse ou se tue ; le premier est certainement responsable du malheur qui est arrivé ; car c'étoit une suite claire & prochaine de ce qu'il a fait, & il pouvoit & devoit le prévoir.

Il faut raisonner de la même maniere à l'égard d'une action qui a produit quelque bien : ce bien ne peut nous être attribué, lorsqu'on en a été la cause sans le savoir & sans y penser ; mais aussi il n'est pas nécessaire, pour qu'on nous en sache quelque gré, que nous eussions une certitude entiere du succès : il suffit que l'on ait eu lieu de le présumer raisonnablement ; & quand l'effet manqueroit absolument, l'intention n'en seroit pas moins louable.

L'imputation est simple ou efficace. Quelquefois l'imputation se borne simplement à la louange ou au blâme ; quelquefois elle va plus loin. C'est ce qui donne lieu de distinguer deux sortes d'imputation, l'une simple, l'autre efficace. La premiere est celle qui consiste seulement à approuver ou à desapprouver l'action, ensorte qu'il n'en résulte aucun autre effet par rapport à l'agent. Mais la seconde ne se borne pas au blâme ou à la louange ; elle produit encore quelque effet bon ou mauvais à l'égard de l'agent, c'est-à-dire, quelque bien ou quelque mal réel qui retombe sur lui.

Effets de l'une & de l'autre. L'imputation simple peut être faite indifféremment par chacun, soit qu'il ait ou qu'il n'ait pas un intérêt particulier & personnel à ce que l'action fut faite ou non : il suffit d'y avoir un intérêt général & indirect. Et comme l'on peut dire que tous les membres de la société sont intéressés à ce que les lois naturelles soient bien observées, ils sont tous en droit de louer ou de blâmer les actions d'autrui, selon qu'elles sont conformes ou opposées à ces lois. Ils sont même dans une sorte d'obligation à cet égard ; le respect qu'ils doivent au legislateur & à ses lois l'exige d'eux ; & ils manqueroient à ce qu'ils doivent à la société & aux particuliers, s'ils ne témoignoient pas, du moins par leur approbation ou leur desaveu, l'estime qu'ils font de la probité & de la vertu, & l'aversion qu'ils ont au contraire pour la méchanceté & pour le crime.

Mais à l'égard de l'imputation efficace, il faut, pour la pouvoir faire légitimement, que l'on ait un intérêt particulier & direct à ce que l'action dont il s'agit se fasse ou ne se fasse pas. Or ceux qui ont un tel intérêt, ce sont 1°. ceux à qui il appartient de régler l'action ; 2°. ceux qui en sont l'objet, c'est-à-dire, ceux envers lesquels on agit, & à l'avantage ou au desavantage desquels la chose peut tourner. Ainsi un souverain qui a établit des lois, qui ordonne certaines choses sous la promesse de quelque récompense, & qui en défend d'autres sous la menace de quelque peine, doit sans-doute s'intéresser à l'observation de ses lois, & il est en droit d'imputer à ses sujets leurs actions d'une maniere efficace, c'est-à-dire, de les récompenser ou de les punir. Il en est de même de celui qui a reçû quelque injure ou quelque dommage par une action d'autrui.

Remarquons, enfin, qu'il y a quelque différence entre l'imputation des bonnes & des mauvaises actions. Lorsque le législateur a établi une certaine récompense pour une bonne action, il s'oblige par cela même à donner cette récompense, & il accorde le droit de l'exiger à ceux qui s'en sont rendus dignes par leur obéissance ; mais à l'égard des peines décernées pour les actions mauvaises, le législateur peut effectivement les infliger, s'il le veut ; mais il ne s'ensuit pas de-là que le souverain soit obligé de punir à la rigueur : il demeure toûjours le maître d'user de son droit ou de faire grace, & il peut avoir de bonnes raisons de faire l'un ou l'autre.

Application des principes précédens. 1°. Il suit de ce que nous avons dit, que l'on impute avec raison à quelqu'un toute action ou omission, dont il est l'auteur ou la cause, & qu'il pouvoit & devoit faire ou omettre.

2 °. Les actions de ceux qui n'ont pas l'usage de la raison ne doivent point leur être imputées. Car ces personnes n'étant pas en état de savoir ce qu'elles font, ni de le comparer avec les lois, leurs actions ne sont pas proprement des actions humaines, & n'ont point de moralité. Si l'on gronde ou si l'on bat un enfant, ce n'est point en forme de peine ; ce sont de simples corrections, par lesquelles on se propose principalement d'empêcher qu'il ne contracte de mauvaises habitudes.

3°. A l'égard de ce qui est fait dans l'ivresse, toute ivresse contractée volontairement, n'empêche point l'imputation d'une mauvaise action commise dans cet état.

4°. L'on n'impute à personne les choses qui sont véritablement au-dessus de ses forces, non plus que l'omission d'une chose ordonnée si l'occasion a manqué : car l'imputation d'une omission suppose manifestement ces deux choses, 1°. que l'on ait eu les forces & les moyens nécessaires pour agir ; 2°. que l'on ait pû faire usage de ces moyens sans préjudice de quelqu'autre devoir plus indispensable. Bien entendu que l'on ne se soit pas mis par sa faute dans l'impuissance d'agir : car alors le législateur pourroit aussi légitimement punir ceux qui se sont mis dans une telle impuissance que si étant en état d'agir ils refusoient de le faire. Tel étoit à Rome le cas de ceux qui se coupoient le pouce, pour se mettre hors d'état de manier les armes, & pour se dispenser d'aller à la guerre.

A l'égard des choses faites par ignorance ou par erreur, on peut dire en général que l'on n'est point responsable de ce que l'on fait par une ignorance invincible, &c. Voyez IGNORANCE.

Quoique le tempérament, les habitudes & les passions ayent par eux-mêmes une grande force pour déterminer à certaines actions ; cette force n'est pourtant pas telle qu'elle empêche absolument l'usage de la raison & de la liberté, du moins quant à l'exécution des mauvais desseins qu'ils inspirent. Les dispositions naturelles, les habitudes & les passions ne portent point invinciblement les hommes à violer les lois naturelles, & ces maladies de l'ame ne sont point incurables. Que si au lieu de travailler à corriger ces dispositions vicieuses, on les fortifie par l'habitude, l'on ne devient pas excusable pour cela. Le pouvoir des habitudes est, à la vérité, fort grand ; il semble même qu'elles nous entraînent par une espece de nécessité à faire certaines choses. Cependant l'expérience montre qu'il n'est point impossible de s'en défaire, si on le veut sérieusement ; & quand même il seroit vrai que les habitudes bien formées auroient sur nous plus d'empire que la raison ; comme il dépendoit toûjours de nous de ne pas les contracter, elles ne diminuent en rien le vice des actions mauvaises, & ne sauroient en empêcher l'imputation. Au contraire, comme l'habitude à faire le bien rend les actions plus louables, l'habitude au vice ne peut qu'augmenter le blâme. En un mot, si les inclinations, les passions & les habitudes pouvoient empêcher l'effet des lois, il ne faudroit plus parler d'aucune direction pour les actions humaines ; car le principal objet des lois en général est de corriger les mauvais penchans, de prévenir les habitudes vicieuses, d'en empêcher les effets, & de déraciner les passions, ou du moins de les contenir dans leurs justes bornes.

Les différens cas que nous avons parcourus jusqu'ici n'ont rien de bien difficile. Il en reste quelques autres un peu plus embarrassans, & qui demandent une discussion un peu plus détaillée.

Premierement on demande ce qu'il faut penser des actions auxquelles on est forcé ; sont-elles de nature à pouvoir être imputées, & doivent-elles l'être effectivement ?

Je réponds, 1°. qu'une violence physique, & telle qu'il est absolument impossible d'y résister, produit une action involontaire, qui bien-loin de mériter d'être actuellement imputée, n'est pas même imputable de sa nature.

2°. Mais si la contrainte est produite par la crainte de quelque grand mal, il faut dire que l'action à laquelle on se porte en conséquence, ne laisse pas d'être volontaire, & que par conséquent elle est de nature à pouvoir être imputée.

Pour connoître ensuite si elle doit l'être effectivement, il faut voir si celui envers qui on use de contrainte est dans l'obligation rigoureuse de faire une chose ou de s'en abstenir, au hasard de souffrir le mal dont il est menacé. Si cela est, & qu'il se détermine contre son devoir, la contrainte n'est point une raison suffisante pour le mettre à couvert de toute imputation ; car en général, on ne sauroit douter qu'un supérieur légitime ne puisse nous mettre dans la nécessité d'obéir à ses ordres, au hasard d'en souffrir, & même au péril de notre vie.

En suivant ces principes, il faut donc distinguer ici entre les actions indifférentes (voyez l'article MORALITE) & celles qui sont moralement nécessaires. Une action indifférente de sa nature, extorquée par la force, ne sauroit être imputée à celui qui y a été contraint, puisque n'étant dans aucune obligation à cet égard, l'auteur de la violence n'a aucun droit d'exiger rien de lui. Et la loi naturelle défendant formellement toute violence, ne sauroit en même tems l'autoriser, en mettant celui qui la souffre dans la nécessité d'exécuter ce à quoi il n'a consenti que par force. C'est ainsi que toute promesse ou toute convention forcée est nulle par elle-même, & n'a rien d'obligatoire en qualité de promesse ou de convention ; au contraire elle peut & elle doit être imputée comme un crime à celui qui est auteur de la violence. Mais si l'on suppose que celui qui emploie la contrainte ne fait en cela qu'user de son droit & en poursuivre l'exécution, l'action, quoique forcée, ne laisse pas d'être valable, & d'être accompagnée de tous ses effets moraux. C'est ainsi qu'un débiteur fuyant, ou de mauvaise foi, qui ne satisfait son créancier que par la crainte prochaine de l'emprisonnement ou de quelque exécution sur ses biens, ne sauroit réclamer contre le payement qu'il a fait, comme y ayant été forcé.

Pour ce qui est des bonnes actions auxquelles on ne se détermine que par force, &, pour ainsi dire, par la crainte des coups ; elles ne sont comptées pour rien, & ne méritent ni louange ni récompense. L'on en voit aisément la raison. L'obéissance que les loix exigent de nous doit être sincere, & il faut s'acquiter de ses devoirs par principe de conscience, volontairement & de bon coeur.

Enfin à l'égard des actions manifestement mauvaises & criminelles, auxquelles on se trouve forcé par la crainte de quelque grand mal, & sur-tout de la mort ; il faut poser pour regle générale, que les circonstances fâcheuses où l'on se rencontre, peuvent bien diminuer le crime de celui qui succombe à cette épreuve ; mais néanmoins l'action demeure toujours vicieuse en elle-même, & digne de reproche ; en conséquence de quoi elle peut être imputée, & elle l'est effectivement, à moins que l'on n'allegue en sa faveur l'exception de la nécessité. Une personne qui se détermine par la crainte de quelque grand mal, mais pourtant sans aucune violence physique, à exécuter une action visiblement mauvaise, concourt en quelque maniere à l'action, & agit volontairement, quoiqu'avec regret. D'ailleurs il n'est point absolument au-dessus de la fermeté de l'esprit humain, de se résoudre à souffrir & même à mourir, plutôt que de manquer à son devoir. Le législateur peut donc imposer l'obligation rigoureuse d'obéir, & il peut avoir de justes raisons de le faire. Les nations civilisées n'ont jamais mis en question si l'on pouvoit, par exemple, trahir sa patrie pour conserver sa vie. Plusieurs moralistes payens ont fortement soutenu qu'il ne falloit pas céder à la crainte des douleurs & des tourmens, pour faire des choses contraires à la religion & à la justice.

Ambiguae si quando citabere testis

Incertaeque rei ; Phalaris licet imperet, ut sis

Falsus, & admoto dictet perjuria tauro,

Summum crede nefas animam praeferre pudori,

Et propter vitam vivendi perdere causas.

Juvenal, Sat. 8.

Telle est la regle. Il peut arriver pourtant, comme nous l'avons insinué, que la nécessité où l'on se trouve fournisse une exception favorable, qui empêche que l'action ne soit imputée. Les circonstances où l'on se trouve donnent quelquefois lieu de présumer raisonnablement, que le législateur nous dispense lui-même de souffrir le mal dont on nous menace, & que pour cela il permet que l'on s'écarte alors de la disposition de la loi ; & c'est ce qui a lieu toutes les fois que le parti que l'on prend pour se tirer d'affaire, renferme en lui-même un mal moindre que celui dont on étoit menacé.

Des actions auxquelles plusieurs personnes ont part. Nous ajouterons encore ici quelques réflexions sur les cas où plusieurs personnes concourent à produire la même action. La matiere étant importante & de grand usage, mérite d'être traitée avec quelque précision.

1°. Les actions d'autrui ne sauroient nous être imputées, qu'autant que nous y avons concouru, & que nous pouvions & devions les procurer, ou les empêcher, ou du-moins les diriger d'une certaine maniere. La chose parle d'elle-même ; car imputer l'action d'autrui à quelqu'un, c'est déclarer que celui-ci en est la cause efficiente, quoiqu'il n'en soit pas la cause unique ; & que par conséquent cette action dépendoit en quelque maniere de sa volonté dans son principe ou dans son exécution.

2°. Cela posé, on peut dire que chacun est dans une obligation générale de faire ensorte, autant qu'il le peut, que toute autre personne s'acquite de ses devoirs, & d'empêcher qu'elle ne fasse quelque mauvaise action, & par conséquent de ne pas y contribuer soi-même de propos délibéré, ni directement, ni indirectement.

3°. A plus forte raison on est responsable des actions de ceux sur qui l'on a quelque inspection particuliere. C'est sur ce fondement que l'on impute à un pere de famille la bonne ou la mauvaise conduite de ses enfans.

4°. Remarquons ensuite que pour être raisonnablement censé avoir concouru à une action d'autrui, il n'est pas nécessaire que l'on fût sûr de pouvoir la procurer ou l'empêcher, en faisant ou ne faisant pas certaines choses ; il suffit que l'on eût là-dessus quelque probabilité ou quelque vraisemblance. Et comme d'un côté ce défaut de certitude n'excuse point la négligence ; de l'autre si l'on a fait tout ce que l'on devoit, le défaut de succès ne peut point nous être imputé ; le blâme tombe alors tout entier sur l'auteur immédiat de l'action.

5°. Enfin il est bon d'observer encore, que dans la question que nous examinons, il ne s'agit point du degré de vertu ou de malice qui se trouve dans l'action même, & qui la rendant plus excellente ou plus mauvaise, en augmente la louange ou le blâme, la récompense ou la peine. Il s'agit proprement d'estimer le degré d'influence que l'on a sur l'action d'autrui, pour savoir si l'on en peut être regardé comme la cause morale, & si cette cause est plus ou moins efficace, afin de mesurer pour ainsi dire ce degré d'influence, qui décide de la maniere dont on peut imputer à quelqu'un une action d'autrui ; il y a plusieurs circonstances & plusieurs distinctions à observer. Par exemple, il est certain qu'en général, la simple approbation a moins d'efficace pour porter quelqu'un à agir, qu'une forte persuasion, qu'une instigation particuliere. Cependant la haute opinion que l'on a de quelqu'un, peut faire qu'une simple approbation ait quelquefois autant, & peut-être même plus d'influence sur une action d'autrui que la persuasion la plus pressante, ou l'instigation la plus forte d'une autre personne.

L'on peut ranger sous trois classes les causes morales qui influent sur une action d'autrui. Tantôt cette cause est la principale, ensorte que celui qui exécute, n'est que l'agent subalterne ; tantôt l'agent immédiat est au contraire la cause principale, tandis que l'autre n'est que la cause subalterne ; d'autres fois ce sont des causes collatérales qui influent également sur l'action dont il s'agit.

Celui-là doit être censé la cause principale qui, en faisant ou ne faisant pas certaines choses, influe tellement sur l'action ou l'omission d'autrui, que sans lui cette action n'auroit point été faite, ou cette omission n'auroit pas eu lieu, quoique d'ailleurs l'agent immédiat y ait contribué sciemment. Ainsi David fut la cause principale de la mort d'Urie, quoique Joab y eût contribué connoissant bien l'intention du roi.

Au reste, la raison pour laquelle un supérieur est censé être la cause principale de ce que font ceux qui dépendent de lui, n'est pas proprement la dépendance de ces derniers, c'est l'ordre qu'il leur donne, sans quoi l'on suppose que ceux-ci ne se seroient point portés d'eux-mêmes à l'action dont il s'agit.

Mais celui-là n'est qu'une cause collatérale, qui en faisant ou ne faisant pas certaines choses, concourt suffisamment & autant qu'il dépend de lui, à l'action d'autrui ; ensorte qu'il est censé coopérer avec lui, quoique l'on ne puisse pas présumer absolument que sans son concours, l'action n'ait pas été faite.

Tels sont ceux qui fournissent quelques secours à l'agent immédiat, ceux qui lui donnent retraite & qui le protegent, celui par exemple, qui tandis qu'un autre enfonce une porte, prend garde aux avenues, &c. Un complot entre plusieurs personnes, les rend pour l'ordinaire également coupables. Tous sont censés causes égales & collatérales, &c.

Enfin la cause subalterne est celle qui n'influe que peu sur l'action d'autrui, qui n'y fournit qu'une légere occasion, ou qui ne fait qu'en rendre l'exécution plus facile, de maniere que l'agent, déja tout déterminé à agir, & ayant pour cela tous les secours nécessaires, est seulement encouragé à exécuter sa résolution. Comme quand on lui indique la maniere de s'y prendre, le moment favorable, le moyen de s'évader, ou quand on loue son dessein, & qu'on l'excite à le suivre, &c.

Ne pourroit-on pas mettre dans la même classe l'action d'un juge, qui au lieu de s'opposer à un avis qui a tous les suffrages, mais qu'il croit mauvais, s'y rangeroit par timidité ou par complaisance ? Le mauvais exemple ne peut aussi être mis qu'au rang des causes subalternes, parce que ceux qui les donnent ne contribuent d'ordinaire que foiblement au mal que l'on fait en les imitant. Cependant il y a quelquefois des exemples si efficaces, à cause du caractere des personnes qui les donnent, & de la disposition de ceux qui les suivent, que si les premiers s'étoient abstenus du mal, les autres n'auroient pas pensé à le commettre ; & par conséquent ceux qui donnent ces mauvais exemples, doivent être considérés tantôt comme causes principales, tantôt comme causes collatérales, tantôt comme causes subalternes.

L'application de ces distinctions & de ces principes se fait d'elle-même : toutes choses d'ailleurs égales, les causes collatérales doivent être traitées également ; mais les causes principales méritent sans doute plus de louange ou de blâme, & un plus haut degré de récompense ou de peine que les causes subalternes. J'ai dit, toutes choses étant d'ailleurs égales ; car il peut arriver par la diversité des circonstances, qui augmentent ou diminuent le mérite ou le démérite d'une action, que la cause subalterne agisse avec un plus grand degré de malice que la cause principale, & qu'ainsi l'imputation soit aggravée à son égard. Supposé par exemple, qu'un homme de sang-froid assassinât quelqu'un à l'instigation d'un autre qui se trouvoit animé contre son ennemi ; quoique l'instigateur soit le premier auteur du meurtre, on trouvera son action faite dans un transport de colere, moins indigne que celle du meurtrier, qui l'a servi dans sa passion, étant lui-même tranquille & de sens rassis.

IMPUTATION, (Théologie) est un terme dogmatique fort usité chez les Théologiens, quelquefois dans un bon & quelquefois dans un mauvais sens. Lorsqu'il se prend en mauvaise part, il signifie l'attribution d'un péché qu'un autre a commis.

L'imputation du péché d'Adam a été faite à sa postérité, parce que par sa chûte tous ses descendans sont devenus criminels devant Dieu, comme s'ils étoient tombés eux-mêmes, & qu'ils portent la peine de ce premier crime. Voyez PECHE ORIGINEL.

L'imputation, lorsqu'on la prend en bonne part, est l'application d'une justice étrangere. Voyez JUSTIFICATION.

L'imputation des mérites de Jesus-Christ ne signifie autre chose chez les réformés, qu'une justice extrinseque, qui ne nous rend pas véritablement justes, mais qui nous fait seulement paroître tels, qui cache nos péchés, mais qui ne les efface pas.

Luther, qui le premier a voulu expliquer la justification par cette imputation de la justice de Jesus-Christ, prétendoit que ce qui nous justifie & ce qui nous rend agréables aux yeux de Dieu, ne fut rien en nous, mais que nous avons été justifiés, parce que Dieu nous imputoit la justice de J. C. comme si elle eût été la nôtre propre, parce qu'en effet nous pouvions nous l'approprier par la foi. A quoi il ajoutoit qu'on étoit justifié dès qu'on croyoit l'être avec certitude. Bossuet, hist. des variat. tom. I. liv. I. pag. 10.

C'est pour cela que les Catholiques ne se servent point du terme d'imputation, & disent que la grace justifiante qui nous applique les mérites de Jesus-Christ, couvre non-seulement nos péchés, mais même les efface ; que cette grace est intrinseque & inhérente, qu'elle renouvelle entierement l'intérieur de l'homme, & qu'elle le rend pur, juste & sans tache devant Dieu, & que cette justice inhérente lui est donnée à cause de la justice de Jesus-Christ, c'est-à-dire, par les mérites de sa mort & de sa passion. En un mot, disent-ils, quoique ce soit l'obéissance de Jesus-Christ qui nous a mérité la grace justifiante, ce n'est pas cependant cette obéissance qui nous rend formellement justes. Et de la même maniere, ce n'est pas la desobéissance d'Adam qui nous rend formellement pécheurs, quoique ce soit cette desobéissance qui nous a mérité & attiré le péché & les peines du péché.

Les Protestans disent que le péché du premier homme est imputé à ses descendans, parce qu'ils sont regardés & punis comme coupables à cause du péché d'Adam. Les Catholiques prétendent que ce n'est pas en dire assez, & que non-seulement nous sommes regardés & punis comme coupables, mais que nous le sommes en effet par le péché originel.

Les Protestans disent aussi que la justice de Jesus-Christ nous est imputée, & que notre justification ne se fait que par l'imputation de la justice de Jesus-Christ, parce que ses souffrances nous tiennent lieu de justification, & que Dieu accepte sa mort comme si nous l'avions soufferte. Mais les Catholiques enseignent que la justice de Jesus-Christ est non-seulement imputée, mais actuellement communiquée aux fideles par l'opération du Saint-Esprit ; ensorte que non-seulement ils sont réputés, mais rendus justes par sa grace.

IMPUTATION, (Jurisprud.) signifie l'acquittement qui se fait d'une somme dûe par le payement d'une autre somme.

Celui qui est débiteur de plusieurs sommes principales envers la même personne & qui lui fait quelque payement, peut l'imputer sur telle somme que bon lui semble, pourvû que ce soit à l'instant du payement.

Si le débiteur ne fait pas sur le champ l'imputation, le créancier peut la faire aussi sur le champ, pourvû que ce soit in duriorem causam, c'est-à-dire sur la dette la plus onéreuse au débiteur.

Quand le débiteur ni le créancier n'ont point fait l'imputation, elle se fait de droit, aussi in duriorem.

Lorsqu'il est dû un principal portant intérêt, l'imputation des payemens se fait suivant la disposition du droit priùs in usuras ; cela se pratique ainsi dans tous les parlemens de droit écrit.

Le parlement de Paris distingue si les intérêts sont dûs ex naturâ rei, ou ex officio judicis : au premier cas les payemens s'imputent d'abord sur les intérêts ; au second elle se fait d'abord sur le principal, ensuite sur les intérêts. Voyez le recueil de questions de M. Bretonnier, au mot INTERETS. (A)


IN PAC(Hist. ecclés.) est un mot latin qui se dit chez les moines, d'une prison où l'on enferme ceux qui ont commis quelque grande faute.

On faisoit autrefois plusieurs cérémonies pour mettre un religieux in pace ; mais elles ne sont plus d'usage aujourd'hui. Voyez PRISON.

On dit aussi de ceux qu'on a mis dans une prison perpétuelle, qu'on les a mis in pace.

On dit aussi quelquefois requiescat in pace, qui sont des mots latins dont l'Eglise se sert dans les prieres qu'elle fait à Dieu, pour que les ames des fideles défunts reposent en paix.

On met aussi ces mots au bas des épitaphes, à la place de ceux dont se servoient les anciens Romains, S. T. T. L. c'est-à-dire, sit tibi terra levis, que la terre vous soit legere ; ou sit humus cineri non onerosa tuo. Voyez Dict. de Trévoux.


IN-DOUZES. m. (Gramm. Imprim.) forme de livre où la feuille a fourni vingt-quatre pages. L'in-douze est plus ou moins grand, selon l'étendue de la feuille.


IN-PROMPTU(Littérat.) est un terme latin fort usité en françois & en anglois, pour signifier un ouvrage fait sans précaution & sur le champ, par la force & la vivacité de l'esprit.

Plusieurs personnes font passer pour des in promptus des pieces qu'ils ont faites à loisir & de sang froid.


IN-QUARTOS. m. (Imprimerie) une des formes qu'on donne aux livres ; elle dépend de la maniere dont la feuille a été imprimée. L'in-quarto porte huit pages par feuille.


IN-TAKERS. m. (Hist. mod.) nom que l'on donna autrefois à certains bandits qui habitoient une partie du nord d'Angleterre, & faisoient souvent des courses jusque dans le milieu de l'Ecosse, pour en piller les habitans.

Ceux qui faisoient ces expéditions s'appelloient Out-parters, & ceux qu'on laissoit pour recevoir le butin, In-takers. Dict. de Trév.


INABORDABLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut aborder. Voyez ABORD, ACCES, ACCUEIL, ABORDER.


INACCESSIBLEadj. (Gramm.) dont on ne peut approcher. Il se dit au simple & au figuré. Les torrens qui tombent de cette montagne en rendent le sommet inaccessible. Les grands sont inaccessibles. Il y a peu de coeurs inaccessibles à la flaterie.

INACCESSIBLE, (Géom.) une hauteur ou une distance inaccessible est celle qu'on ne peut mesurer immédiatement, à cause de quelque obstacle, telle que l'eau, ou autre chose semblable. Voyez HAUTEUR, DISTANCE, &c.

INACTION, s. f. (Gramm. & Théolog.) cessation d'agir. On dit, il préfere le repos à tout, & les plus grands intérêts ne le tireront pas de l'inaction. Ainsi il est synonyme tantôt à indolence, tantôt à paresse ou à indifférence ; trois qualités ennemies de l'action & du mouvement.

Les Mystiques appellent inaction une privation de mouvement, un anéantissement de toutes les facultés, par lequel on ferme la porte à tous les objets extérieurs, & l'on se procure une espece d'extase durant laquelle Dieu parle immédiatement au coeur. Cet état d'inaction est le plus propre selon eux, à recevoir le Saint-Esprit. C'est dans ce repos & dans cet assoupissement que Dieu communique à l'ame des graces sublimes & ineffables.

Quelques-uns ne la font pas consister dans cette espece d'indolence stupide, ou cette suspension générale de tous sentimens. Ils disent que par cette cessation de desirs, ils entendent seulement que l'ame ne se détermine point à certains actes positifs, & qu'elle ne s'abandonne point à des méditations stériles, ou aux vaines spéculations de la raison ; mais qu'elle demande en général tout ce qui peut être agréable à Dieu, sans lui rien prescrire.

Cette derniere doctrine est celle des anciens Mystiques, & la premiere celle des Quiétistes. Voyez MYSTIQUE & QUIETISTE.

Il est vrai cependant, à parler en général, que l'inaction n'est pas un fort bon moyen pour réussir auprès de Dieu. Ce sont nos actions qui nous attirent ses faveurs ; il veut que nous agissions, c'est-à-dire qu'avec sa grace nous desirions & nous fassions le bien ; & notre inaction ne sauroit lui être agréable.


INADMISSIBLEadj (Jurisprud.) c'est ce que l'on ne doit pas recevoir ; il y a des cas, par exemple, où la preuve par témoins est inadmissible, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas être ordonnée. Certains faits en particulier ne sont pas admissibles ; savoir ceux qui ne sont pas pertinens. Voyez ENQUETE, FAITS, PERTINENT & PREUVE PAR TEMOINS. (A)


INADVERTANCES. f. (Gramm. & Morale) action ou faute commise sans attention à ses suites. Il faut pardonner les inadvertances. Qui de nous n'en a point commis ? Il y a des hommes que la nature a formé inadvertans & distraits. Ils sont toujours pressés d'agir, ils ne pensent qu'après. Toute leur vie se passe à faire des offenses & à demander des pardons. L'inadvertance est un des défauts de l'enfance. C'est l'effet en eux de la vivacité & de l'inexpérience.


INALIENABLEadj. (Jurisp.) se dit des choses dont la propriété ne peut valablement être transportée à une autre personne. Le domaine de la couronne est inaliénable de sa nature ; les biens d'église & des mineurs ne peuvent aussi être aliénés sans necessité ou utilité évidente. Voy. DOMAINE, EGLISE, MINEURS. (A)


INALLIABLEadj. (Gram.) qui ne se peut allier avec. Il se dit au simple & au figuré. Ces métaux sont inalliables. Les intérêts de Dieu & ceux du monde sont inalliables. Voyez ALLIER.


INALTÉRABLEadj. (Gramm.) qui ne peut s'altérer ou être altéré. Il n'y a rien dans la nature qui soit inaltérable, le froid, le chaud, l'humidité, la raréfaction, le mouvement, la fermentation, &c. sont des causes d'altération qui agissent sans-cesse.

Inaltérable se dit aussi au figuré ; placez le stoïcien dans la prospérité, placez-le dans la disgrace, sa grande ame demeurera inaltérable.


INAMOSS. m. (Hist. nat. Bot.) fruit qui croît sur un arbre des Indes qui ressemble à nos pruniers & par le fruit & par la fleur.


INANITIONS. f. (Medecine) ce mot exprime dans le langage medecinal populaire, plus encore que dans la vraie langue de l'art, un état de langueur & d'épuisement presque absolu, l'extrême degré de foi blesse. Il est spécialement consacré par l'usage à désigner cette espece de foiblesse, la moins grave de toutes, qui provient du défaut de nourriture accoutumée, soit qu'on en ait pris moins qu'à l'ordinaire dans un ou plusieurs repas précédens ; soit que l'heure accoutumée d'un repas soit simplement retardée. Ce sentiment peut à peine être regardé comme une incommodité. Quant aux états de foiblesse, d'accablemens plus inhérens, plus graves, qui sont des objets vraiment medicinaux, Voy. FORCE, FOIBLESSE, DEBILITE, EPUISEMENT, ENERVATION, EXTENUATION. (b)


INAPPERCEVABLEvoyez APPERCEVABLE.


INAPPÉTENCE(Medecine) voyez DEGOUT.


INAPPLICATIONINAPPLIQUé, voyez APPLICATION.


INAPPRÉTIABLEvoyez APPRETIER.


INARIMÉ(Géog. anc.) c'est un des anciens noms de l'île d'Ischia, située vis-à-vis de Cumes dans le golphe. Voyez ISCHIA.

Les Latins ont ici transporté la fable de Tiphoée que les Grecs avoient placé en Asie, & en ont gratifié cette île, à laquelle ils ont donné ce nom Inarimé, qui ressemble un peu à celui des montagnes de Syrie ou de Cilicie. (D.J.)


INARTICULÉadj. (Gram.) se dit des sons, des syllabes ou des mots qui ne sont pas prononcés distinctement. Voyez ARTICULATION & VENT.


INATTAQUABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être attaqué. Cette ville est inattaquable. Ce titre est inattaquable.


INATTENDUadj. (Gramm.) auquel on ne s'attend point. Une épithete bien choisie tient lieu d'une phrase entiere, & produit une impression vive & inattendue. Il fut d'autant plus sensible à sa disgrace qu'elle fut plus inattendue.


INATTENTIONS. f. (Gramm.) manque d'attention. Voyez ATTENTION.


INAUGURATIONS. f. (Hist. mod.) cérémonie qu'on fait au sacre d'un empereur, d'un roi, d'un prélat, qu'on appelle ainsi à l'imitation des cérémonies que faisoient les Romains quand ils entroient dans le college des augures. Voy. ROI, COURONNE, CONSECRATION, &c.

Ce mot vient du latin inaugurare, qui signifie dédier quelque temple, élever quelqu'un au sacerdoce, ayant pris auparavant les augures. Voyez AUGURES. Dict. de Trévoux.

Ce mot est plus usité en latin qu'en françois, où l'on se sert de ceux de sacre ou de couronnement.


INBABS. f. (Comm.) toiles qu'on vend au Caire. Les grandes inbabs n'ont que 30 piés à la piece, & se vendent cent cinquante médaris.


INCou YNCA, s. m. (Hist. mod.) nom que les naturels du Pérou donnoient à leurs rois & aux princes de leur sang.

La chronique du Pérou rapporte ainsi l'origine des incas. Le Pérou fut long-tems un théatre de toutes sortes de crimes, de guerres, de dissensions & de desordres les plus abominables, jusqu'à ce qu'enfin parurent deux freres, dont l'un se nommoit mango-capac, dont les Indiens racontent de grandes merveilles. Il bâtit la ville de Cusco, il fit des loix & des réglemens, & lui & ses descendans prirent le nom d'inca, qui signifie roi ou grand-seigneur. Ils devinrent si puissans qu'ils se rendirent maîtres de tout le pays qui s'étend depuis Parto jusqu'au Chili, & qui comprend 1300 lieues, & ils le possederent jusqu'aux divisions qui survinrent entre Guascar & Atabalipa ; car les Espagnols en ayant profité, ils se rendirent maîtres de leurs états, & détruisirent l'empire des incas.

On ne compte que douze incas, & l'on assure que les personnes les plus considérables du pays portent encore aujourd'hui ce nom. Mais ce n'est plus qu'un titre honorable sans aucune ombre d'autorité, aussi-bien que celui de cacique.

Quant aux anciens incas qui regnerent avant la conquête des Espagnols, leur nom en langue péruvienne, signifioit proprement & littéralement seigneur ou empereur, & sang-royal. Le roi étoit appellé capac inca, c'est-à-dire seigneur par excellence ; la reine s'appelloit pallas, & les princes simplement incas. Leurs sujets avoient pour eux une extrême vénération, & les regardoient comme les fils du soleil, & les croyoient infaillibles. Si quelqu'un avoit offensé le roi dans la moindre chose, la ville d'où il étoit originaire ou citoyen, étoit démolie ou ruinée. Lorsque les incas voyageoient, chaque chambre où ils avoient couché en route étoit aussi-tôt murée, afin que personne n'y entrât après eux. On en usoit de même à l'égard des lieux où ils mouroient ; on y enfermoit tout l'or, l'argent, & les autres choses précieuses qui s'y trouvoient au moment de la mort du prince, & l'on bâtissoit de nouvelles chambres pour son successeur.

Les femmes & les domestiques du roi défunt étoient aussi sacrifiés dans les funérailles ; on les brûloit en même tems que son corps, & sur le même bûcher. Voyez l'histoire des incas par Garcilasso de la Vega.

INCAS, Pierre des, (Hist. nat.) on nomme ainsi une espece de pyrite martiale, très-dure & susceptible d'un très-beau poli ; son nom lui vient de ce que les incas ou rois du Pérou se servoient, dit-on, au défaut de miroirs, de ces pyrites, quand elles avoient été bien polies ; d'ailleurs on lui attribuoit un grand nombre de vertus. On fait encore aujourd'hui dans l'Amérique espagnole des boutons & des pierres pour les bagues de ces sortes de pyrites, & l'on est dans le préjugé de croire qu'elles changent de couleur, lorsque celui qui la porte est menacé de maladie. Quand elles sont taillées en facettes, elles ressemblent beaucoup à de l'acier poli, excepté qu'elles tirent un peu sur le jaune. Nous avons dans toutes les parties de l'Europe un grand nombre de pyrites qu'on pourroit employer aux mêmes usages, si on le jugeoit à propos.

Les plus belles mines connues de cette pierre sont dans la province de Santafé de Bogota ; on y nomme cette pierre sorotché.


INCAMÉRATIONS. f. (Jurisprud.) c'est l'union de quelque terre, droit ou revenu au domaine du pape. Ce terme paroît venir de ce qu'anciennement on disoit chambre pour exprimer le domaine du prince ; cela étoit ainsi usité en France. V. au mot CHAMBRE. (A)


INCANTATIONS. f. Voyez ENCHANTEMENT.


INCAPABLEadj. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui n'a pas les qualités & dispositions nécessaires pour faire recevoir quelque chose.

Par exemple il y a des personnes incapables des effets civils, comme les aubains & les morts civilement.

Les enfans exhérédés sont incapables de succéder.

Certaines personnes prohibées sont incapables de recevoir des dons & legs.

Les fils de famille sont incapables de s'obliger sans le consentement de leur pere. (A)


INCAPACITÉS. f. (Gram. & Jurisprud.) signifie le défaut de pouvoir.

Il y a incapacité de s'obliger, & de contracter, de disposer entre-vifs, & par testament, de donner à certaines personnes, ou de recevoir d'elles, d'ester en jugement. Voyez CAPACITE, DONATION, ESTER EN JUGEMENT, OBLIGATION. (A)


INCARNADINad. (Gramm.) synonyme d'incarnat. Voyez celui-ci.


INCARNAT(Peinture & Teinture) couleur de chair fraîche & vermeille. L'incarnat des roses. Bouche incarnate.


INCARNATIFIVE, adj. terme de Chirurgie qui se dit des bandages, des sutures & des remedes.

On appelle bandage incarnatif celui qui est capable de procurer la réunion des levres d'une plaie. On donne plus particulierement ce nom à l'espece de bandage qu'on applique pour les plaies en long, & qui se fait avec une bande roulée à deux chefs, & fendu dans le milieu. Voyez Pl. II. fig. 23. On commence l'application de cette bande sur la partie du membre qui est opposée à la plaie. On ramene les deux globes, l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté, jusques sur les bords de la division qu'on se propose de réunir. On passe un des chefs de la bande par l'ouverture susdite, qui doit se trouver précisément sur la plaie ; on tire également les deux chefs en les portant vers la partie opposée, jusqu'à ce que les levres de la plaie soient exactement rapprochées, & l'on finit par des circulaires. Ce bandage est un moyen curatif, & est connu sous le nom d'unissant. Le chirurgien avant de l'appliquer, doit prendre toutes les précautions prescrites par les regles de l'art, pour assurer le succès de la réunion, tels que débarasser l'intérieur de la plaie des corps étrangers, des caillots de sang qui empêcheroient la consolidation. Voyez PLAIE. Ce bandage est particulierement fort utile dans l'opération du bec-de-lievre. Voyez BEC-DE-LIEVRE.

La suture incarnative est celle qui rejoint les levres d'une plaie, & qui les tient unies ensemble. On la fait de plusieurs manieres, dont on parlera au mot SUTURE. Mais il est bon d'avertir que la Chirurgie moderne éclairée par les progrès qu'on a faits dans cette science, va tous les jours avec succès au rabais des opérations ; qu'on a des moyens plus doux, plus efficaces, & moins chargés d'inconvéniens que les sutures, pour la réunion des plaies. On peut voir à ce sujet un excellent mémoire composé par M. Pibrac, & imprimé dans le troisieme volume des Mémoires de l'académie royale de Chirurgie, sur l'abus des sutures.

Les remedes incarnatifs sont, suivant tous les auteurs, des médicamens qui ont la vertu de faire croître la chair dans les ulceres ; on leur a aussi donné le nom de sarcotiques. Quand on examine avec reflexion la nature des médicamens qu'on donne pour incarnatifs, on voit qu'ils n'ont d'autre vertu que celle de déterger & de dessécher. Les auteurs se sont abusés dans l'énumération des indications curatives des ulceres, qu'ils disent être la suppuration, la mondification, l'incarnation, & l'exsiccation. Il n'y a aucun tems de la cure où il soit question de reproduire des chairs, si cette régéneration est un être de raison ; & c'est ce qu'on trouve prouvé dans les livres mêmes qui ont approfondi cette question, quoiqu'on y explique cette prétendue régéneration. La plaie qui résulte d'une amputation, n'offre aucunes indications pour la régéneration des chairs ; il suffit que leur surface desséchée, ou mastiquée avec le sang qui s'y est répandu, soit humectée & nettoyée par la suppuration, & que ces chairs fournissent le peu de séve qui est nécessaire pour la production de la cicatrice. M. Quesnay premier medecin ordinaire du Roi, dont les lumieres & l'expérience garantissent la solidité de sa doctrine, rapporte à ce sujet une observation très-importante. " Il me souvient, dit-il, que dans les premiers tems que je commençois à pratiquer la Chirurgie, je fis l'amputation d'une jambe, & qu'après que la suppuration fut établie, je continuai l'usage du digestif ordinaire ; les chairs devinrent fort molles & fort gonflées, & il survint une suppuration si abondante, que le malade tomba dans une espece d'épuisement & de foiblesse, qui l'auroit peut-être fait mourir, si je n'eusse pas reprimé au plutôt cette grande suppuration. Je me servis, continue M. Quesnay, pour cet effet de charpie seche, ayant reconnu que dans ces plaies il faut dès que la suppuration est établie, avoir immédiatement la cicatrice en vûe ; & qu'aussi-tôt que cette suppuration devient excessive, on doit avoir recours sur le champ à de légers dessicatifs ". Voy. ce que nous avons dit des vûes générales pour la curation des ulceres, au mot DETERSIF.

Si la nature agit sans régéneration de chairs dans la plaie d'une amputation qu'on mene à cicatrice, peut-on supposer un autre mécanisme pour la réunion d'une plaie profonde dans un membre que l'on conserve ? Les parties sont les mêmes dans l'un & dans l'autre cas : la réunion ne doit pas se faire par des lois différentes dans des parties qui ont la même texture, la même organisation, & à l'action desquelles la forme ou la figure de la plaie n'apporte ni ne peut apporter aucun changement essentiel. Nous tâcherons de donner la preuve de cette vérité au mot INCARNATION. (Y)


INCARNATIONS. f. terme de Théologie ; union du verbe divin avec la nature humaine, ou mystere par lequel le verbe éternel s'est fait homme, afin d'opérer notre rédemption. Voyez TRINITE.

Les Indiens reconnoissent une espece de trinité en Dieu, & disent que la seconde personne de cette trinité s'est déja incarnée neuf fois, & s'incarnera encore une dixieme. Ils lui donnent un nom particulier dans chacune de ces incarnations. Voy. Kirc. Chin. illust.

L'ere en usage chez les Chrétiens, suivant laquelle ils comptent leurs années, est celle de l'incarnation, c'est-à-dire de la conception de J. C. dans le sein de la Vierge. Voyez CONCEPTION.

C'est Denys le petit qui a le premier établi cette ere vers le commencement du vj. siecle ; car on avoit suivi jusqu'à lui la maniere de composer les années par l'ere de Dioclétien. Voyez ERE & EPOQUE.

On fit reflexion quelque tems après que l'on ne comptoit point les années des hommes du tems de leur conception, mais de celui de leur naissance, & on retarda d'un an le commencement de cette ere, en gardant du reste le cycle de Denys en son entier.

A Rome on compte les années de l'incarnation, ou de la naissance de J. C. c'est-à-dire du 25 de Décembre ; c'est le Pape Eugene IV. qui le premier en 1431, a daté ses bulles de l'incarnation. En France, en Angleterre, & dans plusieurs autres pays, on compte aussi de l'incarnation, mais les uns la prennent de la naissance, & les autres de la conception de Notre-Sauveur. Les Florentins se fixent au jour de la naissance, & commencent l'année à Noël. Voyez Petav. de Doct. temp. Grandamiens, de die nat. & NATIVITE, ANNEE, CALENDRIER, &c.

INCARNATION, terme de Chirurgie, qui se dit de la régénération des chairs dans les plaies & dans les ulceres. C'est le troisieme état dans lequel ils se trouvent pendant la curation méthodique. Il est précédé de la suppuration & de la mondification ou détersion, & suivi de la dessication qui produit la cicatrice. Voyez DETERSIFS & INCARNATIFS.

Cette doctrine quoique généralement admise, ne paroît pas fondée sur les faits. C'est un principe certain que les vaisseaux sensibles, les nerfs remarquables, & les tendons ne se réparent pas, lorsqu'ils ont souffert une déperdition de substance ; car on ne trouve jamais aucune de ces parties dans le corps des cicatrices. Les fibres charnues, ou la chair qui forme les muscles, ne se réparent point non plus : on peut s'en convaincre par l'examen des cicatrices qui se font aux grandes plaies des muscles ; car non-seulement la substance de ces cicatrices n'est point fibreuse, mais nous voyons que chaque extrémité de muscle se resserre & se rabat à l'endroit de la division ; & que la consolidation étant faite, il reste toujours à l'endroit de la plaie, un enfoncement proportionné à la déperdition de la substance musculeuse. Les cicatrices qu'on voit aux membres qui ont reçu des blessures profondes par des armes à feu, montrent clairement la vérité du principe posé.

Supposons un ulcere large & profond à la partie antérieure de la cuisse, avec déperdition de la substance des muscles, & dans lequel l'os soit découvert. Il restera une fistule, si l'os n'est préalablement recouvert de chairs vives & vermeilles, susceptibles de consolidation semblable à celle qui se fait aux parties molles. Mais si l'ulcere de l'os est mondifié & bien détergé, ainsi que les parois de la solution de continuité des parties molles, la cure se fera promtement, & s'achevera solidement par une bonne cicatrice. On remarque dans le progrès de la cure une dépression des parties molles qui se fera successivement de la circonférence vers le centre. La peau s'enfoncera insensiblement des deux côtés, en s'approchant du centre de la division. Lorsque les tégumens se seront avancés autant qu'il leur aura été possible, relativement à la dépression des parties subjacentes qui forment les parois de la plaie, la cicatrice commencera à se former ; elle s'avancera jusqu'à ce qu'elle soit entierement collée immédiatement à l'os, & se confonde avec lui. S'il y avoit une substance qui reparût & reproduisît la substance détruite, il ne resteroit pas un creux & un vuide proportionné à la déperdition de la substance de la partie ; & la pellicule qui forme la cicatrice ne seroit pas immédiatement adhérente à l'os auquel elle tient lieu de périoste. Dans la plaie qui reste après l'amputation d'une mammelle cancéreuse, si l'on a été obligé pour l'extirpation du mal, de découvrir par une dissection exacte une portion du muscle grand pectoral, & même de l'entamer en quelques points, comme cela arrive quelquefois, la cicatrice sera inutilement adhérente & confondue avec la substance du muscle dans les endroits qui auront été entamés, ou entierement privés du tissu cellulaire. Ces faits ne prouvent pas la réparation de la substance détruite, & ils sont incontestables.

M. Van-Swieten dans ses commentaires sur l'aphorisme 158 de Boerhaave, dit positivement que la matiere vive & vermeille qui remplit la cavité des plaies, & qui en fait l'incarnation, n'est pas de la chair musculeuse, quoiqu'on lui donne le nom de matiere charnue ; que c'est une nouvelle substance qui croît dans les plaies par un travail merveilleux de la nature, mirabili naturae artificio. Il admire la sagesse infinie du créateur dans la prétendue génération de cette substance reproductive ; & en parlant de la consolidation, il n'oublie pas de dire qu'après l'extirpation des tumeurs considérables, telles que sont les mammelles, la cicatrice est enfoncée, immobile, & adhérente aux parties subjacentes. On voit dans l'exposé de l'illustre auteur que je cite, le flambeau de l'expérience qui éclaire une des faces de l'objet, pendant que l'autre reste couverte du voile de la prévention. Il est facile de le lever. Il y a des observations sans nombre qui prouvent la non-régéneration ; je vais en prendre une qui mérite une considération particuliere. Les plaies faites pour l'inoculation de la petite vérole paroissent fermées le troisieme & le quatrieme jour, mais le cinquieme la plaie forme une ligne blanchâtre, environnée d'une petite rougeur. Dès le sixieme jour les plaies s'ouvrent, leurs bords deviennent blancs, durs & élevés, avec une rougeur inflammatoire ou érésipélateuse, plus ou moins étendue dans la circonférence. A mesure que la maladie fait du progrès, les levres de la plaie s'écartent davantage, l'inflammation & la suppuration avancent d'un pas égal avec l'inflammation & la suppuration des pustules ; desorte que ces petites plaies qui n'étoient dans leur origine qu'une ligne sur la peau, semblable à une égratignure, forment ensuite des ulceres pénétrans dans le corps graisseux, & quelquefois larges d'un demi-pouce. Voilà donc une plaie si légere qu'elle en mérite à peine le nom ; une simple égratignure, qui par l'engorgement des parties circonvoisines, se montre sous les apparences d'une plaie large & profonde, qui fournit une suppuration abondante. Pour consolider cette plaie, il ne faut pas que des chairs se régénerent & remplissent le vuide qu'on apperçoit ; l'affaissement des parois, par le dégorgement de la suppuration, rapprochera les levres de cette plaie de son fond ; tout se rétablit dans l'ordre naturel, la légere égratignure se desseche, à peine en reste-t-il un vestige.

Un auteur moderne a admis deux sortes de suppuration dans les plaies ; une suppuration primitive & abondante qui opere le dégagement de la partie, & un affaissement manifeste : il l'a appellée suppuration préparante, pour la distinguer de cette suppuration louable qui n'est plus que l'excrétion du suc nourricier des parties divisées ; il appelle cette suppuration secondaire, suppuration régénérante, parce que c'est quand elle a lieu qu'on croit voir les bourgeons d'une nouvelle chair se développer pour remplir le vuide que l'affaissement seul fait disparoître. Car ce n'est jamais le fond des plaies qui s'éleve au niveau de la surface ; il est manifeste que ce sont les bords qui s'affaissent & se dépriment, & qui continuent de le faire à mesure que la suppuration opere le dégorgement des vaisseaux qui s'ouvrent dans la cavité de la plaie. C'est par l'affaissement & la dépression des solides qu'une légere goutte de suc nourricier consolide les orifices de ces vaisseaux de la circonférence au centre, successivement de proche en proche. Supposons un instant que cet affaissement cesse de continuer, supposons qu'il se fasse une régéneration de chairs, ce seroit le plus grand obstacle à la cicatrisation. Ces chairs en croissant dans le fond de la plaie, feroient bailler son ouverture, & en augmenteroient les dimensions. Jamais l'extension des vaisseaux qu'on donne pour l'agent de la reproduction des chairs, ne menera au resserrement qui est de l'essence de la cicatrice, puisque sans ce resserrement il est de toute impossibilité qu'il se fasse une consolidation. Nous voyons tous les jours que par l'usage indiscret des remedes relachans & huileux dans les plaies, le tissu des chairs s'amollit, & qu'elles deviennent pâles & fongueuses ; il faut les affaisser par des remedes dessicatifs ; on panse avec de la charpie seche, souvent il faut avoir recours à des caustiques tels que la pierre infernale pour donner aux chairs engorgées la consistance nécessaire, & les mettre dans l'état de dépression qui permet la consolidation. Il est certain que la cicatrice n'avancera point si la dépression est interrompue. Que seroit-ce si les chairs augmentoient & se reproduisoient ? Les sujets bien constitués qui sur la fin de la guérison d'une plaie avec déperdition de substance, se livrent à leur appétit, & prennent une nourriture trop abondante, retardent par cette augmentation de sucs nourriciers, la formation de la cicatrice. La plaie se r'ouvre même quelquefois par le gonflement des chairs qui rompt une cicatrice tendre & mal affermie, parce qu'il détruit manifestement l'ouvrage de la dépression.

Il y a des cas où la grande maigreur est un obstacle à la réunion des parties divisées ; ceux qui sont dans cet état doivent être nourris avec des alimens d'une facile digestion, qui refournissent la masse du sang de sucs nourriciers. Mais dans ce cas-là même on doit distinguer le rétablissement de l'embonpoint nécessaire jusqu'à un certain dégré, d'avec la prolongation végétative des vaisseaux qui opéroit la régéneration d'une nouvelle substance. Comme la réunion ne peut jamais se faire que par l'affaissement des parties, c'est une raison pour qu'on n'en doive pas attendre dans les sujets exténués : il faut donc leur donner un degré d'embonpoint qui puisse permettre aux parties le méchanisme sans lequel la réunion n'auroit jamais lieu.

Le fait de pratique qui m'arrête le plus sur l'idée de la régéneration, c'est la réunion d'une plaie à la tête, avec perte de tégumens qui laissent une assez grande portion du crâne à découvert. On voit dans ce cas les chairs qui bourgeonnent de toute la circonférence des tégumens, qui gagnent insensiblement sur une surface convexe qui ne se déprime point. Mais j'ai bien-tôt découvert l'erreur de mes sens. Les bourgeons charnus ne croissent pas sur la surface de l'os ; c'est l'exfoliation de sa lame extérieure, si mince qu'on voudra la supposer, qui découvre la substance vasculeuse par laquelle l'os est organisé & au nombre des parties vivantes. Ce réseau se tuméfie un peu parce qu'il n'est plus contenu par la lame osseusse dont il étoit recouvert avant l'exfoliation de cette lame. Cette tuméfaction est légere & superficielle, & n'est qu'accidentelle & passagere ; car la cicatrice qui se forme de la circonférence au centre, ne se fait réellement que par l'affaissement & la conglutination successive de ces bourgeons vasculeux tuméfiés. S'ils ne s'affaissoient point, la cicatrice n'avanceroit pas : il est certain qu'ils se dépriment, & que la cicatrice bien faite est toujours plus basse que le niveau des chairs. La cicatrice dans le cas posé, recouvre l'os immédiatement, & y a de très-fortes adhérences, sans aucune partie intermédiaire ; cela ne peut être autrement, puisque cette cicatrice n'est elle-même que l'obturation des vaisseaux découverts par l'exfoliation, & dont les extrémités qui produisoient le pus, sont fermés par une goutte de suc nourricier épaissi. En déposant toute préoccupation, & en consultant les faits avec une raison éclairée, on connoîtra bien-tôt que dans la réunion des plaies, l'idée de leur incarnation n'est pas soutenable. (Y)


INCASSAN(Géog.) petite contrée d'Afrique sur la côte d'or ; les Brandebourgeois y ont formé quelques habitations, mais qui ne seront pas vraisemblablement de durée. (D.J.)


INCATENATI(Hist. littéraire) nom d'une société littéraire établie à Vérone en Italie, qui avoit pour objet l'avancement des sciences & des connoissances humaines ; ce nom pourroit convenir à presque toutes les sociétés de gens de lettres, à qui on cherche toujours à donner des entraves, comme si on craignoit que les lumieres ne devinssent trop communes. Quoi qu'il en soit, cette société ne subsista à Vérone que jusqu'en 1543 ; elle fut alors réunie à celle des Philarmonici.


INCENDIAIRES. m. (Gram.) scélérat qui met le feu aux édifices des particuliers. L'incendiaire est puni des plus rigoureux supplices.


INCENDIES. m. (Gram.) grand feu allumé par méchanceté ou par accident. Les villes bâties en bois sont sujettes à des incendies. Les fermes isolées dans les campagnes, sont quelquefois incendiées par des malfaiteurs. On a des seaux & des pompes publics qu'on emploie dans les incendies.

Il se prend aussi au figuré. Il ne faut quelquefois qu'un mot indiscret pour allumer un incendie dans une ame innocente & paisible. Le Dante a renfermé les héresiarques dans des tombeaux, d'où l'on voit la flamme s'échapper de toutes parts, & porter au loin l'incendie. Cette image est belle.

INCENDIES, (caisse des) Hist. mod. Dans plusieurs provinces d'Allemagne on a imaginé depuis quelques années un moyen d'empêcher ou de réparer une grande partie du dommage que les incendies pouvoient causer aux particuliers qui ne sont que trop souvent ruinés de fond en comble par ces fâcheux accidens. Pour cet effet, dans chaque ville la plûpart des citoyens forment une espece d'association autorisée & protégée par le souverain, en vertu de laquelle les associés se garantissent mutuellement leurs maisons, & s'engagent de les rebâtir à frais communs lorsqu'elles ont été consumées par le feu. La maison de chaque propriétaire est estimée à sa juste valeur par des experts préposés pour cela ; la valeur est portée sur un registre qui demeure déposé à l'hôtel-de-ville, où l'on expédie au propriétaire qui est entré dans l'association, un certificat dans lequel on marque le prix auquel sa maison a été évaluée ; alors le propriétaire est engagé à payer en cas d'accident une somme proportionnée à l'estimation de sa maison, ce qui forme un fonds destiné à dédommager celui dont la maison vient à être brûlée.

Dans quelques pays chaque maison après avoir été estimée & portée sur le registre, paye annuellement une somme marquée, dont on forme le capital qui doit servir au dédommagement des particuliers ; mais on regarde cette méthode comme plus sujette à des inconvéniens que la précédente ; en effet elle peut rendre les citoyens moins vigilans par la certitude d'être dédommagés, & la modicité de ce qu'ils payent annuellement peut tenter ceux qui sont de mauvaise foi, à mettre eux-mêmes le feu à leurs maisons, au lieu que de la premiere maniere chacun concourt proportionnellement à dédommager celui qui perd sa maison.

L'usage d'assurer ses maisons contre les incendies subsiste aussi en Angleterre ; on peut aussi y faire assurer ses meubles & effets ; on a pris dans ces chambres d'assurances des précautions très-sûres pour prévenir les abus, la mauvaise foi des propriétaires, & le incendies.


INCÉRATIONS. f. (Pharmacie) réduction de quelque substance seche, par un mélange insensible d'un liquide approprié, jusqu'à ce que le tout forme la consistance d'une cire molle. (D.J.)


INCERTAINadj. (Gram.) Voyez INCERTITUDE.

INCERTAIN, (Maréchallerie) se dit des chevaux qui ne sont pas fermes dans le manége dont on les recherche, ou qui ne le savent pas bien encore. On dit ce cheval est incertain, inquiet & turbulent ; il faut le confirmer dans tel & tel manége. Voyez CONFIRMER.


INCERTITUDES. f. (Métaphysique) état d'indécision de l'ame, lorsque les sensations, les perceptions, font sur elle des impressions égales, ou à-peu-près égales. Cet état dure jusqu'à ce que de nouvelles sensations ou perceptions liées avec les dernieres qui nous étoient présentes, viennent rompre l'équilibre, nous entraîner, & nous décider tantôt bien, tantôt mal, mais d'ordinaire assez promtement (D.J.)


INCESSIBLEadj. (Gramm. & Jurisprud.) se dit de ce qui ne peut être cédé ou transporté par une personne à une autre. Par exemple, le droit de retrait lignager est incessible. (A)


INCESSIONS. f. terme de Médecine, espece de demi-bain ordinairement préparé avec la décoction de différentes plantes propres pour les extrémités inférieures : dans l'incession le malade s'assied jusqu'au nombril. Voyez BAIN.

Ses usages sont d'appaiser les douleurs, d'amollir les parties, de chasser les vents, & d'exciter les regles.


INCESTES. f. (Théolog.) conjonction illicite entre des personnes qui sont parentes jusqu'aux dégrés prohibés par les loix de Dieu ou de l'Eglise.

L'inceste se prend plutôt pour le crime qui se commet par cette conjonction, que pour la conjonction même, laquelle dans certains tems & dans certains cas, n'a pas été considérée comme criminelle : car au commencement du monde, & encore assez longtems depuis le déluge, les mariages entre freres & soeurs, entre tante & neveu, & entre cousins-germains, ont été permis. Les fils d'Adam & d'Eve n'ont pû se marier autrement, non plus que les fils & filles de Noé, jusqu'à un certain tems. Du tems d'Abraham & d'Isaac, ces mariages se permettoient encore ; & les Perses se les sont permis bien plus tard, puisqu'on dit que ces alliances se pratiquent encore à-présent chez les restes des anciens Perses. Voyez GAURES ou GUEBRES.

Quelques auteurs pensent que les mariages entre freres & soeurs & autres proches parens ont été permis, ou du moins tolérés jusqu'au tems de la loi de Moyse ; que ce législateur est le premier qui les ait défendus aux Hébreux. D'autres tiennent le contraire ; & il est mal aisé de prouver ni l'un ni l'autre sentiment, faute de monumens historiques de ces anciens tems.

Les mariages défendus par la loi de Moyse, sont 1°. entre le fils & sa mere, ou entre le pere & sa fille, & entre le fils & la belle-mere. 2°. Entre les freres & soeurs, soit qu'ils soient freres de pere & de mere, ou de l'un & de l'autre seulement. 3°. Entre l'ayeul ou l'ayeule, & leur petit-fils ou leur petite-fille. 4°. Entre la fille de la femme du pere & le fils du même pere. 5°. Entre la tante & le neveu ; mais les rabbins prétendent qu'il étoit permis à l'oncle d'épouser sa niece. 6°. Entre le beau-pere & la belle-mere. 7°. Entre le beau-frere & la belle-soeur : cependant il y avoit à cette loi une exception, savoir, que lorsqu'un homme étoit mort sans enfans, son frere étoit obligé d'épouser la veuve pour lui susciter des héritiers. 8°. Il étoit défendu au même homme d'épouser la mere & la fille, ni la fille du fils de sa propre femme, ni la fille de sa fille, ni la soeur de sa femme, comme avoit fait Jacob en épousant Rachel & Lea.

Tous ces degrés de parenté dans lesquels il n'étoit pas permis de contracter mariage, sont exprimés dans ces quatre vers :

Nata, soror, neptis, matertera, fratris & uxor

Et patrui conjux, mater, privigna, noverca,

Uxorisque soror, privigni nata, nurusque

Atque soror patris, conjungi lege vetantur.

Moyse défend tous ces mariages incestueux sous la peine du retranchement. Quiconque, dit-il, aura commis quelqu'une de ces abominations, périra au milieu de son peuple, c'est-à-dire, sera mis à mort. La plûpart des peuples policés ont regardé les incestes comme des crimes abominables ; quelques-uns les ont punis du dernier supplice. Il n'y a que des barbares qui les ayent permis. Calmet, dict. de la bible, tom. II. p. 368 & 369.

Parmi les Chrétiens, non-seulement la parenté, mais encore l'alliance forme un empêchement dirimant du mariage, de même que la parenté. Un homme ne peut sans dispense de l'Eglise contracter de mariage après la mort de sa femme avec aucune des parentes de sa femme au quatrieme degré, ni la femme après la mort de son mari, avec ceux qui sont parens de son mari au quatrieme degré. Voyez EMPECHEMENT.

On appelle inceste spirituel le crime que commet un homme avec une religieuse, ou un confesseur avec sa pénitente. On donne encore le même nom à la conjonction entre personnes qui ont contracté quelqu'alliance ou affinité spirituelle. Cette affinité se contracte entre la personne baptisée & le parrain & la marraine qui l'ont tenue sur les fonts, de même qu'entre le parrain & la mere, la marraine & le pere de l'enfant baptisé, entre la personne qui baptise & l'enfant baptisé, & le pere & la mere du baptisé. Cette alliance spirituelle rend nul le mariage qui auroit été célébré sans dispense, & donne lieu à une sorte d'inceste spirituel, qui n'est pourtant pas prohibé par les loix civiles, ni punissable comme l'inceste spirituel avec une religieuse, ou celui d'un confesseur avec sa pénitente.

INCESTUEUX, adj. (Gramm. & Jurisp.) se dit de ce qui provient d'un inceste. On appelle commerce incestueux le crime d'inceste. Voyez INCESTE. Un mariage incestueux est celui qui est contracté entre personnes parentes en un degré prohibé, sans en avoir obtenu dispense.

Un batard incestueux est celui qui est né de deux personnes parentes ou alliées en un degré assez proche pour ne pouvoir contracter mariage ensemble sans dispense.

Ces sortes de batards ne peuvent être légitimés par le mariage subséquent de leurs pere & mere, quand même ceux-ci obtiendroient dispense pour se marier ensemble. (A)

INCESTUEUX, adj. pris subst. (Hist. ecclés.) nom de secte qui s'éleva en Italie vers l'an 1063.

L'hérésie des incestueux commença à Ravenne. Les savans de la ville consultés par les Florentins sur les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage, leur répondirent que la septieme génération marquée par les canons devoit se prendre des deux côtés joints ensemble, ensorte qu'on comptât quatre générations d'un côté & trois de l'autre.

Ils prouvoient cette opinion par un endroit de Justinien, où il dit " qu'on peut épouser la petite-fille de son frere ou de sa soeur, quoiqu'elle soit au quatrieme degré " : d'où ils concluoient, si la petite fille de mon frere est à mon égard au quatrieme degré, elle est au cinquieme pour mon fils, au sixieme pour mon petit-fils, & au septieme pour mon arriere petit-fils.

Pierre Damien écrivit contre cette opinion, & Alexandre II. la condamna dans un concile tenu à Rome. Dict. de Trévoux.


INCHS. m. (Mesure) nom d'une mesure applicative, dont on se sert en Angleterre ; c'est proprement ce qu'on appelle pouce en France ; mais avec quelque différence ; car si l'on suppose le pié divisé en mille parties, le pié anglois étant mille, le pié royal de Paris sera 1068, 11 pouces, 8 lignes. Le grain d'orge est au-dessous de l'inch, & est la plus petite de ces sortes de mesures angloises ; il faut trois grains d'orge pour un inch ; quatre inchs font la poignée ; trois poignées le pié ; un pié & demi fait la coudée ; deux coudées font un yard ou verge, & un yard & un quart fait une aune de France, ou pour parler exactement, la verge angloise fait sept neuviemes de l'aune de Paris ; desorte que neuf yards font sept aunes de Paris. (D.J.)


INCHOATIFadj. (Gram.) Priscien, & après lui la foule des Grammairiens, ont désigné par cette dénomination, les verbes caractérisés par la terminaison sco ou scor, ajoutée à quelque radical significatif par lui-même. Tels sont les verbes,

Au reste cette dénomination pourroit avoir été adoptée bien légerement, & il ne paroît pas que dans l'usage de la langue latine, les bons écrivains aient supposé dans cette sorte de verbe, l'idée accessoire d'inchoation ou de commencement, que leur nom y semble indiquer. Le style des commentaires de César devoit avoir & a en effet de l'élégance, de la pureté & de la justesse ; celui de Caton (de R. R.) doit encore avoir plus de précision, parce qu'il est purement didactique ; cependant ces deux auteurs ayant besoin de marquer le commencement de l'événement désigné par des verbes prétendus inchoatifs, se sont servis l'un & l'autre du verbe incipio : cùm MATURESCERE frumenta inciperent, Caes. Et ubi primum incipiunt HISCERE, legi oportet, Cat. Cicéron qui savoit louer avec tant d'art, & qui connoissoit si bien les différences délicates des mots les plus aisés à confondre, dit à César (pro Marcel.) en faisant l'éloge de sa justice & de sa douceur, at verò haec tua justitia & lenitas FLORESCIT quotidie magis : peut-on penser qu'il ait voulu lui dire que tous les jours il cessoit d'avoir de la justice & de la douceur pour recommencer chaque jour à en montrer davantage ? En ce cas, c'étoit une satyre sanglante plutôt qu'un éloge ; & dans Cicéron, une absurdité plutôt qu'un effet de l'art.

C'est donc sur d'autres titres, que sur la foi du nom d'inchoatif, qu'il est nécessaire d'établir le caractere différentiel de cette sorte de verbe. Consultons les meilleurs écrivains. On lit dans Virgile, Georg. III. 504.

Sin in processu coepit CRUDESCERE morbus,

Sur quoi Servius fait cette remarque, crudescere, validior fieri, ut dejectâ CRUDESCIT pugna camillâ : & lorsqu'il en est à ce vers de l'Eneïde, XI. 833. il l'explique ainsi, crudescit, crudelior fit caede multorum ; ce qui peut se justifier par l'autorité même de Virgile, qui avoit dit ailleurs dans le même sens, magis effuso CRUDESCUNT sanguine pugnae. Aen. VII. 788.

Au douzieme livre de l'Eneïde (45.), Virgile s'exprime ainsi :

Haud quaquam dictis violentis Turni

Flectitur ; exsuperat magis, AEGRESCIT que medendo.

Et voici le commentaire du même Servius : undè magna ejus aegritudo crescebat, unde se ei Latinus remedium sperabat afferre.

Il est donc évident que crudescere exprime l'augmentation graduelle de la cruauté, & aegrescere l'augmentation graduelle de la douleur : & c'étoit apparemment d'après de pareilles observations que L. Valle (Elegant. lib. I.) vouloit que l'on donnât aux verbes de cette espece le nom d'augmentatifs. Mais ce terme est déja employé dans la Grammaire greque & dans la Grammaire italienne, pour désigner des noms qui ajoutent à l'idée individuelle de leur primitif, l'idée accessoire d'un degré extraordinaire, mais fixe d'augmentation. D'ailleurs ne paroîtroit-il pas choquant d'appeller augmentatifs les verbes deflorescere, decrescere, defervescere, &c. qui expriment à la vérité une progression graduelle, mais de diminution plutôt que d'augmentation ? Ce n'est que cette progression graduelle qui caractérise en effet les verbes dont il s'agit, & c'étoit d'après cette idée spécifique qu'il falloit les nommer progressifs.

Ces verbes ont tous la signification passive ; & c'est pour cela que Servius les explique tous par le verbe passif fieri ; il y ajoute un comparatif pour désigner la gradation caractéristique : CRUDESCERE, validior fieri ; & de même AUGESCERE, fieri major ; CALESCERE, fieri calidior ; MITESCERE, fieri mitior ; LAPIDESCERE, fieri ad lapidis naturam propior ; DEFERVESCERE, minùs fervidus fieri, &c.

Nous avons aussi en françois des verbes progressifs, ou si l'on veut, des verbes inchoatifs, qui sont pour la plûpart terminés en ir, comme blanchir, jaunir, vieillir, grandir, rajeunir, fleurir, &c. (B. E. R. M.)


INCIDEMMENTadv. (Gram. & Jurisp.) se dit de ce qui vient à l'occasion de quelque chose, par exemple le défendeur qui est assigné pour le payement d'une somme, & qui prétend que le demandeur lui doit aussi quelque chose, se constitue incidemment demandeur à l'effet d'en être payé.

Lorsque dans une contestation on produit comme titre une sentence, & que celui auquel on l'oppose pour faire cesser l'induction que l'on en tire contre lui en interjette appel, c'est appeller incidemment de cette sentence. Voyez INCIDENT. (A)


INCIDENCES. f. en Méchanique exprime la direction suivant laquelle un corps en frappe un autre.

On appelle ordinairement en Optique, angle d'incidence l'angle compris entre un rayon incident sur un plan, & la perpendiculaire tirée sur le plan au point d'incidence.

Par exemple, si l'on suppose que A B (Pl. optiq. fig. 26.) soit un rayon incident qui parte du point rayonnant A & tombe sur le point d'incidence B, & H B une perpendiculaire sur D E au point d'incidence, l'angle A B H compris entre A B & H B sera l'angle d'incidence.

Quelques auteurs appellent angle d'incidence le complément de ce dernier angle ; ainsi supposant que A B soit un rayon incident, & H B une perpendiculaire, comme ci-devant ; l'angle A B D compris entre le rayon & le plan réfléchissant ou rompant D E est appellé par ces auteurs l'angle d'incidence ; mais la premiere dénomination est la plus usitée, sur-tout dans la Dioptrique.

Il est démontré en Optique 1°. que l'angle d'incidence A B H (Fig. 26.) est toujours égal à l'angle de réflexion H B C, ou l'angle A B D à l'angle C B E. Voyez REFLEXION.

2°. Que les sinus des angles d'incidence & de réfraction sont toujours l'un à l'autre en raison constante.

3°. Que dans le passage des rayons de l'air dans le verre, le sinus de l'angle d'incidence est au sinus de l'angle de réfraction comme 300 à 193, ou à peu-près comme 14 à 9 ; au contraire, que du verre dans l'air, le sinus de l'angle d'incidence est à celui de l'angle de réfraction comme 195 à 300, ou comme 9 à 14.

Il est vrai que M. Newton ayant démontré que les rayons de lumiere ne sont pas tous également réfrangibles, on ne peut fixer au juste le rapport qu'il y a entre les sinus des angles de réfraction & d'incidence ; mais on a indiqué ci-dessus la proportion la plus approchante, c'est-à-dire celle qui convient aux rayons de refrangibilité moyenne. Voyez LUMIERE, COULEUR, REFRANGIBILITE.

Cathere d'incidence. Voy. CATHERE & REFLEXION.

Ligne d'incidence dans la Catoptrique, est une ligne droite, comme A B (Pl. optiq. fig. 26.), par laquelle la lumiere vient du point rayonnant A au point B de la surface d'un miroir. On l'appelle aussi rayon incident. Voyez RAYON.

Ligne d'incidence dans la Dioptrique est une ligne droite, comme A B (fig. 56.), par laquelle la lumiere vient sans réfraction dans le même milieu du point rayonnant à la surface du corps rompant H K L I.

Point d'incidence est le point B sur lequel tombe le rayon A B. fig. 26.

Axe d'incidence est le perpendiculaire B H tiré du point d'incidence B sur la surface réfléchissante ou rompante. Chambers. (O)


INCIDENTadj. (Physiq. & Optiq.) on appelle rayon incident les rayons de lumiere qui tombent sur une surface. Voyez INCIDENCE. (O)

INCIDENT, s. m. (Gramm.) événement, circonstance particuliere. Incident dans un poëme est un épisode, ou action particuliere liée à l'action principale, ou qui en est dépendante. Voyez ACTION & EPISODE.

Une bonne comédie est pleine d'agréables incidens, qui divertissent les spectateurs, & qui en forment l'intrigue. Le poëte doit faire choix des incidens susceptibles des ornemens convenables au caractere de son poëme. La variété d'incidens bien amenés & bien menagés, fait la beauté du poëme héroïque, qui doit toujours embrasser une certaine quantité d'incidens pour suspendre le dénouement, qui sans cela iroit trop vîte. Voyez EPIQUE. Dict. de Trévoux.

INCIDENT, (Jurisprud.) est une contestation accessoire survenue à l'occasion de la contestation principale : par exemple, sur une demande en payement du contenu en un billet, si l'on fait difficulté de reconnoître l'écriture ou la signature, c'est un incident qu'il faut juger préalablement ; de même si celui qui est assigné demande son renvoi, ou propose quelque exception dilatoire, ce sont autant d'incidens.

Toute requête contenant nouvelle demande relative à la contestation principale, & formée après que l'instance est liée, est une demande incidente.

Si la nouvelle demande a un objet indépendant de la premiere contestation, alors on ne la regarde plus comme incidente, mais comme une demande principale qui doit être formée à domicile, & instruite séparément de la premiere.

Les incidens ou demandes incidentes sont de deux sortes ; les uns sont des préalables sur lesquels il faut d'abord statuer, comme les renvois & déclinatoires : les exceptions dilatoires, les communications de pieces, & les autres sont des accessoires de la demande principale, & se jugent en même tems. Voyez DEMANDE, JONCTION, DISJONCTION. (A)


INCIDENTEadj. (Grammaire) on distingue en Grammaire la proposition principale & la proposition incidente. La proposition incidente est toujours partielle à l'égard de la principale ; & l'on peut dire que c'est une proposition particuliere liée à un mot dont elle est un supplément explicatif ou déterminatif.

Par exemple, quand on dit, les savans, qui sont plus instruits que le commun des hommes, devroient aussi les surpasser en sagesse, c'est une proposition totale ; qui sont plus instruits que le commun des hommes, c'est une proposition partielle liée au mot savans, dont elle est un supplément explicatif, parce qu'elle sert à en développer l'idée, pour y trouver un motif qui justifie l'énoncé de la proposition principale, les savans devroient surpasser les autres hommes en sagesse ; la proposition partielle, qui sont plus instruits que le commun des hommes, est donc une proposition incidente.

Pareillement quand on dit, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, c'est une proposition totale ; qui vient de la vertu, c'est une proposition partielle liée au mot gloire ; mais elle en est un supplément déterminatif, parce qu'elle sert à restreindre la signification trop générale du mot gloire, par l'idée de la cause particuliere qui la procure, savoir la vertu ; ainsi la proposition partielle qui vient de la vertu, est une proposition incidente.

Il y a donc deux sortes de propositions incidentes, la premiere est explicative, & elle sert à développer la compréhension de l'idée du mot auquel elle est liée, pour en faire sortir pour ou contre la proposition principale, une preuve, si elle est spéculative, ou un motif, si elle est pratique ; la seconde est déterminative, & elle ajoûte à l'idée du mot auquel elle est liée, une idée particuliere qui la restraint à une étendue moins générale.

Lorsque la proposition incidente est explicative, on peut la retrancher de la principale sans en altérer le sens, parce que laissant dans toute l'étendue de sa valeur le mot sur lequel elle tombe, elle peut en être séparée sans qu'il cesse d'exprimer la même idée. Mais si la proposition incidente est déterminative, on ne peut la retrancher de la principale sans en altérer le sens, parce que restraignant l'étendue de la valeur du mot auquel elle est liée, elle ne peut en être séparée, sans qu'il recouvre sa premiere généralité par la suppression de l'idée particuliere exprimée dans la proposition incidente. Ainsi dans le premier exemple, les savans, qui sont plus instruits que le commun des hommes, devroient aussi les surpasser en sagesse ; si l'on supprime la proposition incidente, la principale conservera toujours le même sens dans toute son intégrité, parce qu'elle aura toujours le même sujet & le même attribut, les savans devroient surpasser en sagesse le commun des hommes. Mais dans le second exemple, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel ; si l'on supprime la proposition incidente, l'intégrité de la principale est altérée au point que ce n'est plus la même, parce que ce n'est plus le même sujet ; la gloire a un éclat immortel, il s'agit ici de la gloire en général, d'une gloire quelconque, ayant une cause quelconque, de maniere qu'il en résulte une proposition fausse, au lieu de la premiere qui est vraie.

Quand la proposition incidente est explicative, elle est toujours liée au mot sur lequel elle tombe, par l'un des mots conjonctifs, qui, que, dont, lequel, &c. Le mot expliqué par la proposition incidente est appellé l'antécédent du pronom conjonctif & de la proposition incidente même, & c'est toujours un nom ou l'équivalent d'un nom. Dans ce cas, on peut, sans altérer la vérité, substituer l'antécédent au pronom conjonctif, pour transformer la proposition incidente en principale, en soumettant l'antécédent à la même syntaxe que le pronom conjonctif. Ainsi lorsqu'on a la proposition totale, les savans, qui sont plus instruits que le commun des hommes, &c. on peut dire, les savans sont plus instruits que le commun des hommes ; & cette proposition devenue principale, a encore la même vérité que quand elle étoit incidente. Ce seroit la même chose de ces autres propositions incidentes : l'homme que Dieu a doué de raison, la providence par qui tout est gouverné, la religion chrétienne dont les preuves sont invincibles : après la substitution de l'antécédent à la place du pronom conjonctif selon la même syntaxe, on aura autant de propositions principales également vraies ; Dieu a doué l'homme de raison, tout est gouverné par la providence, les preuves de la religion chrétienne sont invincibles.

Mais quand la proposition incidente est déterminative, quoiqu'elle soit amenée par l'un des pronoms conjonctifs qui, que, dont, lequel, &c. on ne peut pas la rendre principale, en substituant l'antécédent au pronom conjonctif, sans en altérer la vérité. Ainsi dans la proposition totale, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, on ne peut pas dire la gloire vient de la vertu, parce que ce seroit affirmer que toute gloire en général a sa source dans la vertu, ce que ne disoit point la proposition incidente, & qui est faux en soi. Voyez la Logique de P. R. Part. I. ch. viij. & Part. II. ch. v. & vj.

M. du Marsais définit la proposition incidente, celle qui se trouve entre le sujet personnel & l'attribut d'une autre proposition qu'on appelle proposition principale (voyez CONSTRUCTION) ; & il ajoûte que le mot incidente vient du latin incidere (tomber dans), parce que la proposition incidente tombe en effet entre le sujet & l'attribut de la proposition principale. La définition & l'étymologie du mot incidente sont également erronées.

Le mot latin incidere signifie autant tomber sur que tomber dans ; & c'est assurément dans ce premier sens que l'on a donné le nom d'incidente à une proposition partielle, liée à un mot dont elle développe la compréhension, ou dont elle restraint l'étendue : toute proposition incidente tombe sur l'antécédent ; elle est amenée pour lui dans la proposition principale ; & c'est par rapport à lui qu'elle doit prendre un nom qui caractérise sa destination : pourquoi seroit-elle nommée relativement à la proposition principale, puisque quand elle est simplement explicative, elle n'apporte absolument aucun changement au sens de la principale ?

Pour ce qui regarde l'assertion de M. du Marsais, qui prétend que la proposition incidente se trouve entre le sujet personnel & l'attribut de la proposition principale ; il me semble que c'est une opinion bien surprenante dans ce grammairien philosophe, pour quiconque a lû ce qu'on a cité ci-dessus de la Logique de P. R. Il y est dit, & la chose est évidente, qu'une proposition incidente peut tomber ou sur le sujet de la proposition principale, ou sur l'attribut, ou sur l'un & l'autre. La gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, proposition dont le sujet est modifié par une incidente. César fut le tyran d'une république dont il devoit être le défenseur, proposition dont l'attribut renferme une incidente. Les grands qui oppriment les foibles seront punis de Dieu, qui est le protecteur des opprimés, proposition qui renferme deux incidentes, l'une qui tombe sur le sujet, & l'autre qui modifie l'attribut. Ce n'est donc pas au sujet seul de la principale qu'il faut rapporter l'incidente ; c'est à tout mot dont on veut développer la compréhension ou restraindre l'étendue.

J'ajoûterai encore une remarque : c'est que les pronoms conjonctifs qui, que, dont, lequel, &c. ne sont pas, comme on le pense ordinairement, les seuls mots qui servent à lier les propositions incidentes déterminatives à leurs antécédens. Dans cette phrase, par exemple, l'état présent des Juifs prouve que notre religion est divine ; il y a une proposition incidente, savoir notre religion est divine ; elle est liée à son antécédent sous-entendu une vérité, par la conjonction que équivalente à qui est ; & c'est comme si l'on disoit, l'état présent des Juifs prouve une vérité, qui est notre religion est divine. Cette maniere d'analyser explique aussi naturellement la phrase italienne, l'allemande & l'angloise : je crois que j'aime, c'est-à-dire, je crois une chose qui est j'aime : en italien : credo che amo, c'est-à-dire credo cosa che è amo ; en allemand, ich glaube dass ich liebe, c'est-à-dire ich glaube eine dinge dass ist ich liebe ; en anglois, i think that i love, c'est-à-dire i think a thing that is i love. Les Anglois vont même plus loin, ils suppriment tout ce qui n'est pas la proposition incidente, qu'ils envisagent alors comme un seul mot complément du premier verbe ; i think i love, comme si l'on disoit en allemand ich glaube ich liebe, en italien credo amo, & en françois je crois j'aime.

L'incrédulité est si injuste qu'elle condamne la religion sans la connoître, c'est-à-dire l'incrédulité est injuste à un point qui est elle condamne la religion sans la connoître : la proposition incidente déterminative, elle condamne la religion sans la connoître, est donc liée par la conjonction que à l'antécédent vague un point renfermé dans l'adverbe si : tout adverbe équivaut comme on sait, à une proposition avec son complément, si (tellement, à un point).

Personne ne sait si le lendemain lui sera donné, c'est-à-dire personne ne sait cette chose incertaine, qui est si le lendemain lui sera donné. Le génie du latin confirme ce tour analytique ; on s'y sert du même mot an pour le doute & pour l'interrogation, & cet usage est très-raisonnable.

Ajoûtons un exemple latin : Pausanias ut audivit Argilium confugisse in aram, perturbatus eò venit (Nep. Pausan. IV.) ; il y a de sous-entendu statim (in tempore stante, adstante, praesente, dans l'instant même) ; quel instant ? ut Pausanias audivit, &c. ainsi Pausanias audivit Argilium confugisse in aram est une proposition incidente déterminative de l'antécédent sousentendu statim, dont la signification est en soi indéterminée.

On ne doit donc pas avancer généralement & sans restriction, comme a fait l'auteur de la Logique ou l'art de penser, que les propositions incidentes sont celles dont le sujet est qui. Outre que l'on vient de voir qu'une simple conjonction est souvent le lien de la proposition incidente avec son antécédent, il est certain encore que le pronom conjonctif n'est pas toujours sujet de l'incidente : il est quelquefois le déterminatif d'un nom qui est une partie quelconque de l'incidente : les écrivains dont la foi est suspecte, les juges dont on achete les suffrages, les philosophes selon l'opinion desquels l'ame est immortelle, &c. Quelquefois il est le complément du verbe ou d'une préposition ; la justice que vous violez, les moyens par lesquels vous vous soûtenez, &c.

Quoi qu'il en soit, il est essentiel d'observer 1°. que la proposition incidente, soit explicative, soit déterminative, forme avec son antécédent un tout, qui est une partie logique de la proposition principale ; l'antécédent en est la partie grammaticale correspondante. La religion que nous professons est divine ; dans cette phrase la religion est le sujet grammatical de la proposition principale, & prendroit en latin la terminaison du nominatif pour caractériser cette fonction que la grammaire lui assigne ; la religion que nous professons est le sujet logique, parce que c'est l'expression totale de l'idée unique dont la proposition principale énonce un jugement, assure qu'elle est divine : la Grammaire n'envisage comme sujet que le mot religion, pour le revêtir de la livrée relative à cette destination ; la raison, , sans compter les mots, envisage une idée totale. Il faut que je cede ; il (illud, illud negotium, cela, cette chose), sujet grammatical de faut ; il que je cede, sujet logique ; il que je cede faut (est nécessaire), proposition totale. Ce que l'on vient de voir de la proposition incidente qui tombe sur le sujet, est encore le même quand elle tombe sur le complément d'une préposition ou d'un verbe, ou sur le complément déterminatif d'un nom appellatif.

2°. Il faut reconnoître dans toute proposition incidente les mêmes parties essentielles que dans la principale, le sujet, l'attribut, les divers complémens, &c. Par exemple, César fut le tyran d'une république dont il devoit être le défenseur, c'est une proposition totale & principale ; dont il devoit être le défenseur, est incidente ; il (César) sujet de l'incidente ; devoit, verbe qui renferme l'attribut grammatical devant (étoit devant) ; devant être le défenseur dont ou de laquelle, attribut logique ; dont (de laquelle), complément déterminatif du nom appellatif le défenseur : telles sont les parties de la proposition incidente, déterminative de l'antécédent d'une république. Dans la proposition principale, d'une république est le complément déterminatif grammatical du nom appellatif le tyran ; d'une république dont il devoit être le défenseur, en est le complément déterminatif logique ; le tyran, attribut grammatical de la proposition principale ; le tyran d'une république dont il devoit être le défenseur, attribut logique : César est le sujet de la proposition totale.

3°. Le mot conjonctif qui sert à lier la proposition incidente à son antécédent, doit toûjours être à la tête de la proposition incidente, & immédiatement après l'antécédent, soit grammatical, soit logique, sans cela le rapport de liaison ne seroit pas assez sensible, & l'énonciation en seroit moins claire. Cependant dans notre langue même, dont la marche est analogue à l'ordre analytique, le pronom conjonctif peut être après une préposition dont il est complément, les amis sur qui vous comptez, ou même après le complément grammatical d'une préposition, s'il est déterminatif de ce complément, les amis sur le secours desquels vous comptez.

4°. En consequence de la distinction des incidentes en explicatives & déterminatives, M. l'abbé Girard (Vrais principes, disc. xvj.) établit une regle de ponctuation qui me paroît très-raisonnable ; c'est de mettre entre deux virgules la proposition incidente explicative, & de mettre de suite sans virgule la déterminative. En effet, l'explicative est une espece de remarque interjective mise en parenthese, que l'on peut ajoûter ou retrancher à la proposition principale sans en altérer le sens ; elle n'a donc pas avec l'antécédent une liaison logique bien nécessaire : mais la déterminative est une partie essentielle du tout logique qu'elle constitue avec son antécédent ; si on la retranche, on change le sens de la principale au point d'en altérer la vérité ; ainsi il ne faut pas même la séparer de l'antécédent par une virgule, qui indiqueroit faussement la séparabilité des deux idées. Il faut écrire avec la virgule, il est rare que le mérite seul perce à la cour, où rien ne réussit sans protection ; & sans virgule, il est rare que le seul mérite réussisse dans une cour où tout se fait par intrigue : ce sont les exemples de M. l'abbé Girard.


INCIDENTERv. n. (Jurisprud.) signifie faire naître des incidens, pour empêcher la fin d'une contestation. Voyez INCIDENT. (A)


INCINÉRATIONS. f. (Chimie) l'action de réduire en cendres. Voyez CENDRES & CALCINATION.


INCISA(Géog.) petite ville d'Italie, au duché de Monferrat, dans le territoire d'Acqui, sur la riviere de Belbo.


INCISIFIVE, adj. (Anatom.) se dit de quelques dents, de six muscles, & de certains trous qui ont rapport à ces dents.

Les dents incisives, que d'autres nomment rieuses parce qu'elles se découvrent quand on rit, sont au nombre de huit, quatre à chaque mâchoire, situées à la partie antérieure & au milieu des autres. Voyez nos Pl. anat.

Elles sont plus courtes & plus tranchantes que les autres, & elles sont plantées dans leurs alvéoles par des racines simples qui se terminent en pointes ; c'est ce qui fait qu'elles tombent aisément, sur-tout celles d'en-haut.

On les appelle incisives, parce qu'elles tranchent, qu'elles coupent & qu'elles incisent les viandes. Voyez DENT.

Le grand incisif vient du rebord inférieur de la fosse orbitaire, passe le long des aîles du nez ou quelques-unes de ses fibres se terminent, & s'insere à l'orbiculaire au-dessus des dents incisives.

Le petit incisif de la lévre supérieure s'attache audessus des dents incisives, & se termine en partie à l'orbiculaire, & en partie aux aîles du nez.

Le petit incisif de la lévre inférieure s'attache audessous des dents incisives, & se termine à la peau du menton, entre les deux portions obliques du quarré.

Le trou incisif ou gustatif, ou palatin antérieur, est l'orifice du canal situé à la partie postérieure des deux premieres dents incisives antérieures ; il est percé de bas en-haut & forme une espece d'v romain, c'est-à-dire qu'il a deux trous par en-haut, qui se terminent en-bas dans un seul. Ce canal est formé par les os maxillaires. Voyez MAXILLAIRE.

INCISIF, adj. (Thérapeutique) c'est un nom générique que les Humoristes donnent à certains remedes qu'ils croient propres à diviser, briser, atténuer les humeurs épaisses, visqueuses, tenaces, &c. Voyez ATTENUANT & VICE DES HUMEURS, au mot HUMEURS, (Medec.)


INCISIONS. f. terme de Chirurgie, qui exprime génériquement une opération par laquelle on divise avec un instrument tranchant la continuité des parties. On fait des incisions pour évacuer le pus contenu dans un dépôt purulent, voyez ABSCES. Pour aggrandir les plaies, extirper les callosités des ulceres & des fistules, voyez PLAIES, ULCERES, FISTULES. Pour extraire les corps étrangers, ou réputés tels, voyez CESARIENNE, LITHOTOMIE, HAUT APPAREIL. Pour retrancher quelque membre, voyez AMPUTATION. Pour séparer ce qui est uni contre l'ordre de la nature, voyez IMPERFORATION. Pour réduire des parties qui sont hors de leur place, voyez REDUCTION.

Les incisions different par leur grandeur, par leur situation, par la nature des parties qu'on divise, & par la direction des incisions ; à ce dernier égard les unes sont longitudinales, les autres obliques, les autres transversales ; il y en a de circulaires, de cruciales, de triangulaires, en V, en T, &c.

Le point essentiel dans l'ouverture des abscès, est de procurer autant qu'il est possible une issue, par laquelle les matieres puissent s'écouler facilement & complete ment. Le pus qui croupit devient plus nuisible dans un abscès, lorsque par l'ouverture l'air y a accès, qu'auparavant. Si la situation de l'abscès ne permet pas de l'ouvrir de façon que les matieres puissent s'écouler par leur propre pente, il y a des cas où l'on supplée à ce défaut par une contre-ouverture. Pour la faire, on retient d'un pansement à l'autre la matiere dans le foyer de l'abscès, au moyen d'un tamponnement méthodique, & d'un bandage légerement compressif ; la fluctuation peut alors indiquer l'endroit où le pus se présente le plus superficiellement. Quand l'endroit où l'on doit faire la contre-ouverture répond par une ligne droite à la premiere incision, on peut au moyen d'une sonde à bouton soulever les tégumens, & pénétrer dans le foyer sur l'extrémité de cette sonde. La contre-ouverture peut aussi se faire de dedans en-dehors, avec un trocart particulier destiné à cette opération ; voyez CONTRE-OUVERTURE. En général les contre-ouvertures ne peuvent suffire que lorsqu'elles sont faites dans les endroits mêmes où le pus séjourne, & où la pente l'entraîne le plus. Si la contre-ouverture ne pouvoit pas être assez étendue, ou qu'elle ne répondit pas immédiatement au foyer de l'abscès, elle ne laisseroit pas que de pouvoir être utile en certains cas, au moyen d'un seton, voyez SETON. La compression, le bandage expulsif, & les injections, peuvent remplir les vûes du chirurgien, & opérer efficacement l'évacuation du pus, la détension des parois du foyer & leur récolement, sans avoir recours à la contre-ouverture. On doit ménager les incisions le plus qu'il est possible, & ne se déterminer à les pratiquer que dans le besoin démontré.

La question que l'académie royale de Chirurgie proposa en 1732 pour le premier prix, à la naissance de cette compagnie, demandoit pourquoi certaines tumeurs doivent être extirpées, & d'autres simplement ouvertes ; dans l'une & l'autre de ces opérations quels sont les cas où le cautere est préférable à l'instrument tranchant, & les raisons de préférence. Le mémoire qui a été couronné est imprimé à la tête du premier tome du recueil des pieces qui ont concouru pour le prix de l'académie ; cet ouvrage contient des préceptes excellens sur la doctrine des incisions, & dont tout chirurgien doit être instruit.

L'extraction des corps étrangers & l'ouverture des abscès profonds, demandent une grande connoissance de l'Anatomie, parce que les cas qui exigent ces opérations étant sujets à une infinité de variations, il ne peut y avoir aucune méthode fixée par les préceptes pour la diversité de chaque cas. C'est à la prudence & au savoir à guider de concert la main du chirurgien ; ce sont ses lumieres qui conduiront l'instrument avec la fermeté & la précision nécessaires pour ne faire que ce qu'il faut, & inciser à propos & avec connoissance de cause les parties qu'il est important de ne pas respecter.

Il y a peu d'opérations qui n'exigent des incisions ; pour lesquelles il y a des regles particulieres.

Les inflammations & les gonflemens considérables qui menacent un membre de gangrene, ne viennent souvent que de l'étranglement causé par quelques fibres aponévrotiques, dont la section feroit cesser tous les accidens. Voyez GANGRENE.

Les incisions qu'on fait superficiellement pour procurer le dégorgement des parties oedémateuses, se nomment mouchetures : si elles pénétroient dans le corps graisseux, telles qu'on en fait dans les engorgemens sanguins qui menacent de suffoquer le principe vital dans la gangrene, elles s'appellent scarifications ; enfin, on donne le nom de taillades aux incisions profondes qui pénétrent quelquefois jusqu'à l'os dans le sphacele. Voyez ces mots. (Y)

INCISION, INSERER, INCISER, (Jardin.) est l'art d'enter, de greffer. Voyez GREFFE.


INCLINAISONS. f. en terme de Physique, se dit de la situation mutuelle de deux lignes ou de deux plans l'un par rapport à l'autre, ensorte qu'ils forment au point de leur concours un angle aigu ou obtus.

L'inclinaison d'une ligne droite à un plan est l'angle aigu que cette ligne droite fait avec une autre ligne droite tirée dans ce plan par le point où il se trouve coupé par la ligne inclinée, & par le point où il se trouve aussi coupé par une perpendiculaire tirée de quelque point que ce soit de la ligne inclinée. Voyez LIGNE.

Quelques auteurs d'Optique appellent angle d'inclinaison ce que les autres appellent angle d'incidence, voyez INCIDENCE ; mais l'usage le plus commun est d'appeller angle d'inclinaison (fig. 26. Optiq.) les angles A B D, C B G, formés par les rayons A B, B C, & la surface D E.

L'inclinaison de l'axe de la terre est le complément de l'angle que cet axe fait avec le plan de l'écliptique, ou l'angle compris entre le plan de l'équateur & celui de l'écliptique, qui est d'environ 23 deg. 1/2.

L'inclinaison d'une planete à l'écliptique est l'angle compris entre l'écliptique & le lieu de la planete dans son orbite. La plus grande inclinaison de Saturne, suivant Kepler, est de 2d 32'; celle de Jupiter 1d 20', celle de Mars 1d 50' 30'', celle de Vénus de 30d 22', celle de Mercure de 6d 54'.

Suivant M. de la Hire, la plus grande inclinaison de Saturne est de 2d 33' 30'', celle de Jupiter de 1d 19' 20'', celle de Mars de 1d 51' 0'', celle de Vénus de 3d 23' 5'', & celle de Mercure de 6d 52' 0''.

C'est une assez grande question dans l'Astronomie physique, que de savoir la cause de l'inclinaison des orbites des planetes à l'écliptique. Dans le système de Newton on n'en rend aucune raison, & ce phénomene paroît être du nombre de ceux dont ce philosophe a dit à la fin de ses principes qu'ils n'ont point de principe méchanique, originem non habent ex causis mechanicis. Descartes a tenté de l'expliquer ; mais ses efforts & ceux de ses sectateurs n'ont pas été fort heureux, & cette inclinaison des orbites est même une des principales difficultés qu'on oppose au système des tourbillons. Car comment concevoir que les planetes ne se meuvent pas dans un même plan, ou dans des plans paralleles, si les couches du tourbillon ne se croisent pas ; & si ces couches se croisent, comment peuvent-elles conserver leur mouvement ? L'académie royale des Sciences de Paris proposa cette question en 1734 pour le sujet du prix qu'elle donne tous les ans, & elle partagea ce prix entre deux pieces, l'une de M. Jean Bernoulli, professeur de Mathématique à Basle, l'autre de M. Daniel Bernoulli son fils. La piece de M. Jean Bernoulli est intitulée nouvelle physique céleste ; il y donne un système général de l'univers, sur lequel on pourroit faire beaucoup d'objections, & il y explique conformément à son systême, le phénomene dont il s'agit. A l'égard de M. Daniel Bernoulli, ce que sa piece a de plus remarquable & de plus ingénieux, c'est un calcul qu'il fait, & par lequel il prétend prouver que l'inclinaison des orbites des planetes n'est point l'effet du hasard, & qu'elle doit nécessairement avoir une cause méchanique : voici à peu près le précis de son raisonnement ; il remarque que les planetes ne s'éloignent pas beaucoup de l'écliptique, & que l'orbite de Mercure, qui est celle qui s'en éloigne le plus, ne fait qu'un angle d'environ sept degrés avec l'écliptique ; desorte que les orbites des planetes n'occupent sur la sphere du monde qu'une zone de la largeur d'environ sept degrés. Il calcule ensuite combien il y a à parier que sept corps jettés au hazard sur la surface d'une sphere y seront disposés dans une zone plus grande que sept degrés, & il trouve qu'il y a 1419856 à parier contre 1, qu'elles n'iroient pas toutes vers le même côté du ciel entre des limites si étroites ; d'où il conclut que cette inclinaison a nécessairement une cause. Mais 1°. ne pourroit-on pas répondre que les cometes, qui sont des planetes véritables, ont des orbites fort élevées au-dessus du plan de l'écliptique, & qu'ainsi sur le nombre de toutes les planetes, qui est peut-être très-grand, il n'est pas surprenant qu'il y en ait sept qui soient à peu près dans le plan de l'écliptique ? 2°. Ne pourroit-on pas croire que le calcul des lois du sort ne doit pas s'appliquer ici ? En effet, quand on calcule quelque chose par ces lois, il s'agit toujours d'un effet qui n'est point encore arrivé ; & comme tous les effets sont également possibles, on détermine aisément qu'il y a tant à parier qu'un effet déterminé n'arrivera pas. Mais quand une fois l'effet est arrivé, il est alors inutile de se servir des lois du sort pour savoir combien il y avoit à parier qu'il n'arriveroit pas ; car tous les effets sont également possibles, comme nous l'avons déja dit, & il faut bien qu'il en arrive quelqu'un ; desorte qu'il n'est pas extraordinaire que tel effet arrive plutôt que tel autre. Par exemple, si deux personnes jouent ensemble avec deux dez, il y a 35 à parier contre 1, qu'un des joueurs n'amenera pas deux 6 à la fois, mais il y a de même 35 à parier contre 1, qu'il n'amenera pas deux autres nombres quelconques ; par exemple, 3 avec le dez A & 4 avec le dez B ; par conséquent si le joueur dont il s'agit amene par hazard deux 6, cela n'est pas plus singulier que s'il amenoit 3 avec le dez A & 4 avec le dez B. Nous avons cru devoir nous étendre un peu là-dessus, parce qu'il nous paroît que le calcul des lois du sort pourroit donner souvent lieu à des raisonnemens de cette espece qui ne seroient pas concluans, ou qui s'ils l'étoient, donneroient lieu à des doutes très-fondés sur la maniere dont on calcule les lois du sort. Voyez l'article JEU. De quelque maniere que les planetes soient disposées, il y avoit avant la création, l'infini contre 1 à parier qu'elles ne le seroient pas ainsi, parce qu'il y avoit une infinité d'autres manieres de les disposer ; mais je ne vois pas qu'on en puisse conclure que leur disposition présente est plutôt qu'une autre, l'effet d'une cause méchanique.

Inclinaison d'un plan, en terme de Gnomonique, est l'arc d'un cercle vertical compris entre le plan & l'horison.

Pour trouver cette inclinaison, prenez d'abord une équerre garnie d'un fil à plomb, & appliquez sur votre plan un des côtés de cette équerre, de maniere que le fil à plomb s'ajuste sur l'autre côté, alors le côté de l'équerre appliqué sur le plan sera de niveau ; menez le long de celui-ci une ligne horisontale, & élevez sur elle une perpendiculaire, le long de laquelle vous appliquerez de nouveau un côté de votre équerre ; si le fil à plomb tombe sur l'autre côté de cette équerre, c'est une preuve que le plan est horisontal. Si votre fil ne tombe point sur l'autre côté de votre équerre, appliquez sur cette équerre un quart de cercle, dont les côtés s'ajustent sur les côtés de l'équerre, & observez sur le quart de cercle quel est l'angle que fait le fil à plomb avec le côté de l'équerre qui n'est point appliqué sur le plan ; ce sera l'angle d'inclinaison du plan.

L'inclinaison de deux plans est l'angle aigu que forment les deux lignes droites tirées dans chaque plan par un même point de leur commune section, perpendiculairement à cette section commune.

Ainsi (Pl. géométr. fig. 98.) l'inclinaison du plan K E G L au plan A C D B est l'angle F H I ou f h i formé par les lignes droites H F & F I, perpendiculaires à la ligne de section E G au point F. Chambers. (O)


INCLINATIONS. f. (Philosophie morale) penchant, disposition de l'ame à une chose par goût & par préférence.

Les inclinations sont une pente de la volonté, qui l'entraîne vers certains objets plutôt que vers d'autres, mais d'une maniere assez égale & assez tranquille pour ne pas troubler ses opérations, & même pour les faciliter d'ordinaire.

Les inclinations naissent du méchanisme particulier de nos organes, qui dépend de la conformation primitive des sens, & qui nous porte à nous procurer la jouissance de certaines choses que nous envisageons comme une source de félicité ; tel est le goût naturel que les uns ont pour la musique, d'autres pour l'étude, &c.

Les inclinations different des appétits que la nature a établis dans tous les hommes, tels que la faim & la soif, lesquels appétits ne tendent qu'à notre conservation, & cessent lorsqu'on a satisfait les besoins corporels ; au lieu que les inclinations ont pour objet le bonheur de l'ame, qui a sa source dans les sensations agréables, & dans la continuation de ces sensations.

Les inclinations different aussi des passions qui consistent dans des affections violentes, actuelles & habituelles ; car les inclinations existent avant même que nous ayons été affectés par les sensations & perceptions qu'elles nous rendent agréables ou desagréables.

Enfin, les inclinations different de l'instinct qui tient lieu dans les animaux de connoissance, d'expérience, de raisonnement & d'art, pour leur utilité & pour leur conservation. Voyez INSTINCT. (D.J.)

INCLINATION, PENCHANT, (Gram. synon.) L'inclination s'acquiert, le penchant est inné ; le penchant est violent, l'inclination est douce. On suit son inclination ; le penchant entraîne. Ils se prennent l'un & l'autre en bonne & en mauvaise part ; on a des penchans honnêtes, & des inclinations droites, & des inclinations perverses, & des penchans honteux.

INCLINATION, (Chimie & Pharmacie) l'action d'incliner doucement un vaisseau, pour en faire couler une liqueur. Voyez DECANTER.


INCLINÉadj. plan incliné en termes de Méchanique, est celui qui fait un angle oblique avec l'horison.

Il est démontré qu'un corps, tel que D (Pl. Méc. fig. 58.), qui est appuyé sur un plan incliné, perd toujours une partie de sa pesanteur ; & que la puissance ou force L nécessaire pour le soutenir dans une direction A C parallele au plan, est à la pesanteur de D, comme la hauteur B A du plan est à sa longueur CA. Cette proposition se démontre aisément en décomposant l'effort absolu de la pesanteur du corps D, suivant Q F en deux efforts Q G, Q E, dont l'un Q G est détruit par la résistance du plan auquel il est perpendiculaire ; & l'autre Q E, parallele au plan, est à l'effort total, comme Q E est à Q F, c'est-à-dire, comme A B est à A C, à cause des triangles semblables E Q F, A B C ; d'où il suit que l'inclinaison du plan peut être si petite, qu'il ne faille qu'une force extrêmement petite pour soutenir dessus un poids considérable.

La force avec laquelle un corps pesant descend le long d'un plan incliné, est à la force avec laquelle il descendroit perpendiculairement, comme le sinus de l'angle de l'inclinaison du plan est au rayon ; car le sinus de l'inclinaison est au rayon, comme A B à A C. Voyez DESCENTE.

Supposons que l'on connoisse la pesanteur d'un corps, & qu'il soit question de trouver la puissance P nécessaire pour le soutenir sur un plan incliné D. J'appelle le poids W, & la puissance P. J'ai par la regle précédente sin. tot. sin. incl. comme V à P, c'est-à-dire, comme le rayon est au sinus d'inclinaison, ainsi le poids est à la puissance que l'on cherche ; & comme les trois premiers termes sont donnés, il s'ensuit que le quatrieme l'est aussi.

Les lois du mouvement des corps qui descendent sur des plans inclinés, sont absolument les mêmes que celles du mouvement des corps qui descendent perpendiculairement ; avec cette seule différence, que la pesanteur doit être diminuée dans la raison de la hauteur du plan à sa longueur. C'est pourquoi si on appelle g la pesanteur absolue, h la hauteur du plan, l sa longueur, il faudra mettre au lieu de g dans les calculs, qui du reste seront absolument les mêmes. Voyez les articles ACCELERATION, DESCENTE, FORCE, & l'article PLAN, où les lois dont il s'agit, seront détaillées.


INCLUSIVEMENTadv. (Grammaire & Jurisprudence) est opposé à exclusivement ; il signifie que la chose dont on parle, est comprise dans la convention ou disposition. Par exemple, quand on dit que le mariage est défendu par le droit canon jusqu'au quatrieme dégré inclusivement, c'est-à-dire que le quatrieme degré est compris dans la prohibition. (A)


INCOGNITI(Hist. littéraire) c'est le nom qu'a pris une société littéraire, établie à Venise, qui a pour sa devise le fleuve du Nil, avec cette épigraphe, Incognito e pur noto. Si les gens de lettres étoient moins affamés de gloire, & plus curieux de savoir que de se produire, il régneroit plus d'harmonie entr'eux, les connoissances humaines feroient plus de progrès, & on n'attacheroit point un si haut prix à des suffrages que souvent on méprise.


INCOGNITOadv. (Gram. & Hist. mod.) terme purement italien, qui signifie qu'un homme est dans un lieu, sans vouloir y être connu. Il se dit particulierement des grands qui entrent dans une ville, & qui marchent dans les rues sans pompe, sans cérémonie, sans leur train ordinaire, & sans les marques de leur grandeur.

Les grands en Italie ont coutume de se promener dans la ville incognitò, & ils ne sont pas bien-aises qu'on les salue dans ces occasions. Ce n'est pas absolument qu'ils veuillent qu'on les méconnoisse, mais c'est qu'ils ne veulent point être traités avec les cérémonies, ni recevoir les honneurs dûs à leur rang.

Quand les chevaux des carrosses des princes, des cardinaux & des ambassadeurs, n'ont point de houpes qu'ils appellent fiocchi, & que les rideaux des carrosses qu'ils nomment bandinelle, sont tirés, ils sont censés être incognitò, & l'on n'est point obligé de s'arrêter, quand ils passent, ni de les saluer.

Les cardinaux vont aussi sans calotte rouge, quand ils veulent être incognitò. Voyez CHAPEAU & CARDINAL. Voyez le Dictionnaire de Trévoux.

Quand des princes voyagent, & veulent éviter les formalités & les discussions du cérémonial, ils gardent l'incognitò, & prennent un autre nom que leur titre de souveraineté ; ainsi quand le duc de Lorraine vint en France, il y parut sous le nom de comte de Blamont.


INCOLATINCOLAT


INCOMBUSTIBLEadj. m. f. (Chimie) corps incapable du véritable embrasement, parce qu'il ne contient point l'aliment propre du feu, que le phlogistique n'est point principe, ni immédiat ni médiat de sa composition. Voyez COMBUSTION, IGNITION & PHLOGISTIQUE. (b)

INCOMBUSTIBLE, BOIS, (Hist. nat.) on assure qu'il se trouve en quelques endroits d'Italie des arbres ou arbrisseaux dont le bois ne brûle point, quand même on le laisseroit exposé pendant plusieurs heures consécutives dans un brasier ardent. On ajoûte même que les miroirs ardens ne font aucun effet sur lui ; on dit qu'à l'extérieur il ressemble à du bois de chêne, excepté qu'il est plus tendre, & que son écorce & son intérieur sont un peu rougeâtres ; il se coupe & se taille aisément, sur-tout quand il a passé plusieurs fois par le feu ; il tombe au fond de l'eau, quelques petits que soient les morceaux ; en le mâchant dans la bouche, on n'y trouve point de goût mineral, ni la rudesse du sable.

Vitruve, dans son livre II. chap. ix. attribue ces propriétés au larix ; & Pline dit dans le livre XVI. chap. x. de son histoire naturelle, exceptâ larice, quae nec ardet, nec carbonem facit, nec alio modo ignis vi consumitur, quam lapides. Il seroit question de savoir quel est l'arbre que ces auteurs ont appellé larix, vû que celui à qui les Botanistes donnent aujourd'hui ce nom, est très-combustible. On a aussi trouvé un bois incombustible en Espagne, près de Séville. Voyez les Voyages de Keyssler, & la Bibliotheque choisie de le Clerc, tom. XII. pag. 57.


INCOMMENSURABLEadj. (terme de Géométrie) il se dit de deux quantités qui n'ont point de mesure commune, quelque petite qu'elle soit, pour mesurer l'une & l'autre. Voyez COMMENSURABLE, SOURD & IRRATIONNEL.

Le côté d'un quarré est incommensurable avec sa diagonale, comme le démontre Euclides ; mais il est commensurable en puissance, parce que le quarré de la diagonale contient deux fois le quarré fait sur le côté.

On dit aussi que des surfaces sont incommensurables en puissance, lorsqu'elles ne peuvent être mesurées par aucune surface commune. (E)

On a démontré aux mots FRACTION & DIVISEUR, que si deux nombres a, b, n'ont point de diviseur commun, autre que l'unité, leurs quarrés a a, b b, leurs cubes a 3, b 3, &c. & ainsi du reste, n'auront point de diviseur commun, autre que l'unité ; d'où il s'ensuit que le quarré, le cube, &c. d'une fraction a/b est toujours une fraction ; j'entends ici par fraction toute quantité dans laquelle a ne se peut diviser exactement par b ; soit que a soit plus petit ou plus grand que b : donc tout nombre entier, comme 2, 3, 5, 6, &c. qui ne sauroit avoir pour racine quarrée un nombre entier, ne sauroit avoir pour racine quarrée un entier, plus une fraction ; donc on ne sauroit exprimer en nombre la racine quarrée de ces sortes de nombres ; ainsi la racine quarrée de 2, par exemple, est incommensurable à l'unité ; & en général on appelle incommensurable la racine du dégré m de tout nombre entier p, dont on ne peut trouver la racine du dégré m en nombres entiers ; car il est démontré que cette racine ne sauroit être exprimée par quelque nombre que ce puisse être.

A plus forte raison, les racines des incommensurables sont incommensurables, comme le seroit, par exemple, la racine de la racine de 2.

Il y a cette différence entre les incommensurables & les imaginaires, 1°. que les incommensurables peuvent se représenter par des lignes, (comme la diagonale du quarré), quoiqu'ils ne puissent s'exprimer exactement par des nombres ; au lieu que les imaginaires ne peuvent ni se représenter, ni s'exprimer. Voyez IMAGINAIRE. 2°. Qu'on approche des incommensurables autant qu'on veut par le calcul ; voyez APPROXIMATION, ce qu'on ne peut faire des imaginaires, voyez EQUATION. (O)


INCOMMODEadj. (Grammaire & Morale) il se dit de tout ce qui nous gêne, de quelque maniere que ce soit. Ainsi un forgeron est un voisin incommode. Il y a des vertus incommodes ; on aimeroit mieux des vices faciles. Il y a d'honnêtes fâcheux, de bonnes gens très-incommodes.

INCOMMODE, adj. (Marine) se dit d'un vaisseau à qui il est arrivé quelque accident, comme de perdre quelques-uns de ses mâts, d'avoir sa manoeuvre en desordre, d'être désemparé dans un combat, ou d'avoir une voie d'eau. (Z)

INCOMMODER, verb. act. (Gram.) il se prend dans le même sens qu'incommode ; mais il a quelques acceptions particulieres. Ainsi l'on dit d'une batterie de canon placée avantageusement, que l'ennemi en étoit fort incommodé ; qu'un commerçant a été incommodé par les banqueroutes qu'il a souffertes ; qu'on est incommodé d'une legere blessure, &c.


INCOMMODITÉ(Medecine) signifie la même chose que maladie legere. Voyez MALADIE.


INCOMMUTABILITÉS. f. (Gram. & Jurispr.) c'est lorsque le droit de propriété devient irrévocable en la personne d'un acquéreur, lequel ne peut plus être évincé, soit par retrait féodal, lignager, ou conventionnel, ou autrement. On dit alors qu'il devient propriétaire incommutable. Voyez EVICTION. (A)


INCOMMUTABLEadj. (Gram. & Jurispr.) est ce qui ne peut plus être changé. Un propriétaire incommutable est celui qui ne peut plus être évincé par aucun retrait, hypotheque, ou autre action. (A)


INCOMPARABLEadj. (Gram.) ce qui est si parfait dans son genre, qu'on ne trouve rien qui puisse lui être comparé. Combien de choses qui ont été incomparables autrefois, & qu'on ne daigne plus regarder ?


INCOMPATIBILITÉS. f. (Jurisprud.) c'est le défaut de pouvoir réunir ensemble certaines fonctions.

Il y a certains bénéfices qui sont incompatibles dans une même personne, comme deux bénéfices sub eodem tecto, deux bénéfices-cures, & en général tous bénéfices qui requierent résidence.

Il y a aussi incompatibilité entre certains offices & emplois, soit à cause que l'un & l'autre exigent résidence, ou parce que l'un est au-dessous de la dignité de l'autre, ou d'un état tout différent. Voyez INCOMPATIBLE. (A)


INCOMPATIBLEadj. (Phys.) qui ne peut subsister ou demeurer avec un autre sans le détruire. Ainsi on dit que le froid & le chaud sont incompatibles dans un même sujet ; de même le mouvement & le repos sont incompatibles dans un même corps. Lorsque les états de deux corps sont incompatibles, il doit nécessairement arriver du changement dans l'état de tous les deux, ou dans celui de l'un des deux. Ainsi quand un corps en mouvement vient en frapper un autre en repos, il faut nécessairement que le choc le meuve, ou que s'il reste en repos, le choquant perde son mouvement, ou change de direction. Voyez COMMUNICATION. (O)

INCOMPATIBLE, (Jurispr.) se dit de ce qui ne peut s'accorder avec quelqu'autre chose. Les bénéfices & les charges sont incompatibles lorsqu'on ne peut les posseder en même tems. Voyez BENEFICES & OFFICES. (A)


INCOMPÉTENCES. f. (Jurisprud.) est le défaut de pouvoir & de jurisdiction en la personne d'un juge, pour connoître d'une affaire.

L'incompétence procede de plusieurs causes, savoir :

1°. En matiere personnelle, lorsque le défendeur n'est pas domicilié dans l'étendue de la jurisdiction où il est assigné.

2°. S'il a été assigné devant le juge ordinaire, & qu'il s'agisse de choses dont la connoissance est spécialement attribuée à certains juges.

3°. S'il a demandé son renvoi devant le juge de son privilége.

4°. En matiere criminelle, tout juge est compétent pour informer & decréter ; mais au-delà de cette instruction, chaque juge ne peut connoître que des crimes commis dans l'étendue de sa jurisdiction.

L'ordonnance de 1667, tit. 6. art. 3 & 4, veut que les incompétences soient jugées sommairement à l'audience, & que les appellations comme de juges incompétens, soient incessamment vuidées par expédient au parquet.

En général l'incompétence est ou ratione personae, ou ratione materiae.

La premiere est lorsqu'une personne assignée devant le juge ordinaire, a le pouvoir de demander d'être renvoyée devant le juge de son privilege ; le défendeur doit proposer cette incompétence in limine litis ; car dès qu'il a fait le moindre acte, par lequel il a reconnu la jurisdiction, il ne peut plus demander son renvoi, parce que l'incompétence du juge ordinaire n'est pas absolue ; le défendeur a seulement la faculté de demander son renvoi, lorsque les choses sont entieres.

Il n'en est pas de même, quand l'incompétence est ratione materiae ; il ne dépend pas des parties de proceder devant un juge qui est absolument incompétent pour connoître de la matiere. Le juge en ce cas doit renvoyer devant ceux qui en doivent connoître ; ou si ces juges sont ses supérieurs, il doit ordonner que les parties se pourvoiront ; c'est ce qui résulte de l'ordonnance de 1667, tit. 6.

On dit quelquefois une incompétence pour un appel comme de juge incompétent.

Les appels comme de juge incompétent se portent directement au parlement, omisso medio. Voyez COMPETENCE, DECLINATOIRE, RENVOI. (A)


INCOMPLEXEadj. (Gramm. & Logiq.) qui n'est pas composé. On appelle syllogismes incomplexes ceux dont les propositions sont simples.


INCOMPRÉHENSIBLEadj. (Gram. & Métaphysique) qui ne peut être compris. Lorsqu'une proposition est incompréhensible, c'est ou la faute de l'objet, ou la faute des mots. Dans le premier cas, il n'y a point de ressource ; dans le second, il se faut faire expliquer les mots. Si les mots bien expliqués, il y a contradiction entre les idées, la proposition n'est point incompréhensible, elle est fausse ; s'il n'y a ni convenance ni disconvenance entre les idées, la proposition n'est point incompréhensible, elle est vuide de sens. Il est indécent d'en faire de semblables à des gens sensés. Il y a deux grands principes qu'il ne faut point perdre de vûe : c'est qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'y soit venu par la voie des sens, & qui par conséquent ne doive, en sortant de l'entendement, retrouver des objets sensibles pour se rattacher. Voilà en Philosophie le moyen de reconnoître les mots vuides d'idées. Prenez un mot : prenez le plus abstrait ; décomposez-le ; décomposez-le encore, & il se résoudra en dernier lieu en une représentation sensible. C'est qu'il n'y a en nous que des réprésentations sensibles, & des mots particuliers qui les désignent, ou des mots généraux qui les rassemblent sous une même classe, & qui indiquent que toutes ces représentations sensibles, quelque diverses qu'elles soient, ont cependant une qualité commune.


INCONCEVABLEadj. (Gramm.) il se dit d'une maniere absolue, ou d'une maniere relative. Dans le premier sens, inconcevable est synonyme à incompréhensible (voyez ce mot) ; dans le second on a égard au cours ordinaire des choses, & c'est sous ce point de vûe qu'on dit d'une chose qu'elle est incompréhensible ou inconcevable. Exemple, si un homme fait une action qui le deshonore, qui renverse sa fortune, qui soit contraire à ses penchans, en un mot dans laquelle on n'apperçoive rien qui ait pû l'annoncer ou la faire prévoir, on dit qu'elle est inconcevable.

Inconcevable est encore une expression d'exagération, comme nous en avons une infinité d'autres qui ont perdu toute leur énergie par l'application qu'on en fait dans des circonstances puériles & communes. Ainsi nous disons d'un poëte, qu'il a une peine ou une facilité inconcevable à faire des vers.


INCONFIDENS(Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nommoit dans les royaumes d'Espagne, de Naples & de Sicile, au commencement de ce siecle, les personnes peu affectionnées au gouvernement actuel, & soupçonnées d'entretenir une correspondance illicite avec la maison d'Autriche qui prétendoit à ces couronnes, & ses partisans. Philippe V. roi d'Espagne, établit des tribunaux pour rechercher ceux qui étoient dans ces dispositions ; ils avoient ordre de s'assûrer de leurs personnes, ou de les éloigner du pays.


INCONGRUINCONGRUITé, (Gram.) le premier se dit des fautes contre la langue ou la Logique ; & le second, des fautes contre l'honnêteté, la bienséance & les usages reçus. Le dictionnaire de Trévoux rend incongruité par inurbanitas ; mais inurbanitas marque une habitude, & incongruité ne marque qu'une action.


INCONNUadj. (Gram.) il ne se dit point des choses qu'on ne connoit point ; car on ne dit rien de ce qu'on ne connoit pas, mais des choses qu'on connoit & des qualités qu'on y soupçonne. Ainsi nous voyons des effets dans la nature ; nous ne doutons point qu'ils ne soient liés, mais la liaison nous en est inconnue. Nous voyons agir un de nos semblables, nous lui supposons un motif bon ou mauvais, mais il nous est inconnu. L'épithete inconnu se joint toûjours à quelque chose qu'on connoit.

INCONNUE, adj. pris substantiv. (terme d'Algebre) On appelle ainsi la quantité qu'on cherche dans la solution d'un problème. Voyez EQUATION, PROBLEME, &c. (O)


INCONSEQUENCEINCONSEQUENT, (Gram. Logiq. & Morale) il y a inconséquence dans les idées, dans le discours & dans les actions. Si un homme conclut de ce qu'il pense ou de ce qu'il énonce le contraire de ce qu'il devroit faire, il est inconséquent dans son discours & dans ses idées. S'il tient une conduite contraire à celle qu'il a déja tenue, ou contraire à ses intérêts ; il est inconséquent dans ses actions. Il y a encore une troisieme inconséquence, c'est celle des pensées & des actions, & c'est la plus commune. Il y a mille fois plus d'inconséquence encore dans la vie que dans les jugemens. Il ne faut cependant pas dire d'un homme qui tremble dans les ténebres, & qui ne croit point aux revenans, qu'il soit inconséquent. Sa frayeur n'est pas libre. C'est un mouvement habituel dans ses organes qu'il ne peut empêcher, & contre lequel sa raison réclame inutilement.


INCONSIDERÉadj. (Gram.) il se dit ou des actions ou des discours, lorsqu'on n'en a pas pesé les conséquences. On se perd par un propos inconsidéré ; on s'embarrasse par une promesse inconsidérée ; on se ruine par une largesse inconsidérée.

Il se dit aussi des personnes. Vous êtes un inconsidéré ; vous vous êtes déchaîné contre la galanterie au milieu d'un cercle de femmes.


INCONSTANCES. f. (Gram. & Morale) indifférence ou dégoût d'un objet qui nous plaisoit ; si cette indifférence ou ce dégoût naît de ce qu'à l'examen nous ne lui trouvons pas le mérite qui nous avoit séduit, l'inconstance est raisonnable ; s'il naît de ce que nous n'éprouvons plus dans sa possession le plaisir qu'il nous faisoit ; s'il est le même, mais s'il ne nous émeut plus ; s'il est usé pour nous ; s'il ne nous fait plus cette impression qui nous enchaînoit ; si la fée a perdu sa baguette ; il faut que le charme cesse, & l'inconstance est nécessaire. Celui qui fait des voeux qu'il ne pourra rompre ; celui qui prononce un serment qui l'engage à jamais, est quelquefois un homme qui présume trop de ses forces, qui s'ignore lui-même & les choses du monde. Je ne connois qu'un remede à l'inconstance, c'est la solitude & les soins assidus. Fuir la dissipation qui nous répandroit sur trop d'objets, pour que nous puissions demeurer à un seul. Sur-tout multiplier les sacrifices. Vous vous rendrez tous les jours l'un à l'autre plus agréables, si tous les jours vous vous rendez l'un à l'autre plus nécessaires. Je ne blâme point l'inconstance qui nous fait abandonner un objet de prix pour un objet plus précieux encore, dans toutes ces bagatelles qui ne souffrent point, qui ne sentent point, & qui font notre bonheur sans le partager. Mais en amitié, en attachement de coeur, si l'on permettoit cette préférence ; on quitteroit, on seroit quitté, & la porte seroit ouverte au plus étrange déréglement.


INCONTESTABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être contesté. Il se dit d'une rente, d'un fait, d'un titre, d'un droit, &c.


INCONTINENCEsubst. fem. (Morale) vice opposé à la pudicité, à la continence. Voyez CONTINENCE.

Nous ne décrirons point les diverses especes d'incontinence, elles ne sont que trop connues, & quelques-unes trop honteuses pour que la pudeur ne fût pas allarmée d'un pareil détail. Il nous suffira donc de quelques remarques sur ce déréglement dans la recherche des plaisirs de l'amour.

La corruption qui en résulte est double, parce qu'elle se porte d'abord sur deux personnes, & que d'ailleurs ses mauvais effets se répandent ensuite sur plusieurs, confondent les droits des familles & ceux des successions ; par conséquent tout le corps de l'état en souffre, & la dépopulation de l'espece s'en ressent à proportion que le vice prend faveur.

Il la prend nécessairement avec le luxe qu'il accompagne toûjours, & dont il est toûjours accompagné ; c'est ce qu'on vit à Rome sous les empereurs. Comme leurs lois ne tendoient ni à réprimer le luxe, ni à corriger les moeurs, on afficha sans crainte le débordement de l'incontinence publique.

Il n'est pas vrai qu'elle suive les lois de la nature, elle les viole au contraire ; c'est la modestie, c'est la retenue qui suit ces lois. Mais l'exemple, les conversations licencieuses, les images obscènes, le ridicule qu'on jette sur la vertu, la mauvaise honte qui a tant de force, établissent la licence & la corruption des moeurs dans tout un pays : le nôtre en peut être une assez bonne preuve.

Cependant personne n'ignore à quel point ces sortes d'excès sont funestes, & le nombre des hommes incontinens est assez grand pour en donner des exemples ; plusieurs ont péri d'épuisement dans leurs plus beaux jours, tels que de tendres fleurs privées de leur seve par le vent brûlant du midi. Combien d'autres qui ont pris dès leur enfance les germes d'une maladie honteuse, & souvent incurable ? La nature, qui n'a voulu accorder aux individus que de courts momens pour se perpétuer, agit pour leur conservation avec la plus grande économie, &, pour ainsi dire, avec la derniere épargne ; elle n'opere qu'avec regle & mesure. Si on la précipite, elle tombe dans la langueur. En un mot, elle emploie toute la force qui lui reste à se soûtenir encore, s'il est possible ; mais elle perd absolument sa vertu productrice & sa puissance générative. (D.J.)

INCONTINENCE D'URINE. (Medecine) L'incontinence d'urine est une incommodité suffisamment définie par le nom qu'elle porte, & auquel les Medecins n'attachent d'autre sens que son sens naturel.

Cette incommodité est propre à la vessie : elle ne suppose aucun vice dans les organes destinés à séparer l'urine, ni dans cette humeur excrémenticielle. Aussi l'urine répandue par les sujets attaqués de la maladie dont il s'agit, est-elle, tout étant d'ailleurs égal, pareille à celle que rendent les sujets sains ; à cela près seulement qu'elle peut être un peu plus crue, c'est-à-dire privée du ton de couleur qu'elle acquiert dans la vessie par le séjour naturel. C'est par-là que l'incontinence d'urine est distinguée du diabete ou flux d'urine. Voyez DIABETE.

L'incontinence d'urine est encore appellée pissement involontaire, mictus involuntarius. Ce qui suit est tiré du précis de la Médecine-pratique de M. Lieutaud. L'incontinence d'urine, sans cause manifeste, est familiere aux enfans & aux vieillards : elle n'a lieu dans les premiers que pendant le sommeil ; mais les vieillards y sont exposés dans tous les tems. L'abus des diurétiques, l'accouchement laborieux, le calcul, les chûtes, l'opération de la taille, le trop long séjour dans l'eau froide, l'apoplexie & les affections soporeuses ; le plus haut degré de toutes les maladies aiguës, &c. peuvent donner lieu à l'écoulement involontaire de l'urine. L'âge & l'éducation en délivrent les enfans ; mais on la guérit rarement dans les vieillards, comme dans tous les cas où elle reconnoît pour cause un vice dans les organes. Tout le monde sait encore combien ce symptôme est redoutable dans les maladies aiguës.

L'incontinence d'urine venant le plus souvent du relâchement ou de la paralysie des organes, on juge que l'ouverture des cadavres ne doit pas nous fournir beaucoup de lumieres : on a vû cependant l'hydropisie de la moëlle de l'épine, la grosseur des reins demesurée, des pierres & des ulceres dans ces visceres (l'auteur de l'article observe conséquemment à l'idée qu'il a donnée de l'incontinence d'urine, que l'écoulement qui a été occasionné par ces vices des reins étoit un vrai diabete, dont le pissement involontaire n'étoit qu'un symptôme), on a trouvé la vessie racornie & incapable de dilatation, ulcérée, livide & gangrenée, contenant des pierres & des abscès, comprimée par la tumeur de la matrice & autres parties voisines. On a rencontré les uretheres extrêmement dilatés, suppléant à la vessie qui étoit très-resserrée, &c. sans faire mention de différens desordres qui donnent lieu aux urines de couler involontairement par le périnée, par le scrotum, par l'anus, l'ombilic, &c.

Les astringens, tels que l'eau dans laquelle on a éteint des briques rougies au feu, le vin rouge, les roses de Provins, la grande consoude, la prêle, la noix de cyprès, le cachou, le mastic, les martiaux, &c. sont les remedes les plus propres à fortifier les organes relâchés. On peut donner encore dans la même vûe les aromatiques, tels que la menthe, le calament, le poivre, le girofle, la noix muscade, &c. C'est aussi pour la même raison qu'on préfere la rhubarbe & les myrobolans aux autres purgatifs, lorsque l'état des premieres voies en demande. On propose encore les injections aromatiques & fortifiantes, ainsi que les cataplasmes, les fomentations, les linimens, les demi-bains & les lavemens qui ont la même propriété : on a même vû en cette occasion de bons effets des bains froids. Tout le monde a entendu parler de la poudre de souris & de quelques autres remedes de bonnes femmes que le degré de confiance qu'on y attache peut rendre efficaces. (L'auteur de l'article ose encore avancer que dans ce cas les Medecins doivent avoir peu de confiance à cette confiance.) On sait enfin qu'on a imaginé divers instrumens qui, en comprimant la verge & l'uretre, empêchoient l'urine de couler, mais peu de gens peuvent en supporter l'incommodité. On a usé aussi pour les femmes d'un pessaire qui produit le même effet, mais on rencontre de leur part la même difficulté. Je ne parle pas de différens vases de cuir, de verre ou d'argent, propres à recevoir l'urine, que ceux qui veulent se garantir de la mauvaise odeur & de la malpropreté portent sans beaucoup de répugnance.


INCONVENIENTS. m. (Gram.) il se dit de tout obstacle qui se présente dans la conduite d'une affaire, & de toutes les suites desavantageuses qui naissent de sa conclusion. Il n'y a presque rien qui n'ait ses avantages & ses inconvéniens. L'homme prudent, qui voit dans l'avenir, se garde bien de peser les uns & les autres relativement au moment.

Inconvénient se dit aussi d'une opinion, d'un système, d'une démarche, &c.


INCORPORELadj. (Gram. & Métaphys.) substance spirituelle qui n'a point de corps. Voyez ESPRIT & CORPS.

L'ame de l'homme est incorporelle, & peut subsister sans le corps. Voyez AME, MATERIELRIEL.

Les idées indépendantes du corps ne peuvent ni être corporelles, ni être reçues dans un sujet corporel. Elles nous découvrent la nature de notre ame, qui reçoit ce qui est incorporel, & qui le reçoit au-dedans de soi d'une maniere incorporelle, excepté le mouvement que mon ame reçoit quand je me meus, & qu'elle reçoit tout-à-fait à la maniere des corps. Voilà donc une modification divisible dans un sujet indivisible.

INCORPOREL, (Jurisp.) se dit des choses non-matérielles, qui conséquemment n'ont point de corps, & que l'on ne peut toucher corporellement, telles que sont les droits & actions qu'on appelle droits incorporels. Voyez DROITS. (A)


INCORPORERverbe actif, (Gram.) c'est en général unir un corps à un autre ; il se dit au simple & au figuré. Ces substances s'incorporent facilement l'une avec l'autre. On a incorporé cette troupe dans celle-ci. Les vaincus furent incorporés aux vainqueurs. Le vice s'incorpore à l'homme ; & il faut plus de tems encore pour l'en séparer, qu'il n'en a fallu pour le prendre.

INCORPORER, (Pharmacie) c'est lier & donner une certaine consistance à un corps pulvérulant, pour en former un électuaire, un bol, un liniment, un onguent ; en un mot un remede interne ou externe sous forme solide, en l'introduisant peu-à-peu dans un syrop, une conserve, une graine ou tout autre excipient. (b)


INCORRECTIONS. f. (Gram. Littér. Dessein.) Si le style s'écarte souvent des lois de la Grammaire, on dit qu'il est incorrect, qu'il est plein d'incorrection. Si une figure dessinée peche contre les proportions reçues, on dit qu'elle est incorrecte. Le reproche d'incorrection suppose un modele connu, auquel on compare l'imitation. Voyez CORRECTION.


INCORRIGIBLEadj. (Gram.) qui ne peut être corrigé. L'imbécillité, l'opiniâtreté & les passions rendent les hommes incorrigibles. Ou ils ne conçoivent pas la vérité des conseils qu'on leur donne, ou ils en conviennent, & n'ont pas la force de les suivre. Je ne sais comment on corrige les enfans mal-nés ; il y a des vices de l'esprit qui sont incorrigibles. On ne donne pas de la sensibilité à ceux qui n'en ont point : je doute qu'on rectifie le jugement. Si un enfant pêche par défaut de sensibilité, il faut lui imprimer profondement des idées d'ordre & de justice : heureux s'il peut les recevoir & les conserver ! Quand on trouve trop de difficultés à affoiblir une passion, il faut en fortifier une autre, & n'abandonner un enfant à son sort, qu'après avoir tout tenté pour le corriger.


INCORRUPTIBLEadj. (Gram.) qui n'est point sujet à corruption. Voyez CORRUPTION. Il n'y a rien dans la nature d'incorruptible. Cependant la corruption ne se dit guere que des substances animales & végétales. On regarde les sels, les pierres, les métaux, &c. comme incorruptibles. Les sels se dissolvent, se décomposent, les pierres tombent en poudre, les métaux se réduisent en chaux, encore faut-il en excepter l'or.

Incorruptible se dit au figuré. Un juge incorruptible. Il y a peu de gens dont la probité soit incorruptible.

INCORRUPTIBLES, s. m. pl. (Théol.) nom de sectes.

Les incorruptibles étoient un rejetton des Eutychiens.

Ils disoient que le corps de J. C. étoit incorruptible ; par là ils entendoient que dès qu'il fut formé dans le sein de sa mere, il n'étoit susceptible d'aucun changement, ni d'aucune altération, pas même des passions naturelles & innocentes, comme la faim & la soif ; ensorte qu'avant sa mort il mangeoit sans besoin, comme après sa resurrection. On voit par là d'où leur venoit ce nom : on les appelloit aussi incorrupticoles. Dict. de Trévoux.


INCRASSANTou EPAISSISSANT, (Medecine thérapeutique) Les Medecins appellent incrassation, ou épaississement procuré aux humeurs par des remedes, le changement de ces humeurs trop fluides, trop subtiles, en une consistance plus dense, plus tenace, plus grossiere.

La plus grande fluidité, qu'on a aussi appellé la dissolution des humeurs, a été un vice très-anciennement observé ; & la vûe de la corriger par des remedes, est comptée parmi les indications médecinales dès le commencement de la Médecine rationnelle. Mais les anciens, les Galenistes sur-tout n'ont considéré ce vice que dans les humeurs excrémenticielles, & principalement dans la bile. Ils le regardoient comme un obstacle à l'évacuation suffisante & utile de ces humeurs, comme les empêchant de céder à l'action de la force expultrice, ou comme propre à une humeur particuliere, qui étant mêlée à la masse du sang, l'agitoit, le raréfioit, produisoit l'orgasme. Voyez ORGASME. Wedel & Juncker auteurs modernes, qui sont mis avec raison au premier rang pour la théorie de l'action des médicamens, ne donnent point d'autre idée de l'état des humeurs qui indique l'incrassation.

C'est une invention, & vraisemblablement un préjugé de notre siecle, que l'opinion d'une dissolution de la masse entiere des humeurs, du sang proprement dit, de la lymphe, &c. & que le projet de les épaissir par les secours de l'art.

La Medecine moderne emploie à produire l'incrassation, entendue en ce dernier sens, des remedes de différentes vertus. Les évacuans de toutes les especes, par le moyen desquels on chasse du corps la partie la plus liquide de la masse du sang ; l'exercice pour fortifier les organes qui sont mis par-là en état de condenser les humeurs ; les remedes toniques, acides, acerbes, austeres dans la même vûe ; les astringens styptiques vulgaires, qu'on croit altérer directement & immédiatement la consistance des humeurs ; les anodins, & antispasmodiques, antorgasmiques, qui sont censés agir en calmant leur fougue ; & enfin les incrassans, proprement dits, qui font le sujet propre de cet article. Voyez sur l'action des autres remedes que nous venons d'indiquer leurs articles particuliers : EVACUANT, EXERCICE, STYPTIQUE, &c.

Les remedes appellés incrassans par excellence sont des substances fournies par le regne végétal, & par le regne animal, fades, inodores, collantes, solubles dans les liqueurs aqueuses, qu'elles épaississent & qu'elles rendent gluantes sensiblement ; & qui étant digérées & portées dans la masse du sang, sont censées y produire le même effet par une vraie mixtion, interposition, introsusception de leur substance entiere & inaltérée, immediatâ & substantiali sui miscelâ, interpositione, introsusceptione, solutione.

Les médicamens auxquels on accorde éminemment cette propriété, sont la plûpart des substances muqueuses, végétales, & animales, & principalement les émulsions ordinaires sucrées, le suc & les décoctions de réglisse ; les décoctions ou tisanes de citrouille, de carouge, de racine de guimauve, de grande consoude, qui est bien plus mucilagineuse que styptique, &c. l'orge, le riz, l'avoine, le sagou, & presque tous les farineux, Voyez FARINEUX, soit en décoction, soit préparés en crême, ou en potage avec l'eau, le lait ; les émulsions végétales, comme le lait d'amende, &c. ou le bouillon ; les décoctions, & le syrop de chou rouge, & de navet ; les châtaignes, le chocolat appellé de santé, les sucs gélatineux animaux, tels que la gelée de corne de cerf, les bouillons de limaçons, de grenouilles, & ceux de jeunes animaux ; comme poulets & veaux, les brouets, ou bouillons légers de ces dernieres viandes appellés communément eau de poulet, eau de veau, les bouillons de veau au bain-marie fort usités à Montpellier, les oeufs, le lait & les laitages, &c.

Pour évaluer exactement les vertus réelles de ces substances, il faut observer,

Premierement, que ce sont ici des véritables alimens, des alimens purs & proprement dits exquisita, des alimens qui ne sont point du tout médicamenteux. Voyez NOURRISSANT & MEDICAMENT.

Secondement, que toutes ces substances, & en général toutes les substances propres à nourrir les animaux, sont sujets à un changement spontané, appellé fermentation (Voyez FERMENTATION), & que le premier effet de ce changement est de détruire la viscosité de ces substances qui ne leur est ensuite jamais rendue par aucune altération ultérieure.

Troisiemement, que ces substances éprouvent dans l'estomac & dans les intestins une altération qui détruit encore plus puissamment leur consistance, leur viscosité, & qu'elles ne fournissent constamment au sang qu'une liqueur toujours très-fluide & très-ténue, savoir, le chyle, lequel recevant des élaborations ultérieures dans les organes de la sanguification, est absolument différent, dégénéré de la matiere qui l'a fourni avant que d'être véritablement incorporé, assimilé avec le sang.

Quatriemement, qu'il n'en est pas moins vrai que lorsqu'on mange des corps farineux & des doux non fermentés, la salive, & vraisemblablement les humeurs oesophagienne & gastrique sont épaissies & rendues gluantes.

Cinquiemement, il est observé encore que ceux qui tirent leur nourriture ordinaire des corps farineux non fermentés, comme du blé de Turquie & des chataignes, qui sont l'aliment commun des habitans de plusieurs provinces, que ces hommes, disje, sont gros, gras, pour ainsi dire empâtés, & en même-tems lourds, paresseux, foibles.

On peut tirer de ces observations les conséquences suivantes :

Premierement, que les remedes appellés incrassans ne sont pas proprement des médicamens ; & que puisqu'ils sont au contraire de simples & véritables alimens, ils doivent être employés à grande dose, & pendant longtems, s'ils sont en effet indiqués quelquefois.

Secondement, qu'on évalue très-mal leur opération sur les humeurs du corps vivant, dans le sein desquelles ils sont introduits par la route commune du chyle, & après avoir essuyé divers changemens considérables, en estimant cette opération par les effets de ces substances inaltérées sur des liqueurs mortes, inertes, contenues dans des vaisseaux purement passifs, in vitro, & que s'il n'est pas démontrable à la rigueur que ces prétendus incrassans n'operent sur les humeurs aucun épaississement direct & immédiat, du moins cette assertion est-elle très-vraisemblable : surquoi on peut faire cette remarque singuliere, que de tous les moyens d'incrassation artificielle proposés au commencement de cet article, le plus vain, le plus nul, du moins le plus incertain, c'est l'emploi des matieres appellées incrassantes par excellence.

Troisiemement, que l'épaississement réellement causé à la salive, & aux sucs oesophagien & stomacal, par l'usage des farineux non fermentés, & surtout des doux exquis, n'infirme en rien le sentiment que nous venons de proposer, parce que ces sucs sont immédiatement imprégnés, chargés de ces substances immuées, inaltérées. Cette considération en fournit une autre qui est immédiatement liée à la premiere ; c'est qu'il n'y a que les sucs & les organes digestifs qui soient évidemment affectés par nos incrassans, & qu'ainsi l'on peut raisonnablement déduire leurs vertus médicinales, s'ils en ont en effet, de leur action sur les sucs & sur ces organes.

Quatriemement enfin, que le mol embonpoint des alphitophages, ou mangeurs de farine, ne prouve rien en faveur de la théorie vulgaire, c'est-à-dire de celle qui fait agir ces matieres dans le corps comme dans les vaisseaux chimiques ; car certainement être gros & gras, n'est pas la même chose qu'avoir les humeurs épaisses & visqueuses.

Mais comme un moyen curatif peut être très-utile, quoiqu'on n'ait qu'une fausse théorie de son action, & que par conséquent, après avoir démontré l'insuffisance de celle-ci, il reste à savoir encore quels sont les usages des corps bien ou mal nommés incrassans. Nous dirons premierement que l'espece d'aliment pur, doux, de facile digestion, abondant en matiere nutritive, auquel on a donné le nom d'incrassant, est bon, & vraisemblablement à cause des qualités que nous venons d'y remarquer dans les cas suivans.

On les donne communément & avec succès aux personnes seches, exténuées, épuisées par le travail, ou par un usage excessif de l'acte vénérien ; aux phthisiques, à ceux qui sont attaqués de toux opiniâtres, qui sont dans le marasme, ou dans la fievre hectique ; à ceux qui sont sujets aux dartres, aux éresipeles, aux rhumatismes ; dans les ophthalmies, avec écoulement d'humeurs abondantes & âcres ; dans le scorbut, les flux de ventre colliquatifs, les sueurs abondantes, la fievre ardente putride, &c.

Il nous reste à observer que nous avons dans l'art, outre ces incrassans généraux, des incrassans particuliers, d'une humeur excrémenticielle particuliere, c'est-à-dire des incrassans, dans le sens des anciens ; savoir, ceux qu'on destine à épaissir l'humeur bronchique, ou à mûrir la matiere des crachats dans les rhumes. Ces remedes sont une espece de béchique, ou pectoral. Voyez PECTORAL, Méd. thérap. (b)


INCRÉDULEINCRÉDULITé, (Gramm.) L'incrédulité est définie par le diction. de Trév. une disposition d'esprit qui nous fait rejetter les choses, à moins qu'elles ne nous soient bien démontrées : en ce sens l'incrédulité est une qualité louable, excepté en matiere de foi.

Il y a deux sortes d'incrédulité, l'une réelle & l'autre simulée.

L'incrédulité réelle ne peut être vaincue que par des raisons supérieures à celles qui s'opposent dans notre esprit à la croyance qu'on exige.

Il faut abandonner à son malheureux sort l'incrédulité simulée ; il faut attendre cette sorte d'hypocrite au dernier moment, à ce moment où l'on n'a plus la force de s'en imposer à soi-même ni aux autres.


INCRÉÉadj. (Gramm.) qui n'a point eu de commencement, & conséquemment n'aura point de fin. Tous les anciens Philosophes ont dit, rien ne se fait de rien ; ainsi la matiere étoit, selon eux, incréée, éternelle. Pour nous, il n'y a que Dieu qui soit incréé. Voyez les articles DIEU & CREATION.


INCRÉMENTdans la Géométrie se dit de la quantité dont une quantité variable augmente ou croît ; si la quantité variable décroît ou diminue, sa diminution ou son décroissement s'appelle encore alors incrément ; mais l'incrément est négatif. Voyez DIFFERENTIEL & FLUXION.

M. Taylor a appellé incrémens les quantités différentielles. Voyez son ouvrage intitulé Methodus incrementorum, &c. (O)


INCROYABLEadj. (Gram. & Métaphysiq.) ce qui ne nous paroît pas digne de foi. Il faut avoir égard aux circonstances, au cours ordinaire des choses, à la nature des hommes, au nombre de cas où de pareils évenemens ont été démontrés faux, à l'utilité, au but, à l'intérêt, aux passions, à l'impossibilité physique, aux monumens, à l'histoire, aux témoins, à leur caractere, en un mot, à tout ce qui peut entrer dans le calcul de la probabilité, avant que de prononcer qu'un fait est digne ou indigne de notre croyance.

Le mot incroyable est hyperbolique, comme dans ces exemples : Xerxès fit passer dans la Grece une multitude incroyable de soldats. Alexandre se plaisoit à tenter des choses incroyables.

Celui qui ne trouve rien d'incroyable est un homme sans expérience & sans jugement.

Celui qui ne croit rien, & à qui tout paroît également impossible, a un autre vice d'esprit qui n'est pas moins ridicule.

Il y a une telle diversité dans la constitution générale des hommes, qu'il n'y en a pas deux à qui un même fait paroisse également croyable ou incroyable. Faites-en l'expérience, & vous verrez que celui-ci vous dira que la vraisemblance que telle chose est, à la vraisemblance qu'elle n'est pas, est dans le rapport de 1 à 10, & l'autre dans le rapport de 1 à 1000.


INCRUSTATIONS. f. (Hist. nat. Minéralog.) On nomme ainsi une croûte ou enveloppe de pierre qui se forme peu à peu autour des corps qui ont séjourné pendant quelque tems dans de certaines eaux. L'incrustation ne doit pas être confondue avec la pétrification ; cependant elle peut contribuer beaucoup à nous faire connoître la maniere dont elle s'opere. Les incrustations varient avec la nature de la terre qui a été dissoute, ou du moins divisée par les eaux ; mais les incrustations les plus ordinaires sont calcaires, parce qu'il n'y a point de terre qui soit plus disposée à être mise en dissolution que la terre calcaire. Il y a aussi des incrustations ochracées ou couleur d'ochre, parce que la terre dont les eaux étoient chargées étoit mêlée de parties ferrugineuses qui se sont déposées avec elle sur les corps qui séjournent dans ces eaux, & ont formé peu-à-peu une croûte ou enveloppe autour d'eux : de cette derniere espece sont les incrustations fameuses qui se font dans les eaux thermales des bains de Carlsbade en Bohème ; elles se forment très-promtement, & prennent assez exactement la figure des plantes, des bois & des autres corps qu'on y laisse tremper ; elles sont d'un beau rouge pourpre ou foncé. Les eaux d'Arcueil, près de Paris, ont aussi la propriété de former très-promtement une croûte autour des corps qu'on y laisse séjourner, & elles bouchent au bout d'un certain tems les tuyaux de plomb par où elles passent.

Il y a aussi des incrustations métalliques, telles sont celles que l'on voit sur certaines pierres, sur lesquelles on remarque un enduit ou une croûte de pyrite ou de cuivre ; mais celles-là sont formées par les exhalaisons minérales. Voyez MINES.

On appelle aussi incrustations l'enduit qui se forme peu-à-peu sur les parois des grottes & des cavernes ; ces dernieres doivent leur origine aux eaux chargées de sucs lapidifiques, qui suintent au-travers des rochers & y déposent la partie terreuse, qui se durcit à l'air, & forme une croûte que l'oeil peut aisément distinguer de la roche ou pierre à laquelle elle s'est attachée : c'est ainsi que se forment les stalactites. Voyez STALACTITE.

Dans les chambres graduées des salines, où l'on fait passer l'eau chargée de sel par dessus des fagots ou des épines, il se forme aussi au bout de quelque-tems autour de ces corps des incrustations qui ont exactement la figure du corps autour duquel elles se sont incrustées. L'on voit quelquefois des nids d'oiseaux, des branches, &c. qui sont ainsi incrustés, & que les personnes peu instruites regardent comme des pétrifications rares & singulieres.

Tout le monde a un exemple familier de l'incrustation dans l'enduit qui se forme journellement sur les parois des vaisseaux dans lesquels on fait bouillir de l'eau ; on voit que leur intérieur se tapisse d'une croûte terreuse, qui à la longue prend la consistance d'une pierre. (-)

INCRUSTATION, (Archit. rom.) en latin incrustatio, ou tectorium opus, dans Vitruve ; sorte d'enduit dont les murs, les planchers, les toîts, les pavés, les frises & autres parties des temples, des palais & des bâtimens étoient couvertes comme un pain l'est de croûte.

On distinguoit chez les Romains quatre sortes d'incrustations principales, qui composoient ce genre d'ornement, & dont le lecteur ne sera pas fâché d'être instruit.

La premiere espece se faisoit d'un simple enduit de mortier ; si c'étoit de chaux, les Architectes romains qui ne s'en servoient qu'à blanchir, le nommoient albarium opus ; s'il y avoit du sablon, de l'arene mêlée avec de la chaux, arenatum ; & si c'étoit du marbre battu & pulvérisé, marmoratum : c'est de telles incrustations que Pline parle liv. XXXVI, chap. xxiij, quand il dit : Tectorium, nisi ter arenato, & bis marmorato inductum est, non satis splendoris habet. Voilà la seule incrustation connue dans le siecle des Curtius & des Fabricius ; mais cette simplicité ne dura pas longtems.

La seconde espece d'incrustation qui suivit de près, s'exécutoit avec des feuilles de marbre appliquées sur la surface des murs. Les maisons des grands en furent parées sur la fin de la république. Cornelius Népos veut que Mamurra, chevalier romain, surintendant des architectes de Jules-César dans les Gaules, soit le premier qui revêtit sa maison du mont Coelius de feuilles de marbre sciées en grandes & fines tables. Lépide & Luculle l'ayant imité, cette invention s'accrut merveilleusement par d'autres citoyens également riches & curieux, & surtout par les empereurs.

On ne se contenta plus d'exposer à la vûe le marbre en oeuvre, on commença sous Claude à le peindre ou à le teindre, & sous Néron à le couvrir d'or, & à le mettre en compartimens de couleurs, qu'on diversifioit, pommeloit, mouchetoit, & sur lesquels on faisoit des figures de toutes sortes de fleurs, de plantes & d'animaux. C'est ce que Pline, liv. XXXV, chap. j. nous apprend dans son style pittoresque : Jam verò pictura in totum marboribus pulsa, jam quidem & auro : nec tantùm ut parietes toti operiantur, verùm & interraso marmore, vermiculatis ad effigies rerum & animalium crustis. Non placent jam abaci, non spatia montis in cubiculo delitentia. Coepimus & lapidem pingere. Hoc Claudii principatu inventum, Neronis verò, maculas, quae non essent, in crustis inserendo, unitatem variare : ut ovatus esset Numidicus, ut purpurâ distingueretur Synnadicus, qualiter illos nasci optarent deliciae : montium haec subsidia deficientium.

Pline veut dire dans ce bel endroit, que les esprits des Romains de ce tems-là étoient tellement portés par le luxe à ce genre de recherches, qu'ils ne goûtoient plus les grandes tables de marbre quarrées, (abacos) ni celles qui décoroient leurs appartemens, si elles n'étoient peintes ou teintes de couleurs étrangeres. Les marbres de Numidie & de Synnada en Phrygie, qui étoient les plus précieux de tous, ne leur paroissoient plus assez beaux, à cause de leur simplicité. Il falloit marqueter, diaprer, jasper de plusieurs couleurs ceux que la nature avoit produits d'une seule. Il falloit que le marbre numidien fût chargé d'or, & le synnadien teint en pourpre : ut ovatus esset numidicus, ut purpurâ distingueretur synnadicus ; on sous-entend lapis, qui précede un peu plus haut. Du Pinet transformant, comme un autre Deucalion, des pierres en des hommes, a pris les deux mots numidicus & synnadicus pour deux citoyens romains, l'un décoré du triomphe, qu'on appelloit ovatio, & l'autre revêtu de pourpre.

Les marbres numidien & synnadien sont les mêmes que Stace appelle lybicum, phrygiumque silicem, dont la maison de Stella Violantilla étoit toute incrustée, ainsi que du marbre verd de Lacédémone.

Hîc libycus phrygiusque silex ; hîc dura Laconum

Saxa virent.

Le marbre de Numidie, ovatus, signifie auratus, chargé d'or, parce qu'on doroit le marbre avec du blanc-d'oeuf, comme on dore le bois avec de l'or en couleur.

Pour ce qui est de la teinture des marbres, cet art étoit déja monté à une telle perfection, que les ouvriers de Tyr & de Lacédémone, si supérieurs dans la teinture du pourpre, portoient envie à la beauté & à l'éclat de la couleur purpurine qu'on donnoit aux marbres. C'est Stace qui nous en assure encore.

Rupesque nitent, queis purpura saepe

Oebalis, & Tyrii moderator livet ahene.

Le troisieme genre d'incrustation dont les Romains décoroient leurs bâtimens en dedans & en dehors, s'exécutoit avec de l'or ou de l'argent pur. Cette sorte d'incrustation se pratiquoit en deux manieres ; savoir, ou par simples feuilles d'or & d'argent battu, ou par lames solides de l'un & de l'autre métal. Les Romains firent des dépenses incroyables en ce genre.

La dorure en feuilles du temple de Jupiter Capitolin par Domitien, coûta seule plus de douze mille talens, c'est-à-dire, plus de trente-six millions de nos livres. Plutarque, après avoir parlé de cette dorure somptueuse du capitole, ajoute : si quelqu'un s'en étonne, qu'il visite les galeries, les basiliques, les bains des concubines de Domitien, il trouvera bien dequoi s'émerveiller davantage.

La mode s'établit chez les particuliers de faire dorer les murs, les planchers & les chapiteaux des colomnes de leurs maisons. Laquearia, quae nunc, & in privatis domibus auro teguntur, e templo Capitolino, transiere in cameras, in parietes quoque, qui jam & ipsi, tanquam vasa inaurantur, nous dit Pline, liv. XXXIII, cap. iij.

C'étoit une chose ordinaire à Rome du tems de Properce, de bâtir de marbre de Ténare, & d'avoir des planchers d'ivoire sur des poutres dorées. Les deux vers suivans l'indiquent.

Quod non Taenaris domus est mihi fulta metallis,

Nec camera auratas inter eburna trabes.

Propert. Eleg. 5.

L'autre incrustation d'or consistoit en lames solides de ce métal, passées par les mains des Orfevres, & appliquées aux poutres, lambris, solives des maisons, portes des temples, & maçonnerie d'amphithéatres. Ces lames d'or sont désignées dans les auteurs par ces mots, crassum, vel solidum aurum, pour les distinguer des feuilles d'or battu, qu'ils nommoient bracteas, & qui servoient aux simples dorures : il faut bien que cet usage d'incrustation de lames d'or fût commun sous l'empire de Domitien, puisque Stace parlant du tems où l'ancienne frugalité regnoit encore, dit dans sa Thébaïde, liv. I.

Et nondùm crasso laquearia fulta metallo,

Montibus aut late Graiis effulta nitebant

Atria.

Lucain nous assure que les poutres du palais de Cléopatre avoient été couvertes de ces incrustations de lames d'or ; ce qu'il met au rang des superfluités des siecles les plus corrompus, qui les eussent à peine souffertes dans un temple.

Ipse locus templi (quod vix corruptior aetas

Exstruat) instar erat ; laqueataque tecta ferebant

Divitias, crassumque trabes absconderat aurum.

Toutefois rien ne ressemble en ce genre à la magnificence presque incroyable que déploya Néron, en faisant revêtir intérieurement de lames d'or tout le théatre de Pompée, lorsque Tiridate, roi d'Arménie, vint le voir à Rome, & même pour n'y demeurer qu'un seul jour : aussi ce jour, tant à cause de la dorure de ce théatre, que pour la somptuosité de tous les vases & autres ornemens dont on l'enrichit, fut appellé le jour d'or. Claudii successor Nero, Pompeii theatrum operuit in unum diem, quòd Tiridati, regi Armeniae ostenderet, dit Pline, liv. XXXIII, cap. iij. Ce n'est donc pas ridiculement que le poëte Asconius, parlant de la ville de Rome, la caractérise en ces termes :

Prima urbs inter Divûm domus, aurea Roma.

Quant aux lames d'argent, Séneque nous raconte que les femmes de son siecle avoient leurs bains pavés d'argent pur, ensorte que le métal employé pour la table, leur servoit aussi de marche-pié. Argento faeminae lavantur, & nisi argentea sint folia, fastidiunt, eademque materia & probris serviat, & cibis.

On en étoit venu jusqu'à enchâsser dans le parquetage des appartemens, des perles & des pierres précieuses. Eò deliciarum pervenimus, ut nisi gemmas calcare nolimus. Et Pline dit à ce sujet qu'il ne s'agissoit plus de vanter des vases & des coupes enrichies de pierreries, puisque l'on marchoit sur des bijoux, que l'on portoit auparavant seulement aux doigts.

Stace n'a point oublié ce trait de luxe effréné, lorsque décrivant une maison de campagne appartenant à Manlius Vopiscus, il ajoute :

Vidi artes, veterumque manus, variisque metalla

Viva modis : labor est, auri memorare figuras :

Aut ebur, aut dignas digitis contingere gemmas.

Dùm vagor aspectu, visusque per omnia duco,

Calcabam, nec opimus opes.

Lib. sylvar. Manlii Vopisci.

Le quatrieme genre d'incrustations, sur lequel je serai court, consistoit en ouvrages de marqueterie & de mosaïque, opera tessellata, musiva, lithostrata, & cerostrata, dont on décoroit aussi les palais & les maisons particulieres. Dans ces sortes d'incrustations, différentes en forme & en matiere, on employoit aux ouvrages deux sortes d'émaux, les uns & les autres faits sur tables d'or, de cuivre ou autre métal, propres à recevoir couleurs & figures par le feu. Quand ces émaux étoient de pieces ou tables quarrées, on les appelloit abacos ; quand elles étoient rondes, on les nommoit specula & orbes.

Un homme se croyoit pauvre si tous les appartemens de sa maison, chambres & cabinets ne reluisoient d'émaux ronds ou quarrés, d'un travail exquis, si les marbres d'Alexandrie ne brilloient d'incrustations numidiennes, & si la marqueterie n'étoit si parfaite qu'on la prit pour une vraie peinture.

Mais que Séneque avoit raison d'apprécier en sage tous ces sortes d'ornemens à leur valeur réelle ! C'est un beau morceau que celui de l'épître 115, dans laquelle il fait la réflexion suivante. " Semblables, dit-il, à des enfans, & plus ridicules qu'eux, nous nous laissons entraîner à des recherches de fantaisie, avec une passion aussi coûteuse qu'extravagante. Les enfans se plaisent à amasser, à manier de petits cailloux polis qu'ils trouvent sur le bord de la mer ; nous, hommes faits, nous sommes fous de taches & de variétés de couleurs artificielles, que nous formons sur des colomnes de marbre, amenées à grands frais des lieux arides de l'Egypte, ou des deserts d'Afrique, pour soutenir quelque galerie. Nous admirons de vieux murs que nous avons enduits de feuilles de marbre, sachant bien le peu de prix de ce qu'elles cachent, & ne nous occupant que du soin de tromper nos yeux, plutôt que d'éclairer notre esprit. En incrustant de dorures les planchers, les plafonds & les toîts de nos maisons, nous nous repaissons de ces illusions mensongeres, quoique nous n'ignorions pas que sous cet or il n'y a que du bois sale, vermoulu, pourri, & qu'il suffisoit de changer contre du bois durable & proprement travaillé. " (D.J.)


INCUBATIONS. f. (Gram. & Hist. nat.) il se dit de l'action de la femelle des oiseaux, lorsqu'elle se met & demeure sur ses oeufs pour les couver. La durée de l'incubation n'est pas la même pour tous les oiseaux.


INCUBES. m. (Divinat.) nom que les Démonographes donnent au démon quand il emprunte la figure d'un homme, pour avoir commerce avec une femme.

Delrio, en traitant de cette matiere, pose pour premier axiome incontestable que les sorcieres ont coutume d'avoir commerce charnel avec les démons, & blâme fort Chytrée, Wyer, Biermann, Godelman, d'avoir été d'une opinion contraire, aussi bien que Cardan & Jean-Baptiste Porta, qui ont regardé ce commerce comme une pure illusion.

Il est vrai que saint Justin martyr, Clément Alexandrin, Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin & saint Jérôme ont pensé que ce commerce étoit possible ; mais de la possibilité à l'acte il y a encore une grande distance. Delrio prouve cette possibilité, parce que les démons peuvent prendre un corps & des membres phantastiques, les échauffer jusqu'à un certain dégré. Quant à la semence nécessaire à la consommation de l'acte vénérien, il ajoûte que les démons peuvent enlever subtilement celle que des hommes répandent dans des illusions nocturnes ou autrement, & en imiter l'éjaculation dans la matrice : d'où il conclut que les incubes peuvent engendrer, non pas de leur propre nature, puisque ce sont des esprits, mais parce que la semence qu'ils ont ainsi enlevée conserve encore assez d'esprits vitaux & de chaleur pour contribuer à la génération.

Pour appuyer ce sentiment, cet auteur cite sérieusement ce que les Platoniciens ont pensé du commerce des hommes avec les génies ; ce que les Poëtes ont dit de la naissance des demi-dieux, tels qu'Enée, Sarpedon, &c. & ce que nos vieilles chroniques racontent de l'enchanteur Merlin. Les faits de sorcellerie qu'il ne rejette jamais, viennent aussi à son secours. On peut juger par la solidité de ces preuves, de celle de l'opinion qu'il soutient, & que le lecteur peut voir en son entier dans les disquisitions magiques de cet auteur, liv. II, quest. 15. pag. 159 & suiv.

Il est bien plus raisonnable de penser que tout ce qu'on raconte des incubes, & ce qu'en ont dit elles-mêmes les sorcieres dans leurs dépositions, est l'effet d'une imagination ardente & d'un tempérament fougueux. Que des femmes abandonnées à la dépravation de leur coeur, embrasées de desirs impurs, ayent eu des songes & des illusions vives, & ayent cru avoir commerce avec les démons, il n'y a rien-là de si étonnant qu'à s'imaginer qu'on est transporté dans les airs sur un manche à balai, qu'on danse, qu'on fait bonne chere, qu'on adore le bouc, & qu'on a commerce avec lui ou avec ses suppôts. Tout ceci cependant ne passe parmi les esprits sensés, que pour des effets d'une imagination vivement frappée ; il lui en coûte encore moins d'efforts pour supposer des incubes.


INCUBOgen. NIS. (Littérat.) Ce mot, qu'on ne peut rendre que par périphrase, signifioit chez les Latins, un démon familier, un génie gardien des trésors de la terre.

Les gens du petit peuple de Rome croyoient que les trésors cachés dans les entrailles de la terre, étoient gardés par des esprits, qu'ils nommoient incubones, & qui avoient de petits chapeaux, dont il falloit d'abord se saisir, après quoi, si on avoit le bonheur d'y parvenir, on devenoit leur maître, & on les contraignoit à déclarer & à découvrir où étoient ces trésors : on appelloit ce chapeau du génie, le chapeau de Fortunatus. Peut-être que les directeurs des mines des Romains avoient répandu ces contes pour mieux cacher la manoeuvre de leurs opérations. (D.J.)


INCULQUERv. act. (Gram.) enfoncer en frappant avec le pié. Je ne sais s'il a jamais été usité au simple, mais il ne l'est plus qu'au figuré. On dit d'une maxime qu'on ne peut trop l'inculquer aux hommes ; d'une vérité, qu'on ne peut l'inculquer de trop bonne heure aux enfans.


INCULTEadj. (Gram.) qui n'est pas cultivé. Des terres incultes. Il est démontré qu'en tout pays où il reste des terres incultes, il n'y a pas assez d'hommes, ou qu'ils y sont mal employés.

Inculte se dit aussi au figuré ; les hommes de cette province ont de l'esprit, mais inculte.

Il y a peu de terres incultes en France, mais elles y sont mal cultivées.


INCURABLE(Méd.) se dit d'une maladie, d'une incommodité, d'une infirmité qui ne peut être guérie. Voyez aux articles particuliers des diverses maladies, quelles sont celles qui sont incurables, soit par leur nature, soit par leur degré, soit par quelqu'autre circonstance.

Les affections incurables admettent encore quelquefois un traitement palliatif, (Voy. PALLIATIF.) & demandent aussi quelquefois un régime particulier. Voyez REGIME. (b)


INCURABLESS. m. pl. (Gouvernem.) maison fondée pour les pauvres malades dont la guérison est desespérée.

Ceux qui n'adoptent pas les établissemens perpétuels fondés pour les secours passagers, conviennent néanmoins de la nécessité des maisons publiques hospitalieres, consacrées au traitement des malades ; & comme dans la multiplicité des maladies, il y en a que l'art humain ne peut guérir, & qui sont de nature à devenir contagieuses, où à subsister très-longtems sans détruire la machine, le gouvernement a cru nécessaire dans la plûpart des pays policés, d'établir des maisons expresses pour y recevoir ces sortes de malades, & leur donner tous les secours que dictent les sentimens de la compassion & de la charité. Un particulier d'Angleterre a fondé lui seul dans ce siecle, & de son bien, légitimement acquis par le commerce, un hôpital de cet ordre. Le nom de ce digne citoyen, immortel dans sa patrie, mérite de passer les mers & d'être porté à nos derniers neveux. C'est de M. Thomas Guy, libraire à Londres, que je parle ; l'édifice de son hôpital pour les incurables, lui a coûté trente mille livres sterling (690 mille livres tournois) ; ensuite pour comble de bienfaits, il l'a doté de dix mille livres sterling de rente, 230 mille livres tournois. (D.J.)


INCURSIONS. f. (Gram.) entrée brusque de troupes ennemies dans une contrée qu'elle traverse en la dévastant. L'empire Romain a beaucoup souffert des incursions des barbares. La Pologne est exposée aux incursions des Tartares.

Incursion se prend encore dans un sens un peu détourné du précédent. On dit d'un homme lettré qu'il s'est appliqué à telle science, mais qu'il a fait de grandes incursions dans d'autres.


INCUSEnumisma, (Médaille) monnoyage, médaille antique ou moderne, qui se trouve sans revers, ou porte en creux la tête qui est en bosse de l'autre côté, parce que le monnoyeur a oublié de mettre les deux quarrés en la frappant.

Cette faute est assez commune sur les monnoies modernes depuis Othon & Henri l'Oiseleur ; dans les antiques consulaires, il se rencontre quelquefois des médailles incuses, parmi les impériales de bronze & d'argent. La cause en est due à la précipitation du monnoyeur, qui avant que de retirer une médaille qu'il venoit de frapper, remettoit une nouvelle piece de métal, laquelle trouvant d'une part le quarré, & de l'autre la médaille précédente, recevoit l'impression de la même tête d'un côté en relief, & de l'autre en creux ; mais toûjours plus imparfaitement d'un côté que de l'autre, parce que l'effort de la médaille étoit beaucoup plus foible, que celui du quarré. Voyez le P. Joubert, science des médailles. (D.J.)


INDAL(Géog.) riviere de Suede ; elle a sa source dans les montagnes de la Norvege, aux confins de ce royaume, & se perd après un long cours dans le golphe de Bothnie. (D.J.)


INDEL'(Géog. anc. & moderne) les anciens donnerent d'abord ce nom au pays situé sur le grand fleuve Indus en Asie ; & c'est la seule Inde des anciens proprement dite. Ils la diviserent ensuite en Inde en-deçà du Gange, India intrà Gangem, & en Inde au-delà du Gange, India extrà Gangem.

Je n'ai garde d'entrer dans le détail des peuples & des villes que Ptolomée & les autres géographes mettent dans les Indes en-deçà & en-delà du Gange. Ce détail seroit d'autant plus inutile, qu'ils n'en avoient qu'une idée très-confuse, & que les cartes dressées exactement d'après les positions de Ptolomée, nous montrent cette partie du monde très-différemment de son véritable état ; Cellarius a fait un abrége du tout, qu'on peut consulter.

Cependant il importe de remarquer ici que les anciens ont quelquefois nommé Indiens, les peuples de l'Ethiopie ; un seul vers le prouveroit.

Ultrà Garamantas & Indos

Proferet imperium.

Ce vers est de Virgile, en parlant d'Auguste, qui ayant effectivement conquis quelques villes d'Ethiopie, obligea ces peuples à demander la paix par des ambassadeurs. De plus, Elien met aussi des indiens auprès des Garamantes dans la Libye ; & pour tout dire, l'Ethiopie est nommée Inde dans Procope.

Mais les Indiens dont parle Xénophon dans sa Cyropédie, ne sont point les peuples de l'Inde proprement dite, qui habitoient entre l'Indus & le Gange, ni les Ethiopiens de Virgile, d'Elien, & de Procope ; ce sont encore d'autres nations qu'il faut chercher ailleurs. M. Freret croit que ce sont les peuples de Colchos & de l'Ibérie. Voyez ses raisons dans les Mém. des Belles-Lettres, Tome VIII.

Pour les Indiens de Cornélius Népos jettés par la tempête sur les côtes de Germanie, si le fait est vrai, ce ne seront vraisemblablement que des Norvégiens ou des Lapons, qui navigeant ou pêchant sur le golphe Bothnique, furent poussés par la tempête dans la mer Baltique, vers la côte méridionale. Leur couleur étrangere, la simplicité des Germains chez lesquels ils aborderent, l'ignorance où l'on étoit alors de la Géographie du Nord & du Levant, purent les faire passer pour Indiens. On donnoit ce nom aux étrangers venus des régions inconnues, & même par le manque de lumieres, sur le rapport de l'Amérique avec les Indes, ne lui a-t-on pas donné le nom d'Indes occidentales ?

Ce ne fut que sous le regne d'Auguste que l'on poussa la navigation vers le nord de la Germanie, jusqu'à la Chersonese cimbrique qui est le Jutland. Ce fut aussi seulement sous cet empereur, que la navigation d'Egypte aux Indes commença à se régler ; alors Gallus gouverneur du pays, fit partir pour les Indes, une flotte marchande de 120 navires, du port de la Souris, , aujourd'hui Casir, sur la mer Rouge. Les Romains flatés par le profit immense qu'ils retiroient de ce trafic, & affriandés à ces belles & riches marchandises qui leur revenoient pour leur argent, cultiverent avidement ce négoce, & s'y ruinerent. Tous les peuples qui ont négocié aux Indes, y ont toûjours apporté de l'or, & en ont rapporté des marchandises.

Quoiqu'on sache assez que ce commerce n'est pas nouveau, néanmoins c'est un sujet sur lequel M. Huet mérite d'être lû, parce qu'il l'a traité savamment & méthodiquement, soit pour les tems anciens, soit pour le moyen âge.

Darius 509 ans avant J. C. réduisit l'Inde sous sa domination, en fit la douzieme préfecture de son empire, & y établit un tribut annuel de 360 talens euboïques ; ce qui, suivant la supputation la plus modérée, montoit à environ un million quatre-vingt-quinze mille livres sterlings. Voilà pourquoi Alexandre vangeur de la Grece, & vainqueur de Darius, poussa sa conquête jusques aux Indes, tributaires de son ennemi. Après les successeurs d'Alexandre, les Indiens vécurent assez long-tems dans la liberté & dans la mollesse qu'inspire la chaleur du climat & la richesse de la terre ; mais nous n'avons connu l'histoire & les révolutions de l'Inde que depuis la découverte qui a porté facilement nos vaisseaux dans ce beau pays.

Personne n'ignore que sur la fin du XV. siecle, les Portugais trouverent le chemin des Indes orientales, par ce fameux cap des Tempêtes, qu'Emmanuel roi de Portugal nomma cap de Bonne-Espérance ; & ce nom ne fut point trompeur. Vasco de Gama eut la gloire de le doubler le premier en 1497, & d'aborder par cette nouvelle route dans les Indes orientales, au royaume de Calicut.

Son heureux voyage changea le commerce de l'ancien monde, & les Portugais en moins de 50 ans, furent les maîtres des richesses de l'Inde. Tout ce que la nature produit d'utile, de rare, de curieux, d'agréable, fut porté par eux en Europe : la route du Tage au Gange fut ouverte ; Lisbonne & Goa fleurirent. Par les mêmes mains les royaumes de Siam & de Portugal devinrent alliés ; on ne parloit que de cette merveille en Europe, & comment n'en eût-on pas parlé ? Mais l'ambition qui anima l'industrie des hommes à chercher de nouvelles terres & de nouvelles mers, dont on espéroit tirer tant d'avantages, n'a pas été moins funeste que l'ambition humaine à se disputer, ou à troubler la terre connue.

Cependant jouissons en philosophes du spectacle de l'Inde, & portant nos yeux sur cette vaste contrée de l'orient, considérons l'esprit & le génie des peuples qui l'habitent.

Les Sciences étoient peut-être plus anciennes dans l'Inde que dans l'Egypte ; le terrein des Indes est bien plus beau, plus heureux, que le terrein voisin du Nil ; le sol qui d'ailleurs y est d'une fertilité bien plus variée, a dû exciter davantage la curiosité & l'industrie. Les Grecs y voyagerent avant Alexandre pour y chercher la science. C'est-là que Pythagore puisa son système de la métempsycose ; c'est-là que Pilpay, il y a plus de deux mille ans, renferma ses leçons de morale dans des fables ingénieuses, qui devinrent le livre d'état d'une partie de l'Indoustan. Voyez FABULISTE.

C'est chez les Indiens qu'a été inventé le savant & profond jeu d'échecs ; il est allégorique comme leurs fables, & fournit comme elles des leçons indirectes. Il fut imaginé pour prouver aux rois que l'amour des sujets est l'appui du trone, & qu'ils font sa force & sa puissance. Voyez ECHECS (jeu des).

C'est aux Indes que les anciens gymnosophistes vivans dans une liaison tendre de moeurs & de sentimens, s'éclairoient des Sciences, les enseignoient à la jeunesse, & jouissoient de revenus assurés, qui les laissoient étudier sans embarras. Leur imagination n'étoit subjuguée, ni par l'éclat des grandeurs, ni par celui des richesses. Alexandre fut curieux de voir ces hommes rares ; ils vinrent à ses ordres ; ils refuserent ses présens, lui dirent qu'on vivoit à peu de frais dans leurs retraites, & qu'ils étoient affligés de connoître un si grand prince, occupé de la funeste gloire de désoler le monde.

L'Astronomie, changée depuis en Astrologie, a été cultivée dans l'Inde de tems immémorial ; on y divisa la route du soleil en douze parties ; leur année commençoit quand le soleil entroit dans la constellation que nous nommons le Bélier ; leurs semaines furent toûjours de sept jours, & chaque jour porta le nom d'une des sept planetes.

L'Arithmétique n'y étoit pas moins perfectionnée ; les chiffres dont nous nous servons, & que les Arabes ont apportés en Europe du tems de Charlemagne, nous viennent de l'Inde.

Les idées qu'ont eu les Indiens d'un Etre infiniment supérieur aux autres divinités, marquent au-moins qu'ils n'adoroient autrefois qu'un seul Dieu, & que le polithéisme ne s'est introduit chez eux, que de la maniere dont il s'est introduit chez tous les peuples idolâtres. Les Bramines successeurs des Brachmanes, qui l'étoient eux-mêmes des gymnosophistes, y ont répandu l'erreur & l'abrutissement ; ils engagent quand ils peuvent les femmes à se jetter dans des buchers allumés sur le corps de leurs maris. Enfin, la superstition & le despotisme y ont étouffé les Sciences, qu'on y venoit apprendre dans les tems reculés.

La nature du climat qui a donné à ces peuples une foiblesse qui les rend timides, leur a donné de même une imagination si vive, que tout les frappe à l'excès. Cette délicatesse, cette sensibilité d'organes, leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver.

Par la même raison du climat, ils croient que le repos & le néant sont le fondement de toutes choses, & la fin où elles aboutissent. Dans ces pays où la chaleur excessive accable, le repos est si délicieux, que ce qui réduit le coeur au pur vuide, paroît naturel ; & Foé législateur de l'Inde, a suivi ce qu'il sentoit, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif.

Ce qu'on peut résumer en général du vaste empire, sous le joug duquel sont les pauvres Indiens, c'est qu'il est indignement gouverné par cent tyrans, soumis à un empereur dur comme eux, amolli comme eux dans les délices, & qui dévore la substance du peuple. Il n'y a point-là de ces grands tribunaux permanens, dépositaires des lois, qui protegent le foible contre le fort. On n'en connoît aucun ni dans l'Indoustan ou le Mogol, ni en Perse, ni au Japon, ni en Turquie ; cependant si nous jugeons des autres Indiens par ceux de la presqu'île en-deçà du Gange, nous devons sentir combien un gouvernement modéré seroit avantageux à la nation. Leurs usages & leurs coûtumes, nous présentent des peuples aimables, doux, & tendres, qui traitent leurs esclaves comme leurs enfans, qui ont établi chez eux un petit nombre de peines, & toûjours peu séveres.

L'adresse & l'habileté des Indiens dans les Arts méchaniques, fait encore l'objet de notre étonnement. Aucune nation ne les surpasse en ce genre ; leurs orfévres travaillent en filigrame avec une délicatesse infinie. Ces peuples savent peindre des fleurs, & dorer sur le verre. On a des vases de la façon des Indiens propres à rafraîchir l'eau, & qui n'ont pas plus d'épaisseur que deux feuilles de papier collées ensemble. Leur teinture ne perd rien de sa couleur à la lessive ; leurs émouleurs fabriquent artistement les pierres à émouler avec de la laque & de l'émeril ; leurs maçons carrellent les plus grandes salles d'une espece de ciment qu'ils font avec de la brique pilée & de la chaux de coquillages, sans qu'il paroisse autre chose qu'une seule pierre beaucoup plus dure que le tuf.

Leurs toiles & leurs mousselines sont si belles & si fines, que nous ne nous lassons point d'en avoir, & de les admirer. C'est cependant accroupis au milieu d'une cour, ou sur le bord des chemins, qu'ils travaillent à ces belles marchandises, si recherchées dans toute l'Europe, malgré les lois frivoles des princes pour en empêcher le débit dans leurs états. En un mot, comme le dit l'historien philosophe de ce siecle, nourris des productions de leurs terres, vétus de leurs étoffes, éclairés dans le calcul par les chiffres qu'ils ont trouvés, instruits même par leurs anciennes fables, amusés par les jeux qu'ils ont inventés, nous leur devons des sentimens d'intérêt, d'amour & de reconnoissance. (D.J.)

INDES, (Géog. mod.) les modernes moins excusables que les anciens ont nommé Indes, des pays si différens par leur position & par leur étendue sur notre globe, que pour ôter une partie de l'équivoque, ils ont divisé les Indes en orientales & occidentales.

Nous avons déja parlé des Indes orientales au mot Inde (l'). Nous ajouterons seulement ici, qu'elles comprennent quatre grandes parties de l'Asie, savoir l'Indoustan, la presqu'île en-deçà du Gange, la presqu'île au-delà du Gange, & les îles de la mer des Indes, dont les principales sont celles de Ceylan, de Sumatra, de Java, de Bornéo, les Celebes, les Maldives, les Moluques, auxquelles on joint communément les Philippines & les îles Marianes. Lorsqu'il n'est question que de commerce, on comprend encore sous le nom d'Indes orientales, le Tonquin, la Chine, & le Japon ; mais à parler juste, ces vastes pays, ni les Philippines, moins encore les îles Marianes, ne doivent point appartenir aux Indes orientales, puisqu'elles vont au-delà.

Peu de tems après que les Portugais eurent trouvé la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance, ils découvrirent le Brésil ; & comme on ne connoissoit pas alors distinctement le rapport qu'il avoit avec les Indes, on le baptisa du même nom ; on employa seulement pour le distinguer le surnom d'occidentales, parce qu'on prenoit la route de l'Orient en allant aux véritables Indes, & la route d'Occident pour aller au Brésil. De-là vint l'usage d'appeller Indes orientales, ce qui est à l'orient du cap de Bonne-Espérance, & Indes occidentales, ce qui est à l'occident de ce cap.

On a ensuite improprement étendu ce dernier nom à toute l'Amérique ; & par un nouvel abus, qu'il n'est plus possible de corriger, on se sert dans les relations du nom d'Indiens, pour dire les Amériquains. Ceux qui veulent parcourir l'histoire ancienne des Indiens pris dans ce dernier sens, peuvent consulter Herréra ; je n'ai pas besoin d'indiquer les auteurs modernes, tout le monde les connoît ; je dirai seulement que déja en 1602, Théodore de Bry fit paroître à Francfort un recueil de descriptions des Indes orientales & occidentales, qui formoit 18 vol. in-fol. & cette collection complete est recherchée de nos jours par sa rareté.

Le peuple a fait une division qui n'est rien moins que géographique : il appelle grandes Indes, les Indes orientales, & petites Indes les Indes occidentales. (D.J.)

INDES, COMPAGNIE FRANÇOISE DES (Comm. Droit polit.) Lorsque la France étoit obligée de recevoir des autres nations les marchandises des Indes, c'étoit elle qui fournissoit à la dépense des vaisseaux étrangers qui les lui portoient. Voilà la considération qui engagea M. Colbert, dont le génie se tourna principalement vers le Commerce, à former en 1664. une Compagnie des Indes occidentales, & une autre des Indes orientales. Le Roi donna pour l'établissement de cette derniere plus de six millions de notre monnoie d'aujourd'hui. On invita les personnes riches à s'y intéresser : les reines, les princes, & toute la cour, fournirent deux millions numéraires de ce tems-là ; les cours supérieures donnerent douze cent mille livres ; les financiers deux millions ; le corps des marchands 650 mille livres ; en un mot, toute la nation seconda son maître & Colbert.

On conçut d'abord la plus haute idée de cette compagnie orientale, & on en espéra les plus grands succès ; mais la mort des plus habiles directeurs envoyés aux Indes, l'infidélité des autres, leurs divisions, la faute de M. Colbert d'avoir confié la gestion à des financiers plus qu'à des négocians, la guerre de 1667 pour les droits de la reine, qui n'étoient rien moins qu'incontestables ; celle de 1672 contre la Hollande, que Louis XIV. vouloit détruire, parce qu'elle étoit riche & fiere ; la perte des escadres envoyées aux Indes dans ce tems-là ; enfin, les guerres ruineuses pour la nation depuis le commencement du siecle jusqu'à la paix d'Utrecht, réduisirent les choses en un tel état, que ce qui a subsisté de cette compagnie, ou plutôt celles qui se formerent de ses débris en diverses fois jusques en 1719, n'en ont été proprement que l'ombre & le squelete.

Mettons dans ce rang la cession que la Compagnie fit de son commerce & de ses priviléges en 1710 à de riches négocians de S. Malo, qui se chargerent du négoce des Indes orientales, moyennant dix pour cent qu'ils donnoient du total de la vente des marchandises qu'ils en rapportoient. Ce commerce languit d'abord dans leurs mains, & il étoit trop foible pour remplir nos besoins. Il nous falloit toûjours acheter de nos voisins la plus grande partie des marchandises qui venoient en Europe des pays orientaux, servitude onéreuse à l'état, dont Colbert avoit voulu l'affranchir.

Dans cette même vûe, pour profiter des grandes dépenses qui avoient été faites à ce sujet depuis 55 ans, & pour ne pas laisser un si beau dessein sans effet, M. Law, cet illustre écossois, auquel nous devons l'intelligence du commerce, & qui cependant a été chassé de France, & est mort dans la misere à Venise ; M. Law, dis je, qui en Mai 1716, avoit établi une banque générale en France, & une compagnie de commerce, sous le nom de Compagnie d'occident avec des actions, ôta la compagnie des Indes aux Malouins, & réunit cette compagnie au mois de Mai 1719, à celle d'occident. On nomma la nouvelle compagnie, Compagnie des Indes. C'est celle qui subsiste aujourd'hui ; & elle est le seul vestige qui nous reste du grand & noble système de M. Law.

Cette réunion fit bien-tôt monter les anciennes actions de la compagnie d'occident, qui n'étoient qu'au pair, à 130 pour cent. La confiance augmentant, on souscrivit en moins d'un mois pour plus de 50 millions d'actions. Par arrêt du 11 Octobre 1719, les 50 millions furent poussés jusqu'à 300 millions. En un mot, pour abréger, il y eut sept créations d'actions, montant à 624 mille, nombre à la vérité prodigieux, mais qui n'auroit pas été au-delà des forces de la compagnie, si elle n'avoit promis un dividende de 200 livres par action, ce qui étoit beaucoup au-dessus de son pouvoir : aussi les actions furent-elles réduites à 200 mille dans la suite.

Cependant le crédit de la Compagnie des Indes, soutenu des progrès de la banque royale, fut si singulier, qu'en Novembre 1719, on vit avec une extrême surprise les actions monter à 10000 livres (vingt fois plus que leur premiere valeur), malgré la compagnie même, qui pour les empêcher de monter, en répandit en une seule semaine pour 30 millions sur la place, sans pouvoir les faire baisser.

Plusieurs causes, comme nous allons le dire d'après M. Dutôt qui a écrit sur ce sujet un livre admirable pour la profondeur & la justesse, contribuerent à cette prodigieuse augmentation. 1°. L'union de la ferme du tabac. 2°. Celle des compagnies. 3°. Celle des monnoies & affinage. 4°. Celle des fermes générales. 5°. Celle des recettes générales. 6°. Le défaut d'emploi des deniers provenans des remboursemens des rentes sur la ville & charges supprimées. 7°. Le prêt de 2500 livres que faisoit la banque sur chaque action, moyennant 2 pour cent par an d'intérêt. 8°. Enfin les gains faits, & le desir d'en faire, porterent les choses à cet excès.

La Compagnie des Indes prêta 160 millions à Sa Majesté pour rembourser pareille somme sur les 2 milliards 62 millions 138 mille livres en principal, que le Roi devoit à son avenement à la couronne. La compagnie retenoit par ses mains sur les revenus de Sa Majesté pour l'intérêt de son prêt, 8 millions, non compris son bénéfice sur les fermes, sur le tabac, sur les monnoies, & sur son commerce des deux Indes ; desorte que ses bénéfices pouvoient égaler sa recette au moment que le nombre de ses actions fut réduit à 200 mille.

Cependant l'union de la banque à cette compagnie qui devoit ce semble leur servir d'un mutuel appui, devint par la défiance, l'artifice & l'avidité, le terme fatal où commença la décadence de l'une & de l'autre. Les billets de la banque tomberent dans le discrédit, de même que les actions de la compagnie, le 10 Octobre 1720, tems où les billets de banque furent supprimés, & le crédit de l'état bouleversé. La banque périt entierement, & la compagnie des Indes fut prête à être entraînée par sa chûte, si l'on n'avoit fait des efforts depuis 1721 jusqu'en 1725 pour soutenir cette compagnie. Dans ladite année 1725 le Roi donna finalement au mois de Juin deux édits enregistrés au Parlement, l'un portant confirmation des privileges accordés à la dite compagnie pendant les années précédentes, & l'autre sa décharge pour toutes ses opérations passées.

Ce sont les deux principaux édits qui ont fixé l'état & le commerce de cette compagnie sur le pié où elle est. Je ne suivrai point depuis lors jusqu'à ce jour ses prospérités, ses malheurs, ses vicissitudes, ses traverses, ses contradictions, ses emprunts, ses améliorations, & ceux dont elle est encore susceptible. Tout cela n'est point du ressort de cet ouvrage, & d'ailleurs on ne pourroit guere en dire son sentiment sans risquer de déplaire.

Je me contenterai seulement de remarquer que c'est à tort que dans le tems des adversités de cette compagnie, on proposa sa destruction, & l'abolition du commerce des Indes, comme un établissement à charge à l'état ; les partisans de l'ancienne économie timide, ignorante & resserrée, déclamoient de même en 1664, ne faisant pas réflexion que les marchandises des Indes devenues nécessaires, seroient payées plus chérement à l'étranger. 2°. Si l'on porte aux Indes orientales plus d'especes qu'on n'en retire, ces especes qui viennent du Pérou & du Méxique, sont le prix de nos denrées portées à Cadix. 3°. Il faut encore considérer ce commerce par rapport aux épiceries, aux drogues, & aux autres choses qu'il nous procure, que nos provinces ne produisent pas, dont nous ne pouvons nous passer, & que nous serions obligés de tirer de nos voisins. 4°. La construction & l'armement de nos vaisseaux qui les vont chercher, se faisant dans le royaume, l'argent qu'on y emploie n'en sort point : il occupe du monde, il éleve des hommes à la mer, c'est un grand avantage pour l'état. Ainsi, bien loin que ce commerce soit à charge à la France, elle ne sauroit trop le protéger & l'augmenter. Il ne détruit point les autres branches de négoce qui n'ont jamais été si florissantes. La quantité de vaisseaux pour l'Amérique est presque triplée depuis la régence. Quelles autres lumieres voulons-nous pour nous éclairer ? 5°. Enfin il est de la bonne politique de pouvoir être informé avec certitude de tout ce qui se passe dans les autres parties du monde, à cause des établissemens qu'y ont les autres nations, ce qui ne se peut faire qu'en y commerçant. Le grand Colbert sentoit bien ces avantages, & le gouvernement présent connoît de plus en plus cette nécessité & l'utilité de ce commerce, puisqu'il le protége puissamment.

Concluons que tant que cette compagnie sera soutenue & bien dirigée, elle trouvera toujours en elle-même la consommation de ses retours que nous portons même déja chez nos voisins. Elle a la propriété de Ponticheri qui lui assure le commerce de la côte de Coromandel & de Bengale, les îles de Bourbon & Maurice, la quantité de fonds & de vaisseaux nécessaires, la représentation de ses actions sur la place qui lui font une seconde valeur réelle, circulante, & libre, des fondemens peut-être équivalens à ceux de la compagnie des Indes d'Angleterre, & des établissemens solides, quoique beaucoup moins étendus que ceux de la Compagnies des Indes orientales de Hollande. Enfin ses retours sont très-considérables, puisqu'ils vont présentement (1752) à plus de 24 millions par an. (D.J.)

INDES, (Compagnie Hollandoise des) Commerce. Il y a en Hollande deux Compagnie des Indes, l'orientale & l'occidentale, dont je vais parler en peu de mots, bien fâché de ne pouvoir m'étendre.

De la Compagnie orientale. Le desespoir & la vengeance, dit M. Savary, & il dit bien vrai, furent les premiers guides qui apprirent le chemin des Indes aux Hollandois, cette nation née pour le commerce. L'Espagne leur ayant fermé tous ses ports, & sous le prétexte de la religion, les persécutant avec une rigueur, pour ne pas dire avec une barbarie extrême, ils entreprirent en 1595 d'aller chercher en Asie le commerce libre & assuré qu'on leur refusoit en Europe, afin d'acquérir des fonds pour entretenir leurs armées, & maintenir leurs privileges & leur liberté.

La nécessité inspira en 1594 à quelques Zélandois encouragés par le P. Maurice, le projet de se frayer une nouvelle route pour la Chine & les Indes orientales par le nord-est, comme on vient de le tenter tout récemment avec quelque vraisemblance de succès ; mais d'un côté les froids extrêmes de la nouvelle Zemble, & de l'autre les glaces impénétrables du détroit de Weigatz, ruinerent & rebuterent les escadres qui y furent alors envoyées, de même qu'elles rebuterent les Anglois qui dès l'an 1553 avoient travaillé à la même recherche.

Cependant, tandis que les armateurs de Zélande tentoient inutilement & malheureusement ce passage, d'autres compagnies prirent avec succès en 1595 la route ordinaire des Portugais, pour se rendre en Asie. Cette derniere entreprise fut si heureuse, qu'en moins de sept ans divers particuliers armerent jusqu'à dix ou douze flottes qui presque toutes retournerent avec des profits immenses.

Les états généraux appréhendant que ces diverses compagnies particulieres ne se nuisissent, leurs directeurs furent assemblés, & consentirent à l'union, dont le traité fut confirmé par leurs H. P. le 20 Mars 1602, époque bien remarquable, puisqu'elle est celle du plus célebre, du plus durable, & du plus solide établissement de commerce qui ait jamais été fait dans le monde.

Le premier fonds de cette compagnie fut de 6 millions 600 mille florins (environ 13 millions 920 mille livres de notre monnoie) & les états généraux lui accorderent un octroi ou concession exclusive pour 21 ans. Par cet octroi déja renouvellé cinq fois (en 1741), & qui coûte à chaque renouvellement environ 2 millions de florins à la compagnie, elle a droit de contracter des alliances, de bâtir des forteresses, d'y mettre des gouverneurs & garnisons, des officiers de justice & de police, en faisant néanmoins les traités au nom de leurs H. P. auquel nom se prêtent aussi les sermens des officiers tant de guerre que de justice. Soixante directeurs partagés en diverses chambres, font la régie de la compagnie, & l'on sait qu'il n'est rien de plus sage & de plus prudemment concerté que la police & la discipline avec laquelle tout y est réglé.

Les Hollandois, après avoir été quelque tems sur la défensive, attaquerent au fond de l'Asie ces mêmes maîtres qui jouissoient alors des découvertes des Portugais, les vainquirent, les chasserent, & devinrent en moins de 60 ans les souverains de l'orient. La compagnies formée en 1602 gagnoit déja près de 300 pour cent en 1620. Elle a choisi le cap de bonne Espérance pour le lieu des rafraîchissemens de ses flottes ; elle a établi dans les Indes orientales 40 comptoirs, bâti 25 forteresses, entr'autres en 1619, & pour le centre de son commerce, la ville de Batavia, la plus belle de l'Asie, dans laquelle résident plus de 30 mille Chinois, Javanois, Chalayes, Amboiniens, &c. & où abordent toutes les nations du monde.

De plus, cette compagnie a ordinairement dans les Indes plus de 100 vaisseaux depuis 30 jusqu'à 60 pieces de canon, 12 à 20 mille hommes de troupes réglées, un gouverneur qui ne paroît en public qu'avec la pompe des rois, sans que ce faste asiatique, dit M. de Voltaire, corrompe la frugale simplicité des Hollandois en Europe. Heureux ! s'ils savent la conserver en rappellant le commerce général qui s'échappent tous les jours de leurs mains par plusieurs détours, passe dans le nord, ou se fait ailleurs directement sans leur entremise.

En effet il faut convenir que le commerce & cette frugalité sont l'unique ressource des provinces unies ; car quoique leur compagnie orientale se trouve la seule qui ait eu le bonheur de se maintenir toujours avec éclat sur son premier fonds, sans aucun appel nouveau, ses grands succès sont en partie l'effet du hasard qui l'a rendue maîtresse des épiceries ; trésors aussi réels que ceux du Pérou, dont la culture est aussi salutaire à la santé, que le travail des mines est nuisible, trésors enfin dont l'univers ne sauroit se passer. Mais si jamais ce hasard, ou plutôt la jalousie éclairée, l'industrie vigilante, offre à quelqu'autre peuple la culture de ces mêmes épiceries si enviées, alors cette célebre compagnie aura bien de la peine à soutenir les frais immenses de ses armemens, de ses troupes, de ses vaisseaux, de la régie de tant de forteresses & de tant de comptoirs. Déja depuis plusieurs années quelques nations de l'Europe sont en concurrence avec elle pour le poivre qu'elle ne fournit presque plus à la France en particulier. Déja,... Mais qu'on jette seulement les yeux sur le sort de la compagnie occidentale.

De la compagnie occidentale. Elle commença en 1621, avec les mêmes lois, les mêmes privileges que la compagnie orientale, & même avec un fonds plus considérable, car il fut de 7 millions 200000 florins, partagés en actions de 6000 florins argent de banque, ce qui fit en tout 1200 actions, & les états généraux pour favoriser cette compagnie, lui firent présent de trois vaisseaux montés de 600 soldats. Ses conquêtes & ses espérances furent d'abord des plus brillantes. Il paroît par les registres de cette compagnie, que depuis l'an 1623 jusqu'en 1636, elle avoit équipé 800 vaisseaux tant pour la guerre que pour le commerce dont la dépense montoit à 451 millions de florins, & qu'elle en avoit enlevé aux Portugais ou aux Espagnols 545 qu'on estimoit 60 millions de florins, outre environ 30 millions d'autres dépouilles. Elle fut pendant les premieres années en état de faire des répartitions de 20, 25 & 50 pour cent. Elle s'empara de la baie de tous les Saints, de Fernambouc ; & de la meilleure partie du Brésil.

Cependant cette rapide prospérité ne fut pas de longue durée. Ces conquêtes même si glorieuses & si avantageuses l'engagerent à faire des efforts qui l'épuiserent : d'autres causes qu'il seroit inutile de rapporter, concoururent à son désastre : il suffira de dire qu'elle perdit ses conquêtes, qu'elle n'a jamais pû se relever, & qu'elle fut dissoute à l'expiration de son second octroi, le 20 Septembre 1674. Alors il se forma une nouvelle compagnie composée des anciens participans & de leurs créanciers ; c'est cette compagnie qui subsiste aujourd'hui, mais seulement avec quelques médiocres établissemens en Afrique, une portion dans la société de Surinam, & le reste de son commerce est presque réduit à une traite de Negres dans le peu de terrein qu'elle possede en Amérique. (D.J.)

INDES ORIENTALES, compagnie des.... en Danemarck, (Commerce) Je me propose de tracer ici l'établissement, les vicissitudes & l'état présent de la compagnie des Indes orientales en Danemarck : ce sera l'extrait fort abrégé d'un mémoire très-curieux sur ce sujet, que M. le comte d'Eckelbath, ci-devant ministre de S. M. D. en France, a bien voulu me communiquer, & pour lequel je lui renouvelle mes remerciemens.

Chrétien IV, roi de Danemarck, voyant les avantages que des puissances voisines tiroient de la navigation de l'Inde, résolut d'encourager ses sujets à entreprendre ce même commerce : il y réussit, & il se forma sous ses yeux la premiere compagnie des Indes Orientales en Danemarck, à laquelle il donna, par sa déclaration du 17 Mars 1616, un octroi pour 12 ans, lui accorda un privilege exclusif, lui fit présent des bâtimens nécessaires pour servir de magasins, lui permit d'employer des pilotes & des matelots de sa flotte, s'intéressa dans cette compagnie, & engagea les seigneurs de sa cour d'en faire autant, en assignant une part sur leurs appointemens pour être jointe au fonds de la compagnie.

Comme on s'occupoit à équiper trois vaisseaux, qui devoient partir pour les Indes sous la conduite de Roland Crape, & pour tenter d'obtenir de quelque prince indien la permission de fonder un établissement sur la côte de Coromandel ; un évenement favorable augmenta les espérances de l'entreprise.

Jean de Wesseck, directeur du comptoir hollandois de Caliacatta & de la côte de Coromandel, envoya en 1611 Marcellus Bosckhouwer, son facteur, à Ceylon, muni de lettres de créance du prince Maurice d'Orange & des états généraux, pour y négocier un traité de commerce avec l'empereur de Candy, le premier & le plus puissant des rois de Ceylon. Sa négociation fut heureuse, il la termina favorablement ; mais quand il voulut s'en retourner, l'empereur, qui l'affectionnoit, lui en refusa la permission, sous prétexte qu'il devoit rester en sa cour, en qualité de ministre ou d'otage, jusqu'à ce que sa nation eût rempli les conditions du traité, & fourni les troupes & l'artillerie stipulées pour chasser les Portugais de son empire. Cependant les Hollandois, déja assez occupés de leurs guerres dans l'Inde, négligerent cette affaire, & le secours promis n'arriva point.

Pendant ce tems-là Bosckhouwer s'avançoit toujours dans les bonnes graces de l'empereur Cenuwieraat Adascyn, qui l'élevoit aux plus grandes dignités. Il fut fait prince de Migomme, de Kokelecor, d'Anangepare & de Mivitigale, chevalier de l'ordre du soleil d'or, président du conseil de guerre, premier ministre de toutes les affaires, & amiral général des forces maritimes. Tel est le titre fastueux qu'il se donne dans sa lettre écrite au roi Chrétien IV, datée du cap de Bonne-Espérance le 27 Juillet 1619.

Bosckhouwer passa quatre années à la cour de Candy ; mais voyant que les Hollandois ne pensoient plus à lui, & s'ennuyant d'un esclavage honorable, il persuada l'empereur de lui permettre d'aller lui-même hâter le secours promis, & au cas qu'il ne pût l'obtenir des Hollandois, d'en traiter avec d'autres nations. L'empereur lui fit expédier des pleins pouvoirs pour toutes les puissances avec lesquelles il jugeroit à-propos de négocier, & Bosckhouwer, chargé de ses lettres, partit de l'isle de Ceylon en 1615.

Il se rendit d'abord aux établissemens des Hollandois dans l'Inde ; mais les trouvant par-tout en guerre, & par conséquent hors d'état de faire une nouvelle entreprise, il passa la même année en Europe, & arriva en Hollande. La métamorphose d'un facteur en prince, les airs qu'il se donnoit, & le cérémonial qu'il exigeoit, déplurent à la compagnie des Indes & à ses anciens maîtres. Il en fut piqué ; & apprenant qu'on travailloit en Danemarck à l'établissement d'une nouvelle compagnie des Indes, il partit pour Copenhague, & y arriva au mois de Juin 1617 avec sa femme, dite la princesse de Migomme.

Bosckhouwer fut bien reçu du roi de Danemarck, qui accepta la proposition d'un traité avec l'empereur de Candy, & le signa le 2 d'Août 1618. En conséquence sa majesté fit armer deux vaisseaux de guerre, l'Elephant & le Christian, avec le Yacht l'Oresund, & en donna le commandement à Ove Giedde, alors âgé de 26 ans, qui mourut en 1661 amiral & sénateur du royaume. La compagnie arma de son côté le David, la Patience & le Copenhague. Tous ces vaisseaux partirent du Sond le 29 Novembre 1618, & firent route ensemble jusqu'au-delà du cap de Bonne-Espérance, où Roland Crape se sépara de M. de Giedde, & se rendit avec les trois vaisseaux de la compagnie, sur la côte de Coromandel, pour laquelle il étoit destiné.

Après une navigation fort pénible, M. de Giedde arriva le 16 Mai 1620 sur les côtes de Ceylon, & le 12 Juin il jetta l'ancre au port de Cotjares, situé dans la baie de Trinquemale. Les Portugais, qui vouloient encore faire les maîtres de la mer de l'Inde, lui avoient enlevé le Yacht l'Oresund. Mais ce qui dérangea le plus cette expédition, ce fut le décès de Bosckhouwer, qui, après avoir doublé le cap, mourut à bord de M. de Giedde.

L'empereur de Candy reçut d'abord assez bien les Danois, & fit rendre plusieurs honneurs à leur amiral ; mais ayant appris la mort de son ministre, que selon les apparences on avoit eu soin de lui cacher en arrivant, il changea de sentiment, refusa de ratifier le traité, & accusa Bosckhouwer d'avoir passé les bornes de son pouvoir, & d'avoir promis au delà de ce qu'il étoit possible d'exécuter. Les Portugais de leur côté appuyerent sous main les sentimens de l'empereur, & lui offrirent leur assistance en cas que ces nouveaux hôtes voulussent entreprendre de le chagriner.

M. de Giedde, après être resté quatre mois sans fruit à Ceylon, partit du port de Cotjares, & arriva à Tranquebar, sur la côte de Coromandel, le 25 d'Octobre 1620. En quittant la rade, il eut le malheur de voir son vaisseau le Christian toucher & s'engrever tellement, qu'il fut obligé de l'abandonner. Les Portugais en profiterent, & garnirent des canons qu'ils tirerent de ce navire, un fort qu'ils construisirent dans la baie de Trinquemale immédiatement après le départ des Danois.

Roland Crape, pendant ce tems-là, avoit fait son trajet fort heureusement. Arrivé à la côte de Coromandel, il s'arrêta devant Carikal, ville maritime du Tanjour, y mit pié à terre, & se rendit auprès du Naïcke, ou prince Malabare, nommé Ragounade, duquel il obtint en propre pour la compagnie, le village de Trangambar, aujourd'hui Tranquebar, à un mille & demi au nord de Carikal. Il y fit bâtir des habitations & un comptoir en maçonnerie, qu'il assura du côté de la terre par deux bastions garnis de fauconneaux, & enferma la place d'un bon mur.

Il jetta encore les fondemens d'une citadelle à quatre bastions, & lui donna le nom de Dansborg. Elle a été achevée, & se trouve aujourd'hui (1758) dans un très-bon état.

Après avoir pris tous ces arrangemens, pourvu à la sûreté de la colonie, & fait prêter le serment à Roland Crape & aux autres officiers, il mit à la voile avec le vaisseau l'Eléphant, resta quelque-tems sous Ceylon, arriva à la rade de Copenhague le 30 Mars 1622, & y fut suivi un mois après par le vaisseau le David, capitaine Niels Rosemkranz, chargé pour le compte de la compagnie.

Ce commerce naissant donna d'abord quelque jalousie aux Hollandois, & les états généraux défendirent à tous leurs sujets de s'y intéresser, sous peine de confiscation de leurs biens. Cependant, sur les représentations de M. Carisius, ministre du roi de Danemarck, il fut sursis à l'exécution de ces ordonnances, & on lui déclara qu'on agiroit là-dessus d'accord avec les Anglois, & qu'on suivroit leur exemple. Le ministre résident du roi à Londres, le sieur Sinkler, soutenu par M. Carisius, qui y passa en 1619, firent si bien auprès du roi Jacques I. qu'il donna permission à tous ses capitaines expérimentés dans la navigation, aux pilotes & aux matelots de s'engager au service de la compagnie danoise lorsqu'elle pourra en avoir besoin.

Toutefois comme le fonds de la compagnie n'étoit encore en 1624 que de 189614 reichsdahlers, cette somme se trouva presque absorbée par les acquisitions & les établissemens aux Indes ; desorte que le roi soutint lui seul la dépense de ce commerce à ses propres frais pendant plusieurs années.

En 1639 il nomma quatre directeurs, du nombre desquels étoit Roland Crape & Guillaume Leyel, natif d'Elsenoër, qui avoit longtems parcouru la Perse & les Indes. Cette nouvelle direction expédia deux vaisseaux, le Soleil, commandé par Clans Rytter, & le Christianshaven par M. Leyel ; mais l'un de ces deux vaisseaux périt aux Dunes à son retour en 1644, & l'autre fut jetté aux isles Canaries, où le gouverneur espagnol s'en empara.

Leyel ayant cependant trouvé le moyen de se rendre à Tranquebar, acheva les fortifications de Dansborg, continua avec les trois vaisseaux qu'il avoit, le commerce de Ceylon & autres endroits de l'Inde ; accueillit les Portugais, qui, expulsés & pourchassés par les Hollandois, se réfugioient à Tranquebar, & leur permit d'y bâtir une église. Il manda ces petits succès en cour, & fit dans ses derniers rapports, datés du 15 Novembre 1646, des mémoires qui marquoient beaucoup de connoissances & de lumieres. Mais le roi Chrétien IV. décéda le 28 Février 1648, & les guerres occuperent trop le commencement de Fréderic III. pour qu'on pensât à Copenhague aux affaires de Tranquebar.

Leyel mourut peu de tems après. Ses successeurs se brouillerent avec le Naïck de Tanjour, qui en 1648, mit le siége devant Tranquebar, afin de vanger un more employé à la douanne, & chassé pour ses malversations. Cependant on trouva le moyen d'appaiser le Naïck ; mais la colonie dépérissoit sans ressource faute de secours d'Europe, & ne se soûtenoit que par un petit commerce avec l'intérieur du pays, ayant des démêlés continuels avec les Indiens pour celui de Bellesor ; en un mot, les Danois s'y éteignirent peu-à-peu, desorte qu'en 1665, il n'en resta vivant qu'un seul homme, Eskild Andersen, qui de canonier qu'il avoit été, fut proclamé commandant par les habitans. Celui-ci engagea un sergent, nommé Gert von Hagen, qui servoit alors à Nagapatnam, de porter en Danemarck le triste tableau de leurs miseres ; c'est ce qu'il exécuta fidelement.

Il arriva à Copenhague en 1668, & ses dépêches disposerent le roi Fréderic III. à faire équiper une frégate pour y transporter une centaine de personnes. Henri Eggers fut envoyé en qualité de commandant. La frégate mouilla heureusement devant Tranquebar en 1669, & y fut reçue avec une joie inexprimable ; mais cette petite recrue ne put rétablir un commerce qui étoit éteint.

Cependant au commencement du regne de Chrétien V. il se forma une nouvelle compagnie des Indes, qui, le 28 Novembre 1670, obtint un octroi pour 40. ans. Le fonds de cette compagnie consistoit en vaisseaux & effets, dont S. M. lui fit présent, estimés 79073 reichsdahlers. Les intéressés y ajoûterent pour premier paiement la somme de 162800 écus de banque.

En 1673 la compagnie commença à expédier ses vaisseaux pour l'Inde. Les premieres années furent assez favorables. En 1680 on avoit partagé entre les intéressés, tous frais faits, 48840 écus ; mais ensuite la perte du vaisseau le Dansborg, qui périt sous les isles de Ferroë, & qu'on n'avoit pas fait assurer, fit tomber ses actions : les intéressés augmenterent néanmoins leur fonds de 12 pour cent, 20963 écus de banque. Enfin leur commerce essuya un échec terrible en 1682, par la perte de la loge de Bantam, où les Hollandois avoient tellement gagné le dessus, qu'ils en avoient expulsé les Danois aussi-bien que les Anglois.

Le roi, pour relever le courage abattu de la malheureuse compagnie, lui fit présent en 1685 de quatre frégates, & envoya à Tranquebar, en qualité de son commissaire, Wulff Henri de Callnein, lieutenant-colonel d'infanterie. Cet officier remporta de grands avantages dans la guerre que la colonie eut à soûtenir contre les Mores, & depuis 1688 jusqu'en 1698, les intéressés eurent un revenant-bon de 217747 écus. Dans la même année 1698, la paix se conclut avec les mores de Bengale ; & le roi, pour animer le commerce de l'Inde, prolongea pour 40 ans l'octroi donné en 1670 ; ce qui fut confirmé par Fréderic IV.

Depuis 1699 jusqu'en 1709, le négoce de l'Inde rendit encore 189665 écus, ensuite il tomba totalement. La peste, la guerre, les troubles dans l'Inde, le second siége que le Naïck de Tanjour mit devant Tranquebar en 1698, la mauvaise conduite de plusieurs officiers & employés, la perte de 13 de ses vaisseaux, & sur-tout celle de la plûpart de ses établissemens, acheverent de ruiner la compagnie, au point que ne pouvant plus se soûtenir, & ne voyant pas de moyens de se relever, les intéressés abandonnerent entierement le négoce de l'Inde en 1729, & se séparerent en 1730, en remettant au roi son octroi, qui avoit encore 20 ans à courir. Fréderic IV. fut le seul qui ne perdit point courage. Il tenta de faire continuer un commerce qu'il ne voyoit abandonné par ses sujets qu'avec beaucoup de regret ; & quelques particuliers s'étant associés de nouveau par ses pressantes sollicitations, il leur fit expédier une permission d'envoyer deux vaisseaux à Tranquebar, & les deux vaisseaux mirent à la voile.

Jusqu'ici la compagnie danoise s'étoit bornée au commerce de l'Inde, sans avoir essayé en droiture celui de la Chine, qui, depuis qu'il est connu, a toûjours passé pour le plus riche de tous ceux de l'Asie. Cette même année un nommé Pieter Baschers, natif de Bremen, qui avoit longtems vécu dans l'Inde, vint à Copenhague, & présenta un plan pour former ce commerce, & le réunir avec celui de Tranquebar. Ses propositions furent goûtées, & S. M. accorda à ceux qui s'y intéresseroient deux octrois, l'un du 10 Février, & l'autre du 15 Mars 1730. On dressa la maniere de former les souscriptions, & les associés de l'année précédente eurent la préférence d'y prendre telle part qu'il leur plairoit.

Le feu roi de Danemarck, alors prince royal, non-seulement s'intéressa dans ce commerce, mais, pour l'animer encore davantage, il s'en déclara le directeur. On tint une assemblée générale en sa présence, & on y élut du nombre des intéressés, huit syndics (committirse) pour avoir soin de l'intérêt de la société. Les souscriptions s'étant bientôt remplies, on fit partir pour la Chine le Prince-Royal, commandé par le capitaine Tonder, aujourd'hui vice-amiral, & pour Tranquebar les vaisseaux Fréderic IV. & le Lion d'or. Bientôt après on expédia deux autres vaisseaux pour Tranquebar ; savoir, la Reine Anne-Sophie & la Wendela : tous ces vaisseaux revinrent heureusement à Copenhague, excepté le Lion d'or, qui échoua sur les côtes d'Irlande.

Ces premiers arrangemens ayant réussi, & leur retour ayant justifié les avantages qu'on pourroit tirer du commerce de la Chine, le prince royal devenu roi sous le nom de Chrétien VI, crut devoir former une compagnie plus étendue, & plus en état de continuer la navigation de l'Inde & de la Chine. Pour cet effet S. M. expédia le 12 Avril 1732, un octroi de 40 ans à la compagnie, lui accorda, avec le titre de compagnie royale des Indes, des prééminences, priviléges & franchises, & ordonna que les intéressés des sociétés de l'an 1729, 1730 & 1731 y seroient admis préférablement.

Ces anciens intéressés & les nouveaux s'unirent, & convinrent d'un réglement, qui prescriroit les opérations de la compagnie. Ensuite on tint une assemblée générale, dans laquelle on élut pour président Chrétien-Louis de Plessen, ministre d'état, & on lui adjoignit quatre directeurs & cinq hauts-participans pour former la direction, pourvoir aux besoins, & veiller au maintien, à la sûreté & aux avantages de la société.

C'est ainsi que se forma en 1732 la compagnie royale danoise des Indes orientales & de la Chine, continuée jusqu'à présent. Son commencement consista en 400 actions, chacune de 250 écus courans de Danemarck, pour faire le fonds constant de la compagnie ; ensuite les intéressés fournirent au prorata par action les frais nécessaires pour l'achat & l'équipement des vaisseaux qu'on avoit résolu de mettre en mer. Le produit du fonds constant fut employé en partie à l'acquisition des maisons, magasins & effets que les anciennes compagnies avoient, tant à Copenhague qu'à Tranquebar, & à faire passer dans l'Inde un fonds qui y resteroit toûjours, pour y soûtenir les fabriques. A mesure que le commerce a prospéré, la compagnie a ajoûté à ses bâtimens & magasins, & a augmenté le fonds continuel de Tranquebar.

Pour donner aux lecteurs une idée juste de l'état actuel de cette compagnie, je pourrois leur mettre devant les yeux les opérations d'année en année ; mais comme ce détail seroit également long & ennuyeux, il suffira de dire que par le résultat que j'en ai tiré, il paroît que la nouvelle compagnie, depuis sa naissance en 1732 jusqu'en 1753 exclusivement, a expédié 60 vaisseaux, dont 28 pour Tranquebar, & 32 pour la Chine. Elle en a eu de retour 43 ; savoir, 19 de l'Inde, & 24 de Canton. Sept de ses vaisseaux se sont entierement perdus, six autres ont échoué, & quatre ont été abandonnés. Malgré ces malheurs, le prix des actions étoit en 1754, tout assuré & tout fourni, d'onze mille jusqu'à 11600 écus de Danemarck. Le fonds roulant, c'est-à-dire ce que chaque action a contribué à l'achat, équipement & cargaison des vaisseaux arrivés en 1754, ou en mer, se montoit par vieilles actions à 7750 écus 2 marcs 6 schellings, qui ajoûtés au fonds constant, qui est de 750 écus, donne 8500 écus 2 marcs 6 schellings, prix intrinseque ; le reste, savoir, 2499 écus 3 marcs 10 schellings, est pour l'assurance & le profit de ceux qui vendent des actions au prix de 11600 écus.

Nous ne ferons pas l'énumération des petits établissemens & des comptoirs que la compagnie danoise possede actuellement dans l'Inde ; nous dirons seulement que depuis peu elle a fait un fonds à Tranquebar pour renouveller le commerce du poivre, & bâtir une loge sur la côte de Travancoor.

Il est bien singulier qu'après tant de malheurs consécutifs éprouvés pendant plus d'un siecle, cette compagnie, cent fois culbutée, détruite, anéantie, se soutienne encore au milieu de la rivalité du même trafic par les trois puissances maritimes. Mais on ne doit pas douter que la protection constante des rois de Danemarck, les soins que se sont donnés ceux qui successivement en ont été les présidens ; une direction économe, sage, attentive & desintéressée, une liberté entiere, exempte de gêne dans les assemblées générales & annuelles, où toutes les opérations se décident, ne soient les vraies sources de la subsistance & de la prospérité de cette compagnie, supérieure à ce que les intéressés oserent jamais s'en promettre. (D.J.)


INDÉCENTadj. (Gram. & Morale) qui est contre le devoir, la bienséance & l'honnêteté. Un des principaux caracteres d'une belle ame, c'est le sentiment de la décence. Lorsqu'il est porté à l'extrême délicatesse, la nuance s'en répand sur-tout, sur les actions, sur les discours, sur les écrits, sur le silence, sur le geste, sur le maintien ; elle releve le mérite distingué ; elle pallie la médiocrité ; elle embellit la vertu ; elle donne de la grace à l'ignorance.

L'indécence produit les effets contraires. On la pardonne aux hommes, quand elle est accompagnée d'une certaine originalité de caractere, d'une gaiété particuliere & cynique, qui les met au-dessus des usages : elle est insupportable dans les femmes. Une belle femme indécente est une espece de monstre, que je comparerois volontiers à un agneau qui auroit de la férocité. On ne s'attend point à cela. Il y a des états dont on n'ose exiger la décence : l'anatomiste, le médecin, la sage-femme sont indécents sans conséquence. C'est la présence des femmes qui rend la société des hommes décente. Les hommes seuls sont moins décents. Les femmes sont moins décentes entr'elles qu'avec les hommes. Il n'y a presqu'aucun vice qui ne porte à quelqu'action indécente. Il est rare que le vicieux craigne de paroître indécent. Il se croit trop heureux quand il n'a que cette foible barriere à vaincre. Il y a une indécence particuliere & domestique ; il y en a une générale & publique. On blesse celle-ci peut-être toutes les fois qu'entraîné par un goût inconsidéré pour la vérité, on ne ménage pas assez les erreurs publiques. Le luxe d'un citoyen peut devenir indécent dans les tems de calamité ; il ne se montre point sans insulter à la misere d'une nation. Il seroit indécent de se réjouir d'un succès particulier au moment d'une affliction publique. Comme la décence consiste dans une attention scrupuleuse à des circonstances légeres & minutieuses, elle disparoît presque dans le transport des grandes passions. Une mere qui vient de perdre son fils ne s'apperçoit pas du desordre de ses vêtemens. Une femme tendre & passionnée, que le penchant de son coeur, le trouble de son esprit & l'yvresse de ses sens abandonne à l'impétuosité des desirs de son amant, seroit ridicule si elle se ressouvenoit d'être décente, dans un instant où elle a oublié des considérations plus importantes. Elle est rentrée dans l'état de nature : c'est son impression qu'elle suit, & qui dispose d'elle & de ses mouvemens. Le moment du transport passé, la décence renaîtra ; & si elle soupire encore, ses soupirs seront décens.


INDÉCHIFFRABLEadj. (Gram.) qui ne peut être déchiffré. Voyez DECHIFFRER.


INDÉCISadj. (Gramm.) qui se prend aussi quelquefois substantivement. On laisse en Philosophie, en Théologie, beaucoup de questions indécises. Il y a des hommes indécis sur lesquels il ne faut pas compter plus que sur des enfans. Ils voyent un poids égal à toutes les raisons ; les inconvéniens les plus réels & les plus légers les frappent également ; ils tremblent toûjours de faire un faux pas. Ce n'est jamais la raison, mais la circonstance qui les détermine. C'est le dernier qui leur parle qu'ils croyent. Si l'on pouvoit comparer les mouvemens de l'ame qui délibere à celui d'un pendule, comme on distingue dans le mouvement du pendule l'instant où il commence à se mouvoir, la durée de ses oscillations, & l'instant où il se fixe ; dans le mouvement de l'esprit qui délibere, il y auroit le moment où l'examen commence, la durée de l'examen ou l'indécision, & le moment où l'indécision cesse, celui de la résolution & du repos.


INDÉCLINABLEadj. terme de Grammaire. On a distingué à l'article FORMATION deux sortes de dérivation, l'une philosophique, & l'autre grammaticale. La dérivation philosophique sert à l'expression des idées accessoires propres à la nature d'une idée primitive. La dérivation grammaticale sert à l'expression des points de vûe sous lesquels une idée principale peut être envisagée dans l'ordre analytique de l'énonciation. C'est la dérivation philosophique qui forme, d'après une même idée primitive, des mots de différentes especes, où l'on retrouve une même racine commune, symbole de l'idée primitive, avec les additions différentes destinées à représenter l'idée spécifique qui la modifie, comme AMo, AMor, AMicitia, AMicus, AManter, AMatoriè, AMicè, &c. C'est la dérivation grammaticale qui fait prendre à un même mot diverses inflexions, selon les divers aspects sous lesquels on envisage dans l'ordre analytique la même idée principale dont il est le symbole invariable, comme AMICus, AMICi, AMICo, AMICum, AMICorum, &c. Ce n'est que relativement à cette seconde espece que les Grammairiens emploient les termes déclinable & indéclinable.

Un simple coup d'oeil jetté sur les différentes especes de mots, & sur l'unanimité des usages de toutes les langues à cet égard, conduit naturellement à les partager en deux classes générales, caractérisées par des différences purement matérielles, mais pourtant essentielles, qui sont la déclinabilité & l'indéclinabilité.

La premiere classe comprend toutes les especes de mots qui, dans la plûpart des langues, reçoivent des inflexions destinées à désigner les divers points de vûe sous lesquels l'ordre analytique présente l'idée principale de leur signification ; ainsi les mots déclinables sont les noms, les pronoms, les adjectifs & les verbes.

La seconde classe comprend les especes de mots qui, en quelque langue que ce soit, gardent dans le discours une forme immuable, parce que l'idée principale de leur signification y est toujours envisagée sous le même aspect ; ainsi les mots indéclinables sont les prépositions, les adverbes, les conjonctions & les interjections.

Les mots considérés de cette maniere sont essentiellement déclinables, ou essentiellement indéclinables ; & si l'unanimité des usages combinés des langues ne nous trompe pas sur ces deux propriétés opposées, elles naissent effectivement de la nature des especes de mots qu'elles différencient ; & l'examen raisonné de ces deux caracteres doit nous conduire à la connoissance de la nature même des mots, comme l'examen des effets conduit à la connoissance des causes. Voyez MOT.

Au reste, il ne faut pas se méprendre sur le véritable sens dans lequel on doit entendre la déclinabilité & l'indéclinabilité essentielle. Ces deux expressions ne veulent dire que la possibilité ou l'impossibilité absolue de varier les inflexions des mots relativement aux vûes de l'ordre analytique ; mais la déclinabilité ne suppose point du tout que la variation actuelle des inflexions doive être admise nécessairement, quoique l'indéclinabilité l'exclue nécessairement : c'est que la non existence est une suite nécessaire de l'impossibilité ; mais l'existence, en supposant la possibilité, n'en est pas une suite nécessaire.

En effet, les mots essentiellement déclinables ne sont pas déclinés dans toutes les langues ; & dans celles où ils sont déclinés, ils ne l'y sont pas aux mêmes égards. Le verbe, par exemple, décliné presque par-tout, ne l'est point dans la langue franque, qui ne fait usage que de l'infinitif ; la place qu'il occupe & les mots qui l'accompagnent déterminent les diverses applications dont il est susceptible. Les noms qui en grec, en latin, en allemand, reçoivent des nombres & des cas, ne reçoivent que des nombres en françois, en italien, en espagnol & en anglois, quoique maints Grammairiens croyent y voir des cas, au moyen des prépositions qui les remplacent effectivement, mais qui ne le sont pas pour cela. Les verbes latins n'ont que trois modes personnels, l'indicatif, l'impératif & le subjonctif : ces trois modes se trouvent aussi en grec & en françois ; mais les Grecs ont de plus un optatif qui leur est propre, & nous avons un mode suppositif qui n'est pas dans les deux autres langues.

Il y a dans les diverses langues de la terre mille variétés semblables, suites naturelles de la liberté de l'usage, décidé quelquefois par le génie propre de chaque idiome, & quelquefois par le simple hasard ou le pur caprice. Que les noms ayent en grec, en latin & en allemand des nombres & des cas, & que dans nos langues analogues de l'Europe ils n'ayent que des nombres, c'est génie ; mais qu'en latin, par exemple, où les noms & les adjectifs se déclinent, il y en ait que l'usage a privés des inflexions que l'analogie leur destinoit, c'est hasard ou caprice.

Il me semble que c'est aussi caprice ou hasard, que ces noms ou ces adjectifs anomaux soient les seuls qu'il ait plû aux Grammairiens d'appeller spécialement indéclinables. J'aimerois beaucoup mieux que cette dénomination eût été réservée pour désigner la propriété de toute une espece, en y ajoûtant, si l'on eût voulu, la distinction de l'indéclinabilité naturelle & de l'indéclinabilité usuelle : dans ce cas, les anomaux dont il s'agit ici, auroient dû plutôt se nommer indéclinés qu'indéclinables, parce que leur indéclinabilité est un fait particulier qui déroge à l'analogie commune par accident, & non une suite de cette analogie.

Quoi qu'il en soit de la dénomination, ces anomaux indéclinables n'apportent dans l'élocution latine aucune équivoque ; & il est d'un usage bien entendu, quand on fait l'analyse d'une phrase latine où il s'en trouve, de leur attribuer les mêmes fonctions qu'aux mots déclinés. Ainsi en analysant cette proposition interjective de Virgile, cornu ferit ille, il est sage de dire que cornu est à l'ablatif comme complément de la proposition sous-entendue cùm (avec), quoique cornu n'ait réellement aucun cas au singulier : c'est faire allusion à l'analogie latine, & c'est comme si l'on disoit que cornu auroit été mis à l'ablatif, si l'usage l'eût décliné comme les autres noms. J'avoue cependant qu'il y auroit plus de justesse & de vérité à se servir plutôt de ce tour conditionnel que de l'affirmation positive ; & j'en use ainsi quand il s'agit de l'infinitif, qui est un vrai nom indéclinable : dans turpe est mentiri, par exemple, je dis que l'infinitif mentiri est le sujet du verbe est, & qu'il seroit au nominatif s'il étoit déclinable : dans clamare coepit, que clamare est le complément objectif de coepit, & qu'il seroit à l'accusatif s'il étoit déclinable, &c. Voyez INFINITIF.

Mais ce qui est raisonnable par rapport à la phrase latine, seroit ridicule & faux dans la phrase françoise. Dire que dans j'obéis au roi, au roi est au datif, c'est introduite dans notre langue un jargon qui lui est étranger, & y supposer une analogie qu'elle ne connoît pas, . (B. E. R. M.)


INDÉFINIadj. (Géomét.) Voyez INFINI.

INDEFINI, (Gramm.) ce mot est encore un de ceux que les Grammairiens emploient comme techniques en diverses occasions ; & il signifie la même chose qu'indéterminé. On dit sens indéfini, article indéfini, pronom indéfini, tems indéfini.

1°. Sens indéfini. " Chaque mot, dit M. du Marsais (Tropes, part. III. art. ij. pag. 233.). a une certaine signification dans le discours, autrement il ne signifieroit rien ; mais ce sens, quoique déterminé (c'est-à-dire, quoique fixé à être tel) " ne marque pas toujours précisément un tel individu, un tel particulier ; ainsi on appelle sens indéterminé ou indéfini, celui qui marque une idée vague, une pensée générale, qu'on ne fait point tomber sur un objet particulier ".

Les adjectifs & les verbes, considérés en eux-mêmes, n'ont qu'un sens indéfini, par rapport à l'objet auquel leur signication est appliquable : grand, durable, expriment à la vérité quelque être grand, quelque objet durable ; mais cet être, cet objet, est-ce un esprit ou un corps ? est-ce un corps animé ou inanimé ? est-ce un homme ou une brute ? &c. La nature de l'être est indéfinie, & ce n'est que par des applications particulieres que ces mots sortiront de cette indétermination, pour prendre un sens défini, du-moins à quelques égards ; un grand homme, une grande entreprise ; un ouvrage durable, une estime durable. C'est la même chose des verbes considérés hors de toute application.

Je dis que les applications particulieres tirent ces mots de leur indétermination, du-moins à quelques égards. C'est que toute application qui n'est pas absolument individuelle ou spécifique, c'est-à-dire qui ne tombe pas précisement sur un individu ou sur toute une espece, laisse toujours quelque chose d'indéfini dans le sens : ainsi quand on dit un grand homme, le mot grand est défini par son application à l'espece humaine ; mais ce n'est pas à toute l'espece, ni à tel individu de l'espece ; ainsi le sens demeure encore indéfini à quelques égards, quoiqu'à d'autres il soit déterminé.

Les noms appellatifs sont pareillement indéfinis en eux-mêmes. Homme, cheval, argument, désignent à la vérité telle ou telle nature ; mais si l'on veut qu'ils désignent tel individu, ou la totalité des individus auxquels cette nature peut convenir, il faut y ajouter d'autres mots qui en fassent disparoître le sens indéfini : par exemple, cet homme est savant, l'homme est sujet à l'erreur, &c. Voyez ABSTRACTION, APPELLATIF, ARTICLE.

2°. Article indéfini. Quelques Grammairiens françois, à la tête desquels il faut mettre l'auteur de la Grammaire générale, Part. II. ch. vii, ont distingué deux sortes d'articles, l'un défini, comme le, la ; & l'autre indéfini, comme un, une, pour lequel on met de ou des au pluriel.

Non content de cette premiere distinction, la Touche vint après M. Arnauld & M. Lancelot, & dit qu'il y avoit trois articles indéfinis : " Les deux premiers, dit-il, servent pour les noms des choses qui se prennent par parties dans un sens indéfini : le premier est pour les substantifs, & le second pour les adjectifs ; je les appelle articles indéfinis partitifs : le troisieme article indéfini sert à marquer le nombre des choses, & c'est pour cela que je le nomme numéral ". L'art de bien parler françois, liv. II. ch. j. Le P. Buffier & M. Restaut, à quelques différences près, ont adopté le même système ; & tous ont eu en vue d'établir des cas & des déclinaisons dans nos noms, à l'imitations des noms grecs & latins ; comme si la Grammaire particuliere d'une langue ne devoit pas être en quelque sorte le code des décisions de l'usage de cette langue, plutôt que la copie inconséquente de la Grammaire d'une langue étrangere.

Je ne dois pas répéter ici les raisons qui prouvent que nous n'avons en effet ni cas ni déclinaisons (voyez ces mots) ; mais j'observerai d'abord avec M. Duclos (Rem. sur le chap. vij. de la II. Part. de la Gramm. génér.) " que ces divisions d'articles, défini, indéfini, n'ont servi qu'à jetter de la confusion sur la nature de l'article. Je ne prétends pas dire qu'un mot ne puisse être pris dans un sens indéfini, c'est-à-dire dans sa signification vague & générale ; mais loin qu'il y ait un article pour la marquer, il faut alors le supprimer. On dit, par exemple, qu'un homme a été traité avec honneur ; comme il ne s'agit pas de spécifier l'honneur particulier qu'on lui a rendu, on n'y met point d'article ; honneur est pris indéfiniment ", parce qu'il est employé en cette occurrence dans son acception primitive, selon laquelle, comme tout autre nom appellatif, il ne présente à l'esprit que l'idée générale d'une nature commune à plusieurs individus, ou à plusieurs especes, mais abstraction saite des especes & des individus. " Il n'y a, continue l'habile secrétaire de l'Académie françoise, qu'une seule espece d'article, qui est le pour le masculin, dont on fait la pour le féminin, & les pour le pluriel des deux genres : le bien, la vertu, l'injustice ; les biens, les vertus, les injustices ".

En effet, dès qu'il est arrêté que nos noms ne subissent à leur terminaison aucun changement qui puisse être regardé comme cas, que les sens accessoires représentés par les cas en grec, en latin, en allemand, & en toute autre langue qu'on voudra, sont suppléés en françois, & dans tous les idiomes qui ont à cet égard le même génie, par la place même des noms dans la phrase, ou par les prépositions qui les précedent ; enfin que la destination de l'article est de faire prendre le nom dans un sens précis & déterminé : il est certain, ou qu'il ne peut y avoir qu'un article, ou que s'il y en a plusieurs, ce seront différentes especes du même genre, distinguées entr'elles par les différentes idées accessoires ajoutées à l'idée commune du genre.

Dans la premiere hypothese, où l'on ne reconnoîtroit pour article que le, la, les, la conséquence est toute simple. Si l'on veut déterminer un nom, soit en l'appliquant à toute l'espece dont il exprime la nature, soit l'appliquant à un seul individu déterminé de l'espece, il faut employer l'article ; c'est pour cela seul qu'il est institué : l'homme est mortel, détermination spécifique ; l'homme dont je vous parle, &c. détermination individuelle. Si on veut employer le nom dans son acception originelle, qui est essentiellement indéfinie, il faut l'employer seul ; l'intention est remplie : parler en homme, c'est-à-dire conformément à la nature humaine ; sens indéfini, où il n'est question ni d'aucun individu en particulier, ni de la totalité des individus. Ainsi l'introduction de l'article indéfini seroit an moins une inutilité, si ce n'étoit même une absurdité & une contradiction.

Dans la seconde hypothese, où l'on admettroit diverses especes d'articles, l'idée commune du genre devroit encore se retrouver dans chaque espece, mais avec quelque autre idée accessoire qui seroit le caractere distinctif de l'espece. Tels sont peut-être les mots tout, chaque, nul, quelque, certain, ce, mon, ton, son, un, deux, trois, & tous les autres nombres cardinaux ; car tous ces mots servent à faire prendre dans un sens précis & déterminé, les noms avant lesquels l'usage de notre langue les place ; mais ils le font de diverses manieres, qui pourroient leur faire donner diverses terminaisons. Tout, chaque, nul, articles collectifs, distingués encore entr'eux par des nuances délicates ; quelque, certain, articles partitifs ; ce, article démonstratif ; mon, ton, son, articles possessifs ; un, deux, trois, &c. articles numériques, &c. Ici il faut toujours raisonner de même : vous déterminerez le sens d'un nom, par tel article qu'il vous plaira ou qu'exigera le besoin ; ils sont tous destinés à cette fin ; mais dès que vous voudrez que le nom soit pris dans un sens indéfini, abstenez-vous de tout article ; le nom a ce sens par lui-même.

3°. Pronoms indéfinis. Plusieurs Grammairiens admettent une classe de pronoms qu'ils nomment indéfinis ou impropres, comme je l'ai déja dit ailleurs. Voyez IMPROPRE. On verra au mot PRONOM, que cette partie d'oraison détermine les objets dont on parle, par l'idée de leur relation de personnalité, comme les noms les déterminent par l'idée de leur nature. D'où il suit qu'un pronom, qui en cette qualité seroit indéfini, devroit déterminer un objet par l'idée d'une relation vague de personnalité, & qu'il ne seroit en soi d'aucune personne, mais qu'il seroit applicable à toutes les personnes. Y a-t-il des pronoms de cette sorte ? Non : tout pronom est ou de la premiere personne, comme je, me, moi, nous ; ou de la seconde, comme tu, te, toi, vous ; ou de la troisieme, comme se, il, elle, le, la, lui, les, leurs, eux, elles. Voyez PRONOM.

4°. Tems indéfinis. Nos Grammairiens distinguent encore dans notre indicatif deux prétérits, qu'ils appellent l'un défini, & l'autre indéfini. Quelques-uns, entre lesquels il faut compter M. de Vaugelas, donnent le nom de défini à celui de ces deux prétendus prétérits, qui est simple, comme j'aimai, je pris, je reçus, je tins ; & ils appellent indéfini celui qui est composé, comme j'ai aimé, j'ai pris, j'ai reçu, j'ai tenu. D'autres au contraire, qui ont pour eux l'auteur de la Grammaire générale & M. du Marsais, appellent indéfini celui qui est simple, & défini celui qui est composé. Cette opposition de nos plus habiles maîtres me semble prouver que l'idée qu'il faut avoir d'un tems indéfini, étoit elle-même assez peu déterminée par rapport à eux. On verra, article TEMS, ce qu'il faut penser des deux dont il s'agit ici, & quels sont ceux qu'il faut nommer définis & indéfinis, soit présens, soit prétérits, soit futurs. (B. E. R. M.)


INDÉLÉBILEadj. (Théologie) qui ne se peut effacer. Ce mot est formé du latin delere effacer, avec la préposition in, prise dans un sens négatif. Les sacremens de baptême, de confirmation & d'ordre impriment un caractere indélébile. Voyez CARACTERE. (G)


INDÉLIBÉRÉadj. (Gramm.) qui s'est fait sans attention, sans examen, sans délibération, presque machinalement. On dit un jugement indélibéré, un mouvement indélibéré.


INDEMNEadj. m. & f. (Jurisprud.) est celui qui est acquité ou dédommagé de quelque chose par une autre personne ; celui dont le garant prend le fait & cause, doit sortir indemne de la contestation. Voyez INDEMNITE. (A)


INDEMNITÉS. f. (Jurisprud.) signifie en général ce qui est donné à quelqu'un pour empêcher qu'il ne souffre quelque dommage.

Quelquefois par ce terme, on entend un écrit par lequel on promet de rendre quelqu'un indemne. Ce terme est sur-tout employé dans ce sens pour exprimer un écrit par lequel on promet d'acquiter quelqu'un de l'événement d'une obligation ou d'une contestation, soit en principal & intérêts, ou pour les frais & dépens.

Indemnité est quelquefois pris pour diminution ; un fermier qui n'a pas joui pleinement de l'effet de son bail, demande au propriétaire une indemnité, c'est-à-dire une diminution sur le prix de son bail.

Indemnité est aussi un terme propre pour exprimer la garantie dûe à la femme par son mari, & sur ses biens, pour les dettes auxquelles elle s'est obligée pour son mari, ou qui sont dettes de communauté, dont elle ne profite pas au cas qu'elle renonce à la communauté. L'hypotheque de la femme pour ces sortes d'indemnités est du jour du contrat de mariage en pays coutumier ; en pays de droit écrit, elle n'a lieu que du jour de l'obligation de la femme, à moins que l'indemnité ne soit stipulée par contrat de mariage.

Indemnité dûe au seigneur est un droit en argent que les gens de main-morte sont tenus de payer au seigneur de qui relevent les héritages qu'ils acquierent, à quelque titre que ce soit, pour le dédommager de ce que ces héritages sont pour ainsi dire hors du commerce, attendu que les gens de mainmorte cherchent rarement à aliéner, & qu'ils ne le peuvent faire que difficilement, à cause des formalités nécessaires pour de telles aliénations, au moyen de quoi, le seigneur est privé des droits qu'il recevroit à chaque mutation, & autres droits casuels qu'il pourroit avoir si les héritages n'étoient pas possédés par des gens de main-morte.

Le seigneur a néanmoins toujours un droit de relief à chaque mutation d'homme vivant & mourant.

Le droit d'amortissement que les gens de mainmorte payent au roi, n'empêche pas qu'ils ne doivent aussi un droit d'indemnité, soit au roi, si l'acquisition est dans sa mouvance, ou au seigneur particulier dans la mouvance duquel est l'héritage ; & s'il y a un autre seigneur qui ait la justice, le droit d'indemnité se partage entr'eux, de maniere que celui qui a la justice prend la dixieme partie du droit d'indemnité, pour le dédommager des droits de deshérence, confiscation, & autres droits que donne la justice ; le seigneur de fief prend le surplus du droit.

Quant à la fixation du droit d'indemnité, elle est différente selon les pays & les coutumes.

Au parlement de Paris on regle ce droit au cinquieme du prix de l'héritage ; on observe la même chose dans toutes les coutumes qui n'ont point de disposition contraire.

La coutume de Sens regle ce droit à la valeur des fruits de trois années de l'héritage, ou au sixieme du prix de l'acquisition, au choix & option des gens de main-morte.

En Normandie l'indemnité est du tiers pour les fiefs & du quart pour les rotures.

En Dauphiné on l'évalue à un droit de lods de vingt ans en vingt ans.

Mais ordinairement les gens de main-morte ont soin de prévenir le seigneur du dessein qu'ils ont d'acquérir & de composer avec lui.

Ce payement du droit d'indemnité ne peut être demandé aux gens de main-morte qu'après qu'ils ont obtenu des lettres d'amortissement, étant incertain jusques-là s'ils resteront possesseurs de l'héritage.

Quand un héritage est donné par testament à des gens de main-morte, c'est aux héritiers du testateur à payer le droit d'indemnité : on suppose que le testateur en leur donnant l'héritage, a eu intention que ses héritiers fissent tout ce qui seroit nécessaire pour les mettre en état de le posséder ; suivant la régle, qui vult finem, vult & media ; mais quand l'héritage est donné entre-vifs, c'est aux gens de main-morte à payer le droit d'indemnité : on ne peut pas dans ce cas admettre la même présomption que dans le précédent, parce que si le donateur avoit voulu payer le droit d'indemnité, il l'auroit fait lui-même de son vivant.

Le payement du droit d'indemnité est sujet à prescription par trente ans contre un seigneur temporel, & par quarante ans contre l'Eglise.

Les gens de main-morte qui ont payé le droit d'indemnité ne laissent pas d'être tenus d'acquiter les cens & rentes dûs sur l'héritage.

Il n'est point dû d'indemnité pour l'acquisition d'un héritage allodial.

Les gens de main-morte n'en doivent pas non-plus lorsqu'ils acquierent de la main du seigneur ou de son consentement.

Voyez Dumoulin sur l'art. 51. de la nouv. coût. de Paris, gl. xj. n. 68 ; la déclaration du 21. Novembre 1724 ; l'arrêt du conseil du 9. Décembre 1727 ; Bacquet, des amortissemens, ch. liij. & ljv. D'Olive, liv. II. ch. xij. & suiv. Boniface, tome I. liv. II. tit. 31. ch. xxj. Salvaing, de l'usage des fiefs, ch. ljx. Hevin-sur-Frain, pag. 259 ; Du fait, liv. I. ch. ccxlj. & liv. III. ch. ccxlix.

Voyez aussi AMORTISSEMENT, HOMME VIVANT ET MOURANT, & MAIN-MORTE. (A)


INDEPENDANCES. f. (Philosoph. Morale) la pierre philosophale de l'orgueil humain ; la chimere après laquelle l'amour-propre court en aveugle ; le terme que les hommes se proposent toûjours, & qui empêche leurs entreprises & leurs desirs d'en avoir jamais, c'est l'indépendance.

Cette perfection est sans-doute bien digne des efforts que nous faisons pour l'atteindre, puisqu'elle renferme nécessairement toutes les autres ; mais par-là même elle ne peut point se rencontrer dans l'homme essentiellement limité par sa propre existence. Il n'est qu'un seul être indépendant dans la nature ; c'est son auteur. Le reste est une chaîne dont les anneaux se lient mutuellement, & dépendent les uns des autres, excepté le premier, qui est dans la main même du créateur. Tout se tient dans l'univers : les corps célestes agissent les uns sur les autres ; notre globe en est attiré, & les attire à son tour ; le flux & reflux de la mer a sa cause dans la lune ; la fertilité des campagnes dépend de la chaleur du soleil, de l'humidité de la terre, de l'abondance de ses sels, &c. Pour qu'un brin d'herbe croisse, il faut pour ainsi dire, que la nature entiere y concoure ; enfin il y a dans l'ordre physique un enchaînement dont l'étrange complication fait un cahos que l'on a eu tant de peine à débrouiller.

Il en est de même dans l'ordre moral & politique. L'ame dépend du corps ; le corps dépend de l'ame, & de tous les objets extérieurs ; comment l'homme, c'est-à-dire l'assemblage de deux parties si subordonnées, seroit-il lui-même indépendant ? La société pour laquelle nous sommes nés nous donne des lois à suivre, des devoirs à remplir ; quel que soit le rang que nous y tenons, la dépendance est toujours notre apanage, & celui qui commande à tous les autres, le souverain lui-même voit au-dessus de sa tête les lois dont il n'est que le premier sujet.

Cependant les hommes se consument en des efforts continuels pour arriver à cette indépendance, qui n'existe nulle part. Ils croient toujours l'appercevoir dans le rang qui est au-dessus de celui qu'ils occupent ; & lorsqu'ils y sont parvenus, honteux de ne l'y point trouver, & non guéris de leur folle envie, ils continuent à l'aller chercher plus haut. Je les comparerois volontiers à des gens grossiers & ignorans qui auroient résolu de ne se reposer qu'à l'endroit où l'oeil borné est forcé de s'arrêter, & où le ciel semble toucher à la terre. A mesure qu'ils avancent l'horison se recule ; mais comme ils l'ont toujours en perspective devant eux, ils ne se rebutent point, ils se flatent sans-cesse de l'atteindre dans peu, & après avoir marché toute leur vie, après avoir parcouru des espaces immenses, ils tombent enfin accablés de fatigue & d'ennui, & meurent avec la douleur de ne se voir pas plus près du terme auquel ils s'efforçoient d'arriver, que le jour qu'ils avoient commencé à y tendre.

Il est pourtant une espece d'indépendance à laquelle il est permis d'aspirer : c'est celle que donne la Philosophie. Elle n'ôte point à l'homme tous ses liens, mais elle ne lui laisse que ceux qu'il a reçus de la main même de la raison. Elle ne le rend pas absolument indépendant, mais elle ne le fait dépendre que de ses devoirs.

Une pareille indépendance ne peut pas être dangereuse. Elle ne touche point à l'autorité du gouvernement, à l'obéissance qui est dûe aux lois, au respect que mérite la religion : elle ne tend pas à détruire toute subordination, & à bouleverser l'état, comme le publient certaines gens qui crient à l'anarchie, dès qu'on refuse de reconnoître le tribunal orgueilleux qu'ils se sont eux-mêmes élevé. Non, si le philosophe est plus indépendant que le reste des hommes, c'est qu'il se forge moins de chaînes nouvelles. La médiocrité des desirs le délivre d'une foule de besoins auxquels la cupidité assujettit les autres. Renfermé tout entier en lui-même, il se détache par raison de ce que la malignité des hommes pourroit lui enlever. Content de son obscurité, il ne va point pour en sortir ramper à la porte des grands, & chercher des mépris qu'il ne veut rendre à personne. Plus il est dégagé des préjugés, & plus il est attaché aux vérités de la religion, ferme dans les grands principes qui font l'honnête homme, le fidele sujet & le bon citoyen. Si quelquefois il a le malheur de faire plus de bruit qu'il ne le voudroit, c'est dans le monde littéraire où quelques nains effrayés ou envieux de sa grandeur, veulent le faire passer pour un Titan qui escalade le ciel, & tâchent ainsi par leurs cris d'attirer la foudre sur la tête de celui dont leurs propres dards pourroient à peine piquer légérement les piés. Mais que l'on ne se laisse pas étourdir par ces accusations vagues dont les auteurs ressemblent assez à ces enfans qui crient au feu lorsque leur maître les corrige. L'on n'a jusqu'ici guere vû de philosophes qui aient excité des revoltes, renversé le gouvernement, changé la forme des états : je ne vois pas que ce soit eux qui aient occasionné les guerres civiles en France, fait les proscriptions à Rome, détruit les républiques de la Grece. Je les vois par-tout entourés d'une foule d'ennemis, mais par-tout je les vois persécutés & jamais persécuteurs. C'est-là leur destinée, & le prince même des Philosophes, le grand & vertueux Socrate, leur apprend qu'ils doivent s'estimer heureux lorsqu'on ne leur dresse pas des échafauds avant de leur élever des statues.


INDÉPENDANTS. m. (Théologie) indépendans, nom qu'on donne à quelques sectaires d'Angleterre & des Provinces-unies. Ils ont été ainsi appellés parce qu'ils font profession de ne dépendre d'aucune assemblée ecclésiastique. Voyez PURITAINS.

Ils prétendent que chaque église ou congrégation particuliere, comme ils parlent, a en elle-même radicalement & essentiellement tout ce qui est nécessaire pour sa conduite & pour son gouvernement ; qu'elle a toute la puissance ecclésiastique & toute la jurisdiction, & qu'elle n'est point sujette à une ou plusieurs églises, ni à leurs députés, ni à leurs assemblées, ni à leurs synodes, non plus qu'à aucun évêque.

Quoique les indépendans ne croyent pas qu'il soit nécessaire d'assembler des synodes, ils disent que si l'on en tient, on doit considérer leurs résolutions comme des conseils d'hommes sages & prudens, auxquels on peut déférer, & non comme des décisions auxquelles on soit obligé d'obéir. Voyez SYNODE, CONCILE, &c.

Ils conviennent qu'une ou plusieurs églises peuvent aider une autre église de leurs conseils & de leurs secours ; la reprendre même lorsqu'elle péche, pourvû qu'elle ne s'attribue point le droit d'une autorité supérieure qui ait le pouvoir d'excommunier.

Dans les matieres de foi & de doctrine les indépendans sont entierement d'accord avec les réformés, & leur indépendance regarde plutôt la politique & la discipline, que le fond de la religion. Voyez CALVINISME.

Durant les guerres civiles d'Angleterre, les indépendans étant devenus le parti le plus puissant, presque toutes les sectes contraires à l'église anglicane se joignirent à eux, ce qui fait qu'on les distingue en deux sectes.

Les premiers sont Presbytériens, & n'en different qu'en matiere de discipline. Les autres que M. Spanheim appelle faux indépendans, sont un amas confus d'Anabaptistes, de Sociniens, d'Antinomes, de Familiaristes, de libertins, &c. Voy. PRESBYTERIENS, ANTINOMES, &c.

Voici ce que dit le P. d'Orléans de l'origine de cette secte. Du sein même de cette secte étoit née depuis quelque tems, sous prétexte d'une plus grande réforme, une autre secte non-seulement ennemie du roi, mais de la royauté qu'elle entreprit d'abolir tout-à-fait, pour former une république, au gouvernement de laquelle chacun pût avoir part à son tour. On ne peut dire précisément quand cet étrange dessein fut formé par la secte des indépendans ; c'est le nom qu'on avoit donné à la secte dont il s'agit, sur ce que faisant profession de porter la liberté évangélique encore plus loin que les Puritains, non-seulement elle ne vouloit point d'évêques, mais elle rejettoit même les synodes, prétendant que chaque assemblée devoit se gouverner elle-même indépendamment de toute autre, & faisant consister en cela la liberté des enfans de Dieu.

D'abord on n'avoit distingué ces nouveaux sectaires entre les Presbytériens, que comme on distingue les fervens des tiedes, & les parfaits des relâchés, par un plus grand éloignement des pompes & des prééminences, soit dans l'église, soit dans l'état, par un plus grand zele à réduire la pratique de l'évangile à sa plus grande pureté. Leur maxime sur l'indépendance les fit distinguer en leur faisant donner un nom, & les rendit suspects aux autres ; mais ils eurent assez d'adresse & d'artifice pour avancer leurs affaires, & pour faire un grand nombre de prosélites.

L'indépendantisme ne subsiste qu'en Angleterre, dans les colonies angloises & dans les Provinces-unies. Un nommé Morel voulut l'introduire en France dans le xvj. siecle, mais le synode de la Rochelle où présidoit Beze, & celui de Charenton en 1644, condamnerent cette erreur. Dictionnaire de Trévoux.


INDÉTERMINÉadj. (Mathémat.) se dit d'une quantité ou chose qui n'a point de bornes certaines & prescrites.

On appelle, en Mathématiques, quantités indéterminées ou variables, celles qui peuvent chan ger de grandeur, par opposition aux quantités données & constantes, dont la grandeur reste toûjours la même ; dans un parabole, par exemple, les co-ordonnées x & y sont des indéterminées, & le parametre est une quantité constante. (O)

Un problème indéterminé est celui dont on peut donner un nombre infini de solutions différentes. Voyez PROBLEME, COURBE, LIEU, &c.

On demande, par exemple, un nombre qui soit multiple de 4 & de 5 ; ce nombre peut être 20, 40, 60, &c. à l'infini, & ainsi du reste.

On regarde ordinairement un problème comme indéterminé, lorsqu'il renferme plus d'inconnues que d'équations, parce qu'alors on ne peut jamais réduire les équations à une seule qui ne contienne qu'une inconnue. Cependant il est certains problèmes qui par leur nature sont déterminés, quoiqu'ils renferment moins d'équations que d'inconnues. Un exemple éclaircira & prouvera en même tems ce que nous avançons. Supposons que l'on partage 40 sols à 20 personnes, hommes, femmes, & enfans, en donnant aux hommes 4 sols, aux femmes 2 sols, aux enfans 1 sol. On demande combien il y avoit d'hommes, de femmes & d'enfans. Il est certain qu'il y a ici trois inconnues, x, y, z, & que l'on ne peut trouver que ces deux équations x + y + z 20 ; & 4 x + 2 y + z = 40. La premiere donne z = 20 - x = y, & 4 x + 2 y + 20 - x - y = 40, ou 3 x + y = 20, & x = . Or il semble d'abord que l'on puisse prendre pour y tout ce qu'on veut ; mais on fera réflexion que comme y exprime un certain nombre de personnes, aussi-bien que x, il faut que y & x soient chacun des nombres entiers positifs. D'où il s'ensuit que y doit être un nombre entier plus petit que 20, & que 20 - y doit être divisible exactement par 3. On fera donc successivement 20 - y égal à tous les multiples de 3 ; sçavoir 20 - y = 3, 20 - y = 6, 20 - y = 9, 20 - y = 12, 20 - y = 15, 20 - y = 18 ; & l'on ne sauroit aller plus loin, parce que si on prenoit 20 - y = 21, on auroit y = - 1 : c'est pourquoi on aura toutes les solutions possibles de ce problème dans la table suivante.

ce qui fait en tout six solutions possibles. (O)


INDÉVOTadj. (Grammaire.) qui manque de piété envers Dieu, de vénération envers les choses sacrées. Voyez DEVOTION.


INDEXterme d'Anatomie, le second doigt de la main, & celui qui suit le pouce. Voyez DOIGT.

Il est ainsi appellé d'indico, j'indique, je montre, parce qu'il sert ordinairement à cet usage : delà vient que l'on donne le nom d'indicateur à l'extenseur de l'index. Voyez EXTENSEUR, ABDUCTEUR, DUCTEURTEUR.

Les Grecs le nomment , lécheur, parce qu'on le met dans les sauces pour en goûter, & qu'après on le leche. D'autres prétendent qu'on lui a donné ce nom à cause que c'est de lui dont les nourrices se servent pour prendre la bouillie qu'elles donnent à leurs nourrissons, & de ce qu'ordinairement elles le lechent, pour goûter si elle n'est point trop chaude.

Index, en terme d'Arithmétique, est la même chose que la caractéristique ou l'exposant d'un logarithme. Voyez LOGARITHME.

L'index est ce qui montre de combien de rangs le nombre absolu qui appartient au logarithme consiste, & de quelle nature il est, soit qu'il soit un nombre entier ou une fraction.

Par exemple, dans ce logarithme, 2, 521293, le nombre qui est au côté gauche du point est appellé index ; & comme il vaut 2, il montre que le nombre absolu qui lui appartient doit avoir trois rangs : car il vaut toujours un de plus que l'index, à cause que l'index de 1 est 0 ; celui de 0, 1 ; & celui de 100, 2 &c. comme dans cet exemple,

où les nombres de dessus sont les index de ceux de dessous. C'est pourquoi dans les petites tables des logarithmes de Brigg, où l'index est omis, il faut toûjours le suppléer avant d'opérer.

Lorsque le nombre absolu est une fraction, l'index du logarithme est un signe négatif, & on le marque ainsi . 562293 : ce qui montre que le nombre correspondant est une fraction décimale de trois rangs, sçavoir 1. 365.

Il y a une maniere particuliere de marquer ces index, quand ils expriment des fractions, qui est fort en usage aujourd'hui. Elle consiste à prendre, au lieu du vrai index, son complément arithmétique à 10. Voici comme on écrit le logarithme dont nous venons de parler. . 562293.

Voyez au mot LOGARITHME, combien il est nécessaire d'ajoûter ou de retrancher des index.

INDEX (Jurispr.) terme latin qui est usité dans le langage françois pour signifier la table des matieres que l'on met à la fin d'un livre. On a deux index des corps de droit civil & canon, qui sont fort amples & fort utiles.

On appelle aussi index le catalogue des livres défendus par le concile de Trente.

Il y a à Rome une congrégation de l'indice ou de l'index, à laquelle on attribue le droit d'examiner les livres qui y doivent être insérés, & dont la lecture doit être défendue, soit absolument, ou donec corrigantur. Je ne sais si nous n'avons pas le sens commun, ou si c'est la congrégation de l'indice qui en manque, mais il est sûr qu'il n'y a presque pas un seul bon livre de piété, ou de morale dans notre langue, qu'elle n'ait proscrit. (A)

INDEX, (Commerce) nom que les négocians & teneurs de livres donnent à un livre composé de vingt-quatre feuillets, qui se tient par ordre alphabétique, dont on se sert pour trouver facilement sur le grand livre ou livre de raison les folio où sont débitées & créditées les différentes personnes avec lesquelles on est en compte ouvert. L'index se nomme aussi alphabet, table ou répertoire. Voyez LIVRES. Dictionnaire de Commerce.


INDICA GEMMA(Hist. nat.) pierre précieuse, qui suivant Pline, se trouvoit dans les Indes, & qu'il dit être d'un rouge brun, & dont en la frottant il suintoit une liqueur pourpre. Le même auteur dit qu'il y avoit une autre pierre à qui on donnoit le même nom, qui étoit blanche, & paroissoit comme couverte de poussiere. Voyez Pline, liv. XXXVII. chap. x.


INDICATEURS. m. terme d'Anatomie, muscle de l'index, ou du second doigt après le pouce. Voyez INDEX.

Le premier des muscles propres de l'index est l'indicateur, ainsi appellé parce qu'il nous sert à montrer quelqu'un. On l'appelle aussi l'extenseur propre de l'index. Voyez EXTENSEUR.


INDICATIFadj. (Gramm.) le mode indicatif, la forme indicative. L'indicatif est un mode personnel qui exprime directement & purement l'existence d'un sujet déterminé sous un attribut.

Comme ce mode est destiné à être adapté à tous les sujets déterminés dont il peut être question dans le discours, il reçoit toutes les inflexions personnelles & numériques, dont la concordance avec le sujet est la suite nécessaire de cette adaptation ; cette propriété lui est commune avec tous les autres modes personnels sans exception.

Mais il exprime directement. C'est une autre proprieté qu'il ne partage point avec le mode subjonctif, dont la signification est oblique. Toute énonciation dont le verbe est au subjonctif, est l'expression d'un jugement accessoire, que l'on n'envisage que comme partie de la pensée que l'on veut manifester ; & l'énonciation subjonctive n'est qu'un complément de l'énonciation principale. Celle-ci est l'expression immédiate de la pensée que l'on se propose de manifester, & le verbe qui en fait l'ame doit être au mode indicatif. Ainsi ce mode est direct, parce qu'il sert à constituer la proposition principale que l'on envisage ; & le subjonctif est oblique, parce qu'il ne constitue qu'une énonciation détournée qui entre dans le discours par accident & comme partie dépendante. Je fais de mon mieux ; dans cette proposition, je fais exprime directement, parce qu'il énonce immédiatement le jugement principal que je veux faire connoître. Il faut que je fasse de mon mieux ; dans cette phrase, je fasse explique obliquement, parce qu'il énonce un jugement accessoire subordonné au principal, dont le caractere propre est il faut. C'est à cause de cette propriété que Scaliger le qualifie, solus modus aptus scientiis, solus pater veritatis. de caus. l. I. v. 116.

J'ajoûte que le mode indicatif exprime purement l'existence du sujet, pour marquer qu'il exclut toute autre idée accessoire, qui n'est pas nécessairement comprise dans la signification essentielle du verbe ; & c'est ce qui distingue ce mode de tout autre mode direct. L'impératif est aussi direct, mais il ajoûte à la signification générale du verbe l'idée accessoire de la volonté de celui qui parle. Voyez IMPERATIF. Le suppositif que nous sommes obligés de reconnoître dans nos langues modernes, est direct aussi ; mais il ajoûte à la signification générale du verbe l'idée accessoire d'hypothese & de supposition. V. SUPPOSITIF. Le seul indicatif, entre les modes directs garde sans mélange la signification pure du verbe. V. MODE.

C'est apparemment cette derniere propriété qui est cause que dans quelque langue que ce soit, l'indicatif admet toutes les especes de tems qui sont autorisées dans la langue, & qu'il est le seul mode assez communément qui les admette toutes. Ainsi pour déterminer quels sont les tems de l'indicatif, il ne faut que fixer ceux qu'une langue a reçus. Voyez TEMS. (B. E. R. M.)


INDICATIONS. f. (Jurisprud.) est le renseignement des biens d'un débiteur que le détenteur d'un héritage poursuivi hypothécairement fait au créancier, afin que celui-ci discute préalablement les biens indiqués.

C'est à celui qui demande la discussion à indiquer les héritages qu'il prétend y être sujets, & si par son indication il induit le créancier en erreur, il est tenu de l'indemniser des suites de la mauvaise contestation où il l'a engagé. Voyez DISCUSSION. (A)

INDICATION, INDIQUANT, INDIQUE, (Medec.) indication ne signifie autre chose en Médecine que vûe, dessein, objet à remplir. Indiquant se dit de l'état du malade considéré comme déterminant le medecin à procéder d'une maniere particuliere, comme lui fournissant des indications ; & enfin on appelle indiqué le secours que le medecin emploie d'après l'indication. On distingue par exemple les indications en vitales, curatives, prophylactiques, ou préservatives, palliatives, &c. c'est-à-dire qu'on se propose en traitant un malade de conserver sa vie, de soutenir ses forces, &c. ce qui est l'indication vitale ; de lui administrer les divers remedes qui peuvent opérer sa guérison ; & c'est là l'indication curative ; de le préserver des maladies, ou des accidens dont il est menacé, ce qui constitue l'indication prophylactique ; enfin d'adoucir, de modérer autant qu'il est possible les maux qu'on ne peut guérir radicalement, ce qui fait l'indication palliative.

Un amas de matieres crues, ou la présence d'un poison dans l'estomac, indiquent ou sont indicans d'un vomitif ; l'ouverture d'un artere indique la ligature, la compression, l'application de l'agaric, &c. ce vomitif, cet agaric, sont indiqués par le poison, par l'ouverture de l'artere.

Nous n'entendons faire de ce petit nombre de propositions qu'un article purement grammatical, expliquer le langage de la Médecine en cette partie ; car quant à l'art de lier les indications aux indicans, & de les remplir par les indiqués particuliers les plus convenables, ou comme l'on s'exprime plus communément l'art de saisir & de remplir les indications, il n'est pas moins fondamental, moins universel que l'art même de la Médecine, & il est au moins exactement la même chose que la méthode de guérir proprement dite, ou la partie de la Médecine appellée Thérapeutique. Voyez THERAPEUTIQUE. (b)


INDICESS. m. (Jurisprud.) sont des circonstances en matiere criminelle, qui font penser que l'accusé est coupable du crime dont il est prévenu ; par exemple s'il a changé de visage, & a paru se troubler lorsqu'on l'a rencontré aussi-tôt après le délit ; s'il a paru s'enfuir ; si on l'a trouvé les armes à la main, ou qu'il y eût du sang sur ses habits ; ce sont là autant d'indices du crime.

Les contradictions même dans lesquelles tombent les accusés, forment aussi une espece d'indice.

Mais tous ces indices, en quelque nombre qu'ils soient, ne forment pas des preuves suffisantes pour condamner un accusé ; ils font seulement naître des soupçons & plusieurs indices qui concourent, peuvent être considérés comme un commencement de preuve qui détermine quelquefois les juges à ordonner un plus amplement informé, même quelquefois à condamner l'accusé à subir la question s'il s'agit d'un crime capital ; ce qui ne doit néanmoins être ordonné qu'avec beaucoup de circonspection, attendu que les indices les plus forts sont souvent trompeurs. On en a vu des exemples bien sensibles dans les affaires de Le Brun & du sieur Langlade. Charondas, l. IX. chap. 1. rapporte aussi le cas d'un mari que la Cour étoit sur le point de condamner à mort, comme ayant tué sa femme, laquelle heureusement pour lui fut alors représentée. (A)


INDICTIONS. f. (Littérat. & Chronolog.) l'indiction est en Chronologie un cercle de quinze années juliennes accomplies. Il faut savoir que ce terme a d'abord signifié un tribut que les Romains percevoient toutes les années dans les provinces, sous le nom d'indictio tributaria. Il est vraisemblable que ce tribut étoit levé pour la subsistance des soldats, & particuliérement de ceux qui avoient servi pendant quinze ans la république. Quoi qu'il en soit, lorsque l'état de l'empire romain changea de face sous les derniers empereurs, on conserva le terme indictio, mais on l'employa simplement pour marquer un espace de quinze années.

On chercheroit inutilement le tems où l'on commença de se servir de l'indiction dans ce dernier sens, on l'ignorera toujours. Ceux qui disent que Constantin, après avoir aboli les jeux séculaires & vaincu Maxence, introduisit l'époque de l'indiction au mois de Septembre 312, devinent sans-doute, puisqu'ils ne peuvent pas en rapporter la preuve.

On n'a pas mieux démêlé l'origine & le commencement de l'indiction romaine, ou si l'on veut pontificale ; ce second point d'histoire est encore un des plus obscurs. Le P. Mabillon s'est donné des peines inutiles pour l'éclaircir, & Ducange n'a pas été plus heureux dans son Glossaire.

Ce qu'on sait de vrai, c'est que les papes, après que Charlemagne les eut rendus souverains, commencerent à dater leurs actes par l'année de l'indiction, qui fut fixée au premier Janvier 313 de l'an de J. C. auparavant ils les datoient par les années des empereurs ; & enfin ils les ont datés par les années de leur pontificat, comme le prouve le synode que le pape Jean XV. tint en 998.

Aujourd'hui la cour de Rome, pour empêcher les faussetés qui pourroient se commettre dans les provisions des bénéfices, dans les bulles & autres expéditions, en y changeant les dates, a imaginé de les multiplier, d'y en ajoûter de petites aux grandes, & d'y rappeller cinq ou six fois la même date en plusieurs manieres, ce qui est une précaution excellente ; car si le faussaire n'altere qu'une partie des dates, il sera refuté par toutes les autres, & s'il les altere toutes, il sera facile de découvrir sa fourberie, en y regardant de près.

Les grandes dates de la chancellerie sont l'année courante de N. S. & celle du pape régnant. Les petites dates sont les années courantes de l'indiction, du nombre d'or, & du cycle solaire.

Pour entendre la date de l'indiction romaine actuelle, il faut se rappeller qu'elle a été fixée au premier Janvier de l'an 313 de l'ere commune, d'où il suit que l'an 312 avoit douze d'indiction, car divisant 312 par 15 il reste 12 ; par conséquent on a supposé que le cycle de l'indiction commenceroit 3 ans avant la naissance de J. C. supputation fictive qui n'a aucun rapport avec les mouvemens célestes.

Maintenant donc si vous voulez savoir le nombre de l'indiction romaine qui répond à une année donnée ajoûtez 3 à l'année donnée, divisez la somme par 15, ce qui reste après la division, sans avoir égard au quotient, est le nombre de l'indiction cherchée.

Si l'on vous demandoit par exemple le nombre de l'indiction papale qui répond à l'année 1700, vous ajoûterez 3 à 1700, vous diviserez la somme de 1703 par 15, le reste de la division donnera 8, qui est le nombre de l'indiction de l'an 1700.

De même pour trouver l'indiction de l'an 1759, on ajoûtera 3 à 1759 qui feront 1762 ; on divisera 1762 par 15, le reste de la division donnera 7 pour le nombre de l'indiction que l'on cherche ; même opération à l'égard de toute autre année.

L'indiction dans son origine ne désignoit point, comme on l'a déja dit, une époque chronologique. Ce mot vient du latin indictio, qui signifie dénonciation, ordonnance. Le tems de l'indiction des empereurs romains étoit celui où l'on avertissoit le peuple de payer un certain tribut, & cette indiction impériale avoit lieu vers la fin de Septembre ou au commencement d'Octobre, parce qu'alors la récolte étant faite, le peuple pouvoit payer le tribut ordonné, tributum indictum. (D.J.)


INDIENNESS. f. (Commerce) nom sous lequel on comprend généralement les toiles peintes qui nous viennent des Indes. Voyez l'article TOILE PEINTE.


INDIENSPHILOSOPHIE DES, (Hist. de la Philosophie) On prétend que la Philosophie a passé de la Chaldée & de la Perse aux Indes. Quoi qu'il en soit, les peuples de cette contrée étoient en si grande réputation de sagesse parmi les Grecs, que leurs philosophes n'ont pas dédaigné de les visiter. Pythagore, Démocrite, Anaxarque, Pyrrhon, Apollonius & d'autres, firent le voyage des Indes, & allerent converser avec les brachmanes ou gymnosophistes indiens.

Les sages de l'Inde ont été appellés brachmanes de Brachme fondateur de la secte, & gymnosophistes, ou sages qui marchent nuds, de leur vêtement qui laissoit à découvert la plus grande partie de leur corps.

On les divise en deux sectes, l'une des brachmanes, & l'autre des samanéens ; quelques-uns font mention d'une troisieme sous le nom de Pramnes. Nous ne sommes pas assez instruits sur les caracteres particuliers qui les distinguoient ; nous savons seulement en général qu'ils fuyoient la société des hommes ; qu'ils habitoient le fond des bois & des cavernes ; qu'ils menoient la vie la plus austere, s'abstenant de vin & de la chair des animaux, se nourrissant de fruits & de légumes, & couchant sur la terre nuë ou sur des peaux ; qu'ils étoient si fort attachés à ce genre de vie, que quelques-uns appellés auprès du grand roi, répondirent qu'il pouvoit venir lui-même s'il avoit quelque chose à apprendre d'eux ou à leur commander.

Ils souffroient avec une égale constance la chaleur & le froid ; ils craignoient le commerce des femmes ; si elles sont méchantes, disoient-ils, il faut les fuir parce qu'elles sont méchantes ; si elles sont bonnes, il faut encore les fuir de peur de s'y attacher. Il ne faut pas que celui qui fait son devoir du mépris de la douleur & du plaisir, de la mort & de la vie, s'expose à devenir l'esclave d'un autre.

Il leur étoit indifférent de vivre ou de mourir, & de mourir ou par le feu, ou par l'eau, ou par le fer. Ils s'assembloient jeunes & vieux autour d'une même table ; ils s'interrogeoient réciproquement sur l'emploi de la journée, & l'on jugeoit indigne de manger celui qui n'avoit rien dit, fait ou pensé de bien.

Ceux qui avoient des femmes les renvoyoient au bout de cinq ans, si elles étoient stériles ; ne les approchoient que deux fois l'année, & se croyoient quittes envers la nature, lorsqu'ils en avoient eu deux enfans, l'un pour elles, l'autre pour eux.

Buddas, Dandamis, Calanus & Iarcha, sont les plus célebres d'entre les Gymnosophistes dont l'histoire ancienne nous a conservé les noms.

Buddas fonda la secte des Hylobiens, les plus sauvages des Gymnosophistes.

Pour juger de Dandamis, il faut l'entendre parler à Alexandre par la bouche d'Onésicrite, que ce prince dont l'activité s'étendoit à tout, envoya chez les Gymnosophistes. " Dites à votre maître que je le loue du goût qu'il a pour la sagesse, au milieu des affaires dont un autre seroit accablé ; qu'il fuie la mollesse ; qu'il ne confonde pas la peine avec le travail, & puisque ses philosophes lui tiennent le même langage, qu'il les écoute. Pour vous & vos semblables, Onésicrite, je ne desapprouve vos sentimens & votre conduite qu'en une chose, c'est que vous préfériez la loi de l'homme à celle de la nature, & qu'avec toutes vos connoissances vous ignoriez que la meilleure demeure est celle où il y a le moins de soins à prendre ".

Calanus, à qui l'envoyé d'Alexandre s'adressa, lorsque ce prince s'avança dans les Indes, débuta avec cet envoyé par ces mots. " Dépose cet habit, ces souliers, assied-toi nud sur cette pierre, & puis nous converserons ". Cet homme d'abord si fier, se laissa persuader par Taxile de suivre Alexandre, & il en fut méprisé de toute la nation, qui lui reprocha d'avoir accepté un autre maître que Dieu. A juger de ses moeurs par sa mort, il ne paroît pas qu'elles se fussent amollies. Estimant honteux d'attendre la mort, comme c'étoit le préjugé de sa secte, il se fit dresser un bucher, & y monta en se félicitant de la liberté qu'il alloit se procurer. Alexandre touché de cet héroïsme institua en son honneur des combats équestres & d'autres jeux.

Tout ce qu'on nous raconte d'Iarcha est fabuleux,

Les Gymnosophistes reconnoissoient un Dieu fabricateur & administrateur du monde, mais corporel : il avoit ordonné tout ce qui est, & veilloit à tout.

Selon eux l'origine de l'ame étoit céleste ; elle étoit émanée de Dieu, & elle y retournoit. Dieu recevoit dans son sein les ames des bons qui y séjournoient éternellement. Les ames des méchans en étoient rejettées & envoyées à différens supplices.

Outre un premier Dieu, ils en adoroient encore de subalternes.

Leur morale consistoit à aimer les hommes, à se haïr eux-mêmes, à éviter le mal, à faire le bien, & à chanter des hymnes.

Ils faisoient peu de cas des sciences & de la philosophie naturelle. Iarcha répondit à Apollonius, qui l'interrogeoit sur le monde, qu'il étoit composé de cinq élémens, de terre, d'eau, de feu, d'air & d'éther. Que les dieux en étoient émanés ; que les êtres composés d'air étoient mortels & périssables, & que les êtres composés d'éther étoient immortels & divins ; que les élémens avoient tous existé en même tems ; que le monde étoit un grand animal engendrant le reste des animaux ; qu'il étoit de nature mâle & femelle, &c.

Quant à leur philosophie morale, tout y étoit grand & élevé. Il n'y avoit, selon eux, qu'un seul bien, c'est la sagesse. Pour faire le bien, il étoit inutile que la loi l'ordonnât. La mort & la vie étoient également méprisables. Cette vie n'étoit que le commencement de notre existence. Tout ce qui arrive à l'homme n'est ni bon ni mauvais. Il étoit vil de supporter la maladie, dont on pouvoit se guérir en un moment. Il ne falloit pas passer un jour sans avoir fait quelque bonne action. La vanité étoit la derniere chose que le sage déposoit, pour se présenter devant Dieu. L'homme portoit en lui-même une multitude d'ennemis. C'est par la défaite de ces ennemis qu'on se préparoit un accès favorable auprès de Dieu.

Quelle différence entre cette philosophie & celle qu'on professe aujourd'hui dans les Indes ! Elles sont infectées de la doctrine de Xekia, j'entends de sa doctrine esotérique ; car les principes de l'ésotérique sont assez conformes à la droite raison. Dans celle-ci, il admet la distinction du bien & du mal ; l'immortalité de l'ame : les peines à venir ; des dieux ; un dieu suprême qu'il appelle Amida, &c. Quant à sa doctrine ésotérique, c'est une espece de Spinosisme assez mal entendu. Le vuide est le principe & la fin de toutes choses. La cause universelle n'a ni vertu ni entendement. Le repos est l'état parfait. C'est au repos que le philosophe doit tendre, &c. Voyez les articles PHILOSOPHIE en général, EGYPTIENS, CHINOIS, JAPONOIS, &c.


INDIFFÉRENCES. f. (Gram. & Philosophie morale) état tranquille dans lequel l'ame placée vis-à-vis d'un objet, ne le desire, ni ne s'en éloigne, & n'est pas plus affectée par sa jouissance qu'elle ne le seroit par sa privation.

L'indifférence ne produit pas toûjours l'inaction. Au défaut d'interêt & de goût, on suit des impressions étrangeres, & l'on s'occupe de choses, au succès desquelles on est de soi-même très-indifférent.

L'indifférence peut naître de trois sources, la nature, la raison & la foi ; & l'on peut la diviser en indifférence naturelle, indifférence philosophique, & indifférence religieuse.

L'indifférence naturelle est l'effet d'un tempérament froid. Avec des organes grossiers, un sang épais, une imagination lourde, on ne veille pas ; on sommeille au milieu des êtres de la nature ; on n'en reçoit que des impressions languissantes ; on reste indifférent & stupide. Cependant l'indifférence philosophique n'a peut-être pas d'autre base que l'indifférence naturelle.

Si l'homme examine attentivement sa nature & celle des objets ; s'il revient sur le passé, & qu'il n'espere pas mieux de l'avenir, il voit que le bonheur est un fantôme. Il se refroidit dans la poursuite de ses desirs ; il se dit, nil admirari prope res est una, Numici, solaque, quae possit facere & servare beatum ; Numicius, il n'y a de vrai bien que le repos de l'indifférence.

L'indifférence philosophique a trois objets principaux, la gloire, la fortune & la vie. Que celui qui prétend à cette indifférence s'examine, & qu'il se juge. Craint-il d'être ignoré ? d'être indigent ? de mourir ? Il se croit libre, mais il est esclave. Les grands fantômes le séduisent encore.

L'indifférence philosophique ne differe de l'indifférence religieuse que par le motif. Le philosophe est indifférent sur les objets de la vie, parce qu'il les méprise ; l'homme religieux, parce qu'il attend de son petit sacrifice une récompense infinie.

Si l'indifférence naturelle, refléchie, ou religieuse est excessive, elle relâche les liens les plus sacrés. On n'est plus ni pere attentif, ni mere tendre, ni ami, ni amant, ni époux. On est indifférent à tout. On n'est rien, ou l'on est une pierre.


INDIGENATS. f. (Jurisprud.) terme usité en Pologne & dans quelques autres pays pour signifier naturalité. Donner l'indigenat, c'est naturaliser quelqu'un. Ce mot vient du latin indigena, qui signifie naturel du pays. (A)


INDIGENE(Géogr.) on ne trouve pas dans les dictionnaires le mot indigène, mais il devroit, ce me semble, être reçû depuis long-tems dans notre langue. On appelloit indigenae, chez les anciens latins, les premiers habitans d'un pays ; que l'on croyoit n'être point venus s'y établir d'un autre lieu. Indigena est formé d'indu, employé anciennement pour in, comme on le voit quelquefois dans Lucrece, & de geno, au lieu duquel on dit gigno, mais d'où genus & genitus sont formés. Ce mot s'exprime en grec par , qui a été engendré dans cette terre.

Les payens ignorant leur premiere origine, se figurerent que les premiers hommes avoient été engendrés par la terre ; & en conséquence, ils se crurent une production de cette terre qu'ils habitoient. Les Germains ne donnoient à leur dieu Tuiscon, pere de Mannus, l'un & l'autre fondateurs de leur nation, qu'une origine commune avec les arbres de leurs forêts. Les Athéniens, qui affectoient de se dire , ou nés d'eux-mêmes, ne se prenoient pas dans un autre sens. Mais sans nous arrêter à réfuter leurs erreurs, c'est assez de dire que par le mot indigène nous entendons les naturels d'un pays, ceux qui y sont nés, pour les distinguer de ceux qui viennent ensuite s'y établir. C'est ainsi que les Hottentots étoient indigènes par rapport aux Hollandois, qui ont commencé la colonie au cap de Bonne-Espérance ; & la postérité de ces mêmes Hollandois est devenue indigène dans ce pays-là par rapport aux nouvelles familles qui iront l'augmenter. (D.J.)


INDIGENTadj. (Gram.) homme qui manque des choses nécessaires à la vie, au milieu de ses semblables, qui jouissent avec un faste qui l'insulte, de toutes les superfluités possibles. Une des suites les plus fâcheuses de la mauvaise administration, c'est de diviser la société en deux classes d'hommes, dont les uns sont dans l'opulence & les autres dans la misere. L'indigence n'est pas un vice, c'est pis. On accueille le vicieux, on fuit l'indigent. On ne le voit jamais que la main ouverte & tendue. Il n'y a point d'indigent parmi les sauvages.


INDIGESTEadj. (Diete) se dit d'un aliment incapable d'être digéré, & qui seroit par conséquent plus proprement appellé indigestible ou indigérable. Un pareil aliment est encore appellé, dans le langage ordinaire, lourd, pesant & chargeant.

Ce mot ne se prend point à la rigueur & dans un sens absolu, parce que les matieres absolument incapables d'être digérées sont rejettées de la classe des alimens, lors même qu'elles contiennent une substance nutritive. Ainsi comme on ne s'avise point de manger les os durs, les cornes, les poils, les racines ligneuses, &c. quoique ces matieres soient indigestes par excellence, ce n'est pas dans celles de cet ordre que les Medecins considerent cette qualité. Ainsi donc un aliment indigeste n'est qu'un aliment de difficile digestion.

Il n'y a point d'aliment généralement & absolument indigeste ; c'est-à-dire, dont la digestion soit difficile pour tous les sujets. Cette considération est nécessairement liée à la précédente : car une matiere qui seroit constamment & universellement difficile à digérer, seroit aussi infailliblement exclue de la classe des alimens qu'une matiere absolument incapable de digestion. Un aliment indigeste est donc celui qui est difficilement digéré par le plus grand nombre de sujets sains, ou par un ordre entier de sujets sains. Voyez la fin de cet article.

On a remarqué à l'art. ALIMENT & à l'art. DIGESTION (Voyez ces articles), que les divers estomacs ne s'accommodoient pas également des mêmes alimens, & qu'on observoit communément à cet égard des bisarreries fort singulieres. Or comme ces bisarreries sont telles que les alimens les plus parfaits, les plus généralement propres à une digestion aisée & louable, y sont soumis comme les plus indigestes ; il est clair que ces accidens ne doivent point être mis sur le compte des alimens.

Les alimens réellement indigestes en soi par leur constitution propre, sont de deux especes, savoir ceux qui par leur tissu dense, serré, membraneux, fibreux, coëneux, coriace, visqueux, opposent aux organes & aux sucs digestifs une résistance trop forte. Ce sont parmi les alimens qu'on tire des animaux, les cartilages, la chair dure des animaux vieux, maigres, ou salée, ou fumée, ou trop récente, le gosier des oiseaux, le coeur de tous les animaux, &c. la peau, comme coëne de lard, la peau de hure de sanglier, de grosse volaille, &c. les parties membraneuses, comme estomac, boyaux, &c. les piés de cochon, de veau, de mouton, &c. les huitres, les limaçons, les écrevisses & tous les crustacées, la seche, la raie & autres poissons dont la chair est très-fibreuse ; les oeufs durs, &c. & parmi ceux que fournissent les végétaux, le pain bis, gluant, mal levé, mal cuit, la croute de pâté & autres pâtisseries non-fermentées, & feuilletées, &c. les peaux ou écorces des fruits, & éminemment l'écorce blanche des oranges, des citrons, &c. les feuilles de certaines plantes dures, minces, séches, comme de pimprenelle, de persil, &c. les racines & bulbes d'un tissu fibreux & serré, comme le sont souvent celles du panais, des raves qui commencent à monter, &c. les oignons, &c. des fruits à parenchyme fibreux comme les oranges, ou d'un tissu ferme & compacte, comme les amandes, noix, &c. les semences légumineuses entieres, & mal ramollies par la cuisson, &c.

La seconde classe d'alimens indigestes comprend ceux qui par leur consistance molle, égale, douce, dissoute, leur fadeur, leur inertie, & peut-être une qualité laxative occulte, n'excitent point convenablement le jeu des organes digestifs, & sont trop-tôt & trop facilement pénétrés par les humeurs digestives. Ce sont les viandes grasses, délicates, fondantes, la graisse, les laitages sur-tout mêlés avec les oeufs & le sucre ; les fruits doux, succulens & fondans, les vins doux, le mout, le miel, les sucreries, &c. Voyez tous les articles particuliers où il est traité des diverses matieres comprises sous les différentes divisions que nous venons d'assigner.

Les alimens indigestes de la premiere classe exercent presque infailliblement leur opération malfaisante sur les sujets délicats, élevés mollement, peu exercés, &c. mais pourtant sains, du moins à cela près, voyez SANTE, & sont au contraire éminemment convenables aux sujets vigoureux, menant une vie dure, & laborieuse, &c. & réciproquement ceux de la seconde classe sont tout aussi communément funestes aux sujets vigoureux, & utiles aux sujets foibles. Voyez DOUX, DIETE & REGIME. (b)

INDIGESTION. s. f. (Medec.) Ce mot composé est proprement françois, quoiqu'il soit formé du simple digestio qui est latin, & de la particule privative latine in. (Le mot indigestio que quelques medecins ont employé dans des ouvrages latins, est un vrai barbarisme). Notre indigestion est l'affection que les Grecs ont appellée & , & les latins cruditas : car les différences attachées à ces divers noms méritant peu de considération, peuvent être négligées sans scrupule.

L'indigestion est une espece particuliere de digestion viciée, vicieuse ou lésée ; savoir, la nullité, ou du moins la très-grande imperfection de la digestion des alimens ; & ce mot ne désigne pas seulement ce vice considéré en soi & strictement, mais l'ensemble de tous les accidens, c'est-à-dire la maladie dont il est cause. Au reste, les noms les plus usités de la plûpart des maladies sont pris dans la même acception : il est tout commun dans le langage de la Médecine de prendre comme ici la cause pour l'effet. L'indigestion est donc une incommodité ou une maladie quelquefois très-grave, dont la cause évidente est la présence des alimens non digérés dans l'estomac.

L'indigestion simple ou légere, celle que nous venons d'appeller une incommodité, voyez INCOMMODITE, s'annonce par un sentiment de pesanteur dans l'estomac, par des rapports chargés du goût & de l'odeur, ou même de quelques parties des alimens contenus dans l'estomac ; par des nausées, par des douleurs d'entrailles, par une gêne quelquefois assez considérable dans la respiration ; par la pâleur du visage, des angoisses, & même des défaillances ; par un pouls lent, petit, serré, frémissant, stomachal. Tous ces symptomes se manifestent dans un tems plus ou moins éloigné du repas qui les occasionne ; ordinairement quatre ou cinq heures après ce repas ; quelquefois beaucoup plus tard, & même après plusieurs heures d'un sommeil assez tranquille.

L'indigestion grave & vraiment maladive est accompagnée du gonflement de l'estomac, des hypochondres, de tout le bas-ventre ; de borborygmes ou flatuosités que les malades tentent envain de chasser par les voies ordinaires ; de respiration difficile, ronflante, sifflante ou entrecoupée ; d'affection soporeuse, de convulsions, de délire, de fievre.

Je divise l'indigestion en nécessaire & en accidentelle.

J'appelle nécessaire ou infaillible celle qu'éprouvent des sujets chez qui la digestion des alimens quelconques est essentiellement impossible ; comme chez ceux qui ont le pylore fermé ou considérablement retréci ; l'estomac desséché, racorni, calleux, ou dans un relâchement absolu, une espece d'atonie, de paralysie (image sous laquelle on peut se représenter l'état de l'estomac de certains vieillards qui, après avoir été très-voraces, ont presque absolument perdu la faculté de digérer) ; chez ceux encore dont l'estomac est comprimé par une tumeur considérable des parties voisines ; ou bien blessé, abscédé, déplacé, &c.

J'appelle indigestion accidentelle, celle qui arrive dans les sujets vraiment sains, ou qui n'ont point de disposition maladive bien décidée ; ou bien qui, quoique réellement malades, ne sont point incapables de digérer sous certaines circonstances, comme celles d'une certaine consistance des alimens, d'une certaine quantité, &c. Ainsi, quoique dans les fievres aiguës & dans les grandes plaies suppurantes, par exemple, l'indigestion soit une suite presque infaillible de l'usage des alimens solides, cependant les alimens liquides se digerent suffisamment dans ce cas, &c.

Nous avons déja suffisamment indiqué les causes de l'indigestion infaillible ; celles de l'indigestion accidentelle ont été divisées avec raison en causes extérieures, & en dispositions particulieres du sujet affecté. Les causes de ces deux classes peuvent agir séparément & indépendamment les unes des autres. Elles peuvent aussi concourir, agir ensemble, ce qui est le cas le plus ordinaire.

Les causes extérieures des indigestions sont principalement les erreurs de régime que les auteurs de diete réduisent à ces chefs par rapport aux alimens : manger trop ; manger des alimens indigestes, voyez INDIGESTE, ou des mélanges incongrus d'alimens, voyez REGIME ; manger mal-à-propos, ou lorsqu'il ne faut point, comme lorsqu'on n'a pas encore digéré le repas précédent, ou même pour plusieurs sujets très-sains & bien vigoureux, manger à des heures insolites. C'est encore, selon des auteurs, une erreur grave dans l'usage des alimens d'intervertir l'ordre dans lequel on doit les prendre. Mais les observations & les lois qui nous ont été laissées sur cet ordre prétendu sont absolument précaires & démenties par l'expérience journaliere, voyez REGIME. Boire excessivement pendant le repas, même la liqueur la plus innocente en soi, comme l'eau fraîche ; & boire peu de tems après le repas, sont aussi des causes communes d'indigestion. L'ivresse contractée en mangeant, en est une cause bien plus fréquente encore : quant à l'usage des autres choses non-naturelles, l'exercice violent, & même l'exercice modéré chez les uns, le repos & le sommeil chez les autres, l'acte vénérien, un accès de passion violente, un froid soudain, &c. toutes ces choses, dis-je, survenant au repas, sont des causes communes d'indigestion.

Les dispositions particulieres sont, outre l'état évident de maladie dont nous avons déja parlé, comme la fiévre aiguë & les grandes plaies suppurantes, sont, dis-je, les intempéries, c'est-à-dire l'état plus ou moins éloigné de l'état sain (voyez INTEMPERIE) de l'estomac & des autres organes qui servent à la digestion, le défaut, l'excès, ou les vices des sucs digestifs, la constitution pituiteuse, humide, lâche, accompagnée d'extrème embonpoint, de paresse, de stupidité, de penchant au sommeil, de cou apoplectique, &c. la disposition passagere de tout le corps acquise par une fatigue excessive, par une grande contention d'esprit, par une passion violente, le dégoût, ou même le manque de faim, l'amas des restes de plusieurs digestions imparfaites précédentes, l'écoulement des regles, un accès d'hémorrhoïdes ou de goutte manquée, ou se préparant laborieusement.

Les causes extérieures agissant seules, c'est-à-dire sur les sujets réellement sains, ne produisent jamais que l'indigestion simple ou légere. Les dispositions particulieres, même les plus légeres, peuvent sans être secondées par aucune cause extérieure, & par les seules révolutions propres à l'économie animale, ou si l'on veut par le mauvais effet d'un grand nombre de digestions toûjours pénibles pour des organes malades ; effet cependant long-tems insensible, sourd, caché, peuvent, dis-je, occasionner de tems-en-tems de vraies indigestions, & même de la pire espece, & d'autant plus graves, qu'elles se seront préparées de plus loin. Ces cas ne sont pas rares ; cependant c'est communément le concours des causes extérieures & des dispositions particulieres qui produit les indigestions graves. Comme il n'y a que ce concours qui vraisemblablement puisse produire une maladie proprement dite. Voyez MALADIE.

Les indigestions que j'ai appellées infaillibles, étant comme ce nom même l'exprime, des accidens toûjours prévus, elles peuvent toûjours être détournées par un régime convenable ; & c'est presque à les prévenir, que se borne uniquement le secours que l'art peut fournir dans ce cas ; car ces indigestions surviennent à des sujets si foibles, ou d'ailleurs si malades, qu'ils y succombent le plus souvent, ou du moins que leur mort en est considérablement hâtée. Au reste elles indiquent, lorsqu'elles ne sont pas absolument incurables, les secours communs aux indigestions graves en général ; secours que nous indiquerons dans la suite de cet article.

Les indigestions legeres, celles qu'éprouvent les sujets sains & vigoureux, se terminent ordinairement d'elles-mêmes par une abondante purgation, soit par le vomissement & par les selles, soit par les selles seulement, ce qui s'appelle percer ; une pareille indigestion doit être regardée comme un effort critique, suivi de l'effet le plus complet ; ou si l'on veut, comme l'action d'une forte medecine, comme une superpurgation plus ou moins modérée.

Les malades & les Medecins ont coûtume de seconder cette évacuation spontanée par une boisson abondante d'une liqueur aqueuse tiede, ou même par quelques grains de tartre stibiés donnés soit en lavage, soit en une seule dose. Ces secours abregent en effet le mal-aise souvent très-incommode, les angoisses, la douleur ; mais il est sûr qu'ils ne sont pas nécessaires, & qu'une courageuse expectation suffiroit le plus souvent. Il est plus généralement utile de donner après que les évacuations spontanées ont presque entierement cessé, un purgatif doux, & dont l'effet se borne, autant qu'il est possible, à entraîner le reste des alimens non digérés, & quelques sucs, dont l'excrétion a été vraisemblablement augmentée, forcée pendant l'indigestion. Les eaux minérales purgatives sont éminemment propres à remplir cette indication.

Les indigestions qui se présentent sous l'apparat le moins effrayant, qui ont d'abord le caractere par lequel nous avons défini les indigestions legeres, & lors même qu'elles tendent à la solution de la maniere la plus avantageuse, qu'elles percent ; ces affections, dis-je, qui selon ce que nous venons de faire entendre, méritent à peine le nom d'incommodité chez les personnes saines & vigoureuses, ne doivent pas être regardées comme une affection d'aussi peu de conséquence chez les sujets mal constitués dont nous avons fait mention plus haut. Elles peuvent dans tous les tems de l'attaque dégénérer en indigestion grave. On ne sauroit trop se hâter, sur-tout dans les sujets humides, pléthoriques, lourds, chargés d'embonpoint, sujets aux affections soporeuses, de dégager l'estomac & les intestins par le secours de puissans évacuans, & sur-tout du tartre émétique donné d'abord à assez haute dose pour vuider l'estomac, & ensuite très-étendu & mêlé à la manne, ou aux sels purgatifs, ou bien dissous dans une eau minérale, chargée d'un sel ou de sels neutres.

L'indigestion grave est relativement à sa terminaison accompagnée de vomissement, ou d'évacuation par les selles ; ou bien elle n'est point accompagnée de ces évacuations, & elle s'appelle dans le langage ordinaire indigestion seche. La derniere est communément regardée comme plus dangereuse que la premiere ; mais cette opinion n'est pas confirmée par l'expérience. Il n'est pas rare de voir, sur-tout chez des hommes mélancholiques & chez des femmes vaporeuses, des indigestions seches, accompagnées de gonflement considérable du bas-ventre, de douleurs de colique très-cruelles, de borborygmes énormes, de convulsions, de fiévre, se dissiper en deux ou trois jours sans aucun secours médicinal, ou tout au plus par celui de quelques lavages, & moyennant la diéte la plus sévere ; & n'être terminées par aucune évacuation abdominale, mais seulement par la voie de la transpiration & par l'écoulement de quelques urines troubles : & d'un autre côté des indigestions qui produisent de bonne heure le vomissement, n'en sont pas moins suivies pour cela des accidens les plus funestes, d'affections convulsives ou soporeuses, d'inflammations du bas-ventre, d'une fiévre prolongée, & qui devient une seconde maladie susceptible de toutes les diverses déterminations vers la poitrine, la tête, les visceres du bas-ventre, & de tous les caracteres de maladie humorale, nerveuse, maligne, &c. Voyez MALADIE.

L'indigestion grave n'a pas, comme on voit par ce court exposé, un caractere constant & une marche uniforme, d'après quoi on puisse établir une méthode curative générale ; on peut avancer seulement que l'administration convenable des boissons aqueuses & des divers évacuans, soit émétiques, soit purgatifs, doit fournir la base de la curation dans tous les cas.

C'est un ancien dogme en Medecine, de ne pas saigner dans les indigestions, non plus que pendant l'effet d'un purgatif, dans les coliques d'estomac, & dans les coliques intestinales. Les Medecins s'en sont un peu écartés dans le traitement des coliques, vraisemblablement mal-à-propos : l'observation a prouvé que la saignée étoit presque constamment funeste pendant l'action d'un vrai purgatif. Quelques medecins mettent aujourd'hui en problème si on doit saigner dans les indigestions, voyez Journal de Medecine, Février 1759 ; & la mode paroît même être sur le point de se décider pour l'affirmative. Car la pléthore, les érétismes, l'engorgement du cerveau annoncé par l'assoupissement, le délire, les convulsions, sont des états que la théorie courante a si fort réalisés, & qu'elle a soumis si exclusivement, aussi-bien que la violence de la fiévre, à l'action victorieuse de la saignée, que certes il est difficile de renoncer à la conséquence pratique qui découle naturellement de ses principes. Aussi est-il déja écrit qu'il faut saigner dans les indigestions, lorsque la fiévre est violente, la pléthore évidente, &c. voyez Journal de Medecine à l'endroit déja cité. Mais j'ose l'avancer avec assurance ; cette pratique est proscrite par trop d'événemens malheureux. Les raisons sur lesquelles on l'a appuyée jusqu'à présent sont, s'il est permis d'ainsi parler, si rationelles ; & la distinction des cas qu'on a voulu assigner les uns à l'émétique, les autres à la saignée, cette distinction sur laquelle on l'établit principalement, constitue une division si incomplete , puisqu'on a omis ceux qu'il falloit livrer à l'expectation ou au rien-faire ; l'utilité de la saignée est si peu manifestée par des faits ; d'ailleurs l'analogie des funestes effets de la saignée pendant l'action réelle d'un purgatif, est si frappante ; l'induction plus générale à tirer de ce que l'indigestion est un effort critique très-évident, très-actuel, très-présent, & du trouble dangereux que la saignée a coutume de jetter dans un pareil travail ; enfin, le peu de valeur réelle de la saignée en soi, & comme secours véritablement curatif ; toutes ces considérations doivent faire prévaloir l'ancienne pratique, rendre la saignée scrupuleusement prohibée dans l'indigestion proprement dite, pendant tout le tems où l'on peut raisonnablement soupçonner l'action des alimens non digérés sur l'estomac & sur les intestins. Or nous pensons que dans les indigestions graves prolongées, cette cause doit être soupçonnée au-moins pendant trois jours. Quant à leurs suites proprement dites, c'est-à-dire ce tems qu'il faut regarder comme une maladie secondaire ou subséquente, la circonstance d'avoir été produite ou déterminée par une indigestion, ne paroît point influer sur le caractere de cette maladie, de façon à contre-indiquer les secours ordinaires. (b)


INDIGETES. m. & f. (Littér.) nom que les anciens donnoient à quelques-uns de leurs dieux : sans discuter ici les différentes opinions des savans sur la signification & l'origine de ce mot, je me contenterai de dire, que le sentiment le plus vraisemblable est de ceux qui le dérivent de inde genitus, ou de in loco degens, ou bien encore de inde, & ago, pris pour dego, je vis, je demeure. En effet, on appelloit aussi ces dieux, dieux locaux, dii locales ; ou pour m'exprimer avec Servius, dieux topiques.

Les dieux Indigetes étoient communément des mortels divinisés, qui étoient censés des dieux du lieu, des protecteurs des lieux où on les faisoit dieux. Virgile joint patrii avec Indigetes, comme étant la même chose, dii patrii, Indigetes, Géorg. I. v. 498.

Les dieux auxquels les Romains donnoient le nom d'Indigetes, sont entr'autres Faune, Vesta, Enée, Romulus, ou Quirinus, tous dieux d'Italie ; à Athènes Minerve dit Servius, & Didon à Carthage. Mais parmi les dieux Indigetes, il n'y en avoit point de plus célébre & dont le culte fût plus répandu, que celui d'Hercule. La Grece, l'Italie, les Gaules, l'Espagne, l'Afrique, la Lybie, l'Egypte, & la Phénicie, lui avoient élevé des temples & des autels.

Il est vrai que l'on trouve Jupiter Indiges ; mais ce Jupiter Indigete, est Enée, & non le grand Jupiter. Le fils d'Anchise ayant perdu la vie dans un combat contre Mézence, comme son corps ne se trouva point, parce qu'on l'avoit peut-être jetté dans le fleuve Numicus, près duquel s'étoit donné la bataille, on dit que Vénus, après l'avoir purifié dans les eaux de cette riviere, l'avoit mis elle-même au rang des dieux. Sur cette tradition, on prit soin de lui élever un tombeau dans cet endroit, monument qui subsistoit encore du tems de Tite-Live ; & là, on lui offrit des sacrifices sous le nom de Jupiter Indigete. Tout cela paroît incontestable par le témoignage de Tite-Live, liv. I. ch. iij. & liv. VI. chap. xij. C'est aussi ce que confirme Servius, sur le I. liv. de l'Enéïde, v. 262, où il ajoute que dans ce sens, Indiges vient de in diis ago, je suis parmi les dieux.

Le lecteur peut consulter sur les Indigetes, leurs temples & leur culte, Pausanias & Strabon entre les anciens ; & parmi les modernes, outre Vossius, l'ouvrage de Meursius, de Graeciâ feriatâ, mérite d'être lû. (D.J.)


INDIGIRKA(Géog.) fleuve de la partie septentrionale de la Sibérie, qui a son embouchure dans la mer glaciale.


INDIGNATIONS. f. (Gramm.) sentiment mêlé de mépris & de colere que certaines injustices inattendues excitent en nous. L'indignation approuve la vengeance, mais n'y conduit pas. La colere passe ; l'indignation plus réfléchie dure : elle nous éloigne de l'indigne. L'indignation est muette ; c'est moins par le propos que par les mouvemens qu'elle se montre. Elle ne transporte pas, elle gonfle ; il est rare qu'elle soit injuste ; nous sommes souvent indignés d'un mauvais procédé, dont nous ne sommes pas l'objet. Une ame délicate s'indigne quelquefois des obstacles qu'on lui oppose, des motifs qu'on lui croit, des rivaux qu'on lui donne, des récompenses qu'on lui promet, des éloges qu'on lui adresse, des préférences mêmes qu'on lui accorde ; en un mot, de tout ce qui marque qu'on n'a pas d'elle l'estime qu'elle croit mériter.


INDIGNEadj. (Gramm.) qui ne mérite pas une chose. C'est la honte de l'Eglise d'être gouvernée par des hommes indignes du rang où ils sont élevés. Dictionnaire de Trévoux.

Il se dit aussi des actions : il y a des hommes vains qui croyent qu'il est indigne d'eux de parler honnêtement à leurs domestiques.

Il est indigne de la grace qu'il me demande ; il s'est rendu indigne de mon amitié ; il a fait une action indigne d'un galant homme.

Ce qui n'est pas indigne d'un pere qui a une femme & des enfans ; d'un amant qui est sensible à la misere de celle qu'il aime ; d'un ami qui parle pour son ami, seroit quelquefois indigne d'un homme libre.

INDIGNES, (Jurisprud.) sont ceux qui pour avoir manqué à quelque devoir envers une personne de son vivant ou après sa mort, ont démérité à son égard, & en conséquence sont privés par la loi de sa succession ou des legs & autres droits qu'ils pouvoient avoir à répéter sur ses biens.

Ainsi le donataire qui use d'ingratitude envers son donateur, se rend indigne de la donation ; & quoiqu'en général elle soit irrévocable de sa nature, néanmoins dans ce cas, elle peut être révoquée par le donateur, mais elle ne l'est pas de plein droit.

La femme qui est convaincue d'adultere perd sa dot & toutes ses conventions matrimoniales ; le mari ne lui doit que des alimens dans un couvent.

Celle qui quitte son mari sans cause légitime, ou qui étant veuve se remarie dans l'an du deuil, ou qui vit impudiquement soit dans l'an du deuil ou depuis, ou qui se remarie à une personne indigne de sa condition, est privée, selon le Droit écrit, de tous ses gains nuptiaux.

Le conjoint survivant qui a procuré la mort du prédécédé, ou qui n'en a pas poursuivi la vengeance, est aussi privé comme indigne des avantages qu'il auroit pû prétendre en vertu de la loi, coutume, ou usage sur les biens du prédécédé.

L'héritier testamentaire ou ab intestat qui est auteur ou complice de la mort du défunt, ou qui a négligé d'en poursuivre la vengeance, se rend indigne de la succession ; la peine s'étend même jusqu'aux enfans du coupable.

Il faut néanmoins observer qu'il y a des circonstances telles que la minorité & autres, qui peuvent excuser l'héritier de n'avoir pas poursuivi la mort du défunt.

Celui qui a attenté à l'honneur du défunt, ou qui lui a fait quelque injure grave, se rend aussi indigne de sa succession.

On doit appliquer aux légataires ce qui vient d'être dit de l'héritier.

Ceux qui traitent de la succession de quelqu'un de son vivant, qui ont empêché le défunt de faire un testament, qui tiennent le testament caché, au préjudice des héritiers, sont indignes de la succession, & de toutes les libéralités que le défunt auroit pû leur faire.

Chez les Romains, ce qui étoit ôté aux indignes, appartenoit au fisc ; mais parmi nous le fisc n'en profite point ; les biens appartiennent à ceux qui les auroient eu, si la personne devenue indigne ne les eût pas recueillis.

L'indignité est différente de l'incapacité, en ce que celle-ci empêche d'acquérir ; l'autre empêche bien aussi d'acquérir, mais elle opere de plus que l'indigne ne peut conserver ce qu'il a acquis. Voyez le tit. 9. du XXXIV. liv. du Digeste, & le tit. 35. du VI. livre du code. (A)


INDIGOautrement appellé INDE, s. m. (Botan. & Comm.) substance de couleur bleue servant aux Teinturiers & aux Peintres en détrempe, provenant d'une plante nommée indigo par les François, & anillo par les Espagnols.

Cette plante est très-commune aux Antilles, à S. Domingue, dans presque tous les pays chauds de l'Amérique, & dans plusieurs endroits des Indes orientales, d'où elle paroît avoir pris le nom qu'elle porte. Voyez INDIGOTIER.

La graine de l'indigo après avoir été semée dans un bon terrein, bien nettoyé de toute herbe étrangere, produit une espece d'arbuste, haut d'environ deux piés & quelquefois plus, divisé en plusieurs tiges & branches chargées de petites feuilles ovales, d'un verd foncé par-dessus, & d'une nuance beaucoup plus pâle en-dessous.

Aux fleurs qui sont d'une couleur rougeâtre & très-petites, succedent des siliques d'une ligne de grosseur, longues d'environ un pouce & recourbées en croissant, renfermant des semences brunes.

L'indigo est mis au rang des plantes vulnéraires détersives, en latin emerus americanus siliquâ incurvâ.

Cette plante étant sortie de terre, peut être coupée au bout de deux mois pour en faire usage ; mais il faut prévenir le tems où elle commence d'entrer en fleur ; six semaines après cette premiere récolte, les jets sont devenus assez forts pour en faire une seconde, & si le tems le permet, l'on peut ainsi continuer les coupes, de six semaines en six semaines, jusqu'à ce que la plante dégénere ; ce qui n'arrive ordinairement qu'à la fin de la seconde année ; alors on est contraint d'arracher les souches, & de semer de nouvelles graines, observant toûjours de ne pas le faire pendant un tems de sécheresse.

Les chenilles font de grands dégats dans les champs d'indigo ; cela oblige souvent les habitans de couper la plante avant sa parfaite maturité. Mais quoique ces insectes soient répandus en grand nombre parmi les branches & les feuilles, on ne laisse pas de transporter le tout dans les cuves destinées aux opérations dont on parlera ci-après ; & la teinture qu'on en retire n'en est pas ordinairement moins belle. On peut même croire au contraire, que la partie extractive de la plante ayant été digérée par les chenilles, en devient plus parfaite ; c'est ce que l'on remarque dans les especes de mouches nommées cochenilles, qui tirent leur substance du fruit de la raquete, dont la substance rouge, après avoir été digérée par ces insectes, acquiert beaucoup de fixité & devient une marchandise précieuse pour la teinture en écarlate.

Avant de parler de la façon dont on fabrique l'indigo, il est à propos de détailler les instrumens & ustensiles nécessaires à ce travail.

L'eau claire étant essentielle pour les opérations des indigotiers, on a grande attention de les établir aux environs de quelque ruisseau d'eau courante ; l'attirail de ces laboratoires consiste principalement dans trois grandes cuves en forme de bacs ou bassins de figure à-peu-près quarrée ; ces cuves sont construites de bonne mâçonnerie en bain de mortier, bien enduite de ciment, plus élevées les unes que les autres, & disposées par degrés ; de façon que la plus haute de ces cuves qu'on nomme la trempoire, puisse aisément se vuider par des robinets dans celle de dessous, nommée la batterie, & celle-ci dans le repassoir ou cuve inférieure. Voyez Planc. d'Agriculture, une Indigoterie.

Les proportions de la trempoire sont à-peu-près dix-huit à vingt piés de longueur, sur quatorze à quinze de largeur, & trois & demi à quatre piés de profondeur ; la batterie doit avoir un peu plus que la moitié de la capacité de la trempoire ; quant au reposoir, il ne contient au plus qu'un tiers de la batterie, ses bords étant beaucoup moins élevés.

A peu de distance de ces bacs est un hangard ouvert de tous côtés, sous lequel on expose l'indigo, pour le faire sécher à l'abri du soleil & de la pluie, le mettant pour cet effet dans des caissons de bois, especes d'augets, longs de 3 piés, sur environ 20 pouces de large, & 3 ou 4 de profondeur.

Il faut avoir dans une indigoterie plusieurs sceaux de bois, percés de trous de tariere, & attachés à de longues & fortes perches ; on les emploie pour battre & agiter la teinture, après l'avoir fait passer de la trempoire dans la batterie.

On doit aussi se précautionner d'un nombre suffisant de sacs de grosse toile, longs d'un pié & demi, & terminés en pointe comme des capuchons de moine ; ce sont des especes de chausses servant à faire égoutter l'indigo, avant de le mettre dans les caissons.

Le principal artiste, ou l'indigotier (ainsi qu'on le nomme aux îles) a encore soin de se pourvoir d'une petite tasse d'argent, bien polie, dont il se sert à faire des essais sur la teinture, comme on le dira en son lieu.

Procédé pour faire l 'indigo selon l'usage pratiqué aux îles de l'Amérique. La plante ayant acquis son degré de maturité, on la coupe assez près de terre avec des couteaux courbés en serpettes ; on en fait quelquefois des bottes, mais la meilleure façon est de la mettre dans des sacs, afin de la transporter plus sûrement sans en perdre ; on en remplit totalement la trempoire, dans laquelle on fait entrer une suffisante quantité d'eau pour submerger toute la plante, qui surnageroit & s'éleveroit au-dessus des bords de la cuve, si on n'avoit pas soin de l'assujettir, en la chargeant par dessus avec des morceaux de bois ; le tout ainsi disposé, on laisse macérer les substances, en attendant l'effet de la fermentation, plus ou moins promte selon la température de l'air ; mais il est fort rare en ces climats que cela passe 24 heures.

Alors la plante s'échauffe considérablement par l'action de l'eau, aidée de la chaleur de l'air ; les principes s'atténuent, & les sels par leur développement favorisent l'extraction de la partie colorante dont l'eau se charge, acquérant une belle couleur bleue foncée, tirant un peu sur le violet ; lorsqu'elle est parvenue au point desiré par l'artiste, on ouvre les robinets par où cette eau ainsi colorée coule dans la batterie ; on nettoie aussitôt la trempoire, afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, & par ce moyen le travail se continue sans interruption.

L'eau qui a passé de la trempoire dans la batterie, se trouve donc impregnée du sel essentiel de la plante, & d'une huile tenue, intimement liée par la fermentation à une terre très-subtile, dont l'aggrégation constitue la fécule ou substance bleue que l'on cherche.

Il s'agit maintenant de séparer cette fécule d'avec le sel ; c'est ce que doit opérer le travail qui se fait dans la batterie.

On agite donc violemment la teinture contenue dans cette cuve, en y plongeant & retirant alternativement les sceaux percés dont on a déja parlé.

C'est ici où la science de l'indigotier peut se trouver en défaut, pour peu qu'il manque d'attention ; car s'il cesse trop tôt de faire agir les sceaux, il perd beaucoup de la partie colorante qui n'a pas encore été séparée du sel ; & si au contraire il continue de faire battre la teinture après l'exacte séparation, les parties se raprochent, forment une nouvelle combinaison, & le sel, par sa réaction sur l'huile tenue & la terre subtile, excite une seconde fermentation, qui altére la teinture, & en noircit la couleur ; c'est ce que les fabricans appellent indigo brûlé.

Pour prévenir ces accidens, l'indigotier observe soigneusement les différens phénomenes qui se passent dans le travail de la batterie, & afin de s'assurer du point exact de séparation, il prend de tems en tems, avec une tasse d'argent bien propre, un peu de la teinture ; il la regarde attentivement, & s'il s'apperçoit que les molécules colorées se rassemblent en se séparant du reste de la liqueur, il fait promtement cesser le mouvement des seaux, pour donner le tems à la fécule bleue de se précipiter au fond de la cuve, où on la laisse se rasseoir jusqu'à ce que l'eau soit totalement déféquée & éclaircie ; alors on débouche successivement des trous percés à différentes hauteurs, par lesquels cette eau étant regardée comme inutile, se répand en-dehors des cuves.

La fécule bleue qui est restée au fond de la batterie, ayant acquis la consistance d'une boue liquide, on ouvre les robinets, & on la fait passer dans le reposoir ; c'est dans cette derniere cuve qu'elle se repose & se dégage encore de beaucoup d'eau superflue ; on la met ensuite égoutter dans les sacs en forme de chausses, & quand il ne filtre plus d'eau au-travers de la toile, cette matiere, devenue plus épaisse, est vuidée dans les caissons qu'on a eu soin de disposer par rangs sous le hangard, en les élevant sur des planches à quelque distance de terre.

L'indigo ayant achevé de perdre son humidité dans les caissons, est brisé par morceaux, & lorsqu'il est suffisamment sec, on l'enferme dans des tonneaux, pour le livrer aux marchands.

Il résulte des opérations dont on vient de parler, que l'indigo en masse n'est autre chose qu'une simple fécule précipitée & dégagée du sel qui la tenoit suspendue & errante dans l'eau des cuves ; ainsi la définition qu'en donne le P. Labat, dans son voyage aux îles de l'Amérique, n'est pas exacte, lorsqu'il dit, page 178 du premier volume, que l'indigo est composé du sel & de la substance de la plante. Ce n'est pas la seule faute à reprendre dans cet auteur.

La mauvaise odeur qui s'exhale des cuves, lorsqu'elles sont mises en action, fait périr beaucoup d'ouvriers ; c'est une des principales causes de la diminution des indigoteries dans les îles françoises ; peut-être seroit-il possible de remédier à ce danger, en administrant à propos le sel essentiel de la plante que l'eau entraîne avec elle, & que l'on néglige, faute d'en connoître les propriétés ; c'est aux médecins qui sont dans le pays, à faire sur cela les observations qu'ils croiront nécessaires. On peut aisément retirer ce sel au moyen de la crystallisation, ou par évaporation de l'eau jusqu'à siccité, s'il n'est pas de nature à crystalliser.

Les Teinturiers emploient l'indigo avec différentes drogues, pour teindre en bleu les étoffes de soie & de laine.

Voici la préparation de l'indigo pour la teinture des toiles aux Indes orientales.

L'ouvrier ayant réduit en poudre une certaine quantité d'indigo, la met dans un grand vase de terre qu'il remplit d'eau froide ; il y joint une quantité proportionnée de chaux, réduite pareillement en poussiere ; ensuite il flaire l'indigo, pour connoître s'il ne sent point l'aigre ; & en ce cas-là, il ajoute encore de la chaux, pour lui faire perdre cette odeur. Prenant alors une suffisante quantité de graines de tavaréi, il les fait bouillir dans un seau d'eau pendant vingt-quatre heures : il verse après cela le tout, eau & graine, dans le vase de l'indigo préparé. Cette teinture se garde pendant trois jours, & l'on a soin de l'agiter quatre ou cinq fois par jour avec un bâton de bambou.

Le bleu étant ainsi préparé, on y trempe la toile enduite de cire, après l'avoir pliée en double, ensorte que le dessus de la toile soit en dehors, & que l'envers soit en dedans. On la laisse tremper environ deux heures dans la préparation d'indigo ; puis on la retire teinte en bleu aux endroits convenables. On voit par là que les teintures indiennes méritent autant le nom de teintes, que celui de toiles peintes.

La longueur & la multiplicité des opérations pour teindre en bleu, fait naître naturellement un doute ; savoir, si l'on n'auroit pas plutôt fait de peindre avec un pinceau les fleurs en bleu, sur-tout quand il y en a peu de cette couleur dans un dessein. Les Indiens conviennent que cela se pourroit, mais ils disent que ce bleu ainsi peint ne tiendroit pas, & qu'après deux ou trois lessives, il disparoîtroit.

La ténacité & l'adhérence de la couleur bleue, doit être attribuée à la graine de tavaréi, qui croît aux Indes orientales. Elle est d'un brun clair, olivâtre, un peu amere, cylindrique, de la grosseur d'une ligne, & difficile à rompre avec la dent.

De quelque maniere que l'indigo soit préparé, on ne s'en sert en Médecine, ni pour l'extérieur, ni pour l'intérieur ; on prétend même qu'en Saxe il est défendu de l'employer intérieurement : cependant je n'oserois décider que ce fût un poison ; c'est assez de savoir que c'est une drogue lucrative, dont toutes les nations se disputent le commerce. Il semble que les indigos des îles françoises conservent encore l'avantage du bon marché, ruineux pour les indigos des colonies angloises, qui sont néanmoins mieux préparés.

Le bon indigo, non falsifié avec de l'ardoise pilée ou du sable, brûle entierement, lorsqu'on le met sur une pelle rouge. Il est léger, flottant sur l'eau ; & si on le rompt par morceaux, l'intérieur doit être net, d'un beau bleu, très-foncé, tirant sur le violet, & paroissant cuivré, si on le frotte avec un corps poli, ou le dessus de l'ongle.

Celui qu'on nomme guatimalo est fort estimé ; il se fabrique aux environs de Guatimala, ville de la nouvelle Espagne.

On fait encore beaucoup de cas de l'indigo sarquisse, qui se tire d'un village de même nom, situé dans les Indes orientales.

Le prix de cette marchandise varie beaucoup ; on l'a vu plusieurs fois monter d'un écu à 7 liv. 10 s. & même fort au-dessus d'une pistole la livre. (M.L.R.)

INDIGO BATARD, (Botan.) plante extrèmement répandue dans les îles de l'Amérique, ressemblant beaucoup au véritable indigo ; elle donne aussi par la fermentation une couleur bleue, estimée plus parfaite & très-supérieure en beauté, mais en si petite quantité, que les habitans la négligent & la regardent comme la mauvaise herbe du pays.


INDIGOTIERS. m. (Botan. exotiq.) sorte de sous-arbrisseau étranger, dont on tire la fécule si connue sous le nom d'indigo.

Nous allons parler de cette plante & de sa fécule avec beaucoup d'exactitude, à cause de l'utilité que les arts en retirent, & nous nous attacherons à beaucoup d'ordre & de netteté, pour nous garantir des erreurs qui regnent dans quelques ouvrages de botanique, dans tous nos dictionnaires, & plus encore dans les récits des voyageurs.

Noms latins de l 'indigotier chez les Botanistes. Nos Botanistes, soit par système, soit par fantaisie, ont fort différentié leurs noms latins de l'indigotier. Il est appellé indigo vera, coluteae foliis, utriusque Indiae, act. philos. Lond. n. 276. pag. 703. Nil sive anil glastum indicum, Park. Theat. 600. Emerus americanus, siliquâ incurvâ, Tourn. Inst. 666. Coronilla indica ex quâ indigo volch. 124. Caachira prima, Pis. (ed. 1658.) 198. Hervas de anil, lusitanis, Marcgr. 57. Xiuhquilith. pitzahac, sive anil tenuifolia, Hern. 108. Colutea indica herbacea, ex quâ indigo, Herm. Cat. Hort. Lugd. Bat. 168. & Hort. Monsp. 61. Coluteae affinis fructicosa, floribus spicatis, purpurascentibus, siliquis incurvis, è cujus tincturâ indigo conficitur, Cat. Jamaïc. 141. Hist. 2. 34. Tabula 189. fol. 2. Sban aniliferum indicum, coronillae foliis, Breyn. Prodr. 2. 91. Ameri, Hort. Malab. 1. 926. Phaseolus americanus, vel Brasilianus sextus, C. B. P. 242. Isatis indica, foliis rorismarini glasto affinis, ejusdem 113. Hin awaru, polygala indica, ex quâ indigo minor, Herm. Mus. Zeil. 43. Indicum, Offic. Dapper appelle cette plante banquets. Les Anglois la nomment the indigo plant, & les François indigotier.

Ses caracteres. Cette plante est de courte durée ; ses feuilles sont rangées par paires, sur une côte terminée à l'extrémité par une seule feuille ; ses fleurs sont du genre des fleurs légumineuses, pour la plûpart disposées en épis, & composées de cinq pétales ; le pétale supérieur ou l'étendard est plus large que les autres ; les pétales inférieurs sont courts & terminés en pointe. Au milieu de la fleur, est situé le pistil, qui devient ensuite une gousse articulée, contenant une graine cylindrique dans chaque cellule exactement fermée.

Ses especes. Il y a trois especes connues d'indigotier.

1°. Anil, sive indigo americana, siliquis in faculae modum contortis. Marchand, Mém. de l'acad. royale des scien. ann. 1718.

2°. Anil, sive indigo, americana, fruticosa, argentea, floribus è viridi purpureis, siliquis falcatis, Coluteae affinis, fruticosa, argentea, floribus spicatis, è viridi purpureis, siliquis falcatis, Sloan. Cat. Jam.

3°. Anil, sive indigo siliquis latis, aliquantulùm incurvis ; Emerus, Indicus, siliquâ aliquantulùm incurvâ, ex quo indigo, Breyn.

Description de la premiere espece. Comme la premiere espece est la principale ; qu'on lui a vû porter en Europe des fleurs & des graines dans sa perfection, & qu'elle procure le meilleur indigo, j'en vais donner ici la description de M. Marchand, faite d'après nature.

Son port représente une maniere de sous-arbrisseau, de figure pyramidale, garni de branches depuis le bas jusque vers son extrémité, revêtues de plusieurs côtes feuillées plus ou moins chargées de feuilles, suivant que ces côtes sont situées sur la plante.

Sa racine est grosse de trois à quatre lignes de diamêtre, longue de plus d'un pié, dure, coriace, cordée, ondoyante, garnie de plusieurs grosses fibres étendues çà & là & un peu chevelues, couverte d'une écorce blanchâtre, charnue, qu'on peut facilement dépouiller de dessus la partie interne dans toute sa longueur. Cette substance charnue a une saveur âcre & amere ; le corps solide a moins de saveur, & toute la racine a une légere odeur, tirant sur celle du persil.

De cette racine s'éleve immédiatement une seule tige, haute d'environ deux piés ou davantage, de la grosseur de la racine, droite, un peu ondoyante de noeud en noeud, dure & presque ligneuse, couverte d'une écorce légerement gercée & rayée de fibres, de couleur gris-cendré vers le bas, verte dans le milieu, rougeâtre à l'extrémité, & sans apparence de moëlle en-dedans.

Les branches & les épis de fleurs sortent de l'aisselle du côté feuillé, & chaque côté selon sa longueur est garni depuis cinq jusque à onze feuilles rangées par paires, à la réserve de celle qui termine la côte, laquelle feuille est unique. Les plus grandes de ces feuilles ont près d'un pouce de long, sur demi pouce de large ; elles sont toutes de figure ovale, lisses, douces au toucher & charnues ; leur couleur est verd foncé en-dessous, sillonnées en-dessus, & attachées par une queue fort courte.

Depuis environ le tiers de la tige jusque vers l'extrémité, il sort de l'aisselle des côtés des épis de fleurs longs de trois pouces, chargés de douze à quinze fleurs, alternativement rangées autour de l'épi. Chaque fleur est composée de cinq pétales, disposés en maniere de fleurs en rose, plus ou moins foiblement teintes de couleur de pourpre, sur un fond verd blanchâtre ; le milieu de la fleur est garni d'un pistil verd.

La fleur n'a point d'odeur, mais les feuilles de la plante étant froissées ou mâchées ont une odeur & une saveur légumineuse. Lorsque les pétales sont tombés, le pistil s'allonge peu-à-peu, & devient une silique cartilagineuse, courbée, longue de plus d'un pouce, articulée dans toute sa longueur ; cette silique étant mûre est de couleur brune, lisse, & luisante en-dehors, blanchâtre en-dedans, & contient six à huit graines, renfermées dans des cellules séparées par de petites cloisons membraneuses. Les graines sont cylindriques, fort dures, & d'un goût légumineux.

La seconde espece s'éleve à la hauteur de cinq ou six piés, & peut subsister deux ou trois ans, mise en hiver dans une bonne serre. On pourroit la cultiver par-tout, où la premiere manqueroit.

La troisieme espece se cultive comme la premiere, & est employée indifféremment avec elle dans les Indes à la préparation de l'indigo.

Culture de l 'indigotier en Europe par les curieux. Cette plante est annuelle en Europe. On dit qu'elle dure deux années dans les Indes occidentales, dans le Brésil & au Mexique, où on la cultive en abondance, ainsi qu'on fait depuis long-tems dans l'Egypte, au Mogol, &c.

On seme ici cette plante sur couche au printems, & quand elle a poussé des rejettons à la hauteur de deux ou trois pouces, on les transporte dans de petites caisses remplies de bonne terre, & on plonge ces caisses dans un lit chaud de tan. Quand ces plantes ont acquis quelque force, on leur donne beaucoup d'air, en ouvrant les vitrages des caisses, & au mois de Juin elles produisent des fleurs, qui sont bientôt succédées par des siliques.

Son utilité pour les arts. Quelles que soient les prétendues vertus médicinales qu'on lui attribue, selon Commelin, aux Indes, nous ne les reconnoissons point en Europe, & nous nous contentons d'admirer les usages réels qu'on a su tirer de tems immémorial de la fécule de cette plante.

On appelle ses feuilles préparées inde & indigo, drogue qui est si utile aux Peintres & aux Teinturiers, qu'ils ne sauroient s'en passer pour leur bleu. L'inde donne cette couleur en peinture étant broyé & mêlé avec du blanc, & il donne une couleur verte étant broyé avec du jaune ; les Blanchisseuses en employent pour donner une couleur bleuâtre à leur linge, & les Teinturiers s'en servent avec le voüéde pour faire leur beau bleu.

Les anciens n'ont point connu l'origine de l'indigo. Pline croit que c'est une écume de roseaux, qui s'attache à une espece de limon qui est noir quand on le broie, & qui fait un beau brun mêlé de pourpre quand on le délaye. Dioscoride pense que c'est une pierre, mais aujourd'hui nous savons non-seulement que l'indigo est une fécule, ou un suc épaissi qu'on tire aux Indes par artifice de la tige & des feuilles de l'indigotier ; nous sommes encore très-instruits de la manoeuvre de l'opération.

Comme le détail en est fort curieux, & qu'il intéresse le commerce, les arts, la Physique & la Chimie, j'ai tâché d'en puiser quelques lumieres dans les meilleures sources.

Culture de l 'indigotier aux Indes pour le commerce. Pour éviter toute équivoque, je nommerai anil ou indigotier la plante ; & inde ou indigo la fécule qu'on en tire, & dont on fait tant d'usage. Les Espagnols nomment cette fécule anillo.

Nous connoissons deux plantes qui donnent le bleu après une préparation préliminaire : l'une est l'isatis ou glastum, qu'on nomme pastel en Languedoc, & voüede en Normandie, où on le cultive & où on le prépare. L'autre est l'anil qui croît dans les Indes orientales & occidentales, duquel on tire une préparation sur les lieux, sous le nom d'inde ou d'indigo, & que l'on envoie en Europe.

L'anil ou indigotier demande une bonne terre, grasse, unie, qui ne soit point trop seche ; il veut être planté seul, mangeant & dégraissant beaucoup le terrein où on le cultive ; aussi ne peut-on prendre trop de précautions pour arracher les herbes qui croissent autour, lorsqu'il commence à pousser, & jusqu'à ce qu'il soit en parfaite maturité.

On sarcle & on nettoie plusieurs fois le terrein où l'on veut planter la graine d'anil. Il me semble qu'on devroit dire semer ; mais le terme de planter est consacré dans les îles. On pousse quelquefois la propreté si loin, qu'on balaie le terrein comme on balayeroit une chambre. Après cela on fait les trous où l'on doit mettre les graines : pour cet effet, les esclaves ou autres qui doivent y travailler, se rangent sur une même ligne à la tête du terrein, & marchant à reculons, ils font de petites fosses de la largeur de leur houe, de la profondeur de deux à trois pouces, éloignées en tous sens les unes des autres d'environ un pié, & en ligne droite le plus qu'il est possible.

Quand le terrein a été bien préparé, & les mauvaises herbes bien extirpées, on plante la graine de l'anil dans les trous dont on vient de parler, qui sont tirés au cordeau, & éloignés les uns des autres d'un pié en tous sens ; ils mettent onze ou treize graines dans chaque trou ; une espece de superstition ayant établi de le semer ainsi en nombre impair : la superstition se mêle par-tout.

Ce travail est le plus pénible qu'il y ait dans la manufacture de l'indigo ; car il faut par l'usage que ceux qui plantent soient presque toujours courbés sans se redresser, jusqu'à ce que la plantation de toute la longueur de la piece soit achevée. Lorsqu'ils sont arrivés au haut de la piece, ils reviennent sur leurs pas, & recouvrent les fosses où ils ont mis la graine, en y poussant avec le pié la terre qu'ils en ont tirée ; & ainsi la graine se trouve couverte d'environ deux pouces de terre.

Toute saison est bonne pour semer la graine d'anil ; il faut cependant observer que ce ne soit pas par un tems trop sec. On choisit donc pour l'ordinaire un tems humide & qui promette de la pluie ; & alors on est sûr de voir la plante levée au bout de trois ou quatre jours.

Quelque précaution qu'on ait prise pour nettoyer le terrein où les graines ont été plantées, il ne faut pas s'endormir quand l'anil est hors de terre, parce que la bonté du terrein jointe à l'humidité, à la chaleur du climat, & aux abondantes rosées qui tombent toutes les nuits, fait naître une quantité prodigieuse de mauvaises herbes qui étoufferoient & gâteroient absolument l'indigotier, si on n'avoit pas un soin extrème de sarcler dès qu'il en paroît, & d'entretenir la plante dans une propreté extraordinaire ; souvent même les herbes sont en partie cause qu'il s'engendre une espece de chenilles qui dévorent en moins de rien toutes les feuilles d'indigotiers.

Depuis que la plante est sortie de terre, il ne faut que deux mois pour la mûrir entierement, & la mettre en état d'être coupée ; autrement elle fleuriroit, & ses feuilles devenant trop dures & trop seches, donneroient moins d'indigo. Après cette premiere coupe la plante repousse, & l'on peut continuer de la couper de six en six semaines, supposé que le tems soit pluvieux ; car lorsqu'on coupe en tems de sécheresse, on perd les chouques, c'est-à-dire les piés de la plante qui étant bien ménagée peut durer deux années, après quoi il faut l'arracher.

Quant à la maniere d'en tirer la fécule colorante, voyez l'article INDIGO.


INDIQUERv. act. (Gram.) On indique un tems, un lieu, une personne & une chose ; c'est la faire connoître & la désigner : un tems & un lieu, c'est le donner & le fixer.

On m'a indiqué un ouvrier capable d'exécuter cette machine. Les tables de l'ouvrage vous indiqueront le fait que vous cherchez. Il indiqua l'assemblée au troisieme jour des ides de Mars. La place publique fut le lieu qu'il m'indiqua.


INDIRE(Jurisprud.) ou DROIT D'INDIRE AUX QUATRE CAS, est un privilege qui appartient à certains seigneurs, de doubler leurs rentes & le revenu de leurs terres en quatre cas différens, lesquels, suivant la coutume de Bourgogne, sont le voyage d'outremer, le cas de la nouvelle chevalerie, si le seigneur est prisonnier de guerre, & le mariage d'une fille du seigneur.

Ce terme paroît venir du latin indicere, qui signifie assigner, imposer ; on disoit indicere vectigalia.

M. le Prince fit lever en 1695, pour l'année suivante, le droit d'indire, dans son comté de Charolois, pour le mariage de Madame la duchesse du Maine.

Ce droit étoit autrefois assez commun, mais présentement il y a peu de seigneurs qui en jouissent : il reçoit différens noms, selon les pays. Voyez le titre des fiefs de M. Guyot, tom. VI. tit. de la taille aux quatre cas, chap. j. (A)


INDIRECTadj. (Gram.) c'est l'opposé de direct. Voyez DIRECT. Il se prend au physique & au moral. On dit au physique une chose indirecte ; un mouvement indirect ; au moral, un moyen indirect, des voies indirectes. Il ne faut pas confondre indirect avec oblique. Oblique se prend toujours en mauvaise part. Indirect ne se prend ni en bonne ni en mauvaise part. Entrer dans un bénéfice par des voies indirectes, n'est pas y entrer par des voies obliques & illicites. Il faut que la louange soit indirecte. On peut donner un avis indirect.

On distingue en Logique des modes indirects de syllogisme. Voyez SYLLOGISME.

Oblique, indirect, & une infinité d'autres termes semblables, sont empruntés du mouvement. Un corps poussé vers un point, ou suit la ligne droite & la plus courte, ou s'en approche par des détours, & le va frapper ou perpendiculairement ou sous un autre angle. Voilà ce qui a donné l'idée de direction, & c'est de-là qu'on a formé les mots directs, indirects, &c.


INDISCIPLINABLEadj. (Gram.) qui n'est pas susceptible de discipline. Voyez DISCIPLINE.


INDISCIPLINÉadj. (Gram.) qui n'a point été soumis à la discipline, ou qui n'en a pas profité. Un soldat indiscipliné perd son officier par la désobéissance, la débauche, les querelles & la désertion. Il faut qu'un officier se fasse aimer & craindre.


INDISCRETadj. & subst. (Grammaire) qui revele une chose confiée. L'homme qui sait penser, parler & prévoir les suites de ses paroles, n'est pas indiscret. Par un excès de confiance on ouvre son coeur à des indifférens ; on répand son ame devant eux ; c'est une foiblesse à laquelle on est entraîné par l'inexpérience & par la peine. La peine cherche à se soulager ; l'inexpérience nous dérobe le danger de notre franchise. Les malheureux & les enfans sont presque tous indiscrets. L'indiscretion peut devenir un crime. Un geste, un regard, un mot, le silence même est indiscret. Fuyez les indiscrets. Vetabo qui caeteris sacra, &c. La vanité rend indiscret. Mais l'indiscrétion n'est pas seulement relative à la confiance ; elle s'étend à d'autres objets. On dit d'un zele qu'il est indiscret ; d'une action qu'elle est indiscrette. Cette indiscrétion a lieu dans toutes les circonstances où nous manquons par étourderie ou par faux jugement. Une femme tendre compte sur la discrétion de l'homme qu'elle favorise ; c'est une condition tacite qu'il ne faut jamais oublier, pas même avec son ami. Pourquoi lui confieriez-vous un secret qui n'appartient point à vous seul. Il y a beaucoup d'amans indiscrets, parce qu'il y a peu d'hommes honnêtes. Après l'indiscrétion des amans heureux, la plus commune est celle des bienfaiteurs. Il n'y en a guere qui sentent combien il est doux de savoir seul l'action généreuse qu'on a faite. Que celui même que vous avez secouru l'ignore s'il se peut. Pourquoi appeller en confidence un tiers entre le ciel & vous ? J'aime à me persuader pour l'honneur du genre humain, qu'il y a eu des ames généreuses qui ont gardé en elles-mêmes des actions héroïques pendant toute la vie, & qui sont descendues sous la tombe avec leur secret.


INDISPENSABLEadj. (Gram.) il se dit des devoirs & des lois. Un devoir indispensable est celui qu'on ne peut ni omettre ni oublier sans être coupable. Une loi indispensable est celle à laquelle on ne peut se soustraire sans crime. Les secours qu'on doit à son pere & à son ami sont indispensables. L'observation des lois naturelles est indispensable.


INDISPOSÉadj. (Gram.) qui ne jouit pas de toute sa santé, dont le corps a souffert quelque dérangement léger. Il ne faut pas négliger les indispositions, on peut en faire des maladies ; mais il y a peut-être plus de danger encore à les écouter. Combien la nature en auroit guéri d'elle-même, si le médecin ne s'y étoit pas opposé !

Indisposé a une autre acception. Il se dit au moral d'un état de l'ame dans lequel les hommes répugnent à faire ce que nous en desirons. Nous les plaçons nous-mêmes dans cet état par maladresse, ou les autres les y placent par méchanceté. S'il y a des fautes qu'on ne peut s'empêcher de punir, il y en a sur lesquelles il faut fermer les yeux ; c'est lorsque les châtimens au lieu de rendre les personnes meilleures, ne serviroient qu'à les indisposer. Dictionn. de Trévoux.


INDISSOLUBLEadj. (Gram.) qui ne peut-être dissous, rompu. Le mariage est un engagement indissoluble. L'homme sage frémit à l'idée seule d'un engagement indissoluble. Les législateurs qui ont préparé aux hommes des liens indissolubles, n'ont guere connu son inconstance naturelle. Combien ils ont fait de criminels & de malheureux ?


INDISTINCTadj. (Gram.) dont toutes les parties ne se séparent pas bien les unes des autres, & ne font pas une sensation claire & nette. On dit que la mémoire ne nous laisse quelquefois des choses éloignées que des notions indistinctes ; mais qu'est-ce que cela signifie ? que nous nous rappellons seulement quelques circonstances d'un fait qui restent isolées, faute d'autres circonstances dont le souvenir est effacé. Il en est de même des images indistinctes que le sommeil nous présente, & des objets que nous n'appercevons que dans un trop grand éloignement. Les figures se séparent ; l'ensemble qu'elles formoient disparoît, & nous n'en pouvons plus juger : c'est une machine desassemblée, & à laquelle il manque encore des pieces.


INDIVIDUS. m. (Métaphysiq.) c'est un être dont toutes les déterminations sont exprimées. Quand il reste des déterminations à faire dans la notion de l'espece, & qu'on les assigne toutes d'une maniere qui ne répugne pas à l'espece, on parvient à l'individu ; car l'espece n'exprimant que les choses communes aux individus, omet les différences qui les distinguent. Indiquez-donc ces différences, & vous dépeindrez par-là même l'individu. L'espece de cheval renferme tout ce qui se trouve dans chaque animal de cette espece, certaine figure, proportion de parties ; & ajoûtez-y tel poil, tel âge, telle conformation précisément déterminée, tel lieu où un cheval se trouve, & vous aurez l'idée d'un individu de cette espece ; & voilà le vrai principe d'individuation, sur lequel les scholastiques ont débité tant de chimeres. Ce n'est autre chose qu'une détermination complete , de laquelle naît la différence numérique. Pierre est un homme, Paul est un homme, ils appartiennent à la même espece ; mais ils different numériquement par les différences qui leur sont propres. L'un est beau, l'autre laid ; l'un savant, l'autre ignorant, & un tel sujet est un individu suivant l'étymologie, parce qu'on ne peut plus le diviser en nouveaux sujets qui ayent une existence réellement indépendante de lui. L'assemblage de ses propriétés est tel, que prises ensemble elles ne sauroient convenir qu'à lui. Les scholastiques expriment les circonstances d'où l'on peut recueillir ces propriétés par le vers suivant,

Forma, figura, locus, stirps, nomen, patria, tempus.

Les différentes subtilités qu'ils proposent là-dessus ne méritent pas de nous arrêter ; il vaut mieux lire le chapitre du Traité de l'entendement humain, où M. Locke examine ce que c'est qu'identité & diversité. Je rapporterai ici une partie de ce qu'il dit liv. II. chap. 27, v. 3. " Il est évident que ce qu'on nomme principium individuationis dans les écoles, où l'on se tourmente si fort pour savoir ce que c'est ; il est, dis-je, évident que ce principe consiste dans l'existence même, qui fixe chaque être, de quelque sorte qu'il soit, à un tems particulier, & à un lieu incommunicable à deux êtres de la même espece.... Supposons, par exemple, un atôme, c'est-à-dire un corps continu sous une surface immuable qui existe dans un tems & dans un lieu déterminé. Il est évident que dans quelque instant de son existence qu'on le considere, il est dans cet instant le même avec lui-même ; car étant dans cet instant ce qu'il est effectivement, & rien autre chose, il est le même, & doit continuer d'être tel aussi long-tems que son existence est continuée ; car pendant tout ce tems il sera le même, & non un autre.... Quant aux créatures vivantes, leur identité ne dépend pas d'une masse composée des mêmes particules, mais de quelque autre chose ; car en elles un changement de grandes parties de matiere ne donne point d'atteinte à l'identité. Un chêne qui d'une petite plante devient un grand arbre, est toûjours le même chêne. Un poulain devenu cheval, tantôt gras, tantôt maigre, est toûjours le même cheval ". Voyez IDENTITE.


INDIVISadj. (Jurisprud.) se dit de quelque chose qui n'est pas divisé ou partagé ; on dit en ce sens un héritage indivis, une succession indivise.

Quelquefois par le terme d'indivis simplement on entend l'état d'indivision dans lequel les co-propriétaires jouissent ; on dit en ce sens que plusieurs personnes jouissent par indivis, pour dire qu'ils possedent en commun.

Indivis est opposé à divis ; lorsqu'un héritage est partagé, chacun des co-partageans jouit à part & divis de sa portion.

Pour sortir de l'état d'indivis, il y a deux voies ; savoir, la licitation & le partage. Voyez ci-après LICITATION & PARTAGE. (A)


INDIVISIBLEadj. (Géométrie) on entend par ce mot en Géometrie ces élémens infiniment petits, ou ces principes dans lesquels un corps ou une figure quelconque peut être résolue en dernier ressort, selon l'imagination de quelques Géometres modernes. Voyez INFINI.

Ils prétendent qu'une ligne est composée de points, une surface de lignes paralleles, & un solide de surfaces paralleles & semblables ; &, comme ils supposent que chacun de ces élémens est indivisible, si, dans une figure quelconque, l'on tire une ligne qui traverse ces élémens perpendiculairement, le nombre des points de cette ligne sera le même que le nombre des élémens de la figure proposée.

Suivant cette idée, ils concluent qu'un parallélogramme, un prisme, un cylindre, peut se résoudre en élémens ou indivisibles, tous égaux entr'eux, paralleles & semblables à la base ; que pareillement un triangle peut se résoudre en lignes paralleles à sa base, mais décroissantes en proportion arithmétique, & ainsi du reste.

On peut aussi résoudre un cylindre en surfaces courbes cylindriques de même hauteur, mais qui décroissent continuellement à mesure qu'elles approchent de l'axe du cylindre, ainsi que le font les cercles de la base sur laquelle s'appuient ces surfaces courbes.

Cette maniere de considérer les grandeurs s'appelle la Méthode des indivisibles, qui n'est au fond que l'ancienne méthode d'exhaustion déguisée, & dont on prend les conclusions comme principes sans se donner la peine de les démontrer ; car toutes les raisons que les partisans des indivisibles ont imaginées pour établir leurs élémens, sont de purs parallogismes ou des pétitions de principe, ensorte que l'on est absolument obligé de recourir à la méthode d'exhaustion pour démontrer à la rigueur les principes des Indivisibilistes ; d'où il suit que leur méthode n'en est point une nouvelle, puisqu'elle a besoin d'un autre pour être démontrée, ainsi que nous le verrons bientôt quand nous aurons donné un exemple de la maniere de procéder dans une démonstration de Géométrie par la prétendue méthode des indivisibles. Voyez EXHAUSTION.

Ce qui a gagné des partisans aux indivisibles, c'est que par leur moyen on abrege merveilleusement les démonstrations mathématiques ; on peut en voir un exemple dans le fameux théorème d'Archimede, qu'une sphere est les deux tiers du cylindre qui lui est circonscrit.

Supposons un cylindre, une demi-sphere, & un cône renversé (Pl. de Géom. fig. 99.), tous de même base & de même hauteur, & coupés par un nombre infini de plans paralleles à la base, & que d g soit un de ces plans ; il est évident qu'en quelqu'endroit qu'on la prenne, le quarré de d h sera égal au quarré du rayon de la sphere, que le quarré e h = le quarré c h ; ainsi, puisque les cercles sont entr'eux comme les quarrés de leurs rayons, & que l'on trouvera par-tout que le quarré de c k ou de h d, rayon du cylindre, égale la somme des quarrés de h k & c h ou e h rayons de la demi-sphere & du cône, on voit que le cercle du rayon du cylindre vaut la somme des cercles correspondans des rayons de la demi-sphere & du cône, par conséquent tous les cercles qui composent le cylindre, c'est-à-dire tout le cylindre est égal à la somme des cercles qui constituent la demi-sphere & le cône, c'est-à-dire que le cylindre est égal à la somme de la demi-sphere & du cône, ainsi le cylindre moins le cône vaut la demi-sphere ; mais on sait d'ailleurs que le cône n'est que le tiers du cylindre, donc les deux autres tiers du cylindre sont égaux à la demi-sphere ; & en prenant le cylindre total & la sphere entiere, on voit évidemment qu'une sphere est les deux tiers du cylindre qui lui est circonscrit.

Il faut avouer qu'il n'y a rien de plus aisé ni de plus élégant que cette démonstration ; c'est dommage qu'elle ait besoin elle-même d'une autre démonstration, ainsi qu'on le trouve prouvé d'une maniere invincible (& à laquelle les Géometres qui y avoient le plus d'intérêt n'ont osé répliquer) dans un ouvrage intitulé institutions de Géométrie, &c. imprimé à Paris chez Debure l'aîné en 1746, en 2 vol. in-8 °. voici ce qu'on lit à ce sujet pag. 309 du second tome : " La seule maniere dont on pourroit concevoir que des surfaces viendroient à composer un solide, c'est qu'elles fussent posées immédiatement les unes sur les autres : or il est impossible de disposer de cette façon plus de deux surfaces. Prenez-en trois ; mettez l'une des trois entre les deux autres, celle du milieu touchera l'inférieure par-dessous, & la supérieure par-dessus : elle sera donc composée de deux surfaces, qui auront entr'elles quelque distance ; mais deux surfaces attachées ensemble qui laissent entr'elles quelque distance composent un vrai solide, en regardant comme un tout ces surfaces & la distance qui les sépare. On a donc supposé l'impossible quand on a demandé que l'on mît une surface immédiatement entre deux surfaces : or, si l'on ne peut pas mettre une surface immédiatement entre deux surfaces, on n'en pourra jamais faire résulter un solide, qui n'est autre chose, ainsi que le prétendent les Indivisibilistes, qu'un assemblage de surfaces posées immédiatement les unes sur les autres ".

Cependant malgré cette absurdité & bien d'autres, que l'on peut voir dans l'ouvrage même, " les Indivisibilistes ne se rendent pas, poursuit l'auteur ; au lieu de tranches superficielles, avec lesquelles nous prétendons engendrer ou constituer les solides, vous n'avez qu'à supposer, disent-ils, des solides d'une épaisseur infiniment petite, & vous serez pleinement satisfaits, car des solides pourront apparemment composer un solide.

Depuis cette réponse il paroît que l'on n'a plus inquiété les partisans des indivisibles, & que leurs principes ont acquis toute l'autorité des premiers axiomes. Cette autorité s'est d'autant plus fortifiée, que les indivisibles aboutissent à des conclusions qui sont démontrées à la rigueur par des voies incontestables. Un rapport si juste pourroit-il être la production d'un faux principe " ?

Reprenons la méthode des Indivisibilistes. Quand ils veulent démontrer, par exemple, que les pyramides de même base & de même hauteur sont égales, ils imaginent que ces pyramides soient coupées par un nombre infini de plans paralleles à leur base, & comme le nombre de ces plans est mesuré par la perpendiculaire qui désigne leur hauteur commune, il s'ensuit que " ces pyramides ont un même nombre de coupes ou de tranches ; on l'accorde. Il est démontré géométriquement que toutes les tranches de l'une sont égales à toutes les tranches de l'autre, chacune à sa correspondante ; on en convient encore : or les pyramides sont composées de ces tranches. Il est bon de s'expliquer : sont-ce des tranches superficielles, c'est-à-dire, ces tranches ne sont-elles que des surfaces ? les défenseurs des indivisibles en ont reconnu l'impossibilité. Il faut donc que ce soient des tranches solides qui composent les pyramides ; ainsi il reste à démontrer que ces tranches solides sont égales, chacune à sa correspondante : les Indivisibilistes le supposent. Leur démonstration est donc une pétition de principe.

A la vérité ils prouvent à la rigueur que les bases entre lesquelles sont comprises les tranches élémentaires, ou les petites pyramides tronquées, ont une égalité correspondante ; mais c'est changer l'état de la question. Je demande que l'on m'établisse une égalité de solides, & l'on n'aboutit qu'à une égalité de surfaces. Quel parallogisme !

Je conviendrai, tant qu'on voudra, que ces tranches élémentaires correspondantes ont une épaisseur infiniment petite ; mais la difficulté qui étoit d'abord en grand revient ici en petit, la petitesse ne faisant pas l'égalité. Que l'on me prouve donc que chaque tranche infiniment petite est égale en solidité à sa correspondante ; car c'est-là précisément l'exposé de la proposition.

On voit maintenant pourquoi la méthode des indivisibles fait parvenir à des vérités démontrées d'ailleurs, c'est qu'il est fort aisé de trouver ce que l'on suppose.

Ainsi ceux qui se conduisent par cette méthode tombent dans une pétition de principe ou dans un parallogisme. S'ils supposent que les petites tranches élémentaires correspondantes ont une égale solidité, c'est précisément l'état de la question. Si après avoir démontré l'égalité des surfaces qui terminent ces tranches par-dessus & par-dessous, on en déduit l'égalité de ces petits solides, il y a un parallogisme inconcevable ; on passe de l'égalité de quelques portions de surfaces à l'égalité entiere des solidités ".

S'il n'étoit pas honteux de recourir à des autorités dans une science qui ne reconnoît pour maître que l'évidence ou la conviction qui en naît, on citeroit M. Isaac Newton, que l'on ne soupçonnera pas d'avoir parlé sur cette matiere d'une maniere inconsidérée : contractiores, dit-il, redduntur demonstrationes per methodum indivisibilium ; sed quoniam durior est indivisibilium hypothesis, & proptereà methodus illa minus geometrica censetur, malui, &c. Voyez la sect. prem. du prem. liv. des Princ. de M. Newton, au schol. du lem. xj.

Au reste, Cavalleri est le premier qui ait introduit cette méthode dans un de ses ouvrages intitulé Geometria indivisibilium, imprimé en 1635. Torricelli l'adopta dans quelques-uns de ses ouvrages, qui parurent en 1644 ; & Cavalleri lui-même en fit un nouvel usage dans un autre traité publié en 1647, & aujourd'hui même un assez grand nombre de Mathématiciens conviennent qu'elle est d'un excellent usage pour abréger les recherches & les démonstrations mathématiques. Voyez GEOMETRIE. (E)


INDOCILEINDOCILITé, (Gram.) ils se disent de l'animal qui se refuse à l'instruction, ou qui plus généralement suit la liberté que la nature lui a donnée, & répugne à s'en départir. Les peuples sauvages sont d'un naturel indocile. Si nous ne brisions de très-bonne heure la volonté des enfans, nous les trouverions tous indociles lorsqu'il s'agiroit de les appliquer à quelque occupation. L'indocilité naît ou de l'opiniâtreté, ou de l'orgueil, ou de la sottise ; c'est ou un vice de l'esprit qui n'apperçoit pas l'avantage de l'instruction, ou une férocité de coeur qui la rejette. Il faut la distinguer d'une autre qualité moins blâmable, mais plus incorrigible, qu'on pourroit appeller indocibilité. L'indocibilité, s'il m'est permis de parler ainsi, est la suite de la stupidité. La sottise des maîtres fait souvent l'indocilité des enfans. J'ai de la peine à concevoir qu'une jeune fille qui peut se soumettre à des exercices très-frivoles & très-pénibles, qu'un jeune homme qui peut se livrer à des occupations très-difficiles & très superflues, n'eût pas tourné sa patience & ses talens à de meilleures choses, si l'on avoit su les lui faire aimer.


INDOLENCES. f. (Morale) c'est une privation de sensibilité morale ; l'homme indolent n'est touché ni de la gloire, ni de la réputation, ni de la fortune, ni des noeuds du sang, ni de l'amitié, ni de l'amour, ni des arts, ni de la nature ; il jouit de son repos qu'il aime, & c'est ce qui le distingue de l'indifférence qui peut avoir de l'inquiétude, de l'ennui ; c'est à ce calme destructeur des talens, des plaisirs & des vertus, que nous amenent ces prétendus sages qui attaquent sans-cesse les passions. Cet état d'indolence est assez l'état naturel de l'homme sauvage, & peut-être celui d'un esprit étendu qui a tout vu & tout comparé.


INDOMPTABLEadj. (Manege) se dit d'un cheval ou d'un autre animal, qui, quelques moyens qu'on emploie, refuse absolument d'obéir à l'homme, & reste indompté.

Il est rare qu'on ne vienne pas à bout d'un animal, quelque féroce qu'il soit, par la privation du sommeil & par le besoin.


INDOSCYTHE(Géog. anc.) ancien peuple d'Asie aux confins de la Scythie & de l'Inde, vers le confluent du Cophène & de l'Indus. Ptolomée place plusieurs villes dans l'Indoscythie ; mais il l'étend beaucoup trop loin, quand il l'avance jusqu'à la mer des Indes. (D.J.)


INDOUSS. m. pl. (Géog.) nation payenne de l'Inde, qui demeure en-deçà du Gange, & qui professe une religion plus épurée que les Banians qu'ils ont en horreur. Les Indous adorent un seul Dieu, & croient l'immortalité de l'ame.


INDOUSTAN(Géog.) contrée des Indes orientales, qui forme l'empire du grand mogol, entre l'Inde & le Gange ; aussi les Géographes Persans l'appellent le pays de Hend & de Send, c'est-à-dire des deux fleuves qu'on veut dénommer.

Les Gaznévides furent les premiers conquérans de l'Indoustan, leur regne commença par Sebekreghin l'an 367 de l'hégire ; il soumit plusieurs rajas ou princes des Indes, & les contraignit d'embrasser le mahométisme. Les Gaznévides, après 213 ans, eurent pour successeurs les Gaurides, qui firent place aux esclaves Turcs ; la postérité de ces derniers possédoit l'Indoustan, entre l'Indus & le Gange, lorsque les Mogols, successeurs de Tamerlan, y formerent le nouvel empire que l'on appelle le Mogol, empire qui a souffert vers le milieu de ce siecle d'étranges & terribles révolutions. Voyez MOGOL. (D.J.)


INDREInger, (Géog.) riviere de France, qui prend sa source dans le Berry, passe à Loches en Touraine, & serpentant vers le couchant, se jette dans la Loire, à deux lieues au-dessous de l'embouchure du Cher. Grégoire de Tours appelle cette riviere Anger, d'autres Angera, d'autres Andria, & Endria, d'où s'est formé le nom qu'elle porte aujourd'hui. (D.J.)


INDUBITABLEadj. (Gramm.) dont on ne peut douter. Il y a peu de choses indubitables. Voyez DOUTE.


INDUCTION(Log. & Gramm.) Haec ex pluribus perveniens quò vult, appellatur inductio, quae graece nominatur, qua plurimum est usus in sermonibus Socrates. Cic. in Top. 10.

C'est une maniere de raisonner, par laquelle on tire une conclusion générale & conforme à ce que l'on a prouvé dans tous les cas particuliers ; elle est fondée sur ce principe, reçu en Logique. Ce qui se peut affirmer ou nier de chaque individu d'une espece, ou de chaque espece d'un genre, peut être affirmé ou nié de toute l'espece & de tout le genre.

Souvent & dans le langage ordinaire la conclusion seule s'appelle induction.

Si l'on peut s'assurer d'avoir observé tous les cas particuliers, de n'avoir omis aucun des individus, l'induction est complete , & l'on a la certitude ; mais malheureusement les exemples en sont rares : il n'est que trop aisé de laisser échapper quelques observations qui seroient nécessaires pour avoir une énumération entiere.

J'ai fait des expériences sur les métaux ; j'ai observé que l'or, l'argent, le cuivre, le fer, l'étain, le plomb & le mercure étoient pesans, j'en conclus que tous les métaux sont pesans. Je puis m'assurer que j'ai fait une induction complete , parce que ces sept corps sont les seuls auxquels on donne le nom de métaux.

J'ai été trompé dix fois consécutivement, suis-je en droit de conclure qu'il n'y a point d'homme qui ne se fasse un plaisir de me tromper ? Ce seroit-là une induction bien imparfaite ; cependant ce sont celles qui sont le plus en usage.

Mais peut-on s'en passer, & toutes incomplete s qu'elles sont, ne font-elles pas une sorte de preuve qui a beaucoup de force ? Qui peut douter que l'empereur de la Chine n'ait un coeur, des veines, des arteres, des poumons, fondé sur ce principe, que tout homme ne peut vivre qu'autant qu'il a toutes ces parties intérieures ? Et comment s'en est-on assuré ? Par analogie ou par une induction très-imparfaite, puisque le nombre des personnes que l'on a ouvertes, & par l'inspection desquelles on s'est convaincu de cette vérité, est incomparablement plus petit que celui des autres hommes.

Dans l'usage ordinaire, & même souvent en Logique, l'on confond l'induction & l'analogie. Voyez ANALOGIE. Mais l'on pourroit & l'on doit les distinguer, en ce que l'induction est supposée complete . Elle étudie tous les individus sans exception ; elle embrasse tous les cas possibles, sans en omettre un seul, & alors seulement elle peut conclure & elle conclut avec une connoissance sûre & certaine ; mais l'analogie n'est qu'une induction incomplete qui étend sa conclusion au-delà des principes, & qui d'un nombre d'exemples observés, conclut généralement pour toute l'espece.

A l'occasion du rapport que ces deux mots ont l'un avec l'autre, nous pourrons ajoûter ici bien des choses qui nous paroissent essentielles, & qui ont été omises à l'article ANALOGIE, où ce mot semble avoir été pris plus particulierement dans le sens grammatical. C'est d'ailleurs une des sources de nos connoissances. (Voyez CONNOISSANCES), & par cela même un sujet assez intéressant pour qu'il soit permis d'y revenir.

Nous aimons les propositions générales & universelles, parce que sous une expression simple, elles renferment un nombre infini de propositions particulieres, & qu'elles favorisent ainsi également notre desir de savoir & notre paresse. De peu d'exemples, d'un quelquefois, nous nous pressons de tirer une conclusion générale. Quand on assure que les planetes sont habitées, ne se fonde-t-on pas principalement sur l'exemple unique de la terre ? D'où savons-nous que toutes les pierres sont pesantes ? Quelle preuve avons-nous de l'existence particuliere de notre estomac, de notre coeur, de nos visceres ? L'analogie. L'on se mocqueroit de quelqu'un qui douteroit de ces vérités ; cependant s'il osoit demander que l'on exposât le poids des raisons que l'on a de penser ainsi, je crois que l'on pourroit s'y trouver embarrassé : car cette conséquence, cela se fait d'une telle maniere chez les uns, donc cela se fait de la même maniere chez tous les autres, n'est point une conséquence légitime ; jamais on ne la réduira aux lois d'un raisonnement sûr ; on n'en fera jamais une preuve démonstrative. Nous savons d'ailleurs que l'analogie peut nous tromper ; mais en convenant qu'elle nous conduit très-souvent & presque toujours à la vérité ; qu'elle est d'une nécessité absolue, soit dans les sciences & dans les arts, dont elle est un des principaux fondemens, soit dans la vie ordinaire, où l'on est obligé d'y avoir recours à tous momens, nous cherchons seulement à en faire connoître la nature, à la réduire à ce qu'elle est, c'est-à-dire à un principe de probabilité, dont il importe d'examiner la force d'où elle tire sa solidité, & quelle confiance on peut & on doit avoir en une preuve de cette espece.

Pour cela parcourons les diverses sciences où l'on en fait usage. Nous les divisons en trois classes, relativement à leur objet : (Voyez L'ORDRE ENCYCLOPEDIQUE) en sciences nécessaires, telles que la Métaphysique, les Mathématiques, une bonne partie de la Logique, la Théologie naturelle, la Morale : 2°. en sciences contingentes ; l'on comprendra sous ce titre la science des esprits créés & des corps : 3°. en arbitraires, & sous cette derniere classe l'on peut ranger la Grammaire, cette partie de la Logique, qui dépend des mots, signes de nos pensées, cette partie de la Morale ou de la Jurisprudence, qui est fondée sur les moeurs & les coutumes des nations.

Il semble que les sciences dont l'objet est nécessaire, & qui ne procedent que par démonstration, devroient se passer d'une preuve qui ne va qu'à la probabilité ; & véritablement il vaudroit mieux en chercher de plus exactes ; mais il est pourtant vrai de dire que, soit par nécessité, soit par une foiblesse naturelle, qui nous fait préférer des preuves moins rigides & plus aisées à celles qui seroient plus démonstratives, mais plus embarrassées, l'on ne peut guere se passer ici de l'analogie. Dans la Métaphysique, par exemple, & dans les Mathématiques, les premiers principes, les axiomes sont supposés, & n'ont d'ordinaire aucune autre preuve que celle qui se tire de l'induction. Demandez à un homme qui a beaucoup vécu sans réfléchir, si le tout est plus grand que sa partie, il répondra que oui, sans hésiter. Si vous insistez, & que vous vouliez savoir sur quoi est fondé ce principe, que vous répondra-t-il ? sinon que son corps est plus grand que sa tête, sa main qu'un seul doigt, sa maison qu'une chambre, sa bibliotheque qu'un livre ; & après plusieurs exemples pareils, il trouveroit fort mauvais que vous ne fussiez pas convaincu. Cependant ces exemples & cent autres ne font qu'une induction bien légere en comparaison de tant d'autres cas où l'on applique ce même axiome. Sans nous arrêter à examiner si ces principes sont eux-mêmes susceptibles de démonstration, & si on peut les déduire tous des définitions, il suffit pour montrer l'importance de la preuve d'analogie, de remarquer qu'au moins la plûpart, pour ne pas dire tous les hommes, parviennent à connoître ces principes, & à s'en tenir pour assurés par la voie de l'induction. Combien d'autres vérités dans la Logique, dans la Morale, dans les Mathématiques, qui ne sont connues que par elle ? Les exemples en seroient nombreux si on vouloit s'y arrêter. Il est vrai que souvent l'on pourroit donner de ces vérités des preuves exactes & tirées de la nature & de l'essence des choses ; mais ici, comme sur les principes, le grand nombre se contente de l'expérience ou d'une induction très-bornée ; & même l'on peut assurer que la plûpart des vérités qui se trouvent présentement démontrées, ont d'abord été reçues sur la foi de l'induction, & qu'on n'en a cherché les preuves qu'après s'être assuré par la seule expérience de la vérité de la proposition.

L'usage de l'analogie est bien plus considérable dans les sciences dont l'objet est contingent, c'est-à-dire, dépendant & n'existant que par la volonté du créateur. J'ose dire que si l'on fait attention à la maniere dont nous parvenons à la connoissance des choses placées hors de nous, on pourra assurer que toutes les sciences contingentes sont fondées sur l'analogie : quelle preuve a-t-on de l'existence des autres hommes ? L'induction. Je sens ce que je pense ; je vois que je suis étendu ; je conçois que je suis un composé de deux substances, le corps & l'ame ; ensuite je remarque hors de moi des corps semblables au mien ; je leur trouve les mêmes organes, du sentiment, des mouvemens comme à moi ; je vis, ils vivent ; je me meus, ils se meuvent ; je parle, ils parlent ; je conclus que comme moi ce sont des êtres composés d'ame & de corps, des hommes en un mot. Lorsque nous voulons rechercher les propriétés de l'ame, étudier sa nature, ses inclinations, ses mouvemens, que fait-on autre chose que descendre en soi-même, chercher à se connoître, examiner son entendement, sa liberté, sa volonté, & conclure par cette seule induction, que ces mêmes facultés se trouvent dans les autres hommes, sans autre différence que celle que les actes extérieurs leur prêtent.

En Physique, toutes nos connoissances ne sont fondées que sur l'analogie : si la ressemblance des effets ne nous mettoit pas en droit de conclure à la ressemblance des causes, que deviendroit cette science ? Faudroit-il chercher la cause de tous ces phénomenes sans exception ? Cela seroit-il possible ? Que deviendroit la Médecine & toutes les branches pratiques de la Physique sans ce principe d'analogie ? Si les mêmes moyens mis en oeuvre dans les mêmes cas ne nous permettoient pas d'espérer les mêmes succès, comment s'y prendre pour la guérison des maladies ? Que conclure de plusieurs expériences, d'un grand nombre d'observations ?

Enfin l'usage de l'induction est encore plus sensible dans les sciences qui dépendent uniquement de la volonté & de l'institution des hommes. Dans la Grammaire, malgré la bizarrerie des langues, on y remarque une grande analogie, & nous sommes naturellement portés à la suivre, ou si l'usage va contre l'analogie, cela est regardé comme irrégularité ; ce qu'il est bon de remarquer pour s'assurer de ce que l'on a déja dit, que l'analogie n'est pas un guide si certain qu'il ne puisse se tromper quelquefois.

Dans cette partie de la jurisprudence, qui est toute fondée sur les moeurs & les usages des nations, ou qui est de l'institution libre des sociétés, on voit régner aussi la même analogie. Rarement arrive-t-il que tout soit si bien, si universellement réglé dans la constitution des états, qu'il n'y ait quelquefois conflit entre les diverses puissances, les divers corps, pour savoir auquel appartient telle ou telle attribution ; & ces questions, sur lesquelles nous supposons la loi muette, comment se décident-elles, que par l'analogie ? Les jurisconsultes romains ont poussé ce principe très-loin ; & c'est en partie par cette attention à le suivre, qu'ils ont rendu leur jurisprudence si belle, qu'elle a mérité le nom de raison écrite, & qu'elle a été presqu'universellement adoptée de tous les peuples.

Il n'y a donc, dira-t-on, que simple probabilité dans toutes nos connoissances, puisqu'elles sont toutes fondées sur l'analogie, qui ne donne point de vraie démonstration. Je réponds qu'il faut en excepter au moins les sciences nécessaires, dans lesquelles l'induction est simplement utile pour découvrir les vérités qui se démontrent ensuite. J'ajoute que quant à nos autres connoissances, s'il manque quelque chose à la certitude parfaite, nous devons nous contenter de notre sort, qui nous permet de parvenir, au moyen de l'analogie, à des vraisemblances telles que quiconque leur refuse son consentement, ne sauroit éviter le reproche d'une délicatesse excessive, d'une très-grande imprudence, & souvent d'une insigne folie.

Mais ne nous en tenons pas là ; voyons sur quoi est fondée la confiance que nous devons donner à la preuve d'induction ; examinons sur quelle autorité l'analogie vient se joindre aux sens & au témoignage pour nous conduire à la connoissance des choses ; & c'est ici la partie la plus intéressante de cet article.

En faisant passer en revûe les trois classes de sciences que nous avons établies, commençons par celles dont l'objet est arbitraire, ou fondé sur la volonté libre des hommes : il est aisé d'y appercevoir le principe de la preuve d'analogie. C'est le goût que nous avons naturellement pour le beau, qui consiste dans un heureux mélange d'unité & de variété : or l'unité ou l'uniformité, & c'est ici la même chose, emporte l'analogie, qui n'est qu'une entiere uniformité entre des choses déja semblables à plusieurs égards. Ce goût naturel pour l'analogie se découvre dans tout ce qui nous plaît : l'esprit lui-même n'est qu'une heureuse facilité à remarquer les ressemblances, les rapports. L'Architecture, la Peinture, la Sculpture, la Musique, qui sont les arts dont l'objet est de plaire, ont toutes leurs regles fondées sur l'analogie. Qu'y avoit-il donc de plus naturel que de fuir la bizarrerie & le caprice, de faire régner l'analogie dans toutes les sciences dont la constitution dépend de notre volonté ? Dans la Grammaire, par exemple, ne doit-on pas supposer que les inventeurs des langues, & ceux qui les ont polies & perfectionnées, se sont plûs à suivre l'analogie & à en fixer les lois ? On pourra donc décider les questions grammaticales avec quelque certitude en consultant l'analogie ? Ajoutons, pour remonter à la source de ce goût pour l'uniformité, que sans elle les langues seroient dans une étrange confusion ; si chaque nom avoit sa déclinaison particuliere, chaque verbe sa conjugaison ; si le régime & la syntaxe varioient sans regle générale, quelle imagination assez forte pourroit saisir toutes ces différences ? Quelle mémoire seroit assez fidele pour les retenir ? L'analogie dans les sciences arbitraires est donc fondée également & sur notre goût & sur la raison.

Mais elle nous trompe quelquefois ; c'est que les langues, pour me servir du même exemple, étant formées par l'usage, & souvent par l'usage de ceux dont le goût n'est pas le meilleur ni le plus sûr, se ressentent en quelque chose du goût que nous avons aussi pour la variété, ou bien l'on viole les lois de l'analogie pour éviter certains inconvéniens qui naîtroient de leur observation, comme quelques prononciations rudes qu'on n'a pu se résoudre à admettre : c'est ainsi que nous disons son ame, son épée, au lieu de sa ame, sa épée ; & si l'on y prend garde, on trouvera souvent dans la variété la plus grande une analogie plus grande qu'on ne s'y attendoit : l'exemple cité en fournit la preuve. Puisque c'est le créateur lui-même qui nous a donné ce sentiment de la beauté & ce goût pour l'analogie, sans-doute il a voulu orner ce magnifique théatre de l'univers de la maniere la plus propre à nous plaire, à nous qu'il a destinés à en être les spectateurs. Il a voulu que tout s'y présentât à nos yeux sous l'aspect le plus convenable, le plus beau, le plus parfait : je parle de ce qui sort immédiatement de ses mains, sans être gâté par la malice des hommes. Dès-lors il a dû ordonner que l'uniformité & l'analogie s'y montrassent dans tout leur jour ; que les proportions, l'ordre, l'harmonie y fussent exactement observés ; que tout fût reglé par des lois générales, simples, en petit nombre, mais universelles & fécondes en effets merveilleux : c'est aussi ce que nous observons & ce qui fonde la preuve d'analogie dans les sciences dont l'objet est contingent.

Ainsi tout est conduit par les lois du mouvement, qui partent d'un seul principe, mais qui se diversifient à l'infini dans leurs effets ; & dès qu'une observation attentive des mouvemens des corps nous a appris quelles sont ces lois, nous sommes en droit de conclure par analogie que tous les évenemens naturels arrivent & arriveront d'une maniere conforme à ces lois.

Le grand maître du monde ne s'est pas contenté d'établir des lois générales, il s'est plû encore à fixer des causes universelles. Quel spectacle à l'esprit observateur qu'une multitude d'effets qui naissent tous d'une même cause ! Voyez que de choses différentes produisent les rayons que le soleil lance sur la terre ; la chaleur qui ranime, qui conserve nos corps, qui rend la terre féconde, qui donne aux mers, aux lacs, aux rivieres, aux fontaines leur fluidité ; la lumiere qui récrée nos yeux, qui nous fait distinguer les objets, qui nous donne des idées nettes de ceux qui sont les plus éloignés. Sans ces rayons point de vapeurs, point de pluies, point de fontaines, point de vents. Les plantes & les animaux destitués d'alimens, périroient en naissant, ou plutôt ne naîtroient point du tout ; la terre entiere ne seroit qu'une masse lourde, engourdie, gelée, sans variété, sans fécondité, sans mouvement.

Voyez encore combien d'effets naissent d'un seul principe de la pesanteur universelle ; elle retient les planetes dans la carriere qu'elles parcourent autour du soleil, comme autour de leur centre particulier ; elle réunit les différentes parties de notre globe ; elle attache sur sa surface les villes, les rochers, les montagnes ; c'est à elle qu'il faut attribuer le flux & reflux de la mer, le cours des fleuves, l'équilibre des liqueurs, tout ce qui dépend de la pesanteur de l'air, comme l'entretien de la flamme, la respiration & la vie des animaux.

Mais ce n'est pas seulement pour nos plaisirs & pour satisfaire notre goût que Dieu a créé ce monde harmonique & reglé par les lois sages de l'analogie, c'est sur-tout pour notre utilité & notre conservation. Supposez qu'on ne puisse rien conclure d'une induction, que ce raisonnement soit frivole & trompeur, je dis qu'alors l'homme n'auroit plus de regle de conduite & ne sauroit vivre. Car si je n'ose plus faire usage de cet aliment que j'ai pris cent fois avec succès pour la conservation de ma vie, de peur que ces effets ne soient plus les mêmes, il faudra donc mourir de faim. Si je n'ose me fier à un ami dont j'ai reconnu en cent occasions le caractere sûr, parce que peut-être il aura changé sans cause apparente du soir au matin, comment me conduire dans le monde ? Il seroit aisé d'accumuler ici les exemples. En un mot, si le cours de la nature n'étoit pas réglé par des lois générales & uniformes, par des causes universelles ; si les mêmes causes n'étoient pas ordinairement suivies des mêmes effets, il seroit absurde de se proposer une maniere de vivre, d'avoir un but, de chercher les moyens d'y parvenir ; il faudroit vivre au jour le jour, & se reposer entierement de tout sur la providence. Or ce n'est pas-là l'intention du créateur, cela est manifeste ; il a donc voulu que l'analogie régnât dans ce monde & qu'elle nous servît de guide.

S'il arrive que l'analogie nous induise quelquefois en erreur, prenons-nous-en à la précipitation de nos jugemens & à ce goût pour l'analogie, qui souvent nous fait prendre la plus légere ressemblance pour une parité parfaite. Les conclusions universelles sont admises par préférence, sans faire attention aux conditions nécessaires pour les rendre telles, & en négligeant des circonstances qui dérangeroient cette analogie que nous nous efforçons d'y trouver. Il faut observer aussi que le créateur a voulu que ses ouvrages eussent le mérite de la variété ainsi que celui de l'uniformité, & que nous nous trompons ainsi en n'y cherchant que ce dernier.

Il nous reste à examiner la probabilité qui résulte de l'induction dans les sciences nécessaires. Ici les principes de beauté & de goût ne sont point admissibles, parce que la vérité des propositions qu'elles renferment ne dépend point d'une volonté libre, mais est fondée sur la nature des choses. Il faudroit donc, comme nous l'avons déja dit, abandonner la preuve d'analogie, puisque l'on peut en avoir de plus sûres ; mais dès qu'elle n'est pas sans force, cherchons d'où elle peut venir.

Dans les sujets nécessaires, tout ce que l'on y considere est essentiel ; les accidens ne sont comptés pour rien. Ce que l'esprit envisage est une idée abstraite dont il forme l'essence à son gré par une définition, & dont il recherche uniquement ce qui découle de cette essence, sans s'arrêter à ce que des causes extérieures ont pu y joindre. Un géometre, par exemple, ne considere dans le quarré précisément que sa figure ; qu'il soit plus grand ou plus petit, il n'y fait aucune attention ; il ne s'attache qu'à ce qu'il peut déduire de l'essence de cette figure, qui consiste dans l'égalité parfaite de ses quatre côtés & de ses quatre angles. Mais il n'est pas toujours aisé de tirer de l'essence d'un être mathématique ou métaphysique tout ce qui en découle : ce n'est quelquefois que par une longue chaîne de conséquences, ou par une suite laborieuse de raisonnemens, qu'on peut faire voir qu'une propriété dépend de l'essence attribuée à une chose. Je suppose qu'examinant plusieurs quarrés ou plusieurs triangles différens, je leur trouve à tous une même propriété, sans qu'aucun exemple contraire vienne s'offrir à moi, je présume d'abord que cette propriété est commune à toutes ces figures, & je conclus avec certitude que si cela est, elle doit découler de leur essence. Je tâche de trouver comment elle en dérive ; mais si je ne peux en venir à bout, dois-je conclure de-là que cette propriété ne leur est pas essentielle ? Non assurément ; mais que j'ai la vûe fort bornée, ou qu'elle n'en découle que par un si long circuit de raisonnement, que je ne suis pas capable de la suivre jusqu'au bout. Il reste donc douteux si cette propriété, que l'expérience m'a découverte dans dix triangles, par exemple, appartient à l'essence générale du triangle, auquel cas ce seroit une propriété universelle qui conviendroit à tous les triangles, ou si elle découle de quelque qualité particuliere à une sorte de triangles, & qui par un hasard très-singulier, se trouveroit appartenir à ces dix triangles sur lesquels j'en ai fait l'essai. Or il est aisé de concevoir que si ces dix triangles sont faits différens les uns des autres, ils n'ont vraisemblablement d'autre propriété commune que celle qui appartient à tous les triangles en général ; c'est-à-dire qu'ils ne se ressemblent en rien, qu'en ce que les uns & les autres sont des figures qui ont trois côtés : du moins cela est très-vraisemblable ; & cela le devient d'autant plus, que l'expérience faite sur ces triangles a été plus souvent répétée, & sur des triangles plus différens. Dès-lors il est aussi très-vraisemblable que la propriété que l'on examine découle non de quelque propriété commune à ces dix triangles mis en épreuve, mais de l'essence générale de tous les triangles ; il est donc très-vraisemblable qu'elle convient à tous les triangles, & qu'elle est elle-même une propriété commune & essentielle.

Ce même raisonnement peut s'appliquer à tous les cas semblables ; d'où il suit 1°. que la preuve d'analogie est d'autant plus forte & plus certaine, que l'expérience est poussée plus loin, & que l'on l'applique à des choses plus différentes. 2°. Que plus la propriété dont il s'agit est simple, & plus l'induction est forte, supposant le même nombre d'expériences ; car une propriété simple doit naturellement découler d'une maniere fort simple d'un principe fort simple : or quoi de plus simple que l'essence d'une chose, sur-tout que l'essence générale d'un être universel & abstrait.

Je trouve donc ici le principe d'analogie fondé sur l'expérience & sur la simplicité qui approche le plus de la vérité. Cependant que l'on n'oublie jamais que l'induction ne nous donne au fond qu'une simple probabilité plus ou moins forte : or dans les sciences nécessaires on demande plus que la probabilité ; on veut des démonstrations, & elles en sont susceptibles. Ne nous laissons donc pas arrêter par une lâche paresse, ou séduire par la facilité de la preuve d'analogie. Je consens que l'on se serve de ce moyen pour découvrir la vérité, mais il ne faut pas élever sur un pareil fondement l'édifice des sciences qui peuvent s'en passer.


INDULGENCES. f. (Hist. ecclés.) rémission donnée par les papes de la peine dûe aux péchés, sous certaines conditions prescrites.

M. l'abbé Fleuri, qui sera mon premier guide sur cette matiere, commence par remarquer que tous les catholiques conviennent que l'Eglise peut accorder des indulgences, & qu'elle le doit en certains cas ; mais il ajoûte que c'est à ses ministres à dispenser sagement ses graces, & à n'en pas faire une profusion inutile ou même pernicieuse.

La multitude des indulgences, & la facilité de les gagner devint un grand obstacle au zele des confesseurs éclairés. Il leur étoit difficile de persuader des pénitences à un pécheur qui pouvoit racheter ses péchés par une aumône légere, ou par la seule visite d'une église ; car les évêques du onzieme & du douzieme siecle accordoient libéralement des indulgences à toutes sortes d'oeuvres pies, comme pour le bâtiment d'une église, d'une chapelle, l'entretien d'un hôpital, un pélerinage à Rome, & même tout ouvrage utile au public, un pont, une chaussée, le pavé d'un grand chemin. Plusieurs indulgences jointes ensemble rachetoient la pénitence toute entiere.

Quoique le quatrieme concile de Latran qui se tint dans le xiij. siecle, appelle ces sortes d'indulgences indiscrettes, superflues, rendant méprisables les clés de l'église, & énervant la pénitence ; cependant Guillaume évêque de Paris, célebre dans le même siecle, soutenoit qu'il revient plus d'honneur à Dieu, & d'utilité aux ames de la construction d'une église, que de tous les tourmens des oeuvres pénales. Il prétendoit encore qu'on accordoit avec beaucoup de raison des indulgences pour la fondation des hôpitaux, la réparation des ponts & des chemins, parce que ces ouvrages servent aux pélerins & autres personnes qui voyagent pour des causes pieuses.

Si ces raisons étoient solides, continue M. Fleury, elles auroient dû toucher tous les saints évêques des premiers siecles qui avoient établi les pénitences canoniques ; mais ils portoient leurs vûes plus loin. Ils comprenoient que Dieu est infiniment plus honoré par la pureté des moeurs, que par la construction & l'ornement des églises matérielles, par le chant, les cérémonies, & tout le culte extérieur, qui n'est que l'écorce de la religion, dont l'ame est la vertu. Or, comme la plûpart des chrétiens ne sont pas assez heureux pour suivre toujours leurs devoirs, ces sages pasteurs ne trouverent point de meilleurs remedes pour ramener les pécheurs, que de les engager, non pas à des aumônes, à des visites d'églises, & à des cérémonies extérieures, où le coeur n'a point de part, mais à se punir volontairement eux-mêmes en leurs propres personnes, par le retranchement de tous les plaisirs. Aussi les Chrétiens n'ont jamais été plus corrompus, que quand les pénitences canoniques perdirent de leur vigueur, & que les indulgences prirent leur place.

En vain l'Eglise laissoit à la discrétion épiscopale de remettre une partie de la pénitence canonique, suivant les circonstances & la ferveur du pénitent ; les indulgences plus commodes sapperent toute pénitence. Mais on vit avec surprise sous le pontificat d'Urbain II. qu'en faveur d'une seule bonne oeuvre, le pécheur fut déchargé de toutes les peines temporelles dont il pouvoit être redevable à la justice divine. Il ne falloit pas moins qu'un concile nombreux, présidé par ce pape en personne, pour autoriser cette nouveauté. Ce concile donc accorda une indulgence, une rémission pléniere de tous les péchés à ceux qui prendroient les armes pour le recouvrement de la Terre-sainte.

On avoit bien déja employé l'invention de racheter en peu de jours par quelques oeuvres pies des années de pénitence ; par exemple dans la commutation de pénitence, les pélerinages de Rome, de Compostelle & autres lieux, y entroient pour beaucoup. Mais comme la croisade en Orient étoit un voyage pénible à entreprendre, qu'il étoit accompagné de tous les périls de la guerre, dans un pays éloigné, & contre des infideles, on crut qu'on ne pouvoit rien faire de trop en sa faveur. D'ailleurs l'indulgence tenoit lieu de solde aux croisés ; & quoi qu'elle ne donnât pas la nourriture corporelle, elle fut acceptée de tout le monde en payement. On se flatta de subsister aux frais du public, des riches, des Grecs & des Musulmans.

Les nobles qui se sentoient la plûpart chargés de crimes, entr'autres de pillages sur les églises & sur les pauvres, s'estimerent heureux d'avoir rémission pléniere de tous leurs péchés, & pour toute pénitence leur exercice ordinaire, qui étoit de faire la guerre, outre l'espérance, s'ils étoient tués, d'obtenir la couronne du martyre.

La noblesse entraîna le petit peuple, dont la plus grande partie étoit des serfs attachés aux terres, & entierement dépendans de leurs seigneurs. En un mot chacun se persuada qu'il n'y avoit qu'à marcher vers la Terre-sainte pour assurer son salut. On sait quelle fut la conduite des croisés, & le succès de leurs entreprises.

Cependant l'idée d'Urbain II. fut adoptée, goûtée & perfectionnée par ses successeurs ; quelques-uns même étendirent le privilege des indulgences aux personnes qui ne pouvant, ou ne voulant point s'armer pour les croisades, fourniroient un soldat à leur solde.

Bientôt ces faveurs spirituelles furent distribuées à toutes les personnes qui se mirent en campagne contre ceux que les papes déclarerent hérétiques en Europe. Le long schisme qui s'éleva sous Urbain VI. engagea même les doubles pontifes de délivrer des indulgences les uns contre les autres. Walsingham moine bénédictin de l'abbaye de saint Albans, dit là-dessus, " qu'ils donnerent au monde cette leçon, qu'un stratagème, quelque sacré qu'il soit, ne devroit jamais être employé deux fois dans le même siecle ".

Néanmoins Alexandre VI. s'en servoit avec succès pour payer l'armée qu'il destinoit à la conquête de la Romagne. Le cardinal Bembo prétend qu'il vendit des indulgences en Italie pour près de seize cent marcs d'or ; & c'est le moindre reproche qu'on puisse faire à ce pontife.

Après le pontificat détesté, mais heureux d'Alexandre VI. (dit l'auteur de l'histoire générale, dont le tableau terminera cet article) après le regne guerrier, & plus heureux encore de Jules II. Jean de Médicis fut orné de la thiare à l'âge de trente-six ans, & prit le nom de Léon X. La religion n'eut rien d'austere sous son pontificat ; & ce qui l'offensoit le plus, n'étoit pas apperçu dans une cour occupée d'intrigues & de plaisirs.

Le prédécesseur de Léon X. le Pape Jules II. sous qui la Peinture & l'Architecture commencerent à prendre de si nobles accroissemens, avoit desiré que Rome eût un temple qui surpassât sainte Sophie de Constantinople, & qui fût le plus beau qu'on eût encore vû sur la terre. Il eut le courage d'entreprendre ce qu'il ne pouvoit jamais voir finir.

Léon X suivit ardemment ce grand projet. Il falloit beaucoup d'argent, & ses magnificences avoient épuisé son trésor. Il n'est point de chrétien qui n'eût dû contribuer à élever cette merveille de la métropole de l'Europe ; mais l'argent destiné aux ouvrages publics, ne s'arrache jamais que par force ou par adresse. Léon X. eut recours, s'il est permis de se servir de cette expression, à une des clés de S. Pierre, avec laquelle on avoit ouvert quelquefois les coffres des Chrétiens, pour remplir ceux du pape.

Il prétexta une guerre contre les Turcs, & fit vendre dans tous les états de la Chrétienté des indulgences plénieres, contenant la délivrance des peines du purgatoire, soit pour soi-même, soit pour ses parens & ses amis. Il y eut par-tout des bureaux d'indulgences ; on les affermoit comme les droits de la doüanne. Plusieurs de ces comptoirs se tenoient dans les cabarets de Rome, & l'on y jouoit publiquement aux dez, dit Guichardin, le pouvoir de tirer les ames du purgatoire. Le prédicateur, le fermier, le distributeur, y firent de bons profits ; le pape sur-tout y gagna prodigieusement. On en peut juger si l'on daigne seulement se rappeller, qu'un de ses légats qu'il envoya l'an 1518 dans les royaumes de Danemark, de Suede, & de Norvege, les plus pauvres de l'Europe, y vendit des indulgences pour près de deux millions de florins. Léon X. toujours magnifique, dissipoit en profusions toutes ces richesses, à mesure qu'elles lui arrivoient.

Mais le malheur voulut qu'on donna aux Dominicains la ferme des indulgences en Allemagne ; les Augustins qui en avoient été long-tems possesseurs, en furent jaloux, & ce petit intérêt de moines dans un coin de la Saxe, dessilla les yeux des peuples sur le trafic scandaleux des indulgences, & produisit trois cent ans de discordes, de fureurs, & d'infortunes chez trente nations. (D.J.)

INDULGENCE, s. f. (Morale) c'est une disposition à supporter les défauts des hommes, & à pardonner leurs fautes ; c'est le caractere de la vertu éclairée. Dans la jeunesse, dans les premiers momens de l'enthousiasme, pour l'ordre & le beau moral, on jette un regard dédaigneux sur les hommes qui semblent fermer les yeux à la vérité, & s'écartent quelquefois des routes de l'honnête ; mais les connoissances augmentent avec l'âge, l'esprit plus étendu voit un ordre plus général ; il voit dans la nature des êtres, leur excellence, & la nécessité de leurs fautes. Alors on aspire à réformer ses semblables comme soi-même, avec la douce chaleur d'un intérêt tendre qui corrige ou console, soutient & pardonne.

L'envie plus contrariée par le mérite, qu'offensée des défauts, voit le mal à côté du bien, & le censure dans l'homme qu'on estime.

L'orgueil pour avoir le droit de condamner tous les hommes, les juge d'après les idées d'une perfection à laquelle aucun ne peut atteindre.

La vertu toujours juste, plaint le méchant qui se dévore lui-même, & jusques dans les sevérités on la trouve consolante.

INDULGENCE, (Art numismatique) cette vertu si rare chez les hommes, est représentée dans une médaille de Gordien, par une personne assise entre deux animaux indomptés. Est-ce pour marquer que la douceur, que l'indulgence peut adoucir les esprits les plus farouches ? Dans une autre médaille, l'indulgence d'Auguste est caractérisée par une femme assise, qui tend la main droite, & qui tient un sceptre de la gauche ; pur ouvrage de la flaterie. L'indulgence prétendue d'Octave n'étoit qu'une politique adroite, que la conjoncture des tems l'obligeoit d'employer, & le sceptre qu'il tenoit le rendoit odieux à sa patrie.

Les Parthes, les Persans vouloient des souverains,

Mais le seul consulat pouvoit plaire aux Romains.

(D.J.)


INDULTS. m. (Jurisp.) indultum, qui vient du verbe indulgere, signifie en général une grace accordée par le pape à certaines personnes.

Les indults sont actifs ou passifs.

On appelle indults actifs des graces accordées par le pape aux cardinaux, & à quelques autres collateurs ordinaires, pour pouvoir conférer les bénéfices dépendans de leur collation, librement & sans pouvoir être prévenus durant les six mois accordés par le concile de Latran aux collateurs ordinaires. Ce qui a lieu à l'égard des cardinaux, soit qu'ils conferent seuls, ou avec un chapitre. Ce privilege fut accordé aux cardinaux par Paul IV. par une bulle de l'année 1555, & après lui ses successeurs l'ont pareillement confirmé. Il a été aussi confirmé par des lettres patentes, enregistrées au grand-conseil.

Du tems du même Paul IV. vers l'an 1560, sur les grandes plaintes de tout le college des cardinaux, il leur fut encore accordé per contractum indultum & compactum, juramento solemni corroboratum, que le pape ne dérogeroit point à la regle des 20 jours à leur préjudice, ce que Dumolin appelle le compact. Ces sortes de graces ne sont qu'une réduction au droit commun, & conséquemment elles sont favorables.

Les indults passifs sont aussi des graces accordées par les papes à certaines personnes, pour pouvoir être pourvûes de certains bénéfices si elles sont capables de les posséder, ou de présenter des clercs à leur place, pour être ensuite nommés par le roi à un collateur de France ; ces sortes d'indults sont proprement des graces expectatives : l'indult de MM. du Parlement est de cette qualité.

On subdivise l'indult actif en indult ordinaire & extraordinaire.

L'indult actif ordinaire est donné aux cardinaux & autres collateurs ordinaires, lesquels en vertu de ces indults ont droit de conférer, nommer ou présenter. dans tous les mois, même dans les six mois réservés au pape dans la Bretagne, sans pouvoir être prévenus, ni être assujettis aux réserves apostoliques, excepté celles qui sont in corpore juris, telles que les vacances in curiâ romanâ.

Il est rare au surplus que le pape affranchisse les collateurs ordinaires non-cardinaux de la prévention à son égard, mais seulement à l'égard des légats & vice-légats.

Les indults actifs extraordinaires sont des bulles accordées par les papes aux cardinaux & autres ecclésiastiques, même aux princes séculiers, comme aux empereurs, rois de France, ducs de Savoie, à l'effet de les confirmer dans le droit de nommer aux bénéfices dans les mois apostoliques & autres.

L'indult du Parlement de Paris est un indult actif à l'égard du roi, & passif à l'égard des collateurs ; c'est une grace purement expectative accordée au Parlement par les papes. Les historiens disent que ce fut le pape Eugene IV. qui l'accorda en 1431, à la priere de Charles VII. Cependant on soutient que la bulle d'Eugene IV. ne se trouve point, & qu'elle n'a jamais paru ; qu'il n'en a point donné de perpétuelle, ou au moins qu'elle n'a point eu d'exécution. Quoiqu'il en soit, ce droit fut confirmé par Paul III. en 1538, à la priere de François I. & depuis par Clément IX. sur les instances de Louis XIV.

En vertu de cet indult, chaque roi a droit pendant son regne de placer une nomination sur chaque collateur ordinaire ou patron, de maniere que si pendant le même regne il arrive plusieurs mutations de collateurs ou patrons, chaque successeur doit au roi une collation sur un indult.

Les officiers qui participent à ce droit d'indult du Parlement, sont au nombre de 352 ; savoir, M. le chancelier & M. le garde des sceaux. Lorsque ces deux fonctions sont réunies, on donne deux indults à M. le chancelier. Les autres officiers sont le premier président, les neuf présidens-à-mortier, trente-trois conseillers de la grand'chambre, trois présidens, & trente-deux conseillers de chacune des cinq chambres des enquêtes, trois présidens & quatorze conseillers de la premiere chambre des enquêtes du palais, trois présidens & quatorze conseillers de la seconde ; le procureur-général & les avocats généraux ; les deux greffiers en chef, civil & criminel ; le greffier des présentations, les quatre notaires ou secrétaires de la cour, le receveur & payeur des gages du Parlement, le premier huissier & greffier en chef des requêtes du palais ; les quatre vingt maîtres des requêtes, le procureur-général & l'avocat-général des requêtes de l'hôtel, & les deux greffiers en chef de cette jurisdiction.

Ce droit d'indult du Parlement ne s'étend point aux ducs & pairs, ni aux conseillers au grand-conseil ; quoique ceux-ci deviennent conseillers honoraires en la grand'chambre du parlement, après 20 ans de service au grand-conseil. Il ne s'étend pas non plus aux ecclésiastiques, auxquels leurs bénéfices donnent le titre & le rang de conseillers d'honneur du Parlement.

L'officier qui a droit d'indult, peut en vertu de ce droit requérir un bénéfice pour lui-même, s'il a les qualités nécessaires pour le posséder ; s'il ne les a pas ou qu'il ne veuille pas faire usage de son indult pour lui-même, il nomme en son lieu & place un ecclésiastique.

L'ecclésiastique nommé par un indultaire présente un placet au garde des sceaux, à l'effet d'obtenir du roi des lettres de présentation sur tous les bénéfices d'un tel collateur, ou bien il peut laisser au roi le choix du collateur ; & même si la nomination est inscrite avant l'obtention des lettres du roi, on doit laisser à son choix le collateur.

L'indultaire ayant obtenu les lettres de nomination du roi qui contiennent le choix du collateur, & la présentation que le roi lui fait de l'indultaire, doit faire signifier ces lettres au collateur ou patron ecclésiastique, par deux notaires apostoliques, ou par un de ces notaires & deux témoins. Il n'est pas nécessaire que ces lettres soient signifiées dans l'année, la nomination qu'elles contiennent étant perpétuelle elles ne sont point sujettes à surannation.

Mais lorsque l'indultaire les a fait signifier, il doit en faire insinuer la signification dans le mois au greffe des insinuations ecclésiastiques du diocèse, où sont les bénéfices des collateurs ou patrons.

L'indult ne peut être placé que sur un seul collateur.

Lorsqu'il y a un bénéfice vacant, l'indultaire peut le requérir soit en personne, ou par procureur spécial ; les actes de requisition & de refus s'il y en a, doivent être reçus & insinués de même que la signification de l'indult.

Si les chapitres ou monasteres sur lesquels on a placé l'indult, ne conferent pas les bénéfices conjointement avec leur chef, il faut signifier tant au chef qu'au corps.

La nomination de l'indultaire ne peut être faite, que la place du collateur ou patron ne soit remplie ; ainsi, lorsque la nomination est sur un évêché, elle ne peut être faite qu'après le brevet de nomination du roi à la prélature qui étoit vacante ; mais on n'est pas obligé d'attendre les provisions de Rome.

Deux collateurs qui permutent leurs bénéfices deviennent sujets à un nouveau droit d'indult.

L'indultaire peut requérir le premier bénéfice vacant après la signification de l'indult, & même celui qui vient à vacquer dans le tems de la signification ; & comme le droit des indultaires est reputé plus ancien que celui des gradués, ils sont préférés à ceux-ci, en cas de concurrence. Ils sont aussi préférés aux brévetaires de joyeux avenement & autres expectans, bien entendu que les indultaires doivent avoir les qualités & capacités requises pour posseder le bénéfice qui vient à vacquer.

Les ecclésiastiques séculiers qui ont un indult, ne peuvent pas requérir des bénéfices réguliers, à moins que ce ne soient des bénéfices vacans par la mort des commendataires, que le collateur ou un des exécuteurs de l'indult peuvent conférer en commende aux indultaires, pourvû que ce ne soient pas des prieurés conventuels vraiment électifs, ou des offices claustraux.

Si le collateur ordinaire, ou à son refus, un des exécuteurs de l'indult, a conféré à l'indultaire séculier un bénéfice régulier qui n'a pas coutume d'être possédé en commende, l'indultaire doit obtenir du pape dans les huit mois une confirmation de la commende, & déclarer dans ses provisions qu'elle n'aura lieu que pour cette fois, autrement il y auroit nullité.

Le défaut de requisition du bénéfice vacant ne fait pas perdre à l'indultaire son droit pour les autres bénéfices qui viendront à vacquer ; mais ayant une fois requis il ne peut plus se désister, & s'il fait quelque paction avec un autre contendant, il est réputé rempli de son droit.

Les exécuteurs de l'indult nommés par la bulle de Paul III. étoient les abbés de saint Magloire, de saint Victor, & le chancelier de l'église de Paris ; mais par la bulle ampliative de Clément IX. ce sont l'abbé de saint Denis, celui de saint Germain des Prés, & le grand archidiacre de l'église de Paris.

C'est à l'un de ces exécuteurs que l'indultaire doit s'adresser en cas de refus de la part de l'ordinaire de donner des provisions.

Les exécuteurs de l'indult ont six mois pour conférer, à compter du jour du refus, attendu qu'ils conferent par la dévolution.

Les chapitres & communautés, soit séculiers ou réguliers, ne sont chargés d'indult qu'une fois seulement pendant le regne de chaque roi.

Lorsque les religieux ont le droit de conférer pendant la vacance de l'abbaye, ils peuvent être chargés d'un indult, à cause du changement de regne, sur-tout si la vacance de l'abbaye dure un tems considérable.

Les abbayes de filles, qui ont des bénéfices à leur nomination, sont sujettes à l'indult du parlement.

Les cardinaux n'y sont pas sujets, soit que l'ampliation qui en a été faite par Clément IX. n'ait été accordée qu'à cette condition, ou qu'ils prennent tous des lettres qui les en exemptent.

La promotion au cardinalat ne fait point ouverture à l'indult, à moins que le cardinal ne garde pas ses bénéfices, & qu'il n'y ait un nouveau collateur nommé, sur lequel le roi place un indult.

Quand le collateur n'a pas rempli la nomination qui lui étoit adressée, son successeur est chargé de deux nominations d'indult, une de son chef, l'autre pour son prédécesseur, laquelle doit être remplie la premiere.

Dès que le collateur a donné à l'indultaire un bénéfice de sa collation, il est censé rempli, pourvû que l'indult fût placé sur cette collation, & que le bénéfice soit de la valeur & qualité requises. Cette réplétion a lieu de plein droit, quand même le collateur & l'indultaire auroient stipulé que la collation n'étoit pas faite pour remplir l'indult.

On n'assujettit à l'indult que les collateurs qui ont dix bénéfices à leur disposition.

Les bénéfices sujets à l'indult sont ceux dont la collation appartient au collateur comme ordinaire, & non ceux qu'il confere par dévolution.

L'indult du Parlement de Paris n'a pas lieu en Artois, ni dans les trois évêchés de Metz, Toul & Verdun ; le grand-conseil juge qu'il a lieu en Bretagne, même dans les mois du pape.

On peut nommer sur un coadjuteur avec future succession, afin qu'il confere lorsqu'il sera titulaire.

Les collateurs étrangers, qui possedent des bénéfices dans le royaume, sont sujets à l'indult.

Il y a certains bénéfices qui ne sont pas sujets à l'indult, tels que les offices claustraux, la premiere dignité post pontificalem de l'église cathédrale, lorsqu'elle est à l'élection du chapitre & confirmation de l'évêque.

Le premier bénéfice qui vient à vaquer depuis la signification faite par l'indultaire, le remplit de droit, bien entendu que ce bénéfice soit de la qualité & valeur requises. Si le premier ne convient pas, la réplétion sera opérée par le second, ou, pour parler plus exactement, par le premier qui se trouve de la qualité convenable.

Si deux bénéfices sujets à l'indult, vaquent en même tems, l'indultaire doit avoir celui qui est de moindre revenu ; & s'ils sont égaux, le collateur a le choix de donner celui qu'il juge à propos, pourvû qu'il ne soit pas au-dessous de 600 livres, & que ce ne soit pas un bénéfice-cure.

Depuis la bulle d'ampliation de Clément IX. on ne peut plus obliger les indultaires d'accepter des bénéfices-cures ou à charge d'ames, ni des bénéfices au-dessous de 600 livres de revenu, au lieu de 200 livres, à quoi leur droit étoit auparavant fixé. Clément IX. leur a aussi accordé le droit de pouvoir être pourvûs en commende par les ordinaires de bénéfices réguliers.

Si l'ecclésiastique nommé par un officier du parlement décede ou abdique avant d'être pourvû, l'officier peut en nommer un autre, pourvû que cet officier soit encore titulaire.

L'officier du parlement peut nommer à la fois deux clercs, l'un séculier, l'autre régulier ; mais dès que l'un est rempli, l'autre ne peut plus requérir.

L'indultaire ne peut transmettre son droit à un autre, sans le consentement de l'officier qui l'a nommé.

Faute par l'indultaire de requérir dans les six mois, la collation faite par l'ordinaire devient irrévocable ; mais quand la réquisition est faite dans les six mois, elle annulle les provisions données au préjudice de l'indult.

La nomination à un indult ne peut pas servir de titre clérical.

La connoissance des contestations, au sujet du droit d'indult, est attribuée au grand-conseil.

Le pape peut déroger à la regle des vingt jours contre les indultaires autres que les cardinaux, ce qui opere que le bénéfice n'est pas réputé vacant par mort, quoique le titulaire décede dans les vingt jours depuis la résignation. Voyez les traités de l'indult par Pinson, Regnaudin & Cochet de Saint-Valier, & les auteurs qui traitent des matieres bénéficiales. (A)

INDULT ACTIF est le droit accordé par le pape aux cardinaux & autres collateurs, de conférer les bénéfices de leur collation, sans pouvoir être prévenus dans les six mois. Voyez ce qui en est dit au commencement de l'article précédent. (A)

INDULT EXTRAORDINAIRE est une concession faite par le pape à des cardinaux & autres ecclésiastiques, même à des princes séculiers pour nommer à des bénéfices auxquels ils n'auroient pas droit de nommer autrement, comme pour nommer dans les mois réservés au pape dans les pays où cette réserve a lieu. Voyez ci-après INDULT ORDINAIRE & INDULT DU ROI. (A)

INDULT, avec la clause liberè & licitè, est la concession faite par le pape à un collateur de pouvoir conférer pendant les six mois, sans être sujet à la prévention. Voyez ci-après INDULT ORDINAIRE. (A)

INDULT ORDINAIRE est opposé à indult extraordinaire ; c'est un indult actif accordé par le pape aux collateurs ordinaires pour conférer librement, & sans être sujets à la prévention, même dans les mois réservés au pape. On y insere ordinairement la clause de pouvoir conférer liberè & licitè. (A)

INDULT PASSIF, c'est le droit accordé par le pape à certaines personnes de pouvoir être pourvû à ce titre d'un bénéfice, ou d'y nommer en leur place une personne capable ; l'indult du parlement est de cette espece. (A)

INDULT DU PARLEMENT. Voyez ce qui en est dit dans l'article premier concernant l 'indult en général.

INDULTS DU ROI sont différentes bulles accordées au roi par les papes, en vertu desquelles il nomme à certains bénéfices.

Par exemple, c'est en vertu d'indults d'Innocent XIII. des 29 & 31 Août 1722 que le roi nomma aux bénéfices consistoriaux dans les Pays-bas françois & dans la Franche-Comté.

C'est aussi par un bref d'indult de Clément IX. qu'il nomme aux évêchés de Metz, Toul & Verdun, même à tous les bénéfices que le pape avoit droit de nommer en vertu du concordat germanique ; & par une suite du même indult, les canonicats, prébendes, dignités majeures des cathédrales, & les principales dignités des collégiales, ne peuvent être résignées dans ces trois évêchés sans la permission & l'agrément du roi.

Les indults d'Alexandre VII. & de Clément IX. lui ont encore attribué deux différens droits dans les églises de Metz, Toul & Verdun, savoir l'alternative & la réserve. En vertu de l'alternative, il pourvoit aux bénéfices qui vaquent en Janvier, Mars, Mai, Juillet, Septembre & Novembre. En vertu de la réserve, il nomme aux premieres dignités en quelque tems qu'elles vaquent. Voyez les lois ecclésiastiques, titre de la collation des bénéfices, & Drapier des matieres bénéf. tit. des indults. (A)


INDULTAIRES. m. (Jurisprud.) est celui qui a droit d'indult, tels que les officiers du parlement de Paris.

On entend aussi par indultaire celui qu'un officier du parlement, ayant droit d'indult, a nommé pour jouir de l'effet de son indult, & qui requiert un bénéfice en vertu de cet indult, ou bien qui l'a déja obtenu à ce titre.

Un indultaire, c'est-à-dire celui qui a droit d'indult, peut se nommer lui-même, s'il est clerc, ce que ne peut pas faire le patron ni le collateur.

L'indultaire peut être prévenu par le pape avant sa réquisition.

Mais les indultaires sont préférés aux gradués.

La nomination d'un indultaire sur un collateur qui a déja acquité l'indult est nulle, suivant la pauline ou bulle de Paul III.

Si l'ordinaire refuse de donner des provisions à l'indultaire, celui-ci doit s'adresser aux exécuteurs de l'indult. Voyez EXECUTEURS DE L'INDULT & INDULT. (A)


INDURATIONS. f. terme de Chirurgie, c'est une des cinq terminaisons des tumeurs humorales. Voyez APOSTEME. Quand les parties les plus subtiles de l'humeur qui forme une apostème se dissipent, les parties les plus grossieres se durcissent, & l'apostème se termine par induration ou endurcissement.

Cette terminaison n'est pas toujours désavantageuse ; car lorsqu'on n'a pû obtenir la résolution d'une inflammation intérieure, il est plus favorable qu'elle se termine par induration que de suppurer.

La cause prochaine de l'induration est l'indolence de la partie & la disposition que les humeurs ont à s'endurcir ; les apostèmes situés dans les corps glanduleux & dans le voisinage des articulations s'endurcissent aisément, parce qu'ils sont formés ordinairement par la partie blanche du sang qui est fort susceptible d'induration.

Les causes éloignées de l'induration sont l'application indue des remedes répercussifs & résolutifs. Voyez PHLEGMES.

Lorsqu'on s'apperçoit, à la dureté de la tumeur & à la diminution de la chaleur & de la douleur, que la tumeur se termine par induration, il faut avoir recours aux émolliens. Voyez SKIRRHE. (Y)


INDUSS. m. (Géog.) grand fleuve d'Asie qui donne son nom à l'Inde ; Pline dit que les habitans le nommoient Sindus, & en effet son nom moderne est le Sinde. Voyez SINDE. L'Indus, selon Ptolomée, prend sa source au mont Imaüs, à quelque distance de celle du Gange, poursuit son cours vers le midi occidental, & le Gange se porte vers le midi oriental. Pline dit que l'Indus reçoit dix-neuf rivieres, dont la plus célebre est l'Hydaspe. Arrien lui donne deux embouchures ; mais il ne parle apparemment que des deux grandes embouchures par lesquelles ce fleuve étoit navigable, car Ptolomée lui en donne sept, dont il marque les noms. (D.J.)


INDUSTRIES. f. (Métaphys.) l'industrie prise dans un sens métaphysique, est, suivant M. Quesnay, qui me fournira cet article, une faculté de l'ame, dont l'objet roule sur les productions & les opérations méchaniques ; qui sont le fruit de l'invention, & non pas simplement de l'imitation, de l'adresse & de la routine, comme dans les ouvrages ordinaires des artisans.

Quoique l'industrie soit fille de l'invention, elle differe du goût & du génie. Le sentiment exquis des beautés & des défauts dans les arts, constitue le goût. La vivacité des sentimens, la grandeur & la force de l'imagination, l'activité de la conception, font le génie. L'imagination tranquille & étendue, la pénétration aisée, la conception promte, donnent l'industrie. Ceux qui sont fort industrieux, n'ont pas toujours un goût sûr, ni un génie élevé. Je dis plus, des génies ordinaires, des génies peu propres à rechercher, à découvrir, à saisir des idées abstraites, peuvent avoir beaucoup d'industrie.

Ces trois facultés ne portent pas sur le même objet. Le goût discerne les choses qui doivent exciter des sensations agréables. Le génie, par ses productions admirables, fournit des sensations piquantes & imprévûes ; mais ces sortes de sensations, que font naître le génie ou le goût, ne sont point l'objet de l'industrie. Elle ne tend qu'à découvrir, à expliquer, à représenter les opérations méchaniques de la nature, à trouver des machines utiles, ou à en inventer de curieuses & d'intéressantes par le merveilleux qu'elles présenteront à l'esprit.

Les facultés du goût, du génie & de l'industrie exigent aussi divers genres de sciences pour en perfectionner l'exercice. Le goût se fortifie par l'habitude, par les réflexions, par l'esprit philosophique, par le commerce des gens de goût. Quoique le génie soit un pur don de la nature, il s'étend par la connoissance des sujets qu'il peut peindre, des beautés dont il peut les embellir, des caracteres, des passions qu'il veut exprimer ; tout ce qui excite le mouvement des esprits, favorise, provoque & échauffe le génie. L'industrie doit être dirigée par la science des propriétés de la matiere, des lois des mouvemens simples & composés, des facilités & des difficultés que les corps qui agissent les uns sur les autres peuvent apporter dans la communication de ces mouvemens. L'industrie est l'ouvrage d'un goût particulier décidé pour la méchanique, & quelquefois de l'étude & du tems. Presque toutes les différentes lumieres de l'industrie sont bornées à des perceptions sensibles, & aux facultés animales. (D.J.)

INDUSTRIE, (Droit polit. & Commerce) ce mot signifie deux choses, ou le simple travail des mains, ou les inventions de l'esprit en machines utiles, relativement aux arts & aux métiers ; l'industrie renferme tantôt l'une, tantôt l'autre de ces deux choses, & souvent les réunit toutes les deux.

Elle se porte à la culture des terres, aux manufactures, & aux arts ; elle fertilise tout, & répand par-tout l'abondance & la vie : comme les nations destructrices font des maux qui durent plus qu'elles, les nations industrieuses font des biens qui ne finissent pas même avec elles.

En Amérique, la terre y produit naturellement beaucoup de fruits dont on se nourrit ; si on laissoit en Europe la terre inculte, il n'y viendroit guere que des forêts, des chênes, des pins, & autres arbres stériles. Ainsi pour faire valoir la terre en Europe, il y falloit beaucoup de travaux, d'industrie, & de connoissances ; car l'on voit toujours marcher d'un pas égal les besoins, l'industrie, & les connoissances. C'est pourquoi dans les états européens, l'on doit extrêmement protéger, récompenser les laboureurs, & les hommes utilement industrieux. La raison en est évidente ; tout accroissement dans la culture, & toute industrie, multiplie les denrées, les marchandises, & attire dans l'état l'argent qui est le signe de leurs évaluations.

C'est une vérité usée qu'il est presque honteux de répéter ; mais dans certains pays, il y a des gens qui éludent les expédiens qu'on leur donne pour la faire fructifier, & sacrifient constamment les principes de cette espece, aux préjugés qui les dominent. Ils ignorent que les gênes imposées à l'industrie, la détruisent entierement ; & qu'au contraire, les efforts de l'industrie qu'on encourage, la font prospérer merveilleusement par l'émulation & le profit qui en résulte. Bien loin de mettre des impôts sur l'industrie, il faut donner des gratifications à ceux qui auront le mieux cultivé leurs champs, & aux ouvriers qui auront porté le plus loin le mérite de leurs ouvrages. Personne n'ignore combien cette pratique a réussi dans les trois royaumes de la grande Bretagne. On a établi de nos jours par cette seule voie en Irlande, une des plus importantes manufactures de toiles qui soit en Europe.

Comme la consommation des marchandises augmente par le bon marché du prix de la main-d'oeuvre, l'industrie influe sur le prix de cette main-d'oeuvre, toutes les fois qu'elle peut diminuer le travail, ou le nombre des mains employées. Tel est l'effet des moulins à eau, des moulins à vent, des métiers, & de tant d'autres machines, fruits d'une industrie précieuse. On en peut citer pour exemple les machines inventées par M. de Vaucanson, celle à mouliner les soies connue en Angleterre depuis vingt ans, les moulins à scier les planches, par lesquels sous l'inspection d'un seul homme, & le moyen d'un seul axe, on travaille dans une heure de vent favorable, jusqu'à quatre-vingt planches de trois toises de long ; les métiers de rubans à plusieurs navettes, ont encore mille avantages ; mais toutes ces choses sont si connues, qu'il est inutile de nous y étendre. M. Melon a dit très-bien, que faire avec un homme, par le secours des machines de l'industrie, ce qu'on feroit sans elles avec deux ou trois hommes, c'est doubler, ou tripler le nombre des citoyens.

Les occasions d'emploi pour les manufacturiers, ne connoissent des bornes que celles de la consommation ; la consommation n'en reçoit que du prix du travail. Donc la nation qui possédera la main-d'oeuvre au meilleur marché, & dont les négocians se contenteront du gain le plus modéré, fera le commerce le plus lucratif, toutes circonstances égales. Tel est le pouvoir de l'industrie, lors qu'en même tems les voies du commerce intérieur & extérieur sont libres. Alors elle fait ouvrir à la consommation des marchés nouveaux, & forcer même l'entrée de ceux qui lui sont fermés.

Qu'on ne vienne plus objecter contre l'utilité des inventions de l'industrie, que toute machine qui diminue la main-d'oeuvre de moitié, ôte à l'instant à la moitié des ouvriers du métier, les moyens de subsister ; que les ouvriers sans emploi deviendront plutôt des mendians à charge à l'état, que d'apprendre un autre metier ; que la consommation a des bornes ; desorte qu'en la supposant même augmentée du double, par la ressource que nous vantons tant, elle diminuera dès que l'étranger se sera procuré des machines pareilles aux nôtres ; enfin, qu'il ne restera au pays inventeur aucun avantage de ses inventions d'industrie.

Le caractere de pareilles objections est d'être dénuées de bons sens & de lumieres ; elles ressemblent à celles que les bateliers de la Tamise alléguoient contre la construction du pont de Westminster. N'ont-ils pas trouvé ces bateliers de quoi s'occuper, tandis que la construction du pont dont il s'agit, répandoit de nouvelles commodités dans la ville de Londres ? Ne vaut-il pas mieux prévenir l'industrie des autres peuples à se servir des machines, que d'attendre qu'ils nous forcent à en adopter l'usage, pour nous conserver la concurrence dans les mêmes marchés ? Le profit le plus sûr sera toûjours pour la nation qui aura été la premiere industrieuse ; & toutes choses égales, la nation dont l'industrie sera la plus libre, sera la plus industrieuse.

Nous ne voulons pas néanmoins desapprouver le soin qu'on aura dans un gouvernement de préparer avec quelque prudence l'usage des machines industrieuses, capables de faire subitement un trop grand tort dans les professions qui emploient les hommes ; cependant cette prudence même n'est nécessaire que dans l'état de gêne, premier vice qu'il faut commencer par détruire. D'ailleurs, soit découragement d'invention, soit progrès dans les arts, l'industrie semble être parvenue au point, que ses gradations sont aujourd'hui très-douces, & ses secousses violentes fort peu à craindre.

Enfin nous concluons qu'on ne sauroit trop protéger l'industrie, si l'on considere jusqu'où ses revenus peuvent se porter pour le bien commun dans tous les arts libéraux & méchaniques, témoin les avantages qu'en retirent la Peinture, la Gravûre, la Sculpture, l'Imprimerie, l'Horlogerie, l'Orfévrerie, les manufactures en fil, en laine, en soie, en or, en argent ; en un mot, tous les métiers & toutes les professions. (D.J.)


INDUTS. m. (Liturg. & Rubriq.) c'est un de ces clercs revêtus d'une aube & d'une tunique, qui assistent à la messe le diacre & le soûdiacre. Ce terme est d'usage dans l'église de Paris.


INÉBRANLABLEadj. (Gramm.) il se prend au physique & au moral ; qui ne peut être ébranlé. On dit, ce mur est inébranlable ; les vagues frappent en vain les rochers, ils demeurent inébranlables ; cet homme est inébranlable dans ses résolutions. Cette qualité est un effet de caractere ou de réflexion : le stoïcien demeureroit inébranlable au milieu des ruines du monde : si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae.


INEFFABLEadj. (Gramm.) qu'on n'entend point, dont on n'a nulle idée, dont on ne peut parler. Il se dit des attributs de Dieu, des mysteres de la Religion, des douceurs de la vie future, & de la vision béatifique. Dieu s'appelle quelquefois par emphase l'ineffable.


INEFFAÇABLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut effacer ; il se dit au physique & au moral : une tache ineffaçable ; un caractere ineffaçable. Voyez EFFACER.


INEFFECTIFvoyez EFFECTIF.


INEFFICACEvoyez EFFICACE.


INÉGALadj. (Gramm.) qui est plus grand ou plus petit qu'un autre ; il se dit au physique & au moral, des choses & des personnes.

Ces grandeurs sont inégales ; ce chemin est inégal, c'est-à-dire qu'il n'est pas plein & uni ; ils se sont battus à forces inégales.

Il est d'un caractere inégal ; le commerce des personnes inégales est très-incommode ; elles vous ramenent sans-cesse sur vous-mêmes, & l'on se tourmente à chercher en soi le motif du changement qu'on apperçoit en elles.


INÉGALITÉS. f. terme fort en usage dans l'Astronomie pour désigner plusieurs irrégularités qu'on observe dans le mouvement des planetes.

On verra dans l'article OPTIQUE, en quoi consiste l'inégalité optique du mouvement des planetes ; inégalité qu'on nomme ainsi pour la distinguer de l'inégalité réelle, le mouvement des planetes n'étant point uniforme. On trouvera aux articles LUNES, SYZYGIES, QUADRATURES, &c. les différentes inégalités du mouvement de la lune.

Le mot inégalité est principalement d'usage en parlant des mouvemens des satellites de Jupiter. On y distingue deux inégalités principales ; la premiere, qu'on a remarquée dans le mouvement des satellites, ou ce qui est la même chose, dans le retour de ces satellites à l'ombre de Jupiter dépend de l'excentricité de l'orbite de Jupiter. Elle produit une équation tantôt additive, tantôt soustractive, dont la plus grande monte à 39' 8'' pour le premier satellite, & pour les trois autres à 1h 18' 35'' ; deux h 38' 27''1/2 ; six h 10' 26''1/2. Cette premiere inégalité dépendante de l'excentricité, doit répondre à la plus grande équation du centre de Jupiter, laquelle étant de 5d 31'1/2, lorsque cette planete se trouve dans les moyennes distances, il faut nécessairement que chaque satellite parcoure dans son orbe un arc de pareille grandeur, lorsqu'il s'agit de réduire les conjonctions moyennes aux véritables.

Il y a une autre inégalité, qu'on appelle seconde inégalité ; elle est la même pour tous les satellites, & elle dépend du mouvement successif de la lumiere. Ce mouvement fait que les éclipses des satellites de Jupiter paroissent arriver plus tard lorsque Jupiter est en conjonction, que lorsqu'il est en opposition avec la terre ; parce que dans la conjonction de Jupiter la lumiere des satellites a tout le diametre de l'orbe de la terre à traverser de plus que dans l'opposition. Voyez LUMIERE.

Cette inégalité, lorsqu'elle est la plus grande qu'il est possible, a été déterminée par M. Bradley de 16' 15'' ; il est visible qu'elle est la plus grande qu'il est possible, lorsque Jupiter est en conjonction, c'est-à-dire dans la plus grande distance de la terre, & qu'elle doit être d'autant moindre, que cette planete s'approche davantage de l'opposition. Inst. astr. de M. LE MONNIER. (O)


INELÉGANTvoyez ÉLEGANT.


INÉNARRABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être raconté : S. Paul transporté au troisieme ciel, vit des choses inénarrables, qu'il n'a pu raconter.


INEPTIEINEPTE, (Gram. & Morale) c'est l'état d'une ame qui n'a d'aptitude à rien ; elle est l'effet d'une stupidité qui ne remue aucune passion ; elle est aussi l'effet des circonstances qui placent un homme de mérite dans des postes au-dessous de lui, ou seulement opposés à son génie. Les hommes communs deviennent ineptes pour avoir trop dispersé la dose bornée de sensibilité & de talens qu'ils avoient reçû de la nature ; ils ont trop essayé & trop peu persévéré ; ils finissent par n'avoir qu'une ombre d'existence. A la cour & dans la capitale, ils peuvent être encore ce qu'on appelle hommes de bonne compagnie, ou se faire des connoisseurs.


INEPUISABLEadj. (Gram.) qui ne se peut épuiser : il se dit au physique & au moral. Cet étang est inépuisable ; cet ouvrage est une mine de connoissances inépuisable ; ce mot est relatif aux fluides.


INERTIES. f. (Géom.) voyez FORCE D'INERTIE.


INESPÉRÉadj. (Gram.) qu'on n'espéroit point ; un bonheur inespéré, un coup inespéré.


INESTIMABLEadj. (Gram.) cet adjectif n'est pas l'opposé de l'adjectif simple estimable, ou qu'on estime ; inestimable, qu'on ne peut trop estimer. On dit que le Roi a dans ses gardes-meubles des richesses inestimables en Peinture, & qu'elles y périssent sous la poussiere ; il ne se dit pas des personnes.


INÉTENDU(Gram.) voyez ÉTENDU & ÉTENDUE.


INÉVIDENT(Gram.) voyez EVIDENCE & EVIDENT.


INÉVITABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut éviter ; il se dit de la mort, du destin, & de toutes ces lois générales & communes de la nature, auxquelles la force & l'industrie ne peuvent nous soustraire.

On le transporte par exagération à d'autres choses qui ne sont pas également nécessaires.


INEXACT(Gram.) voyez EXACT, EXACTITUDE.


INEXCUSABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut excuser aux yeux de l'homme qui a médité sur la foiblesse humaine ; il y a peu de fautes absolument inexcusables.


INEXORABLEadj. (Gram.) qu'on ne sauroit fléchir ; il se dit des choses & des personnes. Ma gloire inexorable à toute heure me suit, Rac. Cet inexorable est de génie. Les lois sont inexorables & sourdes ; c'est un homme dur & inexorable.


INEXPÉRIENCE(Gram.) voyez EXPERIENCE.


INEXPIABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut expier, voyez EXPIATION.


INEXPLICABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut expliquer. Voyez EXPLIQUER, EXPLICATION.


INEXPRIMABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut exprimer. Voyez EXPRIMER, EXPRESSION.


INEXPUGNABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut emporter de force ; il se dit au physique & au moral des choses & des personnes. Cette citadelle & cette femme sont inexpugnables.


INEXTINGUIBLEadj. (Gram.) qu'on ne peut éteindre. Voyez ÉTEINDRE.


INFAILLIBILISTES. m. qui défend l'infaillibilité ; nom qu'on donne aux Théologiens qui soutiennent l'infaillibilité du pape.


INFAILLIBILITÉS. f. (Théolog.) don d'être infaillible, c'est-à-dire ne pouvoir ni se tromper ni être trompé. Voyez INFAILLIBLE.

Les Théologiens catholiques conviennent tous que l'Eglise a reçû de Jesus-Christ le don d'infaillibilité lorsqu'elle est assemblée dans un concile écuménique ; & ceux qui dans ces derniers tems ont contesté cette prérogative à l'Eglise dispersée, semblent n'avoir pas assez fait attention à la promesse que Jesus-Christ a faite à son Eglise d'être avec elle, c'est-à-dire de l'assister de ses lumieres & de son esprit tous les jours jusqu'à la consommation des siecles. Les Protestans contestent à l'Eglise même assemblée son infaillibilité.

On distingue deux sortes d'infaillibilités, l'une passive, qui fait que toute la société des Fideles ne peut jamais succomber à l'erreur ; l'autre active, accordée seulement à tous les pasteurs de l'Eglise pris collectivement, & en vertu de laquelle ils décident sans pouvoir se tromper, tous les points qui concernent la foi & la morale. Les Protestans reconnoissent la premiere sorte d'infaillibilité & rejettent la seconde, sur des prétextes qu'eux-mêmes combattent tous les jours dans la pratique, puisqu'ils déferent à l'autorité de leurs synodes & consistoires.

Les Théologiens ajoutent encore que l'infaillibilité de l'Eglise s'étend aux faits dogmatiques non révélés, c'est-à-dire à l'attribution de tel ou tel sens à telle ou telle doctrine. Ce point a donné lieu à de vives disputes dans ces derniers tems au sujet du livre de Jansenius.

Les principales raisons qu'on allegue en faveur de l'infaillibilité active de l'Eglise, sont tirées 1°. des promesses de Jesus-Christ & de la doctrine des Apôtres, sur-tout de saint Paul : 2°. de l'obscurité des écritures : 3°. de l'insuffisance du jugement privé & de la difficulté de la méthode de discussion pour les simples en matiere de religion, & par conséquent de la nécessité où l'on est d'avoir un juge infaillible pour la décision des controverses.

L'infaillibilité du pape est une opinion particuliere de quelques Théologiens, rejettée par le plus grand nombre, & sur-tout par l'Eglise gallicane.


INFAILLIBLEadj. (Théolog.) qui ne peut se tromper ni être trompé. Voyez TROMPERIE, ERREUR. Ce mot est formé de la préposition in, prise privativement, & de fallo, je trompe.

On peut être infaillible ou par nature ou par privilege. Dieu seul est infaillible de la premiere maniere ; c'est une suite nécessaire de sa souveraine perfection. L'Eglise est infaillible de la seconde maniere, parce que Dieu lui en a accordé le privilege. Voyez INFAILLIBILITE.

Les Catholiques soutiennent que l'Eglise est infaillible, soit qu'elle se trouve assemblée dans un concile écuménique, soit qu'elle soit dispersée, & cela en vertu des promesses de Jesus-Christ : qui vos audit me audit ; ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem soeculi. Les Protestans au contraire, prétendent que l'Eglise, soit assemblée soit dispersée, est sujette à l'erreur.

Parmi les Catholiques, quelques Théologiens défendent cette opinion, que le pape quand il prononce ex cathedrâ, c'est-à-dire après avoir assemblé le conclave, est infaillible. Quelques-uns ont été jusqu'à prétendre que le souverain pontife, même, comme personne privée, & quand il prononçoit proprio motu, étoit infaillible. Cette doctrine n'est pas reçûe en France, où l'on pense que les jugemens des papes ne sont point infaillibles ni irréformables, à moins qu'ils ne soient appuyés du consentement de l'Eglise.

Entre ces deux sentimens, quelques-uns en ont imaginé un mitoyen ; c'est de distinguer le siége de Rome, du pontife qui l'occupe, & de soutenir que ce siége non-seulement n'a jamais erré, mais encore qu'il ne peut errer.


INFAISABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être exécuté. Voyez FAIRE, EXECUTER.


INFAMATIONS. f. (Jurisprud.) signifie ce qui emporte contre quelqu'un une note d'infamie. En matiere civile les jugemens qui condamnent à quelque aumône, & en matiere criminelle ceux qui condamnent en quelque amende, ou à une peine afflictive, emportent infamation, c'est-à-dire notent d'infamie celui qui est condamné. Voyez INFAMIE. (A)


INFAMESadj. pris subst. (Jurisprud.) quasi sine fama, sont ceux qui ont perdu la réputation d'honneur & de probité.

Tels sont ceux qui sont condamnés aux galeres ou au bannissement à tems, ou dont le bannissement n'est que d'une province, d'une ville, ou d'une jurisdiction.

Tels sont aussi ceux qui ont été condamnés à faire amende honorable, au fouet, à la fleur-de-lys, à demander pardon à genoux, au blâme, ou à une amende pécuniaire en matiere criminelle, ou à une aumône en matiere civile.

Pour que les condamnations en matiere criminelle emportent infamie, il faut qu'elles aient été prononcées par arrêt ou par sentence rendus sur recolement & confrontation, & qu'il n'y ait point eu d'appel, ou que la sentence ait été confirmée par arrêt.

Ceux qui ont encouru la mort civile sont aussi infâmes. Il y a encore d'autres personnes qui sont réputées infâmes de fait, quoiqu'elles n'aient pas encouru l'infamie de droit. Voyez ci-après, & INFAMIE.

Ceux qui sont seulement infâmes sans être morts civilement, ne perdent nila liberté ni la vie civile, & les droits de cité qui en font partie ; ils peuvent en conséquence faire tous actes entre-vifs & à cause de mort, & sont pareillement capables de succéder, & de toutes dispositions faites à leur profit, soit entrevifs ou à cause de mort.

Les infâmes ayant perdu l'honneur sont incapables de toutes fonctions de judicature & autres fonctions publiques, à moins qu'ils ne soient réhabilités par lettres du prince.

Ils ne peuvent aussi posséder aucun bénéfice.

Enfin leur témoignage est ordinairement rejetté tant en jugement que dehors ; ou si par défaut d'autres preuves, ou quelques autres circonstances, on est forcé de l'admettre, on y a peu d'égard ; il dépend de la prudence du juge de déterminer le degré de foi que l'on peut y ajouter. Voyez ci-après INFAMIE. (A)


INFAMIES. f. (Jurisprud.) est la perte de l'honneur & de la réputation. On distingue deux sortes d'infamie, celle de fait & celle de droit.

L'infamie de fait est celle qui provient d'une action deshonorante par elle-même, & qui dans l'opinion de tous les gens d'honneur, perd de réputation celui qui en est l'auteur, quoiqu'il n'y ait aucune loi qui y ait attaché la peine d'infamie.

Cette infamie de fait est encourue par ceux qui sont notoirement usuriers publics, ou qui menent une vie scandaleuse & infâme.

Ceux qui ayant été accusés d'un crime grave, n'ont été renvoyés qu'avec un plus amplement informé, ou un hors de cour, ne sont pas véritablement infâmes ; mais ils demeurent toujours notés jusqu'à ce qu'ils aient été déchargés de l'accusation, & cette note emporte une espece d'infamie de fait.

Suivant le droit romain, le témoignage de ceux qui étoient infâmes de fait n'étoit point reçû en justice ; parmi nous ils peuvent être dénonciateurs & témoins ; mais c'est au juge à donner plus ou moins de foi à leurs déclarations ou dépositions, selon qu'ils sont suspects.

Ceux qui sont infâmes de fait ne peuvent être reçus dans aucun office de judicature, ni dans aucune autre place honorable.

L'infamie de droit est celle qui provient da la condamnation pour crime, lorsque la condamnation emporte mort naturelle ou civile, ou lorsque l'accusé est condamné aux galeres ou au bannissement à tems, ou d'un certain lieu seulement, ou à faire amende honorable, au fouet, à la fleur-de-lys, à demander pardon à genoux, au blâme, ou à une amende pécuniaire en matiere criminelle, ou à une aumône en matiere civile.

Ces sortes de condamnations excluent ceux contre qui elles ont été prononcées, de toutes dignités & charges publiques, c'est pourquoi Livius Salinator étant censeur, nota d'ignominie toutes les tribus du peuple romain, parce qu'après l'avoir condamné par jugement public, elles l'avoient fait consul, & ensuite censeur ; il n'excepta que la tribu Metia, qui ne l'avoit point ni condamné, ni élevé à la magistrature.

L'interdiction perpétuelle d'une fonction publique rend aussi incapable de toute autre place honorable.

Le decret d'ajournement personnel ou de prise de corps, emporte aussi interdiction contre l'officier public, & conséquemment une exclusion de toute autre place honorable ; mais cette interdiction & exclusion cesse lorsque l'accusé obtient un jugement d'absolution, ou qu'il est seulement condamné à une peine légere & non infamante.

Le témoignage de ceux qui ont encouru l'infamie de droit est rejetté, excepté pour le crime de leze-majesté, où l'on reçoit la dénonciation & le témoignage de toutes sortes de personnes.

On reçoit même quelquefois la déposition des infâmes de droit, au sujet de crimes ordinaires ; mais le juge n'y a d'égard qu'autant qu'il convient.

Il y avoit certaines actions chez les Romains qui étoient infamantes, telles que celles du vol, de la rapine, de l'injure & du dol, tellement que ceux qui avoient transigé sur une telle action, acceptâ pecuniâ, étoient réputés infâmes ; il y avoit même quatre actions, qui quoique procédantes de contrats & quasi-contrats, étoient infamantes, du-moins quant à l'action directe.

En France les actions, ni les transactions pour cause de délit, ne sont jamais infamantes ; il n'y a que les condamnations pour crimes & délits, tendantes à quelque peine corporelle ou ignominieuse, qui emportent infamie de droit. Voyez au code, le tit. ex quibus causis infamia irrogatur, & ci-devant INFAMES. (A)


INFANTadj. qui se prend aussi subst. (Hist. mod.) titre d'honneur qu'on donne aux enfans de quelques princes, comme en Espagne & en Portugal. Voyez PRINCE, FILS.

On dit ordinairement que ce titre s'est introduit en Espagne à l'occasion du mariage d'Eléonor d'Angleterre, avec Ferdinand II. roi de Castille, & que ce prince le donna pour la premiere fois au prince Sanche son fils, mais Pélage évêque d'Oviédo, qui vivoit l'an 1100, nous apprend dans une de ses lettres, que dès le regne d'Evremond II. le titre d'infant & d'infante étoit déja usité en Espagne. Dict. de Trévoux.


INFANTADO(Géog.) contrée d'Espagne avec titre de duché ; elle est composée des villes d'Algozer, Salmeron, Valdéolivas ; & de plusieurs bourgades. Cette contrée fut nommée Infantado, parce que plusieurs enfans fils de rois l'avoient possédée. Ferdinand & Dona Isabella l'érigerent en duché le 21 Juillet 1475, pour récompenser les services de don Diégo Hurtado. (D.J.)


INFANTERIES. f. (Art milit.) c'est dans les armées les troupes qui combattent à pié, & qu'on nomme aussi fantassins & piétons.

L'infanterie fait la partie la plus importante & la plus considérable des armées en Europe. Elle combat dans toutes sortes de terreins ; elle seule défend & prend les villes ; dans les batailles elle n'est pas moins utile que la cavalerie, qui agit seulement dans les endroits ouverts & spacieux. La rase-campagne, dit Vegece, est propre pour la cavalerie ; les villes, les plaines & les lieux escarpés sont propres pour l'infanterie.

Quelqu'utile que soit l'infanterie dans toutes les actions de la guerre, nous ne mettrons point en question si une armée doit être composée seulement d'infanterie ou de cavalerie. Les armées doivent être par-tout en état de combattre ; il suit de-là qu'elles ont besoin des deux especes de troupes nécessaires à cet effet.

Une armée qui n'auroit que de l'infanterie ou de la cavalerie, se trouveroit privée de l'avantage qui résulte du concours de ces différentes troupes. Si dans un pays de bois & de montagnes, la premiere est plus utile que la cavalerie, cette derniere a aussi quelqu'avantage en plaine ; car quoiqu'il soit possible de gagner des batailles en terrein uni avec de l'infanterie, comme on l'a vû du tems des Romains, & du tems que les piques étoient en usage, la victoire ne sauroit être complete à cause de la facilité que la cavalerie a de s'éloigner de l'infanterie. C'est ce que Xénophon observe dans la fameuse retraite des dix mille : comme l'armée des Grecs n'avoit point de cavalerie, elle ne pouvoit, dit cet auteur, rien gagner dans la victoire, & elle perdoit tout dans une défaite.

La cavalerie est encore très-utile pour soutenir l'infanterie. Si l'on suppose qu'une ligne d'infanterie, derriere laquelle est une ligne de cavalerie, soit battue ou poussée, la cavalerie peut, en tombant sur les troupes victorieuses, que la charge ne peut manquer d'avoir dérangé, leur en imposer, si elle ne peut les rompre & arrêter leur poursuite. Il en est de même d'une ligne de cavalerie soutenue par de l'infanterie : c'est ainsi qu'on fortifie une arme par l'autre ; mais on ne le fait point lorsqu'on partage la cavalerie également aux aîles, & qu'on met l'infanterie au centre. Voyez ARMEE & ORDRE DE BATAILLE.

Il ne faut pas s'épuiser en longs raisonnemens pour démontrer l'utilité de la cavalerie dans les armées ; un peu d'attention & de réflexion sur les différentes actions de la guerre suffit pour s'en convaincre ; mais on ne doit pas conclure de-là, qu'on ne sauroit la rendre trop nombreuse. Ce n'est pas son usage que M. le chevalier de Folard a blâmé dans plusieurs endroits de son commentaire sur Polybe, mais l'abus du trop grand nombre. La cavalerie est fort couteuse ; la dépense de mille hommes à cheval, dit M. le marquis de Santacrux, suffit pour payer 2500 hommes à pié. Cette dépense n'est pas le seul inconvénient qui résulte d'une trop grande quantité de cavalerie. Elle ne peut se maintenir long tems dans un camp qu'il conviendroit quelquefois de conserver, à cause de la disette & de la difficulté des fourrages ; d'ailleurs l'armée ne peut s'éloigner des rivieres, on en a besoin pour les chevaux ; & quand on défend un camp retranché, il peut résulter de grands inconvéniens d'avoir trop de cavalerie & peu d'infanterie. Il faut donc qu'il y ait une juste proportion entre l'infanterie & la cavalerie. Ce qui peut servir à la déterminer, c'est l'examen des différentes actions propres à chacun de ces corps, les secours mutuels qu'ils doivent se procurer, la nature du pays où l'on doit faire la guerre, & l'espece d'ennemis que l'on a à combattre.

Chez les Grecs, qu'on peut regarder comme les premiers inventeurs de la science militaire, la cavalerie, suivant les Tacticiens, étoit la sixieme partie de l'infanterie, c'est-à-dire qu'elle étoit à l'infanterie comme 1 est à 6. La phalange étoit composée de 16384 hommes pesamment armés, & de 8192 hommes de troupes légeres. Ces deux nombres font ensemble 24576 hommes. La cavalerie étoit de 4096 hommes ; ce qui fait voir qu'elle étoit la sixieme partie du nombre précédent, & par consequent la septieme partie de celui de l'armée. Chez les Romains le rapport de l'infanterie à la cavalerie étoit beaucoup plus petit, il étoit à peu près comme 1 est à 20, ou comme 3 est à 50. Ce rapport n'étoit pas suffisant ; aussi les Romains se trouverent-ils souvent dans des circonstances fâcheuses pour l'avoir adopté.

Quoique le rapport de la cavalerie à l'infanterie fût établi de 1 à 6 par les Tacticiens grecs, les généraux ne s'y bornoient pas toujours ; ils le varioient suivant les occasions. " Dans l'armée que les officiers grecs formerent pour le service du roi d'Egypte, il n'y avoit pas plus de 5000 hommes de cavalerie pour 70000 hommes d'infanterie. Le dernier Philippe fit la guerre au proconsul Flamininus avec 2000 cavaliers joints à la phalange ; la Thessalie, dont on fit le théatre de la guerre, étoit un pays montagneux, où une cavalerie plus nombreuse auroit été inutile. On remarque mieux cette proportion dans l'armée d'Alexandre le grand ; il marcha en Asie avec 30000 hommes d'infanterie & 5000 de cavalerie. Note de M. Guischardt sur la Tactique d'Arrien.

Les Romains qui dans les tems brillans de la république, avoient peu de cavalerie & beaucoup d'infanterie, n'eurent presque plus que de la cavalerie quand ils furent dans leur décadence, ce qui fournit cette réflexion à M. le président de Montesquieu, " que plus une nation se rend savante dans l'art militaire, plus elle agit par son infanterie ; & que moins elle le connoît, plus elle multiplie sa cavalerie. C'est que, ajoute cet illustre auteur, sans la discipline, l'infanterie pesante ou légere n'est rien, au lieu que la cavalerie va toujours dans son desordre même. L'action de celle-ci consiste plus dans son impétuosité & un certain choc ; celle de l'autre dans sa résistance & une certaine immobilité ; c'est plutôt une réaction qu'une action. Enfin la force de la cavalerie est momentanée ; l'infanterie agit plus long-tems ; mais il faut de la discipline pour qu'elle puisse agir long-tems. Grandeur des Romains, &c. chap. xviij.

C'est en effet la bonne discipline qui peut rendre à l'infanterie son ancienne supériorité sur la cavalerie, & peut être le renouvellement des piques. Les Grecs ne négligoient rien pour exercer leur infanterie ; mais ils se soucioient fort peu du maniment de la pique ; c'étoit les évolutions qu'on enseignoit aux troupes, comme la chose la plus essentielle, dit un auteur que nous avons cité dans cet article ; & M. le maréchal de Saxe est, dit-il, entré dans l'esprit des anciens, quand il met le secret de l'exercice dans les jambes & non dans les bras.

Le rapport de la cavalerie à l'infanterie, qui paroît être le plus communément suivi aujourd'hui dans les armées, est à peu-près celui d'1 à 2, ou de 2 à 5 ; ensorte que la cavalerie est environ le tiers ou les deux septiemes de l'armée. Ce rapport s'accorde assez exactement avec celui que M. le maréchal de Saxe établit dans ses rêveries ou mémoires sur la guerre. Mais cet illustre général distingue la cavalerie en deux especes ; savoir, en grosse cavalerie & en dragons. " De la premiere qui, dit-il, est la véritable, il en faut peu, parce qu'elle coute beaucoup ". Il estime que quarante escadrons de cette cavalerie sont suffisans pour une armée de quarante à cinquante mille hommes ; mais qu'à l'égard des dragons il en faut au moins le double.

Ces quarante escadrons à 150 hommes chacun, font 6000 hommes ; si on leur ajoute le double de dragons, c'est-à-dire douze mille, on aura 18000 hommes pour la cavalerie de l'armée dont il s'agit. Cette armée étant supposée de quarante à cinquante mille hommes, on peut par conséquent la regarder comme de quarante-cinq mille ; dans cette supposition dix-huit mille est les deux cinquiemes. On voit par-là que M. le maréchal de Saxe met à peu-près les deux septiemes de l'armée en cavalerie & dragons. C'est le double de la cavalerie des Grecs.

M. le marquis de Santacrux ne demande point une cavalerie aussi nombreuse. Il prétend que si le pays où l'on fait la guerre est un pays de plaines, il suffit que la cavalerie, en y comprenant les dragons, soit la quatrieme ou la cinquieme partie de l'armée ; que si l'armée doit agir dans un pays de montagnes, entrecoupé de bois & de ravins, la cavalerie peut être réduite à la sixieme partie de l'armée. Ce sentiment paroît mériter d'autant plus d'attention que cet illustre auteur, en diminuant le grand nombre de cavalerie qu'on emploie actuellement dans les armées, se rapproche davantage de l'usage des Grecs, qu'on ne peut se dispenser de regarder comme nos maîtres dans l'art militaire.

A l'égard des différentes manieres dont on a formé l'infanterie, & des différens corps dont on l'a composé, voyez PHALANGE, LEGION, COHORTE, MANIPULE, REGIMENT, BATAILLON, BRIGADE, COMPAGNIE, &c.


INFANTICIDES. m. (Jurisprud.) est le crime de celui ou celle qui procure la mort à son enfant.

Tout homme qui tue en général méritant la mort, à plus forte raison celui qui tue son enfant, une telle action faisant frémir la nature.

Les femmes & filles qui font périr leur fruit durant leur grossesse par l'avortement, soit par des breuvages & autres mauvaises voies, commettent aussi-bien un infanticide, que celles qui font périr leurs enfans par le fer ou autrement après leur accouchement.

La loi de Moïse distinguoit ; si l'enfant dont la femme se faisoit avorter, étoit formé, ou vivant & animé, elle étoit punie de mort ; s'il n'étoit point encore animé, la loi ne prononçoit point de peine contr'elle.

Les Romains faisoient une autre distinction entre celles qui défaisoient leur fruit, étant corrompues par argent, & celles qui le commettoient par haine & aversion contre leur mari, ou par quelque autre motif de passion ; au premier cas on les condamnoit à mort. En effet Ciceron dans l'oraison pro Cluentio, fait mention d'une femme milésienne qui fut punie du dernier supplice pour avoir, après le décès de son mari, fait périr l'enfant dont elle étoit enceinte, moyennant une somme d'argent qui lui avoit été donnée par les héritiers que son mari avoit substitués à ce posthume ; au second cas elles étoient seulement bannies pour un certain tems, suivant les rescrits des empereurs.

La religion chrétienne plus pure que les lois des Juifs & des Romains, tient pour homicide celle qui détruit son fruit avant qu'il soit vivant, aussi-bien que celle qui le détruit après lui avoir donné la naissance ; il semble néanmoins que dans ce dernier cas le crime soit plus grand, parce que l'enfant est privé du baptême.

Un ancien arrêt du 22 Décembre 1480, condamna une femme qui avoit suffoqué ou autrement tué son enfant, à être brulée vive.

La peine n'est pourtant pas si rigoureuse suivant l'édit d'Henri II. de l'année 1556, donné contre les filles & femmes qui celent leur grossesse & leur enfantement ; cet édit veut que celles qui se trouveront dans ce cas sans en avoir pris témoignage suffisant, même de la vie & de la mort de leur enfant lors de l'issue de leur ventre, & l'enfant ayant été privé du baptême & de la sépulture publique & accoutumée, elles soient tenues pour avoir homicidé leur enfant, & pour réparation publique, punies de mort & du dernier supplice, de telle rigueur que la qualité particuliere du cas le méritera.

On renouvelle de tems en tems la publication de cet édit, & depuis il y a eu plusieurs exemples de femmes pendues pour avoir tué leurs enfans. Voyez ENFANT & EXPOSITION D'ENFANT, PPRESSION DE PARTPART. (A)


INFATIGABLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut lasser. Voyez FATIGUE.


INFATUERinfatuare, (Hist. nat.) préoccuper, prévenir tellement quelqu'un en faveur d'une personne ou d'une chose qui ne le mérite pas, qu'on ait de la peine à l'en désabuser.

Ce mot vient du latin infatuare, qui signifie rendre fol, mettre une personne hors de son bon sens. Ce verbe vient de fatuus fol, dérivé du verbe fari, qui est tiré du grec , d'où vient , qui signifie la même chose que vates en latin, & devin en françois ; à cause que les devins étoient saisis d'une espece de fureur ou de folie, quand ils alloient prononcer leurs prédictions & leurs oracles. Voyez PROPHETIES & ENTHOUSIASME.

Les Romains appelloient infatués, infatuati, ceux qui croyoient avoir des visions, qui s'imaginoient avoir vû le dieu Faune, qu'ils appelloient Fatuos. Voyez FATUAIRES. Diction. de Trévoux.


INFECONDVoyez FECOND & FECONDITE.

(Hist. litt.) c'est le nom que prit une société littéraire qui s'établit à Rome en 1650. Ils eurent pour devise un terrein couvert de neige avec cette inscription, germinabit.


INFECTINFECTER, (Gramm.) ces mots viennent du latin inficere, imprégner, teindre ; & nous les avons transportés de la couleur aux odeurs. Un lieu, un air, un corps sont infects, lorsqu'ils offensent l'odorat par une forte odeur de putréfaction.

Infect ne se prend qu'au physique. Infecter se prend encore au moral. L'hérésie a infecté cette province. L'air du monde est infecté, & il faut y être fait pour n'en être pas corrompu.


INFÉODATIONS. f. (Jurisprud.) est l'action de mettre en fief une chose qui ne l'étoit pas.

On entend aussi par inféodation l'acte par lequel le seigneur dominant a donné à quelqu'un un héritage, ou autre immeuble, à la charge de le tenir de lui en fief.

L'usage des inféodations est, comme on le conçoit, aussi ancien que l'établissement des fiefs, si ce n'est qu'on veuille dire que les grandes seigneuries qui ont formé les premiers fiefs, furent établies sans acte d'inféodation ; & que les ducs & les comtes, & autres grands officiers de la couronne, profitant de la confusion où étoit le royaume vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, se rendirent eux-mêmes propriétaires des offices & terres dont ils n'avoient auparavant que l'administration, sans en avoir aucun acte de concession du souverain.

Mais lorsque les choses rentrerent un peu dans l'ordre, nos rois obligerent ces seigneurs à leur faire la foi & hommage, & donner aveu & dénombrement des terres qu'ils tenoient d'eux ; & ce furent là les premieres inféodations.

A peu près dans le même tems, les ducs & les comtes, & autres grands seigneurs qui tenoient leurs terres directement du roi, voulant avoir aussi des vassaux, firent des sous-inféodations d'une partie de leurs terres.

On inféoda alors non-seulement les héritages & droits réels, mais aussi les offices.

Il ne subsiste guere de ces premiers actes d'inféodation ; au défaut du titre primitif, il suffit de rapporter des actes déclaratifs.

Dans la suite des tems les seigneurs ont encore fait d'autres inféodations, & leurs vassaux ont aussi fait des sous-inféodations ; les uns & les autres en font encore quand bon leur semble.

Ces inféodations & sous inféodations sont un contrat synallagmatique entre le seigneur dominant & le vassal, auquel l'un ne peut rien changer sans le consentement de l'autre.

Le seigneur dominant du vassal qui a sous-inféodé, ne peut empêcher ce jeu de fief, pourvû qu'il n'excede pas ce dont il est permis de se jouer suivant la coutume.

S'il inféode la sous-inféodation, alors le vassal ne lui reporte plus que la mouvance qu'il a sur l'arriere-vassal ; s'il ne l'inféode pas, le vassal doit lui reporter tous les domaines comme auparavant, & en cas d'ouverture du fief du vassal, le seigneur dominant exerce ses droits sur l'arriere-fief, comme s'il n'y avoit pas eu de sous-inféodation. Voyez FIEF & JEU DE FIEF. (A)

INFEODATION, s. f. (Jurisprud.) se prend aussi pour la mise en possession du fief que le nouveau vassal acquiert de la part du seigneur dominant, par la réception que celui-ci fait de son vassal en foi & hommage.

L'inféodation prise en ce sens, est pour les fiefs ce que l'ensaisinement est pour les rotures.

La foi & hommage faite en l'absence ou au refus du seigneur, tient lieu d'inféodation, de même que la souffrance accordée au vassal.

La réception par main souveraine a aussi le même effet.

L'année du retrait lignager ne court à l'égard des fiefs, que du jour de l'inféodation. (A)

Inféodation des rentes, charges ou hypotheques, est encore une reconnoissance que le seigneur dominant fait des rentes, charges, & hypotheques, que le vassal a imposé sur son fief.

Cette inféodation est expresse ou tacite.

L'inféodation expresse se fait lorsque le seigneur dominant déclare par un acte formel qu'il approuve le bail à cens ou à rente qui a été fait des héritages tenu de lui en fief, & qu'il reçoit le vassal à foi & hommage pour le cens ou la rente.

Elle est encore expresse lorsque le seigneur a reçu un dénombrement dans lequel le vassal a énoncé le cens ou la rente, ou bien lorsque le seigneur a reçu le quint ou le relief pour le cens ou la rente, ou fait quelqu'autre acte d'investiture.

Si les officiers du seigneur avoient reçu le dénombrement sans le consentement du seigneur, cela ne pourroit pas lui préjudicier ; mais le seigneur doit faire réformer le dénombrement.

L'inféodation tacite est celle qui se fait lorsque le vassal a employé dans son dénombrement le cens ou la rente, avec les héritages qui en sont chargés, & les noms des détenteurs d'iceux, & que le seigneur a reçu le dénombrement dans cette forme sans le blâmer.

Quand le cens ou la rente est inféodé, le vassal fait la foi & hommage pour le domaine qu'il a donné à cens ou à rente, mais seulement pour le cens ou la rente pour lesquels il paye les droits ; & il ne reporte dans son aveu que le cens ou la rente au lieu du domaine.

Lorsque le seigneur dominant jouit du fief de son vassal, soit par droit de saisie féodale, ou pour son relief, il est obligé d'acquiter les charges qu'il a inféodées, au lieu qu'il n'est pas tenu de celles qui ne sont pas inféodées. Voyez les articles 28 & 59 de la Coutume de Paris. (A)


INFÉODERv. act. (Jurisprud.) c'est donner en fief, ou recevoir en foi & hommage, ou reconnoître une rente, ou autre charge imposée par le vassal sur le fief. Voyez INFEODATION.


INFÉRERverb. act. (Logique) c'est conclure, c'est tirer des conclusions d'un raisonnement. Cette faculté intellectuelle consiste dans la perception de la liaison qui se trouve entre les idées moyennes, dans chaque degré de la déduction d'un raisonnement. L'esprit par-là vient à découvrir la convenance, ou la disconvenance certaine de deux idées ; ou bien il vient à voir simplement leur connexion probable.

Inférer, n'est donc autre chose que déduire une proposition comme véritable, en vertu d'une proposition qu'on a déja donnée comme véritable. Par exemple, supposons avec Locke qu'on avance cette proposition, " les hommes seront punis, ou récompensés dans l'autre monde " ; & que de-là on veuille en inférer, donc les hommes peuvent se déterminer eux-mêmes dans leurs actions. La question est de savoir si l'esprit a bien ou mal fait cette inférence ; s'il la faite en trouvant des idées moyennes, & en considérant leur connexion dans leur véritable ordre, il a tiré une juste conséquence ; s'il l'a faite sans une telle vûe, loin d'avoir tiré une conséquence fondée en raison, il a montré seulement le desir qu'il avoit qu'elle le fût, ou qu'on la reçut en cette qualité.

L'acte d'inférer est un des plus beaux apanages de la faculté raisonnable, quand elle tire des conséquences par la seule perception de la connexion des idées ; mais l'esprit est si fort porté à tirer des conséquences, soit par le violent desir qu'il a d'étendre ses lumieres, ou par le grand penchant qui l'entraîne à favoriser les sentimens qu'il a une fois adoptés, que d'ordinaire il se hâte d'inférer avant que d'avoir apperçu la connexion des idées qui doivent lier ensemble les deux extrêmes. (D.J.)


INFERIAES. f. pl. (Littérat.) mot latin consacré, qu'on ne peut rendre en françois que par une longue périphrase.

Les inféries étoient des sacrifices ou offrandes que les anciens faisoient pour les morts, sur leurs tombeaux.

A la coutume barbare d'immoler en sacrifice des prisonniers de guerre sur la tombe des grands capitaines, comme fit Achille sur celle de Patrocle, succéda l'usage chez les Romains, de faire battre des gladiateurs autour du bucher en l'honneur du défunt, & ces victimes humaines se nommoient inferiae.

On appelloit du même nom le sacrifice des animaux pour les morts. On égorgeoit une bête noire, on répandoit son sang sur la tombe ; on y versoit des coupes de vin & de lait chaud ; on y jettoit des fleurs de pavots rouges ; on finissoit cette cérémonie par saluer & par invoquer les mânes du défunt. Voyez Servius sur Virgile.

Enfin, si l'on ne répandoit que du vin sur la tombe, le vin destiné à cet usage s'appelloit aussi inferium vinum. (D.J.)


INFÉRIEUR(Gramm.) est opposé à supérieur. Voyez SUPERIEUR.


INFÉRIEUREMER, (Géog.) inferum mare. Les Romains voyant l'Italie entourée de la mer, excepté du côté des Alpes, distinguerent cette mer par rapport à leur pays, en supérieure & en inférieure ; ils appellerent inferum mare celle qui bat les côtes occidentales de leur presqu'île, & superum mare, celle qui en lave l'autre côté. La mer inférieure s'étendoit depuis la mer Ligustique, c'est-à-dire depuis la côte de Gènes jusqu'à la Sicile ; c'est la même mer que quelques grecs appelloient méridionale, & tyrrhénienne.

Cette distinction en a produit une autre, que les Latins ont employée pour les arbres qui croissoient sur les montagnes de l'Apennin ; car comme cette chaîne de montagnes partage l'Italie en deux du nord au sud, desorte qu'un des côtés de l'Apennin envoie ses rivieres dans la mer supérieure, & l'autre les siennes dans la mer inférieure, & qu'en même tems il porte du bois à bâtir ; ils ont distingué les arbres qui croissent du côté de la mer Adriatique, par le nom de supernas, & ceux qui croissent du côté de la mer de Toscane, par le nom d'infernas. Pline, lib. XVI. cap. xix. dit que le sapin de ce dernier côté étoit préféré à celui de l'autre côté ; Romae infernas abies supernati praefertur. Vitruve, lib. II. cap. x. emploie la même expression, & dit : infernates quae ex apricis locis adportantur, meliores sunt quàm quae ab opacis de supernatibus advehuntur. (D.J.)


INFERIUMS. m. (Hist. anc.) libation d'un peu de vin que les Romains faisoient à Jupiter, lorsqu'ils perçoient un tonneau de vin ; alors ils prononçoient ces mots, mactus hoc vino inferio esto. Cette espece de sacrifice étoit d'obligation. Le vin étoit sujet à confiscation, si l'on étoit convaincu d'y avoir manqué. On s'approprioit l'usage du tout par la goutte qu'on offroit aux dieux.


INFERNALEPIERRE, Voyez sous le mot PIERRE.


INFERNAUXsub. m. pl. (Théolog.) est le nom que l'on donna dans le xvj. siecle aux partisans de Nicolas Gallus, & de Jacques Smidelin, qui soutenoient que J. C. descendit dans le lieu où les damnés souffrent, & y fut tourmenté avec ces malheureux. Gautier, chron. sec. xvj. 195.


INFESTERv. act. (Gramm.) c'est incommoder, tourmenter, ravager. Cette forêt est infestée de voleurs. Les ennemis infesterent la frontiere. Les mers sont infestées de pyrates.


INFESTUCATIONS. f. (Jurisprud.) c'est une tradition & mise en possession d'un fond, qui se faisoit par le vendeur en faveur de l'acheteur, en remettant à ce dernier en signe de tradition, un petit bâton, ou même une branche d'arbre appellée festuca. Voyez le Gloss. de Ducange, au mot festuca & infestucare, & ci-après TRADITION.


INFIBULATIONS. f. (Chirurgie) opération de Chirurgie, que les anciens pratiquoient sur les jeunes hommes, pour les empêcher d'avoir commerce avec les femmes. Voyez FIBULA.


INFIDELEadj. (Théolog.) se dit de ceux qui ne sont pas baptisés, & qui ne croyent point les vérités de la religion chrétienne. C'est en ce sens qu'on appelle les idolâtres & les mahométans infideles.

C'est le baptême qui distingue un hérétique d'un infidele. Celui-ci ne connoît souvent pas même les dogmes de la foi. L'autre les altere ou les combat.

Les Théologiens distinguent deux sortes d'infideles. Les infideles négatifs & les infideles positifs. Par infideles négatifs ils entendent ceux qui n'ont jamais entendu ni refusé d'entendre la prédication de l'évangile : & par infideles positifs ceux qui ont refusé d'entendre la prédication de l'évangile, ou qui l'ayant entendue ont fermé les yeux à sa lumiere.


INFIDÉLIT(Théolog.) en tant qu'elle est un vice opposé à la foi, est en général un défaut de foi ; en ce sens quiconque n'a pas la foi, est dans l'infidélité.

L'infidélité proprement dite est un défaut de foi dans ceux qui n'ont jamais fait profession des vérités chrétiennes.

On distingue deux sortes d'infidélité. L'une positive, l'autre négative. La premiere est un défaut de foi dans ceux qui ayant entendu parler de Jesus-Christ & de sa religion, ont refusé de s'y soumettre. La seconde est un défaut de foi dans ceux qui n'ont ni connu ni pu connoître Jésus-Christ & sa loi. La premiere est un péché très-grave. L'autre est un malheur, mais non pas un crime, parce qu'elle est fondée sur une ignorance invincible qui, selon tous les Théologiens, excuse de péché.

INFIDELITE, s. f. (Gram. & Morale.) Ce mot se prend encore pour l'infraction du serment que des époux ou des amans se sont fait, de ne pas chercher le bonheur, l'homme entre les bras d'une autre femme, la femme dans les embrassemens d'un autre homme. Les loix divines & humaines blâment les époux infideles ; mais l'inconstance de la nature, & la maniere dont on se marie parmi nous, semblent un peu les excuser. Qui est-ce qui se choisit sa femme ? Qui est-ce qui se choisit son époux ? Moins il y a eu de consentement, de liberté, de choix dans un engagement, plus il est difficile d'en remplir les conditions, & moins on est coupable aux yeux de la raison d'y manquer. C'est sous ce coup d'oeil que je hais plus les amans que les époux infideles. Et qui est-ce qui les a forcés de se prendre ? Pourquoi se sont-ils fait des sermens ? La femme infidele me paroît plus coupable que l'homme infidele. Il a fallu qu'elle foulât aux pieds tout ce qu'il y a de plus sacré pour elle dans la société : mais on dira, plus son sacrifice est grand, moins son action est libre, & je répondrai qu'il n'y a point de crime qu'on n'excusât ainsi. Quoiqu'il en soit, le commerce de deux infideles est un tissu de mensonges, de fourberies, de parjures, de trahisons, qui me déplaît : que les limites entre lesquels il resserre les caresses qu'un homme peut faire à une femme, sont bornées ! que les momens doux qu'ils ont à passer ensemble sont courts ! que leurs discours sont froids ! Ils ne s'aiment point ; ils ne se croient point ; peut-être même ils se méprisent. Dispensez les amans de la fidélité, & vous n'aurez que des libertins. Nous ne sommes plus dans l'état de nature sauvage, où toutes les femmes étoient à tous les hommes, & tous les hommes à toutes les femmes. Nos facultés se sont perfectionnées ; nous sentons avec plus de délicatesse ; nous avons des idées de justice & d'injustice plus développées ; la voix de la conscience s'est éveillée ; nous avons institué entre nous une infinité de pactes différens ; je ne sais quoi de saint & de religieux s'est mêlé à tous nos engagemens ; anéantirons-nous les distinctions que les siecles ont fait naître, & ramenerons-nous l'homme à la stupidité de l'innocence premiere, pour l'abandonner sans remords à la variété de ses impulsions ? les hommes produisent aujourd'hui des hommes ; regretterons-nous les tems barbares où ils ne produisoient que des animaux ?


INFILTRATIONS. f. terme de Chirurgie nouvellement en usage pour exprimer l'insinuation de quelques fluides dans le tissu cellulaire des parties solides. L'infiltration differe de l'épanchement en ce que les liquides extravasés abreuvent pour ainsi dire & imbibent les tissus cellulaires dans l'infiltration, & que dans l'épanchement ces mêmes fluides font une masse, & sont en congestion dans un foyer causé par la rupture ou l'écartement des parties solides. L'anasarque est une hydropisie par infiltration. L'anevrisme faux est accompagné d'une infiltration de sang, &c.

Il se forme ordinairement une oedématie pâteuse sur la fin des inflammations qui se sont terminées par suppuration ; cette infiltration qui vient de l'inertie du tissu cellulaire, est un signe indicatif d'un abscès caché & profond. L'infiltration oedémateuse est quelquefois l'effet de la contraction des membranes cellulaires du tissu adipeux dans le cas où l'inflammation occupe des parties membraneuses au voisinage de ce tissu. On voit cette bouffissure assez fréquemment aux érésypeles de la face. La bouffissure peut se manifester dans des parties éloignées du siége de la maladie. Telle est par exemple l'enflure des mains dans les suppurations de poitrine. On l'attribue à la gêne que le sang trouve à son retour par la compression des matieres épanchées. La circulation devenue plus lente, les sucs lymphatiques s'infiltrent dans les cellules du tissu adipeux.

L'infiltration ne peut se guérir que par la cessation des causes qui l'ont produite & qui l'entretiennent, ce qui soumet la matiere infiltrée à l'effet des remedes résolutifs extérieurs, dont l'action peut être utilement favorisée par l'usage des médicamens intérieurs capables de procurer des évacuations par les urines, par les selles & par les sueurs. Si ces moyens sont inefficaces, la chirurgie opératoire fera ce à quoi la médicale n'a pas suffi, en procurant par des mouchetures le dégorgement des cellules infiltrées. Voyez MOUCHETURES. Quand la bouffissure sera le symptome d'un abscès, c'est par l'incision qu'on en fera, & par la parfaite évacuation du pus, qu'on parviendra à guérir l'infiltration.

Les brides que forment les cicatrices profondes à la suite de certaines plaies, principalement de celles qui ont pour cause les armes à feu, laissent des engorgemens pâteux qui subsistent long-tems. Les bains locaux avec la lessive de cendres de sarment, fondent la lymphe visqueuse qui séjourne dans les cellules affoiblies du tissu graisseux ; ces bains donnent du ressort aux membranes extérieures, & par leur chaleur & leur humidité ils relâchent & détendent les parties qui font les brides. On prend dans la même intention les eaux de Bourbon, de Barege, de Bourbonne, &c. Voyez DOUCHES. On fourre la partie dans la saignée d'un boeuf, s'il est possible de le faire ; enfin on tâche par tous les moyens possibles, de remplir les indications que nous venons d'exposer.


INFINIadj. (Métaphysiq.) Ce mot peut signifier deux choses, l'infini réel, & l'infini qui n'est tel que par un défaut de nos connoissances, l'indéfini, l'inassignable. Je ne saurois concevoir qu'un seul infini, c'est-à-dire que l'être infiniment parfait, ou infini en tout genre. Tout infini qui ne seroit infini qu'en un genre, ne seroit point un infini véritable. Quiconque dit un genre ou une espece, dit manifestement une borne, & l'exclusion de toute réalité intérieure, ce qui établit un être fini ou borné. C'est n'avoir point assez simplement consulté l'idée de l'infini, que de l'avoir renfermé dans les bornes d'un genre. Il est visible qu'il ne peut se trouver que dans l'universalité de l'être, qui est l'être infiniment parfait en tout genre, & infiniment simple.

Si on pouvoit concevoir des infinis bornés à des genres particuliers, il seroit vrai de dire que l'être infiniment parfait en tout genre seroit infiniment plus grand que ces infinis-là ; car outre qu'il égaleroit chacun d'eux dans son genre, & qu'il surpasseroit chacun d'eux en les égalant tous ensemble, de plus il auroit une simplicité suprème qui le rendroit infiniment plus parfait que toute cette collection de prétendus infinis.

D'ailleurs chacun de ces infinis subalternes se trouveroit borné par l'endroit précis où son genre se borneroit, & le rendroit inégal à l'être infini en tout genre.

Quiconque dit inégalité entre deux êtres, dit nécessairement un endroit où l'un finit & où l'autre ne finit pas. Ainsi c'est se contredire que d'admettre des infinis inégaux.

Je ne puis même en concevoir qu'un seul, puisqu'un seul par sa réelle infinité exclut toute borne en tout genre, & remplit toute l'idée de l'infini. D'ailleurs, comme je l'ai remarqué, tout infini qui ne seroit pas simple, ne seroit pas véritablement infini : le défaut de simplicité est une imperfection ; car à perfection d'ailleurs égale, il est plus parfait d'être entierement un, que d'être composé, c'est-à-dire que n'être qu'un assemblage d'êtres particuliers. Or une imperfection est une borne ; donc une imperfection telle que la divisibilité, est opposée à la nature du véritable infini qui n'a aucune borne.

On croira peut-être que ceci n'est qu'une vaine subtilité ; mais si on veut se défaire parfaitement de certains préjugés, on reconnoîtra qu'un infini composé n'est infini que de nom, & qu'il est réellement borné par l'imperfection de tout être divisible, & réduit à l'unité d'un genre. Ceci peut être confirmé par des suppositions très-simples & très-naturelles sur ces prétendus infinis qui ne seroient que des composés.

Donnez-moi un infini divisible, il faut qu'il ait une infinité de parties actuellement distinguées les unes des autres ; ôtez-en une partie si petite qu'il vous plaira, dès qu'elle est ôtée, je vous demande si ce qui reste est encore infini ou non. S'il n'est pas infini, je soutiens que le total avant le retranchement de cette petite partie, n'étoit point un infini véritable. En voici la preuve : tout composé fini auquel vous rejoindrez une très-petite partie, qui en auroit été détachée, ne pourra point devenir infini par cette réunion ; donc il demeurera fini après la réunion ; donc avant la desunion il étoit véritablement fini. En effet qu'y auroit-il de plus ridicule que d'oser dire que le même tout est tantôt fini & tantôt infini, suivant qu'on lui ôte ou qu'on lui rend une espece d'atôme ? Quoi donc, l'infini & le fini ne sont-ils différens que par cet atôme de plus ou de moins ?

Si au contraire ce tout demeure infini, après que vous en avez retranché une petite partie, il faut avouer qu'il y a des infinis inégaux entr'eux ; car il est évident que ce tout étoit plus grand avant que cette partie fût retranchée, qu'il ne l'est depuis son retranchement. Il est plus clair que le jour que le retranchement d'une partie est une diminution du total, à proportion de ce que cette partie est grande. Or c'est le comble de l'absurdité que de dire que le même infini demeurant toujours infini, est tantôt plus grand & tantôt plus petit.

Le côté où l'on retranche une partie, fait visiblement une borne par la partie retranchée. L'infini n'est plus infini de ce côté, puisqu'il y trouve une fin marquée. Cet infini est donc imaginaire, & nul être divisible ne peut jamais être un infini réel. Les hommes ayant l'idée de l'infini, l'ont appliquée d'une maniere impropre & contraire à cette idée même à tous les êtres auxquels ils n'ont voulu donner aucune borne dans leur genre ; mais ils n'ont pas pris garde que tout genre est lui-même une borne, & que toute divisibilité étant une imperfection qui est aussi une borne visible, elle exclut le véritable infini qui est un être sans bornes dans sa perfection.

L'être, l'unité, la vérité, & la bonté sont la même chose. Ainsi tout ce qui est un être infini est infiniment un ; infiniment vrai, infiniment bon. Donc il est infiniment parfait & indivisible.

De-là je conclus qu'il n'y a rien de plus faux qu'un infini imparfait, & par conséquent borné ; rien de plus faux qu'un infini qui n'est pas infiniment un ; rien de plus faux qu'un infini divisible en plusieurs parties ou finies ou infinies. Ces chimériques infinis peuvent être grossierement imaginés, mais jamais conçus.

Il ne peut pas même y avoir deux infinis ; car les deux mis ensemble seroient sans-doute plus grands que chacun d'eux pris séparément, & par conséquent ni l'un ni l'autre ne seroit véritablement infini.

De plus, la collection de ces deux infinis seroit divisible, & par conséquent imparfaite, au lieu que chacun des deux seroit indivisible & parfait en soi ; ainsi un seul infini seroit plus parfait que les deux ensemble. Si au contraire on vouloit supposer que les deux joints ensemble seroient plus parfaits que chacun des deux pris séparément, il s'ensuivroit qu'on les dégraderoit en les séparant.

Ma conclusion est qu'on ne sauroit concevoir qu'un seul infini souverainement un, vrai & parfait.

INFINI, (Géomet.) Géométrie de l'infini, est proprement la nouvelle Géométrie des infiniment petits, contenant les regles du calcul différentiel & intégral. M. de Fontenelle a donné au public en 1727 un ouvrage, intitulé Elémens de la Géométrie de l'infini. L'auteur s'y propose de donner la métaphysique de cette géométrie, & de déduire de cette métaphysique, sans employer presque aucun calcul, la plûpart des propriétés des courbes. Quelques géometres ont écrit contre les principes de cet ouvrage ; voyez le second volume du Traité des fluxions de M. Maclaurin. Cet auteur attaque dans une note le principe fondamental de l'ouvrage de M. de Fontenelle ; voyez aussi la Préface de la traduction de la méthode des fluxions de Newton, par M. de Buffon.

M. de Fontenelle paroît avoir cru que le calcul différentiel supposoit nécessairement des quantités infiniment grandes actuelles, & des quantités infiniment petites. Persuadé de ce principe, il a cru devoir établir à la tête de son livre qu'on pouvoit toûjours supposer la grandeur augmentée ou diminuée réellement à l'infini, & cette proposition est le fondement de tout l'ouvrage ; c'est elle que M. Maclaurin a cru devoir attaquer dans le traité dont nous avons parlé plus haut : voici le raisonnement de M. de Fontenelle, & ce qu'il nous semble qu'on y peut opposer. " La grandeur étant susceptible d'augmentation sans fin, il s'ensuit, dit-il, qu'on peut la supposer réellement augmentée sans fin ; car il est impossible que la grandeur susceptible d'augmentation sans fin soit dans le même cas que si elle n'en étoit pas susceptible sans fin. Or, si elle n'en étoit pas susceptible sans fin, elle demeureroit toûjours finie ; donc la propriété essentielle qui distingue la grandeur susceptible d'augmentation sans fin de la grandeur qui n'en est pas susceptible sans fin, c'est que cette derniere demeure nécessairement toûjours finie, & ne peut jamais être supposée que finie ; donc la premiere de ces deux especes de grandeurs peut être supposée actuellement infinie ". La réponse à cet argument est qu'une grandeur qui n'est pas susceptible d'augmentation sans fin, nonseulement demeure toûjours finie, mais ne sauroit jamais passer une certaine grandeur finie ; au lieu que la grandeur susceptible d'augmentation sans fin, demeure toûjours finie, mais peut être augmentée jusqu'à surpasser telle grandeur finie que l'on veut. Ce n'est donc point la possibilité de devenir infinie, mais la possibilité de surpasser telle grandeur finie que l'on veut (en demeurant cependant toûjours finie) qui distingue la grandeur susceptible d'augmentation sans fin, d'avec la grandeur qui n'en est pas susceptible. Si l'on réduisoit le raisonnement de M. de Fontenelle en syllogisme, on verroit que l'expression n'est pas dans le même cas qui en seroit le moyen terme, est une expression vague qui présente plusieurs sens différens, & qu'ainsi ce syllogisme peche contre la regle qui veut que le moyen terme soit un. Voyez l'article DIFFERENTIEL, où l'on prouve que le calcul différentiel, ou la géométrie nouvelle, ne suppose point à la rigueur & véritablement de grandeurs qui soient actuellement infinies ou infiniment petites.

La quantité infinie est proprement celle qui est plus grande que toute grandeur assignable ; & comme il n'existe pas de telle quantité dans la nature, il s'ensuit que la quantité infinie n'est proprement que dans notre esprit, & n'existe dans notre esprit que par une espece d'abstraction, dans laquelle nous écartons l'idée de bornes. L'idée que nous avons de l'infini est donc absolument négative, & provient de l'idée du fini, & le mot même négatif d'infini le prouve. Voyez FINI. Il y a cette différence entre infini & indéfini, que dans l'idée d'infini on fait abstraction de toutes bornes, & que dans celle d'indéfini on fait abstraction de telle ou telle borne en particulier. Ligne infinie est celle qu'on suppose n'avoir point de bornes ; ligne indéfinie est celle qu'on suppose se terminer où l'on voudra, sans que sa longueur ni par conséquent ses bornes soient fixées.

On admet en Géométrie, du moins par la maniere de s'exprimer, des quantités infinies du second, du troisieme, du quatrieme ordre ; par exemple on dit que dans l'équation d'une parabole y = x2/a, si on prend x infinie, y sera infinie du second ordre, c'est-à-dire aussi infinie par rapport à l'infinie x, que x l'est elle-même par rapport à a. Cette maniere de s'exprimer n'est pas fort claire ; car si x est infinie, comment concevoir que y est infiniment plus grande ? voici la réponse. L'équation y = x2/a représente celle-ci y/x = x/a, qui fait voir que le rapport de y à x va toûjours en augmentant à mesure que x croît, ensorte que l'on peut prendre x si grand, que le rapport de y à x soit plus grand qu'aucune quantité donnée : voilà tout ce qu'on veut dire, quand on dit que x étant infini du premier ordre, y l'est du second. Cet exemple simple suffira pour faire entendre les autres. Voyez INFINIMENT PETIT.

Arithmétique des infinis, est le nom donné par M. Wallis à la méthode de sommer les suites qui ont un nombre infini de termes. Voyez SUITE ou SERIE & GEOMETRIE. (O)

INFINIMENT PETIT, (Géom.) on appelle ainsi en Géométrie les quantités qu'on regarde comme plus petites que toute grandeur assignable. Nous avons assez expliqué au mot DIFFERENTIEL ce que c'est que ces prétendues quantités, & nous avons prouvé qu'elles n'existent réellement ni dans la nature, ni dans les suppositions des Géometres. Il nous reste à dire un mot des infiniment petits de différens ordres, & à expliquer ce qu'on doit entendre par-là. Prenons l'équation même y = x2/a que nous avons déja considérée au mot INFINI, on dit ordinairement en Géométrie que quand x est infiniment petit, y est infiniment petit du second ordre, c'est-à-dire aussi infiniment petit par rapport à x, que x l'est par rapport à a ; l'explication de cette maniere de parler est la même que nous avons déja donnée au mot INFINI : elle signifie que plus on prendra x petit, plus le rapport de y à x sera petit, ensorte qu'on peut toûjours le rendre moindre qu'aucune quantité donnée. Voyez LIMITE, &c. (O)


INFINITIFadj. (Gramm.) le mode infinitif est un des objets de la Grammaire, dont la discussion a occasionné le plus d'assertions contradictoires, & laissé subsister le plus de doutes ; & cet article deviendroit immense, s'il falloit y examiner en détail tout ce que les Grammairiens ont avancé sur cet objet. Le plus court, & sans-doute le plus sûr, est d'analyser la nature de l'infinitif, comme si personne n'en avoit encore parlé : en ne posant que des principes solides, on parvient à mettre le vrai en évidence, & les objections sont prévenues ou résolues.

Les inflexions temporelles, qui sont exclusivement propres au verbe, en ont été regardées par Scaliger comme la différence essentielle : tempus autem non videtur esse affectus verbi, sed differentia formalis, propter quam verbum ipsum verbum est. (De Caus. L. L. lib. V. cap. cxxj.) Cette considération, très-solide en soi, l'avoit conduit à définir ainsi cette partie d'oraison : verbum est nota rei sub tempore, ibid. 110. Scaliger touchoit presque au but, mais il l'a manqué. Les tems ne constituent point la nature du verbe ; autrement il faudroit dire que la langue franque, qui est le lien du commerce des Echelles du Levant, est sans verbe, puisque le verbe n'y reçoit aucun changement de terminaisons ; mais les tems supposent nécessairement dans la nature du verbe une idée qui puisse servir de fondement à ces métamorphoses, & cette idée ne peut être que celle de l'existence, puisque l'existence successive des êtres est la seule mesure du tems qui soit à notre portée, comme le tems devient à son tour la mesure de l'existence successive. Voyez VERBE.

Or cette idée de l'existence se manifeste à l'infinitif par les différences caractéristiques des trois especes générales de tems, qui sont le présent, le prétérit & le futur ; par exemple, amare (aimer) en est le présent ; amavisse (avoir aimé) en est le prétérit ; & amassere (devoir aimer), selon le témoignage & les preuves de Vossius (Analog. III. 17.) en est l'ancien futur, auquel on a substitué depuis des futurs composés, amaturum esse, amaturum fuisse, plus analogues aux futurs des modes personnels ; voyez TEMS. L'usage, malgré ses prétendus caprices, ne peut résister à l'influence sourde de l'analogie.

Il faut donc conclure que l'essence du verbe se trouve à l'infinitif comme dans les autres modes, & que l'infinitif est véritablement verbe : verbum autem esse, verbi definitio clamat ; significat enim rem sub tempore. (Scalig. ibid. 117.) Si Sanctius & quelques autres Grammairiens ont cru que les inflexions temporelles de l'infinitif pouvoient s'employer indistinctement les unes pour les autres ; si quelques-uns en ont conclu qu'à la rigueur il ne pouvoit pas se dire que l'infinitif eût des tems différens, ni par conséquent qu'il fût verbe, c'est une erreur évidente, & qui prouve seulement que ceux qui y sont tombés n'avoient pas des tems une notion exacte. Un mot suffit sur ce point : si les inflexions temporelles de l'infinitif peuvent se prendre sans choix les unes pour les autres, l'infinitif ne peut pas se traduire avec assûrance, & dicis me legere, par exemple, peut signifier indistinctement vous dites que je lis, que j'ai lu, ou que je lirai.

Il semble qu'une fois assuré que l'infinitif a en soi la nature du verbe, & qu'il est une partie essentielle de sa conjugaison, on n'a plus qu'à le compter entre les modes du verbe. Il se trouve pourtant des Grammairiens d'une grande réputation & d'un grand mérite, qui en avouant que l'infinitif est partie du verbe, ne veulent pas convenir qu'il en soit un mode ; mais malgré les noms imposans des Scaliger, des Sanctius, des Vossius, & des Lancelot, j'oserai dire que leur opinion est d'une inconséquence surprenante dans des hommes si habiles ; car enfin, puisque de leur aveu même l'infinitif est verbe, il présente apparemment la signification du verbe sous un aspect particulier, & c'est sans-doute pour cela qu'il a des inflexions & des usages qui lui sont propres, ce qui suffit pour constituer un mode dans le verbe, comme une terminaison différente avec une destination propre suffit pour constituer un cas dans le nom ; mais quel est cet aspect particulier qui caractérise le mode infinitif ?

Cette question ne peut se résoudre que d'après les usages combinés des langues. L'observation la plus frappante qui en résulte, c'est que dans aucun idiome l'infinitif ne reçoit ni inflexions numériques, ni inflexions personnelles ; & cette unanimité indique si sûrement le caractere différenciel de ce mode, sa nature distinctive, que c'est de-là, selon Priscien (lib. VIII. de modis), qu'il a tiré son nom : unde & nomen accepit INFINITIVI, quod nec personas nec numeros definit. Cette étymologie a été adoptée depuis par Vossius (analog. III. 8.), & elle paroît assez raisonnable pour être reçue de tous les Grammairiens. Mais ne nous contentons pas d'un fait qui constate la forme extérieure de l'infinitif, ce seroit proprement nous en tenir à l'écorce des choses : pénétrons, s'il est possible, dans l'intérieur même.

Les inflexions numériques & les personnelles ont, dans les modes où elles sont admises, une destination connue ; c'est de mettre le verbe, sous ces aspects, en concordance avec le sujet dont il énonce un jugement. Cette concordance suppose identité, entre le sujet déterminé avec lequel s'accorde le verbe, & le sujet vague présenté par le verbe sous l'idée de l'existence (voyez IDENTITE) ; & cette concordance désigne l'application du sens vague du verbe au sens précis du sujet.

Si donc l'infinitif ne reçoit dans aucune langue ni inflexions numériques, ni inflexions personnelles, c'est qu'il est dans la nature de ce mode de n'être jamais appliqué à un sujet précis & déterminé, & de conserver invariablement la signification générale & originelle du verbe. Il n'y a plus qu'à suivre le cours des conséquences qui sortent naturellement de cette vérité.

I. Le principal usage du verbe est de servir à l'expression du jugement intérieur, qui est la perception de l'existence d'un sujet dans notre esprit sous tel ou tel attribut (s'Gravesande, Introd. à la philos. II. vij.) ; ainsi le verbe ne peut exprimer le jugement qu'autant qu'il est appliqué au sujet universel ou particulier, ou individuel, qui existe dans l'esprit, c'est-à-dire à un sujet déterminé. Il n'y a donc que les modes personnels du verbe qui puissent constituer la proposition ; & le mode infinitif, ne pouvant par sa nature être appliqué à aucun sujet déterminé, ne peut énoncer un jugement, parce que tout jugement suppose un sujet déterminé. Les usages des langues nous apprennent que l'infinitif ne fait dans la proposition que l'office du nom. L'idée abstraite de l'existence intellectuelle sous un attribut, est la seule idée déterminative du sujet vague présenté par l'infinitif ; & cette idée abstraite devenant la seule que l'esprit y considere, est en quelque maniere l'idée d'une nature commune à tous les individus auxquels elle peut convenir. Voyez NOM.

Dans les langues modernes de l'Europe, cette espece de nom est employée comme les autres noms abstraits, & sert de la même maniere & aux mêmes fins. 1°. Nous l'employons comme sujet ou grammatical, ou logique. Nous disons MENTIR est un crime, de même que le mensonge est un crime, sujet logique ; FERMER les yeux aux preuves éclatantes du Christianisme est une extravagance inconcevable, de même que l'aveuglement volontaire sur les preuves, &c. ici fermer n'est qu'un sujet grammatical ; fermer les yeux aux preuves éclatantes du Christianisme, est le sujet logique. 2°. L'infinitif est quelquefois complément objectif d'un verbe relatif : l'honnête homme ne sait pas MENTIR, comme l'honnête homme ne connoît pas le mensonge. 3°. Il est souvent le complément logique ou grammatical d'une préposition : la honte de MENTIR, comme la turpitude du mensonge ; sujet à DEBITER des fables, comme sujet à la fievre ; sans DEGUISER la vérité, comme sans déguisement, &c.

Quoique la langue grecque ait donné des cas aux autres noms, elle n'a pourtant point assujetti ses infinitifs à ce genre d'inflexion ; mais les rapports à l'ordre analytique que les cas désignent dans les autres noms, sont indiqués pour l'infinitif par les cas de l'article neutre dont il est accompagné, de même que tout autre nom neutre de la même langue ; ainsi les Grecs disent au nominatif & à l'accusatif (le prier), comme ils diroient , precatio, ou , precationem (la priere) ; ils disent au génitif (du prier), & au datif (au prier), comme ils diroient , precationis (de la priere), & , precationi (à la priere). En conséquence l'infinitif grec ainsi décliné est employé comme sujet ou comme régime d'un verbe, ou comme complement d'une préposition ; & les exemples en sont si fréquens dans les bons auteurs, que le manuel des Grammairiens (Traité de la synt. gr. ch. j. regl. 4.) donne cette pratique comme un usage élégant.

La différence qu'il y a donc à cet égard entre la langue grecque & la nôtre, c'est que d'une part l'infinitif est souvent accompagné de l'article, & que de l'autre il n'est que bien rarement employé avec l'article. Cette différence tient à celle des procédés des deux langues en ce qui concerne les noms.

Nous ne faisons usage de l'article que pour déterminer l'étendue de la signification d'un nom appellatif, soit au sens spécifique, soit au sens individuel ; ainsi quand nous disons les hommes sont mortels, le nom appellatif homme est déterminé au sens spécifique ; & quand nous disons le roi est juste, le nom appellatif roi est déterminé au sens individuel. Jamais nous n'employons l'article avant les noms propres, parce que le sens en est de soi-même individuel ; peut-être est-ce par une raison contraire que nous ne l'employons pas avant les infinitifs, précisément parce que le sens en est toûjours spécifique : MENTIR est un crime, c'est-à-dire, tous ceux qui mentent commettent un crime, ou tout mensonge est un crime.

Les Grecs, au contraire, qui emploient souvent l'article par emphase, même avant les noms propres (Voyez la méth. gr. de P. R. liv. VIII. ch. jv.), sont dans le cas d'en user de même avant les infinitifs. D'ailleurs l'inversion autorisée dans cette langue, à cause des cas qui y sont admis, exige quelquefois que les rapports de l'infinitif à l'ordre analytique y soient caractérisés d'une maniere non équivoque : les cas de l'article attaché à l'infinitif sont alors les seuls signes que l'on puisse employer pour cette désignation. A nous, au contraire, qui suivons l'ordre analytique, ou qui ne nous en écartons pas de maniere à le perdre de vûe, le secours des inflexions nous est inutile, & l'article au surplus n'y suppléeroit pas, quoi qu'en disent la plûpart des Grammairiens : nous ne marquerons l'ordre analytique que par le rang des mots ; & les rapports analytiques, que par les prépositions.

La langue latine qui, en admettant aussi l'inversion, n'avoit pas le secours d'un article déclinable pour marquer les relations de l'infinitif à l'ordre analytique, avoit pris le parti d'assujettir ce verbe-nom aux mêmes métamorphoses que les autres noms, & de lui donner des cas. Il est prouvé (article GERONDIF) que les gérondifs sont de véritables cas de l'infinitif ; & (article SUPIN) qu'il en est de même des supins : & les anciens Grammairiens désignoient indistinctement ces deux sortes d'inflexions verbales par les noms de gerunda, participalia & supina ; (Priscian. lib. VIII. de modis.) Ce qui prouve que les unes comme les autres tenoient la place de l'infinitif ordinaire, & qu'elles en étoient de veritables cas.

L'infinitif proprement dit se trouve néanmoins dans les auteurs, employé lui-même pour différens cas. Au nominatif : virtus est vitium FUGERE (Hor.) c'est-à-dire, FUGERE vitium ou fuga vitii est virtus. Au genitif : tempus est jam hinc ABIRE me, pour meae hinc abitionis (Cic. Tuscul. I.) A l'accusatif : non tanti emo POENITERE (Plaut.) pour poenitentiam ; c'est le complément d'emo : introiit VIDERE, (Ter.) pour ad VIDERE, de même que Lucrece dit ad SEDARE sitim fluvii fontesque vocabant ; c'est donc le complément d'une préposition. A l'ablatif : audito regem in Siciliam TENDERE (Salust. Jugurth.) où il est évident qu'audito est en rapport & en concordance avec tendere qui tient lieu par conséquent d'un ablatif. On pourroit prouver chacun de ces cas par une infinité d'exemples : Sanctius en a recueilli un grand nombre que l'on peut consulter (Minerv. III. vj.) Je me contenterai d'en ajouter un plus frappant tiré de Cicéron ; (ad Attic. XIII. 28.) Quam turpis est assentatio, cùm VIVERE ipsum turpe sit nobis ! Il est clair qu'il en est ici de vivere comme d'assentatio ; l'un est sujet dans le premier membre ; l'autre est sujet dans le second ; l'un est féminin, l'autre est neutre ; tous deux sont noms.

II. Une autre conséquence importante de l'indéclinabilité de l'infinitif, c'est qu'il est faux que dans l'ordre analytique il ait un sujet, que l'usage de la langue latine met à l'accusatif. C'est pourtant la doctrine commune des Grammairiens les plus célebres & les plus philosophes ; & M. du Marsais l'a enseignée dans l'Encyclopédie même, d'après la méthode latine de P. R. Voyez ACCUSATIF & CONSTRUCTION. C'est que ces grands hommes n'avoient pas encore pris, de la nature du verbe & de ses modes, des notions saines : & il est aisé de voir (article ACCIDENT, CONJUGAISON), que M. du Marsais en parloit comme le vulgaire, & qu'il n'avoit pas encore porté sur ces objets le flambeau de la Métaphysique, qui lui avoit fait voir tant d'autres vérités fondamentales ignorées des plus habiles qui l'avoient précédé dans cette carriere.

Puisque dans aucune langue l'infinitif ne reçoit aucune des terminaisons relatives à un sujet ; il semble que ce soit une conséquence qui n'auroit pas dû échapper aux Grammairiens, que l'infinitif ne doit point se rapporter à un sujet. Ce principe se confirme par une nouvelle observation ; c'est que l'infinitif est un véritable nom, qui est du genre neutre en grec & en latin, qui dans toutes les langues est employé comme sujet d'un verbe, ou comme complément, soit d'un verbe, soit d'une préposition, avec lequel enfin l'adjectif se met en concordance dans les langues où les adjectifs ont des inflexions relatives au sujet ; tout cela vient d'être prouvé : or est-il raisonnable de dire qu'un nom ait un sujet ? C'est une chose inouie en Grammaire, & contraire à la plus saine Logique.

Il n'est pas moins contraire à l'analogie de la langue latine, de dire que le sujet d'un verbe doit se mettre à l'accusatif : la syntaxe latine exige que le sujet d'un verbe personnel soit au nominatif, pourquoi n'assigneroit-on pas le même cas au sujet d'un mode impersonnel, si on le croit appliquable à un sujet ? Deux principes si opposés n'auront qu'à concourir, & il en résultera infailliblement quelque contradiction. Essayons de vérifier cette conjecture.

Le sens formé par un nom avec un infinitif est, dit-on, quelquefois le sujet d'une proposition logique ; & en voici un exemple : magna ars est non APPARERE ARTEM, ce que l'on prétend rendre littéralement en cette maniere : ARTEM non APPARERE est magna ars (l'art ne point paroître est un grand art). Mais si artem non apparere est le sujet total ou logique de est magna ars ; il s'ensuit qu'artem, sujet immédiat de non apparere, est le sujet grammatical de est magna ars : c'est ainsi que si l'on disoit ars non apparens est magna ars, le sujet logique de est magna ars seroit ars non apparens, & cet ars, sujet immédiat de non apparens, seroit le sujet grammatical de est magna ars. Mais si l'on peur regarder artem comme sujet grammatical de est magna ars, il ne faut plus regarder artem est magna comme une expression vicieuse, quelque éloignée qu'elle soit & de l'analogie & du principe invariable de la concordance fondée sur l'identité. Ceci prouve d'une maniere bien palpable, que c'est introduire dans le système de la langue latine deux principes incompatibles & destructifs l'un de l'autre, que de soutenir que le sujet de l'infinitif se met à l'accusatif, & le sujet d'un mode personnel au nominatif.

Mais ce n'est pas assez d'avoir montré l'inconséquence & la fausseté de la doctrine commune sur l'accusatif, prétendu sujet de l'infinitif : il faut y en substituer une autre, qui soit conforme aux principes immuables de la Grammaire générale, & qui ne contredise point l'analogie de la langue latine.

L'accusatif a deux principaux usages également avoués par cette analogie, quoique fondés diversement. Le premier, est de caractériser le complément d'un verbe actif relatif, dont le sens, indéfini par soi-même, exige l'expression du terme auquel il a rapport : amo (j'aime), eh quoi ? car l'amour est une passion relative à quelque objet ; amo Ciceronem (j'aime Cicéron). Le second usage de l'accusatif est de caractériser le complément de certaines propositions ; per mentem (par l'esprit), contra opinionem (contre l'opinion), &c. C'est donc nécessairement à l'une de ces deux fonctions qu'il faut ramener cet accusatif que l'on a pris faussement pour sujet de l'infinitif, puisqu'on vient de prouver la fausseté de cette opinion : & il me semble que l'analyse la mieux entendue peut en faire aisément le complément d'une préposition sousentendue, soit que la phrase qui comprend l'infinitif & l'accusatif tienne lieu de sujet dans la proposition totale, soit qu'elle y serve de complément.

Reprenons la proposition magna ars est non apparere artem. Selon la maxime que je viens de proposer, en voici la construction analytique : circâ artem, non apparere est ars magna (en fait d'art, ne point paroître est le grand art) : l'accusatif artem rentre par-là dans l'analogie de la langue ; & la phrase, circâ artem, est un supplément circonstanciel très-conforme aux vûes de l'analyse logique de la proposition en général, & en particulier de celle dont il s'agit.

Cicéron, dans sa septieme lettre à Brutus, lui dit : mihi semper placuit non rege solum, sed regno liberari rempublicam ; c'est-à-dire, conformément à mon principe, circà rempublicam, liberari non solum à rege, sed à regno placuit semper mihi (à l'égard de la république, être délivré non seulement du roi, mais encore de la royauté, m'a toujours plû, a toujours été de mon goût).

Homines esse amicos Dei quanta est dignitas ! (D. Greg. magn.) Ergà homines, esse amicos Dei est dignitas quanta ! (A l'égard des hommes, être amis de Dieu est un honneur combien grand !) C'est encore la même méthode ; mais je supplée la préposition ergà pour indiquer qu'il n'y a pas nécessité de s'en tenir toujours à la même ; c'est le goût ou le besoin qui doit en décider. Mais remarquez que l'infinitif esse est le sujet grammatical de est dignitas quanta ; & le sujet logique, c'est esse amicos Dei. Amicos s'accorde avec homines, parce qu'il s'y rapporte par attribution, ou, si l'on veut, par attraction. C'est par la même raison que Martial a dit, nobis non licet esse tam disertis, quoique la construction soit esse tam disertis non licet nobis : c'est que la vûe de l'esprit se porte sur toute la proposition, dès qu'on en entame le premier mot ; & par-là même il y a une raison suffisante d'attraction pour mettre disertis en concordance avec nobis, qui au fond est le vrai sujet de la qualification exprimée par disertis.

Cupio me esse clementem : (Cic. I. Catil.) c'est-à-dire, cupio ergà me esse clementem. Le complément objectif grammatical de cupio, c'est esse ; le complément objectif logique, c'est ergà me esse clementem, (l'existence pour moi sous l'attribut de la clémence) ; c'est-là l'objet de cupio.

En un mot, il n'y a point de cas où l'on ne puisse, au moyen de l'ellipse, ramener la phrase à l'ordre analytique le plus simple, pourvû que l'on ne perde jamais de vûe la véritable destination de chaque cas, ni l'analogie réelle de la langue. On me demandera peut-être s'il est bien conforme à cette analogie d'imaginer une préposition avant l'accusatif, qui accompagne l'infinitif. Je réponds, 1°. ce que j'ai déja dit, qu'il faut bien regarder cet accusatif, ou comme complément de la préposition, ou comme complément d'un verbe actif relatif, puisqu'il est contraire à la nature de l'infinitif de l'avoir pour sujet : 2°. que le parti le plus raisonnable est de suppléer la préposition, parce que c'est le moyen le plus universel, & le seul qui puisse rendre raison de la phrase, quand l'énonciation qui comprend l'infinitif & l'accusatif est sujet de la proposition : 3°. enfin que ce moyen est si raisonnable qu'on pourroit même en faire usage avant des verbes du mode subjonctif : supposons qu'il s'agisse, par exemple, de dire en latin, serez-vous satisfait, si à l'arrivée de votre pere, non content de l'empêcher d'entrer, je le force même à fuir ; seroit-ce mal parler que de dire, satin'habes, si advenientem patrem faciam tuum non modò ne introeat, verùm ut fugiat ? J'entends la réponse des faiseurs de rudimens & des fabricateurs de méthodes : cette locution est vicieuse, selon eux, parce que patrem tuum advenientem à l'accusatif ne peut pas être le sujet, ou, pour parler leur langage, le nominatif des verbes introeat & fugiat, comme il doit l'être ; & que si on alloit le prendre pour régime de faciam, cela opéreroit un contre-sens. Raisonnement admirable, mais dont toute la solidité va s'évanouir par un mot : c'est Plaute qui parle ainsi (Mostell.). Voulez-vous savoir comme il l'entend ? le voici : satin'habes, si ergà advenientem patrem tuum sic faciam ut non modo ne introeat, verùm ut fugiat ; & il en est de faciam ergà patrem sic ut, &c. comme de agere cum patre, sic ut : or ce dernier tour est d'usage, & on lit dans Nepos (Cimon. 1.) egit cum Cimone ut eam sibi uxorem daret.

Il résulte donc de tout ce qui précede, que l'infinitif est un mode du verbe qui exprime l'existence sous un attribut d'une maniere abstraite, & comme l'idée d'une nature commune à tous les individus auxquels elle peut convenir ; d'où il suit que l'infinitif est tout-à-la-fois verbe & nom : & ceci est encore un paradoxe.

On convient assez communément que l'infinitif fait quelquefois l'office du nom, qu'il est nom si l'on veut, mais sans être verbe ; & l'on pense qu'en d'autres occurrences il est verbe sans être nom. On cite ce vers de Perse (sat. I. 25.) Scire tuum nihil est nisi te scire hoc sciat alter, où l'on prétend que le premier scire est nom sans être verbe, parce qu'il est accompagné de l'adjectif tuum, & que le second scire est verbe sans être nom, parce qu'il est précédé de l'accusatif te, qui en est, dit-on, le sujet. Mais il n'y a que le préjugé qui fonde cette distinction. Soyez conséquent, & vous verrez que c'est comme si le poëte avoit dit, nisi hoc scire tuum sciat alter, ou comme le dit le P. Jouvency dans son interprétation, nisi ab aliis cognoscatur ; ensorte que la nature de l'infinitif, telle qu'elle résulte des observations précédentes, indique qu'il faut recourir à l'ellipse pour rendre raison de l'accusatif te, & qu'il faut dire, par exemple, nisi alter sciat hoc scire pertinens ad te, ce qui est la même chose que hoc scire tuum.

N'admettez sur chaque objet qu'un principe : évitez les exceptions que vous ne pouvez justifier par les principes nécessairement reçus ; ramenez tout à l'ordre analytique par une seule analogie : vous voilà sur la bonne voie, la seule voie qui convienne à la raison, dont la parole est le ministre & l'image. (B. E. R. M.)


INFIRMERv. act. (Jurisprud.) signifie casser, annuller une sentence ou un contrat ou un testament.

Ce terme est sur-tout usité pour les sentences qui sont corrigées par le juge d'appel. Le juge qui infirme, si c'est un juge inférieur, dit qu'il a été mal jugé par la sentence, bien appellé ; émendant, il ordonne ce qui lui paroit convenable. Lorsque c'est une cour souveraine qui infirme la sentence, elle met l'appellation & sentence dont a été appellé au néant, émendant : & néanmoins dans les matieres de grand criminel, les cours prononcent sur l'appel par bien ou mal jugé, & non par l'appellation au néant, ou l'appellation & sentence au néant. (A)


INFIRMERIES. f. (Architect.) c'est dans les communautés un lieu, un appartement, un bâtiment particulier destiné pour les malades.

INFIRMERIE, (Jardin.) est un lieu destiné aux arbres en caisses qui sont languissans, ainsi que ceux qui sont nouvellement plantés, & aux fleurs empotées du jour ; ce n'est autre chose qu'un abri qu'on leur choisit à l'ombre, comme une allée ou un bois, où ils soient préservés des vents & du gros soleil.


INFIRMIERS. m. (Medec. Chirurg.) est un employé subalterne dans les hôpitaux, préposé à la garde & au soulagement des malades ; il est dans les hôpitaux & maisons de charité ce que parmi le peuple on nomme trivialement garde-malade. Cet emploi est aussi important pour l'humanité, que l'exercice en est bas & répugnant ; tous sujets n'y sont pas également propres, & les administrateurs des hôpitaux doivent, autant par zéle que par motif de charité, se rendre difficiles sur le choix de ceux qui s'y destinent, puisque de leurs soins dépend souvent la vie des malades : un infirmier doit être patient, modéré, compatissant ; il doit consoler les malades, prévenir leurs besoins & supporter leurs impatiences.

Les devoirs domestiques des infirmiers sont, d'allumer le matin les feux dans les salles & de les entretenir pendant le jour ; de porter & distribuer les portions de vivres, la tisane & les bouillons aux malades ; d'accompagner les medecins & chirurgiens pendant les pansemens ; d'enlever après, les bandes, compresses & autres saletés ; de balayer les salles & d'entretenir la propreté dans l'hôpital, parmi les malades, dans les choses qu'ils leur distribuent & sur leurs propres personnes ; de vuider les pots-de-chambre & chaises-percées, de sécher & changer le linge des malades ; d'empêcher le bruit, les querelles & tout ce qui pourroit troubler leur repos ; d'avertir l'aumônier de ceux qu'ils apperçoivent en danger ; de transporter les morts & de les ensevelir ; d'allumer les lampes le soir, de visiter les malades pendant la nuit ; enfin de veiller continuellement sur eux, de leur donner tous les secours que leur état exige, & de les traiter avec douceur & charité. Voilà en général leurs obligations ; les officiers des hôpitaux doivent donner leur attention à ce qu'ils les remplissent exactement, & les punir s'ils s'en écartent.

Voici quelques dispositions qui les regardent dans la direction & la discipline d'un hôpital militaire.

Ils y sont aux ordres du commissaire des guerres chargé de la police de l'hôpital, aux gages de l'entrepreneur, & nourris aux frais du Roi, à la même portion que les soldats malades.

Le nombre en est fixé à un pour vingt malades, ou douze blessés, ou dix vénériens, ou deux officiers : en cas de maladie ils sont traités dans l'hôpital sur le même pié que les soldats malades, mais aux frais de l'entrepreneur, qui ne peut les renvoyer qu'après leur guérison & du consentement du commissaire des guerres : le directeur ne doit dans aucun cas se servir de soldats pour infirmier.

Tout infirmier qui sort de l'hôpital sans permission, ou qui y rentre ivre, qui est convaincu d'avoir vendu des alimens aux malades, ou retranché quelque chose de leur portion pour augmenter la sienne, est puni d'amende pour la premiere fois, & chassé de l'hôpital en cas de récidive.

Celui qui est convaincu de vol, friponnerie ou malversation, est châtié sévérement pour l'exemple, & même livré à la justice, si le cas le requiert.

Les infirmiers sont responsables des effets gardés par les défunts, qui se trouveroient avoir été détournés.

Celui qui étant de garde pendant la nuit, est surpris endormi, doit être puni d'amende, & chassé s'il a abandonné la salle.

Celui qui est convaincu d'avoir traité les malades avec négligence, dureté ou mépris, d'avoir négligé de les changer de linge après des sueurs, ou de leur avoir refusé d'autres secours nécessaires, doit être chassé & puni suivant l'exigence du cas.

Ces dispositions sont tirées pour la plûpart des réglemens concernant les hôpitaux militaires, du premier Janvier 1747, époque du rétablissement de la regle & du bon ordre dans l'administration de cette partie difficile & intéressante du service.

Dans les hôpitaux bourgeois & maisons de charité, ce sont des femmes ou des soeurs hospitalieres qui y sont chargées des fonctions des infirmiers, & l'on est généralement content de la maniere dont elles s'en acquitent. On ne peut nier que les femmes ne soient plus propres à ces fonctions que les hommes ; en effet, par la sensibilité & la douceur naturelle à leur sexe, elles sont plus capables qu'eux de ces soins touchans, de ces attentions délicates, si consolantes pour les malades, & si propres à hâter leur guérison. Il est peu de nos lecteurs qui n'ait éprouvé par lui-même ce que nous avançons, & qui n'ait préféré, & qui ne préfere encore dans l'état de maladie, les services d'une femme à ceux d'un homme, toutes choses égales.

Si le sentiment intérieur de la nature & l'expérience se réunissent pour nous démontrer cette vérité, pourquoi n'en profitons-nous pas pour l'intérêt du service & de l'humanité ?

Qui empêche qu'on ne substitue aux infirmiers dans tous les hôpitaux militaires du royaume des infirmieres aux mêmes gages & fonctions, tirées non de l'ordre des soeurs hospitalieres, mais du sein du peuple indigent ? on devroit s'en promettre le même service que de ces soeurs, & un meilleur que celui des infirmiers, premier avantage. Ces hommes seroient rendus aux ouvrages de la terre, ou des arts méchaniques, autre avantage : mais nous en appercevons un plus précieux encore dans ce changement, ce sont les nouvelles occasions d'emploi & de travail qu'il procureroit à un nombre de femmes ou filles, dans l'énorme quantité de désoeuvrées involontaires qui fourmillent dans nos villes, qui desirent & cherchent des occupations, & qui faute d'en trouver, restent en proie aux dangers & aux malheurs d'une oisiveté forcée. Cet article essentiel & trop négligé parmi nous, si important pour la population, pour les moeurs & l'honnêteté publique, mériteroit les plus sérieuses attentions de la part du gouvernement.

Au surplus nous ne répondrons aux objections qu'on pourroit nous faire sur le changement proposé pour les hôpitaux militaires, qu'en présentant l'exemple de ce qui se pratique avec succès dans les hôpitaux bourgeois & les maisons de charité du royaume, où les soldats malades des troupes du roi sont reçus & traités, comme dans les hôpitaux même de sa majesté. Voyez GARDE-MALADE. Article de M. DURIVAL le jeune.


INFIRMITÉS. f. (Medecine) ou plutôt (Gram.) par la force du mot signifie foiblesse, & par l'usage dérangement habituel d'une fonction particuliere, & qui n'importe pas essentiellement à l'économie générale de la vie & de la santé. La privation absolue, la diminution considérable, ou la dépravation de l'action des organes des sens, de la génération, du mouvement volontaire, lorsque ces vices sont constans, sont des infirmités ; soit qu'elles dépendent de quelque lésion particuliere dans des sujets, très-bien constitués d'ailleurs. Telle peut être la surdité, la cécité, la claudication, l'impuissance, &c. dans un sujet jeune & vigoureux ; soit qu'elles dépendent d'une cause plus générale, telles sont les infirmités de la vieillesse. Au reste c'est un vice sensible dans la fonction immédiate & prochaine des organes, qui s'appelle infirmité ; car on ne donne pas ce nom aux vices secondaires ou cachés. Par exemple la difficulté de mâcher faute de dents est une infirmité en soi, & indépendamment de la digestion pénible, qui peut être une suite de la mastication imparfaite. La stérilité chez une femme bien constituée sensiblement, ne s'appelle pas infirmité ; & on donne ce nom à l'imperforation, ou à la chûte de matrice qui cause la stérilité, mais sans égard à cet effet éloigné. (b)


INFLAMMABILITÉS. f. (Chimie) dans le sens le plus précis, c'est la propriété d'un corps capable d'être enflammé, ou de brûler avec flamme. Mais l'usage a étendu cette dénomination à la propriété générale de brûler, soit avec flamme, soit sans flamme. Dans ce dernier sens qui est le plus ordinaire, inflammabilité est synonyme de combustibilité. Voyez PHLOGISTIQUE.


INFLAMMABLEadj. (Gramm.) qui peut s'enflammer.

INFLAMMABLE, (Chimie) corps doué de l'inflammabilité.

INFLAMMABLE, principe, (Chimie) c'est un des noms les plus usités du feu combiné, ou phlogistique. Voyez PHLOGISTIQUE.

INFLAMMABLES, substances. (Hist. nat. Minéralogie.) Les Naturalistes nomment ainsi les substances du regne minéral, qui ont la propriété de s'enflammer, & de brûler. Elles se trouvent dans l'intérieur de la terre, & quelquefois à la surface ; on les désigne quelquefois sous le nom de soufres, mais cette dénomination est impropre, attendu que le soufre est lui-même une des substances inflammables, que l'on rencontre dans le sein de la terre. On compte dans ce nombre les bitumes, le naphthe, le pétrole, la poix minérale, l'asphalte, le charbon fossile, le jais, le succin, l'ambre, le soufre. Voyez ces différens articles. (-)


INFLAMMATIONS. f. (Chimie) est l'état d'un corps qui brûle avec flamme. Voyez FLAMME. (b)

INFLAMMATION, MALADIES INFLAMMATOIRES. (Medecine) Quoique ces deux noms paroissent au premier coup d'oeil synonymes, si l'on veut les analyser d'après l'observation, on pourra s'appercevoir qu'ils renferment des idées différentes. Toute maladie inflammatoire peut bien supposer l'inflammation, mais il me paroît, & j'en donnerai les raisons plus bas, que toute inflammation ne doit pas être regardée comme maladie inflammatoire : ainsi je ferai de ces deux mots deux articles séparés, traitant d'abord de l'inflammation en général ou extérieure, & ensuite des maladies inflammatoires. Je donnerai donc d'abord 1°. l'histoire de la maladie, c'est-à-dire l'exposé de ce que les sens ou l'observation découvrent dans toute inflammation, ce qui est conséquemment très-certain & à l'abri de toute discussion. Je passerai ensuite à la théorie, ou à l'examen des causes moins évidentes, refusées aux témoignages de nos sens, partie féconde en dispute comme en erreur ; enfin j'exposerai la partie thérapeutique-pratique, qui comprendra les signes diagnostics & prognostics, & la curation proprement dite.

L'histoire. Symptomes. Inflammation est un mot générique employé pour désigner cette classe de maladie fort étendue & très-multipliée, dont le caractere est l'augmentation de chaleur dans une partie jointe à une douleur plus ou moins vive.

A ces symptomes seuls & constans, caractéristiques de toute inflammation, soit extérieure, soit interne, on peut ajoûter la tumeur & la rougeur de la partie affectée, qui ne sont vraiment signes, & qu'on n'apperçoit que dans les inflammations extérieures, & qui vraisemblablement n'existent pas moins dans celles qui attaquent les parties internes ; lorsque les inflammations sont un peu considérables, & surtout lorsqu'elles sont dolorifiques à un certain point, la fievre ne manque pas de survenir, & il faut remarquer qu'elle est plutôt compagne de la douleur, & proportionnée à sa vivacité, qu'à la grandeur de l'inflammation. Ainsi l'on en voit qui sont très-considérables sans la moindre émotion dans le pouls, tandis qu'une inflammation très-peu étendue, mais suivie de beaucoup de douleur, un panaris, par exemple, allumera une fievre très-violente. Mais, quoique dans toutes les inflammations le mouvement du sang ne soit pas accéléré par tout le corps, on observe toujours que les arteres de la partie enflammée battent plus vîte & plus fort que dans l'état ordinaire ; & pour s'en assurer, l'on n'a qu'à presser un peu avec la main la partie enflammée ; le malade peut s'en convaincre lui-même en appuyant cette partie contre quelque corps dur : ce mouvement des arteres augmenté, peut passer pour une fievre locale. Il n'est rien moins que démontré que la circulation du sang soit plus rapide dans cette partie ; c'est un fait cependant unanimement reçu, & déduit très-peu conséquemment, de la rougeur & de la chaleur augmentées dans la partie ; il ne falloit que voir, & l'on a voulu raisonner. De ce raisonnement très-hypothétique, il suit encore une conséquence qui est tout au moins une hypothèse, c'est que la chaleur & la rougeur ne peuvent augmenter sans que la circulation soit accélérée, & que par conséquent elles sont un effet immédiat & nécessaire du mouvement du sang.

Si la fievre qui survient à l'inflammation est forte, elle entraîne avec soi les symptomes ordinaires, la soif, les inquiétudes, maux de tête, délire, &c. & autres dérangemens dans les différentes fonctions.

Variétés ou différences. On a distingué les inflammations en externes & en internes suivant qu'elles ont leur siege à l'extérieur, ou dans quelques parties intérieures du corps ; celles-ci à moins qu'elles ne soient produites par quelque cause externe, constituent les maladies inflammatoires ; elles sont toujours accompagnées d'une fievre plus ou moins aiguë, nous en verrons plus bas les différentes especes.

C'est aux inflammations extérieures que convient uniquement la fameuse division, en phlegmoneuses, & en érésipélateuses, auxquelles on a tenté infructueusement & fort mal-à-propos, de réduire toutes les especes d'inflammations. La premiere classe comprend celles qui sont marquées par une tumeur dure, d'un rouge obscur, une douleur vive, ordinairement pulsative, une résistance assez forte, & surtout une circonscription très-sensible ; on les appelle inflammations phlegmoneuses, ou simplement phlegmon, qui signifie chez les Grecs, je brûle, & qu'on employoit du tems d'Hippocrate pour désigner une inflammation quelconque, mais qui fut restreint sous Erasistrate à l'inflammation particuliere dont nous parlons ; les clous ou furoncles fournissent un exemple assez fréquent de cette inflammation.

Dans la seconde classe sont renfermées les inflammations qui ont pour caractere une chaleur très-vive, une rougeur tirant sur le jaune ou couleur de rose, une douleur vive & très-aiguë, une tumeur très-peu élevée, nullement circonscrite, ni rénitente, cédant au contraire très-facilement à la pression du doigt, mais se rétablissant aussi-tôt, & presque toujours accompagnée d'oedème. J'ai dit que cette distinction ne peut avoir lieu, qu'à l'extérieur ; les principaux signes qui établissent ces différences ne sont sensibles qu'à l'oeil, & au tact ; ainsi quand même ils existeroient réellement à l'intérieur, ils ne sauroient être saisis, mais en outre l'érésipele est une affection cutanée, dont le siege n'est que dans le tissu de la peau. On l'observe principalement aux piés, aux mains, & au visage ; il y en a une espece qui est fixe aux piés, & qui en empêche les mouvemens : on l'appelle érésipele scorbutique. Voyez ERESIPELE. Stahl, & après lui Nenter, Juncker, & autres éclectiques, admettent une troisieme espece d'inflammation, qu'ils appellent apostémateuse, dont le caractere principal est une grande tendance à la suppuration.

Il y a aussi une autre division de l'inflammation très-scholastique, mais peu usitée, en phlogose, inflammation proprement dite, & inflammation sistrophique ; ces différences ont été tirées du degré & de la violence des symptomes de l'inflammation.

Outre cette variété qu'on observe dans les symptomes qui constituent l'inflammation, il y a des différences qu'il est très-important de remarquer dans la maniere dont elles se terminent. On compte ordinairement quatre terminaisons différentes, qui sont la résolution, la suppuration, l'induration, & la gangrene. La résolution a lieu lorsque l'inflammation se dissipe graduellement sans aucune altération sensible des vaisseaux ; on peut rapporter à la résolution la délitescence, qui n'en differe que par le plus de promtitude. La suppuration se fait, lorsque le sang arrêté, & les vaisseaux obstrués sont changés en une humeur tenace, égale, blanchâtre, douce, qu'on appelle pus ; au lieu de la tumeur inflammatoire on trouve un abscès. L'inflammation se termine par l'induration, lorsqu'elle laisse après elle une tumeur dure, indolente, purement lymphatique, connue sous le nom de skirrhe ; & enfin la terminaison se fait par la gangrene : lorsque la partie enflammée meurt, les symptomes inflammatoires cessent tout à coup, on observe une couleur plombée, livide, noirâtre, un sentiment fort obscur, & une odeur cadavéreuse, desagréable. Le dernier degré de mortification ou de gangrene, s'appelle sphacele ; la suppuration & l'induration sont les terminaisons les plus ordinaires des inflammations phlegmoneuses, elles se résolvent cependant quelquefois, & se gangrenent aussi, mais moins souvent que les érésipeles, à qui ces deux terminaisons sont principalement affectées : il peut arriver, & j'ai même vu un exemple, que l'érésipele se termine en oedème, c'est-à-dire qu'il laisse après lui une tumeur molle, insensible, cédant à l'impression du doigt, & en conservant l'empreinte ; j'ai vu aussi beaucoup d'érésipeles s'ulcérer, cette terminaison n'est pas rare.

Causes évidentes. Les causes dont il est ici question, connues sous le nom de principes dans les écrits de nos auteurs minutieusement exacts, & rigoureux, sont celles qu'une observation constante nous a fait voir, produire, concourir à la production de l'inflammation ; les unes disposent le sang & les humeurs à cet état ; on les appelle proëgumenes ; les autres survenant excitent & mettent en jeu cette disposition ; on les nomme procatartiques. Suivant cela, il n'est point de cause qui ne puisse contribuer à produire l'inflammation ; quelque erreur qui se soit commise dans l'usage de ce qu'on appelle dans les écoles, les six choses non-naturelles, peut donner occasion à cette maladie ; ainsi l'air froid ou chaud l'excite quelquefois ; ce même air peut aussi produire cet effet à raison des particules hétérogenes, dont il est quelquefois rempli, ou par une disposition inconnue. J'ai observé l'automne passée à Lyon, que presque toutes les personnes qui restoient à la campagne, étoient couvertes de furoncles. 2°. Le mouvement trop rapide, les exercices violens en sont une cause fréquente ; 3°. les erreurs dans le régime diététique y disposent beaucoup ; 4°. la suppression des excrétions, sur-tout sanguines, est très-souvent suivie d'inflammation ; 5°. on a vu quelquefois survenir aux passions d'ames, sur-tout vives, comme la colere, des érésipeles ; 6°. enfin les veilles trop long-tems continuées, sont très-propres à jetter dans le sang la disposition inflammatoire. A ces causes on peut ajouter l'application topique de tout corps irritant, comme le feu, le froid vif, les caustiques, les blessures, fractures, luxations, compressions, distorsions, ligatures, les corps étrangers, & c. Les morsures ou piquures d'animaux venimeux, sont aussi des causes qu'on voit tous les jours produire l'inflammation. On observe que celles qui agissent en irritant, & sur-tout en arrêtant la transpiration, produisent assez communément les érésipeles ; les engelures dépendent principalement de cette cause ; celles qui sont rébelles & périodiques dépendent d'un dérangement, d'un vice particulier dans les voies biliaires & hémorrhoïdales ; les phlegmons situés pour l'ordinaire plus profondement dans le tissu cellulaire & les glandes, sont excités par des causes moins promtes, & le plus souvent internes : ils sont assez souvent dépuratoires, ou critiques.

L'inflammation attaque tous les âges, tous les sexes, tous les sujets, tous les tempéramens ; personne n'est à l'abri d'une maladie, dont les causes sont extérieures, si multipliées, & si obvies. Je crois pouvoir assûrer en général, que les femmes y sont plus sujettes que les hommes ; que plus on approche de l'enfance, plus l'on en est susceptible. (Remarquez que je ne parle ici que de l'inflammation, & non des maladies inflammatoires, où l'on observe le contraire) ; ainsi les enfans y sont très-sujets. Ils sont impressionales à la moindre cause, & chez eux les inflammations suivant la pente naturelle des humeurs, se portent plus à la tête ; on observe aussi des aphthes, des légeres inflammations derriere les oreilles, aux tonsilles, aux yeux, des inflammations exanthématiques sur la tête, au visage. Après eux viennent les adolescens, ensuite les jeunes gens, & chez eux les inflammations s'observent principalement au col & à la poitrine.

Après ceux-ci, les adultes plus disposés aux inflammations, & aux embarras des visceres situés dans les hypocondres ; enfin dans les vieillards elles sont très-rares, & attaquent plutôt les parties inférieures, comme les reins, & les articulations. Voyez Hippocrate, Aphor. liv. III.

Le tempérament sanguin y est plus propre que le phlegmatique ; ceux qui ont un sang sec & épais, qu'on appelle inflammatoire, reçoivent très-facilement les impressions fâcheuses des causes éloignées. Le tempérament bilieux, mélancolique, le plus sensible de tous est aussi sujet à l'inflammation. Les personnes hémorrhoïdaires, bilieuses, hépatiques, semblent avoir une disposition particuliere aux érésipeles périodiques, qui, par le défaut du traitement, deviennent très-opiniâtres.

La théorie. La théorie de l'inflammation n'est autre chose que la recherche ou l'examen des causes inconnues qui la produisent, ou plutôt qui la constituent. Il s'agit ici de cette cause, que les scholastiques appellent cause prochaine, continente, dont la présence entraîne nécessairement l'inflammation, & qui cessant d'exister, termine tout de suite l'inflammation. Cette cause, ce changement intérieur qu'éprouvent alors le sang & les vaisseaux, entierement dérobé au témoignage des sens, est par là même fort incertain, très-obscur ; & c'est ce qui l'a rendu la source de beaucoup de discussions, de disputes, d'hypotheses, & en conséquence de beaucoup d'erreurs. Le raisonnement seul peut percer ce mystere ; aussi est-il bien difficile de donner sur cette matiere rien de certain, & c'est un grand point d'atteindre le vraisemblable ; pour s'en convaincre il n'y a qu'à jetter un coup d'oeil sur les différens sentimens qui ont partagé depuis très-long-tems les Medecins.

Les anciens pensoient que l'inflammation se formoit par une fluxion rapide d'une humeur chaude & agitée, dans une partie, & sur-tout dans les vaisseaux destinés à renfermer les esprits. C'est ainsi qu'ils appelloient les arteres, qu'ils ont cru jusqu'à Galien qui combat vivement cette erreur, entierement vuides de sang ; si c'étoit un sang pur & médiocrement épais, dit après Galien Paul d'Egine, l'inflammation étoit phlegmoneuse, le mélange du sang & de la bile seule ainsi ramassée, occasionnoit les dartres, &c.

On voit à-travers les fautes qu'entraînoit nécessairement le défaut d'anatomie, l'ignorance de la circulation du sang, le mauvais état de la physique, &c. que les anciens faisoient consister l'inflammation dans l'arrêt & l'accumulation du sang, d'un sang agité dans les extrémités des arteres. Ce sentiment a été renouvellé, après avoir été long-tems ridiculisé & mis en oubli, & on l'a donné comme nouveau, de même que bien d'autres opinions des anciens.

Pendant l'espace de dix-huit siecles que les Medecins ne juroient que par Galien & par Hippocrate, & ne savoient pas penser sans leur secours, on n'a rien innové dans la doctrine des anciens ; & cette théorie, la seule qu'il y eût, étoit généralement adoptée de tout le monde.

Lorsqu'au commencement du xvj. siecle la Chimie au sortir du berceau commença à fleurir & à dominer, elle éblouit alors loin d'éclairer ; tout le monde lui rendit les armes, & la face de la Medecine fut entierement changée : les écoles ne retentirent plus que des noms imposans & mal définis de sel, de soufre, d'esprit, &c. On métamorphosa le corps humain en alembic ; le sang fut regardé comme un magasin de différens sels, de soufre, & autres principes chimiques ; on plaça dans toutes les parties & dans tous les couloirs, des fermens particuliers destinés à chaque secrétion ; en un mot, on pensa que les effervescences, fermentations, & autres phénomenes chimiques qu'on observe dans les laboratoires, devoient se remarquer aussi dans le corps humain. Il fut décidé que toutes les maladies devoient leur origine à des combinaisons contre nature des différens principes qui composent le sang ; ainsi Paracelse déduisit la fievre de l'inflammation d'un principe nitro-sulfureux qui se formoit dans le sang, lorsque des mucilages, des esprits salins & nitreux se mêloient à un soufre impur & fétide, lorsque ce mélange étoit considérable & répandu dans tout le corps, fleurs qui resultoient de sa progémination, acéteuses, froides & mercurielles, ensuite grasses, inflammables & sulfureuses, produisoient successivement le froid & le chaud fébril. Ce mélange restreint & concentré dans une partie, & toûjours entretenu par un abord continuel des mêmes matieres, formoit l'inflammation.

Un sang abondamment chargé de parties huileuses & sulfureuses, dit Wolfangus Wedelius, venant à s'arrêter dans les pores, causera l'inflammation, sur-tout érésipélateuse, parce que les parties salines sulfureuses venant à se dilater & à se raréfier, causeront une irritation qui déterminera les efforts de l'archée surveillant.

Willis tour-à-tour fameux anatomiste, grand medecin, excellent chimiste, & sur-tout si zelé fermentateur, qu'il souhaitoit, peut être pas sans fondement, que les Medecins ressemblassent à des vinaigriers, plaça dans tous les couloirs, dans tous les visceres, des fermens particuliers ; il composa le sang humain de ses cinq principes universels, savoir d'esprit, de phlegmes, de sels, de soufre, & de terre, ou caput mortuum ; & comme s'il opéroit dans son laboratoire, il procede ainsi à cette composition ; il enchaîne les esprits dans les corpuscules grossiers & terreux ; par cette sage précaution, il prévient leur dissipation : d'ailleurs ces esprits retenus font de continuels efforts pour s'échapper ; ils mettent en mouvement, dilatent, subtilisent leurs liens, volatilisent les sels, dissolvent les soufres, les rendent miscibles à l'eau, brisent la terre, & enfin mêlent intimement ces principes entr'eux. De ce mélange il resulte un corps fluide auquel les soufres dissouts donnent une couleur rouge ; ce fluide ainsi formé, est le sang dont les parties sont toûjours dans un mouvement intestin de fermentation, ou d'effervescence, dit Willis ; car il confond souvent ces deux mouvemens que la chimie moderne a réellement distingués. Lorsque ce mouvement intestin semblable à la fermentation vineuse, est réduit à un juste milieu, il établit la santé : arrêté, diminué, ou augmenté par différentes causes, il est la source de différentes maladies ; si les parties salines & sulfureuses sont plus abondantes, ou plus développées dans une partie, elles embarrasseront le mouvement du sang, l'empêcheront de circuler ; d'où il resultera un choc plus grand & plus subit des parties différentes ; & de-là naîtront avec l'inflammation tous les différens symptomes, la tumeur, la rougeur, la chaleur & la douleur, & la fievre surviendra : si quelque principe, sur-tout actif, comme les esprits & le soufre, prend le dessus, il s'excitera une sorte d'effervescence, comme il arrive dans un tonneau de vin, lorsque quelque partie, sur-tout le tartre, prédomine ; cette effervescence ou la fievre durera jusqu'à ce que le sang enflammé par le feu fébrile ait deflagré.

Chirac, illustre professeur de Montpellier, homme né avec un génie hardi & créateur, doué de talens supérieurs, & renommé par les changemens considérables qu'il a apportés dans la théorie & la pratique de la Medecine, pensoit aussi que le sang étoit composé de sels, de soufre, de terre & d'eau ; que les sels qui entroient dans sa composition étoient de différente nature, les uns acides, & les autres alkalis ; ils entretenoient par leur choc mutuel un mouvement de fermentation, ou plutôt d'effervescence, nécessaire à la coction des humeurs & à leurs différentes secrétions ; si quelques causes augmentoient l'énergie de ces sels, leur choc devenoit plus fort, la chaleur plus vive, la fermentation augmentoit. Si cette cause avoit lieu dans tout le corps, la fievre étoit excitée ; si elle étoit restrainte à une partie, & sur-tout le sang étant déja coagulé par les acides, ce n'étoit qu'une fievre topique, ou inflammation.

Quelques sectateurs de la physique de Descartes ont trouvé la cause de l'inflammation dans cette matiere subtile éthérée qui, selon eux, est le premier & le seul moteur de toutes choses : en supposant auparavant le sang épaissi & arrêté dans quelques parties, la matiere subtile qui avant cet épaississement parcouroit en liberté les pores du sang ouverts & disposés en droite ligne, ne sauroit se mouvoir avec la même facilité dans les pores retrécis & tortueux d'un sang coagulé ; ainsi elle sera obligée de faire des efforts pour briser les liens, pour vaincre les obstacles qui s'opposent à son mouvement, pour expulser les matieres hétérogenes qui bouchent les pores ; tous ces efforts, ces mouvemens, seront nécessairement suivis de chaleur, de rougeur, de douleur, & en un mot il y aura inflammation.

On ne sauroit nier que tous ces systèmes ne soient imaginés avec beaucoup d'esprit ; il est fâcheux qu'ils n'ayent d'autre mérite, & qu'ils soient si éloignés de la vérité ; une réfutation sérieuse me paroît superflue ; les nouvelles analyses du sang & des humeurs en ont banni tous ces principes, qui étoient redevables de leur existence à l'imagination bouillante & préoccupée de quelques chimistes ; la matiere éthérée ne méritoit pas un traitement plus favorable ; la saine Physique en a reconnu l'insuffisance & le défaut, & l'a condamnée, ainsi que les lois du mouvement de ce grand homme, à une inaction perpétuelle. Aussi toutes ces hypothèses, fruit de l'imagination, ne se sont soutenues que peu de tems en faveur de la nouveauté, & sont tombées dans l'oubli aussi-tôt qu'elles ont eu perdu ce foible avantage, opinionum commenta delet dies.

Les Méchaniciens ont succédé aux Chimistes ; ils se sont élevés sur les débris de la Chimie, dont ils ont renversé les opinions ; le corps humain changea dans leur main de nature ; il cessa d'être laboratoire, & fut transformé en un magasin de cordes, de leviers, poulies, & autres instrumens de méchanique, dont le principal but devoit être de concourir au mouvement des humeurs ; en un mot, le corps fut regardé comme une machine statico-hydraulique ; & on ne balança pas un moment à en expliquer toutes les fonctions par les voies aveugles & démontrées géométriquement de la méchanique inorganique ; mais il est arrivé très-souvent qu'on a fait une fausse application des principes les plus certains ; leur théorie de l'inflammation, & celle de la fievre, qui est presque la même, est fondée sur ce principe, dont la vérité n'est rien moins que démontrée dans la fievre, mais qui est assûrée dans l'inflammation ; savoir que le cours du sang est gêné & presque nul dans les extrémités capillaires.

M. Deidier, ancien professeur en notre université, célebre sur-tout par les ressources heureuses que lui fournissoit une imagination vive dans les cas les plus desespérés, le premier qui ait fait jouer la machine dans le corps humain, regardoit la stagnation du sang dans les petites artérioles comme cause suffisante de l'inflammation. Cela posé, disoit-il, le sang qui continuellement poussé par le coeur, vient heurter contre ces obstructions, rebrousse chemin, passe plus vîte par les vaisseaux collatéraux ; parce qu'une plus grande quantité doit passer dans un tems donné. Il arrive donc au coeur par un chemin plus court, par conséquent plus promtement, & en plus grande quantité ; d'où s'ensuit encore la fievre génerale, qu'il doit regarder dans son système comme compagne inséparable de l'inflammation. Cette explication n'est qu'un enchaînement de principes faux & contraires aux lois du mouvement ; car, selon ces lois, un corps mu avec un certain degré de vîtesse, rencontrant un corps de la même densité en repos, lui communique la moitié de sa vîtesse ; donc le sang poussé par le coeur contre celui qui est arrêté, doit perdre de sa vîtesse loin d'en acquérir une nouvelle ; loin donc de traverser plus vîte les vaisseaux adjoints, donc il ne doit pas non plus arriver plus promtement au coeur ; car souvent le passage par les vaisseaux collatéraux n'abrege point le chemin ; d'ailleurs il doit y parvenir en moindre quantité, puisqu'une partie des extrémités capillaires lui refuse une issue ; il est démontré que la masse d'un fluide qui s'échappe d'un tube par différens orifices, est proportionnelle à leur nombre. Si dans une pompe de trois orifices égaux, on en bouche deux, le piston continuant de jouer avec la même force, la quantité du fluide qui sortira par le seul orifice sera sous-triple de celle qui s'échappoit auparavant par les trois. Ainsi les petits vaisseaux s'étant bouchés par la supposition, la masse du sang qui sera transmise au coeur diminuera à proportion ; donc ces obstacles ne tendront qu'à diminuer la force & la vîtesse des contractions du coeur, loin de les augmenter ; la gangrene & la syncope dans ces circonstances seroient plus à craindre que l'inflammation & la fievre.

M. Fizes, aussi fameux professeur en l'université de Montpellier, suit exactement l'opinion de Deidier ; il pense avec lui que la stagnation du sang suffit pour augmenter sa vîtesse dans les vaisseaux voisins, & même par tout le corps ; il ajoute que les parties fibreuses du sang embarrassant l'embouchure des vaisseaux lymphatiques, la lymphe ne sera point séparée. Or cette secrétion qui, selon lui, arrête le cours du sang, n'ayant pas lieu, le sang ira d'autant plus vîte, que sa vîtesse dans les extrémités artérielles surpasse celle de la lymphe dans ses vaisseaux appropriés : citons les propres termes de l'auteur, pour ne pas paroître les avoir obscurcis : hinc sanguinis celeritas in eâ proportione crescet quâ sanguinis per vasa minima projecti celeritas lymphae per ductus exiguos fluentis celeritatem superat ; ce qui donne encore la raison si recherchée de l'augmentation prétendue dans la vîtesse du sang, soit dans la partie, soit dans tout le corps : c'est assurément prendre bien de la peine pour donner la raison d'un fait qui n'est rien moins qu'évident ; il me semble voir tous les Chimistes disputer, entasser des volumes, pour rendre raison d'une dent d'or supposée naturelle à un enfant qui étoit à la cour d'un duc de Toscane, tandis que le fait étoit faux ; ou les Physiciens se mettre à la torture pour expliquer les lampes éternelles de Descartes, dont on constata la fausseté. Cette lymphe qui reste dans le sang sert encore à expliquer la force des contractions du coeur, qu'on croit devoir être jointes à la vîtesse pour faire la fievre ; car par son moyen la masse du sang augmentera. D'où il suivroit que la fievre sera proportionnée à la quantité de lymphe qui restera dans le sang ; & qu'ainsi une inflammation très-étendue (pour ne pas aller chercher d'autres exemples étrangers, aussi contraires à cette assertion) sera toûjours suivie d'une fievre considérable ; & une inflammation qui occupera peu d'espace, dans laquelle peu de vaisseaux lymphatiques seront embarrassés par ces prétendues parties fibreuses, ne sera jamais suivie de la fievre : mais la fievre aiguë qui survient aux panaris, & mille autres observations, font voir tout le faux & l'insuffisance de cette théorie.

Le grand Boerhaave & l'illustre Swieten, le commentateur de ses fameux & obscurs aphorismes, admettent aussi à-peu-près la même opinion ; ils y ajoutent un certain broyement du sang qui se fait dans les vaisseaux obstrués par la contraction de ces mêmes vaisseaux, & par l'impulsion du sang qui aborde continuellement avec la même vîtesse, ou une plus grande ; du reste, c'est encore ici un sang qui va au coeur par des chemins plus courts, dont la masse est aussi augmentée. Il faut, disent-ils, ou que ce sang surabondant reste dans les vaisseaux libres, ou il doit en sortir avec plus de vîtesse : l'un des deux est assurément indispensable ; l'observation & l'expérience que le commentateur a fait sur un chien, font voir qu'il n'y reste pas ; donc, concluent-ils, sa vîtesse augmente. D'ailleurs la pléthore suffit, selon qu'ils l'exposent ailleurs, pour déterminer le coeur à des contractions plus violentes & plus réitérées. Quoique la fausseté de cette théorie qui est pourtant encore la plus reçue dans les écoles, appuyée du grand nom de Boerhaave, soit assez démontrée par ce que nous avons dit, je remarquerai que son broyement est purement imaginaire ; que sa pléthore loin de produire la fievre, doit retarder les contractions du coeur ; aussi voyons-nous que le pouls des personnes pléthoriques est remarquable par sa lenteur : concluons aussi que suivant ces systèmes, une personne qui aura la moitié du corps gangrenée, par exemple, devra avoir une fievre extrêmement aiguë, dont la force sera en raison composée de l'augmentation des humeurs & de la briéveté de leur chemin. Remarquons enfin, pour en déterminer la nouveauté, que cette stagnation d'un sang broyé & en mouvement de nos modernes, ne differe pas beaucoup de la congestion d'un sang agité & bouillant que Galien avoit établi.

Les éclectiques ou animistes, avec Stahl, ou plutôt Hippocrate leur chef, voyant ou croyant voir l'impossibilité de déduire tous les mouvemens humains d'un pur méchanisme, ont recouru à une puissance hyper-méchanique, qu'ils en ont fait le premier auteur. Cette puissance ou faculté motrice est connue dans les ouvrages d'Hippocrate, Galien & autres illustres peres de la Médecine ancienne, sous les noms de nature, d'ame, de chaud inné, d'archée, de chaleur primordiale effective, &c. Tous ces noms étoient synonymes & indifféremment employés pour désigner l'ame, comme on peut le voir par une foule de passages d'Hippocrate, & comme Galien le dit expressément dans le livre intitulé, , où il s'exprime ainsi : , la nature & l'ame ne sont rien autre chose. Dans les maladies les anciens croyoient reconnoître son ouvrage bienfaisant, , dit Hippocrate, Epid. lib. VI. , & ils la regardoient dans l'état de santé comme un principe veillant à la conservation du corps, attirant ce qui lui paroissoit bon, le retenant, assimilant ce qui pouvoit contribuer à la nutrition de son domicile, & chassant ce qui ne pouvoit que lui être nuisible. Galen. de differ. febr. lib. II. cap. xj.

Stahl a renouvellé, corrigé, châtié, ou pour mieux dire, habillé à la moderne le sentiment des anciens qu'on a vu depuis se glorifier du beau nom de stahlianisme. L'appui d'un si grand maître a attiré beaucoup de sectateurs à cette opinion. On a cru voir l'ame ou la nature, bonne & prévoyante mere, opérer avec choix & succès, quoiqu'à l'aveugle, guérir obligeamment des maladies qu'elle ne connoît pas, & manier avec intelligence des ressorts dont la structure & le méchanisme lui sont aussi cachés : qu'importe ? On a observé dans l'éternuement une quantité de muscles mis en jeu & mûs d'une façon particuliere très appropriée pour balayer & emporter les parties âcres qui irritoient la membrane pituitaire ; dans le vomissement, un méchanisme très-joliment imaginé pour dégager l'estomac surchargé, sans chercher, sans faire attention que ces effets auroient peut-être pû être exécutés avec moins d'efforts & moins de dépense de fluide nerveux. On a crié que ces opérations se faisoient le mieux qu'il fût possible dans la plus parfaite des machines, & conséquemment par la plus spirituelle & la plus bienfaisante des intelligences ; tous les visceres, tous les vaisseaux sont parsemés de nerfs, qui semblent être ses émissaires & ses espions qui l'avertissent des irritations, des dérangemens qui demandent son action ; ils sont munis & entourés de fibres musculaires propres à exécuter les mouvemens que l'ame juge nécessaires.

Cela posé, pour expliquer l'inflammation, les Stahliens supposent la stagnation du sang dans les vaisseaux capillaires ou dans les pores, comme parle Stahl ; l'ame dès-lors attentive à la conservation de sa précieuse machine, prévoyant le mal qui arriveroit si le sang croupissoit long-tems immobile dans les vaisseaux, envoie une plus grande quantité de fluide nerveux dans les vaisseaux obstrués & circonvoisins pour emporter cette obstruction. Si l'inflammation est plus considérable, ou plutôt si la douleur plus vive la lui fait paroître telle, & le danger plus pressant, l'ame en général instruite proportionnera le remede à la grandeur du péril ; voyant l'insuffisance du premier secours, augmentera par tout le corps (assez inutilement) le mouvement du coeur & des arteres ; ce qui quelquefois résoudra l'inflammation ; d'autres fois la fera gangrener, si un médecin attentif ne sait pas modérer la fougue & l'ardeur de ce principe impétueux ; si le sort du combat est malheureux, que la maladie ait le dessus, c'est au défaut des forces, à la mauvaise disposition des organes que le peu de succès doit être attribué, & quelquefois aussi, remarque fort naïvement Nenter, fervent animiste, aux erreurs de l'ame, qui pouvant se tromper, & se trompant en effet très-souvent dans les choses morales, ne doit pas être censée infaillible dans celles qui concernent la conservation de la vie & de la santé.

Cette théorie, qui paroît d'abord très-satisfaisante, & qui est sur-tout assez conforme à la pratique, a été mise dans un très-beau jour, & fort savamment exposée dans une très-belle & très-géométrique dissertation, que M. de Sauvages a fait soutenir il y a quelques années aux écoles de Médecine de Montpellier.

Quelles que soient cependant les autorités & les apparences de cette opinion, elle est fondée sur un principe dont la vérité ne paroît pas incontestable : c'est l'ame, dit-on, qui est la cause efficiente de l'inflammation, parce qu'elle est le principe des mouvemens vitaux ; quelques effets que les passions d'ame font sur le corps ont d'abord fait hasarder ce paradoxe, & l'on a cru qu'il étoit à-propos de ne pas laisser un si bel agent sans ouvrage, d'autant mieux que la matiere seule a été jugée incapable de se mouvoir par elle-même. Il est vrai que si notre corps étoit une machine brute, inorganique, il faudroit nécessairement que quelqu'autre agent en dirigeât, soutînt & augmentât les mouvemens ; & les erreurs des Méchaniciens ne me paroissent partir d'autre principe que de ce qu'ils n'ont pas considéré les animaux comme des composés, vivans & organisés. Mais quand même on seroit obligé d'admettre une faculté motrice qui agît & opérât dans le corps, elle devroit être censée différente de l'ame, & destinée à régler les mouvemens vitaux, tandis que l'ame seroit occupée à penser ou à veiller sur les fonctions animales. Ce qui donneroit occasion de penser ainsi, c'est en premier lieu le peu de connoissance qu'a l'ame de ce qui regarde la nature & ses opérations ; en second lieu, c'est que le corps se trouve quelquefois dans certaines situations où l'ame semble avoir abandonné les rènes de son empire ; tous les mouvemens animaux sont abolis ; les demi-animaux, la respiration, par exemple, sont beaucoup affoiblis, & cependant alors les mouvemens vitaux s'exécutent souvent avec assez de facilité : la même chose s'observe dans le sommeil, qui n'est qu'une légere image de cet état morbifique ; l'ame ne sent rien ; des causes souvent assez actives de douleur ne parviennent point jusqu'à elle, n'excitent aucun sentiment fâcheux : cependant alors les fonctions vitales s'exercent avec plus de force, ce semble, & d'uniformité.

Mais, demandera-t-on, cette nouvelle faculté motrice est-elle spirituelle, matérielle, ou tient-elle un milieu entre ces deux états ? Je réponds 1°. qu'ayant lieu aussi-bien dans les animaux & les végétaux que dans l'homme, elle ne sauroit être spirituelle : je dis dans les végétaux, parce qu'on y observe le même méchanisme, quoique plus simple, que dans les animaux, & que je les regarde comme compris sous la classe des corps organisés, & ne différant que par nuances des animaux irraisonnables (l'homme doué d'une ame pensante & raisonneuse, faisant sa classe à part). Outre la circulation des humeurs, la nutrition, la génération, la végétation, &c. ne voit-on pas, pour choisir un exemple qui soit de mon sujet, dans quelques arbres survenir des tumeurs après des coups, après la piquure de certains insectes ? Pour ce qui regarde les animaux, personne ne doute qu'ils ne soient sujets à l'inflammation & autres maladies comme les hommes, & que chez eux ces maladies ne se guérissent de même.

2°. Tous ces efforts prétendus opérés par un principe aussi-bienfaisant qu'intelligent, & toujours dirigés à une bonne fin, sont trop constans & trop semblables pour n'être pas l'effet d'un méchanisme aveugle. Dans tous les tems, dans tous les pays, dans tous les sexes, les âges, dans tous les animaux, (je ne dis pas les végétaux, parce que cette partie de leur histoire, qui traite des maladies, ne m'est pas assez connue), ces efforts s'exécutent de la même maniere ; ils consistent dans l'augmentation du mouvement vital, lorsque les obstacles irritans à vaincre sont dans le système vasculeux, lorsque les nerfs qui servent aux fonctions vitales sont irrités, ce qui arrive le plus souvent ; & le mouvement des muscles augmente contre ou sans la volonté de l'ame, & il survient des convulsions universelles ou particulieres, lorsque l'irritation porte sur les autres nerfs, comme il arrive aux enfans & aux hystériques. Il est aussi simple & aussi nécessaire que ces efforts s'exécutent, & qu'à l'irritation survienne l'inflammation, qu'il est naturel que la pression d'un ressort dans une montre à répétition fasse sonner les heures. Si une faculté clairvoyante conduisoit ces efforts, elle devroit les proportionner aux dangers, aux forces, au tempérament & à l'état de la maladie, les varier, les diversifier suivant les circonstances, & même les supprimer lorsqu'ils pourroient être nuisibles ou infructueux. Si l'on observoit ces efforts ainsi dirigés, & conséquemment toujours suivis d'un heureux succès, qu'on les rapporte à l'ame ou à tout autre principe intelligent, rien de plus naturel ; mais voir toujours la même uniformité dans des cas absolument indifférens, voir des symptomes multipliés & dangereux, souvent la mort même succéder aux efforts de ce principe, appellé bienfaisant ; voir des convulsions violentes, quelquefois mortelles, excitées par une cause très-légere ; toutes les puissances du corps déchaînées, la fievre la plus aiguë animée pour détacher l'ongle du doigt dans un panaris ; voir au contraire ces efforts modérés & trop foibles dans une inflammation sourde du foie ; ne pouvoir pas prévenir la suppuration d'un viscere si nécessaire à la santé & à la vie ; voir enfin des inflammations légeres en apparence, suivies bientôt de la mort de la partie ou de tout le corps, par le moyen de ces mouvemens prétendus salutaires ; voir, dis-je, tous ces effets, & les attribuer à un principe aussi bienfaisant qu'intelligent, c'est, à ce qu'il me semble, raisonner bien peu conséquemment.

3°. Dans tout corps vivant & organisé, on observe une propriété singuliere, plus particulierement attachée aux parties musculeuses, que Glisson a le premier démontré dans les animaux, & appellée irritabilité, & qui est connue dans divers écrits sous les noms synonymes de sensibilité, mobilité & contractilité. Elle est telle, que lorsqu'on irrite ces parties, elles se contractent, se roidissent, se mettent en mouvement, & semblent vouloir se délivrer de la cause qui les irrite ; le sang abonde en plus grande quantité & plus vîte au point où l'irritation s'est faite ; ce point-là devient plus rouge & plus saillant, & il s'y forme une inflammation plus ou moins considérable : on en voit quelques traces dans les végétaux ; quoiqu'elle y soit moins sensible, elle y est très-assurée. Cette propriété entierement hors du ressort de l'ame, également présente, quoique dans un degré moins fort & moins durable dans les parties séparées du corps, que dans celles qui lui restent unies, est le principe moteur, la nature, l'archée, &c. elle suffit pour expliquer la fievre, l'inflammation & les autres phénomenes de l'économie animale qu'on déduisoit de l'ame ou nature. Voyez IRRITABILITE, SENSIBILITE, &c.

Toutes les expériences faites sur les parties contractées ou sensibles des animaux, démontrent que pour faire naître l'inflammation il ne faut qu'augmenter à un certain point la contractilité des petits vaisseaux artériels d'une partie sujette aux lois de la circulation & exposée à l'action des nerfs. L'irritation qui produit cet effet, est cette épine dont parle van Helmont, qui attire d'abord à un point le sang qui s'y accumule peu-à-peu tout-à-l'entour, qui s'arrête ensuite dans les petits vaisseaux qui y vont aboutir ; ce qui donne lieu aux symptomes inflammatoires. Cette théorie (si ce que nous venons d'avancer mérite ce nom) n'est qu'un exposé ou un corollaire de ce que les expériences offrent aux yeux les moins attentifs. Voyez IRRITABILITE & SENSIBILITE.

Appliquons à présent à cette cause déterminée quelques considérations ou propositions qui nous conduiront à l'examen des causes éloignées évidentes, & dont le développement terminera cette partie.

1°. On croit communément que la stagnation du sang est nécessairement la base de toute inflammation : cette assertion mérite quelqu'éclaircissement ; prise dans le sens qui se présente naturellement, elle est trop générale ; c'est-à-dire si l'on pense, comme c'est le sentiment unanimement reçu, que la stagnation du sang est un principe qui doit précéder & produire l'inflammation. Cette proposition ainsi donnée universellement est fausse. Il y a bien des inflammations excitées par le feu, les caustiques actifs, &c. qui suivent de trop près l'application de la cause, pour qu'on puisse supposer que le sang a dû s'arrêter avant que les symptomes parussent : cette supposition seroit d'ailleurs gratuite & démontrée fausse, parce que ces causes suffisent pour augmenter l'irritabilité & exciter les symptomes inflammatoires. Il est bien vrai que dans ces inflammations cet arrêt du sang ne tarde pas à avoir lieu ; ainsi dans certains cas il est cause, dans d'autres il est l'effet de l'inflammation. La tumeur présente dans toute inflammation, quoiqu'inobservable dans celles qui sont internes, toujours constante malgré la syncope & la mort même, le siége de l'inflammation & les causes qui la produisent concourent à fournir des preuves incontestables de ce fait. Par stagnation, hérence, arrêt du sang, &c. je n'entends pas le repos absolu, mais seulement son mouvement retardé de façon qu'il aborde plus vîte à la partie qu'il n'en revient.

2°. L'inflammation n'a lieu que dans les petits vaisseaux artériels, sanguins ou lymphatiques. La stagnation qui se feroit dans les gros troncs seroit suivie de la syncope ou de la mort ; si par une ligature on intercepte dans un vaisseau artériel considérable le mouvement du sang, l'animal sur qui on fait l'expérience devient inquiet, s'agite & meurt dans les convulsions, & l'on n'apperçoit d'autre inflammation que celle des petits rameaux qui rampent dans les parois de l'artere liée, dans lesquels la ligature a gêné ou interrompu le cours des humeurs. La proposition qui annonce que le siége de l'inflammation n'est que dans les vaisseaux artériels, est fondée sur le peu de contractilité ou sensibilité des veines, sur leur disposition, qui est telle que le sang va toujours d'un endroit plus difficile dans un plus large & plus aisé. Elle est cependant trop générale, à moins que sous le nom d'arteres on ne veuille aussi comprendre les veines qui en font les fonctions, & dont les ramifications se multiplient en convergeant : la veine-porte est dans ce cas-là ; aussi je pense que c'est dans ses extrémités qu'est le siege de l'inflammation sourde du foie, si difficile à connoître & à guérir. Nous avons ajouté que les vaisseaux susceptibles d'inflammation étoient sanguins ou lymphatiques ; en effet, le sang peut s'arrêter dans les premiers, ou s'égarer dans les lymphatiques qui naissent des vaisseaux sanguins ; ce qui produit l'inflammation par erreur de lieu de Boerhaave, le premier qui ait développé cette idée, qui ne lui appartient pas, que Chirac pourroit revendiquer avant lui, mais dont la découverte doit être, avec plus de raison, comme l'a déja remarqué M. Fizes, attribuée au célebre Vieussens, medecin de Montpellier, le plus grand des anatomistes françois. Il expose fort clairement cette doctrine dans son traité intitulé : Novum systema vasorum. Il dit avoir vu dans les intestins d'un homme mort d'une inflammation dans cette partie-là, les vaisseaux lymphatiques nouvellement découverts, tous remplis de sang, " qui par leur replis tortueux & leur entrelacement réitéré présentoient un spectacle étonnant & fort agréable ; & de cette observation il suit clairement, ajoute ce grand medecin, que le sang trop abondant ou raréfié peut quelquefois s'épancher dans les vaisseaux lymphatiques dilatés, s'y arrêter & produire une nouvelle inflammation dont je n'ai eu aucune idée claire avant d'avoir découvert l'origine, l'insertion & les distributions des vaisseaux secretoires du corps humain ". Boerhaave n'ignoroit pas la vérité de ce fait, rapporté par Vieussens ; cependant sans lui en rendre de justes hommages, il donne cette idée comme lui appartenante. Les anciens avoient eu quelque idée de cette inflammation. Galien dit dans un endroit (Method. med. lib. X. cap. x.) que l'inflammation est quelquefois si violente, que non-seulement les petits vaisseaux sanguins sont engorgés, mais même les vastes espaces qui sont entre ces vaisseaux sont distendus par un sang chaud & abondant : on pourroit croire qu'il veut parler des petites ramifications lymphatiques qui sont dans le tissu cellulaire. On voit un exemple frappant & démonstratif de cette inflammation dans l'ophthalmie, où la cornée opaque arrosée dans l'état naturel des seuls lymphatiques transparens, paroît alors n'être qu'un tissu de vaisseaux sanguins gonflés : l'inflammation des tendons, des os, des cartilages, &c. offre le même spectacle & la même preuve. Il y a d'ailleurs des observations qui démontrent que le sang peut se faire jour à travers les plus petits vaisseaux ; ainsi on a vu des personnes dont la sueur étoit entremêlée de globules rouges ; on voit des crachats teints de sang, sans qu'on puisse soupçonner la rupture des petits vaisseaux ; les tuyaux excrétoires de la matrice à-travers lesquels il ne suinte ordinairement qu'une humeur ténue & limpide, laissent dans le tems de la menstruation passer du sang rouge en quantité ; si dans ces vaisseaux lymphatiques encore irritables, au lieu du sang, la lymphe, au transport de laquelle ils sont destinés, vient à s'arrêter, il se formera une inflammation blanche, que Boerhaave appelle du second genre, & qui est connue sous le nom d'oedème chaud ; cet auteur s'abandonnant à sa théorie, pense qu'il peut y avoir autant de genres d'inflammation, qu'il y a de genres décroissans de vaisseaux séreux ; mais il ne fait pas attention que l'obstruction ne suffit pas, il faut outre cela qu'elle ait lieu dans les vaisseaux irritables ; sans cela il se forme un skirrhe, ou un oedeme, & non une inflammation séreuse ; les expériences apprennent qu'on n'apperçoit aucune trace d'irritabilité dans les vaisseaux lymphatiques qui sont parvenus à une certaine petitesse. L'on peut conclure de ce que nous avons dit, que toutes les parties qui ont des vaisseaux sanguins ou lymphatiques du premier & second genre, sont sujettes à l'inflammation, & conséquemment il n'y a point de partie à l'abri de cette affection, puisque les admirables & malheureusement perdues injections de Ruysch, nous apprennent que toutes les parties ont des vaisseaux assez considérables ; il n'est pas jusqu'aux os qui ne puissent être susceptibles d'inflammation. Galien assûre qu'ils peuvent s'enflammer même indépendamment des membranes qui les environnent ; les observations de Heyne (voyez son traité de l'inflammation des os) confirment cette assertion.

Les causes qui produisent l'inflammation, peuvent se réduire à deux chefs principaux ; savoir à celles qui augmentent d'abord l'irritabilité dans la partie avant de produire la stagnation, & à celles dont l'effet primitif est cette stagnation qui détermine ensuite & excite l'augmentation de contractilité : ces deux causes peuvent agir ensemble & se compliquer.

On peut ranger à la premiere classe toutes les causes irritantes, le feu, les caustiques, les vesicatoires, le froid extrêmement âcre, les applications huileuses, rances, ou simplement emplastiques, qui agissent en arrêtant la transpiration, les frictions, l'écoulement ou le dépôt de quelque humeur qui ait une âcreté très-marquée, comme il arrive aux hydropiques, aux jambes desquels on observe des legeres inflammations excitées par la sérosité qui s'échappe, aux femmes qui ont des fleurs blanches d'un mauvais caractere, ou un flux gonorrhoïque virulent, tout l'intérieur du vagin est enflammé. L'érésipele scorbutique dépend aussi de la même cause : toutes ces inflammations paroissent participer davantage de l'érésipele que du phlegmon. Je crois que dans l'érésipele le sang est le plus souvent mêlé avec la matiere de la transpiration, ou avec quelqu'autre humeur ténue, acre, & sur-tout bilieuse. Les érésipeles qui surviennent à des coleres effrénées dépendroient-elles d'un dérangement excité dans le foie ? Ce qu'il y a de bien certain, c'est que bien des érésipeles, & sur-tout ceux qui sont périodiques, méritent souvent d'être attribués à quelque changement opéré dans ce viscere ; c'est la pratique & l'observation qui ont donné naissance à cette idée. Les inflammations qui surviennent aux blessures, luxations, distorsions, & en un mot aux affections dolorifiques, doivent être aussi renfermées dans cette classe.

La seconde classe établie des causes qui excitent l'inflammation, comprend celles qui produisent d'abord l'hérence du sang ou l'obstruction des vaisseaux, & qui y disposent. Pour que le sang s'arrête ou coule plus difficilement dans les vaisseaux de quelque partie, il faut que sa masse augmente par-dessus la capacité des vaisseaux ; ce qui peut arriver, ou par l'augmentation absolue du sang, ou par la diminution de la capacité des vaisseaux, ou enfin par le concours de ces deux causes, l'inflammation n'ayant lieu que dans les petits vaisseaux, où à peine les globules sanguins peuvent passer à la suite l'un de l'autre, il est évident que si les globules sont trop fortement liés les uns aux autres pour pouvoir se desunir par l'action très-foible de ces petits vaisseaux, l'obstruction se formera : or ce vice pourra être produit par le froid, les venins coagulans, les spiritueux, absorbans, acides, austeres, invisquans & agissans topiquement. Cette disposition sera engendrée & entretenue dans le corps par l'usage immodéré des liqueurs spiritueuses, aromatiques, vineuses, par les exercices violens, la pléthore, la suppression des excrétions sanguines, l'augmentation des séreuses ; la masse du sang augmentera encore, eu égard à la capacité de ces petits vaisseaux, si plusieurs globules poussés avec trop de rapidité se présentent en même tems à l'embouchure d'un vaisseau qui n'en peut admettre qu'un ; c'est le cas de la fievre.

Parmi les causes qui peuvent diminuer la capacité des vaisseaux, se présente d'abord la compression, qui peut être excitée par des corps étrangers, des tentes, des tampons, par exemple, placés mal-à-propos dans les plaies par des chirurgiens inhabiles, par des ligatures trop serrées, par les parties dures de notre corps déplacées ou rompues, comme il arrive dans les fractures, luxations, par le poids du corps sur une partie ; ainsi il survient des inflammations au coxis, aux trochanters, aux épaules des personnes qui restent long-tems couchées sur le dos. La compression peut aussi être produite par un sang trop abondant & raréfié, distendant certains vaisseaux ; ceux qui sont voisins souffrent de cette distension ; leur capacité en est par-là diminuée : c'est ce qui a lieu dans les fievres ardentes inflammatoires.

L'allongement des vaisseaux, leur distorsion peut, en changeant leur figure, en diminuer le diametre ; on sait que de toutes les figures isopérimetres, le cylindre est, après la sphere, celle qui contient le plus de masse ; si cette figure change de capacité, elle diminue nécessairement : cette cause peut avoir lieu dans les luxations, distorsions de membres ; c'est elle qui, de concert avec la douleur violente, produit les inflammations qu'on observe chez les criminels qui ont souffert la torture.

Enfin la capacité peut être retrécie par la propre contractilité des vaisseaux ; leurs parois ont une force qui les fait tendre à se rapprocher de l'axe : cette force est toujours combattue & empêchée d'avoir son effet par le mouvement & la présence du sang ; si cette force augmente, ou que la force qui la contrebalance diminue, alors les parois approchées mutuellement accourciront le diametre, & rendront le passage plus étroit. Toutes les causes qui rendent l'irritabilité plus forte, augmentent cette tendance : ces causes ont été détaillées plus haut ; c'est ce qui prouve encore que la stagnation du sang suit de près l'augmentation de l'irritabilité ; le mouvement & la quantité de sang qui retiennent en équilibre cette tendance venant à diminuer, elle aura aussitôt son effet ; c'est ce qui arrive dans les hémorrhagies, & c'est la cause la plus fréquente des inflammations qui surviennent aux blessures & aux opérations ; les vaisseaux coupés obéissant à cette force, se retirent, se cachent dans les chairs, & après que le mouvement & la quantité du sang ont été diminués par l'hémorrhagie, leurs parois s'appliquent mutuellement, le passage est presqu'entierement bouché ; c'est ce qui fait que ces inflammations se terminent toujours par la suppuration.

Enfin, sans que le sang augmente en masse, ou que le vaisseau diminue en capacité, la proportion peut être dérangée & y avoir obstruction ; c'est lorsque le sang s'égare dans les vaisseaux lymphatiques ; il faut même pour cela que l'embouchure de ces vaisseaux soit dilatée ; la trop grande quantité de sang, son mouvement trop rapide, sa raréfaction produisent souvent cet effet. Il est assez ordinaire de voir les vaisseaux de la cornée engorgés de sang dans les personnes pléthoriques ; la chaleur, & sur-tout une chaleur humide en est la cause la plus fréquente ; rien n'est si propre à relâcher, affoiblir les vaisseaux & à y attirer le sang ; c'est ce qui fait que les ophthalmies sont si communes, & comme épidémiques dans les constitutions chaudes & humides sans vents (Hippocr. epidem. lib. III.) ; mais ces causes produisent encore plus sûrement cet effet si elles sont suivies des causes contraires ; c'est-à-dire si à la chaleur succede le froid ; à l'agitation des humeurs leur repos ; à la raréfaction du sang sa condensation, parce qu'alors le sang reste dans les vaisseaux où il étoit entré ; c'est la raison pourquoi il survient des inflammations aux personnes qui ayant extrêmement chaud, s'exposent au froid, ou boivent de l'eau extrêmement fraîche.

Telles sont les causes qui peuvent produire la stagnation inflammatoire du sang ; telle est leur différente façon d'agir : j'en passe beaucoup d'autres sous silence qui peuvent donner naissance à l'obstruction ; je ne parle ici que de celles qui peuvent l'occasionner promtement, & qui peuvent seules produire l'inflammation : car une obstruction qui se formeroit peu-à-peu ne feroit aucune violence aux arteres, qui prêteroient insensiblement sans souffrir aucune irritation, & sans entraîner conséquemment les symptomes inflammatoires.

Mais de quelque façon que soit amenée l'obstruction ; quelque cause que ce soit (pourvu qu'elle ait agi promtement) qui ait gêné, retardé, empêché le mouvement du sang dans des vaisseaux soumis aux lois de la circulation, ce sang, toujours poussé par l'abord continuel de celui qui suit, agira contre les parois des vaisseaux avec d'autant plus de force, que son action, selon l'axe, sera plus empêchée, son mouvement intestin, qui est continuellement bridé & retenu par le mouvement progressif, augmentera : double cause de l'irritation qu'il excitera dans ses vaisseaux ; l'irritabilité animée par-là ou par toute autre cause irritante étrangere, deviendra plus active ; les phénomenes qui en dépendent seront plus sensibles ; ainsi les contractions des arteres étant plus fortes & plus réitérées, le sang abordera à la partie plus abondamment : effet nécessaire de l'action augmentée des vaisseaux : suite manifeste & constante de toute irritation. Mais 1°. le sang ne s'en allant pas en même proportion de la partie enflammée qu'il y aborde, il s'accumulera, distendra les vaisseaux, augmentera le volume de la partie, l'élevera au-dessus du niveau des autres, & produira la tumeur. 2°. La distraction des fibres nerveuses qui forment le tissu des vaisseaux, suivant leur distension trop forte, causera la douleur. 3°. La chaleur augmentera dans la même proportion que l'action réciproque des vaisseaux sur le sang, & du sang sur les vaisseaux ; elle sera d'autant plus forte, que le mouvement progressif sera plus gêné ; elle sera beaucoup aidée par le mouvement intestin, pour lors plus développé, & par un caractere particulier du sang. Voyez CHALEUR. 4°. La rougeur sera proportionnée à la quantité du sang arrêté, au nombre de vaisseaux lymphatiques engorgés, &c. Si un sang épais, abondant forme la matiere de l'obstruction, la tumeur sera dure, la rougeur plus vive, la chaleur & la douleur moindres ; l'inflammation sera phlegmoneuse ; si c'est un sang au contraire fluxile, acre, détrempé de bile ou de matiere perspiratoire qui soit arrêté dans les vaisseaux entamés, unique siége de l'érésipele, la tumeur sera très-superficielle, molle, la rougeur très-douce, &c. l'inflammation sera un érésipele.

Si l'irritation est peu considérable, que la douleur ne soit pas trop forte, ces symptomes accompagneront seuls l'inflammation ; & le mouvement des arteres indépendant de celui du sang, ne sera augmenté que dans la partie : cette irritation détermine-t-elle une plus grande quantité de fluide nerveux à la partie, ou ne fait-elle qu'augmenter les vibrations des nerfs ? Il n'y a que de la probabilité de côté & d'autre : un peu plus de connoissance du corps humain pourroit éclaircir la question ; mais c'est une question qui n'est pas de notre sujet, qui seroit inutile & vraisemblablement infructueuse ; ne mêlons point d'ailleurs à nos faits rien d'hypothétique. Par la même raison qu'une légere irritation n'augmente l'action que des nerfs de la partie, & n'excite qu'une fievre locale, une irritation beaucoup plus vive doit par la communication des nerfs & leur sympathie connue & démontrée par les effets, augmenter le jeu & le mouvement de tous les organes vitaux, c'est-à-dire exciter une fievre générale : aussi voyons-nous que la fievre survient non pas aux inflammations les plus vastes, mais à celles qui sont les plus dolorifiques.

On peut déduire de tout ce que nous avons dit, pourquoi les inflammations de la peau, des parties membraneuses, sont si dolorifiques & si vives ; pourquoi au contraire celles qui ont leur siége dans le parenchime des visceres, sont assez lentes & suivies d'une pesanteur plutôt que d'une douleur ; pourquoi l'inflammation du foie, qui dépend de l'obstruction des extrémités de la veine porte, est si lourde & si opiniâtre ; pourquoi les enfans, les femmes sont plus sujets à l'inflammation, &c.

Déduisons enfin de notre théorie, pour terminer cette partie, les différentes issues de l'inflammation. Nous en avons compté six : la résolution, la suppuration, la gangrene, l'induration, la terminaison en oedème, & l'exulcération.

1. La résolution se fait lorsque les phénomenes inflammatoires disparoissent sans qu'on observe le moindre dérangement, le plus léger vice dans la partie enflammée ; le sang alors suit ses routes accoutumées, & les vaisseaux restent dans leur entier. Lorsque l'inflammation n'a son siége que dans les extrémités artérielles sanguines, rien n'est plus simple ; la seule cessation des causes qui avoient déterminé l'inflammation suffit à cet effet ; si c'est une ligature, une compression, un corps étranger, un caustique, &c. ces causes cessant d'agir, l'inflammation se résout, pourvu que l'obstruction ne soit pas trop forte. L'oscillation modérée des vaisseaux rend le sang plus fluide, & son mouvement intestin plus développé par la stagnation, concourt aussi admirablement à sa fluxilité ; ainsi l'inflammation peut être mise dans la classe des maladies qui se guérissent par elles-mêmes. L'impétuosité modérée des humeurs, une certaine souplesse dans les vaisseaux, la qualité d'un sang ni trop épais ni trop acre, mais suffisamment détrempé par la sérosité, favorisent beaucoup la résolution. On voit par-là pourquoi cette terminaison est plus familiere aux érésipeles. Si le sang est arrêté dans les vaisseaux, il faut, pour la résolution, ou qu'il rétrograde, ou qu'il passe des arteres lymphatiques dans les veines correspondantes ; le mouvement des arteres suffit pour faire rétrograder le sang arrêté, ou pour le diviser & le rendre capable de passer par les petits vaisseaux, comme le prouve une observation très-curieuse de Leuwenhoek. Ce physicien observateur examinoit avec le microscope dans une chauve-souris à demi-morte de froid & d'inanition, cette membrane fine & délicate qui fait les fonctions d'aîle dans cet animal, il n'apperçut d'abord aucun mouvement ; mais cinq à six heures après que la chauve-souris eut été ranimée par la chaleur, il vit avec le microscope dans une artere quelques globules de sang arrêté, qui par les oscillations de cette artere, alloient & revenoient, rétrogradoient & ensuite avançoient dans ces vaisseaux, jusqu'à ce que suffisamment atténués, ils pussent en sortir. Si l'obstruction n'a lieu que dans le commencement des vaisseaux lymphatiques, alors la résolution pourra se faire par rétrogradation ; mais si le sang trop engagé dans les vaisseaux lymphatiques ne peut revenir dans les sanguins, alors il est transmis de ces arteres dans les veines ; & pour qu'il puisse les trouver, il est assez inutile de recourir à la prétendue composition & décomposition d'un globule rouge en six globules séreux ; le sang peut être atténué par les contractions successives des arteres, comme dans l'observation de Leuwenhoek, suffisamment pour pouvoir enfiler les plus petits vaisseaux : bien des observations prouvent en effet que le sang peut traverser, en conservant sa masse & sa couleur, tous les différens ordres des vaisseaux lymphatiques & séreux. Haller dit avoir vû sortir par intervalles de l'hypocondre droit d'une personne, une assez grande quantité de sang sans la moindre blessure. (Oper. practic. pagin. 584.) Moor raconte qu'une fille âgée de 22 ans, bien réglée, eut une hémorrhagie très-considérable par les joues & les bras, sans qu'on pût observer la plus légere solution de continuité. (Praefat. de medicin. instaur.) M. de Lamure, célebre professeur de Montpellier, m'a rapporté avoir vû le canal thorachique tellement gorgé de sang, qu'il en imposoit pour un vaisseau sanguin. Enfin, sans aller entasser d'autres faits aussi concluans, le chien cruellement & fort à-propos fouetté par M. Astruc, présente un exemple incontestable d'une semblable résolution.

Si par une passion d'ame vive, ou quelqu'autre cause subite, ou même par l'application de quelques répercussifs trop énergiques, ou appliqués à contretems, la tumeur inflammatoire disparoît tout-à-coup ; c'est le cas de la délitescence. Elle se fait par la retrogradation du sang inflammatoire dans les vaisseaux plus considérables, d'où il se jette souvent sur quelqu'autre partie ; ce transport, ce changement s'appellent , métastase.

2°. Lorsque l'obstruction est trop forte, que la résolution ne peut avoir lieu, on observe dans la partie enflammée un battement très-vif & très sensible, une douleur aiguë & beaucoup de dureté ; bien-tôt après la tumeur s'amollit, la douleur cesse, & il n'y a plus aucun battement ; une ouverture naturelle ou pratiquée par l'art, donne issue à une liqueur blanchâtre, épaisse, égale & sans caractere d'âcreté, lorsque le pus mérite d'être appellé légitime & sincere. On croit communément que cette liqueur résulte du mélange des débris des vaisseaux déchirés & rompus avec le sang, & qu'elle est l'effet de l'action mechanique des parties environnantes. C'est un sentiment que M. Fizes a soutenu & présenté sous le jour le plus favorable dans un très savant & utile traité sur la suppuration ; mais qu'il me soit permis, malgré une autorité si pondérante, de faire observer, 1°. que le mélange des petits filamens vasculeux est assez gratuitement supposé & très-peu nécessaire pour la formation du pus. L'on voit très-souvent des suppurations abondantes, sans qu'on puisse même soupçonner que la destruction des vaisseaux y ait la moindre part. J'ai vû dans la poitrine d'un homme mort à la suite d'une pleurésie, plus de douze livres de pus qui remplissoit toute la capacité droite de la poitrine, & qui étoit placé entre la plevre & les muscles intercostaux ; on ne voyoit dans ces parties que quelques légers déchiremens. Il peut bien se faire que dans ces grandes suppurations, qui dessechent le corps, le tissu cellulaire réduit à son premier état muqueux, contribue en quelque chose à la formation du pus ; du moins alors il est détruit. 2°. Je pense avec Stahl que le mouvement oscillatoire des vaisseaux environnans ne suffit pas pour la suppuration, & qu'il ne sert qu'à modérer le mouvement intestin du sang ; il est très-certain que la sanguification, la nature du sang, & bien d'autres phénomenes de l'économie animale, le prouvent ; il est certain, dis-je, que le sang est continuellement agité par un mouvement intestin de putréfaction, qui dans l'animal vivant est retardé & prévenu par les excrétions, par l'abord du chyle, par le mouvement progressif, & par l'action des vaisseaux ; dès que le sang est hors du corps, ces causes n'ayant plus lieu, ce mouvement augmente, & le sang se pourrit ; lorsqu'il est arrêté dans quelque partie, la même chose arrive ; si dans les parties enflammées, le mouvement oscillatoire ne persistoit pas, la putréfaction auroit son effet total ; mais étant retenu en partie, & contrebalancé par le mouvement des vaisseaux, son action se réduit à dissoudre & détruire le tissu mucilagineux du sang, ou à le réduire en pus.

3°. Il est facile par ce que nous venons de dire, d'appercevoir comment & quand la gangrene terminera l'inflammation ; savoir, lorsque l'obstruction sera très-considérable, l'engorgement fort grand, alors les arteres distendues au-delà de leur ton cesseront de battre ; le mouvement progressif du sang & l'action des vaisseaux totalement suspendue, la vie cessera dans la partie ; elle ne consiste, de même que celle de tout le corps, que dans la continuité de ces mouvemens. La fermentation putride déjà fort développée dans le sang altéré qui fait la base de cette inflammation, n'ayant plus de frein qui la modere, ne tardera pas à avoir son effet, la putréfaction totale aura lieu ; la partie qui est alors gangrenée devient plombée, brune, livide, noirâtre, perd tout sentiment, & exhale une odeur putride, cadavéreuse ; c'est alors le sphacele, dernier degré de mortification.

La partie gangrenée est pour l'ordinaire couverte de petites ampoules, cloches, , qui sont formées par l'épiderme qui se souleve, & qui renferme une sérosité âcre séparée du sang & de l'air, produit ou plutôt dégagé par la fermentation putride. Il paroît encore par-là fort inutile d'aller encore recourir à un déchirement, à une rupture des vaisseaux obstrués. On voit enfin que l'impétuosité des humeurs vers la partie enflammée, leur âcreté, la grandeur de l'obstruction, doivent concourir beaucoup à faire dégénérer l'inflammation en gangrene.

4°. L'induration est une terminaison familiere aux inflammations qui attaquent les glandes conglobées ou lymphatiques, parce qu'alors il y a double obstruction ; savoir celle du sang & celle de la lymphe, s'il n'y a que l'obstruction sanguine de résolue, & que la lymphe reste accumulée dans ses vaisseaux, elle y formera une tumeur dure, indolente, skirrheuse.

5°. Il peut arriver sur-tout dans les érésipeles qui sont formées par l'arrêt du sang, & de beaucoup de sérosité dans les vaisseaux cutanés, sanguins & lymphatiques, que le sang soit dissipé seul ; la tumeur sereuse persistera, elle sera molle, insensible, &c. c'est le cas des érésipeles qui se terminent en oedème.

6°. L'exulcération aura lieu principalement dans les inflammations qui ont leur siége dans des vaisseaux tendres & délicats, exposés au frottement, à l'impression du froid ; la moindre cause déchire ces petits vaisseaux, le froid les fait gercer avant que le pus soit formé. On peut en avoir des exemples assez fréquens dans cette espece d'inflammation érésipélateuse, connue sous le nom de mules, engelures.

Partie thérapeutique. Le diagnostic. Il ne suffit pas de connoître l'inflammation, il faut en distinguer les différentes especes, & il est aussi très-important d'être instruit des causes qui l'ont produite ; c'est sur ces trois points principalement que doit rouler le diagnostic. L'histoire de l'inflammation exposée au commencement de cet article, répand un grand jour sur cette partie ; nous savons en effet que la douleur & la chaleur fixées à une partie, sont des signes qu'il suffit d'appercevoir pour être assuré que la partie à laquelle on les rapporte est enflammée. Si cette partie est intérieure, la fievre plus ou moins aiguë survient, & l'on observe un dérangement dans les fonctions propres à cette partie ; si l'inflammation est externe, à la douleur & à la chaleur, on voit se joindre pour confirmer le diagnostic, la rougeur & la tumeur de la partie enflammée. 2°. Il n'y a pas plus de difficulté pour distinguer une inflammation phlegmoneuse d'avec celle qui est érésipélateuse ; qu'on se rappelle les signes que nous avons détaillés plus haut, propres à l'une ou à l'autre de ces inflammations, & qui les différencient aussi de celles qui ne participent ni de l'une ni de l'autre. 3°. Le diagnostic des causes exige plus de recherches & un examen plus grand, & il est plus nécessaire qu'on ne pense pour la curation. Il faut dans cette partie que le malade & les assistans aident le medecin ; c'est le cas de dire avec Hippocrate : . " Il ne suffit pas que le medecin fasse exactement ce qui convient, il faut que le malade, les assistans & les choses extérieures y concourent ". Aphor. 1. lib. I.

Le point principal consiste à déterminer si les causes sont internes ou extérieures locales ; on peut, & par le témoignage & en interrogeant le malade, savoir si l'inflammation est dûe à l'action du feu, du froid, d'un caustique, à une luxation, fracture, compression, &c. Si aucune de ces causes ou autre extérieure quelconque n'a précédé, il y a tout lieu d'assurer que c'est une cause interne, un vice du sang qui a déterminé l'inflammation ; l'on peut en outre s'instruire quel est le vice du sang, des humeurs, qui mérite d'être accusé ; si c'est la raréfaction, l'épaississement, ou la trop grande quantité de sang par les signes propres à ces différens états. Voyez RAREFACTION, EPAISSISSEMENT, PLETHORE. Si l'inflammation survient à la fin d'une fievre putride, maligne, pestilentielle, &c. & sur-tout si elle est accompagnée d'une diminution dans les symptomes, elle est censée critique. Ces inflammations ordinairement phlegmoneuses, ont leur siége dans les glandes parotides ou inguinales, d'où leur est venu le nom de parotides ou bubons ; ce n'est pas qu'il n'en survienne dans d'autres parties, j'en ai vû plusieurs fois. Quant aux érésipeles, on juge qu'ils doivent être attribués à un sang bilieux, ou à quelque dérangement dans le foie, lorsqu'ils viennent sur-tout au visage sans cause évidente, qu'ils sont périodiques & très-opiniâtres.

Le prognostic. Les jugemens qu'on peut porter sur les suites de l'inflammation sont extrêmement différens ; le siége, la grandeur, les causes, l'espece d'inflammation, la vivacité des symptomes, des accidens, les terminaisons, & mille circonstances, en font varier le prognostic à l'infini ; c'est ce qui fait que les généralités dans ces cas-ci sont souvent si fautives, & presque toujours inutiles ; ce qui me donne occasion de faire observer 1°. que ceux qui ont voulu donner un prognostic générique pour toute inflammation, & qui ont dit que c'étoit une maladie aiguë, par conséquent toujours dangereuse, & qui ont fait sonner bien haut qu'elle attaquoit le principe vital, &c. n'ont donné que des mots vuides de sens & pleins de faussetés ; car il est très-certain qu'il y a des inflammations sans danger tout comme il y en a avec danger ; & bien plus il y en a qui loin d'apporter aucune incommodité, sont souvent très-salutaires.

2°. Quand je dirai que telle ou telle inflammation est plus ou moins dangereuse que telle ou telle autre, je prie qu'on ne prenne pas cela à la lettre, de façon qu'on regarde la proposition comme rigoureusement vraie, & à l'abri de toute exception ; je ne parle que de ce qui arrive ordinairement, & je regarderois même comme un grand point de rencontrer juste le plus souvent. Il faut pour réaliser une pareille assertion, un concours de circonstances, qu'il est bien rare, pour ne pas dire impossible, de rassembler : il faut placer deux inflammations, dont on compare le prognostic dans des cas absolument semblables ; si l'on veut par exemple, décider sur deux inflammations, dont l'une est à la tête & l'autre aux extrémités, supposer le même degré d'inflammation, la même cause, la même constitution de sang, le même tempérament, le même sujet, le même siége, le même engorgement, &c. & quand on aura réuni toutes ces circonstances, il faudra, pour ne pas courir le risque de se tromper, dire qu'ordinairement l'inflammation à la tête est plus dangereuse que celle qui est aux extrémités ; & cela arrivera effectivement le plus souvent. Il est assez reçû qu'une inflammation intérieure est pleine de danger, tandis que celle qui est externe, n'a pour l'ordinaire aucune suite fâcheuse ; cependant un panaris, un charbon, seront suivis d'une mort promte, tandis qu'une pleurésie se terminera heureusement. Autre exemple, la résolution est communément regardée comme la terminaison la plus favorable ; cependant elle seroit nuisible dans toutes les inflammations critiques, dans celles qui dépendent d'un virus ; & enfin, je crois que dans toutes celles qui ont quelque cause intérieure, la suppuration est préférable. On voit par-là que ces signes généraux qui regardent le prognostic, & surtout le prognostic comparé, dont tous les traités de Medecine regorgent, & moyennant lesquels on prétend s'afficher praticien consommé, ne sont souvent que des corollaires théoriques, qui ne menent pas à grand'chose. Le véritable prognostic ne peut bien se saisir qu'au lit du malade ; les circonstances & les accidens qu'on observe, &c. le décident. Je vais néanmoins, pour me conformer aux usages reçûs, & suivre l'ordre proposé, donner là-dessus quelques généralités peu rigoureuses, & dont je ne garantis pas l'utilité dans la pratique.

1°. Les inflammations qui attaquent quelque partie considérable interne, quelque viscere, sont plus dangereuses que celles qui ont leur siége extérieur ; parmi celles-ci, celles qui occupent la tête ou le col, comme les érésipeles qui l'entourent en forme de collier, que les Grecs appellent , sont plus à craindre que celles qui sont aux piés, aux mains, &c. Leur siége dans les parties tendineuses, aponévrotiques, glanduleuses, nerveuses, dans les membranes tendues, extrêmement sensibles, les rend plus fâcheuses que celles qui sont dans les cas opposés.

2°. Les inflammations formées & entretenues par quelque vice général du sang, sont plus difficiles à guérir, & plus dangereuses que celles qui ne supposent qu'un dérangement local dans la partie affectée ; & parmi les causes extérieures, il y en a qui agissent plus violemment, comme le feu, les caustiques actifs, fractures, &c. & qui augmentent par-là le péril de l'inflammation.

3°. La grandeur de l'inflammation contribue rarement à la rendre plus fâcheuse ; c'est sur-tout la vivacité de la douleur & la violence des accidens qui la suivent, qui peuvent rendre le danger plus ou moins pressant, comme la fievre, les veilles, convulsions, délire, &c.

4°. On croit communément que l'inflammation érésipélateuse est plus dangereuse que le phlegmon, parce, dit-on, que le sang est plus âcre, la douleur plus vive, la gangrene plus prochaine, &c.

5°. La constitution du sujet, le tempérament, l'âge, &c. peuvent aussi faire varier le prognostic ; chez les personnes cacochymes, les scorbutiques, hydropiques, &c. les inflammations se résolvent rarement ; elles dégénerent en suppuration de mauvais caractere, ou en gangrene, de même que dans les tempéramens phlegmatiques & les vieillards. Dans les jeunes gens d'un tempérament vif & sanguin, chez les personnes extrêmement sensibles, les accidens sont toujours plus graves ; la terminaison est bien-tôt décidée en bien ou en mal.

6°. De toutes les terminaisons, la résolution est ordinairement la plus heureuse, la seule qui soit vraîment & entierement curative ; les autres terminaisons sont des maladies où la mort succede à l'inflammation. Il est des cas particuliers où la suppuration est plus avantageuse ; & quoique la gangrene soit l'état de mort, la terminaison la plus fâcheuse, il est des cas au-moins à l'extérieur, où elle est plus à souhaiter qu'à craindre ; c'est lorsque les accidens qui surviennent à l'inflammation sont extrêmement violens, le corps est prêt à succomber aux efforts trop actifs & trop long-tems soutenus d'une fievre opiniâtre ; alors la mort d'une partie est nécessaire pour sauver la vie de tout le corps.

La partie du prognostic la plus certaine & la plus utile dans la pratique, est celle qui comprend les signes qui présagent la terminaison de l'inflammation. On doit s'attendre à la résolution lorsque les symptomes de l'inflammation sont modérés, que la douleur est légere, ou plutôt n'est qu'une simple démangeaison, lorsqu'on commence à voir une diminution graduée & insensible dans le volume & la dureté de la tumeur, & qu'on observe une humidité sur la partie enflammée. 2°. La suppuration s'annonce par l'augmentation des symptomes, par le caractere de la douleur, qu'on appelle pulsative, par la figure de la tumeur, qui finit en une pointe extrêmement dure, & dans laquelle le battement est plus sensible. Cette terminaison est plus fréquente & plus avantageuse dans les phlegmons que dans les érésipeles, où la suppuration est fort rare, & presque toujours d'un mauvais caractere. 3°. Les inflammations qui tendent à l'induration occupent toujours des parties glanduleuses ; elles sont phlegmoneuses ; la douleur, le volume, la chaleur, diminuent sensiblement, & cependant la dureté, la résistance deviennent plus marquées ; cette gradation s'observe jusqu'à-ce que l'inflammation soit transformée en skirrhe ; cette terminaison est plus incommode que dangereuse. 4°. Lorsque l'inflammation est érésipélateuse, qu'elle occupe un espace assez considérable, que la tumeur qui l'accompagne est fort élevée, molle, facile à recevoir l'impression du doigt, & lente à se rétablir, on peut, comme je l'ai observé, s'attendre qu'à l'inflammation surviendra un oedème. 5°. On doit craindre l'exulcération dans les parties qui sont foibles, délicates, comme au bout des mammelles, au vagin, aux yeux, dans celles qui sont exposées à l'air froid, & sur-tout quand c'est à cette cause que l'inflammation doit être attribuée, comme on l'observe dans les engelures. 6°. Les signes qui présagent la terminaison en gangrene, sont une augmentation considérable des symptômes, une tension excessive, une douleur extrêmement vive, mais sans battement ; & lorsqu'elle est déja commencée, la peau se flétrit, devient plombée, & la douleur cesse presqu'entiérement.

La curation. Nous pouvons appliquer ici avec encore plus de raison, ce que nous avons dit du prognostic de l'inflammation ; c'est qu'il est bien difficile, j'ose même dire dangereux, de donner des méthodes thérapeutiques générales ; ainsi ne pouvant entrer dans un détail circonstancié de tous les cas particuliers, ni suivre toutes les indications qui pourroient se présenter, nous nous contenterons d'exposer quelques considérations pratiques sur l'usage des remedes qu'on a coutume d'employer dans le traitement des inflammations extérieures ; telles sont la saignée, les émolliens anodins, narcotiques, résolutifs, suppuratifs, antigangréneux. Il nous suffira de faire observer qu'on ne doit pas négliger les secours intérieurs ; lorsque la cause qui a produit l'inflammation est interne, il faut approprier les remedes à la cause ; dans l'épaississement insister sur les apéritifs, incisifs salins, sudorifiques, &c. dans la raréfaction, faire principalement usage des boissons abondantes, acides ou nitreuses ; dans les érésipeles du visage périodiques, avoir recours aux émétiques, aux antibilieux, hépatiques, fondans, aux eaux minérales, acidules, aux martiaux, & sur-tout à l'aloës combiné avec le tartre vitriolé ; il est inutile d'avertir qu'il faut, autant qu'on le peut, faire cesser l'action des causes évidentes connues, remettre une luxation, rappeller des excrétions supprimées, &c.

1°. La saignée. Le plus sûr, le plus incontestable, & peut-être le seul effet de la saignée, est de desemplir les vaisseaux, de diminuer la quantité de sang ; cet effet est suivi d'un relâchement dans le système vasculeux, & d'une diminution très-marquée dans la force des organes vitaux. De ces principes connus & constatés par une observation journaliere, on peut déduire les cas d'inflammation où la saignée convient. Toutes les fois que la quantité ou le mouvement du sang sont trop augmentés, que l'irritabilité est trop animée, que la douleur, la chaleur, la fievre & les autres accidens pressent un peu trop vivement ; dans d'autres cas elle sera tout au moins inutile, quelquefois dangereuse ; au reste quand je dis que la saignée peut être dangereuse, je ne parle pas d'une ou deux saignées, qui de la maniere dont on les fait en quelques lieux, ne sont le plus souvent qu'indifférentes ; mais de ces saignées copieuses & multipliées à l'excès, qui sont aujourd'hui & ici fort à la mode. Boerhaave regarde la saignée comme extrêmement avantageuse dans l'inflammation par erreur de lieu. Quant à moi, il me paroît qu'à l'exception de quelque cas très-rare, il n'y a pas de plus mauvais remede ; mais voici comment Boerhaave raisonne, (observez qu'il raisonne, & qui pis est, théoriquement à sa coutume) : le sang qui est arrêté dans les lymphatiques doit, pour que la résolution ait lieu, rétrograder ; or cette rétrogradation étant empêchée par l'abord continuel du sang poussé par les forces de la circulation, moins il y aura de sang, moins il sera poussé avec force contre ces petits vaisseaux, & plus facilement se fera la rétrogradation du sang engagé : raisonnement très-lumineux, qui le conduit à ordonner dans ces cas-là, des grandes évacuations de sang, des relâchans & des frictions, légeres sans-doute ; evacuatione magnâ sanguinis arteriosi, venosique per sanguinis missionem ; 2. laxatione fibrarum ; 3. frictione artificiali. Qu'il me soit permis d'opposer à l'autorité du grand Boerhaave, 1°. que les grandes évacuations de sang, pour me servir de ses termes, relâchent & affoiblissent les vaisseaux, & que cependant pour que la rétrogradation ait lieu, il faut des oscillations un peu fortes de la part de ces vaisseaux délicats. 2°. Que rien ne contribue plus à diminuer ces oscillations, à former & augmenter l'obstruction par l'erreur de lieu, que la foiblesse & le relâchement des vaisseaux, comme il est forcé de l'avouer lui-même, aph. 118. 3°. Que dans les cas même où cette obstruction auroit été produite par le mouvement augmenté du sang, la saignée abondante seroit pernicieuse, précisément parce qu'elle diminueroit ce mouvement ; les causes qui font naître l'obstruction par erreur de lieu, ajoute ce grave auteur dans le même aphorisme, ne la rendent jamais plus opiniâtre que lorsqu'elles sont suivies des causes opposées. 4°. Remarquons enfin pratiquement que les ophthalmies, qui offrent un exemple de cette espece d'inflammation, sont très souvent augmentées par les saignées, qu'on se garde bien de les traiter par les émolliens relâchans, &c. que les remedes qui sont les plus appropriés dans ces cas, sont les roborans, résolutifs un peu forts, les répercussifs, tels que l'eau-rose, l'eau de fenouil, l'alun, &c. les relâchans n'y conviennent pas mieux ; & les frictions qu'il conseille aussi pourroient être d'un grand secours si on les faisoit fortes ; dura (frictio), ligat, stringit ; elles resserrent, produisent un effet contraire à ses saignées ; une friction foible tombe dans l'inconvénient des relâchans, mollis solvit. Hippocr. de medic. offic.

Les émolliens narcotiques. 2°. Il en est des émolliens relâchans, &c. comme de la saignée, ils conviennent dans les mêmes cas ; leur principal effet est de détendre, d'humecter, d'affoiblir, d'efféminer, pour parler avec Hippocrate, les solides, d'en diminuer l'irritabilité ; vertu que possedent éminemment & d'une façon singuliere les narcotiques pris intérieurement, ou simplement appliqués à l'extérieur ; tous ces remedes sont évidemment indiqués lorsque la douleur est extrêmement aiguë, la tension très-considérable, la contractilité excessive ; mais il est surprenant de voir appliquer ces remedes, sur-tout les émolliens, dans presque toutes les inflammations, malgré le peu de succès, ou même les inconvéniens qu'on voit en résulter si souvent. Les narcotiques sont plus dangereux, ils exigent aussi beaucoup plus de circonspection & de prudence dans leur administration ; ils calment tout de suite les douleurs les plus vives, émoussent & assoupissent pour ainsi dire, la sensibilité, diminuent le mouvement des arteres, qui en est une suite & par conséquent la vie de la partie ; aussi n'est-il pas rare de voir des inflammations terminées en gangrene par l'usage hors de propos de ces médicamens. Ce que nous venons de dire peut aussi s'appliquer à quelques préparations du plomb, dont l'effet est merveilleux dans les mêmes cas où ces remedes conviennent ; mais si on les applique indifféremment à toutes les inflammations, à la maniere des charlatans ou des enthousiastes, ils produisent souvent de très-pernicieux effets. J'ai vû par exemple, une ophthalmie très-legere augmenter considérablement par l'application de la liqueur de Saturne ; le malade couroit risque de perdre l'oeil si l'on n'avoit ôté bien-tôt cet excellent topique. Je ne saurois cependant croire que ce remede agisse en répercussif, comme on le pense communément, fondé sur ses succès heureux dans les inflammations érésipélateuses : je me suis convaincu du contraire dans la guérison d'une gale que j'opérai par ce seul remede ; je vis avec étonnement que par l'application de la liqueur de Saturne, les pustules, loin de rentrer, sortirent plus abondamment, & se multiplierent beaucoup ; après quelques jours d'éruption, elles sécherent.

Les résolutifs. Je n'entends pas ici pas résolutifs cette foule de médicamens de différente espece, quoique compris sous le même nom & la même classe qui, soit en ramollissant, soit en stimulant, soit en calmant les douleurs, peuvent concourir à la résolution d'une inflammation. Je n'appelle de ce nom que ceux qui passent pour avoir la vertu de diviser le sang épaissi, engagé, & de le faire passer par les extrémités des petits vaisseaux, & qui dans le vrai ne font que resserrer, agacer, & stimuler les vaisseaux. Leur prétendue action sur le sang n'est rien moins que suffisamment prouvée ; il n'y a que le mercure, & peut-être le plomb, dans qui cette propriété soit réelle ou du moins constatée d'une maniere satisfaisante, ainsi c'est en agissant simplement sur les vaisseaux que les remedes dont il est ici question concourent à la résolution ; cette terminaison étant principalement operée par les oscillations des vaisseaux & le mouvement intestin du sang ; on voit par-là que les résolutifs seront très-appropriés dans les cas où les symptomes de l'inflammation ne sont pas violens, où il faudra augmenter le ton des vaisseaux relâchés, ranimer le mouvement des humeurs engourdies. Dans les érésipeles oedémateux, par exemple, leur principal usage est sur la fin des inflammations, pour aider une résolution qui s'opere lentement ; & il faut pour les employer en sureté, que la résolution commence à se faire, ou plutôt qu'elle soit à-demi faite. La précipitation à cet égard est toûjours nuisible ; si l'inflammation étoit trop considérable, la tumeur dure, l'obstruction trop forte, leur application ne pourroit qu'être très-pernicieuse. Il en est de même à plus forte raison des répercussifs, qui ne different des résolutifs que par le degré d'adstriction plus fort ; ils fortifient, resserrent, & crispent davantage les vaisseaux. Appliqués à contre-tems, ils font plus sûrement dégénérer l'inflammation en gangrene ; ils doivent être bannis de l'usage dans toutes les inflammations qui dépendent de quelque cause interne ; ils risqueroient d'occasionner quelque transport ou métastase dangereuse ; mais dans les inflammations occasionnées par quelque cause extérieure, ils produisent de très-bons effets, si on les applique de bonne heure ; le retardement pourroit avoir des inconvéniens fâcheux ; dans les brûlures, l'esprit-de-vin, un des forts répercussifs appliqué dès le commencement, est regardé comme spécifique. Ils ont la propriété singuliere & très-remarquable de prévenir les inflammations qu'on a sujet de craindre à la suite d'une chute, d'une luxation, d'une foulure, &c. On se trouve très-bien de plonger tout de suite, après quelqu'un de ces accidens, la partie affectée dans de l'eau bien froide, ou de l'esprit-de-vin. En général ces remedes réussiront mieux dans les inflammations érésipélateuses, que dans les phlegmons ; mais leur succès dépend toûjours de la promtitude de l'application.

Suppuratifs. Il y a différens remedes connus sous le nom de suppuratifs, maturatifs ; parce qu'accidentellement & dans quelques cas particuliers, ils ont accéléré ou favorisé la suppuration ; mais à proprement parler, il n'y a point de vrai suppuratif ; la suppuration est une véritable coction, ouvrage de la nature, c'est-à-dire, du mouvement du sang & de l'action des vaisseaux. Ainsi tout remede, eu égard aux conditions où se trouveroient le sang & les vaisseaux, peut devenir suppuratif & cesser de l'être. On observe cependant que l'application de certains médicamens est assez constamment suivie de cet effet ; mais il paroît que c'est plutôt à la forme du remede qu'au remede lui-même, qu'il doit être attribué. C'est lorsque ces remedes sont disposés en forme d'onguens, cataplasmes, emplâtres, & par-là rendus très-propres à intercepter la transpiration, accélérer en conséquence le mouvement intestin, & augmenter l'engorgement qu'ils peuvent faire tourner à la suppuration une inflammation qui sans cela peut-être se résoudroit. Ainsi ces remedes conviendront dans les inflammations critiques, pestilentielles, dans celles qui sont produites & entretenues par un virus ou quelqu'autre cause interne ; ils sont plus appropriés aux phlegmons, sur-tout dans le tems qu'ils s'élevent en pointe, & que les douleurs & les battemens y aboutissent, & y sont plus sensibles ; signes d'une suppuration prochaine.

Les anti-gangreneux. On a donné le nom d'anti-gangreneux, ou anti-septiques, à des médicamens qu'on a cru capables de prévenir la gangrene, de la guérir, ou d'en arrêter les progrès. Ces remedes ne sont que des résolutifs très-énergiques, dont l'effet se réduit à relever avec plus ou moins d'activité le ton, & augmenter le mouvement des vaisseaux. Presque toutes les inflammations qui dégénerent en gangrene tendent à cette terminaison à cause de l'excessive irritabilité, de la roideur & de la tension trop considérable des vaisseaux qui les empêchent de réagir & de modérer le mouvement intestin du sang : ainsi l'idée d'employer les stimulans anti-gangreneux, dans la vûe de prévenir la gangrene, est une idée purement théorique, & qui n'est d'accord avec la pratique que dans quelques cas particuliers très-rares d'inflammation, où le mouvement du sang ralenti joint à un trop grand relâchement, à une espece d'insensibilité, fait craindre la gangrene. Si elle est déja commencée, que la partie soit un peu ramollie, la sensibilité émoussée, & les vaisseaux flétris & relâchés ; on peut en sûreté les ranimer par les spiritueux roborans anti-septiques ; le plus sûr, ou pour mieux dire, le seul secours propre à prévenir la gangrene, qui est aussi très-propre à en arrêter les progrès, consiste dans les scarifications.


INFLAMMATOIRESMALADIES. (Medecine) L'histoire. Les maladies inflammatoires sont caractérisées principalement par une fievre aiguë, proprement appellée fievre inflammatoire, & par les signes plus ou moins marqués de l'inflammation, rapportés à une partie qui décide pour l'ordinaire l'espece & le nom de la maladie inflammatoire. Il n'est pas nécessaire, comme quelques-uns ont pensé, que l'inflammation attaque une partie interne considérable ; elle a souvent son siége à l'extérieur ; mais une condition qui me paroît absolument requise, c'est que la cause soit interne, ou qu'elle ait agi sur-tout intérieurement.

Variété. On peut par rapport au siége de l'inflammation, établir deux classes de maladies inflammatoires : dans les unes l'inflammation est extérieure, exanthématique ; dans les autres elle occupe quelque partie interne. A la premiere classe, on peut rapporter la petite vérole, la rougeole, la fievre miliaire, érésipélateuse, la porcelaine, les aphthes, la peste même, marquée pour l'ordinaire par des bubons, parotides, charbons, &c. La seconde comprend l'inflammation du cerveau, appellée fort improprement par Ettmuller & Bartholin sphacélisme, la phrénésie, l'angine, pleurésie, péripneumonie, paraphrénésie, l'inflammation de l'estomac, du foie, de la matrice, &c. Voyez ces mots.

Ces maladies sont ordinairement précédées d'un état neutre qui dure quelques jours, pendant lesquels la maladie n'est pas encore décidée ; on n'est pas encore malade ; on n'est qu'indisposé ; on se sent un mal-aise universel, des lassitudes, pesanteurs de tête, dégoût, langueur d'estomac, indigestion, &c. La maladie commence le plus souvent par un froid, un tremblement plus ou moins vif, auquel succede la fievre ; les tems auxquels les signes d'inflammation commencent à se manifester sont fort différens. Pour l'ordinaire le point de côté qui marquera la pleurésie, paroît dès le premier jour de la fievre, dans l'instant du frisson ; l'inflammation varioleuse paroît le troisieme ou quatrieme jour, &c. La douleur varie aussi suivant la partie enflammée : elle est vive, aiguë, lorsque quelque partie membraneuse, tendue, est affectée : elle est au contraire modérée, sourde, souvent n'est qu'une pesanteur incommode, lorsque l'inflammation occupe le parenchyme même des visceres. Le caractere du pouls est proportionné à la douleur : dans celles qui sont vives, il est dur, serré, tendu ; dans les cas opposés, il est plus mol & plus souple ; ses caracteres changent aussi suivant la situation de la partie & le tems de la maladie. Dans les inflammations de la tête il est plus fort, plus dilaté, plus plein, en un mot supérieur ; dans celles qui attaquent les visceres inférieurs, il est plus petit, plus concentré, moins égal. Au commencement de la maladie, dans le tems d'irritation ou de crudité, il est dur, serré, fréquent : sur la fin quand l'issue est ou doit être favorable, il se ralentit, se développe, s'amollit, devient plus souple & rebondissant, & enfin prend les modifications propres aux évacuations critiques qui sont sur le point de se faire, & qui doivent terminer la maladie. Voyez POULS. Le sang qu'on tire des personnes attaquées de ces maladies se fige d'abord qu'on le laisse reposer, & il est recouvert d'une croûte jaune ou verdâtre plus ou moins épaisse. Les fonctions propres aux parties enflammées sont dérangées ; la phrénésie, paraphrénésie, sont suivies de délire ; dans la pleurésie & péripneumonie, la respiration est gênée ; l'hépatitis produit l'ictere, &c. Enfin, on observe des différences dans le nombre, la nature, & l'intensité des symptomes, suivant la partie enflammée, le degré d'inflammation, l'activité des causes, le tempérament du malade, &c.

Les terminaisons des maladies inflammatoires peuvent être les mêmes que celles de l'inflammation ; mais avec cette différence qu'il n'y a jamais de résolution simple. Lorsque ces maladies se terminent par cette voie, on observe que cette terminaison est précédée ou accompagnée de quelque évacuation ou dépôt critique. Ces évacuations varient dans les différentes especes de maladies inflammatoires, & suivant la partie affectée. Lorsque la partie qui est enflammée a des vaisseaux excrétoires, la crise s'opere plus souvent & plus heureusement par cette voie. Dans les maladies inflammatoires de la poitrine, la crise la plus ordinaire & la plus sûre se fait par l'expectoration ; elle se fait aussi quelquefois avec succès par les sueurs & par les urines, mais jamais par le dévoiement. Lorsque les parties contenues dans le crâne sont affectées, l'hémorrhagie du nez ou l'excrétion des matieres cuites, puriformes, par le nez, les oreilles, sont les plus convenables ; le cours-de-ventre est aussi fort bon. Lorsque l'inflammation attaque les visceres du bas-ventre, la maladie se juge bien par les urines & les selles : la matrice a son couloir particulier plus approprié pour les excrétions critiques des maladies dont elle est le siége. Le flux hémorrhoïdal termine aussi quelquefois les inflammations du foie. Quoique ces crises s'operent communément de la façon que je viens d'exposer, il arrive dans des constitutions épidémiques, que la nature semble se choisir un couloir pour y déterminer toutes les excrétions critiques dans quelque partie que porte principalement la maladie. Le couloir des poumons plus général qu'on ne pense, est très-souvent affecté pour cela. J'ai vu pendant toute l'automne de 1748, à Montpellier, toutes les maladies inflammatoires de la poitrine, du ventre, de la tête, les fievres malignes, se terminer singulierement par l'expectoration. Toute autre excrétion procurée par le défaut de la nature, ou l'inopportunité des remedes, étoit toûjours inutile ou pernicieuse. Les maladies inflammatoires exanthématiques ne se terminent jamais mieux que par la suppuration : il y en a, comme la rougeole, qui se dessechent simplement & ne laissent que des petites pellicules furfuracées. Aussi observe-t-on que cette terminaison superficielle juge très-imparfaitement la maladie ; on lui voit très-souvent succéder des petites fievres lentes très-difficiles à dissiper.

Les causes. Les maladies inflammatoires different encore bien ici de l'inflammation ; l'action momentanée des causes ne suffit pas pour les produire ; il faut non-seulement que la cause qui dispose à l'inflammation agisse pendant long-tems, mais il est souvent nécessaire qu'elle soit excitée, mise en jeu par quelqu'autre cause qui survienne. Ces maladies sont travaillées & préparées de loin, & parmi les causes qui forment & entretiennent cette disposition, les vices de l'air méritent une considération particuliere ; on ne peut attribuer qu'à cette cause toutes les maladies inflammatoires contagieuses, épidémiques. Mais quelle est la partie, la qualité de l'air, le ministre qui produit ces maladies ? c'est ce qu'on ignore : des observations chimico-météorologiques qui nous manquent, faites dans différentes saisons, dans différens tems ou circonstances, pourroient éclaircir cette question qui est très-importante. La mauvaise nourriture, les travaux immodérés, les veilles, les boissons aromatiques spiritueuses, les chagrins, peuvent favoriser cette cause, aider à cette disposition, rendre plus susceptibles des fâcheuses impressions de l'air. La suppression ou diminution des excrétions qui purifient le sang, sur-tout de la transpiration, est une cause assez fréquente des maladies inflammatoires : il ne faut cependant pas croire que cet arrêt de la transpiration produise aussi généralement les pleurésies, qu'on semble le penser trop communément : il est certain que les vicissitudes d'un air chaud & froid, arrêtent, troublent la sueur, la transpiration ; qu'elles peuvent par-là former la disposition inflammatoire ; mais elles n'exciteront une pleurésie que dans ceux qui y auront une disposition formée. Dans les autres elles produiront des toux, des rhumes, des catarrhes, suite fréquente & naturelle de la transpiration pulmonaire arrêtée par ces sortes d'imprudences. D'environ quinze cent personnes qui sortent des spectacles de Paris fort échauffées, suant même, pour passer dans un air glacé, il n'y en a quelquefois pas une seule qui éprouve au sortir une pleurésie ; plusieurs en sont seulement enrhumés. Les causes qui peuvent exciter une disposition inflammatoire déja formée agissent promtement ; une passion d'ame vive, des excès dans le boire & le manger, l'exposition du corps chaud à un air froid, des boissons trop fraîches, &c. peuvent produire cet effet.

Sujets. Les causes qui disposent aux maladies inflammatoires & qui les produisent, agissant également dans tous les sujets, sur-tout dans les constitutions épidémiques, il semble à raisonner théoriquement, que tout le monde devroit indifféremment subir ces maladies ; & que les personnes les plus foibles devroient y succomber d'abord, ensuite celles qui sont plus fortes, enfin les personnes les plus robustes. L'on verroit ainsi la force des tempéramens graduée, pour ainsi dire, par ces épidémies. L'observation, la seule qui doive nous conduire ici, nous découvre le contraire, comme Hippocrate l'a déja remarqué. Jettons un coup d'oeil sur les personnes qui sont attaquées des maladies inflammatoires ; nous ne pourrons presque appercevoir que des gens à extérieur toreux, des paysans endurcis par les miseres & les fatigues, beaucoup d'hommes, très-peu de femmes, d'enfans, de vieillards, mais principalement des adultes, qui paroissent jouir de la santé la plus forte & la plus durable, & dans qui les forces sont au plus haut point de vigueur. Ainsi verrons-nous dans ces épidémies des hommes qui par leur tempérament & leur régime devoient se promettre une santé longue & florissante, mourir victimes d'une maladie inflammatoire ; tandis qu'un jeune efféminé, amolli par les délices, abattu par les débauches ou une chlorotique délicate & languissante ne risqueront pas du tout de l'éprouver. Il semble que leur sang appauvri ne soit pas susceptible des mauvaises impressions, qu'il ne soit pas propre à la fermentation inflammatoire. Ces maladies supposent dans les sujets qui en sont attaqués une certaine force, un certain ton dans le sang & les vaisseaux. D'ailleurs les maux de tête, les dégoûts, les indispositions ou incommodités qui les précedent, sont des maladies réelles pour des corps délicats ; au lieu que ces révolutions même réitérées, ne font que des impressions sourdes & peu sensibles sur des corps vigoureux.

Il est à propos de remarquer en outre que certaines personnes sont plus disposées à certaines maladies inflammatoires, qu'à d'autres. Ainsi dans une constitution épidémique, on verra régner des phrénésies, des angines, des pleurésies, des rhumatismes, &c. Les enfans sont, par exemple, particulierement sujets à la petite vérole & à la rougeole ; maladies qui semblent leur être propres. Les jeunes gens, sur-tout ceux qui ont été pendant leur enfance sujets à des hémorrhagies du nez, sont, suivant la remarque d'Hippocrate, singulierement disposés aux angines. Les phrénésies sont plus fréquentes dans les tempéramens colériques, très-sensibles dans les personnes qui s'occupent beaucoup à la méditation & à l'étude. Il paroît qu'il y a dans la partie affectée une disposition antécédente, une foiblesse naturelle qui y détermine le principal effort de la maladie : , dit Hippocrate, ; si avant que la maladie soit declarée, on a senti quelque gêne dans quelque partie, la maladie y sera plus forte. Aph. 33. liv. IV.

La théorie. La cause des maladies inflammatoires, disent presque tous les medecins, est une inflammation de quelque partie interne considérable, d'où les Méchaniciens font venir à leur façon la fievre & les autres accidens ; les Animistes disent qu'il n'est pas possible qu'une inflammation attaque un viscere nécessaire à la vie, sans attirer l'attention bienfaisante de l'ame qui détermine en conséquence les efforts tout-puissans de sa machine pour combattre, vaincre, & mettre en déroute un ennemi si dangereux.

Pour faire sentir l'inconséquence & le faux de cette assertion, je n'ai qu'à présenter à des yeux qui veuillent voir, le tableau des maladies inflammatoires : il sera facile d'y observer 1°. que la fievre commence à se manifester au-moins aussi-tôt que l'inflammation & pour l'ordinaire quelques jours auparavant ; 2°. que cette inflammation est souvent peu considérable, comme on peut s'en convaincre par les symptômes, & après la mort du malade, par l'ouverture du cadavre ; tandis que la fievre est très-aiguë, quelquefois même après des pleurésies violentes, on n'apperçoit aucune trace d'inflammation ; 3°. que toute inflammation même des visceres n'est pas maladie inflammatoire. On feroit un aveu manifeste d'inexpérience, si on confondoit une inflammation du poumon, de la plevre, survenue à la suite d'un coup d'épée dans ces parties avec une pleurésie ou péripneumonie ; 4°. qu'on fasse attention aux causes qui produisent l'inflammation & à celles qui excitent les maladies inflammatoires, & qu'on examine leur maniere d'agir ; 5°. qu'on jette un coup d'oeil sur les maladies inflammatoires externes, &c. elles seules soumises au témoignage de nos sens, peuvent nous guider sûrement, & nous éclaircir cette matiere ; 6°. enfin, que l'on considere l'invasion, la marche, & les terminaisons de ces maladies. C'est une erreur manifeste de croire que les pleurésies surviennent après s'être exposé tout chaud à un air froid, parce que le froid resserre les vaisseaux, retient la transpiration, & donne lieu par-là à un engorgement inflammatoire. Si cela arrivoit, les inflammations seroient dans la peau, & non pas dans la plevre, par exemple, & seroient une engelure, & non pas une maladie inflammatoire, alors de toutes ces considérations réunies, nous concluons que l'inflammation des visceres ou les exanthemes inflammatoires, sont plutôt l'effet que la cause de la fievre putride, qui fait la base & l'essence de toute maladie inflammatoire.

Au reste, quand je dis une fievre putride, je ne parle pas de ces fievres putrides imaginaires, prétendues produites par un levain vicieux placé dans les premieres voies dont il s'échappe continuellement quelques parties qui vont épaissir le sang, donner lieu aux redoublemens, &c. Ces fievres sont bannies de la vraie médecine hippocratique, & n'existent que dans les cayers ou livres de quelques praticiens routiniers. J'entends par fievre putride, une fievre préparée & travaillée de loin par des causes qui agissant peu-à-peu sur le sang & les humeurs, les changent & les alterent. Ainsi les fievres qui méritent le nom de putrides, sont toûjours jointes avec une dégénération des humeurs qui est réparée & corrigée par les efforts fébriles & par les évacuations critiques, toûjours nécessaires dans ces maladies.

La maniere dont ce changement operé dans le sang excite la fievre, est encore inconnue ; la matiere est trop obscure, & la théorisomanie trop générale, pour qu'on n'ait pas beaucoup raisonné, théorisé, disputé ; mais tout ce que nous avons jusques ici là-dessus, prouve la difficulté de l'entreprise & le courage des entrepreneurs bien plus que leur capacité. Je n'entreprendrai point d'exposer ni de réfuter tout ce que cette question a fait éclorre de faux, de ridicule, &c. un pareil détail seroit trop long ; peut-être ennuyeux, & sûrement inutile. Je remarquerai seulement que l'idée de Willis sur la fievre est la plus naturelle, la plus simple, & la plus pratique. Cet auteur pense, & presque tous les medecins en conviennent aujourd'hui, que le sang est dans un mouvement continuel de fermentation, semblable, dit-il, à celui qui agite les parties du vin. Si ce mouvement augmente & devient contre nature, le sang bouillonnera, se raréfiera, excitera la fievre. Or cette fermentation peut augmenter de deux façons ; 1°. par la surabondance de quelques principes actifs, des soufres & des esprits ; par exemple, comme il arrive dans le vin, lorsque le tartre est trop abondant, il s'excite une fermentation, ou plutôt celle qui est toûjours présente, s'anime, devient plus violente. 2°. Lorsque quelque corps étranger, non miscible avec les humeurs, troublera la fermentation ordinaire, l'analogie le conduit encore ici ; si on jette dans un tonneau plein de vin quelque corps hétérogene, du suif, par exemple, la fermentation est réveillée, & par son moyen les parties étrangeres, ou surabondantes qui l'avoient excitée, sont brisées, atténuées, decomposées, renvoyées à la circonférence, ou précipitées sous forme de lie au fond du tonneau. Ne voit-on pas, si l'on veut accuser juste, arriver la même chose dans le sang ? Y a-t-il rien de plus conforme à ce qui se passe dans les fievres putrides simples, ardentes, ou inflammatoires ? C'est avec bien de la raison que Sydenham qui n'envisageoit les maladies que pratiquement, considéroit la fievre sous ce point de vûe, & l'appelloit ébullition, effervescence, mouvement fermentatif, &c. & il partoit de cette idée dans la pratique sûre & heureuse qu'il suivoit. C'est pourtant là cette théorie qui est si fort décreditée aujourd'hui ; il est vrai qu'elle est confondue avec des erreurs, ou des choses moins évidentes ; il est peut-être sûr aussi que le zele pour la fermentation a emporté Willis trop loin ; mais n'est-on pas tombé dans un excès au-moins aussi condamnable, quand on a voulu la rejetter absolument ? L'esprit humain dans ses connoissances & ses opinions, ressemble à un pendule qui s'écarte de côté & d'autre, jusqu'à ce qu'il revienne après bien des oscillations, se reposer à un juste milieu ; nous poussons d'abord à l'excès les opinions nouvelles ; nous les appliquons indifféremment à tous les cas ; prises trop généralement elles deviennent fausses, absurdes ; on le sent, on les abandonne, & au lieu de les restreindre, donnant dans l'écueil opposé, on les quitte entierement. Enfin, après bien des disputes & des discussions, on entrevoit la vérité ; on revient sur ses pas ; on fait revivre les anciennes opinions : souvent bien surpris de répéter en d'autres mots simplement ce qui avoit déjà été dit, on parvient par-là à ce milieu raisonnable, jusqu'à ce qu'une nouvelle révolution, dont les exemples ne sont pas rares en Medecine, fasse recommencer les vibrations. C'est ainsi qu'Hippocrate & Galien ont été regardés pendant long-tems comme les législateurs censés, infaillibles de la Medecine ; ensuite ils ont été persiflés & ridiculisés ; leurs sentimens, leurs observations, ont été regardés comme des faussetés, des chimeres, ou tout au-moins des inutilités. Dans nos jours en notant leurs erreurs, on a rendu justice à leur mérite, & l'on a vu presque toutes leurs opinions reparoître sous de nouvelles couleurs. La circulation du sang offre un exemple frappant & démonstratif de cette vérité : depuis qu'Harvey eût fait ou illustré par des expériences cette découverte, qui a plus ébloui qu'éclairé, on a été intimement persuadé que le sang suivoit les routes qu'Harvey lui avoit tracées. On commence cependant aujourd'hui à revenir un peu à la façon de penser sur cette matiere des anciens ; le peu d'utilité que cette prétendue découverte a apporté, a dû d'abord inspirer de la méfiance sur la réalité ; les soupçons ont été principalement confirmés par les mouvemens du cerveau, que le célebre M. de la Mure a le premier observés & savamment exposés dans un excellent mémoire lû à la société royale des Sciences de Montpellier, & inseré dans les Mémoires de l'académie royale des Sciences de Paris, année 1739. On ne tardera pas je pense, à revenir de même à l'égard des Chimistes ; le tems de leurs persécutions est passé ; on corrigera les uns, on modérera l'ardeur de ceux qu'un génie trop bouillant ou un enthousiasme fougueux avoit emportés trop loin ; & l'on appliquera de nouveau & avec succès, les principes chimiques mieux constatés & plus connus au corps humain qui en est plus susceptible, que de toutes les démonstrations geométriques, auxquelles on a voulu infructueusement & mal-à-propos le plier & le soumettre.

Il y a tout lieu de croire que la disposition inflammatoire qui est dans le sang, poussée à un certain point, ou mise en jeu par quelque cause procatarctique survenue, reveille sa fermentation, ou pour parler avec les modernes, son mouvement intestin de putréfaction ; il n'en faut pas davantage pour augmenter sa circulation, soit, comme il est assez naturel de le penser, que la contractilité des organes vitaux, & en conséquence leur action, soit animée par-là, soit que l'augmentation de ce mouvement intestin suffise pour faire la fievre, sans que l'action des vaisseaux y concoure, de même lorsque le vin est agité par une forte fermentation, & qu'il est dans un mouvement rapide, les parois du tonneau n'y contribuent en rien.

Le sang ainsi enflammé, & mû avec rapidité, se portera avec plus d'effort sur les parties qui seront disposées, & s'y dégagera peut-être d'une partie du levain inflammatoire ; il semble en effet que ces inflammations des visceres ou d'autres parties, soient des especes de dépôts salutaires quoiqu' inflammatoires ; ce qui prouve que les visceres sont dans ces maladies pour l'ordinaire réellement enflammés, c'est qu'on y observe 1°. tous les signes de l'inflammation, les mêmes terminaisons par la suppuration, l'induration & la gangrene. La partie où se fera l'inflammation, décidera la qualité & le nombre des symptômes, &c. Ainsi l'inflammation de la substance du cerveau sera accompagnée de foiblesse extrême, de délire continuel, mais sourd, tranquille, d'abolition dans le sentiment & le mouvement, à l'exception d'une agitation involontaire des mains, qu'on nomme carposalgie, tous symptômes dépendans de la sécrétion troublée & interceptée du fluide nerveux ; celle qui aura son siege dans les membranes extrêmement sensibles qui enveloppent le cerveau, entraînera à raison de sa sensibilité des symptômes plus aigus, un délire plus violent : lorsque la maladie inflammatoire portera sur la poitrine, la respiration sera gênée, &c.

Cette croûte blanche, jaune, ou verdâtre qui se forme sur le sang qu'on a tiré des personnes attaquées de ces maladies, paroît n'être qu'un tissu des parties lymphatiques, du suc muqueux, nourricier, dont la sécrétion est empêchée : on observe aussi cette qualité de sang chez les personnes enceintes & autres où il y a pléthore de suc nourricier ; on pourroit avancer, dit fort ingénieusement M. Bordeu, que le suc muqueux qui nage dans le sang, a quelque rapport au blanc d'oeuf qui clarifie une liqueur troublée dans laquelle on le fait bouillir. Ce suc porté dans tous les vaisseaux par le moyen de la fievre, entraîne avec lui toutes les parties d'urine, de bile & d'autres liqueurs excrémenticielles ; il clarifie pour ainsi dire le sang ; c'est ce qui se passe dans les maladies putrides inflammatoires.

Partie thérapeutique. Le diagnostic. Le diagnostic des maladies inflammatoires est très-simple & tout naturel. 1°. Il est facile, en se rappellant ce que nous avons dit plus haut sur la cause, l'invasion, la marche & les terminaisons de ces maladies, de s'assurer de leur présence. 2°. L'on peut en distinguer les différentes especes par les signes qui leur sont propres, & qu'on peut voir rapportés au long dans les articles qui concernent les maladies inflammatoires en particulier. Voyez PLEURESIE, PHRENESIE, &c. 3°. La connoissance des causes qui ont disposé, produit, excité ces maladies, est assez peu nécessaire pour la curation ; on peut cependant, si l'on en est curieux, l'obtenir par les rapports du malade & des assistans ; il est peut-être plus important pour la pratique de savoir si la maladie inflammatoire est épidémique, dépendante d'une cause générale ; un praticien qui voit beaucoup de malades, peut s'en instruire lui-même.

Prognostic. Les symptômes essentiels aux maladies inflammatoires, ou les accidens qui surviennent ordinairement dans leur cours, en rendent le prognostic toujours fâcheux ; on peut assurer avec raison que ces maladies sont dangereuses. L'inflammation ou le dépôt inflammatoire qui se fait dans quelques parties n'en augmente qu'accidentellement le danger ; quelquefois, le plus souvent même, il le diminue. Ce dépôt débarrasse, comme nous l'avons déjà remarqué, le sang d'une partie du le vain inflammatoire. Il y a tout lieu de croire que la maladie inflammatoire seroit plus dangereuse s'il n'y avoit point de partie particulierement affectée. Nous voyons que la fievre ardente ou causus, espece de maladie inflammatoire qui n'est décidée à aucune partie, est très-dangereuse ; Hippocrate la range parmi les maladies mortelles ; lorsque les inflammations extérieures sont formées, la fougue du sang se ralentit, la violence des symptômes s'appaise, & l'on jette le malade dans le danger le plus pressant, si l'on empêche la formation de ces dépôts inflammatoires, comme il est arrivé à ceux qui ont voulu, sacrifiant leurs malades à une aveugle routine, accoutumer la petite vérole à la saignée, & comme l'éprouvent encore aujourd'hui ceux qui sans autre indication veulent guérir les maladies inflammatoires par la saignée ; on ne sauroit cependant disconvenir que ces inflammations attaquant des parties considérables dont les fonctions sont nécessaires à la vie, n'augmentent quelquefois le danger des maladies inflammatoires ; c'est ce qui fait qu'on doit regarder les maladies inflammatoires qui se portent à l'extérieur, comme les moins dangereuses : quant à celles qui affectent quelque partie interne, leur danger varie suivant la situation, la nécessité, la connexion, la disposition, la sensibilité du viscere enflammé, & sur-tout suivant la nature, le nombre & la vivacité des symptômes que cette inflammation détermine. Pour porter un prognostic plus juste, il me paroît quoi qu'on en dise, que l'on peut tirer quelque lumiere de l'examen de la constitution épidémique. Si l'on observe une certaine uniformité dans les symptômes de plusieurs maladies inflammatoires qui regnent en même tems, ou un génie épidémique, on peut régler sur les suites plus ou moins fâcheuses qu'ont eu les précédentes, les jugemens de celles sur lesquelles on est obligé de prononcer.

Les maladies inflammatoires sont des maladies très-aiguës, dont le sort est toujours décidé avant le quatorzieme jour, souvent le sept, quelquefois le quatre elles se terminent à la santé par une résolution critique, quelquefois par la suppuration ; la gangrene entraîne toujours avec elle non-seulement la mort de la partie, mais celle de tout le corps ; il y a une espece de maladie inflammatoire, l'angine, dont le siége est dans les parties glanduleuses du gosier, qu'on a vu quelquefois se terminer par l'induration ; alors la douleur, la chaleur de la partie enflammée diminuent, la fievre se ralentit sans que la difficulté d'avaler soit moindre, & sans que ce sentiment incommode que le malade éprouve d'un corps comprimant, cesse sensiblement. Alors à l'inflammation succede un skirrhe.

On doit s'attendre à voir périr le malade si l'on n'observe aucun relâche dans les symptômes ni le quatrieme ni le cinquieme jour, si le pouls conserve toujours un caractere d'irritation ; si l'on voit alors survenir différens phénomenes qui par leur gravité ou leur anomalie annoncent la mort prochaine. Ces signes varient suivant les maladies. Voyez leur détail au mot SIGNE, FIEVRE, PLEURESIE, PERIPNEUMONIE, PHRENESIE, &c. Si à des symptômes extrêmement vifs, à une fievre violente, à une douleur aiguë succede tout de suite une fievre presque insensible, des défaillances fréquentes, une apathie générale, que le pouls devienne petit, mol & intermittent, la couleur du visage plombée, &c. la gangrene commence à se former, le malade ne tardera pas à mourir. La résolution dans les maladies inflammatoires internes, est de toutes les terminaisons la plus favorable ; on a lieu de l'attendre lorsque les symptômes sont assez modérés, & tous appropriés à la maladie, lorsque le quatrieme ou le septieme jour on voit paroître des signes de coction, que les urines se chargent d'un sédiment ou d'un nuage blanchâtre, que le pouls commence à se développer, que la peau devient souple & humide, en un mot que tous les symptômes diminuent : à ces signes succedent les signes critiques qui annoncent la dépuration du sang, & l'évacuation des mauvais sucs, par les couloirs appropriés. Si ces maladies ne consistoient que dans l'inflammation d'une partie, il ne faudroit pour leur terminaison qu'une simple résolution de cette inflammation ; mais ce qui prouve encore mieux ce que nous avons avancé, que le sang étoit altéré, c'est qu'il faut nécessairement une dépuration & des évacuations critiques. Ces évacuations, & l'organe par lequel elles doivent se faire, sont prédits & désignés d'avance par différens signes ; les plus sûrs & les plus nécessaires sont ceux qu'on tire des modifications du pouls. Voyez POULS.

La suppuration dans les maladies inflammatoires extérieures, est toujours un grand bien ; mais elle n'est pas toujours un grand mal dans celles qui attaquent les parties internes ; il n'est pas nécessaire d'avoir blanchi dans la pratique pour avoir vû beaucoup de maladies inflammatoires se terminer par la suppuration sans aucune suite fâcheuse ; il m'est arrivé souvent de rencontrer des péripneumonies qui suppuroient sans que le malade courût un danger pressant ; on ne doit pas s'effrayer autant qu'on le fait de ces suppurations internes, pourvû que les visceres dans lesquels elles se forment, ayent des tuyaux excrétoires : on peut se flatter jusqu'à un certain point, qu'ils donneront passage aux matieres de la suppuration : si cette partie n'est point un organe excrétoire, la suppuration est plus dangereuse ; mais dans ces cas même, qui ignore les ressources de la nature ? N'arrive-t-il pas souvent des heureuses métastases, des transports salutaires, des abscès d'une partie interne à l'extérieur ? N'a-t-on pas vû des vomiques se vuider par des urines, par des abscès aux jambes, &c.

J'ai observé un dépôt au cerveau se vuider & se renouveller jusqu'à trois fois par le nez & les oreilles ; combien n'y a-t-il pas d'observations à-peu-près semblables ? On en pourroit conclure qu'il faut souvent favoriser les suppurations loin de les détourner ; c'est pourquoi il est très-important de connoître les cas où la suppuration doit terminer l'inflammation.

Lorsque les symptômes sont violens, qu'ils diminuent peu durant le tems de la coction dont on n'observe que quelques légers signes, & qu'ils reparoissent avec plus d'activité, que la fievre est forte, que le pouls quoiqu'un peu développé est toujours dur, sur-tout vibratil, & qu'il y a une roideur considérable dans l'artere, que les douleurs que le malade éprouve dans la partie affectée deviennent plus aiguës, qu'il y sent un battement plus vif & plus répété, la suppuration est à craindre, & l'on peut assurer alors que cette issue se prépare. L'abscès est formé lorsque tous les symptômes disparoissent, qu'il ne reste plus qu'une pesanteur ; il survient alors pour l'ordinaire des frissons. Si le pouls vient dans ces circonstances à indiquer un mouvement critique du côté de quelques couloirs, on peut présumer que le pus s'évacuera par les organes dont le pouls annonce l'action.

On peut pour complete r entierement ce prognostic, y rapporter toutes les prédictions, tous les signes qu'on trouve dans les ouvrages du divin Hippocrate, concernant les maladies aiguës. Nous souhaiterions bien pouvoir entrer dans un détail circonstancié si utile ; mais l'ordre proposé pour traiter ces matieres ne le comportent pas, nous renvoyons le lecteur aux écrits immortels de ce prince de la Medecine, d'autant plus volontiers, que nous sommes assurés qu'outre un prognostic excellent & certain qu'on en tirera, on y prendra du goût pour cette véritable medecine d'observation, & une haine avantageuse pour ces pratiques théoriques & routinieres.

La curation. Les maladies inflammatoires sont des maladies qui se guérissent par leurs propres efforts : la fermentation excitée dans le sang, pour parler avec Willis, suffit pour briser, atténuer, décomposer, assimiler, évacuer les matieres qui l'ont excitée, ou comme dit van Helmont, la colere & les efforts de l'archée peuvent seuls arracher l'épine incommode qui les a déterminés. Ainsi l'on doit laisser à la nature le soin de guérir ces sortes de maladies ; l'art n'offre aucun secours vraiment curatif ; il en fournit qui peuvent modérer, diminuer la fievre & la violence des symptômes, ou même l'augmenter s'il est nécessaire ; & favoriser telle ou telle excrétion critique ; mais il n'y a point de remedes qui rétablissent & purifient le sang, qui emportent les engorgemens inflammatoires des visceres. Mais telle est l'inconséquence & le danger des théories les plus reçues, qu'elles conduisent leurs adhérens à des pratiques très-erronées & très-pernicieuses ; les uns prenant un symptôme pour la cause, pensent que dans ces maladies l'inflammation des visceres est le point capital, & y dirigent toutes leurs indications ; ils mettent tout en oeuvre pour prévenir, empêcher, ou faire cesser cette inflammation, & en conséquence entassent erreur sur erreur : ils ont recours à la saignée qu'ils répetent douze, quinze, vingt, trente fois, jusqu'à ce que le malade est réduit à la derniere foiblesse. D'autres croyent que ces inflammations sont toujours produites & entretenues par la salure, par un levain, par un foyer situé dans les premieres voies ; ils mettent tout leur soin à détruire, épuiser ce foyer, & pour en venir plus tôt à bout, ils réiterent tous les deux jours au moins les purgatifs. Que de funestes effets suivent l'application de remedes aussi peu convenables ! Que de malades j'ai vu sacrifiés à de semblables pratiques ! J'en rappelle le souvenir avec douleur.

Qu'on considere les effets de ces remedes pour se convaincre encore plus de leur importunité, & en premier lieu pour ce qui regarde la saignée ; il est constant 1°. qu'elle n'attaque pas la cause de la maladie, qu'elle relâche & affoiblit considérablement les malades quand elle est souvent réitérée. 2°. Qu'elle trouble & dérange les évacuations critiques. 3°. D'un autre côté les avantages qu'on prétend en retirer ne sont rien moins que solidement constatés. La saignée fréquente, publient hautement ses amis, empêche, prévient, diminue l'inflammation. Quand le fait seroit aussi vrai qu'il est faux, elle n'en seroit pas plus avantageuse ; elle empêcheroit par-là le sang de se dégorger & de se purifier en partie. Que penseroit-on d'un homme qui proposeroit de prévenir la formation des exanthemes inflammatoires dans la petite vérole, ou des bubons dans la peste ? on le traiteroit de charlatan, & cette proposition feroit hausser les épaules, & exciteroit la risée : la plûpart des rieurs seroit dans le même cas. Nous devons raisonner des maladies inflammatoires internes, comme de celles qui ont leur siége à l'extérieur. C'est la même maladie & le même méchanisme ; mais heureusement il est rare que les saignées empêchent l'inflammation ; elles produisent plutôt l'effet opposé, en relâchant, affoiblissant les vaisseaux ; elles augmentent la disposition de la partie affectée, qui n'est probablement qu'une foiblesse, & elles rendent par-là l'engorgement irrésoluble.

Autre prétendu avantage de la saignée, que ses partisans font sonner bien haut, c'est de prévenir la suppuration. Il conste par un si grand nombre d'observations, que vingt & trente saignées n'ont pu dans bien des cas détourner la suppuration, quand l'inflammation a pris une fois cette tournure. Je serois plus porté à croire que cette terminaison est amenée & accélérée par les fréquentes saignées, sur-tout si on les fait dans le tems qu'une évacuation critique va terminer la maladie inflammatoire par la résolution ; j'en ai pour garant plus de cinquante observations dont j'ai été le témoin oculaire : je n'en rapporte qu'une. Un jeune homme étoit au neuvieme jour d'une fluxion de poitrine ; il avoit été saigné quatre ou cinq fois ; le pouls étoit souple, mou, rebondissant, critique, sans caractere d'irritation ; l'expectoration étoit assez facile ; on saigne le malade ; les crachats sont à l'instant beaucoup diminués ; la fievre, les inquiétudes augmentent ; on veut calmer ces symptômes ; on resaigne, le malade s'affoiblit, la fievre persiste, le pouls se concentre, l'artere devient roide, les crachats sont entierement supprimés ; il survient des frissons, crachement de pus, sueurs nocturnes ; le malade meurt le vingt-unieme jour. Mais je vais plus loin ; quand il seroit possible de prévenir la suppuration, il seroit souvent dangereux de le tenter : s'est-on jamais avisé de vouloir empêcher la suppuration des pustules varioleuses ? A-t-on pû y réussir, ou si on l'a fait, la mort du malade n'a-t-elle pas suivi de près une entreprise si téméraire ? La même chose doit arriver à l'intérieur, il vaut mieux laisser subir au malade l'évenement incertain d'une suppuration interne, que de l'exposer à une mort assurée ; la nature a mille ressources pour évacuer le pus, quand même (ce qui est le cas le plus fâcheux) le viscere n'auroit point de tuyau excrétoire. Si la suppuration est extérieure, il ne faut rien oublier pour la favoriser ; elle est toujours salutaire, & n'a aucun inconvénient remarquable ; elle épargne beaucoup de remedes, & procure un promt & sûr rétablissement. On peut juger par-là que la saignée (je parle sur-tout de celle qui est souvent réitérée) est nuisible & dangereuse, loin de produire les effets heureux qu'on a coutume d'en attendre. Au reste, quand je blâme ces saignées, je n'en blâme que l'abus, qui a fait plus de mal qu'on ne tirera jamais d'utilité des saignées modérées. Je n'ignore pas qu'une seconde ou troisieme saignée peuvent très-bien convenir dans le tems de crudité ou d'irritation des maladies inflammatoires, pour diminuer, calmer la violence de certains symptomes, pour ralentir l'impétuosité trop grande des humeurs ; on peut la placer très-avantageusement au commencement de ces maladies, sur-tout dans des sujets plétoriques, lorsque le pouls est oppressé, petit, enfoncé ; mais ayant du corps & une certaine force, la saignée alors éleve, développe le pouls, augmente la fievre, & fait manifester l'inflammation dans quelques parties ; il semble qu'elle favorise le dépôt inflammatoire ; ainsi lorsque la quantité ou le mouvement excessif du sang retarde l'éruption de quelque fievre exanthématique, nous la facilitons par la saignée, & ce sont les cas où elle est le plus favorable. Il importeroit fort peu qu'on tirât le sang du pié ou du bras, si dans la saignée du pié on ne le faisoit tremper dans l'eau chaude ; & c'est souvent à cette espece de bain que méritent d'être rapportés bien des effets qu'on attribue sans fondement à l'évacuation du sang faite déterminément par le pié. Cette saignée, pratiquée de cette façon, est préférable dans les maladies de la tête : deux ou trois saignées au plus placées à propos pendant l'irritation, dans les maladies inflammatoires suffisent. J'ai vû beaucoup de malades attaqués de ces maladies, il m'est rarement arrivé de prescrire plus de deux ou trois saignées ; je n'ai jamais eu lieu de m'en repentir. Les saignées ainsi modérées, sont toujours suivies d'un heureux succès ; elles ne peuvent être qu'indifférentes si elles ne sont pas utiles ; la qualité du sang coéneux est une foible raison pour engager à multiplier les saignées ; tout le sang est semblable ; si on le tiroit tout, il offriroit jusqu'à la derniere goutte le même phénomene.

2°. Nous pouvons appliquer aux purgatifs cathartiques dont il est ici question, ce que nous avons dit de la saignée. Quelques signes de putridité assez ordinairement présens dans ces maladies, & qui en sont plutôt l'effet que la cause ; la couleur blanchâtre de la langue ont été saisis aussi-tôt pour des signes indiquant l'administration des purgatifs. En conséquence on a purgé ; les digestions toujours lésées ont offert les mêmes signes, on a cru qu'il y avoit un amas de mauvais sucs dans les premieres voies, on a voulu l'évacuer, on a repurgé ; le même succès accompagnant l'opération de ces remedes, on les a réitérés ainsi de suite, tous les deux jours jusqu'à ce que la santé, ou plutôt une convalescence longue & pénible, ou la mort terminât la maladie.

1°. Le principe sur lequel est fondé cette administration fréquente des purgatifs, est au moins hypothétique, pour ne pas dire démontré faux. 2°. L'action des purgatifs affoiblit. 3°. Elle attire aux intestins toutes les humeurs, & les dérive des autres couloirs ; elle détourne principalement la matiere de la transpiration. 4°. Ils empêchent par-là les autres évacuations critiques. 5°. Leur usage réitéré énerve le ton des solides, & du sang même, & en épuise (pour parler avec les anciens) l'humide radical. Cependant, à parler vrai, ces remedes, à moins qu'ils ne soient extrêmement réitérés, ne sont pas aussi dangereux que la saignée ; la raison en est, qu'on les donne fort légers ; l'on prétend purger, & l'on ne purge point ; le remede, heureusement pour le malade, ne produit pas l'effet que le medecin en attend, aussi souvent ces remedes donnés dans le tems de la crudité, ne changent rien à la maladie ; ils sont simplement indifférens. Il n'en est pas de même dans le tems que la crise se fait ; si l'évacuation critique se fait par les selles, les purgatifs la secondent, mais pour un heureux succès, effet du hasard, combien de fois n'arrive-t-il pas que la crise préparée par une autre couloir, est dérangée par l'action d'un purgatif hors de propos ? J'ai vû cependant, souvent par un bizarre effet du purgatif, l'expectoration favorisée, le medecin n'ayant d'autre indication qu'une aveugle routine, vouloir purger. Il ne donnoit que de la manne ; elle ne produisoit aucun effet par les selles, poussoit alors par les crachats : c'étoit exactement le cas de dire que le remede en savoit plus que le medecin. Un nombre infini de malades doivent, ainsi que je l'ai observé, leur salut au quiproquo fortuné du remede. Un autre purgatif auroit purgé, arrêté les crachats & augmenté la maladie. Il est bien heureux que ces praticiens routiniers ne se servent que des remedes de peu d'activité, & qu'ils ayent entierement abandonné les purgatifs des anciens. Les purgatifs en général sont moins contraires dans les maladies inflammatoires de la tête, que dans celles qui portent à la poitrine ; dans celles-ci Baglivi, trop outré, les regarde comme une peste. Il est cependant certains cas où ils pourroient être employés dès le commencement avec fruit, ou du moins sans inconvénient. Il est à-propos de balayer les premieres voies lorsqu'elles sont infectées de mauvais sucs, & qu'elles sont comme engourdies sous leur poids ; on essaye d'ailleurs par ce moyen à préparer aux alimens & aux remedes un chemin pur & facile qui, sans cette précaution, passeroient dans le sang, changés, altérés & corrompus. Ces cas doivent être bien examinés ; le point principal est de bien saisir l'indication ; les signes ordinaires de putridité sont souvent trompeurs & passagers : un purgatif qui ne seroit indiqué que par eux, seroit souvent trop hasardé. Je suis persuadé qu'on pourroit tirer beaucoup de lumieres de la connoissance des différentes modifications du pouls ; on y peut observer certains caracteres qui font connoître lorsque l'estomac est surchargé, les intestins sont infectés de mauvais sucs, lorsque les humeurs se portent vers les premieres voies. Voyez POULS. Alors on a tout à espérer d'un purgatif placé dans ces circonstances ; il doit être léger ou médiocre ; pour peu qu'il fût fort il exciteroit des superpurgations ; le développement du pouls succédant à l'opération du remede, en marque la réussite. Il n'en est pas des purgatifs émétiques comme des cathartiques, les effets en sont bien différens ; les émétiques, loin de détourner, d'arrêter la transpiration, la favorisent, l'augmentent ; loin d'empêcher les dépôts inflammatoires, ils semblent y concourir ; ils facilitent l'éruption varioleuse, languissante ; ils aident à la décision des crises : on les donne souvent moins pour procurer l'évacuation des matieres qui sont dans l'estomac, que pour exciter une secousse générale, qui est presque toujours très-avantageuse, & qui semble viser & parvenir au même but que la fievre elle-même ; aussi arrive-t-il souvent que la fievre est calmée, suspendue, quelquefois totalement emportée par l'action d'un émétique. Je suis étonné, dit Sydenham, du soulagement que les émétiques procurent dans les maladies ; car souvent les matieres évacuées sont en petite quantité, & ne paroissent avoir aucun mauvais caractere ; les symptomes en sont souvent beaucoup diminués, & la maladie parcourt paisiblement & sans danger ses différentes périodes ; c'est ce qui fait qu'ils conviennent beaucoup au commencement des maladies. Sydenh. Oper. med. constit. epid. an. 1661. cap. iv. & v.

Quelquefois aussi l'estomac est réellement affecté, il est surchargé, affaissé, & il entraîne l'affaissement de toute la machine ; il concentre, resserre le pouls, il tend l'artere & la rend vibratile. L'émétique administré alors produit un effet étonnant. La présence du pouls stomacal, a remarqué fort judicieusement M. Bordeu, favorise l'effet de l'émétique, & peut servir d'indication certaine pour le placer. Je crois qu'il est toujours à-propos de commencer le traitement d'une maladie inflammatoire par l'émétique ; on pourra, suivant l'indication & la vivacité des symptomes, le faire précéder d'une ou de deux saignées, pour en prévenir les mauvais effets & en faciliter même l'opération ; lorsqu'on le donne avec ces précautions, & au commencement de la maladie sur-tout, il n'y a rien à craindre, mais tout à espérer de son administration. Le cas où il sembleroit le plus contre-indiqué, sont les maladies inflammatoires de la poitrine ; ce sont pourtant celles où il réussit le mieux ; il n'y a que des medecins inexpérimentés qui puissent s'effrayer d'un point de côté ou d'un crachement de sang ; on voit au contraire ces accidens diminuer après l'opération de l'émétique ; on peut après, si l'indication est bien marquée, & si le cas l'exige, donner un ou deux cathartiques pris dans la classe des médiocres ou des minoratifs ; mais rarement on est obligé de recourir à ces remedes ; je serois d'avis que dans leur exhibition on eût un peu plus d'égard au jour de la maladie. Hippocrate, exact observateur, a remarqué que les purgatifs étoient plus utiles les jours pairs, & que leur usage étoit souvent dangereux les jours impairs : cette remarque mérite quelque attention. Si après qu'on a fait précéder ces remedes, la fievre inflammatoire est modérée, qu'on n'observe rien de dangereux, d'anomale dans le cours des symptomes, le medecin doit rester oisif spectateur, jusqu'à ce que la coction faite il se prépare quelque effort critique à seconder, ou, pour s'accommoder aux préjugés reçus, & satisfaire l'envie singuliere qu'ont quelques malades d'être médicamentés, on peut les amuser par des riens, par des remedes indifférens dont la médecine abonde, par des petits laits, des ptisanes, des loochs, des lavemens ; encore doit-on être plus circonspect pour ces derniers remedes dans les fievres exanthématiques, dans celles qui portent à la poitrine ; ils sont souvent mauvais : j'en ai vû de très-pernicieux effets dans la petite vérole. Si la fievre étoit trop forte, ce qui est assez rare, on pourroit avoir recours aux saignées, aux lavages, aux délayans, &c. Si elle est trop foible, qu'on apperçoive une langueur, un affaissement dans la machine, il faut recourir de bonne heure aux remedes qui animent, stimulent les vaisseaux, aux cordiaux, plus ou moins actifs, aux élixirs spiritueux, aromatiques, aux huiles essentielles, à l'éther. Ces remedes employés à-propos peuvent sauver quelquefois la vie aux malades, dans le cas où le dépôt inflammatoire ne peut être formé, & qu'il va se faire un repompement dangereux de cette matiere dans le sang ; lorsqu'il est à craindre qu'un malade ne succombe dans le froid d'un redoublement, on peut lui faire passer ce détroit, & le mettre en état de supporter des efforts critiques, & de résister aux évacuations qui doivent terminer la maladie ; mais pour donner ces remedes, il ne faut pas attendre que le malade soit à l'agonie, hors d'état d'en profiter. Il est si ordinaire aux Medecins de différer l'usage des cordiaux jusqu'à ces derniers momens, dans la crainte mal entendue d'augmenter la fievre & d'échauffer, qu'il semble qu'on porte un arrêt de mort à un malade quand on veut lui prescrire une potion cordiale. De tous les cordiaux, ceux qui agissent le plus vîte & le plus sûrement, & qui sont les plus propres à tirer le sang & les vaisseaux de l'engourdissement, sont sans contredit les vésicatoires ; leur application releve le pouls, augmente sa force & sa tension, fait cesser les assoupissemens, calme souvent les délires opiniâtres. On a vû des pleurétiques tirés comme par enchantement des portes de la mort par l'application des vésicatoires sur le côté affecté ; les efforts critiques sont aidés, & même déterminés par leur moyen ; il n'y a pas de remede plus assuré pour favoriser une crise languissante ; mais comme ils produisent de grands biens quand ils sont appliqués à-propos, ils font beaucoup de mal quand ils sont employés à contre-tems ; c'est pourquoi ils exigent dans leur usage beaucoup de circonspection.

Lorsque la crise est prête à se faire, la nature nous en instruit par divers signes ; elle nous fait même connoître le couloir qu'elle destine à l'excrétion critique ; on peut lui aider dans cet ouvrage, & déterminer les humeurs aux tuyaux excrétoires qu'elle doit choisir, dit Hippocrate, . Voyez CRISE. " Il faut pousser aux couloirs que la nature affecte, les humeurs qui doivent être évacuées par les endroits les plus convenables. " Aphor. 21. lib. I. Il est très-important de bien examiner les différens signes critiques ; on n'en doit négliger aucun pour connoître sûrement par quel endroit se fera l'évacuation critique ; si la maladie doit se juger par l'exportation, on ne peut seconder cette excrétion véritablement que par le kermès minéral ; tous les autres béchiques sous forme de looch, de ptisanes, ne font que peu ou point d'effet ; si la crise se prépare par les sueurs, on doit donner les sudorifiques plus ou moins forts, suivant la longueur des efforts critiques : les légers purgatifs facilitent la crise qui doit se faire par le dévoiement, ainsi des autres.

Si la maladie se termine par la suppuration, il faut entierement laisser tout l'ouvrage à la nature, sans l'affoiblir par les laitages affadissans, &c. on pourra tout au plus lui aider lorsque les caracteres du pouls indiqueront qu'elle ménage l'évacuation du pus par quelque couloir. Le méchanisme des métastases nous est totalement inconnu, & nous ne sommes pas plus instruits de ce qu'il faudroit faire pour les déterminer. Je crois cependant, dans les suppurations de la poitrine, qu'il seroit à-propos de tenter l'application des cauteres du feu aux jambes : dans ces maladies la nature affecte souvent cette voie. On pourroit aussi dans certains cas de suppuration interne, procurer, par des opérations chirurgicales, une issue au pus renfermé dans quelque cavité, par l'empyème dans les pleurésies, par le trépan dans les phrenésies, &c. Si la suppuration est extérieure, le traitement est tout simple, il n'exige aucune considération particuliere. Article de M. MENURET.


INFLEXIBILITÉINFLEXIBLE, (Grammaire) qu'on ne peut fléchir. Il se dit au physique & au moral. Il y a des bois inflexibles. La plûpart des corps fossiles sont inflexibles, ou ne peuvent être pliés sans être rompus. On dit un homme inflexible, un caractere inflexible. Il s'applique donc aux personnes & aux choses. L'inflexibilité n'est ni une bonne ni une mauvaise qualité ; c'est la circonstance qui en fait un vice ou une vertu.


INFLEXIONS. f. terme de Gramm. On confond assez communément les mots inflexion & terminaison, qui me paroissent pourtant exprimer des choses très-différentes, quoiqu'il y ait quelque chose de commun dans leur signification. Ces deux mots expriment également ce qui est ajoûté à la partie radicale d'un mot ; mais la terminaison n'est que le dernier son du mot modifié, si l'on veut, par quelques articulations subséquentes, mais détaché de toute articulation antécédente. L'inflexion est ce qui peut se trouver dans un mot entre la partie radicale & la terminaison. Par exemple am est la partie radicale de tous les mots qui constituent la conjugaison du verbe amo ; dans amabam, amabas, amabat, il y a à remarquer inflexion & terminaison. Dans chacun de ces mots la terminaison est différente, pour caractériser les différentes personnes ; am pour la premiere, as pour la seconde, at pour la troisieme : mais l'inflexion est la même pour marquer que ces mots appartiennent au même tems ; c'est ab par-tout.

Voilà donc trois choses que l'étymologiste peut souvent remarquer avec fruit dans les mots, la partie radicale, l'inflexion & la terminaison. La partie radicale est le type de l'idée individuelle de la signification du mot ; cette racine passe ensuite par différentes métamorphoses, au moyen des additions qu'on y fait, pour ajoûter à l'idée propre du mot les idées accessoires communes à tous les mots de la même espece. Ces additions ne se font point témérairement, & de maniere à faire croire que le simple hasard en ait fixé la loi ; on y reconnoît des traces d'intelligence & de combinaison, qui déposent qu'une raison saine a dirigé l'ouvrage. L'inflexion a sa raison ; la terminaison a la sienne ; les changemens de l'une & de l'autre ont aussi la leur ; & ces élémens d'analogie entre des mains intelligentes, peuvent répandre bien de la lumiere sur les recherches étymologiques, & sur la propriété des termes. On peut voir à l'article TEMS, de quelle utilité est cette observation pour en fixer l'analogie & la nature, peu connue jusqu'à présent. (B. E. R. M.)

INFLEXION, s. f. en Optique, est la même propriété des rayons de lumiere, qu'on appelle autrement & plus communément diffraction. Voyez DIFFRACTION.

Point d'inflexion d'une courbe, en terme de Géométrie, est le point où une courbe commence à se courber, ou à se replier dans un sens contraire à celui dans lequel elle se courboit d'abord ; c'est-à-dire ou de concave qu'elle étoit vers son axe elle devient convexe, ou réciproquement.

Si une ligne courbe telle que A F K (Pl. de Géom. fig. 100.) est en partie concave & en partie convexe vers quelque ligne droite que ce soit, comme A B : le point F, qui sépare la partie concave de la partie convexe, est appellé le point d'inflexion, lorsque la courbe étant continuée au-delà de F, suit la même route ; mais lorsqu'elle revient vers l'endroit d'où elle est partie ; il est appellé point de rebroussement. Voyez REBROUSSEMENT.

Pour concevoir ce que l'on vient de dire, il faut considérer que toute quantité qui augmente ou qui diminue continuellement, ne peut passer d'une expression positive à une négative, ou d'une négative à une positive, qu'elle ne devienne auparavant égale à l'infini ou à zéro. Elle devient égale à zéro lorsqu'elle diminue continuellement, & égale à l'infini lorsqu'elle augmente continuellement.

Maintenant si l'on mene par le point F l'ordonnée E F & la tangente F L, & d'un point M pris sur la partie A F, l'ordonnée M P, & la tangente M T, pour lors, dans les courbes qui ont un point d'inflexion, l'abscisse A P augmente continuellement, de même que la partie A T du diametre comprise entre le sommet de la courbe & la tangente M T, jusqu'à ce que le point P tombe en E ; après quoi elle commence à diminuer : d'où il suit que la ligne A T doit devenir un maximum A L, lorsque le point P tombe sur le point E.

Dans les courbes qui ont un point de rebroussement, la partie A T augmente continuellement, de même que l'abscisse, jusqu'à ce que le point T tombe en L ; après quoi elle diminue de nouveau : d'où il suit que A P doit devenir un maximum, lorsque le point T tombe en L.

Si A E = x, E F = y, ou aura A L = - x, dont la différence, en supposant d x constante, est x y, qui étant faite = 0, pour avoir le cas où A L est un maximum (voyez MAXIMUM ), donnera d d y = 0 ; formule générale pour trouver le point d'inflexion ou de rebroussement, dans les courbes dont les ordonnées sont paralleles entre elles. Car la nature de la courbe A F K étant donnée, on peut trouver la valeur de y en x, & celle de d y en d x ; laquelle valeur de d y étant différenciée en faisant d x constante, on aura une équation en x, qui étant résolue donnera la valeur de A P = x, qui portera au point d'inflexion F.

Au reste il faut remarquer qu'il y a des cas où il faut faire d d y = z au lieu de o.

M. l'abbé du Gua, dans ses usages de l'analyse de Descartes, a fait des observations importantes sur cette regle, pour trouver les points d'inflexion, & y a ajoûté la perfection qui lui manquoit. Voyez cet ouvrage, p. 268.

On peut voir au mot DIFFERENTIEL, ce que nous avons dit sur la regle pour trouver les points d'inflexion, en faisant = z, elle consiste à trouver le point où z est un maximum ou un minimum : ainsi toutes les difficultés qui peuvent se rencontrer dans l'application de la regle pour les points d'inflexion, sont précisément les mêmes qui peuvent se rencontrer dans l'application de la regle pour les maxima & minima. Voyez donc l'artic. MAXIMUM, & remarquez que pour trouver les points d'inflexion de la courbe dont x & y sont les co-ordonnées, il suffit de trouver les maxima & minima des ordonnées de la courbe dont x & z sont les co-ordonnées. Or puisqu'on a une équation entre x & y, & une autre entre x, y & z, il est aisé d'en avoir une entre x & z, en faisant évanouir y. Voyez EQUATION & EVANOUIR, &c. (O)


INFLUENCES. f. (Métaphysiq.) terme dont on s'est servi pour rendre raison du commerce entre l'ame & le corps, & qui fait la premiere des trois hypotheses reçues sur cette matiere. Voyez l'examen des deux autres dans les articles CAUSES OCCASIONNELLES, & HARMONIE PREETABLIE. On y prétend que l'ame agit physiquement sur le corps, & le corps sur l'ame, par une action réelle & une véritable influence. C'est le système le plus ancien & le plus goûté du vulgaire ; cependant il ne réveille absolument aucune idée : il ne présente à l'esprit qu'une qualité occulte : voici les principales raisons qui empêchent de l'admettre. 1°. On ne fera jamais comprendre, même à ceux qui admettent l'action d'une substance créée sur l'autre, que deux substances aussi différentes que l'ame & le corps, puissent avoir une communication réelle & physique, & sur-tout que le corps puisse agir sur l'ame & l'affecter par son action. Supposer dans l'ame & dans le corps un pouvoir à nous inconnu d'agir l'un sur l'autre, c'est ne rien expliquer ; on ne peut soutenir ce système avec quelqu'apparence, qu'en avouant que l'ame est matérielle, aveu auquel on ne se laissera pas aisément aller crainte des conséquences. 2°. On a aujourd'hui une démonstration contre ce système ; car M. de Leibnitz & d'autres grands hommes ont découvert plusieurs lois de la nature qui y sont entierement contraires, & que les plus grands mathématiciens ont cependant reconnues pour certaines ; telles sont celles-ci. 1°. Qu'il n'y a point d'action dans les corps sans réaction, & que la réaction est toujours égale à l'action ; or, dans l'action du corps sur l'ame, il ne sauroit y avoir de réaction, l'ame n'étant pas matérielle. 2°. Que dans tout l'univers il se conserve toujours la même quantité de forces vives, ou de la force absolue. 3°. Qu'il s'y conserve aussi la même quantité de force directive, ou la même direction dans tous les corps ensemble, qu'on suppose agir entr'eux de quelque maniere qu'ils se choquent. Or il est aisé de voir que la seconde loi ne sauroit subsister, si l'ame peut donner du mouvement au corps, car en ce cas elle augmentera la quantité des forces vives, ou de la force absolue ; & la troisieme ne sera pas moins renversée, si l'ame a le pouvoir de changer la direction de son corps, & par son moyen celle des autres. Voyez Vattel, Défense du syst. Leibn. 894. 134. Les Cartésiens ont déja senti ces difficultés qui leur ont fait rejetter l'influence physique, quoiqu'ils se soient trompés en disant qu'il se conserve toujours la même quantité de mouvement.

La cause occasionnelle n'est que l'occasion seulement, & non pas la cause directe de l'effet qui s'ensuit.

L'influence rejettée a conduit les Philosophes à deux autres systèmes sur l'union de l'ame & du corps. L'un est celui des causes occasionnelles du P. Malebranche, & l'autre celui de l'harmonie préétablie de M. Leibnitz. Voyez son article.

Ceux qui admettent les causes occasionnelles, conçoivent que Dieu est lui-même l'auteur immédiat de l'union que nous remarquons entre l'ame & le corps. Mon ame veut mouvoir mon bras, & Dieu le meut. Je veux jetter une boule, Dieu étend mon bras, applique ma main sur la boule, me la fait empoigner, &c. Tous ces mouvemens se font exactement pendant que je le veux, & c'est pour cette raison que je me crois la cause de ces différens mouvemens. Les mouvemens de l'ame & du corps ne sont donc que l'occasion de ce qui se passe dans l'un & dans l'autre. Pareillement lorsque des corps étrangers agissent sur nos nerfs, Dieu est l'auteur immédiat des perceptions qui naissent de leur action : pendant que ma main s'applique à la boule, je ne sens point la boule, mais Dieu me donne la perception de cet attouchement.

Ceux dont nous rapportons le sentiment, étendent même cette action immédiate de Dieu jusqu'à la communication du mouvement, lorsqu'un corps en choque un autre.

Cette opinion est fondée 1°. sur ce que posé ce commerce réciproque & occasionnel, on comprend aisément que le corps & l'ame font une seule personne ; car, puisque l'ame est gouvernée à l'occasion du corps, & le corps à l'occasion de l'ame, aucune de ces deux substances n'est totale & complete , aucune par conséquent n'est personne. 2°. En ce qu'il est vraisemblable que Dieu est la seule cause efficiente de ce commerce ; car l'influence mutuelle de l'ame sur le corps, & du corps sur l'ame, ne sauroit jamais se comprendre.

Mais il y a des philosophes auxquels les conséquences de ce système paroissent ridicules ; par exemple ce n'est point un boulet de canon qui tue un homme, c'est Dieu qui le fait. Le mouvement du canonnier, dont le bras remué par la puissance de Dieu a porté du feu sur la poudre d'un canon, a déterminé Dieu à enflammer la poudre ; la poudre enflammée a déterminé Dieu à pousser le boulet, & le boulet poussé jusqu'à la superficie extérieure du corps de l'homme, a déterminé Dieu à briser les os de cet homme. Un poltron qui s'enfuit, ne s'enfuit pas ; mais le mouvement de sa glande pinéale agitée par l'impression d'un bataillon ennemi, qui vient à lui hérissé de bayonnetes au bout du fusil, détermine Dieu à remuer les jambes de ce poltron, & à le porter du côté opposé à celui d'où vient ce bataillon.

On a souvent dit dans un sens moral que le monde est un théatre où chacun joue son rôle, mais on pourroit dire ici dans un sens physique que l'univers est un théatre de marionettes, & que chaque homme est un polichinelle, qui fait beaucoup de bruit sans parler, & qui s'agite beaucoup sans se remuer.

INFLUENCE, s. f. (Phys.) on appelle ainsi l'effet réel ou prétendu que les astres produisent sur la terre & sur les corps qu'elle renferme, ou qui la couvrent. Nous disons réel ou prétendu ; car d'une part il ne paroît pas que les étoiles & les planetes fort éloignées, puissent produire sur nos corps & sur notre tête aucun effet sensible, eu égard à leur petitesse ; de l'autre on ne peut douter de l'influence très-sensible du soleil, & même de la lune sur notre atmosphere. L'action de ces deux astres, de l'aveu de tous les philosophes, produit le flux & reflux de la mer ; or cette action ne peut agiter la mer sans passer auparavant par l'atmosphere, & sans y produire par conséquent des effets très-sensibles ; or on sait à quel point les changemens de l'atmosphere agissent sur les corps terrestres. L'influence du soleil & de la lune sur ces corps, est donc très-réel & très-sensible ; il est vrai pourtant que celle du soleil l'est encore plus que celle de la lune, à cause de la chaleur de cet astre. Voyez SOLEIL, LUNE, & VENT ; voyez aussi ASTROLOGIE.

INFLUENCE ou INFLUX DES ASTRES, s. m. (Med. Physique générale, partie thérapeut.) Ce mot pris dans le sens le plus étendu, signifie une action quelconque des astres sur la terre & sur toutes ses productions ; la connoissance des effets qui sont censés résulter de cette action, ne nous regarde qu'autant qu'elle peut être de quelqu'utilité en Médecine, par le rapport de ces effets avec les planetes, les animaux, & surtout l'homme, objet noble & précieux de cette science. Nous ne considérons que sous ce point de vûe cette partie de l'Astronomie, qui est appellée plus particuliérement Astrologie ; voyez ce mot. Nous ne pouvons nous empêcher d'être un peu longs, & d'entrer dans bien des détails sur une matiere célebre chez les anciens, regardée par eux comme très-importante, & fort discréditée chez la plûpart des medecins modernes.

L'influence des astres étoit un dogme fameux dans l'antiquité la plus reculée, dont on étoit persuadé même avant qu'on pensât à en connoître ou à en déterminer le cours. L'application de l'Astrologie à la Médecine est aussi très-ancienne ; elle eut lieu dans ces temps d'ignorance, où cette science encore dans son berceau, exercée par des dieux, n'étoit qu'un mélange indigeste & bizarre d'un aveugle empyrisme & d'une obscure superstition. On voit dans quelques livres qui nous restent d'Hermès ou de Mercure, que toute sa médecine étoit principalement fondée sur l'Astrologie & sur la Magie. Quelques phénomenes trop évidens, & trop constamment attachés à la marche du soleil, pour qu'on pût en méconnoître la source, firent d'abord appercevoir une influence générale de cet astre sur notre globe, & ses phénomenes principaux & les plus apparens sont la lumiere, la chaleur, & la sécheresse. On vit en même tems combien les hommes, les animaux, & sur-tout les végétaux, étoient affectés par ces qualités, effets immédiats du soleil, par les variations qui y arrivoient, par leur diminution, ou par une privation sensible ; savoir l'obscurité, & sur-tout le froid & l'humidité. Cette influence assurément incontestable ne fixa pas beaucoup l'attention, peut-être le peu de sensation qu'elle fit, pouvoit être attribué à son trop d'évidence ; on ne tarda pas à la généraliser, on l'étendit d'abord à la lune, aux planetes, & enfin à toutes les étoiles fixes. On tourna bientôt en certitude les premiers soupçons que l'analogie, & peut-être quelques faits observés, firent naître sur l'influx lunaire. On fut beaucoup plus frappé de cette influence obscure, mal-constatée, peu fréquente, que de celle du soleil qui tomboit tous les jours sous les sens, & dont on ressentoit à tout moment les effets ; sans doute parce qu'elle fournissoit à l'esprit humain jaloux des découvertes, plus flatté de celles qui sont difficiles, d'ailleurs avide de dispute, des matieres abondantes de recherches & de discussion. On chercha dans cette action obscure de la lune la cause de tous les effets, dont on ignoroit la véritable source. L'ignorance en augmenta extraordinairement le nombre, & les esprits animés par quelque correspondance réellement observée entre quelques phénomenes de l'économie animale & les périodes de la lune, se livrerent à cet enthousiasme semillant, actif, qu'entraîne ordinairement le nouveau merveilleux, & que les succès animent, porterent cette doctrine à l'excès, & la rendirent insoutenable. La même chose arriva à l'égard des autres astres ; on leur attribua non-seulement la vertu de produire les maladies, ou d'entretenir la santé suivant leurs différens aspects, leur passage, leur situation, &c. Mais on crut en même tems qu'ils avoient le pouvoir de régler les actions morales, de changer les moeurs, le caractere, le génie, la fortune des hommes. On les fit présider aux plus grands événemens, & on prétendit trouver dans leurs mouvemens la connoissance la plus exacte de l'avenir. Cette doctrine ainsi outrée, remplie d'absurdités, défigurée par les fables, le mensonge, la superstition, fut pendant longtems méprisée & négligée par les savans, & tomba en conséquence entre les mains des ignorans & des imposteurs, nation extrêmement étendue dans tous les tems, qui d'abord trompés eux-mêmes, tromperent ensuite les autres. Les uns aveugles de bonne foi, croyoient ce qu'ils enseignoient ; d'autres assez éclairés pour sentir le ridicule & le faux de la doctrine, ne laissoient pas de la publier & de la vanter. Bien des gens font encore de même aujourd'hui, soit pour soutenir une réputation établie, soit dans l'espérance d'augmenter leur fortune aux dépens du peuple, & souvent des grands assez sots pour les écouter, les croire, les admirer & les payer. Une admiration stérile, illucrative, n'est pour l'ordinaire le partage que du vrai savant.

L'influence des astres étoit particulierement en vigueur chez les Chaldéens, les Egyptiens & les Juifs. Elle entroit dans la philosophie cabalistique de ces derniers peuples, qui pensoient que chaque planete influoit principalement sur une partie déterminée du corps humain, & lui communiquoit l'influence qu'elle recevoit d'un ange, qui étoit lui-même soumis à l'influence particuliere d'une splendeur ou sephirot, nom qu'ils donnoient aux émanations, perfections ou attributs de la divinité ; de façon, suivant cette doctrine, que Dieu influoit sur les splendeurs, les splendeurs sur les anges, les anges sur les planetes, les planetes sur l'homme. Voyez CABALE. Les cabalistes croyoient que tout ce qui est dans la nature, étoit écrit au ciel en caracteres hébreux ; quelques-uns même assuroient l'y avoir lu. Moyse, selon Pic de la Mirandole, avoit exprimé tous les effets des astres par le terme de lumiere, parce qu'il la regardoit comme le véhicule de toutes les influences. Ce fameux législateur eut beaucoup d'égard aux astres dans la composition de sa loi, & régla des cérémonies & des pratiques de religion, sur l'influence particuliere qu'il prêtoit aux uns & aux autres. Il ordonna que le jour du repos on préviendroit & l'on détourneroit par la priere & la dévotion les mauvaises influences de Saturne, qui présidoit au jour ; mit la défense du meurtre sous Mars, &c. Voyez CABALE ; & il est singulier qu'on remarque sérieusement, que Mars est plus propre à les produire qu'à en arrêter le cours.

Hippocrate le premier & le plus exact observateur, fit entrer cette partie de l'Astronomie dont il est ici question, dans la Médecine dont il fut le restituteur, ou pour mieux dire le créateur ; & il la regardoit comme si intéressante, qu'il refusoit le nom de medecin à ceux qui ne la possédoient pas. " Personne, dit-il dans la préface de son livre, de signific. vit. & mort. ne doit confier sa santé & sa vie à celui qui ne sait pas l'Astronomie, parce qu'il ne peut jamais parvenir sans cette connoissance à la perfection nécessaire dans cet art. Ceux au contraire, dit-il ailleurs, (l. de aer. aquis & loc.) qui ont exactement observé les changemens de tems, le lever & le coucher des astres, & qui auront bien remarqué la maniere dont toutes ces choses seront arrivées, pourront prédire quelle sera l'année, les maladies qui régneront, & l'ordre qu'elles suivront ". C'est d'après ces observations qu'Hippocrate recommande, & qu'il a sans-doute faites lui-même, qu'il a composé les aphorismes où sont très-exactement classées les maladies propres à chaque saison, relativement aux tems, aux pluies, aux vents qui ont regné dans cette même saison & dans les précédentes. Voyez APHORISMES, lib. III. Mais ceux parmi les astres, dont l'influence lui paroît plus marquée & plus importante à observer, sont les pléyades, l'arcture & le chien ; il veut qu'on fasse une plus grande attention au lever & au coucher de ces étoiles, ou constellations, parce que ces jours sont remarquables, & comme critiques dans les maladies, par la mort, ou la guérison des malades, ou par quelque métastase considérable. lib. de aere, aquâ. Et lorsqu'il commence la description de quelque épidémie, il a soin de marquer expressément la constitution de l'année, l'état des saisons, & la position de ces étoiles. Il avertit aussi d'avoir égard aux grands changemens de tems qui se font aux solstices & aux équinoxes, pour ne pas donner alors des remedes actifs, qui produiroient de mauvais effets. Il conseille aussi de s'abstenir en même tems des opérations qui se font par le fer ou le feu ; il veut qu'on les differe à un tems plus tranquille.

Galien, commentateur & sectateur zélé de la doctrine d'Hippocrate, a particulierement goûté ses idées sur l'influence des astres sur le corps humain. Il les a confirmées, étendues dans un traité fait ex professo sur cette matiere, & dans le cours de ses autres ouvrages. Il donne beaucoup plus à la lune que ne faisoit Hippocrate ; & c'est principalement avec sa période qu'il fait accorder ses jours critiques. Leur prétendu rapport avec une efficacité intrinseque des jours & des nombres supposés par Hippocrate, étant usé, affoibli par le tems, & renversé par les argumens victorieux d'Asclépiade, Galien n'eut d'autre ressource que dans l'influence de la lune pour expliquer la marche des crises ; & pour faire mieux appercevoir la correspondance des jours critiques fameux, le 7, le 14 & le 21, avec les phases de la lune, il imagina un mois médicinal, analogue au mois lunaire ; il donna par ce moyen à son systême des crises, combiné avec l'influx lunaire, un air de vraisemblance capable d'en imposer, & plus que suffisant pour le faire adopter par des medecins qui ne savoient penser que d'après lui, & qui regardoient son nom à la tête d'un ouvrage, d'une opinion, comme un titre authentique de vérité, & comme la preuve la plus incontestable. Voyez l'article CRISE. Il admettoit aussi l'influence des autres astres, des planetes, des étoiles, qu'il prouvoit ainsi, partant du principe que l'action du soleil sur la terre ne pouvoit être révoqué en doute. " Si l'aspect réciproque des astres ne produit aucun effet, & que le soleil, la source de la vie & de la lumiere, regle lui-seul les quatre saisons de l'année, elles seront tous les ans exactement les mêmes, & n'offriront aucune variété dans leur température, puisque le soleil n'a pas chaque année un cours différent. Puis donc qu'on observe tant de variations, il faut recourir à quelqu'autre cause dans laquelle on n'observe pas cette uniformité ". Comment. in secund. lib. prorrhetic. On ne sauroit nier que ce raisonnement de Galien ne soit très-plausible, très-satisfaisant & très-favorable à l'influence des astres ; il indique d'ailleurs par-là une cause physique d'un fait dont on n'a encore aujourd'hui que des causes morales. Ce dogme particulier n'avoit besoin que de l'autorité de Galien, pour devenir une des lois fondamentales de la Médecine clinique ; il fut adopté par le commun des medecins, qui n'avoient d'autre regle que les décisions de Galien. Quelques medecins s'éloignant du chemin battu, oserent censurer cette doctrine quelquefois fausse, souvent outrée par ses partisans ; mais ils furent bientôt accablés par le nombre. Les medecins routiniers ont toujours souffert le plus impatiemment, que les autres s'écartassent de leur façon de faire & de penser. L'Astrologie devenant plus à la mode, la théorie de la Médecine s'en ressentit. Comme il est arrivé toutes les fois que la Physique a changé de face, la Médecine n'a jamais été la derniere à en admettre les erreurs dominantes ; les medecins furent plus attachés que jamais à l'influence des astres. Quelques-uns sentant l'impossibilité de faire accorder tous les cas avec les périodes de la lune, eurent recours aux autres astres, aux étoiles fixes, aux planetes. Bien-tôt ces mêmes astres furent regardés comme les principales causes de maladie, & l'on expliqua par leur action le fameux d'Hippocrate, mot qui a subi une quantité d'interprétations toutes opposées, & qui n'est par conséquent pas encore défini. On ne manquoit jamais de consulter les astres avant d'aller voir un malade ; & l'on donnoit des remedes, ou l'on s'en abstenoit entierement, suivant qu'on jugeoit les astres favorables ou contraires. On suivit les distinctions frivoles établies par les astrologues des jours heureux & malheureux, & la Médecine devint alors ce qu'elle avoit été dans les premiers siecles, appellés tems d'ignorance ; l'Astrologie fut regardée comme l'oeil gauche de la Médecine, tandis que l'Anatomie passoit pour être le droit. On alloit plus loin ; on comparoit un medecin destitué de cette connoissance à un aveugle qui marchant sans bâton, bronche à chaque instant, & porte en tremblant de côté & d'autre des pas mal-assurés ; un rien le détourne, & il est dans la crainte de s'égarer : ce n'est que par hasard & à tâtons qu'il suit le bon chemin.

Les Alchimistes, si opposés par la nature de leurs prétentions aux idées reçues, c'est-à-dire au Galénisme, n'oublierent rien pour le détruire ; mais ils respecterent l'influence des astres, ils renchérirent même sur ce que les anciens avoient dit, & lui firent jouer un plus grand rôle en Médecine. Ils considérerent d'abord l'homme comme une machine analogue à celle du monde entier, & l'appellerent microcosme, , mot grec qui signifie petit-monde. Ils donnerent aux visceres principaux les noms des planetes dont ils tiroient, suivant eux, leurs influences spéciales, & avec lesquelles ils croyoient entrevoir quelque rapport ; ainsi le coeur considéré comme le principe de la vie du microcosme, fut comparé au soleil, en prit le nom & en reçut les influences. Le cerveau fut appellé lune, & cet astre fut censé présider à ses actions. En un mot, on pensa que Jupiter influoit sur les poumons, Mars sur le foie, Saturne sur la rate, Vénus sur les reins, & Mercure sur les parties de la génération. Les Alchimistes ayant supposé les mêmes influences des planetes ou des astres auxquels ils donnoient le nom, sur les sept métaux, de façon que chaque planete avoit une action particuliere sur un métal déterminé qui prit en conséquence son nom : ils appellerent l'or, soleil ; l'argent, lune ; le vif-argent, Mercure ; le cuivre, Vénus ; le fer, Mars, & le plomb, Saturne. L'analogie qui se trouva entre les noms & les influences d'une partie du corps & du métal correspondant, fit attribuer à ce métal la vertu spécifique de guérir les maladies de cette partie ; ainsi l'or fut regardé comme le spécifique des maladies du coeur, & les teintures solaires passoient pour être éminemment cordiales ; l'argent fut affecté au cerveau ; le fer au foie, & ainsi des autres. Ils avoient conservé les distinctions des humeurs reçues chez les anciens en pituite, bile & mélancholie : ces humeurs recevoient aussi les influences des mêmes planetes qui influoient sur les visceres dans lesquels se faisoit leur sécrétion, & leur dérangement étoit rétabli par le même métal qui étoit consacré à ces parties ; de façon que toute leur médecine consistoit à connoître la partie malade & la nature de l'humeur peccante, le remede approprié étoit prêt. Il seroit bien à souhaiter que toutes ces idées fussent aussi réelles qu'elles sont ou qu'elles paroissent chimériques, & qu'on pût réduire la Médecine à cette simplicité, & la porter à ce point de certitude qui résulteroit de la précieuse découverte d'un spécifique assûré pour chaque maladie ; mais malheureusement l'accomplissement de ce souhait est encore très-éloigné, & il est même à craindre qu'il n'ait jamais lieu, & que nous soyons toujours réduits à la conjecture & au tâtonnement dans la science la plus intéressante & la plus précieuse, en un mot où il s'agit de la santé & de la vie des hommes ; science qui exigeroit par là le plus de certitude & de pénétration. Quelques ridicules qu'ayent paru les prétentions des Alchimistes sur l'influence particuliere des astres & sur l'efficacité des métaux, on a eu de la peine à nier l'action de la lune sur le cerveau des fous, on n'a pas cessé de les appeller lunatiques () ; on a conservé les noms planétaires des métaux, les teintures solaires de Mynsicht ont été longtems à la mode, & encore aujourd'hui l'or entre dans les fameuses gouttes du général la Motte ; les martiaux sont toujours & méritent d'être regardés comme très-efficaces dans les maladies du foie ; & l'on emploie dans les maladies chroniques du poumon l'anti-hectique de Poterius, qui n'a d'autre mérite (si c'en est un) que de contenir de l'étain.

Ces mêmes planetes qui, par leur influence salutaire, entretiennent la vie & la santé de chaque viscere particulier, occasionnent par leur aspect sinistre des dérangemens dans l'action de ces mêmes visceres, & deviennent par-là, suivant les Alchimistes, causes de maladie ; on leur a principalement attribué celles dont les causes sont très-obscures, inconnues, la peste, la petite vérole, les maladies épidémiques & les fievres intermittentes, dont la théorie a été si fort discutée & si peu éclaircie. Les medecins qui ont bien senti la difficulté d'expliquer les retours variés & constans des accès fébriles, ont eu recours aux astres, qui étoient pour les medecins de ce tems ce qu'est pour plusieurs d'aujourd'hui la nature, l'idole & l'asyle de l'ignorance. Ils leur ont donné l'emploi de distribuer les accès suivant l'humeur qui les produisoit ; ainsi la lune par son influence sur la pituite étoit censée produire les fievres quotidiennes ; Saturne, à qui la mélancholie étoit subordonnée, donnoit naissance aux fievres quartes ; le cholérique Mars dominant sur la bile, avoit le district des fievres tierces ; enfin on commit aux soins de Jupiter le sang & les fievres continues qui étoient supposées en dépendre. Zacutus lusit. de medic. princip. D'autres medecins ont attribué tous ces effets à la lune ; & ils ont crû que ces différentes positions, ses phases, ses aspects, avoient la vertu de changer le type des fievres, & d'exciter tantôt les tierces, tantôt les quartes, &c. conciliat. de different. febr. 88. Pour complete r les excès auxquels on s'est porté sur l'influence des astres, on pourroit y ajoûter toutes les fables de l'Astrologie judiciaire, voyez ce mot, les prédictions, les horoscopes, &c. qui ont pris naissance à la même source ; les noms que les poëtes avoient donné aux planetes, en divinisant, pour ainsi dire, les vertus ou les vices de quelques personnes, avoient donné lieu à ces délires des Astrologues, & faisoient penser que Saturne étoit mélancholique, Jupiter gai, Mars belliqueux. On renouvella les anciennes fictions sur les qualités de ces prétendus dieux, qu'on appliqua aux planetes qui les représentoient ; Vénus fut libertine, & Mercure voleur. En conséquence, lorsqu'on se proposa de tirer l'horoscope de quelqu'un, on chercha quel astre avoit passé par le méridien dans l'instant de sa naissance ; & sur ce point déterminé, on conclut les qualités, l'état, les moeurs, la fortune future de cette personne ; de façon que si Mars avoit présidé à sa naissance, on pronostiqua du courage, & on assura que l'enfant prendroit le parti des armes. Celui qui naissoit sous Vénus, devoit être porté pour les femmes, enclin au libertinage, &c. Tous ces caracteres décidés ne venoient que de l'influence d'un seul astre, & les caracteres composés étoient l'effet de l'influence compliquée de plusieurs astres ; par exemple, si Saturne & Mercure passoient ensemble par le méridien, c'étoit un signe que l'enfant seroit mélancholique & voleur, & ainsi des autres. On prétendit aussi lire dans les constellations les présages de longue vie. Du reste, on tâcha de s'accommoder au goût, au desir, aux penchans des parens. Enfin ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'on réussissoit assez souvent, & qu'on étoit en grand crédit ; tant il est facile de duper, de plaire, de se faire admirer par des prédictions, sur-tout quand on a l'esprit de ne pas les faire positives, & de les envelopper de quelque obscurité. L'enthousiasme étoit si outré pour ces Astrologues, que les rois de France, il n'y a pas encore deux siecles, en entretenoient plusieurs dans leur cour, les combloient d'honneur & de présens, & décidoient sur leurs oracles la paix, la guerre & tous les grands évenemens. Plusieurs savans & des medecins de réputation étoient entichés de ces idées, entr'autres le fameux Cardan, qui poussa fort loin cette prétendue science, & duquel il nous reste une grande quantité d'horoscopes : on assure que son entêtement étoit au point que pour satisfaire à son horoscope qui avoit fixé le jour de sa mort, il se fit mourir par une cruelle abstinence, à laquelle il se condamna lui-même.

Lorsque l'Astrologie ou la doctrine sur l'influence des astres eut été ainsi avilie, que tous ces abus s'y furent glissés, & que les fables les plus grossieres & les plus grandes absurdités eurent pris la place des véritables observations, les bons esprits abandonnerent ce dogme, & le renouvellement des Sciences le fit entierement disparoître. Les opinions nouvelles étant devenues l'idole à la mode, le seul titre d'ancienneté suffisoit aux systèmes pour le faire proscrire ; les medecins devinrent aussi inconsidérés contradicteurs des anciens qu'ils en avoient été pendant plusieurs siecles admirateurs aveugles ; l'influence des astres fut regardée comme une production frivole & chimérique de quelque cerveau affecté par la lune ; & enfin l'on bannit avec une scrupuleuse sévérité des écoles tout ce qui avoit rapport à cette doctrine, sans chercher à approfondir ce qu'il pouvoit y avoir de vrai & d'utile. Enfin, après que le pendule, emblème de l'esprit humain, eut vibré dans les extrémités opposées, il se rapprocha du milieu ; après qu'on se fut porté à ces excès de part & d'autre, l'attrait de la nouveauté dissipé & ses prestiges évanouis, on rappella quelques anciens dogmes, on prit un chemin plus juste & plus assuré sans suivre indistinctement tous les anciens dogmes ; on tâcha de les vérifier : quelques observations bien constatées, firent appercevoir au docteur Mead une certaine correspondance entre quelques phénomenes de l'économie animale & les périodes de la lune. Il suivit cette matiere, fit des recherches ultérieures, & se convainquit de la réalité d'un fait qu'on n'osoit plus soupçonner. Il communiqua ses idées dans une petite, mais excellente dissertation, dont le titre est de l'empire du soleil & de la lune sur le corps humain. Deux illustres medecins anglois, Goad & Kook, s'appliquerent ensuite à examiner le pouvoir & la force des planetes à produire les vents, les pluies & les autres variations dans l'atmosphere, en conséquence de leurs positions & de leurs aspects, soit avec la lune, soit principalement entr'elles. Frédéric Hoffman assure avoir vérifié leurs observations, & les avoir trouvées conformes à l'expérience : dissert. de astror. influx. in corpore humano. Urbain Hierne, célebre chimiste de nos jours, a de nouveau introduit l'influence des astres dans la Chimie ; il prétend que les trois fameux principes, le sel, le soufre & le mercure dont tout corps visible & compréhensible est composé, résultent des mélanges des émanations des astres & de quelques élémens sublunaires : " La lumiere, dit-il, être immatériel émané du soleil, parvenue sur la surface des planetes, se combine avec les vapeurs qui s'en élevent, avec l'eau supra-céleste qui entre dans leur composition, se matérialise par-là, & prend un caractere particulier encore indéterminé suivant les planetes qui la réfléchissent ". C'est de cette combinaison variée que viennent les différentes influences propres à chaque planete ; il regarde, avec Moïse, la lumiere comme leur véhicule ; mais avant de parvenir à la terre, cette lumiere déja matérialisée par l'union des atomes élevés des autres planetes, reçoit de nouvelles combinaisons dans la lune, qu'il appelle, d'après les anciens rabbins, l'entonnoir de la nature, d'où elle est enfin renvoyée sur la terre, particulierement chargée de l'efficacité de cette planete secondaire qui se manifeste sur la mer, les saisons, les humeurs, les maladies, & les autres choses qui obéissent à la lune. C'est cette même lumiere qui, selon ce savant chimiste, s'unissant à la matiere éthérée, à l'air plus crasse, à l'eau qui y est contenue, ensuite à l'acide universel, forme le sel qu'il appelle astral, naturel, vierge. Des différentes solutions, décompositions & récompositions de ce sel résulte le soufre de l'univers, l'ame du monde, fils du soleil, &c. enfin l'union amicale de ces deux substances primitives donne naissance à une créature d'une nature particuliere, qu'il appelle mercure catholique. Voyez MERCURE, SEL & SOUFRE ; voyez aussi l'ouvrage de Hierne, act. chimic. Holmiens. tom. I. cap. vj. avec les notes de Gotschalk Valerius. M. de Sauvages, fameux professeur en l'université de Médecine de Montpellier, fit soutenir dans ses écoles une thèse sur l'influence des astres, où il tâche, guidé par l'observation, à l'exemple de Mead, de prendre un juste milieu entre les éloges excessifs des Medecins astrologues & le mépris outré des nouveaux théoriciens.

Telle est à-peu-près l'histoire des vérités, des conjectures, des erreurs & des folies qui ont pris naissance de l'influence des astres ; histoire toujours curieuse & intéressante pour le philosophe, qui y voit retracé le tableau constant & varié des variations de l'esprit humain. Le medecin y découvre sous d'autres couleurs les mêmes scenes qui se sont passées à l'égard de plusieurs autres dogmes théoriques, & quelquefois, qui pis est, pratiques de Médecine. Quoique ces opinions ayent fait moins de bruit, quoique leur absurdité ait moins paru à découvert, les erreurs qui en sont provenues n'en ont été ni moins considérables, ni moins funestes ; & tel qui rit des prétentions ridicules des Astrologues, de leurs prédictions trompeuses, mais le plus souvent indifférentes à la santé, ne fait pas attention qu'il a des idées dominantes qu'il pousse à l'excès, & qui, quoique plus conformes à la façon présente de penser & de s'exprimer, sont souvent plus éloignées du vrai, & presque toujours plus dangereuses. Voyez FERMENTATION, ACRIMONIE, éPAISSISSEMENT, SAIGNEE, PURGATIFS, &c.

Nous allons tâcher, en suivant les traces des auteurs que nous avons cités en dernier lieu, d'examiner ce qu'il y a de positif dans l'influence des astres, de pénétrer dans ce puits profond où réside la vérité cachée & obscurcie par les fables, la superstition, &c. de séparer le vrai du faux, le certain de l'incertain, de retenir & de faire appercevoir ce qu'il peut y avoir d'utile & d'avantageux dans cette science. D'abord il n'est pas douteux que les astres ne produisent quelque effet sur la terre, sur l'air, sur les animaux. Quand ces effets ne seroient pas aussi évidens pour la plûpart qu'ils le sont, quand l'action réciproque des astres ne seroit pas connue, la croyance presque continuelle de tous les peuples, de tous les savans, de tous les medecins, me paroît, en faveur de cette doctrine, l'argument le plus incontestable. Il est en effet moralement impossible qu'un dogme constamment & universellement soutenu pendant plusieurs siecles par des physiciens de différentes sectes, combattu ensuite & abandonné, & enfin rétabli de nouveau, ne soit pas foncierement vrai ; le faux, sur-tout en matiere de science, n'a que des partisans passagers, le vrai seul peut arracher un consentement unanime ; ou si les préjugés ou quelque attrait de nouveauté le font disparoître, si quelque mensonge mêlé l'altere, le cache à nos yeux, ce n'est que pour un tems, il ne tarde pas à percer les nuages qui l'obscurcissoient. Mais la lumiere du soleil, des astres, frappe tous les jours les yeux ; la chaleur, le froid, la sécheresse, l'humidité, les vents, la pluie, les météores, ne cessent de nous affecter ; accoutumés à ces impressions, nous en sommes peu frappés, & nous négligeons d'en pénétrer les causes. Ces effets sont incontestablement dûs à l'opération du soleil vraisemblablement jointe à celle des planetes plus voisines. La gravitation mutuelle des planetes est un phénomene dont il n'est plus permis de douter, quoiqu'on en ignore la cause ; l'effet qui résulte de cette gravitation sur la terre & sur ses productions, est un nouveau moyen d'influence. Ces effets, beaucoup plus sensibles de la part de la lune dont la proximité & la vîtesse, relativement à la terre, compensent au-delà le défaut de masse, sont très-manifestes sur la mer par le flux & reflux qu'elle éprouve ; comment est-ce que l'homme, la machine la plus sensible, la plus impressionnable, ne seroit-il pas affecté par une force qui fait une impression très-marquée sur les corps les plus bruts, les moins doués de sentiment, sur l'air, l'eau & la terre ? Les observations sont ici d'accord avec le raisonnement. Parmi le grand nombre que les fastes de la Medecine nous offrent, nous choisirons les plus constatées & les plus récentes, celles-ci ne pourroient point être soupçonnées d'être dictées par la prévention & les préjugés.

Nous distinguons auparavant avec M. de Sauvages, trois especes d'influence ; savoir, l'influence morale, physique & méchanique ; nous appellons influence morale, cette vertu mysterieuse, fondement de l'Astrologie judiciaire (voyez ce mot), attribuée aux planetes & aux étoiles fixes, de décider & de régler le sort, la fortune, les moeurs, le caractere, &c. des hommes en conséquence d'un aspect particulier, du passage au méridien dans un tems marqué, &c. c'est sur cette influence que portent les prédictions, les horoscopes, les devinations, qui ont rapport aux choses fortuites, aux événemens volontaires ou regardés comme tels, &c. Nous n'ignorons pas que ces oracles, semblables à ceux que rendoient anciennement les Sibylles, sont le plus souvent susceptibles d'une double interprétation, très-obscurs, & quelquefois aussi faux ; mais nous savons en même tems que quelquefois ils ont rencontré très-juste, en entrant même dans des détails très-circonstanciés. Nous tenons d'un prélat respectable l'histoire d'une femme, à qui un tireur d'horoscope détailla avec la derniere exactitude les moindres particularités de sa vie passée & future ; & tout ce qu'il lui dit, soit sur le passé, soit sur l'avenir, se trouva entierement conforme à la vérité : le prélat qui m'a raconté ce fait, en a été lui-même témoin oculaire, & toute une grande ville a vû avec surprise toutes les prédictions s'accomplir ponctuellement. Il y a bien d'autres semblables faits aussi-bien constatés que le philosophe spéculatif traite d'erreurs populaires ; il les méprise, ne les approfondit point, & les déclare impossibles, parce qu'il n'en voit point les raisons. Pour nous, nous nous contenterons d'exposer les faits sans hasarder un jugement qui ne pourroit qu'être inconsidéré, n'étant point appuyé sur des raisons suffisantes qui en démontrent l'impossibilité, sachant d'ailleurs qu'il est bien prouvé que des fous, dans des violens accès de manie, ont pû lire dans l'avenir, & que les événemens ont ensuite confirmé ce qu'ils avoient annoncé dans cet état. Voyez MANIE. Nous ne nous arrêterons pas davantage à cette influence, parce que nous n'en appercevons aucune utilité pour la Médecine, point auquel nous rapportons tous nos travaux.

L'influence que nous avons nommée physique, est cette action des astres, dont les effets sont manifestés sur l'air avant d'affecter le corps, & qui même ne l'affectent le plus souvent qu'en conséquence des variations qui sont excitées dans l'atmosphere. On pourroit appeller cette influence, météorologique médiate ; la cause & le méchanisme en sont inconnus ; les phénomenes qui en résultent, peuvent seuls la rendre sensible.

Nous donnons le nom d'influence méchanique à celle qu'on croit dépendre & suivre les lois de cette tendance mutuelle qu'ont tous les astres les uns à l'égard des autres, connue sous le nom de gravitation, expliquée par divers physiciens, tantôt par les tourbillons, & tantôt par l'attention. Nous allons entrer dans quelque détail sur ces deux especes d'influences, dont la réalité & les avantages paroissent assez constatés.

Influence physique du soleil. I. Le soleil est de tous les astres celui dont l'action physique sur les hommes est la plus apparente : personne n'ignore que la lumiere & la chaleur en sont les effets primitifs ; mais ces mêmes effets, & sur-tout la chaleur, deviennent encore la source d'un grand nombre d'autres phénomenes ; ou pour parler avec plus d'exactitude, cette même cause (qu'on croit être le mouvement) qui donne lieu à la lumiere & à la chaleur, produit aussi d'autres effets ; car ni la lumiere ni la chaleur ne sont dans les corps appellés lumineux & chauds ; ce sont des sensations particulierement modifiées dans les yeux & dans l'organe du toucher : le soleil considéré comme influant physiquement sur la terre, peut être regardé comme un feu immense, successivement placé dans des distances & des positions différentes, soit par rapport à toute la terre, soit relativement à quelques contrées. Les effets en sont par-là plus variés & par conséquent plus sensibles ; une tranquille & constante uniformité frappe rarement, & n'excite pas à chercher la cause ; le soleil entant que lumineux, ne cesse jamais d'agir sur la terre en général ; mais il y a toujours quelques parties qui ne sont point éclairées ; la partie antipode de celle qui reçoit directement les rayons du soleil, est dans l'obscurité, tandis que celle-ci jouit du spectacle brillant & utile de la lumiere ; le mouvement de la terre sur son axe présente pendant les vingtquatre heures successivement toutes les parties de la terre au soleil, & occasionne par-là dans elles une alternative de lumiere & d'obscurité, sur laquelle porte la distinction frappante du jour & de la nuit. Pour appercevoir les effets de la lumiere sur l'homme & sur les animaux, qu'un physicien porte des y eux attentifs sur tout ce qui suit les lois de la simple nature dans ces chaumieres rustiques, où l'art n'est point encore venu la maîtriser & la plier à ses caprices ; il verra lorsque le jour a fait place à la nuit, tous les travaux interrompus, le ramage des oiseaux suspendu, les vents appaisés, tout en un mot annoncer & préparer un sommeil tranquille & restaurant, encore attiré par un travail pénible, bien différent & bien au-dessus de cette ombre de sommeil qui vient languissamment sur les pas de la mollesse & de l'indolence, que la lumiere du jour auquel on l'a différé, interrompt & trouble, & qui ne peut être profond que lorsque l'obscurité la plus parfaite peut en quelque façon ressembler à la nuit. Mais lorsque l'aurore naissante ramene la lumiere, & annonce le retour prochain du soleil, voyez tous les oiseaux témoigner par leurs chants l'impression qu'ils en ressentent ; le coq bat des aîles & leve ses cris perçans jusqu'aux cieux ; le sommeil se dissipe, le jour paroît, & le regne du travail commence. Voyez JOUR, NUIT & LUMIERE.

Le medecin apperçoit dans les personnes que quelques maladies rendent plus sensibles, des preuves évidentes de l'action de la lumiere ; les maniaques, par exemple, les phrénétiques, les typhomaniaques, ceux qui sont dans quelqu'accès d'hydrophobie, & ceux enfin qui ont mal aux yeux, sont pour l'ordinaire blessés par la lumiere ; les ténebres leur sont infiniment plus favorables ; la lumiere rend les délires plus fougueux, l'obscurité les appaise ; c'est pourquoi il est très-important d'y placer ceux qui sont attaqués de ces maladies, précaution que recommandoient spécialement les méthodiques. Baillou raconte que madame de Varades étant malade, tomba dans une syncope violente dans l'instant de l'immersion du soleil dans une éclipse, & qu'elle en revint naturellement lors de l'émersion, que le soleil recouvra sa lumiere. Il n'est personne qui n'ait éprouvé en écrivant, en composant, combien la lumiere & les ténebres influent diversement sur les idées & sur la maniere de les énoncer. Nous voyons enfin dans bien des maladies, la mort survenir, ou quelque changement considérable se faire au lever & au coucher du soleil. Ramazzini dit avoir observé des fievres épidémiques qui redoubloient vivement sur le soir vers le coucher du soleil, de façon que les malades étoient extrêmement abattus, presque mourans ; ils passoient dans cet état toute la nuit ; mais ils en sortoient promtement dès que le soleil paroissoit sur l'horison, & ils pouvoient se lever & se promener. Constit. épidem. ann. 1691. Voyez LUMIERE, SOLEIL, &c.

Les effets du soleil, comme principe de la chaleur, sont beaucoup plus grands, plus étendus, & mieux constatés ; c'est avec raison qu'on l'appelle la source de la vie, de toutes les productions de la terre ; c'est sur-tout par elle que les plantes vivent, végetent ; les animaux mêmes ne peuvent s'en passer ; une privation trop promte & trop sensible produit beaucoup d'incommodités. Voyez FROID. Lorsqu'elle est aussi poussée à l'excès contraire, elle entraîne de grands inconvéniens. Voyez CHALEUR, FEU. Les effets de la chaleur sur les corps ne sont jamais plus marqués & plus mauvais que lorsqu'on s'expose en repos aux rayons directs du soleil, & sur-tout ayant la tête découverte ; d'abord la peau devient érésipélateuse, ensuite noire, un mal de tête affreux survient, on tombe dans le délire, ou dans un assoupissement mortel ; c'est ce qu'on appelle coup de soleil. Voyez ce mot à l'article SOLEIL. La chaleur que nous éprouvons du soleil varie beaucoup, suivant qu'elle est directe ou réfléchie, suivant les distances, l'obliquité des rayons, la quantité & la direction des points qui réfléchissent ; de-là naissent les différences de chaleur, à l'ombre ou au soleil, dans les plaines, dans les vallées, ou sur les hautes montagnes ; de-là aussi les distinctions des saisons : dans la position où nous sommes, les plus grandes chaleurs se font ressentir dans le tems où le soleil est le plus éloigné, mais où l'obliquité de ses rayons est moins grande. Voyez SAISONS, ÉTE, AUTOMNE, HYVER & PRINTEMS. Tout le monde sait par expérience l'influence des saisons sur l'homme ; les maladies qui en dépendent sont exactement classées par Hippocrate ; & les Medecins observateurs qui l'ont suivi, ont bien remarqué qu'il y avoit des maladies particulieres à chaque saison, & que les maladies qui passoient d'une saison à une autre, changeoient de génie, de type, de caractere, & demandoient souvent une méthode curative différente. Voyez sur-tout FIEVRE INTERMITTENTE. La chaleur influe nonseulement sur nous par une action immédiate, c'est-à-dire lorsqu'elle est trop forte, en augmentant la transpiration, la sueur, en occasionnant des foiblesses, lassitudes, langueurs, en efféminant, ramollissant les vaisseaux, animant le mouvement intestin du sang, rendant les sommeils inquiets & la respiration lente, hâtée, laborieuse ; mais encore par les effets qui la suivent lorsqu'elle est appliquée à la terre, à l'eau, aux végétaux, &c. On n'a pour s'en convaincre, qu'à voir ce qui se passe lorsque les rigueurs de l'hiver sont dissipées, qu'un printems gracieux lui succede, & enfin lorsque les ardeurs de l'été se font ressentir ; d'abord on voit toutes les plantes sortir de la terre, renaître, fleurir, embaumer l'air de leurs parfums, le rendre & plus sain & plus délicieux ; les vapeurs élevées pendant le jour retombent le soir en sérain, & le matin en rosée, & humectent de nouveau la terre ; mais lorsque le brûlant sirius paroît, les vapeurs élevées avec plus de force & en plus grande abondance, deviennent la matiere des orages, des pluies, des tonnerres, des éclairs, &c. la terre cependant devient aride, les marais se dessechent, les exhalaisons les plus mauvaises s'en élevent & se répandent dans l'air ; les animaux morts se pourrissent promtement, & infectent l'atmosphere de miasmes contagieux ; les rivieres & les fontaines abaissées fournissent une eau moins salutaire ; les vins tournent dans les caves ; les alimens sont moins bons, digérés avec plus de peine, &c. de-là viennent toutes ces especes de fievres ardentes, inflammatoires, pétéchiales, pourprées, malignes, &c. les dissenteries, diarrhées bilieuses, la peste enfin, & les maladies épidémiques ; ces accidens seroient encore bien plus grands, si les fruits que produit alors la terre n'en prenoient une grande partie ; nous avons successivement les cerises, les fraises, les prunes, les poires, les melons, les concombres, les pêches, les figues, les raisins, les aséroles, &c. lorsque ces fruits manquent, ou qu'ils sont viciés, ou enfin lorsqu'on en fait des excès, les maladies sont plus mauvaises & plus fréquentes.

Sans m'arrêter à beaucoup d'autres exemples, je me contenterai de faire observer combien on pourroit tirer de lumieres d'une observation exacte des effets de la chaleur ; on pourroit se présenter d'avance le tableau des maladies qui régneront, du caractere générique qu'elles affecteront ; la connoissance qu'on auroit de ces maladies seroit bien plus exacte, & la pratique plus sure. On ne peut qu'applaudir au zele des Médecins qui s'appliquent aux observations météorologiques, tels que les Médecins d'Edimbourg & l'auteur du journal de Médecine à Paris. On pourroit seulement exiger un peu plus de détails, & qu'à mesure qu'on raconte, on fît les applications nécessaires qui se présentent, & sur-tout qu'on comparât les résultats avec ceux d'Hippocrate.

Influence physique de la lune. On a absolument rejetté toute influence de la lune, excepté celle qui dépend de sa gravitation, que nous avons appellée méchanique ; & lorsque les femmes ont objecté qu'elles s'appercevoient que les rayons de la lune brunissoient leur teint, on a fait des expériences pour chercher l'explication d'un fait qui paroissoit assez constaté par la relation des femmes dans un point le plus intéressant pour leur vanité ; on exposa un miroir ardent aux rayons de la lune, qu'on ramassa de façon à leur donner un éclat prodigieux, on mit au foyer un thermometre extrèmement mobile, la liqueur n'en reçut aucune impression, ne monta pas sensiblement ; on en conclut avec raison que les rayons de la lune n'étoient pas capables de produire de la chaleur ; & sur cela on décida qu'ils ne pouvoient pas brunir, & qu'ainsi l'observation des femmes étoit une de ces erreurs populaires que le philosophe doit nier lorsqu'il ne sait pas les expliquer ; il eût été plus sage de bien constater le fait, d'en chercher une autre cause, ou de le croire sans l'approfondir, sans en pénétrer la cause, comme l'on fait dans bien d'autres cas. Voici quelques autres observations qui démontrent cette action physique de la lune, dûe vraisemblablement à sa lumiere : la lumiere ne seroit-elle qu'une émanation ? seroit-elle, comme l'a pensé Hierne, combinée, lorsqu'elle sort de la lune, avec quelques vapeurs, avec quelques corps étrangers ? quoi qu'il en soit, voici le fait. J. Matthias Faber rapporte qu'un jeune mélancholique quelques jours avant l'éclipse de lune, devint plus triste, plus sombre qu'à l'ordinaire, & qu'au moment de l'éclipse il devint furieux, courant de côté & d'autre dans sa maison, dans les rues & les carrefours, l'épée à la main, tuant & renversant tout ce qu'il trouvoit sur ses pas, hommes, animaux, portes, fenêtres, &c. Miss. natur. curiosor. in appendic. dec. II. ann. 19. pag. 49. Baillou raconte qu'en 1591, vers le solstice d'hiver, il y avoit beaucoup de fluxions, de morts subites, especes d'apoplexies, & de sueurs angloises. Au mois de Décembre pendant la nuit, il se fit des changemens inouis, incroyables ; les corps les plus sains étoient languissans ; les malades sembloient tourmentés par des démons, prêts à rendre l'ame ; il n'y avoit d'autre cause apparente qu'une éclipse ; " & comme nous ne l'appercevions pas, ajoute Baillou, nous ne pouvions assez nous étonner de tout ce que nous voyions, nous en ignorions absolument la cause ; mais ces délires soudains, les convulsions inattendues, les changemens les plus considérables & les plus promts qu'on observa cette nuit dans les maladies, nous firent bien connoître que tous ces troubles étoient excités par les affections du soleil, de la lune & du ciel ". Ramazzini a aussi observé le danger que couroient les malades pendant les éclipses ; il remarque qu'une fievre pétéchiale, épidémique, dont il donne la description, étoit beaucoup plus fâcheuse après la pleine lune & dans les derniers quartiers, & qu'elle s'appaisoit vers la nouvelle lune ; mais que pen dant une éclipse de lune tous ces malades mouroient. Constit. annot. 1692 & 1693. On voit là quelques raisons qui justifient la crainte excessive que certains peuples avoient des éclipses, comme d'un signe de malheurs, opinion qui aussi a été appliquée aux cometes, peut-être pas sans fondement. On observe en Amérique, 1°. que le poisson exposé à la lueur de la lune, perd son goût, & devient mollasse ; les Espagnols l'appellent allunado. 2°. Que les mulets qu'on laisse coucher à la lune dans les prés, lorsqu'ils sont blessés, perdent l'usage de leurs membres, & la blessure s'irrite, ce qui n'arrive pas dans d'autres tems. 3°. Que les hommes qui dorment à la lune sont brisés & rompus à leur réveil ; les plus vigoureux n'y résistent pas : ces faits m'ont été attestés par un témoin oculaire, qui m'a rapporté qu'un de ses amis ajoutant peu de foi à ce que lui racontoient les habitans du pays, s'offrit de passer la nuit à sa fenêtre, bien exposé aux rayons de la lune ; il le fit en effet, & paya bien cher son incrédulité & sa fanfaronade ; il resta pendant sept à huit jours sans pouvoir remuer ni piés ni mains. Il est fait mention dans les mélanges des curieux de la nature (dec. 1. ann. 1. observ. 19.), d'un vertige excité par les rayons de la lune. Il seroit à souhaiter que des observateurs éclairés & attentifs, s'appliquassent à vérifier & à confirmer ces observations ; peut-être dans le tems des éclipses pourroit-on prévenir les grands accidens qu'elles occasionnent. Dans ces pays les promenades à la lune sont moins nuisibles qu'en Amérique, les amans seuls se plaignent de cette incommode clarté ; si l'on s'y enrhume quelquefois, ou si l'on y prend des douleurs, on ne manque pas de les attribuer au serein ; est-ce avec raison ? ne tomberoit-il pas plus abondamment pendant que la lune luit ?

Influence physique des autres astres. Il ne vient absolument point de chaleur des planetes ni des étoiles fixes ; la lumiere qui s'en échappe est très-foible, très-peu propre à faire quelqu'impression sensible ; nous n'en voyons aussi aucun effet : la production des vents, de la pluie, &c. que Goad & Kook leur attribuent, si elle est réelle, vient sans-doute de leur gravitation, & par conséquent est une influence méchanique dont il sera question plus bas. L'influence physique des cometes mérite plus d'attention, quoiqu'elle soit assurément dépourvue de toute utilité ; ces especes de planetes peuvent s'approcher d'assez près de la terre pour lui faire éprouver & à ses habitans l'activité de leur influence. Voyez les ingénieuses conjectures de M. de Maupertuis. Voyez l'article COMETE.

Influence méchanique du soleil. II. Cette influence est fondée sur l'action constante qui porte les planetes les unes vers les autres, & toutes vers le soleil, qui est à son tour attiré par chacune ; l'influence méchanique du soleil sur la terre n'est point un probleme, c'est un fait très-décidé ; c'est en obéissant à cette influence que la terre résistant à chaque point à sa force de projection, est comme obligée de former une courbe autour du soleil ; ses effets, quoique très-réels sur l'homme, sont trop constans & trop nécessaires pour être beaucoup sensibles ; le mouvement de rotation de la terre ne fait de même sur eux aucune impression, cette influence croissant en raison inverse des quarrés des distances, est dans certains tems beaucoup plus forte que dans d'autres. Les différences les plus remarquables s'observent aux solstices & aux équinoxes ; dans ces tems précisément on a apperçu quelques phénomenes, quelques variations dans les maladies, qu'on a jugé inexplicables, & tout de suite fausses, & qui pourroient vraisemblablement être rapportées à cette cause. Le tems des équinoxes est fort contraire aux phthisiques, aux hectiques, à ceux qui sont dans des fievres lentes ; & les maladies chroniques qui tombent dans ce tems éprouvent des changemens subits qui les terminent ordinairement par la mort ou par la santé ; & il est rare que les troubles qui s'excitent alors, ne soient pas funestes aux malades. Frider. Hoffman, dissert. citat. Sanctorius a observé que dans le tems du solstice d'hiver, notre transpiration étoit moindre d'une livre que dans tout autre tems. Medicin. static. Hippocrate, comme nous l'avons déjà remarqué plus haut, veut que pendant les dix jours du solstice d'été, on s'abstienne de tout grand remede, qu'on ne coupe ni ne brûle, &c. & assure que ce défaut de précaution n'est pas sans inconvénient.

Influence méchanique de la lune. L'action méchanique de la lune sur la terre, est incontestablement prouvée par le flux & reflux de la mer ; & c'est surtout de la correspondance exacte du flux & reflux avec les périodes lunaires, qu'on est parti pour établir que la lune est la cause principale de ce phénomene ; ainsi des observations qui démontreroient la même réciprocité entre les phénomenes de l'économie animale & les phases & mouvemens de la lune, seroient une preuve évidente de l'influence méchanique de la lune sur le corps. Je passe sous silence les preuves physiques qu'on pourroit tirer du reflux de l'air, des changemens qui y arrivent alors, & de l'action de l'air sur le corps humain (Voyez AIR), les raisons d'analogie qui seroient d'ailleurs suffisantes ; car qui est-ce qui niera que notre machine soit attirable ou compressible ? Toute la classe des végétaux pourroit encore fournir des traits d'analogie convainquans ; le laboureur & le botaniste ont également observé que la lune avoit un empire très-étendu sur la fécondité des plantes, c'est aussi une regle invariable chez les paysans, soutenue par une tradition constante, & par-là même respectable, d'avoir égard pour semer les grains aux phases de la lune ; ils ont remarqué que les arbres plantés en pleine lune portoient assez promtement des fruits, mais petits & graveleux ; & qu'au contraire, ceux qui étoient mis en terre pendant la pleine lune, portoient des fruits beaucoup plus tardifs, mais aussi bien supérieurs en beauté & en délicatesse ; la transplantation même des arbres ne se fait jamais avec plus de succès que pendant les premiers quartiers de la lune : on s'est aussi apperçu que les plantes semées dans le déclin de la lune poussoient des racines très-longues & très-multipliées, & celles qu'on semoit en pleine lune, étoient chargées de très belles fleurs : ces précautions ne sont point indifférentes à l'égard de plusieurs plantes, le fleuriste pourroit sur-tout en tirer bien des avantages ; il n'est personne qui ne sache que la coupe des bois demande les mêmes attentions ; que ceux qui sont coupés dans la pleine lune pourrissent bien-tôt, & sont moins propres à servir aux bâtimens que ceux qui ont été coupés dans la vieille lune.

Joignons à toutes ces preuves les observations propres qui établiront la même influence sur le corps humain, & qui sont d'autant plus convainquantes qu'elles ont été faites la plûpart par des médecins qui ajoûtoient peu de foi à l'influence des astres, ou qui la négligeoient entierement.

1°. Le retour périodique des regles dans les femmes, est si exactement d'accord avec le mois lunaire, qu'il n'y a eu presque qu'une voix sur ce point dans tous les siecles, chez tous les médecins & chez les femmes même ; les maladies qui dépendent de quelque vice dans cette excrétion (classe fort étendue à laquelle on peut rapporter la plûpart des maladies des femmes), suivent souvent avec une extrème régularité les mêmes périodes. Charles Pison raconte qu'une fille fut pendant tous les printems tourmentée de symptômes d'hystéricité qui commençoient aux approches de la pleine lune, & ne cessoient que vers la fin du dernier quartier. On a observé que les hémorrhoides avoient aussi ces périodes communs avec l'évacuation menstruelle.

2°. Maurice Hoffman dit avoir vu une jeune fille âgée de quatorze ans, née d'une mere épileptique, à qui le ventre enfloit tous les mois à mesure que la lune croissoit, & diminuoit en même tems que la lune alloit en décroissant. (miscell. nat. curios. ann. 6. observ. 161.) On assure que les huitres sont beaucoup plus grosses & les coquillages plus remplis pendant la nouvelle & la pleine lune, que pendant les derniers quartiers au déclin. Gelle, témoin oculaire de ce fait, prétend l'avoir vu s'opérer de même dans bien d'autres animaux, qui engraissoient & maigrissoient successivement selon que la lune étoit nouvelle ou vieille. Hippocrate pense que les femmes conçoivent principalement dans la pleine lune. Voyez Hoffman, dissertation citée.

3°. Les maladies nerveuses sont très-souvent conformes aux périodes lunaires. Il y a une foule d'observations qui justifient le nom de lunatiques, qu'on a donné aux épileptiques & aux maniaques ; Galien, Caelius Aurelianus, Pitcarn, ont principalement observé cette uniformité. Méad rapporte l'histoire d'un jeune enfant attaqué de convulsions, qui étant revenues à la pleine lune, suivirent si exactement les périodes de la lune, qu'elles répondoient tous les jours au flux & reflux de la mer ; de façon que lorsque les eaux venoient couvrir le rivage, l'enfant perdoit l'usage de la voix & de tous ses sens, & lorsque les eaux s'en retournoient, l'enfant revenoit entierement à lui ; il resta pendant quatorze jours dans cet état jusqu'à la nouvelle lune. (de imper. solis & lun. pag. 169.) Pitcarn a observé un chorea sancti Viti aussi régulierement périodique. Charles Pison parle d'une paralysie, que la nouvelle lune ramenoit tous les mois. Tulpius a vu un tremblement, dont les accès étoient correspondans au flux & reflux de la mer, à la lune, & quelquefois au soleil. Un médecin de Paris m'a communiqué depuis quelques jours un mémoire à consulter pour un épileptique, dont les accès reviennent pendant la vieille lune.

4°. On trouve dans les éphémerides des curieux de la nature, une quantité d'exemples de maux de tête, de vertiges, de blessures à la tête, d'affections épidémiques, de fievres malignes, de diabetes, de maladies exhanthématiques, &c. qui démontrent l'influence méchanique de la lune sur le corps. Synops. ad litter. lunae. Voyez Sauvages de influx. syder. Il y est aussi fait mention de deux somnambules, dont l'un tomboit dans ses accès dans le tems de la pleine lune, & les paroxysmes de l'autre étoient correspondans aux phases de la lune.

5°. Il arrive aussi quelquefois que les redoublemens dans les maladies aiguës suivent les alternatives du flux & reflux ; & cela s'observe principalement dans les villes maritimes. Charles Pison dit que les malades se trouvoient très-mal lorsque le flux de la mer se rencontroit dans la pleine lune ; c'est un fait connu, dit-il, que plusieurs sont morts pendant le tems du reflux ; mais pour l'ordinaire, les douleurs, suivant le rapport des malades, & les symptomes redoubloient pendant six heures que dure le flux, & le reflux amenoit une intermission plus ou moins parfaite. Dans la fievre pétéchiale, épidémique, qui régnoit en Thuringe en 1698 & 1699, on apperçut beaucoup d'altération dans les maladies correspondantes aux lunaisons pendant l'hiver & l'automne ; & au printems, presque tous les fébricitans mouroient très-promtement pendant les derniers quartiers de la lune, tandis que ceux qui étoient malades pendant la nouvelle lune & les premiers quartiers, se rétablissoient très-bien & en peu de tems.

6°. De toutes les maladies celles qui m'ont paru répondre avec plus de régularité aux périodes lunaires, sont les maladies cutanées. J'ai été sur-tout frappé d'une teigne, dont j'ai détaillé l'histoire dans le Journal de Médecine, année 1760, mois d'Avril. Elle couvroit tout le visage & la poitrine, occasionnoit des demangeaisons insoutenables, quelquefois des douleurs très-vives pendant la vieille lune, & présentoit un spectacle affreux. Tous ces symptomes se soutenoient jusqu'à la nouvelle lune ; alors ils disparoissoient peu-à-peu ; le visage s'éclaircissoit insensiblement, & se dépouilloit de toutes croûtes, qui se desséchoient jusqu'à la vieille lune, où tout recommençoit de nouveau. J'ai été témoin pendant plus de trois mois de cette alternative marquée. J'ai vu la même chose arriver fréquemment dans la gale ; & plusieurs personnes ont observé que la gale augmentoit vers la pleine lune ; que lors même qu'elle étoit guérie, il en reparoissoit vers ce tems-là quelques pustules, qui se dissipoient ensuite périodiquement. Je n'ai point eu occasion de répéter les mêmes observations sur les autres maladies ; je ne doute pas qu'on n'apperçût aussi les mêmes correspondances. C'est un vaste champ ouvert aux observateurs zélés pour l'embellissement & la perfection de la Médecine ; on pourroit constater les observations déjà faites, y en ajoûter d'autres, les pousser plus loin. Il reste encore à déterminer les variétés qui naissent des différentes phases, des conjonctions, des aspects de la lune avec le soleil & les autres astres ; peut-être les différentes maladies ont un rapport plus immédiat avec certaines phases, certaines positions de la lune qu'avec d'autres. Bennet prétend avoir observé que les maladies qu'il croit provenir d'une matiere saline, telles que sont les douleurs, les démangeaisons, les maladies exanthématiques, &c. augmentoient beaucoup pendant les premiers quartiers de la lune, & sur-tout les deux ou trois nuits qui précédoient la nouvelle lune. Ce même auteur assure que pendant la vieille lune, la lymphe & les humeurs s'accumulent dans le corps, parce qu'alors il voit, dit-il, une augmentation sensible dans toutes les maladies séreuses, humorales ; dans la cachexie, l'hydropisie, les fluxions, les catarrhes, asthmes, paralysies, &c. Quelques incomplete s que soient les observations que nous avons sur cette matiere, on peut en déduire ces canons thérapeutiques ; que dans les maladies soumises aux influences de la lune, lorsque la position ou les phases de la lune, sous lesquelles se font les redoublemens, sont prochaines, il faut appliquer quelque remede actif qui puisse prévenir ou calmer l'intensité des symptomes ; il faut s'abstenir de tout remede pendant le tems du redoublement. C'est dans le tems de l'intermission qu'il convient de placer les remedes appropriés ; j'ai suivi avec beaucoup de succès cette méthode, dans le traitement de la teigne dont j'ai parlé plus haut. On assure que les médicamens donnés dans les écrouelles sur le déclin de la lune, réussissent beaucoup mieux qu'en tout autre tems ; que dans les affections de la tête, des nerfs, dans l'épilepsie, les malades se trouvent beaucoup soulagés de l'usage des nervins, céphaliques, anti-épileptiques, pendant les changemens de lune. Un illustre médecin de cette ville a eu égard aux périodes de la lune, dans l'administration des remedes pour un épileptique, dont j'ai parlé ci-dessus. Fréderic Hoffman recommande aux calculeux de prendre trois ou quatre bulbes ou gousses d'ail à chaque quartier de la lune. Je ne dois point oublier d'avertir, qu'en rapportant ces observations, en recommandant d'avoir égard aux astres dans l'administration des remedes, je n'ai point prétendu donner des regles invariables, & rigoureusement démontrées, & dont on ne peut s'écarter sans des inconvéniens très-graves. J'ai eu principalement en vûe d'exciter les médecins à constater ces observations ; & j'ai toujours pensé que dans les cas pressans, & où l'expectation pourroit être nuisible, il falloit peu faire attention si la position des astres étoit salutaire ou nuisible, suivant cette maxime observée chez les anciens, que astra inclinant, non necessitant ; il faudra appliquer la même chose à l'influence des autres planetes dont nous allons parler.

Influence méchanique des autres astres. Ni le raisonnement, ni l'expérience ne permettent d'attribuer aux étoiles fixes quelqu'action méchanique sur le corps humain ; l'une & l'autre s'accordent au contraire à établir l'influence méchanique des planetes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter & Saturne. Ces corps célestes, quoique placés à des distances considérables de la terre, peuvent néanmoins exercer sur elle une gravitation réciproque, & la masse des planetes les plus éloignées compense suffisamment leur distance. L'attraction est en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés des distances. Ainsi Jupiter & Saturne, quoique placés dans un prodigieux éloignement, ne doivent pas être censés dépourvus d'action sur la terre, parce qu'ils contiennent en même tems une plus grande quantité de matiere. Lorsqu'une partie de la terre est soumise à l'action directe de deux planetes, il y a lieu de présumer que cette action réunie produira des effets plus sensibles, sans examiner si par la conjonction les deux planetes n'acquierent pas plus de force ; il est aussi très-vraisemblable que ces effets doivent varier suivant la situation, la position, le mouvement & la distance de ces planetes. Je ne serois même pas bien éloigné de croire qu'il y a quelque réalité dans les vertus que les anciens attribuoient aux différens aspects des astres ; il est si souvent arrivé aux modernes d'adopter, engagés par la force de la vérité, des dogmes anciens qu'on avoit ridiculisés peu de tems auparavant, qu'on ne sauroit être assez circonspect à porter un jugement décisif contre quelqu'opinion avant de l'avoir bien approfondie, & d'en avoir bien senti l'impossibilité. On a toujours regardé les aspects de Saturne & de Jupiter, de Saturne & de Mars comme très-mauvais, & annonçant & occasionnant des maladies dangereuses, & la peste même, suivant la remarque de Zeisius ; cette idée ne peut être partie que de quelque observation. La fameuse peste qui parut en 1127, & qui par le grand nombre de morts, dépeupla pour ainsi dire le monde, fut précédée, & selon les astrologues, produite par la conjonction de Jupiter & de Saturne. Boccace & Guy de Chauliac ont écrit que celle qui avoit régné en 1348, devoit son origine à l'aspect de Saturne, Jupiter & Mars. Marsilius Ficinus philosophe célebre, rapporte qu'en 1478 il y eut des éclipses de soleil & de lune ; que Saturne & Mars furent en conjonction, & qu'il y eut une peste terrible. Gaspard Bartholin prédit en conséquence de l'aspect de Mars & de Saturne, d'un hiver chaud, & d'une automne brûlante, la peste qui ravagea quelques années après toute l'Europe. Paul de Sorbait premier médecin de l'empereur prédit sur le même fondement la peste à Vienne, & l'événement répondit à ses prédictions. Sennert a aussi observé en 1624 & 1637, une dissenterie épidémique à la suite de la conjonction de ces planetes. Voyez Hoffman, Dissertation citée. Les aspects de Jupiter & de Vénus sont censés benins, ceux de Mercure indifférens. Les conjonctions de Vénus & de Jupiter, du Soleil & de Mercure, de Jupiter & de Mercure, sont regardées comme salutaires aux phthisiques, à ceux qui sont dans les fievres lentes. Sous ces aspects combinés on peut attendre des crises bien complete s dans les fievres ardentes, inflammatoires, &c. Aucune observation moderne n'est venue à l'appui de ces anciennes ; mais aucune aussi ne les a détruites. On pourroit cependant regarder comme une confirmation du système des anciens, les observations faites par les célebres Goad & Kook sur les variations de l'atmosphere, relativement aux aspects & aux positions des planetes. Fréderic Hoffman les a répétées avec soin, & il assure qu'une expérience fréquente lui en a attesté la vérité, & crebra nos experientia hâc in re confirmavit ; voici ce qu'il en dit lui-même.

Toutes les fois que Saturne regarde, adspicit, une planete dans quelque position que ce soit, il comprime l'air, excite des vents froids qu'il fait venir du septentrion. L'association de Saturne & de Vénus donne lieu d'attendre des pluies froides ; le vent souffle alors du septentrion & de l'occident. Jupiter est ordinairement venteux avec quelque planete qu'il concoure, sur-tout en automne & au printems, de façon qu'il est rare qu'il y ait des tempêtes & des orages, sans que Jupiter soit en aspect avec quelqu'autre planete. Parmi les plantes pluvieuses, Vénus tient le premier rang, sur-tout si elle est en conjonction avec Mercure, Saturne & Jupiter. Le soleil & Mars annoncent & operent les jours séreins & chauds, sur-tout dans l'été lorsqu'ils se trouvent en conjonction ; les effets sont les mêmes, quoique plus foibles, s'ils agissent de concert avec Mercure & Jupiter. Mercure est d'une nature très-inconstante, & produit beaucoup de variations dans l'air ; le même jour est sous son aspect serein, pluvieux, venteux, orageux, &c. Avec Jupiter il donne naissance aux vents ; avec Vénus, à la pluie. L'action de ces planetes varie beaucoup, suivant la distance & la situation du soleil. La lune même apporte des changemens, en accélere ou en retarde les effets suivant son influence particuliere. La situation du lieu, la nature du climat, peuvent aussi faire naître bien des variétés ; & cette même action appliquée au corps, ne sauroit être uniforme dans tous les tempéramens, tous les âges, tous les sexes, tous les états, & tous les individus. Voyez Kook, Météorolog. S. Astronom. Goad, Tractatus meteorol. & la Dissertation d'Hoffman, qui se trouve dans le IV. vol. tome V. pag. 70.

Ces observations qu'il est bien difficile de contester, paroissent mettre hors de doute l'influence de ces planetes sur l'air, & en conséquence sur le corps humain. Personne n'ignore les effets de ce fluide, dans lequel nous vivons, que nous avalons avec les alimens, que nous respirons continuellement, & qui s'insinue par tous les pores absorbans qui sont ouverts sur notre peau ; il est certain que la plûpart des maladies épidémiques méritent de lui être attribuées. J'ai prouvé dans un mémoire lu à la société royale des Sciences en 1749, que l'air étoit la principale cause des fievres intermittentes. Il y a certaines personnes qui ont des signes assurés, qui leur marquent exactement les variations de l'atmosphere, des douleurs de tête, des rhumatismes, des suites de blessures ou de luxation, qui se réveillent dans les changemens de tems, & les instruisent plus surement que les meilleurs barometres. Voyez AIR, ATMOSPHERE. J'ai vu il y a peu de jours un malade attaqué d'une fievre putride, portant à la poitrine ; il resta pendant sept à huit heures que dura un orage violent, dans un état affreux ; il avoit peine à respirer, se sentoit foible & abattu ; avoit des inquiétudes. Après un coup de tonnerre, qui fit un fracas épouvantable, l'orage cessa ; en même tems il se trouva debarrassé d'une espece de poids qui l'affaissoit ; la levre supérieure se couvrir de boutons, il fut extrèmement soulagé, & entra en convalescence.

On peut déduire de toutes ces observations examinées de bonne foi, & approfondies sans partialité, combien cette partie de l'Astronomie qui traite de l'influence des astres, peut être avantageuse aux médecins, & combien par conséquent elle mériteroit d'être plus cultivée & mieux étudiée. Tout ce qui est de l'intérêt public, & d'un intérêt aussi pressant & aussi prochain que celui qui résulte de la Médecine, doit être un motif suffisant pour nous engager à des recherches ultérieures ; mais ne sera-t-il pas à craindre que l'esprit humain enflammé de nouveau par quelque réussite, ne donne aussi-tôt dans l'excès, ne porte cette science à un extrême toujours vicieux ; & il est sûr que le mal qui en proviendroit seroit infiniment au-dessus des avantages qu'on pourroit tirer de cette connoissance retenue dans un juste milieu. Mais dans cet état même, les matieres aux recherches, aux observations, ne sont-elles pas trop vastes pour détourner un médecin de l'application des choses plus sérieuses & plus intéressantes ? Si l'intérêt public l'emportoit davantage sur le particulier, il faudroit que des médecins s'appliquassent uniquement aux observations météorologiques, qui pour être bien faites demanderoient beaucoup de tems & de connoissances, voyez ce mot ; aux découvertes anatomiques, physiques, chimiques, &c. en un mot aux sciences accessoires de la Médecine, & le praticien puiseroit dans les arsenaux des matériaux tous digérés, pour être le fondement & l'appui d'une pratique beaucoup plus solide & brillante. Car il est impossible que le même médecin puisse suivre tous ces différens objets ; ils devroient être renvoyés à tant de gens qui ne sont point nés médecins, que la curiosité porte à cette étude, mais que l'intérêt fait praticiens. On naît médecin comme on naît poëte ; la nature fait l'un & l'autre. Art. de M. MENURET.


INFORMATIONS. f. (Jurisp.) est un acte judiciaire contenant les dépositions des témoins que l'on fait entendre sur un crime ou délit dont la partie civile ou publique a rendu plainte.

Anciennement les informations étoient quelquefois qualifiées d'enquêtes ; mais pour les distinguer des enquêtes qui se font en matiere civile, on les appelloit enquêtes de sang, ce qui convenoit principalement à celles que l'on faisoit en cas de meurtres, homicides, assassinats.

Les informations se font ordinairement en conséquence d'une permission accordée par le juge sur la requête à lui présentée par celui qui a rendu plainte ; cependant lorsqu'un accusé est pris en flagrant délit, & qu'il s'agit d'un crime qui intéresse le public, le juge peut informer d'office.

Cette enquête d'office se nommoit autrefois apprise, comme qui diroit ce que le juge a appris ; il en est parlé dans les coutumes de Beauvoisis ch. iv. & dans les registres du Parlement. Il y avoit une grande différence entre apprise & enquête ou information. L'enquête portoit fin de querelle ; l'apprise n'en portoit point, c'est-à-dire qu'on pouvoit condamner un accusé sur une enquête ou information ; au lieu qu'on ne pouvoit pas juger sur une simple apprise. Celle-ci, dit Beaumanoir, servoit seulement à rendre le juge plus savant.

Ces sortes d'apprises se faisoient tant en matiere civile que criminelle, comme il paroît par une ordonnance de Louis Hutin, du mois de Mai 1315, faite à la supplication des nobles de Champagne, où le roi ordonne que chacun pris pour crime, soit oui en ses bonnes raisons, & que si aucune apprise se faisoit contre lui, que par cette seule apprise il ne fût condamné ni jugé.

Les enquêtes ou informations étoient publiques en matiere criminelle aussi bien qu'en matiere civile, & l'on en donnoit copie à l'accusé lorsqu'il le demandoit, à ses frais. Cependant on distinguoit quelquefois l'enquête de l'information ; l'enquête devoit précéder l'information, & alors celle-ci étoit secrette. C'est ce que nous apprend une ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Juin 1338, art. 21.

Dans la suite au contraire c'étoit l'information secrette qui devoit précéder l'enquête ; mais alors par le terme d'enquête on entendoit le procès criminel, comme il paroît par des lettres du roi Jean, du mois de Décembre 1362, portant confirmation des privileges accordés aux habitans de Langres par leur évêque, où il ordonne qu'avant de faire le procès d'office à un criminel, il seroit fait une information secrette, à moins que le fait ne fût notoire, & que l'accusé ne fût quelqu'un mal-famé ou véhémentement soupçonné du fait. Cette information secrette étoit, à ce qu'il semble, un ménagement que l'on gardoit pour ne point diffamer légerement quelqu'un qui jouissoit d'une bonne réputation, & qui par l'évenement de l'instruction pouvoit n'être pas trouvé coupable.

On voit pareillement dans les privileges accordés à la ville de Sarlat, par Charles V. au mois d'Août 1370, art. 11. que les juges royaux de Sarlat ne pouvoient mettre en enquête ou prévention les habitans de cette ville, sur les crimes ou délits dans lesquels ils seroient compliqués, qu'ils n'eussent auparavant fait une information.

De ces ordonnances & de plusieurs autres semblables il résulte que l'information secrette se faisoit d'abord pour découvrir l'auteur du crime, & que l'enquête signifioit les procédures qui se faisoient ensuite contre celui qui étoit prévenu de ce crime.

Présentement toutes informations en matiere criminelle sont pieces secrettes du procès, & il n'est pas permis aux greffiers d'en délivrer des copies.

On trouve dans quelques anciennes ordonnances que c'étoit des notaires tabellions qui recevoient les enquêtes ; mais ces notaires faisoient alors la fonction de greffiers.

Anciennement on ne devoit point faire d'information sous le nom du procureur général, s'il n'y avoit à cet effet des lettres du roi ou du procureur général, comme il est dit dans une ordonnance de Philippe de Valois, de l'an 1344. Présentement les témoins peuvent être administrés sans lettres, soit par le procureur du roi ou par celui du seigneur, ou par la partie civile s'il y en a une.

Les enfans de l'un & de l'autre sexe, quoiqu'audessous de l'âge de puberté, sont reçus à déposer, sauf en jugeant d'avoir par les juges tel égard que de raison à la nécessité & à la solidité de leur témoignage.

Toutes personnes assignées pour être ouies en information, ou pour être recollées ou confrontées, sont tenues de comparoir, & les laics peuvent y être contraints par amende sur le premier défaut, & par emprisonnement de leur personne en cas de contumace, même les ecclésiastiques par amende, au payement de laquelle ils peuvent être contraints par saisie de leur temporel ; les supérieurs réguliers sont tenus d'y faire comparoir leurs religieux à peine de saisie de leur temporel, & de suspension des privileges à eux accordés par le roi.

Les dépositions de chaque témoin doivent être rédigées à charge ou à décharge.

Ils doivent être oüis secrettement & séparément.

Les dépositions qui ont été déclarées nulles par quelque défaut de formalité, peuvent être réitérées si le juge l'ordonne.

Le juge taxe les frais & salaires aux témoins qui le requierent.

Le surplus des formalités qui doivent être observées dans les informations, est expliqué dans l'ordonnance criminelle, tit. VI. (A)

Information par addition, est celle qui se fait sur de nouvelles preuves qui sont survenues après l'information faite ; elle se fait en vertu d'une permission du juge donnée en connoissance de cause. (A)

Information de vie & moeurs, est une espece d'enquête d'office que le procureur général dans les cours souveraines, ou le procureur du roi dans les autres sieges, fait faire à sa requête, de la conduite & des moeurs de celui qui se présente pour être reçû dans quelque charge soit de judicature ou autre qui oblige de prêter serment entre les mains du juge. (A)


INFORMEadj. (Gram.) qui n'a pas la forme exigée par les regles de l'art ou de la nature.

Un monstre est une production informe de la nature.

Il n'y a aucune sorte de productions artificielles où l'on n'en rencontre d'informes.

INFORME, adj. (Astronom.) Les étoiles informes sont celles qu'on n'a point réduites en constellations. On les appelle encore sporades, mais moins communément.

Les anciens en avoient laissé un très-grand nombre de cette espece ; mais Hévélius & quelques astronomes modernes en ont fait des constellations nouvelles. Voyez ÉTOILES & CONSTELLATIONS. Chambers. (O)


INFORTIATS. m. (Jurisprud.) ou DIGESTE INFORTIAT, infortiatum seu digestum infortiatum, est la seconde partie du digeste ou pandectes de Justinien, qui commence au 3e titre du 24e livre, & finit avec le livre 38e. Elle a été ainsi appellée, comme étant la partie du milieu qui se trouve pour ainsi dire soutenue & fortifiée par les deux autres. Quelques-uns pensent qu'on lui a donné ce nom parce qu'elle traite des successions & substitutions, & autres matieres importantes, & qu'étant d'un plus grand usage que les deux autres parties, c'étoit celle qui produisoit le plus d'argent aux Jurisconsultes ; mais comme cette division du digeste en trois parties fut faite sans aucun art, ainsi qu'il paroît par la fin de la premiere partie & le commencement de la seconde, il y a apparence aussi que l'étymologie du nom d'infortiat vient, comme on l'a dit, de ce que cette partie est celle du milieu. Voyez au mot DIGESTE. (A)


INFORTUNES. f. (Gram.) suite de malheurs auxquels l'homme n'a point donné l'occasion, & au milieu desquels il n'a point de reproche à se faire. L'infortune tombe sur nous ; nous y attirons quelquefois le malheur : il semble qu'il y ait des hommes infortunés ; c'est-à-dire des êtres que leur destinée promene par-tout où il y a des pertes à supporter, des hasards fâcheux à trouver, des peines à souffrir. C'est ainsi que le monde est ordonné pour eux & eux pour le monde. Cette nécessité seule suffiroit pour déterminer au refus de la vie un être un peu raisonnable, si l'on pouvoit supposer un lieu entre le néant & le monde, & un instant avant la naissance, où l'on lui montrât tout ce qu'il a à craindre & à espérer, s'il veut vivre.


INFRACTIONS. f. (Jurisprud.) est le violement d'une loi, coutume, ordonnance, privilege, statut, ou de quelque jugement, traité ou autre acte.


INFRALAPSAIRESS. m. pl. (Théolog.) Les infralapsaires sont des sectaires qui soutiennent que Dieu n'a créé un certain nombre d'hommes que pour les damner, sans leur donner les secours nécessaires pour se sauver quand même ils le voudroient. Voyez REPROBATION.

Ils ne soutiennent pas cette doctrine de la même maniere, & leur secte est comme divisée en deux branches. Les uns disent que Dieu indépendamment de tout, & antécédemment à toute connoissance, ou prévision de la chûte du premier homme, a résolu de manifester sa miséricorde & sa justice : sa miséricorde en créant un certain nombre d'hommes pour les rendre heureux de toute éternité ; & sa justice en créant un certain nombre d'autres hommes pour les punir éternellement dans l'enfer. Voyez PREDESTINATION.

D'autres prétendent que Dieu n'a pris cette résolution qu'en conséquence du péché originel, & de la prévision de ce péché qu'il a vû de toute éternité qu'Adam commettroit. Car, disent-ils, l'homme ayant perdu par ce péché la justice originelle & la grace, il ne mérite plus que des châtimens, tout le genre humain n'est plus qu'une masse de corruption que Dieu peut punir & abandonner aux supplices éternels sans blesser sa justice. Cependant pour ne pas faire éclater seulement sa justice, mais aussi sa miséricorde, il a résolu d'en tirer quelques-uns de cette masse pour les sanctifier & les rendre heureux. Voyez ÉLECTION.

Ceux qui défendent ce sentiment de la premiere maniere, s'appellent supralapsaires, parce qu'ils croient que Dieu a pris la résolution de perdre un certain nombre d'hommes, suprà lapsum, avant la chûte d'Adam, & indépendamment de cette chûte. Voyez SUPRALAPSAIRES.

Les autres sont nommés infralapsaires, parce qu'ils veulent que Dieu ne l'ait prise qu'après la prévision de la chûte du premier homme, infrà lapsum, & en conséquence de cette chûte. Voyez le Diction. de Trévoux.


INFRUCTUEUXadj. (Gram.) qui ne rapporte aucun fruit. Il se dit au physique & au moral. Un tems infructueux, des veilles infructueuses.


INFULEsubst. fém. (Hist. mod.) infula, nom que l'on donnoit anciennement aux ornemens des pontifes. Festus dit que les infules étoient des filamens de laine, des franges de laine dont on ornoit les prêtres & les victimes, même les temples.

Plusieurs auteurs confondent les infules avec la mitre, la tiare, ou le bonnet que portoient les prêtres. Il y avoit cependant beaucoup de différence.

L'infule étoit proprement une bandelette ou bande de laine blanche qui couvroit la partie de la tête où il y a des cheveux, jusqu'aux tempes, & de laquelle tomboient de chaque côté deux cordons, vittae, pour la lier, ce qui fait que l'on confond souvent le nom vittae cordons avec infulae.

L'infule étoit aux prêtres ce qu'étoit le diadème aux rois, la marque de leur dignité & de leur autorité. La différence entre le diadème & l'infule, est que le diadème étoit plat & large, & l'infule entortillée & ronde. Voyez DIADEME. Dict. de Trév.


INFUNDIBULUM(Anatomie) Voyez ENTONNOIR.


INFUSINFUSE, adj. (Gram.) On dit science infuse, grace infuse, sagesse infuse, c'est-à-dire qu'on n'a point acquise par ses soins, mais qu'il a plû à Dieu de verser dans quelques ames privilégiées.

On a agité & l'on agite encore dans les écoles sur toutes ces qualités infuses, beaucoup de questions frivoles que la saine philosophie n'a point encore décriées.

C'est bien peu de chose que ce qu'on a par infusion.


INFUSION(Chimie & Pharmacie) espece d'extraction, d'application d'un menstrue à une matiere dont on se propose de séparer une substance particuliere soluble dans ce menstrue, d'une autre substance insoluble par le même menstrue. Voyez EXTRACTION, Chimie. Le caractere particulier de l'infusion est déterminé par le degré de chaleur, qui est inférieur dans cette operation au degré bouillant d'un menstrue employé, mais qui est dû à un feu artificiel. Voyez FEU, Chimie. Le menstrue bouillant employé au même but, tout étant d'ailleurs égal, fait prendre à l'extraction opérée à ce degré de feu, le nom de décoction ; & le menstrue à froid (voyez FEU & FROID, Chimie), celui de macération. Lorsque la chaleur artificielle mise en oeuvre pour l'infusion, est celle des rayons directs du soleil, l'infusion s'appelle communément insolation. Voyez DECOCTION, MACERATION & INSOLATION. L'infusion long-tems continuée, s'appelle aussi digestion. Voyez DIGESTION, Chimie.

Les sujets de l'infusion sont toujours des corps concrets ou consistans, & presque toujours de l'ordre des tissus ou corps organisés, dont le squelete, la base, donne par sa nature peu de prise aux menstrues ordinaires, & sur-tout lorsque ces menstrues ne sont animés que par un foible degré de feu ; ensorte que les sucs végétaux & animaux, leurs matieres non organiques, telles que les gommes, les extraits proprement dits, la partie aromatique, le corps doux, les résines, la lymphe, la graisse peuvent passer aisément dans ces menstrues, sans que les solides, le corps des fibres végétales ou animales, soient même superficiellement entamés. Ce corps fibreux, ce tissu, qui étant même absolument épuisé par les décoctions, n'a rien perdu de sa forme, de sa structure naturelle, & que les infusions les plus réitérées ne peuvent qu'imparfaitement dépouiller de la matiere soluble par le menstrue appliqué ; ce tissu, dis-je, s'appelle, après qu'il a essuyé l'infusion, résidu, & plus communément marc. Voyez MARC, Chim. Pharm.

On peut employer à l'infusion tous les menstrues connus dans l'art. Un acide minéral versé sans mesure sur une argile colorée, dans le dessein d'en séparer les parties métalliques d'où cette couleur dépend, & tenu long-tems sur cette argile à un léger degré de feu artificiel, est alors l'agent d'une véritable infusion ; mais l'usage ordinaire borne l'usage de ce mot pour désigner l'application de l'eau, de l'huile, & des liqueurs vineuses aux végétaux & aux animaux, & même l'infusion par les esprits ardens, s'appelle plus ordinairement teinture. Voyez TEINTURE.

On appelle quelquefois infusion la dissolution légere d'une substance entierement soluble par le menstrue appliqué, & qui n'est bornée que parce qu'on n'employe pas une quantité proportionnelle de menstrue, ou qu'on ne l'applique pas pendant assez longtems : c'est ainsi qu'on dit que le vin émétique se prépare, en faisant infuser un verre d'antimoine dans du vin, ou du vin dans une tasse de régule d'antimoine ; mais ce n'est que très-improprement qu'on appelle cette opération une infusion, puisque le résidu ou marc est parfaitement semblable, identique à la partie, ou pour mieux dire, à la portion dissoute.

L'infusion n'a d'autres regles de manuel que les regles très-générales de l'application des menstrues ; savoir, de disposer les corps à leur abord, en les divisant, s'ils ne le sont naturellement, par une des opérations préparatoires communes (voyez OPERATIONS DE CHIMIE) à opérer dans un vaisseau convenable tant pour la forme que pour la matiere ; à connoître d'après les découvertes précédentes, ou par le tatonnement, si le degré de chaleur propre à l'infusion est suffisant ou excessif pour le sujet qu'on y expose ; par exemple, si l'infusion peut faire du bon bouillon (voyez FEU, CHIMIE), ou si elle ne retire pas d'une racine extractive & muqueuse, telle que celle de réglisse ou de grande consoude, l'extrait dont on n'a que faire, tandis que la macération ou l'infusion au feu le plus doux, n'eût emporté que le corps doux, &c.

L'usage des infusions n'est presque que pharmaceutique.

On emploie à la préparation d'un remede l'infusion, l'application d'un menstrue animé d'un foible degré de chaleur, toutes les fois qu'un degré plus fort, celui de l'ébullition dissiperoit des parties qu'on se propose de retenir, ou que la macération seroit insuffisante pour extraire d'une drogue assez de parties médicamenteuses ; & on la rejette toutes les fois qu'elle est inutile, c'est-à-dire que la décoction toujours plus efficace & plus promte, ne doit dissiper aucun principe utile, ou qu'elle est insuffisante. Ce sont là les uniques motifs qui déterminent le choix entre la décoction, l'infusion & la macération.

Les animaux qui ne contiennent que peu ou point de parties volatiles médicamenteuses, & dont les différens matériaux sont peu solubles par les menstrues aqueux ou huileux foiblement échauffés, sont presqu'absolument exclus de la classe des sujets de l'infusion. Les infusions ou teintures de castor, de musc, de civette, sont des infusions improprement dites, & de vraies dissolutions. Voyez le commencement de cet article.

Les végétaux aromatiques dont on veut faire passer dans l'eau la partie aromatique & un léger extrait, ou la matiere colorante, ou enfin une partie très-mobile, quoiqu'inodore, telles que les feuilles de mélisse, les fleurs de violette, d'oeillet, le séné, &c. doivent se traiter par l'infusion ; & c'est aussi par cette voie qu'on procede à ces extractions, soit qu'on destine les liqueurs qu'on obtient par ce moyen à des potions ou à des syrops. Quelques substances végétales, aromatiques, dont l'odeur est forte & le parfum abondant, telles que la fleur d'orange & l'excellent thé, soutiennent fort bien une légere décoction, & même fournissent à ce degré de feu, une liqueur plus agréablement parfumée que celle qu'on obtiendroit par l'infusion ; mais communément cependant les substances végétales, aromatiques, ne doivent pas être exposées à la décoction.

Les fleurs, feuilles & racines des plantes qui portent des fleurs en croix, dont Tournefort a fait une classe, & qui sont plus ou moins chargées d'un esprit alkali-volatil, ou d'un principe très-analogue, aussi bien que celles qui, comme l'oignon, l'ail, la capucine, &c. sont pourvues d'un principe vif-âcre, très-volatil, jusqu'à-présent indéfini ; ces substances, dis-je, devroient, selon la même regle, n'être traitées que par l'infusion toutes les fois qu'on leur appliqueroit un menstrue étranger ; mais soit parce qu'elles portent ce menstrue en elles-mêmes (car elles sont la plupart très-succulentes), soit parce qu'elles sont très-sujettes à subir un mouvement intestin qui les altere promtement, lorsqu'on les expose long-tems à une chaleur légere, soit enfin parce que le menstrue non-bouillant ne se chargeroit que très-foiblement d'une partie extractive qu'on se propose d'en retirer, aussi bien que le principe volatil ; pour ces raisons, dis-je, on ne prépare communément ces plantes pour l'usage médicinal, que sous la forme de suc, comme le suc de cochléaria, de cresson, d'oignon, ou sous celle de décoction, qu'on nomme aussi bouillon dans ce cas, bouillon de navet, de chou rouge, &c.

On préfere aussi l'infusion à la décoction, pour ménager un principe volatil dans le menstrue employé. C'est dans cette vûe que les vins & les vinaigres médicamenteux se préparent par infusion. Voyez VIN & VINAIGRE.

Les infusions pharmaceutiques s'exécutent par toutes les différentes especes de feux légers (voyez FEU, Chimie), au bain-marie, sur les cendres chaudes, au soleil, &c. & c'est encore une espece d'infusion que l'effusion de l'eau bouillante sur une matiere placée dans un vaisseau froid, sur laquelle on ne laisse séjourner ce menstrue que quelques instans ; on appelle cette espece d'infusion théiforme, c'est-à-dire semblable à celle qu'on emploie communément à préparer le thé.

Nous n'avons parlé jusqu'à-présent que de remedes internes préparés par infusion. On n'emploie presqu'absolument à ces infusions proprement dites que l'eau, le vinaigre ou le vin : nous avons déja observé que celles où on employoit les esprits ardens, s'appelloient teintures.

On prépare aussi par infusion plusieurs remedes externes, principalement des collyres, tel que le vin imprégné de l'extrait & de la partie aromatique des roses rouges, & des huiles appellées par infusion. Voyez l'article HUILE.

Les sujets des infusions sont ou simples ou composés. Les dernieres sur-tout pour l'usage interne sont appellées especes. Les poudres grossieres appellées trageae, sont sous une forme très-propre à donner leur vertu par l'infusion.

Le menstrue s'applique ou immédiatement au sujet de l'infusion, ou on enferme ce sujet dans un petit sac ou dans un nouet.

Nous n'avons pris jusqu'à-présent le mot infusion, que pour désigner une opération chimique, l'action de faire infuser ; & ce mot est également en usage pour exprimer la liqueur préparée par infusion : il répond dans ce dernier sens, au mot latin infusum ; ainsi on dit fort bien boire ou prendre une infusion de capillaire, &c. (b)


INGELHEIM(Géog.) Angiloemum ou Ingilenheimum, petite ville d'Allemagne, au palatinat du Rhin, dans le Nahegow, & presque enclavée dans l'archevêché de Mayence. Elle est remarquable par plusieurs conciles qui s'y sont tenus, & pour avoir été le séjour de divers empereurs ; mais elle n'est point le lieu de la naissance de Charlemagne ; ce prince naquit à Carlsbourg, château de la haute-Baviere, qui en a pris son nom. Ingelheim n'a rien conservé de sa premiere splendeur, c'est une ville fort délabrée. Elle est située sur la rive orientale de la Sala, sur une hauteur, d'où l'on a une vûe charmante, à 2 lieues S. O. de Mayence, 2. O. de Bingen. Long. 25. 40. lat. 49. 59.

Ingelheim est la patrie de Sébastien Munster, habile & laborieux écrivain du commencement du xvj. siecle. On a de lui un dictionnaire & une grammaire hébraïque, une grammaire chaldaïque, une géographie universelle, intitulée Cosmographie selon l'usage de ces tems-là, une horologiographie, & plusieurs autres ouvrages. Il mourut de la peste à Bâle, en 1552, à 63 ans. (D.J.)


INGÉNIEURS. m. (Gram.) Nous avons trois sortes d'ingénieurs ; les uns pour la guerre ; ils doivent savoir tout ce qui concerne la construction, l'attaque & la défense des places. Les seconds pour la marine, qui sont versés dans ce qui a rapport à la guerre & au service de mer ; & les troisiemes pour les ponts & chaussées, qui sont perpétuellement occupés de la perfection des grandes routes, de la construction des ponts, de l'embellissement des rues, de la conduite & réparation des canaux, &c.

Toutes ces sortes d'hommes sont élevés dans des écoles, d'où ils passent à leur service, commençant par les postes les plus bas, & s'élevant avec le tems & le mérite aux places les plus distinguées.

INGENIEUR, c'est dans l'état militaire un officier chargé de la fortification, de l'attaque & de la défense des places, & des différens travaux nécessaires pour fortifier les camps & les postes qu'on veut défendre à la guerre.

" Le nom d'ingénieur marque l'adresse, l'habileté & le talent que les officiers doivent avoir pour inventer. On les appelloit autrefois engeigneurs, du mot engin qui signifie machine, parce que les machines de guerre avoient été pour la plûpart inventées par ceux qui les mettoient en oeuvre dans la guerre. Or engin vient d'ingenium ; on appelloit même en mauvais latin ces machines ingenia.

Hi se clauserunt propè ripas ingeniorum, dit Guillaume le Breton dans l'histoire en vers de Philippe Auguste, en parlant du quartier où étoient les machines. "

Et Guillaume Guyart, lingigneurs engins dressent. Hist. de la milice franc. 2. 11. pag. 89.

L'emploi d'ingénieur exige beaucoup d'étude, de talens, de capacité & de génie. Les sciences fondamentales de cet état sont l'Arithmétique, la Géométrie, la Méchanique & l'Hydraulique.

Un ingénieur doit avoir quelqu'usage du dessein. La physique lui est nécessaire pour juger de la nature des matériaux qu'on emploie dans les bâtimens, de celle des eaux, & des différentes qualités de l'air des lieux qu'on veut fortifier.

Il est très-utile qu'il ait des connoissances générales & particulieres de l'Architecture civile, pour la construction des bâtimens militaires, comme casernes, magazins, arsenaux, hôpitaux, logemens de l'état-major, &c. dont les ingénieurs sont ordinairement chargés. M. Frézier recommande aux ingénieurs de s'appliquer à la coupe des pierres. " J'ai reconnu par ma propre expérience, dit ce savant auteur, (dans l'ouvrage qu'il a donné sur cette matiere) que cette connoissance (de la coupe des pierres) étoit aussi indispensablement nécessaire à un ingénieur qu'à un architecte, parce qu'il peut être envoyé comme moi dans des colonies éloignées, & même dans les provinces où l'on manque d'ouvriers capables d'exécuter certaines parties de la fortification, où il faut de l'intelligence dans cet art ".

Ces différentes connoissances & plusieurs autres que M. Maigret desire encore dans un ingénieur, comme celle de l'Histoire, de la Grammaire & de la Rhétorique, auxquelles on pourroit joindre celle des différentes manoeuvres des troupes, ne sont que l'accessoire de ce qui constitue le véritable ingénieur. C'est la science de la fortification, de l'attaque & de la défense des places, qui le caractérise particulierement, & qui doit être l'objet le plus sérieux de ses études. " Les différentes parties du génie, dit l'auteur de l'Ingénieur de campagne, se rapportent presque toutes à la fortification. L'on ne peut douter qu'elle n'en soit la principale ; cependant à parler en général, c'est, dit-il, celle à laquelle les ingénieurs s'attachent le moins. Cette indifférence, ajoûte cet auteur, vient probablement de ce que n'ayant appris qu'une routine sans principes, qu'un maître peu éclairé rend respectable par le nom de l'auteur dont il l'emprunte ; on regarde naturellement cet objet comme borné, & comme porté au point de perfection dont il est possible ". Préface de l'Ingénieur de campagne.

Il est certain qu'en examinant le progrès de la fortification depuis l'invention des bastions, on s'apperçoit que la disposition de l'enceinte des places a éprouvé peu de changemens ; mais doit-on en conclure qu'elle a tout le degré de perfection possible ? Non sans-doute ; le peu de durée de la défense de cette enceinte, lorsque l'ennemi a pu s'en approcher, suffit pour le démontrer.

Il est donc important de chercher à rendre notre fortification plus parfaite. Il faudroit trouver le moyen de se garantir de l'effet du ricochet ; de rendre les ouvrages moins exposés à la nombreuse artillerie avec laquelle on bat les places ; de mettre les dehors plus en état d'être soutenus, & repris par l'assiégé ; de faciliter les communications, de les rendre plus sûres & plus commodes, & sur-tout de diminuer l'excessive dépense de la fortification. Ce sont les principaux objets qu'on doit avoir en vûe dans les nouveaux systèmes de fortification qu'on peut proposer. Les ingénieurs peuvent seuls donner des idées justes dans une matiere où la théorie ne peut rien, ou du moins ne peut que très-peu de chose sans la pratique des siéges. C'est cette expérience qui a produit le Traité de fortification de M. le comte de Pagan, & les vûes nouvelles que cet illustre ingénieur a données pour perfectionner la disposition de l'enceinte des places, & pour rendre la défense des flancs plus directe. Voyez FORTIFICATION.

Pour perfectionner la fortification, ou rectifier ce qu'elle a de desavantageux, il faut posséder parfaitement tout ce qui a été fait & enseigné sur cette matiere. Cette étude, lorsqu'on y fait un peu d'attention, paroît plus vaste & plus difficile qu'on ne le croyoit d'abord. Bien des gens s'imaginent savoir la fortification, parce qu'ils ont appris à tracer l'enceinte d'un plan suivant la méthode de M. de Vauban, ou celle de quelqu'autre ingénieur ; mais ceux qui ont refléchi sur cet art sentent bien quelles sont les bornes d'une pareille étude. Elle sert seulement à apprendre les termes de la Fortification ; mais si l'on n'entre point dans l'esprit des inventeurs des systèmes, si l'on ne fait pas attention aux différens objets qu'ils ont eus dans leur construction, il arrive, comme l'expérience le prouve, qu'après avoir beaucoup copié de plans, & construit beaucoup de systèmes, on ignore encore la fortification, c'est-à-dire son esprit, ses regles & ses préceptes, & qu'on se trouveroit très-embarrassé s'il falloit appliquer ces regles à une situation tant-soit-peu irréguliere.

Les connoissances de la fortification, utiles à un ingénieur, sont bien différentes de celles qui conviennent à un officier ordinaire. Le premier doit non-seulement savoir disposer les ouvrages d'une place de guerre pour la mettre en état de faire une vigoureuse résistance ; mais il faut encore qu'il sache les construire, & remédier aux différens inconvéniens qui arrivent dans la construction. L'officier peut se borner au premier objet pour être en état de reconnoître le fort & le foible d'une place. Si avec cela il sait mettre un village ou un poste en état de résister à un coup de main, on peut dire qu'il possede la fortification nécessaire à son état. Mais l'habileté de l'ingénieur doit être portée à un point bien différent. Comme les idées ne se présentent que successivement, il faut, pour en trouver d'utiles, s'appliquer très-sérieusement à l'objet que l'on veut perfectionner. Ceux qui croient n'avoir plus rien à apprendre dans les choses de leur état, ne sont pas propres à trouver de nouvelles inventions. Un esprit éclairé, sage & raisonnable, n'emploie guere son tems à des recherches particulieres, qu'autant qu'il présume que son application ne sera pas infructueuse ; il est rare qu'avec cette disposition, de l'intelligence, des connoissances & un travail assidu, on ne parvienne à la fin à quelque découverte utile.

Nous pensons donc que la perfection de la fortification actuelle est un objet digne de l'attention & de l'application des plus savans ingénieurs. On peut tout attendre d'un corps aussi éclairé & aussi distingué que celui du génie, qui ne voit rien en Europe qui puisse lui être comparé dans l'attaque & dans la défense des places.

Il est établi en France, depuis M. le maréchal de Vauban, de ne recevoir aucun ingénieur qui n'ait été examiné sur les parties des Mathématiques nécessaires à son état, c'est-à-dire, sur l'Arithmétique, la Géométrie élémentaire & pratique, la Méchanique & l'Hydraulique. Le Roi paye pour cet effet un examinateur particulier.

L'intention de M. le maréchal de Vauban étoit, qu'après cet examen, on envoyât les jeunes gens, qui l'avoient subi, dans les places où il y avoit de grands travaux, pour les former dans le service des places, & leur faire acquérir les différentes parties de la science du Génie. Cette espece de noviciat devoit durer un an ou deux, après quoi il vouloit qu'on les examinât de nouveau pour juger de leurs talens & du progrès de leur application avant que de les admettre à l'état d'ingénieur. Ceux dont les talens auroient paru trop médiocres pour le Génie, devoient être placés dans l'infanterie, où les connoissances qu'ils avoient acquises ne pouvoient que contribuer à en faire de bons officiers.

Le Roi a établi à Mézieres, depuis quelques années, une école particuliere pour le Génie.

Quoique tous les Ingénieurs doivent être également versés dans le service des places & dans celui de campagne ; cependant comme il est difficile d'exceller en même tems dans chacun de ces deux services, peut-être seroit-il à propos de les diviser en ingénieurs de place & en ingénieurs de campagne.

Ces deux états, dont M. le maréchal de Vauban a réuni les différentes qualités dans le degré le plus éminent, supposent également la science de la fortification ; mais comme on peut posséder le détail de la construction des travaux, qui ne s'apprend point en campagne, & ignorer ou du moins ne point exceller dans ce détail, & être très-habile dans le service de campagne, qui ne donne aucune idée de celui des places, le partage de ces deux fonctions pourroit peut-être donner lieu de former des sujets plus habiles dans chacune de ces deux parties du Génie.

Le service de campagne demande beaucoup de connoissance de l'art de la guerre ; il exige d'ailleurs une grande vivacité d'esprit & d'intelligence pour imaginer & exécuter en même tems les différens travaux nécessaires en campagne, pour fortifier les camps & les postes qu'on veut défendre : " On n'étudie point cette matiere dans les places, dit M. de Clairac dans l'Ingénieur de campagne, parce que ce n'est point l'objet présent... D'ailleurs, quel que soit le rapport de la fortification de campagne avec celle des places, la science de celle-ci ne suffit pas toujours pour développer pleinement ce qui concerne l'autre ". C'est pourquoi, dès que les travaux de l'ingénieur en campagne exigent une étude particuliere, il semble qu'il seroit très-convenable de s'y appliquer aussi particulierement.

Les qualités nécessaires aux ingénieurs de guerre ou de campagne sont, suivant M. le maréchal de Vauban. " beaucoup de coeur, beaucoup d'esprit, un génie solide, & outre cela une étude perpétuelle & une expérience consommée sur les principales parties de la guerre : mais si la nature rassemble très-rarement ces trois premieres qualités dans un seul homme, il est encore plus extraordinaire d'en voir échapper à la violence de nos sieges, & qui puissent vivre assez pour pouvoir acquérir les deux autres. Le métier est grand & noble, mais il mérite un génie fait exprès & l'application de plusieurs années ". Instruct. pour la conduite des sieges.

Aux qualités précédentes, " il faut encore, dit M. Maigret, joindre l'activité & la vigilance absolument nécessaires dans toutes les actions de la guerre, mais sur-tout dans l'attaque des places qui esperent du secours. Il ne faut point donner le tems aux assiégés de se reconnoître ; qui y perd une heure, en perd pour le moins deux, & un seul moment perdu en ces occasions est quelquefois irréparable. C'est par l'activité & la vigilance que les ingénieurs contraignent souvent des assiégés de capituler, qui ne le feroient que long-tems après, si ces ingénieurs n'avoient pas usé d'une grande promtitude dans le progrès des attaques ". Traité de la sûreté des états par le moyen des forteresses.

Aux deux divisions précédentes d'ingénieur de place & d'ingénieur de campagne, peut-être seroit-il encore à propos de faire une troisieme classe pour la fortification des villes maritimes, qui demande une étude particuliere, & dans laquelle il est difficile d'exceller sans beaucoup de travail & d'application. Il suffit, pour s'en convaincre, d'une lecture sérieuse & réfléchie des deux derniers volumes de l'Architecture hydraulique, par M. Belidor.

Les appointemens des ingénieurs, lorsqu'on les reçoit, sont de six cent livres par an. Ils augmentent ensuite, selon le mérite & l'ancienneté. Dans les sieges & en campagne, les moindres appointemens de ceux qu'on y emploie sont de cent cinquante livres par mois.

Les ingénieurs obtiennent les mêmes grades militaires & les mêmes récompenses que les autres officiers des troupes. Ainsi ils parviennent à celui de brigadier, de maréchal de camp, de lieutenant général & même de maréchal de France, comme l'a été M. de Vauban. Ils ont aussi des pensions, des majorités, des gouvernemens de places, &c.

Le nombre des ingénieurs en France est de trois cent. Ils sont partagés dans les différentes places de guerre du royaume. En tems de guerre, on en forme des détachemens à la suite des armées. Ceux qui servent dans les siéges sont partagés en brigades, à la tête de chacune desquelles est un ancien ingénieur, auquel on donne le nom de brigadier. Ces brigades se relevent toutes les vingt-quatre heures.

Dans les places où il y a plusieurs ingénieurs, le premier est appellé ingénieur en chef. Il a la direction principale de tous les travaux ; les autres agissent sous ses ordres. Les appointemens des ingénieurs en chef sont de 1800 livres, mais ils ont outre cela des récompenses & des gratifications. Cette place demande des soins infinis, dit M. le Maréchal de Vauban, " une activité perpétuelle, beaucoup de conduite, de bon-sens, d'expérience dans tous les ouvrages de terre, de bois & de pierre, avec une parfaite intelligence de toutes les différentes especes de matériaux, de leur prix, & de la capacité des ouvriers. Ces qualités sont si nécessaires dans la conduite des grands travaux, que par-tout où elles se trouvent manquer, on peut s'assûrer que le moindre mal qui en puisse arriver sera un retardement, une longue & ennuyeuse construction, quantité de mal-façons, & toujours beaucoup de dépense superflue ; accidens à jamais inséparables de la médiocre intelligence de ceux qui en seront chargés ". Directeur des fortifications.

Il y a aussi des ingénieurs provinciaux ou directeurs des fortifications dans les provinces. Ce sont ceux qui sont chargés de la direction générale de tous les travaux qui se font dans les places de leur département. (Q)


INGENIEUXadj. (Gramm.) qui montre de l'esprit & de la sagacité. Il se dit des choses & des personnes. Un poëte ingénieux. Un machiniste ingénieux. Une pensée ingénieuse ; une machine ingénieuse. Les choses ingénieuses déparent les grandes choses. Si elles sont accumulées dans un ouvrage, elles fatiguent. Elles sont plus faites pour être dites que pour être écrites. Elles consistent dans des rapports fins, délicats & petits qui échappent aux hommes de sens dont l'attention se porte sur les masses. Homere, Virgile, Milton, le Tasse, Horace, Sophocle, Euripide, Corneille, Racine, ne sont point des poëtes ingénieux. Il n'y a point d'homme à qui ce titre convienne moins qu'à Démosthene & à Bossuet. Un auteur qui court après des traits ingénieux, se peint à mon esprit sous la forme de celui qui s'applique à frapper un caillou sur l'angle pour en tirer une étincelle. Il m'amuse un moment. Il se dit à Paris plus de choses ingénieuses en un jour que dans tout le reste du monde. Elles ne coutent rien à cette nation, qui sait aussi, quand il lui plaît, s'élever aux plus grandes.


INGÉNUadj. (Hist. anc.) signifioit chez les Romains celui qui étoit né de parens libres, honnêtes, nobles. Voyez LIBRE.

Isidore dit que ceux là sont appellés ingénus qui naissent libres, & qui n'ont que faire d'acquérir la liberté : ingenui, qui libertatem habent in genere, non in facto. Voyez MANUMISSION.

Une personne passoit pour ingénue, quand elle étoit née d'une mere libre, quoique son pere fût esclave. Voyez ESCLAVE.

Les ingénus pouvoient posséder des emplois, donner leurs suffrages, privileges dont les affranchis étoient exclus. Voyez AFFRANCHI.

Ingénu signifie aussi quelquefois celui qui est originaire du pays, qui n'est point étranger. Voyez NATIF.


INGÉNUITÉS. f. (Gram.) l'ingénuité est dans l'ame ; la naïveté dans le ton. L'ingénuité est la qualité d'une ame innocente qui se montre telle qu'elle est, parce qu'il n'y a rien en elle qui l'oblige à se cacher. L'innocence produit l'ingénuité, & l'ingénuité la franchise. On est tenté de supposer toutes les vertus dans les personnes ingénues. Que leur commerce est agréable ! Si elles ont parlé, on sent qu'elles devoient dire ce qu'elles ont dit. Leur ame vient se peindre sur leurs levres, dans leurs yeux, & dans leur expression. On leur découvre son coeur avec d'autant plus de liberté, qu'on voit le leur tout entier. Ont-elles fait une faute, elles l'avouent d'une maniere qui feroit presque regretter qu'elles ne l'eussent pas commise. Elles paroissent innocentes jusque dans leurs erreurs ; & les coeurs doubles paroissent coupables, lors même qu'ils sont innocens. Il est impossible de se fâcher long-tems contre les personnes ingénues ; elles desarment. Voyez Agnès dans l'école des femmes. Leur vérité donne de l'intérêt & de la grace aux choses les plus indifférentes. Le petit chat est mort ; qu'est-ce que cela ? rien : mais ce rien est de caractere, & il plaît.

L'ingénuité a peu pensé, n'est pas assez instruite ; la naïveté oublie pour un moment ce qu'elle a pensé, le sentiment l'emporte. L'ingénuité avoue, révele, manque au secret, à la prudence ; la naïveté exprime & peint ; elle manque quelquefois au ton donné, aux égards ; les réflexions peuvent être naïves, & elles le sont quand on s'apperçoit aisément qu'elles partent du caractere. L'ingénuité semble exclure la réflexion ; elle n'est point d'habitude sans un peu de bétise, la naïveté sans beaucoup de sentiment ; on aime l'ingénuité dans l'enfance, parce qu'elle fait espérer de la candeur ; on l'excuse dans la jeunesse, dans l'âge mûr on la méprise. L'Agnès de Moliere est ingénue ; l'Iphigénie de Racine est naïve & ingénue. Toutes les passions peuvent être naïves, même l'ambition ; elle l'est quelquefois dans l'Agrippine de Racine ; les passions de l'homme qui pense sont rarement ingénues.


INGÉVONS(Géog. anc.) Ingaevones, ancien peuple du nord de l'Allemagne, vers la mer Baltique ; Pline remarque que les Ingévons comprenoient sous eux les Cimbres, les Teutons, & les Cauques, Cauchi, & que toutes ces nations étoient voisines de la mer. D'un autre côté, Tacite nous apprend que les noms d'Ingévons, Hermions, & Istévons, étoient venus des héros qui avoient été les premiers chefs des familles, lesquelles en se multipliant avoient formé ces trois peuples. C'est ainsi que Tacite nous prouve l'inutilité des tortures que divers savans se sont données dans ces derniers siecles pour trouver la signification de ces noms. (D.J.)


INGOLSTADIngolstadium, (Géog.) ville d'Allemagne, la plus forte de Baviere, avec une université fondée en 1410, dont l'évêque d'Aichstad est le chancelier perpétuel comme diocésain, & établit pour vice-chancelier le premier professeur de Théologie. Quelques-uns ont appellé cette ville en latin Aureatum ; mais c'est Aichstad qu'il faut ainsi nommer. Plusieurs auteurs écrivent Ingelstad, & tirent son origine des Angles, ancien peuple saxon, qui se jetterent dans la Suabe, & laisserent des traces de leur nom à Ingelheim, Ingolstad, Engelbourg, &c. D'autres lui donnant une origine plus moderne, l'attribuent à de véritables anglois, qui vinrent de leur pays prêcher le Christianisme en Allemagne ; parce que Aichstad ville voisine, leur doit sa naissance. Elle est sur le Danube, à deux lieues N. E. de Neubourg, 16 S. O. de Ratisbonne, 18 N. O. de Munich. Long. 28. 45. lat. 48. 42. & suivant le P. Nicaise Grammatici, 48. 46. (D.J.)


INGRANDEIgorandis, (Géog.) petite ville de Bretagne au bord de la Loire, aux confins de l'Anjou ; elle fait la séparation de l'Anjou & de la Bretagne. Long. 18. 45. lat. 46. 34. (D.J.)


INGRATITUDES. f. (Morale) oubli, ou plutôt méconnoissance des bienfaits reçus. Je la mettrois volontiers cette méconnoissance au rang des passions féroces ; mais du-moins on ne trouvera pas mauvais que je la nomme un vice lâche, bas, contre nature, & odieux à tout le monde. Les ingrats, suivant la remarque de Cicéron, s'attirent la haine générale, parce que leur procedé décourageant les personnes généreuses, il en résulte un mal auquel chacun ne peut s'empêcher de prendre part.

Quoique l'ingratitude ne renferme aucune injustice proprement dite, entant que celui de qui l'on a reçu quelque bienfait, n'a point droit à la rigueur d'en exiger du retour ; toutefois le nom d'ingrat désigne une sorte de caractere plus infâme que celui d'injuste ; car quelle espérance aurois-je de toucher une ame, que des bienfaits n'ont pû rendre sensible ? Et quelle infamie de se déclarer indigne par le coeur de l'opinion favorable qu'on avoit donné de soi !

Si l'on réfléchit aux principes de ce vice, on s'appercevra, qu'outre l'insensibilité dont il émane si souvent, il découle encore de l'orgueil & de l'intérêt. M. Duclos a très-bien dévoilé ces trois sources de l'ingratitude, dans son livre sur les Moeurs, dont je ne tirerai cependant que le précis.

" La premiere espece d'ingratitude, dit-il, est celle des ames foibles, légeres, & sans consistance. Affligées par le besoin présent, sans vûe sur l'avenir, elles ne gardent aucune mémoire du passé : elles demandent sans peine, reçoivent sans pudeur, & oublient sans remords. Dignes de mépris, ou tout au plus de compassion, on peut les obliger par pitié, & par grandeur d'ame.

Mais rien ne peut sauver de l'indignation celui qui ne pouvant se dissimuler les bienfaits qu'il a reçus, cherche cependant à méconnoître son bienfaiteur. Souvent après avoir reclamé les secours avec bassesse, son orgueil se révolte contre tous les actes de reconnoissance qui peuvent lui rappeller une situation humiliante ; il rougit du malheur, & jamais du vice.

A l'égard de ces hommes moins haïssables que ceux que l'orgueil rend injustes, & plus méprisables encore que les ames légeres & sans principes, dont nous avons parlé d'abord, ils font de la reconnoissance un commerce intéressé ; ils croient pouvoir soumettre à un calcul arithmétique, les services qu'ils ont reçus ; ils ignorent qu'il n'y a point d'équation pour les sentimens, & que l'avantage du bienfaiteur sur celui qu'il a prévenu par ses services, est en quelque maniere inappréciable ".

Telles sont les principales sources qui font germer l'ingratitude de toutes parts. Ceux qui mettent leur espoir dans la reconnoissance des gens qu'ils obligent, n'ont pas assez réfléchi sur cette matiere ; le symbole des ingrats, ce n'est point le serpent, c'est l'homme. En effet, tant de conditions sont requises pour s'acquiter dignement d'un bienfait notable, que cette considération fit dire aux Stoïciens, qu'il n'y avoit que leur seul sage qui les sût dignement remplir.

Celui qui ne rend pas la pareille à son bienfaiteur, lorsqu'il le peut, est un ingrat. Le manque de reconnoissance intérieure d'un plaisir reçu, est une branche d'ingratitude. Puisqu'on a trouvé l'ame promte & ouverte à obliger, il faut avoir la bouche promte à publier le bienfait, & l'ame ouverte à le sentir : c'est ainsi que le plus pauvre homme du monde peut dignement s'acquiter. Le romain qui venant d'obtenir d'Auguste la liberté de son pere, lui dit les larmes aux yeux, qu'il le réduisoit à la nécessité de vivre & de mourir ingrat vis-à-vis de lui, tenoit bien le propos d'une ame reconnoissante. On ne tombe point dans l'ingratitude, lorsque les moyens extérieurs nous manquent, si notre coeur est vraiment sensible : le coeur mesure les services qu'on rend, & le coeur en mesure aussi le ressentiment.

Je croirois que c'est une sorte de méconnoissance, quand l'on s'empresse trop de sortir d'obligation, d'effacer le plaisir reçu, & de demeurer quitte par une espece de compensation, munus munere expungendo ; car les lois de la gratitude sont différentes de celles d'une place de change.

Ceux-là sont encore plus blâmables, qui pour compensation, payent avec de la pâte de belles hécatombes, & qui présentent à Mercure des noyaux pour d'excellens fruits qu'ils ont reçus de sa main libérale.

Mais que penser de ces gens d'un naturel si dépravé, qu'ils rendent le mal pour le bien ; semblables à ces mauvaises herbes, qui brûlent la terre qui les nourrit. Il arrive quelquefois, dit Tacite, que lorsqu'un service est au-dessus de la récompense, l'ingratitude & la haine même prennent la place de la reconnoissance & de l'amitié, pro gratiâ rependitur odium. Séneque qui a épuisé ce sujet, va plus loin que Tacite ; il ajoute que de tels monstres sont capables de haïr à proportion qu'on les oblige. Quoi donc, ce qui doit le plus porter à la gratitude, produiroit des effets si contraires ? S'il étoit vrai que la bienfaisance pût exciter la haine, & qu'une si belle mere fût capable de mettre au jour un enfant si difforme, il ne faudroit pas s'étonner de voir des caracteres difficiles à recevoir des faveurs. Il est vrai qu'on ne doit pas prendre de toutes mains, ni donner de toutes mains ; s'il convient de recueillir des graces avec sentiment, avec jugement, il est bon de les dispenser de même ; mais d'ordinaire, nous ne savons faire ni l'un ni l'autre.

Quelques auteurs ont prétendu que les lois d'aucun peuple n'avoient porté de peines contre l'ingratitude, non plus que contre le parricide, pour ne pas présupposer des choses si détestables, & qu'une voix secrette de toute la nature semble assez condamner ; mais l'on pourroit leur nommer les Perses, les Athéniens, les Medes, ou plutôt les Macédoniens, qui ont reçu dans leurs tribunaux de justice l'action contre les ingrats. Les Romains & les Marseillois avoient autrefois des peines imposées contre les affranchis ingrats envers leurs anciens maîtres.

Ces sortes d'exemples avérés par l'histoire, ont fait souhaiter à d'honnêtes citoyens, qu'il y eût dans un siecle tel que le nôtre, une peine certaine & capitale établie contre ce vice, qui n'a plus de bornes à cause de son impunité. Hé quoi, répond M. le Vayer, voudroit-on dépeupler le monde ? Il n'y a point de prisons assez spacieuses pour resserrer la multitude de ceux qu'on accuseroit, ni beaucoup moins de places capables de recevoir le nombre de plaideurs, que cette sorte d'action feroit éclorre. Le Pnyce d'Athènes & les amphithéatres de l'ancienne Rome ne suffiroient pas au concours d'accusateurs & d'accusés.

Peut-être encore que si le nombre d'ingrats étoit reconnu aussi grand qu'il est par les poursuites judiciaires d'une action de droit reçue, on n'auroit plus de honte de se trouver en si belle & si nombreuse compagnie, composée principalement de gens du premier ordre, tous couverts de soie, d'or, & de pourpre.

Ajoutons que, comme il n'y auroit presque personne qui ne se plaignît d'avoir été payé d'ingratitude, il seroit très-difficile de peser exactement les circonstances qui augmentent ou qui diminuent le prix d'un bienfait.

Enfin, le mérite du bienfait seroit perdu, si l'on pouvoit poursuivre un ingrat comme on poursuit un débiteur, ou une personne qui s'est engagée par un contrat de louage. Le but propre d'un bienfait, c'est-à-dire d'un service, pour lequel on ne stipule point de retour, c'est d'un côté, de fournir l'occasion à celui qui le reçoit, de justifier sa libre reconnoissance par l'amour de la vertu ; & de l'autre, de montrer en n'exigeant rien de celui à qui l'on donne, qu'on lui fait du bien gratuitement, & non par des vûes d'intérêt.

Quoique rien n'oblige de fournir de beaux habits à des fous qui les déchirent, il faut toûjours compter sur l'ingratitude des humains, & plutôt s'y exposer, que de manquer aux misérables. L'injure se grave sur le métal ; une grace reçûe se trace sur le sable, & disparoît au moindre vent. Il faut moins servir les hommes pour l'amour d'eux, disoit un sage de la Grece, que pour l'amour des dieux qui le commandent, & qui récompensent eux-mêmes les bienfaits. C'est pourquoi Virgile place les ames bienfaisantes dans les champs élisées :

Quique sui memores alios fecere merendo,

Omnibus hîc niveâ cinguntur tempora vitâ.

On sait le mot de ce bon religieux rapporté par Philippe de Comines, au sujet de Jean Galéas, duc de Milan. " Nous nommons saints, tous ceux qui nous font du bien ". Je tiens pour dieu, tout ce qui me nourrit, disoit l'ancien proverbe grec. (D.J.)

INGRATITUDE, (Jurisprud.) l'ingratitude du donataire envers le donateur est une juste cause pour révoquer une donation entre-vifs, quoique de sa nature elle soit irrévocable.

Le donataire est coupable d'ingratitude, lorsqu'il a fait quelque injure grave au donateur, ou qu'il l'a battu & outragé, qu'il lui a causé de dessein prémédité la perte de ses biens ; s'il a refusé des alimens au donateur tombé dans l'indigence ; s'il a attenté à sa vie, ou y a fait attenter par d'autres ; enfin, si par affectation il a persisté dans un refus opiniâtre de satisfaire aux clauses de la donation.

Ce droit de révoquer une donation pour cause d'ingratitude, ne passe pas à l'héritier du donateur, si lui-même ayant connu l'ingratitude, l'a dissimulée & n'a point agi en justice pour faire révoquer la donation. Voyez la loi derniere au code de revoc. donat.

L'ingratitude du vassal envers son seigneur dominant, donne lieu à la commise du fief au profit du seigneur.

Le vassal se rend coupable d'ingratitude, lorsqu'il y a de sa part desaveu ou félonie. Voyez COMMISE, DESAVEU, LONIEONIE. (A)


INGRÉDIENTS. m. (Pharmacie) c'est par ce nom qu'on désigne le plus ordinairement une matiere considérée comme faisant partie d'une composition pharmaceutique.

Les ingrédiens solides de quelques-unes de ces compositions sont connus dans l'art sous le nom d'especes. Voyez ESPECES (Pharmacie). (b)


INGRIEIngria, (Géog.) province de l'empire russien, sur le fond du golfe de Finlande, abondante en poisson & en gibier ; on y fait la chasse des élans qui y viennent par troupes de Finlande, & traversent la Niva deux fois l'année, au printems & en automne. Les Ingriens sont des hommes vigoureux & d'une constitution robuste ; ils ressemblent beaucoup aux Finois & parlent la même langue, qui n'a aucun rapport avec toutes les autres langues du Nord. L'Ingrie fut conquise par Pierre le Grand sur la Suede ; S. Petersbourg en est la capitale. (D.J.)


INGUINALALE, adj. (Chirurgie) qui concerne l'aîne, appellée en latin inguen. On appelle en Chirurgie inguinal, un bandage fait avec une piece de toile coupée en triangle, sur laquelle sont attachés trois bouts de bande, savoir deux aux angles supérieurs pour être attachés autour du corps, & l'autre à l'angle inférieur qui s'attache à la ceinture après avoir passé de devant en arriere sous la cuisse du côté malade. Ce bandage est contentif ; on s'en sert lorsqu'on applique quelque emplâtre, cataplasme & compresses, &c. sur l'aîne. Voyez Planche XXVII. fig. 9. & 10. On fait un inguinal double, lorsque les deux aînes sont dans le cas d'être pansées. On appelle hernie inguinale, la descente qui se borne au pli de l'aîne. Voyez HERNIE. (Y)


INGWEILER(Géog.) petite ville de la basse-Alsace, sur la riviere de Motter.


INHABILEadj. (Jurisprud.) se dit de celui qui est incapable de faire ou de recevoir quelque chose.

Un impuissant, par exemple, est inhabile à la génération, & conséquemment au mariage.

Les enfans exhérédés & ceux qui ont renoncé, sont inhabiles à succéder. Voyez HABILE. (A)


INHABILETÉS. f. (Jurisprud.) est le défaut de capacité pour faire quelque chose, comme l'inhabileté à succéder, à s'obliger, à donner, disposer, tester, ester en jugement. Voyez INCAPACITE. (A)


INHABITABLEINHABITER, (Gram.) voyez HABITATION, HABITER.


INHAMBANE(Géog.) royaume d'Afrique sur la côte orientale de la Cafrerie, sous la ligne & sur le golfe de Sofala ; les habitans sont idolâtres. Dapper dit que la ville capitale s'appelle Tongue ; mais l'intérieur de tous ces pays-là nous est entierement inconnu, & nous ne connoissons que très-peu des côtes. (D.J.)


INHÉRENTadj. terme de Physique, se dit d'une qualité qui réside dans un corps, & qui ne lui vient point d'une action extérieure. On demande par exemple, si la pesanteur est une qualité inhérente à la matiere ; c'est-à-dire si c'est une qualité qui ne provienne pas de l'impulsion d'un fluide invisible, comme le prétendent les Cartésiens. Voyez ATTRACTION, GRAVITE, &c. (O)


INHIBITIONSS. m. pl. (Jurisprud.) sont des défenses faites à quelqu'un par la loi ou par un jugement, de faire quelque chose de contraire. (A)


INHUMANITÉS. f. (Gramm.) vice qui nous sort de notre espece, qui nous fait cesser d'être homme ; dureté de coeur, dont la nature sembloit nous avoir rendus incapables. Voyez HUMANITE.


INHUMATIONS. f. (Gramm.) l'action de mettre le corps d'un homme mort dans la sépulture. Il faut la volonté d'un testateur pour inhumer un corps hors de son église paroissiale. On n'a commencé qu'en 1200 d'inhumer dans les églises, ce qui doit les rendre mal-saines. L'inhumation s'est faite dans presque tous les tems, & chez presque tous les peuples, avec plus ou moins de pompe & de cérémonies.


INIMITABLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut imiter. Voyez IMITATION. La nature a des beautés inimitables. Tout ce qui porte un caractere de génie ou d'originalité, ne s'imite point.


INIMITIÉS. f. (Gramm.) c'est la haine entre des personnes faites pour s'aimer. Voyez HAINE.


ININTELLIGIBLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut entendre. L'obscurité qui rend une chose inintelligible, vient ou de la chose même, ou de la maniere dont elle est présentée.


INIQUEINIQUITé, (Gramm.) voyez INJUSTE, INJUSTICE. On dit un juge inique & un homme injuste ; d'où il semble que l'acception d'injuste est plus étendue que celle d'inique.


INIS-OWEN(Géog.) Avalonia ; petit pays d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté de Londonderri ; c'est une petite presqu'île sur la côte septentrionale de l'île.


INISHCORTHY(Géog.) petite ville d'Irlande, dans la province de Leinster, au comté de Wexfort, à 16 lieues N. E. de Ross. Long. 11. 2. lat. 52. 30. (D.J.)


INITIALadj. (Grammaire) On appelle lettre initiale la premiere lettre de chaque mot, comme on appelle finale la derniere. Initial vient du latin initium, entrée, commencement. L'exactitude de l'ortographe exige que quelques lettres initiales soient majuscules : ce sont,

1°. Dans la Poésie, la lettre initiale de chaque vers grand ou petit, soit qu'il commence un sens, soit qu'il ne fasse que partie d'un sens commencé.

Renonçons au stérile appui

Des grands qu'on implore aujourd'hui ;

Ne fondons point sur eux une esperance folle :

Leur pompe indigne de nos voeux

N'est qu'un simulacre frivole,

Et les solides biens ne dépendent pas d'eux.

Rousseau.

2°. La lettre initiale de toute phrase qui commence après un point ou un alinea.

3°. Les lettres initiales du nom de Dieu, & des noms propres d'hommes, d'animaux, de villes, de provinces, de royaumes ou empires, de fleuves ou rivieres, de sciences, d'arts, &c. comme Priscien, Bucéphale, Paris, Bourgogne, France, Allemagne, Tibre, Meuse, Grammaire, Ortographe, Musique, Menuiserie, &c.

4°. Les lettres initiales des noms appellatifs qui déterminent par l'idée d'une dignité, soit ecclésiastique, soit civile. Lorsque ces noms sont employés au lieu des noms propres, pour désigner les individus qui sont revêtus de ces dignités : ainsi on écrit avec une majuscule : le Roi reçut alors les preuves les plus éclatantes de l'affection de ses peuples, parce qu'il est question d'un individu ; mais on écrit avec une minuscule ; un roi doit faire son capital de mériter l'affection de ses sujets, parce que le nom roi demeure sans application individuelle. C'est la même chose de tout autre nom appellatif ou de tout adjectif, qui devient le connotatif d'un individu ; l'Apôtre, en parlant de S. Paul ; l'Orateur, en parlant de Cicéron, &c.

5°. Les lettres initiales des noms des tribunaux, des jurisdictions, des compagnies & corps ; comme le Parlement, le Bailliage, la Connétablie, l'Université, l'Académie, l'Eglise, &c. lorsque ces noms sont pris dans un sens individuel.

6°. On met quelquefois une lettre majuscule à la tête de certains mots susceptibles de divers sens dans l'usage ordinaire, & alors la majuscule initiale indique le sens le plus considérable : par exemple, les Grands (les premiers de la nation), pour distinguer ce mot de l'adjectif grand ; la jeunesse (âge tendre), la Jeunesse (les jeunes gens) ; les devoirs de votre état, les lois de l'Etat, &c.

Eviter de faire majuscules les lettres initiales dans tous ou dans plusieurs de ces cas, c'est une entreprise qui a droit de révolter la raison autant qu'elle choque les yeux. Outre que cette pratique est contraire à l'usage général de la nation, elle tend à nous priver de l'avantage réel qu'on a trouvé jusqu'à présent à se conformer là-dessus aux regles qu'on vient de prescrire, & ne peut être bonne qu'à bannir de notre écriture la netteté de l'expression, qui dépend toujours de la distinction précise des objets. Conformez-vous à l'usage reçu, quelque anomalie que vous pensiez y voir ; l'usage universel est moins capricieux & plus sage qu'on n'a coutume de le croire, & à s'en écarter, on risque au moins de choquer le grand nombre. (B. E. R. M.)

INITIALES, adj. f. pris subst. (Hist. anc.) On appelloit ainsi les mysteres de Cérès ; voyez CEREALES, parce que pour y assister, il falloit être initiés ou consacrés par des cérémonies particulieres.


INITIÉS. m. (Littérat.) On appelloit initiés dans le paganisme, ceux qui après des épreuves & purifications, étoient admis à la célébration des cérémonies & des mysteres.

Les fêtes & les initiations grecques ayant été établies sur le modele des fêtes & des initiations égyptiennes, les initiés s'engagerent pareillement à remplir certains devoirs & certaines formalités prescrites qu'on exigeoit d'eux ; mais nous n'en avons aucune connoissance, parce que les initiés se sont fait du secret une loi de religion inviolable. Ils se regardoient au milieu de leur patrie comme un peuple séparé par la convenance de leur culte, & comme un peuple choisi, qui devoit tout attendre de la protection des dieux. Tout ce qui a percé de la pratique des cérémonies des initiés, ne consiste qu'en des choses simples, légitimes & honnêtes, telles que l'usage de certaines prieres, des parfums & des fumigations. Leurs offrandes sur les autels étoient de la myrrhe pour Jupiter, du safran pour Apollon, de l'encens pour le soleil, des aromates pour la lune, des semences de toutes especes, excepté des feves, pour la terre. Ils reconnoissoient en même tems qu'ils rendoient un culte religieux à des hommes morts. " Puisque vous êtes initiés, dit Cicéron, vous savez que ceux même d'entre les dieux à qui on donne le premier rang, ont vêcu sur la terre avant que de monter au ciel ".

Pausanias rapporte que les initiés aux mysteres orphiques apprenoient par coeur & chantoient des hymnes composés par Orphée. Cet historien a mieux fait, il nous a conservé un de ces hymnes, qui méritoit de passer à la postérité, par la sagesse & le bon sens des idées qu'il renferme. " Accordez à vos initiés, disoit cet hymne, une santé durable, une vie heureuse, une longue & saine vieillesse. Détournez de vos initiés les vains phantomes, les terreurs paniques & les maladies contagieuses ". (D.J.)


INJACULATIONinjaculatio ; (Médecine) terme dont se sert van Helmont pour désigner une maladie qui consiste dans une douleur spasmodique violente de l'estomac, accompagnée de l'immobilité du corps. James, Dict. de Médecine.


INJECTERverb. act. (Anatom.) c'est la méthode de remplir les vaisseaux des animaux avec une liqueur colorée, qui se durcissant, tient les vaisseaux distendus & fermes, & laisse la liberté d'en observer plus exactement la distribution, la situation & les diamêtres, de découvrir le nombre de leurs ramifications & de leurs anastomoses, qu'il ne seroit pas possible d'appercevoir sans ce moyen.

La nature des instrumens, celle des liqueurs dont on se sert pour les injections, la maniere dont on veut faire l'injection, enfin la manoeuvre même de l'injection, sont autant d'articles dont on va donner l'explication.

C'est une découverte qui a beaucoup contribué à éclaircir l'économie animale. Malpighi & Glisson se sont servi de liqueurs colorées, mais Swammerdam paroît être le premier qui ait employé une préparation de cire. Il ajoute qu'il apprit cette méthode en 1666 à Van-Horne & à Hade ; ce ne fut qu'en 1668 que Graaf fit graver la figure des instrumens dont il falloit se servir, & qu'il décrivit tout ce merveilleux artifice. Mais Ruysch a poussé cet art si loin, que les plus savans hommes sont aussi pleins d'admiration que les plus ignorans, à la vue des prodiges qu'a opéré son industrie. Il faisoit une espece de mystere de son secret ; mais à présent les anatomistes sont suffisamment instruits de la maniere de remplir les vaisseaux.

L'instrument dont on se sert ordinairement pour pousser la liqueur dans les vaisseaux, est une forte seringue de cuivre, dont le piston doit couler avec aisance, & à laquelle peuvent s'adapter différens tuyaux qu'on y fixe par le moyen d'une vis ; les extrémités de ces tuyaux ont différens diamêtres, & sont sans vis, afin qu'ils puissent entrer dans d'autres tuyaux, & s'emboîter avec eux si exactement que pour peu qu'on les force l'un contre l'autre, rien ne puisse passer entr'eux. Mais parce que leur cohésion n'est pas assez forte pour résister à la force avec laquelle on pousse l'injection, & qu'il est à craindre que ce second tuyau ne soit repoussé, & que la matiere de l'injection ne s'échappe & ne fasse ainsi manquer l'opération, l'extrémité du second tuyau qui reçoit celui qui est fixe sur la seringue, doit avoir une partie quarrée terminée devant & derriere par un cercle élevé ou saillant, afin d'empêcher la clé qui embrasse étroitement l'entre-deux de ces cercles ou la partie quarrée, de glisser ; ou bien elle doit être garnie de deux branches de cuivre, afin de pouvoir la contenir avec deux doigts. L'autre extrémité de cette espece de tuyau est de différente grosseur, & il y a vers cette extrémité une hoche ou entaillure qui sert à arrêter un fil ; par le moyen de cette hoche, le fil qui lie ce vaisseau par lequel on doit faire l'injection, ne sauroit glisser : outre cette forme commune à tous les tuyaux de la seconde espece, on doit en avoir quelques-uns qui soient plus larges & qui soient configurés d'une autre maniere pour des cas particuliers. Par exemple, si l'on veut injecter les gros vaisseaux, le tuyau attaché à un grand vaisseau doit avoir une valvule ou un robinet, & qu'on puisse tourner selon le besoin pour empêcher que l'injection ne sorte du vaisseau par le tuyau ; autrement il faut que celui qui fait l'injection attende pour retirer la seringue, que la matiere injectée soit refroidie ; ou s'il retire trop tôt la seringue, l'injection s'échappe, & les gros vaisseaux se desemplissent. Lorsque la seringue n'est pas assez grande pour contenir toute la matiere nécessaire pour remplir les vaisseaux, il faut la remplir une seconde fois ; si l'on étoit obligé pour cela de retirer la seringue du tuyau attaché au vaisseau, il se perdroit de l'injection, & ce qui seroit exposé à l'air se refroidiroit & se durciroit. Pour éviter ces inconvéniens il faut avoir quelques tuyaux qui aient une branche courbe soudée latéralement, & une valvule disposée de maniere que la liqueur ne puisse pas passer du tuyau droit dans le tuyau courbe, mais qui au contraire la laisse passer du tuyau courbe dans le tuyau droit. Celui qui fait l'injection ayant alors soin de tenir l'extrémité du tuyau courbe dans la liqueur qui sert à l'injection, peut aussi-tôt qu'il a desempli la premiere seringue, la remplir de nouveau en tirant seulement le piston, & reïtérant cette manoeuvre avec diligence, il sera en état de pousser dans les vaisseaux tout autant de liqueur qu'il en faudra pour les injecter parfaitement. Tous ces différens tuyaux sont ordinairement faits de cuivre jaune ; ils peuvent néanmoins l'être de tout autre métal, comme d'étain, &c.

Les liqueurs dont on se sert lorsqu'on a dessein de remplir les vaisseaux capillaires, sont telles qu'elles peuvent se mêler ou avec l'eau ou avec les liqueurs grasses ; les unes & les autres ont des avantages & des inconvéniens. Toutes les différences especes de glues, comme la colle de poisson, la colle forte, &c. dissoutes & délayées dans l'eau, se mêlent aisément avec les liqueurs contenues dans les vaisseaux des animaux, ce qui est un grand avantage ; car elles pénetrent jusques dans les plus petits vaisseaux d'un sujet bien choisi & bien préparé, & souvent elles suffisent pour répondre à l'intention de l'anatomiste, lorsqu'il n'a d'autre dessein que de préparer quelque fine membrane, dont les vaisseaux sont si déliés, qu'il n'est pas possible de les appercevoir à la vue, si les sections transversales de ces vaisseaux sont circulaires, ou si leurs parois sont affaissées. Mais lorsqu'il faut aussi injecter les gros vaisseaux, ces sortes d'injections ont un inconvénient fâcheux, & la préparation en est moins utile & moins belle. En effet, si l'on n'injecte qu'une liqueur glutineuse, il n'est pas possible de conserver un sujet aussi long-tems qu'il en faut à la colle pour sécher & se durcir ; & comme en disséquant la partie injectée, il n'est guere possible qu'on ne coupe plusieurs vaisseaux, l'injection s'épanchera. Pour éviter cet inconvénient, on pourroit à la vérité tremper la partie dans l'esprit de vin qui coaguleroit la colle ; mais alors elle devient si fragile, qu'elle se casse pour peu qu'on la manie, & si l'on veut conserver la préparation, les gros vaisseaux se fléchissent presqu'entierement lorsque les parties aqueuses de l'injection sont évaporées. On pourroit aussi prévenir l'épanchement de l'injection en liant exactement chaque vaisseau avant que de le couper ; mais cela n'empêche pas que les vaisseaux ne se contractent lorsque la colle se desseche. Si pour obvier à ces inconvéniens, on commence à injecter d'une dissolution de colle ce qu'il en faut pour remplir les vaisseaux capillaires, & que pour remplir ensuite les grands vaisseaux, on se serve de l'injection grasse ordinaire, la cire ne va pas fort loin sans se congeler, & les deux sortes d'injections ne manquent jamais de se mêler irrégulierement ; desorte que les vaisseaux paroissent interrompus & cassés par la séparation mutuelle de ces deux liqueurs, ce qui devient encore plus sensible dans la suite à mesure que les parties aqueuses se dissipent. L'esprit de vin coloré se mêle avec les eaux & les huiles, & peut encore pénétrer jusques dans les plus petits vaisseaux ; mais d'un autre côté il coagule toutes les liqueurs animales qu'il rencontre, & qui quelquefois bouchent les vaisseaux de maniere que l'injection ne sauroit passer jusqu'aux capillaires ; d'ailleurs, l'esprit-de-vin ne peut tenir qu'avec peine, suspendues quelques-unes des poudres qui communiquent les couleurs les plus durables ; & comme il s'évapore à la fin entierement, les vaisseaux deviennent fort petits, & cette petite quantité de poudre colorée qui reste dans les vaisseaux n'ayant rien qui en tienne les parties liées & réunies entr'elles, elle paroît ordinairement interrompue en tant d'endroits, que les petites ramifications de vaisseaux ont plutôt l'apparence d'un coup de pinceau jetté au hasard, que de tuyaux réguliers & continus. Le suif fondu & mêlé avec un peu d'huile de térébenthine, peut quelquefois remplir les petits vaisseaux, & tient les plus gros suffisamment distendus ; mais il s'arrête dès qu'il rencontre quelque fluide dans les parties, & ne peut jamais pénétrer aussi avant que les autres liqueurs ; il a d'ailleurs si peu de ténacité qu'il se casse pour peu qu'on le manie, ce qui rend les préparations fort desagréables. Ce qui réussit le mieux pour les injections fines, c'est l'huile de térébenthine colorée qu'on pousse d'abord à la quantité requise pour remplir les plus petits capillaires, & immédiatement après on remplit les gros vaisseaux avec l'injection commune. L'huile de térébenthine est assez subtile pour pénétrer plus avant qu'aucune autre liqueur colorée : ses parties résineuses qui restent après l'évaporation des parties spiritueuses lient assez celles de la matiere qui a servi à la colorer pour les empêcher de se desunir, & elle s'incorpore intimement avec l'injection ordinaire ; de maniere que si l'injection est bien faite, il est impossible à la vue la plus perçante de s'appercevoir qu'on a employé deux sortes d'injections. Toutes les liqueurs dont on se sert pour injecter les vaisseaux des animaux n'ayant qu'une foible & presque toute une même couleur, ne paroîtroient pas du tout dans les plus petits vaisseaux, parce qu'elles y deviennent entierement transparentes. Il faut pour les rendre sensibles, y mêler quelque matiere capable de les colorer ; & lorsqu'on injecte différens vaisseaux d'une partie, même des plus gros, on a de la peine à distinguer les uns, à moins qu'on ne donne différentes couleurs aux injections, ce qui rend aussi les préparations plus belles. Pour cet effet les Anatomistes se servent de plusieurs matieres pour colorer leurs liqueurs selon leurs intentions ; telles par exemple, que la gomme gutte, le safran, l'ivoire brûlé, &c. qu'on peut avoir aisément. L'essentiel est d'examiner les matieres qui sont propres à être mêlées avec les liqueurs destinées à injecter les vaisseaux capillaires ; car il est rare qu'on ait besoin d'injecter d'autres vaisseaux, excepté certaines ramifications principales des arteres, & quelques veines. Les couleurs communément employées par ces deux dernieres sortes de vaisseaux, sont le rouge, le verd, & quelquefois le bleu. Les Anatomistes sans-doute, se sont proposés d'imiter les couleurs naturelles des arteres & des veines de l'animal vivant, en remplissant les unes avec une matiere rouge, & les autres avec une matiere bleue ou verte. Il résulte cependant d'autres avantages de ces couleurs, telle que la vive réflexion des rayons de lumiere, & le peu de disposition qu'elles ont à les laisser passer ou à devenir transparentes, sans quoi les vaisseaux les plus fins seroient encore imperceptibles après avoir été injectés. Les matieres animales & végétales dont on se sert pour colorer les injections, telles que la cochenille, la lacque, l'orcanette, le bois de Brésil, l'indigo, &c. ont en général l'inconvénient de se grumeler & de boucher ainsi quelques vaisseaux. Leurs couleurs aussi se passent trop tôt lorsqu'on fait dessécher les parties pour les conserver, & elles les communiquent encore aisément aux liqueurs dans lesquelles on conserve les préparations, outre qu'elles ont l'inconvénient d'attirer les insectes ; ainsi quoiqu'on réussisse assez souvent en se servant de ces couleurs, il faut cependant préférer les substances minérales, telles que la pierre calaminaire, le minium ou le vermillon, pour les injections rouges ; & de ces matieres le vermillon est encore préférable aux autres, parce qu'il donne une couleur plus vive, & qu'on le trouve ordinairement mieux broyé. La couleur verte qu'on employe généralement est le verd-de-gris, & celui qu'on nomme crystallisé vaut mieux encore, parce que sa couleur est plus éclatante, qu'il ne se grumelle jamais, & qu'il se dissout dans les liqueurs grasses.

Pour les injections fines, on prend une livre d'huile de térébenthine bien claire, & l'on y mêle peu-à-peu une once de vermillon ou de verd-de-gris crystallisé en poudre subtile, ou plutôt exactement broyé sur le porphyre ; il faut les agiter avec une spatule de bois jusqu'à ce que le mélange soit exact, & passer ensuite la liqueur par un linge fin. La séparation des parties les plus grossieres se fait encore mieux, en ne versant d'abord sur la poudre que quelques onces d'esprit de térébenthine, & agitant fortement avec une spatule : laissez un peu reposer, & versez par inclination dans un autre vase bien net l'esprit de térébenthine & le vermillon ou le verd-de-gris qui y est suspendu, & répétez cela jusqu'à ce que l'esprit de térébenthine n'enleve plus de la poudre, & qu'il n'en reste que les parties les plus grossieres. L'injection ordinaire se prépare ainsi : prenez une livre de suif, cinq onces de cire blanche ou jaune, trois onces d'huile d'olive, faites fondre ces matieres au feu de lampe ; lorsqu'elles seront fondues, ajoutez-y deux onces de térébenthine de Venise ; & quand elle sera mélée, vous y ajouterez environ deux onces de vermillon ou de verd-de-gris préparé, que vous mélerez peu-à-peu ; passez alors votre mélange par un linge propre & chauffé, pour séparer toutes les parties grossieres ; & si l'on veut pousser cette matiere plus avant dans les vaisseaux, on peut avant que de s'en servir, y ajouter un peu d'huile, ou esprit de térébenthine.

Voici quelques regles générales pour le choix d'un sujet convenable, 1°. Plus le sujet que l'on injecte est jeune, plus aussi, toutes choses d'ailleurs égales, l'injection se portera loin, & ainsi du contraire. 2°. Plus les fluides de l'animal auront été dissous & épuisés pendant sa vie, plus aussi le succès de l'opération sera grand. 3°. Moins la partie que l'on a dessein d'injecter est solide, plus les vaisseaux se rempliront. 4°. Plus les parties sont membraneuses & transparentes, plus l'injection sera sensible. C'est pourquoi, lorsque l'on injecte quelque partie solide d'un vieux sujet, qui est mort ayant les vaisseaux pleins d'un sang épais, à peine est-il possible de pousser l'injection dans quelques vaisseaux. Les principales choses que l'on doit avoir en vûe, lorsqu'on a dessein d'injecter un sujet, sont de dissoudre les fluides épaissis, de vuider les vaisseaux & de relâcher les solides, & d'empêcher que la liqueur injectée ne se coagule trop tôt. Pour remplir toutes ces fins, quelques auteurs proposent d'injecter par les arteres de l'eau tiede ou chaude jusqu'à ce qu'elle revienne claire par les veines, & les vaisseaux par ce moyen sont si bien vuidés de tout le sang qu'ils contenoient, que les parties en paroissent blanches. Ils conseillent ensuite de pousser l'eau, en introduisant de l'air avec force, & enfin de faire sortir l'air en pressant avec les mains les parties où il a été introduit. Après une semblable préparation, on peut parvenir, il est vrai, à faire des injections subtiles ; mais il y a ordinairement un inconvénient inévitable, qui est dans toutes les parties où il se trouve un tissu cellulaire tant-soit-peu considérable ; la tunique cellulaire ne manque jamais d'être engorgée d'eau qui gâte les parties qu'on a dessein de conserver dans des liqueurs ou de faire dessécher. Il est encore rare qu'il ne se mêle avec l'injection grasse, soit dans les grands, soit dans les petits vaisseaux, quelques parties aqueuses qui font paroître l'injection interrompue ; c'est pourquoi il vaut mieux se passer de cette injection avec l'eau, si on le peut, & faire macérer le sujet, ou la partie que l'on a dessein d'injecter pendant long-tems dans de l'eau chauffée au degré qu'on y puisse facilement porter la main : par le moyen de cette eau chaude, les vaisseaux seront suffisamment ramollis & relâchés, le sang deviendra fluide, & l'injection ne sera pas exposée à se refroidir si-tôt ; mais il faut avoir soin que l'eau ne soit pas trop chaude, car les vaisseaux se raccourciroient & le sang se durciroit. On peut, pendant la macération, exprimer de tems à autre, autant qu'il est possible, les liqueurs de l'animal, & les déterminer vers le vaisseau qu'on a ouvert pour pousser l'injection ; le tems qu'il faut continuer la macération est toujours proportionné à l'âge du sujet, à la grosseur, à la grandeur des parties qu'on veut injecter, & à la quantité de sang que l'on remarque dans les vaisseaux, ce qui ne peut guere s'apprendre que par l'expérience. Mais il faut au moins faire son possible pour que le sujet ou la partie macérée soit bien chaude, & continuer à presser en tous sens avec les mains jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sang, dans quelque situation qu'on mette le sujet. Lorsque la seringue à injecter l'injection & le sujet sont en état, il faut choisir un des tuyaux de la seconde espece, dont le diamêtre soit proportionné à celui du vaisseau par lequel doit se faire l'injection ; car si le tuyau est trop gros, il est évident qu'on ne pourra pas l'introduire, & s'il est beaucoup plus petit que le vaisseau, il ne sera pas possible de les attacher si bien que les tuniques des vaisseaux, en se repliant, ne laissent entr'elles & le tuyau quelque petit passage par lequel une partie de l'injection rejaillira sur celui qui injecte dans le tems de l'opération, & les vaisseaux les plus proches se vuideront en partie par la perte d'une portion de la liqueur injectée : lorsqu'on a choisi un tuyau convenable, il faut l'introduire dans l'orifice du vaisseau coupé, ou dans une incision qu'on y fait latéralement ; & alors ayant passé un fil ciré au-dessous & le plus près du vaisseau qu'il est possible, par le moyen d'une aiguille ou d'une sonde flexible & armée d'un oeil, il faut faire avec le fil le noeud du chirurgien, & le serrer autant que le fil le permet, ayant soin que le noeud porte sur la hoche ou entaillure du tuyau, autrement le noeud glisseroit, & le tuyau sortiroit du vaisseau dans le tems de l'opération, ce qui la rendroit inutile. S'il se trouve de grands vaisseaux coupés qui communiquent avec ceux qu'on a dessein d'injecter ; ou s'il y en a d'autres qui partent du même tronc, & qu'on ne veuille pas y faire passer l'injection, il faut les lier tous avec soin pour ménager la liqueur, & pour que l'opération réponde mieux à l'intention que l'on a pour lors. Tout cela étant fait, il faut faire chauffer au feu de la lampe les deux sortes d'injections, ayant toujours soin de les remuer continuellement, de crainte que la poudre qui leur donne la couleur ne se précipite au fond & ne se brûle. L'esprit de térébenthine n'a pas besoin d'être chauffé plus qu'il ne convient pour qu'on y tienne le doigt ; l'injection ordinaire doit presque bouillir. On aura avant tout cela enveloppé la seringue avec plusieurs bandes de linge qu'on mettra principalement aux endroits où l'opérateur doit la tenir, & qu'on affermira avec un fil ; il faut bien échauffer la seringue, en pompant à plusieurs reprises de l'eau bien chaude ; il faut aussi chauffer le tuyau attaché au vaisseau, en appliquant dessus une éponge trempée dans de l'eau bouillante. Tout étant prêt, & la seringue bien vuidée d'eau, l'opérateur la remplit de l'injection la plus fine ; & introduisant le tuyau monté sur la seringue dans celui qui est lié avec le vaisseau, il les presse l'un contre l'autre, tient avec une main ce dernier tuyau, prend la seringue de l'autre, & portant le piston contre la poitrine, il le pousse en s'avançant dessus ; ou bien il donne à un assistant le soin de tenir fermement le tuyau attaché au vaisseau ; & prenant la seringue d'une main, il pousse le piston de l'autre, & introduit ainsi l'injection, ce qui doit se faire lentement & sans beaucoup de force, d'une maniere cependant proportionnée à la longueur, à la masse de la partie que l'on injecte & à la force des vaisseaux. La quantité qu'il faut de cette injection fine s'apprend par l'usage ; la seule regle que l'on puisse suivre en cela est de continuer à pousser l'injection fine jusqu'à ce qu'on sente quelque résistance, qui demanderoit une force considérable pour être surmontée. Mais il n'en est pas de même lorsqu'on veut injecter toutes les branches d'un vaisseau ; comme, par exemple, si l'on veut injecter les vaisseaux de la poitrine seulement ; car l'aorte est trop grande, eu égard aux branches qui en partent, & il faut moins d'injection fine. Aussi-tôt qu'on a senti cette résistance, il faut tirer l'épiploon de la seringue, afin de desemplir les gros vaisseaux ; on ôte alors la seringue, on la vuide de ce qu'elle contient d'injection fine, & on la remplit de l'injection ordinaire qu'il faut pousser promtement & avec force, ayant toujours égard à la grandeur & à la solidité des vaisseaux & à la grosseur de la partie, &c. on continue à pousser le piston jusqu'à ce qu'on sente une entiere résistance, ou que la liqueur reflue, on doit s'arrêter alors, & ne plus pousser de l'injection ; autrement on ouvriroit quelques vaisseaux, & toute la préparation ou au moins une grande partie seroit perdue par l'extravasation. Il faut boucher le tuyau avant que de retirer la seringue pour la nettoyer, & donner à la matiere injectée en dernier lieu le tems de se refroidir, & de se coaguler avant que de disséquer aucune partie. C'est par ce moyen, & en observant les précautions qui viennent d'être indiquées, qu'on parvient à injecter les vaisseaux les plus déliés du corps, comme ceux de la substance corticale du cerveau, de la tunique choroïde & vasculeuse de l'oeil, du périoste, des os de l'oreille, enfin des vaisseaux des dents, de la peau des os & des visceres. J'ai crû faire plaisir à mes lecteurs en donnant ce détail sur un art aussi curieux que l'est celui des injections, & je l'ai fait avec d'autant plus de confiance que j'ai trouvé un guide sûr en M. Alexandre Monro, professeur d'Anatomie en l'université d'Edimbourg & de la société royale de Londres. En effet, je n'ai eu besoin que de transmettre & rédiger en forme d'article la dissertation que cet habile professeur a insérée dans les essais & observations de Médecine de la société d'Edimbourg, & qui se trouve dans la traduction françoise de cet ouvrage, tom. I. art. jx. pag. 113. & suiv.


INJECTIONS. f. en Anatomie. Voyez INJECTER.

INJECTION en Chirurgie est un médicament liquide qu'on pousse au moyen d'une seringue dans quelque cavité du corps, soit naturelle, ou faite par maladie. Plusieurs auteurs modernes se sont déclarés contre les injections. Ils leur trouvent plusieurs inconvéniens, comme de dilater les cavités, de presser leurs parois, de débiliter les solides, d'enlever le suc nourricier préparé par la nature pour la consolidation des plaies, d'introduire dans les cavités des plaies & des ulceres une certaine quantité d'air qui leur est nuisible ; enfin on leur reproche d'avoir trop peu de durée dans leur action. L'usage méthodique des injections annulle tous ces inconvéniens. Il est certain que par leur moyen on est parvenu à déterger des ulceres caverneux & fistuleux, & qu'elles ont évité aux malades des incisions, des contre-ouvertures qui sont des moyens plus douloureux. Les injections ont souvent entraîné des matieres étrangeres adhérentes aux parois des cavités où leur croupissement auroit eu des suites funestes, & qu'elles ont préparé à l'application salutaire d'un bandage expulsif qui auroit été sans effet, sans l'usage primitif des injections. Argumenter contre les injections de ce qu'elles ne font pas ce à quoi elles ne doivent point être employées, ou les mettre en parallele avec d'autres moyens, qui ne les admettent que préparatoirement ou concurremment, pour les condamner par un jugement absolu, c'est moins décrier les injections que les raisons par lesquelles on voudroit les proscrire. Elles transmettent des médicamens dans des lieux où il seroit impossible d'en introduire sous une autre forme. Tous les auteurs sont remplis d'observations sur leurs bons effets. M. de la Peyronie s'en est servi avec le plus grand succès dans le cerveau. Voyez dans le premier volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie un mémoire de M. Quesnay sur les plaies de ce viscere. Dans les épanchemens purulens de la poitrine, l'ouverture est nécessaire pour donner issue aux matieres épanchées. L'on donne encore pour regle, de mettre dans les pansemens les malades en une situation qui favorise l'écoulement du pus, de lui faire faire de fortes inspirations, de mettre une cannule qui empêche le séjour des matieres. Malgré toutes ces précautions, on ne sera pas dispensé d'avoir recours aux injections, si le pus est visqueux, si la substance du poumon en est abreuvée. M. Quesnay nous apprend dans son traité de la suppuration purulente que M. de la Peyronie étant réduit au seul secours des injections dans la cure d'un abscès à la poitrine, qui avoit formé une cavité fort considérable, où les matieres qui s'y accumuloient se multiplioient prodigieusement, fut obligé de réitérer les injections jusqu'à cinq fois & davantage en vingt-quatre heures. Par cette méthode, suivie avec application, il vint à bout d'arrêter la propagation des matieres, de les tarir entierement, & de terminer heureusement cette cure. Ce que M. de la Peyronie a fait si utilement dans les abscès du cerveau & du poumon, pourroit-il être exclus raisonnablement du traitement des abscès au foie ? On dira envain qu'il faut avoir grande attention à ne pas caverner ce viscere, dont le tissu lâche & tendre peut aisément se laisser pénétrer & abreuver. Le cerveau & le poumon sont-ils d'une texture moins délicate, & destinés à des fonctions moins importantes ? Il n'y a pas de réponse à cette observation.

Dans le cas d'épanchement sanguin dans la cavité du bas-ventre ou de la poitrine, qui exige qu'on fasse une ouverture, elle ne rempliroit pas la fin qu'on se propose, à moins qu'on ne parvienne à dégrumeler le sang épanché qu'on peut trouver adhérent aux parties qui forment les parois du vuide où est l'épanchement. Les injections avec le miel & du sel dissous dans de l'eau, auront la vertu de décoaguler le sang épaissi.

Dans les épanchemens de pus il faut faire les injections à grand lavage, afin d'entraîner, chaque fois qu'on panse l'abscès, tout le pus qui se trouve amassé dans sa cavité. Il faut que la liqueur soit alliée à des remedes qui lui donnent les qualités convenables à l'état des chairs. Elle doit être suppurative, émolliente ou digestive, si ces chairs sont endurcies ; mondificative, si elles sont relâchées & engorgées de matieres purulentes ; vulnéraire, balsamique & sans acrimonie, si l'on a l'intention d'empêcher seulement la dépravation des matieres qui suppurent ; vulnéraire, astringente & dessicative, si on veut s'opposer à l'affluence des humeurs & à la mollesse des chairs. On les renouvelle plusieurs fois le jour si la suppuration est fort abondante, & l'on s'assurera que la cavité est suffisamment lavée & nettoyée, lorsque l'injection qui sort ne paroît plus chargée de matieres.

Les injections sont d'une très-grande utilité dans les maladies des cavités naturelles du corps. On les fait utilement dans la vessie, & suivant la vertu qu'on donne à la liqueur injectée. On remédie par leur moyen à deux maladies directement opposées ; à l'atonie des fibres musculeuses, par des injections vulnéraires & toniques ; & à la corrugation, par des lotions émollientes & relâchantes. Les injections sont d'usage pour nettoyer & mondifier des vessies baveuses ou purulentes, détacher les pierres enkistées, & entraîner les sables & graviers qui séjournent dans sa cavité. Voyez BOUTONNIERES. On éprouve quelquefois dans l'opération de la taille, de la difficulté à charger la pierre sur laquelle la vessie se contracte après la sortie de l'urine. Dans ce cas, une injection émolliente écarte les parois de la vessie, ramene la pierre en-devant, & permet de la saisir aisément avec des tenettes.

Pour faire l'injection dans la vessie pour l'opération de la taille au haut appareil, il est commode de se servir d'une algalie particuliere. Voyez ALGALIE & Planche X. fig. 8. Voyez HAUT APPAREIL.

Les lavemens sont des injections dans l'intestin rectum ; on en fait dans cette partie pour les ulceres dont elle peut être affectée, ainsi que dans le vagin, & dans le canal de l'urethre des hommes. Les injections sont suspectes dans les cas de gonorrhées virulentes ; on peut néanmoins s'en servir utilement sur la fin, lorsqu'on n'a d'autre intention que de dessecher & de resserrer les orifices des vaisseaux affoiblis & relâchés : l'usage des bougies est fort approprié à ce cas. Voyez BOUGIE.

Le corps de la matrice admet des injections ; tous les auteurs qui ont parlé des maladies de ce viscere les recommandent. Mais M. Recolin, de l'académie royale de Chirurgie, paroît demontrer par le texte de plusieurs auteurs & par des réflexions judicieuses sur les cas pour lesquels ils les ont prescrites, qu'ils n'entendoient par injections dans la matrice, que des ablutions faites par le moyen d'une seringue dans la cavité du vagin. Cette discussion termine un mémoire très-utile, imprimé dans le troisieme tome des ouvrages de l'académie royale de Chirurgie par le même M. Recolin, sur l'efficacité des injections d'eau chaude dans la matrice, lorsqu'il y reste des portions de l'arriere-faix après des fausses-couches, l'auteur s'est trouvé plusieurs fois dans le cas de secourir des femmes menacées de périr, qu'il a délivrées par l'injection réitérée d'eau chaude dans la cavité de la matrice. Le tableau des accidens auxquels ces femmes étoient prêtes de succomber, comparé avec la simplicité du moyen que M. Recolin a employé, donne un grand prix à cette découverte, sur laquelle l'auteur s'explique néanmoins avec la plus grande modestie. M. Neuhoff, dans une these de sa composition soutenue à Leipsick en 1755, & qui a les injections dans la matrice pour objet, de enemate uterino, traite son sujet d'une maniere très-érudite. Il rapporte les passages des plus anciens écrivains sur les cas où ils ont cru les injections convenables ; mais on ne voit pas bien clairement qu'elles ayent été faites dans le corps même de la matrice : Harvey est le seul qui en parle d'une maniere non équivoque ; il a fait la même opération que M. Recolin a fait depuis. Il fut appellé pour voir une femme de qualité qui souffroit de la suppression des lochies, & qui avoit des accidens que l'auteur avoit vû souvent être les avant-coureurs d'une mort prochaine. Après avoir tenté inutilement les moyens ordinaires, il dilata l'orifice de la matrice avec une sonde, y porta un syphon, & fit une injection par laquelle il fit sortir plusieurs livres d'un sang noir, grumeleux & foetide ; la malade en fut soulagée sur le champ. Harvey rapporte qu'il a fait à une autre personne des injections dans le corps même de la matrice, pour une ulcération qu'il a guérie par ce secours.

Les injections se font avec fruit dans les maladies des oreilles, pour en déterger les ulcérations, & déraciner les amas de matieres cérumineuses. On assure qu'on a injecté les trompes d'Eustache, & qu'on a guéri la surdité par ce moyen : cela mérite confirmation. Personne n'ignore l'utilité des injections dans les maladies des voies lacrymales ; on les fait ou avec les petits syphons par les points lacrymaux, à la méthode d'Anel, ou suivant la méthode de M. de la Fôret chirurgien de Paris, par le nez, en portant un syphon courbe dans la partie inférieure du conduit nazal ; voyez le mémoire de ce praticien dans le second volume de l'académie de Chirurgie. Il paroît par une dissertation de M. Louis sur la fistule lacrymale, insérée dans ce méme volume, que MM. Morgagni & Bianchi ont été en dispute sur cet objet, bien avant que M. de la Forêt établît sa méthode. Les maladies du sinus maxillaire peuvent être traitées par les injections ; voyez dans ce Dictionnaire au mot GENCIVES, l'article MALADIES DES GENCIVES. On a employé avec succès les injections pour faire descendre dans l'estomac des corps étrangers arrêtés dans l'oesophage. Voyez REPOUSSOIR D'ARRETES.

Les regles à observer dans l'usage des injections, sont de donner à la liqueur un degré de chaleur qui ne soit que de quelques degrés au-dessus de celle des parties où on la porte. De se servir, pour peu que la cavité soit considérable, d'une seringue qui soit grande, & qui forme un gros jet, afin que l'injection puisse détremper & entraîner sûrement les matieres qui croupissent. Pour le cerveau, M. de la Peyronie recommande un conduit large & terminé en forme d'arrosoir, afin que la liqueur s'étende davantage, qu'elle lave mieux & fasse moins d'effort sur la substance du cerveau ; il ne faut pas dans ce cas ou semblable, pousser avec trop de force. On proportionnera la quantité de la liqueur à l'espace où elle doit être reçue : on mettra de la promtitude dans l'opération ; on favorisera la sortie de la liqueur par une position avantageuse, ou bien on la retirera avec une autre seringue ; enfin on en cessera l'usage lorsqu'il en sera tems. L'académie-royale de Chirurgie a proposé en 1757 pour le sujet du prix la question suivante. Déterminer les cas où les injections sont nécessaires pour la cure des maladies chirurgicales, & établir les regles générales & particulieres qu'on doit suivre dans leur usage. Le mémoire qui aura été couronné, sera imprimé dans le troisieme tome des recueils des prix. M. Berg.... qui a eu connoissance du programme de l'académie, a fait une dissertation latine sur le même sujet, qu'il a soutenu pour son doctorat en Medecine à Leipsick, au mois de Juin 1737. (Y)

INJECTION, (Pharmacie) L'injection est une liqueur quelconque destinée à être portée dans différentes cavités, soit naturelles, soit contre nature, telles que les oreilles, les points lacrymaux, les narines, la bouche, l'anus, la vessie, la vulve, les abscès, les fistules, &c.

La destination de cette liqueur ne demande de la part de l'artiste aucune considération particuliere. Une lessive ou dissolution saline, une décoction, une infusion, une teinture, une mixture, &c. n'exigent aucune circonstance de manuel particuliere pour être administrée sous forme d'injection.

L'injection destinée particulierement à la bouche, est connue dans l'art sous le nom de gargarisme. Voy. GARGARISME. Et celle qui est destinée à l'anus, ou pour mieux dire aux gros intestins, sont ceux de clystere, de lavement, de remede. Voyez CLYSTERE & LAVEMENT. (b)


INJONCTIONS. f. (Jurisprud.) signifie ordre ou commandement donné à quelqu'un par la loi ou par le juge, de faire quelque chose. (A)


INJURES. f. (Jurisprud.) dans une signification étendue se prend pour tout ce qui est fait pour nuire à un tiers contre le droit & l'équité : quidquid factum injuriâ, quasi non jure factum ; c'est en ce sens aussi qu'on dit, volenti non fit injuria.

Pour que le fait soit considéré comme une injure, il ne suffit pas qu'il soit dommageable à un tiers, il faut qu'il y ait eu dessein de nuire ; c'est pourquoi les bêtes n'étant pas capables de raison, le dommage qu'elles commettent est seulement appellé en droit pauperies, c'est-à-dire dommage ou dégât, & c'est improprement que parmi nous on l'appelle délit.

Injure dans une signification plus étroite, signifie tout ce qui se fait au mépris de quelqu'un pour l'offenser, soit en sa personne, ou en celle de sa femme, de ses enfans ou domestiques, ou de ceux qui lui appartiennent, soit à titre de parenté ou autrement.

Les injures se commettent en trois manieres ; savoir, par paroles, par écrit ou par effet.

Les injures verbales se commettent, lorsqu'en présence de quelqu'un ou en son absence, on profere des paroles injurieuses contre lui, qu'on lui fait quelques reproches outrageans ; que l'on chante des chansons injurieuses pour lui, ou qu'on lui fait quelques menaces de lui faire de la peine, soit en sa personne, ou en ses biens, ou en son honneur.

Les injures qui se commettent par écrit sont, lorsque l'on compose ou distribue des chansons, & autres vers & libelles diffamatoires contre quelqu'un. Ceux qui les écrivent ou qui les impriment, peuvent être poursuivis en réparation d'injure.

On peut mettre dans la même classe les peintures injurieuses, qui sont une autre maniere de divulguer les faits, & pour ainsi dire de les écrire. Pline rapporte que le peintre Clexides ayant été peu favorablement reçu de la reine Stratonice, pour se vanger d'elle en partant de sa cour, y laissa un tableau dans lequel il la représentoit couchée avec un pêcheur qu'elle étoit soupçonnée d'aimer ; cette peinture étoit beaucoup plus offensante qu'un libelle qu'il avoit écrit contre la reine.

Ces peintures injurieuses sont défendues à l'égard de toutes sortes de personnes. Bouchet rapporte un arrêt qui condamna en des dommages & intérêts un serrurier, pour avoir fait peindre un tableau en dérision de quelques maîtres de son métier.

On commet des injures par effet en deux manieres ; savoir, par gestes & autres actions, sans frapper la personne & sans lui toucher ; ou bien en la frappant de soufflets, de coups de poings ou de piés, de coups de bâton ou d'épée, ou autrement. Les lois romaines veulent que l'on punisse les injures qui sont faites à un homme, en sa barbe, en ses cheveux ou en ses habits ; comme si on lui tire la barbe ou les cheveux, si on lui déchire ses habits, ou si par mépris on jette quelque chose dessus pour les gâter.

Les gestes & autres actions par lesquels on peut faire injure à quelqu'un sans le frapper ni même le toucher, sont, par exemple, si quelqu'un leve la main sur un autre comme pour lui donner un soufflet, ou s'il leve le bâton sur lui pour le frapper ; si étant près d'un tiers il lui montre un gibet ou une rouë, pour faire entendre aux assistans qu'il auroit mérité d'y être attaché ; si en dérision de quelqu'un on lui montroit des cornes, ou si on faisoit quelqu'autres gestes semblables.

Un jeune homme ayant par gageure montré son derriere à un juge de village qui tenoit l'audience, le juge en dressa procès-verbal & decréta le délinquant, lequel fut condamné à demander pardon au juge étant à genoux, l'audience tenante, & à payer une aumône considérable, applicable aux réparations de l'auditoire ; ce qui fait voir que le ministere du moindre juge est toujours respectable.

Il a aussi été défendu aux comédiens & à toutes autres personnes dans les bals, de se servir d'habits ecclésiastiques ou religieux, parce que cela tourneroit au mépris des personnes de cet état & des cérémonies de l'Eglise.

M. Le Bret en ses quest. not. rapporte qu'un homme ayant été pendu en effigie, & la potence s'étant trouvée le lendemain abattue, la partie civile, au lieu de la faire redresser comme on le lui avoit permis, la fit porter par un sergent chez un oncle du condamné, lui signifiant qu'il l'en faisoit gardien comme de biens de justice ; l'oncle s'en étant plaint, il y eut arrêt qui ordonna, que la partie iroit un jour de marché avec un sergent & l'exécuteur reprendre la potence au lieu où ils l'avoient mise en dépôt, avec défenses de récidiver, sous peine de punition corporelle.

Les injures sont légeres ou atroces, selon les circonstances qui les font réputer plus ou moins graves ; une injure devient atroce par plusieurs circonstances.

1°. Par le fait même, comme si quelqu'un a été frappé à coups de bâton ; s'il a été griévement blessé, sur quoi il faut observer que les témoins ne déposent que des coups qu'ils ont vu donner ; mais la qualité des blessures se constate par des rapports de medecins & chirurgiens.

2°. Par le lieu où l'injure a été faite, comme si c'est en un lieu public : ainsi l'injure faite ou dite dans les églises, dans les palais des princes, dans la salle de l'audience, & sur-tout si l'offensé étoit en fonction, est beaucoup plus grave, que celle qui auroit été commise dans un lieu ordinaire & privé.

3°. La qualité de la personne qui a fait l'injure, & la qualité de l'offensé, sont encore des circonstances qui aggravent plus ou moins l'injure ; comme si c'est un pere qui a été outragé par ses enfans, un maître par ses domestiques, un seigneur par son vassal, un gentilhomme par un roturier. Plus l'offensé est élevé en dignité, plus l'injure devient grave ; comme si c'est un magistrat, un duc, un prince, un ecclésiastique, un prélat, &c. Telle injure qui seroit légere pour des personnes viles, devient grave pour des personnes qualifiées.

4°. L'endroit du corps où la blessure a été faite ; comme si c'est à l'oeil, ou autre partie du visage.

Les injures qui se font par écrit, sont ordinairement plus graves que celles qui se font verbalement, par la raison que, verba volant, scripta manent.

La loi divine ordonne de pardonner toutes les injures en général.

Les empereurs Théodose, Arcadius & Honorius, défendirent à leurs officiers de punir ceux qui auroient mal parlé de l'empereur ; quoniam, dit la loi, si ex levitate contemnendum, si ex insania miseratione dignissimum, si ab injuria remittendum. Ces empereurs ordonnerent seulement que le coupable leur seroit renvoyé, pour voir par eux mêmes si le fait méritoit d'être suivi ou seulement méprisé.

Du reste les lois civiles & même canoniques permettent à celui qui est offensé, de poursuivre la réparation de l'injure ; ce qui se peut faire par la voie civile ou par la voie criminelle.

Quoiqu'on prenne la voie civile, l'action en réparation d'injure doit toujours être portée devant le juge criminel du lieu où elle a été faite.

On ne peut pas cumuler la voie civile & la voie criminelle, & le choix de la voie civile exclut la voie criminelle ; mais celui qui avoit d'abord pris la voie criminelle peut y renoncer & prendre la voie civile.

La réparation des injures particulieres, c'est-à-dire qui n'intéressent que l'offensé, ne peut être poursuivie en général que par celui qui a reçu l'injure.

Il y a cependant des cas où un tiers peut aussi poursuivre la réparation de l'injure, savoir, lorsqu'elle rejaillit sur lui. Ainsi un mari peut poursuivre la réparation de l'injure faite à sa femme, un pere de l'injure faite à son enfant ; des parens peuvent vanger l'injure faite à un de leurs parens, lorsqu'elle rejaillit sur toute la famille ; des héritiers peuvent vanger l'injure faite à la mémoire du défunt ; un maître celle faite à ses domestiques ; un abbé celle qui est faite à un de ses religieux ; une compagnie peut se plaindre de l'injure faite à quelqu'un du corps, lorsqu'il a été offensé dans ses fonctions.

Lorsque l'injure est telle que le public y est intéressé, le ministere public en peut aussi poursuivre la réparation, soit seul, soit concurremment avec la partie civile, s'il y en a une.

Il est même nécessaire dans toutes les actions pour réparation d'injures, lorsque l'on a pris la voie criminelle, que le ministere public y soit partie pour donner ses conclusions.

Quoiqu'on ait rendu plainte d'une injure, le juge ne doit pas permettre d'en informer, à moins que le fait ne paroisse assez grave pour mériter une instruction criminelle, soit eu égard au fait en lui-même, ou à la qualité de l'offensant & de l'offensé & autres circonstances ; & si après l'information le fait ne paroît pas aussi grave qu'on l'annonçoit, le juge ne doit pas ordonner qu'on procédera par recolement & confrontation, mais renvoyer les parties à fin civile & à l'audience.

Pour que des discours ou des écrits soient réputés injurieux ; il n'est pas nécessaire qu'ils soient calomnieux, il suffit qu'ils soient diffamatoires, & les parties intéressées peuvent en rendre plainte quand même ils seroient véritables ; car il n'est jamais permis de diffamer personne. Toute la différence en ce cas est, que l'offensé ne peut pas demander une retractation, & que la peine est moins grave sur-tout si les faits étoient déjà publics ; mais si l'offensant a revélé quelque turpitude qui étoit cachée, la réparation doit être proportionnée au préjudice que souffre l'offensé.

On est quelquefois obligé d'articuler des faits injurieux, lorsqu'ils viennent au soutien de quelque demande ou défense, comme quand on soutient la nullité d'un legs fait à une femme, parce qu'elle étoit la concubine du défunt. Le juge doit admettre la preuve de ces faits ; & si la personne que ces faits blesse en demande réparation comme d'une calomnie, le sort de cette demande dépend de ce qui sera prouvé par l'évenement.

L'insensé, le furieux, & l'impubere étant encore en enfance ou plus proche de l'enfance que de la puberté, ne peuvent être poursuivis en réparation d'injures, utpotè doli incapaces.

Pour ce qui est de l'ivresse, quoiqu'elle ôte l'usage de la raison, elle n'excuse point les injures dites ou faites dans le vin : non est enim culpa vini, sed culpa bibentis : l'injure dite par un homme ivre est cependant moins grave que celle qui est dite de sang-froid.

Celui qui a repoussé l'injure qui lui a été faite, & qui s'est vangé lui-même, sibi jus dixit, il ne peut plus en rendre plainte, paria enim delicta mutuâ pensatione tolluntur.

Lorsqu'il y a eu des injures dites de part & d'autre, on met ordinairement les parties hors de cour, avec défenses à elles de se méfaire ni médire.

Quand l'injure est grave, il ne suffit pas pour toute réparation de la desavouer ou de déclarer que l'on se rétracte ; il peut encore selon les circonstances, y avoir lieu à diverses peines.

Il y eut une loi chez les romains qui fixa en argent la réparation dûe pour certaines injures, comme pour un soufflet tant, pour un coup de pié tant : mais on ne fut pas long-tems à reconnoître l'inconvénient de cette loi, & à la révoquer ; attendu qu'un jeune étourdi de Rome trouvant que l'on en étoit quitte à bon marché, prenoit plaisir à donner des soufflets aux passans ; & pour prévenir la demande en réparation, il faisoit sur le champ payer l'amende à celui qu'il avoit offensé, par un de ses esclaves qui le suivoit avec un sac d'argent destiné à cette folle dépense.

Les différentes lois qui ont été recueillies dans le code des lois antiques, n'ordonnoient aussi que des amendes pécuniaires pour la plûpart des crimes, & singulierement pour les injures de paroles, qui y sont taxées selon leur qualité avec la plus grande exactitude : on y peut voir celles qui passoient alors pour offensantes.

La loi unique au code de famosis libellis, prononçoit la peine de mort non-seulement contre les auteurs des libelles diffamatoires, mais encore contre ceux qui s'en trouvoient saisis. Les capitulaires de Charlemagne prononçoient la peine de l'exil ; l'ordonnance de Moulins veut que ceux qui les ont composés, écrits, imprimés, exposés en vente, soient punis comme perturbateurs du repos public.

Un édit du mois de Décembre 1704, a déterminé la peine dûe pour chaque sorte d'injure.

Mais nonobstant cet édit & les autres antérieurs ou postérieurs, il est vrai de dire qu'en France la réparation des injures est arbitraire, de même que celle de tous les autres délits, c'est-à-dire que la peine plus ou moins rigoureuse dépend des circonstances & de ce qui est arbitré par le juge.

L'action en réparation d'injures, appellée chez les Romains actio injuriarum, étoit du nombre des actions fameuses, famosae ; c'est-à-dire que l'action directe en cette matiere emportoit infamie contre le défendeur ou accusé, ce qui n'a pas lieu parmi nous.

Le tems pour intenter cette action est d'un an à l'égard des simples injures ; en quoi notre usage est conforme à la disposition du droit romain, suivant lequel cette action étoit annale ; mais s'il y a eu des excès réels commis, il faut vingt ans pour prescrire la peine.

Il n'y a point de garantie en fait d'injures, non plus qu'en fait d'autres délits ; c'est pourquoi un procureur qui avoit signé des écritures injurieuses à un magistrat, ne laissa pas d'être interdit, quoiqu'il rapportât un pouvoir de sa partie.

Outre le laps de tems qui éteint l'action en réparation d'injures, elle s'éteint encore,

1°. Par la mort de celui qui a fait l'injure, ou de celui à qui elle a été faite ; desorte que l'action ne passe point aux héritiers, à-moins qu'il n'y eût une action intentée par le défunt avant l'expiration du tems qui est donné par la loi, ou que l'injure n'ait été faite à la mémoire du défunt.

2°. La réconciliation expresse ou tacite éteint aussi l'injure.

3°. La remise qui en est faite par la personne offensée ; mais quoique l'action soit éteinte à son égard, cela n'empêche pas un tiers qui y est intéressé d'agir pour ce qui le concerne, & à plus forte raison, le ministere public, avec lequel il n'y a jamais de transaction, est-il toûjours recevable à agir pour la vindicte publique, si l'injure est telle que la réparation intéresse le public. Voyez au digeste & au code le titre de injuriis, & au code celui de famosis libellis. (A)

INJURE, TORT, synon. le tort trouble dans la possession des biens ou de la réputation ; il attaque la propriété. L'injure impute des défauts, des crimes, des vices, des fautes ; elle nie les bonnes qualités ; elle attaque la personne. L'homme juste ne fait pas de tort ; l'ame élevée ne se permet pas l'injure ; la grande ame pardonne le tort, & oppose à l'injure la suite de sa vie.


INJUSTE(L',) Droit naturel, action contraire à la volonté du Créateur, & que la raison desapprouve. Voyez JUSTE (le,) Droit naturel. (D.J.)


INJUSTICES. f. (Droit naturel) violation des droits d'autrui ; il n'importe qu'on les viole par avarice, par sensualité, par un mouvement de colere, ou par ambition, qui sont autant de sources intarissables des plus grandes injustices ; c'est le propre au contraire de la justice, de résister à toutes les tentations par le seul motif de ne faire aucune breche aux lois de la société humaine. Voyez JUSTICE.

On conçoit néanmoins qu'il y a plusieurs degrés d'injustice, & l'on peut les évaluer par le plus ou le moins de dommage qu'on cause à autrui : ainsi les actions où il entre le plus d'injustice, sont celles qui troublant l'ordre public, nuisent à un plus grand nombre de gens.

Hobbes prétend que toute injustice envers les hommes suppose des lois humaines, & ce principe est très-faux ; car, quoique les maximes de la droite raison, ou les lois naturelles, soient des lois de Dieu seul, elles sont plus que suffisantes pour donner à l'homme un vrai droit de faire ce que la raison lui dicte, comme permis de Dieu. Une personne innocente, par exemple, a droit à la conservation de sa vie, à l'intégrité de ses membres, aux alimens nécessaires ; & sans toutes ces choses, elle ne pourroit pas contribuer à l'avancement du bien commun : ainsi on lui feroit certainement une criante injustice de lui ôter la vie, de lui retrancher quelque membre, parce que toute atteinte donnée aux droits d'autrui, est une injustice, quelle que soit la loi humaine, en vertu de laquelle on a acquis ces droits. (D.J.)


INN(L',) Géog. les anciens l'ont nommé Aenus, ou Oenus, riviere d'Allemagne, qui prend sa source au pays des Grisons, arrose dans son cours la ville d'Inspruck, & lui donne son nom, coule entre la Baviere & le Tirol, se joint ensuite à la riviere de Saltz, serpente enfin vers le Nord, jusqu'à-ce que rencontrant le Danube, elle se perd dans ce fleuve, entre Passau & Instadt : on appelle Innthal, la vallée où elle coule. (D.J.)


INNÉadj. (Gram. & Philosoph.) qui naît avec nous ; il n'y a d'inné que la faculté de sentir & de penser ; tout le reste est acquis. Supprimez l'oeil, & vous supprimez en même tems toutes les idées qui appartiennent à la vûe. Supprimez le nez, & vous supprimez en même tems toutes les idées qui appartiennent à l'odorat ; & ainsi du goût, de l'ouie, & du toucher. Or toutes ces idées & tous ces sens supprimés, il ne reste aucune notion abstraite ; car c'est par le sensible que nous sommes conduits à l'abstrait. Mais après avoir procédé par voie de suppression, suivons la méthode contraire. Supposons une masse informe, mais sensible ; elle aura toutes les idées qu'on peut obtenir du toucher ; perfectionnons son organisation ; développons cette masse, & en même tems nous ouvrirons la porte aux sensations & aux connoissances. C'est par l'une & l'autre de ces méthodes qu'on peut réduire l'homme à la condition de l'huitre, & élever l'huitre à la condition de l'homme. Voyez ce qu'il faut penser des idées innées aux articles INNE & IDEE.


INNÉRATA(Géog.) petite ville d'Ecosse, capitale de la province d'Argyle ; elle est sur le bord du lac Gilb, qui communique avec la baie, qu'on appelle Lockfin. Sa position est à 14 lieues N. O. d'Edimbourg, 112 N. O. de Londres. Long. 12. 15. lat. 56. 32. (D.J.)


INNERKITHING(Géog.) port de mer de l'Ecosse méridionale dans le golfe de Forth, à trois lieues N. O. d'Edimbourg, 102 N. O. de Londres. Long. 14. 35. lat. 56. 22. (D.J.)


INNERNESSInnernium, (Géog.) Cambden dit NESSUM ad cognominem fluvium, ville de l'Ecosse septentrionale, capitale d'une contrée de même nom, avec un port. C'est une ville commerçante ; les rois d'Ecosse y faisoient autrefois leur résidence dans le château qui est bâti sur une colline. Elle est à l'embouchure de la Ness, à 34 lieues d'Edimbourg, 130 N. O. de Londres. Long. 13. 58. lat. 57. 36. (D.J.)


INNOCENCES. f. (Gram.) il n'y a que les ames pures qui puissent bien entendre la valeur de ce mot. Si l'homme méchant concevoit une fois les charmes qu'il exprime, dans le moment il deviendroit homme juste. L'innocence est l'assemblage de toutes les vertus, l'exclusion de tous les vices. Qui est-ce qui parvenu à l'âge de quarante ans avec l'innocence qu'il apporta en naissant, n'aimeroit pas mieux mourir, que de l'altérer par la faute la plus légere ? Malheureux que nous sommes, il ne nous reste pas assez d'innocence pour en sentir le prix ! Méchans, rassemblez-vous, conjurez tous contre elle, & il est une douceur secrette que vous ne lui ravirez jamais. Vous en arracherez des larmes, mais vous ne ferez point entrer le desespoir dans son coeur. Vous la noircirez par des calomnies ; vous la bannirez de la société des hommes ; mais elle s'en ira avec le témoignage qu'elle se rendra à elle-même, & c'est vous qu'elle plaindra dans la solitude où vous l'aurez contrainte de se cacher. Le crime résiste à l'aspect du juge ; il brave la terreur des tourmens ; le charme de l'innocence le trouble, le desarme, & le confond ; c'est le moment de sa confrontation avec elle qu'il redoute ; il ne peut supporter son regard ; il ne peut entendre sa voix ; plusieurs fois il s'est perdu lui-même pour la sauver. O innocence ! qu'êtes-vous devenue ? Qu'on m'enseigne l'endroit de la terre que vous habitez, afin que j'aille vous y chercher : sitis arida postulat undam, & vocat unda sitim. Je n'attendrai point au dernier moment pour vous regretter.


INNOCENS(LES) s. m. pl. (Théolog.) est le nom d'une fête que l'on célebre en mémoire des enfans qu'Hérode fit massacrer.

On faisoit autrefois des danses dans les églises le jour de la fête des innocens, & l'on y représentoit des évêques en dérision de la dignité épiscopale ; ou comme d'autres le prétendent avec plus de vraisemblance, en l'honneur de l'innocence de l'enfance. Voyez EPISCOPUS PUERORUM. Ces danses furent défendues par un canon du concile de Cognac, tenu en 1260. Malgré ces défenses, les abus subsisterent encore long-tems, & ne furent totalement abolis, du-moins en France, qu'après l'année 1444, où les docteurs de Sorbonne écrivirent à ce sujet une fort belle lettre adressée à tous les évêques du royaume.


INNOCENTadj. (Jurisprud.) est celui qui n'est point coupable d'un crime. L'accusé pour prouver son innocence, peut demander d'être admis à la preuve de ses faits justificatifs ; mais on ne l'y admet qu'après la visite du procès.

Il n'est pas d'usage dans le style ordinaire de déclarer innocent, celui contre lequel il n'y a pas de preuve qu'il soit coupable, on le renvoye absous, ou on le décharge de l'accusation ; ce qui suppose son innocence ; car lorsqu'il y a quelque doute, on met seulement hors de cour.

Cependant le Roi ayant pardonné au prince de Condé qui avoit pris les armes contre lui, au lieu de lettres de grace lui accorda des lettres d'innocentation, voulant par-là effacer toute idée de crime. Voyez ABOLITION, GRACE, PARDON, REMISSION. (A)


INNOMBRABLEadj. (Gram.) qui ne se peut nombrer. L'acception de tous ces termes indéfinis varie dans l'esprit des hommes : pour un sauvage qui ne peut pas compter jusqu'à cinquante, l'innombrable commence au-de-là de ce nombre.


INNOMINATIS, LES(Hist. littéraire) académiciens établis à Parme sous cette dénomination.


INNOMINÉadj. en Anatomie, nom de différentes parties du corps humain, auxquelles les Anatomistes n'avoient point donné de nom.

La glande innominée, voyez LACRYMAL.

Les os innominés, voyez HANCHE & ILES.

Les nerfs innominés, voyez TRIJUMAUX.


INNOVATIONS. f. (Gouvernement politique) nouveauté, ou changement important qu'on fait dans le gouvernement politique d'un état, contre l'usage & les regles de sa constitution.

Ces sortes d'innovations sont toûjours des difformités dans l'ordre politique. Des lois, des coutumes bien affermies, & conformes au génie d'une nation, sont à leur place dans l'enchaînement des choses. Tout est si bien lié, qu'une nouveauté qui a des avantages & des desavantages, & qu'on substitue sans une mûre considération aux abus courans, ne tiendra jamais à la tissure d'une partie usée, parce qu'elle n'est point assortie à la piece.

Si le tems vouloit s'arrêter, pour donner le loisir de remédier à ses ravages.... Mais c'est une roue qui tourne avec tant de rapidité ; le moyen de réparer un rayon qui manque, ou qui menace !...

Les révolutions que le tems amene dans le cours de la nature, arrivent pas-à-pas ; il faut donc imiter cette lenteur pour les innovations utiles qu'on peut introduire dans l'état ; car il ne s'agit pas ici de celles de la police d'une ville particuliere.

Mais sur-tout, quand on a besoin d'appuyer une innovation politique par des exemples, il faut les prendre dans les tems de lumieres, de modération, de tranquillité, & non pas les chercher dans les jours de ténebres, de trouble, & de rigueurs. Ces enfans de la douleur & de l'aveuglement sont ordinairement des monstres qui portent le desordre, les malheurs, & la désolation. (D.J.)


INNTHAL(Géog.) c'est-à-dire la vallée d'Inn, contrée d'Allemagne dans le Tirol, arrosée par la riviere d'Inn ; Inspruck en est la capitale. (D.J.)


INOBSERVANCEou INOBSERVATION, s. f. (Gram.) mépris, négligence, infraction des lois ou regles présentes. On dit l'inobservation des commandemens de l'Eglise, l'inobservation du carême, l'inobservance des constitutions d'un état.


INOCULATIONS. f. (Chirurgie, Medecine, Morale, Politique) ce nom synonyme d'insertion, a prévalu pour désigner l'opération par laquelle on communique artificiellement la petite vérole, dans la vue de prévenir le danger & les ravages de cette maladie contractée naturellement.

Histoire de l 'inoculation jusqu'en 1759. On ignore l'origine de cet usage, dont les premiers medecins arabes sont peut-être les inventeurs. Il subsiste, de tems immémorial, dans les pays voisins de la mer Caspienne, & particulierement en Circassie, d'où les Turcs & les Persans tirent leurs plus belles esclaves. La Motraye, voyageur françois, l'y a vû pratiquer en 1712. C'est de-là vraisemblablement que cette coutume a passé en Grece, en Morée & en Dalmatie, où elle a plus de 200 ans d'ancienneté. Son époque n'a point de terme fixe en Afrique, sur les côtes de Barbarie, sur celles du Sénégal, ni dans l'intérieur du continent, non plus qu'en Asie, en divers endroits de l'Inde, particulierement à Bengale, enfin à la Chine, où elle a reçu une forme particuliere. Elle a été anciennement connue dans quelques parties occidentales de l'Europe, sur-tout dans la principauté de Galles en Angleterre ; le docteur Schwenke l'a trouvée établie parmi le peuple en 1712, dans le comté de Meurs & le duché de Cleves en Westphalie. Bartholin en parle dans une lettre imprimée à Copenhague en 1673. On en trouve des vestiges dans quelques provinces de France, & particulierement en Périgord.

Il y a plus de 80 ans que l'inoculation fut apportée ou renouvellée à Constantinople par une femme de Thessalonique, qui opéroit encore au commencement du siecle présent, à-peu-près de la même maniere qu'en Circassie. Cette femme & une autre greque de Philippopolis avoient inoculé très-heureusement dans la même capitale plusieurs milliers de personnes. Emmanuel Timoni & Jacques Pilarini, de la même nation, l'un premier medecin du grand-seigneur, l'autre qui l'avoit été du czar Pierre, tous deux docteurs en l'université de Padoue, & le premier en celle d'Oxford, témoins l'un & l'autre pendant plusieurs années des succès constans des deux greques, adopterent cette pratique, & la firent connoître dans le reste de l'Europe. Timoni, par divers écrits latins publiés dans les transactions philosophiques au mois de décembre 1713, dans les actes des Savans de Leipsick en 1714, dans les éphémérides des curieux de la nature en 1717, dont l'un est rapporté par la Motraye à la suite de son voyage, comme l'ayant reçu du même Timoni au mois de Mai 1712 ; & Pilarini, par un petit ouvrage latin imprimé à Venise en 1715. Antoine le Duc, autre medecin grec, né à Constantinople, où lui-même avoit été inoculé, soutint une these en faveur de l'inoculation à Leyde en 1722, en recevant en cette université le bonnet de docteur, & publia une dissertation sur la même matiere. Tous attestent unanimement qu'ils n'ont jamais vu d'exemple d'un inoculé qui ait depuis repris la petite vérole.

Dès le mois de Février 1717, M. Boyer, doyen actuel de la faculté de Paris, dans une these soutenue à Montpellier, avoit osé dire & prouver, qu'il étoit plus à propos d'exciter par art une petite vérole bénigne, que d'abandonner à la nature une affaire de cette conséquence dans un cas où cette tendre mere sembloit se conduire en marâtre, &c.

La même année, ladi Vortley Montague, ambassadrice d'Angleterre à la Porte ottomane, eut le courage de faire inoculer à Constantinople son fils unique, âgé de six ans, par Maitland son chirurgien, & depuis sa fille à son retour à Londres en 1721. Alors le college des Medecins de cette ville demanda que l'expérience fût faite sur six criminels condamnés à mort. Après l'heureux succès de cette tentative, & d'une autre sur cinq enfans de la paroisse de S. James, la princesse de Galles fit inoculer à Londres, sous la direction du docteur Sloane, ses deux filles, l'une depuis reine de Danemarck, & l'autre princesse de Hesse-Cassel, & quelques années après le feu prince de Galles à Hanovre. Mais tandis que les docteurs Sloane, Fuller, Broady, Schadwel, que l'évêque de Salisbury & plusieurs autres docteurs en Medecine & en Théologie confioient la vie de leurs enfans à l'inoculation ; un medecin obscur & un apoticaire la décrioient dans leurs écrits, & un théologien prêchoit que c'étoit une invention du diable qui en avoit fait le premier essai sur Job. Le docteur Arbuthnot, sous le nom de Maitland, réfuta le premier par un écrit très-fort & très-mesuré. Le mépris & le silence répondirent au théologien fanatique.

M. Jurin, docteur en Medecine, secrétaire de la société royale, recueillit avec soin, & publia pendant plusieurs années, dans les transactions philosophiques, & d'une maniere fort impartiale, le résultat des expériences de la nouvelle méthode, faites tant dans la Grande-Bretagne que dans la Nouvelle-Angleterre. Rebuté par les contradictions qu'il essuya, il se déchargea sur M. Scheuchzer de la continuation de ce travail, qui consiste dans une nombreuse collection de faits recueillis en différens lieux, attestés par des témoins connus & soigneusement discutés dans de longues listes d'inoculés, ainsi que de morts & de malades de la petite vérole naturelle, & dans des comparaisons raisonnées des unes & des autres. Ces pieces authentiques & le parallele qu'on peut faire par leur moyen des effets de l'une & de l'autre petite vérole, peuvent seules fournir des principes fixes, & servir de guide dans une recherche où la seule théorie pourroit nous égarer. Il n'est pas encore tems d'en tirer les conséquences.

L'écrit déja cité de Timoni sur l'inoculation, avoit été apporté en France en 1718 ou 1719 par le chevalier Sutton, précédemment ambassadeur d'Angleterre à la Porte, & la traduction en avoit été lûe au conseil de régence. Mais les succès de la nouvelle méthode ne furent bien connus parmi nous qu'en 1723, par une lettre imprimée que M. Dodart, premier médecin du Roi, se fit adresser par M. de la Coste, medecin françois, qui arrivoit de Londres. Outre un extrait fort bien fait des relations & calculs publiés jusqu'alors en Angleterre, cette lettre faisoit mention d'une consultation de neuf docteurs de Sorbonne en faveur des expériences de l'inoculation que l'auteur proposoit de faire à Paris. L'aveu de M. Dodart, le suffrage de MM. Chirac, Helvetius & Astruc, cités dans la même lettre, la these de M. Boyer, aujourd'hui doyen de la faculté, soutenue à Montpellier dès 1717, seroient plus que suffisans pour justifier les Medecins françois du reproche qu'on leur a fait de s'être de tout tems opposés à l'inoculation, quand on n'auroit pas vu depuis ce tems M. Senac premier medecin, M. Falconet medecin consultant du Roi, le célebre M. Vernage, M. Lieutaud medecin de Mgr. le duc de Bourgogne, & plusieurs autres, donner à cette méthode des témoignages publics de leur approbation. De quel droit attribueroit-on à tout un corps l'opinion de quelques-uns de ses membres, qui se croient obligés de proscrire sans examen tout ce qui leur paroît nouveau ?

Quelques excès commis par de jeunes gens récemment inoculés, qui payerent leur imprudence de leur vie en 1723, fournirent un prétexte spécieux aux clameurs des ennemis de la nouvelle méthode, dont elles arrêterent les progrès à Londres & dans les colonies angloises. Le bruit qui s'en répandit en France & la mort de M. le duc d'Orléans régent cette même année, empêcherent les expériences qu'on se proposoit de faire. A peine ce prince eut-il les yeux fermés qu'on soutint dans les écoles de Medecine de Paris une thèse remplie d'invectives contre l'inoculation & ses partisans, dont la conclusion étoit purement théologique : Ergo variolas inoculare nefas. Bien-tôt après, M. Hecquet, ennemi juré de toute nouveauté en Medecine, publia une dissertation anonyme, intitulée : Raisons de doute contre l 'inoculation. Paris 1724. Sous ce titre si modéré, l'auteur se déchaînoit avec aveuglement contre la nouvelle pratique ; son respect pour l'antiquité est son plus fort argument ; & son plus grand grief contre l'opération qu'il proscrit, est qu'elle ne ressemble à rien en Medecine, mais bien plutôt, ajoûte-t-il, à la magie. La relation des succès de la nouvelle méthode par M. Jurin, étoit la meilleure réponse qu'on pût faire aux déclamations de M. Hecquet. La traduction de l'ouvrage anglois par M. Noguet, medecin de Paris, ne parut qu'en 1725 ; elle étoit précédée d'une apologie de l'inoculation. Le journal des Savans n'en donna qu'un extrait très-superficiel & peu favorable, & ne parla qu'avec dédain & en passant, cette même année, de la lettre de M. de la Coste, publiée depuis deux ans. Celui-ci étant mort à-peu-près en ce tems, & M. Noguet ayant été placé medecin du roi à Saint-Domingue, où il est encore, l'inoculation fut oubliée en France.

Cependant elle faisoit de nouvelles conquêtes en Asie. Une lettre du P. Dentrecolles, missionnaire jésuite à Pekin, imprimée dans le recueil des lettres édifiantes & curieuses, tome XX. nous apprend qu'en 1724 l'empereur de la Chine envoya des medecins de son palais semer la petite vérole artificielle en Tartarie où la naturelle faisoit de grands ravages, & qu'ils revinrent chargés de présens. M. de la Condamine rapporte, dans son voyage de la riviere des Amazones, que vers ce même tems un carme portugais, missionnaire sur les bords de cette riviere, voyant périr tous ses indiens d'une petite vérole épidémique, presque toujours mortelle pour ces peuples, eut recours à l'insertion, qu'il ne connoissoit que par les gazettes, & sauva le reste de son troupeau. Son exemple fut suivi non-moins heureusement par un de ses confreres, missionnaire de Rionegro, & par un chirurgien de la colonie portugaise du Para, dont quelques habitans ont eu depuis recours au même expédient dans une autre épidémie.

En 1728, M. de Voltaire dans une de ses lettres sur les Anglois, traita de l'inoculation en peu de mots, avec l'énergie & l'agrément que sa plume répand sur tout ce qu'elle effleure. Le moment n'étoit pas favorable : cette opération étoit alors négligée, même en Angleterre.

Une épidémie violente en releva l'usage dans la Caroline en 1738, & bien-tôt dans la Grande-Bretagne, où elle a marché depuis à pas de géant.

En 1746, des citoyens zélés de Londres firent une de ces associations qui ne peuvent avoir pour but que l'amour du bien public, & dont jusqu'ici l'Angleterre seule a donné l'exemple. Ils fonderent à leurs frais une maison de charité pour traiter les pauvres de la petite vérole naturelle, & pour inoculer ceux qui s'offriroient à cette opération. Depuis cette fondation, & depuis qu'on inocule les enfans-trouvés de cette capitale, les avantages de cette pratique sont devenus si palpables, les succès de M. Ramby, premier chirurgien de S. M. B. & de plusieurs célebres inoculateurs, si nombreux & si connus, que cette méthode n'a plus aucun contradicteur à Londres parmi les gens de l'art.

En 1748, M. Tronchin, inspecteur du collége des Medecins d'Amsterdam, introduisit l'inoculation en Hollande, & commença par la pratiquer sur son propre fils. Il en recommanda l'usage à Genève sa patrie où elle fut adoptée en 1750. Deux des premiers magistrats de cette république en donnerent l'exemple sur leurs filles, âgées de seize ans. Leurs concitoyens les imiterent, & depuis ce tems la méthode de l'insertion y devint commune. Le public fut instruit de ses succès en 1752 par le traité de M. Butini, medecin de Montpellier aggrégé à Genève ; & en 1753, par un mémoire de M. Guiot dans le second tome de l'académie de Chirurgie. Cette même année, au mois d'octobre, M. Gelée, docteur en Medecine soutint à Caen une thèse en faveur de la petite vérole artificielle.

Ce fut aussi en l'année 1750 que l'inoculation pénétra dans le coeur de l'Italie. Il régnoit alors une violente épidémie sur la frontiere de Toscane & de l'état ecclésiastique. Tous les enfans y succomboient. Le docteur Peverini, medecin de Citerna hasarda l'inoculation sur une petite fille de cinq ans presque éthique, couverte de gale, nourrie par une femme infectée du mal vénérien. La matiere avoit été prise d'une petite vérole confluente, dont le malade étoit mort. La petite fille guérit. Quatre cent enfans du même canton furent préservés par le même moyen. Leurs meres les inoculoient pendant leur sommeil, à l'insû de leurs peres, avec une épingle trempée dans le pus d'un bouton varioleux bien mûr. Plusieurs confreres du docteur Peverini, entr'autres le docteur Lunadei, aujourd'hui premier medecin d'Urbin, imiterent son exemple, & ce dernier inocula ses propres enfans.

Au commencement de 1754, le docteur Kirkpatrik mit au jour à Londres son analyse de l'inoculation.

Le 24 Avril suivant, M. de la Condamine, par la lecture qu'il fit à l'assemblée publique de l'académie des Sciences de Paris, d'un mémoire sur cette matiere, la tira de l'oubli profond où elle sembloit plongée à Paris depuis trente ans.

A-peu-près dans le même tems, M. Chais, ministre évangélique à la Haye, donna son essai apologétique de l'inoculation, imprimé à Harlem ; & l'automne suivante, M. Tissot de la faculté de Montpellier, publia son inoculation justifiée.

A Lausanne, quatre ouvrages sur le même sujet, dont trois en françois, dans le cours de quelques mois, & leurs extraits répandus par la voie des journaux, réveillerent enfin & fixerent l'attention publique sur un objet important au bien de l'humanité. L'inoculation devint en France la nouvelle du jour. Elle acquit des partisans ; on soutint la même année une thèse en sa faveur à Paris sur les mêmes bancs où elle avoit été si maltraitée en 1723.

Le 30 Octobre 1754, deux princesses de la maison royale-électorale de Hanovre furent inoculées à Londres. Au mois de Novembre suivant le docteur Maty, aujourd'hui garde de la bibliotheque du cabinet britannique, donna, en s'inoculant lui-même, une nouvelle preuve que l'insertion ne produit aucun effet sur ceux qui ont eu la petite vérole naturellement.

La doctrine de l'inoculation n'avoit encore été traitée en France que spéculativement & par maniere de controverse ; & personne jusqu'alors n'avoit fait usage de ce nouveau préservatif. Le premier françois qui lui confia volontairement sa vie, fut M. le chevalier de Chatelus, à l'âge de vingt-deux ans. Il se fit inoculer au mois de Mai 1755. M. Tenon, maître en Chirurgie, aujourd'hui de l'académie des Sciences, fit l'opération. Elle avoit été précédée & fut suivie de quelques autres, que M. le chevalier Turgot, par zèle pour le bien de l'humanité, avoit fait faire par le même chirurgien sur des enfans du peuple, du consentement de leurs parens.

Peu de tems après, M. Hosty, docteur-régent de la faculté de Paris, revint de Londres, où il étoit allé muni de recommandations du ministere de France, pour s'instruire par lui-même des détails de la préparation & du traitement des inoculés. Sa relation, publiée dans plusieurs journaux littéraires, contenoit un grand nombre de faits nouveaux, propres à dissiper tous les doutes. Ce fut le moment où les critiques commencerent à s'élever, la plûpart fondées sur des faits légerement hasardés, & depuis démentis par divers écrits & par le certificat public du college des Medecins de Londres.

On continua d'inoculer à Paris pendant l'automne de 1755 ; & déjà l'on parloit d'introduire cet usage dans l'hôpital des enfans-trouvés, seul moyen de le rendre commun, & d'en faire partager le fruit au peuple, lorsque ses progrès naissans furent arrêtés par la mort de la plus jeune de deux soeurs qui subirent cette opération ; accident d'autant plus malheureux qu'on l'auroit dû prévoir, & qu'il eut pour cause une circonstance dont l'inoculateur ne fut pas instruit. Cependant le 13 Novembre suivant on soutint même à Paris une nouvelle thèse de médecine, en faveur de l'inoculation.

Au commencement de l'année suivante 1756, M. Tronchin fut appellé de Genève par M. le duc d'Orléans, qui se détermina de son propre mouvement à faire inoculer les princes ses enfans. L'opération faite le 12 Mars fut très-heureuse. Cet exemple illustre fut suivi d'un grand nombre d'autres, & sur des sujets de la premiere distinction, tant enfans qu'adultes. Trois dames entr'autres qui avoient un double avantage à recueillir de l'inoculation, furent les premieres à en profiter ; elles firent un grand nombre de prosélytes dans leur sexe. Ce fut alors que les anti-inoculistes redoublerent leurs clameurs ; l'un dans une thèse remplie de personnalités indécentes ; l'autre dans un ouvrage par lequel il déféroit sérieusement l'inoculation aux évêques, curés & magistrats du royaume. La thèse fut desavouée par le censeur de la faculté ; la dénonciation ne parut que ridicule.

La nouvelle méthode a percé dans quelques provinces de France, sur-tout à Nîmes & à Lyon. Il y a eu plus de cent personnes inoculées dans cette derniere ville, dont aucune n'est morte. Mais les progrès de l'inoculation en France ne sont rien en comparaison de ceux qu'elle a faits dans le Nord, depuis que le mémoire de M. de la Condamine, traduit dans la plûpart des langues de l'Europe, a porté la conviction dans les esprits. On inocule à Copenhague, on établit des hôpitaux d'inoculation en Suede, & cette pratique n'y a pas plus de contradicteurs qu'en Angleterre ; elle est aujourd'hui fort répandue en Westphalie & dans tout l'électorat de Hanovre. Elle commence à gagner à Berlin depuis qu'on a reconnu par expérience que la petite vérole naturelle n'y est pas toujours aussi bénigne qu'on le supposoit. Dès 1753 la même méthode avoit passé de Genève en Suisse, où M. de Haller & MM. Bernoulli l'ont accréditée par les exemples qu'ils en ont donnés sur leurs familles, & M. Tissot par ses écrits. M. de la Condamine dans son voyage d'Italie en 1755, fit de nouveaux prosélytes à l'inoculation. C'est à sa persuasion que M. le comte de Richecour, président du conseil de Toscane, l'établit la même année dans l'hôpital de Sienne, & qu'on en fit à Florence des expériences que le D. Targioni a rendu publiques ; elle a depuis été pratiquée avec succès à Lucques. Les négocians anglois l'avoient portée depuis long-tems à Livourne, mais la pratique en étoit demeurée renfermée dans le sein de leurs familles.

Jusqu'en 1757 aucun auteur italien n'avoit écrit contre la petite vérole artificielle. Cette année elle fut attaquée à Rome par deux dissertations italiennes, morales & théologiques, d'un auteur anonyme, & à Vienne en Autriche par quatre questions latines de M. de Haen, medecin hollandois, docteur en l'université de Vienne. Elles ont été réimprimées & traduites en françois à Paris en 1758, à la suite du tableau de la petite vérole, nouvelle édition d'une dissertation publiée dès 1755 par un medecin de la faculté de Paris, qui prétend avoir pratiqué l'inoculation très-heureusement, & qui l'a depuis abandonnée sur des oüis-dire, la plûpart convaincus de fausseté.

Au mois de Novembre 1758, M. de la Condamine lut à l'assemblée publique de l'académie des Sciences un second mémoire, depuis imprimé à Genève, comprenant la suite de l'histoire & du progrès de l'inoculation depuis 1754. Il y répond sommairement aux critiques précédentes, & particulierement aux questions du docteur de Vienne, à qui M. Tissot a répondu depuis plus au long & très-solidement en 1759. Plusieurs écrits polémiques pour & contre ont paru, & paroissent journellement sur cette matiere, depuis quatre ans, dans le mercure de France & dans divers journaux.

Dans l'histoire précédente de l'inoculation, nous nous sommes renfermés dans les faits de notoriété publique, dont aucun ne peut être contesté, nous ne nous sommes permis aucune réflexion.

Pratique de l'inoculation. L'insertion de la petite vérole se fait de différentes manieres en différens pays. La Motraye qui vit faire cette opération en Circassie l'année 1712 sur une jeune fille de quatre à cinq ans, rapporte que l'opératrice qui étoit une femme âgée, se servit de trois aiguilles liées ensemble, avec lesquelles elle piqua l'enfant au creux de l'estomac, à la mamelle gauche, au nombril, au poignet droit, & à la cheville gauche. Les femmes grecques, dont l'une pratiquoit l'inoculation à Constantinople depuis 30 ans, & qui avoient inoculé plusieurs milliers de sujets, se servoient d'une aiguille triangulaire, tranchante, avec laquelle elles faisoient au patient de petites blessures à différentes parties du corps, en y joignant certaines superstitions. Le point capital de leur opération consistoit à mêler avec le sang des piquûres, de la matiere liquide récemment recueillie des boutons d'une petite vérole naturelle & bénigne. A Bengale on perce la peau entre le pouce & l'index, avec une aiguille & un fil imbu de pus varioleux. A Tripoli de Barbarie le chirurgien fait une incision sur le dos de la main entre le pouce & l'index, & on y introduit un peu de matiere exprimée des boutons les plus gros & les plus pleins d'une autre petite vérole. Au pays de Galles les enfans se grattent le dessus de la main jusqu'au sang, la frottent contre celle du malade actuel de la petite vérole, & prennent la maladie. M. Tronchin se contente d'entamer la peau avec une emplâtre vésicatoire, & de placer sur la plaie un fil qui a traversé un bouton mûr de petite vérole.

Tous ces moyens paroissent également propres à introduire le virus dans le sang, ce qui est le but de l'opération ; mais le contact seul suffit : la maladie se communique en tenant seulement dans la main pendant quelque tems, de la matiere des pustules prise dans le tems de la suppuration. Un chirurgien de Padoue nommé Bertri, a inoculé sa fille en lui appliquant un parchemin enduit de cette matiere sous les aisselles, sous les jarrets & sur les poignets. A la Chine on introduit dans le nez du coton parfumé, saupoudré de croutes varioleuses desséchées. On a reconnu en Angleterre que cette méthode étoit dangereuse : elle fut essayée en 1721 sur une fille de dixhuit ans du nombre des six criminels choisis pour subir l'épreuve de l'inoculation ; elle eut des violens maux de tête, & fut plus malade que tous les autres. L'incision que Timoni avoit déja substituée aux piquûres, a prévalu. L'expérience a fait aussi connoître qu'il importe peu ou point que la matiere soit prise d'une petite vérole bénigne ou maligne, & qu'une seule incision suffit, quoiqu'on en fasse ordinairement deux, soit aux bras ou aux jambes, tant pour avoir une plus grande certitude que l'opération produira son effet, que pour ouvrir un double canal à l'épanchement de la matiere varioleuse, & pour rendre par ce moyen celle qui forme les boutons moins abondante, moins âcre & moins corrosive. On s'est encore assuré par expérience, & les Chinois l'avoient déja reconnu, que la matiere propre à l'inoculation se conserve plusieurs mois, & que prise d'une petite vérole, soit naturelle soit artificielle, elle n'en produit pas moins son effet.

Voici la méthode pratiquée par M. Ramby, premier chirurgien du roi d'Angleterre, le plus célebre & le plus heureux des inoculateurs. C'est celle qu'on a suivie le plus communément à Genève.

Les enfans ont à peine besoin de préparation : quelques jours de régime & une ou deux purgations suffisent ; rarement on emploie la saignée. A l'égard des adultes, comme il s'agit de disposer le corps à une maladie inflammatoire, plus le sujet est sain & vigoureux, plus généralement parlant ses forces ont besoin d'être affoiblies par la saignée, la diete, l'usage des remedes rafraîchissans. On y joint quelques purgatifs & quelquefois les bains. Il est à propos de consulter un medecin sage, qui connoisse le tempérament de celui qu'il dispose à l'inoculation, & qui puisse lui prescrire un régime convenable.

Quant à l'opération, on fait aux deux bras dans la partie externe & moyenne, au-dessous de l'insertion du muscle deltoïde, pour ne point gêner la liberté du mouvement, une incision de moins d'un pouce de long, & si peu profonde, qu'elle entame à peine la peau. On insere dans la plaie un fil de la même longueur, imprégné de la matiere d'un bouton mûr & sans rougeur à sa base, pris d'une petite vérole soit naturelle soit artificielle, d'un enfant sain ; on couvre le tout d'un plumasseau, d'un emplâtre de diapalme, & d'une compresse qu'on assujettit avec une bande. On leve cet appareil environ quarante heures après, & on panse la plaie une fois toutes les vingt-quatre heures.

Quoique les premiers jours après l'opération, le sujet soit en état de sortir, on lui fait garder la chambre & continuer le régime. On le met au lit quand les symptômes commencent à paroître ; ordinairement c'est le six ou le septieme jour ; on lui retranche alors la viande, & on lui prescrit la même diete que dans les maladies aiguës. Tous les symptomes cessent par l'éruption ; l'inflammation des plaies diminue, elles donnent plus de matiere. Le nombre des boutons est ordinairement peu considérable, & va rarement à deux ou trois cent sur tout le corps. Ils ne laissent point de cicatrices. Le dixieme jour après l'éruption les plaies commencent à se remplir ; le quinzieme à se cicatriser : elles se ferment souvent le vingtieme. Si l'on voit qu'elles continuent à fluer, il ne faut pas se hâter de les fermer.

Quelquefois le venin s'échappe presque tout par les plaies ; ensorte que le malade n'a qu'une ou deux pustules ; quelquefois même par une seule. On a reconnu qu'il n'en est pas moins à l'abri de contracter la petite vérole naturelle, quand même on l'inoculeroit de nouveau, ce qu'on a plusieurs fois éprouvé. La preuve évidente que c'est le virus varioleux qui sort par les incisions, c'est que cette matiere étant insérée dans un autre corps y produit une petite vérole sous la forme ordinaire. M. Maty a été témoin de cette expérience.

On choisit pour inoculer une saison qui ne soit ni trop froide ni trop chaude. Le printems & l'automne y paroissent également propres. On préfere ordinairement le printems, parce que la belle saison favorise la convalescence ; mais il y a nombre d'exemples d'inoculations qui ont réussi en toute saison. Les opératrices grecques inoculoient en hiver à Constantinople. L'été est, d'un aveu général, la saison la moins convenable, cependant on inocule avec succès à la Jamaïque qui est située dans la Zone torride. M. Tronchin vient d'inoculer à Genève au mois d'Août 1759, une dame de Paris qui vouloit être en état de revenir au mois de Septembre ; il est vrai que par des précautions très-recherchées, il a trouvé le moyen d'entretenir le thermometre de Reaumur de quinze à dix-sept degrés dans la chambre de la malade, tandis qu'à l'air extérieur, il montoit à vingt-trois & vingt-quatre degrés.

Le succès de cette opération est sur-tout singulier par les circonstances qui l'ont précédée. La personne qui l'a subie étoit d'un tempérament très-délicat, affoibli par dix ans d'infirmités & de remedes ; il s'y étoit joint un ulcere aux reins. Il a fallu commencer par la guerir de tous ses maux. On desespéroit encore de sa vie quelques mois après son inoculation. Elle jouit aujourd'hui d'une bonne santé.

On n'inocule guere à l'hôpital de Londres les adultes passé trente-cinq ans. En quoi l'on a peut-être plus égard à conserver à la méthode tout son crédit, qu'à l'utilité générale.

Avantages de l'inoculation. Danger de la petite vérole naturelle. Certains avantages de l'inoculation se présentent au premier aspect. D'autres ne peuvent être reconnus que par l'examen & la comparaison des faits.

On voit d'abord qu'on est le maître de choisir l'âge, le lieu, la saison, le moment, la disposition de corps & d'esprit ; le medecin & le chirurgien auxquels on a plus de confiance. On prévient par la préparation les accidens étrangers, l'épidémie, la complication de maux, qui probablement font tout le danger de la petite vérole. La fermentation commence par les parties externes : les plaies artificielles facilitent l'éruption en offrant au virus une issue facile.

Quelle comparaison peut-on faire entre une maladie préméditée & celle qui se contracte au hazard ; en voyage, à l'armée, dans des circonstances critiques, sur-tout pour les femmes ; dans un tems d'épidémie qui multiplie les accidens, qui transporte le siege de l'inflammation dans les parties internes d'un corps déja peut-être épuisé de veilles & de fatigues ?

Quelle différence entre un mal auquel on s'attend & celui qui surprend, qui consterne, que la seule frayeur peut rendre mortel ; ou qui se produisant par des symptomes équivoques, peut induire en erreur le medecin le plus habile, & faire agraver le mal par celui de qui l'on espere le remede ? Voilà ce que dictent le bon sens & le raisonnement le plus simple. L'expérience est encore plus décisive : elle prouve que la matiere de l'inoculation, fût-elle prise d'une petite vérole compliquée, confluente, mortelle même, ne laisse pas de communiquer presque toujours une petite vérole simple, discrette, exempte de fievre, de suppuration, toujours plus bénigne que la naturelle, si souvent funeste ; une petite vérole enfin qui ne laisse point de cicatrice.

Mais pour estimer plus exactement les avantages de l'inoculation, il faut connoître la mesure du danger de la petite vérole ordinaire, & le comparer à celui de la petite vérole inoculée. C'est ce qu'on ne peut faire qu'à l'aide des listes du docteur Jurin, le guide le plus sûr & presque le seul que nous ayons sur cette matiere. La petite vérole exerce fort inégalement ses ravages. En 1684 à Londres, sur mille morts, il n'en mourut que sept de cette maladie, c'est-à-dire 1 sur 149. En 1681 & 1710, la proportion des morts de la petite vérole aux autres morts, étoit de 125 & de 127 par 1000, ou d'un huitieme ; mais année commune elle est de 72 par 1000, ou d'un quatorzieme. C'est le résultat des listes mortuaires de Londres de quarante-deux ans, qui comprennent plus de 900000 morts. Ces mêmes listes prolongées pendant vingt-quatre autres années par une société de medecins & de chirurgiens de Roterdam, donnent encore la même proportion.

Par d'autres dénombremens de morts & de malades de la petite vérole, non à Londres, mais dans diverses provinces d'Angleterre, où la petite vérole passe pour être plus bénigne que dans la capitale, recueillis par le même M. Jurin, & montant à plus de 14500, il a trouvé que de six malades de la petite vérole, il en mouroit communément un. Par ses premieres énumérations sur 4600 personnes, il avoit d'abord trouvé le rapport des malades aux morts de cette maladie, comme de 5 à 1, & M. Schultz, medecin suédois, qui a écrit depuis deux ans, établit la même proportion. On a estimé à Genève, mais assez vaguement & sans produire de liste, que le danger de la petite vérole n'étoit communément en cette ville que d'1 à 10, par conséquent la moitié moindre qu'en Suede. Cependant Genève a précédé Stockholm de plusieurs années dans l'accueil qu'elle a fait à la petite vérole artificielle. Nous écrivons principalement pour Paris, où la petite vérole passe pour être très-meurtriere. Nous supposerons qu'elle enleve un malade sur sept, ce qui tient à peu-près le milieu entre le résultat de Genève & celui de Suede.

On seroit mal fondé à dire que les calculs précédens ne sont bons que pour l'Angleterre. Les limites de la plus grande à la moindre mortalité causée par la petite vérole, variant à Londres depuis 7 jusqu'à 127 sur 1000, on voit que cette maladie est quelquefois moins fâcheuse en cette ville que dans les pays où elle passe pour être la plus bénigne, & d'autres fois qu'elle y est aussi redoutable que dans les endroits où elle est réputée la plus dangereuse ; par conséquent son degré moyen de mortalité, tiré des listes mortuaires de Londres pendant soixante-six ans, & qui comprennent plus de quinze cent mille morts, ne peut être fort différent dans les autres régions de l'Europe. Nous poserons donc pour principes d'expériences 1°. que la quatorzieme partie du genre humain périt tôt ou tard de la petite vérole ; 2°. que de sept malades attaqués naturellement de cette maladie, il en meurt un communément. Voyons maintenant quel risque on court par l'inoculation.

Dans les commencemens que cette opération fut connue en Angleterre & dans les colonies angloises, on s'y livra d'abord après les premieres expériences avec une sorte d'enthousiasme fondé sur les succès constans qu'elle avoit eus à Constantinople, où, de l'aveu de trois medecins, Timoni, Pilarini, le Duc, on connoissoit à peine aucun exemple d'accident ; mais la maniere de vivre ordinaire des Anglois qui se nourrissent de viandes succulentes, & font beaucoup d'usage du vin & des liqueurs fermentées, exigeoit sans-doute plus de préparation que la vie simple & frugale de la plûpart des Grecs modernes ; & cependant on avoit pratiqué l'insertion à Londres, & sur-tout en Amérique, avec beaucoup d'imprudence, sur des gens de tout âge & de tout tempérament ; sur des enfans au berceau, des femmes grosses, des infirmes, des blancs & des noirs de moeurs très-suspectes, & cela presque sans aucune précaution. M. Jurin par la comparaison des listes qui lui furent envoyées, & qu'il rendit publiques, trouva qu'il étoit mort en Amérique un inoculé sur soixante, & à Londres un sur quatre-vingt-onze, sans distinguer les accidens étrangers d'avec ceux dont on pouvoit soupçonner l'inoculation d'être cause. Les adversaires de la méthode prétendirent qu'il en étoit mort un sur quarante-neuf ou cinquante. Leur exagération, en la prenant pour vraie au pié de la lettre, est la preuve la plus évidente des avantages de l'inoculation ; c'est un aveu arraché aux anti-inoculistes, que la petite vérole inoculée est encore sept fois moins dangereuse que la naturelle, à laquelle, sur un pareil nombre, sept au moins auroient succombé. Mais depuis que la méthode s'est perfectionnée, & qu'on s'est rendu plus circonspect sur le choix des sujets, au lieu d'en perdre un sur cinquante, il y a tel inoculateur qui n'en a pas perdu un sur mille. M. de la Condamine a donc pû dire avec raison : La nature nous décimoit, l'art nous millésime. Ce succès n'est pas au-dessus de celui qu'on est en droit d'attendre aujourd'hui, puisque dans l'hôpital de l'inoculation de Londres, où les malades, quelque attention qu'on ait pour eux, ne peuvent espérer les mêmes soins qu'un particulier aisé dans sa maison ; sur cinq cent quatre-vingt-treize inoculés, la plûpart adultes, il n'en est mort qu'un en quatre ans, expiré le 21 Décembre 1755. C'est ce que nous apprend la liste publiée en 1756 par les administrateurs de cette maison ; & c'est en même tems une preuve qu'on fait un choix de ceux qu'on y reçoit, puisque sur un pareil nombre de gens pris au hazard, plus d'un, sans essuyer d'opération, auroit payé le tribut à la nature dans l'espace d'un mois, que nous prenons pour le terme de la convalescence. Il n'est donc pas prouvé qu'on puisse légitimement attribuer à l'opération bien dirigée, la mort d'un inoculé sur six cent. Cependant pour éviter toute contestation, nous admettrons la possibilité d'un accident, non-seulement sur six cent opérations, mais d'un sur deux cent ; & c'est en partant de cette supposition réellement fausse, c'est en accordant aux adversaires de la méthode trois fois plus qu'ils ne peuvent exiger, que nous ferons la comparaison du risque de la petite vérole naturelle & de l'artificielle.

La premiere, de sept malades en emporte au moins un. La seconde, de 200 en sauve au moins 199 ; & sur ce nombre la petite vérole ordinaire, en prélevant la septieme partie, auroit choisi plus de vingt-huit victimes. Nous supposons que l'inoculation s'en reserve une, le malade de la petite vérole naturelle court donc au moins vingt-huit fois plus de risque de la vie que l'inoculé, sans parler des autres avantages que nous avons précédemment exposés, dont un seul, celui de préserver de la laideur, est pour une moitié du genre humain d'un aussi grand prix que la conservation de la vie.

Telle est la conséquence directe des deux principes d'expérience que nous avons posés ; mais ce n'est pas la seule ; il en est d'autres que nous allons développer, qui ne s'apperçoivent pas au premier coup d'oeil ; elles porteront un grand jour sur une question jusqu'à présent abandonnée aux conjectures, & sur laquelle les Medecins même sont partagés ; savoir si la petite vérole est universelle, du moins presque universelle, ou si une grande partie du genre humain se dérobe à ce tribut.

Qu'il y ait des gens, des medecins même qui se persuadent que la petite vérole n'est pas aussi fréquente qu'on le croit communément, & qu'un très-grand nombre d'hommes parviennent à la vieillesse sans avoir éprouvé cette maladie, c'est une erreur que nous allons détruire, mais sur laquelle on a pû se faire illusion. Qu'il y en ait d'autres qui croient que la petite vérole n'est pas fort dangereuse, parce qu'on voit certaines épidémies bénignes desquelles presque personne ne meurt ; c'est une autre erreur pardonnable à tout autre qu'à un medecin ; mais qu'on soutienne tout à la fois qu'il s'en faut beaucoup que la petite vérole soit générale, & d'un autre côté qu'elle n'est pas fort dangereuse, c'est une contradiction réservée à ceux que le préjugé ou la passion aveuglent sur le compte de l'inoculation ; & le titre de docteur en Medecine ne rend cette contradiction que plus humiliante.

Puisque la petite vérole enleve une quatorzieme partie du genre humain, il est clair que plus on supposera de gens exempts de ce fatal tribut, plus il sera funeste au petit nombre de ceux qui resteront pour l'acquiter. Réciproquement moins on supposera la petite vérole dangereuse, plus de gens en seront attaqués sans en mourir, & plus elle sera générale. On ne peut donc soutenir à la fois que la petite vérole n'est pas fort meurtriere, & qu'elle n'est pas très-commune, puisque de quatorze hommes qui naissent il en doit mourir un de la petite vérole, si treize en étoient exempts, le seul des quatorze qui auroit cette maladie en mourroit infailliblement : elle seroit donc toujours mortelle ; ce qui est visiblement faux. Au contraire, si de quatorze petites véroles une seule étoit funeste, aucun n'en mourroit, à moins que treize autres n'en fussent malades : or une quatorzieme partie des hommes en meurt ; donc les treize autres auroient la maladie ; tous les hommes, sans nulle exception, en seroient donc attaqués ; ce qui n'est pas moins faux, puisqu'on en voit mourir beaucoup avant que de l'avoir eue. Accordez-vous donc avec vous-même, dit à cette occasion M. de la Condamine aux anti-inoculistes. Concevez que si la petite vérole est moins commune que je ne l'ai supposé, elle est d'autant plus meurtriere pour le petit nombre de ceux qui l'ont ; si elle est rarement mortelle, convenez que presque personne n'en est exempt. Choisissez du moins entre deux suppositions incompatibles : dites-nous, si vous voulez, des injures, mais ne dites pas des absurdités.

Il est donc démontré que la rareté & la bénignité de la petite vérole ne peuvent subsister ensemble : mais laquelle des deux opinions est la véritable ? Si la question n'est pas encore éclaircie, c'est qu'on n'a pas assez médité sur deux principes d'expérience qui en contiennent la solution. Notre but est de nous rendre utiles ; tâchons de mettre à portée de tout lecteur attentif une vérité importante pour l'humanité.

La petite vérole tue la quatorzieme partie des hommes, & la septieme partie de ceux qu'elle attaque, donc la quatorzieme partie du total des hommes, & la septieme partie des malades de la petite vérole, sont précisément la même chose : or la quatorzieme partie d'un nombre ne peut être la septieme d'un autre, à moins que le premier nombre ne soit double du second ; donc la somme totale des hommes est double de la somme des malades de la petite vérole ; donc la moitié du genre humain a cette maladie ; donc l'autre moitié meurt sans l'avoir eûe. Toutes ces conséquences sont évidentes, & elles sont confirmées par d'autres expériences & dénombremens tout différens des précédens.

En effet, M. Jurin nous apprend que selon les perquisitions soigneuses qu'il a faites, les avortemens, les vers, le rachitis, différentes especes de toux, les convulsions enlevent les deux cinquiemes des enfans dans les deux premieres années de leur vie ; si l'on y joint ceux qui meurent dans un âge plus avancé sans avoir eu la petite vérole, on verra que la moitié des hommes au moins meurt avant que d'en être attaquée. C'est donc sur la moitié survivante que se doit lever le tribut fatal de la quatorzieme partie du tout ; ainsi de cent enfans qui naissent, environ quarante périssent, soit par les avortemens, soit par les maladies de l'enfance dans les deux premieres années de leur vie, & la plûpart avant que d'avoir eu la petite vérole. Supposons que dix autres meurent dans un âge plus avancé sans avoir payé ce tribut, il en restera cinquante qui tous y seront sujets, & sur lesquels il faut prendre les sept, qui font la quatorzieme partie du nombre total de cent : voilà donc sept morts sur cinquante malades, conformément à notre évaluation. Si vous augmentez le nombre des exemts, & que vous le portiez seulement à soixante, il n'en restera que quarante des cent pour acquiter le tribut des sept morts ; ce qui feroit plus d'un mort sur six malades. Donc si plus de la moitié des hommes meurt sans avoir eu la petite vérole, elle est mortelle à plus d'un malade sur sept ; & si elle épargne un plus grand nombre de malades, il faut que plus de la moitié des hommes tôt ou tard ait cette maladie.

Lorsqu'un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels on compte la plûpart des medecins arabes, ont écrit, les uns, que la petite vérole étoit une maladie universelle, les autres, que presque personne n'en étoit exempt : lorsque des medecins célebres plus modernes, entr'autres Riviere & Méad, celui-ci, après cinquante ans de pratique, ont prétendu qu'à peine un seul sur mille l'évitoit, ils n'ignoroient pas que beaucoup d'enfans & de jeunes gens meurent avant que de l'avoir eue : donc en soutenant qu'elle étoit presque universelle, ils n'ont pû entendre autre chose sinon qu'elle étoit presque inévitable pour ceux qui ne sont pas enlevés par une mort prématurée ; & c'est ce que les calculs précédens mettent en évidence. Si l'on objecte que quelques hommes parviennent à la vieillesse sans avoir eû la petite vérole, on doit se rappeller qu'on a vû plus d'une fois des gens la contracter à l'âge de 80 ans, que par conséquent il ne faut pas se presser de conclure qu'on est à l'abri de ce fléau ; il y a beaucoup d'apparence que tous les hommes y sont sujets, comme tous les chevaux à la gourme, & qu'on n'échappe à la petite vérole que faute d'avoir assez vécu.

Il est vrai qu'il résulte des observations de M. Jurin, qu'il y a quatre personnes par cent sur lesquelles l'inoculation paroît n'avoir pas de prise ; mais sur ce nombre on en a reconnu plusieurs qui portoient des marques de la maladie dont ils se croyoient exempts ; d'autres étoient soupçonnés de lui avoir payé le tribut ; ajoutons que d'autres pouvoient l'avoir eue sans éruption apparente, & de l'espece de celles qui, après les premiers symptomes, prennent leur cours par les évacuations, & que Boerhaave appelle morbus variolosus sine variolis ; procédé de la nature dont on connoît quelques exemples, peut-être plus fréquens que l'on ne croit, & que l'art n'a pû encore imiter avec sûreté. Tout medecin qui n'aura pas vû un de ces exemples, peut dans des cas semblables se méprendre à la nature de la maladie, & le malade à plus forte raison ignorer qu'il a eu la petite vérole. Enfin, l'insertion peut ne pas produire toujours son effet, tantôt par la faute de l'inoculateur, tantôt par des raisons qui nous sont inconnues ; accident qui seroit commun à l'inoculation & à tous les autres remedes les plus éprouvés. On voit donc qu'il est très-possible, & même très-vraisemblable que, conformément à la doctrine de plusieurs grands medecins, tous les hommes, presque sans exception, sont sujets à la petite vérole s'ils ne meurent pas prématurément, & que parmi les gens d'un certain âge qui passent pour n'avoir pas encore payé ce tribut, il y a des déductions à faire qui tendent à en diminuer beaucoup le nombre.

Dans tous les calculs précédens nous avons toujours supposé que l'inoculation n'étoit pas exempte de péril, pour éviter de longues discussions, & il suffisoit en effet de prouver que le risque, s'il y en a, n'est pas si grand que ceux auxquels on s'expose tous les jours volontairement & sans nécessité, souvent par pure curiosité, par passe-tems, par fantaisie, dans les exercices violens, tels que la chasse, la paulme, le mail, la poste à cheval dans les voyages de longs cours, &c. Mais si nous n'avons pas écarté l'idée de tout danger dans l'inoculation bien administrée, conformément à ce que pensent d'habiles praticiens, rappellons du moins à nos lecteurs qu'il est juste de retrancher du nombre des prétendues victimes de cette opération, tous ceux qui sont évidemment morts d'accidens étrangers, les enfans à la mamelle emportés en peu de momens dans le cours d'une petite vérole inoculée très-bénigne, par une convulsion ou par une colique, comme il arrive à d'autres de cet âge qui paroissoient jouir d'une santé parfaite ; ceux qui dans les tems d'épidémie avoient déja reçu le mal par la contagion naturelle ; ceux dont l'intempérance ou d'autres excès, avant que d'être inoculés, ont visiblement causé la mort ; joignez à toutes ces causes étrangeres l'imprudence de quelques inoculateurs dans les premiers tems où la méthode s'est introduite, il ne restera peut-être pas une seule mort qu'on puisse imputer légitimement à l'inoculation.

Ce seroit ici le lieu d'examiner quel âge est le plus convenable pour cette opération. Les enfans étant exposés à la petite vérole dès le moment de leur naissance, quelquefois même avant que de voir le jour, il paroît qu'on ne peut trop se hâter de les soustraire à ce danger. Mais de cinq enfans, suivant les observations déja citées de M. Jurin, il en meurt deux dans les deux premieres années des maladies communes à cet âge, & sur lesquelles tout l'art des Medecins échoue le plus souvent. Les accès de convulsion, les coliques, les douleurs de dents, &c. pourroient survenir dans le cours de la petite vérole artificielle, la rendre dangereuse & peut-être fatale ; souvent même ces morts, causées par des accidens, seroient injustement imputées à l'inoculation. C'est vraisemblablement pour cette seule raison qu'on a cessé d'inoculer en Angleterre les enfans en nourrice, & qu'on attend ordinairement l'âge de quatre ans, mais on ne peut accuser pour cela les inoculateurs d'avoir eu moins à coeur le bien public que leur honneur ou leur propre intérêt, puisque le discrédit de l'inoculation tourneroit au préjudice de l'humanité. Quelques-uns ont pensé que le tems le plus propre à l'insertion étoit l'âge de trois semaines ou d'un mois, tems où les enfans échappés aux accidens ordinaires des premiers jours après leur naissance, ne sont pas encore sujets au plus grand nombre de ceux qui menacent leur vie quelques mois après.

Il resteroit à savoir jusqu'à quel âge il y a de l'avantage à se faire inoculer. D'un côté la probabilité d'échapper au tribut de la petite vérole, croît avec les années ; de l'autre, le danger d'en mourir, si l'on en est attaqué, croît pareillement, & peut-être dans un plus grand rapport. Nous manquons d'expériences pour assigner exactement le terme où l'inoculation cesseroit d'être avantageuse. Il est ordinaire qu'il se présente à l'hôpital de Londres des gens de 35 ans pour se faire inoculer. Il y a beaucoup d'apparence qu'on le peut avec sûreté beaucoup plus tard : on a des exemples de gens de 70 ans à qui cette épreuve a réussi. Ce succès est moins extraordinaire que leur résolution, puisqu'on en a vû de plus âgés se bien tirer de la petite vérole naturelle, toujours beaucoup plus dangereuse que l'inoculée.

Le détail où nous sommes entrés sur la mesure de la fréquence & du danger de la petite vérole naturelle, & sur les avantages de l'inoculation, prépare la réponse aux objections que l'on a faites contre cette pratique. Nous ne nous attacherons qu'à celles qui présentent quelque difficulté réelle, & nous passerons légerement sur celles que les anti-inoculistes ont eux-mêmes abandonnées.

Objections. Objections physiques. Premiere objection. La maladie que l'on communique par l 'inoculation est-elle une vraie petite vérole ? Cette objection est detruite par une autre, à laquelle nous répondrons en son lieu. Nous observerons seulement ici qu'il est singulier que Wagstaffe, qui le premier a révoqué en doute que la maladie communiquée par l'insertion fût une petite vérole, est aussi le premier qui ait dit que cette opération porteroit la contagion & la mort par-tout où elle seroit pratiquée. Il reconnoissoit que la maladie inoculée peut communiquer une petite vérole ordinaire, & vouloit paroître douter que ce fût une vraie petite vérole dans le sujet inoculé. Cette objection est aujourd'hui abandonnée.

Seconde objection. La petite vérole inoculée est-elle moins dangereuse que la petite vérole naturelle ? On ne peut plus faire sérieusement cette objection ; elle est pleinement réfutée par l'histoire des faits & par la comparaison faite dans l'article précédent du danger de la petite vérole naturelle au danger de l'inoculation. On a prouvé que la petite vérole emportoit communément un malade sur sept, & qu'on ne pouvoit, sans tomber en contradiction, la supposer, généralement parlant, moins dangereuse. On a prouvé par les listes publiques de l'hôpital de l'inoculation à Londres, qu'il n'est mort qu'un inoculé sur 593, tandis que dans le même hôpital il mouroit deux malades sur neuf, ou plus d'un sur cinq de la petite vérole naturelle. Quand on supposeroit, contre la vérité des faits, que celle-ci n'est mortelle qu'à un malade sur dix, & que l'artificielle est malheureuse pour un sur cent, la petite vérole naturelle seroit encore dix fois plus dangereuse que l'inoculée.

Troisieme objection. On peut avoir plusieurs fois la petite vérole. L 'inoculation ne peut donc empêcher le retour de cette maladie. Donc l 'inoculation est en pure perte. Cet argument, renouvellé dans ces derniers tems, est celui qui fait communément le plus d'impression. Il contient une question de droit & une de fait. Voyons ce que les Inoculistes répondent. 1°. Il n'est pas prouvé, & beaucoup de medecins nient encore qu'on puisse avoir la petite vérole plus d'une fois. 2°. Quand on pourroit l'avoir deux fois naturellement, il ne s'ensuivroit pas qu'on pût la reprendre après l'inoculation ; & l'expérience prouve le contraire. 3°. Quand il y auroit eu quelque exemple, ce qu'on nie, d'un inoculé attaqué d'une seconde petite vérole, il ne s'ensuivroit pas que l'inoculation fût inutile. La discussion approfondie de ces trois points fourniroit la matiere d'autant de dissertations. Nous tâcherons de l'abréger.

1°. Il y a douze cent ans que la petite vérole est connue en Europe, & il y a douze cent ans qu'on dispute si on peut l'avoir deux fois : si ce n'est pas une preuve que le fait est faux, c'en est une au moins qu'il n'est pas évidemment prouvé. En effet, la plûpart des medecins Arabes, & un très-grand nombre parmi les modernes, nient qu'on puisse avoir deux fois la petite vérole. M. Tissot, dans sa réponse à M. de Haen, en fait une longue liste qu'il seroit aisé d'accroître. Parmi les prétendus exemples qu'on allegue d'une seconde petite vérole, on n'en cite point où un médecin, non suspect de prévention, ait traité deux fois le même malade, & certifié comme témoin oculaire la réalité de deux vraies petites véroles dans le même sujet ; circonstance faute de laquelle le témoignage perd beaucoup de son poids. D'un autre côté l'illustre docteur Mead, qui a tant écrit sur cette maladie, assure positivement, après cinquante ans de pratique, qu'on ne peut reprendre cette maladie. Le grand Boerhaave assure la même chose. Paris est encore rempli de témoins vivans, qui ont entendu dire à Mrs. Chirac & Molin, deux de nos plus grands praticiens, morts dans un âge très-avancé, qu'ils n'avoient jamais vû le cas arriver. S'il est vrai, comme quelques-uns le prétendent, que M. Molin, dans les derniers tems de sa vie, ait vû un exemple de récidive, c'en sera un sur plus de quarante mille petites véroles qui doivent avoir passé sous les yeux de ces quatre célebres docteurs pendant le cours d'une longue vie, dans de grandes villes telles que Londres, Paris, Amsterdam.

Il meurt tous les ans plus de vingt mille personnes à Paris, dont la quatorzieme partie 1428 meurt de la petite vérole. Chaque mort de cette maladie exige sept malades, puisque nous ne la supposons mortelle qu'à un sur sept ; donc 7 fois 1428 personnes, c'est-à-dire dix mille ont la petite vérole à Paris année commune. Si de ces dix mille une seule étoit attaquée d'une seconde petite vérole bien constatée, on auroit tous les ans à Paris une nouvelle preuve évidente de ce fait ; & pour peu que quelqu'un de connu, pour être maltraité de la petite vérole, vint à l'avoir une seconde fois, la chose ne seroit plus problématique ; un pareil cas de notoriété publique n'est pas encore arrivé, puisqu'on dispute encore. Il n'est donc pas évidemment prouvé qu'on ait plus d'une fois en sa vie une vraie petite vérole.

Un grand nombre d'exemples prouvent au contraire que l'inoculation même n'a pû renouveller cette maladie dans ceux qui l'avoient eûe une premiere fois sans équivoque. Richard Evans, l'un des six criminels inoculés à Londres en 1721, & le seul d'entr'eux qui avoit eu la petite vérole, fut aussi le seul sur qui l'insertion ne produisit aucun effet. Beaucoup d'autres expériences ont prouvé la même chose : la plus célebre est celle du docteur Maty, que nous avons rapportée dans l'histoire de l'inoculation. Paris a été témoin d'un pareil exemple dans mademoiselle d'Etancheau en 1757. Tous les journaux en ont parlé. Si le virus varioleux introduit dans les plaies & porté par la circulation dans toutes les veines, ne peut renouveller la petite vérole dans un corps déja purgé de ce venin, à plus forte raison n'y pourra-t-elle être produite par la voie ordinaire du contact & de la respiration.

2°. Quand il seroit vrai qu'une petite vérole naturelle ne purge pas entierement un corps du levain varioleux, & qu'il en reste encore assez pour produire une nouvelle fermentation, il ne s'en suivroit pas que le ferment de la petite vérole mis en action par un virus de même nature, introduit directement dans le sang par plusieurs incisions, ne pût se développer si complete ment qu'il ne restât plus de matiere pour un second développement. La petite vérole artificielle pourroit épuiser le levain que la petite vérole naturelle n'épuiseroit pas, & alors il n'y auroit rien à conclure d'une seconde petite vérole ordinaire contre l'efficacité de l'inoculation pour préserver de la récidive ; mais laissant à l'écart les raisonnemens de pure théorie, tenons-nous-en à l'expérience.

On a mis des inoculés à toutes sortes d'épreuves pour leur faire reprendre la petite vérole, sans avoir pû jamais y réussir. On a fait habiter & coucher des enfans inoculés avec d'autres attaqués de la petite vérole, sans qu'aucun l'ait reprise une seconde fois. On a répété l'inoculation à plusieurs reprises sur divers sujets ; les plaies se sont guéries comme de légeres coupures sous le fil imbu du virus. C'est ce qui arriva au fils du lord Hardewick, grand chancelier d'Angleterre, qui se fit inoculer de nouveau, parce qu'il n'avoit pas eu d'éruption la premiere fois, les plaies ayant seulement suppuré. Observons en passant que cette suppuration des plaies est équivalente à une petite vérole ordinaire, comme plusieurs expériences l'ont prouvé, & de plus que la matiere qui coule des incisions, lors même qu'il n'y a point d'éruption, peut être employée avec succès pour l'insertion, comme M. Maty l'a remarqué.

Le docteur Kirkpatrick rapporte qu'une jeune personne de douze ans inoculée & bien rétablie, se fit secrettement une nouvelle incision, qu'elle y mit à trois reprises en trois jours différens de la matiere varioleuse, & que les nouvelles plaies se sécherent sans suppuration. Un officier âgé de 28 ans, inoculé tout récemment (1759.) à Gotha, par M. Soultzer, premier medecin du duc régnant, avec la matiere de la petite vérole artificielle d'un jeune prince, l'un des fils du duc, a voulu l'être une seconde fois avec la matiere d'une petite vérole naturelle. Les nouvelles plaies, ajoute la lettre de M. Soultzer à M. de la Condamine, se sont guéries sous le fil. Il y a d'autres exemples semblables & sans nombre, qui prouvent que l'inoculation met à l'abri d'une seconde petite vérole, & aucun des prétendus exemples contraires n'a pu soutenir la vérification.

Dans les tems des premieres expériences à Londres, le docteur Jurin invita publiquement pendant plusieurs années, tous ceux qui auroient avis de quelque rechute après l'inoculation, à les lui communiquer. Aucun ne put être constaté : tous les faits allégués furent niés ou convaincus de faux par le desaveu des parties intéressées. Le docteur Kirkpatrick rapporte dans son ouvrage la lettre du nommé Jones chirurgien, dont on avoit dit que le fils étoit dans ce cas. Le docteur Nettleton démentit publiquement un pareil fait avancé d'un de ses inoculés. De pareilles calomnies ont été depuis renouvellées en Hollande au sujet des inoculés de M. Tronchin, & de M. Schwenke, & les échos les ont répétées depuis à Paris. On alléguoit, on circonstancioit des récidives ; on faisoit courir le bruit que M. Schwenke avoit inoculé la même personne jusqu'à sept fois : on publioit que ses inoculés étoient à l'article de la mort ; on citoit des témoins oculaires, qui depuis ont nié hautement les faits. Bibliotheque angloise Septembre & Octobre 1756. Quant aux prétendues rechutes après l'inoculation, ce qui peut servir de fondement à ces bruits, c'est que parmi diverses éruptions cutanées, tout-à-fait différentes de la petite vérole, & dont celle-ci ne garantit point, il y en a qui s'annoncent par des symptomes qui leur sont communs avec la petite vérole ordinaire ; mais la différence essentielle & caracteristique de cette espece d'éruption est que les pustules en sont claires, transparentes, & remplies de sérosité ; qu'elles disparoissent, s'affaissent, & se sechent le troisieme jour & sans suppuration. Cette maladie est connue & caracterisée il y a plus d'un siecle en Italie, en France, en Allemagne, & en Angleterre. Elle a été décrite & distinguée de la vraie petite vérole avant qu'on sût dans notre Europe ce que c'étoit qu'inoculer. On lui donnoit différens noms, tels que ceux de vérolette, petite vérole lymphatique, séreuse, crystalline, volante, fausse petite vérole. Les Allemands l'ont nommée schefh-blattern, (pustules de brebis) ; les Anglois chikenpox, les Italiens ravaglioni. Mais tous conviennent qu'elle n'a rien de commun avec la petite vérole dont elle ne préserve pas, & qui ne garantit pas non plus de cette maladie : celle-ci d'ailleurs n'est nullement dangereuse. Elle est épidémique, & plus ordinaire aux enfans qu'aux personnes âgées. La plûpart des gardes-malades, des chirurgiens, & des apoticaires de campagne, la prennent ou feignent de la prendre pour la vraie petite vérole, pour donner plus d'importance à leurs soins ; quelques medecins faute d'expérience, ont pû s'y méprendre. Il y a des exemples en Angleterre & en Hollande d'inoculés, qui ont eu cette indisposition qu'on avoit voulu faire passer pour la petite vérole. Tel est celui du baron de Louk, qui pour détruire ce bruit, se crut obligé de publier dans le journal déja cité, l'histoire de sa maladie. Il ne garda la chambre qu'un jour, & parut aussi-tôt à la cour de la Haie : il en est de même de ses cousines, filles de la comtesse d'Athlone. Tel est encore l'exemple du jeune de la Tour, inoculé en 1756 par Mr. Tronchin, & dont on a tant parlé à Paris. Les anti-inoculistes publierent que cet enfant avoit eu en 1758, une seconde petite vérole. Il est prouvé que le quatrieme jour il étoit debout & jouoit avec ses camarades. La nature de sa maladie a été bien éclaircie par un rapport public de quatre medecins, Messieurs Vernage, Fournié, Petit pere, & Petit fils ; Messieurs Bourdelin & Bouvart, en ont porté le même jugement. Tels sont les exemples sur lesquels les anti-inoculistes s'appuient pour prouver l'inutilité de l'inoculation.

Quant à celui de la fille même du célebre Timoni, morte à Constantinople en 1741 de la petite vérole naturelle, après avoir été, disoit-on, inoculée par son pere ; il a été prouvé que Timoni en partant pour Andrinople, dont il n'est jamais revenu, avoit laissé ordre à sa femme âgée de 15 ans, d'inoculer sa fille ; mais les témoignages sur l'exécution de cet ordre ont beaucoup varié, & encore plus sur l'effet que produisit la prétendue inoculation. Le fait est donc resté douteux & couvert de nuages qui ne peuvent être entierement dissipés. M. de la Condamine a reçu depuis peu une lettre datée de Constantinople, du... Octobre 1758, qu'il nous a fait voir en original, de M. Angelo Timoni, interprete de S. M. Britannique à la Porte ottomane, frere de la demoiselle morte en 1741. Elle porte que Cocona Timoni sa soeur fut inoculée en 1717, à l'âge de cinq mois par un apoticaire de Scio qui passoit pour être fort sujet au vin & novice dans la pratique de cette opération ; que l'incision faite avec une lancette à un seul bras n'avoit point laissé de cicatrice autre qu'une petite marque comme celle d'une saignée, que sa mere âgée alors de quinze ans seulement, n'a pu faire aucune observation, si l'opération a été suivie d'une éruption à la peau, ou si la plaie s'est d'abord séchée ; que son oncle encore vivant, & frere du célebre Emmanuel Timoni, attribue toute la faute à l'inoculateur, & juge qu'il avoit pris la matiere d'une fausse petite vérole ; que les gens du pays & les medecins, dont M. Angelo Timoni s'est informé, n'ont connoissance ni avant, ni depuis, d'un accident pareil à celui de sa soeur, accident qui ne seroit pas unique, ajoute-t-il, (dans un pays où depuis un siecle il doit y avoir eu plus de cent mille inoculations) si les personnes inoculées étoient sujettes à avoir deux fois la petite vérole ; qu'aussi cet évenement n'a pas empêché qu'on ne continuât d'inoculer à Pera ; qu'il a lui-même fait subir cette opération depuis deux ans à ses cinq enfans, & qu'il compte la répéter sur le plus jeune qui n'avoit que 40 jours, & sur lequel l'insertion n'a rien produit. Il n'est donc pas certain que la demoiselle Timoni ait été régulierement inoculée, que l'inoculation ait produit son effet, ni que les plaies ayent suppuré. Mais en supposant vrai tout ce qui reste douteux, voyons quelles conséquences il en faut tirer par rapport à l'inoculation ; c'est ce qui nous reste à examiner.

III. Quoique Boerhaave, Mead, Chirac, en 50 ans n'ayent jamais observé de seconde petite vérole dans un même sujet, & que M. Molin en ait vu tout au plus une dans l'âge où les autres ne voient plus, nous supposerons qu'il s'en trouve un exemple sur dix mille petites véroles naturelles. Les récidives, s'il y en a, doivent être encore plus rares après l'inoculation, qui de tous les moyens paroît être le plus propre à mettre en fermentation toutes les parties susceptibles de l'action du virus. Mais en n'accordant sur ce point aucune prérogative à la petite vérole artificielle, il s'en suivra seulement que sur dix mille inoculés, il pourra s'en trouver un capable de contracter une seconde petite vérole. Celle-ci, de l'aveu de plusieurs anti-inoculistes, doit être d'autant moins dangereuse, qu'on ne peut nier que le corps n'ait été purgé d'une partie du venin par la précédente. Mais supposons encore que la seconde soit aussi périlleuse que la premiere, au-moins ne le sera-t-elle pas davantage. Il y en aura donc une mortelle sur sept ; mais il faut au moins dix mille petites véroles pour rencontrer une rechûte : donc il en faudra sept fois dix mille, pour qu'il s'en trouve une funeste : donc sur soixante-dix mille inoculés, il en mourra peut-être un d'une seconde petite vérole. C'est tout ce qu'on peut conclure des suppositions précédentes gratuitement accordées.

Si l'on soutenoit qu'il est impossible que l'inoculation fût jamais suivie d'aucun accident mortel, un seul exemple contraire suffiroit pour détruire cette prétention ; mais il ne s'agit entre les deux parties, que de savoir sur quel nombre d'inoculations on doit craindre un tel évenement ; si c'est par exemple, un sur 500, 300, 200, ou cent inoculés. Les anti-inoculistes, pour affoiblir les avantages de la méthode, ont prétendu dans le tems des premieres épreuves, qu'il mouroit un inoculé de 50 ; mais ils n'avoient pas compris dans leur calcul ceux qui meurent, selon eux, d'une seconde petite vérole. Nous venons de faire voir qu'on n'en peut faire monter le nombre à plus d'un sur 70000. Au lieu donc de 1400 morts qu'ils auroient compté sur 70000 inoculés, à raison d'un mort sur chaque 50, il en faudra compter 1401. Veut-on que les inoculateurs regardent leur méthode comme pernicieuse, parce que sur 70 mille il peut arriver un accident de plus qu'ils n'avoient cru ? Et leurs adversaires trouveront-ils la question décidée en leur faveur, quand ils auront prouvé qu'au lieu de 1400 morts sur 70000, il en faut compter 1401 ?

Quatrieme objection. Le pus transmis dans le sang de l 'inoculé, ne peut-il pas lui communiquer d'autres maux que la petite vérole, tels que le scorbut, les écrouelles, &c ? Non-seulement il n'y a point d'exemple que ni la contagion naturelle, ni l'inoculation, aient communiqué d'autres maladies que la petite vérole même ; mais on a des preuves de fait que la matiere varioleuse prise d'un corps infecté de virus vénérien, n'a donné qu'une petite vérole simple & bénigne. La premiere expérience fut faite par hasard ; le docteur Kirkpatrick en parle dans son ouvrage. Elle a depuis été répétée : il seroit donc inutile de s'étendre sur les raisons de théorie qui refutent cette objection. D'ailleurs puisqu'on est le maître de choisir la matiere de l'inoculation, rien n'empêche de la prendre d'un enfant bien sain, & dans lequel on ne puisse soupçonner d'autre mal que la petite vérole.

Cinquieme objection. L'inoculation laisse quelquefois de fâcheux restes, comme des plaies, des tumeurs, &c. Ces accidens très-fréquens après la petite vérole naturelle, sont extrèmement rares à la suite de l'inoculation. Cette derniere est ordinairement si bénigne, qu'elle a fait douter que ce fût une vraie petite vérole. Les symptomes, les accidens, & les suites de ces deux maladies, conservent la même proportion. M. Ramby atteste que sur cent personnes inoculées, à peine s'en trouve-t-il une à laquelle il survienne le moindre clou. Une simple saignée occasionne quelquefois de plus grands & de plus dangereux accidens : il faut donc proscrire ce remede avant que de faire le procès à l'inoculation.

Sixieme objection. L'inoculation fait violence à la nature. On en peut dire autant de tous les remedes. Pourquoi saigner ou purger ? Que n'attend-on que la nature se soulage par une hémorrhagie & par une diarrhée. Voyez sur cette objection l'inoculation justifiée de M. Tissot.

Objections morales. Septieme objection. C'est usurper les droits de la Divinité, que de donner une maladie à celui qui ne l'a pas, ou d'entreprendre d'y soustraire celui qui dans l'ordre de la Providence y étoit naturellement destiné. Si cette objection n'avoit été faite de bonne-foi par des personnes pieuses, elle ne mériteroit pas de réponse. La confiance dans la Providence nous dispense-t-elle de nous garantir des maux que nous prévoyons, quand on sait par expérience qu'on peut les prévenir ? Faut-il imiter les Turcs, qui de peur de contrarier les vûes de la Providence, périssent par milliers dans les tems de peste, si commune à Constantinople, tandis qu'ils voyent les Francs établis au milieu d'eux s'en préserver en évitant la communication ? Si l'inoculation, comme l'expérience le prouve, est un moyen de se préserver des accidens funestes de la petite vérole, la Providence qui nous offre le remede, défend elle d'en faire usage ? Tous les préservatifs, tous les remedes de précaution, seront-ils desormais illicites ? Nous renvoyons ceux sur qui l'autorité semble avoir plus de poids que l'évidence, à la décision déja citée des neuf docteurs de Sorbonne, consultés par M. de la Coste ; aux diverses consultations de plusieurs théologiens italiens ; aux traités sur l'inoculation approuvés par des inquisiteurs ; aux argumens du célebre évêque de Worcester ; à l'ouvrage des docteurs Some & Doddrige, en observant que dans le cas présent, le suffrage des docteurs protestans doit avoir d'autant plus de poids auprès des Théologiens catholiques, que nous ne différons pas d'avec eux sur les principes de morale, & que leurs opinions sur la prédestination absolue, prête plus de couleur à l'objection que nous refutons. M. Chais y a répondu de la maniere la plus solide & la plus satisfaisante dans son Essai apologétique.

Huitieme objection. Il n'est pas permis de donner une maladie cruelle & dangereuse à quelqu'un qui ne l'auroit peut-être jamais eue. Nous avons prouvé dans l'article des avantages de l'inoculation, que la petite vérole artificielle n'est ni cruelle, ni dangereuse. Il ne reste donc que la seconde partie de l'objection à détruire. Quoique l'inoculation soit moins douloureuse qu'une saignée, & quelque petit que soit le danger qui l'accompagne, il y auroit de l'extravagance à faire subir cette opération à quelqu'un qui seroit sûr de n'avoir jamais la petite vérole. Mais comme il n'est pas possible d'obtenir cette sécurité, & qu'au contraire quiconque n'a pas eu cette maladie, court grand risque de l'avoir & d'en mourir, il est non-seulement permis, mais très-conforme à la prudence, de prendre les moyens les plus sûrs pour se dérober autant qu'il est possible, à ce danger ; & l'on n'en connoît point de plus efficace que l'inoculation.

Mais, dira-t-on, c'est toujours une maladie : pourquoi la donner gratuitement à celui qui ne l'auroit peut-être jamais ? Premierement on ne donne point la maladie à celui qui ne l'auroit jamais : l'expérience a fait voir qu'il y a quelques personnes qui ne la prennent point par inoculation ; il est plus que probable que ce sont celles qui ne l'auroient jamais eue. Secondement, c'est moins, dit l'évêque de Worcester, donner une maladie à un corps exempt de la contracter, que choisir le tems & les circonstances les plus favorables pour le délivrer d'un mal presque autrement inévitable, & dont l'issue est souvent sans cela très-dangereuse. Troisiemement, c'est donner un petit mal pour en éviter un beaucoup plus grand. C'est convertir un danger, dont rien ne peut garantir, en un danger infiniment moindre, pour ne pas dire absolument nul.

Si j'avois actuellement la petite vérole, dira quelqu'un, je conviens qu'il n'y auroit que six contre un à parier pour ma vie ; mais j'espere être du nombre de ceux qui ne l'ont jamais, & cette espérance diminue beaucoup le danger que je cours. Oui, répond M. de la Condamine, l'espérance de n'avoir jamais la petite vérole diminue le danger dont vous êtes menacé ; mais de si peu de chose que le risque d'en mourir un jour, vous qui jouissez d'une pleine santé, differe très-peu du risque du malade chez qui la petite vérole vient de se déclarer. La différence de ces deux risques est à peine d'une soixante-dixieme partie, en voici la preuve. Prenons 70 malades actuels de la petite vérole. Nous avons prouvé qu'il en doit mourir au moins la septieme partie, c'est-à-dire dix : prenons 70 autres personnes de tout âge en pleine santé, qui, n'ayent jamais eu cette maladie, on peut présumer que trois au plus en seront exempts, puisqu'on ne compte que quatre sur cent, sur qui l'inoculation soit sans effet, & ce nombre est peut-être trop grand de moitié, comme nous l'avons fait voir ; mais pour n'avoir point à disputer, supposons-en six sur les 70, au lieu de trois, qui n'ayent jamais la petite vérole, supposons-en même dix, nombre visiblement trop fort, ceux-ci ne courront aucun risque, mais les 63 autres auront sûrement la maladie, un des sept y succombera ; il en mourra donc neuf des 63. Donc de 70 malades actuels, il en mourra dix, & de 70 bien portans il en mourra neuf. La différence des deux risques n'est donc que d'une soixante-dixieme partie. Il y a donc six contre un à parier que le malade actuel de la petite vérole en réchappera, & un soixante-dixieme contre un que l'homme sain qui attend cette maladie n'en mourra pas. L'espérance qu'a celui-ci de l'éviter, ne diminue donc le risque qu'il court d'en mourir tôt ou tard que d'une soixante-dixieme partie. La différence réelle ne consiste guere qu'en ce que le danger de l'un est présent, & que celui de l'autre est peut-être éloigné.

Neuvieme objection. Tel qui ne seroit peut-être mort de la petite vérole naturelle qu'à l'âge de cinquante ans, après avoir eu des enfans, & servi sa patrie utilement, sera perdu pour la société, s'il meurt dans son enfance de la petite vérole inoculée. Cette objection, comme plusieurs autres des précédentes, emprunte toute sa force de ce que nous avons accordé gratuitement à nos adversaires, que l'inoculation n'étoit pas exemte de péril. Mais il n'est pas besoin de nous rétracter pour leur répondre. Les trois quarts de ceux qui ont la petite vérole, essuient cette maladie dans l'âge où ils sont plus à charge qu'utiles à la société. Quant à l'autre quart, comme le danger de la petite vérole croît avec l'âge, si l'inoculé court un très-petit risque de mourir plûtôt, il se délivre d'un risque beaucoup plus grand de mourir plus tard, ce qui fait plus qu'une compensation. Enfin, en supposant qu'un malheureux événement sur trois cent, sur deux cent, même sur un moindre nombre, pût abréger les jours d'un citoyen, l'état seroit amplement dédommagé de cette perte par la conservation de tous ceux dont la vie seroit prolongée par le moyen de l'inoculation.

Dixieme objection. La petite vérole inoculée multipliera les petites véroles naturelles, en répandant partout la contagion. On fit sonner bien haut cette objection à Londres en 1723. L'épidémie étoit fort meurtriere. On prétendit que la petite vérole artificielle en avoit augmenté le danger. M. Jurin prouva que la grande mortalité de cette année-là, qu'on appella l'année de l'inoculation, avoit été pendant les mois de Janvier & de Février, & qu'on n'avoit commencé d'inoculer que le 27. Mars. Wagstaffe avoit fait les calculs les plus ridicules pour prouver que l'inoculation devoit en peu de tems infecter tout un royaume. Ils furent réfutés par le docteur Arbuthnot sous le nom de Maitland. Ils n'ont pas laissé d'être répétés dans la thèse soutenue à Paris la même année, & plusieurs anti-inoculistes en font encore leur principale objection. Cependant il saute aux yeux qu'il est beaucoup plus aisé de se préserver d'une maladie artificielle, donnée à jour nommé, dans un lieu connu, que d'une épidémie imprévue, qui attaque indistinctement toutes sortes de sujets à la fois & en tous lieux. Dans le premier cas, personne n'est pris de la contagion que celui qui s'y veut bien exposer. Dans le second, personne, avec les plus grandes précautions, ne peut s'en garantir. Mais il s'agit d'un fait, & c'est à l'expérience à décider. Les Medecins de Londres témoignent que l'inoculation n'a jamais répandu l'épidémie. On n'a rien observé de tel à Paris, à Lyon, à Stockholm, dans le pays d'Hanovre, à Genève, en diverses villes de Suisse, dans l'état écclésiastique, où plus de 400 enfans furent inoculés en 1750. Le danger prétendu de la contagion de la petite vérole artificielle est donc imaginaire.

Onzieme objection. Quel préservatif que celui qui donne un mal qu'on n'a pas, tandis qu'il n'est pas permis de faire le plus petit mal pour procurer le plus grand bien ! On abuse ici visiblement des termes, en étendant au mal physique ce qui ne peut être vrai que du mal moral. Combien de maux physiques tolérés, permis, autorisés par les lois, & qui souvent même ne produisent pas le bien qu'on se propose ? On abat une maison pour arrêter une incendie ; on submerge une province pour arrêter l'ennemi ; on refuse l'entrée d'un port à un vaisseau prêt à périr, s'il est suspect de contagion. Dans de pareilles occasions, on établit des barrieres, & l'on tire sur ceux qui les franchissent. L'argument, s'il mérite ce nom, tendroit à proscrire toutes les opérations chirurgicales, & la saignée même, mal physique plus grand que l'inoculation. L'objection ne mérite pas que nous nous y arrêtions plus long-tems. Nous remarquerons seulement, d'après M. Jurin, qu'on s'obstine à regarder comme une singularité, dans l'inoculation, la circonstance de donner un mal que l'on n'a pas, bien qu'elle soit commune à ce préservatif & à la plûpart des autres remédes qu'emploie la Medecine ; puisque tous, ou presque tous, sont des maux artificiels & quelquefois dangereux, tels que la saignée, les purgatifs, les cauteres, les vésicatoires, les vomitifs, &c.

Douzieme objection. L 'inoculation est un mal moral. Il est mort quelques inoculés : le succès de cette méthode n'est donc pas infaillible. On ne peut donc s'y soumettre sans exposer sa vie, dont il n'est pas permis de disposer. L 'inoculation blesse donc les principes de la morale. On feroit tomber l'objection, en prouvant que l'inoculation n'est jamais mortelle par elle-même, & qu'elle ne peut le devenir que par la faute ou l'imprudence du malade ou du medecin. On pourroit aussi rétorquer l'argument contre la saignée, dont l'usage n'est pas exempt de péril. Quand on ne compteroit que les piquûres d'arteres, on ne peut nier que la saignée n'ait été la cause directe d'un assez grand nombre de morts. Celui qui se fait saigner du bras expose donc sa vie. Ce que l'on ne peut évidemment assûrer de l'inoculation. Cependant aucun casuiste n'a porté le scrupule jusqu'à défendre la saignée, même de précaution. Mais venons à la réponse directe, & combattons l'objection par les principes même qu'elle suppose.

Quiconque expose sa vie sans nécessité, péche, dites-vous, contre la morale. Or celui qui se soumet à l 'inoculation, expose sa vie sans nécessité. Donc celui qui se soumet à l 'inoculation, péche contre la morale. Voilà l'argument dans toute sa force, & dans la forme rigoureuse de l'école. Examinons-en toutes les propositions.

Il n'est pas besoin de faire remarquer que votre principe qu'il n'est pas permis d'exposer sa vie sans nécessité, a besoin d'être restraint pour être vrai. La morale ne défend pas à un homme charitable de visiter des malades dans un tems de contagion, de séparer des gens qui se battent, de sauver du feu ses meubles ou ceux de son voisin, &c. Or dans tous ces cas, il n'y a pas de nécessité, proprement dite, d'exposer sa vie. Contentez-vous donc d'assurer qu'il n'est pas permis en bonne morale, de l'exposer inutilement, & nous en conviendrons. Mais, ajoute-t-on, celui qui se soumet à l'inoculation, expose sa vie inutilement. La fausseté de cette proposition saute aux yeux, puisqu'il ne s'expose à un très-petit danger (que nous voulons bien supposer tel) que pour se soustraire à un danger beaucoup plus grand. Loin de pécher contre la morale, il se conforme à ses principes. Il sait que sa vie est un dépôt, & qu'il doit veiller à sa conservation : il prend le moyen le plus sûr pour la garantir du danger dont elle est menacée.

Treizieme objection. Quelque petit que puisse être le risque de l 'inoculation, ne fût-il que d'un sur mille, un pere doit-il exposer son fils ? Si l'opération n'eût jamais été suivie d'aucun accident, le pere ne balanceroit pas, mais il sait qu'il en arrive quelquefois. Il craint que son fils ne soit la victime d'un malheureux hasard. Peut-on le blâmer de ne vouloir rien risquer ? C'est à ce pere si tendre & si craintif que s'adresse M. de la Condamine, dont nous emprunterons les expressions.

" Vos intentions sont très-louables. Vous ne voulez, dites-vous, rien hasarder : je vous le conseillerois, si la chose étoit possible ; mais il faut hasarder ici malgré vous. Il n'y a point de milieu entre inoculer votre fils & ne point l'inoculer ; il faut ou prévenir la petite vérole, ou l'attendre. Ce sont deux hasards à courir, dont l'un est inévitable : il ne vous reste plus que le choix.

Voilà cent enfans, & votre fils est du nombre. On les partage en deux classes. Cinquante vont être inoculés, les cinquante autres attendront l'évenement. Des cinquante premiers, aucun ne mourra ; mais par le plus malheureux des hasards, il seroit possible qu'il en mourût un : sur les cinquante restans, la petite vérole se choisira six victimes au moins, & plusieurs autres seront défigurés. Il faut que votre fils entre absolument dans l'une de ces deux classes. Si vous l'aimez, le laisserez-vous dans la seconde ? Hasarderez-vous six, au lieu d'un, sur cette vie si précieuse, vous qui ne voulez rien hasarder du tout ? "

Mais quel seroit le desespoir de ce pere, si malgré des espérances si flateuses, son fils venoit à succomber sous l'épreuve de l'inoculation ? " Crainte chimérique ! Puisque la petite vérole inoculée est infiniment moins dangereuse que la naturelle, & sur-tout puisque celui qui ne l'auroit jamais eu naturellement, ne la recevra pas par l'inoculation : mais quand ce fils chéri mourroit, contre toute vraisemblance, le pere n'auroit rien à se reprocher. Tuteur né de son fils, il étoit obligé de choisir pour son pupille, & la prudence a dicté son choix. En quoi consiste cette prudence ; si ce n'est à peser les inconvéniens & les avantages, à bien juger du plus grand degré de probabilité ? Tandis qu'un instinct aveugle retenoit le pere, l'évidence lui crioit : de deux dangers entre lesquels il faut opter, choisis le moindre. Devoit-il, pouvoit-il résister à cette voix ? Le sort a trahi son attente, en est-il responsable ? Un autre pere crie à son fils : la terre tremble, la maison s'écroule, sortez, fuyez... Le fils sort ; la terre s'entr'ouvre & l'engloutit. Ce pere est il coupable ? Le nôtre est dans le même cas. Si sa fille étoit morte en couche, se reprocheroit-il sa mort ? Il en auroit plus de sujet : ce n'étoit pas pour sauver la vie de sa fille qu'il l'a livrée au péril de l'accouchement, & cependant il a plus exposé ses jours en la mariant, que ceux de son fils en le soumettant à l'inoculation ".

M. de la Condamine présente diverses images pour rendre plus sensible à ses lecteurs la différence des risques des deux petites véroles. Voici les plus frappantes :

" Vous êtes obligé de passer un fleuve profond & rapide avec un risque évident de vous noyer si vous le passez à la nage : on vous offre un bateau. Si vous dites que vous aimez encore mieux ne point passer la riviere, vous n'entendez pas l'état de la question : vous ne pouvez vous dispenser de passer à l'autre bord, on ne vous laisse que le choix du moyen. La petite vérole est inévitable au commun des hommes, quand ils ne sont pas enlevés par une mort prématurée ; le nombre des privilégiés fait à peine une exception, & personne n'est sûr d'être de ce petit nombre. Quiconque n'a point passé le fleuve est dans la cruelle attente de se voir forcé d'un moment à l'autre à le traverser. Une longue expérience a prouvé que de sept qui risquent de le passer à la nage, un, & quelquefois deux sont emportés par le courant : que de ceux qui le passent en bateau, il n'en périt pas un sur trois cent, quelquefois pas un sur mille : hésitez-vous encore sur le choix ?

Tel est le sort de l'humanité : plus d'un tiers de ceux qui naissent sont destinés à périr la premiere année de leur vie par des maux incurables ou du moins inconnus : échappés à ce premier danger, le risque de mourir de la petite vérole devient pour eux inévitable ; il se répand sur tout le cours de la vie, & croit à chaque instant. C'est une loterie forcée, où nous nous trouvons intéressés malgré nous : chacun de nous y a son billet : plus il tarde à sortir de la roue, plus le danger augmente. Il sort à Paris, année commune, quatorze cent billets noirs, dont le lot est la mort. Que fait-on en pratiquant l'inoculation ? On change les conditions de cette loterie ; on diminue le nombre des billets funestes : un de sept, & dans les climats les plus heureux, un sur dix étoit fatal ; il n'en reste plus qu'un sur trois cent, un sur cinq cent ; bien-tôt il n'en restera pas un sur mille ; nous en avons déja des exemples. Tous les siecles à venir envieront au nôtre cette découverte : la nature nous décimoit, l'art nous millésime ".

A qui appartient-il de décider la question : si l 'inoculation en général est utile & salutaire ?

Les Medecins d'un côté, les Théologiens de l'autre, ont prétendu que l'inoculation étoit de leur compétence. Essayons de reconnoître & de fixer les bornes du ressort de ces deux jurisdictions dans la question présente.

Parmi ceux qui sont tentés, sur le bruit public, d'éprouver l'efficacité de la petite vérole artificielle ; les uns pour se déterminer, consultent leur medecin, les autres leur confesseur. Pour savoir à qui l'on doit s'adresser, il faut fixer l'état de la question.

Si l'inoculation n'eût jamais été pratiquée, & si quelqu'un proposoit d'en faire le premier essai, cette idée ne pourroit manquer de paroître singuliere, bizarre, révoltante, le succès très-douteux, l'expérience téméraire & dangereuse. Le medecin faute de faits pour s'appuyer ne pourroit former que des conjectures vagues, peu propres à rassurer la conscience délicate d'un théologien charitable qui craindroit de se jouer de la vie des hommes. Peut-être le medecin & le théologien s'accorderoient-ils à ne pas même trouver de motifs suffisans pour tenter cet essai sur des criminels. Aujourd'hui que nous avons depuis 40 ans sous les yeux mille & mille expériences dans toutes sortes de climats, sur des sujets de tout âge & de toutes sortes de conditions ; l'état des choses a bien changé : mais avant que d'en venir à la question morale, nous en avons une autre à résoudre.

Lequel des deux court un plus grand risque de la vie, ou celui qui attend en pleine santé que la petite vérole le saisisse, ou celui qui la prévient en se faisant inoculer ? Cette question est aujourd'hui la premiere qui se présente, & la plus importante de toutes. C'est d'elle que dépend la résolution de toutes les autres. Elle n'appartient, comme on le voit, ni à la Médecine ni à la Théologie. C'est une question de fait, mais compliquée, & qui ne peut être résolue que par la comparaison d'un grand nombre de faits & d'expériences, d'où l'on puisse tirer la mesure de la plus grande probabilité. Le risque de celui qui attend la petite vérole est en raison composé du risque d'avoir un jour cette maladie, & du risque d'en mourir s'il en est attaqué. Ce risque tout composé qu'il est, est appréciable, & sa détermination dépend du calcul des probabilités, qui, comme on sait, est une des branches de la Géométrie.

Remarquez sur-tout que dans la question proposée l'alternative d'attendre ou de prévenir la petite vérole, n'admet point de milieu. Cette question une fois résolue par la comparaison des deux risques (& il n'appartient qu'au géometre de la résoudre), fera naître une autre question de droit, que nous n'osons appeller théologique, savoir, si de deux risques inégaux dont l'un est inévitable, il est permis de choisir le moindre ? Il ne paroît pas qu'il soit besoin de consulter la Théologie pour répondre. La question deviendroit plus sérieuse & plus digne d'un théologien moraliste, s'il s'agissoit de décider si de deux périls dont l'un est inévitable, la raison, la conscience, la charité chrétienne n'obligent pas à choisir le moindre, & jusqu'où s'étend cette obligation ? Si l'affirmative l'emportoit, & qu'il fût d'ailleurs démontré qu'il y a plus de risque en pleine santé d'attendre la petite vérole que de la prévenir par l'inoculation, on voit que cette opération devroit être non-seulement conseillée, mais prescrite.

Jusqu'ici nous n'avons considéré que l'utilité générale de la méthode : quant à son application aux cas particuliers, le medecin rentreroit dans ses droits. Tel sujet n'a-t-il pas quelque disposition fâcheuse qui le rende inhabile au bénéfice de l'inoculation ? Quels sont la saison & le moment les plus favorables ? Quelles sont les préparations & les précautions nécessaires aux différens tempéramens ? Sur tous ces points, & sur le traitement de la maladie on doit consulter un medecin qui joigne l'expérience à l'habileté. Le théologien & le medecin auront donc ici chacun leurs fonctions ; mais dans le cas présent, je le répete, c'est au calcul à leur préparer les voies en fixant le véritable état de la question.

Conséquences des faits établis. Nous terminerons cet article par les réflexions qui terminent le premier mémoire de M. de la Condamine, & par les voeux qu'il fait pour voir s'établir parmi nous l'inoculation, moyen si propre à conserver la vie d'un grand nombre de citoyens.

La prudence vouloit qu'on ne se livrât pas avec trop de précipitation à l'appât d'une nouveauté séduisante ; il falloit que le tems donnât de nouvelles lumieres sur son utilité. Trente ans d'expérience ont éclairci tous les doutes, & perfectionné la méthode. Les listes des morts de la petite vérole ont diminué d'un cinquieme en Angleterre, depuis que la pratique de l'inoculation est devenue plus commune, les yeux enfin se sont ouverts. C'est une vérité qui n'est plus contestée à Londres, que la petite vérole inoculée est infiniment moins dangereuse que la naturelle, & qu'elle en garantit : enfin dans un pays où l'on s'est déchaîné long-tems avec fureur contre cette opération, il ne lui reste pas un ennemi qui l'ose attaquer à visage découvert. L'évidence des faits & sur-tout la honte de soutenir une cause desespérée, ont fermé la bouche à ses adversaires les plus passionnés. Ouvrons les yeux à notre tour ; il est tems que nous voyons ce qui se passe si près de nous, & que nous en profitions.

Ce que la fable nous raconte du Minotaure & de ce tribut honteux dont Thésée affranchit les Athéniens, ne semble-t-il pas de nos jours s'être réalisé chez les Anglois ? Un monstre altéré du sang humain s'en repaissoit depuis douze siecles : sur mille citoyens échappés aux premiers dangers de l'enfance, c'est-à-dire sur l'élite du genre humain, souvent il choisissoit deux cent victimes, & sembloit faire grace quand il se bornoit à moins. Desormais il ne lui restera que celles qui se livreront imprudemment à ses atteintes, ou qui ne l'approcheront pas avec assez de précautions. Une nation savante, notre voisine & notre rivale, n'a pas dédaigné de s'instruire chez un peuple ignorant, de l'art de dompter ce monstre & de l'apprivoiser ; elle a sû le transformer en un animal domestique, qu'elle emploie à conserver les jours de ceux même dont il faisoit sa proie.

Cependant la petite vérole continue parmi nous ses ravages, & nous en sommes les spectateurs tranquilles, comme si la France avec plus d'obstacles à la population, avoit moins besoin d'habitans que l'Angleterre. Si nous n'avons pas eu la gloire de donner l'exemple, ayons au moins le courage de le suivre.

Il est prouvé qu'une quatorzieme partie du genre humain meurt annuellement de la petite vérole. De vingt mille personnes qui meurent par an dans Paris, cette terrible maladie en emporte donc quatorze cent vingt-huit. Sept fois ce nombre ou plus de dix mille, est donc le nombre des malades de la petite vérole à Paris, année commune. Si tous les ans on inoculoit en cette ville dix mille personnes, il n'en mourroit peut-être pas trente, à raison de trois par mille ; mais en supposant contre toute probabilité qu'il mourût deux inoculés sur cent, au lieu d'un sur trois ou quatre cent, ce ne seroit jamais que deux cent personnes qui mourroient tous les ans de la petite vérole, au lieu de quatorze cent vingt-huit. Il est donc démontré que l'établissement de l'inoculation sauveroit la vie à douze ou treize cent citoyens par an dans la seule ville de Paris, & à plus de vingt-cinq mille personnes dans le royaume, supposé, comme on le présume, que la capitale contienne le vingtieme des habitans de la France.

Nous lisons avec horreur que dans les siecles de ténebres, & que nous nommons barbares, la superstition des druides immoloit aveuglément à ses dieux des victimes humaines ; & dans ce siecle si poli, si plein de lumieres que nous appellons le siecle de la Philosophie, nous ne nous appercevons pas que notre ignorance, nos préjugés, notre indifférence pour le bien de l'humanité dévouent stupidement à la mort chaque année dans la France seule, vingt-cinq mille sujets qu'il ne tiendroit qu'à nous de conserver à l'état. Convenons que nous ne sommes ni philosophes ni citoyens.

Mais s'il est vrai que le bien public demande que l'inoculation s'établisse, il faut donc faire une loi pour obliger les peres à inoculer leurs enfans ? Il ne m'appartient pas de décider cette question. A Sparte où les enfans étoient réputés enfans de l'état, cette loi sans-doute eût été portée ; mais nos moeurs sont aussi différentes de celles de Lacédémone, que le siecle de Lycurgue est loin du nôtre : d'ailleurs la loi ne seroit pas nécessaire en France ; l'encouragement & l'exemple suffiroient, & peut-être auroient plus de force que la loi.

Portons nos vûes dans l'avenir. L'inoculation s'établira-t-elle un jour parmi nous ? Je n'en doute pas. Ne nous dégradons pas jusqu'au point de desesperer du progrès de la raison humaine ; elle chemine à pas lents : l'ignorance, la superstition, le préjugé, le fanatisme, l'indifférence pour le bien retardent sa marche, & lui disputent le terrein pas à pas ; mais après des siecles de combat vient enfin le moment de son triomphe. Le plus grand de tous les obstacles qu'elle ait à surmonter, est cette indolence, cette insensibilité, cette inertie pour tout ce qui ne nous intéresse pas actuellement & personnellement ; indifférence qu'on a souvent érigée en vertu, que quelques philosophes ont adoptée comme le résultat d'une longue expérience, & sous les spécieux prétextes de l'ingratitude des hommes, de l'inutilité des efforts qu'on fait pour les guérir de leurs erreurs, des traverses qu'on se prépare en combattant leurs préjugés, des contradictions auxquelles on doit s'attendre, au risque de perdre son repos le plus grand de tous les biens. Il faut avouer que ces réflexions sont bien propres à modérer le zele le plus ardent ; mais il reste au sage un tempérament à suivre, c'est de montrer de loin la vérité, d'essayer de la faire connoître, d'en jetter s'il peut la semence, & d'attendre patiemment que le tems & les conjectures la fassent éclorre.

Quelqu'utile que soit un établissement, il faut un concours de circonstances favorables pour en assurer le succès ; le bien public seul n'est nulle part un assez puissant ressort.

étoit-ce l'amour de l'humanité qui répandit l'inoculation en Circassie & chez les Géorgiens ? Rougissons pour eux, puisqu'ils sont hommes comme nous, du motif honteux qui leur fit employer cet heureux préservatif ; ils le doivent à l'intérêt le plus vil, au desir de conserver la beauté de leurs filles pour les vendre plus cher, & les prostituer en Perse & en Turquie. Quelle cause introduisit ou ramena l'inoculation en Grece ? L'adresse & la cupidité d'une femme habile qui sut mettre à contribution la frayeur & la superstition de ses concitoyens. J'ai vû des Marseillois à Constantinople faire inoculer leurs enfans avec le plus grand succès : de retour en leur patrie, ils ont abandonné cet usage salutaire. Avoient-ils été déterminés par l'amour paternel ou par la force impérieuse de l'exemple ? A Geneve celui d'un magistrat éclairé n'eût pas suffi, sans une épidémie cruelle qui répandoit la terreur & la désolation dans les premieres familles. Dans la Guiane la crainte, peut-être le desespoir de voir tous les Indiens périr l'un après l'autre sans ressources, purent seuls déterminer un religieux timide à faire l'essai d'une méthode qu'il connoissoit mal, & que lui-même croyoit dangereuse. Un motif plus noble, on ne peut le nier, anima la femme courageuse qui porta l'inoculation en Angleterre : rien ne fait plus d'honneur à la nation angloise, au college des medecins de Londres, & au roi de la Grande-Bretagne, que les vûes qui la firent adopter, & les sages précautions avec lesquelles elle y fut reçue ; mais n'a-t-elle pas essuyé trente ans de contradiction ?

Quand toute la France seroit persuadée de l'importance & de l'utilité de cette pratique, elle ne peut s'introduire parmi nous sans la faveur du gouvernement ; & le gouvernement se déterminera-t-il jamais à la favoriser sans consulter les témoignages les plus décisifs en pareille matiere ?

C'est donc aux facultés de Théologie & de Médecine ; c'est aux Académies ; c'est aux chefs de la Magistrature, aux Savans, aux gens de Lettres, qu'il appartient de bannir des scrupules fomentés par l'ignorance, & de faire sentir au peuple que son utilité propre, que la charité chrétienne, que le bien de l'état, que la conservation des hommes sont intéressés à l'établissement de l'inoculation. Quand il s'agit du bien public, il est du devoir de la partie pensante de la nation d'éclairer ceux qui sont susceptibles de lumiere, & d'entraîner par le poids de l'autorité cette foule sur qui l'évidence n'a point de prise.

Faut-il encore des expériences ? Ne sommes-nous pas assez instruits ? Qu'on ordonne aux hôpitaux de distinguer soigneusement dans leurs listes annuelles, le nombre de maladies & de morts de chaque espece de maladie, comme on le pratique en Angleterre ; usage dont on reconnoîtroit avec le tems de plus en plus l'utilité : que dans un de ces hôpitaux l'expérience de l'inoculation se fasse sur cent sujets qui s'y soumettront volontairement ; qu'on en traite cent autres de même âge, attaqués de la petite vérole naturelle ; que tout se passe avec le concours des différens maîtres en l'art de guérir, sous les yeux & sous la direction d'un administrateur dont les lumieres égalent le zele & les bonnes intentions. Que l'on compare ensuite la liste des morts de part & d'autre, & qu'on la donne au public : les moyens de s'éclaircir & de résoudre les doutes, s'il en reste, ne manqueront pas, quand, avec le pouvoir, on aura la volonté.

L'inoculation, je le répete, s'établira quelque jour en France, & l'on s'étonnera de ne l'avoir pas adoptée plutôt ; mais quand arrivera ce jour ? Oserai-je le dire ? Ce ne sera peut-être que lorsqu'un évenement pareil à celui qui répandit parmi nous en 1752 de si vives allarmes, & qui se convertit en transport de joie (la petite vérole de M. le Dauphin), réveillera l'attention publique ; ou, ce dont le ciel veuille nous préserver, ce sera dans le tems funeste d'une catastrophe semblable à celle qui plongea la nation dans le deuil, & parut ébranler le trone en 1711. Alors si l'inoculation eût été connue, la douleur récente du coup qui venoit de nous frapper, la crainte de celui qui menaçoit encore nos plus cheres espérances, nous eussent fait recevoir comme un présent du ciel ce préservatif que nous négligeons aujourd'hui. Mais à la honte de cette fiere raison, qui ne nous distingue pas toujours assez de la brute, le passé, le futur, font à peine impression sur nous : le présent seul nous affecte. Ne serons-nous jamais sages qu'à force de malheurs ? Ne construirons-nous un pont à Neuilly, qu'après que Henry IV. aura couru risque de la vie en y passant le bac ? N'élargirons-nous nos rues qu'après qu'il les aura teintes de son sang ?

Quelques-uns traiteront peut-être encore de paradoxe ce qui depuis trente ans devroit avoir perdu ce nom : mais je n'ai point à craindre cette objection dans le centre de la capitale, & moins encore dans cette académie. On pourroit au contraire, avec bien plus de fondement, m'accuser de n'avoir exposé que des vérités communes, connues de tous les gens capables de réfléchir, & de n'avoir rien dit de nouveau pour une assemblée de gens éclairés. Puisse cet écrit ne m'attirer que ce seul reproche ! Loin de le craindre, je le desire : & sur-tout puisse-t-on mettre au nombre de ces vérités vulgaires que j'étois dispensé de rappeller, que si l'usage de l 'inoculation étoit devenu général en France depuis que la famille royale d'Angleterre fut inoculée, on eût déja sauvé la vie à près d'un million d'hommes, sans y comprendre leur postérité !

Quoique nous ayons tâché dans cet article de ne rien omettre d'essentiel de ce qui concerne l'inoculation, nous indiquerons pour la satisfaction des lecteurs, quelles sont les sources où nous avons puisé. Nous regrettons que la réfutation de la lettre de Wagstaffe au docteur Freind par le docteur Arbuthnot, sous le nom de Maitland (Londres 1723) ; l'analyse de l'inoculation, par le docteur Kirk-Patrick, (Londres 1754) ; le traité hollandois sur les avantages de cette méthode, par une société de medecins & de chirurgiens de Rotterdam, n'ayent pas été traduits en françois. Les meilleurs ouvrages sur l'inoculation en notre langue, & dont nous conseillons la lecture à ceux qui desirent s'instruire plus amplement sur cette matiere, sont la lettre de M. de la Coste à M. Dodart, (Paris 1723) ; le recueil de pieces concernant l 'inoculation, (Paris 1756), par M. de Montucla, auteur de l'histoire des Mathématiques ; on y trouvera la traduction des écrits latins de Timoni & Pilarini ; celle des relations angloises, des succès de la petite vérole artificielle, par Messieurs Jurin & Scheuchzer, depuis 1721 jusqu'en 1729, & une notice de la plûpart des écrits pour & contre, &c. Un autre recueil imprimé à la Haie en 1756 ; le traité de l'inoculation de M. Butini, Paris 1752 ; le mémoire de M. Guyot, tome II. des Mém. de l'académie de Chirurgie ; l'essai apologétique de M. Chais, la Haie 1754 ; l'inoculation justifiée de M. Tissot, Lausanne 1754 ; la lettre du même à M. de Haen ibid. 1759 : enfin, les deux mémoires & les lettres imprimées de M. de la Condamine, dont nous avons fait le plus d'usage dans cet article.

Quant aux écrits contre l'inoculation, nous les avons indiqués dans l'histoire que nous avons donnée de la méthode ; mais quand on a lû la lettre de Wagstaffe, doyen des anti-inoculistes, au docteur Freind, qui a été imprimée plusieurs fois en françois, on ne trouve plus rien de nouveau dans les ouvrages des autres, qui n'ont fait que répéter ses objections, & dissimuler les réponses qu'on y a faites.

INOCULATION, terme que l'usage a consacré à l'opération par laquelle on communique au corps sain la petite vérole par application, ou par insertion.

Les plus anciens monumens de cette opération bien constatés, se trouvent chez un peuple dénué des Arts, & en particulier de celui de la Médecine. Il est vraisemblable que les ravages de la petite vérole inspirerent aux Arméniens la crainte qui accompagne & qui suit par-tout ses funestes effets. Il se joignit un second intérêt à celui de la vie qui ne vaut que quelques sols par jour pour un million d'Européens. Les Arméniens font un commerce honteux à l'humanité, des femmes de Georgie & de Circassie, qui sont les plus belles de l'Orient ; on sait qu'ils les achetent & les revendent à raison de leur beauté. La perte que la petite vérole leur causoit, combinée avec une observation très-simple, que les effets funestes de cette maladie sur la vie & sur la beauté, augmentoient avec l'âge, fixa leur attention sur une expérience que quelque heureux hasard vraisemblablement leur fit faire. L'esprit de calcul, toujours ingénieux, y trouva son compte, & consacra une méthode qui sans danger pour les enfans assûroit la valeur, en conservant la vie & la beauté des adultes. Cette méthode très-simple & très-informe dans son origine, se répandit insensiblement à Constantinople & à Smyrne. Les Arméniens l'enseignerent aux Grecs qui y sont établis, & qui, selon les apparences, n'en ont jamais connu ni l'inventeur ni la date. Un italien nommé Pilarini, qui étoit à Constantinople au commencement de ce siecle, fut le premier medecin qui fit l'heureux essai de cette méthode sur quatre enfans d'un grec de ses amis ; il en informa la société royale de Londres ; & sa lettre qui est pleine de bon sens & de franchise, fut imprimée dans les Transactions philosophiques, en 1716. Il assuroit dès-lors que le succès de cette méthode n'étoit plus contesté chez les Grecs ; il n'y est point question des Turcs qui ne peuvent pas inoculer.

Timoni, autre medecin italien demeurant à Constantinople, avoit adressé deux ans auparavant à la même société royale, une relation à-peu-près semblable, moins sage cependant que la précédente. Le peu d'attention qu'il y donne à la préparation, induisit à erreur bien des gens qui n'imaginent pas que ceux qui vivent pour manger, doivent être tout autrement traités que ceux qui ne mangent que pour vivre. Ce dernier cas étoit celui des Circassiens ; l'autre malheureusement n'étoit que trop celui des Anglois & de quantité d'Européens, pour qui les précautions de la préparation sont d'autant plus nécessaires que leurs moeurs sont altérées.

Ce fut à la sollicitation du chevalier Hans Sloane, & du fameux Sherard, consul d'Angleterre en Turquie, que Pilarini fit sa relation. Ce n'étoit jusqu'ici pour les Anglois qu'un objet de curiosité ; mais Milady Wortley-Montaigu, ambassadrice à la Porte, y ayant fait inoculer en 1717, son propre fils âgé de six ans, fixa sur elle les regards de sa nation, & préparant dès-lors les esprits, de retour à Londres en 1721, elle les gagna tout-à-fait, en faisant inoculer sa fille. Le mois d'Avril de cette année fut donc l'époque de l'inoculation en Angleterre.

L'état dangereux de la princesse royale qui fut alors très-mal de la petite vérole naturelle, donna de l'inquiétude à la princesse de Galles pour ses autres enfans ; elle fit demander au roi par le chevalier Hans-Sloane, la permission de les faire inoculer. Le roi y consentit, & permit à Charles Maitland, chirurgien de Milady Montaigu, d'en faire l'expérience sur six malfaiteurs condamnés à mort. Cette opération se fit le 9 Août 1721, sur trois hommes & trois femmes d'âge & de tempérament différens.

Quatre jours après, Maitland inquiet de l'effet de l'opération, la répéta de nouveau sur les mêmes criminels ; Richard Evans fut le seul qui ne fut pas inoculé deux fois ; ses plaies étoient seches & fermées le sixieme jour ; il avoit eu dans la prison la petite vérole naturelle au mois de Septembre de l'année précédente. Les cinq autres l'eurent très-heureusement, & sortirent bien portans de prison le sixieme Septembre. Elisabeth Harrisson fut la plus malade avant l'éruption ; on avoit fait sur elle une double expérience, outre l'opération ordinaire ; on porta dans son nez du pus variolique avec un pinceau. Cet essai n'ayant pas paru suffisant, on en fit encore un second sur cinq enfans de la paroisse de S. James ; l'évenement fut également heureux.

Deux des princesses furent alors hardiment inoculées ; & de 182 personnes qui le furent dans le courant de cette année, il n'en mourut que deux. De 897 qui le furent jusqu'en 1728, il en mourut 17, tandis qu'il parut par les bills mortuaires que dans ce même espace de tems, la petite vérole naturelle avoit emporté un douzieme du total des morts.

Ces premiers essais ne furent guere moins heureux dans la nouvelle Angleterre : il n'en mourut que six de 282, qui furent inoculés depuis le commencement jusqu'à la fin de 1722. En rapprochant ces deux nombres, on voit que de 1179 personnes inoculées en Europe & en Amérique, il n'en étoit pas mort deux de cent. De si grands succès devoient inspirer une confiance générale ; mais la mort de deux jeunes seigneurs intimida au point, que l'inoculation en fut pendant quelque tems suspendue. L'Asie l'avoit donnée à l'Europe, l'Amérique la lui rendit. Une petite vérole très-meurtriere ayant été portée de l'Afrique dans la Caroline méridionale en 1738, de cent malades il en mourut vingt. On prit le parti d'inoculer ; & de 800 malades, il n'en mourut que neuf. On fut tout aussi heureux en Pensylvanie ; un gentilhomme de S. Christophe, de 300 negres n'en perdit pas un. De 2109 inoculés en 1752 dans la nouvelle Angleterre, il n'en mourut que 31. De 3209 inoculés en Amérique, il n'en est donc mort que 40, ce qui ne fait qu'un sur 80.

De tels succès ne pouvoient manquer de faire du bruit en Angleterre ; l'inoculation s'y rétablit ; on y donna plus d'attention ; la préparation se fit avec plus de soin ; l'expérience enfin la rendit plus sûre. On l'a perfectionnée au point, que de 1500 personnes inoculées, il n'en est mort que trois ; & sur mille, un maître de l'art (M. Ramby) n'en a pas perdu un seul. Il paroît donc que tout dépend du choix des sujets & de la préparation.

Une méthode devenue aussi sûre, & qui réunit en elle tous les avantages possibles, devoit naturellement se répandre en Europe : ce ne fut pourtant qu'en 1748, que M. Tronchin, inspecteur du college des medecins à Amsterdam, & depuis professeur de Médecine à Genève, inocula à Amsterdam son fils aîné. La crainte qu'il avoit eue de perdre le plus jeune, qui passa par toutes les horreurs de la petite vérole naturelle, l'y détermina. Cette inoculation fut la premiere qu'on vit dans l'Europe chrétienne (a) hors des îles britanniques. M. Tronchin la fit sur neuf autres personnes avec un grand succès. La petite vérole cessa, & l'année d'après M. Tronchin étant allé faire un voyage à Genève, il y conseilla l'inoculation ; sa famille en donna l'exemple ; on le suivit ; & cette opération s'y est si bien soutenue, que de deux cent personnes qui y ont été inoculées, il n'en est mort qu'une seule. La petite vérole ayant reparu à Amsterdam en 1752, l'année suivante on inocula de nouveau ; les familles les plus respectables montrerent l'exemple ; on le suivit à la Haye. M. Schwenke, professeur d'Anatomie & célebre medecin, donna à cette méthode tout le crédit qu'elle peut avoir. Ses succès répétés la confirmerent, & l'ont ensuite répandue dans les principales villes de la Hollande, où elle a triomphé des préjugés les plus opiniâtres & les plus spécieux. Depuis ce tems-là, elle s'est répandue en Allemagne, en Suede, & en Danemark. La France résistoit encore malgré la force de l'exemple & des raisons qu'un de ses plus célebres académiciens avoit exposé avec autant de vérité que d'esprit & de force : mais S. A. S. Monsieur le duc d'Orléans, le plus tendre & le plus sage des peres, prit enfin la résolution de faire inoculer ses enfans. Il les confia à M. Tronchin, & donna en 1756 à toute la France un exemple de fermeté & de sagesse dont elle lui sera toujours redevable.

L'inoculation du duc de Chartres & de Mademoiselle, sera l'époque de cette opération en France.

Les premiers détails de cette opération, avant ce que Timoni & Pilarini en ont dit, se sont perdus dans le silence & dans l'obscurité du tems. Il paroît seulement qu'elle étoit dans les mains de quelques femmes grecques, & que ses premiers succès ne furent dûs qu'à la constitution des sujets, dont les moeurs & le genre de vie très-simple & très-uniforme exigeoient peu de préparation. La charlatanerie presqu'aussi ancienne que la peur de la mort, & qui naît par-tout de la crainte des uns, & de la fourberie des autres, ne respecta pas cette opération. Une vieille thessalienne plus adroite que les autres, trouva le moyen de persuader aux Grecs que ce n'étoit pas une invention humaine ; la sainte Vierge, disoit-elle, l'avoit revélée aux hommes, & pour la sanctifier, elle accompagnoit son opération de signes de croix, & de prieres qu'elle marmotoit entre ses dents & qui lui donnoient un air de mystere. Indépendamment de son salaire, elle exigeoit toujours quelques cierges qu'elle présentoit à la Vierge. Ce présent souvent répété intéressoit les prêtres grecs en sa faveur ; ils devenoient ses protecteurs, & pour augmenter l'illusion, elle faisoit ses piquûres en haut du front, au menton & près des oreilles ; cette espece de croix faisoit impression sur le peuple : il lui faut toujours du merveilleux. La préparation se réduisoit alors à un purgatif, à l'abstinence de viandes, d'oeufs & de vin pendant quelques jours, & à se défendre du grand air & du froid, en se tenant renfermé. Le pus variolique pour l'inoculation se prenoit toujours d'un enfant sain, dont la petite vérole étoit de la meilleure espece naturelle ou artificielle, indifféremment. Il paroît que dans ce tems là on n'employoit point les incisions, on se contentoit de piquûres qu'on faisoit où l'on vouloit ; au moyen d'une aiguille d'argent émoussée, on mêloit un peu de pus avec le sang qui en sortoit, & on couvroit les petites plaies pour que le frottement ne dérangeât pas l'opération. On ne laissoit cet appareil que cinq ou six heures, après lesquelles on l'ôtoit. Pendant trois ou quatre semaines on nourrissoit l'inoculé de crême d'orge & de farine, & de quelques légumes : voilà à quoi se réduisoit la premiere opération grecque ; il n'en falloit pas davantage. D'autres précautions devenues absolument nécessaires, relativement à d'autres moeurs & à une autre façon de vivre, étoient inutiles à un peuple, dont la simplicité de la diete égaloit celle des premiers tems ; il paroît que dans tous les cas quelques piquûres auroient pû suffire.

Timoni le premier imagina les incisions. Les hommes se portent volontiers à imaginer des changemens dans les choses mêmes où ils sont le moins nécessaires. Timoni prétendit, on ne sait pourquoi, qu'on devoit faire des incisions dans les parties les plus charnues, il voulut que ce fût aux bras. Maitland adopta cette pratique, il l'apporta à Londres, l'usage l'y consacra. Elle avoit cependant d'assez grands inconvéniens dans les enfans & dans les adultes ; la peur de l'instrument tranchant & la douleur de l'incision, jette dans l'ame des enfans une terreur qui se renouvelle à chaque pansement par la crainte qu'il leur inspire. On en a vû plus d'une fois qui en ont pris des convulsions, toujours à craindre dans un cas où il est de la derniere importance de maintenir le calme le plus parfait dans l'économie animale. L'irritation du biceps sur lequel se fait l'incision, irritation nécessairement produite par l'inflammation qui suit l'incision, augmente très-souvent la fievre, & cause jusques sous l'aisselle une douleur quelquefois vive, & presque toujours inquiétante. L'artere & le nerf axillaire en sont agacés, & l'irritation de ce nerf se communique au genre nerveux ; celle de l'artere, au moyen de la sous-claviere dont elle est la continuation, se communique de proche en proche à l'aorte ascendante, d'où elle prend sa naissance ; tous les rameaux donc de l'artere sous-claviere & de l'aorte ascendante s'en ressentent plus ou moins, la mammaire interne, la médiastine, la péricardine, la petite diaphragmatique, autrement dite la supérieure, la thymique, la trachéale, la vertébrale,

(a) Ce fait n'est pas exactement vrai ; on en avoit fait plusieurs à Hanovre : le feu Prince de Galles y avoit été inoculé. Roncalli parle d'une inoculation faite à Brescia en 1739, & qui réussit.

les cervicales, & quelquefois les intercostales supérieures, les carotides enfin, toutes destinées à la tête & aux parties supérieures, participent à l'irritation. Les rameaux supérieurs de l'artere axillaire, qui sont la mammaire externe, les thorachiques supérieures & inférieures, les scapulaires internes & externes & l'humérale, y sont encore plus exposées.

Ce méchanisme explique comment l'inoculation faite aux bras, augmente l'éruption à la tête & les accidens qui l'accompagnent ; il décide par conséquent pour l'inoculation aux jambes, dont l'éloignement de la tête & la nature des parties qui en sont affectées par proximité ou par sympathie, donnent bien de l'avantage. L'expérience le confirme, & c'est elle qui depuis plusieurs années a déterminé M. Tronchin à abandonner l'ancienne méthode, & à inoculer aux jambes. Tout l'effort de l'éruption de Mademoiselle d'Orléans fut aux jambes, & il est très-vraisemblable que sans les larmes qui coulent si facilement à son âge, elle n'en auroit pas eu aux paupieres.

Un autre desavantage de l'inoculation aux bras, c'est qu'elle oblige ordinairement le malade d'être couché sur le dos, & de s'y tenir pendant plusieurs jours ; la chaleur des reins en particulier & de l'épine du dos en général, que les maîtres de l'art craignent tant, est une raison plus que suffisante pour préférer une méthode qui laisse au corps la liberté de ses mouvemens, & qui maintient dans toutes ses parties une égalité de chaleur, & une température si favorable à l'éruption.

Il est aisé de conclure de ce qui a été dit, qu'il est indifférent pour les adultes que l'inoculation se fasse au moyen des vésicatoires ou par incision, pourvû qu'elle se fasse aux jambes. Il n'en est pas de même des enfans, la méthode la plus facile & la plus douce est non-seulement préférable, mais elle paroît nécessaire. L'application & le pansement des petits vésicatoires est, pour ainsi dire un jeu ; ils n'ont rien qui effraye, & le traitement s'en fait sans douleur : peut-être même que la guérison en est plus promte, vingt-un jours y suffisent.

Maitland transmit à ses successeurs l'opération de Timoni, telle qu'il l'avoit reçue de son maître ; la préparation lui appartenoit aussi : la complaisance avec laquelle on adopta celle-là, ne se démentit point dans celle-ci. Timoni étoit un maître avantageux, dont la vivacité & la prévention étoient incompatibles avec l'heureuse défiance qui caractérise les bons guides ; il est même possible qu'accoutumé aux Grecs, dont la vie simple & frugale est un régime, il n'imagina pas que l'inoculation portée chez des peuples dont la vie ordinaire est un excès, exigeroit plus de précautions, & c'étoit aux Anglois sur-tout d'en faire la remarque. Mais qui ne sait que l'exemple séduit aisément la raison, que les plus grands medecins en sont quelquefois les dupes, & que les malades en sont souvent les victimes. On crut qu'il falloit suivre Timoni, & on ne tint compte ni de la différence du climat, ni de celle des moeurs & des alimens. C'est à ce manque d'attention qu'on doit attribuer les premiers accidens de l'inoculation, & ce n'est pas la seule fois qu'on a mis injustement sur le compte de l'art les fautes des artistes. Cette reflexion est si vraie, que nous avons nommé un maître de l'art, qui de mille inoculés n'en a pas perdu un seul. Il n'en faut pas tant pour prouver que de si grands succès de l'inoculation entre les mains des habiles gens, portent avec eux les caracteres de la bénédiction divine.

Ainsi toutes les objections qu'on a élevées contre l'inoculation confiée à des yeux éclairés & à des mains sages, se détruisent par les faits, excepté celles que la malice, l'ignorance, la jalousie ou l'opiniâtreté, osent imaginer ; on leur donne du prix en y répondant, & c'est le seul qu'elles puissent avoir.

La petite vérole artificielle préserve de la contagion, tout comme la petite vérole naturelle ; & s'il étoit vrai, ce qui n'a pas encore été décidé, qu'il y eût quelques exceptions à cette regle générale, on pourroit tout-au-plus en conclure, que la prudence prend quelquefois des précautions inutiles. L'inoculation ne communique aucune autre maladie, quoique la preuve n'en soit que négative ; qui est-ce qui ne s'en contentera pas ? la chose n'est pas susceptible d'une preuve positive. (a) Trente années d'observations, dont aucune jusqu'à présent ne l'invalide, doivent nous tranquilliser ; où est d'ailleurs le medecin sage qui n'exige qu'on soit attentif sur le choix du pus dont on se sert pour inoculer ? Si après tout ce qui a été dit & écrit sur cette matiere, il étoit besoin d'encouragemens, la petite vérole naturelle nous les donneroit en foule. C'est aux vrais medecins, & le nombre en est bien petit, à apprécier les complimens que les adversaires de l'inoculation leur prodiguent ; ils avoueront tout d'une voix, que dans les grandes épidémies les ressources de l'art sont très petites, & les billets mortuaires n'en font que trop foi. Que seroit-ce si on ajoûtoit, que peut-être l'art même rend la mortalité plus grande, & que la petite vérole est de toutes les maladies celle qu'on traite le plus mal ? Epargnons au lecteur des réflexions aussi tristes, & aux medecins un compte aussi mortifiant ; chacun peut aisément juger de ce qui se passe sous ses yeux ; car quel est le pays, la ville, le bourg ou le village dont cette cruelle maladie ne décime les habitans ? Montpellier qui passe en France pour être un des sanctuaires de l'art, en a fait de nos jours la triste expérience ; mais tout le monde ne sait pas qu'au Brésil la petite vérole est mortelle pour le plus grand nombre d'habitans, que dans l'Amérique méridionale, elle fait autant de ravage que la peste ; qu'en Barbarie & au Levant, de cent il en meurt plus de trente. Passons sous silence les victimes qu'elle laisse languissantes & privées de la vûe & de l'oüie, mutilées & couvertes de cicatrices. Article de M. TRONCHIN.

INOCULATION, s. f. (Jardinage) c'est l'action d'entrer en bouton, en écusson, dont parlent assez souvent Virgile, Pline, Columelle. Voyez GREFFE.


INODORESUBSTANCE, (Chimie & mat. med.) on appelle ainsi toute substance qui est naturellement dépourvue de principe aromatique ou odorant. Voy. ODORANT principe. (B)


INOFFICIEUXadj. (Jurispr.) se dit de ce qui nuit aux droits que quelqu'un avoit à espérer. On appelle testament inofficieux le testament dans lequel ceux qui ont droit de légitime, sont exherédés ou passés sous silence.

On appelle donation inofficieuse & dot inofficieuse, celles qui sont si excessives qu'il ne reste pas de quoi fournir les légitimes. Voyez INOFFICIOSITE, TESTAMENT, LEGITIME & QUERELLE D'INOFFICIOSITE. (A)


INOFFICIOSITÉS. f. (Jurisprud.) est tout ce qui se fait contre le devoir naturel, quasi contra officium pietatis.

Voyez ci-devant INOFFICIEUX & PLAINTE D'INOFFICIOSITE. (A)

INOFFICIOSITE plainte d', inofficiosi querela, (Droit Romain) action accordée chez les Romains aux enfans exherédés, par laquelle action ils faisoient examiner en justice, non si le testateur avoit eu le pouvoir de donner ses biens, pour de justes causes,

(a) La preuve positive n'existoit pas ou n'étoit pas encore devenue publique, quand ce Mémoire a été écrit.

à d'autres qu'à eux, mais seulement si les raisons qui l'avoient porté à faire une disposition aussi contraire aux sentimens naturels, étoient suffisantes. Que s'il paroissoit qu'il y eût été uniquement poussé par quelque surprise, quelque artifice, quelque fraude, ou qu'il eût agi par pure bisarrerie, la succession étoit adjugée d'autorité publique à ceux qui auroient hérité par le testament même, si le défunt l'eût fait sans passion, sans prévention, & sans un travers d'esprit extraordinaire ; cependant, pour adoucir en quelque chose ce que la plainte d'inofficiosité renfermoit d'injurieux à la mémoire du testateur, les enfans deshérités prenoient la tournure de soutenir que leur pere n'avoit pas eu l'usage libre de son bon sens, lorsqu'il avoit testé ; mais au fond cette tournure n'étoit qu'un jeu d'esprit, & la décision des juges restoit comme parmi nous toujours arbitraire, ce qui est un grand défaut dans la jurisprudence. Voyez ici Mornacius, ad leg. II & IV. ff. de inoffic. testam. Grotius, dans ses sparsiones florum sur ces lois ; M. Noodt, sur digest. lib. V. tit. ij. de inoffic. testam. Domat, lois civiles, part. II. liv. III. tit. ij. les observations de M. de Bynkerthoek, lib. II. cap. xij. Puffendorf. (D.J.)


INONDATIONS. f. (Phys.) débordement d'eaux qui sortent de leur lit.

" Presque tous les pays arrosés par de grands fleuves, dit M. de Buffon dans le premier volume de son histoire naturelle, sont sujets à des inondations périodiques sur tous les pays bas & voisins de leur embouchure ; & les fleuves qui tirent leurs sources de fort loin, sont ceux qui débordent le plus régulierement. Tout le monde a entendu parler des inondations du Nil ; il conserve dans un grand espace, & fort loin dans la mer, la douceur & la blancheur de ses eaux. Strabon & les autres anciens auteurs ont écrit qu'il avoit sept embouchures ; mais aujourd'hui il n'en reste que deux qui soient navigables ; il y a un troisieme canal qui descend à Alexandrie, pour remplir les cîternes, & un quatrieme canal qui est encore plus petit ; comme on a négligé depuis fort long-tems de nettoyer les canaux, ils se sont comblés : les anciens employoient à ce travail un grand nombre d'ouvriers & de soldats, & tous les ans, après l'inondation, l'on enlevoit le limon & le sable qui étoient dans les canaux ; ce fleuve en charrie une très-grande quantité. Tout le plat pays d'Egypte est inondé par le Nil ; mais ce débordement est bien moins considérable aujourd'hui qu'il ne l'étoit autrefois (voyez FLEUVE) ; car Hérodote nous dit que le Nil étoit cent jours à croître, & autant à décroître ; si le fait est vrai, on ne peut guere en attribuer la cause qu'à l'élevation du terrein que le limon des eaux a haussé peu-à-peu, & à la diminution de la hauteur des montagnes de l'intérieur de l'Afrique dont il tire sa source : il est assez naturel d'imaginer que ces montagnes ont diminué, parce que les pluies abondantes qui tombent dans ces climats pendant la moitié de l'année, entraînent les sables & les terres du dessus des montagnes dans les vallons, d'où les torrens les charrient dans le canal du Nil, qui en emporte une bonne partie en Egypte, où il les dépose dans ses débordemens.

Le Nil n'est pas le seul fleuve dont les inondations soient périodiques & annuelles ; on a appellé la riviere de Pégu le Nil indien, parce que ses débordemens se font tous les ans régulierement ; il inonde ce pays à plus de trente lieues de ses bords, & il laisse comme le Nil un limon qui fertilise si fort la terre, que les pâturages y deviennent excellens pour le bétail, & que le riz y vient en si grande abondance, qu'on en charge tous les ans un grand nombre de vaisseaux, sans que le pays en manque. Quelques autres fleuves débordent aussi tous les ans (voyez FLEUVE) ; mais tous les autres fleuves n'ont pas des débordemens périodiques, & quand il arrive des inondations, c'est un effet de plusieurs causes qui se combinent pour fournir une plus grande quantité d'eau qu'à l'ordinaire, & pour retarder en même tems la vîtesse du fleuve ". Voyez les articles FLEUVE & DEBORDEMENT.


INOPINÉadj. (Gram.) qui vient sans être attendu. Un accident inopiné ; un bonheur inopiné ; ainsi il se prend en bonne & en mauvaise part.


INOSARCION(Hist. nat.) nom donné à une espece d'émeraude par les anciens naturalistes. On dit que cette pierre n'étoit pas d'une couleur nette & pure comme celle des belles émeraudes ; mais elle avoit des veines qui faisoient que la lumiere y étoit réfléchie, de maniere qu'on y voyoit des couleurs changeantes comme celles de la queue du paon, & de la gorge des pigeons. Supplem. de Chambers.


INOUIadj. (Gram.) dont on n'a pas encore entendu parler. On dit le cas est inoui ; l'action est inouie ; il est inoui qu'on ait puni deux fois pour la même faute. Il se prend encore dans un autre sens, comme dans ces vers :

Cerbere en est ému ; ses oreilles avides

Savourent des accens aux enfers inouis ;

Et sur le front des Eumenides

Les serpens en sont réjouis.


INOWLADISLOWInniuladislovia, (Géog.) ville de Pologne, capitale de la Cujavie, avec un fort & un château où réside l'évêque de Gnesne ; elle est située sur le bord méridional de la Vistule, à 32 lieues N. O. de Varsovie, 15 N. O. de Lembourg. Long. 37. 15. lat. 52. 38. (D.J.)


INQUANTS. m. (Jurisp.) ancien terme de pratique, qui est encore usité dans quelques provinces, pour exprimer les encheres. Ce terme vient du latin in quantum que l'on disoit pour demander à combien la chose étoit portée. Les encheres se faisoient anciennement par demandes & par réponses. L'officier qui faisoit l'adjudication, demandoit à ceux qui se présentoient pour enchérir in quantum rem dicebant, & l'enchérisseur répondoit une somme. Voyez ENCHERE. (A)


INQUARTS. m. (Docimas.) c'est le départ par la voie humide, où l'or est à la quantité de l'argent, comme un est à trois. Voici les conditions requises pour que cette opération réussisse bien. On sait que l'eau-forte agit bien sur l'argent, quand il est en la quantité relative dont nous venons de parler, & elle agit d'autant mieux qu'il y a plus d'argent ; mais si l'or n'y est pas pour moins d'un tiers, l'eau-forte n'agit pas ; il faut ajouter de l'argent, mais il ne faut pas y en mettre plus qu'il ne convient ; car alors il s'en détache des paillettes d'or, ce qu'on n'a point à craindre avec les proportions requises, à moins que la dissolution ne se fasse trop rapidement ; car l'or doit rester dans son entier. Voyez CORNET, DEPART, ROULEAU & GRENAILLER.


INQUIET(Maréchal.) un cheval inquiet est la même chose qu'un cheval qui a de l'ardeur. Voyez ARDEUR.


INQUIÉTATION(Jurisprud.) est un ancien terme de pratique, qui signifie trouble, interruption. Il se trouve dans quelques coutumes, notamment dans les articles 113, 114 & 118 de la coutume de Paris. Voyez INTERRUPTION, TROUBLE. (A)


INQUIÉTUDES. f. (Gramm. & Morale) c'est une agitation de l'ame qui a plusieurs causes ; l'inquiétude, quand elle est devenue habituelle, se trouve ordinairement dans les hommes, dont les devoirs, l'état, la fortune contrarient l'instinct, les goûts, les talens. Ils sentent fréquemment le besoin de faire autre chose que ce qu'ils font. Dans l'amour, dans l'ambition, dans l'amitié, l'inquiétude est presque toujours l'effet du mécontentement de soi-même, du doute de soi-même, & du prix extrême qu'on attache à la possession de sa maîtresse, d'une place, de son ami. Il y a un autre genre d'inquiétude, qui n'est qu'un effet de l'ennui, du besoin, des passions, du dégoût. Il y a l'inquiétude des remords. Voyez REMORDS.

INQUIETUDE, (Med. Pathologie) symptome de maladie désigné plus communément dans le langage ordinaire par les noms d'anxiété, d'angoisse, de jactation, &c. Voyez ANGOISSE & JACTATION.


INQUISITEURS. m. (Hist. ecclés.) officier du tribunal de l'inquisition. Voyez INQUISITION & OFFICE, Congrégation du S.

Il y a des inquisiteurs généraux & des inquisiteurs particuliers. Saint Dominique fut le premier inquisiteur général, commis par Innocent III. & par Honoré III. contre les hérétiques Albigeois. De-là vient que les généraux de cet ordre ont été long-tems comme inquisiteurs nés dans la chrétienté. Le pape même qui les nomme actuellement, laisse toujours subsister à Rome la congrégation du saint Office dans le couvent de la Minerve des dominicains ; & ces moines sont encore inquisiteurs dans 32 tribunaux de l'Italie, sans compter ceux de l'Espagne & du Portugal.

Les inquisiteurs généraux de la ville de Rome en particulier, sont les cardinaux membres de la congrégation du saint-office. Ils prennent le titre d'inquisiteurs généraux dans toute la chrétienté ; mais heureusement ils n'ont point de jurisdiction en France, dont le royaume fait partie de la chrétienté.

Le grand inquisiteur d'Espagne est nommé par le roi d'Espagne, & après avoir été confirmé par le Pape il juge en dernier ressort & sans appel à Rome. Le droit de confirmation suffit à Sa Sainteté pour prouver que l'inquisition releve d'elle immédiatement.

Je finis par une requête inutile, c'est de prier MM. les inquisiteurs d'Espagne & de Portugal, de vouloir bien lire les très-humbles remontrances qui leur sont adressées dans l'esprit des loix. liv. XXV. chap. xiij. (D.J.)

INQUISITEUR D'ETAT, sub. mas. (Hist. mod. de Venise) membre d'un tribunal qu'on appelle le tribunal des inquisiteurs d'état, le plus révoltant & le plus formidable qu'on ait jamais établi dans aucune république. Il est seulement composé de trois membres, qui sont deux sénateurs du conseil des dix, & un des conseillers du dôge. Ces trois hommes exercent leur pouvoir absolu sur la vie de tous les sujets de l'état, & même sur celle des nobles, après avoir oui leur justification, sans être tenus de rendre compte à personne de leur conduite, ni d'en communiquer avec aucun conseil, s'ils se trouvent tous trois de même avis.

Les deux seuls avocadors ou procureurs généraux ont droit de suspendre pendant trois jours les jugemens de ce tribunal, lorsqu'il ne s'agit pas d'un crime que le tribunal répute positif.

Ses exécutions sont très-secrettes ; & quelquefois sur la simple confrontation de deux témoins ou d'espions dont la ville est remplie, ils envoyent noyer un misérable pour quelques propos qui lui auront échappé contre le gouvernement. Venise se sert de ce terrible moyen pour maintenir son aristocratie.

Cette magistrature est permanente, parce que les desseins ambitieux peuvent être commencés, suivis, suspendus, repris ; elle est cachée, parce que les crimes qu'elle est sensée punir, se forment dans le secret. Elle a une inquisition générale, parce qu'elle doit connoître de tout. C'est ainsi que la tyrannie s'exerce sous le prétexte d'empêcher l'état de perdre sa liberté ; mais elle est anéantie cette liberté par tout pays où trois hommes peuvent faire périr dans le silence à leur volonté, les citoyens qui leur déplaisent. (D.J.)


INQUISITIONS. f. (Hist. ecclés.) jurisdiction ecclésiastique érigée par le siege de Rome en Italie, en Espagne, en Portugal, aux Indes même, pour extirper les Juifs, les Maures, les infideles, & les hérétiques.

Cette jurisdiction après avoir pris naissance vers l'an 1200, fut adoptée par le comte de Toulouse en 1229, & confiée aux dominicains par le pape Grégoire IX. en 1233. Innocent IV. étendit son empire en 1251 dans toute l'Italie, excepté à Naples. L'Espagne s'y vit entierement soumise en 1448, sous le regne de Ferdinand & d'Isabelle. Le Portugal l'adopta sous Jean III. l'an 1557, conformément au modele reçu par les Espagnols. Douze ans auparavant, en 1545, Paul III. avoit formé la congrégation de ce tribunal sous le nom du saint office ; & Sixte V. confirma cette congrégation en 1588. Ainsi l'inquisition relevant toujours immédiatement de la cour de Rome, fut plantée malgré plusieurs contradictions dans un grand nombre d'états de la chrétienté.

Parcourons tous ces faits avec M. de Voltaire, & dans un plus grand détail, mais qui certainement n'ennuyera personne. Le tableau qu'il en a tracé est de main de maître, on ne sauroit trop en multiplier les copies.

Ce fut dans les guerres contre les Albigeois, que vers l'an 1200 le pape Innocent III. érigea ce terrible tribunal qui juge les pensées des hommes ; & sans aucune considération pour les évêques, arbitres naturels dans les procès de doctrine, la cour de Rome en commit la décision à des dominicains & à des cordeliers.

Ces premiers inquisiteurs avoient le droit de citer tout hérétique, de l'excommunier, d'accorder des indulgences à tout prince qui extermineroit les condamnés, de reconcilier à l'Eglise, de taxer les pénitens, & de recevoir d'eux en argent une caution de leur repentir.

La bisarrerie des évenemens qui met tant de contradiction dans la politique humaine, fit que le plus violent ennemi des papes fut le protecteur le plus sévere de ce tribunal.

L'empereur Fréderic II. accusé par le pape tantôt d'être mahométan, tantôt d'être athée, crut se laver de ce reproche en prenant sous sa protection les inquisiteurs ; il donna même quatre édits à Pavie en 1244, par lesquels il mandoit aux juges séculiers de livrer aux flammes ceux que les inquisiteurs condamneront comme hérétiques obstinés, & de laisser dans une prison perpétuelle ceux que l'inquisition déclareroit repentans. Fréderic II. malgré cette politique n'en fut pas moins persécuté, & les papes se servirent depuis contre les droits de l'empire des armes qu'il leur avoit données.

En 1255 le pape Alexandre III. établit l'inquisition en France sous le roi S. Louis. Le gardien des Cordeliers de Paris, & le provincial des Dominicains étoient les grands inquisiteurs. Ils devoient par la bulle d'Alexandre III. consulter les évêques, mais ils n'en dépendoient pas. Cette étrange jurisdiction donnée à des hommes qui font voeu de renoncer au monde, indigna le clergé & les laïques au point que bien-tôt le soulevement de tous les esprits ne laissa à ces moines qu'un titre inutile.

En Italie les papes avoient plus de crédit, parce que tout désobéis qu'ils étoient dans Rome, tout éloignés qu'ils en furent long-tems, ils étoient toujours à la tête de la faction Guelphe, contre celle des Gibelins. Ils se servirent de cette inquisition contre les partisans de l'empire ; car en 1302 le pape Jean XXII. fit procéder par des moines inquisiteurs, contre Matthieu Viscomti, seigneur de Milan, dont le crime étoit d'être attaché à l'empereur Louis de Baviere. Le dévouement du vassal à son suzerain fut déclaré hérésie ; la maison d'Est, celle de Malatesta furent traitées de même, pour même cause ; & si le supplice ne suivit pas la sentence, c'est qu'il étoit plus aisé aux papes d'avoir des inquisiteurs que des armées.

Plus ce tribunal prenoit de l'autorité, & plus les évêques qui se voyoient enlever un droit qui sembloit leur appartenir, le reclamoient vivement ; cependant ils n'obtinrent des papes que d'être les assesseurs des moines.

Sur la fin du treizieme siecle en 1289. Venise avoit déja reçu l'inquisition, avec cette différence, que tandis qu'ailleurs elle étoit toute dépendante du pape, elle fut dans l'état de Venise toute soumise au sénat. Il prit la sage précaution d'empêcher que les amendes & les confiscations n'appartinssent aux inquisiteurs. Il espéroit par ce moyen modérer leur zele, en leur ôtant la tentation de s'enrichir par leurs jugemens : mais comme l'envie de faire valoir les droits de son ministere, est chez les hommes une passion aussi forte que l'avarice, les entreprises des inquisiteurs obligerent le sénat long-tems après, savoir au seizieme siecle, d'ordonner que l'inquisition ne pourroit jamais faire de procédure sans l'assistance de trois sénateurs. Par ce réglement, & par plusieurs autres aussi politiques, l'autorité de ce tribunal fut anéantie à Venise, à force d'être éludée. Voyez Fra-Paolo sur cet article.

Un royaume où il sembloit que l'inquisition dût s'établir avec le plus de facilité & de pouvoir, est précisément celui où elle n'a jamais eu d'entrée, j'entends le royaume de Naples. Les souverains de cet état & ceux de Sicile se croyoient en droit, par les concessions des papes, d'y jouir de la jurisdiction ecclésiastique. Le pontife romain & le roi se disputant toujours à qui nommeroit les inquisiteurs, on n'en nomma point ; & les peuples profiterent pour la premiere fois des querelles de leurs maîtres. Si finalement l'inquisition fut autorisée en Sicile, après l'avoir été en Espagne par Ferdinand & Isabelle en 1478, elle fut en Sicile, plus encore qu'en Castille, un privilege de la couronne, & non un tribunal romain ; car en Sicile c'est le roi qui est pape.

Il y avoit déja long-tems qu'elle étoit reçue dans l'Aragon ; elle y languissoit ainsi qu'en France, sans fonction, sans ordre, & presque oubliée.

Mais après la conquête de Grenade, ce tribunal déploya dans toute l'Espagne cette force & cette rigueur que jamais n'avoient eu les tribunaux ordinaires. Il faut que le génie des Espagnols eût alors quelque chose de plus impitoyable que celui des autres nations. On le voit par les cruautés réfléchies qu'ils commirent dans le nouveau monde : on le voit sur-tout ici par l'excès d'atrocité qu'ils porterent dans l'exercice d'une jurisdiction où les Italiens ses inventeurs mettoient beaucoup de douceur. Les papes avoient érigé ces tribunaux par politique, & les inquisiteurs espagnols y ajouterent la barbarie la plus atroce.

Lorsque Mahomet II. eut subjugué la Grece, lui & ses successeurs laisserent les vaincus vivre en paix dans leur religion : & les Arabes maîtres de l'Espagne n'avoient jamais forcé les chrétiens regnicoles à recevoir le mahométisme. Mais après la prise de Grenade, le cardinal Ximenès voulut que tous les Maures fussent chrétiens, soit qu'il y fût porté par zele, soit qu'il écoutât l'ambition de compter un nouveau peuple soumis à sa primatie.

C'étoit une entreprise directement contraire au traité par lequel les Maures s'étoient soumis, & il falloit du tems pour la faire réussir. Ximenès néanmoins voulut convertir les Maures aussi vîte qu'on avoit pris Grenade ; on les prêcha, on les persécuta, ils se souleverent ; on les soumit, & on les força de recevoir le baptême. Ximenès fit donner à cinquante mille d'entr'eux ce signe de religion à laquelle ils ne croyoient pas.

Les Juifs compris dans le traité fait avec les rois de Grenade, n'éprouverent pas plus d'indulgence que les Maures. Il y en avoit beaucoup en Espagne. Ils étoient ce qu'ils sont par-tout ailleurs, les courtiers du commerce. Cette profession bien loin d'être turbulente, ne peut subsister que par un esprit pacifique. Il y a plus de vingt-huit mille Juifs autorisés par le pape en Italie : il y a près de 280 synagogues en Pologne. La seule ville d'Amsterdam possede environ quinze mille Hébreux, quoiqu'elle puisse assurément faire le commerce sans leur secours. Les Juifs ne paroissoient pas plus dangereux en Espagne, & les taxes qu'on pouvoit leur imposer étoient des ressources assurées pour le gouvernement. Il est donc bien difficile de pouvoir attribuer à une sage politique la persécution qu'ils essuyerent.

L'inquisition procéda contr'eux, & contre les Musulmans. Combien de familles mahométanes & juives aimerent mieux alors quitter l'Espagne que de soutenir la rigueur de ce tribunal ? Et combien Ferdinand & Isabelle perdirent-ils de sujets ? C'étoient certainement ceux de leur secte les moins à craindre, puisqu'ils préféroient la fuite à la révolte. Ce qui restoit feignit d'être chrétien ; mais le grand inquisiteur Torquemada fit regarder à la reine Isabelle tous ces chrétiens déguisés comme des hommes dont il falloit confisquer les biens & proscrire la vie.

Ce Torquemada dominicain, devenu cardinal, donna au tribunal de l'inquisition espagnole, cette forme juridique qu'elle conserve encore aujourd'hui, & qui est opposée à toutes les loix humaines. Il fit pendant quatorze ans le procès à plus de 80 mille hommes, & en fit brûler cinq ou six mille avec l'appareil des plus augustes fêtes.

Tout ce qu'on nous rapporte des peuples qui ont sacrifié des hommes à la divinité, n'approche pas de ces exécutions accompagnées de cérémonies religieuses. Les Espagnols n'en conçurent pas d'abord assez d'horreur, parce que c'étoient leurs anciens ennemis, & des Juifs qu'on sacrifioit ; mais bien-tôt eux-mêmes devinrent victimes : car lorsque les dogmes de Luther éclaterent, le peu de citoyens qui fut soupçonné de les admettre, fut immolé ; la forme des procédures devint un moyen infaillible de perdre qui on vouloit.

Voici quelle est cette forme : on ne confronte point les accusés aux délateurs, & il n'y a point de délateur qui ne soit écouté : un criminel flétri par la justice, un enfant, une courtisanne, sont des accusateurs graves. Le fils peut déposer contre son pere, la femme contre son époux, le frere contre son frere : enfin l'accusé est obligé d'être lui-même son propre délateur, de deviner, & d'avouer le délit qu'on lui suppose & que souvent il ignore. Cette procédure inouie jusqu'alors, & maintenue jusqu'à ce jour, fit trembler l'Espagne. La défiance s'empara de tous les esprits ; il n'y eut plus d'amis, plus de société ; le frere craignit son frere, le pere son fils, l'épouse son époux : c'est de-là que le silence est devenu le caractere d'une nation née avec toute la vivacité que donne un climat chaud & fertile ; les plus adroits s'empresserent d'être les archers de l'inquisition, sous le nom de ses familiers, aimant mieux être satellites que de s'exposer aux supplices.

Il faut encore attribuer à l'établissement de ce tribunal cette profonde ignorance de la saine philosophie, où l'Espagne demeure toujours plongée, tandis que l'Allemagne, le Nord, l'Angleterre, la France, la Hollande, & l'Italie même ont découvert tant de vérités, & ont élargi la sphere de nos connoissances. Descartes philosophoit librement dans sa retraite en Hollande, dans le tems que le grand Galilée à l'âge de 80 ans, gémissoit dans les prisons de l'inquisition, pour avoir découvert le mouvement de la terre. Jamais la nature humaine n'est si avilie que quand l'ignorance est armée du pouvoir ; mais ces tristes effets de l'inquisition sont peu de chose en comparaison de ces sacrifices publics qu'on nomme auto-da-fé, actes de foi, & des horreurs qui les précedent.

C'est un prêtre en surplis ; c'est un moine voué à la charité & à la douceur, qui fait dans de vastes & profonds cachots appliquer des hommes aux tortures les plus cruelles. C'est ensuite un théâtre dressé dans une place publique, où l'on conduit au bucher tous les condamnés, à la suite d'une procession de moines & de confrairies. On chante, on dit la messe, & on tue des hommes. Un asiatique qui arriveroit à Madrid le jour d'une telle exécution, ne sauroit si c'est une réjouissance, une fête religieuse, un sacrifice, ou une boucherie ; & c'est tout cela ensemble. Les rois, dont ailleurs la seule présence suffit pour donner grace à un criminel, assistent à ce spectacle, sur un siege moins élevé que celui de l'inquisiteur, & voyent expirer leurs sujets dans les flammes. On reprochoit à Montézuma d'immoler des captifs à ses dieux ; qu'auroit-il dit s'il avoit vû un auto-da fé ?

Ces exécutions sont aujourd'hui plus rares qu'autrefois ; mais la raison qui perce avec tant de peine quand le fanatisme est sur le trone, n'a pu les abolir encore.

L'inquisition ne fut introduite dans le Portugal que vers l'an 1557, & même quand ce pays n'étoit point soumis aux Espagnols, elle essuya d'abord toutes les contradictions que son seul nom devroit produire : mais enfin elle s'établit, & sa jurisprudence fut la même à Lisbonne qu'à Madrid. Le grand inquisiteur est nommé par le roi, & confirmé par le pape. Les tribunaux particuliers de cet office qu'il nomme saint, sont soumis en Espagne & en Portugal, au tribunal de la capitale. L'inquisition eut dans ces deux états la même sévérité & la même attention à signaler sa puissance.

En Espagne, après le décès de Charles-quint, elle osa faire le procès à l'ancien confesseur de cet empereur, à Constantin Ponce, qui périt dans un cachot, & dont l'effigie fut ensuite brûlée dans un auto-da fé.

En Portugal Jean de Bragance ayant arraché son pays à la domination espagnole, voulut aussi le délivrer de l'inquisition : mais il ne put réussir qu'à priver les inquisiteurs des confiscations ; ils le déclarerent excommunié après sa mort ; il fallut que la reine sa veuve les engageât à donner au cadavre une absolution aussi ridicule qu'elle étoit honteuse : par cette absolution on le déclaroit coupable.

Quand les Espagnols passerent en Amérique, ils porterent l'inquisition avec eux. Les Portugais l'introduisirent aux Indes occidentales, immédiatement après qu'elle fut autorisée à Lisbonne.

On sait l'histoire de l'inquisition de Goa. Si cette jurisdiction opprime ailleurs le droit naturel, elle étoit dans Goa contraire à la politique. Les Portugais n'alloient aux Indes que pour y négocier. Le commerce & l'inquisition sont incompatibles. Si elle étoit reçue dans Londres & dans Amsterdam, ces villes seroient desertes & misérables : en effet quand Philippe II. la voulut introduire dans les provinces de Flandres, l'interruption du commerce fut une des principales causes de la révolution.

La France & l'Allemagne ont été heureusement préservées de ce fléau ; elles ont essuyé des guerres horribles de religion, mais enfin les guerres finissent, & l'inquisition une fois établie semble devoir être éternelle.

Cependant le roi de Portugal a finalement secoué son joug en suivant l'exemple de Venise ; il a sagement ordonné, pour anéantir toute puissance de l'inquisition dans ses états, 1°. que le procureur général accusateur communiqueroit à l'accusé les articles de l'accusation, & le nom des témoins : 2°. que l'accusé auroit la liberté de choisir un avocat, & de conférer avec lui : 3°. il a de plus défendu d'exécuter aucune sentence de l'inquisition qu'elle n'eût été confirmée par son conseil. Ainsi les projets de Jean de Bragance ont été exécutés un siecle après par un de ses successeurs.

Sans-doute qu'on a imputé à un tribunal, si justement détesté, des excès d'horreurs qu'il n'a pas toujours commis : mais c'est être mal-adroit que de s'élever contre l'inquisition par des faits douteux, & plus encore, de chercher dans le mensonge de quoi la rendre odieuse ; il suffit d'en connoître l'esprit.

Bénissons le jour où l'on a eu le bonheur d'abolir dans ce royaume une jurisdiction si contraire à l'indépendance de nos rois, au bien de leurs sujets, aux libertés de l'église gallicane, en un mot à toute sage police. L'inquisition est un tribunal qu'il faut rejetter dans tous les gouvernemens. Dans la monarchie, il ne peut faire que des hypocrites, des délateurs & des traitres. Dans les républiques, il ne peut former que de malhonnêtes gens. Dans l'état despotique, il est destructeur comme lui. Il n'a servi qu'à faire perdre au pape un des plus beaux fleurons de sa couronne, les Provinces-unies ; & à brûler ailleurs, aussi cruellement qu'inutilement, un grand nombre de malheureux.

Ce tribunal inique, inventé pour extirper l'hérésie, est précisément ce qui éloigne le plus tous les protestans de l'Eglise romaine ; il est pour eux un objet d'horreur. Ils aimeroient mieux mourir mille fois que de s'y soumettre, & les chemises ensoufrées du saint office sont l'étendard contre lequel on les verra toujours réunis. De-là vient que leurs habiles écrivains proposent cette question : " Si les puissances protestantes ne pourroient pas se liguer avec justice pour détruire à jamais une jurisdiction cruelle sous laquelle gémit le Christianisme depuis si longtems ".

Sans prétendre résoudre ce problême, il est permis d'avancer, avec l'auteur de l'esprit des lois, que si quelqu'un dans la postérité ose dire qu'au dix-huitieme siecle tous les peuples de l'Europe étoient policés, on citera l'inquisition pour prouver qu'ils étoient en grande partie des barbares ; & l'idée que l'on en prendra sera telle qu'elle flétrira ce siecle, & portera la haine sur les nations qui adoptoient encore cet établissement odieux. (D.J.)


INQUOFFOS. m. (Hist. nat. Botan.) plante d'Afrique, commune dans les royaumes de Congo & d'Angola. Elle ressemble à la vigne-vierge, & produit une grande quantité de petites grappes chargées de grains, de la grosseur des grains de coriandre, mais qui ont le goût des grains de poivre. Les habitans s'en servent dans la cuisine, & leur trouvent même plus de force qu'au poivre ordinaire.


INRAMOS. f. (Commerce) sorte de coton en masse & non-filé, qui se tire du Levant & de l'Egypte par la voie du Caire.


INSAGS. m. (Ornit. exot.) nom vulgaire que les habitans des îles Philippines donnent à une espece de perroquets communs dans leurs bois. Ces sortes de perroquets ont tout le corps d'un beau verd lustré, & la tête d'un rouge vif, éclatant. (D.J.)


INSALITA(Hist. nat.) Quelques naturalistes entendent par ce mot les corps étrangers au regne minéral, qui étant renfermés sous terre, y ont été pénétrés de quelques sels minéraux, tels sont plusieurs bois fossiles chargés de vitriol ou d'alun. On prétend qu'on a trouvé dans les mines de sel qui sont près de Cracovie en Pologne, une poule avec ses oeufs pénétrée & comme pétrifiée par le sel. (-)


INSANDA(Hist. nat. Bot.) arbre d'Afrique, qui se trouve abondamment au royaume de Congo. On nous dit qu'il ressemble beaucoup au laurier d'Europe. Les Négres mettent son écorce en macération, & en font une étoffe assez fine, dont les plus opulens se vêtissent.


INSATIABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être assouvi. Il se dit au physique & au moral. Il y a des maladies où l'on est tourmenté d'une faim insatiable. Les passions sont insatiables.


INSCRIPTIONS. f. (Littérat. Antiq. Médailles) caracteres gravés sur le marbre ou le bronze, pour perpétuer à la postérité la mémoire de quelque événement.

La maniere la plus ordinaire chez les anciens peuples du monde, pour conserver le souvenir des faits qu'ils regardoient comme mémorables, étoit l'usage des monumens matériels. On se contenta, dans les siecles grossiers, pour y parvenir, de dresser en colonnades des monceaux de pierres. Quand Jacob & Laban se reconcilierent, dit la Genese, chap. xxxj. vers. 45. le premier prit une pierre qu'il érigea en forme de colonne, pour servir de témoignage de cette réconciliation ; les freres de Laban prirent à leur tour des pierres, & en firent un monceau. Jacob & Laban donnerent chacun en leur langue, à cet amas de pierres, le nom de monceau du témoignage, parce que ce monceau de pierres devoit rester pour témoignage solemnel du traité d'amitié qu'ils contractoient ensemble.

Xénophon rapporte, dans l'histoire de la fameuse retraite des dix mille, que les soldats ayant vû le Pont-Euxin, après avoir essuyé beaucoup de fatigues & de dangers, éleverent une grande pile de pierres, pour marquer leur joie, & laisser des vestiges de leurs voyages.

Cependant ces pierres n'avoient rien qui montrât qu'elles signifioient quelque chose, que leur position & leur situation. Elles remettoient bien devant les yeux quelque événement, mais on avoit besoin de la mémoire pour se rappeller cet événement.

Dans la suite, on fit sensément parler ces pierres mêmes, premierement en leur donnant des figures qui représentoient des dieux, des hommes, des batailles, & en faisant des bas-reliefs, où ces choses étoient dépeintes ; secondement, en gravant dessus des caracteres ou des lettres qui contenoient des inscriptions de noms.

Cette coutume de graver sur les pierres se pratiqua de toute ancienneté chez les Phéniciens & les Egyptiens, d'où les Grecs en emprunterent l'usage pour perpétuer la mémoire des événemens de leur nation. Ainsi dans la citadelle d'Athènes, il y avoit, au rapport de Thucydide, liv. VI. des colonnes où étoit marquée l'injustice des tyrans qui avoient usurpé l'autorité souveraine. Hérodote, liv. VII. nous apprend que, par le decret des Amphictions, on érigea un amas de pierres avec une épitaphe en l'honneur de ceux qui furent tués aux Thermopyles.

On fit plus avec le tems ; on écrivit sur des colonnes & des tables les lois religieuses & les ordonnances civiles. Chez les Juifs, le Décalogue & le Deutéronome furent inscrits sur des pierres enduites de chaux. Théopompe prétend que les Corybantes inventerent l'art de dresser des colonnes pour y écrire les lois. Sans examiner s'il a tort ou raison, cette coutume prit faveur chez tous les peuples de la Grece, excepté les Lacédémoniens, chez lesquels Lycurgue n'avoit pas voulu permettre que l'on écrivît ses loix, afin que l'on fût contraint de les savoir par coeur.

Enfin, l'on grava sur le marbre, le bronze, le cuivre & le bois l'histoire du pays, le culte des dieux, les principes des sciences, les traités de paix, les guerres, les alliances, les époques, les conquêtes, en un mot tous les faits mémorables ou instructifs. Porphyre nous parle des inscriptions que les Crétois possédoient, & dans lesquelles se lisoit la cérémonie des sacrifices des Corybantes. Evhémerus, au rapport de Lactance, avoit tiré son histoire de Jupiter & des autres dieux, des inscriptions qui se trouvoient dans les temples, & principalement dans celui de Jupiter Triphylien. Pline raconte que les astronomes de Babylone écrivoient leurs observations sur des briques, & se servoient de matieres dures & solides pour conserver les opérations des arts. Aremnestus, fils de Pythagore, selon le témoignage de Porphyre, dédia au temple de Junon, une lame d'airain, sur laquelle il avoit gravé les principes des sciences qu'il avoit cultivées. Ce monument, dit Malchus, avoit deux coudées de diametre, & contenoit sept sciences écrites. Pythagore, selon l'opinion de plusieurs savans, apprit la Philosophie des inscriptions gravées en Egypte sur des colonnes de marbre. Il est dit, dans le dialogue de Platon, intitulé Hipparque, que le fils de Pisistrate fit graver sur des colonnes de pierres des préceptes utiles aux laboureurs.

Numa, second roi de Rome, écrivit les cérémonies de sa religion sur des tables de chêne. Quand Tarquin révoqua les lois de Tullius, il fit ôter du forum toutes les tables sut lesquelles elles avoient été écrites. On gravoit sur de pareilles tables, & quelquefois sur des colonnes, les traités & les alliances. Romulus montra l'exemple ; il avoit fait graver sur une colonne le traité d'alliance qu'il contracta avec ceux de Véïes ; Tullus, celui qu'il fit avec les Sabins ; & Tarquin, celui qu'il eut le bonheur de négocier avec les Latins.

Sous les empereurs, on formoit les monumens publics de lames de plomb gravées, dont on composoit des volumes en les roulant. L'acte de pacification, conclu entre les Romains & les Juifs, fut écrit sur des lames de cuivre, afin, dit Pline, que ce peuple eût chez lui de quoi le faire souvenir de la paix qu'il venoit d'obtenir. Tite-Live rapporte qu'Annibal dédia un autel sur lequel il fit graver, en langue punique & greque, la description de ses heureux exploits.

Thucidide ne parle que de colonnes de Grece qui se trouvoient dans les plaines d'Olinthe, dans l'Isthme, dans l'Attique, dans Athènes, dans la Laconie, dans Ampélie, & par-tout ailleurs, sur lesquelles colonnes les traités de paix & d'alliance étoient gravés. Les Messéniens, dans les contestations qu'ils eurent avec les Lacédémoniens touchant le temple de Diane Laménitide, produisirent l'ancien partage du Péloponnèse, stipulé entre les descendans d'Hercule, & prouverent par des monumens encore gravés sur les pierres & sur l'airain, que le champ dans lequel le temple avoit été bâti, étoit échu à leur roi. Que dis-je, toute l'histoire, toutes les révolutions de sa Grece, étoient gravées sur des pierres ou des colonnes ; témoin les marbres d'Arondel, où sont marquées les plus anciennes & les plus importantes époques des Grecs ; monument incomparable, & dont rien n'égale le prix.

En un mot, le nombre des inscriptions de la Grece & de Rome sur des colonnes, sur des pierres, sur des marbres, sur des médailles, sur des monnoies, sur des tables de bois & d'airain, est presque infini ; & l'on ne peut douter que ce ne soient les plus certains & les plus fideles monumens de leur histoire. Aussi, parmi toutes les inscriptions qui sont parvenues jusqu'à nous, ce sont celles de ces deux peuples qui nous intéressent davantage, & qui sont les plus dignes de nos regards. Les Grecs, cherchant eux-mêmes toutes sortes de moyens pour mettre leurs inscriptions à l'abri des injures du tems, en écrivirent quelquefois les caracteres sur la surface inférieure d'un marbre, & se servirent d'autres blocs de marbre qu'ils avançoient par-dessus pour le couvrir & le conserver.

Mais outre que les inscriptions de ces deux peuples sont autant de monumens qui répandent la plus grande lumiere sur leur histoire, la noblesse des pensées, la pureté du style, la briéveté, la simplicité, la clarté qui y régnent, concourent encore à nous les rendre précieuses, car c'est dans ce goût-là que les inscriptions doivent être faites. La pompe & la multitude des paroles y seroient employées ridiculement. Il est absurde de faire une déclamation sur une statue & autour d'une médaille, lorsqu'il s'agit d'actions, qui étant grandes en elles-mêmes, & dignes de passer à la postérité, n'ont pas besoin d'être exagérées.

Quand Alexandre, après la bataille du Granique, eut consacré une partie des dépouilles de sa victoire au temple de Minerve à Athènes, on y mit en grec pour toute inscription : Alexander Philippi filius, & Graeci, praeter Lacedemonios, de barbaris Asiaticis.

Au bas du tableau de Polygnote, qui représentoit la ville de Troie, il y avoit seulement deux vers de Simonide qui disoient : " Polygnote de Thase, fils d'Aglaophon, a fait ce tableau, qui représente la prise de Troie ". Voilà quelles étoient les inscriptions des Grecs. On n'y cherchoit ni allusions, ni jeux de mots, ni brillans d'aucune espece. Le poëte ne s'amuse pas ici à vanter l'ouvrage de Polygnote ; cet ouvrage se recommandoit assez par lui-même. Il se contente de nous apprendre le nom du peintre, le nom de la ville d'où il étoit, & celui de son pere, pour faire honneur à ce pere d'avoir eu un tel fils, & à la ville d'avoir eu un tel citoyen.

Les Romains éleverent une statue de bronze à Cornélie, sur laquelle étoit cette inscription : " Cornélie, mere des Gracques ". On ne pouvoit pas faire ni plus noblement, ni en moins de termes, l'éloge de Cornélie & l'éloge des Gracques.

Cette briéveté d'inscriptions se portoit également sur les médailles, où l'on ne mettoit que la date de l'action figurée, l'archonte, le consulat sous lequel elle avoit été frappée, ou en deux mots le sujet de la médaille.

D'ailleurs, les langues greque & latine ont une énergie qu'il est difficile d'attraper dans nos langues vivantes, du moins dans la langue françoise, quoiqu'en dise M. Charpentier. La langue latine semble faite pour les inscriptions, à cause de ses ablatifs absolus, au lieu que la langue françoise traîne & languit par ses gérondifs incommodes, & par ses verbes auxiliaires auxquels elle est indispensablement assujettie, & qui sont toujours les mêmes. Ajoutez, qu'ayant besoin pour plaire, d'être soutenue, elle n'admet point la simplicité majestueuse du grec & du latin.

Leurs épitaphes, especes d'inscriptions, se ressentoient de cette noble simplicité de pensées & d'expressions dont on vient de faire l'éloge. Après quelque grande bataille, l'usage d'Athènes étoit de graver une épitaphe générale pour tous ceux qui y avoient péri. On connoit celle qu'Euripide mit sur la tombe des Athéniens tués en Sicile : " Ici gissent ces braves soldats qui ont battu huit fois les Syracusains, autant de fois que les dieux ont été neutres ".

Nos inscriptions funéraires ne sont chargées, au contraire, que d'un vain étalage de mots qui peignent l'orgueil ou la basse flaterie. On voit, on montre à Vienne l'inscription suivante du tombeau de l'empereur Frédéric III. " Ci-gît Frédéric III. empereur pieux, auguste, souverain de la Chrétienté, roi de Hongrie, de Dalmatie, de Croatie, archiduc d'Autriche ", &c. cependant ce prince, dit M. de Voltaire, n'étoit rien moins que tout cela ; il n'eut jamais de la Hongrie que la couronne semée de quelques pierreries, qu'il garda toujours dans son cabinet sans les renvoyer, ni à son pupille Ladislas qui en étoit roi, ni à ceux que les Hongrois élurent ensuite, & qui combattirent contre les Turcs. Il possédoit à peine la moitié de la province d'Autriche, ses cousins avoient le reste ; & quant au titre de souverain de la Chrétienté, il est aisé de juger s'il le méritoit.

Les moines n'ont pas été moins ridicules dans leurs inscriptions gravées à l'honneur de leurs fondateurs, ou de leurs églises. Jean-Baptiste Thiers, né à Chartres en 1641, mort en 1703, & connu par quantité de brochures, en fit une sanglante contre cette inscription du couvent des cordeliers de Rheims : " à Dieu, & à S. François, tous les deux crucifiés ".

Outre que les inscriptions grecques & romaines sont exemptes de pareilles extravagances, elles ne tendent qu'à nous instruire de faits dont les moindres particularités piquent notre curiosité. De-là vient que depuis la renaissance des Lettres, les savans n'ont cessé de les rassembler de toutes parts. Le recueil qu'ils en ont donné contient déja quelques centaines de volumes de prix, & fait une des principales branches de la profonde érudition.

En effet, de tout tems les inscriptions ont été précieuses aux peuples éclairés. Lors du renouvellement des sciences dans la Grece, Acasilaüs, natif d'Argos, publia avant la guerre des Perses, un grand ouvrage, pour expliquer les inscriptions qu'on avoit trouvées sur de vieilles tables d'airain en creusant la terre. Nos antiquaires imitent cet illustre grec, & tâchent de deviner le sens des inscriptions qu'ils découvrent, & dont la vérité n'est pas suspecte. Je m'exprime ainsi, parce que toutes les inscriptions qu'on lit dans plusieurs ouvrages, ne sont, ni du même titre, ni de la même valeur.

Cependant, puisque bien des gens les regardent encore comme des monumens historiques, dont l'autorité doit aller de pair avec celle des médailles qu'on possede, il est important de discuter jusqu'où ce sentiment peut être vrai.

Un de nos antiquaires, M. le baron de la Bastie, qui est entré dans cet examen, a prouvé judicieusement, qu'on doit mettre une très-grande différence entre les inscriptions qui existent & celles qu'on ne sauroit retrouver ; entre les inscriptions que les auteurs éclairés ont copiées fidelement eux-mêmes sur l'original en marbre & en bronze, & celles qui ont été extraites de plusieurs collections manuscrites, qui n'indiquent ni le lieu ni le tems où on les a trouvées ; & enfin, qui ne sont venues à nous que de copie en copie, sans qu'il y en ait qu'on puisse dire avoir été prises sur l'original.

On sait que vers la fin du XV. siecle, & au commencement du xvj, il y eut des savans qui, pour s'amuser aux dépens des curieux d'antiquités, se divertirent à composer des inscriptions en style lapidaire, & en firent courir des copies, comme s'ils les avoient tirées des monumens antiques, qu'on découvroit alors encore plus fréquemment qu'aujourd'hui.

Un peu de critique auroit bientôt dévoilé la tromperie ; car nous voyons par un des dialogues d'Antonio Augustino, & par une épigramme de Sannazar, que tous les savans n'en furent pas la dupe ; mais ils ne furent pas non plus tous en garde contre cette espece de fraude, & un grand nombre de ces fausses inscriptions ont eu malheureusement place dans les différens recueils qu'on a publiés depuis.

Mazocchi & Smetius ont cité plusieurs de ces inscriptions fictives sans se douter de leur fausseté. Fulvio Ursini, quoique fort habile d'ailleurs, en a souvent fourni à Gruter, qui étoient entierement fausses, & qu'il lui donnoit pour avoir été trouvées à Rome même. Antonio Augustino, que je citois tout-à-l'heure, savant & habile critique, en est convenu de bonne foi, & a eu l'honnêteté d'en avertir le public. Cependant le P. André Schot, jésuite d'Anvers, avoit ramassé sans choix & sans discernement toutes celles qu'on lui avoit communiquées d'Espagne, & il est presque le seul garant que Gruter ait cité pour les inscriptions de ce pays-là, qui sont dans son ouvrage.

Outre les inscriptions absolument fausses & faites à plaisir, il s'en trouve un grand nombre dans les recueils qui ont été défigurées par l'ignorance, ou par la précipitation de ceux qui les ont copiées : de secondes copies, comme il arrive tous les jours, ont multiplié les fautes des premieres, & de troisiemes copies en ont comblé la mesure.

Ces réflexions ne doivent cependant pas nous porter à rejetter légerement & sans de bonnes raisons l'autorité des inscriptions en général, mais seulement à ne la recevoir cette autorité, qu'après mûr examen, lorsqu'il est question de constater un fait d'histoire sur lequel les sentimens sont partagés. Les regles d'une critique exacte & judicieuse doivent toujours nous servir de flambeau dans les discussions littéraires.

Pour ce qui regarde l'art de lire les inscriptions, il ne peut s'apprendre que par l'étude & par l'usage, car elles ont leurs caracteres particuliers. Par exemple, nous trouvons souvent dans les inscriptions romaines, les caracteres CI & employés pour exprimer mil ; c'est un I entre deux CC droits ou renversés, & c'est quelquefois un X entre deux CC, dont l'un est droit & l'autre renversé de cette maniere CX. La premiere figure, quand elle est fermée par le haut, ressemble exactement à une ancienne M, qui étoit faite ainsi CI ; & la derniere figure, quand elle est entierement fermée, présente un 8 incliné ; mais si ces sortes de caracteres se lisent aisément, il s'en rencontre d'autres très-difficiles à déchiffrer, indépendamment des abréviations, qui sont susceptibles de divers sens, & par conséquent de tous les écarts où les conjectures peuvent jetter nos foibles lumieres. (D.J.)

INSCRIPTION, (Art numismat.) Les antiquaires nomment inscriptions les lettres ou les paroles qui tiennent lieu de revers, & qui chargent le champ de la médaille au lieu de figures. Ils appellent légende les paroles qui sont autour de la médaille, & qui servent à expliquer les figures gravées dans le champ.

On trouve quantité de médailles grecques, latines & impériales, qui n'ont pour revers que ces lettres, S. C. Senatus Consulto, ou , renfermées dans une couronne. Il y en a d'autres dont les inscriptions sont des especes d'époques, comme dans M. Aurele. Primi Decennales Cos. III. Dans Aug. Imp. Caes. Aug. ludi saeculares. Dans le bas-Empire, Votis V. XXX. &c.

Quelquefois de grands évenemens y sont marqués, comme Victoria Germanica Imp. VI. Cos. III. Dans Marc Aurele, Signis Parthicis receptis. S. P. Q. R. dans Auguste ; Victoria Parthica Maxima dans Septime Sévere.

D'autres expriment des titres d'honneur accordés au prince, comme S. P. Q. R. Optimo Principi dans Trajan & dans Antonin Pie. Adsertori publicae libertatis dans Vespasien. D'autres inscriptions sont des marques de la reconnoissance du Sénat & du peuple, comme dans Vespasien, Libertate P. R. restitutâ ex S. C. Dans Galba, S. P. Q. R. Ob cives servatos. Dans Auguste, Salus generis humani, &c.

Quelques-unes de ces inscriptions ne regardent que des bienfaits particuliers accordés en certains tems ou à certains lieux, avec des voeux adressés aux Dieux pour le rétablissement ou pour la conservation de la santé des princes. Telles sont sous Auguste les médailles suivantes, gravées par l'adulation : Jovi optimo Maximo, S. P. Q. R. Vota suscepta pro salute Imperat. Caesaris Aug. quod Per eum Resp. in ampliore atque tranquilliore statu est. Jovi vota suscepta, pro salute Caes. Aug. S. P. Q. R. Imperatori Caesari, quod vitae munitae sint, ex eâ pecuniâ, quam is ad aerarium detulit.

Parmi ces médailles postérieures du tems où les empereurs de Constantinople quitterent la langue latine pour reprendre la grecque dans leurs inscriptions, il s'en trouve qui pourroient embarrasser un nouveau curieux ; telle est le IC XC NIKAIH OC XPITOC NIKA, Jesus Christus vincit ; & le . Domine, Adesto Alexio. . On trouve dans les médailles d'Héraclius, Deus adjuva Romanis ; & c'est ce qu'ils ont voulu exprimer en grec par le , & que l'on auroit peine à deviner lorsque ce mot est écrit par les seules lettres initiales ; car le moyen de savoir que C. LEON PAMVL

sur la médaille de Constantin Copronyme, signifie Constantinus Leoni perpetuo Augusto, Multos annos, si M. Ducange ne l'avoit heureusement deviné. Les plus savans ont été arrêtés par le , Domine Adesto servo tuo, faute de connoître les inscriptions dont nous parlons.

Ces sortes d'inscriptions peuvent s'appeller des acclamations ou des bénédictions, qui consistent à souhaiter à l'empereur la vie, la santé, la victoire. Telle est celle qu'on voit dans Constantin, Plura natalitia feliciter. Celle de Constans, Felicia Decennatalitia. Celle de Théophile, . Celle de Baduela, BADUELA FLEUREAS ZEMPER. Cela nous fait souvenir d'une belle médaille d'Antonin Pie, qui peut avoir place parmi ces acclamations, Senatus populusque Romanus, Annum Novum Faustum, Felicem, Optimo Principi Pio. C'est ainsi que l'on doit expliquer ces lettres initiales, S. P. Q. R. A. N. S. F. Optimo Principi Pio.

Je ne dois point oublier ici celle de Constantin, qui a donné sujet à tant de fausses conjectures ; elle porte du côté de la tête Imp. C. Constantinus P. F. August. du côté du revers, Constantino. P. August. BAPNAT. Car pour n'avoir pas reconnu que l'A étoit une R à demi effacée, on a voulu que ce fût la mémoire du baptême de Constantin, au lieu qu'il faut lire Bono Rei Publicae Nato. Le P. Hardouin a senti plus heureusement que d'autres cette vérité.

Je crois qu'on s'apperçoit assez du goût différent des anciens & des modernes pour les inscriptions. Les anciens n'ont point imaginé que les médailles fussent propres à porter des inscriptions, à moins que ces inscriptions ne fussent extrêmement courtes & expressives. Ils ont réservé les plus longues pour les édifices publics, pour les colonnes, pour les arcs de triomphe, pour les tombeaux ; mais les modernes en général, chargent les revers de toutes leurs médailles de longues inscriptions, qui n'ont plus rien, ni de la majesté, ni de la brieveté romaine. Je n'en veux pour preuve que celles de l'académie des Belles-Lettres faites en l'honneur & à la gloire de Louis XIV.

Quelquefois même dans les inscriptions des médailles antiques, on ne trouve que le simple nom des magistrats, comme dans Jules, L. Aemilius, Q. F. Buca IIII. Vie A. A. A. S. F. dans Agrippa. M. Agrippa Cos. designatus. (D.J.)

INSCRIPTION, (Peinture) Les peintres de Grece ne se faisoient point de peine de donner par une courte inscription la connoissance du sujet de leurs tableaux. Dans celui de Polygnote, qui représentoit la prise de Troie, & qui contenoit plus de cent figures, chaque figure principale étoit marquée par l'inscription du nom du personnage. On ne doit pas croire que ces inscriptions défigurassent leurs ouvrages & en diminuassent le mérite, puisqu'ils faisoient l'admiration d'un peuple dont le goût pour la Peinture & les beaux-arts valoit au moins le nôtre. En même tems que ces inscriptions fournissoient l'intelligence du tableau, elles mettoient les connoisseurs à portée de juger si le peintre avoit bien exécuté son sujet ; au lieu que parmi nous, un beau tableau est souvent une énigme que nous cherchons à deviner, & qui fait une diversion au plaisir qu'il devroit nous procurer.

Ce n'est que par une vanité mal entendue qu'un usage si commode a cessé, & bien des gens d'esprit desireroient qu'on le fît renaître ; mais personne n'en a mieux exposé l'utilité que M. l'Abbé du Bos : laissons-le parler lui-même, pour ne rien ôter aux graces de son style.

" Je me suis étonné plusieurs fois, dit-il, que les Peintres, qui ont un si grand intérêt à nous faire reconnoître les personnages dont ils veulent se servir pour nous toucher, & qui doivent rencontrer tant de difficultés à les faire reconnoître à l'aide seule du pinceau, n'accompagnassent pas toujours leurs tableaux d'histoire d'une courte inscription. Les trois quarts des spectateurs, qui sont d'ailleurs très-capables de rendre justice à l'ouvrage, ne sont point assez lettrés pour deviner le sujet du tableau. Il est quelquefois pour eux une belle personne qui plaît, mais qui parle une langue qu'ils n'entendent point ; on s'ennuie bientôt de la regarder, parce que la durée des plaisirs, où l'esprit ne prend point de part, est ordinairement bien courte.

Le sens des peintres gothiques, tout grossier qu'il étoit, leur a fait voir la nécessité des inscriptions pour l'intelligence du sujet des tableaux. Il est vrai qu'ils ont fait un usage aussi barbare de cette connoissance que de leurs principes. Ils faisoient sortir de la bouche de leurs figures, par une précaution bizarre, des rouleaux, sur lesquels ils écrivoient ce qu'ils prétendoient faire dire à ces figures indolentes : c'étoit-là véritablement faire parler ces figures. Les rouleaux dont il s'agit se sont anéantis avec le goût gothique ; mais quelquefois les plus grands maîtres ont jugé deux ou trois mots nécessaires à l'intelligence du sujet de leurs ouvrages ; & même ils n'ont pas fait scrupule de les écrire dans un endroit du plan de leurs tableaux, où ils ne gâtoient rien. Raphaël & le Carrache en ont usé de cette maniere. Coypel a placé de même des bouts de vers de Virgile dans la galerie du palais-royal, pour aider à l'intelligence de ses sujets, qu'il avoit tirés de l'Enéïde. Les peintres dont on grave les ouvrages ont tous senti l'utilité de ces inscriptions, & on en met toujours au bas des estampes qui se font d'après leurs tableaux ".

Il seroit donc pareillement à souhaiter que dans ces mêmes tableaux, & sur-tout dans tous ceux dont le sujet n'est pas parfaitement connu, on rétablît l'usage des inscriptions dont les Grecs nous ont donné l'exemple : peut-être qu'un peintre médiocre le tenteroit vainement ; mais un grand peintre donneroit le ton, auroit des sectateurs, & la mode en reviendroit sans-doute. L'exemple a plus de puissance sur les hommes que tous les préceptes réunis ensemble. (D.J.)

INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, (Académie royale des) Le feu roi Louis XIV, à qui la France est redevable de tant d'établissemens utiles aux lettres, étant persuadé que c'en seroit un fort avantageux à la nation, qu'une Académie qui travailleroit aux inscriptions, aux devises & aux médailles, & qui répandroit sur ses monumens le bon goût & la noble simplicité qui en font le véritable prix, ne tarda pas à y donner les mains après qu'il en eut eu la pensée. Il forma d'abord cette compagnie d'un petit nombre d'hommes, choisis dans l'académie Françoise, qui commencerent à s'assembler en 1663 dans la bibliotheque de M. Colbert, par qui ils recevoient les ordres de sa majesté. En hyver ils s'assembloient le plus ordinairement le mercredi, & en été M. Colbert les menoit souvent à Sceaux, pour donner plus d'agrémens à leurs conférences, & en jouir lui-même avec plus de tranquillité. Un des premiers travaux de cette académie naissante fut le sujet des desseins des tapisseries du roi, tels qu'on les voit dans le recueil d'estampes & descriptions qui en a été publié. M. Perrault fut ensuite chargé en particulier de la description du Carrousel, qui fut imprimée avec les figures, après qu'elle eut été examinée & approuvée par la compagnie. On commença aussi à faire des devises pour les jettons du trésor royal, des parties casuelles, des bâtimens & de la marine ; & tous les ans on en donnoit de nouvelles. Enfin, on entreprit de faire par médailles une histoire suivie des principaux évenemens du regne du roi ; & cet ouvrage n'eût pas tant tardé à paroître si M. Colbert n'eût pas interrompu si souvent le travail de la compagnie, en la chargeant continuellement d'inventer ou d'examiner les différens desseins de Peinture & de Sculpture dont on vouloit embellir Versailles ; de faite graver le plan & les principales vûes des maisons royales, & d'y joindre des inscriptions. M. Quinault occupa aussi une partie du tems de l'Académie, quand il eut été chargé par le roi de travailler aux tragédies en musique, de même que M. Felibien le pere, quand il eut fait son dictionnaire des arts & ses entretiens sur la Peinture ; car la compagnie fut rendue juge de ces différens ouvrages & de plusieurs autres, & aucun ne parut qu'après avoir subi son examen & reçu son approbation. Les premiers académiciens n'étoient qu'au nombre de quatre, tous de l'academie Françoise ; savoir, Mrs Chapelain, de Bourzéïs, Charpentier & Cassagnes. M. Perrault, contrôleur des bâtimens, fut admis dans les assemblées sans être d'abord du corps, mais dans la suite il prit la place de M. l'abbé Cassagnes ; & Mrs de Bourzéïs & Chapelain étant morts, le premier en 1672, & le second en 1674, ils furent remplacés par l'abbé Tallemant le jeune, & M. Quinault, tous deux de l'académie Françoise. Au commencement de 1682 M. Perrault ayant quitté la commission des bâtimens, & se voyant moins écouté de M. Colbert, quittant les assemblées où il avoit tenu la plume depuis qu'il y avoit été introduit, il fut remplacé par l'abbé Gallois. On sentit que son absence étoit une perte pour la compagnie, qui languit dès-lors pendant dix-huit mois, & jusqu'à la mort de M. Colbert. M. de Louvois, qui succéda à ce ministre dans la charge de surintendant des bâtimens, ne donna pas de moindres marques de son affection pour l'académie ; & après en avoir assemblé plusieurs fois les membres chez lui à Paris & à Meudon, il fixa enfin leurs assemblées au louvre, dans le lieu où se tiennent celles de l'académie Françoise, & voulut qu'elles se tinssent le lundi & le samedi depuis cinq heures du soir jusqu'à sept. M. de la Chapelle, devenu contrôleur des bâtimens, eut ordre de s'y trouver pour écrire les délibérations, & devint ainsi le cinquieme académicien, & peu après on ajouta Mrs Racine & Despréaux pour sixieme & septieme, enfin pour huitieme, M. Rainssant, directeur du cabinet des antiques de sa majesté.

Sous ce nouveau ministere l'académie reprit son histoire du roi par les médailles, & commença à faire des devises pour les jettons de l'extraordinaire des guerres ; & ayant perdu M. Quinault au mois d'Octobre 1688, & M. Rainssant au mois de Juin 1689, ces deux places demeurerent vacantes jusqu'en 1691, qu'on nomma pour les remplir Mrs de Tourreil & Renaudot. M. Felibien le pere occupoit depuis quelque tems celle de M. l'abbé Gallois, qui s'en vit exclus par l'inadvertance de Mrs Charpentier & Quinault, qui, interrogés par M. de Louvois sur les noms de leurs confreres, lui nommerent pour quatrieme M. Felibien, qui étoit présent, plutôt que M. Gallois, dont ils ne se souvinrent point. M. de Villacerf ayant été fait surintendant des bâtimens après M. le marquis de Louvois, n'eut pas le soin des académies, & sa majesté en chargea M. de Ponchartrain, alors contrôleur général & secrétaire d'état, & depuis chancelier de France. Ce fut sous lui que l'académie, que l'on n'avoit presque connue jusques là que sous le titre de petite académie, le devint davantage sous celui d'académie royale des Inscriptions & médailles ; & afin que M. le comte de Ponchartrain son fils pût se trouver souvent à ces assemblées, il les fixa au mardi & au samedi. L'inspection de cette compagnie fut donnée à M. l'abbé Bignon son neveu, dont le génie & les talens étoient déja universellement reconnus. On revit avec soin toutes les médailles dont on avoit arrêté les desseins du tems de M. de Louvois. On en réforma plusieurs ; on en ajouta un grand nombre ; on les réduisit toutes à une même grandeur. M. Coypel, depuis premier peintre du roi, fut chargé d'exécuter les différens desseins de médailles que l'académie avoit imaginés ; & l'histoire du roi par les médailles commença enfin à être présentée à sa majesté quelque tems après que M. de Ponchartrain eut été élevé à la dignité de chancelier, dont il fut revêtu au mois de Septembre 1699. M. l'abbé Bignon, craignant que cet ouvrage étant fini, l'académie, dont la situation n'étoit point encore fixe, ne se relâchât, ou ne vînt même à se dissiper, pensa à en assurer l'état, le fit proposer à sa majesté ; & le roi ayant goûté cette proposition, il fut fait, par ordre du roi, un réglement, qui fut envoyé peu après à la compagnie. Ce réglement porte entr'autres, " que l'Académie sera sous la protection du roi, comme celle des Sciences ; qu'elle sera composée de quarante académiciens, dix honoraires, dont l'un sera président, & deux pourront être étrangers, & dix éleves ; que l'un des pensionnaires sera secrétaire, & un trésorier ; que les assemblées se tiendront au louvre les mardis & vendredis de chaque semaine, depuis trois heures après-midi jusqu'à cinq, &c. " Ce réglement, que l'on peut lire en entier dans le premier volume des mémoires de l'académie des Belles-Lettres, fut fait à Versailles le 16 Juillet 1701, changea la face de l'académie, & ajouta aux occupations de ses membres l'étude de tout ce qui concernoit la littérature ancienne & moderne.

Le réglement commença à être exécuté le 19 du même mois, que l'académie tint sa premiere assemblée particuliere dans la forme prescrite. Cet établissement fut confirmé en 1713 par des lettres-patentes données à Marly au mois de Février, & qui furent enregistrées au parlement & à la chambre des comptes. L'académie prit pour sceau les armes de France avec une médaille d'or au milieu, où est gravée la tête de sa majesté. Le jetton de la même compagnie représente une muse, tenant à la main une couronne de laurier, & ayant derriere elle des cippes & des obélisques, & pour ame, ce mot d'Horace : Vetat mori. En 1716 feu M. le duc d'Orléans, alors régent du royaume, que l'on sait avoir toujours eu du goût & des talens pour les arts & pour les sciences, fit observer que le titre d'académie des Inscriptions & médailles n'exprimoit qu'une partie de l'objet de cette compagnie, & il fut rendu un arrêt du conseil d'état du roi le 4 Janvier 1716, par lequel ce titre fut changé en celui d'académie royale des Inscriptions & Belles-Lettres ; & par usage on nomme plus communément cette compagnie, académie des Belles-Lettres, titre plus simple, & qui exprime tout ce que le premier renferme. Par le même arrêt le roi supprima la classe des éleves, dont le nom seul rebutoit les personnes d'un certain mérite, & sa majesté ordonna que la classe des associés seroient augmentée de dix sujets, qui lui seroient présentés par l'Académie dans la forme ordinaire. Enfin le 23 Mars suivant il y eut un autre arrêt rendu au conseil d'état, qui ordonna que le titre de vetéran ne pourroit être desormais accordé qu'à ceux des académiciens actuellement en place, qui, après avoir travaillé utilement dans l'Académie pendant dix années au moins, se trouveroient hors d'état & dans une espece d'impossibilité d'y continuer leurs travaux. On a déja vingt-sept gros volumes in-4°. de l'histoire & des mémoires de cette académie, & la suite s'imprime à l'imprimerie royale, d'où ce qui a paru est sorti depuis 1733. M. le président Durey de Noinville a fondé un prix annuel, qui doit être distribué à celui qui, au jugement de l'Académie, aura mieux réussi dans le sujet qu'elle proposera. La premiere distribution de ce prix s'est faite dans la séance publique d'après pâques de l'année 1734. Moréry.

INSCRIPTION, (Jurisprud.) est lorsqu'on écrit son nom ou quelqu'autre chose sur un registre destiné à cet usage.

Dans les universités les étudians s'inscrivent en certains tems sur les registres de la faculté où ils étudient, & le certificat qu'on leur donne de ces inscriptions pour pouvoir prendre des degrés, est confondu dans l'usage avec les inscriptions même, & s'appelle aussi inscriptions.

Les dénonciateurs sont obligés d'inscrire leurs noms sur le registre du procureur du roi. Voyez DENONCIATEUR.

Inscription de faux ou en faux, est une voie judiciaire que l'on prend pour détruire par la voie du faux incident une piece que l'on soutient être fausse. Cette procédure est nommée inscription de faux, parce que celui qui attaque une piece soit par la voie du faux incident, est obligé de passer un acte au greffe, soit en personne ou par procureur fondé de procuration spéciale, contenant qu'il s'inscrit en faux contre la piece. Avant de former cette inscription de faux, il faut consigner une amende qui est de 100 livres dans les cours & aux requêtes de l'hôtel & du palais ; de 60 livres dans les sieges ressortissans nuement aux cours, & de 20 livres dans les autres sieges.

La procédure que l'on doit tenir pour former une inscription de faux, est expliquée dans l'ordonnance du mois de Juillet 1737, concernant le faux principal & le faux incident.

Quand on prend la voie du faux principal, il n'y a point d'amende à consigner, ni d'inscription de faux à former au greffe. Voyez FAUX. (A)


INSCRITadj. on dit en Géométrie qu'une figure est inscrite dans une autre, quand tous les angles de la figure inscrite touchent la circonférence de l'autre. Voyez CIRCONSCRITE.

Hyperbole inscrite est celle qui est entierement renfermée dans l'angle de ses asymptotes, comme l'hyperbole ordinaire. Voyez HYPERBOLE & COURBE, Chambers. (E)


INSECTE(Hist. nat.) petit animal qui n'a point de sang. On a distingué les animaux de cette nature en grands & en petits ; les grands sont les animaux mous, les crustacés & les testacés ; les petits sont les insectes. Il y a plus d'especes d'insectes que d'especes de poissons, d'oiseaux, ou de quadrupedes. Il y a aussi plus de différences de conformation parmi les insectes, que dans tout autre genre d'animaux. Sans cesser de considérer les insectes en général, tâchons de prendre une idée des différentes parties de leurs corps.

La peau des chenilles, des vers &c. est fort tendre & très-foible ; certaines araignées ont plusieurs peaux l'une sur l'autre, comme les pellicules d'un oignon. La peau de tous les insectes est poreuse ; dans quelques-uns elle tombe une fois chaque année, & dans d'autres jusqu'à quatre fois ; enfin il y a des insectes qui ont la peau fort dure & même garnie d'écailles.

La tête des insectes est fort petite dans les uns, & très-grosse dans d'autres à proportion du corps ; elle a différentes formes dans diverses especes. On en voit de rondes, de plates, d'ovales, de larges, de pointues & de quarrées, d'unies, de raboteuses & de velues.

La situation de cette partie varie aussi ; elle est droite ou inclinée, fort apparente ou presqu'entierement cachée.

Les insectes qui ont des aîles & des piés, ont aussi des antennes au front au-dessus des yeux ; dans quelques-unes elles tiennent à la trompe. Ces antennes ont des articulations, dont le nombre varie dans les diverses especes d'insectes ; on en a compté jusqu'à cent dans quelques sauterelles. Les phalanges qui sont entre ces articulations, ont différentes grosseurs & différentes longueurs dans différentes antennes ; il y en a de rondes qui se touchent les unes les autres comme des grains de chapelet : quelquefois elles sont plus éloignées. On en voit qui sont couvertes de poils, ou qui ont la forme d'un coeur, & qui sont placées les unes au bout des autres. Les antennes de quelques insectes sont terminées par un renflement qui leur donne en quelque façon la forme d'une massue, ou d'une baguette de tambour ; d'autres antennes sont fourchues ou divisées en plusieurs branches. Le corps des antennes est tout uni ou garni de barbe comme une plume, d'un seul côté ou des deux côtés ; à l'aide du microscope, on apperçoit sur celles de quelques antennes d'autres barbes secondaires, qui en font une plume entiere. Les antennes se meuvent sur des petits tubercules qui leur servent de bases, & se fléchissent en différens sens par le moyen des articulations de leurs phalanges ; pour l'ordinaire elles sont droites ou recourbées, dirigées en avant ou de côté.

Il y a beaucoup de variété dans la forme & la couleur des yeux des insectes qui sont pourvus de cet organe ; ils sont hémisphériques ou sphériques ; ils sont blancs, noirs, verds comme l'éméraude, de couleur d'or ou de vermillon, bruns, rougeâtres, lorsqu'ils sont exposés au soleil ; il y en a qui ont presqu'autant de brillant qu'une pierre précieuse. Les yeux sont ordinairement placés sur le front au-devant des antennes, & quelquefois derriere ; ceux des grillons des champs avancent un peu hors de la tête ; ceux des petites demoiselles aquatiques sont si saillans, qu'ils ne semblent tenir à la tête que par une articulation. Le nombre des yeux varie dans différens insectes ; la plûpart en ont deux ; les mouches en ont cinq ; les araignées huit pour l'ordinaire. Il y a quelques insectes dont les yeux sont composés d'un très-grand nombre d'hexagones disposés comme les alvéoles des abeilles. Chaque hexagone est un oeil qui a un point de vûe particulier, puisqu'ils sont tous placés sur un demi-globe. La situation & le grand nombre de ces yeux supplée au mouvement qui leur manque ; quoiqu'ils soient fixes, l'animal voit autant d'objets que s'il n'avoit de chaque côté qu'un oeil qu'il pût mouvoir. Les yeux des insectes sont nuds, mais leur cornée est dure.

La bouche des insectes a différentes formes ; elle est large ou pointue, ou longue comme un groin de cochon ; les uns ont les levres placées en haut & en bas, les autres sur les côtés. Il y a aussi sur les côtés de la bouche de plusieurs insectes deux ou quatre barbillons qui ont plusieurs articulations, deux, trois, quatre, cinq & plus : l'extrémité de ces barbillons est le plus souvent renflée en forme de massue. Cette extrémité est cannelée dans les scarabés noirs qui viennent des vers du lard. On a soupçonné que ces barbillons pourroient être les organes de l'odorat ; au moins les insectes s'en servent pour porter les alimens à la bouche. Il y a dans la bouche des serres qui tiennent lieu de dents ; quoique très-déliées, elles sont dures & fortes, & si tranchantes qu'elles percent le bois, & broyent les alimens les plus durs comme des dents. Ces serres sont unies dans quelques insectes, & ressemblent aux ergots des coqs ; il s'en trouve qui ont sur la face intérieure de chaque piece des dents pointues & courbes ; c'est avec ces serres que les insectes saisissent leur proie : elles leur servent aussi d'armes offensives & défensives.

La trompe des insectes leur sert de langue ; elle est placée entre les serres de quelques-uns comme les grillons des champs. Il y en a qui l'étendent & la raccourcissent à leur gré ; les papillons la roulent entre deux lames barbues qui la mettent à couvert, d'autres la couchent sous leur ventre dans une petite cannelure qui s'y trouve. La trompe de quelques insectes est très-petite & très-peu apparente, d'autres l'ont plus longue que tout le corps. Dans certaines especes d'insectes elle est renfermée dans une sorte de fourreau, dont le bout est pointu & peut percer différentes substances ; ensuite il s'ouvre, & la trompe en sort pour sucer ce qui se trouve dans les trous faits par le fourreau.

Le corcelet est une partie de l'insecte placée entre la tête & le corps ; il est plus ou moins dur, il est plat ou renflé, terminé en pointe par-derriere ou arrondi, couvert de poils, de tubercules, ou d'éminences qui ont diverses formes.

Il y a sur le corps des insectes des incisions, ou des articulations qui se divisent en plusieurs anneaux, & c'est de ces incisions qu'est venu le mot d'insecte. Les anneaux qu'elles forment sont larges ou étroits ; il y en a de quarrés ; ils sont placés les uns au bout des autres, ou en partie les uns sur les autres. Certains insectes n'en ont que cinq ; la plûpart en ont un plus grand nombre, le mille-piés long & plat en a cinquante quatre. Les insectes se meuvent en écartant ou en rapprochant ces anneaux ; ils se couvrent & se découvrent plus ou moins, selon le dégré de température qu'ils veulent se procurer. Il y a presqu'autant de différences dans la figure du corps des insectes, qu'il y a d'especes de ces animaux. Ceux qui n'ont point de piés, ont sur le corps des piquans ou de petites pointes, par le moyen desquelles il se maintiennent en place ; le ver qui se trouve dans l'estomac du cheval seroit bientôt entraîné par les matieres qui passent de ce viscere dans les intestins, s'il n'avoit de ces pointes pour s'accrocher aux parois de l'estomac. Les insectes ont aussi sur le corps des éminences unies ou crénelées, ou des tubercules, dont les couleurs sont quelquefois très-belles.

La partie postérieure du corps des insectes est revêtue de poils, ou couverte d'une sorte d'écusson, ou terminée par une membrane roide, qui leur sert de gouvernail lorsqu'ils volent, ou par des mamelons d'où sort la soie qu'ils filent ; d'autres insectes ont sur cette partie postérieure des soies ou des queues minces, au nombre d'une, deux, trois ou quatre, ou des cornes droites ou courbes, qui se raccourcissent lorsqu'on les touche, ou qui ont des pointes ou des barbillons qui sont quelquefois articulés ; quelques insectes ont sur cette même partie une queue fourchue, ou une serre en forme de pince, avec laquelle ils saisissent leur proie.

Les parties de la génération sont placées à la partie postérieure du corps ou sous le ventre. Il y a des femelles qui ont un long tuyau terminé en forme de masse pointue, avec laquelle elles font des trous pour y déposer leurs oeufs. Ce tuyau tient à l'ovaire, l'oeuf en y entrant le fait gonfler ; il se resserre à l'instant pour pousser l'oeuf en avant ; ainsi en se dilatant & se resserrant successivement, le tuyau conduit l'oeuf jusque dans le trou qui a été creusé pour le recevoir. Certains insectes aquatiques ont un tuyau à la partie postérieure du corps, par laquelle ils respirent en s'élevant à la surface de l'eau.

Quelques insectes ont encore dans la partie postérieure du corps un aiguillon, qu'ils en font sortir pour différens usages ; dans d'autres il est toujours au-dehors du corps. Lorsque cet aiguillon est court, il se trouve placé sous le ventre dans une rainure, lorsqu'il est plus long il déborde en arriere, & il est renfermé dans un étui composé de deux pieces longitudinales, terminées en pointes très-déliées ; elles s'ouvrent pour donner passage à l'aiguillon, dont la pointe ressemble à celle d'un hameçon, & le retient dans la chair lorsque l'insecte a fait sa piquûre, en même tems il tire d'une vessie qui est placée près du ventre à la racine de l'aiguillon, une liqueur qui coule le long du tuyau de l'aiguillon, qui s'insinue dans la plaie & qui y cause de la douleur. Quoique cet aiguillon soit très-délié, il perce des substances dures ; on a éprouvé que celui d'une abeille peut percer un gant de peau de bouc.

Le nombre des jambes varie beaucoup dans les différentes especes d'insectes ; il y a aussi de grandes variétés dans la longueur des jambes & dans le nombre de leurs articulations ; ordinairement les dernieres jambes sont les plus longues, quelquefois aussi elles sont les plus courtes. Il s'en trouve qui n'ont qu'une seule articulation ; d'autres en ont jusqu'à huit : pour l'ordinaire elles ne sont composées que de trois parties ; la premiere est une sorte de cuisse, la seconde peut être regardée comme la jambe proprement dite, & la troisieme est le pié. Quelques insectes ont la jambe & la cuisse revêtues de poils forts & pointus. Le pié est ordinairement composé de quelques pieces qui sont rondes, ou qui ont la forme d'un coeur renversé ; il y en a deux & même jusqu'à cinq dans quelques insectes. La derniere de ces pieces a deux pointes crochues ; d'autres insectes ont entre ces pointes une plante, par le moyen de laquelle ils adherent aux corps, lorsqu'ils ne peuvent pas s'y accrocher par les pointes du pié. Il y a des insectes mâles qui ont aux genoux une espece de palette avec laquelle ils serrent la femelle dans l'accouplement. Certains insectes ont les jambes très-fortes & font de très-grands sauts ; on dit qu'une puce peut parcourir en sautant un espace deux cent fois plus long que son corps. Les insectes se servent de leurs jambes & de leurs piés pour nager & pour essuyer leurs yeux, leurs antennes & leurs corps, pour creuser & déplacer la terre, pour saisir leur proie, &c.

Les insectes aîlés ont deux ou quatre aîles ; leur situation est très-différente, car elles sont horisontales, obliques ou verticales. Dans plusieurs insectes, comme les scarabés, elles ont une sorte de couverture ou de fourreau, dans d'autres elles n'en ont point ; celles-ci sont lisses ou garnies d'une espece de farine ou de poussiere ; telles sont les aîles des papillons ; celles qui sont lisses ont des nervures très-apparentes, elles sont très-minces & même transparentes. La poussiere des aîles des papillons vûe au microscope, paroît sous la forme d'écailles qui ont diverses figures. Dans les différentes especes de ces insectes, il y en a dont les aîles sont composées de longues plumes, qui ont des barbes comme celles des oiseaux. Toutes ces aîles varient beaucoup pour la figure & pour les couleurs, qui sont très-belles dans plusieurs especes de papillons ; on y voit aussi des caracteres qui ressemblent à des lettres. Les fourreaux qui se trouvent sur les aîles de plusieurs insectes, ont une consistance très-ferme, & sont plus ou moins durs, plus ou moins épais, & plus ou moins transparens, ou entierement opaques ; ils sont aussi plus ou moins longs. Dans quelques insectes ils ne couvrent qu'une petite partie du corps en de-là du cervelet, dans d'autres ils s'étendent jusqu'au milieu du corps, quelquefois plus loin & même jusqu'à l'extrémité. Il y a beaucoup de variété dans leurs figures & dans leurs couleurs ; il y en a qui sont garnis de poils, d'autres sont striés ou couverts de tubercules, &c. Les aîles qui se trouvent sous ces fourreaux sont très-minces & transparentes ; elles ont dans plusieurs insectes beaucoup plus de longueur que les fourreaux : dans ce cas la partie qui déborderoit au-de-là des fourreaux, se replie avant que l'insecte abaisse les fourreaux sur les aîles.

Il y a plusieurs insectes qui ont des poils ; ils sont si fins dans quelques-uns, qu'on ne les apperçoit qu'à-travers une loupe. Les chenilles en ont sur la tête, les phalenes sur le corcelet, les bourdons sur la partie postérieure du corps ; on en voit sur les aîles & sur les jambes. Tous ces poils ont différentes couleurs, qui changent lorsque l'insecte vieillit, ou lorsqu'il est prêt à former sa coque. Il y a aussi sur différens insectes des touffes de poils disposés en forme de brosses rondes ou quarrées, & souvent terminées en pointe comme un pinceau. Certains insectes ont des poils si gros qu'on leur a donné le nom d'épine, ils ont quelquefois plusieurs branches. Ces poils & ces épines se brisent lorsqu'on tient l'insecte, & leurs débris entrent dans la peau & y causent de la demangeaison ; c'est ce qui a fait croire que les chenilles étoient venimeuses : celles qui sont rases ne font pas le même effet à ceux qui les manient.

Plusieurs insectes ont des cornes dures qui sont mobiles ou immobiles, qui different des antennes, en ce qu'elles n'ont point d'articulations. Quelques-uns portent sur la tête une corne recourbée ou droite ; tel est le scarabé du tan appellé rhinoceros, à cause de sa corne. D'autres insectes ont sur le devant de la tête deux cornes qui s'étendent en haut ou en dehors ; ces cornes sont courtes, un peu recourbées & unies, ou branchues comme celles du cerf-volant : quelquefois elles sont plus longues l'une que l'autre. Il y a des insectes qui ont trois cornes perpendiculaires sur la tête ou sur les épaules.

Tous les insectes ont les sens du tact & du goût ; mais il y en a qui sont privés de la vûe, d'autres n'ont point d'odorat ; aucun n'a des oreilles apparentes à l'extérieur ni même à l'intérieur ; cependant il paroît qu'ils ne sont pas tous privés du sens de l'oüie.

Plusieurs insectes ont des qualités fort extraordinaires ; il y en a qui jettent de la lumiere pendant la nuit ; tels sont les vers-luisans & les portes-lanternes de la Chine & d'Amérique ; la lumiere de ceux-ci est si vive qu'ils peuvent servir de chandelle pour lire & pour faire différens ouvrages pendant la nuit.

Les insectes n'ont à proprement parler point de voix, mais il y en a plusieurs qui rendent des sons & qui font différens bruits, comme les cigales, les grillons, les abeilles, &c. Ces sons viennent du frottement de la nuque du cou contre le corcelet, du frottement des aîles l'une contre l'autre, ou contre le dos, ou d'une conformation particuliere de quelque partie du corps ; c'est par ces sons que les grillons des champs appellent leurs femelles.

Il y a des insectes qui répandent une odeur très desagréable ; telles sont les cantharides, les punaises, &c. au contraire il y a des scarabés qui sentent le musc, la violette, la rose.

Une grande quantité d'insectes offrent aux yeux les couleurs les plus vives & les plus belles, principalement les papillons & même les chenilles, les scarabés, les buprestes, &c.

La plûpart des insectes n'ont pas toûjours la même forme ; la plûpart en changent au point de n'être pas reconnoissables ; ce changement est ce qu'on appelle transformation ou métamorphose des insectes. Swammerdam (Biblia naturae) en distingue de quatre sortes.

Dans la premiere sorte de métamorphose, les insectes ne subissent d'autre transformation que celle qu'ils éprouvent, en sortant de l'oeuf, ils croissent ; la plûpart changent de peau, quelques-unes de leurs parties grandissent quelquefois un peu plus que d'autres, & prennent une couleur différente de celle qu'elles avoient auparavant ; telles sont les araignées & les diverses especes de poux des hommes & des animaux, les vers de terre, les sangsues, les mille-piés, &c.

Dans les trois autres sortes de métamorphose, lorsque les insectes ont mué la plûpart diverses fois, & qu'ils sont parvenus à leur point d'accroissement, ils prennent la forme de sémi-nymphe, de nymphe, ou de chrysalide ; après être restés quelque tems sous l'une de ces formes, ils la quittent & deviennent des insectes parfaits & propres à la génération.

La seconde sorte de métamorphose est une transformation incomplete ; car les insectes, tels que les demoiselles aquatiques, les sauterelles, les grillons, les punaises volantes, &c. n'acquierent par ce changement que des aîles qui leur manquoient auparavant ; lorsque ces aîles se forment, on donne à l'insecte le nom de sémi-nymphe ; dans cet état on voit sur le dos au-delà du corcelet, des étuis qui renferment les aîles naissantes ; auparavant elles ne paroissent que très-peu ou point du tout. Les insectes dans l'état de sémi-nymphe, mangent, marchent, courent, sautent ou nagent comme à l'ordinaire. La forme de la plûpart de ces insectes ne differe guere après l'état de sémi-nymphe de celle qu'ils avoient auparavant, que par les aîles qu'ils ont de plus ; cependant il s'en trouve qui sont très-différens de ce qu'ils étoient dans leur premier état.

Dans la troisieme & quatrieme sorte de métamorphose, les insectes perdent l'usage de tous leurs membres ; ils ne peuvent ni manger ni agir, & ne ressemblent en rien à ce qu'ils étoient auparavant ; tel de ces insectes qui auparavant n'avoit point de jambes, ou en avoit jusqu'à cinq ou six, sept, huit, neuf, dix & onze paires, n'en a alors jamais ni plus ni moins que trois paires, qui avec ses aîles & ses antennes sont ramenées sur son estomac, & s'y tiennent immobiles.

Dans la troisieme sorte de métamorphose, les insectes, tels que les abeilles, sont revêtus d'une fine membrane ; on leur donne lorsqu'ils sont dans cet état, le nom de nymphe. Dans la quatrieme sorte de métamorphose, les insectes, tels que les papillons, les phalenes, sont renfermés dans une enveloppe dure & crustacée, qui réunit toutes les parties de l'animal en une seule masse ; dans cet état on les nomme chrysalides.

" Les insectes qui se changent en chrysalides, subissent une transformation de plus que les autres insectes ; avant de devenir nymphes ils prennent sous cette peau la forme d'une ellipsoïde, ou d'une boule allongée, dans laquelle on ne reconnoît aucune partie de l'animal ; dans cet état la tête, le corcelet, les aîles & les jambes de la nymphe sont renfermées dans la cavité intérieure du ventre, dont elles sortent successivement par le bout antérieur, à peu-près de la même maniere qu'on feroit sortir l'extrêmité d'un doigt de gant qui seroit rentré dans sa propre cavité. Les insectes de cette classe ne se distinguent pas des autres seulement en ce qu'ils se changent en nymphes sous leur peau, mais sur-tout en ce que pour devenir nymphes, ils subissent une double transformation. Suivant cette idée on pourroit réduire les différences des quatre ordres de transformation à des termes plus aisés & plus simples, disant que les insectes du premier ordre, après être sortis de l'oeuf, parviennent à leur état de perfection, sans s'y disposer par aucun changement de forme ; que ceux de la seconde classe s'y disposent par un changement de forme incomplet ; ceux de la troisieme par un changement de forme complet, & ceux de la quatrieme par un double changement de forme. "

Indépendamment de ces métamorphoses, les insectes changent de peau ; les uns tels que les araignées une seule fois, & les autres plusieurs fois, par exemple les grillons des champs & les chenilles du chou en changent quatre fois ; d'autres enfin se dépouillent jusqu'à six fois, & même plus. Les uns fendent leur peau près de la tête pour la quitter, & les autres sous le ventre ; la dépouille de plusieurs especes d'insectes garde la forme exacte de toutes les parties de leur corps.

Les chrysalides ont différentes formes ; il y en a de coniques, d'autres sont angulaires ; il s'en trouve de ressemblans à des dattes ; on leur donne le nom de feves. D'autres ressemblent en quelque façon à un enfant au maillot, à la tête d'un chien, d'un chat, d'une souris, d'un oiseau, &c. On se doute bien que ces ressemblances sont très-imparfaites. On reconnoît plus aisément dans la forme de la chrysalide celles des principales parties de l'insecte qui en doit sortir ; tous ses membres sont rangés, appliqués, pliés ou étendus contre le corps ; on les voit à-travers la coque de quelques chrysalides, ou au moins on distingue leur figure. Les chrysalides ont différentes couleurs quelquefois très-belles ; il y en a de dorées, de brunes, de jaunes, de rouges, de vertes, de blanches, de violettes ; on en voit qui ont différentes teintes de ces couleurs. Souvent les plus beaux insectes sortent des chrysalides les moins belles, & les insectes les plus laids viennent des plus belles chrysalides.

Quelques insectes sont immobiles dans l'état de chrysalides ; d'autres font quelques petits mouvemens lorsqu'on les touche ; mais aucun ne prend de nourriture durant cet état. Comme ils ne peuvent pas veiller à leur sureté, ils se placent à l'abri d'une pierre ou d'une racine ; & ils rendent le côté de leur coque qui est exposé plus ferme pour résister à la dent des vers ; d'autres se suspendent à des fils, ou font autour d'eux une sorte de filet à larges mailles ; d'autres enfin se revêtent de laine ou de coques de soie. Il y a des coques ovales ; il y en a de sphéroïdes, de coniques, de cylindriques, d'angulaires ; d'autres ont la forme d'un bateau, d'une navette ou d'une larme de verre, dont le corps seroit renflé & la pointe recourbée, &c.

Chaque espece d'insecte a son tems pour se transformer en nymphe ou en chrysalide ; les uns au mois de Mai, d'autres en Juin, en Juillet, en Août, en Septembre. Il y en a qui ne demeurent dans cet état que douze jours, tandis que d'autres y en restent quinze, seize ou vingt ; quelques-uns ne sortent pas même si tôt de leur prison ; ils y sont enfermés les uns trois semaines & les autres un mois ; on en voit qui y restent deux mois, d'autres six, neuf ou dix ; d'autres enfin une année & même plus ; par conséquent on les voit paroître successivement dans différens tems de l'année, depuis le mois de Février jusqu'au mois de Décembre ; il y en a même qui ont deux générations en un an.

S'il y a des insectes dont la génération soit spontanée, comme l'ont cru les anciens, au moins la plûpart des insectes que nous connoissons le mieux sont les uns mâles & les autres femelles ; ils s'accouplent & produisent des oeufs d'où il sort un ver. Les éphemeres ne s'accouplent pas, le mâle fraie seulement comme les poissons sur les oeufs de la femelle ; dans quelques especes, comme celles des limaces, des escargots, des vers de terre, chaque individu a les deux sexes qui se joignent réciproquement de part & d'autre dans l'accouplement ; dans certaines especes, telles que celles des abeilles, des guêpes, des fourmis, il y a grand nombre d'individus qui ne sont ni mâles ni femelles ; c'est pourquoi on les appelle mulets. On a observé dans ce siecle qu'un puceron produit d'autres pucerons lui seul sans accouplement ; enfin, différentes parties d'un polype coupées & séparées les unes des autres, deviennent chacune des polypes entiers, comme le rameau d'un arbre devient par bouture un arbre complet.

Dans les especes d'insectes qui s'accouplent, les femelles sont ordinairement plus grosses que les mâles ; cette différence est évidente parmi les puces, les grillons, &c. dans plusieurs especes les antennes des mâles ont des noeuds, des barbes ou des bouquets de poils qui ne sont pas sur les antennes des femelles ; les mâles de quelques especes d'insectes ont des aîles, & les femelles en manquent, ou n'en ont que d'imparfaites ; elles sont pourvûes dans d'autres especes d'un tuyau qui sert à conduire leurs oeufs entre l'écorce des arbres, dans la terre, dans le parenchyme des feuilles, & dans d'autres endroits où ils ne pourroient pas parvenir sans cet organe. Quelquefois les couleurs du mâle sont différentes de celles de la femelle.

Il se trouve autant de variétés entre les oeufs des insectes qu'entre leurs différentes especes, tant par la grandeur & la forme de ces oeufs, que par les couleurs. On en voit de ronds, d'ovales, de coniques, &c. de bruns, de verds, de rougeâtres, de jaunâtres, de couleur d'or & de perles, &c. la ponte de quelques insectes, tels que le grand scarabé pillulaire, n'est que d'un oeuf ; d'autres en font six ou sept, trente, soixante, &c. il en sort plusieurs centaines, & même plusieurs milliers d'une seule femelle, telle par exemple qu'une mere abeille. Il y a des insectes qui ne prennent d'autre soin de leurs oeufs que de les déposer dans des lieux où les vers trouvent au sortir de l'oeuf une nourriture convenable ; plusieurs les enveloppent de soie, les couvrent de poils qu'ils tirent de leur corps, les enduisent d'une matiere visqueuse, les mettent sous des arbres, les cachent en terre, &c. la plûpart des meres meurent dès qu'elles ont pondu ; d'autres au contraire, n'abandonnent jamais leurs oeufs ; quelques especes d'araignées les portent toûjours avec elles renfermés dans une enveloppe ; les abeilles, les guêpes, les frelons, les fourmis ont un soin continuel de leurs oeufs & de leurs nymphes.

Plusieurs insectes font des nids avec une singuliere industrie ; ils y emploient différentes matieres. La teigne qui vit au fond de l'eau se fait un fourreau avec des brins d'herbe, de petites pierres, des fragmens de bois, d'écorces, de feuilles, &c. elle colle ces différentes matieres les unes contre les autres avec une sorte de glu, qui rend le fourreau lisse à l'intérieur tandis qu'il est raboteux à l'extérieur. D'autres insectes, tels que les scarabés pillulaires, font des petits nids ronds semblables à ceux des hirondelles. Il y a des abeilles qui roulent des feuilles pour en faire un étui où elles déposent leurs oeufs ; cet étui a la forme d'un dé à coudre : " elles soudent de leur bouche, par le moyen d'une humeur visqueuse, les côtes d'une feuille fort soigneusement ; elles ferment le fond de leur nid par trois ou quatre morceaux de feuilles circulaires, appliquées les unes sur les autres pour rendre l'ouvrage plus solide ; & comme ces pieces circulaires ont un peu plus de circonférence que n'en a l'ouverture qu'elles doivent fermer, cela fait que quand le bourdon les y colle, elles prennent une figure convexe. Le dessus du nid est fermé par un couvercle qui a la forme d'une assiette. Le bourdon le leve quand il veut sortir, après quoi il se referme de lui-même. " Elles se servent des feuilles de différentes autres manieres aussi industrieuses, & font d'autres manoeuvres très-singulieres, pour se loger & pour renfermer leurs provisions, leurs oeufs, leurs nymphes, &c. comme on peut le voir dans cet ouvrage aux articles de plusieurs insectes, par exemple, voyez ABEILLE, RUCHE, GUEPE, GUEPIER, Extrait de la Théolog. des insectes.

On divise les insectes en sept classes.

La premiere classe comprend les insectes coléopteres ; ils ont des fourreaux sur les aîles, & leurs mâchoires sont posées l'une à côté de l'autre, & non-pas l'une au-dessus de l'autre, comme dans les quadrupedes.

La deuxieme classe comprend les hémipteres ; ils ont les aîles croisées & une trompe recourbée sous la poitrine.

La troisieme classe comprend les neuropteres ; ils ont quatre aîles parsemées de veines en forme de rézeau.

La quatrieme classe comprend les lépidopteres ; la plûpart ont une trompe en spirale, & ils ont tous quatre aîles membraneuses.

La cinquieme classe, comprend les hyménopteres ; ils ont quatre aîles membraneuses.

La sixieme classe comprend les dipteres ; ils n'ont que deux aîles ; il y a sous chacune un stilet terminé par un bouton.

La septieme classe comprend les apteres ; ils n'ont point d'aîles.

Chacune de ces sept classes est soûdivisée en plusieurs genres.

Premiere classe : insectes coléopteres, insecta coleoptera. Cette classe comprend vingt-deux genres.

1°. Les scarabés, scarabaei ; ils ont les antennes terminées par un bouton, & divisées à leur extrêmité en plusieurs pieces longitudinales.

Les principales especes de ce genre sont le cerf-volant, le rhinoceros, le hanneton, &c. On distingue ces especes par la figure des cornes, des mâchoires, de la poitrine, &c. par leur poil, leurs couleurs, &c.

2°. Les scarabés disséqueurs, dermestes ; ils ont les antennes terminées par un bouton, & divisées à leur extrêmité en plusieurs pieces transversales.

On distingue les especes de ce genre par les mêmes caracteres que celles des scarabés, & de plus par la forme du ventre, la couleur des yeux, &c.

3°. Les scarabés tortues, cassidae ; ils ont les antennes semblables à des fils ; elles sont plus épaisses sur le côté extérieur que sur l'intérieur ; la poitrine est plate, & terminée de chaque côté par un rebord.

4°. Les coccinelles, coccinellae ; elles ont les antennes terminées par un bouton qui n'est point divisé en lames ; la poitrine forme une demi-sphere avec les fourreaux, dont le côté extérieur & la partie postérieure sont terminés par un rebord.

La plûpart des especes de ce genre sont caractérisées par les couleurs des fourreaux.

5°. Chrisomeles, chrisomelae ; elles ont les antennes composées de grains en forme de chapelet ; ces antennes sont plus épaisses sur le côté extérieur que sur l'intérieur ; ces insectes ont le corps presque ovoïde, & la poitrine presque cylindrique.

6°. Les charansons ou calendres, curculiones ; leurs antennes tiennent à un bec allongé ou une trompe qui a la consistance de la corne.

Quelques especes de ce genre sont indiquées par la figure de la trompe & des cuisses.

7°. Les capricornes, cerambices ; ils ont les antennes semblables à des soies ; les fourreaux tronqués à la partie antérieure, & la poitrine presque cylindrique.

8°. Les leptures, lepturae ; ils ont les antennes semblables à des soies ; les fourreaux tronqués à la partie antérieure, & la poitrine presque cylindrique.

9°. Les escarbots ou scarabés jardiniers, carabi ; ils ont les antennes semblables à des soies ; la poitrine un peu convexe, terminée sur les côtés par un rebord fait en forme de coeur, & échancrée par derriere.

10°. Les scarabés sauteurs, mordellae ; ils ont les antennes semblables à des fils, la partie postérieure du corps est arrondie ; la plûpart ont les piés conformés de façon que l'insecte a beaucoup de facilité pour sauter.

11°. Les cicindelles, cicindelae ; ces insectes ont les antennes menues comme des fils ; les mâchoires sont saillantes & garnies de dents ; la poitrine est arrondie, à l'exception de quelques angles qui s'y trouvent.

12°. Les buprestes, buprestes ; ils ont les antennes semblables à des soies ; la partie postérieure de la tête entre dans la poitrine ; qui a une forme cylindrique.

13°. Les scarabés d'eau, ditisei ; la plûpart ont des antennes semblables à des soies ; les piés sont conformés d'une maniere favorable pour nager, dégarnis de poil.

14°. Les ressorts ou les maréchaux, élateres ; ils ont les antennes semblables à des soies ; & le corps oblong ; ils sautent étant renversés sur le dos, & ils se retrouvent sur leurs piés.

15°. Les cantharides, cantharides, elles ont les antennes semblables à des soies, les fourreaux flexibles, la poitrine presque plate, & les côtés du ventre plissés en forme de mamelon.

16°. Les bavarots, tenebriones ; les antennes ressemblent à des fils ; les fourreaux tiennent l'un à l'autre, & il n'y a point d'aîles.

17°. Les scarabés de maréchaux, meloe ; les antennes ressemblent à des soies ; les fourreaux ne couvrent que la partie antérieure du corps ; les aîles sont découvertes.

18°. Les fouilles-terre, necidalides ; les antennes ressemblent à des soies ; les fourreaux ne couvrent que la partie antérieure du corps ; les aîles sont découvertes.

19°. Les perce-oreilles, forficulae ; les antennes ressemblent à des soies ; la queue est en forme de pince ; les fourreaux ne couvrent que la partie antérieure du corps, & les aîles se replient sur leurs fourreaux.

20°. Les staphilins ou courtilles, staphilini ; les antennes ressemblent à des fils ; il y a deux vésicules sur la queue ; les fourreaux ne couvrent que la partie antérieure du corps, & les aîles se replient par-dessous.

21°. Les blattes, blattae ; les antennes ressemblent à des soies ; il y a deux petites cornes sur la queue ; les fourreaux sont membraneux ; la poitrine est presque platte, arrondie & terminée par un rebord sur les côtés.

22°. Les grillons, grilli ; les antennes ressemblent à des soies ; les fourreaux sont membraneux, étroits & semblables à des aîles ; la poitrine est serrée par les côtés, & les piés sont conformés de façon que l'insecte a beaucoup de facilité pour sauter.

Les principales especes de ce genre sont, le grillon-taupe, ou courtiliere, les grillons domestiques & sauvages, les sauterelles, la mante des Indes, &c. On distingue quelques-unes de ces especes par la figure des piés & de la queue.

Deuxieme classe. Insectes hémipteres, insecta hemiptera : cette classe comprend huit especes. 1°. Les cigales, cicadae ; elles ont un bec recourbé, des antennes très-courtes, quatre aîles disposées en forme de croix, la poitrine presque cylindrique, le dos convexe, & les piés conformés de maniere que l'insecte saute aisément.

2°. Les punaises, cimices ; elles ont un bec recourbé, les antennes composées de quatre phalanges, quatre aîles disposées en croix, la poitrine terminée par un rebord sur les côtés, le dos plat & les piés conformés de maniere que l'insecte court aisément.

Parmi les especes de ce genre, les unes sont rondes, & les autres oblongues.

3°. Les punaises à avirons, notonectae ; elles ont un bec recourbé, les antennes très-courtes, quatre aîles disposées en croix, & les piés conformés de maniere qu'elles nagent aisément.

4°. Les scorpions aquatiques, ou les punaises de riviere, hepae ; ils ont un bec recourbé, des antennes en forme de pince d'écrevisse, quatre aîles disposées en croix, & quatre piés.

Le scorpion de marais, & le scorpion ou la punaise aquatique, sont des especes de ce genre.

5°. Les kermes, chermes ; ils ont la bouche placée sur la poitrine, le ventre pointu par-derriere, quatre aîles placées sur les côtés du corps, & les piés conformés de maniere que ces insectes sautent facilement.

6°. Les pucerons, aphides ; ils ont un bec recourbé, & quatre aîles qui sont posées verticalement, & qui ne paroissent qu'avec l'âge ; il y a deux cornes sur la partie supérieure de l'avant-dernier anneau du ventre ; & les piés sont conformés de façon que ces animaux marchent très-lentement.

7°. Les cochenilles, cocci ; elles ont la bouche sur la poitrine & deux aîles posées verticalement ; la partie postérieure du ventre est couverte de soies : il n'y a que les mâles qui ayent des aîles.

La cochenille de Pologne & les galinsectes de différentes plantes, sont des especes de ce genre.

8°. Les amafleurs, thripea ; ils ont le bec peu apparent, le ventre très-mince, étroit & allongé, quatre aîles qui tiennent au dos & qui sont étendues obliquement en-arriere.

Troisieme classe. Insectes neuropteres, insecta neuroptera ; cette classe comprend six genres. 1°. La mouche-scorpion, panorpa ; le bec est de figure cylindrique & de substance de corne ; la queue ne differe de celle du scorpion, qu'en ce qu'elle est terminée par une pince au lieu d'une pointe.

2°. Rapidiae, mouches dont la tête est applatie & de substance de corne ; la queue est terminée par une soie en forme de piquant.

3°. Hemerobii, mouches qui ont deux petites antennes de chaque côté du palais qui est saillant ; les aîles sont épaisses & inclinées en bas ; les nymphes courent & sont voraces.

Le lion puceron, la mouche puante, le fourmi-lion, &c. sont des especes de ce genre.

4°. Phryganeae, mouches qui ont deux petites antennes de chaque côté du palais qui est saillant, & les aîles sont couchées sur le corps. Les nymphes de ces insectes sont aquatiques, & logent dans un tuyau cylindrique.

5°. Les mouches éphémeres, ephemerae ; elles ont sur la tête deux tubercules en forme d'yeux ; la queue ressemble à une soie & les antennes sont courtes.

6°. Les demoiselles, libellulae ; elles ont la bouche composée de deux mâchoires ; les antennes courtes, & la queue en forme de pince.

On divise ce genre en trois genres secondaires.

1°. Les grandes demoiselles ; 2°. les demoiselles moyennes ; 3°. les petites demoiselles.

Quatrieme classe. Insectes lépidopteres, insecta lepidoptera : cette classe ne contient que deux genres. 1°. les papillons de jour, papiliones ; ils ont les antennes terminés par un bouton.

La plûpart des especes de ce genre ont des noms particuliers ; savoir, le maure, la grande tortue, la petite tortue, le double c, le paon de jour, l'amiral, la belle-dame, l'empereur, le roi, la reine, le prince, la princesse, le comte, le faune, le satyre, le coridon, l'alexis, le caniculaire, le gazé, l'aurore, l'argus ; les autres sont désignés par les chenilles qui les ont produits, & par les plantes sur lesquelles les chenilles vivent.

2°. Les phalenes ou les papillons de nuit, phalenae ; leurs antennes n'ont point de bouton.

Les especes de ce genre sont en très-grand nombre.

Quelques-unes ont des noms particuliers, comme les papillons de jour, savoir, le sphinx, la cochonne, le léopard, le timide ou le craintif, l'ours, le lamda, le c, le psi, le double W, l'omicron, l'ypsilon.

Les especes des phalenes étant très-nombreuses, on a été obligé de diviser ce genre en cinq genres secondaires ; 1°. les phalenes qui ont les antennes prismatiques ; 2°. les phalenes qui ont les antennes comme des plumes, & qui n'ont point de trompe ; 3°. les phalenes qui ont les antennes comme des plumes, une trompe contournée en spirale, & les aîles horisontales ou inclinées en bas ; 4° les phalenes qui ont les antennes simples, la trompe contournée en spirale, & les aîles horisontales ; 5°. les phalenes qui ont les antennes simples, le front élevé & la trompe contournée en spirale, ou qui n'ont point de trompe.

Cinquieme classe. Insectes himenopteres, insecta himenoptera : cette classe contient cinq genres.

1°. Les mouches à scie ou à tariere, teuthredines ; les femelles ont près de l'anus un aiguillon dentelé sur toute sa surface : les vers qui produisent ces insectes ont plusieurs piés.

2°. Les bedeguards ou mouches à tariere, teuthredines, ont l'aiguillon de l'anus de figure conique & recourbé : les nymphes qui les produisent se trouvent dans des galles de plantes.

3°. Les ichneumons, ichneumones ; ils ont un aiguillon à l'anus renfermé dans un fourreau composé de deux pieces.

4°. Les abeilles, apes ; elles ont à l'anus un aiguillon dont on ne voit pas le fourreau ; elles se servent de cet aiguillon pour piquer.

Ce genre contient non-seulement les abeilles, mais encore les guêpes, les frelons & les bourdons.

5°. Les fourmis, formicae ; elles ont une écaille élevée entre la poitrine & le ventre : les fourmis ouvrieres n'ont point d'aîles.

Sixieme classe. Insectes dipteres, insecta diptera : cette classe contient sept genres. 1°. Astri ; ils n'ont point de bouche.

Les especes de ce genre se trouvent sur différens animaux : il y en a une qui est dans l'eau, & que l'on appelle le caméléon.

2°. Les asiles, asili ; elles ont un bec simple, pointu, & fait en forme d'haleine.

3°. Les mouches de cheval, hippoboscae ; ces insectes ont la trompe divisée en deux parties, obtuse, & de forme cylindrique ; la langue ressemble à une soie.

4°. Les taons, tabani ; leur bouche a des dents & une trompe terminée par un bouton, comme celle de l'éléphant.

5°. Les mouches, muscae ; leur bouche n'a qu'une trompe sans aucunes dents.

On a divisé ce genre en six genres secondaires.

1°. Les mouches qui ont différentes couleurs sur les aîles : 2°. les mouches velues ; 3°. les mouches qui ont différentes couleurs ; 4°. les mouches qui mangent les pucerons ; 5°. les mouches dorées ; 6°. les mouches communes.

6°. Les cousins, culices ; leur bouche a la forme d'un syphon qui ressemble à un fil.

7°. Les tipules, tipulae ; elles ont aux côtés de la bouche des antennules courbes & composées de phalanges.

Septieme classe. Insectes apteres, insecta aptera : cette classe comprend onze genres. 1°. Les poux, pediculi ; ils ont six piés conformés de maniere qu'ils marchent lentement : ils ont deux yeux simples.

Le poux de l'homme, le morpion, les poux de différens animaux, tant quadrupedes qu'oiseaux. Les poux de bois, & le poux de terre, sont des especes de ce genre.

2°. La puce, pulex ; elle a six piés conformés de maniere qu'elle saute avec beaucoup de facilité : elle a deux yeux : le bec est recourbé & le ventre est applati sur les côtés & arrondi.

3°. Les poux sauteurs, podurae ; ils ont six piés conformés de façon que ces insectes peuvent courir : ils ont deux yeux composés chacun de huit petits ; la queue est fourchue, recourbée, & sert à ces insectes pour sauter.

4°. Les perroquets d'eau, monoculi ; les premiers piés sont divisés en plusieurs filets : ces insectes s'en aident pour nager & pour sauter ; ils n'ont qu'un oeil, mais il est composé de trois petits ; le corps est couvert d'une taie.

5°. Les cirons, acari ; ils ont deux yeux & huit piés ; les jambes sont composées de huit phalanges.

Les cirons de l'homme, des animaux quadrupedes, des oiseaux & des insectes ; l'un de ces cirons est nommé le poux des insectes, les cirons des plantes : telle est l'araignée faucheur ; les cirons du bois, au nombre desquels est le scorpion araignée ; les cirons de la farine ; les cirons qui se trouvent sur la terre & sur les pierres ; les cirons qui sont dans l'eau, &c. sont des especes de ce genre.

6°. Les scorpions, scorpiones ; ces insectes ont huit piés, deux pinces sur le front & huit yeux, dont deux sont placés l'un contre l'autre sur la partie postérieure de la poitrine, & les six autres sur les côtés ; la queue est terminée par un aiguillon courbe.

7°. Les crustacées, cancerea ; ils ont deux yeux & dix piés, dont les premiers sont faits en forme de pince ; la queue est composée de plusieurs lames.

Le crabe, le poupar, l'araignée de mer, le homard, l'écrevisse, la squille, le soldat, ou bernard-l'hermite, la puce aquatique, &c. sont des especes de ce genre.

8°. Cloportes, onisei ; ils ont quatorze ou seize piés, & le corps est de figure ovale. Linnaei, Syst. naturae.

INSECTE AMPHIBIE, (Hist. natur.) insecte qui peut vivre également ou alternativement dans l'air & dans l'eau ; mais M. Lyonnet observe très-bien, que les insectes qu'on considere comme amphibies, ne le sont pas tous de la même maniere.

Il y en a qui après avoir été aquatiques sous une forme, changent tellement de nature en la quittant, que s'il leur arrive ensuite de tomber dans l'eau, ils s'y noyent.

D'autres naissent, vivent, & subissent toutes leurs transformations dans l'eau, & vivent ensuite dans les deux élémens.

Quelques-uns après être nés dans l'air, se précipitent dans l'eau, & y restent jusqu'au tems qu'ils prennent des aîles, pour pouvoir redevenir habitans de l'air.

Plusieurs especes naissent, & croissent dans l'eau, se changent en nymphes dans la terre, & passent leur état de perfection dans l'eau & dans l'air, mais plus constamment dans ce premier élément.

Enfin, il y en a qui passent leur état rampant sous l'eau, sans y être aquatiques que par la tête, le reste de leur corps ne s'y mouille jamais ; il est toûjours environné d'un volume d'air assez considérable, pour leur laisser la respiration libre ; & ces sortes d'insectes après leur dernier changement, ne vivent plus que dans l'air. Quelle diversité la nature offre à nos yeux dans la maniere d'exister des plus petits animaux ! (D.J.)


INSENSÉadj. (Gramm.) On donne cette épithete injurieuse à deux sortes d'hommes, à ceux qui ont réellement perdu le sens & la raison, & à ceux qui se conduisent comme s'ils en étoient privés. Un insensé n'est pas toujours un sot ; il est capable de donner à un autre un bon conseil, mais il est incapable de le suivre : rien n'est si commun qu'un homme d'esprit qui se conduit comme un fou.


INSENSIBILITÉ(Phil. mor.) L'indifférence est à l'ame ce que la tranquillité est au corps, & la léthargie est au corps ce que l'insensibilité est à l'ame. Ces dernieres modifications sont l'une & l'autre l'excès des deux premieres, & par conséquent également vicieuses.

L'indifférence chasse du coeur les mouvemens impétueux, les désirs fantasques, les inclinations aveugles : l'insensibilité en ferme l'entrée à la tendre amitié, à la noble reconnoissance, à tous les sentimens les plus justes & les plus légitimes. Celle là détruisant les passions de l'homme, ou plutôt naissant de leur non-existence, fait que la raison sans rivales exerce plus librement son empire ; celle-ci détruisant l'homme lui-même, en fait un être sauvage & isolé qui a rompu la plûpart des liens qui l'attachoient au reste de l'univers. Par la premiere enfin l'ame tranquille & calme ressemble à un lac dont les eaux sans pente, sans courant, à l'abri de l'action des vents, & n'ayant d'elles-mêmes aucun mouvement particulier, ne prennent que celui que la rame du batelier leur imprime ; & rendue léthargique par la seconde, elle est semblable à ces mers glaciales qu'un froid excessif engourdit jusques dans le fond de leurs abîmes, & dont il a tellement durci la surface, que les impressions de tous les objets qui la frappent y meurent sans pouvoir passer plus avant, & même sans y avoir causé le moindre ébranlement ni l'altération la plus légere.

L'indifférence fait des sages, & l'insensibilité fait des monstres ; elle ne peut point occuper tout entier le coeur de l'homme, puisqu'il est essentiel à un être animé d'avoir du sentiment ; mais elle peut en saisir quelques endroits ; & ce sont ordinairement ceux qui regardent la société : car pour ce qui nous touche personnellement, nous conservons toujours notre sensibilité ; & même elle s'augmente de tout ce que perd celle que nous devrions avoir pour les autres. C'est une vérité dont les grands se chargent souvent de nous instruire. Quelque vent contraire s'éleve-t-il dans la région des tempêtes où les place leur élévation, alors nous voyons communément couler avec abondance les larmes de ces demi-dieux qui semblent avoir des yeux d'airain quand ils regardent les malheurs de ceux que la fortune fit leurs inférieurs, la nature leurs égaux, & la vertu peut-être leurs supérieurs.

L'on croit assez généralement que Zénon & les Stoïciens ses disciples faisoient profession de l'insensibilité ; & j'avoue que c'est ce qu'on doit penser, en supposant qu'ils raisonnoient conséquemment : mais ce seroit leur faire trop d'honneur, sur-tout en ce point-là. Ils disoient que la douleur n'est point un mal ; ce qui semble annoncer qu'ils avoient trouvé quelques moyens pour y être insensibles, ou du moins qu'ils s'en vantoient ; mais point du tout : jouant sur l'équivoque des termes, comme le leur reproche Ciceron dans sa deuxieme tusculane, & recourant à ces vaines subtilités qui ne sont pas encore bannies aujourd'hui des écoles, voici comment ils prouvoient leur principe : rien n'est un mal que ce qui deshonore, que ce qui est un crime : or la douleur n'est pas un crime ; ergo la douleur n'est pas un mal. Cependant, ajoutoient-ils, elle est à rejetter, parce que c'est une chose triste, dure, facheuse, contre nature, difficile à supporter. Amas de paroles qui signifie précisément la même chose que ce que nous entendons par mal, lorsqu'il est appliqué à douleur. L'on voit clairement par-là que rejettant le nom ils convenoient du sens que l'on y attache, & ne se vantoient point d'être insensibles. Lorsque Possidonius entretenant Pompée s'écrioit dans les momens où la douleur s'élançoit avec plus de force : Non, douleur, tu as beau faire ; quelque importune que tu sois, jamais je n'avouerai que tu sois un mal. Sans doute qu'il ne prétendoit pas dire qu'il ne souffroit point, mais que ce qu'il souffroit n'étoit pas un mal. Misérable puérilité qui étoit un foible lénitif à sa douleur, quoiqu'elle servît d'aliment à son orgueil. Voyez STOÏCISME.

L'excès de la douleur produit quelquefois l'insensibilité, sur-tout dans les premiers momens. Le coeur trop vivement frappé est étourdi de la grandeur de ses blessures ; il demeure d'abord sans mouvement, & s'il est permis de s'exprimer ainsi, le sentiment se trouve noyé pendant quelque tems dans le déluge de maux dont l'ame est inondée. Mais le plus souvent l'espece d'insensibilité que quelques personnes font paroître au milieu des souffrances les plus grandes, n'est simplement qu'extérieure. Le préjugé, la coutume, l'orgueil ou la crainte de la honte empêchent la douleur d'éclater au dehors, & la renferment toute entiere dans le coeur. Nous voyons par l'histoire qu'à Lacédémone les enfans fouettés aux piés des autels jusqu'à effusion de sang, & même quelquefois jusqu'à la mort, ne laissoient pas échapper le moindre gémissement. Il ne faut pas croire que ces efforts fussent réservés à la constance des Spartiates. Les Barbares & les Sauvages avec lesquels ce peuple si vanté avoit plus d'un trait de ressemblance, ont souvent montré une pareille force, ou pour mieux dire, une semblable insensibilité apparente. Aujourd'hui dans le pays des Iroquois la gloire des femmes est d'accoucher sans se plaindre ; & c'est une très grosse injure parmi elles que de dire, tu as crié quand tu étois en travail d'enfant ; tant ont de force le préjugé & la coutume ! Je crois que cet usage ne sera pas aisément transplanté en Europe ; & quelque passion que les femmes en France aient pour les modes nouvelles, je doute que celle de mettre au monde les enfans sans crier ait jamais cours parmi elles.


INSÉPARABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être séparé d'un autre. Je ne connois rien d'inséparable dans la nature : la cause peut être séparée de l'effet ; il n'y a aucun corps qui ne puisse être dissous, analysé ; si l'on prétend prouver le contraire par les qualités essentielles d'un sujet, on verra qu'elles n'en sont inséparables que parce qu'elles sont le sujet même. Les formes sont inséparables de la matiere, parce que c'est la matiere modifiée ; la pensée de l'esprit, parce que c'est l'être pensant ; le sentiment de l'être sensible, parce que c'est l'être sentant ; l'espace ou l'étendue de l'être qui la constitue, parce que c'est l'être étendu ; le tems ou la durée de l'être qui est, parce que c'est l'être durant ou existant. On s'embarrasse dans des difficultés qui n'ont point de fin, parce qu'on transforme en êtres réels des abstractions pures, & qu'on prend pour des choses les images qu'on en a.


INSERTIONS. f. (Anatomie) terme fort usité parmi les Anatomistes, pour désigner la maniere dont une partie est engagée dans une autre. On dit l'insertion d'un muscle. Voyez MUSCLE.

L'insertion des muscles dans le corps d'un animal est faite avec un artifice admirable. La veine cave a son insertion dans le ventricule droit du coeur.

On se sert aussi de ce mot dans l'Agriculture, pour exprimer ce que nous appellons autrement enter. Voyez ENTER.

INSERTION de la petite vérole, (Medec.) Voyez INOCULATION. C'est la plus belle découverte qui ait été faite en Medecine, pour la conservation de la vie des hommes, & c'est aux expériences des Anglois qu'on doit cette méthode admirable, du triomphe de l'art sur la nature.

O Londres, heureuse terre,

Ainsi que vos tyrans, vous avez sû chasser

Les préjugés honteux qui nous livrent la guerre !


INSESSIONS. f. semi-cupium, (Med. Chirurg.) c'est le demi-bain qu'on fait préparer avec des herbes émollientes, ou de toute autre vertu, suivant l'indication. On prescrit le demi-bain pour les affections des reins, de la vessie, de la matrice, du fondement, & même pour les maladies du bas-ventre, lorsque les malades par des raisons particulieres ne peuvent supporter le bain entier. Voyez BAIN. (Y)


INSIDIEUXadj. (Gramm.) ce qui est suggéré par le dessein secret de tromper & de nuire. On tient des discours insidieux ; on envoie des présens insidieux ; on fait des caresses insidieuses.

INSIDIEUX, (Med.) c'est une des qualités par lesquelles les Medecins caractérisent les fievres malignes ou de mauvaise espece, mali moris. Voyez FIEVRE MALIGNE sous le mot FIEVRE. Cette dénomination est prise de ce que cette maladie tend des embuches ou impose au medecin peu instruit ou peu attentif, en lui cachant sa nature & sa marche sous l'apparence traitresse d'une maladie légere. (B)


INSIGNEadj. (Gramm.) qui se fait distinguer par quelque qualité peu commune. Il se dit des choses & des personnes, & se prend tantôt en bonne, tantôt en mauvaise part : ce fut un scélérat insigne ; après avoir été long-tems mon ami, il inventa contre moi une calomnie insigne qui lui fit perdre ses amis, & qui éloigna de lui les indifférens à qui mon innocence fut connue. César s'est signalé par sa valeur, Socrate par sa vertu, Sulli rendit à la nation un service insigne, par le bon ordre qu'il introduisit dans les finances. Ce fut en lui une marque insigne d'un grand jugement, que d'avoir tout rapporté à la population & à l'agriculture ; & ceux qui s'écarterent dans la suite de ces principes, & tournerent leurs vûes du côté des traitans & des manufacturiers, prirent l'accessoire pour le principal.


INSINBA(Hist. nat.) nom que l'on donne en Afrique à une espece de corail ; il y en de blanc & de noir ; les Negres dans le royaume de Loango les portent en forme de colliers.


INSINUANTadj. (Gramm.) qui sait entrer dans les esprits, & leur faire agréer ce qu'il leur propose. L'homme insinuant a une éloquence qui lui est propre. Elle a exactement le caractere que les Théologiens attribuent à la grace, pertingens omnia suaviter & fortiter. C'est l'art de saisir nos foiblesses, d'user de nos intérêts, de nous en créer ; il est possédé par les gens de cour & les autres malheureux. Accoutumés ou contraints à ramper, ils ont appris à subir toutes sortes de formes. Fiet avis, & cum volet arbor. Ce sont aussi des serpens ; tantôt ils rampent à replis tortueux & lents ; tantôt ils se dressent sur leurs queues, & s'élancent, toujours souples, légers, déliés & doux, même dans leurs mouvemens les plus violens. Méfiez-vous de l'homme insinuant ; il frappe doucement sur notre poitrine, & il a l'oreille ouverte pour saisir le son qu'elle rend. Il entrera dans votre maison en esclave, mais il ne tardera pas à y commander en maître dont vous prendrez sans-cesse les volontés pour les vôtres.

Insinuant se dit des personnes & des choses ; cet homme est insinuant ; il a des manieres insinuantes.


INSINUATIONS. f. (Jurisprud.) appellée en Droit publicatio seu in acta relatio, est parmi nous l'enregistrement ou la transcription qui se fait dans un registre public destiné à cet usage, des actes qui doivent être rendus publics, afin d'éviter toute surprise au préjudice de ceux qui n'auroient pas connoissance de ces actes.

La premiere origine de l'insinuation vient des Romains. Les gouverneurs des provinces avoient chacun près d'eux un scribe appellé ab actis seu actuarius, qui ressembloit beaucoup à nos greffiers des insinuations. Sa fonction étoit de recevoir les actes de jurisdiction volontaire, tels que les émancipations, adoptions, manumissions, & notamment les contrats & testamens qu'on vouloit insinuer & publier. On formoit de tous ces actes un registre séparé de celui des affaires contentieuses.

On faisoit alors insinuer volontairement presque tous les contrats & testamens, d'autant que les contrats reçus par les tabellions ne faisoient pas alors une foi pleine & entiere jusqu'à ce qu'ils eussent été vérifiés par témoins ou par comparaison d'écritures ; pour éviter l'embarras de cette vérification, on les faisoit insinuer & publier apud acta.

Cette insinuation se faisoit à Rome & à Constantinople apud magistrum census ; dans les provinces elle se faisoit devant le gouverneur, ou bien devant les magistrats municipaux, auxquels pour la commodité du public, on attribua aussi le pouvoir de recevoir les actes.

Il falloit que cette publication se fît en jugement & en présence de juge, actis intervenientibus & quasi sub figurâ judicii ; c'est pourquoi elle est appellée publicum testimonium, & les actes que l'on publioit ainsi, qui n'étoient auparavant qu'écritures privées devenoient alors écritures publiques & authentiques. Voyez Loyseau, des offices, liv. II. chap. v. n°. 28. & suivans.

On étoit sur-tout obligé de faire insinuer les donations. Voyez ci-après INSINUATION DES DONATIONS.

En France, l'insinuation se faisoit autrefois au greffe de la justice du lieu, où l'acte devoit être rendu public ; mais comme les greffiers ordinaires se trouvoient trop distraits par ces insinuations, on a établi des bureaux particuliers qui sont comme une annexe du greffe, & des greffiers particuliers pour faire ces insinuations.

Elles sont de trois sortes ; savoir, les insinuations des donations, les insinuations ecclésiastiques, & les insinuations laïques.

Les registres des insinuations sont publics, & doivent être communiqués, sans déplacer, à tous ceux qui le requierent. Voyez l'article 3 de la déclaration du 17 Février 1731. (A)

INSINUATION DES DONATIONS est la transcription qui se fait des donations sur un registre public destiné à cet effet.

On insinuoit volontairement chez les Romains tous les actes que l'on vouloit rendre publics ; mais comme des donations sont plus suspectes que les contrats à titres onéreux, on étoit obligé de faire insinuer toutes les donations d'une certaine somme. On avoit d'abord fixé cela aux donations, qui montoient à 200 écus ; ensuite Justinien le réduisit aux donations qui excédoient 300 écus ; enfin il fut réglé qu'il n'y auroit que celles qui excéderoient 500 écus qui auroient besoin d'être insinuées, au lieu qu'auparavant il n'y avoit que les donations pieuses qui étoient valables jusqu'à cette somme sans insinuation.

Il y avoit encore certaines donations qui étoient exemptes de cette formalité.

Telles étoient les donations faites par le prince ou à son profit, celles qui étoient faites pour la rédemption des captifs, celles qui étoient faites pour la reconstruction des maisons ruinées par le feu ou autre dommage, les donations rémunératoires, & celles qui étoient faites à cause de mort.

Par le droit du code, les donations à cause de noces appellées anténuptiales, n'étoient pas non plus sujettes à insinuation, si la future étoit mineure, & qu'elle eût perdu son pere : par le droit des novelles, elles étoient bonnes pour la femme indistinctement, mais non pour le mari.

En France, l'insinuation des donations se pratiquoit dans les pays de droit écrit, conformément aux loix de Justinien & long-tems avant l'ordonnance de 1629 ; on trouve en effet dans les privileges que Charles V. en qualité de régent du royaume, accorda au mois d'Octobre 1358 au chapitre de S. Bernard de Romans en Dauphiné, qu'une donation qui excédoit 500 florins, n'étoit pas valable si elle n'étoit insinuée par le juge.

Mais l'insinuation n'étoit point usitée en pays coutumier jusqu'à l'ordonnance de François I. en 1539, qui porte, art. 132, que toutes donations seront insérées & enregistrées ès cours & jurisdictions ordinaires des parties & des choses données, qu'autrement elles seront réputées nulles, & ne commenceront à avoir leur effet que du jour de ladite insinuation.

L'article 58 de l'ordonnance de Moulins veut que toutes donations entre-vifs soient insinuées ès greffes des siéges ordinaires de l'assiette des choses données & de la demeure des parties dans quatre mois, à compter du jour de la donation pour les personnes & biens étant dans le royaume, & dans six mois pour ceux qui sont hors du royaume, à peine de nullité, tant en faveur du créancier que de l'héritier du donateur, & que si le donateur ou le donataire décédoit pendant ce tems, l'insinuation pourra néanmoins être faite pendant ledit tems.

La déclaration du 17 Novembre 1690 ajoute que les donations pourront être insinuées pendant la vie du donateur, encore qu'il y ait plus de quatre mois qu'elles ayent été faites, & sans qu'il soit besoin d'aucun consentement du donateur, ni de jugement qui l'ait ordonné ; & que lorsqu'elles ne seront insinuées qu'après quatre mois, elles n'auront effet contre les acquéreurs des biens donnés & contre les créanciers des donateurs que du jour qu'elles auront été insinuées.

L'édit du mois de Décembre 1703, appellé communément l'édit des insinuations laïques, veut que toutes donations, à l'exception de celles faites en ligne directe par contrat de mariage, soient insinuées dans les tems & sous les peines portées par l'ordonnance de 1539, celle de Moulins, & par les déclarations postérieures.

Il y a encore eu plusieurs autres réglemens donnés en interprétation des précédens jusqu'à la déclaration du 17 Février 1731, qui forme le dernier état sur la matiere des insinuations ; elle veut que toutes donations entre-vifs des meubles ou immeubles, mutuelles, réciproques, rémunératoires, onéreuses, même à la charge de service & fondations en faveur de mariage, & autres faites en quelque forme que ce soit, à l'exception de celles qui seroient faites par contrat de mariage en ligne, soient insinuées ; savoir, celles d'immeubles réels ou d'immeubles fictifs, qui ont néanmoins une assiette, aux bureaux établis pour la perception des droits d'insinuation près les bailliages ou sénéchaussées royales, ou autre siege royal ressortissant nuement en nos cours, tant du lieu du domicile du donateur que de la situation des choses données ; & celle des meubles ou de choses immobiliaires qui n'ont point d'assiette, aux bureaux établis près lesdits bailliages, sénéchaussées, ou autre siege royal ressortissant nuement en nos cours du lieu du domicile du donateur seulement ; & au cas que le donateur eût son domicile, ou que les biens donnés fussent dans l'étendue de justices seigneuriales, l'insinuation doit être faite aux bureaux établis près le siege qui a la connoissance des cas royaux dans l'étendue desdites justices, le tout dans le tems & sous les peines portées par l'ordonnance de Moulins & la déclaration du 17 Novembre 1690 ; toutes insinuations qui seroient faites en d'autres jurisdictions sont déclarées nulles.

Les donations par forme d'augment, contre-augment, don mobile, engagement, droit de rétention, agencement, gain de noces & de survie dans les pays où ils sont en usage, doivent être insinuées suivant la déclaration du 20 Mars 1708 ; mais celles du 25 Juin 1729 & du 17 Février 1731 portent que le défaut d'insinuation n'emporte pas la nullité de ces donations.

La peine de nullité n'a pas lieu non plus pour les donations des choses mobiliaires, quand il y a tradition réelle, ou quand elles n'excedent pas la somme de 1000 livres, les parties qui ont négligé de les faire insinuer sont seulement sujettes à la peine du double droit. (A)

INSINUATION ECCLESIASTIQUE est celle qui se fait au greffe de la jurisdiction ecclésiastique pour les actes qui y sont sujets, tels que les provisions des bénéfices & autres actes qui y sont relatifs, les lettres de vicariat général, ou pour présenter aux bénéfices les provisions d'official, de vice-gérent, de promoteur, de greffier des officialités ou chapitres, les révocations de ces actes, &c.

Les fraudes & les abus qui peuvent se commettre dans ces sortes d'actes donnerent lieu à Henri II. de créer par édit du mois de Mars 1553 des greffes d'insinuations ecclésiastiques en chaque diocèse, & permit aux archevêques & évêques d'y nommer jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné.

Mais l'exécution de cet édit ayant été négligée, Henri IV. par l'édit de Juin 1595, érigea ces greffes en offices royaux séculiers & domaniaux.

Cependant le clergé obtint de Louis XIII. en 1615 la permission de rembourser ceux qui avoient acquis ces offices, à la charge d'y commettre des personnes laïques capables.

Quelques évêques ayant commis à ces places leurs domestiques, l'ordonnance de 1627 enjoignit à ces greffiers de se démettre de leurs places.

Le même prince, par son édit de 1637 ; créa dans les principales villes du royaume des contrôleurs des procurations pour résigner, & autres actes concernant les bénéfices.

Les difficultés qui s'éleverent pour l'exécution de ce dernier édit, donnerent lieu à une déclaration en 1646, qui permit au clergé de rembourser ces contrôleurs, au moyen de quoi leur charge seroit faite par les greffiers des insinuations des diocèses.

Cette derniere déclaration ayant été interpretée diversement par les différentes cours, Louis XIV. pour fixer la Jurisprudence sur cette matiere, donna un édit au mois de Décembre 1691, par lequel, en supprimant les anciens offices des greffiers des insinuations ecclésiastiques ; & en recréant de nouveaux, il régla les actes qui seroient sujets à insinuation, & la maniere dont cette formalité seroit remplie.

Voyez cet édit, & ce qui se trouve à ce sujet dans les mémoires du clergé. (A)

INSINUATION LAÏQUE est opposée à insinuation ecclésiastique ; toute insinuation d'un acte qui n'est pas ecclésiastique, telle que l'insinuation d'une donation ou d'un testament, est une insinuation laïque ; néanmoins dans l'usage on distingue l'insinuation des donations & substitutions des insinuations laïques. On entend par celles-ci, l'insinuation qui se fait de tous les autres actes translatifs de propriété, & autres auxquels la formalité de l'insinuation a été étendue par l'édit du mois de Décembre 1703, appellé communément l'édit des insinuations laïques.

Les actes des notaires sujets à insinuation doivent être insinués dans la quinzaine, à la diligence des notaires qui les passent, à l'exception des donations & substitutions, & des contrats translatifs de propriété de biens immeubles situés hors le ressort de la jurisdiction où ils sont passés.

Quand l'insinuation doit être faite à la diligence des parties, le notaire doit faire mention dans l'acte qu'il est sujet à insinuation.

Les nouveaux possesseurs, par contrats ou titres, doivent les faire insinuer dans les trois mois, & les nouveaux possesseurs à titre successif doivent faire leur déclaration, & payer les droits dans les six mois.

Les notaires de Paris ne sont en aucun cas chargés de faire faire insinuation.

Voyez les édits de 1703, la déclaration du 19 Juillet 1704, l'édit d'Octobre 1705, celui du mois d'Août 1706, la déclaration du 20 Mars 1708, & autres réglemens postérieurs. (A)

INSINUATION DES SUBSTITUTIONS a été établie par l'article 57 de l'ordonnance de Moulins, qui veut que les substitutions testamentaires soient enregistrées ou insinuées dans six mois, à compter du décès du testateur, & à l'égard des autres, du jour qu'elles auront été faites, à peine de nullité.

La déclaration du 17 Novembre 1690, permet de les faire publier & insinuer en tout tems, mais avec cette différence que quand ces formalités ont été remplies dans les six mois du jour que la substitution a été faite, elle a son effet du jour de la date, tant contre les créanciers que contre les tiers acquéreurs des biens qui y sont compris ; au lieu que si la publication & enregistrement ne sont faits qu'après les six mois, la substitution n'a d'effet contre les acquéreurs des biens donnés & contre les créanciers du donateur, que du jour qu'elle a été insinuée.

L'édit des insinuations laïques du mois de Décembre 1703, ordonne, article 10, que les substitutions seront insinuées & enregistrées ès registres des greffes des insinuations, tant du lieu du domicile des donateurs ou testateurs, que de ceux où les immeubles seront situés, sans préjudice de la publication des substitutions prescrites par les ordonnances.

Toutes ces dispositions sont rappellées dans l'ordonnance des substitutions, titre ij. Voyez SUBSTITUTION. (A)


INSIPIDEadj. (Gramm.) il se dit de tout ce qui n'affecte point les organes du goût d'une maniere distinguée.

Il se prend au physique & au moral. On dit d'un fruit, qu'il est insipide ; d'un ouvrage, qu'il est insipide ; d'un éloge qu'il est insipide.

L'insipidité ne se pardonne en rien ; mais elle choque sur-tout dans les choses dont le caractere est d'affecter vivement, comme une épigramme, un madrigal, &c.

S'il est défendu à un auteur d'être insipide, c'est au poëte. Mais de tous les insipides le plus insupportable c'est le plaisant insipide.


INSOCIABLEadj. (Gramm.) c'est celui qui se refuse à tout ce qui lie les hommes entr'eux. Voyez SOCIABLE.


INSOLATION(Chimie) insolatio, heliosis, digestion exécutée à la chaleur du soleil. Voyez DIGESTION.

Quelques chimistes ont cru que le soleil agissoit dans cette opération par une vraie influence matérielle ; quelques autres plus circonspects ont pensé qu'il n'agissoit que par la chaleur, & que l'insolation ne différoit en rien de la digestion au bain-marie ou à l'étuve, tout étant d'ailleurs égal. Ce dernier sentiment est aujourd'hui le dominant & le plus vraisemblable : la corporification des rayons du soleil n'est pourtant point une opinion dépourvue de tout motif de probabilité. Voyez PHLOGISTIQUE. (b)


INSOLENT(Gramm.) qui se croit & ne cache point qu'il se croit plus grand que les autres. Un sauvage ni un philosophe ne sauroient être insolens. Le sauvage ne voit autour de lui que ses égaux. Le philosophe ne sent pas sa supériorité sur les autres, sans les plaindre, & il s'occupe à descendre modestement jusqu'à eux. Quel est donc l'homme insolent ? c'est celui qui dans la société a des meubles & des équipages, & qui raisonne à peu près ainsi. J'ai cent mille écus de rente ; les dix-neuf vingtiemes des hommes n'ont pas mille écus, les autres n'ont rien. Les premiers sont donc à mille degrés audessous de moi ; le reste en est à une distance infinie. D'après ce calcul il manque d'égards à tout le monde, de peur d'en accorder à quelqu'un. Il se fait mépriser & haïr ; mais qu'est ce que cela lui fait ? sacram metiente viam cum bis ter ulnarum togâ, la queue de sa robe n'en est pas moins ample : voilà l'insolence financiere ou magistrale. Il y a l'insolence de la grandeur ; l'insolence littéraire. Toutes consistent à exagérer les avantages de son état, & à les faire valoir d'une maniere outrageante pour les autres. Un homme supérieur qui illustre son état, ne songe pas à s'en glorifier, c'est la pauvre ressource des subalternes.


INSOLITEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui n'est point accoutumé. Une clause insolite est celle qui est singuliere & contre l'usage ordinaire ; une dîme insolite est celle qui, suivant l'usage commun, n'est point dûe. (A)


INSOLUBILITÉINSOLUBILITé

Cette propriété, ainsi que la propriété opposée à la solubilité, voyez SOLUBLE, ne doit être considérée que dans les corps homogènes & inorganisés, ou dans les vrais aggrégés chimiques, les métaux, les sels, les pierres & terres simples, les verres, &c. Voyez l'article Chimie au commencement ; car une masse formée par la confusion de plusieurs substances hétérogènes, est de sa nature hors de la sphere des corps, dont les chimistes considerent les affinités & les diffinités, & les corps organisés, comme tels, sont aussi des objets non-chimiques.

Ainsi, quoique les corps de ces deux ordres soient de leur nature véritablement & absolument insolubles ; ce n'est pas de l'insolubilité de ces sujets que la Chimie s'occupe ; & c'est même principalement parce qu'ils sont invinciblement insolubles : car comme cette propriété dérobe les sujets qui en sont doués à la plus grande partie des opérations, & par conséquent des recherches chimiques ; & que le grand but de la Chimie, à l'égard des corps qu'elle a trouvés jusqu'à présent insolubles, est de parvenir enfin à les dissoudre ; il est clair qu'elle ne doit compter parmi ses objets que les corps qui sont constitués de façon à ne pas exclure, par leur nature ou essentiellement, l'espoir de les rendre solubles, ou ce qui est la même chose, qui sont essentiellement analogues à d'autres substances déjà reconnues solubles : or c'est dans l'ordre des vrais aggrégés chimiques seulement que se trouvent les substances vraiment solubles.

Il y a, ou du moins on peut concevoir une insolubilité absolue, & une insolubilité relative. La premiere seroit celle d'un corps qu'aucun menstrue, de quelque façon & sous quelque forme qu'il fût appliqué, & de quelque degré de feu qu'il fût animé, ne sauroit attaquer. L'insolubilité relative est celle d'un corps, par rapport à un certain menstrue seulement.

La Chimie ne connoît plus d'insolubilité absolue dans les objets propres ; il n'en est aucun qu'elle ne sache véritablement combiner avec une autre substance. Les pierres & les terres ont été les dernieres substances que l'art ait parvenu à dissoudre ou combiner ; mais enfin il n'en est plus aucune qui n'ait trouvé un dissolvant dans les divers mélanges que le célébre M. Pott a tentés, ensorte qu'il n'est point de substance terreuse qui ne soit soluble par quelque sel, par quelque substance métallique, ou par quelque autre substance terreuse, soit terre proprement dite, soit pierre. Voyez TERRE & PIERRE.

L'insolubilité relative reside dans tous les sujets chimiques, aussi-bien qu'une solubilité relative, ou pour mieux dire, ne faisant qu'une seule propriété avec cette derniere ; c'est-à-dire, que tout sujet chimique est soluble par tout menstrue approprié, & est insoluble par tout menstrue anomale : car un alkahest, ou une substance combinable avec tous les sujets chimiques quelconques (en ne lui accordant même que cette propriété), est du moins jusqu'à présent un être chimérique. Ces expressions sont familieres dans le langage chimique ; la résine est insoluble par l'eau, la gomme est insoluble par l'huile, l'or par l'eau forte, la glaise pure par les acides, &c.

Nous exposerons la théorie de la solubilité & de l'insolubilité à l'art. RAPPORT, Chimie. Voyez aussi SOLUBILITE & MENSTRUE. (b)


INSOLVABILITÉ(Jurisprud.) c'est lorsque tous les biens meubles & immeubles du débiteur ne suffisent pas pour payer ses dettes. Voyez CONTRIBUTION, DECONFITURE. (A)


INSOLVABLEadj. (Jurisprud.) se dit d'un débiteur dont tous les biens ne suffisent pas pour payer ses dettes. Discuter un homme jusqu'à le rendre insolvable, c'est épuiser tous ses biens. (A)


INSOMNIE(Medec.) voyez VEILLE.

INSOMNIE, fébrile, (Medec.) affection morbifique, qui dans le cours de la fievre tient le malade éveillé, & suspend le sommeil dont il a besoin. Cette affection est l'opposé du coma fébrile, c'est-à-dire de l'envie continuelle de dormir, avec ou sans effet.

Il paroît que l'insomnie fébrile procede sur-tout des commencemens d'une légere inflammation du cerveau, qui venant à s'augmenter, la fait dégénérer en coma, en délire, en convulsions, & en plusieurs autres accidens très-dangereux. Il importe donc de travailler à dissiper promtement l'inflammation commençante du cerveau, & à en arrêter les progrès.

On y parviendra par la saignée, les diluans, les atténuans, les relâchans, les remedes propres à diminuer la force, la quantité des humeurs de la circulation, & à les détourner de la tête. On recommande à cet effet les boissons légeres du petit lait, d'orge, d'avoine, de riz & autres semblables. On conseille les alimens, les médicamens farineux, un peu huileux, émolliens, humectans, adoucissans. Ils conviennent en effet, parce qu'ils humectent par leur lenteur farineuse ; ils adoucissent l'acrimonie par leurs parties huileuses, & ils nourrissent en même tems. Telles sont les décoctions d'orge & d'avoine ; telles sont celles des plantes laiteuses de chondrille, d'hieracium, de taraxacum, de scorzonere, de barbe de bouc, & de laitues potageres. Leur suc visqueux & laiteux, accompagné d'une légere vertu parégorique, dispose merveilleusement au sommeil. Telles sont encore les douces émulsions d'amandes, de semences froides, de graines de pavots blancs : voilà pourquoi toutes ces plantes se trouvoient à l'entrée du palais de Morphée. La nuit, dit-on, en ramassoit les sucs & les graines, les semoit & les répandoit de toutes parts ;

Ante fores antri faecunda papavera florent,

Innumeraeque herbae, quarum de lacte soporem

Nox legit, & spargit per opacas humida terras.

Enfin, en cas de continuation d'insomnie, & lorsque tous les signes indiquent qu'on n'a plus à craindre l'inflammation du cerveau, on peut hardiment employer les anodins, les parégoriques, les calmans, en les donnant avec ordre & avec prudence, jusqu'au rétablissement du sommeil nécessaire.

En même tems qu'on pratiquera les remedes qu'on vient d'indiquer, il est permis pour guérir les malades attaqués d'insomnie fébrile, de recourir à plusieurs des moyens inventés par le luxe, pour endormir les sybarites en santé.

Les moyens dont je parle, consistent à procurer un froid modéré, à humecter l'air de vapeurs aqueuses, à imaginer quelque murmure doux, égal, continuel & agréable aux sens. La lyre d'Orphée assoupit Cerbere, calma sa fureur, enchanta les puissances infernales, & leur arracha des larmes. Le dieu du sommeil avoit établi sa demeure dans le pays des Cimmériens, & le seul bruit qu'on y entendoit, étoit celui du fleuve Léthé, qui coulant sur de petits cailloux, faisoit un murmure perpétuel pour inviter au repos.

Saxo tamen exit ab imo

Rivus aquae Lethes, per quem cum murmure labens

Invitat somnos crepitantibus unda lapillis.

Mais un secret important pour appaiser l'insomnie fébrile, secret pratiquable chez le pauvre comme chez le riche, c'est d'éloigner de la vûe & des oreilles du malade tous les objets qui peuvent frapper ses sens, les émouvoir & les agiter. Pour y réussir immanquablement, imitez en partie le domicile du fils de l'Erebe & de la Nuit ; Ovide l'a peint d'une main de maître, & je crois que son tableau fera plus d'impression sur l'esprit du lecteur, que les tristes ordonnances de la Medecine.

" Là, dit cet aimable poëte, est une vaste caverne où les rayons du soleil ne pénétrerent jamais. Toujours environnée de nuages obscurs, à peine y jouit-on de cette foible lumiere, qui laisse douter s'il est jour ou s'il est nuit. Jamais les cocqs n'y annoncerent le lever de l'aurore ; jamais les chiens, ni les oies qui veillent à la garde des maisons, ne troublerent ce lieu par leurs cris importuns. Jamais on n'y entendit ni mugissemens de bêtes féroces ou domestiques, ni querelle, ni son de voix humaine ; tel est le séjour de la Taciturnité. De crainte que la porte ne fasse du bruit en s'ouvrant ou en se refermant, l'antre reste toujours ouvert, & l'on n'y met point de garde. Au milieu du palais est un lit d'ébene, dont les rideaux sont noirs. C'est dans ce lit que repose le dieu du sommeil sur la plume & sur le duvet ". Lisez-vous même ici la description de l'original, sans avoir besoin de bouger de votre place, & vous trouverez que c'est un des beaux morceaux des Métamorphoses.

Hîc nunquam radiis oriens, mediusve cadensque

Phaebus adire potest. Nebulae caligine mixtae

Exhalantur humo, dubiaeque crepuscula lucis.

Non vigil ales ibi cristati cantibus oris

Evocat Auroram. Nec voce silentia rumpunt

Sollicitive canes, canibusve sagacior anser ;

Non fera, non pecudes, non noti flamine rami

Humanaeve sonum reddunt convicia linguae ;

Muta quies habitat.

Janua quae verso stridorem cardine reddat,

Nulla domo tota, custos in limine nullus.

At medio torus est ebeno sublimis in atra,

Plumeus, atricolor, pullo velamine tectus,

Quò cubat ipse deus, membris languore solutis.

Metam. lib. XI.

Les prognostics qu'on peut tirer de l'insomnie fébrile, méritent d'être connus des praticiens. Cette affection morbifique précede quelquefois un saignement de nez favorable ; mais s'il est accompagné de sueurs froides, d'excrétions ou d'évacuations crues, sans soulagement du patient, c'est un mauvais augure. Si elle est jointe à de grandes douleurs de tête, à des vomissemens érugineux, elle annonce le délire ou la mort, dit Hippocrate, lib. I. Prorrhét. 10. Le coma succédant à une insomnie fébrile qui a été continuelle, est d'un dangereux présage, &c. (D.J.)


INSONDOS. m. (Hist. nat.) c'est ainsi que l'on nomme en Afrique, dans les royaumes de Congo & d'Angola, un insecte qui n'est gueres plus gros qu'une fourmi, qui souvent fait périr les élephans. Il entre dans leur trompe, & y excite un piquotement si incommode, que l'élephant en devient comme fou, & va se heurter contre les arbres & contre les rochers, ou contre tout ce qu'il rencontre en son chemin, jusqu'à ce qu'il tombe mort.


INSOUTENABLEadj. (Gramm.) il se dit des choses & des personnes, & signifie qu'on ne peut défendre ou qu'on ne peut supporter. Dans le premier sens une proposition est insoutenable ; dans le second, un homme est insoutenable par l'impertinence de ses propos & de ses manieres. Les insoutenables les plus cruels, ce sont ceux qui ont encore des prétentions.


INSPECTEURS. m. inspector ; (Hist. anc.) celui à qui l'on confie le soin & la conduite de quelque ouvrage. Voyez INTENDANT.

On appelloit inspecteurs chez les Romains des personnes commises pour examiner la qualité & la valeur des biens & effets des citoyens, afin de proportionner les taxes & les impôts aux facultés d'un chacun.

Les Juifs ont aussi un officier dans leur synagogue qu'ils nomment inspecteur, mazam. Il est chargé d'avoir l'oeil sur les prieres & sur les leçons, de les préparer & de les montrer au lecteur, & de se tenir auprès de lui pour voir s'il lit comme il faut, & le reprendre lorsqu'il manque.

INSPECTEUR, (Art milit.) on appelle ainsi en France des officiers, dont les fonctions sont de faire la revûe des troupes, d'examiner les compagnies en gros & en détail, pour connoitre celles qui sont en état de servir, & les soldats propres aux travaux militaires ; de casser ceux qui ne sont point de la taille qu'on les veut, ou qui ne peuvent pas supporter les fatigues. Ils rendent aussi compte au ministre de l'exactitude ou du service des officiers. C'est sur leurs mémoires qu'on les casse ou qu'on les avance. Ils retranchent ou réforment dans la cavalerie les chevaux qu'ils jugent mauvais. Ils étoient obligés d'abord de faire leurs revûes tous les mois, mais ils ne la font plus guere qu'une fois l'année. Ces officiers sont choisis ordinairement parmi les brigadiers ou les maréchaux de camp ; on en a vu qui étoient lieutenans-généraux. Ces charges sont de la création du roi Louis XIV.

INSPECTEUR de manufactures, (Commerce & Finances) commis sur la conduite & exécution d'une manufacture conformément aux réglemens.

L'établissement des inspecteurs est dû à M. Colbert. Si ce fut un bon établissement que celui-là, dit l'auteur des considérations sur les finances, dont les remarques orneront cet article ; c'est un établissement bien plus habile d'avoir formé une école à ces mêmes inspecteurs, & de les avoir astreints à travailler sur le métier, ou plutôt c'est lui avoir donné le seul genre d'utilité qu'il fût possible d'en retirer. Il seroit desirable sans-doute qu'ils pussent avoir voyagé dans tous les pays où se consomment les ouvrages des manufactures qu'ils sont destinés à conduire : car c'est le goût du consommateur qui doit régler la fabrication ; c'est dans le pays de la consommation que l'on prend connoissance des étoffes étrangeres qui se pourroient imiter, de l'avantage ou du desavantage que les uns & les autres ont dans leur concurrence mutuelle, & des causes qui y contribuent.

La maniere dont l'opération du commerce s'y fait, influe encore d'une maniere essentielle sur les mesures que les manufacturiers ont à prendre. Enfin, plus les inspecteurs s'approcheront de la fonction des consultans avec les manufacturiers ou des professeurs des arts, plus ils seront utiles.

Mais que penser des amendes décernées par M. Colbert contre l'impéritie des ouvriers à chaque article de ses réglemens de manufactures ? Des amendes ne sont point des raisons, c'est tout au plus l'indication d'une volonté rigoureuse, à moins qu'elles ne regardent des choses faites contre la bonne foi ; & peut-être dans ce cas les amendes ne suffisent-elles pas. Celui qui se défie de sa main & de son adresse, ne peut lire ce réglement de M. Colbert sans frémir. Sa premiere pensée est, qu'on est plus heureux en ne travaillant pas, qu'en travaillant. Si par malheur le réglement est impraticable, comme cela s'est vû quelquefois, l'ouvrier se dégoûte, & cesse au moins son travail pendant le tems de la tournée de l'inspecteur.

On demande à tout homme de bonne foi s'il seroit bien invité à une profession, en lui disant : " au cas que vos ouvrages ne soient pas faits conformément au réglement, pour la premiere fois ils seront confisqués & attachés sur un poteau avec un carcan, votre nom au-dessus pendant 48 heures ; pour la seconde fois pareille peine, & vous serez blâmé ; pour la troisieme fois vous serez vous-même attaché au poteau ". On répondroit que cette ordonnance est sans-doute traduite du japonois. Non ; c'est le dispositif d'un réglement de 1670, extorqué sans-doute au sage ministre que nous avons nommé, par quelque subalterne qui comptoit bien de n'entrer jamais en qualité d'ouvrier dans aucune manufacture soumise à un inspecteur.

INSPECTEUR des constructions, (Marine) c'est un officier commis à la construction & aux radoubs des vaisseaux. Il examine les plans & les profils avant qu'on commence de mettre le vaisseau sur le chantier ; fait faire un devis exact des bois qui doivent y entrer, & enseigne aux charpentiers les méthodes les meilleures de faire les fonds, les hauts, les ponts, &c. (Q)


INSPIRATIONS. f. en termes de Théologie, est une grace céleste qui éclaire l'ame & lui donne des connoissances & des mouvemens extraordinaires & surnaturels. Voyez CONNOISSANCE & SCIENCE.

Les prophètes ne parloient que par l'inspiration divine, & le pécheur se convertit quand il ne résiste pas aux inspirations de la grace. Voyez GRACE, PROPHETIE.

Inspiration se dit particulierement au sujet des livres de l'Ecriture-sainte : on la définit un mouvement intérieur du Saint-Esprit, qui détermine un homme à écrire, & qui lui suggere le choix des choses qu'il doit écrire. L'idée d'inspiration suppose donc dans celui qui écrit un mouvement du Saint-Esprit qui le porte à écrire ce que la révélation lui a appris, ou ce qu'il sait par lui-même, & qui lui suggere le choix des choses qu'il doit écrire. Mais comme dans les livres saints on distingue les choses ou les matieres, & les termes ou le style, & que les matieres se divisent en prophéties, en histoires & en doctrines, & que les doctrines se divisent encore en philosophiques & en théologiques ; que ces dernieres enfin se subdivisent en spéculatives & en pratiques, on demande si le Saint-Esprit a inspiré les auteurs sacrés & quant aux choses & quant aux termes dont ils se sont servis pour les énoncer.

Les sentimens des Théologiens sont fort partagés sur ces deux questions. Les uns soutiennent que le Saint-Esprit a dicté aux écrivains sacrés toutes les choses dont ils ont parlé, & qu'il leur a même suggéré les termes dont ils se sont servis. C'est le sentiment des facultés de Théologie de Douai & de Louvain dans leur censure de 1588.

D'autres prétendent que les écrivains sacrés ont été abandonnés à eux-mêmes dans le choix des termes ; qu'ils n'ont eu ni révélation ni inspiration dans tout ce qu'ils ont écrit, mais que le Saint-Esprit a tellement dirigé leur plume & leur esprit lorsqu'ils écrivoient, qu'il a été impossible qu'ils tombassent dans l'erreur. Lessius & quelques autres jésuites ont soutenu ce sentiment, qui occasionna la censure dont nous venons de parler, & M. Simon l'a embrassé depuis.

Holden, dans son ouvrage intitulé, Fidei divinae analysis, soutient que les écrivains sacrés ont été inspirés par le Saint-Esprit dans tous les points de doctrine, & dans tout ce qui a un rapport essentiel à la doctrine, mais qu'ils ont été abandonnés à eux-mêmes dans les mêmes faits, & en général dans toutes les questions étrangeres à la religion.

M. le Clerc a été encore plus loin. Il prétend 1°. que Dieu a révélé immédiatement aux écrivains sacrés les prophéties qu'on trouve dans leurs livres, mais il nie que ce soit lui qui les ait portés à les mettre par écrit, & qu'il les ait conduits dans le moment même qu'ils les ont écrits. 2°. Il avance que Dieu n'a point révélé immédiatement aux écrivains sacrés toutes les autres choses qui se rencontrent dans leurs ouvrages, & qu'ils les ont écrites, ou sur ce qu'ils avoient vû de leurs propres yeux, ou sur le récit de personnes véridiques, ou sur des mémoires écrits avant eux, sans inspiration & sans aucune assistance particuliere du Saint-Esprit ; en un mot, il enseigne que les livres saints sont l'ouvrage de personnes de probité, qui n'ont pas été séduites & qui n'ont voulu séduire personne. Sentimens de quelques théologiens d'Hollande, lettre xj. & xij. La Chambr. traité de la relig. tom. IV. dissert. iij. pag. 157 & suiv.

Le sentiment le plus commun est, que le Saint-Esprit a inspiré les écrivains sacrés quant aux prophéties, aux points d'histoire & aux doctrines relatives à la religion, & que quant au choix & à l'arrangement des termes, il les a laissés à la disposition de chaque écrivain.

Les Payens prétendoient que leurs prêtres & leurs sibiles étoient divinement inspirés, lorsqu'ils rendoient leurs oracles. Les Poëtes, pour paroître inspirés, invoquent Apollon & les Muses lorsqu'ils veulent commencer quelque grand ouvrage. Voyez INVOCATION.

INSPIRATION, s. f. (Jurisprud.) se dit de l'élection d'un pape, lorsque tous les suffrages se sont réunis en faveur du même sujet, & principalement quand cela s'est fait au premier scrutin. Grégoire IX. en parle dans ses décretales, liv. VI, tit. vj, chap. 42. (A)


INSPRUCK(Géog.) Oeni-pons, ville d'Allemagne, capitale du Tirol ; c'étoit autrefois la résidence d'un archiduc de la maison d'Autriche ; son nom est allemand ; il est composé du mot Inn, qui est le nom de la riviere sur laquelle cette ville est située ; en latin Oeno, & du mot bruck, qui veut dire un pont : en changeant le b en p, on a fait Inspruck ; en latin Oeni-pons, c'est-à-dire Pont-sur-l'Inn. Elle est dans un beau vallon, à 11 lieues N. O. de Brixen, 25 S. de Munich, 95 S. E. de Vienne. Long. selon Harris, 29. 16. 15. lat. 47. 15.

Il y a un jésuite, nommé le pere Tanner (Adam) natif d'Inspruck, qui est mis par son corps au rang des illustres écrivains que la société a produits dans le dernier siecle : je laisse à juger de son mérite par sa somme sur saint Thomas, sa théologie scholastique, spéculative & pratique, & son astrologie sacrée, pour apprendre aux Chrétiens à connoître les choses saintes par le concours des astres. (D.J.)


INSTABILITÉS. f. (Gramm.) qui n'est pas stable, qui est sujet au changement. On dit l'instabilité du tems, de la fortune, des sentimens, des passions, des goûts, des desirs, du bonheur & des choses humaines. Il n'y a presque rien sur quoi nous puissions compter. Encore si l'on mesuroit son attachement aux objets, sur leur instabilité ; mais non, on se conduit comme s'ils ne devoient jamais nous manquer : cependant il vient un moment où ils nous échappent, & nous nous plaignons, comme s'ils avoient dû changer de nature en notre faveur.


INSTADT(Géog.) petite ville d'Allemagne sur le Danube, près de Passau, dont elle est seulement séparée par l'Inn, à son confluent. Long. 31. 15. lat. 48. 25. (D.J.)


INSTALLATIONS. f. (Jurisprud.) est l'acte par lequel un officier est mis en possession publique de la place en laquelle il doit siéger, quasi in stallum introductio.

Avant de parvenir à l'exercice d'un office, il y a trois actes différens à remplir ; savoir, la provision qui rend propriétaire de l'office ; la prestation de serment & réception qui rend titulaire, & du jour de laquelle on jouit de tous les priviléges attachés au titre de l'office ; & l'installation par laquelle seule on entre en exercice & l'on participe aux émolumens qui sont dûs à cause de l'exercice.

Quand l'officier a un supérieur, il s'adresse à lui pour être installé ; s'il n'y en a point dans son siége, celui qui le suit immédiatement fait l'installation.

Les juges des justices seigneuriales qui sont seuls, s'installent eux-mêmes.

Voyez Loiseau, des offices, liv. I. chap. vij, n. 27. & suiv. (A)


INSTANCES. f. (Jurisprud.) signifie en général la poursuite d'une action en justice.

On comprend quelquefois sous le terme d'instance toutes sortes de contestations portées en justice ; c'est en ce sens que l'on dit être en instance avec quelqu'un ; cependant quand on parle d'une instance, on entend ordinairement une affaire appointée, soit sur une demande, soit sur un appel verbal.

Instance appointée, est celle où les parties doivent écrire & produire.

Instance d'appointé à mettre, c'est lorsque le juge ordonne que les parties remettront leurs pieces. Voyez APPOINTEMENT.

Instance de licitation, est celle qui a pour objet la licitation d'un immeuble indivis entre plusieurs copropriétaires. Voyez LICITATION.

Instance d'ordre, est celle où l'on fait l'ordre & distribution du prix d'un immeuble vendu par decret entre les créanciers opposans.

Instance de partage, est celle qui a pour objet le partage d'un immeuble commun & indivis.

Instance périe ou périmée, est celle qui est comme non avenue par le laps de trois années sans aucune poursuite de part ni d'autre. Voyez PEREMPTION.

Instance de préférence, est celle où l'on discute entre les créanciers saisissans & opposans lesquels doivent être payés les premiers sur une somme de deniers, soit comme privilégiés, ou comme premier saisissant. Voyez PREFERENCE.

Premiere instance se dit de la poursuite qui se fait d'une action devant le premier juge.

Instance de saisie & arrêt, voyez SAISIE & ARRET.

Instance de saisie-réelle, voyez DECRET & SAISIE-REELLE.

Instance sommaire, c'étoit une instruction qui se faisoit en six jours à la barre de la cour : ces sortes d'instructions ont été abrogées par l'ordonnance de 1667, tit. II. art. ij. Voyez CAUSE & PROCES. (A)


INSTANTS. m. (Mét.) partie de la durée dans laquelle on n'apperçoit aucune succession, ou ce qui n'occupe que le tems d'une idée dans notre esprit. Ce tems est le moment le plus court pour nous. V. MOMENT, DUREE, &c.

C'est un axiome en Méchanique, qu'aucun effet naturel ne peut être produit en un instant. On voit par là d'où vient qu'un fardeau paroît plus léger à une personne à proportion qu'il le porte vîte, & pourquoi la glace est moins sujette à se rompre lorsqu'on glisse dessus avec vîtesse, que lorsqu'on va plus lentement. Voyez TEMS.

Les Philosophes distinguent trois sortes d'instans, l'instant de tems, l'instant de nature, & l'instant de raison.

L'instant de tems est une partie de tems qui en précede immédiatement une autre : ainsi le dernier instant d'un jour précede réellement & immédiatement le premier instant du jour suivant.

L'instant de nature est ce qu'on appelle autrement priorité de nature : il se trouve dans les choses qui sont subordonnées pour agir, comme les causes premieres & les causes secondes ; les causes & les effets, car la nature des choses demande qu'il y ait une cause premiere s'il y a des causes secondes ; qu'il y ait une cause, s'il y a un effet.

L'instant de raison est un instant qui n'est point réel, mais que la raison, l'entendement, l'esprit conçoit avant un autre instant, avec un fondement de la part des choses qui donnent occasion de le concevoir. Par exemple, parce que Dieu a fait plusieurs choses librement, & qu'il pouvoit ne pas les faire, il y a un fondement raisonnable de concevoir Dieu tel qu'il est en lui-même avant de concevoir les decrets libres qu'il a faits ; mais parce qu'il n'y a jamais eu en effet de tems ou d'instant réel où Dieu n'eût formé aucun decret, cet instant s'appelle instant de raison, & non pas instant de tems.

D'instant on en fait instantanée, qui ne dure qu'un instant. C'est en ce sens qu'on dit que l'action de la matiere électrique est instantanée, & que la propagation de la lumiere ne l'est pas. Cependant l'acception de ce terme n'est pas toujours aussi rigoureuse ; & on l'applique quelquefois à un phénomene dont la durée, courte à la vérité, a pourtant quelque durée commensurable ; alors il est synonyme à prompt & passager.


INSTANTANÉEadj. (Gram.) qui ne dure qu'un instant. On dit une douleur instantanée, un mouvement instantané, un changement, une révolution instantanée.


INSTAURATIONS. f. rétablissement d'un temple, d'une religion dans son premier état.

Ce mot est dérivé par quelques-uns d'instaurum, vieux mot latin, qui signifie proprement tout ce qui est nécessaire pour l'exploitation d'une terre, d'une ferme, comme les bestiaux, les harnois, les valets, &c. mais le mot instaurum n'est que du moyen âge ; instauratio est d'une bien plus grande antiquité, & quelques-uns le dérivent de instar, semblable, comme s'il signifioit qu'une chose a repris sa premiere apparence. Voyez RESTAURATION.


INSTERBOURG(Géog.) ville, district & bailliage de Lithuanie, dépendant de la Prusse brandebourgeoise, arrosé par la riviere d'Inster. On y fait une biere aussi forte que de l'eau-de-vie.


INSTIGATEURS. m. (Jurisprud.) signifie celui qui excite un autre à faire quelque chose. L'instigateur d'un crime est complice de celui qui l'a commis, & mérite aussi punition.

Instigateur signifie quelquefois un dénonciateur. Voyez DENONCIATEUR. (A)


INSTIGATIONS. f. (Jurisprud.) est lorsqu'on excite quelqu'un à faire quelque chose, comme à maltraiter quelqu'un, ou à commettre quelqu'autre délit, à intenter un procès, ou lorsqu'on excite le ministere public à poursuivre quelqu'un. Voyez DENONCIATEUR. (A)


INSTILLATIONS. f. (Médecine) terme de Pharmacie, signifie l'action d'appliquer quelque remede liquide sur une partie fort sensible par gouttes ; cela se dit sur-tout des remedes que l'on applique sur les yeux ; tels sont les eaux ophthalmiques, les différentes especes de collyre. Voyez COLLYRE.


INSTINCTS. m. (Métaph. & Hist. nat.) c'est un mot par lequel on veut exprimer le principe qui dirige les bêtes dans leurs actions ; mais de quelle nature est ce principe ? Quelle est l'étendue de l'instinct ? Aristote & les Péripatéticiens donnoient aux bêtes une ame sensitive, mais bornée à la sensation & à la mémoire, sans aucun pouvoir de réfléchir sur ses actes, de les comparer, &c. D'autres ont été beaucoup plus loin. Lactance dit qu'excepté la religion, il n'est rien en quoi les bêtes ne participent aux avantages de l'espece humaine.

D'un autre côté tout le monde connoît la fameuse hypothese de M. Descartes, que ni sa grande réputation, ni celle de quelques-uns de ses sectateurs n'ont pû soutenir. Les bêtes de la même espece ont dans leurs opérations une uniformité qui en a imposé à ces philosophes, & leur a fait naître l'idée d'automatisme ; mais cette uniformité n'est qu'apparente, & l'habitude de voir la fait disparoître aux yeux exercés. Pour un chasseur attentif il n'est point deux renards dont l'industrie se ressemble entierement, ni deux loups dont la gloutonnerie soit la même.

Depuis M. Descartes, plusieurs Théologiens ont cru la religion intéressée au maintien de cette opinion du méchanisme des bêtes. Ils n'ont point senti que la bête, quoique pourvûe de facultés qui lui sont communes avec l'homme, pouvoit en être encore à une distance infinie. Aussi l'homme lui-même est-il très-distant de l'ange, quoiqu'il partage avec lui une liberté & une immortalité qui l'approchent du trone de Dieu.

L'anatomie comparée nous montre dans les bêtes des organes semblables aux nôtres, & disposés pour les mêmes fonctions relatives à l'oeconomie animale. Le détail de leurs actions nous fait clairement appercevoir qu'elles sont douées de la faculté de sentir, c'est-à-dire, qu'elles éprouvent ce que nous éprouvons lorsque nos organes sont réunis par l'action des objets extérieurs. Douter si les bêtes ont cette faculté, c'est mettre en doute si nos semblables en sont pourvûs, puisque nous n'en sommes assurés que par les mêmes signes. Celui qui voudra méconnoître la douleur à des cris, qui se refusera aux marques sensibles de la joie, de l'impatience, du desir, ne mérite pas qu'on lui réponde. Non-seulement il est certain que les bêtes sentent ; il l'est encore qu'elles se ressouviennent. Sans la mémoire les coups de fouet ne rendroient point nos chiens sages, & toute éducation des animaux seroit impossible. L'exercice de la mémoire les met dans le cas de comparer une sensation passée avec une sensation présente. Toute comparaison entre deux objets produit nécessairement un jugement ; les bêtes jugent donc. La douleur des coups de fouet retracée par la mémoire, balance dans un chien couchant le plaisir de courre un lievre qui part. De la comparaison qu'il fait entre ces deux sensations naît le jugement qui détermine son action. Souvent il est entraîné par le sentiment vif du plaisir ; mais l'action répétée des coups rendant plus profond le souvenir de la douleur, le plaisir perd à la comparaison ; alors il réfléchit sur ce qui s'est passé, & la réflexion grave dans sa mémoire une idée de relation entre un lievre & des coups de fouet. Cette idée devient si dominante qu'enfin la vûe d'un lievre lui fait serrer la queue, & regagner promtement son maître. L'habitude de porter les mêmes jugemens les rend si promts, & leur donne l'air si naturel, qu'elle fait méconnoître la réflexion qui les a réduits en principes : c'est l'expérience aidée de la réflexion, qui fait qu'une belette juge sûrement de la proportion entre la grosseur de son corps, & l'ouverture par laquelle elle veut passer. Cette idée une fois établie devient habituelle par la répétition des actes qu'elle produit, & elle épargne à l'animal toutes les tentatives inutiles ; mais les bêtes ne doivent pas seulement à la réflexion de simples idées de relation ; elles tiennent encore d'elle des idées indicatives plus compliquées, sans lesquelles elles tomberoient dans mille erreurs funestes pour elles. Un vieux loup est attiré par l'odeur d'un appât ; mais lorsqu'il veut en approcher, son nez lui apprend qu'un homme a marché dans les environs. L'idée non de la présence, mais du passage d'un homme, lui indique un péril & des embuches. Il hésite donc, il tourne pendant plusieurs nuits, l'appétit le ramene aux environs de cet appât dont l'éloigne la crainte du péril indiqué. Si le chasseur n'a pas pris toutes les précautions usitées pour dérober à ce loup le sentiment du piége, si la moindre odeur de fer vient frapper son nez, rien ne rassurera jamais cet animal devenu inquiet par l'expérience.

Ces idées acquises successivement par la sensation & la réflexion, & représentées dans leur ordre par l'imagination & par la mémoire, forment le systême des connoissances de l'animal, & la chaîne de ses habitudes ; mais c'est l'attention qui grave dans sa mémoire tous les faits qui concourent à l'instruire ; & l'attention est le produit de la vivacité des besoins. Il doit s'ensuivre que parmi les animaux ceux qui ont des besoins plus vifs ont plus de connoissances acquises que les autres. En effet on apperçoit au premier coup d'oeil que la vivacité des besoins est la mesure de l'intelligence dont chaque espece est douée, & que les circonstances qui peuvent rendre pour chaque individu les besoins plus ou moins pressans, étendent plus ou moins le systême de ses connoissances.

La nature fournit aux frugivores une nourriture qu'ils se procurent facilement, sans industrie & sans réflexion : ils savent où est l'herbe qu'ils ont à brouter, & sous quel chêne ils trouveront du gland. Leur connoissance se borne à cet égard à la mémoire d'un seul fait : aussi leur conduite, quant à cet objet, paroît-elle stupide & voisine de l'automatisme ; mais il n'en est pas ainsi des carnaciers : forcés de chercher une proie qui se dérobe à eux, leurs facultés éveillées par le besoin sont dans un exercice continuel ; tous les moyens par lesquels leur proie leur est souvent échappée, se représentent fréquemment à leur mémoire. De la réflexion qu'ils sont forcés de faire sur ces faits, naissent des idées de ruses & de précautions qui se gravent encore dans la mémoire, s'y établissent en principes, & que la répétition rend habituelles. La variété & l'invention de ces idées étonnent souvent ceux auxquels ces objets sont le plus familiers. Un loup qui chasse sait par expérience que le vent apporte à son odorat les émanations du corps des animaux qu'il recherche : il va donc toûjours le nez au vent ; il apprend de plus à juger par le sentiment du même organe, si la bête est éloignée ou prochaine, si elle est reposée ou fuyante. D'après cette connoissance il regle sa marche ; il va à pas de loup pour la surprendre, ou redouble de vitesse pour l'atteindre ; il rencontre sur la route des mulots, des grenouilles, & d'autres petits animaux dont il s'est mille fois nourri. Mais quoique déjà pressé par la faim il néglige cette nourriture présente & facile, parce qu'il sait qu'il trouvera dans la chair d'un cerf ou d'un daim un repas plus ample & plus exquis. Dans tous les tems ordinaires ce loup épuisera toutes les ressources qu'on peut attendre de la vigueur & de la ruse d'un animal solitaire : mais lorsque l'amour met en société le mâle & la femelle, ils ont respectivement, quant à l'objet de la chasse, des idées qui dérivent de la facilité que l'union procure. Ces loups connoissent par des expériences répétées où vivent ordinairement les bêtes fauves, & la route qu'elles tiennent lorsqu'elles sont chassées. Ils savent aussi combien est utile un relais pour hâter la défaite d'une bête déjà fatiguée. Ces faits étant connus, ils concluent de l'ordinaire au probable, & en conséquence ils partagent leurs fonctions. Le mâle se met en quête, & la femelle comme plus foible attend au détroit la bête haletante qu'elle est chargée de relancer. On s'assure aisément de toutes ces démarches, lorsqu'elles sont écrites sur la terre molle ou sur la neige, & on peut y lire l'histoire des pensées de l'animal.

Le renard, beaucoup plus foible que le loup, est contraint de multiplier beaucoup plus les ressources pour obtenir sa nourriture. Il a tant de moyens à prendre, tant de dangers à éviter, que sa mémoire est nécessairement chargée d'un nombre de faits qui donne à son instinct une grande étendue. Il ne peut pas abattre ces grands animaux dont un seul le nourriroit pendant plusieurs jours. Il n'est pas non plus pourvu d'une vîtesse qui puisse suppléer au défaut de vigueur : ses moyens naturels sont donc la ruse, la patience & l'adresse. Il a toujours, comme le loup, son odorat pour boussole. Le rapport fidele de ce sens bien exercé l'instruit de l'approche de ce qu'il cherche, & de la présence de ce qu'il doit éviter. Peu fait pour chasser à force ouverte, il s'approche ordinairement en silence ou d'une perdrix qu'il évente, ou bien du lieu par lequel il sait que doit rentrer un liévre ou un lapin. La terre molle reçoit à peine la trace légere de ses pas. Partagé entre la crainte d'être surpris, & la nécessité de surprendre lui-même, sa marche toujours précautionnée & souvent suspendue décele son inquiétude, ses desirs & ses moyens. Dans les pays giboyeux où les plaines & les bois ne laissent pas manquer de proie, il fuit les lieux habités. Il ne s'approche de la demeure des hommes que quand il est pressé par le besoin, mais alors la connoissance du danger lui fait doubler ses précautions ordinaires. A la faveur de la nuit il se glisse le long des haies & des buissons. S'il sait que les poules sont bonnes, il se rappelle en même tems que les piéges & les chiens sont dangereux. Ces deux souvenirs guident sa marche, & la suspendent ou l'accélèrent selon le degré de vivacité que donnent à l'un d'eux les circonstances qui surviennent. Lorsque la nuit commence, & que sa longueur offre des ressources à la prévoyance du renard, le jappement éloigné d'un chien arrêtera sur le champ sa course. Tous les dangers qu'il a courus en différens tems se représentent à lui ; mais à l'approche du jour cette frayeur extrème cede à la vivacité de l'appétit : l'animal alors devient courageux par nécessité. Il se hâte même de s'exposer, parce qu'il sait qu'un danger plus grand le menace au retour de la lumiere.

On voit que les actions les plus ordinaires des bêtes, leurs démarches de tous les jours supposent la mémoire, la réflexion sur ce qui s'est passé, la comparaison entre un objet présent qui les attire & des périls indiqués qui les éloignent, la distinction entre des circonstances qui se ressemblent à quelques égards, & qui différent à d'autres, le jugement & le choix entre tous ces rapports. Qu'est-ce donc que l'instinct ? Des effets, si multipliés dans les animaux, de la recherche du plaisir & de la crainte de la douleur ; les conséquences & les inductions tirées par eux des faits qui se sont placés dans leur mémoire ; les actions qui en résultent ; ce système de connoissances auxquelles l'expérience ajoute, & que chaque jour la réflexion rend habituelles, tout cela ne peut pas se rapporter à l'instinct, ou bien ce mot devient synonyme avec celui d'intelligence.

Ce sont les besoins vifs, qui comme nous l'avons dit, gravent dans la mémoire des bêtes des sensations fortes & intéressantes dont la chaîne forme l'ensemble de leurs connoissances. C'est par cette raison que les animaux carnaciers sont beaucoup plus industrieux que les frugivores, quant à la recherche de la nourriture ; mais chassez souvent ces mêmes frugivores, vous les verrez acquérir, relativement à leur défense, la connoissance d'un nombre de faits, & l'habitude d'une foule d'inductions qui les égalent aux carnaciers. De tous les animaux qui vivent d'herbes, celui qui paroît le plus stupide est peut-être le liévre. La nature lui a donné des yeux foibles & un odorat obtus ; si ce n'est l'ouie qu'il a excellente, il paroît n'être pourvû d'aucun instrument d'industrie. D'ailleurs il n'a que la fuite pour moyen de défense : mais aussi semble-t-il épuiser tout ce que la fuite peut comporter d'intentions & de variétés. Je ne parle pas d'un liévre que des lévriers forcent par l'avantage d'une vitesse supérieure, mais de celui qui est attaqué par des chiens courans. Un vieux liévre ainsi chassé commence par proportionner sa fuite à la vitesse de la poursuite. Il sait, par expérience, qu'une fuite rapide ne le mettroit pas hors de danger, que la chasse peut être longue, & que ses forces ménagées le serviront plus long-tems. Il a remarqué que la poursuite des chiens est plus ardente, & moins interrompue dans les bois fourrés où le contact de tout son corps leur donne un sentiment plus vif de son passage, que sur la terre où ses piés ne font que poser ; ainsi il évite les bois, & suit presque toujours les chemins ; (ce même liévre lorsqu'il est poursuivi à vue par un lévrier, s'y dérobe en cherchant les bois). Il ne peut pas douter qu'il ne soit suivi par les chiens courans sans être vu : il entend distinctement que la poursuite s'attache avec scrupule à toutes les traces de ses pas ? Que fait-il ? après avoir parcouru un long espace en ligne droite, il revient exactement sur ces mêmes voies. Après cette ruse, il se jette de côté, fait plusieurs sauts consécutifs, & par-là dérobe, au moins pour un tems, aux chiens le sentiment de la route qu'il a prise. Souvent il va faire partir du gîte un autre liévre dont il prend la place. Il déroute ainsi les chasseurs & les chiens par mille moyens qu'il seroit trop long de détailler. Ces moyens lui sont communs avec d'autres animaux, qui, plus habiles que lui d'ailleurs, n'ont pas plus d'expérience à cet égard. Les jeunes animaux ont beaucoup moins de ces ruses. C'est à la science des faits que les vieux doivent les inductions justes & promtes qui amenent ces actes multipliés.

Les ruses, l'invention, l'industrie, étant une suite de la connoissance des faits gravés par le besoin dans la mémoire, les animaux doués de vigueur, ou pourvus de défenses doivent être moins industrieux que les autres. Aussi voyons-nous que le loup qui est un des plus robustes animaux de nos climats, est un des moins rusés lorsqu'il est chassé. Son nez qui le guide toujours, ne le rend précautionné que contre les surprises. Mais d'ailleurs il ne songe qu'à s'éloigner, & à se dérober au péril par l'avantage de sa force & de son haleine. Sa fuite n'est point compliquée comme celle des animaux timides. Il n'a point recours à ces feintes & à ces retours qui sont une ressource nécessaire pour la foiblesse & la lassitude. Le sanglier qui est armé de défenses, n'a point non plus recours à l'industrie. S'il se sent pressé dans sa fuite, il s'arrête pour combattre. Il s'indigne, & se fait redouter des chasseurs & des chiens qu'il menace & charge avec fureur. Pour se procurer une défense plus facile, & une vengeance plus assurée, il cherche les buissons épais & les halliers. Il s'y place de maniere à ne pouvoir être abordé qu'en face. Alors l'oeil farouche & les soies hérissées, il intimide les hommes & les chiens, les blesse & s'ouvre un passage pour une retraite nouvelle.

La vivacité des besoins donne, comme on voit, plus ou moins d'étendue aux connoissances que les bêtes acquierent. Leurs lumieres s'augmentent en raison des obstacles qu'elles ont à surmonter. Cette faculté qui rend les bêtes capables d'être perfectionnées, rejette bien loin l'idée d'automatisme qui ne peut être née que de l'ignorance des faits. Qu'un chasseur arrive avec des piéges dans un pays où ils ne sont pas encore connus des animaux, il les prendra avec une extrême facilité, & les renards même lui paroîtront imbécilles. Mais lorsque l'expérience les aura instruits, il sentira par les progrès de leurs connoissances le besoin qu'il a d'en acquérir de nouvelles. Il sera contraint de multiplier les ressources & de donner le change à ces animaux en leur présentant ses appâts sous mille formes. L'un se dévoyera des refuites ordinaires à ceux de son espece, & fera voir au chasseur des marches qui lui sont inconnues. Un autre aura l'art de lui dérober légérement son appât en évitant le piége. Si l'un est assiégé dans un terrier, il y souffrira la faim plutôt que de franchir le pas dangereux ; il s'occupera à s'ouvrir une route nouvelle ; si le terrein trop ferme s'y oppose, sa patience lassera celle du chasseur qui croira s'être mépris. Ce n'est point une frayeur automate qui retient alors cet animal dans le terrier ; c'est une crainte savante & raisonnée : car s'il arrive par hazard qu'un lapin enfermé dans le même trou sorte & détende le piége, le renard vigilant prendra sûrement ce moment pour s'échapper & passera sans hésiter à côté du lapin pris & du piége détendu.

Parmi les différentes idées que la nécessité fait acquérir aux animaux, on ne doit pas oublier celle des nombres. Les bêtes comptent ; cela est certain, & quoique jusqu'à présent leur arithmétique paroisse assez bornée, peut-être pourroit-on lui donner plus d'étendue. Dans les pays où l'on conserve avec soin le gibier, on fait la guerre aux pies, parce qu'elles enlévent les oeufs & détruisent l'espérance de la ponte. On remarque donc assidûment les nids de ces oiseaux destructeurs ; & pour anéantir d'un coup la famille carnassiere, on tâche de tuer la mere pendant qu'elle couve. Entre ces meres il en est d'inquietes qui désertent leur nid dès qu'on en approche. Alors on est contraint de faire un affût bien couvert au pied de l'arbre sur lequel est ce nid, & un homme se place dans l'affût pour attendre le retour de la couveuse ; mais il attend en vain, si la pie qu'il veut surprendre a quelques fois été manquée en pareil cas. Elle sait que la foudre va sortir de cet antre où elle a vu entrer un homme. Pendant que la tendresse maternelle lui tient la vue attachée sur son nid, la frayeur l'en éloigne jusqu'à ce que la nuit puisse la dérober au chasseur. Pour tromper cet oiseau inquiet, on s'est avisé d'envoyer à l'affût deux hommes, dont l'un s'y plaçoit & l'autre passoit ; mais la pie compte & se tient toujours éloignée. Le lendemain trois y vont, & elle voit encore que deux seulement se retirent. Enfin il est nécessaire que cinq ou six hommes en allant à l'affût mettent son calcul en défaut. La pie qui croit que cette collection d'hommes n'a fait que passer ne tarde pas à revenir. Ce phénomène renouvellé toutes les fois qu'il est tenté, doit être mis au rang des phénomènes les plus ordinaires de la sagacité des animaux.

Puisque les animaux gardent la mémoire des faits qu'ils ont eu intérêt de remarquer : puisque les conséquences qu'ils en ont tirées s'établissent en principes par la réflexion, & servent à diriger leurs actions, ils sont perfectibles ; mais nous ne pouvons pas savoir jusqu'à quel degré. Nous sommes même presque étrangers au genre de perfection dont les bêtes sont susceptibles. Jamais avec un odorat tel que le nôtre nous ne pouvons atteindre à la diversité des rapports & des idées que donne au loup & au chien, leur nez subtil & toujours exercé. Ils doivent à la finesse de ce sens la connoissance de quelques propriétés de plusieurs corps, & des idées de relation entre ces propriétés & l'état actuel de leur machine. Ces idées & ces rapports échappent à la stupidité de nos organes. Pourquoi donc les bêtes ne se perfectionnent-elles point ? Pourquoi ne remarquons-nous pas un progrès sensible dans les especes ? Si Dieu n'a pas donné aux intelligences célestes de sonder toute la profondeur de la nature de l'homme, si elles n'embrassent pas d'un coup-d'oeil cet assemblage bizarre d'ignorance & de talens, d'orgueil & de bassesse, elles peuvent dire aussi : Pourquoi donc cette espece humaine, avec tant de moyens de perfectibilité, est-elle si peu avancée dans les connoissances les plus essentielles ? Pourquoi plus de la moitié des hommes est elle abrutie par les superstitions ? Pourquoi ceux même à qui l'être suprême s'est manifesté par la voix de son fils, sont-ils occupés à se déchirer entr'eux, au lieu de s'aider l'un l'autre à jouir en paix des fruits de la terre & de la rosée du ciel ?

Il est certain que les bêtes peuvent faire des progrès ; mais mille obstacles particuliers s'y opposent, & d'ailleurs il est apparemment un terme qu'elles ne franchiront jamais.

La mémoire ne conserve les traces des sensations & des jugemens qui en sont la suite, qu'autant que celles-ci ont eu le dégré de force qui produit l'attention vive. Or les bêtes vêtues par la nature, ne sont guere excitées à l'attention que par les besoins de l'appétit & de l'amour. Elles n'ont pas de ces besoins de convention qui naissent de l'oisiveté & de l'ennui. La nécessité d'être émus se fait sentir à nous dans l'état ordinaire de veille, & elle produit cette curiosité inquiete qui est la mere des connoissances. Les bêtes ne l'éprouvent point. Si quelques especes sont plus sujettes à l'ennui que les autres, la fouine, par exemple, que la souplesse & l'agilité caractérisent, ce ne peut pas être pour elles une situation ordinaire, parce que la nécessité de chercher à vivre tient presque toujours leur inquiétude en exercice. Lorsque la chasse est heureuse, & que leur faim est assouvie de bonne heure, elles se livrent par le besoin d'être émues, à une grande profusion de meurtres inutiles ; mais la maniere d'être la plus familiere à tous ces êtres sentans, est un demi-sommeil pendant lequel l'exercice spontanée de l'imagination ne présente que des tableaux vagues qui ne laissent pas de traces profondes dans la mémoire.

Parmi nous, ces hommes grossiers qui sont occupés pendant tout le jour à pourvoir aux besoins de premiere nécessité, ne restent-ils pas dans un état de stupidité presque égal à celui des bêtes ? Il en est tel qui n'a jamais eu un nombre d'idées pareil à celui qui forme le système des connoissances d'un renard.

Il faut que le loisir, la société & le langage, servent la perfectibilité, sans quoi cette disposition reste stérile. Or, premierement le loisir manque aux bêtes, comme nous vous l'avons dit. Occupées sans-cesse à pourvoir à leurs besoins, & à se défendre contre d'autres animaux ou contre l'homme, elles ne peuvent conserver d'idées acquises que relativement à ces objets. Secondement la plûpart vivent isolées & n'ont qu'une société passagere fondée sur l'amour & sur l'éducation de la famille. Celles qui sont attroupées d'une maniere plus durable sont rassemblées uniquement par le sentiment de la crainte. Il n'y a que les especes timides qui soient dans ce cas, & la crainte qui approche ces individus les uns des autres paroît être le seul sentiment qui les occupe. Tel est l'espece du cerf dans laquelle les biches ne s'isolent gueres que pour mettre bas, & les cerfs pour refaire leurs têtes.

Dans les especes mieux armées & plus courageuses, comme sont les sangliers, les femelles, comme plus foibles, restent attroupées avec les jeunes mâles. Mais dès que ceux-ci ont atteint l'âge de trois ans, & qu'ils sont pourvus de défenses qui les rassurent, ils quittent la troupe ; la sécurité les mene à la solitude ; il n'y a donc pas de société proprement dite entre les bêtes. Le sentiment seul de la crainte, & l'intérêt de la défense réciproque ne peuvent pas porter fort loin leurs connoissances. Elles ne sont pas organisées de maniere à multiplier les moyens, ni à rien ajouter à ces armes toujours prêtes qu'elles doivent à la nature. Et peut-on savoir jusqu'où l'usage des mains porteroit les singes s'ils avoient le loisir comme la faculté d'inventer, & si la frayeur continuelle que les hommes leur inspirent ne les retenoient dans l'abrutissement ?

A l'égard du langage, il paroît que celui des bêtes est fort borné. Cela doit être, vû leur maniere de vivre, puisqu'il y a des sauvages qui ont des arcs & des fleches, & dont cependant la langue n'a pas trois cent mots. Mais quelque borné que soit le langage des bêtes, il existe : on peut assurer même qu'il est beaucoup plus étendu qu'on ne le suppose communément dans des êtres qui ont un museau allongé ou un bec.

Le langage suppose une suite d'idées & la faculté d'articuler. Quoique parmi les hommes qui articulent des mots, la plûpart n'ayent point cette suite d'idées, il faut qu'elle ait existé dans l'entendement des premiers qui ont joint ces mots ensemble. Nous avons vû que les bêtes ont, en fait d'idées suivies, tout ce qui est nécessaire pour arranger des mots. Celles de leurs habitudes qui nous paroissent le plus naturelles, ne peuvent s'être formées, comme nous l'avons prouvé, que par des inductions liées ensemble par la réflexion, & qui supposent toutes les opérations de l'intelligence ; mais nous ne remarquons point d'articulation sensible dans leurs cris. Cette apparente uniformité nous fait croire que réellement elles n'articulent point. Il est certain cependant que les bêtes de chaque espece distinguent très-bien entr'elles ces sons qui nous paroissent confus. Il ne leur arrive pas de s'y méprendre, ni de confondre le cri de la frayeur avec le gémissement de l'amour. Il n'est pas seulement nécessaire qu'elles expriment ces situations tranchées, il faut encore qu'elles en caractérisent les différentes nuances. Le parler d'une mere qui annonce à sa famille qu'il faut se cacher, se dérober à la vûe de l'ennemi, ne peut pas être le même que celui qui indique qu'il faut précipiter la fuite. Les circonstances déterminent la nécessité d'une action différente : il faut que la différence soit exprimée dans le langage qui commande l'action. Les expressions séveres, & cependant flatteuses de l'amour, qui soumettent le mâle à la réserve sans lui ôter l'espérance, ne sont pas les mêmes que celles qui lui annoncent qu'il peut tout permettre à ses desirs, & que le moment de jouir est arrivé.

Il est vrai que le langage d'action est très-familier aux bêtes ; il est même suffisant pour qu'elles se communiquent réciproquement la plûpart de leurs émotions : elles ne font donc pas un grand usage de leur langue ; leur éducation s'accomplit ainsi que la nôtre en grande partie par l'imitation. Tous les sentimens isolés qui affectent les uns, peuvent être reconnus par les autres aux mouvemens extérieurs qui les caractérisent ; mais quoique ce langage d'action serve à exprimer beaucoup, il ne peut pas suffire à tout. Dès que l'instruction est un peu compliquée, l'usage des mots devient nécessaire pour la transmettre. Or il est certain que les jeunes renards, en sortant du terrier, sont plus précautionnés dans les pays où l'on tend des piéges, que ne le sont les vieux dans ceux où l'on ne cherche point à les détruire : cette science des précautions qui suppose tant de vûes fines & d'inductions éloignées, ne peut pas être acquise dans le terrier par le langage d'action ; & sans les mots l'éducation d'un renard ne peut pas se consommer : par quel méchanisme des animaux qui chassent ensemble s'accordent-ils pour s'attendre, se retrouver, s'aider ? Ces opérations ne se feroient pas sans des conventions dont le détail ne peut s'exécuter qu'au moyen d'une langue articulée. La monotonie nous trompe, faute d'habitude & de réflexion. Lorsque nous entendons des hommes parler ensemble une langue qui nous est étrangere, nous ne sommes point frappés d'une articulation sensible, nous croyons entendre la répétition continuelle des mêmes sons. Le langage des bêtes, quelque varié qu'il puisse être, doit nous paroître encore mille fois plus monotone, parce qu'il nous est infiniment plus étranger ; mais quel que soit ce langage des bêtes, il ne peut pas aider beaucoup la perfectibilité dont elles sont douées. La tradition ne sert presque point aux progrès des connoissances. Sans l'écriture, qui appartient à l'homme seul, chaque individu concentré dans sa propre expérience, seroit forcé de recommencer la carriere que son devancier auroit parcourue, & l'histoire des connoissances d'un homme seroit presque celle de la science de l'humanité.

On peut donc présumer que les bêtes ne feront jamais de grands progrès, quoique relativement à certains arts elles puissent en avoir fait. L'architecture des castors pourroit être embellie ; la forme des nids d'hirondelles pourroit avoir acquis de l'élégance sans que nous nous en apperçussions ; mais en général les obstacles qui s'opposent aux progrès des especes sont fort difficiles à vaincre, & ses individus n'empruntent point non plus de la force d'une passion dominante cette activité soutenue qui fait qu'un homme s'éleve par le génie fort au-dessus de ses égaux. Les bêtes ont cependant des passions naturelles, & d'autres qu'on peut appeller factices ou de réflexion ; celles du premier genre sont l'impression de la faim, les desirs ardens de l'amour, la tendresse, maternelle ; les autres sont la crainte de la disette, ou l'avarice & la jalousie qui conduit à la vengeance.

L'avarice est une conséquence de la faim précédemment sentie : la réflexion sur ce besoin produit une prévoyance commune à tous les animaux qui sont sujets à manquer. Les carnassiers cachent & enterrent les restes de leur proie pour les retrouver au besoin. Parmi les frugivores, ceux qui sont organisés de maniere à emporter les grains qui leur servent de nourriture, font des provisions auxquelles ils ne touchent que dans le cas de nécessité ; tels sont les rats de campagne, les mulots, &c. mais l'avarice n'est pas une passion féconde en moyens ; son exercice se borne à l'amas & à l'épargne.

La jalousie est fille de l'amour : dans les especes dont les mâles se mêlent indifféremment avec toutes les femelles, elle n'est excitée que par la disette de celles-ci : le besoin de jouir se faisant vivement sentir à tous dans le même tems, il en résulte une rivalité réciproque & générale. Cette passion aveugle fait souvent manquer son objet à ceux qu'elle tourmente. Pendant que la fureur tient les vieux cerfs attachés au combat, un daguet s'approche des biches en tremblant, jouit & s'échappe. La jalousie est plus profonde & plus raisonnée dans les especes qui s'accouplent : quels que soient les motifs sur lesquels est fondé ce choix mutuel des deux individus, il est certain qu'il se fait, & que l'idée de propriété réciproque s'établit : dès-lors la moralité est introduite dans l'amour ; les femelles même deviennent susceptibles de jalousie : cette union commencée par l'attrait, & soutenue par le plaisir, est encore resserrée par la communauté des soins qu'exige l'éducation de la famille ; mais cet objet étant rempli, l'union cesse. Le printems, en inspirant à ces animaux de nouvelles ardeurs, leur donne des goûts nouveaux : je n'oserois cependant pas décider si les tourterelles méritent ou non la réputation de constance qu'elles ont acquise ; mais si elles sont constantes, au moins est-il sûr qu'elles ne sont pas fideles. J'en ai vû plusieurs fois faire deux heureux de suite sur une même branche : peut-être leur constance ne peut-elle être assurée qu'autant qu'elles se permettent l'infidélité.

Quoi qu'il en soit, on peut dire qu'en général l'amour n'est chez les bêtes qu'un besoin passager : cette passion, avec tous ses détails, ne les occupe guere qu'un quart de l'année, ainsi elle ne peut pas élever les individus à des progrès bien sensibles. Le tems du desintéressement doit amener l'oubli de toutes les idées que l'irritation des desirs avoit fait naître. On remarque seulement que l'expérience instruit les meres sur les choses relatives au bien de leur famille ; elles profitent dans un âge plus avancé des fautes de la jeunesse & de l'imprudence. Une perdrix de trois ou quatre ans choisit pour faire son nid une place bien plus avantageuse que ne fait une jeune ; elle se place sur un lieu un peu élevé, pour n'avoir point d'inondation à craindre : elle a soin qu'il soit environné d'épines & de ronces qui en rendent l'accès difficile. Lorsqu'elle quitte son nid pour aller manger, elle ne manque pas de dérober ses oeufs, en les couvrant avec des feuilles.

Si la tendresse maternelle laisse des traces profondes dans la mémoire des bêtes, c'est que son exercice dure assez long-tems, & que d'ailleurs c'est une des passions qui affectent le plus fortement ces êtres sensibles. Elle produit en eux une activité inquiete & soutenue, une assiduité pénible, & lorsque la famille est menacée, une défense courageuse qui ressemble à un abandon total de soi-même. Je dis ressembler ; car on ne s'abandonne point entierement, & dans le moment extrème le moi se fait toûjours sentir. Une preuve de cette vérité, c'est que dans les différentes especes la témérité apparente de la mere est toûjours proportionnée aux moyens qu'elle a d'échapper au danger qu'elle paroît braver. La louve & la laie deviennent terribles, lorsqu'elles ont leurs petits à défendre : la biche vient aussi chercher le péril ; mais sa foiblesse trahit bien-tôt son courage ; & malgré sa tendre inquiétude, elle est forcée de fuir. La perdrix & la canne sauvage qui ont une ressource assûrée dans la rapidité de leurs aîles, paroissent s'exposer beaucoup plus pour la défense de leurs petits que la poule faisande : le vol pesant de celle-ci la rendroit victime d'un attachement trop courageux.

Cet amour qui paroît si généreux, produit une jalousie qui va jusqu'à la cruauté dans les especes où il est au plus haut degré. La perdrix poursuit & tue impitoyablement tous les petits de son espece qui ne sont pas de sa famille. Au contraire la poule faisande, qui abandonne plus aisément les petits qu'elle a couvés, est douée d'une sensibilité générale pour ceux de son espece ; tous ceux qui manquent de mere, ont droit de la suivre.

Qu'est-ce donc, encore une fois, que l'instinct ? Nous voyons que les bêtes sentent, comparent, jugent, réfléchissent, choisissent, & sont guidées dans toutes leurs démarches par un sentiment d'amour de soi que l'expérience rend plus ou moins éclairé. C'est avec ces facultés qu'elles exécutent les intentions de la nature, qu'elles servent à l'ornement de l'univers, & qu'elles accomplissent la volonté, inconnue pour nous, que le Créateur eut en les formant.

INSTINCT, (Maréchallerie & Manege) c'est un grand point dans le manege que de connoître l'instinct, c'est-à-dire le naturel du cheval. Cette connoissance s'acquiert plûtôt en le faisant d'abord travailler dans un endroit où il est retenu, comme autour d'un pilier, qu'en l'abandonnant à lui même avec un cavalier sous lui, & elle épargne à un écuyer beaucoup de tems & de peine.


INSTITOIRES. m. (action) terme de jurisprudence, est l'action qu'exerce un commis contre son maître, pour raison de ce qu'il a fait en son nom. Ce mot vient du latin institor, facteur, c'est-à-dire celui dont un marchand se sert pour l'aider dans son commerce.


INSTITORS. m. (Belles-Lettres) ce mot qu'il est bon d'entendre, se trouve dans Horace, Ovide, Properce, Séneque, & Quintilien. Il signifioit deux choses : premierement, il désignoit une espece de revendeur à gages, à qui des lingers ou des tailleurs donnoient du linge & des habits à vendre dans les rues ou dans les maisons, & Séneque le prend dans ce sens ; mais institor signifioit aussi un commis, un facteur aisé, soit qu'il eût la direction d'un magasin, soit qu'il voyageât en divers pays pour le commerce ; les Poëtes prennent ordinairement ce mot dans ce dernier sens. Comme il y avoit à Rome de ces facteurs très riches, très-bien mis, très-bien nippés, on les appelloit autrement pretiosi emptores, & les courtisannes s'en accommodoient souvent mieux que des grands seigneurs. Enfin, Quintilien emploie ingénieusement le mot institor au figuré, & l'applique à l'éloquence, eloquentiae institor. (D.J.)


INSTITUERv. act. (Gram.) il y a un grand nombre d'acceptions diverses. On dit Moyse a institué la circoncision, Jesus-Christ le baptême, les payens des jeux. On institue un ordre, une société, une compagnie ; on institue des charges & des officiers. Instituer, c'est aussi élever, instruire ; on institue un sentier, on institue un collateur : instituer dans ces deux derniers cas est synonyme à constituer.


INSTITUTS. m. (Gram.) système de regles auxquelles une société d'hommes consent de s'assujettir : tous les ordres religieux ont leur institut.

INSTITUT de Boulogne, (Hist. mod.) académie établie à Boulogne en Italie en 1712 pour les Sciences & les Arts, par les soins & la libéralité du comte Louis Ferdinand de Marsigli, noble boulonnois, & sous la protection du pape Clément XI. Le premier ayant ramassé un très-grand nombre de raretés, tant naturelles qu'artificielles, offrit ce trésor au sénat de Boulogne qui l'accepta & le plaça dans le palais Celeri, qui fut acheté pour le renfermer ; & afin que, suivant les intentions du comte de Marsigli, ce riche fonds pût être utile à tous ceux qui aiment les Sciences & les Arts, & servir à se perfectionner dans l'étude des uns & des autres, il fut conclu que l'on formeroit une société littéraire qui s'assembleroit à certains jours pour se communiquer ses lumieres ; que chaque faculté auroit dans le palais Celeri sa chambre & ses professeurs particuliers ; que l'on distribueroit dans chaque chambre les capitaux ou assortimens convenables aux Sciences & aux Arts qui y seroient placés, & qu'on y construiroit un observatoire commode avec tous les instrumens nécessaires pour les observations astronomiques. Il fut aussi arrêté que cet institut auroit ses lois propres, émanées de l'autorité du sénat, & qu'à la porte du lieu de ses assemblées, outre les armes du pape Clément XI, on mettroit cette inscription latine : Bononiense Scientiarum & Artium institutum, ad publicum totius orbis usum. Ce projet fut exécuté, & le sénat unit à ce nouvel institut l'académie précédemment établie à Boulogne, sous le nom de l'académie des philosophes inquiets, c'est-à-dire destinés à travailler sans relâche à la perfection des Arts & des Sciences. Mais dans cette réunion l'académie quitta son ancien nom pour prendre celui d'académie du nouvel institut des Sciences. Les membres qui la composent sont partagés en quatre classes : la premiere est des ordinaires, c'est-à-dire de ceux qui selon les lois de l'académie, s'exerçent, travaillent, raisonnent dans les conférences, soit publiques, soit particulieres : la seconde classe comprend les honoraires, ou ceux qui sans aucune charge & sans aucun travail, jouissent néanmoins de tous les avantages & de tous les honneurs de la société : la troisieme est des numéraires, destinés à remplacer les ordinaires dans les emplois qui viennent à vaquer : la quatrieme est celle des éleves ou des jeunes gens que les ordinaires ont sous eux pour les former. Les matieres philosophiques qui se traitent dans l'académie sont partagées en six classes ; savoir la Physique, les Mathématiques, la Medecine, l'Anatomie, la Chimie, & l'Histoire naturelle. Il y a pour chacune un professeur & un substitut, outre un président, un bibliothéquaire, & un secrétaire pour tout le corps académique. L'institut & l'académie ont néanmoins chacun leurs lois & leurs réglemens particuliers, & tout-à-fait distincts les uns des autres, mais tendant tous au même but. L'ouverture de l'institut de Boulogne se fit le 13 de Mars 1714 ; la cérémonie en fut magnifique & accompagnée de plusieurs discours très-éloquens sur l'utilité de cet établissement, & sur celle des différentes sciences qu'il se proposoit pour objet. Quelques années après, on jugea à propos d'unir au nouvel institut l'académie clémentine des beaux Arts érigée à Boulogne en 1712, sous le nom & la protection du pape Clément XI, & qui a pour objet la Peinture, la Sculpture, & l'Architecture. Moréri.


INSTITUTAIRES. m. (Gram. & Jurisprud.) le professeur en droit civil & canonique qui explique les instituts. M. un tel est institutaire cette année.


INSTITUTESS. f. pl. (Jurisprud.) en latin institutiones, & que l'on appelle aussi en françois instituts ou institutions, sont des abrégés qui renferment les premiers élémens de la Jurisprudence ; les plus célebres sont celles de Caïus, de Justinien, & de Théophile.

Institutes de Caïus sont un abrégé du Droit romain qui fut composé par le célebre jurisconsulte Caïus ou Gaïus, qui vivoit sous Marc-Aurele ; ses institutes étoient divisées en quatre livres. La haute réputation que ce jurisconsulte s'étoit acquise, fit que long-tems avant Justinien, on donnoit ces institutes à lire à ceux qui vouloient s'initier dans la science du Droit : cet ouvrage n'est point parvenu jusqu'à nous dans tout son entier ; nous en avons un abregé qui en fut fait par Anien, l'un des principaux officiers d'Alaric, roi des Visigoths en Espagne. Cet abrégé est divisé en deux livres ; on y reconnoît en beaucoup d'endroits les mêmes passages que Justinien emprunta de Caïus ; mais il y eut plusieurs retranchemens & changemens faits par Anien, pour rendre cet ouvrage conforme aux moeurs des Visigoths. Un jurisconsulte moderne nommé Oiselius, a recherché dans le digeste & ailleurs, tous les fragmens des institutes de Caïus, & les a rétablis en quatre livres, comme ils étoient d'abord ; mais il y manque encore plusieurs titres, dont il n'a rien pû recouvrer. (A)

Institutes de Justinien, sont un abregé du droit du code, premiere édition, & du droit du digeste, qui fut composé par ordre de cet empereur dans le tems même que l'on travailloit au digeste ; le motif qu'il eut en cela, fut de donner une connoissance sommaire du droit aux personnes qui ne sont pas versées dans les lois, & sur-tout aux commençans.

Il est probable que les institutes d'Ulpien, ceux de Caïus, & de quelques autres jurisconsultes, donnerent à Justinien l'idée d'en faire de semblables. Quoi qu'il en soit, il chargea de cet ouvrage Tribonien, Théophile, & Dorothée, qui le formerent de ce qu'il y avoit de meilleur dans les institutes de Caius & autres livres des Jurisconsultes. Ces institutes furent confirmées par Justinien, qui leur donna force de loi dans tout l'empire ; & elles furent publiées le 11 des calendes de Décembre de l'an 533, avant la publication du digeste, qui ne fut faite que le 18 des calendes du mois de Janvier de la même année.

Les institutes de Justinien sont divisées en quatre livres : Accurse a imaginé que c'étoit pour faire allusion aux quatre élémens, que l'esprit des jeunes gens se nourrit par la lecture de ces quatre livres, de même que le corps humain est gouverné par les quatre élémens ; mais on sent aisément le ridicule de cette idée.

Le prooemium des institutes est une espece de préface qui contient le dessein de l'ouvrage, sa division, & sa confirmation.

Chaque livre est divisé en plusieurs titres, dont la premiere partie s'appelle principium ; les autres sont appellées paragraphes.

Le premier livre traite du droit des personnes ; le second & le troisieme, jusqu'au quatorzieme titre inclusivement, traitent des choses ; le surplus du troisieme livre, & les cinq premiers titres du quatrieme livre, traitent des obligations qui naissent des contrats & quasi contrats, délits & quasi délits ; le reste du quatrieme livre traite des actions.

Les institutes de Justinien sont regardées comme le meilleur des ouvrages publiés sous son nom ; ils contiennent en abregé tout le système de la jurisprudence romaine : Cujas & plusieurs autres célebres jurisconsultes ont pensé que cet ouvrage n'avoit pas besoin de commentaires ; cependant plusieurs jurisconsultes en ont donné des abregés ; d'autres en ont fait des paraphrases. Voyez Dorcholten, Pacius, Wesembek, Schneidwin, Corvinus, Faber, Mancius, Voet, Regnerus, & plusieurs autres ; le commentaire de Vinnius est un des plus estimés. (A)

Institutes de Lancelot, sont une institution au droit canonique, composée par Jean Paul Lancelot, qui brilloit à Pérouse en 1550 : cet ouvrage est fort estimé.

Institutes de Théophile, sont une paraphrase des institutes de Justinien, composée en grec par le jurisconsulte Théophile, par ordre de l'empereur Phocas, lequel voulut par-là décréditer l'ouvrage de Justinien ; & en effet, pendant toute la durée de l'empire grec, on n'enseigna plus d'autres institutes que celles de Théophile. Ces dernieres furent même encore long-tems après préférées au texte ; Viglius Zuichem fit imprimer la paraphrase grecque à Basle en 1534. Il y en eut ensuite plusieurs autres éditions ; Jacques Curtius jurisconsulte de Bruges, en fit une traduction latine qui fut imprimée à Lyon en 1581. Charles Annibal Fabrot, professeur en Droit à Aix en Provence, en donna deux éditions grecques & latines, accompagnées de scholies grecques & de notes. Enfin, Jean Doujat, célebre professeur en Droit à Paris, donna en 1681, une édition en deux volumes in-12 de la traduction latine de Curtius, qu'il accompagna de ses notes & de celles de Cujas & de Fabrot ; on fait un grand usage de cette édition.

Institutes de Vinnius, sont un commentaire d'Arnold Vinnius jurisconsulte, sur les institutes de Justinien : il y en a eu plusieurs éditions, dont la derniere qui est de 1747, est accompagnée des notes de Jean Got. Heineccius. (A)


INSTITUTEUR(Gram.) celui qui instruit & forme. On dit d'un homme qu'il est un excellent instituteur de la jeunesse ; éloge rare qui suppose de l'esprit, des moeurs, du jugement, des connoissances, du monde. On a fait le mot institution, qui se prend dans le même sens qu'instituteur. Voyez GOUVERNEUR, GOUVERNANTE, ÉDUCATION.


INSTITUTIONS. f. (Jurisprud.) signifie quelquefois établissement, quelquefois il se prend pour introduction & instruction.

On dit l'institution d'une compagnie, d'une confrairie, d'une communauté, c'est-à-dire sa création, son établissement.

Quelquefois par le terme d'institution on entend l'objet pour lequel une compagnie a été établie, & la regle primitive qui lui a été imposée ; lorsqu'elle fait quelque chose de contraire, on dit qu'elle s'écarte de son institution, ou que ce n'est pas-là l'esprit de son institution. Cela se dit principalement en parlant des monasteres & églises où le relâchement s'est introduit. (A).

Institution, en matiere bénéficiale, est l'acte par lequel celui qui est nommé à un bénéfice en est mis en possession par le supérieur ecclésiastique duquel dépend l'institution.

Cette institution est de quatre sortes ; savoir collative, autorisable, canonique, & corporelle.

L'institution collative qui est la véritable institution proprement dite, est la collation canonique & provision du bénéfice ; cette collation est nécessaire, parce qu'elle doit être faite à celui qui est présenté par le patron.

L'institution autorisable est celle par laquelle l'évêque confere au pourvu la mission pour prêcher & administrer les sacremens ; elle a lieu pour les bénéfices à charge d'ames, dont la pleine collation appartient à un autre collateur que l'évêque.

On appelle institution canonique des provisions d'un supérieur ecclésiastique ; on ne peut prendre possession d'un bénéfice sans avoir une institution canonique.

On appelle aussi institution canonique le visa qui est donné par l'évêque aux pourvûs de cour de Rome in formâ dignum, & même aux pourvûs in formâ gratiosâ, lorsqu'il s'agit de bénéfices à charge d'ames. Voyez VISA.

L'institution corporelle est la mise en possession du bénéfice, elle appartient naturellement à l'évêque aussi bien que la collation du bénéfice ; & lorsque l'ancienne discipline étoit encore en vigueur où l'on ne séparoit point les bénéfices de l'ordination, & que par l'ordination même des clercs on les attachoit à certaines églises, on ne connoissoit point l'institution autorisable, ni l'institution corporelle, qui en est une suite ou de la collation ; mais dans la suite les évêques s'étant accoutumés à déléguer aux archidiacres le soin de mettre les pourvus en possession, cela a été considéré comme un droit des archidiacres. Voyez ARCHIDIACRE, BENEFICES, POSSESSION, PRISE DE POSSESSION. Voyez le chap. xj. extrà de jure patronatûs, le chap. vj. extrà de institut. le concile de Trente, sess. 14. chap. xiij de reform. & sess. 24. chap. xviij. Van-espen, Juris. eccles. univ. part. II. tit. 26. Fagnan, ad capit. cum eccles. extrà de causâ possessionis & proprietatis. (A).

Institution contractuelle, est un don irrévocable qui est fait d'une succession ou de partie par contrat & en faveur de mariage, soit par des pere & mere ou même par des étrangers au profit de l'un des conjoints ou des enfans qui naîtront du futur mariage ; ces sortes d'institutions étoient inconnues chez les Romains ; elles sont reçues tant en pays coutumier qu'en pays de droit écrit.

Elles participent des dispositions à cause de mort, en ce qu'il faut survivre pour en recueillir l'effet, & qu'elles ne comprennent que les biens que l'instituant aura au jour de son décès ; mais elles participent aussi de la nature des donations entre-vifs, en ce qu'elles sont faites par un acte entre-vifs, qu'elles sont irrévocables & saisissent de plein droit, & que l'on y peut comprendre tout ce dont il est permis de disposer entre-vifs, la légitime des enfans du donateur réservée.

L'institution contractuelle n'empêche pas l'instituant d'engager & hypothéquer, même d'aliéner ses biens en tout ou partie, pourvu que ce soit sans fraude ; mais il ne peut faire aucune disposition universelle à titre gratuit, soit entre-vifs ou par testament.

Il n'est pas nécessaire de faire insinuer ces sortes d'institutions.

L'héritier contractuel est tenu des dettes indéfiniment, c'est pourquoi il peut n'accepter la succession que par bénéfice d'inventaire, il ne peut pas y renoncer avant le décès de l'instituant. Voyez le traité des instit. contract. de M. de Lauriere, & celui des conventions de succéder de Boucheul. (A).

Institution coutumiere, est un abrégé du droit coutumier, telle que les institutes coutumieres de Loisel. (A)

Institution au droit canonique, au droit civil, au droit françois, & autres semblables, sont des abrégés de droit canonique, civil, françois, telles que l'institution au droit ecclésiastique, par M. Fleury, & celle de M. Gibert, l'institution au droit françois d'Argou. Voyez INSTITUTES. (A).

Institution d'héritier, est la nomination que quelqu'un fait de celui qu'il veut être son successeur universel.

Elle peut être faite par contrat de mariage ou par testament. Au premier cas, c'est une institution contractuelle. Voyez ci-devant INSTITUTION contractuelle ; au second cas, on l'appelle institution d'héritier simplement.

La plupart des coutumes portent, qu'institution d'héritier n'a lieu, c'est-à-dire, qu'elle n'est pas nécessaire pour la validité du testament ou codicille ; mais s'il y en a une, elle vaut comme legs, sans être assujettie à aucune autre regle que celles qui sont communes aux legs.

En pays de droit écrit, l'institution d'héritier est la base & le fondement du testament ; elle ne peut être faite par un simple codicille : sans institution d'héritier, il n'y a point de testament, tellement que si l'institution est nulle, toutes les autres dispositions tombent, à moins que le testament ne contînt la clause codicillaire.

On peut donner tous ses biens à son héritier, pourvû qu'ils ne soient pas situés dans une coutume qui restraigne l'effet des dispositions à cause de mort.

L'institution d'héritier se peut faire sans exprimer précisément le nom de l'héritier, pourvu qu'il soit désigné d'une façon non équivoque. Pour recueillir l'effet de l'institution, il faut survivre au testateur, & être né ou du moins conçu lors de son décès.

Dans les pays où l'institution d'héritier est nécessaire, ceux qui ont droit de légitime doivent être institués héritiers au moins en ce que le testateur leur donne, & lorsqu'ils sont institués, quelque modique que soit l'effet ou la somme qu'on leur laisse, ils ne peuvent opposer le vice de prétérition. Il y a néanmoins quelques statuts particuliers dans certaines provinces de droit écrit, qui permettent de laisser la légitime à autre titre que celui d'institution.

Ceux auxquels il a été laissé moins que leur légitime à titre d'institution, peuvent demander un supplément de légitime.

En cas de prétérition d'aucun de ceux qui ont droit de légitime, le testament doit être déclaré nul quant à l'institution d'héritier, sans qu'elle puisse valoir comme fideicommis, & s'il y a une substitution elle est pareillement nulle, le tout encore que le testament contînt la clause codicillaire ; cette clause empêche seulement la nullité du surplus du testament. Voyez aux institutes le titre de haeredibus instituendis, & aux mots ACCROISSEMENT, FALCIDIE, HERITIER, SUBSTITUTION, SUCCESSION, TESTAMENT, LEGITIME, QUARTE TERBELLIANIQUE. (A).


INSTRUCTIONS. f. (Gram.) il se dit de tout ce qui est capable de nous éclaircir sur quelqu'objet que ce soit. On nous instruit par les discours, par les écrits, par les raisons, par les faits, & par les exemples. L'intérêt est le grand instituteur. Après l'intérêt, c'est le tems ; après le tems, ce sont les passions.

On appelle encore instruction les ordres secrets qu'on donne à un ambassadeur, au commandant d'une flotte, à un capitaine de vaisseau.

INSTRUCTION, (Jurisprud.) signifie les procédures que l'on fait pour mettre une affaire en état d'être jugée.

Instruction à la barre de la cour, c'étoient des procédures sommaires qui se faisoient à la barre de la cour ; elles ont été abrogées par l'ordonnance de 1667, tit. II. art. ij. (A)


INSTRUMENTS. m. (Gramm.) ce qui sert à une cause pour produire son effet. Voyez EFFET.

Instrumens de sacrifice, (Hist. anc.) ce sont des ornemens de l'Architecture ancienne ; tels que sont les vases, pateres, candelabres, couteaux avec lesquels on égorgeoit les victimes, comme on en voit à une frise d'ordre corinthien d'un vieux temple qui est à Rome derriere le Capitole. Voyez FRISE.

INSTRUMENT, (Astron.) en général on appelle ainsi les quarts de cercle, les secteurs, les octans, &c. avec lesquels les astronomes observent.

INSTRUMENT DE HADLEY. Voyez OCTANT.

INSTRUMENT (Jurisprud.) signifie titre. Instrument public est un acte reçu par un officier public, tel qu'un notaire, greffier, ou autre officier. Ces sortes d'actes sont authentiques, & font foi lorsqu'ils sont en bonne forme. Les instrumens privés ou écritures privées, telles que les cédules ou promesses, livres de comptes, lettres missives ne sont point authentiques, & sont sujets à reconnoissance & vérification.

Ce terme d'instrument est présentement peu usité, sur-tout en parlant des écritures privées. Voyez au digeste le titre de fide instrumentorum. (A)

INSTRUMENT, en Chirurgie, moyen auxiliaire, dont on se sert pour les opérations. Ils sont composés de différentes matieres ; mais l'acier & le fer en fournissent la plus grande partie ; l'or, l'argent, le plomb & plusieurs autres matieres y sont aussi employées.

Les instrumens qui doivent résister beaucoup, ou qui doivent inciser par leur tranchant, doivent absolument être fabriqués d'acier & de fer, ou des deux ensemble. Les instrumens plians comme les algalies, les cannules, doivent être d'argent, & l'on fait indifféremment d'acier, de fer ou d'argent, plusieurs autres instrumens. Quelques-uns donnent la préférence à l'acier bien poli, à cause de la propreté ; d'autres aiment mieux l'argent, parce qu'il n'est point sujet à la rouille, & que les instrumens qui en sont construits exigent moins de soins.

On divise communément les instrumens de Chirurgie en communs & en particuliers. Les instrumens communs servent à plusieurs opérations, au pansement des plaies, &c. Tels sont les ciseaux, les bistouris, les sondes, &c. Les instrumens particuliers sont ceux dont l'usage est fixé à certaines opérations, comme les algalies pour la vessie, les scies pour les amputations des membres, le trépan pour le crane, &c. Les instrumens communs sont aussi appellés portatifs ; parce que le chirurgien est toujours obligé de les avoir sur lui ; les autres au contraire sont nommés non-portatifs, parce qu'il suffit qu'on les ait chez soi en bon état pour le besoin.

M. de Garengeot a fait un traité sur les instrumens de Chirurgie, le premier qui ait paru depuis l'arsenal de Scultet. Il en donne des connoissances très-distinctes, en entrant dans la discussion de toutes leurs parties ; il s'attache principalement aux circonstances propres à en faire connoître le jeu ; il déduit la construction & la régularité de leurs dimensions, & enseigne la meilleure maniere de s'en servir, en parlant de leurs usages. Les figures en taille-douce rendent toutes ces applications fort intelligibles pour les jeunes chirurgiens qui ne peuvent être trop au fait de la matiere instrumentale. (Y)

INSTRUMENS, (Chimie) L'attirail chimique, l'assortiment des meubles du laboratoire, suppellex chimica, est formé par la provision convenable de fourneaux, de vaisseaux, & de quelques autres ustensiles de différens genres, qui servent aux opérations méchaniques, préparatoires ou subsidiaires, à manier ou à soutenir les vaisseaux, ou enfin à procurer diverses commodités à l'artiste.

Les instrumens de cette derniere division n'ont point de nom classique ; renvoyant donc aux articles FOURNEAU & VAISSEAUX (Chimie), pour les deux premieres divisions, nous nous bornerons à donner dans celui-ci une idée des instrumens que nous rangeons sous la troisieme.

Les opérations que nous appellons méchaniques, sont celles qui se bornent à diviser les masses des corps, ou à en rassembler les parties, & à déplacer ou agiter diversement les sujets chimiques par des actions méchaniques. Telles sont l'action de les limer, de les raper, de les piler, de les laminer, grenailler, former en lingots, en trochisques, jetter en moule ; de les détacher, en ratissant, d'un vaisseau auquel ils adherent, de les projetter, d'en ramasser des poudres, de remuer un corps qu'on veut fondre ou dissoudre ; séparer une poudre d'une liqueur où elle n'étoit pas dissoute, &c. Voyez OPERATIONS, Chimie. Ces opérations exigent donc que le chimiste soit pourvu de hachoirs, de ciseaux, de limes, de rapes, de pilons & mortiers, de tamis, de laminoirs, de granulatoires, de houssoirs, de pates de lievre, de lingotieres, de ratissoirs, de cuillieres, de spatules, de verges de fer, de filtres, &c.

Les instrumens qui servent à manier les vaisseaux qu'on ne sauroit toucher avec les mains, sont les pincettes de différentes especes ; les outils appellés mains, des torchons, du gros papier, &c. Ceux qui servent à les soutenir sont les supports de toutes les façons, & des especes de tourteaux de paille, de jonc ou d'osier, appellés valets.

Enfin les instrumens qui ne font que procurer diverses commodités aux artistes, sont les pincettes, les pelles, & les capsules de fer qui leur servent à manier le charbon & à le placer dans les fourneaux, les bancs & les carrelets à soutenir des filtres ; les anneaux de fer qu'on rougit pour couper les cols de certains vaisseaux, les soufflets, les écrans à fenêtre, & les verres colorés pour regarder des matieres sujettes à éclater, & vivement embrasées ; les pinceaux à étendre certains luts, les éponges & autres matieres propres à nettoyer les vaisseaux, &c. Les divers thermometres & pyrometres, qu'on pourroit être tenté de regarder comme des moyens très-propres à déterminer avec justesse les différens degrés de feu, ne sauroient être mis au nombre des instrumens chimiques. Voyez FEU, Chimie.

Outre ces instrumens qui, bien que communs pour la plupart à differens arts, sont pourtant d'un usage immédiat & prochain dans la pratique de la Chimie ; il y en a d'autres qui, quoique d'un emploi plus éloigné, sont absolument nécessaires à l'artiste. Comme il doit, par exemple déterminer avec justesse & par le poids, autant qu'il est possible, les quantités absolues, mais plus encore les quantités proportionnelles ou respectives des différentes matieres qu'il met en oeuvre ; le laboratoire doit être nécessairement meublé de balances de toutes les grandeurs, & de poids proportionnés.

Les luts qui ne sont pas communément compris sous la dénomination d'instrument chimique, méritent pourtant d'y être rapportés, & d'être regardés comme une espece de supplément ou d'appendix des vaisseaux, soit qu'ils soient employés à les cuirasser, soit qu'ils servent à les unir. Voyez LUT & VAISSEAU.

Au reste il y a dans ce dictionnaire des articles particuliers pour tous les instrumens que nous venons de nommer, & même pour quelques autres pour ainsi dire moins techniques, ou d'un usage moins commun, dont nous n'avons pas cru devoir faire mention dans cet article, que nous avons destiné seulement à donner une idée générale, & composée du gros de cet attirail chimique qu'on peut regarder comme subalterne, en le comparant aux fourneaux & aux vaisseaux.

Il faut se souvenir aussi qu'il n'est ici question que des instrumens de la Chimie philosophique ou expérimentale. Les différentes branches de la Chimie-pratique, ou les différens arts chimiques en ont chacun quelques-uns qui leur sont propres, & que le chimiste philosophe ne transporte dans son laboratoire, & ordinairement en petits, que quand il y veut répéter & étudier les procédés propres à ces arts. On trouvera la liste de ces instrumens particuliers dans les articles destinés à ces arts, par exemple à l'article DOCIMASTIQUE, à l'article METALLURGIE, &c.

On emploie dans le langage philosophique de la chimie moderne le mot instrument dans un sens bien différent de celui que nous venons de lui donner. Il est en usage comme synonyme d'agent, de cause, de principe. C'est dans ce sens que les premiers principes ou élémens des corps, sont appellés instrumens actifs, universels & primitifs, & que j'ai dit d'une maniere beaucoup plus précise, ce me semble, que les deux agens ou instrumens véritablement premiers & universels des chimistes, étoient le feu ou la chaleur & les menstrues. Voyez l'article CHIMIE, FEU & MENSTRUES. (b)

INSTRUMENS Docimastiques. Les essayeurs appellent ainsi des petits parallélipipedes de terre cuite, qu'ils placent diversement dans les mouffles du fourneau de coupelle, pour gouverner plus exactement le feu employé aux essais. Voyez ESSAI. Ces instrumens sont sur-tout nécessaires, lorsqu'on se sert, comme dans quelques endroits de l'Allemagne, de mouffles percées de grands trous. Les mouffles percées de petits trous d'une ligne, ou d'une ligne & demie de diametre, sont plus commodes, principalement en ce qu'elles dispensent de l'emploi de ces instrumens, qui est difficile pour ceux qui ne sont pas dans l'habitude de les manier. (b)

INSTRUMENT, (Art. méchanique) il s'étend à tous les outils, dont un ouvrier se sert pour faire plus facilement son ouvrage. Ce détail tient une grande place dans ce Dictionnaire, & fournira un grand nombre de Planches.

* INSTRUMENS, (Musiq. & Luth.) ce sont des machines inventées & disposées par l'art du luthier pour exprimer les sons au défaut des voix, ou pour imiter la voix naturelle de l'homme. La musique composée pour être exécutée sur ces sortes de machines, se nomme instrumentale. On range ordinairement ces instrumens sous trois classes, savoir, 1°. les instrumens à cordes : ils en ont plusieurs que l'on fait raisonner ou avec les doigts comme le luth, le theorbe, la guittare, la harpe, &c. ou avec un archet, comme le violon, la viole, la trompette marine, &c. ou par le moyen de sautereaux, comme l'épinette, le clavessin, la vielle, &c.

2°. Les instrumens à vent que l'on fait parler avec la bouche, comme les flûtes, trompettes, haut-bois, bassons, serpens, &c. ou avec des soufflets, comme les musettes, les chalemies ou loures, & l'orgue.

3°. Les instrumens de percussion qu'on frappe soit avec des baguettes, comme le tambour & les timbales, soit avec de petits bâtons, comme le psalterion, soit avec une plume, comme le cistre, soit enfin avec des marteaux ou des battans, comme les cloches, &c. Voyez ces instrumens à leurs articles, & les figures des Planches de Lutherie.

Nous observerons seulement ici que chaque instrument a son étendue propre, son expression & son caractere que le musicien doit bien connoître.

S'il porte l'instrument au-delà de sa véritable étendue, il le rendra aigu, sourd ou criard.

S'il ne connoît pas son expression, il ne l'appliquera pas dans les circonstances où il aura le plus d'effet.

C'est une partie très-importante de l'étude d'un compositeur, que celle du caractere des instrumens. Ce sont les voix différentes par lesquelles il parle à nos oreilles.

Mais ce n'est pas assez que de connoître chaque instrument en particulier ; il faut encore avoir l'expérience de l'effet de leurs sons combinés entr'eux, il ne faut quelquefois qu'une note de cors bien placée, pour causer l'émotion la plus violente.

Il n'y a point de phénomenes dans la nature, point de passions, point de sentimens dans le coeur de l'homme, qu'on ne puisse imiter avec le même instrument ; mais on ne peut pas dire qu'ils soient tous également propres à toutes ces imitations. Si les sons aigus des petites flutes se font entendre par intervalles dans la peinture d'une tempête, ils lui donneront beaucoup de vérité. Les sons bas & lugubres des cors annonceront d'une maniere effrayante l'arrivée des spectres & des ombres ; il faut tantôt soutenir les sons des instrumens à corde, tantôt les pincer, &c.

Qui est-ce qui sait parmi nous ce que j'appellerois volontiers la perspective musicale ?

On n'invente plus d'instrumens, & il y en a assez d'inventés ; mais je crois qu'il y a beaucoup de découvertes à faire sur leur facture.

La facture a pour objet la matiere & la forme. Combien d'expériences à faire sur l'une & l'autre.

La matiere comprend le choix des bois & leur préparation.

La forme comprend le rapport du plein au vuide, les contours, les ouvertures, les épaisseurs, les longueurs, largeurs & profondeurs, les accords, les cordes, les touches, &c.


INSTRUMENTERv. n. (Jurisprud.) signifie exploiter, recevoir un acte public. Les greffiers, huissiers, notaires ne peuvent instrumenter hors de leur ressort. (A)


INSUBRES(Géog. anc.) ancien peuple d'Italie dans la Gaule cisalpine ; ils étoient voisins des Cénomans selon Polybe qui en parle comme d'une nation puissante. Milan qu'ils fonderent étoit leur capitale ; ils n'occupoient du Milanez selon le P. Briet, que les villes de Milan, de Lodi, de Creme, de Gherra, & Ponte-san-Pietro. Les Orobiens, les Lépontiens avoient aussi leur part du pays, qui porte aujourd'hui le nom de la capitale des Insubriens. (D.J.)


INSUFFISANCES. f. (Gram.) il se dit des choses & des personnes. L'insuffisance consiste dans le rapport des moyens employés, & de l'effet à produire. Je connois mon insuffisance, c'est-à-dire, j'ai comparé ce que je puis avec ce qu'on exige, & j'ai reconnu qu'il n'y avoit point d'égalité entre mon talent & la fonction qu'on m'impose. Il en est de même des moyens, lorsqu'ils sont insuffisans. Il seroit beaucoup plus sage de s'avouer à soi-même son insuffisance, & de se soustraire à des fardeaux qui sont au-dessus de nos forces, que de les accepter, & d'en être honteusement accablé aux yeux du public.


INSUFFLATIONS. f. (Med.) action de souffler dans quelque cavité du corps, pour transmettre à quelque partie affectée le remede qui lui convient, & qui peut lui être appliqué de cette maniere. Les remedes ou lavemens de fumée de tabac sont une espece d'insufflation.


INSULAIRES. m. (Gram.) qui habite une île. Les insulaires séparés des autres hommes, sont plus long-tems à se policer.

Les Romains appelloient insulaires, 1°. ceux qu'on préposoit à la garde des machines isolées ; 2°. ceux qu'on employoit pour se faire payer des locataires d'une maison ; 3°. des esclaves transportés dans des îles, & condamnés aux ouvrages publics.


INSULTES. f. (Gram.) espece d'injure accompagnée de mepris. Voyez INJURE & MEPRIS. On insulte ou par une action ou par un discours, ou par un écrit, ou par un regard, ou par un geste. Il y a même un silence insultant. Le silence insulte lorsqu'il marque à celui qui a parlé le mepris qu'on fait de ce qu'il a dit. On insulte à la misere par l'ostentation de la richesse.

Insulte & insulter ont une acception particuliere à l'art militaire. On insulte une place en l'attaquant brusquement & à découvert. Cette place n'est pas achevée, mais elle est hors d'insulte. La distance à laquelle nous sommes de l'ennemi nous met à l'abri de l'insulte.


INSULTER(Marine) c'est attaquer un vaisseau & lui causer quelque dommage. (Q)


INSUPPORTABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut supporter. Il se dit des choses & des personnes. Le joug de la tyrannie devient insupportable à force de s'appesantir. Cet homme est insupportable avec ses mauvaises plaisanteries. Avec beaucoup d'esprit on se rend insupportable dans la conversation, lorsqu'on l'attire à soi toute entiere. Avec des talens & des vertus on se rend insupportable dans la société par des défauts légers, mais qui se font sentir à tout moment. Si on ne s'occupe sérieusement d'alleger aux autres le poids de la supériorité qu'on a sur eux, ils ne tardent pas à le trouver insupportable.


INSURMONTABLEadj. (Gramm.) qui ne peut être surmonté. Le hasard, la misere, & d'autres circonstances nous exposent à des tentations presqu'insurmontables. Les projets qui paroissent les plus faciles au premier coup, présentent ensuite des difficultés insurmontables. Lorsque nous jugeons qu'une chose est insurmontable, c'est par le rapport des moyens aux obstacles. Ainsi ce jugement suppose deux choses bien connues, la force des moyens & la grandeur des obstacles.


INSURRECTIONS. f. (Hist. anc.) on nommoit ainsi le droit de soulevement accordé aux citoyens de Crete, lorsque la magistrature abusoit de sa puissance & transgressoit les lois. Alors il étoit permis au peuple de se soulever, de chasser ses magistrats coupables, de les obliger de rentrer dans la condition privée, & d'en nommer d'autres à leur place.

Une institution pareille qui permettoit la rebellion pour empêcher l'abus du pouvoir, sembloit devoir renverser quelque république que ce fût ; elle ne détruisoit pas cependant celle de Crete, parce que c'étoit le peuple du monde qui avoit le plus d'amour pour la patrie, & la force de ce grand principe l'entraînoit uniquement dans ses démarches. Ne craignant que les ennemis du dehors, il commençoit toujours par se réunir de ce côté-là, avant que de rien entreprendre au-dedans, ce qui s'appelloit syncrêtisme, & c'est une belle expression.

Les lois de Pologne ont de nos jours leur espece d'insurrection, leur liberum veto ; mais outre que cette prérogative n'appartient qu'aux nobles dans les dietes, outre que les bourgeois des villes sont sans autorité, & les paysans de malheureux esclaves ; les inconvéniens qui résultent de ce liberum veto, font bien voir, dit M. de Montesquieu, que le seul peuple de Crete étoit en état d'employer un pareil remede, tant que les principes de leur gouvernement resterent sains. Esprit des lois, liv. VIII. chap. 9. (D.J.)


INTARISSABLEadj. (Gram.) qu'on ne peut tarir. Ce mot est emprunté de l'amas des eaux. Il se prend au simple, comme dans cet exemple ; cette source est intarissable. Les plus grandes chaleurs de l'été, les sécheresses les plus longues ne diminuent point la quantité de son produit. Au figuré, comme dans celle-ci : le fond des idées de cet homme est intarissable.


INTÉGRALadj. (Matth. trans.) le calcul intégral est l'inverse du calcul différentiel. Voyez DIFFERENTIEL.

Il consiste à trouver la quantité finie dont une quantité infiniment petite proposée est la différentielle ; ainsi supposons qu'on ait trouvé la différentielle de xm qui est m x(m - 1) d x. Si on proposoit de trouver la quantité dont m x(m - 1) d x est la différentielle ; ce seroit un problème de calcul intégral.

Les Géometres n'ont rien laissé à desirer sur le calcul différentiel ; mais le calcul intégral est encore très-imparfait. Voyez DIFFERENTIEL.

Le calcul intégral répond à ce que les Anglois appellent méthode inverse des fluxions. Voyez FLUXIONS.

Le calcul intégral a deux parties, l'intégration des quantités différentielles qui n'ont qu'une variable, & l'intégration des différentielles qui renferment plusieurs variables. On n'attend point de nous que nous entrions ici dans aucun détail sur ce sujet ; puisque ce ne sera jamais dans un ouvrage tel que celui-ci que ceux qui voudront s'instruire du calcul intégral en iront chercher les regles. Nous nous contenterons d'indiquer les livres que nous jugeons les meilleurs sur cette matiere, dans l'ordre à-peu-près dans lequel il faut les lire.

On commencera par les leçons de M. Jean Bernoulli sur le calcul intégral, imprimées en 1744, à Lausanne, dans le Tom. II. du recueil de ses oeuvres. On continuera ensuite par la seconde partie du Tom. II. du traité anglois des fluxions de M. Maclaurin. Après quoi on pourra lire la quadrature des courbes de M. Newton, & ensuite le traité de M. Cotes, intitulé Harmonia mensurarum, imprimé à Londres en 1716. On trouvera dans les actes de Leipsic de 1718, 1719, &c. & dans le Tom. VI. des mem. de l'acad. de Pétersbourg, des memoires de Mrs Bernoulli & Herman, qui faciliteront beaucoup l'intelligence de ce dernier traité. On peut aussi avoir recours à l'ouvrage de Dom Walmesley, qui a pour titre, analyse des rapports, &c. & qui est comme un commentaire de l'ouvrage de M. Cotes. Dans ces ouvrages on ne pourra guere s'instruire que de la partie du calcul intégral, qui enseigne à intégrer ou a réduire à des quadratures les quantités qui ne renferment qu'une seule variable. Tout ce que nous avons sur la seconde partie, c'est-à-dire, sur l'intégration des différentielles à plusieurs variables, ne consiste qu'en des morceaux séparés, dont les principaux se trouvent épars dans le recueil des oeuvres de M. Bernoulli, & dans les memoires des académies des Sciences de Paris, de Berlin & de Pétersbourg. M. Fontaine de l'académie royale des Sciences, a composé sur cette matiere un excellent ouvrage qui n'est encore que manuscrit, & qui est rempli des recherches les plus belles, les plus neuves & les plus profondes. C'est le témoignage qu'en a porté l'académie dont il est membre. Voyez l'histoire de cette académie 1742.

Au reste sans avoir recours aux différens écrits dont nous avons fait mention plus haut, on peut s'instruire à fond du calcul intégral dans l'ouvrage que M. de Bougainville le jeune a publié sur cette matiere en deux volumes in-4°. Il y a recueilli avec soin tout ce qui étoit épars dans les différens ouvrages dont nous avons parlé ; il a expliqué ce qui avoit besoin de l'être, & a réuni le tout en un seul corps d'ouvrage qui doit faciliter beaucoup l'étude de cette partie importante des Mathématiques. Mademoiselle Agnesi, savante mathématicienne de Milan, avoit aussi déjà recueilli les regles de calcul intégral dans un ouvrage italien, intitulé institutioni analitiche, &c. mais l'ouvrage de M. de Bougainville est encore plus complet. (O).

INTEGRALE, s. f. (Géom. trans.) on appelle ainsi la quantité finie & variable, dont une quantité différentielle proposée est la différence. Ainsi l'intégrale de d x est x, celle de m x(m - 1) d x est xm. Voyez DIFFERENTIEL & INTEGRAL. (O).


INTEGRANTadj. (Phys.) se dit des parties qui entrent dans la composition d'un tout. Elles different des parties essentielles en ce que les parties essentielles sont absolument nécessaires à la composition du tout, ensorte qu'on n'en peut ôter une sans que le tout change de nature, au lieu que les parties intégrantes ne sont nécessaires que pour la totalité, & pour ainsi dire le complément du tout. C'est ce qu'on entendra facilement par cet exemple : le bras n'est qu'une partie intégrante de l'homme ; le corps & l'ame en sont des parties essentielles. (O)


INTEGREINTEGRITé, (Gram. & Morale) la pratique de la justice dans toute son étendue & dans toute sa rigueur la plus scrupuleuse mérite à l'homme le titre d'integre. Voyez JUSTICE. C'est la qualité principale d'un juge, d'un arbitre, d'un souverain. C'est dans le sacrifice de ses propres intérêts qu'on montre sur-tout son intégrité. L'intégrité suppose une connoissance délicate des limites du juste & de l'injuste ; & ces limites sont quelquefois bien déliées, bien obscurcies. Si on rapportoit à la notion du juste ou de l'injuste toutes les actions de la vie, & si l'on réduisoit, comme il est possible, toutes les vertus à la justice, il n'y auroit pas un homme qu'on pût appeller integre.

Les mots integre & intégrité ont encore quelques acceptions. Un ouvrage n'a pas son intégrité lorsqu'il n'est pas achevé. Les Juifs prétendent observer aujourd'hui même leur religion dans toute son intégrité. Quelques précautions que l'on p renne pour conserver les substances naturelles dans leur intégrité, on y réussit difficilement ; & un cabinet d'histoire naturelle seroit moins durable, & ne l'emporteroit guere en utilité sur un recueil de desseins peints par d'habiles maîtres. La matiere & l a forme sont requises à l'intégrité du sacrement. Que sert à une vierge d'avoir conservé l'intégrité de son corps, si elle a négligé l'intégrité de son am e ? Ces exemples suffisent pour fixer l'acception des mots integre & intégrité.


INTÉGRERv. act. (Géom. transc.) c'est trouver l'intégrale d'une quantité différentielle proposée. (O).


INTELLECTS. m. (Gramm. & Philosoph.) c'est l'ame en tant qu'elle conçoit ; de même que la volonté est l'ame, en tant qu'elle a le desir ou l'aversion. Si une substance est capable de sensation, elle entendra, elle aura des idées. L'expérience lui apprendra ensuite à lier ces idées, à raisonner, à aimer, à haïr, à vouloir. L'intellect est commun à l'homme & à la bête ; la volonté aussi. L'intellect de la bête est borné, celui de l'homme ne l'est pas. La bête ne veut pas librement ; l'homme veut librement. L'homme est plus raisonnable ; l'animal est plus sensible. Lorsque l'homme ne sent pas, il peut refléchir ; lorsque la bête ne sent pas, elle ne peut refléchir, elle dort.


INTELLECTUELadj. (Gramm.) qui appartient à l'intellect, à l'entendement. Les objets sont intellectuels ou sensibles. On comprend sous la classe d'intellectuels tout ce qui se passe au dedans de nous ; & sous la classe de sensibles, tout ce qui se passe au dehors. Il y a entre les objets sensibles & les objets intellectuels, la différence de la cause & de l'effet.

On dit cependant intellectuel dans un sens opposé à matériel. Ainsi les anges sont des substances intellectuelles ; l'ame est un être intellectuel. Dans le sommeil, dans l'extase, dans le transport des passions, les puissances intellectuelles sont suspendues ; elles sont exaltées dans l'enthousiasme. Dans la contemplation des vérités purement abstraites, les puissances intellectuelles sont seules en action ; elles agissent en concurrence avec les puissances sensibles, dans la contemplation des choses morales. On conçoit dans le premier cas ; on aime ou l'on hait, en même tems que l'on conçoit, dans le second. C'est la raison pour laquelle il est plus doux de s'occuper de certains objets ; & lorsqu'on dit que certaines vérités sont plus intéressantes, soit à rechercher, soit à méditer que d'autres ; c'est que le coeur ou les organes intérieurs du desir & de l'aversion sont agités, dans le même tems que l'esprit s'en occupe. On refléchit, & l'on jouir. La situation la plus douce est celle qui résulte de l'action combinée de l'entendement, du coeur, & des organes destinés à la satisfaction des desirs ; & il n'y a guere que l'amour capable de nous procurer cet enchantement où tant de causes agissent d'intelligence.


INTELLIGENCES. f. (Gramm.) ce mot a un grand nombre d'acceptions différentes, que nous allons déterminer par autant d'exemples.

On dit cet homme est doué d'une intelligence peu commune, lorsqu'il saisit avec facilité les choses les plus difficiles.

Les rapports infinis qu'on observe dans l'harmonie générale des choses, annoncent une intelligence infinie.

Milton nous peint l'Eternel descendant dans la nuit, accompagné d'une foule d'intelligences célestes.

Un mauvais commentateur obscurcit quelquefois un passage, au lieu d'en donner l'intelligence.

Un pere de famille s'occupera particulierement à entretenir la bonne intelligence entre ses enfans.

Un grand politique se ménage dans toutes les cours des intelligences. Il en avoit dans cette place, lorsqu'il forma le dessein de l'attaquer.

Comment ne pas succomber, lorsque le coeur & l'esprit sont d'intelligence ?

Sans intelligence, comment saisir les principes ?

D'intelligence, on a fait intelligent, intelligible ; & l'on a distingué deux mondes, le monde réel & le monde intelligible, ou l'idée du monde réel.


INTEMELIUMS. m. (Hist. anc.) endroit de la viij région qui nous est tout-à-fait inconnu. Ce mot se trouve dans Tite-Live ; mais au lieu d'intemelio, il y en a qui lisent indemelio.


INTEMPÉRANCES. f. (Morale) terme générique qui se prend pour tout excès opposé à la modération dans les appétits sensuels, & spécialement pour le vice contraire à la sobriété. Voyez SOBRIETE.

C'est assez de dire ici que l'intempérance prise en ce sens, change en poison les alimens destinés à conserver nos jours. Une vie sobre, réglée, simple & laborieuse, retient seule dans les membres de l'homme la force de la jeunesse qui, sans cette conduite, est toujours prête à s'envoler sur les aîles du tems. L'art de faire subsister ensemble l'intempérance & la santé, est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l'Astrologie judiciaire & tant d'autres. Enfin les remedes de la Medecine pour la guérison des maladies qui naissent de l'intempérance, ne sont eux-mêmes que de nouveaux maux, qui affoiblissent la nature, comme plusieurs batailles gagnées ruinent une puissance belligérante.

L'appétit desordonné des plaisirs de l'amour, autre source de langueur & de dépopulation dans les états, s'appelle impudicité, incontinence. Voyez INCONTINENCE. (D.J.)

INTEMPERANCE, (Medecine) ce mot est employé quelquefois par les Medecins comme par les Moralistes, pour exprimer l'habitude d'user avec excès d'une ou de plusieurs des choses non naturelles. Voyez NON NATURELLES (CHOSES.) Mais il est pris beaucoup plus communément par les uns comme par les autres dans un sens moins général : il signifie selon son acception la plus ordinaire, un excès habituel dans l'usage du boire & du manger.

Cette erreur de régime est directement opposée à la tempérance ou à la sobriété. Voyez TEMPERANCE, SOBRIETE.

L'intempérance est regardée avec raison par les Medecins comme la source la plus féconde des maladies de toute espece ; cependant Hippocrate & Sanctorius, qui sont parmi les medecins anciens & modernes, ceux qui nous ont donné les observations & les loix diététiques les plus exactes, ne desapprouvent point, prescrivent même que les personnes qui jouissent d'une bonne santé se livrent de tems-en-tems à quelques excès de débauche ; ils prétendent qu'on détermine utilement par ce secours des évacuations qui ramenent le corps à un état d'équilibre, de légéreté, de liberté qu'il perd peu-à-peu, lorsqu'on mene une vie trop uniforme ; mais outre que cette loi ne paroît pas fondée sur des observations suffisantes ; des excès rares ne constituent pas l'intempérance Voyez REGIME. (b)


INTEMPÉRIES. f. (Gram.) il ne se dit que de la mer, de l'air, du climat, des saisons, & des humeurs.

Il y a intempérie dans l'air, lorsqu'il est trop froid ou trop chaud, relativement à la saison. Voyez AIR, ATMOSPHERE.

Dans la mer, lorsque son agitation en rend la navigation périlleuse. Voyez MER.

Dans un climat, lorsque les habitans en sont fatigués. Voyez ÉLEMENT.

Dans les humeurs, lorsqu'il s'y excite un mouvement contraire à l'état de santé.

Dans les saisons, lorsqu'elles sont plus chaudes ou plus froides qu'on n'a coutume de les éprouver sous le climat.

A proprement parler, il n'y a point d'intempérie dans la nature ; mais l'homme a imaginé ce terme, & une infinité d'autres, d'après l'habitude où il est de se prendre pour la mesure & le terme de tout, & de louer ou blâmer les causes & les effets, selon qu'ils lui sont favorables ou contraires.

Si l'ordre des choses est nécessaire, il n'est ni mal ni bien ; & il est nécessaire, s'il est ou d'après les qualités essentielles des choses, ou d'après les desseins d'un être immuable, parfait, & un en tout.

INTEMPERIE, (Pathologie) ce mot signifie dans la doctrine des Galénistes un excès dans quelqu'une des qualités premieres du corps animal ; savoir, la chaleur, la froideur, la sécheresse, & l'humidité. Voyez QUALITES (Medecine).

L'intempérie est simple ou composée, générale ou particuliere, avec matiere ou sans matiere.

L'intempérie simple est l'excès d'une seule qualité : on en reconnoît par conséquent autant que de qualités premieres, c'est-à-dire quatre ; une intempérie chaude, une intempérie froide, une intempérie seche, & une intempérie humide. Les modernes expriment les mêmes vices dans l'économie animale par les mots plus génériques, plus vagues, & par conséquent moins théoriques, moins arbitraires de chaleur contre nature. Voyez ces articles, FROID, SECHERESSE, HUMIDITE.

Les intempéries composées sont produites par l'excès simultané de deux qualités compatibles. On en reconnoît aussi quatre dans la même doctrine : l'intempérie chaude & seche, l'intempérie chaude & humide, l'intempérie froide & seche, l'intempérie froide & humide.

L'intempérie générale est celle qui réside également dans tout le corps ; & l'intempérie particuliere, celle qui domine dans une partie, ou même qui n'affecte absolument qu'une partie. Ainsi certaines affections contre nature du cerveau, du foie, des membres, &c. sont appellées intempéries chaudes, froides du cerveau, du foie, des membres, &c. L'intempérie générale est aussi quelquefois appellée égale, & l'intempérie particuliere, inégale.

L'intempérie avec matiere, est celle qui est accompagnée de la surabondance de quelque humeur, & qui est entretenue par cette humeur : l'intempérie sans matiere, est celle qui ne dépend d'aucune cause humorale. L'excès de chaleur dû, par exemple, à la longue application d'une chaleur extérieure, ou à un exercice violent, est une intempérie chaude sans matiere.

Le tempérament constitué par l'excès d'une ou de deux qualités premieres, differe de l'intempérie analogue ou respective, en ce que le premier excès subsiste avec la santé, ou pour mieux dire, est une espece de santé ; au lieu que le second établit un état contre nature ou de maladie. Voyez TEMPERAMENT.

Toute cette doctrine des intempéries a été abandonnée avec raison : elle ne porte que sur des notions théoriques, non-seulement gratuites & frivoles, mais même très-propres à détourner la vûe du praticien de la considération des vices plus réels qui constituent la vraie essence des maladies. Voyez QUALITES & MALADIES, Medecine. (b)

INTEMPERIE DE L'AIR, (Medecine) on se sert quelquefois de ce mot dans le langage ordinaire de la Medecine, pour désigner un vice quelconque de l'atmosphere considéré comme cause de maladie. Voyez l'article AIR, page 233. colonne 1. & suiv. & l'art. ATMOSPHERE, pag. 820. colonne 1. & suiv. (b)


INTENDANTS. m. (Hist. mod.) homme préposé à l'inspection, à la conduite, & à la direction de quelques affaires qui forment son district.

Il y en a en France de plusieurs sortes. Voyez les articles suivans.

INTENDANS & COMMISSAIRES départis pour S. M. dans les provinces & généralités du royaume ; ce sont des magistrats que le roi envoie dans les différentes parties de son royaume, pour y veiller à tout ce qui peut intéresser l'administration de la justice, de la police, & de la finance ; leur objet est, en général, le maintien du bon ordre dans les provinces qui forment leur département, ou ce qu'on appelle généralités, & l'exécution des commissions dont ils sont chargés par S. M. ou par son conseil. C'est de-là qu'ils ont le titre d'intendans de justice, police, & finance, & commissaires départis dans les généralités du royaume, pour l'exécution des ordres de S. M.

Ce qu'on appelle généralités, est la division qui a été faite de toutes les provinces du royaume, en 31 départemens, qui forment autant d'intendances, & n'ont aucuns rapports avec la division du royaume en gouvernemens ou en parlemens. Outre ces 31 intendans, il y en a encore six dans les colonies françoises.

L'intendant fait le plus ordinairement son séjour dans la ville principale de son département ; mais il fait au-moins une fois l'année, une tournée dans les villes & autres lieux de ce département, qui est aussi divisé en élections, ou autres siéges qui connoissent des impositions. M. Colbert avoit réglé qu'ils feroient deux tournées par an ; l'une dans toute la généralité, l'autre dans une des élections, dont ils rendroient compte en détail au contrôleur général ; en sorte qu'au bout d'un certain nombre d'années, ils prenoient une connoissance détaillée, & rendoient compte de chaque élection, & par conséquent de toutes les villes, & villages, & autres lieux qui composoient leur généralité.

Les intendans sont presque toûjours choisis parmi les maîtres des requêtes ; cependant il y a eu quelquefois des officiers des cours qui ont rempli cette fonction, comme actuellement les intendans de Bretagne & de Roussillon ; elles ont aussi été réunies d'autres fois à des places de premier président. Actuellement les intendances d'Aix & de Roussillon, sont remplies par les premiers présidens du parlement de Provence, & du conseil supérieur de Roussillon.

Sous la premiere & la seconde race, le roi envoyoit dans les provinces des commissaires appellés missi dominici, ou missi regales, avec un pouvoir fort étendu, pour réformer tous les abus qui pouvoient se glisser, soit dans l'administration de la justice & de la police, soit dans celle des finances.

On en envoyoit souvent deux ensemble dans chaque province ; par exemple Fardulphus & Stephanus faisoient la fonction d'intendans de Paris en 802, sous le regne de Charlemagne. Cet usage fut conservé par les rois successeurs de Charlemagne pendant plusieurs siecles ; ils continuerent d'envoyer dans chaque province deux intendans ; & dans les cas extraordinaires, on envoyoit un plus grand nombre de commissaires.

Une ordonnance de Charlemagne de 812 porte, que les commissaires qui sont envoyés par le roi dans les provinces, pour en corriger les abus, tiendront les audiences avec les comtes, en hiver, au mois de Janvier ; au printems, en Avril ; en été, au mois de Juillet ; & en automne, au mois d'Octobre.

Louis-le-Débonnaire ordonna en 819, que les commissaires par lui envoyés dans les provinces, ne feroient pas de long séjour, ni aucune assemblée dans les lieux où ils trouveroient que la justice seroit bien administrée par les comtes.

Ce même prince en 829 enjoignit à ces commissaires d'avertir les comtes & le peuple que S. M. donneroit audience un jour toutes les semaines, pour entendre & juger les causes de ses sujets, dont les commissaires ou les comtes n'auroient voulu faire justice, exhortant aussi ces mêmes commissaires ou les comtes, s'ils vouloient mériter l'honneur de ses bonnes graces, d'apporter un fort grand soin, que par leur négligence les pauvres ne souffrissent quelque préjudice, & que S. M. n'en reçût aucune plainte.

Vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme, tems où les fiefs & les justices seigneuriales furent établies, les rois envoyerent aussi dans les provinces des commissaires choisis dans leur conseil, pour y maintenir leur autorité, connoître des cas royaux, & protéger le peuple, recevoir les plaintes que l'on avoit à faire contre les seigneurs ou leurs officiers. Ces plaintes se devoient juger sommairement, si faire se pouvoit, sinon être renvoyées aux grandes assises du roi. Les seigneurs se plaignirent de cette inspection, qui les rappelloit à leur devoir, & contestoit leurs officiers ; on cessa quelque tems d'en envoyer, & nos rois se contenterent d'en fixer quatre ordinaires sous le titre de baillifs, qui étoient les quatre grands baillifs royaux. Saint Louis & ses successeurs envoyerent néanmoins des enquêteurs, pour éclairer la conduite de ces quatre grands baillifs eux-mêmes, & des autres officiers. En Normandie, on devoit en envoyer tous les trois ans : on les appelloit aussi commissaires du roi ; ils devoient aller prendre leurs lettres à la chambre des comptes, qui leur donnoit les instructions nécessaires, & taxoit leurs gages. Mais ces commissaires n'avoient pas chacun à eux seuls le département d'une province entiere, comme ont aujourd'hui les intendans.

Il y avoit dans une même province autant de commissaires qu'il y avoit d'objets différens que l'on mettoit en commission, pour la justice, pour les finances, pour les monnoies, pour les vivres, pour les aides, &c. mais il ne devoit point y avoir de commissaires pour la levée des revenus ordinaires du roi. Chacune de ces différentes commissions étoit donnée, soit à une seule personne ou à plusieurs ensemble, pour l'exercer conjointement.

Ceux qui étoient chargés de l'administration de quelque portion de finance, rendoient compte à la chambre des comptes, aussi-tôt que leur commission étoit finie ; & elle ne devoit pas durer plus d'un an ; si elle duroit davantage, ils rendoient compte à la fin de chaque année : il leur étoit défendu de recevoir ni argent, ni autre rétribution pour leurs sceaux.

Les commissaires avoient quelquefois le titre de réformateurs généraux ; & dans ce cas la commission étoit ordinairement remplie par des prélats & des barons ; c'est pourquoi l'ordonnance de Charles IV. du mois de Novembre 1323, taxe les gages que devoient prendre ceux qui étoient chargés de commissions pour le service du roi.

Les maîtres des requêtes auxquels les commissions d'intendans de province ont depuis été en quelque sorte affectées, étoient dejà institués ; mais ils étoient d'abord en très-petit nombre, & ne servoient qu'auprès du roi.

Dans la suite, la moitié alloit faire des visites dans les provinces, & l'autre restoit auprès du roi. Ceux qui avoient été dans les provinces revenoient rendre compte au roi & à son chancelier des observations qu'ils y avoient faites pour le service de Sa Majesté, & le bien de ses peuples ; ils proposoient aussi au parlement ce qui devoit y être réglé, & y avoient entrée & séance.

Les ordonnances d'Orléans & de Moulins leur enjoignirent de faire tous les ans des chevauchées. L'ordonnance de 1629 renouvelle cette disposition ; mais ces tournées n'étoient que passageres, & ils ne résidoient point dans les provinces.

Ce fut Henri II. qui en 1551, établit les intendans de province, sous le titre de commissaires départis pour l'exécution des ordres du roi.

En 1635 Louis XIII. leur donna celui d'intendant du militaire, justice, police & finance.

L'établissement des intendans éprouva d'abord plusieurs difficultés. Sous la minorité de Louis XIV. la levée de quelques nouveaux impôts dont ils furent chargés, ayant excité des plaintes de la part des cours assemblées à Paris, elles arrêterent en 1648, que le roi seroit supplié de révoquer les commissions d'intendans ; & par une déclaration du 15 Juillet suivant, elles le furent pour quelques provinces seulement, dans d'autres elles furent limitées à certains objets, mais elles furent ensuite rétablies ; elles ne l'ont été cependant en Béarn qu'en 1682, & en Bretagne qu'en 1689.

La fonction d'un intendant ne concerne en général, que ce qui a rapport à l'administration. Il a une inspection générale sur tout ce qui peut intéresser le service du roi, & le bien de ses peuples. Il doit veiller à ce que la justice leur soit rendue, à ce que les impositions soient bien reparties, à la culture des terres, à l'augmentation du commerce, à l'entretien des chemins, des ponts & des édifices publics ; en un mot à faire concourir toutes les parties de son département au bien de l'état, & informer le ministre de tout ce qu'il peut y avoir à améliorer ou à reformer dans sa généralité.

Les intendans sont souvent consultés par les ministres sur des affaires qui s'élevent dans leur département, & ils leur envoient les éclaircissemens & les observations dont ils ont besoin pour les terminer.

Quelquefois ils sont commis par des arrêts du conseil pour entendre les parties, dresser procès-verbal de leurs prétentions, & donner leur avis sur des affaires qu'il seroit trop long & trop dispendieux d'instruire à la suite du conseil. Quelquefois même, quoique plus rarement, ils sont commis par arrêt pour faire des procédures & rendre des jugemens, avec un nombre d'officiers ou de gradués, même en dernier ressort ; mais leur objet est plutôt de faire rendre la justice par ceux qui y sont destinés, que de juger les affaires des particuliers.

Une de leurs principales fonctions, est le département des tailles dans les pays où elle est personnelle. Ils font aussi les taxes d'office, & ils peuvent nommer d'office des commissaires pour l'assiette de la taille.

Les communautés ne peuvent intenter aucune action, sans y être autorisés par leur ordonnance.

Ils font les cottisations ou répartitions sur les possesseurs des fonds, pour les réparations des églises & des presbyteres ; mais s'il survient à cette occasion des questions qui donnent lieu à une affaire contentieuse, ils sont obligés de la renvoyer aux juges ordinaires.

On leur expédie des commissions du grand sceau, qui contiennent tous leurs pouvoirs. Autrefois elles étoient enregistrées dans les parlemens, & alors c'étoit les parlemens qui connoissoient de l'appel de leurs ordonnances ; mais l'usage ayant changé, l'appel des ordonnances & jugemens des intendans se porte au conseil, & y est instruit & jugé, soit au conseil des parties, soit en la direction des finances, soit au conseil royal des finances, selon la nature de l'affaire.

Mais comme ces ordonnances ne concernent ordinairement que des objets de police, elles sont de droit exécutoires par provision, & nonobstant l'appel, à-moins que le conseil n'ait jugé à propos d'accorder des défenses ; ce qu'il ne fait que rarement & en connoissance de cause.

Les intendans nomment des subdélégués dans les différentes parties de leur généralité ; ils les chargent le plus souvent de la discussion & instruction des affaires sur lesquelles ils font des procès-verbaux, & donnent des ordonnances pour faire venir devant eux les personnes intéressées, ou pour autres objets semblables.

Mais leurs ordonnances ne sont réputées que des avis à l'intendant ; & si les parties ont à s'en plaindre, elles ne se peuvent adresser qu'à lui. Il n'est permis de se pourvoir par appel, que contre celles que l'intendant rend sur ces procès-verbaux de ses subdélégués ; il n'y a que les ordonnances d'un subdélégué général, dont l'appel puisse être reçu au conseil, parce qu'il a une commission du grand sceau, qui l'autorise à remplir toutes les fonctions de l'intendant ; mais ces commissions ne se donnent que quand l'intendant est hors d'état de vaquer à ses fonctions par lui-même, comme en tems de guerre, lorsqu'il est obligé de suivre les armées en qualité d'intendant d'armée. (A)

L'autorité des intendans est, comme on le voit, très-étendue dans les pays d'élection, puisqu'ils y décident seuls de la répartition des impôts, de la quantité & du moment des corvées, des nouveaux établissemens de commerce, de la distribution des troupes dans les différens endroits de la province, du prix & de la répartition des fourrages accordés aux gens de guerre ; qu'enfin c'est par leur ordre & par leur loi que se font les achats des denrées, pour remplir les magasins du roi ; que ce sont eux qui président à la levée des milices, & décident les difficultés qui surviennent à cette occasion ; que c'est par eux que le ministere est instruit de l'état des provinces, de leurs productions, de leurs débouchés, de leurs charges, de leurs pertes, de leurs ressources, &c. qu'enfin sous le nom d'intendans de justice, police & finances, ils embrassent presque toutes les parties d'administration.

Les états provinciaux sont le meilleur remede aux inconveniens d'une grande monarchie ; ils sont même de l'essence de la monarchie, qui veut non des pouvoirs, mais des corps intermédiaires entre le prince & le peuple. Les états provinciaux font pour le prince une partie de ce que feroient les préposés du prince ; & s'ils sont à la place du préposé, ils ne veulent ni ne peuvent se mettre à celle du prince ; c'est tout au plus ce que l'on pourroit craindre des états généraux.

Le prince peut avoir la connoissance de l'ordre général, des lois fondamentales, de sa situation par rapport à l'étranger, des droits de sa nation, &c.

Mais sans le secours des états provinciaux, il ne peut jamais savoir quelles sont les richesses, les forces, les ressources ; ce qu'il peut, ce qu'il doit lever de troupes, d'impôts, &c.

En France l'autorité du roi n'est nulle part plus respectée que dans les pays d'états ; c'est dans leurs augustes assemblées où elle paroît dans toute sa splendeur. C'est le roi qui convoque & révoque ces assemblées ; il en nomme le président, il peut en exclure qui bon lui semble : il est présent par ses commissaires. On n'y fait jamais entrer en question les bornes de l'autorité ; on ne balance que sur le choix des moyens d'obéir, & ce sont les plus promts que d'ordinaire on choisit. Si la province se trouve hors d'état de payer les charges qu'on lui impose, elle se borne à des représentations, qui ne sont jamais que l'exposition de leur subvention présente, de leurs efforts passés, de leurs besoins actuels, de leurs moyens, de leur zele & de leur respect. Soit que le roi persévere dans sa volonté, soit qu'il la change, tout obéit. L'approbation que les notables qui composent ces états, donnent aux demandes du prince, sert à persuader aux peuples qu'elles étoient justes & nécessaires ; ils sont intéressés à faire obéir le peuple promtement : on donne plus que dans les pays d'élection, mais on donne librement, volontairement, avec zele, & on est content.

Dans les pays éclairés par la continuelle discussion des affaires, la taille sur les biens s'est établie sans difficulté ; on n'y connoît plus les barbaries & les injustices de la taille personnelle. On n'y voit point un collecteur suivi d'huissiers ou de soldats, épier s'il pourra découvrir & faire vendre quelques lambeaux qui restent au misérable pour couvrir ses enfans, & qui sont à peine échappés aux exécutions de l'année précédente. On n'y voit point cette multitude d'hommes de finance qui absorbe une partie des impôts & tyrannise le peuple. Il n'y a qu'un trésorier général pour toute la province ; ce sont les officiers préposés par les états ou les officiers municipaux qui, sans frais, se chargent de la régie.

Les trésoriers particuliers des bourgs & des villages ont des gages modiques ; ce sont eux qui perçoivent la taille dont ils répondent ; comme elle est sur les fonds, s'il y a des délais, ils ne risquent point de perdre leurs avances, ils les recouvrent sans frais ; les délais sont rares, & les recouvremens presque toujours promts.

On ne voit point dans les pays d'états trois cent collecteurs, baillis ou maires d'une seule province, gémir une année entiere & plusieurs mourir dans les prisons, pour n'avoir point apporté la taille de leurs villages qu'on a rendus insolvables. On n'y voit point charger de 7000 liv. d'impôts un village, dont le territoire produit 4000 livres. Le laboureur ne craint point de jouir de son travail, & de paroître augmenter son aisance ; il sait que ce qu'il payera de plus sera exactement proportionné à ce qu'il aura acquis. Il n'a point à corrompre ou à fléchir un collecteur ; il n'a point à plaider à une élection de l'élection, devant l'intendant de l'intendant au conseil.

Le roi ne supporte point les pertes dans les pays d'états, la province fournit toujours exactement la somme qu'on a exigée d'elle ; & les répartitions faites avec equité, toujours sur la proportion des fonds, n'accable point un laboureur aisé, pour soulager le malheureux que pourtant on indemnise.

Quant aux travaux publics, les ingénieurs, les entrepreneurs, les pionniers, les fonds enlevés aux particuliers, tout se paye exactement & se leve sans frais. On ne construit point de chemins ou de ponts, qui ne soient utiles qu'à quelques particuliers, on n'est point l'esclave d'une éternelle & aveugle avarice.

S'il survient quelques changemens dans la valeur des biens ou dans le commerce, toute la province en est instruite, & on fait dans l'administration les changemens nécessaires.

Les ordres des états s'éclairent mutuellement, aucun n'ayant d'autorité, ne peut opprimer l'autre ; tous discutent, & le roi ordonne. Il se forme dans ces assemblées des hommes capables d'affaires ; c'est en faisant élire les consuls d'Aix, & exposant à l'assemblée les intérêts de la Provence, que le cardinal de Janson étoit devenu un célebre négociateur.

On ne traverse point le royaume sans s'appercevoir de l'excellente administration des états, & de la funeste administration des pays d'élection. Il n'est pas nécessaire de faire de questions ; il ne faut que voir les habitans des campagnes, pour savoir si on est en pays d'état, ou en pays d'élection ; de quelle ressource infinie ces pays d'états ne sont-ils pas pour le royaume !

Comparez ce que le roi tire de la Normandie, & ce qu'il tire du Languedoc, ces provinces sont de même étendue, les sables & l'aridité de la derniere envoient plus d'argent au trésor royal que les pacages opulens & les fertiles campagnes de la premiere. Que seroit-ce que ces pays d'états, si les domaines du roy y étoient affermés & mis en valeur par les états mêmes ? C'étoit le projet du feu duc de Bourgogne ; & à ce projet il en ajoutoit un plus grand, celui de mettre tout le royaume en provinces d'état.

Si le royaume a des besoins imprévus, subits, & auxquels il faille un promt remede, c'est des pays d'état que le prince doit l'attendre. La Bretagne, malgré ses landes & son peu d'étendue, donna dans la derniere guerre un tiers de subsides de plus que la vaste & riche Normandie. La Provence, pays stérile, donna le double du Dauphiné, pays abondant en toutes sortes de genre de production.

La Provence, dévastée par les armées ennemies, surchargée du fardeau de la guerre, propose de lever & d'entretenir une armée de trente mille hommes à ses dépens. Le Languedoc envoye deux mille mulets au prince de Conti pour le mettre en état de profiter de ses victoires & du passage des Alpes.

Ce que je dis est connu de tout le monde, & chez l'étranger nos provinces d'état ont la réputation d'opulence ; elles ont plus de crédit que le gouvernement ; elles en ont plus que le roi lui-même.

Souvenons-nous que Gènes, dans la derniere guerre, ne voulut prêter au roi que sous le cautionnement du Languedoc.

Il y a des intendans dans ces provinces, il est à desirer qu'ils n'y soient jamais que des hommes qui y veillent pour le prince ; il est à desirer qu'ils n'y étendent jamais leur autorité, & qu'on la modere beaucoup dans les pays d'élection.

INTENDANS DU COMMERCE ; ce sont des magistrats établis en titre d'office pour s'appliquer aux affaires de commerce, & qui ont entrée & séance au conseil royal du Commerce, où ils font le rapport des mémoires, demandes, propositions & affaires qui leur sont renvoyées chacun dans leur département, & pour rendre compte des délibérations qui y ont été prises au contrôleur général des finances, ou au secrétaire d'état ayant le département de la marine, suivant la nature des affaires, lorsque leurs emplois ne leur ont pas permis d'y assister.

Toutes les nations policées ont reconnu la nécessité d'établir des officiers qui eussent une inspection sur le commerce, tant pour en perfectionner les différentes parties & le rendre plus florissant, que pour prévenir les inconvéniens qui peuvent se présenter, réprimer les abus & y faire régner la bonne foi, qui en doit être l'ame. On ne voit pas néanmoins qu'il y eût anciennement des officiers établis particulierement pour avoir inspection sur tout le commerce intérieur & extérieur d'une nation ; cette inspection générale étoit réservée uniquement à ceux qui avoient part au gouvernement général de l'état ; il y avoit seulement dans chaque ville quelques personnes chargées de la police, & en même-tems de veiller sur le commerce, comme étant un des principaux objets de la police.

Chez les Hébreux, dans chaque quartier de Jérusalem, il y avoit deux préfets ou intendans qui, sous l'autorité des premiers magistrats, tenoient la main à l'exécution des lois, au bon ordre & à la discipline publique. Ils avoient l'inspection sur les vivres & sur toutes les autres provisions dont le peuple avoit besoin, tant pour sa subsistance que pour son commerce. " Les Hébreux, dit Arianus lib. I. ont des préfets ou intendans des quartiers de leurs villes, qui ont inspection sur tout ce qui s'y passe ; la police du pain, celle des autres vivres & du commerce est aussi de leurs soins ; ils reglent eux-mêmes les petits différends qui s'y présentent, & des autres ils en réferent au magistrat ".

La ville d'Athènes avoit aussi des officiers appellés , c'est-à-dire, conservateurs des vivres, des marchés & du commerce. Leur emploi étoit de procurer l'abondance de toutes les choses nécessaires à la vie, d'entretenir la perfection des arts & la bonne foi dans le commerce, tant de la part des vendeurs, que de celle des acheteurs, auxquels la fraude & le mensonge étoient entr'autres défendus sous de très-grosses peines. Ils tenoient aussi la main à l'exécution des lois dans les tems de stérilité ; faisoient ouvrir en ces occasions les magasins, & ne permettoient pas à chaque citoyen de garder en sa maison une plus grande quantité de vivres qu'il n'étoit nécessaire pour l'entretien de sa famille pendant un an. Platon & Théophraste, en leurs traités de leg. Aristote, Denis d'Halicarnasse, Démosthènes, Hypérides, Plaute, Ulpien, Postel, Polybe & Harpocrate font mention de ces officiers en divers endroits de leurs ouvrages.

Chez les Romains les Préteurs avoient d'abord seuls toute inspection sur le commerce. On institua dans la suite deux Préteurs particuliers pour la police des vivres. Jules César établit aussi deux édiles, qui furent surnommés ceréales, parce que sous l'autorité du Préteur ils veilloient à la police des vivres, dont le pain est le plus nécessaire. Ils prenoient soin de l'achat des blés que l'on faisoit venir d'Afrique pour distribuer au peuple, de la voiture de ces blés, de leur dépôt dans les greniers, & de la distribution qui s'en faisoit au peuple. Auguste, après avoir réformé le nombre excessif des Préteurs & des édiles, établit au-dessus des Préteurs un magistrat, qui fut appellé praefectus urbis, le préfet de la ville. Il étoit seul chargé de toute la police & du soin de tout ce qui concernoit le bien public & l'utilité commune des citoyens. Il mettoit le prix à la viande, faisoit les réglemens des marchés & de la vente des bestiaux ; il prenoit aussi le soin que la ville fût suffisamment pourvûe de blé & de toutes les autres provisions nécessaires à la subsistance des citoyens. Il avoit l'inspection sur tout le commerce, pour le faciliter, le permettre ou l'interdire ; le droit d'établir des marchés ou de les supprimer pour un tems ou pour toujours, ainsi qu'il jugeoit à-propos pour le bien public. Il faisoit les réglemens pour les poids & les mesures, & punir ceux qui étoient convaincus d'y avoir commis quelque fraude. Les arts libéraux, & en général tous les corps de métier étoient soumis à sa jurisdiction pour tout ce qui concernoit leurs professions.

Quelque tems après, Auguste voulant soulager le préfet de la ville, qui étoit surchargé de différentes affaires, établit sous lui un préfet particulier, appellé praefectus annonae, c'est-à-dire, préfet des vivres. Celui-ci fut choisi dans l'ordre des chevaliers ; il fut chargé du soin de faire venir du blé & de l'huile d'Afrique, & de tirer de ces provinces éloignées ou d'ailleurs toutes les autres provisions nécessaires à la subsistance des citoyens, dans les tems & les saisons convenables. Il donnoit ses ordres pour faire décharger les grains & les autres vivres sur les ports, pour les faire voiturer à Rome, & serrer les blés dans les greniers publics. C'étoit lui qui faisoit distribuer ces grains aux uns à juste prix, aux autres gratuitement, selon les tems & les ordres qui lui étoient donnés par le premier magistrat de police. Il eut aussi l'inspection de la vente du pain, du vin, de la viande, du poisson & des autres vivres ; il fut même dans la suite mis au nombre des magistrats : sa jurisdiction s'étendoit sur tous ceux qui se mêloient du commerce des vivres.

En France, pendant très-long-tems les seules personnes qui eussent inspection sur le commerce, étoient les ministres du roi, les commissaires du roi départis dans les provinces ; & pour la manutention, les officiers de police, les prévôts des marchands & échevins, chacun en ce qui étoit de leur district.

Il fut néanmoins créé par édit du mois d'Octobre 1626, un office de grand-maître, chef & surintendant général de la navigation & commerce de France : le cardinal de Richelieu en fut pourvu. Après sa mort, arrivée en 1642, cette charge fut donnée à Armand de Mailli, marquis de Brezé, & en 1650 à César, duc de Vendôme ; elle fut supprimée par l'édit du 14 Novembre 1661, & depuis ce tems il n'y a point eu de surintendant du commerce.

Il n'y avoit point eu de conseil particulier pour le commerce jusqu'en 1700, que Louis XIV. pensant que rien n'étoit plus propre à faire fleurir & étendre le commerce, que de former un conseil qui fût uniquement attentif à connoître & à procurer tout ce qui pourroit être de plus avantageux au commerce & aux manufactures du royaume, par un édit du 29 Juin 1700 il ordonna qu'il seroit tenu à l'avenir un conseil de commerce une fois au moins dans chaque semaine. Il composa ce conseil de deux conseillers au conseil royal des finances, dont l'un étoit le sieur Chamillart, contrôleur général, un secrétaire d'état & un conseiller d'état, un maître des requêtes & douze des principaux négocians du royaume, ou qui auroient fait long-tems le commerce.

Au mois de Mai 1708 le roi donna un édit par lequel, après avoir rappellé les motifs qui l'avoient engagé à établir un conseil de commerce, & l'avantage que l'état avoit reçu & recevoit tous les jours de cet établissement, il dit que pour le rendre solide & durable, qu'il avoit cru ne pouvoir rien faire de plus convenable que de créer en titre six commissions, dont les premiers choisis entre les maîtres des requêtes de l'hôtel du roi, & engagés par le titre & les fonctions qui y seroient attachées, à s'appliquer aux affaires de commerce, pussent aider à sa majesté à procurer à ses sujets tout le bien qui devoit leur en revenir.

Le roi créa donc par cet édit, & érigea en titre six commissions d'intendans du commerce pour demeurer unies à six offices de maîtres des requêtes, à l'instar & de la même maniere que l'étoient ci-devant les huit commissions de présidens au grand conseil, & pour être exercées par six des maîtres des requêtes qui seroient choisis par sa majesté sous le titre de conseillers en ses conseils, maîtres des requêtes ordinaires de son hôtel, intendans du commerce.

Le roi déclare par le même édit qu'il entend que ceux qui seront pourvus de ces commissions ayent entrée & séance dans le conseil de commerce établi par le réglement du conseil, du 29 Juin 1700, pour y faire le rapport des mémoires, demandes, propositions & affaires qui leur seront renvoyées chacun dans le département qui leur sera distribué ; rendre compte des délibérations qui y auront été prises au contrôleur général des finances, ou au secrétaire d'état ayant le département de la marine, suivant la nature des affaires, lorsque leurs emplois ne leur auront pas permis d'y assister, pour y être pourvu par sa majesté ainsi qu'il appartiendra.

L'édit porte qu'ils seront reçus & installés dans ces fonctions après une simple prestation de serment entre les mains du chancelier, sans qu'ils soient obligés de se faire recevoir aux requêtes de l'hôtel ni ailleurs.

Enfin, le roi permet à ceux qui seront agréés, après avoir exercé les charges de maîtres des requêtes pendant vingt années, & lesdites commissions pendant dix années, de les desunir, & de garder la commission d'intendant du commerce, pour en continuer les fonctions & jouir des gages, appointemens & droits y attribués.

Ces commissions d'intendans du commerce furent supprimées par le Roi à présent régnant lors de son avenement à la couronne, par rapport aux changemens qui furent faits alors dans les différentes parties du gouvernement.

Mais par un édit du mois de Juin 1724, les intendans du commerce ont été rétablis au nombre de quatre. Le Roi déclare que les raisons pour lesquelles ils avoient été supprimés ne subsistant plus, & le bureau du commerce ayant été rétabli à l'instar de celui qui avoit été formé précédemment, il ne restoit plus, pour mettre la derniere main à cet ouvrage, que de rétablir les intendans du commerce, & à les ériger en titre d'office, au nombre de quatre seulement, ce nombre ayant paru nécessaire & suffisant pour remplir les fonctions qui leur sont attribuées.

Le Roi a donc rétabli par cet édit ces quatre offices sous le titre de conseillers en ses conseils, intendans du commerce, pour par les pourvus de ces offices, les exercer aux mêmes fonctions qui étoient attribuées aux intendans du commerce créés par l'édit du mois de Mai 1708, dans lesquelles fonctions il est dit qu'ils seront reçus & installés après la prestation de serment par eux fait en la forme prescrite par l'édit de 1708. Le Roi veut que ces quatre offices soient du corps de son conseil, qu'ils jouissent des mêmes honneurs, prérogatives, priviléges, exemptions, droit de committimus au grand sceau, & franc-salé, dont jouissent les maîtres des requêtes de son hôtel. Il ordonne que les pourvus de ces offices posséderont leurs charges à titre de survivance, ainsi que les autres officiers de son conseil & de ses cours, qui ont été exceptés du rétablissement de l'annuel par la déclaration du 9 Août 1722 ; lequel droit de survivance, ensemble celui du marc d'or dans les cas où ils sont dûs, sera réglé pour lesdits offices sur le même pié qu'il est réglé présentement pour les maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel. Les premiers pourvus de ces offices furent néanmoins dispensés du droit de survivance pour cette premiere fois seulement. Enfin, pour être plus en état de choisir les sujets que sa majesté trouvera les plus propres à remplir ces places, il est dit qu'elles pourront être possédées & exercées sans incompatibilité avec tous autres offices de magistrature. Cet édit fut registré au parlement le 16 des mêmes mois & an.

Les intendans du commerce ont chacun dans leur département un certain nombre de provinces & généralités ; ils ont en outre chacun l'inspection sur quelques objets particuliers du commerce dans toute l'étendue du royaume. Présentement M. de Quincy a les manufactures de bas & autres ouvrages de bonnetterie. M. de Montaran a les manufactures de toiles & toileries. M. Potier, les papeteries & les tanneries. M. Decotte, les manufactures de soie : mais ces départemens sont sujets à changer ainsi qu'il plaît au Roi.

L'intendance générale du commerce intérieur du royaume, & extérieur par terre appartient toujours au contrôleur général des finances.

Le secrétaire d'état qui a le département de la marine, a l'intendance générale du commerce extérieur & maritime, & en conséquence il prend connoissance de tout ce qui concerne les isles françoises de l'Amérique, & en général de tout ce qui regarde l'Amérique ; de la pêche de la morue, du commerce de la méditerranée ; ce qui comprend les échelles du levant & tous les états du grand-seigneur, la Barbarie, les côtes d'Italie & les côtes d'Espagne dans la méditerranée. Il a pareillement inspection sur le commerce avec la Hollande, l'Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande, la Suéde, le Danemarck, Dantzik, la Russie, & autres pays du nord dans la mer baltique. Il a aussi l'intendance de la pêche du hareng, de celle de la morue & de celle de la baleine. (A)

INTENDANS DES FINANCES, (Finance) ce sont eux qui en ont la direction, chacun dans son département. Ils ont été établis par François I. Leurs fonctions se faisoient auparavant par les trésoriers de France. Ils travaillent sous le contrôleur général.

INTENDANS DES BATIMENS, (Histoire mod.) est l'ordonnateur général des bâtimens du roi, des arts & manufactures.

INTENDANS ET CONTROLEURS DE L'ARGENTERIE ET DES REVENUS, (Hist. mod.) ces officiers sont constitués pour toutes les dépenses de la chambre, de la garde-robe, & autres employés sur les états de l'argenterie & des revenus.

Il y a aussi un intendant & contrôleur des meubles de la couronne, un intendant des devises des édifices royaux.

INTENDANT dans une armée, c'est ordinairement en France un maître des requêtes qui remplit l'intendance de la province voisine du lieu où se fait la guerre, que le roi nomme pour veiller à l'observation de la police de l'armée ; c'est-à-dire, au payement des troupes, à la fourniture des vivres & des fourrages, au réglement des contributions, au service des hôpitaux, à l'exécution des ordonnances du roi, &c.

L'intendant doit avoir le secret de la cour comme le général. Il a sous lui un nombre de commissaires des guerres qu'il emploie aux détails particuliers. Il arrête toutes les dépenses ordinaires & extraordinaires de l'armée. Il a son logement de droit au quartier général. L'infanterie lui fournit une garde de dix hommes, commandés par un sergent. Lorsqu'un intendant a toute la capacité que demande son emploi, il est d'un grand secours au général, qui se trouve débarrassé d'une infinité de soins qui ne peuvent que le distraire des projets qu'il peut former contre l'ennemi.

INTENDANT DE MARINE, (Hist. mod.) c'est un officier instruit de tout ce qui concerne la Marine, qui réside dans un port, & qui a soin de faire exécuter les réglemens concernant la Marine, pourvoir à la fourniture des magasins, veiller aux armemens & desarmemens des vaisseaux, faire la revûe des équipages, &c. l'ordonnance de la Marine de 1689, liv. XII. tit. j. regle les fonctions de l'intendant.

INTENDANT DES ARMEES NAVALES, (Hist. mod.) officier commis pour la justice, police & finance d'une armée navale. Ses fonctions sont reglées par l'ordonnance de 1689, lib. I. tit. jv.

INTENDANT DE LA FONTE, (Monnoie) officier chargé de l'alliage des matieres à monnoyer, & de voir à ce qu'elles ne soient point altérées, après qu'on les a livrées au fondeur. Voyez MONNOIE & COIN.

INTENDANT DE MAISON, (Hist. mod.) c'est un officier qui a soin, dans la maison d'un homme riche & puissant, de son revenu, qui suit les procès, qui fait les baux, en un mot qui veille à toutes les affaires.


INTENDITS. m. (Jurisprud.) terme qui vient du latin intendit, qui signifie tendre à quelque chose, se disoit dans la pratique du palais pour exprimer certaines écritures tendantes à faire preuve de quelques faits ; c'étoit proprement l'intention des parties, le fait précis dont il s'agissoit de faire preuve. De ces intendits, on tiroit les articles sur lesquels l'enquête devoit être faite ; il en est parlé dans une ordonnance de Charles V. du 16 Décembre 1364, qui porte que l'on consommoit beaucoup de tems à débattre ces intendits.

L'ordonnance de 1667, titre xxij. art. 1. porte que dans les matieres où il écherra de faire des enquêtes, le même jugement qui les ordonnera, contiendra les faits des parties dont elles informeront respectivement, si bon leur semble, sans autres intendits & réponses, jugement ni commission.

Cependant les intendits sont encore en usage au conseil provincial d'Artois. (A)


INTENSITÉS. f. (Physiq.) est un terme fort usité en Physique & en Méchanique pour désigner la force d'une action comparée avec la force d'une autre action dans des circonstances semblables. Ainsi on dit, la lumiere du soleil a plus d'intensité que celle de la lune à la même distance ; la lumiere d'un flambeau a plus d'intensité que la lumiere d'une simple bougie, à distances égales ; la résistance d'un fluide a d'autant plus d'intensité, toutes choses d'ailleurs égales, que ce milieu est plus dense, &c. (O)


INTENTERv. act. (Gramm.) il ne se dit guere qu'au palais ; faire ou intenter un procès à quelqu'un.


INTENTIONS. f. (Gramm.) c'est la fin qu'un homme se propose en agissant. Elle peut être bonne ou mauvaise ; exprimée ou secrette. Il n'est permis qu'à Dieu de connoître des intentions secrettes. Souvent c'est l'intention qui excuse ou qui aggrave l'action. La loi des hommes, nécessairement imparfaite, néglige souvent l'intention, & présume que celui qui a voulu l'action, en a voulu aussi toutes les suites. Nous devons de la reconnoissance à celui qui étoit bien intentionné, sans aucun égard au succès. Il ne faut pas perdre de vûe la fable de l'ours & de l'homme qui dort. Un sot de la meilleure intention nous casse la tête, pour nous délivrer de l'importunité d'une mouche. Il y a des casuistes qui ont imaginé une certaine direction d'intention, à l'aide de laquelle ils peuvent mentir, médire, calomnier, en sureté de conscience.

Les Logiciens de l'école distinguent une intention objective & une intention formelle. Celle-ci est la connoissance de l'objet ; la premiere est l'objet connu.

Ils distribuent l'une & l'autre en intention premiere, & en intention seconde. L'intention premiere est des attributs essentiels ; l'intention seconde est des attributs accidentels. Il est inutile de s'étendre sur ce ramage vuide de sens.


INTENTIONNELadj. (Métaph.) il n'a lieu que dans cette phrase ; especes intentionnelles, où il s'oppose à especes expresses. Ce sont de prétendus simulacres qui se détachent des objets, & viennent frapper nos sens.


INTER-ARTICULAIREadj. en Anatomie, se dit d'un cartilage du rayon dans l'articulation du carpe avec l'avant-bras. Winslow.


INTER-EPINEUou PETITS EPINEUX, en Anatomie, nom des muscles qui sont situés entre les apophyses épineuses des vertebres. Voyez VERTEBRE.

Les inter-épineux du col sont placés entre la seconde & la troisieme au nombre de cinq paires qui prennent leur attache entre chaque vertebre du col, supérieurement à la partie inférieure d'une apophyse épineuse, inférieurement à la partie supérieure de la suivante.

On observe quelquefois deux muscles inter-épineux du col, qui viennent de la partie inférieure de l'apophyse épineuse de la seconde vertebre, & s'inserent à la partie supérieure de l'apophyse épineuse de la sixieme.

Les inter-épineux du dos sont des muscles situés entre les apophyses épineuses de chaque vertebre, & qui s'attachent de même que ceux du col.


INTER-MAXILLAIRES(ligamens) en Anatom. nom de deux ligamens, un à chaque côté. Ce ligament est attaché en haut à la face externe de la machoire supérieure, au-dessus de la derniere dent molaire, & en bas à l'extrémité postérieure de la ligne saillante oblique de la face externe de la machoire inférieure au-dessus de la derniere dent molaire.


INTER-MUSCULAIRELIGAMENT, (Anat.) Voyez LIGAMENT.


INTER-ROIS. m. (Hist. mod. politique) c'est le titre que l'on donne en Pologne au primat du royaume, c'est-à-dire à l'archevêque de Gnesne, lorsque la mort du roi a laissé le trône vacant. Cet inter-roi a en quelque sorte un pouvoir plus étendu que les monarques de cette république jalouse de sa liberté. Sa fonction est de notifier aux cours étrangeres la vacance du trône ; de convoquer la diete pour l'élection d'un nouveau roi ; d'expédier des ordres aux généraux, aux palatins, & aux starostes, pour veiller à la garde des forteresses, des châteaux, & des frontieres de la république ; de donner des passe-ports aux ministres étrangers qui sont chargés de venir négocier, &c. Lorsque la diete de Pologne pour l'élection d'un roi est assemblée, le primat inter-roi expose à la noblesse les noms des candidats, & leur fait connoître leur mérite ; il les exhorte à choisir le plus digne ; & après avoir invoqué le ciel, il leur donne sa bénédiction : après quoi, les nonces procedent à l'élection. Le primat recueille les suffrages, il monte à cheval, & demande par trois fois si tout le monde est content, & alors il proclame le roi.


INTER-TRANSVERSAIRESou PETITS TRANSVERSAIRES, (Anatomie) nom des muscles situés entre les apophyses transverses des vertebres : ils viennent de la partie inférieure de l'apophyse transverse d'une vertebre, & s'inserent à la partie supérieure de l'apophyse transverse de la vertebre suivante.


INTER-TRANSVERSALESINTER-TRANSVERSALES


INTER-VERTEBRAUX(Anatomie) nom des muscles situés entre les vertebres. Ils viennent de la partie latérale du corps d'une vertebre, & s'insérent obliquement à la partie postérieure de la vertebre supérieure voisine.


INTERCADANTadj. (Gramm.) qui tombe entre-deux ; que ferez-vous pendant les jours intercadans ? Il se dit aussi d'un pouls qui se fait sentir & qui disparoît alternativement, un pouls intercadant ; des pulsations intercadentes. Les mouvemens intercadans de l'humeur ; l'écoulement intercadant d'un fluide.


INTERCALAIREadj. (Chronol. & Hist.) jour intercalaire, est celui qu'on ajoûte au mois de Février dans les années bissextiles, ce qui rend ce mois de 29 jours. Voyez BISSEXTILE. Ce mot vient du latin intercalaris, formé de calo, calare, qui signifioit anciennement appeller en haussant la voix. Un jour intercalaire étoit chez les Romains un jour qu'on inséroit entre deux autres ; ce que les prêtres publioient à haute voix, le devoir de leurs charges les obligeant à faire de tems en tems ces sortes d'intercalations ou additions de jours, à cause du peu d'accord de l'année romaine avec l'année solaire. La négligence qu'ils apporterent à ces intercalations, obligea César de réformer le calendrier. Voyez AN & CALENDRIER.

On appelle aussi intercalaires, par une raison semblable, les mois embolismiques dans les années lunaires. Voyez EMBOLISMIQUE. (O)


INTERCEDERv. neutre ; c'est protéger une personne auprès d'une autre ; c'est supplier pour elle, l'excuser, demander grace.


INTERCEPTERv. act. (Gramm.) c'est surprendre une chose en allant à sa destination. On intercepte une lettre, un courier, une nouvelle, un ouvrage.


INTERCESSEURS. m. (Gramm.) celui qui prie pour un autre. Les saints sont nos intercesseurs auprès de Dieu. Voyez INTERCESSION.

INTERCESSEUR ou INTERVENTEUR, s. m. (Hist. eccles.) nom qu'on donnoit anciennement par honneur dans l'église d'Afrique à quelques évêques, auxquels on confioit le soin de quelque évêché vacant jusqu'à ce que le siege fût rempli. C'étoit le primat qui nommoit ces intercesseurs, tant pour gouverner le diocese, que pour procurer l'élection d'un nouvel évêque. Cette précaution néanmoins ayant donné lieu à deux abus, le premier que ces intercesseurs profitoient de leur commission pour gagner la faveur du peuple, l'autre de passer à l'évêché vacant s'il étoit plus riche ou plus honorable ; le cinquieme concile de Carthage y remédia, en statuant 1°. que l'office d'intercesseur ne pourroit être confié plus d'un an de suite à la même personne, & qu'on en nommeroit un autre, si dans l'année il n'avoit pourvu à l'élection d'un nouvel évêque. 2°. Que nul intercesseur, quand même il auroit pour lui les voeux du peuple, ne pourroit être élevé au siége épiscopal, dont on lui avoit confié l'administration pendant la vacance. Bingham, Orig. ecclésiast. tom. I. liv. II. chap. xv. § 1. 2. & 3.


INTERCESSIO(Hist. rom.) ce terme latin mérite ici d'être expliqué, non-seulement parce qu'on le trouve souvent dans les Historiens de Rome, mais encore parce qu'il désigne précisément le contraire de notre mot françois intercession.

Intercessio chez les Romains signifioit l'opposition que tout magistrat avoit droit de faire, pour arrêter s'il étoit possible les propositions de ses collegues ou de ses inférieurs ; mais les tribuns du peuple jouissoient seuls du privilege d'empêcher réellement par leur opposition, l'effet des propositions de tout magistrat quelconque, sans qu'aucun d'eux, excepté un membre de leur corps, pût mettre opposition à tout ce qu'ils jugeroient à propos de proposer à la république.

Le pouvoir & la prérogative des tribuns du peuple, & même d'un seul tribun, consistoit en ce seul mot, veto, je l'empêche, qu'ils mettoient au bas des decrets du sénat, toutes & quantes fois qu'il leur plaisoit. Ce veto étoit si puissant dans la bouche de ces magistrats plébéïens, que sans être obligés de motiver les raisons de leur opposition, intercessionis, il suffisoit pour arrêter également les résolutions du sénat, & les propositions des autres tribuns. Voyez Middleton, of roman senate.


INTERCESSIONS. f. (Morale) en latin intercessus, c'est-à-dire médiation, entremise. L'intercession est une demande, une priere faite en faveur de quelqu'un avec instance & avec empressement, pour lui obtenir quelque grace, quelque avantage, & plus communément encore, le pardon ou l'adoucissement de quelque peine. C'est le caractere d'une belle ame d'intercéder fortement & généreusement pour les fautes de l'humanité.

L'histoire ecclésiastique est remplie d'intercessions des évêques auprès des magistrats pour les chrétiens accusés de crimes, on accablés de dettes. On sait à ce sujet, l'effet qu'eurent celles de Flavien auprès de Théodose, lorsque les habitans d'Antioche se révolterent, & abattirent les statues de l'empereur & de l'impératrice Placille. Théodose extrêmement irrité alloit détruire Antioche, sans les intercessions du prélat qui, par son discours & par ses larmes, obtint le salut de sa ville & celui de son troupeau. La harangue de Flavien à Théodose mérite les plus grands éloges ; elle est de la main de saint Chrysostome qui, dans le même tems, voyant le troupeau de son ami justement allarmé, tacha de le consoler par des homélies que l'on ne peut lire sans en être sensiblement touché.

La lettre que saint Augustin écrivit à Macédonius, est non-seulement une piece instructive de l'ancien usage de l'intercession des évêques, en faveur de ceux qui étoient exposés à la rigueur de la justice, mais c'est un des meilleurs morceaux qu'il ait fait. Macédonius lui ayant témoigné que c'étoit approuver le crime que de s'opposer à la punition. Saint Augustin lui répondit entr'autres choses : " Je mets une grande différence entre celui qui défend & celui qui intercede ; l'un ne travaille qu'à cacher sa faute, l'autre demande grace ou une modération de la peine ; c'est un devoir du christianisme. Jesus-Christ lui-même a intercédé auprès des hommes, pour empêcher qu'on ne lapidât la femme adultere. Nous sommes bien éloignés d'approuver les pécheurs, puisque nous exigeons qu'ils se corrigent pour éviter leur condamnation à venir ; mais en détestant le crime, nous devons avoir pitié des criminels. La charité veut que nous aimions les impies, que nous leur fassions du bien, que nous prions Dieu pour eux, & que nous tâchions de les ramener à leur devoir, non par des supplices, mais par nos exemples, par nos conseils, par nos exhortations, &c. " Je n'examinerai point si la conduite de saint Augustin a toujours répondu à cette morale chrétienne, il me suffit de dire que rien n'en peut détruire l'excellence & la solidité. (D.J.)


INTERCIDONES. f. (Mythol.) déesse des champs, qui présidoit à la conservation des femmes grosses. Elle veilloit sur elles avec Pilumnus & Dévetra, & leur soin commun étoit de les garantir de tout péril, & sur-tout des insultes des sylvains.


INTERCOSTALadj. en anatomie, se dit des nerfs, des muscles & des autres vaisseaux qui sont situés entre les côtes. Voyez COTES.

Les deux nerfs intercostaux, ou les grands nerfs sympathiques commencent chacun par un filet de la sixieme paire de la moëlle allongée, & par deux filets de la cinquieme. Ils accompagnent la carotide dans le canal osseux de l'apophyse pierreuse de l'os des tempes.

Ces nerfs sont situés tout le long des parties latérales du corps de toutes les vertebres, à la racine de leurs apophyses transverses. Dès qu'ils sont sortis du crâne, ils forment un ganglion, qui est situé tout le long des parties latérales des trois premieres vertebres ; il est fort adhérent au tronc de la huitieme paire par plusieurs filets de communication. Ils communiquent aussi avec la neuvieme & la dixieme paire de la moëlle allongée, avec la premiere, la seconde & la troisieme des paires cervicales, & même avec la branche que la huitieme paire envoie au larinx. Ce ganglion se termine par un cordon fort menu, qui descend sur les muscles fléchisseurs du col, & il est enveloppé dans une espece de gaîne commune avec la jugulaire, enferme l'artere carotide & la huitieme paire de nerfs. Dans ce trajet ce cordon communique avec la troisieme, la quatrieme, la cinquieme & la sixieme paire cervicale.

Le cordon étant vis-à-vis la derniere vertebre du col, forme un ganglion, nommé le dernier ganglion cervical ou cervical inférieur. Il est quelquefois double, après quoi le cordon se détourne de dedans en dehors vers la racine de la premiere côte, où il forme le premier ganglion thoracique ou dorsal. Ces deux ganglions communiquent par des branches courtes avec les nerfs vertébraux voisins ; savoir avec la sixieme & la septieme paire cervicale.

Il part au-dessus du dernier ganglion cervical & au-dessous des filets qui, avec la huitieme paire, forment le plexus pulmonaire & le plexus cardiaque.

Depuis le premier ganglion dorsal, le tronc descend tout le long des côtes proche leurs articulations, & lorsqu'il est parvenu vers la derniere fausse côte, il s'avance plus vers le corps des vertebres.

Dans ce trajet il forme entre chaque côte un petit ganglion, qui communique avec le nerf dorsal voisin, depuis la paire moyenne du thorax jusqu'à la derniere vertebre du dos. Le tronc du nerf jette cinq branches obliques vers la derniere partie antérieure des corps des vertebres, dont les quatre premieres viennent ordinairement du cinquieme, sixieme, septieme & huitieme ganglion thoracique, & la derniere des ganglions suivans. Ces cinq branches s'unissent & forment un cordon collatéral, qui passe entre la portion latérale du muscle inférieur du diaphragme, auquel il donne quelques filets, & lorsqu'il est parvenu au-dessous il produit un plexus ganglioforme, nommé plexus semi-lunaire. Ces deux plexus communiquent ensemble, & avec la huitieme paire. Il se forme de leur communication une espece de plexus mitoyen, qui embrasse l'artere coeliaque, & se disperse au mesocolon.

Le ganglion semi lunaire du côté droit, avec une portion du plexus céliaque & une portion du plexus stomachique, forme le plexus hépatique, qui, après avoir communiqué avec le nerf diaphragmatique, se distribue au foie, à la vésicule du fiel, aux canaux biliaires, au duodenum, au pancréas & aux reins succenturiaux.

Le ganglion seulement gauche produit plusieurs rameaux, qui forment le plexus sphérique, lequel communique avec le plexus hépatique au moyen du plexus stomachique, & se distribue à la rate.

Chaque ganglion semi-lunaire fournit plusieurs rameaux, qui joints aux filets des premiers ganglions lombaires, forment le plexus rénal qui se distribue aux reins, dont le droit communique avec le plexus hépatique, & le gauche avec le plexus splénique.

Les deux ganglions semi-lunaires fournissent immédiatement au-dessous du diaphragme, vis-à-vis la derniere vertebre du dos, plusieurs filets qui forment par leur entrelacement le plexus solaire, duquel il part plusieurs filets, qui par leur union avec quelques-uns du plexus hépatique & du plexus rénal, forment le plexus mesentérique supérieur.

Ce plexus jette plusieurs filets qui embrassent l'artere mésentérique inférieure, & forment le plexus mésentérique inférieur ; ces deux plexus se distribuent aux intestins.

Le tronc du nerf intercostal, après avoir fourni ses cinq rameaux, devient plus menu ; étant arrivé à la onzieme vertebre du dos, il s'approche du cordon collatéral, & passe comme lui à-travers la par tie latérale du muscle inférieur du diaphragme ; il s'avance vers le corps des vertebres, & reçoit des filets de communication des deux dernieres paires dorsales. Ces deux nerfs viennent gagner la partie antérieure de l'os sacrum, s'approchent l'un de l'autre, & forment à l'extrémité de cet os une communication en forme d'arc renversé ; ils forment dans ce trajet, plusieurs ganglions entre chaque vertebre qui donnent des filets aux parties voisines, & d'autres qui communiquent avec le plexus mésentérique.

De l'union de ces deux nerfs, il en part plusieurs filets qui se distribuent au rectum, au muscle releveur de l'anus, & au muscle de coccix.

Les arteres intercostales sont toutes celles qui sont situées entre les côtes ; la supérieure vient quelquefois de la soûclaviere, d'autres fois de l'aorte inférieure, & elle se distribue ordinairement dans les trois ou quatre espaces des côtes supérieures. Les inférieures viennent du tronc inférieur de la grosse artere, & se répandent dans les espaces des huit côtes inférieures, & dans les muscles voisins.

Les muscles intercostaux sont au nombre de quarante-quatre ; vingt-deux de chaque côté, situés entre les côtes, & distingués en internes & en externes.

Les onze intercostaux externes viennent supérieurement de la levre externe & inférieure d'une côte, & se terminent inférieurement à la levre externe & supérieure de la côte suivante ; leur direction est oblique de derriere & devant.

Les onze intercostaux internes ont une direction opposée, & s'attachent à la levre interne des côtes.


INTERDICTIONS. f. (Jurisprud.) est la défense qui est faite à quelqu'un de faire quelque chose.

Interdiction d'un officier, est la suspension des fonctions de sa charge ou profession. Cette suspension a lieu lorsque l'officier a manqué aux devoirs de son état, ou qu'il s'est rendu d'ailleurs indigne d'en remplir les fonctions.

Elle est expresse ou tacite ; expresse lorsqu'elle est prononcée par un jugement, & dans ce cas elle est ou pour un tems limité, ou indéfinie.

L'interdiction tacite est une suite du decret de prise-de-corps & decret d'ajournement personnel ; le decret d'assigné pour être oüi n'emporte pas interdiction.

Les mineurs, les fils de famille & les femmes en puissance de mari, sont aussi dans une espece d'interdiction de s'obliger & de disposer sans y être autorisés par ceux en la puissance desquels ils sont ; mais ces especes d'interdictions ne sont point considérées comme une peine, elles sont seulement la suite de l'état de ces personnes.

Il en est de même des imbécilles, des furieux & des prodigues, contre lesquels on prononce une interdiction, afin qu'ils ne puissent faire aucun acte à leur détriment. Voyez ci-après INTERDIT. (A)

INTERDICTION de commerce, défenses que le prince fait aux négocians marchands & autres de ses sujets, de faire aucun commerce avec les nations avec lesquelles il est en guerre, ou avec qui il ne trouve pas à propos que ses peuples aient correspondance.

Quand l'interdiction est générale, elle emporte même celle du commerce de lettres.

L'interdiction de commerce pour cause de guerre, accompagne ordinairement la publication même de la guerre, & ne se leve qu'en publiant la paix. Il y a cependant des guerres pendant lesquelles il regne entre les marchands, sous le bon plaisir du prince, une espece de treve, qu'on appelle treve marchande.

Pendant l'interdiction de commerce, toute marchandise de part & d'autre est censée de contrebande, & comme telle sujette à confiscation, à moins que les négocians n'ayent obtenu des passeports. Voyez PASSEPORT. Dict. de comm.

INTERDICTION du feu & de l'eau, (Hist. anc.) formule de condamnation que l'on prononçoit à Rome contre ceux qu'on entendoit bannir pour quelque crime. Voyez BANNISSEMENT, EXIL.

On ne les condamnoit pas directement au bannissement ; mais en donnant ordre de ne les point recevoir, & de leur refuser le feu & l'eau, on les condamnoit à une mort civile, qu'on appelloit legitimum exilium. Tite-Liv.


INTERDITS. m. (Jurisprud.) chez les Romains étoit une ordonnance du préteur, qui enjoignoit, ou défendoit de faire quelque chose en matiere de possession, afin de rétablir par provision ce qui y avoit été interverti par quelque voie de fait, & d'empêcher les deux contendans d'en venir aux mains, en attendant que l'on statuât définitivement sur leurs prétentions respectives.

Il y avoit plusieurs divisions des interdits ; la premiere des interdits prohibitoires, restitutoires & exhibitoires.

Les prohibitoires étoient ceux par lesquels le préteur défendoit de faire quelque chose ; tels étoient les interdits appellés quod vi, aut clam, aut precario, c'est-à-dire ceux qui étoient donnés contre toute usurpation violente, toute possession clandestine ou précaire : tel étoit aussi l'interdit, ne in sacro vel publico loco aedificetur ; & celui ne quid fiat in flumine publico quo pejus navigetur.

Les interdits restitutoires sont ceux par lesquels le préteur ordonnoit de rendre ou retablir quelque chose, comme la possession enlevée.

Par les interdits exhibitoires, il ordonnoit d'exhiber quelque chose, comme de représenter un fils de famille, ou un esclave à celui qui le reclamoit, de communiquer le testament à tous ceux qui y étoient intéressés.

On divisoit encore les interdits en trois classes ; les uns adipiscendae possessionis, les autres retinendae, les autres recuperandae.

Les premiers s'accordoient à ceux qui n'avoient pas encore eu la possession, & il y en avoit trois de cette espece ; savoir, l'interdit quorum bonorum, l'interdit quod legatorum & l'interdit appellé salvianum.

L'interdit quorum bonorum, étoit celui qu'on accordoit à l'héritier ou successeur, pour prendre la possession corporelle des choses héréditaires au lieu & place de celui qui les possédoit, comme héritier ou successeur, quoiqu'il ne le fût pas.

L'interdit quod legatorum, se donnoit à l'héritier ou successeur, contre les légataires qui s'étoient emparés prématurément des choses à eux léguées, afin que cet héritier ou possesseur les ayant répétées, fût en état d'exercer la falcidie par rétention, plutôt que par vindication.

On appelloit interdictum salvianum celui que le préteur accordoit au propriétaire d'un fond, pour se mettre en possession des choses que le fermier lui avoit obligées pour les fermages.

Les interdits retinendae possessionis étoient ceux où chacun des contendans prétendoit avoir la possession de la chose, & vouloit la garder pendant la contestation sur la propriété : ceux-ci étoient de deux sortes ; savoir, l'interdit uti possidetur qui avoit lieu pour les meubles, & qui s'accordoit à celui qui avoit la possession au tems que l'interdit étoit demandé, & l'interdit uti ubi pour les immeubles, à l'égard desquels on donnoit la possession à celui qui avoit possédé pendant la plus grande partie de l'année. Il y en avoit un troisieme conçu en ces termes, quod ne vis fiat ei qui in possessionem missus est.

Il n'y avoit qu'un seul interdit recuperandae possessionis, qu'on appelloit undè vi, par lequel celui qui avoit été dépouillé de la possession d'un fonds ; demandoit d'y être réintégré.

La derniere division des interdits étoit en simples & doubles ; les simples étoient ceux où l'un des deux contendans étoit demandeur, & l'autre défendeur, tels que les interdits restitutoires & exhibitoires. Les interdits doubles étoient ceux où chacun étoit demandeur & défendeur ; comme quand tous deux se disoient avoir la possession.

Chaque interdit avoit sa dénomination particuliere, selon la matiere dont il s'agissoit. Voyez le titre des interdits au code, au digeste, & aux institutes, & la Jurisprudence de M. Terrasson, pag. 326 & 327.

Dans notre usage on a supprimé toutes les formules des interdits, & nous n'en connoissons que deux ; savoir, celui retinendae possessionis, & celui recuperandae possessionis. Le premier est connu sous le nom de complainte, l'autre sous le nom de réintégrande ; l'une & l'autre n'ont lieu que pour les immeubles. Voyez COMPLAINTE & REINTEGRANDE. (A)

INTERDIT, (Jurisprud.) est aussi une censure ecclésiastique ; & une excommunication générale que le pape prononce contre tout un état, ou contre un diocèse, une ville ou autre lieu, & quelquefois contre une seule église ou chapelle ; chaque évêque peut aussi en prononcer dans son diocèse.

L'effet de l'interdit est d'empêcher que le service divin ne soit célébré dans le lieu qui est interdit ; qu'on n'y administre les sacremens, & qu'on accorde aux défunts la sépulture ecclésiastique.

Ces sortes d'interdits sont appellés réels ou locaux, pour les distinguer des interdits personnels, qui ne lient qu'une seule personne, soit ecclésiastique ou laïque.

L'objet de ces sortes d'interdits n'étoit dans son origine, que de punir ceux qui avoient causé quelque scandale public, & de les ramener à leur devoir en les obligeant de demander la levée de l'interdit ; mais dans la suite ces interdits furent aussi quelquefois employés abusivement pour des affaires temporelles, & ordinairement pour des intérêts personnels à celui qui prononçoit l'interdit.

Les dix premiers siecles de l'église nous offrent peu d'exemples d'interdits généraux.

On trouve néanmoins dans les lettres de saint Basile quelques exemples de censures générales dès le iv. siecle. Une de ces lettres est contre un ravisseur ; le saint prélat y ordonne de faire rendre la fille à ses parens, d'exclure le ravisseur des prieres, & le déclarer excommunié avec ses complices, & toute sa maison pendant trois ans ; il ordonne aussi d'exclure des prieres tout le peuple de la bourgade qui a reçu la personne ravie.

Auxilius jeune évêque excommunia la famille entiere de Clacicien ; mais saint Augustin desapprouve cette conduite, & saint Léon a établi les mêmes maximes que saint Augustin dans une de ses lettres aux évêques de la province de Vienne.

Ces interdits généraux étoient toujours en quelque sorte personnels, parce qu'on supposoit que tous ceux contre lesquels ils étoient prononcés étoient complices du crime.

Les premiers interdits locaux se trouvent dans l'église de France. Prétextat évêque de Rouen ayant été assassiné dans sa propre église en 586, Leudovalde évêque de Bayeux, alors la premiere église de cette province, mit toutes les églises de Rouen en interdit, défendant d'y célébrer le service divin jusqu'à ce que l'on eût trouvé l'auteur du crime.

Le concile de Tolede tenu en 683, défendit de mettre les églises en interdit pour des ressentimens particuliers ; celui de Nicée tenu en 787, défendit pareillement aux évêques d'interdire quelqu'un par passion, ou de fermer une église & interdire l'office, exerçant sa colere sur des choses insensibles. Le concile fixe même deux cas seulement où l'interdit local peut être prononcé ; encore n'est-ce qu'autant que toute la ville ou communauté est coupable ou complice du crime. La pragmatique-sanction tit. 20, & le concordat tit. 15, portent la même chose.

Celui de Ravennes tenu en 1314, défendit d'en prononcer pour des causes purement pécuniaires. Les peres du concile de Basle sect. xx. ordonnerent que l'interdit ne pourroit être jetté contre une ville que pour une faute notable de cette ville ou de ses gouverneurs, & non pour la faute d'une personne particuliere.

Quelquefois l'interdit étoit qualifié d'excommunication ; ce fut ainsi qu'Hincmar évêque de Laon excommunia en 870 toute une paroisse de son diocèse ; ce que l'on peut regarder comme un interdit.

Il en est de même de l'excommunication qu'Alcuin évêque de Limoges prononça, au rapport d'Ademar, contre les églises & monasteres de son diocèse ; il appelle cette excommunication une nouvelle observance ; ce qui fait connoître que l'interdit n'étoit pas une ancienne pratique.

Le concile de Limoges tenu en 1031 fait mention qu'Oldéric abbé de saint Martial de Limoges, proposa aux peres du concile un nouveau remede, qui étoit d'excommunier ceux qui n'acquiesceroient pas à la paix de l'église ; de ne les point inhumer après leur mort ; de défendre le service divin & l'administration des sacremens, à la réserve du baptême pour les enfans, & du viatique pour les moribonds, & de laisser les autels sans ornemens ; c'est ainsi en effet que l'on en usa dans les lieux qui furent mis en interdit.

Les interdits très-communs dans l'onzieme siecle, principalement sous Grégoire VII. ont fait croire à quelques auteurs que ce pape étoit l'inventeur de cette espece de censure. Il ordonna que les portes des églises seroient fermées par les religieux, & qu'ils ne sonneroient point leurs cloches : Yves de Chartres en fait mention dans plusieurs de ses épitres.

Plusieurs évêques, à l'imitation de Grégoire VII. prononcerent de pareils interdits, en différentes occasions, contre des villes & des communautés de leur diocese.

Vers l'an 1120, Calixte II. défendit le service divin dans les terres des croisés qui n'accompliroient pas leurs voeux, permettant seulement le baptême aux enfans, & la confession aux moribonds.

Il y eut un grand trouble en France en 1141, à l'occasion du siege de Bourges ; le roi ayant refusé de consentir à l'élection de Pierre de la Châtre, que le pape Innocent II. avoit fait élire à la place de l'archevêque Alberic mort l'année précédente, le pape mit toute la France en interdit.

Eugene III. vers l'an 1150, défendit la célébration du service divin dans les églises de certaines religieuses déréglées.

Adrien IV. n'épargna pas la ville même de Rome. Le cardinal Gerard y ayant été attaqué & blessé par quelques séditieux excités par Arnaud de Bresse, qui se maintenoit toujours dans cette ville sous la protection des nouveaux sénateurs, le pape mit la ville en interdit, & obligea les senateurs à chasser Arnaud & ses sectateurs.

Les interdits prononcés par Alexandre III. ne furent pas moins rigoureux que ceux de ses prédécesseurs. Il défendit aux prélats d'Angleterre vers l'an 1169. l'office divin & l'administration des sacremens, hors le baptême aux enfans, & la confession aux mourans ; le roi d'Angleterre rendit une ordonnance portant, que si on trouvoit dans son royaume quelqu'un chargé de lettres du pape ou de l'archevêque portant interdit, il seroit puni comme traître.

Le royaume d'Angleterre fut encore mis en interdit en 1208. par Innocent III. parce que le roi Jean avoit fait chasser les moines de Cantorbery, & s'étoit emparé des biens de l'archevéché.

Le concile d'York tenu en 1195, laissa à la discrétion des évêques d'user des interdits comme ils jugeroient à propos, de peur que les interdits généraux & de longue durée ne donnassent occasion aux Albigeois qui étoient répandus dans plusieurs endroits de la province, de séduire les gens simples.

Sous Innocent III. en 1198, Rainier moine de Citeaux, envoyé par le pape pour rompre le mariage d'Alphonse roi de Léon, qui avoit épousé la fille d'Alphonse roi de Castille son cousin, prononça une excommunication contre ce prince, & mit son royaume en interdit.

Un de ceux qui firent le plus d'impression, fut celui que le même Innocent III. lança en 1200 contre la France. Pierre de Capoue étoit chargé d'obliger Philippe-Auguste de quitter Agnès & de reprendre Ingerburge ; & n'y ayant pas réussi, il publia le 15 Janvier la sentence d'interdit sur tout le royaume, qui avoit été prononcée par le pape. Le roi en fut si courroucé qu'il chassa les evêques & tous les autres ecclésiastiques de leurs demeures, & confisqua leurs biens ; Cet interdit fut observé avec une extrême rigueur.

La chronique anglicane (dans le P. Martenne, tom. V. pag. 868.) dit que tout acte de christianisme, hormis le baptême des enfans, fut interdit en France ; les églises fermées, les chrétiens en étoient chassés comme des chiens, plus d'office divin ni de sacrifice de la messe ; plus de sépultures ecclésiastiques pour les défunts ; les cadavres abandonnés au hasard, répandoient la plus affreuse infection, & pénétroient d'horreur ceux qui leur survivoient ; il en naquit un schisme entre les évêques.

La chronique de Tours fait la même description ; elle y ajoute seulement un trait remarquable, confirmé par M. Fleury, liv. lxxvj. n. 40, qui est que le saint viatique étoit excepté, comme le baptême, de cette privation des choses saintes, quoiqu'on refusât d'ailleurs la sépulture après la mort : Nulla celebrantur in ecclesiâ sacramenta vel divina officia, praeter viaticum & baptisma.

Les choses demeurerent pendant neuf mois dans cette situation, excepté qu'au bout de quelque tems Innocent III. permit les prédications pendant l'interdit, & le sacrement de confirmation ; il permit même de donner l'eucharistie aux croisés & aux étrangers dans les lieux interdits, & d'y célébrer l'office de l'église à deux ou trois, sans chant. On modéra encore dans la suite la grande sévérité des interdits, par rapport au scandale qu'ils causoient dans l'église ; Grégoire IX. vers l'an 1230 permit de dire une messe basse une fois la semaine, sans sonner, les portes de l'église fermées ; Boniface VIII. en 1300 permit la confession pendant l'interdit, & ordonna que l'on célébreroit tous les jours une messe, & que l'on diroit l'office, mais sans chant, les portes de l'église étant fermées, & sans sonner, à la réserve des jours solemnels de Noël, Pâques, la Pentecôte & de l'Assomption de N. D. que l'office divin feroit chanté les portes ouvertes, & les cloches sonnantes.

L'archevêque de Strigonie, auquel le pape avoit donné commission de réformer plusieurs désordres qui régnoient en Hongrie, n'ayant pu y parvenir, avoit mis en 1232 ce royaume en interdit. Pour le faire lever, le roi André donna l'année suivante une charte, par laquelle il s'engageoit de ne plus souffrir à l'avenir que les Juifs & les Sarrasins occupassent aucune charge publique en ses états, ni qu'ils eussent des esclaves chrétiens ; il promit aussi de ne contrevenir en rien aux privileges des clercs, & de ne lever aucune collecte sur eux, même de consulter le pape touchant les impositions sur ses autres sujets : l'interdit ne fut levé qu'à ces conditions ; mais la charte fut si mal exécutée, que le pape en fit des plaintes dès l'année suivante.

La croisade que l'on prêchoit en 1248 contre l'empereur Frédéric, ayant occasionné un soulevement du peuple à Ratisbonne, l'évêque exécutant les ordres du pape, les excommunia & mit la ville en interdit.

Après le massacre des Vêpres siciliennes en 1282, Martin IV. mit le royaume d'Aragon en interdit, & prononça par sentence la déposition de Pierre, roi d'Aragon ; cette sentence ne fut point exécutée, & les ecclésiastiques de tous les ordres n'observerent point l'interdit ; le pape n'en fut que plus animé contre le roi, & fit prêcher la croisade contre lui.

Il y eut en 1289 un concordat entre Denis, roi de Portugal, & le clergé de son royaume ; leurs différends duroient depuis long-tems, & le royaume étoit en interdit depuis le pontificat de Grégoire X.

Les Vénitiens en essuyerent aussi un en 1309 pour s'être emparés de Ferrare que l'Eglise romaine prétendoit être de son domaine ; ils ne laisserent pas de garder leur conquête.

Les Florentins en userent de même en 1478, lorsque Sixte IV. jetta un interdit sur la ville de Florence pour l'assassinat des Médicis : cet interdit ne fut pas observé ; les Florentins obligerent les prêtres à célébrer la messe & le service malgré la défense du pape.

Lorsqu'on avoit fait quelque accord au pape ou à l'évêque qui avoit prononcé l'interdit, alors il le levoit par un acte solemnel, comme fit Jean XXII. par une bulle du 21 Juin de ladite année, par laquelle il leva les censures qui étoient jettées depuis quatre ans sur la province de Magdebourg, à cause du meurtre de Burchard, archevêque de cette ville.

Ce qui est de singulier, c'est que les souverains eux-mêmes prioient quelquefois les évêques de prononcer un interdit sur les terres de leurs vassaux, s'ils n'exécutoient pas les conventions qui avoient été faites avec eux, comme fit Charles V. alors régent du royaume, par des lettres du mois de Février 1356, confirmatives de celles de Guy, comte de Nevers, & de Mathilde sa femme, en faveur des bourgeois de Nevers ; à la fin de ces lettres Charles V. prie les archevêques de Lyon, de Bourges & de Sens, & les évêques d'Autun, de Langres, d'Auxerre & de Nevers, de prononcer une excommunication contre le comte de Nevers, & un interdit sur ses terres, s'il n'exécute pas l'accord qu'il avoit fait avec ses habitans.

On trouve dans le recueil des ordonnances de la troisieme race plusieurs lettres semblables du roi Jean, qui autorisoient les évêques à mettre en interdit les lieux dont le seigneur tenteroit d'enfreindre les privileges.

Les interdits les plus mémorables qui furent prononcés dans le xvj. siecle, furent celui que Jules II. mit sur la France en 1512, à cause que le roi avoit donné des lettres patentes pour l'acceptation du concile de Pise ; l'autre fut celui que Sixte V. mit sur l'Angleterre en 1588, pour obliger les Anglois de rentrer dans la communion romaine ; mais il n'y en eut point de plus éclatant que celui que Paul V. prononça le 17 Avril 1606 contre l'état de Venise pour quelques lois qui lui parurent contraires à la liberté des ecclésiastiques. Mézeray rapporte que cette bulle fulminante fut envoyée à tous les évêques des terres de la seigneurie pour la publier, mais que le nombre de ceux qui obéirent fut le plus petit ; que le sénat y avoit donné si bon ordre, que ce grand coup de foudre ne mit le feu nulle part ; que le service divin se fit toujours dans l'église à portes ouvertes, & que l'administration des sacremens continua à l'ordinaire ; que tous les anciens ordres religieux n'en branlerent pas, mais que presque tous les nouveaux sortirent des terres de la seigneurie, particulierement les Capucins & les Jésuites, qui étoient tous deux fort attachés au saint pere. Ce différend fut terminé en 1607 par l'entremise d'Henri IV. & des cardinaux de Joyeuse & du Perron ; le cardinal de Joyeuse alla à Venise lever l'excommunication.

Il y eut encore deux interdits qui firent beaucoup de bruit en France ; l'un fut mis sur la ville de Bordeaux en 1633 par l'archevêque, à l'occasion d'un différend qui s'éleva entre lui & le duc d'Epernon ; l'autre fut prononcé en 1634 par l'évêque d'Amiens contre les habitans de la ville de Montreuil pour des excès qu'ils avoient commis sur lui dans l'église même, pour empêcher qu'il ne donnât à une autre paroisse une portion des reliques de S. Vulfi ; cette affaire dura jusqu'en Septembre 1635 que le prélat rendit une sentence d'absolution à certaines charges & conditions, laquelle fut publiée & exécutée le 28 Septembre de ladite année.

L'interdit doit être prononcé avec les mêmes formes que l'excommunication, par écrit, nommément, avec expression de la cause & après trois monitions. La peine de ceux qui violent l'interdit, est de tomber dans l'excommunication, mais en finissant cet article, il y a deux observations essentielles à faire ; l'une est que comme l'interdit a toujours des suites très-fâcheuses, parce qu'il donne occasion au libertinage & à l'impiété, on le met présentement très-peu en usage, & même en France les parlemens n'en souffriroient pas la publication, & MM. les procureurs généraux ne manqueroient pas d'en interjetter appel comme d'abus, aussi-tôt qu'ils en auroient connoissance. Nos libertés, disoit M. Talon, portant la parole le 4 Juin 1674, dans la cause concernant l'exemption du chapitre de saint Agnan d'Orléans, ne souffrent point que le pape se réserve le pouvoir de prononcer l'interdit ; le moyen que l'on a trouvé en France pour empêcher l'usage de ces sortes d'interdits, est qu'ils ne peuvent être exécutés sans l'autorité du roi.

L'autre observation est que suivant nos mêmes libertés, les officiers du roi ne peuvent être excommuniés ni interdits par le pape, ni par les évêques, pour les fonctions de leurs charges.

Les preuves de ces deux observations sont consignées dans les registres du parlement & dans les mémoires du clergé.

On ne doit pas confondre l'interdit avec la simple cessation à divinis, laquelle ne contient aucune censure, & qui a lieu quand une église, un cimetiere ou autre lieu saint est pollué par quelque crime. Voyez cap. ij. extr. de sponsalib. cap. xliij. extr. de sentent. excomm. cap. ij. extr. de remiss. & poenit. cap. lvij. extr. de sent. excom. cap. alma mater eodem in 6° & extravagante 2 eodem ; Guymier sur la pragmatique sanction ; les lois ecclésiastiques de d'Héricourt, chap. des peines canoniques ; Fleury instit. au droit ecclésiast. tom. II. chap. xxj. & au mot ABSOLUTION, CENSURE, EXCOMMUNICATION.

INTERDIT, (Jurispr.) signifie aussi celui qui est suspendu de quelque fonction ; on interdit un homme pour cause de démence ou de prodigalité ; il faut en ce cas un avis de parens & une sentence du juge qui prononce l'interdiction & nomme un curateur à l'interdit. L'effet de ce jugement est que l'interdit est dépouillé de l'administration de ses biens, il ne peut les vendre, engager, ni hypothéquer, ni en disposer, soit entre vifs ou par testament, ni contracter aucune obligation jusqu'à ce que l'interdiction soit levée ; il y a chez les Notaires un tableau des interdits avec lesquels on ne doit pas contracter.

Lorsqu'un officier public a prévariqué, on l'interdit de ses fonctions, soit pour un tems ou pour toujours, selon que le délit est plus ou moins grave.

Le decret de prise de corps & celui d'ajournement personnel, emportent de plein droit interdiction de toute fonction publique.

L'interdiction de lieu chez les Romains revenoit à ce que nous appellons exil, bannissement.

Celle que l'on appelloit aquâ & igne, étoit une peine que l'on prononçoit contre ceux qui avoient commis quelque violence publique. l. qui dolo, ff. ad leg. jul. de vi publ. Le bannissement a succédé à cette peine. (A)


INTERDUQUEadj. (Myth.) surnom que les Romains donnoient à Junon. Junon interduque, ou Junon conductrice, c'est la même chose. C'étoit la déesse du mariage & des noces ; & en cette qualité elle étoit censée conduire l'épouse nouvelle à son époux.


INTERESSANTadj. (Gram.) il se dit des choses & des personnes ; au simple & au figuré. C'est un objet intéressant. Il a une physionomie intéressante. Il y a des situations qui rendent l'homme intéressant. Ce poëme est intéressant. D'où l'on voit que l'acception de ce terme varie beaucoup ; qu'elle est tantôt relative à la valeur, tantôt aux idées de bienfaisance, à l'ordre, aux événemens, aux sentimens réveillés, aux passions excitées. Voyez INTERET.


INTÉRESSÉpris substantivement, est celui qui a intérêt dans une affaire, dans une entreprise, dans une société. Voyez ASSOCIE.

L'un des intéressés ne sauroit stipuler ni transiger sans le consentement de tous les autres intéressés.

On appelle intéressés dans les fermes du roi ceux qui n'ont intérêt que dans les sousfermes, ce qui les distingue des intéressés aux fermes générales qu'on appelle fermiers généraux.

Un intéressé dans une compagnie de commerce est celui qui en fait les fonds avec d'autres associés, lorsque ces fonds ne se font pas par actions : autrement on le nomme actionnaire. Voyez ACTION & ACTIONNAIRE.

Intéressé, pris adjectivement, signifie un homme avare qui ne relâche rien de ses intérêts. Dictionnaire de commerce.


INTERÊT(Morale) ce mot a bien des acceptions dans notre langue : pris dans un sens absolu, & sans lui donner aucun rapport immédiat avec un individu, un corps, un peuple, il signifie ce vice qui nous fait chercher nos avantages au mépris de la justice & de la vertu, & c'est une vile ambition ; c'est l'avarice, la passion de l'argent, comme dans ces vers de la Pucelle :

Et l'intérêt, ce vil roi de la terre,

Triste & pensif auprès d'un coffre fort,

Vend le plus foible au crime d'un plus fort.

Quand on dit l'intérêt d'un individu, d'un corps, d'une nation : mon intérêt, l'intérêt de l'état, son intérêt, leur intérêt ; alors ce mot signifie ce qui importe ou ce qui convient à l'état, à la personne, à moi, &c. En faisant abstraction de ce qui convient aux autres, sur-tout quand on y ajoute l'adjectif personnel.

Dans ce sens le mot d'intérêt est souvent employé quoiqu'improprement pour celui d'amour-propre ; de grands moralistes sont tombés dans ce défaut, qui n'est pas une petite source d'erreurs, de disputes & d'injures.

L'amour-propre ou le desir continu du bien-être, l'attachement à notre être, est un effet nécessaire de notre constitution, de notre instinct, de nos sensations, de nos réflexions, un principe qui, tendant à notre conservation, & répondant aux vues de la nature, seroit plutôt vertueux que vicieux dans l'état de nature.

Mais l'homme né en société tire de cette société des avantages qu'il doit payer par des services : l'homme a des devoirs à remplir, des lois à suivre, l'amour-propre des autres à ménager.

Son amour-propre est alors juste ou injuste, vertueux ou vicieux ; & selon les différentes qualités il prend différentes dénominations : on a vu celle d'intérêt, d'intérêt personnel, & dans quel sens.

Lorsque l'amour-propre est trop l'estime de nous-mêmes & le mépris des autres, il s'appelle orgueil : lorsqu'il veut se répandre au-dehors, & sans mérite occuper les autres de lui, on l'appelle vanité.

Dans ces différens cas l'amour-propre est desordonné, c'est-à-dire hors de l'ordre.

Mais cet amour-propre peut inspirer des passions, chercher des plaisirs utiles à l'ordre, à la société ; alors il est bien éloigné d'être un principe vicieux.

L'amour d'un pere pour ses enfans est une vertu, quoiqu'il s'aime en eux, quoique le souvenir de ce qu'il a été, & la prévoyance de ce qu'il sera, soient les principaux motifs des secours qu'il leur donne.

Les services rendus à la patrie, seront toûjours des actions vertueuses, quoiqu'elles soient inspirées par le desir de conserver notre bien-être, ou par l'amour de la gloire.

L'amitié sera toûjours une vertu, quoiqu'elle ne soit fondée que sur le besoin qu'une ame a d'une autre ame.

La passion de l'ordre, de la justice, sera la premiere vertu, le véritable héroïsme, quoiqu'elle ait sa source dans l'amour de nous mêmes.

Voilà des vérités qui ne devroient être que triviales & jamais contestées ; mais une classe d'hommes du dernier siecle a voulu faire de l'amour-propre un principe toûjours vicieux ; c'est en partant d'après cette idée que Nicole a fait vingt volumes de morale, qui ne sont qu'un assemblage de sophismes méthodiquement arrangés & lourdement écrits.

Pascal même, le grand Pascal, a voulu regarder en nous comme une imperfection ce sentiment de l'amour de nous-mêmes que Dieu nous a donné, & qui est le mobile éternel de notre être. M. de la Rochefoucault qui s'exprimoit avec précision & avec grace, a écrit presque dans le même esprit que Pascal & Nicole ; il ne reconnoît plus de vertus en nous, parce que l'amour-propre est le principe de nos actions. Quand on n'a aucun intérêt de faire les hommes vicieux ; quand on n'aime que les ouvrages qui renferment des idées précises, on ne peut lire son livre sans être blessé de l'abus presque continuel qu'il fait des mots amour-propre, orgueil, intérêt, &c. Ce livre a eu beaucoup de succès, malgré ce défaut & ses contradictions ; parce que ses maximes sont souvent vraies dans un sens ; parce que l'abus des mots n'a été apperçu que par fort peu de gens ; parce qu'enfin le livre étoit en maximes : c'est la folie des moralistes de généraliser leurs idées, de faire des maximes. Le public aime les maximes, parce qu'elles satisfont la paresse & la présomption ; elles sont souvent le langage des charlatans répété par les dupes. Ce livre de M. de la Rochefoucault, celui de Pascal, qui étoient entre les mains de tout le monde, ont insensiblement accoutumé le public françois à prendre toûjours le mot d'amour-propre en mauvaise part ; & il n'y a pas long-tems qu'un petit nombre d'hommes commence à n'y plus attacher nécessairement les idées de vice, d'orgueil, &c.

Milord Shafsburi a été accusé de ne compter dans l'homme l'amour-propre pour rien, parce qu'il donne continuellement l'amour de l'ordre, l'amour du beau moral, la bienveillance pour nos principaux mobiles ; mais on oublie qu'il regarde cette bienveillance, cet amour de l'ordre, & même le sacrifice le plus entier de soi-même, comme des effets de notre amour-propre. Voyez ORDRE. Cependant il est certain que milord Shafsburi exige un desinteressement qui ne peut être ; & il ne voit pas assez que ces nobles effets de l'amour-propre, l'amour de l'ordre, du beau moral, la bienveillance, ne peuvent qu'influer bien peu sur les actions des hommes vivans dans les sociétés corrompues. Voyez ORDRE.

L'auteur du livre de l'Esprit a été fort accusé en dernier lieu, d'établir qu'il n'y a aucune vertu ; & on ne lui a pas fait ce reproche pour avoir dit que la vertu est purement l'effet des conventions humaines, mais pour s'être presque toûjours servi du mot d'intérêt à la place de celui d'amour-propre : on ne connoît pas assez la force de la liaison des idées, & combien un certain son rappelle nécessairement certaines idées ; on est accoutumé à joindre au mot d'intérêt, des idées d'avarice & de bassesse ; il les rappelle encore quelquefois quand on voit qu'il signifie ce qui nous importe, ce qui nous convient : mais quand même il ne rappelleroit pas ces idées, il ne signifie pas la même chose que le mot amour-propre.

Dans la société, dans la conversation, l'abus des mots amour-propre, orgueil, intérêt, vanité, est encore bien plus fréquent ; il faut un prodigieux fonds de justice, pour ne pas donner à l'amour-propre de nos semblables, qui ne s'abaissent pas devant nous, & qui nous disputent quelque chose, ces noms de vanité, d'intérêt, d'orgueil.

* INTERET, s. m. (Littérat.) l'intérêt dans un ouvrage de littérature, naît du style, des incidens, des caracteres, de la vraisemblance, & de l'enchaînement.

Imaginez les situations les plus pathétiques ; si elles sont mal amenées, vous n'intéresserez pas.

Conduisez votre poëme avec tout l'art imaginable ; si les situations en sont froides, vous n'intéresserez pas.

Sachez trouver des situations & les enchaîner ; si vous manquez du style qui convient à chaque chose, vous n'intéresserez pas.

Sachez trouver des situations, les lier, les colorier ; si la vraisemblance n'est pas dans le tout, vous n'intéresserez pas.

Or vous ne serez vraissemblant, qu'en vous conformant à l'ordre général des choses, lorsqu'il se plaît à combiner des incidens extraordinaires.

Si vous vous en tenez à la peinture de la nature commune, gardez par-tout la même proportion qui y regne.

Si vous vous élevez au-dessus de cette nature, & que vos êtres soient poétiques, aggrandis ; que tout soit réduit au module que vous aurez choisi, & que tout soit aggrandi en même proportion : il seroit ridicule de mettre une gerbe de petits épis, tels qu'ils croissent dans nos champs, sous le bras d'une Cerès à qui l'on auroit donné sept à huit piés de haut.

J'ai entendu dire à des gens d'un goût foible & mesquin, & qui ramenant tout à l'imitation rigoureuse de la nature, regardoient d'un oeil de mépris les miracles de la fiction ; jamais femme s'est-elle écriée comme Didon ?

At pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras,

Pallentes umbras erebi noctemque profundam,

Ante pudor quam te violo aut tua jura resolvo ;

" Que le pere des dieux me frappe de sa foudre ; qu'il me précipite chez les ombres, chez les pâles ombres de l'érebe & dans la nuit profonde, avant, ô pudeur, que je renonce à toi, & que je viole tes lois sacrées ".

Ils n'entendoient rien à ce ton emphatique ; faute de connoître la vraie proportion des figures de l'Enéïde ; ils rejettoient de ce morceau tout ce qui caractérise le génie, le premier & le second vers, & ils ne s'accommodoient que de la simplicité du dernier. Ce poëme étoit sans intérêt pour eux.

INTERET, s. m. (Arith. & Algéb.) 1. L'intérêt est le profit que tire le créancier du prêt de son argent (ou de tel autre meuble). Il varie suivant les conventions faites avec l'emprunteur.

2. Il y a deux manieres d'énoncer l'intérêt, sur lesquelles il est important de se faire des idées nettes.

Suivant la premiere maniere, on entend assez qu'autant de fois que 100 est contenu dans le capital, autant de fois on tire pour l'intérêt le nombre désigné par tant.

Suivant la seconde, il faut entendre qu'autant de fois que le nombre qui marque le denier est contenu dans le capital, autant de fois on tire un d'intérêt. Ainsi le denier étant 18, l'intérêt est 1 pour 18.

3. Il est toujours facile de réduire l'une de ces expressions à l'autre. Pour cela, prenant 100 pour dividende constant des deux autres nombres (savoir celui qui exprime à combien pour % est l'intérêt & celui qui exprime le denier) l'un étant le diviseur, l'autre est le quotient, par exemple,

Si l'intérêt est à 4 pour %, le denier sera .

Le denier étant 20, l'intérêt sera à pour %.

Si le diviseur n'est pas sousmultiple de 100, il est clair que le quotient sera une fraction. Ainsi,

L'intérêt étant à 3 pour %, le denier sera .

Le denier étant 18, l'intérêt sera à pour %.

4. On distingue deux sortes d'intérêts ; le simple, & celui que j'appelle redoublé ou composé.

Le premier est celui qui se tire uniformément sur le premier capital, sans pouvoir devenir capital lui-même, ni produire intérêt.

Le second est quand l'intérêt échu passe en nature de capital, & produit lui-même intérêt.

5. Dans toutes les questions de l'un & de l'autre genre, il entre nécessairement cinq élémens.

6. De l'intérêt simple. Pour avoir r.

1°. Faites... d. i : : a. , c'est l'intérêt d'un terme.

2°. Multipliez par t, vient ... c'est l'intérêt total.

3°. Ajoutez a ou , vous aurez = a x .

7. Exemple I. Un homme a prêté 1200 liv. à 3 pour % par an d'intérêt : à combien montent intérêts & principal au bout de 4 ans ?

Exemple II. Un homme ayant gardé 1200 livres pendant un certain tems, rend 1344 liv. pour principal, & intérêt à raison de 3 pour % : combien l'argent a-t-il été gardé ?

Substituant dans la quatrieme formule, on trouvera, t = 100 x = 14400/3600 = 4.

Quant t est une fraction, cette circonstance n'ajoute (en cette espece d'intérêt) aucune difficulté réelle : le calcul en devient seulement un peu plus compliqué.

8. De l'intérêt redoublé ou composé. Les appellations restant les mêmes que ci-dessus, pour avoir r, raisonnez ainsi :

Le capital du premier terme étant a, l'intérêt sera ; à quoi ajoutant a ou , r pour ce premier terme sera =.... a x .

Le capital du second terme étant ,

l'intérêt sera ; à quoi ajoutant

le capital (réduit au dénominateur d 2).

En procedant de la même maniere, on trouvera pour l'r du troisieme terme

Sans aller plus loin, on voit que les divers résultats trouvés & à trouver, forment une progression géométrique, dont a est le premier terme, & (que pour plus de briéveté je nommerai p) l'exposant. Le terme de la progression où p est élevé à la puissance dont l'exposant est 1, sera l'r du tems 1 ; celui où p est élevé à la puissance dont l'exposant est 2, sera l'r du tems 2 ; & en général le terme de la progression où p est élevé à la puissance dont l'exposant est t, sera l'r de ce tems t. D'où naissent, pour toutes les manieres différentes dont une même question peut être retournée, les formules suivantes.

9.

10. Exemple I. 1000 livres ont été prêtées à 6 pour % par an d'intérêt redoublé (& c'est ainsi qu'il faudra l'entendre dans tout le reste de cet article) : combien sera-t-il dû au bout de 3 ans, tant en capital qu'intérêts ?

Exemple II. On rend au bout de 3 ans 1191 livres 2/125 pour 1000 liv. prêtées à interêt : quel étoit cet intérêt ?

C'est p qu'il faut trouver. Or la troisieme formule donne... = .

Substituant.... = = = 0.0253059 : puisque 0. 0253059 est le logarithme de p ou de , ajoutant le logarithme de d ou de 100, la somme 2. 0253059 est le logarithme de d + 1. Mais à ce logarithme répond dans la table le nombre 106 : donc d + i = 106 ; donc i = 106 - d = 106 - 100 = 6 ; donc l'intérêt étoit à 6 pour %.

Comme on peut se trouver embarrassé quand t est une fraction ; j'ajoute un exemple pour ce cas-là.

Exemple III. 1000 livres ont été prêtées à 7 1/2 pour % par an d'intérêt : combien sera-t-il dû au bout de 3 ans sept mois 15 jours ?

(t a été réduit en la plus petite espece, c'est-à-dire en jours ou 365emes d'année, & i la fraction résultante réduite elle-même à une plus simple par la division du numérateur, & du dénominateur par 5).

Le calcul (effrayant & presque impratiquable par la voie ordinaire) devient très-simple & très-facile par les logarithmes... = + . Substituant, on trouve.... = 3.0000000 + = 3.0000000 + 0.1135869 = 3.1135869. Or à ce logarithme répond dans la table le nombre 1298 29/30... c'est en livres la valeur de r.

11. Les questions ordinaires qu'on peut faire sur l'intérêt ; se résoudront toujours avec facilité par les regles qu'on vient de voir : mais on y pourroit mêler telles circonstances qui rendroient ces regles insuffisantes. Par exemple,

12. Un homme doit une somme actuellement exigible ; son créancier consent qu'il la lui rende en un certain nombre de payemens égaux, qui se feront, le premier dans un an, le second dans deux, & ainsi de suite, & dans lesquels entreront les intérêts (sur le pié d'un denier convenu) à raison du retardement de chaque payement : on demande quel sera chaque payement égal ?

(Cette question au reste n'est pas de pure curiosité ; cette maniere de faire le commerce d'argent est, dit-on, fort d'usage en Angleterre).

13. C'est l'égalité des payemens qui fait ici toute la difficulté. Pour la lever (conservant d'ailleurs les appellations précédentes), à t qui désignoit le tems, je substitue n qui exprimera le nombre des payemens égaux.

Il est clair que le premier payement trouvé, tout est trouvé. Or ce premier payement est composé de deux parties ; l'une connue, c'est l'intérêt du capital entier sur le pié du denier donné ; l'autre inconnue, c'est une certaine portion du capital qu'il faut prendre pour complete r le payement. Le capital étant écorné par le premier payement, l'intérêt sera moins fort la seconde année, & conséquemment (vû l'égalité des payemens) la portion qu'on prendra sur le capital sera plus grande, & ainsi de suite d'année en année. Ce qui donne deux suites, l'une décroissante pour les intérêts, l'autre croissante pour les diverses portions du capital, je m'attache à celle-ci ; & pour découvrir la loi qui y régne, je nomme z, y, x, &c. dans le même ordre, les portions du capital compétantes aux premier, second, troisieme, &c. payemens, de sorte que z + y + x + &c. = a.

&c.

14. Comme ces payemens sont supposés égaux, on en peut former diverses équations, comparant le premier avec le second, celui-ci avec le troisieme, &c.

La premiere équation fait trouver... y = z x <(d+i)/d>

La seconde.... x = y x , ou (substituant au lieu de y sa valeur).. x = z x

Ce qui suffit pour donner à connoître que la suite en question est une progression géométrique, dont l'exposant est = p : & dès-là le problème est résolu ; car des cinq élémens qui entrent en toute progression géométrique, (Voyez PROGRESSION) trois pris comme on voudra étant connus, donnent les deux autres. Or on connoît ici la somme a, le nombre des termes n, & l'exposant p : on connoîtra donc les deux autres, & nommément le premier terme dont il s'agit ici principalement... il sera a x ; à quoi ajoutant l'intérêt du capital entier qui est a x , on aura r = a x , ou (réduisant tout au dénominateur p n - 1) r = a x . Mais comme cette expression de la valeur de r exige dans l'application des réductions pénibles, au lieu de p remettant qui lui est égal, naît une nouvelle formule qui a cela de commode, que toutes les réductions y sont faites d'avance, & qu'il n'y a qu'à substituer. On la voit ci-dessous avec celles qui en dérivent d'une part, & vis-à-vis les mêmes par les logarithmes.

15. r = x .. = + + x n - - .

a = x .. = + + - - .

n = ................ .

Envain ressasseroit-on ces formules pour en tirer une qui donnât directement la valeur de ou de p ; on se trouve nécessairement renvoyé à une équation du degré n.

16. Comme z (ou la portion du capital qui entre dans le premier payement) est la seule vraie inconnue de cette question ; si on veut l'avoir directement, de l'équation ci-dessus z + y + x + &c. = a (après avoir préalablement réduit tout en z) on tirera généralement

z = a x .

C'est-à-dire que pour avoit z, il faut multiplier a par une fraction dont le numérateur étant d(n - 1), le dénominateur est la somme des produits des puissances successives de d (depuis l'exposant jusqu'à l'exposant o inclusivement) multipliées terme à terme, mais dans un ordre renversé, par les puissances pareilles de .

17. Remarquez que cette derniere formule n'est la formule particuliere de z (premier & plus petit terme de la progression que forment entr'elles les diverses portions du capital) que parce qu'on a pris pour numérateur de la fraction le premier & plus petit terme du dénominateur, savoir d n-1. Si, (laissant d'ailleurs tout le reste du second membre dans le même état) on eût pris pour numérateur le second terme du dénominateur, sçavoir , on eût eu la formule de y ; celle de x, si on eût pris le troisieme, &c. En un mot, la formule donnera la valeur du terme de la progression correspondant (quant au rang) à celui du dénominateur qu'on aura pris pour numérateur de la fraction... Cette remarque trouvera plus bas son application.

18. Exemple. Que la somme prêtée soit 10000 livres, l'intérêt à 4 pour %, & qu'il y ait 4 payemens égaux.

3°. Par les logarithmes) celui de r se trouve 3.4401058 : or le nombre qui répond à ce logarithme est entre 2754 & 2755, beaucoup plus près de ce dernier.

19. Dans la question qu'on vient de résoudre (le capital, l'intérêt, le nombre & les termes des payemens restant d'ailleurs les mêmes) si l'on supposoit que la dette originaire ne fût exigible que dans un an, au lieu de l'être actuellement, comme on l'avoit supposé N°. 12 : quel seroit alors chaque payement égal ?

Ce qui rend l'espece du cas présent différente de celle du précédent ; c'est que le premier payement se faisant au même terme que la dette originaire eût dû être payée, n'est point sujet à intérêts, & sera pris en entier sur le capital. Procédant d'ailleurs comme ci-dessus, on retrouve encore entre les diverses portions du capital z, y, x, &c. la progression géométrique dont l'exposant est ; avec cette difference que z (qui en étoit là le premier & plus petit terme, parce qu'il étoit joint au plus fort intérêt) en est au contraire ici le dernier & plus grand parce que l'intérêt auquel il est joint, est le moindre qu'il soit possible ou nul, & qu'il complete seul son payement. Pour en avoir donc la valeur, il faut, conformément à la remarque N°. 17, substituer (dans la formule du N°. 16) n-1 au lieu de d n-1 pour numérateur de la fraction. Ce qui donnera

z = r = 10000 x 17676/66351 = 175760000/66351 = 2648 l. 62552/66351. Comme on peut le vérifier.

Il seroit inutile de pousser plus loin cette spéculation.

20. Il est évident que le calcul de l'intérêt & celui de l'escompte (Voyez ESCOMPTE) sont fondés sur les mêmes principes & assujettis aux mêmes regles, avec quelque légere différence dans l'application, qui en produit d'essentielles dans les résultats. Que, dans la premiere formule du N°. 6, on renverse la fraction , ensorte qu'elle devienne , on aura la formule de r pour l'escompte simple, & par elle les autres qui en dérivent. De même, que dans les formules du N°. 9, on prenne p non pour , mais pour , elles deviendront celles même de l'escompte correspondante.

Article de M. RALLIER DES OURMES.

On a vû ci-dessus que a est l'intérêt redoublé ou composé pour un nombre m d'années quelconque, en y comprenant le principal ; & que a (1 + ) est l'intérêt simple pour un nombre pareil d'années, en y comprenant de même le principal. Or il est aisé de voir, 1°. que si m est un nombre entier > que l'unité, on a > 1 + ; car = + + + &c. Voyez PUISSANCE & BINOME ; or cette quantité est évidemment égale à 1 + + une quantité réelle positive ; donc elle est plus grande que 1 + .

2°. Si m = 1, les deux quantités sont égales, comme il est très-aisé de le voir.

3°. Si m = 1/p, on aura < 1 + ou 1 + ; car en élevant de part & d'autre à la puissance p, on aura d'une part ; & de l'autre, 1 + i/d + une quantité positive.

4°. Delà il est aisé de voir que si m est un nombre fractionnaire quelconque plus grand que l'unité, on aura en général a > a + ; & au contraire si m est un nombre fractionnaire quelconque plus petit que l'unité.

Donc en général, quand on emprunte à intérêt composé, la somme dûe est plus forte s'il y a plus d'un an écoulé, qu'elle ne le seroit dans le cas de l'intérêt simple ; & au contraire, s'il y a moins d'un an écoulé, la somme dûe est moins forte que dans le cas de l'intérêt simple.

Pour rendre sensible à tous nos lecteurs cette observation importante, supposons qu'un particulier prête à un autre une somme d'argent à 3 pour 1 d'intérêt par an ; cette usure exorbitante ne peut sans doute jamais avoir lieu en bonne morale ; mais l'exemple est choisi pour rendre le calcul plus facile : il est clair qu'au commencement de la premiere année, c'est-à-dire dans l'instant du prêt, le debiteur devra simplement la somme prêtée 1 ; qu'au commencement de la seconde année il devra la somme 4, & que cette somme 4 devant porter son intérêt à 3 pour 1, il sera dû au commencement de la troisieme année la somme 4, plus 12 ou 16 ; ensorte que les sommes 1, 4, 16, dûes au commencement de chaque année, c'est-à-dire à des intervalles égaux, formeront une proportion qu'on appelle géométrique, c'est-à-dire dans laquelle le troisieme terme contient le second comme celui-ci contient le premier. Or, par la même raison, si on cherche la somme dûe au milieu de la premiere année, on trouvera que cette somme est 2, parce que la somme dûe au milieu de la premiere année doit former aussi une proportion géométrique avec les sommes 1 & 4 dûes au commencement & à la fin de cette année ; & qu'en effet la somme 1 est contenue dans la somme 2, comme la somme 2 l'est dans la somme 4. Présentement dans le cas de l'intérêt simple, le débiteur de la somme 4 au commencement de la seconde année, ne devroit que la somme 7 & non 16 au commencement de la troisieme : mais au milieu de la premiere année, il devroit la somme 2 & 1/2 ; car l'argent qui rapporte 3 pour 1 à la fin de l'année dans le cas de l'intérêt simple, & 6, c'est-à-dire le double de 3 à la fin de la seconde année, doit rapporter 2/3, c'est-à-dire la moitié de 3 au milieu de la premiere année. Donc dans le cas de l'intérêt composé, le débiteur devra moins avant la fin de la premiere année, que dans le cas de l'intérêt simple. Donc si l'intérêt composé est favorable au créancier dans certains cas, il l'est au débiteur dans d'autres cas ; la compensation, il est vrai n'est pas égale, puisque l'avantage du débiteur finit avec la premiere année, & que celui du créancier commence alors pour aller toûjours en croissant à mesure que le nombre des années augmente : néanmoins il est toûjours utile d'avoir fait cette observation, ne fût-ce que pour montrer que l'intérêt simple dans certains cas, est non-seulement moins favorable au debiteur, mais qu'il peut même être regardé comme injuste, si la convention est telle que le débiteur soit obligé de s'acquiter dans le courant de l'année de l'emprunt.

Si on représente les sommes dûes par les ordonnées d'une ligne courbe dont la premiere ordonnée (celle qui répond à l'abscisse = 0) soit = à la somme prêtée, & dont les ordonnées répondantes à chaque abscisse représentent les sommes dûes à la fin du tems représenté par cette abscisse ; il est aisé de voir 1°. que dans le cas de l'intérêt simple cette courbe sera une ligne droite ; 2°. que dans le cas de l'intérêt composé, elle tournera sa convexité vers son axe ; 3°. que dans le cas de l'intérêt composé si on nomme a la premiere ordonnée, & a + b l'ordonnée qui répond à une abscisse = t ; l'ordonnée qui répondra à une abscisse quelconque p t sera ; p étant un nombre quelconque entier ou rompu, plus grand ou plus petit que l'unité. Voyez LOGARITHME & LOGARITHMIQUE. Donc en général la somme dûe au bout du tems p t sera a x (1 + b/a)p ; & on suppose p infiniment petit, la différence des quantités a & a (1 + b/a)p sera à la quantité a comme la quantité p t est à la soutangente d'une logarithmique, qui ayant a pour premiere ordonnée, t pour abscisse, auroit a + b pour l'abscisse correspondante. Or la soutangente d'une telle logarithmique est facile à trouver. Car nommant x cette sous-tangente, & c le nombre dont le logarithme est l'unité, on aura a = a + b. Voyez LOGARITHMIQUE & EXPONENTIEL. Donc t/x log. c + log. a = log. a + b ; ou t/x = log. a + b, parce que log. c = 1, (hyp.) & que log. a = 0. Donc x = . Voyez LOGARITHME. Par ce moyen si on nomme d la quantité infiniment petite qui est dûe pour l'intérêt à la fin de l'instant d t, on aura d = = . C'est ainsi que dans le cas de l'intérêt composé, on trouve quel est l'intérêt, si on peut parler ainsi, à la naissance du tems ; & cet intérêt équivaut à un intérêt simple, qui feroit a log. a + b, au bout du tems t. Voyez aux articles ESCOMPTE & ARRERAGES d'autres remarques sur l'intérêt. On nous a fait sur cet article ARRERAGES une imputation très-injuste, dont nous croyons nous être suffisamment justifiés par une lettre insérée dans le mercure de Décembre 1757. Nous y renvoyons le lecteur. (O)

INTERET, (Jurisprud.) foenus, usura, seu id quod interest ; c'est l'estimation du profit qu'une somme d'argent auroit pû produire annuellement à un créancier, si elle lui eût été payée dans le tems où elle devoit l'être. Car quoiqu'on dise communément que nummus nummum non parit, cependant on peut employer l'argent en achat d'héritages qui produisent des fruits, en constitution de rentes, ou à quelque négociation utile ; c'est pourquoi le débiteur qui est en demeure de payer, est condamné aux intérêts ; il y a aussi certains cas où il est permis de les stipuler.

Anciennement les intérêts n'étoient connus que sous le nom de foenus ou usura ; le terme d'usure ne se prenoit pas alors en mauvaise part, comme on fait présentement.

La loi de Moïse défendoit aux Juifs de se prêter de l'argent à usure les uns aux autres, mais elle leur permettoit & même leur ordonnoit d'exiger des intérêts de la part des étrangers. Le motif de cette loi fut, à ce que quelques-uns croyent, de détourner les Juifs de commercer avec les autres nations, en ôtant à celles-ci l'envie d'emprunter des Juifs à des conditions si onéreuses. Moïse parvint par ce moyen à détourner les Juifs de l'idolatrie & du luxe, pour lesquels ils avoient du penchant ; & leur argent ne sortit point du pays.

S. Ambroise remarque que ces étrangers, à l'égard desquels Moïse permettoit l'usure, étoient les Amalécites & les Amorrhéens, ennemis du peuple de Dieu, qui avoit ordre de les exterminer.

Mais lorsque les sept peuples qui habitoient la Palestine, furent subjugués & exterminés, Dieu donna aux Juifs par ses prophetes d'autres lois plus pures sur l'usure, & qui la défendent à l'égard de toutes sortes de personnes, comme on voit dans les pseaumes 14 & 54 ; dans Ezéchiel, chap. xviij. dans l'ecclésiastique, chap. xxix. enfin, dans S. Luc, ch. vj. où il est dit mutuum date nihil inde sperantes.

Sans entrer dans le détail des différentes explications que l'on a voulu donner à ces textes, nous nous contenterons d'observer que tous les Théologiens & les Canonistes, excepté le subtil Scot, conviennent que dans le prêt appellé mutuum, on peut exiger les intérêts pour deux causes, lucrum cessans & damnum emergens, pourvû que ces intérêts n'excedent point la juste mesure du profit que l'on peut retirer de son argent.

Les Romains, quoiqu'ennemis de l'usure, reconnurent que l'avantage du Commerce exigeoit que l'on retirât quelque intérêt de son argent ; c'est pourquoi la loi des 12 tables permit le prêt à un pour cent par mois. Celui qui tiroit un intérêt plus fort, étoit condamné au quadruple.

Le luxe & la cupidité s'étant augmentés, on exigea des intérêts si forts, que Licinius fit en 376 une loi appellée de son nom Licinia, pour arrêter le cours de ces usures. Cette loi n'ayant pas été exécutée, Duillius & Maenius tribuns du peuple, en firent une autre, appellée Duillia-Maenia, qui renouvella la disposition de la loi des 12 tables.

Les usuriers ayant pris d'autres mesures pour continuer leurs vexations, le peuple ne voulut plus se soumettre même à ce que les lois avoient reglé à ce sujet ; desorte que les tribuns modérerent l'intérêt à moitié de ce qui est fixé par la loi des 12 tables ; on l'appella foenus semiunciarium, parce qu'il ne consistoit qu'en un demi pour cent par mois.

Le peuple obtint ensuite du tribun Genutius une loi qu'on appella Genutia, qui proscrivit entierement les intérêts. Ce plébiscite fut d'abord reçu à Rome, mais il n'avoit pas lieu dans le reste du pays latin, desorte qu'un romain qui avoit prêté de l'argent à un de ses concitoyens transportoit sa dette à un latin qui lui en payoit l'intérêt, & ce latin exigeoit de son côté l'intérêt du débiteur.

Pour éviter tous ces inconvéniens, le tribun Sempronius fit la loi Sempronia, qui ordonna que les Latins & autres peuples alliés du peuple romain, seroient sujets à la loi Genutia.

Mais bien-tôt l'intérêt à 12 pour cent redevint légitime ; on stipula même de plus forts intérêts, & comme cela étoit prohibé, on comprenoit l'excédent dans le principal.

La loi Gabinia, l'édit du prêteur, & plusieurs senatus-consultes défendirent encore ces intérêts qui excédoient 12 pour cent ; mais les meilleures lois furent toûjours éludées.

Constantin-le-Grand approuva l'intérêt à un pour cent par mois.

Justinien permit aux personnes illustres de stipuler l'intérêt des terres à quatre pour cent par an, aux Marchands & Négocians à huit pour cent, & aux autres personnes à six pour cent ; mais il ordonna que les intérêts ne pourroient excéder le principal.

Il étoit permis par l'ancien droit de stipuler un intérêt plus fort dans le commerce maritime, parce que le péril de la mer tomboit sur le créancier.

L'empereur Basile défendit toute stipulation d'intérêts ; l'empereur Léon les permit à 4 pour cent.

Pour le prêt des fruits ou autres choses qui se consument pour l'usage, on prenoit des intérêts plus forts, appellés nemiolae usurae, ou sescuplum ; ce qui revenoit à la moitié du principal.

Suivant le dernier état du droit romain, dans les contrats de bonne-foi les intérêts étoient dûs en vertu de la stipulation, ou par l'office du juge, à cause de la demeure du débiteur.

Mais dans les contrats de droit étroit, tels qu'étoit le prêt appellé mutuum, les intérêts n'étoient point dûs à-moins qu'ils ne fussent stipulés.

Le mot latin usura, s'appliquoit chez les Romains à trois sortes d'intérêts ; savoir, 1°. celui que l'on appelloit foenus, qui avoit lieu dans le prêt appellé mutuum, lorsqu'il étoit stipulé ; il étoit considéré comme un accroissement accordé pour l'usage de la chose. 2°. L'usure proprement dite, qui avoit lieu sans stipulation par la demeure du débiteur & l'office du juge. 3°. Celui que l'on appelloit id quod interest ou interesse : ce sont les dommages & intérêts.

Les conciles de Nicée & de Laodicée, défendirent aux clercs de prendre aucuns intérêts ; ceux de France n'y sont pas moins précis, entr'autres celui de Rheims en 1583.

Les papes ont aussi autrefois condamné les intérêts : Urbain III. déclara que tout intérêt étoit défendu de droit divin : Alexandre III. décida même que les papes ne peuvent permettre l'usure, même sous prétexte d'oeuvres pies, & pour la rédemption des captifs : Clement V. dit qu'on devoit tenir pour hérétiques ceux qui soutenoient qu'on pouvoit exiger des intérêts ; cependant Innocent III. qui étoit grand canoniste, décida que quand le mari n'étoit pas solvable, on pouvoit mettre la dot de sa femme entre les mains d'un marchand, ut de parte honesti lucri dictus vir onera possit matrimonii sustentare. C'est de-là que tous les Théologiens & Canonistes ont adopté que l'on peut exiger des intérêts lorsqu'il y a lucrum cessans, ou damnum emergens.

En France on distingue l'usure de l'intérêt légitime ; l'usure prise pour intérêt excessif, ou même pour un intérêt ordinaire dans les cas où il n'est pas permis d'en exiger, a toûjours été défendue : l'intérêt légitime est permis en certains cas.

La stipulation d'intérêt qui étoit permise chez les Romains dans le prêt, est reprouvée parmi nous, si ce n'est entre marchands fréquentans les foires de Lyon, lesquels sont autorisés par les ordonnances, à stipuler des intérêts de l'argent prêté : il y a aussi quelques provinces où il est permis de stipuler l'intérêt des obligations, même entre toutes sortes de personnes, comme en Bresse ; ces obligations y tiennent lieu des contrats de constitution que l'on n'y connoît point.

Suivant le droit commun, pour faire produire des intérêts à des deniers prêtés, il faut que trois choses concourent ; 1°. que le débiteur soit en demeure de payer, & que le terme du payement soit échu ; 2°. que le créancier ait fait une demande judiciaire des intérêts ; 3°. qu'il y ait un jugement qui les adjuge.

Dans quelques pays un simple commandement suffit pour faire courir les intérêts, comme au parlement de Bordeaux.

Les intérêts qui ont été payés volontairement sans être dûs, sont imputés sur le sort principal ; on ne peut même pas les compenser avec les fruits de la terre acquise des deniers prêtés.

On autorisoit autrefois les prêteurs à prêter à intérêt les deniers de leurs pupilles par simple obligation, & cela est encore permis en Bretagne ; mais le parlement de Paris a depuis quelque tems condamné cet usage.

Hors le cas du prêt, qui de sa nature doit être gratuit, & où les intérêts ne peuvent être exigés que sous les conditions qui ont été expliquées, on peut stipuler des intérêts à défaut de payement ; il y a même des cas où ils sont dûs de plein droit par la nature de la chose sans stipulation & sans demande, à-moins qu'il n'y ait convention au contraire.

Par exemple, l'intérêt du prix d'un immeuble vendu est dû de plein droit, & court du jour que l'acquéreur est entré en possession. Les intérêts de la dot sont dûs au mari du jour de la bénédiction nuptiale ; l'intérêt de la portion héréditaire ou de la légitime, & d'une soute de partage, court du jour que le principal est dû.

Il y a des cas où l'intérêt n'est pas dû de plein droit, mais où il peut être stipulé, pourvû qu'il ne s'agisse pas de prêt ; par exemple, pour intérêts civils, pour vente de droits incorporels, ou de choses mobiliaires en gros.

On ne peut pas exiger les intérêts des intérêts, ni des arrérages d'une rente constituée, ni former avec les intérêts un capital, pour lui faire produire d'autres intérêts ou arrérages ; ce seroit un anatocisme qui est défendu par toutes les lois.

Il est néanmoins permis d'exiger les intérêts du prix des moissons & autres fruits, des fermages & loyers de maisons, des arrérages de douaire, pensions, & autres choses semblables.

Les tuteurs doivent à leurs pupilles les intérêts des intérêts.

Quand la caution est contrainte de payer pour le principal obligé, les intérêts du capital, & même des intérêts, lui sont dûs de plein droit du jour du payement, parce que ces intérêts lui tiennent lieu de capital.

Il en est de même d'un acquéreur chargé de payer à des créanciers délégués des capitaux avec des arrérages ou intérêts ; il doit les intérêts du total, parce que c'est un capital à son égard.

Le taux des intérêts étoit fixé anciennement au denier douze jusqu'en 1602, puis au denier seize jusqu'en 1634 ; ensuite au denier dix-huit jusqu'en 1665, que l'on a établi le denier vingt.

L'édit du mois de Mars 1730 avoit fixé les rentes au denier cinquante ; mais il ne fut registré qu'au châtelet : l'édit du mois de Juin 1724, fixa le taux des rentes au denier trente ; enfin, l'édit du mois de Juin 1725, a fixé les rentes & intérêts au denier vingt.

On peut stipuler des intérêts moindres que le taux de l'ordonnance ; mais il n'est pas permis d'en stipuler qui excedent.

Le taux des intérêts n'est pas le même dans toutes les provinces du royaume ; cela dépend des différens édits & du tems qu'ils y ont été enregistrés. On peut voir à ce sujet le mémoire qui est inseré dans les oeuvres posthumes d'Henrys, quest. 4.

Suivant le droit romain, les intérêts ne pouvoient excéder le principal ; ce qui s'observe encore dans la plûpart des parlemens de droit écrit ; mais au parlement de Paris, les intérêts peuvent excéder le principal.

L'imputation des payemens se fait d'abord in usuras, suivant le droit ; ce qui s'observe aussi dans les parlemens de droit écrit : au lieu qu'au parlement de Paris on distingue si les intérêts sont dûs ex naturâ rei, ou officio judicis. Au premier cas, les payemens s'imputent d'abord sur les intérêts ; au second cas, c'est sur le principal.

L'hypotheque des intérêts est du jour du contrat ; il y a néanmoins quelques pays qui ont à cet égard des usages singuliers. Voyez le recueil de questions de Bretonnier, au mot intérêt.

Pour faire cesser les intérêts, il faut un payement effectif, ou une compensation, ou des offres réelles suivies de consignation.

Voyez les différens titres de usuris, au code & au digeste dans les novelles ; Salmazius, de usuris ; Dumolin, en son traité des contrats usuraires ; Mornac, sur la loi 60, ff. pro socio ; Dolive, liv. IV. ch. xxj. la Peyrere, au mot intérêts ; Henrys, tome I. liv. IV. ch. vj. quest. 110 ; le dictionnaire des cas de conscience ; la dissertation de M. Hevin, tome I. (A)

INTERETS CIVILS, (Jurisprud.) sont une somme d'argent que l'on adjuge en matiere criminelle à la partie civile contre l'accusé, par forme de dédommagement du préjudice que la partie civile a pu souffrir par le fait de l'accusé. On appelle cette indemnité intérêts civils, pour la distinguer de la peine corporelle qui fait l'objet de la vindicte publique & des dommages & intérêts que l'on a accordés à l'accusé contre l'accusateur, lorsqu'il y a lieu.

L'intérêt civil dû pour raison d'un crime, se prescrit par vingt ans comme le crime même.

Quand le roi remet à un condamné les peines corporelles & pécuniaires, il n'est jamais censé remettre les intérêts civils dûs à la partie.

Les condamnés peuvent être retenus en prison faute de payement des intérêts civils.

Ces intérêts sont préférés à l'amende dûe au roi. Voyez l'ordonnance de 1670, tit. XIII. art. xxjx. le journal des aud. tom. II. liv. III. chap. xj. (A)

INTERETS COMPENSATOIRES, sont ceux qui sont dûs pour tenir lieu des fruits que le créancier auroit retirés d'un fonds, tels que les intérêts du prix de la vente, ceux de la légitime, &c. (A)

INTERETS CONVENTIONNELS, sont ceux qui n'ont lieu qu'en vertu de la convention. (A)

INTERETS JURATOIRES : on appelle ainsi en quelques pays ceux qui sont adjugés en justice. Voyez la dissertation de M. Catherinot, sur le prêt gratuit, p. 68.

INTERETS LUCRATOIRES, sont la même chose que les intérêts conventionnels : on les appelle lucratoires, parce qu'ils sont stipulés comme une estimation du profit que l'argent auroit pû produire, s'il eût été employé autrement. (A)

INTERETS LUNAIRES, c'est le nom qu'on donne dans les échelles du levant aux intérêts usuraires que les Juifs exigent des nations chrétiennes qui ont besoin de leur argent, soit pour commercer, soit pour payer les avances que les officiers Turcs de ces échelles ne leur font que trop souvent. Voyez AVANCE.

On les appelle lunaires, parce que les débiteurs payent à tant pour cent par lune, & que les mois des Turcs ne sont pas solaires comme ceux des Chrétiens, ce qui augmente encore l'intérêt de plus d'un tiers par cent.

Pour remédier à cet abus, M. de Nointel lorsqu'il alla en ambassade à la Porte en 1670, fut chargé de ne plus souffrir ces intérêts lunaires, ni les emprunts que la nation faisoit aux Juifs pour le payement des avances, & il fut statué qu'en cas d'une nécessité pressante d'emprunter quelque somme, les marchands François établis dans les échelles seroient tenus d'en faire l'avance, qui leur seroit remboursée & répartie sur les premieres voiles qui iroient charger dans lesdites échelles. Dict. de Comm.

INTERETS MORATOIRES, sont ceux qui sont dûs à cause de la demeure du débiteur. (A)

INTERET DU ex naturâ rei, c'est celui qui a lieu de plein droit & sans stipulation, comme l'intérêt du prix d'une vente, l'intérêt de la dot, de la part héréditaire, de la légitime, d'une soute de partage, &c. (A)

INTERETS ex officio judicis, c'est celui qui n'a lieu qu'en vertu d'une demande suivie de condamnation, tel que l'intérêt de l'argent prêté. (A)

INTERET PUNITOIRE, est celui qui est dû propter moram debitoris ; c'est la même chose que l'intérêt moratoire. (A)

INTERET PUPILLAIRE, ou intérêt de deniers pupillaire, est celui que le tuteur doit à son mineur ; ce qui comprend aussi les intérêts des intérêts. (A)

INTERETS USURAIRES, sont ceux qui n'ont pû être stipulés, ou qui excedent le taux de l'ordonnance. (A)

INTERET, (Oecon. polit.) L'intérêt est une somme fixée par la loi, que l'emprunteur s'engage à payer au prêteur. Je dis une somme fixée par la loi, c'est ce qui distingue l'intérêt de l'usure.

L'argent n'est pas seulement une représentation des denrées, il est & doit être marchandise, & il a sa valeur réelle ; ce qui constitue son prix, c'est la proportion de sa masse avec la quantité des denrées dont il est la représentation, avec les besoins de l'état & l'argent des pays voisins.

Lorsqu'il y a beaucoup d'argent, il doit avoir moins de prix, être moins cher, & par conséquent aliéné à un intérêt plus modique.

Si un état n'avoit ni voisins à craindre ni denrées à prendre de l'étranger, il lui seroit égal d'avoir peu ou beaucoup d'argent ; mais les besoins des particuliers & de l'état demandent que l'on cherche à entretenir chez soi une masse d'argent proportionnée à ces besoins & à celle des autres nations.

L'argent coule de trois sources dans les pays qui n'ont pas de mines. L'agriculture, l'industrie, & le commerce.

L'agriculture est la premiere de ces sources ; elle nourrit l'industrie ; toutes deux produisent le commerce qui s'unit avec elles pour apporter & faire circuler l'argent.

Mais l'argent peut être destructeur de l'agriculture, de l'industrie & du commerce, quand son produit n'est pas proportionné avec le produit des fonds de terre, les profits du commerce & de l'industrie.

Si par exemple la rente de l'argent est de cinq pour cent, ou au denier 20, & que le produit des terres ne soit que de deux, les particuliers trouvent de l'avantage à préférer les fonds d'argent aux fonds de terre, & l'agriculture est négligée. Si le chef de manufacture ne tire par son travail, le négociant par son commerce, que cinq pour cent de leurs fonds, ils aimeront mieux sans travail & sans risque recevoir ces cinq pour cent d'un débiteur.

Pour faire valoir les terres & les manufactures, pour faire des entreprises de commerce, il faut souvent faire des emprunts ; si l'argent est à un trop haut prix, il y a peu de profit à espérer pour l'agriculteur, le commerçant, le chef de manufactures.

S'ils ont emprunté à cinq pour cent ou au denier vingt, ils seront obligés pour se dédommager de vendre plus cher que ceux des pays où on emprunte à trois : de-là moins de débit chez l'étranger, moins de moyens de soutenir la concurrence.

L'argent par lui-même ne produit rien, c'est le produit du commerce, de l'industrie, des terres, qui paye l'argent qu'on emprunte : ainsi les rentes de l'argent sont une charge établie sur les terres, le commerce, l'industrie.

Une des premieres opérations du grand Sulli fut de réduire au denier seize l'intérêt de l'argent qui étoit au denier douze. " Nous avons, dit Henri le Grand dans son édit, reconnu au doigt & à l'oeil, que les rentes constituées à prix d'argent au denier douze, ont été cause de la ruine de plusieurs bonnes & anciennes familles qui ont été accablées d'intérêt, & souffert la vente de leurs biens.... " Elles ont empêché le trafic & commerce de la marchandise qui auparavant avoit plus de vogue dans notre royaume qu'en aucun autre de l'Europe, & fait négliger l'agriculture & les manufactures. Aimant mieux plusieurs de nos sujets sous la facilité d'un gain à la fin trompeur, vivre de leurs rentes en oisiveté parmi les villes, qu'employer leur industrie avec quelque peine aux arts, ou à cultiver & approprier leurs héritages.

On sentit dans les dernieres années du regne d'Henri IV. & les premieres du regne de Louis XIII. le bien qu'avoit fait la réduction des rentes. Le cardinal de Richelieu obtint de son maître un édit pour les réduire au denier 18.

A présent que ce royaume est si florissant & si abondant, dit Louis XIII. la réduction ci-devant faite ne produit plus l'effet pour lequel elle avoit été ordonnée, d'autant que les particuliers trouvent tant de profit & de facilité au revenu desdites constitutions, qu'ils négligent celui du commerce & de l'agriculture, dont le rétablissement toutefois est si nécessaire pour la puissance & subsistance de cette monarchie.

Il entra bien-tôt dans le plan du grand Colbert, de faire baisser l'intérêt de l'argent dont la masse étoit augmentée ; il le réduisit au denier 20 où il est encore. Louis XIV. donne dans son édit les mêmes motifs de réduction qu'avoient donnés Henri IV. & Louis XIII. il y a de plus ces mots remarquables. La valeur de l'argent étant fort diminuée par la quantité qui en vient journellement des Indes, il faut pour mettre quelque proportion entre l'argent & les choses qui tombent dans le commerce, &c.

On voit que les principes établis au commencement de cet article ont été ceux de ces grands administrateurs dont la France bénit encore la mémoire. On sait combien l'agriculture fleurit sous le ministere de Sulli, & à quel point étoient parvenues nos manufactures sous celui de Colbert. Le commerce prit sous lui un nouvel éclat, & l'agriculture auroit eu le même sort si la guerre n'avoit pas obligé le ministere d'établir de nouveaux impôts, ou seulement s'il avoit plus été le maître de la maniere d'établir les impôts, & de leur espece. Voyez IMPOTS.

Est-il permis d'examiner d'après ces principes & ces faits, si le moment d'une réduction nouvelle n'est pas arrivé.

Il est connu qu'il y a en France à-peu-près le tiers d'argent de plus que sous le ministere de Colbert.

Les Anglois, Hollandois, Hambourgeois ont baissé chez eux l'intérêt de l'argent, & chez ces nations commerçantes il est généralement à 3 pour cent, & quelquefois au-dessous.

Jamais il n'y eut en France plus d'hommes vivans de rentes en argent, & de-là bornés à recevoir, à jouir, & inutiles à la société.

Il faut faire baisser le prix de l'argent, pour avoir un plus grand nombre de commerçans qui se contentent d'un moindre profit, pour que nos marchandises se vendent à un moindre prix à l'étranger ; enfin pour soutenir la concurrence du commerce avec les nations dont je viens de parler.

Il faut faire baisser le prix de l'argent pour délivrer l'agriculture, l'industrie, le commerce de ce fardeau énorme de rentes qui se prennent sur leur produit.

Il faut faire baisser le prix de l'argent, pour soulager le gouvernement qui fera dans la suite les entreprises à meilleur compte, & paiera une moindre somme pour les rentes dont il est chargé.

Avant la derniere guerre l'argent de particulier à particulier commençoit à se prendre à 4 pour cent, & il seroit tombé à un prix plus bas sans les causes que je vais dire.

Premiere raison qui maintient l'intérêt de l'argent à 5 pour cent.

Il y a en France environ 50 à 60 mille charges vénales, dans le militaire, la robe ou la finance ; elles passent sans-cesse d'un citoyen à l'autre. Dans les pays où cette vénalité n'est pas introduite, l'argent s'emploie à l'amélioration des terres, aux entreprises du commerce. Parmi nous il est mort pour l'un & pour l'autre ; il forme une masse qui n'entre point dans la circulation de détail, & reste en reserve pour ce grand nombre de citoyens nécessités à faire de gros emprunts, parce qu'il faut acheter des charges.

Deuxieme raison qui maintient l'intérêt de l'argent à 5 pour cent.

Les entreprises pour l'équipement, l'entretien, les hôpitaux, les vivres des flottes & des armées, ont été faites avec un profit très-grand pour les entrepreneurs ; mais sur-tout les profits de la finance sont énormes : les particuliers ont trouvé à placer leur argent à un intérêt si haut, qu'en comparaison l'intérêt de 5 pour cent a paru peu de chose. Plus il y a d'argent à placer à un intérêt excessif, & moins il y en a à prêter à l'intérêt ordinaire.

Troisieme raison qui maintient l'intérêt de l'argent à 5 pour cent.

Les profits de la finance ont accumulé l'argent dans les coffres d'un petit nombre de particuliers ; bien-tôt eux seuls ont eu de l'argent à prêter, & ils l'ont vendu cher à l'état. Il en est de l'argent comme des autres marchandises ; le défaut de concurrence en augmente le prix : les compagnies qui vendent seules certaines étoffes, certaines denrées, les vendent nécessairement trop cher.

Quatrieme raison qui maintient l'intérêt de l'argent à 5 pour cent.

Les fortunes énormes ont amené le luxe dans ceux qui les possedent ; l'imitation l'a répandu dans les classes moins opulentes, qui pour le soutenir sont forcées à de fréquens emprunts.

Cinquieme raison qui maintient l'intérêt de l'argent à 5 pour cent.

L'état est chargé de dettes dont il paye souvent une rente usuraire.

De quelque nécessité qu'il soit en France de faire baisser le prix de l'intérêt de l'argent, si l'autorité faisoit tout-à-coup cette réduction, & sans avoir fait cesser une partie des causes qui ont fixé l'intérêt à 5 pour cent, il y auroit peut-être deux inconvéniens à craindre, la diminution du crédit, l'inexécution de la loi.

Cette loi dans un état chargé de dettes comme l'est aujourd'hui la France, paroîtroit peut-être dans ce moment une ressource d'un gouvernement épuisé & hors d'état de satisfaire à ses charges.

En jettant de l'inquiétude dans les esprits, elle feroit baisser tous les fonds publics.

Cette loi pourroit n'être pas exécutée ; dans la nécessité où se trouve le militaire & une partie de la nation de faire des emprunts, l'argent ne se prêteroit plus par contrat, & les billets frauduleux qui n'assureroient pas les fonds autant que le contrat, seroient un prétexte de rendre la rente usuraire.

On peut dans la suite éviter ces inconvéniens.

1°. En supprimant & remboursant une multitude prodigieuse de charges inutiles & onéreuses à l'état.

2°. En remboursant sans les supprimer les charges utiles.

3°. En diminuant prodigieusement les profits de la finance, & en faisant circuler l'argent dans un plus grand nombre de mains.

Alors le luxe de tous les états tombera de lui-même.

Alors les emprunts seront plus rares, moins considérables & plus faciles ; alors on pourra sans inconvénient mettre l'intérêt de l'argent au même degré qu'il est chez nos voisins.

Peut-être dès ce moment, sans altérer le crédit, sans jetter les citoyens dans la nécessité d'enfreindre ou d'éluder la loi, pourroit-on mettre l'argent à 4 pour cent.

On pourroit faire procéder cette opération par quelque opération qui assureroit le crédit, comme seroit une légere diminution des tailles, ou la suppression d'un de ces impôts qui sont plus onéreux au peuple que fertiles en argent.

D'ailleurs la loi étant générale pour les particuliers comme pour le prince, elle pourroit être censée faite non à cause de l'épuisement du gouvernement, mais pour le bien du commerce & de l'agriculture, & par-là elle assureroit le crédit loin de le rabaisser.

Il est certain & démontré que les avantages de cette opération seroient infinis pour la nation dont ils ranimeroient l'agriculture, le commerce & l'industrie ; il est certain qu'ils soulageroient beaucoup le gouvernement qui payeroit en rentes une moindre somme, & cette réduction de l'intérêt de l'argent lui donneroit le droit de diminuer peu-à-peu les gages d'une multitude de charges inutiles, & de charges nécessaires, mais dont les gages sont trop forts ; cette seconde opération empêcheroit que ces charges ne fussent autant recherchées qu'elles le sont, & par-là feroit encore un bien à la nation.


INTÉRIEURadj. (Gram.) Son corrélatif est extérieur. La surface d'un corps est la limite de ce qui lui est intérieur & extérieur. Ce qui appartient à cette surface, & tout ce qui est placé au-delà vers celui qui regarde ou touche le corps est extérieur. Tout ce qui est au-delà de la surface, dans la profondeur du corps, est intérieur.

Les mots intérieures, extérieures, se prennent au physique & au moral ; & l'on dit dans l'Architecture moderne : on s'est fort occupé de la distribution, de la commodité & de la décoration intérieures, mais on a tout-à-fait négligé l'extérieure. Ce n'est pas assez que l'extérieur soit composé, il faut que l'intérieur soit innocent. Le chancelier Bacon a intitulé un de ses ouvrages sur l'intérieur de l'homme, de la caverne : ce titre fait frémir.


INTÉRIEUREVIE, (Morale) c'est un commerce spirituel & réciproque qui se fait au-dedans de l'ame entre le créateur & la créature par les opérations de Dieu dans l'ame, & la coopération de l'ame avec Dieu. Les peres distinguent trois différens degrés par lesquels passe l'ame fidele, ou trois sortes d'amours auxquels Dieu éleve l'homme qui s'est occupé de lui. Ils appellent le premier amour de préférence, ou vie purgative ; c'est l'état d'une ame que les touches de la grace divine, & les remords d'une conscience justement allarmée, ont pénétré des vérités de la religion, & qui occupée de l'éternité, ne veut plus rien qui ne tende vers ce terme. L'homme dans cette situation s'occupe tout entier à mériter les biens ineffables que la religion promet, & à éviter les peines éternelles dont elle menace. Dans ce premier état l'ame regle sa conduite sur ses devoirs, & donne toujours la préférence au créateur sur tout ce qui est créé. L'esprit de pénitence lui fait embrasser une mortification qui asservit en même tems les passions & les sens, alors toutes ses pensées étant élevées vers Dieu, chaque action n'a d'autre principe ni d'autre fin que lui seul ; la priere devient habituelle. L'ame n'est plus interrompue par les travaux extérieurs qu'elle embrasse cependant autant que les devoirs particuliers de son état ou ceux de la charité l'y obligent. Mais l'esprit de recueillement les fait entrer dans l'exercice même de la priere. Néanmoins la méditation se fait encore par des actes méthodiques. L'ame s'occupe d'une maniere réfléchie des paroles de l'Ecriture-sainte, & d'actes dictés pour se tenir dans la présence de Dieu. Dans l'ordre des choses spirituelles, les biens augmentent à proportion de la fidélité de l'ame ; & de ce premier état elle passe bientôt à un degré plus élevé & plus parfait appellé vie illuminative ou amour de complaisance. En effet l'ame qui a contracté l'heureuse habitude de la vertu acquiert un nouveau degré de faveur, elle goutte dans sa pratique une facilité & une satisfaction qui lui rend précieuses toutes les occasions de sacrifice, & quoique les actes de son amour soient encore discursifs, c'est-à dire, sentis & réfléchis, elle ne délibere plus entre l'intérêt temporel, & le devoir qu'elle doit à Dieu est alors son plus grand intérêt. Ce n'est plus assez pour elle de faire le bien, elle veut le plus grand bien, ensorte que de deux actes bons en eux-mêmes, elle accomplit toujours le plus parfait, parce qu'elle ne se regarde plus elle-même du moins volontairement, mais la gloire & la plus grande gloire de Dieu. C'est ce degré d'amour qui fait chérir aux solitaires le silence, la mortification, & la dépendance des cloîtres si opposés à la nature, & en apparence si contraire à la raison, dans lesquels cependant ils goûtent des sentimens plus doux, des plaisirs plus sensibles, des transports plus réels, que tout ce que le monde offre de plus séduisant ; ces vérités sont d'expérience, & ceux qui ne les ont pas pratiquées ne peuvent ni ne doivent les comprendre, comme le dit le cardinal Bona ; elles sont attestées par une suite constante d'expériences, depuis l'apôtre saint Paul jusqu'à saint François de Sales.

Rien n'apprend mieux à l'homme ce qu'il est que la connoissance du Dieu qui l'a formé ; la grandeur du Créateur lui donne une juste idée de la petitesse de la créature ; la disproportion infinie qu'il apperçoit entre l'être suprême & les hommes, lui apprend ce qu'ils sont, & combien sont méprisables les vanités qui les distinguent, & les frivolités qui les occupent. Ainsi les graces que Dieu n'accorde qu'aux humbles rendent encore leur humilité plus profonde. C'est la disposition où doit être l'ame fidele pour arriver au troisieme degré de la vie intérieure appellée vie unitive ou amour d'union, & à laquelle les épreuves extérieures & intérieures servent de préparation. Cet état a été défini, un acte passif où il semble que Dieu agit seul, & que l'ame ne fait qu'obéir à la force impulsive qui la porte vers lui ; mais cet état est rarement habituel, & il reste toujours des actes distincts qui spécifient les vertus. Dieu n'éleve ses Saints sur la terre à ce degré que d'une manie momentanée par anticipation des biens célestes. C'est l'habitude de la contemplation & l'union de l'amour qui ont mérité dans plusieurs des Saints dont l'église a canonisé les vertus, ces extases, ces ravissemens, ces révélations qu'on doit regarder comme des miracles que Dieu, quand il lui plaît, fait éprouver à l'ame fidele ; mais qu'il ne nous appartient pas de demander. Ces états extraordinaires & ineffables, devenus l'objet de l'ambition de quelques mystiques, ont donné lieu à bien des illusions qui ont perdu ceux qui d'eux-mêmes ont voulu s'introduire dans le sanctuaire de ses graces de prédilection. Dieu n'en gratifie que celui qui s'en croit vraiement indigne, & dans lequel ces dons divins produisent une foi plus vive, une charité plus ardente, une humilité plus profonde, un dénuement plus parfait, une pratique plus généreuse de ce qu'il y a d'héroïque dans toutes les vertus. Les autres chez lesquels ces états surnaturels ne sont pas précédés de l'exercice des vertus & n'en perfectionnent pas la pratique, tombent dans une illusion bien dangereuse. Tel est l'état de ces femmes prétendues dévotes, dans lesquelles la sensibilité du coeur, la vivacité des passions & la force de l'imagination ont des effets qu'elles prennent pour des graces singulieres, & qui souvent ont des causes toutes humaines, quelquefois même criminelles. Ces déplorables égaremens ont donné lieu à des extravagances dont l'opprobre est retombé par une suite aussi ordinaire qu'injuste sur les opérations même de la grace. Il y a eu de faux mystiques dès le commencement de l'Eglise depuis les Gnostiques jusqu'aux Quiétistes, dont les erreurs, quoique condamnées précédemment dans le concile de Vienne, ont paru vouloir se renouveller le siecle passé. Voyez QUIETISME.


INTERIMS. m. (Hist. mod.) nom fameux dans l'Histoire ecclésiastique d'Allemagne, par lequel on a désigné une espece de reglement pour l'Empire, sur les articles de foi qu'il y falloit croire en attendant qu'un concile général les eût plus amplement décidés. Ce mot interim est latin & signifie cependant ou en attendant, comme pour signifier que son autorité ne dureroit que jusqu'à la détermination du concile général.

Pour entendre ce qui regarde l'interim, il est bon de savoir que le concile de Trente ayant été interrompu en 1548 & transféré à Bologne, l'empereur Charles V. qui n'espéroit pas voir cette assemblée sitôt réunie, & qui vouloit concilier les Luthériens avec les Catholiques, imagina le tempérament de faire dresser un formulaire par des Théologiens qui seroient envoyés pour cet effet à la diete qui se tenoit alors à Augsbourg : ceux-ci n'ayant pu convenir entr'eux laisserent à l'empereur le soin de le faire dresser. Il en chargea trois théologiens célébres, qui rédigerent vingt-six articles sur tous les points controversés entre les Catholiques & les Luthériens. Ces articles concernoient l'état du premier homme avant & après sa chute dans le péché ; la rédemption des hommes par J. C. ; la justification du pécheur ; la charité & les bonnes oeuvres ; la confiance qu'on doit avoir en Dieu que les péchés sont pardonnés ; l'église & ses vraies marques, sa puissance, son autorité, ses ministres, le pape & les évêques : les sacremens en général & en particulier ; le sacrifice de la messe, & la commémoration qu'on y fait des Saints, leur intercession & leur invocation ; la priere pour les défunts & l'usage des sacremens, auxquels il faut ajouter la tolérance sur le mariage des prêtres & sur l'usage de la coupe. Quoique les Théologiens qui avoient dressé cette profession de foi, assurassent l'empereur qu'elle étoit très-orthodoxe, à l'exception des deux derniers articles ; le pape ne voulut jamais l'approuver ; & depuis que Charles V. l'eut proposée comme un reglement par une constitution impériale donnée en 1548 dans la diete d'Augsbourg qui l'accepta, il y eut des catholiques qui refuserent de se soumettre à l'interim sous prétexte qu'il favorisoit le luthéranisme ; & pour rendre cette ordonnance odieuse, ils la comparerent à l'Hénotique de Zenon, à l'Ecthere d'Héraclius, & au Type de Constant. Voyez HENOTIQUE, ECTHERE & TYPE. D'autres catholiques l'adopterent, & écrivirent pour sa défense.

L'interim ne fut guere mieux reçu des Protestans, la plupart le rejetterent, comme Bucer, Musculus, Osiander, sous prétexte qu'il rétablissoit la papauté qu'ils pensoient avoir détruite ; d'autres écrivirent vivement contre, mais enfin comme l'empereur agit fortement pour soutenir sa constitution, jusqu'à mettre au ban de l'empire les villes de Magdebourg & de Constance qui refusoient de s'y soumettre ; les Luthériens se diviserent en rigides ou opposés à l'interim & en mitigés qui prétendoient qu'il falloit s'accommoder aux volontés du souverain ; on les nomma Intérimistes ; mais ils se réservoient le droit d'adopter ou de rejetter ce que bon leur sembloit dans la constitution de l'empereur. Ensorte qu'on peut regarder cet interim comme une de ces pieces dans lesquelles en voulant ménager deux partis opposés on les mécontente tous deux ; & c'est ce que produisit effectivement l'interim qui ne remédia à rien, fit murmurer les Catholiques & souleva les Luthériens.

INTERIM, (Jurisp.) se dit quelquefois figurément & par allusion à l'interim de Charles-quint, pour signifier quelque chose de provisoire ; c'est ainsi qu'on dit jouir par interim ou exercer quelque fonction par interim, en attendant la décision de quelque contestation. (A)


INTERIMISTESS. m. pl. (Hist. Ec.) est le nom qu'on donna aux Luthériens, qui joignirent à leurs erreurs les 26 articles du decret fait à Augsbourg en 1548, dit interim, & accordé par l'empereur Charles V. aux protestans, en attendant un concile général.


INTERJECTIONS. f. (Gram. Eloq.) L'interjection étant considérée par rapport à la nature, dit l'abbé Regnier (p. 534.) est peut-être la premiere voix articulée dont les hommes se soient servis. Ce qui n'est que conjecture chez ce grammairien, est affirmé positivement par M. le Président de Brosses, dans ses observations sur les langues primitives, qu'il a communiquées à l'académie royale des Inscriptions & Belles-lettres.

" Les premieres causes, dit-il, qui excitent la voix humaine à faire usage de ses facultés, sont les sentimens ou les sensations intérieures, & non les objets du dehors, qui ne sont, pour ainsi dire, ni apperçus, ni connus. Entre les huit parties d'oraison, les noms ne sont donc pas la premiere, comme on le croit d'ordinaire ; mais ce sont les interjections, qui expriment la sensation du dedans, & qui sont le cri de la nature. L'enfant commence par elles à montrer qu'il est tout à la fois capable de sentir & de parler.

Les interjections, mêmes telles qu'elles sont dans nos langues formées & articulées, ne s'apprennent pas par la simple audition & par l'intonation d'autrui ; mais tout homme les tient de soi-même & de son propre sentiment ; au moins dans ce qu'elles ont de radical & de significatif, qui est le même par-tout, quoiqu'il puisse y avoir quelque variété dans la terminaison. Elles sont courtes ; elles partent du mouvement machinal & tiennent par-tout à la langue primitive. Ce ne sont pas de simples mots, mais quelque chose de plus, puisqu'elles expriment le sentiment qu'on a d'une chose, & que par une simple voix promte, par un seul coup d'organe, elles peignent la maniere dont on s'en trouve intérieurement affecté.

Toutes sont primitives, en quelque langue que ce soit, parce que toutes tiennent immédiatement à la fabrique générale de la machine organique, & au sentiment de la nature humaine, qui est partout le même dans les grands & premiers mouvemens corporels. Mais les interjections, quoique primitives, n'ont que peu de dérivés. ".

[ La raison en est simple. Elles ne sont pas du langage de l'esprit, mais de celui du coeur ; elles n'expriment pas les idées des objets extérieurs, mais les sentimens intérieurs.

Essentiellement bornés, l'acquisition de nos connoissances est nécessairement discursive ; c'est-à-dire, que nous sommes forcés de nous étayer d'une premiere perception pour parvenir à une seconde, & passer ainsi par des degrés successifs, en courant, pour ainsi dire, d'idée en idée (discurrendo). Cette marche progressive & traînante fait obstacle à la curiosité naturelle de l'esprit humain, il cherche à tirer de son propre fonds même des ressources contre sa propre foiblesse ; il lie volontiers les idées qui lui viennent des objets extérieurs : ] " il les tire les unes après les autres, comme avec un cordon, les combine & les mêle ensemble.

Mais les mouvemens intérieurs de notre ame, qui appartiennent à notre existence, y sont fort distincts, y restent isolés, chacun dans leur classe, selon le genre d'affection qu'ils ont produit tout d'un coup, & dont l'effet, quoique permanent, a été subit. La douleur, la surprise, le dégoût, n'ont rien de commun ; chacun de ces sentimens est un, & son effet a d'abord été ce qu'il de voit être : il n'y a ici ni dérivation dans les sentimens, ni progression successive, ni combinaison factice, comme il y en a dans les idées.

C'est une chose curieuse sans-doute que d'observer sur quelles cordes de la parole se frappe l'intonation de divers sentimens de l'ame, & de voir que ces rapports se trouvant les mêmes par-tout où il y a des machines humaines, établissent ici, non plus une relation purement conventionnelle, telle qu'elle est d'ordinaire entre les choses & les mots, mais une relation vraiment physique & de conformité entre certains sentimens de l'ame & certaines parties de l'instrument vocal.

La voix de la douleur frappe sur les basses cordes : elle est traînée, aspirée & profondément gutturale : eheu, hélas, si la douleur est tristesse & gémissement, ce qui est la douleur douce, ou, à proprement parler l'affliction ; la voix, quoique toujours profonde, devient nasale.

La voix de la surprise touche la corde sur une division plus haute : elle est franche & rapide ; ah ah, eh, oh oh : celle de la joie en differe en ce qu'étant aussi rapide, elle est fréquentative & moins breve ; ha ha ha ha, hi hi hi hi.

La voix du dégoût & de l'aversion est labiale ; elle frappe au-dessus de l'instrument sur le bout de la corde, sur les levres allongées ; fi ; voe, pouah. Au lieu que les autres interjections n'emploient que la voyelle, celle-ci se sert de la lettre labiale la plus extérieure de toutes, parce qu'il y a ici tout à la fois sentiment & action ; sentiment qui répugne, & mouvement qui repousse : ainsi il y a dans l'interjection voix & figure [ son & articulation ] ; voix qui exprime, & figure qui rejette par le mouvement extérieur des levres allongées.

La voix du doute & du dissentement est volontiers nasale, à la différence que le doute est allongé, étant un sentiment incertain, hum, hom, & que le pur dissentement est bref, étant un mouvement tout déterminé, in, non.

Cependant il seroit absurde de se figurer que ces formules, si différentes en apparence, & les mêmes au fonds, se fussent introduites dans les langues ensuite d'une observation réfléchie telle que je viens de la faire. Si la chose est arrivée ainsi, c'est tout naturellement, sans y songer ; c'est qu'elle tient au physique même de la machine, & qu'elle résulte de la conformation, du moins chez une partie considérable du genre humain.... Le langage d'un enfant, avant qu'il puisse articuler aucun mot, est tout d'interjections. La peinture d'aucun objet n'est encore entrée en lui par les portes des sens extérieurs, si ce n'est peut-être la sensation d'un toucher fort indistinct : il n'y a que la volonté, ce sens intérieur qui naît avec l'animal, qui lui donne des idées ou plutôt des sensations, des affections : ces affections, il les désigne par la voix, non volontairement, mais par une suite nécessaire de sa conformation méchanique & de la faculté que la nature lui a donnée de proférer des sons. Cette faculté lui est commune avec quantité d'autres animaux [ mais dans un moindre degré d'intensité ] ; aussi ne peut-on pas douter que ceux-ci n'ayent reçu de la nature le don de la parole, à quelque petit degré plus ou moins grand ", [ proportionné sans-doute aux besoins de leur oeconomie animale, & à la nature des sensations dont elle les rend susceptibles : d'où il doit résulter que le langage des animaux est vraisemblablement tout interjectif, & semblable en cela à celui des enfans nouveau-nés, qui n'ont encore à exprimer que leurs affections & leurs besoins. ]

Si on entend par oraison, la manifestation orale de tout ce qui peut appartenir à l'état de l'ame, toute la doctrine précédente est une preuve incontestable que l'interjection est véritablement partie de l'oraison, puisqu'elle est l'expression des situations même les plus intéressantes de l'ame ; & le raisonnement contraire de Sanctius est en pure perte. C'est, dit-il, (Minerv. I. ij.) la même chose partout ; donc les interjections sont naturelles. Mais si elles sont naturelles, elles ne sont point parties de l'oraison, parce que les parties de l'oraison, selon Aristote, ne doivent point être naturelles, mais d'institution arbitraire. Eh, qu'importe qu'Aristote l'ait ainsi pensé, si la raison en juge autrement ? Le témoignage de ce philosophe peut être d'un grand poids dans les choses de fait, parce qu'il étoit bon observateur, comme il paroît même en ce qu'il a bien vû que les interjections étoient des signes naturels & non d'institution ; mais dans les matieres de pur raisonnement, c'est à la raison seule à prononcer définitivement.

Il y a donc en effet des parties d'oraison de deux especes ; les premieres sont les signes naturels des sentimens, les autres sont les signes arbitraires des idées : celles-là constituent le langage du coeur, elles sont affectives : celles-ci appartiennent au langage de l'esprit, elles sont discursives. Je mets au premier rang les expressions du sentiment, parce qu'elles sont de premiere nécessité, les besoins du coeur étant antérieurs & supérieurs à ceux de l'esprit : d'ailleurs elles sont l'ouvrage de la nature, & les signes des idées sont de l'institution de l'art ; ce qui est un second titre de prééminence, fondé sur celle de la nature même à l'égard de l'art.

M. l'abbé Girard a cru devoir abandonner le mot interjection, par deux motifs : " l'un de goût, dit-il, parce que ce mot me paroissoit n'avoir pas l'air assez françois ; l'autre fondé en raison, parce que le sens en est trop restraint pour comprendre tous les mots qui appartiennent à cette espece : voilà pourquoi j'ai préféré celui de particule, qui est également en usage ". (Vrais princ. tome. I, disc. ij. pag. 80.) Il explique ailleurs (tom. II, disc. xiij. pag. 313.) ce que c'est que les particules. ". Ce sont tous les mots, dit-il, par le moyen desquels on ajoute à la peinture de la pensée celle de la situation, soit de l'ame qui sent, soit de l'esprit qui peint. Ces deux situations ont produit deux ordres de particules ; les unes de sensibilité, à qui l'on donne le nom d'interjectives ; les autres de tournures de discours, que par cette raison je nomme discursives ".

On peut remarquer sur cela, 1°. que M. Girard s'est trompé quand il n'a pas trouvé au mot interjection un air assez françois : un terme technique n'a aucun besoin d'être usité dans la conversation ordinaire pour être admis ; il suffit qu'il soit usité parmi les gens de l'art, & celui-ci l'est autant en grammaire que les mots préposition, conjonction, &c. lesquels ne le sont pas plus que le premier dans le langage familier. 2°. Que le mot interjective, adopté ensuite par cet académicien, devoit lui paroître du moins aussi voisin du barbarisme que le mot interjection, & qu'il est même moins ordinaire que ce dernier dans les livres de Grammaire. 3°. Que le terme de particule n'est pas plus connu dans le langage du monde avec le sens que les Grammairiens y ont attaché & beaucoup moins encore avec celui que lui donne l'auteur des vrais principes. 4°. Que ce terme est employé abusivement par ce subtil métaphysicien, puisqu'il prétend réunir sous la dénomination de particule, & les expressions du coeur & des termes qui n'appartiennent qu'au langage de l'esprit ; ce qui est confondre absolument les especes les plus différentes & les moins rapprochées.

Ce n'est pas que je ne sois persuadé qu'il peut être utile, & qu'il est permis de donner un sens fixe & précis à un terme technique, aussi peu déterminé que l'est parmi les Grammairiens celui de particule : mais il ne faut, ni lui donner une place déja prise, ni lui assigner des fonctions inalliables. Voyez PARTICULE.

Prétendre faire un corps systématique des diverses especes d'interjections, & chercher entr'elles des différences spécifiques bien caractérisées, c'est me semble, s'imposer une tâche où il est très-aisé de se méprendre, & dont l'exécution ne seroit pour le Grammairien d'aucune utilité.

Je dis d'abord qu'il est très-aisé de s'y méprendre, " parce que comme un même mot, selon qu'il est différemment prononcé, peut avoir différentes significations, aussi une même interjection, selon qu'elle est proférée, sert à exprimer divers sentimens de douleur, de joie ou d'admiration ". C'est une remarque de l'abbé Régnier, Gramm. franç. pag. 535.

J'ajoute que le succès de cette division ne seroit d'aucune utilité pour le grammairien : en voici les raisons. Les interjections sont des expressions du sentiment dictées par la nature, & qui tiennent à la constitution physique de l'organe de la parole : la même espece de sentiment doit donc toujours opérer dans la même machine le même mouvement organique, & produire constamment le même mot sous la même forme. De là l'indéclinabilité essentielle des interjections, & l'inutilité de vouloir en préparer l'usage par aucun art, lorsqu'on est sûr d'être bien dirigé par la nature. D'ailleurs l'énonciation claire de la pensée est le principal objet de la parole, & le seul que puisse & doive envisager la Grammaire, parce qu'elle ne doit être chargée de diriger que le langage de l'esprit ; le danger du coeur est sans art, parce qu'il est naturel : or il n'est utile au grammairien de distinguer les especes de mots, que pour en spécifier ensuite plus nettement les usages ; ainsi n'ayant rien à remarquer sur les usages des interjections, la distinction de leurs différences spécifiques est absolument inutile au but de la Grammaire.

Encore un mot avant que de finir cet article. Les deux mots latins en & ecce sont des interjections, disent les rudimens ; elles gouvernent le nominatif ou l'accusatif, ecce homo ou hominem, & elles signifient en françois voici ou voilà, qui sont aussi des interjections dans notre langue.

Ces deux mots latins seront, si l'on veut, des interjections ; mais on auroit dû en distinguer l'usage : en indique les objets les plus éloignés, ecce des objets plus prochains ; ensorte que Pilate montrant aux Juifs Jésus flagellé, dut leur dire ecce homo ; mais un Juif qui auroit voulu fixer sur ce spectacle l'attention de son voisin, auroit dû lui dire en homo, ou même en hominem. Cette distinction artificielle porte sur les vûes diverses de l'esprit ; en & ecce sont donc du langage de l'esprit, & ne sont pas des interjections : ce sont des adverbes, comme hic & illic.

C'est une autre erreur que de croire que ces mots gouvernent le nominatif ou l'accusatif ; la destination de ces cas est toute différente. Ecce homo, c'est-à-dire ecce adest homo ; ecce hominem, c'est-à-dire ecce vide ou videte hominem. Le nominatif doit être le sujet d'un verbe personnel, & l'accusatif, le complément ou d'un verbe ou d'une préposition : quand les apparences sont contraires il y a ellipse.

Enfin, c'est une troisieme erreur que de croire que voici & voilà soient en françois les correspondans des mots latins en & ecce, & que ce soit des interjections. Nous n'avons pas en françois la valeur numérique de ces mots latins, ici & là sont les mots qui en approchent le plus. Voici & voilà sont des mots composés qui renferment ces mêmes adverbes, & le verbe voi, dont il y a souvent ellipse en latin, voici, voi ici ; voilà, voi là. C'est pour cela que ces mots se construisent comme les verbes avec leurs complémens : voilà l'homme, voici des livres ; l'homme que voilà, les livres que voici ; nous voilà, me voici. Ainsi voici & voilà ne sont d'aucune espece, puisqu'ils comprennent des mots de plusieurs especes, comme du, qui signifie de le, des, qui veut dire de les, &c. (B. E. R. M.)


INTERJETTERv. act. (Gram. & Jurisprud.) il ne se dit guere qu'au palais & dans cette phrase : on interjette appel d'une sentence rendue. On voit que cette opposition doit être formée entre la sentence & son exécution ; c'est pour cette raison qu'on s'est servi du mot d'interjetter.


INTERLIGNESS. f. (Impr.) ce sont des parties minces, de bois ou de métal, que l'on met entre chaque ligne, pour leur donner plus de blanc. On s'est servi long-tems d'interlignes de bois, faute d'autres ; ce sont de minces reglettes de bois que l'on coupe à la longueur des lignes ; mais l'eau qui les pénétre lorsqu'on lave les formes, les fait bomber en différens sens, ce qui produit de mauvais effets, & les rend, en peu de tems, hors d'usage. On y a d'abord suppléé par de petites parties de métal dites interlignes brisées, parce qu'elles sont en forme d'espaces, fondues sur différens corps pour les avoir de plusieurs largeurs, afin de les faire servir à différens formats de livres. Ces secondes sortes d'interlignes ont un grand inconvénient, c'est qu'il arrive souvent qu'elles ne sont pas justes d'épaisseur entr'elles ; comme elles se font sur quatre ou cinq moules différens, pour peu qu'un d'eux péche en tête, en pié, ou à une des extrémités du corps, il en résulte un défaut général. Enfin on a inventé des moules pour en faire d'une seule piece pour chaque format, ce qui rend l'ouvrage plus promt, plus solide & plus propre. Voyez la fig. de ce moule dans les Planches de la Fonderie en caracteres.

L'épaisseur des interlignes est de deux sortes ; la plus usitée, & celle qui donne plus de grace à l'impression, est de trois points mesure de l'échelle pour la proportion des caracteres, c'est-à-dire que les deux font l'épaisseur de la nonpareille ; l'autre est de deux points ou trois interlignes pour le corps de ladite nonpareille. Celle-ci donne la distance juste qu'il y a d'un caractere à celui qui le suit dans l'ordre des corps, c'est-à-dire qu'un petit-romain & une de ces interlignes font ensemble le corps du cicéro ; ou unie au cicéro font le saint-augustin.


INTERLINÉATIONS. f. (Gram.) ce qui se trouve écrit entre deux lignes. On donne aussi le nom d'interligne à l'espace vuide qu'on observe entre deux lignes, & qui peut être rempli de notes & de corrections.


INTERLOCUTEURS. m. (Gram.) nom que l'on donne aux différens personnages que l'on introduit dans un dialogue. Il faut attacher des caracteres différens à ses interlocuteurs, & les leur conserver depuis le commencement du dialogue jusqu'à la fin. Ces caracteres seront plus vrais, marqueront plus de goût, donneront lieu au poëte de montrer son génie, beaucoup plus s'ils sont différens que s'ils sont contrastés. Le contraste donne à tout un ouvrage un tour épigrammatique petit, factice & déplaisant.


INTERLOCUTOIREadj. (Jurisprud.) se dit d'un jugement qui n'est point définitif, c'est-à-dire, qui ne décide pas le fond de la contestation, mais seulement ordonne quelque chose pour l'instruction ou l'éclaircissement de cette contestation : on dit quelquefois un jugement interlocutoire, & quelquefois pour abréger un interlocutoire simplement.

Tout interlocutoire est un préparatoire & un préalable à remplir avant le jugement définitif, mais il differe du simple préparatoire en ce que celui-ci ne concerne ordinairement que l'instruction, au lieu que l'autre touche aussi le fond. Un jugement qui ordonne que l'on fournira des défenses ou que l'on donnera copie ou communication d'une piece, est un simple préparatoire qui ne préjuge rien sur le fond, au lieu que l'interlocutoire ou préjuge le fond, ou du moins est rendu après avoir examiné le fond, comme quand on ordonne, avant faire droit, une enquête ou une descente, un plan, une visite. (A)


INTERLOPES. m. (Commerce) c'est celui qui empiete sur les privileges d'une compagnie de marchands, en faisant sans autorité le même commerce qu'eux, & dans le même endroit. Voy. COMPAGNIE.

On les appelle aussi avanturiers. Il n'y a guere que les Anglois qui ayent des vaisseaux interlopes de cette espece, dont le commerce quoique très-lucratif est une vraie contrebande dont les risques sont grands, puisqu'il ne s'y agit pas seulement de la confiscation des marchandises & des vaisseaux ou de la prison des marchands quand ils sont surpris par les gardes-côtes, mais même de la vie ; car c'est sous cette peine qu'il est interdit par les Espagnols dans tous les états que le roi possede aux Indes occidentales.

Les François & les Hollandois ont aussi quelques interlopes, mais en beaucoup moindre nombre que les Anglois, qui malgré les périls dont on vient de parler font par ce commerce des profits immenses. Voyez le Dictionn. de commerce.


INTERLOQUERv. n. (Juris.) signifie ordonner quelque chose de préalable avant de juger le fond d'une contestation. Voyez INTERLOCUTOIRE (A).


INTERMEDES. m. (Littérat.) ce qu'on donne en spectacle entre les actes d'une piece de théâtre, pour amuser le peuple, tandis que les acteurs reprennent haleine ou changent d'habits, ou pour donner le loisir de changer les décorations. Voyez COMEDIE.

Dans l'ancienne tragédie, le choeur chantoit dans les intermedes, pour marquer les intervalles entre les actes. Voyez CHOEUR, ACTE, &c.

Les intermedes consistent pour l'ordinaire chez nous en chansons, danses, ballets, choeurs de musique, &c.

Aristote & Horace donnent pour regle de chanter pendant ces intermedes des chansons qui soient tirées du sujet principal ; mais dès qu'on eut ôté les choeurs, on introduisit les mimes, les danseurs, &c. pour amuser les spectateurs. Voyez FARCES. Dictionn. de Trevoux.

En France on y a substitué une symphonie de violons & d'autres instrumens.

INTERMEDE, (Belles-lettres & Musique) c'est un poëme burlesque ou comique en un ou plusieurs actes, composé par le poëte pour être mis en musique ; un intermede en ce sens, c'est la même chose qu'un opéra bouffon. Voyez OPERA.

Nous avons peu de ces ouvrages ; Ragonde, Platée, & le Devin de village sont presque les seuls que nous nommons. Les Italiens en ont une infinité. Ils y excellent. C'est-là qu'ils montrent plus peut-être encore que dans les drames sérieux, combien ils sont profonds compositeurs, grands imitateurs de la nature, grands déclamateurs, grands pantomimes. Les traits de génie y sont répandus à pleines mains. Ils y mettent quelquefois tant de force, que l'homme le plus stupide en est frappé, d'autres fois tant de délicatesse, que leurs compositions ne semblent alors avoir été faites que pour un très-petit nombre d'ames sensibles & d'oreilles privilégiées. Tout le monde a été enchanté dans la Servante Maîtresse de l'air a Serpina penserete ; il est pathétique, voilà ce qui n'a échappé à personne ; mais qui est-ce qui a senti que ce pathétique est hypocrite ? Il a dû faire pleurer les spectateurs d'un goût commun, & rire les spectateurs d'un goût plus délié.

INTERMEDE, (Chimie) les Chimistes prennent ce mot dans trois sens différens.

Premierement ils désignent par le mot d'intermede un corps qu'ils interposent entre le feu employé à quelque opération & le sujet de cette opération ; dans ce sens le mot intermede est synonyme du mot bain, qui est pourtant beaucoup plus usité que le premier. Ainsi appliquer le feu à une cornue chargée d'une matiere quelconque par l'intermede, avec ou moyennant l'intermede du sable, des cendres, de la limaille, de l'eau, c'est la même chose qu'exposer ce vaisseau à la chaleur d'un bain de sable, de cendres, de limaille, ou du bain-marie. (Voyez FEU, CHIMIE).

Secondement, ils appellent intermedes certains corps qu'ils mêlent, par simple confusion, à certaines matieres pour leur procurer une discontinuité, une aggrégation plus lâche, ou telle autre altération non-chimique qui les dispose à éprouver plus efficacement, ou à mieux soutenir l'action du feu. Par exemple, ils mêlent à de la cire qu'ils veulent distiller, du sable, du chanvre, de la filasse ou autres corps semblables, & la distillation de la cire en devient plus aisée ; & même son analyse plus radicale, selon la prétention de certains chimistes. Voyez CIRE. J'appelle les intermedes de ce genre faux ou méchaniques.

Troisiemement (& c'est ici le sens le plus usité & le plus propre) intermede signifie la même chose qu'agent ou moyen chimique de décomposition, moyen pris dans l'ordre des menstrues. C'est ainsi qu'on décompose le nitre par l'intermede de l'acide vitriolique, ou du vitriol ; le vitriol, par l'intermede de l'alkali fixe, &c. Ces intermedes sont les vrais & uniques instrumens de l'analyse menstruelle ; & ils ne sont autre chose que des menstrues, ou précipitans. Voyez MENSTRUE, MENSTRUELLE, ANALYSE, ECIPITATION (B) (B).


INTERMEDIAIREadj. (Gramm.) il se dit d'un objet placé entre deux ou plusieurs autres. Il faut qu'il y ait entre les objets & nous un fluide intermédiaire qui nous les fasse appercevoir ou qui nous les fasse toucher des yeux. Si l'on dispose plusieurs globes de suite & qu'on frappe le premier, le mouvement semble se séparer des intermédiaires & se ramasser sur les derniers, les seuls qui se séparent de la file. Si l'on frappe à l'extrémité d'une poutre, le coup le plus léger sera entendu d'une oreille placée à l'autre extrémité : quelque compacte que soit le corps, quelque longue que soit la poutre, quelque grand que soit l'espace intermédiaire, la transmission du bruit n'en est point empêchée.

INTERMEDIAIRES, cartilages, (Anatom.) Voyez CARTILAGE.

INTERMEDIAIRES, ligamens, (Anatom.) Voyez LIGAMENT.


INTERMINABLEadj. (Gram.) qui ne peut être terminé. On dit un bruit interminable. Sans une autorité infaillible, les disputes de religion sont interminables. Le mépris seroit un moyen bien aussi sûr que l'autorité. Les Théologiens ne disputent guere quand on ne les écoute pas.


INTERMISSION(Médecine) c'est l'intervalle qui signifie deux accès de fievre intermittente. Ce mot est synonyme d'apyrexie. Voyez APYREXIE. (b).


INTERMITTENT(POULS) Voyez POULS.


INTERMITTENTE(FIEVRE) Voyez sous le mot FIEVRE.


INTERMONTIUMS. m. (Hist. anc.) vallée peu profonde, située entre deux hauteurs, au mont Capitolin. Les hauteurs étoient plantées de chênes. C'étoit un lieu sacré. Romulus voulut que ce fût un asyle aux coupables. Il y en a qui placent l'intermontium à l'endroit où l'on voit le cheval d'Antonin, d'autres au pié du roc Tarpéien.


INTERNEadj. (Gram.) qui ne paroît point au-dehors. Il est difficile d'assigner la différence d'intérieur & d'interne. Ils se disent tous les deux au physique & au moral. On dit l'intérieur de l'homme, un homme intérieur, & l'on ne dit pas l'interne d'un homme, ni un homme interne. Voilà un de ces mots tels qu'il y en a une infinité dans les langues, qui devroient bien convaincre de la difficulté d'écrire purement une langue étrangere ou morte.

INTERNE, (Géom.) les angles internes sont tous les angles que forment les côtés d'une figure rectiligne, pris au-dedans de cette figure. Voyez ANGLE.

La somme de tous les angles internes d'une figure rectiligne quelconque, est égale à deux fois autant d'angles droits, moins quatre, que la figure a de côtés.

Dans un triangle tel que K L M (Pl. Géometr. fig. 19.) les angles L & M sont dit internes & opposés, par rapport à l'angle externe I K M qui est égal à tous les deux ensemble.

On appelle encore angles internes ceux qui sont formés entre deux paralleles par l'intersection d'une troisieme ligne. Tels sont les angles z, y, & x, s, (Pl. Géom. fig. 36.) formés entre les paralleles O P, Q R de chaque côté de la sécante S T. Dans ces paralleles la somme de deux angles internes du même côté, est toujours égale à deux angles droits.

Les angles internes opposés sont les deux angles s & y (Pl. Géom. fig. 36.) formés par la ligne qui coupe les deux paralleles. Voyez PARALLELE.

Ils sont respectivement égaux aux angles A, u, qu'on appelle angles externes opposés. Chambers. (E).


INTERNONCES. m. (Hist. mod.) envoyé extraordinaire du souverain pontife, agent qui fait les affaires de la cour de Rome dans une cour étrangere, en attendant qu'il y ait un nonce exprès & en titre. Il y a des cours où les affaires se font toujours par un internonce & jamais par un nonce. Il y a toujours un internonce à Bruxelles. Les internonces ne font aucune fonction ecclésiastique ni en France ni ailleurs. D'internonce, nom du titulaire, on fait internonciature, nom du titre.


INTEROSSEUXadj. (Anatomie) on appelle ainsi quelques muscles qui servent à mouvoir les doigts, parce qu'ils sont situés entre les interstices des os du métacarpe. On donne aussi ce nom à quelques autres. On en compte ordinairement six ; ces muscles sont situés le long des parties latérales des os du métacarpe, de façon que deux de ces muscles sont situés le long des parties latérales de l'os du métacarpe qui soutient le doigt du milieu & celui qui est situé le long de la face de l'os du métacarpe du doigt annulaire qui regarde le petit doigt, s'avancent extérieurement & s'attachent par quelques plans de fibres aux faces des os voisins, & recouvrent les trois autres. Ces trois muscles sont appellés interosseux externes, & les trois recouverts sont appellés internes.

Ils viennent de la partie supérieure des os du métacarpe, près du carpe, & vont s'insérer à la partie supérieure externe du troisieme os des doigts, en s'unissant avec les lombricaux & par différens plans tendineux avec l'extenseur commun.

L'interosseux situé à la face latérale de l'os du métacarpe qui soutient le petit doigt, se termine à la partie supérieure de la premiere phalange de ce doigt.

Le demi interosseux de l'index, ou l'abducteur interne vient de la premiere phalange du pouce au côté externe de la base de l'os trapeze, & se termine à la partie supérieure de la premiere phalange du doigt index.

Les interosseux du pié sont des muscles qui meuvent les orteils, & qui correspondent exactement à ceux des mains par leur nombre, leur usage, leur insertion, avec cette différence qu'ils se terminent à la partie postérieure des premieres phalanges. Voy. INTEROSSEUX de la main.

INTEROSSEUX, ligament, (Anat.) Voyez LIGAMENT.


INTERPELLATIONS. f. (Jurisprud.) est une sommation & requisition qui est faite à quelqu'un par un juge, sergent, notaire ou autre officier public, de déclarer quelque chose.

Le juge interpelle une partie ou un témoin de déclarer la vérité sur un fait.

Un notaire interpelle ceux qui sont parties dans un acte, de le signer.

Un huissier interpelle ceux auxquels il parle dans son exploit, de déclarer leur nom, & de signer leur réponse. Il fait mention qu'ils ont été de ce interpellés suivant l'ordonnance, c'est-à-dire, suivant l'ordonnance de 1661. (A)


INTERPOLATIONS. f. (Belles-Lettres) terme dont se servent les critiques, en parlant des anciens manuscrits auxquels on a fait des changemens ou additions postérieures.

Pour établir une interpolation, le P. Ruinart donne ces cinq regles. Il faut premierement que la piece que l'on veut donner pour ancienne, ait l'air de l'antiquité qu'on prétend lui attribuer ; 2°. que l'on ait de bonnes preuves que cette piece a été interpolée, ou retouchée ; 3°. que les interpolations conviennent au tems de l'interpolateur ; 4°. que ces interpolations ne touchent point au fond de la piece, & ne soient point si fréquentes, qu'elle en soit tout-à-fait défigurée ; 5°. que les restitutions que l'on fait, reviennent parfaitement au reste de la piece. Dict. de Trévoux.

INTERPOLATION des series, voyez l'article SERIE ou SUITE.


INTERPOSITIONS. f. (Astron.) situation d'un corps entre deux autres qu'il cache ou dont il empêche l'action.

L'éclipse de soleil ne se fait que par l'interposition de la lune entre le soleil & nous, & celle de la lune par l'interposition de la terre entre le soleil & la lune ; celles des satellites de Jupiter & de Saturne par l'interposition de Jupiter & de Saturne entre ces satellites, &c. Voyez ECLIPSES. Chambers. (O)

INTERPOSITION, s. f. (Jurisprud.) est un terme qui est ordinairement avec celui de decret. On appelle interposition de decret un jugement rendu avec la partie saisie, qui ordonne que le bien saisi réellement sera vendu & adjugé par decret. V. CRIEES, DECRET, SAISIE-REELLE. (A)

Il y a aussi interposition de personnes, lorsque quelqu'un se trouve placé entre deux autres relativement à quelque acte ou disposition.

On appelle aussi interposition de personnes, lorsque quelqu'un se présente pour un autre qui ne veut pas paroître intéressé dans l'affaire, comme dans les fideicommis tacites & dans les transports qui sont faits au profit de personnes interposées, qui prêtent leur nom à quelque personne prohibée. (A)


INTERPRÉTATIONS. f. (Gramm. & Jurisp.) est l'explication d'une chose qui paroît ambiguë.

Il y a des actes dont on étend les dispositions par des interprétations favorables, tels que les testamens & autres actes de derniere volonté.

D'autres où l'on s'attache plus à la lettre, comme dans les contrats & autres actes entre-vifs, ou bien si l'on est forcé d'en venir à l'interprétation de quelque clause, elle fait contre ceux qui ne se sont pas expliqués assez clairement, in quorum fuit potestate legem apertius dicere.

En matiere criminelle, l'interprétation des faits & des actes se fait toujours à la décharge de l'accusé.

On est quelquefois obligé d'interpréter certaines lois, soit parce que les législateurs n'ont pas prévu tous les cas qui se rencontrent, ou parce que les termes de la loi présentent différens sens.

Il y a néanmoins une maxime qui veut que l'on ne distingue point où la loi n'a pas distingué ; mais cela s'entend qu'on ne doit point admettre d'exception à la loi, sans une raison particuliere, tirée de la loi même ou du motif sur lequel elle est fondée.

C'est donc dans l'esprit de la loi qu'on doit en chercher l'interprétation.

Si la disposition est contraire au droit commun, elle ne doit point recevoir d'extension d'un cas à un autre, ni d'une personne à une autre, ni d'une chose à une autre.

C'est au prince qu'il appartient naturellement d'interpréter la loi, ejus est legem interpretari cujus est legem condere. C'est une maxime tirée du droit romain.

En France nos Rois se sont toujours réservé l'interprétation de leurs ordonnances.

Charlemagne ayant trouvé la loi des Lombards défectueuse en plusieurs points, la réforma en 801, & ajoûta que dans les choses douteuses il vouloit que les juges eussent recours à son autorité, sans qu'il leur fût permis de les décider suivant leur caprice.

L'ordonnance de 1667, tit. j. art. iij. veut que, si par la suite du tems, usage & expérience, aucuns articles de cette ordonnance se trouvoient contre l'utilité ou commodité publique, ou être sujets à interprétation, déclaration ou modération, les cours puissent en tout tems représenter au roi ce qu'elles jugeront à propos, sans que, sous ce prétexte, l'exécution en puisse être sursise.

L'art. vij. du même titre porte que, si dans le jugement des procès qui seront pendans au parlement ou autres cours, il survient quelque doute ou difficulté sur l'exécution de quelque article des ordonnances, édits, déclarations & lettres, Sa Majesté défend aux cours de les interpréter, mais veut qu'en ce cas elles ayent à se retirer par-devers S. M. pour apprendre son intention.

Il résulte de cet article que les cours mêmes ne peuvent interpréter la loi, lorsqu'il s'agit de le faire contre les termes & le sens évident de la loi.

Mais quand l'interprétation peut se tirer de la loi même, & qu'elle n'a rien de contraire à la loi, les cours sont en possession de la faire sous le bon plaisir de S. M.

Ce pouvoir d'interpréter les lois est une prérogative qui n'appartient qu'aux juges souverains, lesquels représentent la personne du roi, & vice sacrâ principis judicant. Les juges inférieurs sont obligés de se conformer à la lettre de la loi, ou se retirer par-devers M. le chancelier pour savoir quelle est l'intention du Roi. Voyez au code le tit. de legibus.

Lorsqu'il y a contrariété entre deux arrêts rendus en des tribunaux, entre les mêmes parties & pour raison du même fait, on peut se pourvoir en interprétation au grand-conseil.

Mais si les deux arrêts sont émanés du même tribunal, ou que dans un arrêt il se trouve deux dispositions qui paroissent contraires les unes aux autres, on ne peut pas se pourvoir contre de tels arrêts par simple requête en interprétation d'iceux ; c'est le cas de se pourvoir par requête civile suivant l'ordonnance de 1667 ; & la déclaration du 21 Avril 1671, défend aux parties de se pourvoir contre les arrêts par requête en interprétation, & aux cours de rétracter les arrêts, & d'en changer les dispositions par maniere d'interprétation, ou autre voie.

Cependant s'il ne s'agissoit que d'expliquer quelque disposition, & de suppléer quelque chose, sur quoi l'arrêt auroit omis de prononcer ; sans toucher à ce qui est porté par l'arrêt, ni rien ordonner de contraire, on pourroit se pourvoir par simple requête, & les cours pourroient ainsi statuer sur ce qui leur seroit demandé, de même que le feroient des juges inférieurs, lesquels, après avoir rendu leur jugement, ne peuvent plus le changer, mais bien statuer sur les nouveaux incidens que l'exécution du jugement fait naître. (A)


INTERPRETES. m. (Gramm. & Théologie) celui qui fait entendre les sentimens, les paroles, les écrits des autres, lorsqu'ils ne sont pas intelligibles. Voyez DRAGOMAN.

Le mot interprete, suivant Isidore, est composé de la préposition inter & de partes, l'interprete tenant le milieu entre deux parties ou deux personnes, pour leur faire entendre mutuellement leurs pensées. D'autres le font venir d'inter & de praes, c'est-à-dire, fidejussor, celui qui se porte pour caution entre deux personnes qui ne s'entendent point.

L'interprétation de l'Ecriture a donné lieu à des grands débats ; les Catholiques soutiennent qu'elle appartient absolument à l'Eglise ; que la raison peut bien en chercher le sens, lorsque l'Eglise n'a rien prononcé, mais qu'elle doit se taire dès que cet oracle a parlé. Les Protestans veulent que la raison soit le juge ou l'interprete souverain des Ecritures, quoique quelques-uns d'entr'eux ayent beaucoup d'égard pour les synodes, & d'autres pour l'autorité de la primitive église. Quelques-uns enfin disent que c'est le S. Esprit qui l'interprete à chacun au fond du coeur. C'est ce que Bochart appelle . Voyez ESPRIT.

Dans la primitive église l'office d'interprete étoit une fonction ecclésiastique, différente de celle du lecteur : car comme il arrivoit souvent que dans une ville les habitans étoient les uns naturels du pays, les autres établis ou par colonie, ou par droit de conquête, ou autrement, & que tous ne parloient pas la même langue ; on n'entendoit pas également la lecture qu'on faisoit des livres sacrés ; il y avoit dans presque toutes les églises des interpretes pour expliquer au peuple en langue vulgaire ce que le lecteur venoit de lire, ou le discours que l'évêque avoit prononcé. C'est ce que les Grecs appelloient . Ainsi dans les églises de la Palestine où la moitié du peuple parloit grec, & l'autre parloit syriaque, dans celles d'Afrique où la langue punique étoit encore en usage parmi les uns, tandis que la latine étoit familiere aux autres, il falloit nécessairement qu'il y eût de ces interpretes. Bingham, orig. ecclésiastiq. tom. II. lib. III. chap. xiij. §. 4.

INTERPRETES du droit (Jurisprud.) ce sont les jurisconsultes qui ont commenté les lois romaines. Voyez ci-devant INTERPRETATION, & ci-dessus JURISCONSULTES. (A)


INTERREGNES. m. (Droit polit.) on appelle interregne dans un état déja formé, le tems qui s'écoule depuis la mort du roi, jusqu'à l'élection de son successeur.

Pendant cet intervalle le peuple redevient un corps imparfait, uni seulement par l'engagement primordial des états, qui ont jugé nécessaire de former une société civile.

Cet engagement est d'une très-grande force par les sentimens qu'inspirent le nom & la vûe d'une patrie, & par l'intérêt des citoyens qui ont leurs biens dans le pays ; c'est par de si puissans motifs que la nation se trouve obligée de rétablir au plutôt le gouvernement parfait, civitatem cum imperio, & en attendant d'entretenir soigneusement la concorde. Il est même bien difficile qu'un peuple, tant soit peu considérable, qui s'est accru & soutenu long-tems sous une espece de gouvernement, pense à dissoudre le lien de la société, pour redevenir une simple multitude sans union civile. D'ailleurs pour détourner les malheurs & les troubles qui peuvent naître de l'anarchie, les états policés ont toujours eu l'attention de désigner d'avance les personnes qui doivent prendre soin de l'administration des affaires publiques durant le cours de l'interregne, c'est ainsi qu'en Pologne il est réglé que pendant l'interregne, l'archevêque de Gnesne avec les députés de la grande & petite Pologne, tiendront en main les rènes du gouvernement.

Lorsqu'on n'a pas pris d'avance les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre, en attendant que le gouvernement soit fixe, on y pourvoit d'abord comme on peut, & de cette maniere on continue l'engagement de demeurer uni en un corps de société civile. Voyez la Dissertation de Puffendorf de interregnis.

S'il arrivoit néanmoins une chose, qui étoit très-possible dans le commencement, que les états se trouvoient fort petits, s'il arrivoit, dis-je, que le plus grand nombre des peres de famille voulussent rompre l'union civile, & rentrer dans l'indépendance de l'état de nature, il semble qu'ils en seroient les maîtres, sans faire tort aux autres ; en ce cas-là la pluralité des voix auroit autant de force pour rompre l'engagement de vivre en un corps de société civile, que pour décider de la forme du gouvernement à établir. En effet, pendant que le gouvernement, quel qu'il soit, subsiste, son autorité maintient la force de la premiere convention, à l'égard de tous en général & de chacun en particulier, par une suite nécessaire de la souveraineté. Mais du moment qu'il n'y a plus de gouvernement fixe, ni de gouvernement établi par provision, il ne reste d'autre moyen de décider ce qu'il convient de faire pour le bien public, en vûe duquel toute société civile se contracte, que la volonté du plus grand nombre. (D.J.)


INTERREXS. m. (Hist. rom.) sénateur qui étoit revêtu par élection pour cinq jours de l'autorité suprème, pendant la vacance du trône, & sous la république, dans le cas de quelque anarchie, au défaut d'un dictateur.

Ce nom est proprement latin, mais il faut bien s'en servir dans notre langue puisque nous n'en avons aucun qui lui réponde ; gouverneur, régent & même entre-roi, ne rendent point le nom interrex, & ne peuvent le rendre, attendu la différence de nos gouvernemens avec celui de Rome.

Toutes les fois que dans le commencement de cette république l'élection d'un roi ne se faisoit pas sur le champ, & qu'il y avoit un interregne, le pouvoir passoit entre les mains des sénateurs, qui choisissoient un chef pour gouverner l'état avec toutes les marques de la dignité royale ; on appelloit le patricien qui en étoit honoré interrex. C'étoit lui qui assembloit le peuple pour procéder à l'élection d'un nouveau roi ; mais sa charge ne duroit que cinq jours, au bout desquels on en déclaroit un autre, si la vacance du trône n'étoit pas remplie. On disoit déclarer l'interrex plûtôt qu'élire : le mot consacré étoit, prodere interregem.

Il est vrai cependant que les Historiens ne sont point d'accord sur la maniere dont les sénateurs distribuerent entr'eux l'exercice de l'autorité suprème, dans l'interregne qui subsista une année entiere après la mort de Romulus. Denys d'Halicarnasse assure que chaque sénateur fut interrex cinq jours de suite. Tite-Live marque que les sénateurs s'étant partagés en dixaines, chaque dixaine commandoit alternativement durant cinq jours ; mais qu'il n'y en avoit qu'un de ces dix qui portât les marques de la souveraineté, & qui fît marcher devant lui les licteurs avec les haches & les faisceaux.

Le commandement de l'armée après la mort de Romulus, fut prolongé pour un an aux consuls, & le sénat nomma pour premier interrex Cn. Claudius, fils d'Appius. Ce fut sur la fin de cet interregne, que celui qui en fit le dernier la fonction, adressant la parole au peuple en pleine assemblée, lui tint ce discours remarquable : " Elisez donc un roi, Romains, le sénat y consent ; & si vous faites choix d'un prince digne de succéder à Romulus, le sénat le confirmera ".

Après l'établissement de la république sous les consuls, quoiqu'il n'y eût plus de rois, on garda le nom & la fonction d'interrex ; car lorsque les magistrats étoient absens ou morts, qu'ils ne pouvoient tenir les comices, qu'ils avoient abdiqué, qu'il y avoit eu quelque défaut dans leur élection, ou qu'en un mot l'état se trouvoit dans une espece d'anarchie, qui ne demandoit pas néanmoins qu'on vint à créer un dictateur, on déclaroit un interrex pris du nombre des patriciens ; sa fonction ne duroit comme sous la royauté que cinq jours, au bout desquels on en créoit un autre.

Il convoquoit le sénat par son pouvoir, faisoit assembler le peuple pour l'élection des consuls ou des tribuns militaires lorsqu'ils avoient lieu, & veilloit à ce qu'on y procédât dans les regles.

Pendant le tems de sa charge, tous les magistrats, excepté les tribuns du peuple, déposoient leur autorité. En effet il arriva que l'an 700 de la fondation de Rome, ils s'opposerent si fortement à l'élection des consuls que l'interrex ne pouvant les y contraindre, on fut obligé de déclarer Pompée dictateur : c'est-là, je pense, la derniere fois qu'il est parlé de cette magistrature provisionnelle dans l'Histoire romaine. Elle tomba d'elle-même avec la république, quand les empereurs se rendirent maîtres de tout le gouvernement. Voyez si vous voulez, Rosinus, lib. VII. cap. xvj. Pitisci Lexicon antiq. rom. & Middleton, Traité du sénat romain. (D.J.)


INTERROGATS. m. (Jurisprud.) terme de palais, se dit des demandes ou interrogations faites par le juge, ou commissaire député, à un accusé ou à une partie civile, lors d'un interrogatoire. Voyez INTERROGATOIRE.


INTERROGATIFadj. (Gramm.) Une phrase est interrogative, lorsqu'elle indique de la part de celui qui parle, une question plutôt qu'une assertion : on met ordinairement à la fin de cette phrase un point surmonté d'une sorte de petite s retournée en cette maniere (?) ; & ce point se nomme aussi point interrogatif : par exemple,

Fortune, dont la main couronne

Les forfaits les plus inouis,

Du faux éclat qui t'environne

Serons-nous toujours éblouis ? Rousseau.

Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?

Quoi, filles de David, vous parlez à ce traitre ?

Racine.

Quoi qu'en disent plusieurs grammairiens, il n'y a dans la langue françoise aucun terme qui soit proprement interrogatif, c'est-à-dire qui désigne essentiellement l'interrogation. La preuve en est que les mêmes mots que l'on allegue comme tels, sont mis sans aucun changement dans les assertions les plus positives. Ainsi nous disons bien en françois, COM bien coûte ce livre ? COMMENT vont nos affaires ? Où tendent ces discours ? POURQUOI sommes nous nés ? QUAND reviendra la paix ? QUE veut cet homme ? QUI a parlé de la sorte ? Sur QUOI est fondée notre espérance ? QUEL bien est préférable ? Mais nous disons aussi sans interrogation, je sais COMBIEN coûte ce livre ; j'ignore COMMENT vont nos affaires ; vous comprenez où tendent ces discours ; la religion nous enseigne POURQUOI nous sommes nés ; ceci nous apprend QUAND reviendra la paix : chacun devine ce QUE veut cet homme ; personne ne sait QUI a parlé de la sorte ; vous connoissez sur QUOI est fondée notre espérance ; cherchons QUEL bien est préférable.

C'est la même chose en latin, si l'on excepte la seule particule enclitique ne, qu'il faut moins regarder comme un mot, que comme une particule élémentaire, qui ne fait qu'un mot avec celui à la fin duquel on la place, comme audisne ou audin' ? (entendez-vous) ? Voyez PARTICULE. Elle indique que le sens est interrogatif dans la proposition où elle se trouve ; mais elle ne se trouve pas dans toutes celles qui sont interrogatives : Quò te Maeri pedes ? Quà transivisti ? Quandiù vixit ? An dimicatum est ? &c.

Qu'est-ce qui dénote donc si le sens d'une phrase est interrogatif ou non ?

1°. Dans toutes celles où l'on trouve quelqu'un de ces mots réputés interrogatifs en eux-mêmes, on y reconnoît ce sens, en ce que ces mots mêmes étant conjonctifs, & se trouvant néanmoins à la tête de la phrase construite selon l'ordre analytique, c'est un signe assuré qu'il y a ellipse de l'antécédent, & que cet antécédent est le complément grammatical d'un verbe aussi sous-entendu, qui exprimeroit directement l'interrogation s'il étoit énoncé. Reprenons les mêmes exemples françois, qui feront assez entendre l'application qu'il faudra faire de ce principe dans les autres langues. COMBIEN coûte ce livre ? c'est-à-dire, apprenez-moi le prix que coûte ce livre. COMMENT vont nos affaires ? c'est-à-dire, dites-moi comment (ou la maniere selon laquelle) vont nos affaires. Où tendent ces discours ? c'est-à-dire, faites-moi connoître le but où (auquel) tendent ces discours. Il en est de même des autres ; pourquoi veut dire la raison, la cause, la fin pour laquelle ; quand, le tems auquel ; avant que & quoi, on sous-entend la chose ou un autre antécédent moins vague, indiqué par les circonstances ; avant qui, sous-entendez la per sonne, l'homme, &c. quel, c'est lequel dont on a supprimé l'article à cause de la suppression de l'antécédent qui se trouve pourtant après ; quel bien, c'est-à-dire le bien, lequel bien.

2°. Dans les phrases où il n'y a aucun de ces mots conjonctifs, la langue françoise marque souvent le sens interrogatif par un tour particulier. Elle veut que le pronom personnel qui indique le sujet du verbe, se mette immédiatement après le verbe, s'il est dans un tems simple, & après l'auxiliaire, s'il est dans un tems composé ; & cela s'observe lors même que le sujet est exprimé d'ailleurs par un nom soit simple, soit accompagné de modificatifs : Viendrez-vous ? Avois-je compris ? Serions-nous partis ? Les Philosophes ont-ils bien pensé ? La raison que vous alléguiez auroit-elle été suffisante ? Il faut cependant observer, que si le verbe étoit au subjonctif, cette inversion du pronom personnel ne marqueroit point l'interrogation, mais une simple hypothèse, ou un desir dont l'énonciation explicite est supprimée par ellipse. Vinssiez-vous à bout de votre dessein, pour je suppose même que vous vinssiez à bout de votre dessein. Puissiez-vous être content ! pour je souhaite que vous puissiez être content. Quelquefois même le verbe étant à l'indicatif ou au suppositif, cette inversion n'est pas interrogative ; ce n'est qu'un tour plus élégant ou plus affirmatif : Ainsi conservons nos droits ; en vain formerions-nous les plus vastes projets ; il le fera, dit-il.

3°. Ce n'est souvent que le ton ou les circonstances du discours, qui déterminent une phrase au sens interrogatif ; & comme l'écriture ne peut figurer le ton, c'est alors le point interrogatif qui y décide le sens de la phrase. (B. E. R. M.)


INTERROGATIONS. f. (Belles-Lettres) figure de Rhétorique, par laquelle celui qui parle avance une chose par forme de question. L'apostrophe qu'il se fait alors à lui-même ou qu'il fait aux autres, ne donne pas peu de poids & de véhémence à ce qu'il dit. L'orateur peut en plusieurs occasions employer cette figure avec avantage. 1°. Quand il parle d'une chose d'un ton affirmatif, & comme ne pouvant souffrir aucun doute ; 2°. quand il veut montrer les absurdités où l'on tomberoit en entreprenant de combattre ses sentimens ; 3°. lorsqu'il veut démêler les réponses captieuses ou les sophismes de son adversaire ; 4°. quand souvent pressé lui-même, il veut à son tour presser vivement son antagoniste. De ce dernier genre est ce bel endroit de l'oraison de Ciceron pour Ligarius, où il s'adresse avec une impétuosité, pour ainsi parler foudroyante, à l'accusateur Tubéron. Quid enim, Tubero, tuus ille districtus in acie Pharsalicâ gladius agebat ? cujus latus ille mucro petebat ? Qui sensus erat armorum tuorum ? Quae tua mens ? oculi ? manus ? ardor animi ? Quid cupiebas ? quid optabas ? Il est évident que de pareils traits devoient embarasser un homme qui, ayant porté les armes contre César, faisoit à Ligarius un crime de ce qu'il avoit tenu la même conduite.

Cette figure est très-propre à peindre toutes les passions vives, mais sur-tout l'indignation.

Quoi, Rome & l'Italie en cendres

Me feront honorer Silla ?

J'admirerai dans Alexandre,

Ce que j'abhorre en Attila ?


INTERROGATOIRES. m. (Jurisprud.) est un acte qui contient les demandes qu'un juge ou commissaire délégué pour interroger, fait à une partie au sujet de certains faits, & les réponses qui y sont faites par la partie, pour tirer de la bouche de celui qui est interrogé l'éclaircissement de la vérité, & servir de preuve dans la cause, instance ou procès.

Les interrogatoires sont différens des enquêtes & informations, en ce que ce sont les parties que l'on interroge ; au lieu que ce sont les témoins que l'on entend dans une enquête ou information : il est même défendu pour les informations d'y faire d'autre interrogation aux témoins que sur leur nom, surnom, qualité ; & s'ils sont parens, serviteurs ou alliés des parties.

On fait des interrogatoires en matiere civile & en matiere criminelle.

En matiere civile, les interrogatoires s'appellent ordinairement interrogatoires sur faits & articles, lorsqu'ils se font sur des faits & articles signifiés par une partie à l'autre. Il se fait cependant aussi d'autres interrogatoires sur le barreau par le juge aux parties qui se trouvent présentes à l'audience, & surtout dans les jurisdictions consulaires où la procédure est sommaire : lorsque l'on est en doute de la vérité d'un fait articulé en plaidant, les consuls ordonnent que la partie qui n'a pas comparu à l'audience sera ouie par sa bouche, ainsi qu'il est dit en l'article 4 du tit. 16. de l'ordonnance du mois d'Avril 1667.

En matiere criminelle, il y a plusieurs sortes d'interrogatoires ; savoir, le premier interrogatoire qui se fait lorsque l'accusé est decreté ; ceux qui se font dans le cours de l'instruction lorsqu'il y échet, & le dernier interrogatoire qui se fait derriere le barreau ou sur la sellete.

Interrogatoire sur faits & articles, est un acte qui se fait en matiere civile, pour découvrir la vérité des faits articulés par une partie. Ces interrogatoires se font par le juge ou par un commissaire délégué à cet effet : au châtelet de Paris, ce sont les commissaires qui font ces sortes d'interrogatoires ; dans les autres tribunaux, on commet un conseiller qui est commissaire en cette partie, c'est-à-dire pour faire l'interrogatoire.

Il est permis aux parties de faire interroger, en tout état de cause, sur faits & articles pertinens, concernant seulement la matiere dont est question par-devant le juge où le différend est pendant ; & en cas d'absence de la partie, par devant le juge qui sera par lui commis, le tout sans retardation de l'instruction & jugement.

La partie doit répondre en personne, & non par procureur ni par écrit ; & en cas de maladie ou empêchement légitime, le juge ou commissaire doit se transporter en son domicile pour recevoir son interrogatoire.

Le juge ou commissaire après avoir pris le serment, reçoit les réponses sur chaque fait & article, & peut même d'office interroger sur quelques faits, quoiqu'il n'en ait pas été donné copie, & que l'on appelle par cette raison faits secrets.

Les réponses doivent être précises & pertinentes sur chaque fait, & sans aucun terme injurieux ni calomnieux.

La forme pour interroger les chapitres, corps & communautés, est qu'ils doivent nommer syndic, procureur ou officier, pour répondre sur les faits & articles qui lui auront été communiqués, & à cette fin ils doivent lui donner un pouvoir spécial, dans lequel les réponses seront expliquées & affirmées véritables, autrement les faits sont tenus pour confessés & avérés.

On peut aussi faire interroger les syndics, procureurs & autres qui ont agi par les ordres de la communauté, sur les faits qui les concernent en particulier, pour y avoir par le juge tel égard que de raison.

Si le tuteur poursuivi pour les affaires de son mineur refuse de répondre, les faits ne sont pas tenus pour cela pour confessés & avérés au préjudice du mineur.

La partie qui fait faire l'interrogation ne peut pas y être présente.

La procédure que l'on doit tenir pour les interrogatoires sur faits & articles, est expliquée dans l'ordonnance de 1667, tit. 10.

Interrogatoire derriere le barreau, est celui que l'on fait subir à un accusé en présence de tous les juges, lors du jugement du procès, quand les conclusions & la sentence dont est appel, ne tendent pas à peine afflictive.

Les curateurs & les interpretes sont toujours interrogés derriere le barreau, quand même les conclusions & la sentence porteroient peine afflictive contre l'accusé. Voyez ci-après INTERROGATOIRE en matiere criminelle, & INTERROGATOIRE sur la sellette.

Interrogatoire en matiere criminelle, est celui que subit l'accusé, tant lorsqu'il est arrêté ou decrété, que dans le cours de l'instruction s'il y échet, & avant le jugement définitif.

Les accusés pris en flagrant-délit, peuvent être interrogés dans le premier lieu qui sera trouvé commode.

Ceux qui sont decrétés doivent être interrogés au lieu où se rend la justice, dans la chambre du conseil ou de la geole.

Les prisonniers pour crime doivent être interrogés incessamment, & les interrogatoires commencés au plus tard dans les 24 heures après leur emprisonnement, à peine de tous dépens, dommages & intérêts contre le juge qui doit faire l'interrogatoire ; & faute par lui d'y satisfaire, il doit y être procédé par un autre officier suivant l'ordre du tableau.

Il est défendu aux geoliers & guichetiers de permettre la communication de quelque personne que ce soit avec les prisonniers detenus pour crime, avant leur interrogatoire ni même après, si cela est ainsi ordonné par le juge.

Le juge doit vacquer en personne à l'interrogatoire, lequel ne peut en aucun cas être fait par le greffier, à peine de nullité & d'interdiction contre le juge & le greffier, & de 500 livres d'amende contre chacun d'eux.

Les procureurs du roi, ceux des seigneurs, & les parties civiles peuvent donner des mémoires aux juges pour interroger l'accusé, tant sur les faits portés par l'information qu'autres, pour s'en servir par le juge comme il avisera.

Les accusés doivent être interrogés chacun séparément, sans assistance d'autre personne que du juge & du greffier ; mais au dernier interrogatoire tous les juges sont présens.

L'accusé doit prêter serment avant d'être interrogé, & il en doit être fait mention, à peine de nullité.

De quelque qualité & condition que soit l'accusé, il doit répondre par sa bouche sans le ministere d'aucun conseil, lequel ne peut leur être donné, même après la confrontation, nonobstant tous usages contraires, si ce n'est pour crime de péculat, concussion, banqueroute frauduleuse, vol de commis ou associés en affaires de finances ou de banque, fausseté de pieces, supposition de part, & autres crimes où il s'agit de l'état des personnes, à l'égard desquels les juges peuvent ordonner si la matiere le réquiert, que les accusés après l'interrogatoire communiqueront avec leur conseil ou leur commis.

Après l'interrogatoire les juges peuvent permettre à l'accusé de conférer avec qui bon leur semble.

Les hardes, meubles & autres pieces de conviction doivent être représentées à l'accusé lors de son interrogatoire, & les papiers & écritures paraphées par le juge & par l'accusé, après quoi l'interrogatoire est continué sur les faits & inductions résultantes des hardes, meubles & autres pieces, & l'accusé est tenu de répondre sur le champ, sans qu'il lui en soit donné d'autre communication, si ce n'est dans les cas mentionnés ci-dessus de péculat, concussion, &c.

Quand l'accusé n'entend pas la langue françoise, l'interprete ordinaire, ou s'il n'y en a point, celui qui est nommé d'office par le juge, après avoir prêté serment, explique à l'accusé les interrogations qui lui sont faites par le juge, & à celui-ci les réponses de l'accusé. Le tout doit être écrit en françois & signé par le juge, l'interprete & l'accusé, sinon l'on doit faire mention du refus de signer.

La minute de l'interrogatoire ne doit contenir aucune rature ni interligne ; & si l'accusé fait quelque changement à ses réponses, il en doit être fait mention dans la suite de l'interrogatoire.

A la fin de chaque séance de l'interrogatoire, on en doit faire lecture à l'accusé ; & le juge & l'accusé doivent coter & parapher toutes les pages.

Les commissaires au châtelet de Paris peuvent interroger pour la premiere fois les accusés pris en flagrant-délit ; les domestiques accusés par leurs maîtres, & ceux contre lesquels il y a decret d'ajournement personnel seulement.

On peut réitérer l'interrogatoire toutes les fois que le cas le requiert.

Chaque interrogatoire doit être mis en un cahier séparé.

Il est défendu à tous juges de rien prendre ni recevoir des prisonniers pour leur interrogatoire, sauf à se faire payer de leurs droits par la partie civile, s'il y en a une.

Les interrogatoires doivent être incessamment communiqués au procureur du roi ou du seigneur, pour prendre droit par iceux, ou requérir ce qu'il avisera.

On en donne aussi communication à la partie civile, de telle nature que soit le crime.

L'accusé d'un crime auquel il n'échet pas peine afflictive, peut prendre droit par les charges après avoir subi l'interrogatoire. (A)

Interrogatoire sur la sellette, est celui lors duquel les accusés sont assis sur une sellette de bois ; au lieu que dans les autres interrogatoires, l'accusé est debout derriere le barreau. L'interrogatoire sur la sellette a lieu devant les premiers juges, lorsque les conclusions du procureur du roi ou du procureur fiscal, tendent à peine afflictive ; & dans les cours, lorsque les sentences dont est appel, ou les conclusions du procureur général tendent pareillement à peine afflictive.

L'interrogatoire sur la sellette subi devant les premiers juges, doit être envoyé en la cour avec le procès quand il y a appel.

Ceux qui ont impétré des lettres de grace, doivent être interrogés sur la sellette avant le jugement. Voyez l'ordonnance de 1670, titre des interrogatoires, & titre des lettres d'abolition, article 26. (A)


INTERRUPTIONS. f. (Jurisprud.) est l'effet de quelque acte ou circonstance qui arrête le cours de la prescription, ou qui trouble quelqu'un dans sa possession.

Il y a certaines circonstances, telles que la minorité, qui interrompent la prescription sans aucun acte judiciaire ni extra-judiciaire.

Le trouble de fait ne forme pas une interruption de la possession & prescription, mais bien le trouble de droit, c'est-à-dire lorsqu'il y a une demande judiciaire ; car un simple acte extra-judiciaire ne forme pas une interruption civile.

L'action en déclaration d'hypotheque est aussi appellée interruption. Voyez HYPOTHEQUE, POSSESSION, PRESCRIPTION, TROUBLE. (A)

* INTERRUPTION, (Belles-Lettres) figure de Rhétorique, dans laquelle l'orateur ou distrait par un sentiment plus violent, qui s'éleve subitement au fond de son ame, ou honteux de ce qui lui reste à dire, s'interrompt lui-même & se livre à d'autres idées.

Tu veux que je fuie ; hé bien, rien ne m'arrête ;

Allons, n'envions plus son indigne conquête :

Que sur lui sa captive étende son pouvoir ;

Fuyons : mais si l'ingrat instruit dans son devoir,

Si la foi dans son coeur retrouvoit quelque place,

S'il venoit à mes piés me demander sa grace,

Si sous mes lois, amour, tu pouvois l'engager,

S'il vouloit... mais l'ingrat ne veut que m'outrager.

Ces interruptions ont beaucoup de vérité & de force ; il est impossible à la passion, lorsqu'elle est extrème, de suivre un long enchaînement d'idées : le trouble de l'ame passe dans le discours, & il se brise & se décout.


INTERSECTIONS. f. terme de Géométrie : on appelle ainsi le point où deux lignes, deux plans, &c. se coupent l'un sur l'autre. Voyez LIGNE & PLAN.

L'intersection mutuelle de deux plans est une ligne droite : le centre d'un cercle est dans l'intersection de deux de ses diametres ; le point central d'une figure réguliere ou irréguliere de quatre côtés, est le point d'intersection de ses deux diagonales. Chambers. (E)


INTERSTICES. m. (Jurisprud.) signifie l'intervalle de tems que la loi veut être gardé entre deux degrés ou ordres.

Les degrés obtenus sans observer ces interstices, sont ce que l'on appelle des degrés obtenus per saltum.

Pour se faire promouvoir aux ordres sans garder les interstices de droit, il faut obtenir une dispense de Rome, appellée extra tempora. (A)


INTÉRULAS. f. (Hist. anc.) c'est la même chose que l'hypocamisum, l'ésophorion ou la subucula. On l'appelloit monoloris, diloris, penteloris, selon qu'elle étoit ou d'une couleur pleine ou rayée. Il y avoit au bas de ce vètement de dessous une frange ; on voyoit l'interula, si on levoit la tunique.


INTERVALLES. m. (Gram.) distance, espace qui est entre deux extrémités de tems ou de lieux. Voyez DISTANCE.

Ce mot vient du latin intervallum, qui ne signifie autre chose, selon Isidore, que spatium inter fossam & murum, entre le fossé & le mur : d'autres remarquent que les pieux que les Romains plantoient dans leurs boulevards, étoient appellés valla, & l'espace d'entre deux, inter valla. Dict. étym. & Chambers. (G)

INTERVALLE, (Art milit.) se dit dans l'art militaire, de la distance ou de l'espace qu'on laisse ordinairement entre les troupes placées en ligne ou à côté les unes des autres. On le dit aussi pour exprimer l'espace qui est entre deux lignes de troupes, soit en bataille ou dans le camp. Voyez DISTANCE.

Ainsi, lorsque des troupes sont en bataille, la distance d'un bataillon à un autre se nomme l'intervalle des bataillons. Il en est de même pour les escadrons, & pour la distance de la premiere ligne à la seconde.

L'intervalle des bataillons & celui des escadrons, est ordinairement égal au front de ces troupes ; mais il arrive de-là qu'une armée médiocre occupe une très-grande étendue de front, & que les différentes parties de l'armée sont trop éloignées les unes des autres, pour pouvoir se soutenir réciproquement. Voyez ORDRE DE BATAILLE & ARMEE.

Pour donner une idée de ces intervalles, ou de l'arrangement des bataillons & des escadrons de la premiere & de la seconde ligne d'une armée, il faut,

1°. Concevoir que toutes ces troupes sont rangées sur une même & seule ligne sans aucune distance.

2°. Qu'on fasse marcher en avant la moitié, mais de maniere qu'alternativement une troupe s'avance, & que celle qui la touche immédiatement, par exemple à gauche, demeure à la même place ; & que celle qui touche la gauche de celle-ci, s'avance aussi, & ainsi de suite.

Il résultera de ce mouvement deux lignes de troupes, dont les intervalles de la premiere se trouveront opposés aux troupes de la seconde, & ces intervalles seront égaux aux fronts des troupes.

Ces intervalles ont pour objet de laisser passer la premiere ligne, si elle se trouve obligée de ployer derriere la seconde sans déranger l'ordre de cette seconde ligne, qui se trouve en état d'arrêter l'ennemi, pendant que la premiere ligne se rallie ou se réforme à couvert de la seconde. Mais cette considération ou cet objet ne paroît pas exiger que les troupes ayent des intervalles égaux à leur front. Une troupe qui se retire en desordre n'occupe pas le même front, que lorsqu'elle est rangée en ordre de bataille ; ainsi elle peut s'écouler par des intervalles moindres que son front. Il suit de-là que les intervalles peuvent être plus petits que le front des troupes ; ils le doivent même, si l'on veut considérer qu'un tout étant d'autant plus solide que toutes ses parties se tiennent ensemble, & qu'elles s'aident mutuellement, l'armée aura aussi plus de force, lorsque les troupes qui la composent se trouveront moins éloignées ou moins séparées les unes des autres. Cette observation a déja été faite par de très-habiles généraux. Feu M. le maréchal de Puysegur ne prescrit dans son traité de l'Art de la guerre, que dix toises pour l'intervalle des bataillons, & six toises pour celui des escadrons. Il prétend que ces intervalles sont plus que suffisans, & même qu'il seroit à propos de faire combattre les troupes à lignes pleines, c'est-à-dire sans intervalles. Voyez ARMEE.

A Leuze en 1691, & à Fredelingue en 1702, la cavalerie françoise ou la maison du Roi, battit les ennemis qui étoient rangés en lignes pleines : à Ramilly les lignes pleines des ennemis battirent les lignes tant pleines que vuides de la cavalerie françoise ; " mais ces exemples ne prouvent rien, dit l'illustre maréchal de Puysegur ; car outre l'ordre de bataille, il y a d'autres parties qui dans l'action doivent concourir en même tems pour donner la victoire, & qui ont manqué à ceux qui avoient l'avantage de la ligne pleine lorsqu'ils ont été battus par des troupes rangées avec des intervalles ".

L'intervalle des lignes de troupes en bataille doit être d'environ 150 toises ; mais dans le combat la seconde ligne doit s'approcher davantage de la premiere, pour être plus à portée de la soutenir.

A l'égard de l'intervalle ou de la distance qui est entre les deux lignes du camp, il faut la regler sur la profondeur des camps des bataillons & des escadrons. Cette profondeur peut être évaluée environ à 120 toises ; il faut aussi un espace libre en-avant du terrein de la seconde ligne, pour qu'elle puisse s'y porter en bataille. On peut estimer cet espace de 30 toises ou environ : ainsi l'intervalle du front de bandiere de la premiere ligne à celui de la seconde, sera donc d'environ 150 toises, ou trois cent pas ; le pas étant compté à la guerre pour une longueur de trois piés.

INTERVALLE, en Musique, est la distance qu'il y a d'un son à un autre, du grave à l'aigu : c'est tout l'espace que l'un des deux auroit à parcourir pour arriver à l'unisson de l'autre. A prendre ce mot en son sens le plus étendu, il est évident qu'il y a une infinité d'intervalles : mais comme en Musique, on borne le nombre des sons à ceux qui composent un certain système, on borne aussi par-là le nombre des intervalles à ceux que ces sons peuvent former entr'eux. Desorte qu'en combinant deux à deux tous les sons d'un système quelconque, on aura précisément tous les intervalles possibles dans ce même système : sur quoi il restera à réduire sous la même espece tous ceux qui se trouveront égaux.

Les anciens divisoient les intervalles de leur musique en intervalles simples ou diastèmes, & en intervalles composés, qu'ils appelloient systèmes. V. ces mots.

Les intervalles, dit Aristoxène, different entre eux en cinq manieres ; 1°. en étendue : un grand intervalle differe ainsi d'un plus petit ; 2°. en résonnance ou en accord ; & c'est ainsi qu'un intervalle consonnant differe d'un dissonnant ; 4°. en quantité, comme un intervalle simple d'un intervalle composé ; 4°. en genre. C'est ainsi que les intervalles diatoniques, chromatiques, & enharmoniques, different entr'eux ; 5°. & enfin, en nature de rapport, comme l'intervalle dont la raison peut s'exprimer en nombres, differe d'un intervalle irrationnel. Je parlerai en peu de mots de toutes ces différences.

1°. Le plus petit de tous les intervalles de Musique, selon Gaudence & Bacchius, est le dièse enharmonique. Le plus grand, à le prendre de l'extrémité aiguë du mode hypermixolydien, jusqu'à l'extrémité grave de l'hypodorien, seroit de trois octaves & un ton ; mais comme il y a une quinte & même une sixte à retrancher, selon un passage d'Adraste, cité par Meibomius, reste la quarte par-dessus le disdiapason, c'est-à-dire la dix-huitieme, pour le plus grand intervalle du diagramme des Grecs.

2°. Les Grecs divisoient aussi-bien que nous, tous les intervalles en consonnans & dissonans : mais leur division n'étoit pas la même que la nôtre. Voyez CONSONNANCE. Ils subdivisoient encore les intervalles consonnans en deux especes, sans y compter l'unisson qu'ils appelloient homophonie, ou parité de sons, & dont l'intervalle est nul. La premiere espece étoit l'antiphonie ou opposition de sons qui se faisoit à l'octave ou à la double octave, & qui n'étoit proprement qu'une replique du même son, mais pourtant avec opposition du grave à l'aigu. La seconde espece étoit la paraphonie ou surabondance de son, sous laquelle on comprenoit toute consonnance autre que l'octave, tous les intervalles, dit Théon de Smyrne, qui ne sont ni unissonnans ni dissonans.

3°. Quand les Grecs parlent de leurs diastèmes ou intervalles simples, il ne faut pas prendre ce terme absolument à la rigueur ; car le diese même n'étoit pas selon eux exempt de composition ; mais il faut toujours le rapporter au genre auquel l'intervalle s'applique : par exemple, le semiton est une intervalle simple dans le genre chromatique & dans le diatonique, & composé dans l'enharmonique ; le ton est composé dans le chromatique, & simple dans le diatonique ; & le diton même, ou la tierce majeure qui est composée dans le diatonique, est incomposée dans l'enharmonique. Ainsi ce qui est système dans un genre, peut être diastème dans l'autre, & réciproquement.

4°. Sur les genres, divisez successivement le même tétracorde, selon le genre enharmonique, selon le diatonique & selon l'enharmonique, vous aurez trois accords différens, qui, au lieu de trois intervalles, vous en donneront neuf, outre les compositions & combinaisons qu'on en peut faire, & les différences de tous ces intervalles, qui vous en donneront une multitude d'autres ; si vous comparez, par exemple, le premier intervalle de chaque tétracorde dans l'enharmonique & dans le chromatique mol d'Aristoxène, vous aurez d'un côté un quart ou trois douziemes de ton, & de l'autre un tiers ou quatre douziemes ; or il est évident que les deux cordes aiguës de ces deux intervalles feront entr'elles un intervalle qui sera la différence des deux précédens, ou la douzieme partie d'un ton.

5. Cet article me mene à une petite digression. Les Aristoxeniens prétendoient avoir bien simplifié la Musique par leurs divisions égales des intervalles, & se moquoient fort de tous les calculs de Pythagore. Il me semble cependant que toute cette prétendue simplicité n'étoit guère que dans les mots, & que si les Pythagoriciens avoient un peu mieux entendu leur maître & la Musique, ils auroient bientôt fermé la bouche à leurs adversaires.

Pythagore n'avoit point imaginé les rapports des sons qu'il calcula le premier. Guidé par l'expérience, il ne fit que tenir registre de ses observations. Aristoxène, incommodé de tous ces calculs, bâtit dans sa tête un système tout différent, & comme s'il avoit pu changer la nature à son gré, pour avoir simplifié les mots, il crut avoir simplifié les choses ; mais il n'en étoit pas ainsi. Comme les rapports des consonnances étoient simples, ces deux Philosophes étoient d'accord là-dessus. Ils l'étoient même sur les premieres dissonances, car ils convenoient également que le ton étoit la différence de la quarte à la quinte ; mais comment déterminer déjà cette différence autrement que par le calcul ? Aristoxène partoit pourtant de-là, & sur ce ton, dont il se vantoit d'ignorer le rapport, il bâtissoit, par des additions & des retranchemens, toute sa doctrine musicale. Qu'y avoit-il de plus aisé que de lui montrer la fausseté de ses opérations, & de les comparer avec la justesse de celles de Pythagore ? Mais, auroit-il dit, je prends toujours des doubles, ou des moitiés, ou des tiers, cela est plutôt fait que tous vos comma, vos limma, vos apotomes. Je l'avoue, eût répondu Pythagore ; mais dites-moi, comment les prenez-vous ces moitiés & ces tiers ? L'autre eût répliqué qu'il les entonnoit naturellement, ou qu'il les prenoit sur son monocorde. Hé bien, eût dit Pythagore, entonnez-moi juste le quart d'un ton. Si l'autre eut été assez charlatan pour le faire, Pythagore eût ajoûté, maintenant entonnez-moi le tiers de ce même ton ; puis prouvez-moi que vous avez fait exactement ce que je vous ai demandé : car cela est indispensable pour la pratique de vos genres. Aristoxène l'eût mené apparemment à son monocorde. Si l'autre lui eût encore demandé : mais est-il bien divisé votre monocorde ? montrez moi, je vous prie, de quelle méthode vous vous êtes servi : comment êtes-vous venu à bout d'y prendre le quart ou le tiers d'un ton ? J'avoue qu'il m'est impossible de voir ce qu'il auroit eu à répondre : car de dire que l'instrument avoit été accordé sur la voix, outre que c'eût été faire le cercle vicieux, cela ne pouvoit jamais convenir à Aristoxène, puisque lui & ses sectateurs convenoient qu'il falloit exercer long-tems la voix avec un instrument de la derniere justesse, pour venir à bout de bien entonner les intervalles du chromatique mol, & du genre enharmonique.

Tous les intervalles de Pythagore sont rationnels, & déterminés dans toute leur justesse avec la derniere précision ; mais les moitiés, les tiers & les quarts de ton d'Aristoxène bien examinés, se trouvent être des rapports incommensurables qu'on ne peut déterminer ; des intervalles qu'on ne peut accorder qu'avec le secours de la Géométrie. C'est donc avec raison que sans être dupes des termes spécieux des Aristoxéniens, Nicomaque, Boëce, & plusieurs autres hommes savans en Musique, ont préféré des calculs faciles & justes, à des figures embrouillées & toujours infideles dans la pratique.

Il faut remarquer que ces raisonnemens qui conviennent à la musique des Grecs, ne serviroient pas également pour la nôtre, parce que tous les sons de notre système s'accordent par des consonnances, ce qui ne pouvoit se faire également dans le leur, que pour le seul genre diatonique.

Il s'ensuit de tout ceci qu'Aristoxène distinguoit avec raison les intervalles en rationnels & irrationnels, puisque, quoiqu'ils fussent tous rationnels dans le système de Pythagore, la plûpart des dissonances étoient irrationnelles dans le sien.

Dans la musique moderne on considere les intervalles de plusieurs manieres ; savoir, ou généralement comme l'espace ou la distance quelconque des deux sons qui composent l'intervalle, ou seulement comme celles de ces distances qui peuvent se noter, ou enfin comme celles qu'on peut exprimer en notes sur des degrés différens. Selon le premier sens, toute raison numérique ou sourde peut exprimer un intervalle musical. Tel est le comma ; tels seroient les dièses d'Aristoxène. Le second s'applique aux seuls intervalles reçus dans le système de notre musique, dont le moindre est le semi-ton mineur, exprimé sur le même degré par un dièse ou par un bémol. Voyez SEMI TON. Le troisieme sens suppose nécessairement quelque différence de position, c'est-à-dire, un ou plusieurs degrés entre les deux sons qui forment l'intervalle. C'est le dernier sens que ce mot reçoit dans la pratique, desorte que deux intervalles égaux, tels que sont la fausse quinte & le triton, portent pourtant des noms différens, si l'un a plus de degrés que l'autre.

Nous divisons, comme faisoient les anciens, les intervalles en consonnans & dissonans. Les consonnances sont parfaites ou imparfaites. Voyez CONSONNANCE. Les dissonances sont telles par leur nature, ou le deviennent par accident. Il n'y a que deux intervalles dissonans par leur nature, savoir la seconde & la septieme, en y comprenant leurs octaves ou repliques ; mais toutes les consonnances peuvent devenir dissonances par accident.

De plus, tout intervalle est simple ou redoublé. L'intervalle simple est celui qui est renfermé dans les bornes de l'octave ; tout intervalle qui excede cette étendue, est redoublé, c'est-à-dire, composé d'une ou plusieurs octaves, & de l'intervalle simple dont il est la replique.

Les intervalles simples se peuvent encore diviser en directs & renversés. Prenez pour direct un intervalle simple quelconque ; son complément à l'octave en est toujours le renversé, & réciproquement.

Il n'y a que six especes d'intervalles simples, dont trois sont les complémens des trois autres à l'octave, & par conséquent aussi leurs renversés. Si vous prenez d'abord les moindres intervalles, vous aurez pour directs la seconde, la tierce & la quarte ; & pour leurs renversemens, la septieme, la sixte & la quinte. Que les derniers soient directs, les autres seront renversés ; tout est réciproque.

Pour trouver le nom d'un intervalle quelconque, il ne faut qu'ajoûter l'unité au nombre des degrés qui le composent ; ainsi l'intervalle d'un degré donnera la seconde, de deux la tierce, de quatre la quinte, de sept l'octave, de neuf la dixieme, &c. Mais ce n'est pas assez pour bien déterminer un intervalle, car sous le même nom il peut être majeur ou mineur, juste ou faux, diminué ou superflu.

Les consonnances imparfaites & les deux dissonances naturelles peuvent être majeures ou mineures, ce qui, sans changer le degré, fait dans l'intervalle la différence d'un semi-ton. Que si d'un intervalle mineur on ôte encore un semi-ton, il devient diminué ; si l'on augmente d'un semi-ton un intervalle majeur, il devient superflu.

Les consonnances parfaites sont invariables par leur nature ; quand leur intervalle est ce qu'il doit être, elles s'appellent justes : que si l'on vient à altérer cet intervalle d'un semi-ton, la consonnance s'appelle fausse, & devient dissonance ; superflue, si le semi-ton est ajoûté ; diminuée, s'il est retranché. On donne mal-à-propos le nom de fausse quinte à la quinte diminuée ; c'est prendre le genre pour l'espece.

Voici une table générale de tous les intervalles simples, praticables dans la Musique.

Il faut remarquer que ce que les harmonistes appellent septieme superflue n'est qu'une véritable septieme majeure avec un accompagnement particulier, la propre septieme superflue n'ayant pas lieu dans l'harmonie.

On observera aussi que la plûpart de ces rapports peuvent se déterminer de plusieurs manieres ; nous avons préféré la plus simple & celle qui donne les moindres nombres.

Pour composer ou redoubler un de ces intervalles simples, il suffit d'y ajoûter l'octave autant de fois qu'on veut, & pour avoir le nom de ce nouvel intervalle, il faut ajoûter au nom de l'intervalle simple autant de fois sept qu'on y a ajoûté d'octaves. Réciproquement pour connoître le simple d'un intervalle redoublé dont on a le nom, il ne faut qu'en rejetter sept autant de fois qu'on le peut ; le reste donnera le nom de l'intervalle simple qui l'a produit. Voulez-vous une quinte doublée, c'est-à-dire, l'octave de la quinte, ou la quinte de l'octave ? ajoûtez 7 à 5, vous aurez 12 : la quinte redoublée est donc une douzieme. Pour trouver le simple d'une douzieme, rejettez 7 autant que vous le pourrez de ce nombre 12, le reste 5 vous indique une quinte. A l'égard du rapport, il ne faut que doubler le conséquent, ou prendre la moitié de l'antécédent de la raison simple autant de fois qu'on ajoûte d'octaves, & l'on aura la raison de l'intervalle composé ; ainsi 2. 3. étant la raison de la quinte, 1. 3. ou 2. 6. sera celle de la douzieme, &c. sur quoi l'on doit bien prendre garde qu'en termes de Musique, composer ou redoubler un intervalle, ce n'est pas l'ajouter à lui-même, mais c'est y ajoûter l'octave, le triple, c'est en ajoûter deux, &c.

Je dois avertir ici que tous les intervalles exprimés dans ce Dictionnaire, par les noms des notes qui les forment, doivent toujours se compter du grave à l'aigu, & non de l'aigu au grave ; c'est-à-dire, par exemple, que cet intervalle, re ut, n'est pas une seconde, mais une septieme. (S)


INTERVENTIONS. f. (Jurisprud.) c'est lorsqu'un tiers se rend partie dans une contestation qui étoit déja pendante entre d'autres personnes.

On peut intervenir soit en premiere instance, ou en cause d'appel.

L'intervention se forme par requête ; on y explique les moyens sur lesquels on se fonde pour être reçu partie intervenante, & dans les conclusions on demande acte de ce que, pour moyens d'intervention, on emploie le contenu en la dite requête.

Si l'intervention est réguliere, le juge reçoit l'intervenant partie intervenante, & lui donne acte des moyens portés par sa requête, & faisant droit sur son intervention, on ordonne ce qu'il y a lieu d'ordonner, selon que l'intervention est bien ou mal fondée.

Si l'intervention n'est pas recevable, ou qu'elle soit mal fondée, on déclare l'intervenant non recevable en son intervention, ou bien on l'en déboute.

Quand l'affaire est appointée, on répond la requête d'intervention d'une ordonnance de viennent, en conséquence de laquelle on va plaider à l'audience pour faire juger si l'intervention sera reçue, auquel cas le juge donne acte de l'intervention, & reçoit l'intervenant partie intervenante, & pour faire droit sur l'intervention, on appointe les parties en droit & joint. (A)

Intervention en faits de contrats, est la présence d'une personne qui n'étant pas l'une des principales parties dans l'acte, y paroît néanmoins pour l'approuver ou le ratifier soit comme caution ou autrement. (A)


INTESTATS. m. (Jurisprud.) c'est lorsqu'il n'y a point de testament, ou que celui qui a été fait n'est pas valable.

Décéder intestat, c'est lorsqu'on décéde dans le cas qui vient d'être dit.

On appelle succession ab intestat celle qui se trouve ouverte, sans que le défunt ait fait aucun testament valable.

L'héritier ab intestat est celui qui recueille la succession en vertu de la loi, & non en vertu d'un testament. (A)


INTESTINadj. (Phys.) signifie la même chose qu'intérieur, c'est-à-dire, qui existe, ou qui se passe au-dedans.

Mouvement intestin se dit du changement de place entre les parties constituantes de quelque corps ou masse que ce soit, sans que la masse totale change de place.

Les Cartesiens supposent un mouvement intestin pour expliquer la fluidité. V. FLUIDITE. Chambers.

INTESTINS, en termes d'Anatomie, sont des parties creuses, membraneuses & cylindriques, qui s'étendent depuis l'orifice droit de l'estomac jusqu'à l'anus, au moyen desquelles le chyle passe dans les veines lactées, & les excrémens se vuident. Voyez VISCERE, CHYLE, CHYLIFICATION, &c.

Les intestins ne paroissent être qu'une continuation du ventricule, car ils ont le même nombre de tuniques, & sont construits de la même maniere que lui. Ils aboutissent par différentes circonvolutions & inflexions à l'anus, par lequel ils déchargent les excrémens. Voyez ESTOMAC.

Ils sont, après qu'on les a séparés du mesentere auquel ils adherent, d'une longueur fort considérable, ordinairement six fois aussi longs que le corps qui les porte ; & quoiqu'ils ne paroissent être qu'un tuyau continu, néanmoins comme leur grandeur, leur figure & leur épaisseur varient, on les divise généralement en gros & en grêles, & chacun de ceux ci en trois autres. Les intestins grêles sont le duodenum, le jejunum & l'ileum ; & les gros le caecum, le colon, & le rectum.

Ils ont tous en commun une espece de mouvement vermiculaire, qui commence à l'estomac, & qui se continue dans toute leur longueur, auquel on donne le nom de mouvement péristaltique. C'est pour faciliter ce mouvement, qu'ils sont tous humectés d'une grande quantité de graisse, principalement les gros, dont la surface étant un peu plus inégale, & le contenu moins fluide que celui des grêles, ont besoin d'en avoir un peu plus pour être plus glissans. Voyez nos Planches d'Anatomie, Voyez aussi PERISTALTIQUE.

Des intestins grêles le premier est le duodenum qui s'étend depuis le pilore jusqu'à l'extrémité des vertebres du dos du côté droit, & se termine à l'endroit où les intestins forment le premier angle ; il a environ douze pouces de longueur, d'où il semble avoir tiré son nom ; il s'en faut de beaucoup que cette mesure soit exacte, & que cet intestin ait cette longueur ; il reçoit l'ouverture du conduit cholidoque & du pancréatique, qui y conduisent la bile & le suc pancréatique, qui s'y mêlent avec le chyle. Voyez DUODENUM.

Le second est le jejunum qui tire son nom de ce qu'il est ordinairement plus vuide que les autres, ce qui peut venir, tant de la fluidité du chyle qui est beaucoup plus grande dans cet intestin que dans aucun de ceux qui le suivent, que de sa capacité qui étant plus grande que celle du duodenum, laisse plus aisément passer la matiere, & peut-être aussi de l'irritation que souffre cet intestin de l'acrimonie de la bile, qui se vuide dans les intestins un peu au-dessus de l'origine de celui-ci, & qui est cause en partie qu'il ne retient pas les matieres ; néanmoins il peut se faire que le grand nombre des veines lactées dont cet intestin abonde plus qu'aucun autre, facilite la descente des matieres qui sont ici privées de leurs parties les plus fluides. Cet intestin occupe presque toute la région ombilicale, & a ordinairement douze ou treize palmes de longueur.

L'ileum, qui est le troisieme des intestins grêles, est situé sous l'ombilic, & remplit l'espace qui est entre les os des iles par ses plis & ses circonvolutions. Il est le plus long de tous les intestins, car on lui donne vingt-une palmes de longueur ; mais cette mesure est assez arbitraire, parce que les Anatomistes ne conviennent point de l'endroit où le jejunum finit, & où l'ileum commence, ce qui importe très-peu. La tunique interne de ces deux intestins est extrémement ridée, & l'on a cru que les plis lâches du dernier font en quelque sorte l'office de valvules, ce qui les a fait appeller valvules conniventes. Elles sont formées, comme dans l'estomac, par la tunique interne qui est beaucoup plus grande que l'externe.

Des gros intestins, le premier est le caecum qui s'insére latéralement dans l'extrémité supérieure du colon ; il n'est point percé à son autre extrémité, mais il ressemble au doigt d'un gant ; il a trois ou quatre pouces de longueur. On ne sait point encore quel est son usage ; quelques Anatomistes modernes croient que ce nom ne lui convient point, & prétendent qu'il est différent du caecum des anciens, qui, suivant eux, n'est autre que cette partie sphérique du colon, qui tient immédiatement à l'ileum, ce qui fait qu'ils lui ont donné le nom d'appendice vermiculaire. Le caecum, ou l'appendice est à proportion beaucoup plus grosse dans les enfans que dans les adultes, & dans plusieurs animaux bien plus petite que dans l'homme, & elle tient, par l'extrémité qui est fermée, au rein droit. Voyez CAECUM.

Le colon qui vient après, est le plus considérable des gros intestins ; il a la même origine que le caecum, & s'attache avec lui au rein droit. Il s'avance de-là vers le foie, où il est quelquefois attaché à la vésicule du fiel, qui lui communique une teinture jaune en cet endroit. De-là l'arc du colon se porte devant la grande convexité de l'estomac, quelquefois plus bas, & vient s'attacher à la rate par des membranes extrémement minces ; il passe ensuite par dessus le rein gauche, où sa cavité se trouve quelquefois très-resserrée, jusqu'au bas de l'os des iles, d'où il remonte à la partie supérieure de l'os sacrum, où après avoir formé les contours de l's romaine, il vient aboutir au rectum. A l'endroit où l'ileum s'unit au colon, on trouve une valvule formée par l'allongement de la tunique interne à l'ileum, qui semblable au doigt d'un gant dont on a coupé l'extrémité, pend dans la cavité du colon, & empêche le retour des excrémens, quoiqu'elle soit quelquefois inutile pour cet usage, comme il arrive dans le miserere. On y remarque un grand nombre de cellules ou cavités distinctes, lesquelles sont formées par le resserrement de l'intestin par deux ligamens ou trousseaux de fibres membraneux, d'environ un doigt de large, qui s'étendent à l'opposite l'un de l'autre le long de l'intestin qu'ils entourent par intervalle, & le font ressembler à un verre dont les incorporateurs se servent pour mêler l'huile & le vinaigre.

Le dernier des intestins & le rectum, qui s'étend depuis l'os sacrum jusqu'à l'anus, & qui est sans cellules. Il est attaché à l'os sacrum & au coccyx par le moyen du péritoine, au col de la vessie dans les hommes, au vagin dans les femmes, auquel il tient fortement par une substance membraneuse ; il est presque impossible de distinguer la substance du vagin de celle de l'intestin. Sa longueur est ordinairement d'une palme & demie ou deux, & sa largeur de trois doigts. Son extrémité à laquelle on donne le nom d'anus est munie de quatre muscles ; savoir, de deux sphincters & de deux releveurs, dont on peut voir la description en leur place.

On trouve encore dans les intestins un grand nombre de glandes, qui forment dans les grêles comme autant de grappes de raisin ; elles sont très-petites dans ces derniers, & on les distingueroit à peine si elles ne formoient plusieurs amas. Elles sont plus grosses dans les gros intestins, & dispersées, & on leur donne le nom de glandes solitaires, malgré leur nombre, qui est très-considérable : ces glandes déchargent une liqueur dans les intestins ; mais on ne sait si elle sert à quelque chose de plus qu'à les lubrifier & à délayer les matieres qu'ils contiennent, quoique ce soit par ces glandes que se fait la plus grande partie de la décharge que l'on a souvent occasion d'observer dans les diarrhées extraordinaires, ou dans l'administration des cathartiques.

Les intestins reçoivent du sang des arteres mésentériques, lequel retourne par les veines mésaraïques : mais le duodenum reçoit une branche d'artere de la coeliaque, qu'on appelle duodenate, à laquelle répond une veine de même nom, qui ramene pareillement le sang dans la veine porte. Le rectum en reçoit d'autres, auxquelles on donne le nom d'hémorroïdales ; savoir, l'interne de la mésentérique inférieure, & l'externe de l'hypogastrique, avec des veines correspondantes qui ont le même nom, & qui aboutissent aussi à la veine porte. Ces vaisseaux fournissent aux intestins une infinité de ramifications, & varient souvent dans plusieurs sujets de même espece. Il s'en faut de beaucoup aussi qu'ils ayent une apparence uniforme dans les animaux de différente espece. Les intestins reçoivent leurs nerfs de ceux de l'estomac ; il leur en vient aussi du grand plexus mésentérique, qui donne des branches à tous les intestins. Les autres vaisseaux des intestins sont les conduits lymphatiques & les veines lactées. Voyez LACTEE & CONDUIT LYMPHATIQUE.


INTESTINALEFIEVRE, (Médec.) febris intestinalis, nom donné par Heister à une espece particuliere de fievre que quelques-uns nomment mal-à-propos mésentérique, & que Sydenham appelle febris nova. Elle n'est cependant pas nouvelle dans le monde. C'est une fievre aiguë, toujours accompagnée de diarrhée salutaire, & qu'il est dangereux d'arrêter ; cette fievre n'étoit pas inconnue à Hippocrate, aux Grecs des derniers âges, à Celse, & parmi les modernes à Duret, Sennert, Forestus, Riverius, Etmuller, Baglivi, Stahl, Hoffman, & Lancisi ; mais ils en ont parlé imparfaitement à tous égards.

La plupart d'entr'eux l'ont mise au rang des fievres malignes, à cause de la violence de ses symptomes naturels, ou occasionnés par un mauvais traitement ; mais c'est plutôt une sorte de fievre diarrhétique, dont le siege est dans les intestins, ou du moins dont la matiere est plus convenablement & plus sûrement évacuée par cette voie que par toute autre.

Les symptomes ordinaires caractéristiques de cette espece de fievre, sont de fréquens frissons, qui reviennent irrégulierement par intervalles au commencement de la maladie ; la langue est teinte de saletés d'un jaune noirâtre ; les hypochondres sont distendus, & souvent douloureux ; le malade éprouve de fréquens tremblemens en dormant ; la tête & le col souffrent aussi ; la diarrhée d'une très-mauvaise odeur, accompagne toujours cet état ; les urines sont troubles, & déposent un sédiment bourbeux.

A ces symptomes, se joignent quelquefois de violentes anxiétés, de grandes douleurs d'estomac, d'hypochondres, une vive chaleur interne, des tremblemens convulsifs, des soubresauts de tendons, la prostration des forces, le hoquet, les sueurs froides, & autres tristes présages de la mort.

La méthode curative rejette les échauffans, les sudorifiques, les cathartiques, & même les diaphorétiques ; elle adopte les minoratifs, qui operent sans violence & sans irritation ; elle exige les boissons délayantes, lubréfiantes, adoucissantes, d'orge, de gruau, d'avoine & autres semblables, le nitre, les acescens tirés des végétaux, & de leurs graines. Les émétiques sont nécessaires, lorsque des envies de vomir accompagnent le cours de ventre. En un mot, il faut détacher, évacuer, & corriger entierement les humeurs dépravées qui se portent dans l'estomac & dans les entrailles : mais comme la cure de cette maladie est la même que celle des fievres cathartiques & stercorales, voyez ces deux mots, où nous sommes entrés dans de plus grands détails. (D.J.)


INTHRONISATIONS. f. (Gram. & Hist.) l'entrée d'un prélat en possession de son siege épiscopal. Il y avoit autrefois en orient des droits d'inthronisation ; c'étoient des bourses d'argent qui se distribuoient au patriarche qui avoit nommé & aux évêques qui avoient célébré la consécration. Le concile de Latran tenu en 1179 abolit cette simonie.

Inthronisation se dit encore d'une partie de la cérémonie du couronnement d'un roi ; c'est le moment où le souverain couronné se place sur le throne. La priere qui se fait alors, est appellée le discours de l'inthronisation.


INTIENGAS. m. (Hist. nat.) petit animal quadrupede, qui se trouve en Afrique & sur-tout dans le royaume de Congo. Sa peau est si belle & tachetée de couleurs si vives, qu'il n'est permis qu'aux rois de Congo, aux princes de la famille royale & aux grands que le roi veut distinguer, de porter cette fourrure. Ce monarque en fait des présens aux autres princes ses vassaux, qui s'en trouvent très-honorés. Cet animal vit toujours sur les arbres, & meurt peu après avoir mis pié à terre.


INTIMATIONS. f. (Jurisprud.) se prend quelquefois pour tout acte judiciaire, par lequel on déclare & notifie une procédure à quelqu'un ; mais il se prend plus ordinairement pour l'exploit d'assignation qu'un appellant fait donner à celui qui a obtenu gain de cause devant les premiers juges, pour voir réformer la sentence par le juge supérieur.

Suivant l'ancien style qui est encore usité dans quelques provinces, on écrivoit ô intimation pour dire avec intimation.

Folle intimation, c'est lorsqu'on intime sur un appel quelqu'un qui n'a pas été partie dans la sentence.

L'ordonnance de 1667 porte que les folles intimations seront vuidées par l'avis d'un ancien avocat. Voyez le tit. 6. art. 4. Voyez ci-après INTIME. (A)


INTIMEadj. (Gram.) il se dit au physique & au moral. Ces corps contractent une union intime ; alors il est synonyme à étroit & profond. Ils sont intimes ; ils vivent dans la plus grande intimité, c'est-à-dire qu'ils n'ont rien de caché ni de secret l'un pour l'autre. Il est encore relatif à l'intérieur. C'est quelquefois un titre ; un conseiller intime de l'empereur.


INTIMÉadj. (Jurisprud.) est celui au profit duquel a été rendue la sentence dont est appel, & qui en soutient le bien jugé contre l'appellant.

Ce mot vient du latin intimare qui signifie déclarer & dénoncer, parce qu'anciennement l'appellant ajournoit le juge pour l'obliger de venir soutenir le bien jugé de la sentence, & on intimoit la partie, c'est-à-dire, qu'on lui dénonçoit l'appel ; aujourd'hui l'on n'ajourne plus le juge, mais seulement la partie qui a obtenu gain de cause, cependant le nom d'intimé est demeuré à cette partie.

Dans les appels comme d'abus des sentences rendues à la requête du promoteur, on intime l'évêque ; & dans un appel ordinaire d'une sentence rendue à la requête d'un procureur fiscal, on intime le seigneur.

En procès par écrit, c'est à l'intimé à rapporter la grosse de la Sentence ; mais dans les appellations verbales, c'est à l'appellant.

A la grand'chambre du parlement, l'avocat de l'appellant se met en face des présidens ; celui de l'intimé est près du banc des conseillers-clercs ; cependant la place de l'appellant est regardée comme la premiere, & lui est donnée parce que c'est lui qui saisit la cour ; c'est pourquoi quand un prince du sang ou un duc & pair est intimé, & que l'appellant n'est pas du même rang, l'avocat de l'intimé prend la place où se met ordinairement celui de l'appellant, qui est ce que l'on appelle in loco majorum.

On appelle follement intimé celui qui est intimé sur un appel, quoique la sentence n'ait pas été rendue avec lui. Voyez ci-devant INTIMATION. (A)


INTIMIDERv. act. (Gram.) c'est émouvoir la crainte dans l'ame de quelqu'un. On intimide par l'image d'un danger réel ou d'un danger simulé ; par des menaces sérieuses ou feintes. On intimide aisément des ames foibles. Il n'est guere moins facile de jetter la frayeur dans ceux qui ont l'imagination vive. Ils voyent tout ce qu'on leur veut montrer & quelquefois au-delà. S'ils sont doués d'un grand jugement, l'impression passe, leur ame se rassure, & ils n'en sont que plus fermes. En effet, quelle secousse plus violente peut-on leur donner que celle qu'ils ont reçue ! quels spectres à leur présenter plus effrayans que ceux qu'ils se sont faits !


INTITULÉadj. (Jurisprud.) signifie le titre & les qualités d'un acte : on dit l'intitulé d'un inventaire, c'est-à-dire, les qualités des parties comparantes, & le préambule qui précéde la description des effets. (A)


INTOLÉRANCES. f. (Morale) Le mot intolérance s'entend communément de cette passion féroce qui porte à haïr & à persécuter ceux qui sont dans l'erreur. Mais pour ne pas confondre des choses fort diverses, il faut distinguer deux sortes d'intolérance, l'écclésiastique & la civile.

L'intolérance écclésiastique consiste à regarder comme fausse toute autre religion que celle que l'on professe, & à le démontrer sur les toîts, sans être arrêté par aucune terreur, par aucun respect humain, au hasard même de perdre la vie. Il ne s'agira point dans cet article de cet héroïsme qui a fait tant de martyrs dans tous les siecles de l'église.

L'intolérance civile consiste à rompre tout commerce & à poursuivre, par toutes sortes de moyens violens, ceux qui ont une façon de penser sur Dieu & sur son culte, autre que la nôtre.

Quelques lignes détachées de l'écriture-sainte, des peres, des conciles, suffiront pour montrer que l'intolérant pris en ce dernier sens, est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique, & un mauvais citoyen.

Mais avant que d'entrer en matiere, nous devons dire, à l'honneur de nos Théologiens catholiques, que nous en avons trouvé plusieurs qui ont souscrit, sans la moindre restriction, à ce que nous allons exposer d'après les autorités les plus respectables.

Tertullien dit apolog. ad scapul. Humani juris & naturalis potestatis est unicuique quod putaverit, colere ; nec alii obest aut prodest alterius religio. Sed nec religionis est cogere religionem quae sponte suscipi debeat, non vi ; cum & hostiae ab animo lubenti expostulentur.

Voilà ce que les chrétiens foibles & persécutés représentoient aux idolâtres qui les traînoient aux piés de leurs autels.

Il est impie d'exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d'injustice, d'insociabilité, même dans le dessein d'y ramener ceux qui s'en seroient malheureusement écartés.

L'esprit ne peut acquiescer qu'à ce qui lui paroît vrai ; le coeur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La violence fera de l'homme un hypocrite, s'il est foible ; un martyr, s'il est courageux. Foible ou courageux, il sentira l'injustice de la persécution & s'en indignera.

L'instruction, la persuasion & la priere, voilà les seuls moyens légitimes d'étendre la religion.

Tout moyen qui excite la haine, l'indignation & le mépris, est impie.

Tout moyen qui réveille les passions & qui tient à des vûes intéressées, est impie.

Tout moyen qui relache les liens naturels & éloigne les peres des enfans, les freres des freres, les soeurs des soeurs, est impie.

Tout moyen qui tendroit à soulever les hommes, à armer les nations & tremper la terre de sang, est impie.

Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, regle universelle des actions. Il faut l'éclairer & non la contraindre.

Les hommes qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.

Il ne faut tourmenter ni les hommes de bonne foi, ni les hommes de mauvaise foi, mais en abandonner le jugement à Dieu.

Si l'on rompt le lien avec celui qu'on appelle impie, on rompra le lien avec celui qu'on appellera avare, impudique, ambitieux, colere, vicieux. On conseillera cette rupture aux autres, & trois ou quatre intolérans suffiront pour déchirer toute la société.

Si l'on peut arracher un cheveu à celui qui pense autrement que nous, on pourra disposer de sa tête, parce qu'il n'y a point de limites à l'injustice. Ce sera ou l'intérêt, ou le fanatisme, ou le moment, ou la circonstance qui décidera du plus ou du moins de mal qu'on se permettra.

Si un prince infidele demandoit aux missionnaires d'une religion intolérante comment elle en use avec ceux qui n'y croient point, il faudroit ou qu'ils avouassent une chose odieuse, ou qu'ils mentissent, ou qu'ils gardassent un honteux silence.

Qu'est-ce que le Christ a recommandé à ses disciples en les envoyant chez les nations ? est-ce de tuer ou de mourir ? est-ce de persécuter ou de souffrir ?

Saint Paul écrivoit aux Thessaloniciens : si quelqu'un vient vous annoncer un autre Christ, vous proposer un autre esprit, vous prêcher un autre évangile, vous le souffrirez. Intolérans, est-ce ainsi que vous en usez même avec celui qui n'annonce rien, ne propose rien, ne prêche rien ?

Il écrivoit encore : Ne traitez point en ennemi celui qui n'a pas les mêmes sentimens que vous, mais avertissez-le en frere. Intolérans, est-ce là ce que vous faites ?

Si vos opinions vous autorisent à me haïr, pourquoi mes opinions ne m'autoriseront-elles pas à vous haïr aussi ?

Si vous criez, c'est moi qui ai la vérité de mon côté, je crierai aussi haut que vous, c'est moi qui ai la vérité de mon côté ; mais j'ajouterai : & qu'importe qui se trompe ou de vous ou de moi, pourvu que la paix soit entre nous ? Si je suis aveugle, faut-il que vous frappiez un aveugle au visage ?

Si un intolérant s'expliquoit nettement sur ce qu'il est, quel est le coin de la terre qui ne lui fût fermé ? & quel est l'homme sensé qui osât aborder le pays qu'habite l'intolérant ?

On lit dans Origene, dans Minutius-Felix, dans les peres des trois premiers siecles : la religion se persuade & ne se commande pas. L'homme doit être libre dans le choix de son culte ; le persécuteur fait haïr son Dieu ; le persécuteur calomnie sa religion. Dites-moi si c'est l'ignorance ou l'imposture qui a fait ces maximes ?

Dans un état intolérant, le prince ne seroit qu'un bourreau aux gages du prêtre. Le prince est le pere commun de ses sujets ; & son apostolat est de les rendre tous heureux.

S'il suffisoit de publier une loi pour être en droit de sévir, il n'y auroit point de tyran.

Il y a des circonstances où l'on est aussi fortement persuadé de l'erreur que de la vérité. Cela ne peut être contesté que par celui qui n'a jamais été sincerement dans l'erreur.

Si votre vérité me proscrit, mon erreur que je prends pour la vérité, vous proscrira.

Cessez d'être violens, ou cessez de reprocher la violence aux Payens & aux Musulmans.

Lorsque vous haïssez votre frere, & que vous prêchez la haine à votre prochain, est-ce l'esprit de Dieu qui vous inspire ?

Le Christ a dit : mon royaume n'est pas de ce monde ; & vous, son disciple, vous voulez tyranniser ce monde !

Il a dit, je suis doux & humble de coeur ; êtes vous doux & humble de coeur ?

Il a dit : bienheureux les débonnaires, les pacifiques, & les miséricordieux. Sondez votre conscience, & voyez si vous méritez cette bénédiction ; êtes vous débonnaire, pacifique, miséricordieux ?

Il a dit, je suis l'agneau qui a été mené à la boucherie sans se plaindre ; & vous êtes tout prêt à prendre le coûteau du boucher, & à égorger celui pour qui le sang de l'agneau a été versé.

Il a dit, si l'on vous persécute, fuyez ; & vous chassez ceux qui vous laissent dire, & qui ne demandent pas mieux que de paître doucement à côté de vous.

Il a dit : vous voudriez que je fisse tomber le feu du ciel sur vos ennemis : vous ne savez quel esprit vous anime ; & je vous le répete avec lui, intolérans, vous ne savez quel esprit vous anime.

Ecoutez S. Jean : mes petits enfans, aimez vous les uns les autres.

Saint Athanase ; s'ils persécutent, cela seul est une preuve manifeste qu'ils n'ont ni piété ni crainte de Dieu. C'est le propre de la piété, non de contraindre, mais de persuader, à l'imitation du Sauveur, qui laissoit à chacun la liberté de le suivre. Pour le diable, comme il n'a pas la vérité, il vient avec des haches & des coignées.

Saint Jean Chrisostome : Jesus-Christ demande à ses disciples s'ils veulent s'en aller aussi ; parce que ce doivent être les paroles de celui qui ne fait point de violence.

Salvien : Ces hommes sont dans l'erreur, mais ils y sont sans le savoir. Ils se trompent parmi nous, mais ils ne se trompent pas parmi eux. Ils s'estiment si bons catholiques qu'ils nous appellent hérétiques. Ce qu'ils sont à notre égard, nous le sommes au leur ; ils errent, mais à bonne intention. Quel sera leur sort à venir ? il n'y a que le grand juge qui le sache. En attendant, il les tolere.

S. Augustin : Que ceux là vous maltraitent, qui ignorent avec quelle peine on trouve la vérité, & combien il est difficile de se garantir de l'erreur. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne savent pas combien il est rare & pénible de surmonter les phantomes de la chair. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne savent pas combien il faut gémir & soupirer pour comprendre quelque chose de Dieu. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne sont point tombés dans l'erreur.

S. Hilaire. Vous vous servez de la contrainte dans une cause où il ne faut que la raison ; vous employez la force où il ne faut que la lumiere.

Les constitutions du pape S. Clément. Le Sauveur a laissé aux hommes l'usage de leur libre arbitre, ne les punissant pas d'une mort temporelle, mais les assignant en l'autre monde, pour y rendre compte de leurs actions.

Les peres d'un concile de Tolede. Ne faites à personne aucune sorte de violence, pour l'amener à la foi ; car Dieu fait miséricorde à qui il veut, & il endurcit qui il lui plaît.

On rempliroit des volumes de ces citations trop oubliées des chrétiens de nos jours.

S. Martin se repentit toute sa vie d'avoir communiqué avec des persécuteurs d'hérétiques.

Les hommes sages ont tous desapprouvé la violence que l'empereur Justinien fit aux Samaritains.

Les écrivains qui ont conseillé les loix pénales contre l'incrédulité, ont été détestés.

Dans ces derniers tems l'apologiste de la révocation de l'édit de Nantes, a passé pour un homme de sang, avec lequel il ne falloit pas partager le même toît.

Quelle est la voie de l'humanité ? est-ce celle du persécuteur qui frappe, ou celle du persécuté qui se plaint ?

Si un prince incrédule a un droit incontestable à l'obéissance de son sujet, un sujet mécroyant a un droit incontestable à la protection de son prince. C'est une obligation réciproque.

Si le prince dit que le sujet mécroyant est indigne de vivre, n'est-il pas à craindre que le sujet ne dise que le prince infidéle est indigne de régner ? Intolérans, hommes de sang, voyez les suites de vos principes & frémissez-en. Hommes que j'aime, quels que soient vos sentimens, c'est pour vous que j'ai recueilli ces pensées que je vous conjure de méditer. Méditez-les, & vous abdiquerez un système atroce qui ne convient ni à la droiture de l'esprit ni à la bonté du coeur.

Opérez votre salut. Priez pour le mien, & croyez que tout ce que vous vous permettrez au-delà est d'une injustice abominable aux yeux de Dieu & des hommes.


INTOLÉRANTS. m. (Morale) L'intolérant ou le persécuteur, est celui qui oublie qu'un homme est son semblable, & qui le traite comme une bête cruelle, parce qu'il a une opinion différente de la sienne. La religion sert de prétexte à cette injuste tyrannie, dont l'effet est de ne pouvoir souffrir une façon de penser différente de la sienne, tandis que sa véritable source vient de l'aveuglement, de la présomption, & de la méchanceté du coeur humain. Elle est si grande cette méchanceté, que tout homme de lettres, qui cherche ici bas le repos, doit sans-cesse prier Dieu de lui faire trouver grace auprès des intolérans ; ceux de cet ordre ne sont pas d'ordinaire les plus habiles, & les plus zelés ne sont pas toujours les plus gens de bien ; mais les gouverneurs des états doivent tenir pour bons sujets tous les habitans pacifiques. Un seul est notre docteur, savoir Jesus-Christ, & nous sommes tous freres, dit l'Ecriture. (D.J.)

L'intolérant doit être regardé dans tous les lieux du monde comme un homme qui sacrifie l'esprit & les préceptes de sa religion à son orgueil ; c'est le téméraire qui croit que l'arche doit être soutenue par ses mains ; c'est presque toujours un homme sans religion, & à qui il est plus facile d'avoir du zele que des moeurs. Voyez INTOLERANCE & TOLERANCE.


INTONATIONS. f. (Gram.) c'est l'action d'entonner ; faire l'intonation d'un chant, c'est le commencer & donner le ton sur lequel il doit être poursuivi. Voyez ENTONNER & TON. Intonation se prend encore dans un autre sens : on dit d'un musicien, qu'il a l'intonation juste, lorsqu'il exécute avec précision les intervalles de la musique. La justesse de l'intonation dépend de la voix, de l'oreille & de l'exercice.


INTRA-COSTAUXen Anatomie, sont des muscles qui paroissent aussi-tôt qu'on a enlevé la plevre ; ils sont six, sept, huit ou neuf de chaque côté, & naissent auprès de la tubérosité des côtes : ils montent obliquement & finissent à la premiere côte qui leur est supérieure, ou à la seconde ; on les appelle les intra-costaux de Verheyen, & les sous-costaux de M. de Winslow. Voyez SOUS-COSTAUX.


INTRADOS(Coupe des pierres) Voyez DOELE.


INTRADUISIBLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut traduire. Un auteur est intraduisible, lorsqu'il y a peu de termes dans la langue du traducteur qui rendent ou la même idée, ou précisément la même collection d'idées qu'ils ont dans la langue de l'auteur.


INTRAITABLEadj. (Gram.) Un homme est intraitable lorsque la dureté de son caractere, la férocité de son esprit, l'inflexibilité de son humeur, la fierté rude de ses moeurs repoussent tous ceux qui ont à traiter, agir, ou converser avec lui. Les honneurs & la richesse rendent quelquefois intraitables. La maladie en fait autant.


INTRANTS. m. (Litt.) c'est celui qui est choisi & député par la nation, pour l'élection d'un nouveau recteur. Il y a quatre intrans, parce qu'il y a quatre nations dans l'université : ce sont ces vocaux qui font le recteur ; ils votent en particulier. Lorsque leurs voix sont partagées, c'est le recteur en exercice qui débarre.


INTRÉPIDITÉS. f. (Morale) L'intrépidité est une force extraordinaire de l'ame qui l'éleve audessus des troubles, des desordres, & des émotions que la vûe des grands périls pourroit exciter en elle ; & c'est par cette force que les héros se maintiennent en un état paisible, & conservent l'usage libre de leur raison dans les accidens les plus surprenans & les plus terribles.

L'intrépidité doit soutenir le coeur dans les conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermeté qui lui est nécessaire dans les périls de la guerre.

Souvent entre l'homme intrépide & le furieux il n'est de différence visible que la cause qui les anime. Celui-ci pour des biens frivoles, pour des honneurs chimériques qu'on acheteroit encore trop cher par un simple desir, sacrifiera ses amusemens, sa tranquillité, sa vie même. L'autre au contraire connoît le prix de son existence, les charmes du plaisir, & la douceur du repos : il y renoncera cependant pour affronter les hasards, les souffrances, & la mort même, si la justice & son devoir l'ordonnent ; mais il n'y renoncera qu'à ce prix. Sa vertu lui est plus chere que sa vie, que ses plaisirs & son repos ; mais c'est le seul avantage qu'il préfere à tous ceux-là.

Un moyen propre à redoubler l'intrépidité, c'est d'être homme de bien. Votre conscience alors vous donnant une douce sécurité sur le sort de l'autre vie, vous en serez plus disposé à faire, s'il en est besoin, le sacrifice de celle-ci. " Dans une bataille, dit Xenophon, ceux qui craignent le plus les dieux, sont ceux qui craignent le moins les hommes ".

Pour ne point redouter la mort, il faut avoir des moeurs bien pures, ou être un scélérat bien aveuglé par l'habitude du crime. Voilà deux moyens pour ne pas fuir le danger : choisissez.


INTRIGUES. f. (Morale) conduite détournée de gens qui cherchent à parvenir, à s'avancer, à obtenir des emplois, des graces, des honneurs, par la cabale & le manege. C'est la ressource des ames foibles & vicieuses, comme l'escrime est le métier des lâches.

INTRIGUE, (Belles-Lettres) assemblage de plusieurs évenemens ou circonstances qui se rencontrent dans une affaire, & qui embarrassent ceux qui y sont intéressés.

Ce mot vient du latin intricare, & celui-ci, suivant Nonius, de triae, entrave qui vient du grec , cheveux : quod pullos gallinaceos involvant & impediant capilli. Tripand adopte cette conjecture, & assure que ce mot se dit proprement des poulets qui ont les piés empêtrés parmi des cheveux, & qu'il vient du grec , cheveux.

Intrigue, dans ce sens, est le noeud ou la conduite d'une piece dramatique, ou d'un roman, c'est-à-dire, le plus haut point d'embarras où se trouvent les principaux personnages, par l'artifice ou la fourbe de certaines personnes, & par la rencontre de plusieurs événemens fortuits qu'ils ne peuvent débrouiller. Voyez NOEUD.

Il y a toujours deux desseins dans la tragédie, la comédie ou le poëme épique. Le premier & le principal est celui du héros ; le second comprend tous les desseins de ceux qui s'opposent à ses prétentions. Ces causes opposées produisent aussi des effets opposés, savoir, les efforts du héros pour l'exécution de son dessein, & les efforts de ceux qui lui sont contraires.

Comme ces causes & ces desseins sont le commencement de l'action, de même ces efforts contraires en sont le milieu, & forment une difficulté & un noeud qui fait la plus grande partie du poëme ; elle dure autant de tems que l'esprit du lecteur est suspendu sur l'événement de ces efforts contraires. La solution ou dénouement commence, lorsque l'on commence à voir cette difficulté levée & les doutes éclaircis. Voyez ACTION, FABLE, &c.

Homere & Virgile ont divisé en deux chacun de leurs trois poëmes, & ils ont mis un noeud & un dénouement particulier en chaque partie.

La premiere partie de l'iliade est la colere d'Achille, qui veut se vanger d'Agamemnon par le moyen d'Hector & des Troiens. Le noeud comprend le combat de trois jours qui se donne en l'absence d'Achille, & consiste d'une part dans la resistance d'Agamemnon & des Grecs ; & de l'autre, dans l'humeur vindicative & inexorable d'Achille, qui ne lui permet pas de se reconcilier. Les pertes des Grecs & le desespoir d'Agamemnon disposent au dénouement, par la satisfaction qui en revient au héros irrité. La mort de Patrocle, jointe aux offres d'Agamemnon, qui seules avoient été sans effet, levent cette difficulté, & font le dénouement de la premiere partie. Cette même mort est aussi le commencement de la seconde partie, puisqu'elle fait prendre à Achille le dessein de se vanger d'Hector ; mais ce héros s'oppose à ce dessein, & cela forme la seconde intrigue, qui comprend le combat du dernier jour.

Virgile a fait dans son poëme le même partage qu'Homere. La premiere partie est le voyage & l'arrivée d'Enée en Italie ; la seconde est son établissement. L'opposition qu'il essuie de la part de Junon dans ces deux entreprises, est le noeud général de l'action entiere.

Quant au choix du noeud & à la maniere d'en faire le dénouement, il est certain qu'ils doivent naître naturellement du fond & du sujet du poëme. Le P. le Bossu donne trois manieres de former le noeud d'un poëme ; la premiere est celle dont nous venons de parler ; la seconde est prise de la fable & du dessein du poëte ; la troisieme consiste à former le noeud, de telle sorte que le dénouement en soit une suite naturelle. Voyez CATASTROPHE & DENOUEMENT.

Dans le poëme dramatique, l'intrigue consiste à jetter les spectateurs dans l'incertitude sur le sort qu'auront les principaux personnages introduits dans la scene ; mais pour cela elle doit être naturelle, vraisemblable & prise, autant qu'il se peut, dans le fond même du sujet. 1°. Elle doit être naturelle & vraisemblable ; car une intrigue forcée ou trop compliquée, au lieu de produire dans l'esprit ce trouble qu'exige l'action théatrale, n'y porte au contraire que la confusion & l'obscurité, & c'est ce qui arrive immanquablement, lorsque le poëte multiplie trop les incidens ; car ce n'est pas tant le surprenant & le merveilleux qu'on doit chercher en ces occasions, que le vraisemblable ; or rien n'est plus éloigné de la vraisemblance que d'accumuler dans une action, dont la durée n'est tout au plus supposée que de 24 heures, une foule d'actions qui pourroient à peine se passer en une semaine, ou en un mois. Dans la chaleur de la représentation ces surprises multipliées plaisent pour un moment, mais à la discussion on sent qu'elles accablent l'esprit, & qu'au fond le poëte ne les a imaginées que faute de trouver dans son génie les ressources propres à soutenir l'action de sa piece par le fond même de sa fable. De-là tant de reconnoissances, de déguisemens, de suppositions d'état dans les tragédies de quelques modernes dont on ne suit les pieces qu'avec une extrême contention d'esprit ; le poëte dramatique doit à la vérité conduire son spectateur à la pitié par la terreur, & réciproquement à la terreur par la pitié. Il est encore également vrai que c'est par les larmes, par l'incertitude, par l'espérance, par la crainte, par les surprises & par l'horreur, qu'il doit le mener jusqu'à la catastrophe ; mais tout cela n'exige pas une intrigue pénible & compliquée. Corneille & Racine, par exemple, prodiguent-ils à tout propos les incidens, les reconnoissances & les autres machines de cette nature, pour former leur intrigue ? L'action de Phedre marche sans interruption, & roule sur le même intérêt, mais infiniment simple, jusqu'au troisieme acte où l'on apprend le retour de Thesée. La présence de ce prince, & la priere qu'il fait à Neptune, forment tout le noeud, & tiennent les esprits en suspens. Il n'en faut pas davantage pour exciter l'horreur pour Phedre, la crainte pour Hyppolite, & ce trouble inquiétant dont tous les coeurs sont agités dans l'impatience de découvrir ce qui doit arriver. Dans Athalie, le secret du grand-prêtre sur le dessein qu'il a formé de proclamer Joas roi de Juda, l'empressement d'Athalie à demander qu'on lui livre cet enfant inconnu, conduisent & arrêtent comme par degré l'action principale, sans qu'il soit besoin de recourir à l'extraordinaire & au merveilleux. On verra de même dans Cinna, dans Rodogune, & dans toutes les meilleures pieces de Corneille, que l'intrigue est aussi simple dans son principe, que féconde dans ses suites. 2°. Elle doit naître du fond du sujet autant qu'il se peut ; car lorsque la fable ou le morceau d'histoire que l'on traite, fournit naturellement les incidens & les obstacles qui doivent contraster avec l'action principale, qu'est-il besoin de recourir à des épisodes qui ne font que la compliquer, ou partager & refroidir l'intérêt ? Princip. pour la lect. des Poëtes. tom. II.


INTRINSEQUEadj. (Gramm.) ou appartenant à toute la substance du corps ; c'est ainsi qu'il faut l'entendre dans les phrases de philosophes, où il est joint à vertu, à qualité, & où il est vuide d'idée.

Il a un sens plus déterminé dans les cas où il est appliqué à la valeur des objets ; ainsi la valeur intrinseque d'un bijou d'or, c'est la matiere même, sans aucun égard à la façon. La valeur intrinseque d'une piece de monnoye, c'est le métal considéré relativement au grain de fin, & non au travail.

Ainsi la valeur intrinseque est celle des choses indépendamment de nos conventions, de nos caprices, de nos idées, &c.


INTRODUCTEURINTRODUCTEUR

Cette charge n'est établie dans ce royaume que de la fin du dernier siecle, & dans la plupart des autres cours, elle est confondue avec celle de maître des cérémonies.

On peut appeller admissionales, les introducteurs des ambassadeurs. Ces officiers étoient connus des Romains dans le troisieme siecle : Lampride dit d'Alexandre qui monta sur le trône en 208 : quod salutaretur quasi unus de senatoribus, patente velo, admissionalibus remotis. Il en est fait mention dans le code Théodosien, ainsi que dans Ammian Marcellin, lib. XV. cap. v, où l'on voit que cet emploi étoit très-honorable. Corippus, lib. III. de laudib. Justini, qui fut élu empereur en 518, donne à cet officier le titre de magister.

Uti laetus princeps solium conscendit in altum,

Membraque purpureâ praecelsus veste locavit,

Legatos.... jussos intrare magister.

(D.J.)


INTRODUCTIFadj. (Jurisprud.) se dit en parlant du premier exploit par lequel on commence une contestation. On l'appelle exploit introductif, ou la demande introductive, parce que c'est ce qui a introduit la contestation. (A)


INTRODUCTIONS. f. (Jurisprud.) signifie commencement ; quand on dit depuis l'introduction de l'instance, c'est depuis le premier exploit qui a commencé l'affaire. (A)


INTRONATI(Hist. littéraire) nom d'une académie de Sienne en Italie. Voyez ACADEMIE.

Les membres de cette académie se contenterent d'établir à sa naissance six lois fondamentales fort courtes : 1°. prier ; 2°. étudier ; 3°. se réjouir ; 4°. n'offenser personne ; 5°. ne pas croire légerement ; 6°. laisser dire le monde.


INTRUSadject. (Jurisprud.) est celui qui s'est emparé de quelque bien sans titre légitime.

Ce terme est principalement usité en matiere bénéficiale, pour exprimer celui qui s'est mis en possession d'un bénéfice par voie de fait, sans institution légitime & canonique, ou sans avoir observé les formalités requises, par exemple s'il n'a pas obtenu le visa.

Cette possession vicieuse est qualifiée d'intrusion, laquelle emporte une incapacité perpétuelle de la part de l'intrus de posséder le bénéfice. (A)


INTUITIFadject. (Théolog.) il se dit de la vision ou connoissance claire & distincte d'une chose. Les Théologiens promettent aux hommes dans ce monde-ci, que s'ils sont du nombre des bien heureux dans l'autre, ils auront la vision intuitive de la majesté de Dieu, & la connoissance des mysteres de la religion.


INTUSINTUS


INVALIDEadj. (Gramm.) qui ne peut valoir. On dit, cette seule phrase marque que cet homme ne jouissoit pas de sa raison quand il a fait son testament, & elle suffit pour le rendre invalide. Voilà une de ces circonstances sur lesquelles il a été impossible de statuer par la loi : le jugement de l'invalidité est en pareil cas tout abandonné au bon sens du juge.

INVALIDE, s. m. (Art milit.) c'est dans le militaire un officier ou un soldat, qui ne peut plus servir par son âge ou par ses blessures, & qui a été reçu à l'hôtel des invalides. Voyez HOSTEL DES INVALIDES.

INVALIDES, Hôtel des (Géog.) vaste bâtiment à l'extrémité de Paris, où le roi loge & entretient quantité d'officiers & de soldats estropiés, qui ne sont plus en état de servir. Ce palais est une des institutions de Louis XIV. que plusieurs nations ont imité. Plus de deux mille soldats & un grand nombre d'officiers y peuvent trouver une consolation dans leur vieillesse, & des secours pour leurs blessures & pour leurs besoins. Ce fut en 1671 que l'on jetta les fondemens de cet édifice dans la plaine de Grenelle assez près de la riviere : l'autel & la chapelle sont magnifiques.

La voûte du sanctuaire offre des ouvrages de Noël Coypel, au sujet du mystere de la Trinité & de l'Assomption de la sainte Vierge. Les douze apôtres peints sur la premiere voûte du dôme, sont de Jouvenet ; la Gloire & les Evangélistes de la seconde voûte, sont de la Fosse ; les quatre chapelles dédiées aux quatre peres de l'Eglise latine, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin & saint Grégoire, sont ornées de tableaux de la main des Boulogne & de Corneille, qui représentent les principales actions de la vie du saint, dont l'enlevement au ciel se voit dans le fond de la voûte. Toutes ces peintures sont à fresque, & très-estimées.

Mais je n'entrerai pas dans les détails, on les trouvera dans Piganiol de la Force, & le tems les engloutira. (D.J.)


INVALIDES(Hist.) addition à cet article. L'hôtel royal des Invalides, monument digne de la grandeur du monarque qui l'a fondé, est destiné à recevoir des soldats de deux especes.

Ceux qui par leur grand âge & la longue durée de leurs services ne sont plus en état d'en rendre ; & d'autres auxquels des blessures graves, la perte de quelque membre ou des infirmités ne permettent pas de soutenir la fatigue des marches, ni de faire le service soit en garnison, soit en campagne.

Parmi ceux de cette seconde classe, on doit distinguer les soldats dont les blessures sont de nature à les priver de tout exercice, d'avec d'autres qui ne pouvant s'y prêter qu'avec gêne, acquierent cependant par l'habitude & par l'adresse qui naît de la nécessité, cette aptitude que l'on voit souvent dans des gens mutilés.

De deux soldats l'un a la jambe coupée, l'autre a une ankilose au genou ; ils sont également hors d'état de servir : le premier de deux autres a eu le bras emporté, le second a eu le bras cassé, on l'a guéri ; mais ce bras par déperdition de substance ou par accident dans la cure, est devenu roide ou plus court que l'autre ; il rend donc conséquemment le sujet incapable. Voilà quatre hommes que l'on juge dignes des graces du roi ; ils l'ont également bien servi, & pendant le même tems ; ils doivent être récompensés, cela est juste ; on leur ouvre à tous également la porte de l'hôtel, cela est mal.

Il est sans doute de la grandeur du roi d'assurer de quoi vivre à ceux qui l'ont servi ; mais il est aussi de sa sagesse de distinguer les tems, les circonstances, & de modifier les graces.

Le plus grand des malheurs que la guerre entraîne après elle, est la consommation d'hommes ; le ministere n'est occupé que du soin de remplir par d'abondantes recrues tout ce que le fer, le feu, les maladies, la désertion laissent de vuide dans une armée. Trois campagnes enlevent à la France toute cette jeunesse qu'elle a mis vingt ans à élever ; le tirage de la milice, les enrôlemens volontaires ou forcés dépeuplent les campagnes. Pourquoi ne pas employer les moyens qui se présentent de rendre quelques habitans à ces villages, où l'on ne rencontre plus que des vieillards & des filles de tout âge ?

Quel inconvénient y auroit-il de statuer que tout soldat, cavalier & dragon de quarante-cinq ans & au-dessous, auquel ses services ou certaines blessures ont mérité l'hôtel, se retirât dans sa communauté ? Pourquoi ne pas faire une loi d'état qui oblige cet homme de s'y marier ?

L'auteur de l'esprit des loix dit que là où deux personnes peuvent vivre commodément, il s'y fait un mariage ; il ajoute que les filles par plus d'une raison y sont assez portées d'elles-mêmes, & que ce sont les garçons qu'il faut encourager.

Le soldat avec sa paye que le roi devra lui conserver, suivant son grade, & telle qu'il la recevoit à son corps, la fille avec le produit de son travail & de son économie, auront précisément ce qu'il faut pour vivre commodément ensemble : voilà donc un mariage.

Le soldat sera encouragé par la loi ou par le bénéfice attaché à l'exécution de la loi ; la fille est encouragée d'elle-même, par la raison que tout la gêne étant fille, & qu'elle veut jouir de la liberté que toutes les filles croyent encore appercevoir dans l'état de femme.

Un homme dans un village avec cent livres de rente assurée, quelque infirme qu'il soit & hors d'état de travailler, se trouve au niveau de la majeure partie des habitans du même lieu, tels que manouvriers, bucherons, vignerons, tisserands & autres ; on estime le produit de leur travail dix sols par jour, on suppose avec assez de raison qu'ils ne peuvent travailler que deux cent jours dans l'année, le surplus comme les fêtes, les journées perdues aux corvées, celles que la rigueur des saisons ne permet pas d'employer au travail, les tems de maladie, tout cela n'entre point en compte ; & c'est sur le pié de deux cent jours par an seulement que le roi regle l'imposition que ces ouvriers doivent lui payer. Voilà donc déja l'égalité de fortune établie entre le soldat & les habitans de campagne.

On verra dans la suite de ce mémoire que le soldat, indépendamment du produit de quelque léger travail ou de quelque petit commerce dont il est le maître de s'occuper, sera plus riche & plus en état de bien vivre sans bras avec sa paye, que le paysan sans paye avec ses bras. Quelle est donc la fille qui refusera un soldat estropié, qui ne peut dans aucun cas être à la charge de sa femme ? Et quel est le soldat qui connoissant son état, ne croira pas qu'il y aura de la générosité dans le procédé d'une fille, qui vient ainsi en l'épousant s'offrir à partager avec lui son bien-être & ses peines ?

Je dis que cela peut faire de très-bons mariages, & voici l'utilité dont ils seront à l'état.

Ces gens mariés peupleront, leurs garçons seront soldats nés ou miliciens de droit, ce sera la loi ; chaque enfant mâle recevra, à commencer du jour de sa naissance jusqu'à celui de seize ans accomplis, une subsistance de deux sols par jour, ou trois livres par mois de la part de la communauté où il est né, & pour laquelle il doit servir. Ces trente-six livres par année que le soldat recevra pour chacun de ses fils, feront son bien-être, & le mettront en état de les élever. Il est étonnant combien parmi les gens de cette espece, deux sols de plus ou de moins par jour, procurent ou ôtent d'aisance ; l'objet ne sera point à charge à la communauté, & chaque pere de famille croira voir dans l'enfant du soldat, le milicien qui empêchera quelque jour son fils de le devenir.

Au reste, il seroit désirable que cette dépense devint par la suite assez onéreuse pour exciter les plaintes de ceux qui la supporteront, & qu'elles fussent de nature de forcer l'état de venir à leur secours.

Toutes les nations se sont occupées de la population, les législateurs ont indiqué les moyens d'encourager les mariages, & on ne se souvient pas parmi nous de la loi qui accordoit des privileges aux peres de douze enfans vivans, que parce que ces privileges ne subsistent plus. Il est malheureux que le royaume qui se dépeuple visiblement tous les jours, ne s'apperçoive pas de cette espece de pauvreté, la plus funeste de toutes, qui consiste à n'avoir que peu d'habitans ; ou bien si on sent cet état de dépérissement, pourquoi depuis très-long-tems ne s'est-on point occupé du soin de susciter des générations nouvelles ? Il ne manque en France, si on ose risquer l'expression, que des fabriques d'hommes ; il en peut être trop de toutes autres especes. Il faut donc faire des mariages, les multiplier, les encourager. Il faut donc commencer par marier ceux des sujets du roi, dont les effets de sa bonté & de sa justice le rendent plus particulierement le maître ; les autres viendront ensuite, mais ils ne sont pas de mon sujet.

Il ne faut pas avoir recours au calcul pour prouver que la dépense de l'entretien d'un invalide, dans un lieu quelconque du royaume, n'excédera pas celle qu'il occasionne dans l'hôtel ; ainsi cette nouveauté dans la forme de pourvoir aux besoins d'une partie des soldats, ne sera point à charge à l'état.

Le grand contredit de l'hôtel royal, est que tous les soldats qui y sont admis, sont autant d'hommes perdus pour l'état ; ils y enterrent en entrant, jusqu'à l'espérance de se voir renaître dans une postérité ; on en voit peu se marier, on sait bien qu'il ne leur est pas impossible d'en obtenir la permission, mais rien ne les en sollicite ; d'ailleurs il est des cas où il ne suffit pas de permettre, le mariage est nécessaire, son effet est le soutien des empires, il faut donc l'ordonner.

Seroit-il difficile de prouver que parmi tous les soldats invalides, existans actuellement à l'hôtel, ou détachés dans les forts, il ne s'en trouva plus d'un tiers en état d'être mariés ? & seroit-il plus difficile de se persuader qu'il y a plus de filles encore qui ne se marient pas, parce qu'il n'y a plus de maris pour elles, qu'il n'y a d'invalides propres au mariage.

Il est donc nécessaire de rapprocher promptement ces deux principes de vie ; il faut envoyer dans les communautés qui les ont vu naître, les soldats qui peuvent être mariés, tant ceux qui sont actuellement détachés ou à l'hôtel, que d'autres qui seront par la suite désignés pour s'y rendre.

Cette attention est indispensable : un soldat qui tomberoit dans un village éloigné de son pays natal, auroit de la peine à s'y établir ; il ne faut laisser à combattre aux filles que la sorte d'antipathie naturelle pour les imperfections corporelles ; il ne faut pas ajouter celle de s'allier à un inconnu.

Il est dans les habitations des campagnes une honnêteté publique qui ne se rencontre presque plus que parmi eux ; ils sont tous égaux en privation de fortune, mais ils ont un sentiment intérieur qui n'autorise les alliances qu'entre gens connus.

La Tulipe en veut à ma fille, dira un paysan, j'en suis bien aise, il est de bonne race, il sera mon gendre : expression naïve du sentiment d'honneur.

On n'entre point dans le détail des moyens d'exécution du projet, des privileges à accorder aux invalides mariés, de la nécessité de les établir de préférence dans les villages voisins de la ville où ils sont nés, plutôt que dans la ville même ; ces raisons se découvrent sans les développer. On se contente donc d'avoir démontré la nécessité, la possibilité & l'utilité des mariages des soldats invalides qui peuvent les contracter.

J'ajouterai seulement que parmi tous les soldats, qui en dernier lieu sont partis pour aller attendre à Landau les ordres dont ils ont besoin pour être reçus à l'hôtel, plus de cent m'ont demandé s'il ne me seroit pas possible de leur faire tenir ce qu'ils appellent les invalides chez eux.

Si ce projet méritoit l'approbation du ministere, l'exécution en pourroit être très-prompte, & je garentirois, si la cour m'en confioit le soin, d'avoir fait en moins de trois mois la revue de tous les invalides détachés dans le royaume, de lui rendre compte de tous ceux qui seroient dans le cas du projet, & de les faire rendre promptement à leur destination.

On sent bien qu'il faut une ordonnance du roi en forme de réglement pour cet établissement, mais on voit aisément aussi que les principales dispositions en sont répandues dans ce mémoire ; au surplus, si le ministre pour lequel ces réflexions sont écrites en étoit désireux, je travaillerois d'après ses ordres au projet de l'ordonnance, & elle lui seroit bientôt rendue.

Objections faites par la cour. J'ai peine à me persuader que la classe que vous établissez depuis quarante-cinq ans & au-dessous, pût fournir un tiers (d'invalides) qui fût propre au mariage.

Réponses aux objections. Dans un arrangement quelconque, la fixation apparente n'est pas toujours le terme de son étendue ; aussi n'y auroit-il aucun inconvénient à prendre dans la classe de quarante à cinquante, ce qui manqueroit dans celle au-dessous de quarante-cinq ; le préjugé qu'un soldat est plus vieux & plus usé qu'un autre homme de pareil âge, avoit déterminé à ne pas outre-passer quarante-cinq ans ; mais ce préjugé est comme tous les autres, il subsiste sans être plus vrai ; & l'on voit tous les jours des soldats qui ont trente ans de service, plus frais & mieux portans que bien des ouvriers qui n'ont jamais quitté le lieu de leur naissance.

La force & la santé sont le partage de l'exercice & de la sobriété, comme la foiblesse & la maladie le sont de l'inaction & de la débauche. Dans tous les états, on trouve des hommes forts & bien portans, de foibles & d'infirmes.

Objection. Il y en auroit de cet âge, qui accoutumés au célibat, préféreroient d'y rester, & on ne pourroit charitablement se refuser à leurs desirs.

Réponse. Après avoir posé pour principe que chaque sujet est à l'état, ce que chaque membre est au corps, & que sans se rendre coupable du crime de leze-société, un particulier ne peut séparer son intérêt de sa nation ; je demande la permission de faire deux questions, & d'y répondre. Qu'est-ce que le célibat ? Qu'est-ce que la charité ?

Le célibat ne peut être une vertu ; car son exacte observation, loin de contribuer au bonheur public qui est le terme de toutes les vertus, prépare sourdement la ruine d'un empire.

La charité est une vertu chrétienne qui consiste à aimer Dieu par-dessus tout, & son prochain comme soi-même. Ce n'est pas outrager l'être suprême que de forcer le prochain à multiplier le nombre des créatures faites à l'image de la divinité, car ces créatures ainsi multipliées, en présenteront plus d'objets à la charité.

Au reste, la législation & la politique n'ayant & ne devant avoir d'autre but que la grandeur de la nation, elles ne peuvent adopter le sentiment que le célibat soit un état plus parfait que le mariage : si ce que l'on vient de dire est vrai, il sera donc prouvé que l'on ne blesse aucun principe en se refusant au desir que marque un homme de garder le célibat.

Mais pourquoi n'est-il pas de mon sujet de parler de l'encouragement qu'on lui donne ? S'il m'étoit permis de m'expliquer sur le malheur qui résulte de ce que l'état veut bien se porter héritier des citoyens qui n'en veulent pas connoître d'autres, je dirois que cette funeste facilité que l'on trouve à doubler son revenu en perdant le fonds, énerve le courage, émousse tous les traits de l'industrie, rend d'abord inutile, & bientôt après à charge à la patrie, celui qui vient de contracter avec elle, & qu'enfin elle étouffe tous les germes de vie, qui heureusement éclos peupleroient l'état & le rendroient florissant.

Objection. D'autres rendus dans leurs communautés, ne trouveroient point à s'y établir, quelqu'envie qu'ils pussent en avoir. Ne seroit-il pas à craindre qu'une partie de ceux qui s'y marieroient ne s'ennuyassent bien vîte d'un genre de vie pour lequel ils n'étoient plus faits, & qu'alors ils n'abandonnassent leurs femmes & leurs enfans.

Réponse. Par-tout où il est des filles, par-tout on les trouve disposées au mariage, parce que tout les en sollicite en tout tems ; l'esclavage dans l'adolescence, l'amour propre & celui de la liberté dans la jeunesse, l'envie d'avoir & de jouir dans l'âge mûr, la crainte du ridicule & de la sorte de mépris attaché au titre humiliant de vieille fille : voilà bien des motifs de quitter un état où la nature sur les besoins, est perpétuellement en procès avec les préjugés.

Sur quoi seroit donc fondé le refus que feroit une fille d'épouser un soldat invalide qui sera du même village ou du hameau voisin ? Ce sera donc sur la crainte qu'un pareil mari, accoutumé depuis longtems à une vie licentieuse, ne vînt à se dégoûter d'un genre de vie trop uniforme, & n'abandonnât sa femme & ses enfans.

Si le soldat marié renonce aux principes de l'honneur, & s'il devient sourd aux cris de la nature, qui dit sans cesse d'aimer & protéger sa femme & ses enfans, les dispositions de la loi l'empêcheront de s'écarter de son devoir. Dans le cas d'abandon de ce qu'il peut avoir de plus cher, la loi le déclarera déchu des graces du roi ; sa paye lui sera ôtée en entier, sans aucune espérance d'y pouvoir être rétabli ; & la totalité de cette paye sera dévolue à sa femme si elle a quatre enfans & au-dessus ; les trois quarts, si elle a trois enfans ; la moitié, si elle en a deux, & le quart seulement si elle n'a point d'enfans : voilà la femme rassurée, & le mari retenu.

Il n'y a donc pas lieu de craindre que le soldat renonce à une vie douce & tranquille pour faire le métier de vagabond & d'homme sans aveu : genre de vie humiliant par lui-même, & qui le priveroit sans retour du sort heureux qu'il tient de la bonté & de la justice du roi.

Objection. Ce seroit donc une imposition réelle sur les communautés, que de les charger de deux sols qui seroient donnés à chaque garçon du moment de sa naissance : & comme vous désignez par état cet enfant pour le service du roi, ne seroit-il pas juste que S. M. pourvût à sa subsistance ?

Réponse. Les villes ou communautés n'ont jamais rien reçu pour le milicien qui leur est demandé ; nonseulement elles le donnent gratis, mais elles le fournissent de tout à leurs fraix, à l'exception de l'habit qui est donné par le roi. On a donc par cet usage été déterminé à proposer que les deux sols de subsistance fussent payés par la communauté pour laquelle l'enfant est destiné à servir. Il est vrai dans le fait que cette imposition pourroit être à charge à une communauté ; & il est constant d'ailleurs qu'elle ne seroit point égale, car l'exécution du projet peut, par un effet du hasard, conduire plusieurs soldats dans le village où ils sont nés, & n'en ramener aucun dans un autre.

On parera à l'inconvénient en chargeant la province de pourvoir à cette dépense, qu'elle imposera sur elle-même : les collecteurs des deniers royaux dans chaque lieu, en feront l'avance par mois au soldat, & il leur en sera tenu compte à chaque quartier par le receveur des tailles : c'est la forme la plus simple.

Si le roi se chargeoit de cette dépense, les particuliers contribuables en seroient-ils pour cela déchargés ? Quand les besoins relatifs à l'objet militaire augmentent, l'extraordinaire des guerres demande de plus gros fonds au trésor royal ; ils y sont portés par les receveurs généraux des finances qui les reçoivent des receveurs des tailles, auxquels ils ont été faits par les collecteurs qui les ont perçus en augmentation sur chaque habitant de la communauté ; on n'a donc proposé que d'abréger la forme. Article de M. COLLOT, commissaire des guerres.


INVALIDITÉS. f. (Gramm. Jurisprud.) qualité qui réduit à non-valeur. Voilà ce qui démontre l'invalidité de votre titre, de votre preuve, de votre démonstration.


INVARIABLEadj. (Gramm.) qui n'est point sujet au changement : il se prend au physique & au moral. On dit sa santé est invariable. Le cours des astres est invariable. Cela n'est pas exact, il n'y a rien d'invariable dans la nature. L'application de ce terme à l'homme l'est bien moins encore. Il n'y a personne qui soit invariable dans ses opinions, dans ses jugemens, dans ses sentimens. L'invariabilité absolue ne convient qu'à Dieu, & à la matiere en général, si toutefois il y a quelque chose de réel à quoi ce mot abstrait puisse convenir ; c'est une question qui a bien plus de difficultés qu'elle n'en présente au premier coup d'oeil.


INVASIONS. f. (Gramm. & Art milit.) c'est l'action violente & subite, par laquelle on s'empare d'une contrée ennemie, ou regardée comme telle. Invasion vient d'envahir. Les colonies descendues du nord ont envahi ces provinces plus d'une fois.


INVECTIVES. f. (Gramm. & Morale) discours injurieux & violent adressé à quelque personne. Il ne faut point invectiver. Il usoit d'invectives contre les absens. Il se dit aussi des choses ; tous nos écrivains modernes invectivent contre le luxe ; tous nos prédicateurs, contre les progrès de l'incrédulité ; mais on les laisse dire : on n'en est pas moins fastueux ni plus croyans.


INVENTAIRES. m. (Jurisprud.) signifie en général un état & une description de quelque chose.

On fait un inventaire des titres d'un trésor ou chartrier ; ces sortes d'inventaires peuvent être faits d'une maniere authentique, ou simplement comme actes privés.

Inventaire d'une succession, est une énumération & une description des effets mobiliers, & des titres & papiers d'un defunt.

Il est quelquefois précédé d'une apposition de scellé ; mais on peut aussi faire inventaire quoiqu'il n'y ait point de scellé.

Entre majeurs cet acte peut de leur consentement être fait sous signature privée.

Mais lorsqu'il y a des mineurs ou des absens, ou que l'on veut s'en servir contre des tiers, il doit être fait solemnellement & par des officiers publics.

A Paris on prend deux notaires ; hors de Paris, il suffit d'un notaire & deux témoins.

Dans quelques endroits ce sont les juges ou des commissaires qui ont droit de faire les inventaires solemnels.

L'inventaire est un acte conservatoire, qui se fait pour constater les biens & droits d'une succession ou communauté de biens, à l'effet de maintenir les droits de tous ceux qui peuvent y avoir intérêt ; tels que le survivant des conjoints, les héritiers du prédécédé, les créanciers, légataires & autres.

Il ne peut être fait qu'à la réquisition des parties, aucun juge ni autre officier ne peut d'office provoquer l'inventaire, quand même il y auroit des mineurs, si ce n'est dans le cas où le roi ou le public y seroient intéressés.

Anciennement il étoit permis de commencer l'inventaire vingt-quatre heures après l'enterrement du défunt ; mais par le dernier réglement, on ne peut le commencer que trois jours après.

La veuve & les héritiers font inventaire pour s'instruire des forces de la succession, & déterminer ensuite la qualité qu'ils doivent prendre.

L'ordonnance donne à la veuve & aux héritiers trois mois pour faire inventaire, & quarante jours pour délibérer, c'est-à-dire que pendant ce tems on ne peut pas les forcer de prendre qualité, mais on provoque quelquefois ce délai selon les circonstances ; & quand on n'est pas poursuivi pour prendre qualité, on peut en tout tems faire inventaire ; il est cependant beaucoup mieux de le faire le plutôt qu'il est possible, & même quand il y a des absens ou des créanciers, de faire mettre le scellé afin de prévenir tout soupçon de recelé & divertissement.

Les héritiers ne prennent ordinairement d'autre qualité dans l'inventaire, que celle d'héritiers présomptifs, ou d'habiles à se dire & porter héritiers ; & la veuve habile à se dire & porter commune. Cependant quand on est bien sûr de l'état d'une succession ou communauté de biens, & que l'on est déterminé à l'accepter, on peut prendre qualité sans attendre la confection de l'inventaire.

Il est quelquefois libre de faire inventaire ou non, mais il y a des cas où il est nécessaire ; savoir,

1°. Lorsqu'un héritier veut accepter par bénéfice d'inventaire.

2°. Quand le survivant des conjoints qui a des enfans mineurs, veut empêcher la continuation de la communauté.

3°. Quand il y a des mineurs, il est à propos pour le tuteur de faire inventaire.

4°. Dans le cas du don mutuel entre les conjoints, les héritiers du prédécédé peuvent obliger le survivant de faire inventaire.

5°. Lorsqu'il y a des effets mobiliers substitués, dont il doit être fait emploi.

Lorsqu'il y a un exécuteur testamentaire, c'est à sa requête que l'inventaire doit être fait.

L'inventaire se fait au lieu du domicile du défunt, s'il y a des meubles ailleurs, on les fait inventorier par les officiers du lieu, à moins que l'inventaire ne soit commencé à Paris, auquel cas les commissaires & notaires qui font l'inventaire, peuvent le continuer par droit de suite par-tout où il y a des meubles.

L'acte doit être écrit de la main d'un des notaires ou autre officier qui fait l'inventaire, ou de la main de leur clerc, & non de la main d'une des parties, quand même cette partie seroit notaire.

On doit y faire mention du jour, & si c'est devant ou après-midi, & le marquer à chaque vacation.

Ceux qui y sont présens doivent signer sur la minute à la fin de chaque vacation.

On commence l'inventaire par une espece de préface qu'on appelle l'intitulé qui contient les qualités des parties, & leurs dires & réquisitions ; ensuite on énonce les meubles, la vaisselle d'argent, les titres & papiers.

Il est d'usage de faire priser les meubles par un huissier ou par des experts à mesure qu'on les inventorie, cependant il y a des endroits où l'on ne fait pas de prisée.

On range les titres & papiers par liasse & par cotte & on les désigne de même dans l'inventaire.

Les dettes actives & passives doivent aussi être déclarées.

Le survivant des pere & mere qui est tuteur de ses enfans mineurs, ayant des intérêts à régler avec eux, doit faire l'inventaire avec un légitime contradicteur, c'est-à-dire avec le subrogé tuteur ou curateur des mineurs, dont la fonction ne consiste qu'à assister à l'inventaire.

On fait ordinairement clorre l'inventaire en justice trois mois après qu'il est parachevé. Cette formalité est nécessaire dans quelques coutumes pour empêcher la continuation de communauté ; dans celles qui n'en parlent point, il suffit de faire un inventaire fidele.

L'inventaire se fait aux frais communs de ceux qui acceptent la succession & communauté de biens.

Après l'inventaire on procede ordinairement à la vente des meubles, à moins qu'on ne soit d'accord de les partager.

Quand il n'y a ni meubles ni titres & papiers à inventorier, & néanmoins que l'on a intérêt de constater l'état de la succession, on fait un procès-verbal de carence. Voyez la loi scimus au code de jure deliberandi ; le titre des scellés & inventaires, livre IV. le parfait Notaire, livre XII. chap. j. (A)

INVENTAIRE DE PRODUCTION, (Jurisprud.) est une piece d'écriture contenant l'énumération & description des pieces que chaque partie produit, en exécution de chaque reglement, dans un procès ou instance appointée.

On arrange ces pieces par liasses, suivant l'ordre qui leur convient, chaque liasse est cotée par une lettre de l'alphabet.

L'inventaire de production se fait dans le même ordre ; on commence par tirer les inductions de chaque piece d'une même cotte, & ensuite on déclare que, pour justifier de ce qui a été dit, on produit tant de pieces ; savoir, &c. ensuite on désigne la cotte ou lettre, sous laquelle ces pieces sont produites.

Cet inventaire se fait tant par le demandeur que par le défendeur, par l'appellant & par l'intimé. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. XI. art. 33. (A)


INVENTIONS. f. (arts & Sciences) terme général qui s'applique à tout ce qu'on trouve, qu'on invente, qu'on trouve d'utile ou de curieux dans les Arts, les Sciences & les Métiers. Ce terme est assez synonyme à celui de découverte, quoique moins brillant ; mais on me permettra de les confondre ici, sans répéter les choses curieuses que le lecteur doit lire préalablement au mot DECOUVERTE.

Nous sommes redevables des inventions au tems, au pur hasard, à des conjonctures heureuses & imprévues, à un instinct méchanique, à la patience du travail, & à ses ressources.

Ce n'est point aux recherches de gens qu'on appelle dans le monde gens d'esprit ; ce n'est point à des philosophes spéculatifs, que nous devons les inventions utiles qu'on trouva dans le xiij. & xiv. siecles. Elles furent le fruit de cet instinct de méchanique que la nature donne à certains hommes, indépendamment de la philosophie. L'invention de secourir la vûe affoiblie des vieillards, par des lunettes qu'on nomme besicles, est de la fin du xiij. siecle. On la doit, dit-on, à Alexandre Spina : les Vénitiens posséderent dans le même siecle, le secret des miroirs de crystal. La fayence qui tenoit lieu de porcelaine à l'Europe, fut trouvée à Faenza : les meules qui agissent par le secours du vent, sont à-peu-près du même tems. L'invention du papier fait avec du linge pilé & bouilli, est du commencement du xiv. siecle. Cortusius parle d'un certain Pax qui en établit à Padoue la premiere manufacture, plus d'un siecle avant l'invention de l'Imprimerie. C'est ainsi que les prémices des Arts ont été heureusement découverts, & souvent par des hommes ignorés.

Je dis les prémices, car il faut remarquer que tout ce que nous avons de plus curieux & de plus utile dans les Arts n'a pas été trouvé dans l'état où nous le voyons à présent. Toutes ces choses ont été découvertes grossierement, ou par parties, & ont été amenées insensiblement à une plus grande perfection. C'est ce qui paroît du-moins des inventions dont nous venons de parler ; & c'est ce qu'on peut prouver de celles du verre, de la boussole, de l'Imprimerie, des horloges, des moulins, des télescopes, & de tant d'autres.

Je passe sous silence les découvertes dans les Sciences, qui ont pû être préparées par les travaux des siecles précédens ; ce sujet seroit d'une trop longue recherche. Je ne parlerai pas davantage des découvertes prétendues modernes, qui ne sont que des opinions anciennes, présentées de nouveau sous des faces plus lumineuses. De telles discussions seroient d'ailleurs peu susceptibles de démonstrations ; je me contenterai d'observer, pour ne point sortir des Arts, qu'il a fallu une suite plus ou moins longue de tems pour perfectionner les inventions, qui dans les siecles grossiers, étoient originairement le produit du hasard, ou du génie méchanique.

Guttemberg n'imagina que les lettres mobiles sculptées en relief sur le bois & sur le métal. Ce fut Schoëffer, qui rectifiant cette invention, trouva le secret de jetter en fonte les caracteres ; & l'on sait combien cet art a été perfectionné depuis Schoëffer.

Que ce soit Goya marinier, natif de Melfi, ou les Anglois, ou les François, ou les Portugais, qui ayent trouvé l'usage de la boussole dans le xij. siecle ; cette découverte est dans le même cas que celle de l'Imprimerie. On ne sut d'abord qu'étendre l'aiguille aimantée sur du liege à la surface de l'eau ; ensuite on vint à la suspendre sur un pivot dans une boëte qui étoit suspendue elle-même ; & finalement on l'a fixée à une rose de carton ou de talc, sur laquelle on a tracé un cercle divisé en 32 parties égales, pour marquer les 32 airs, avec un autre cercle concentrique, divisé en 360 degrés, & qui sert à mesurer les angles & les écarts de la boussole.

L'invention des moulins-à-vent (peut-être originaire d'Asie) n'a fait une fortune brillante, que quand la Géométrie a perfectionné cette machine, qui dépend entierement de la théorie des mouvemens composés.

Combien de siecles se sont écoulés pour perfectionner les horloges & les montres depuis Ctesibius, qui fit vraisemblablement la premiere horloge à rouage & qui fleurissoit vers l'an 613 de Rome, jusqu'à la derniere pendule faite en Angleterre par Graham, ou en France par Julien le Roi ? Les Huyghens, les Leibnitz, & tant d'autres, ne s'y sont-ils pas exercés ?

J'en pourrois dire presque autant des lunettes d'approche, depuis Métius, jusqu'à Dom Noël bénédictin.

Mais qui peut douter de la différence de la taille brute du diamant, trouvée par hasard depuis environ trois siecles par Louis de Berquen, & la beauté des formes faites en rose ou en brillant, que nos lapidaires exécutent aujourd'hui ? L'usage & la grande pratique les ont instruits des différentes tailles imaginables, tandis que leurs yeux & leurs mains leur servent de compas. C'est d'après la 47e proposition du premier livre d'Euclide, qu'ils sont parvenus à la belle proportion de tailler cette pierre précieuse en losanges, triangles, facettes, & biseaux, pour la brillanter, en lui donnant tout ensemble autant d'éclat que de jeu.

Ainsi les hommes heureusement nés, qui ont eu une parfaire connoissance de la méchanique, ont profité des esquisses grossieres des premieres inventions, & les ont portées peu-à-peu par leur sagacité au degré de perfection où nous les voyons aujourd'hui.

Quoique le tems enfante les présens qu'il nous fait, l'industrie peut hâter, si j'ose parler ainsi, le terme de son accouchement. Combien de siecles se sont écoulés, pendant lesquels les hommes ont marché sur la soie, avant que d'en connoître l'usage, & en composer leur parure ? La nature a sans doute dans ses magasins des trésors d'un aussi grand prix, qu'elle nous reserve au moment que nous l'attendrons le moins ; soyons toujours à portée d'en profiter.

Souvent une invention jette de grandes lumieres sur celle qui la précede, & quelques lueurs sur celle qui doit la suivre. Je ne dis pas que l'invention soit toûjours féconde en elle-même : les grands fleuves ne se forment pas toûjours les uns des autres ; mais les inventions qui n'ont point d'analogie ensemble, ne sont pas pour cela stériles, parce qu'elles multiplient les secours, & se reproduisent sous mille moyens qui abregent les travaux de l'homme.

Mais il n'est rien de plus flatteur que l'invention, ou la perfection des Arts, qui tendent au bonheur du genre humain. De telles inventions ont cet avantage sur les entreprises de la politique, qu'elles font le bien commun, sans nuire à personne. Les plus belles conquêtes ne sont arrosées que de sueurs, de larmes, & de sang. L'inventeur d'un secret utile à la vie, tel que seroit celui de la dissolution de la pierre dans la vessie, n'auroit point à redouter les remords inséparables d'une gloire mêlangée de crimes & de malheurs. Par l'invention de la boussole & de l'Imprimerie, le monde s'est étendu, embelli, & éclairé. Qu'on parcoure l'histoire : les premieres apothéoses ont été faites pour les inventeurs : la terre les adora comme ses dieux visibles.

Il ne faut point s'étonner après cela, qu'ils soient sensibles à l'honneur de leurs découvertes ; c'est la derniere chose dont l'homme puisse se dépouiller. Thalès, après avoir trouvé en quelle raison est le diametre du soleil au cercle décrit par cet astre autour de la terre, en fit part à un particulier, qui lui offrit pour récompense, tout ce qu'il exigeroit. Thalès lui demanda seulement de lui conserver l'honneur de sa découverte. Ce sage de la Grece pauvre, & comblé d'années, fut insensible à l'argent, au gain, à tout autre avantage, hormis à l'injustice qui pourroit s'emparer de la gloire qu'il méritoit.

Au reste, tous ceux qui par leur pénétration, leurs travaux, leurs talens, & leurs études, sauront joindre recherches à observations, théorie profonde à expériences, enrichiront sans-cesse les inventions, les découvertes déja faites, & auront la gloire d'en préparer de nouvelles.

L'Encyclopédie, s'il m'est permis de répéter ici les paroles des éditeurs de cet ouvrage, (Avert. du tom. III.) " l'Encyclopédie fera l'histoire des richesses de notre siécle en ce genre ; elle la fera & à ce siecle qui l'ignore, & aux siecles à venir qu'elle mettra sur la voie, pour aller plus loin. Les découvertes dans les Arts n'auront plus à craindre de se perdre dans l'oubli ; les faits seront dévoilés au philosophe, & la refléxion pourra simplifier & éclairer une pratique aveugle ".

Mais pour le succès de cette entreprise, il est nécessaire que le gouvernement éclairé daigne lui accorder une protection puissante & soutenue, contre les injustices, les persécutions, & les calomnies de ses ennemis. (D.J.)

INVENTION, (Rhétor.) c'est la recherche & le choix des pensées, des raisons, dont l'orateur doit se servir, des lieux qu'il doit traiter. L'invention est le premier des devoirs de l'orateur : Ciceron qui la regardoit de cet oeil, avoit composé quatre livres sur ce sujet, dont il ne nous reste que deux, & peut-être les moins intéressans.

Quoiqu'il en soit, les maîtres de l'art conviennent que l'invention ne consiste pas à trouver facilement les pensées qui peuvent entrer dans un discours. Cette facilité manque à peu de personnes, pour peu qu'on ait l'esprit cultivé par la lecture, & l'on peche beaucoup plus souvent par excès, que par défaut d'abondance. Mais l'invention proprement dite, consiste à choisir entre les pensées qui se présentent, celles qui sont les plus convenables au sujet que l'on traite, les plus nobles, & les plus solides, à retrancher celles qui sont fausses ou frivoles, ou triviales ; à considérer le tems, le lieu où l'on parle ; ce qu'on se doit à soi-même, & ce qu'on doit à ceux qui nous écoutent. (D.J.)


INVERLOCHY(Géog.) petite ville d'Ecosse, fortifiée par Guillaume III. & où l'on entretient une garnison. On l'appelle autrement le Fort-Guillaume ; elle est située dans la province de Lochabir, au bord d'un grand lac, à 32 lieues d'Edimbourg, 120 lieues N. O. de Londres. Long. 12. 26. lat. 57. 8. (D.J.)


INVERNESS(Géog.) Voyez INNERNESS.


INVERSEou CONVERSE, s. f. (Logique & Mathématiques) C'est ainsi que les Logiciens nomment une proposition qui resulte d'un échange de fonctions entre le sujet & l'attribut d'une proposition quelconque qu'ils conçoivent comme directe.

Ils ont observé que la vérité de la directe n'emportoit pas toûjours celle de sa converse ; & ils ont donné là-dessus quatre regles, relatives à autant d'especes de propositions. Je ne rapporterai & ne développerai ici, que celles qui concernent les propositions universelles affirmatives ; parce qu'elles sont presque les seules qui ayent lieu dans les sciences exactes, & que les mêmes refléxions pourront s'appliquer aux trois autres especes, à l'aide de quelques changemens aisés à suppléer.

Cette regle porte : que de telles propositions ne peuvent se convertir universellement, que quand le sujet est aussi étendu que l'attribut.

On a élevé dans plusieurs livres élémentaires de Mathématiques, différentes questions sur les converses, suivies de décisions, souvent opposées, & appuyées de part & d'autre sur des exemples mal développés. La source de ces embarras dans une matiere aussi susceptible de clarté, est sans-doute l'impatience avec laquelle les auteurs qui en ont traité occasionnellement, ont voulu tirer des conséquences avant que de s'être donné la peine de remonter aux principes, qui sont ici la nature & les parties des propositions de Mathématique pure. Ces propositions sont toutes conditionnelles ; c'est-à-dire, que leur attribut ne convient au sujet que sous une certaine condition, différente de ce sujet envisagé plus abstraitement. Il y a donc trois parties très-distinctes dans l'énoncé de toute vérité mathématique : le sujet qui est un être exprimé d'une maniere trop universelle pour que l'attribut de la proposition puisse lui convenir dans tous les cas possibles ; mais auquel il ne manque pour cet effet que d'être rendu plus particulier par une seule qualité déterminante : l'hypothèse, par où l'on doit entendre cette condition qui manquoit au sujet ; & la thèse enfin, ou la qualité qu'on assûre convenir au sujet dès que l'hypothèse l'a rendu assez particulier pour cela.

Qu'il me soit permis d'illustrer cette sous-division que j'exige dans la premiere partie de toute proposition, par l'exemple de celle que mettent les Métaphysiciens dans la cause complete de tout effet. Un effet est toûjours exactement simultané à sa cause complete , c'est-à-dire à la collection de tout ce qui est requis pour qu'il parvienne à l'existence : & si l'on a accoûtumé de regarder l'effet comme postérieur à sa cause, c'est parce qu'on entend communément par ce dernier terme, une cause incomplete , à laquelle il manque encore, pour être accompagnée de son effet, une qualité qu'on nomme condition, ou occasion, & qu'on distingue expressément du reste. Cette comparaison est d'autant plus légitime, que, même dans la Géométrie, dont les objets sont des quantités co-existentes, on est en usage de commencer souvent l'hypothèse des théorèmes par des adverbes de tems, tels que ceux-ci, quand, ou lorsque ; & de mettre quelquefois la thèse au futur, alors on aura, &c.

Mais voici une considération qui fera mieux sentir encore la nécessité de distinguer trois parties dans toute proposition hypothétique. Si l'on fait choix de deux pareilles propositions visiblement converses l'une de l'autre, & qu'on les distribue seulement en deux parties, l'hypothèse & la thèse, on ne pourra jamais obtenir l'une de ces propositions, à l'aide d'un simple renversement de l'autre ; & il faudra toûjours conserver dans leurs deux hypothèses quelque chose qui leur est commun, & qui ne peut passer ni dans la thèse de l'une, ni dans celle de l'autre. Ce sont ces qualités communes aux deux hypothèses, que j'en détache, pour former ce que je nomme le sujet.

Nous sommes à présent en état de rectifier la définition qui est à la tête de cet article, & de dire, que quand deux propositions ont un même sujet, mais que l'hypothèse & la thèse de l'une font un échange mutuel de leurs fonction pour former l'autre proposition, elles sont dites converses l'une de l'autre ; & que la plus importante des deux, ou bien celle que l'on met la premiere, parce qu'elle peut se démontrer plus aisément sans le secours de l'autre ; que celle-ci ne peut être prouvée indépendamment de celle-là, se nomme quelquefois la directe. Voici donc la forme à laquelle je réduis les énoncés de toutes les propositions & de leurs converses.

Sujet commun. Tout ce qui a les qualités A, B, C, &c.

Je serai à présent beaucoup plus aisément compris dans ce que j'avois à observer sur les différentes questions dont on a embrouillé cette matiere, & sur quelques autres regles contre lesquelles péchent la plûpart des élémens qu'on met entre les mains des jeunes gens.

Premiere question. Tout théorème a-t-il une converse ?

Je me croirois dispensé d'une réponse, si des auteurs très-applaudis d'ailleurs, n'avoient pas prétendu le contraire, en s'appuyant par exemple de la 32e d'Euclide ; que par cette raison, je vais exprimer ici à ma maniere : dans toute figure rectiligne, où il y a précisément trois côtés, la somme des angles vaut deux droits. La converse en est à présent aisée à trouver : dans toute figure rectiligne, où la somme des angles vaut deux droits, il y a précisément trois côtés.

On voit ici, que pour avoir mes trois parties, j'ai été obligé de substituer la définition au défini, parce que ce dernier renfermoit sous un seul mot, les qualités qui devoient appartenir au sujet, avec celle qui constituoit l'hypothèse. C'est ce que l'on est souvent obligé de faire ; & c'est-là sans-doute ce qui a empêché jusqu'à présent les auteurs d'appercevoir cette distinction.

Seconde question. Tout théorème universellement vrai, a-t-il une converse universellement vraie ?

Oui, pourvu que l'hypothèse soit aussi étendue que la thèse. Un des principaux auteurs qui ont soutenu la négative, s'étant fait fort sur-tout de l'exemple d'une diagonale qui coupe en deux également son parallélogramme, sans que pour cela toute droite qui coupe un parallélogramme en deux également en soit la diagonale : je ferai peut-être plaisir à ses lecteurs, en leur indiquant trois manieres de rendre ce théorème universellement convertible. Premierement en généralisant l'hypothèse, c'est-à-dire, en l'étendant à toutes les droites qui passent par le point d'intersection des deux diagonales, ou en particularisant la thèse, ce qui auroit lieu si on disoit que le parallélogramme est coupé en deux triangles ; ou enfin en décomposant l'idée de diagonale, comme nous avons décomposé dans la premiere question l'idée de triangle, ce qui donneroit l'énoncé que voici : Toute droite qui passe par le sommet d'un des angles d'un parallélogramme, si elle passe aussi par le sommet de l'angle opposé, elle coupera ce parallélogramme en deux parties égales. On me proposa une fois l'exemple suivant à convertir : Tout polygone inscriptible au cercle, s'il est équilatéral, est-il aussi équiangle ; & je la rendis convertible en généralisant l'hypothèse, c'est-à-dire, en disant : si ces côtés alternatifs sont égaux. On remarquera en passant, que c'est seulement dans les théorèmes dont la thèse n'est pas plus étendue que l'hypothèse, qu'on peut donner le nom de propriété à la qualité que renferme cette thèse.

Je dois aussi un mot à ceux qui donnent dans l'excès opposé, & qui répondent à la question présente par l'affirmative, sans y mettre aucune restriction sur l'étendue de la thèse relativement à l'hypothèse ; mais qui croient y suppléer en distinguant les vérités mathématiques de celles qui ont un autre objet que la quantité. Les Savans de tous les siécles ayant pris plaisir à rendre leurs propositions aussi universelles qu'il leur étoit possible, & ayant trouvé plus de facilité à le faire dans les mathématiques que dans quelque autre science que ce fût, il en est arrivé que presque toutes les propositions de cette science ont eu des hypothèses aussi étendues que leurs thèses, & par conséquent des converses aussi vraies qu'elles ; ce qui a porté quelques esprits peu profonds à conclure par une induction précipitée, qu'il suffisoit qu'une proposition certaine eût pour objet quelque branche des Mathématiques pour que sa converse fût certaine aussi ; & quand ils ont rencontré dans leurs lectures géométriques des théorèmes dont la converse étoit fausse, où ils n'y ont pas fait attention, où ils ont attribué cette fausseté à la malhabileté de l'auteur, qui avoit pris pour converse d'une proposition ce qui ne l'étoit pas précisément. Une conséquence naturelle de leur opinion a été, qu'on pouvoit se dispenser entierement de démontrer les converses, erreur qui leur est commune avec toutes les personnes qui, n'ayant pas naturellement l'esprit net, n'y ont pas un peu suppléé par l'étude de la philosophie.

Troisieme question. La même proposition a-t-elle plusieurs converses toutes aussi vraies qu'elle ?

Je répondrai encore une fois en distinguant : le choix des qualités dont on veut composer l'hypothèse & la thèse étant une fois déterminé, il n'est plus possible de convertir la proposition de plus d'une maniere ; mais, si l'on n'avoit encore déterminé que la qualité qui doit former la thèse de la directe, on pourroit varier de plusieurs manieres l'expression de cette directe, & par conséquent l'expression & le fond même de sa converse ; savoir, en tirant du sujet pris selon l'acception commune, tantôt une qualité & tantôt une autre, pour en former ce que j'appelle l'hypothèse. A présent, si l'on me demande quelles regles doit suivre un auteur dans le choix de la qualité qu'il destine à former l'hypothèse de la directe ; je répondrai en général, qu'il doit préférer celle qui devenue thèse à son tour, formera la converse la plus utile & la plus élégante. Mais voici une regle plus particuliere : quand on a une classe de théorèmes, qui ne different qu'à un seul égard, on doit choisir pour hypothèse la qualité qui constitue cette différence, de sorte que le sujet soit absolument le même dans toutes ces propositions & dans toutes leurs converses. Outre l'uniformité qui résulte de l'observation de cette maxime, ce qui offre plus de commodité à l'attention & à la mémoire ; on en retirera encore l'avantage de pouvoir toujours sans aucune étude, démontrer les converses de ces sortes de propositions, par une méthode générale qui sera expliquée plus bas. On aura un exemple de ce que je prescris, si dans celui que j'ai allégué à l'occasion de la premiere question, à la place des nombres trois & deux, dont l'un est dans l'hypothèse & l'autre dans la thèse, on met les nombres 4 & 4, ou 5 & 6, ou 6 & 7, ou 7 & 10, &c. ou généralement a & 2 a -4 ; ce qui fournira des théorèmes sur la somme des angles d'un quadrilatere, d'un pentagone, & généralement d'un polygone quelconque.

Quatrieme question. Convient-il de faire suivre chaque théorème par une converse ?

La symmétrie le demanderoit : mais premierement, comme les Mathématiques s'étendent tous les jours, sans qu'il en arrive autant à la vie de ceux qui s'y appliquent ; il faut, dans ce siecle sur-tout, sacrifier cet avantage à celui de la briéveté, quand on prévoit que ces converses n'auroient aucune utilité considérable : nous devons imiter la sage retenue d'Euclide, qui, quoiqu'il vécût dans un tems où l'objet des Mathématiques étoit mille fois moins vaste qu'à présent, a sû cependant se borner aux converses dont il avoit besoin pour démontrer ses principaux théorèmes, sans qu'on ait lieu de soupçonner un si grand génie d'avoir agi de la sorte par incapacité. En second lieu, on est bien forcé, sur-tout dans les Mathématiques mixtes, d'abandonner souvent le projet d'insérer certaines converses dans un traité, faute de pouvoir en donner la démonstration. Il est bien plus aisé de descendre des causes aux effets, que de remonter des effets aux causes. Le nombre des causes combinées dont on cherche le résultat, étant arbitraire, ce nombre est connu & aussi petit que l'on veut ; au lieu que celui des effets devant être puisé dans la nature, sous peine de se perdre dans des conclusions chimériques ; ce nombre nous est souvent inconnu par l'imperfection de nos sens, & même il est souvent trop considérable pour les forces de notre entendement : sans ces deux obstacles, rien n'empêcheroit que nous ne pussions acquérir sur les causes physiques des lumieres aussi certaines que celles dont nous jouissons à l'égard de la Géométrie pure ; sçavoir, en employant la voie d'exclusion pour découvrir les converses en physique, comme on le fait ordinairement en Géométrie pour les démontrer ; mais comment mettre en usage cette méthode, quand on ne peut pas avoir des énumérations complete s, & que la rejection de chaque membre de cette énumération exige des calculs dont nous avons à peine les élémens ? Ceci nous mene tout naturellement à la question suivante.

Cinquieme question. Quelle méthode doit-on mettre en usage pour la démonstration des converses ?

On peut les démontrer d'une maniere qui n'ait aucun rapport avec celle qu'on aura employée pour leurs directes, lorsqu'on est assez heureux pour trouver sans efforts un moyen considérablement plus abrégé ou plus élégant que celui sur lequel on a fondé la certitude de ces directes ; mais voici deux méthodes générales, dont peuvent faire usage ceux qui n'ont pas le génie ou le loisir nécessaire pour faire mieux ; méthodes qui pourront plaire d'ailleurs aux amateurs de l'uniformité, vu la relation qu'elles mettent entre les démonstrations des propositions converses l'une de l'autre.

Pour rendre la premiere méthode appliquable à un théorème donné, il faut à ce théorème en joindre un autre dont le sujet soit le même, mais dont l'hypothèse & la thèse soient précisément l'opposé de celles de ce premier. Cette seconde directe étant démontrée, ce qui est ordinairement fort aisé à celui qui a déjà démontré la premiere, il faut démontrer la converse de cette premiere, en disant simplement que si elle n'avoit pas lieu, la seconde directe seroit fausse, & démontrer la converse de la seconde, en avertissant seulement que si elle n'étoit pas vraie, la premiere directe ne le seroit pas non plus. Quoique cette méthode soit fort connue, j'espere qu'on me pardonnera d'en rapporter ici la formule, en considération de la regle que j'ai donnée en répondant à la troisieme question, vu que cette regle en deviendra plus intelligible encore, ce qui arrivera aussi aux réflexions que je joindrai à la formule.

Premiere directe. Dans tout sujet qui a les qualités A, B, &c. si la quantité p est égale à la quantité q, la quantité r ne sera pas égale à la quantité s.

Seconde directe. Dans tout, &c. si p n'est pas égale à q, r ne sera pas égale à s.

Premiere converse. Dans tout, &c. si r est égale à s, p sera égale à q.

Démonstration. Si p & q étoient inégales, r & s le seroient aussi par la seconde directe ; mais r & s sont supposées égales, donc p & q ne sauroient être inégales.

Seconde converse. Dans tout, &c. si r n'est pas égale à s, p ne sera pas égale à q.

Démonstr. Si p & q étoient égales, r & s le seroient aussi par la premiere directe ; mais r & s sont supposées inégales, donc p & q ne sauroient être égales.

Pour éviter l'idée négative qu'offre l'inégalité prise abstraitement, & les raisonnemens négatifs qu'elle exige quelquefois, on la distribue souvent en deux cas, celui de majorité & celui de minorité ; ce qui donne à la vérité trois directes & trois converses au lieu de deux : Si, dit-on, p = q, on aura r = s ; si p > q, on aura r > s dit-on, p < q, on aura r < s, & réciproquement.

On peut même diviser l'inégalité d'une maniere plus déterminée encore, & en quelque façon plus positive, en lui substituant séparément différentes égalités, comme on peut s'en éclaircir par l'exemple des diverses valeurs de la somme des angles des divers polygones : cette méthode fournit un grand nombre de directes, quelquefois une infinité qu'on doit démontrer sur un même modele & d'une maniere précise ; mais dont toutes converses se démontrent dans un instant par l'idée indéterminée d'inégalité : c'est ainsi qu'Euclide auroit sans-doute démontré en un seul mot la converse du théorème favori de Pythagore en la plaçant après les propositions 12e & 13e du second livre, dont il auroit pu aussi démontrer les converses en même tems dans un trait de plume, s'il n'avoit pas imaginé cette autre démonstration plus directe & plus indépendante, par laquelle il termine son premier.

Par rapport à la seconde méthode que j'ai annoncée, elle consisteroit à donner, dès le commencement du traité, la converse de chaque axiome, & à démontrer ensuite la converse de chaque théorème par la même chaîne de conséquences qu'on auroit employées pour démontrer le théorème direct, en substituant à chaque conséquence sa converse, & en y faisant des converses précédentes le même usage qu'on vient de faire de leurs directes pour démontrer la derniere directe. C'est encore ainsi qu'Euclide auroit pu démontrer cette même 47e proposition dont nous venons de parler, en citant la 13e. proposition & un corollaire de la 38e, au lieu de la 14e & de la 41e, auxquelles il avoit renvoyé dans la démonstration de la 37e.

Si je n'ai pas fait mention dans tout ceci des converses des problèmes, c'est que j'ai présumé qu'on préfereroit une seule regle générale, quoique plus embarassante dans l'exécution, à l'ennui de lire autant de remarques particulieres sur les problèmes, que j'en ai déjà fait sur les théorèmes. Cette regle est aisée à imaginer & à retenir ; réduisez le problème que vous avez en main sous la forme du théorème, appliquez-lui alors les préceptes que nous avons donnés sur ceux-ci, tant pour les convertir que pour en démontrer les converses, & présentez enfin ces converses sous la forme de problèmes. Cet article est de M. LE SAGE fils citoyen de Genève, dont il a déjà été parlé au mot GRAVITE.


INVERSIONS. f. terme de Grammaire qui signifie renversement d'ordre : ainsi toute inversion suppose un ordre primitif & fondamental ; & nul arrangement ne peut être appellé inversion que par rapport à cet ordre primitif.

Il n'y avoit eu jusqu'ici qu'un langage sur l'inversion ; on croyoit s'entendre, & l'on s'entendoit en effet. De nos jours, M. l'abbé Batteux s'est élevé contre le sentiment universel, & a mis en avant une opinion, qui est exactement le contrepié de l'opinion commune : il donne pour ordre fondamental un autre ordre que celui qu'on avoit toujours regardé comme la regle originelle de toutes les langues : il déclare directement ordonnées des phrases où tout le monde croyoit voir l'inversion ; & il la voit, lui, dans les tours que l'on avoit jugés les plus conformes à l'ordre primitif.

La discussion de cette nouvelle doctrine devient d'autant plus importante, qu'elle se trouve aujourd'hui plus étayée par les suffrages de deux écrivains qui en tirent des conséquences pratiques relatives à l'étude des langues. Je parle de M. Pluche & de M. Chompré, qui fondent sur cette base leur système d'enseignement, l'un dans sa Méchanique des langues, & l'autre dans son Introduction à la langue latine par la voie de la traduction.

L'unanimité des Grammairiens en faveur de l'opinion ancienne, nonobstant la diversité des tems, des idiomes & des vues qui ont dû en dépendre, forme d'abord contre la nouvelle opinion, un préjugé d'autant plus fort, que l'intimité connue de trois auteurs qui la défendent, réduit à l'unité le témoignage qu'ils lui rendent : mais il ne s'agit point ici de compter les voix, sans peser les raisons ; il faut remonter à l'origine même de la question, & employer la critique la plus exacte qu'il sera possible, pour reconnoître l'ordre primitif qui doit véritablement servir comme de boussole aux procédés grammaticaux des langues. C'est apparemment le plus sûr & même l'unique moyen de déterminer en quoi consistent les inversions, quelles sont les langues qui en admettent le plus, quels effets elles y produisent, & quelles conséquences il en faut tirer par rapport à la maniere d'étudier ou d'enseigner les langues.

Il y a dans chacune une marche fixée par l'usage ; & cette marche est le résultat de la diversité des vues que la construction usuelle doit combiner & concilier. Elle doit s'attacher à la succession analytique des idées, se prêter à la succession pathétique des objets qui intéressent l'ame, & ne pas négliger la succession euphonique des sons les plus propres à flatter l'oreille. Voilà donc trois différens ordres que la parole doit suivre tout à la fois, s'il est possible, & qu'elle doit sacrifier l'un à l'autre avec intelligence, lorsqu'ils se trouvent en contradiction ; mais par rapport à la Grammaire, dont on prétend ici apprécier un terme, quel est celui de ces trois ordres qui lui sert de guide, si elle n'est soumise qu'à l'influence de l'un des trois ? Et si elle est sujette à l'influence des trois, quel est pour elle le principal, celui qu'elle doit suivre le plus scrupuleusement, & qu'elle doit perdre de vue le moins qu'il est possible ? C'est à quoi se réduit, si je ne me trompe, l'état de la question qu'il s'agit de discuter : celui de ces ordres qui est, pour ainsi dire, le législateur exclusif ou du moins le législateur principal en Grammaire, est en même tems celui auquel se rapporte l'inversion qui en est le renversement.

La parole est destinée à produire trois effets qui devroient toujours aller ensemble : 1. instruire, 2. plaire, 3. toucher. Tria sunt efficienda, 1. ut docéatur is apud quem dicetur, 2. ut delectetur, 3. ut moveatur. Cic. in Bruto, sive de claris Orat. c. lxix. Le premier de ces trois points est le principal ; il est la base des deux autres, puisque sans celui-là, ceux-ci ne peuvent avoir lieu. Car ici par instruire, docere, Ciceron n'entend pas éclaircir une question, exposer un fait, discuter quelque point de doctrine, &c. Il entend seulement énoncer une pensée, faire connoître ce qu'on a dans l'esprit, former un sens par des mots. On parle pour être entendu ; c'est le premier but de la parole ; c'est le premier objet de toute langue : les deux autres supposent toujours le premier, qui en est l'instrument nécessaire.

Voulez-vous plaire par le rythme, par l'harmonie, c'est-à-dire, par une certaine convenance de syllabes, par la liaison, l'enchaînement, la proportion des mots entr'eux, de façon qu'il en résulte une cadence agréable pour l'oreille ? Commencez par vous faire entendre. Les mots les plus sonores, l'arrangement le plus harmonieux ne peuvent plaire que comme le feroit un instrument de musique : mais alors ce n'est plus la parole qui est essentiellement la manifestation des pensées par la voix.

Il est également impossible de toucher & d'intéresser, si l'on n'est pas entendu. Quoique mon intérêt ou le vôtre soit le motif principal qui me porte à vous adresser la parole, je suis toujours obligé de me faire entendre, & de me servir des moyens établis à cet effet dans la langue qui nous est commune. Ces moyens à la vérité peuvent bien être mis en usage par l'intérêt ; mais ils n'en dépendent en aucune maniere. C'est ainsi que l'intérêt engage le pilote à se servir de l'aiguille aimantée ; mais le mouvement instructif de cette aiguille est indépendant de l'intérêt du pilote.

L'objet principal de la parole est donc l'énonciation de la pensée. Or en quelque langue que ce puisse être, les mots ne peuvent exciter de sens dans l'esprit de celui qui lit ou qui écoute, s'ils ne sont assortis d'une maniere qui rende sensibles leurs rapports mutuels, qui sont l'image des relations qui se trouvent entre les idées mêmes que les mots expriment. Car quoique la pensée, opération purement spirituelle, soit par-là même indivisible, la Logique par le secours de l'abstraction, comme je l'ai dit ailleurs, vient pourtant à bout de l'analyser en quelque sorte, en considérant séparément les idées différentes qui en sont l'objet, & les relations que l'esprit apperçoit entr'elles. C'est cette analyse qui est l'objet immédiat de la parole ; ce n'est que de cette analyse que la parole est l'image : & la succession analytique des idées est en conséquence le prototype qui décide toutes les lois de la syntaxe dans toutes les langues imaginables. Anéantissez l'ordre analytique, les regles de la syntaxe sont par-tout sans raison, sans appui, & bien-tôt elles seront sans consistance, sans autorité, sans effet : les mots sans relation entr'eux ne formeront plus de sens, & la parole ne sera plus qu'un vain bruit.

Mais cet ordre est immuable, & son influence sur les langues est irrésistible, parce que le principe en est indépendant des conventions capricieuses des hommes & de leur mutabilité : il est fondé sur la nature même de la pensée, & sur les procédés de l'esprit humain qui sont les mêmes dans tous les individus de tous les lieux & de tous les tems, parce que l'intelligence est dans tous une émanation de la raison immuable & souveraine, de cette lumiere véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde, lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. Joan. I. 9.

Il n'y a que deux moyens par lesquels l'influence de l'ordre analytique puisse devenir sensible dans l'énonciation de la pensée par la parole. Le premier, c'est d'assujettir les mots à suivre dans l'élocution la gradation même des idées & l'ordre analytique. Le second, c'est de faire prendre aux mots des inflexions qui caractérisent leurs relations à cet ordre analytique, & d'en abandonner ensuite l'arrangement dans l'élocution à l'influence de l'harmonie, au feu de l'imagination, à l'intérêt, si l'on veut, des passions. Voilà le fondement de la division des langues en deux especes générales, que M. l'abbé Girard (Princ. disc. j. tom. I. pag. 23.) appelle analogues & transpositives.

Il appelle langues analogues celles qui ont soumis leur syntaxe à l'ordre analytique, par le premier des deux moyens possibles : & il les nomme analogues, parce que leur marche est effectivement analogue, & en quelque sorte parallele à celle de l'esprit même, dont elle suit pas-à-pas les opérations.

Il donne le nom de transpositives à celles qui ont adopté le second moyen de fixer leur syntaxe d'après l'ordre analytique : & la dénomination de transpositives caractérise très-bien leur marche libre & souvent contraire à celle de l'esprit, qui n'est point imitée par la succession des mots, quoiqu'elle soit parfaitement indiquée par les livrées dont ils sont revêtus.

C'est en effet l'ordre analytique de la pensée qui fixe la succession des mots dans toutes les langues analogues ; & si elles se permettent quelques écarts, ils sont si peu considérables, si aisés à appercevoir & à rétablir, qu'il est facile de sentir que ces langues ont toujours les yeux sur la même boussole, & qu'elles n'autorisent ces écarts que pour arriver encore plus sûrement au but, tantôt parce que l'harmonie répand plus d'agrément sur le sentier détourné, tantôt parce que la clarté le rend plus sûr. C'est l'ordinaire dans toutes ces langues que le sujet précede le verbe, parce qu'il est dans l'ordre que l'esprit voye d'abord un être avant qu'il en observe la maniere d'être ; que le verbe soit suivi de son complément, parce que toute action doit commencer avant que d'arriver à son terme ; que la préposition ait de même son complément après elle, parce qu'elle exprime de même un sens commencé que le complément acheve ; qu'une proposition incidente ne vienne qu'après l'antécédent qu'elle modifie, parce que, comme disent les Philosophes, priùs est esse quàm sic esse, &c. La correspondance de la marche des langues analogues à cette succession analytique des idées, est une vérité de fait & d'expérience ; elle est palpable dans la construction usuelle de la langue françoise, de l'italienne, de l'espagnole, de l'angloise, & de toutes les langues analogues.

C'est encore l'ordre analytique de la pensée, qui dans les langues transpositives détermine les inflexions accidentelles des mots. Un être doit exister avant que d'être tel ; & par analogie le nom doit être connu avant l'adjectif, & le sujet avant le verbe, sans quoi il seroit impossible de mettre l'adjectif en concordance avec le nom, ni le verbe avec son sujet : il faut avoir envisagé le verbe ou la préposition, avant que de penser à donner telle ou telle inflexion à leur complément, &c. &c. Ainsi quand Cicéron a dit, diuturni silentii finem hodiernus dies attulit, les inflexions de chacun de ces mots étoient relatives à l'ordre analytique, & le caractérisoient ; sans quoi leur ensemble n'auroit rien signifié. Que veut dire diuturnus silentium finis hodiernus dies afferre ? Rien du tout : mais de la phrase même de Cicéron je vois sortir un sens net & précis, par la connoissance que j'ai de la destination de chacune des terminaisons. Diuturni a été choisi par préférence, pour s'accorder avec silentii ; ainsi silentii est antérieur à diuturni, dans l'ordre analytique. Pourquoi le nom silentii, & par la raison de la concordance son adjectif diuturni, sont-ils au génitif ? C'est que ces deux mots forment un supplément déterminatif au nom appellatif finem ; ces deux mots font prendre finem dans une acception singuliere ; il ne s'agit pas ici de toute fin, mais de la fin du silence que l'orateur gardoit depuis long-tems : finem est donc la cause de l'inflexion oblique de silentii diuturni ; j'ai donc droit de conclure que finem dans l'ordre analytique précede silentii diuturni, non parce que je dirois en françois la fin du silence, mais parce que la cause précede l'effet, ce qui est également la raison de la construction françoise : finem est encore un cas qui a sa cause dans le verbe attulit, qui doit par conséquent le précéder ; & attulit a pour raison de son inflexion le sujet dies hodiernus, dont la terminaison directe indique que rien ne le précede & ne le modifie.

Il est donc évident que dans toutes les langues la parole ne transmet la pensée qu'autant qu'elle peint fidelement la succession analytique des idées qui en sont l'objet, & que l'abstraction y considere séparément. Dans quelques idiomes cette succession des idées est représentée par celle des mots qui en sont les signes ; dans d'autres elle est seulement désignée par les inflexions des mots qui au moyen de cette marque de relation, peuvent sans conséquence pour le sens, prendre dans le discours telle autre place que d'autres vûes peuvent leur assigner : mais à travers ces différences considérables du génie des langues, on reconnoît sensiblement l'impression uniforme de la nature qui est une, qui est simple, qui est immuable, & qui établit par-tout une exacte conformité entre la progression des idées & celle des mots qui les représentent.

Je dis l'impression de la nature, parce que c'est en effet une suite nécessaire de l'essence & de la nature de la parole. La parole doit peindre la pensée & en être l'image ; c'est une vérité unanimement reconnue. Mais la pensée est indivisible, & ne peut par conséquent être par elle même l'objet immédiat d'aucune image ; il faut nécessairement recourir à l'abstraction, & considérer l'une après l'autre les idées qui en sont l'objet & leurs relations ; c'est donc l'analyse de la pensée qui seule peut être figurée par la parole. Or il est de la nature de toute image de représenter fidelement son original ; ainsi la nature de la parole exige qu'elle peigne exactement les idées objectives de la pensée & leurs relations. Ces relations supposent une succession dans leurs termes ; la priorité est propre à l'un, la postériorité est essentielle à l'autre : cette succession des idées, fondée sur leurs relations, est donc en effet l'objet naturel de l'image que la parole doit produire, & l'ordre analytique est l'ordre naturel qui doit servir de base à la syntaxe de toutes les langues.

C'est à des traits pareils que M. Pluche lui-même reconnoît la nature dans les langues. " Dans toutes les langues, dit-il dès le commencement de sa Méchanique, tant anciennes que modernes, il faut bien distinguer ce que la nature enseigne... d'avec ce qui est l'ouvrage des hommes, d'avec ce qui est d'une institution arbitraire. Ce que la nature leur a appris est le même par-tout ; il se soutient avec égalité : & ce qu'il étoit dans les premiers tems du genre humain, il l'est encore aujourd'hui. Mais ce qui provient des hommes dans chaque langue, ce que les événemens y ont occasionné, varie sans fin d'une langue à l'autre, & se trouve sans stabilité même dans chacune d'elles. A voir tant de changemens & de vicissitudes, on s'imagineroit que le premier fond des langues, l'ouvrage de la nature, a dû s'anéantir & se défigurer jusqu'à n'être plus reconnoissable. Mais, quoique le langage des hommes soit aussi changeant que leur conduite, la nature s'y retrouve. Son ouvrage ne peut en aucune langue ni se détruire, ni se cacher ". Je n'ajoûte à un texte si précis qu'une simple question. Que reste-t-il de commun à toutes les langues, que d'employer les mêmes especes de mots, & de les rapporter à l'ordre analytique ?

Tirons enfin la derniere conséquence. Qu'est-ce que l'inversion ? C'est une construction où les mots se succedent dans un ordre renversé, relativement à l'ordre analytique de la succession des idées. Ainsi Alexandre vainquit Darius, est en françois une construction directe ; il en est de même quand on dit en latin, Alexander vicit Darium : mais si l'on dit, Darium vicit Alexander, alors il y a inversion.

Point du tout, répond M. l'abbé de Condillac, Essai sur l'origine des con. hum. part. II. sec. j. chap. 12. " Car la subordination qui est entre les idées autorise également les deux constructions latines ; en voici la preuve. Les idées se modifient dans le discours selon que l'une explique l'autre, l'étend, ou y met quelque restriction. Par-là elles sont naturellement subordonnées entr'elles, mais plus ou moins immédiatement, à proportion que leur liaison est elle-même plus ou moins immédiate. Le nominatif (c'est-à-dire le sujet) est lié avec le verbe, le verbe avec son régime, l'adjectif avec son substantif, &c. Mais la liaison n'est pas aussi étroite entre le régime du verbe & son nominatif, puisque ces deux noms ne se modifient que par le moyen du verbe. L'idée de Darius, par exemple, est immédiatement liée à celle de vainquit, celle de vainquit à celle d'Alexandre ; & la subordination qui est entre ces trois idées conserve le même ordre.

Cette observation fait comprendre que pour ne pas choquer l'arrangement naturel des idées, il suffit de se conformer à la plus grande liaison qui est entr'elles. Or c'est ce qui se rencontre également dans les deux constructions latines, Alexander vicit Darium, Darium vicit Alexander ; elles sont donc aussi naturelles l'une que l'autre. On ne se trompe à ce sujet, que parce qu'on prend pour plus naturel un ordre qui n'est qu'une habitude que le caractere de notre langue nous a fait contracter. Il y a cependant dans le françois même des constructions qui auroient pû faire éviter cette erreur, puisque le nominatif y est beaucoup mieux après le verbe : on dit par exemple, Darius que vainquit Alexandre ".

Voilà peut-être l'objection la plus forte que l'on puisse faire contre la doctrine des inversions, telle que je l'expose ici, parce qu'elle semble sortir du fonds même où j'en puise les principes. Elle n'est pourtant pas insoluble ; & j'ose le dire hardiment, elle est plus ingénieuse que solide.

L'auteur s'attache uniquement à l'idée générale & vague de liaison ; & il est vrai qu'à partir de-là, les deux constructions latines sont également naturelles, parce que les mots qui ont entr'eux des liaisons immédiates, y sont liés immédiatement ; Alexander vicit ou vicit Alexander ; c'est la même chose quant à la liaison, & il en est de même de vicit Darium ou Darium vicit : l'idée vague de liaison n'indique ni priorité ni postériorité. Mais puisque la parole doit être l'image de l'analyse de la pensée ; en sera-t-elle une image bien parfaite, si elle se contente d'en crayonner simplement les traits les plus généraux ? Il faut dans votre portrait deux yeux, un nez, une bouche, un teint, &c. entrez dans le premier attelier, vous y trouverez tout cela : est-ce votre portrait ? Non ; parce que ces yeux ne sont pas vos yeux, ce nez n'est pas votre nez, cette bouche n'est pas votre bouche, ce teint n'est pas votre teint, &c. Ou si vous voulez, toutes ces parties sont ressemblantes, mais elles ne sont pas à leur place ; ces yeux sont trop rapprochés, cette bouche est trop voisine du nez, ce nez est trop de côté, &c. Il en est de même de la parole ; il ne suffit pas d'y rendre sensible la liaison des mots, pour peindre l'analyse de la pensée, même en se conformant à la plus grande liaison, à la liaison la plus immédiate des idées. Il faut peindre telle liaison, fondée sur tel rapport ; ce rapport a un premier terme, puis un second : s'ils se suivent immédiatement, la plus grande liaison est observée ; mais si vous peignez d'abord le second & ensuite le premier, il est palpable que vous renverserez la nature, tout autant qu'un peintre qui nous présenteroit l'image d'un arbre ayant les racines en haut & les feuilles en terre : ce peintre se conformeroit autant à la plus grande liaison des parties de l'arbre, que vous à celles des idées.

Mais vous demeurez persuadé que je suis dans l'erreur, & que cette erreur est l'effet de l'habitude que notre langue nous a fait contracter. M. l'abbé Batteux, dont vous adoptez le nouveau système, pense comme vous, que nous ne sommes point, nous autres françois, placés, comme il faudroit l'être, pour juger si les constructions des Latins sont plus naturelles que les nôtres (Cours de Belles-Lettres, éd. 1753, t. IV. p. 298.) Croyez-vous donc sérieusement être mieux placé pour juger des constructions latines, que ceux qui en pensent autrement que vous ? Si vous n'osez le dire, pourquoi prononcez vous ? Mais disons-le hardiment, nous sommes placés comme il faut pour juger de la nature des inversions, si nous ne nous livrons pas à des préjugés, à des intérêts de systême, si l'amour de la nouveauté ne nous séduit point au préjudice de la vérité, & si nous consultons sans prévention les notions fondamentales de l'élocution.

J'avoue que, comme la langue latine n'est pas aujourd'hui une langue vivante, & que nous ne la connoissons que dans les livres, par l'étude & par de fréquentes lectures des bons auteurs, nous ne sommes pas toujours en état de sentir la différence délicate qu'il y a entre une expression & une autre. Nous pouvons nous tromper dans le choix & dans l'assortiment des mots ; bien des finesses sans-doute nous échappent ; & n'ayant plus sur la vraie prononciation du latin que des conjectures peu certaines, comment serions-nous assurés des lois de cette harmonie merveilleuse dont les ouvrages de Ciceron, de Quintilien & autres, nous donnent une si grande idée ? comment en suivrions-nous les vûes dans la construction de notre latin factice ? comment les démêlerions-nous dans celui des meilleurs auteurs ?

Mais ces finesses d'élocution, ces délicatesses d'expression, ces agrémens harmoniques, sont toutes choses indifférentes au but que se propose la Grammaire, qui n'envisage que l'énonciation de la pensée. Peu importe à la clarté de cette énonciation, qu'il y ait des dissonnances dans la phrase, qu'il s'y rencontre des bâillemens, que l'intérêt de la passion y soit négligé, & que la nécessité de l'ordre analytique donne à l'ensemble un air sec & dur. La Grammaire n'est chargée que de dessiner l'analyse de la pensée qu'on veut énoncer ; elle doit, pour ainsi-dire, lui faire prendre un corps, lui donner des membres & les placer ; mais elle n'est point chargée de colorier son dessein ; c'est l'affaire de l'élocution oratoire. Or le dessein de l'analyse de la pensée est l'ouvrage du pur raisonnement ; & l'immutabilité de l'original prescrit à la copie des regles invariables, qui sont par conséquent à la portée de tous les hommes sans distinction de tems, de climats, ni de langues : la raison est de tous les tems, de tous les climats & de toutes les langues. Aussi ce que pensent les Grammairiens modernes de toutes les langues sur l'inversion, est exactement la même chose que ce qu'en ont pensé les Latins mêmes, que l'habitude d'aucune langue analogue n'avoit séduits.

Dans le dialogue de partitione oratoria, où les deux Cicerons pere & fils sont interlocuteurs, le fils prie son pere de lui expliquer comment il faut s'y prendre pour exprimer la même pensée en plusieurs manieres différentes. Le pere répond qu'on peut varier le discours premierement, en substituant d'autres mots à la place de ceux dont on s'est servi d'abord : id totum genus situm in commutatione verborum. Ce premier point est indifférent à notre sujet ; mais ce qui suit y vient très-à-propos : in conjunctis autem verbis triplex adhiberi potest COMMUTATIO, nec verborum, sed ORDINIS tantummodò ; ut cùm semel DIRECTE dictum sit, sicut NATURA ipsa tulerit, INVERTATUR ordo, & idem quasi sursùm versus retròque dicatur ; deinde idem INTERCISE atque PERINCISE. Eloquendi autem exercitatio maximè in hoc toto convertendi genere versatur. (cap. vij.) Rien de plus clair que ce passage ; il y est question des mots considérés dans l'ensemble de l'énonciation & par rapport à leur construction ; & l'orateur romain caractérise trois arrangemens différens, selon lesquels on peut varier cette construction, commutatio ordinis.

Le premier arrangement est direct & naturel, directè sicut natura ipsa tulerit.

Le second est le renversement exact du premier ; c'est l'inversion proprement dite : dans l'un on va directement du commencement à la fin, de l'origine au dernier terme, du haut en bas ; dans l'autre, on va de la fin au commencement, du dernier terme à l'origine, du bas en haut, sursùm versùs, à reculons, retrò. On voit que Ciceron est plus difficile que M. l'abbé de Condillac, & qu'il n'auroit pas jugé que l'on suivît également l'ordre direct de la nature dans les deux phrases, Alexander vicit Darium, & Darium vicit Alexander ; il n'y a, selon ce grand orateur, que l'une des deux qui soit naturelle, l'autre en est l'inversion, invertitur ordo.

Le troisieme arrangement s'éloigne encore plus de l'ordre naturel ; il en rompt l'enchaînement en violant la liaison la plus immédiate des parties, incisè ; les mots y sont rapprochés sans affinité & comme au hazard, permistè ; ce n'est plus ce qu'il faut nommer inversion, c'est l'hyperbate & l'espece d'hyperbate à laquelle on donne le nom de synchise. Voyez HYPERBATE & SYNCHISE. Tel est l'arrangement de cette phrase, vicit Darium Alexander, parce que l'idée d'Alexander y est séparée de celle de vicit, à laquelle elle doit être liée immédiatement.

Ciceron nous a donné lui-même l'exemple de ces trois arrangemens, dans trois endroits différens où il énonce la même pensée. Legi tuas litteras quibus ad me scribis, &c. ce sont les premiers mots d'une lettre qu'il écrit à Lentulus (Ep. ad famil. lib. VII. ep. vij.) Cette phrase est écrite directè, sicut natura ipsa tulit ; ou du moins cet arrangement est celui que Ciceron prétendoit caractériser par ces mots, & cela me suffit. Mais dans la lettre iv. du liv. III. Ciceron met au commencement ce qu'il avoit mis à la fin dans la précédente ; litteras tuas accepi ; c'est la seconde sorte d'arrangement, sursùm-versùs, retròque. Voici la troisieme sorte, qui est lorsque les mots corrélatifs sont séparés & coupés par d'autres mots, intercisè atque permistè : raras tuas quidem... sed suaves accipio litteras. Ep. ad famil. lib II. ep. xiij.

J'avoue que cette application des principes de Ciceron, aux exemples que j'ai empruntés de ses lettres, n'est pas de lui-même ; & que les défenseurs du nouveau systême peuvent encore prétendre que je l'ai faite à mon gré, que je sacrifie à l'erreur où m'a jetté l'habitude de ma langue, & qu'il y a cependant dans le françois même, comme le remarque l'auteur de l'essai sur l'origine des connoissances humaines, des constructions qui auroient pû faire éviter cette erreur, puisque le nominatif y est beaucoup mieux après le verbe, comme dans Darius que vainquit Alexandre.

On peut prétendre sans-doute tout ce que l'on voudra, si l'on perd de vûe les raisons que j'ai déja alléguées, pour faire connoître l'ordre vraiment naturel, qui est le fondement de toutes les syntaxes. Cet oubli volontaire ne m'oblige point à y revenir encore ; mais je m'arrêterai quelques momens sur la derniere observation de M. l'abbé de Condillac, & sur l'exemple qu'il cite. Oui, notre syntaxe aime mieux que l'on dise Darius que vainquit Alexandre, que si l'on disoit Darius qu'Alexandre vainquit ; & c'est pour se conformer mieux à l'indication de la nature, en observant la liaison la plus immédiate : car que est le complément de vainquit, & ce verbe a pour sujet Alexandre. En disant Darius que vainquit Alexandre, si l'on s'écarte de l'ordre naturel, c'est par une simple inversion ; & en disant Darius qu'Alexandre vainquit, il y auroit inversion & synchise tout-à-la-fois. Notre langue qui fait son capital de la clarté de l'énonciation, a donc dû préférer celui des deux arrangemens où il y a le moins de desordre ; mais celui même qu'elle adopte est contre nature, & se trouve dans le cas de l'inversion, puisque le complément que précede le verbe qui l'exige, c'est-à-dire, que l'effet précede la cause ; c'est pour cela qu'il est décliné, contre l'ordinaire des autres mots de la langue.

Ce mot est conjonctif par sa nature, & tout mot qui sert à lier, doit être entre les deux parties dont il indique la liaison : c'est une loi dont on ne s'écarte pas, & dont on ne s'écarte que bien peu, même dans les langues transpositives. Quand le mot conjonctif est en même tems sujet de la proposition incidente qu'il joint avec l'antécédent, il prend la premiere place, & elle lui convient à toute sorte de titre ; alors il garde sa terminaison primitive & directe qui. Si ce mot est complément du verbe, la premiere place ne lui convient plus qu'à raison de sa vertu conjonctive, & c'est à ce titre qu'il la garde ; mais comme complément, il est déplacé, & pour éviter l'équivoque, on lui a donné une terminaison que, qui est indiquant. Cette seconde espece de service certifie en même tems le déplacement, de la même maniere précisément que les cas des Grecs & des Latins. Ainsi ce qu'on allegue ici pour montrer la nature dans la phrase françoise, ne sert qu'à y en attester le renversement, & il ne faut pas croire, comme l'insinue M. Batteux (tom. jv. pag. 338.) que nous ayons introduit cet accusatif terminé, pour revenir à l'ordre des Latins ; mais forcés comme les Latins & comme toutes les nations, à placer ce mot conjonctif à la tête de la proposition incidente, lors même qu'il est complément du verbe, nous aurions pû nous dispenser de lui donner un accusatif terminé, sans compromettre la clarté de l'énonciation qui est l'objet principal de la parole, & l'objet unique de la Grammaire.

Au reste, ce n'est rien moins que gratuitement que je suppose que Cicéron a pensé comme nous sur l'ordre naturel de l'élocution. Outre les raisons dont la philosophie étaye ce sentiment, & que Cicéron pouvoit appercevoir autant qu'aucun philosophe moderne, des Grammairiens de profession, dont le latin étoit la langue naturelle s'expliquent comme nous sur cette matiere : leur doctrine, qu'aucun d'eux n'a donnée comme nouvelle, étoit sans-doute la doctrine traditionelle de tous les littérateurs latins.

S. Isidore de Séville, qui vivoit au commencement du septieme siecle, rapporte ces vers de Virgile. (Aen. II. 348.)

Juvenes, fortissima, frustrà,

Pectora, si vobis, audentem extrema, cupido est

Certa sequi ; (quae sit rebus fortuna videtis :

Excessêre omnes adytis, arisque relictis,

Dî quibus imperium hoc steterat) : succurritis urbi

Incensae : moriamur, & in media arma ruamus.

L'arrangement des mots dans ces vers paroît obscur à Isidore ; confusa sunt verba, ce sont ses termes. Que fait-il ? il range les mêmes mots selon l'ordre que j'appelle analytique : ordo talis est, comme s'il disoit, il y a inversion dans ces vers, mais voici la construction : Juvenes, fortissima pectora, frustrà succurritis urbi incensae, quia excessêre dii, quibus hoc imperium steterat : undè si vobis cupido certa est sequi me audentem extrema, ruamus in media arma & moriamur. Isid. orig. lib. I. cap. xxxvj. Que l'intégrité du texte ne soit pas conservée dans cette construction, & que l'ordre analytique n'y soit pas suivi en toute rigueur, c'est dans ce savant évêque un défaut d'attention ou d'exactitude, qui n'infirme en rien l'argument que je tire de son procédé ; il suffit qu'il paroisse chercher cet ordre analytique. On verra au mot METHODE, quelle doit être exactement la construction analytique de ce texte.

Il avoit probablement un modele qu'il semble avoir copié en cet endroit ; je parle de Servius, dont les commentaires sur Virgile sont si fort estimés, & qui vivoit dans le sixieme siecle, sous l'empire de Constantin & de Constance. Voici comme il s'explique sur le même endroit de Virgile : ordo talis est : juvenes, fortissima pectora, frustrà succurritis urbi incensae, quia excesserunt omnes dii. Undè si vobis cupido certa est me sequi audentem extrema, moriamur & in media arma ruamus. Servius ajoûte un peu plus bas, au sujet de ces derniers mots, ; nam ante est in arma ruere, & sic mori ; & S. Isidore a fait usage de cette remarque dans sa construction, ruamus in media arma & moriamur. L'un & l'autre n'ont insisté que sur ce qui marque dans le total de la phrase, parce que cela suffisoit aux vûes de l'un & de l'autre, comme il suffit aux miennes.

Le même Servius fait la construction de quantité d'autres endroits de Virgile, & il n'y manque pas, dès que la clarté l'exige. Par exemple, sur ce vers (Aen. I. 113.) Saxa, vocant Itali mediis quae in fluctibus aras ; voici comme il s'explique : ordo est, quae saxa latentia in mediis fluctibus, Itali aras vocant ; où l'on voit encore les traces de l'ordre analytique.

Donat, ce fameux Grammairien du sixieme siecle, qui fut l'un des maîtres de S. Jérôme, observe aussi la même pratique à l'égard des vers de Térence, quand la construction est un peu embarrassée, ordo est, dit-il ; & il dispose les mots selon l'ordre analytique.

Priscien, qui vivoit au commencement du sixieme siecle, a fait sur la Grammaire un ouvrage bien sec à la vérité, mais d'où l'on peut tirer des lumieres, & sur-tout des preuves bien assurées de la façon de penser des Latins sur la construction de leur langue. Deux livres de son ouvrage, le XVII & le XVIII, roulent uniquement sur cet objet, & sont intitulés, de constructione, sive de ordinatione partium orationis ; ce que nous avons vu jusqu'ici désigné par le mot ordo, il l'appelle encore structura, ordinatio, conjunctio sequentium ; deux mots d'une énergie admirable, pour exprimer tout ce que comporte l'ordre analytique, qui regle toutes les syntaxes ; 1°. la liaison immédiate des idées & des mots, telle qu'elle a été observée plus haut, conjunctio, 2°. la succession de ces idées liées, sequentium.

Outre ces deux livres que l'on peut appeller dogmatiques, il a mis à la suite un ouvrage particulier, qui est comme la pratique de ce qu'il a enseigné auparavant ; c'est ce qu'on appelle encore aujourd'hui les parties & la construction de chaque premier vers des douze livres de l'Eneïde, conformément au titre même, Prisciani grammatici partitiones versuum xij Aenaeidos principalium. Il est par demandes & par réponses ; on lit d'abord le premier vers du premier livre : Arma virumque cano, &c. ensuite après quelques autres questions, le disciple demande à son maître, en quel cas est arma ; car il peut être regardé, dit-il, ou comme étant au nominatif pluriel, ou comme étant à l'accusatif. Le maître répond qu'en ces occurrences, il faut changer le mot qui a une terminaison équivoque, en un autre dont la désinence indique le cas d'une maniere précise & déterminée ; qu'il n'y a d'ailleurs qu'à faire la construction, & qu'elle lui fera connoître que arma est à l'accusatif ; hoc certum est, dit Priscien, à structurâ, id est, ordinatione & conjunctione sequentium ; il décide encore le cas de arma par comparaison avec celui de virum qui est incontestablement à l'accusatif ; manifestabitur tibi casus, ut in hoc loco cano virum dixit (Virgilius). Ainsi, selon Priscien, cano virum est une construction naturelle, & l'image de l'ordre analytique, ordinatio, conjunctio sequentium ; Priscien jugeoit donc que Virgile avoit parlé sursùm versùs, & que son disciple, pour l'entendre, devoit arranger les mots de maniere à parler directè.

Ecoutons Quintilien ; il connoissoit la même doctrine. " L'hyperbate, dit ce sage rhéteur, est une transposition des mots que la grace du discours demande souvent. C'est avec juste raison que nous mettons cette figure au rang des principaux agrémens du langage ; car il arrive très-souvent que le discours est rude, dur, sans mesure, sans harmonie, & que les oreilles sont blessées par des sons desagréables, lorsque chaque mot est placé selon la suite nécessaire de son ordre & de sa génération, (c'est-à-dire, de la construction & de la syntaxe). Il faut donc alors transporter les mots, placer les uns après, & mettre les autres devant, chacun dans le lieu le plus convenable ; de même qu'on en agit à l'égard des pierres les plus grossieres dans la construction d'un édifice ; car nous ne pouvons pas corriger les mots, ni leur donner plus de grace, ou plus d'aptitude à se lier entr'eux ; il faut les prendre comme nous les trouvons, & les placer avec choix. Rien ne peut rendre le discours nombreux, que le changement d'ordre fait avec discernement ". quoque, id est verbi transgressionem, quam frequenter ratio compositionis & decor poscit, non immeritò inter virtutes habemus. Fit enim frequentissimè aspera, & dura, & dissoluta, & hians oratio, si ad necessitatem ordinis sui verba redigantur, & ut quodque oritur, ita proximis... alligetur. Differenda agitur quaedam, & praesumenda, atque, ut in structuris lapidum impolitiorum, loco quo convenit quicque ponendum. Non enim recidere ea, nec polire possumus, quae coagmentata se magis jungant ; sed utendum his, qualia sunt, eligendaeque sedes. Nec aliud potest sermonem facere numerosum, quàm opportuna ORDINIS MUTATIO. Inst. orat. lib. VIII. c. vj. de tropis.

Quel autre sens peut-on donner au necessitatem ordinis sui, sinon l'ordre de la succession des idées ? Que peut signifier ut quodque oritur, ita proximis alligetur, si ce n'est la liaison immédiate qui se trouve entre deux idées que l'analyse envisage comme consécutives, & entre les mots qui les expriment ? Ordinis mutatio, c'est donc l'inversion, le renversement de l'ordre successif des idées, ou l'interruption de la liaison immédiate entre deux idées consécutives. Cette explication me paroît démontrée par le langage des Grammairiens latins, postérieurs à Quintilien, dont j'ai rapporté ci-devant les témoignages, & qui parloient de leur langue en connoissance de cause.

Mais voulez-vous que Quintilien lui même en devienne le garant ? Vous voyez ici qu'il n'est point d'avis que l'on suive rigoureusement cette suite nécessaire de l'ordre & de la génération des idées & des mots, & que pour rendre le discours nombreux, ce qu'un rhéteur doit principalement envisager, il exige des changemens à cet ordre. Il insiste ailleurs sur le même objet ; & l'ordre dont il veut que l'orateur s'écarte, y est désigné par des caracteres auxquels il n'est pas possible de se méprendre ; les sujets y sont avant les verbes, les verbes avant les adverbes, les noms avant les adjectifs ; rien de plus précis. Illa nimia quorumdam fuit observatio, dit-il, ut vocabula verbis, verba rursùs adverbiis, nomina appositis & pronominibus rursùs essent priora : nam fit contrà quoque frequenter, non indecorè. Lib. IX. cap. jv. de compositione.

Quintilien avoit sans-doute raison de se plaindre de la scrupuleuse & rampante exactitude des écrivains de son tems, qui suivoient servilement l'ordre analytique de la syntaxe latine ; dans une langue qui avoit admis des cas, pour être les symboles des diverses relations à cet ordre successif des idées, c'étoit aller contre le génie de la langue même, que de placer toujours les mots selon cette succession ; l'usage ne les avoit soumis à ces inflexions, que pour donner à ceux qui les employoient, la liberté de les arranger au gré d'une oreille intelligente, ou d'un goût exquis ; & c'étoit manquer de l'un & de l'autre, que de suivre invariablement la marche monotone de la froide analyse ; mais en condamnant ce défaut, notre rhéteur reconnoît très-clairement l'existence & les effets de l'ordre analytique & fondamental ; & quand il parle d'inversion, de changement d'ordre, c'est relativement à celui-là même : Non enim ad pedes verba dimensa sunt : ideoque ex loco transferuntur in locum, ut jungantur quo congruunt maximè ; sicut in structurâ saxorum rudium etiam ipsa enormitas invenit cui applicari, & in quo possit insistere. Id. ibid. un peu plus bas.

Que résulte-t-il de tout ce qui vient d'être dit ? Le voici sommairement. Si l'homme ne parle que pour être entendu, c'est-à-dire, pour rendre présentes à l'esprit d'autrui les mêmes idées qui sont présentes au sien ; le premier objet de toute langue, est l'expression claire de la pensée : & de-là cette vérité également reconnue par les Grammairiens & par les rhéteurs, que la clarté est la qualité la plus essentielle du discours ; oratio verò, cujus summa virtus est perspicuitas, quàm sit vitiosa, si egeat interprete ! dit Quintilien, lib. I. cap. jv. de grammaticâ. La parole ne peut peindre la pensée immédiatement, parce que les opérations de l'esprit sont indivisibles & sans parties, & que toute peinture suppose proportion, & parties par conséquent. C'est donc l'analyse abstraite de la pensée, qui est l'objet immédiat de la parole ; & c'est la succession analytique des idées partielles, qui est le prototype de la succession grammaticale des mots représentatifs de ces idées. Cette conséquence se vérifie par la conformité de toutes les syntaxes avec cet ordre analytique ; les langues analogues le suivent pié-à-pié ; on ne s'en écarte que pour en atteindre le but encore plus sûrement ; les langues transpositives n'ont pu se procurer la liberté de ne pas le suivre scrupuleusement qu'en donnant à leurs mots des inflexions qui y fussent relatives ; de maniere qu'à parler exactement, elles ne l'ont abandonné que dans la forme, & y sont restées assujetties dans le fait ; cette influence nécessaire de l'ordre analytique a non-seulement reglé la syntaxe de toutes les langues ; elle a encore déterminé le langage des Grammairiens de tous les tems : c'est uniquement à cet ordre qu'ils ont rapporté leurs observations, lorsqu'ils ont envisagé la parole simplement comme énonciative de la pensée, c'est-à-dire, lorsqu'ils n'ont eu en vûe que le grammatical de l'élocution ; l'ordre analytique est donc, par rapport à la Grammaire, l'ordre naturel ; & c'est par rapport à cet ordre que les langues ont admis ou proscrit l'inversion. Cette vérité me semble réunir en sa faveur des preuves de raisonnement, de fait & de témoignage, si palpables & si multipliées, que je ne croirois pas pouvoir la rejetter sans m'exposer à devenir moi-même la preuve de ce que dit Ciceron : Nescio quomodo nihil tam absurdè dici potest, quod non dicatur ab aliquo philosophorum. De divinat. lib. II. cap. lviij.

M. l'abbé Batteux, dans la seconde édition de son cours de belles-lettres, se fait du précis de la doctrine ordinaire une objection qui paroît née des difficultés qu'on lui a faites sur la premiere édition ; & voici ce qu'il répond : tom. IV. pag. 306. " Qu'il y ait dans l'esprit un arrangement grammatical, relatif aux regles établies par le méchanisme de la langue dans laquelle il s'agit de s'exprimer ; qu'il y ait encore un arrangement des idées considérées métaphysiquement.... ce n'est pas de quoi il s'agit dans la question présente. Nous ne cherchons pas l'ordre dans lequel les idées arrivent chez nous ; mais celui dans lequel elles en sortent, quand, attachées à des mots, elles se mettent en rang pour aller à la suite l'une de l'autre, opérer la persuasion dans ceux qui nous écoutent ; en un mot, nous cherchons l'ordre oratoire, l'ordre qui peint, l'ordre qui touche ; & nous disons que cet ordre doit être dans les récits le même que celui de la chose dont on fait le récit, & que dans les cas où il s'agit de persuader, de faire consentir l'auditeur à ce que nous lui disons, l'intérêt doit regler les rangs des objets, & donner par conséquent les premieres places aux mots qui contiennent l'objet le plus important ". Qu'il me soit permis de faire quelques observations sur cette réponse de M. Batteux.

1°. S'il n'a pas envisagé l'ordre analytique ou grammatical, quand il a parlé d'inversion, il a fait en cela la plus grande faute qu'il soit possible de commettre en fait de langage ; il a contredit l'usage, & commis un barbarisme. Les grammairiens de tous les tems ont toujours regardé le mot inversion, comme un terme qui leur étoit propre, qui étoit relatif à l'ordre méchanique des mots dans l'élocution grammaticale : on a vu ci-dessus que c'est dans ce sens qu'en ont parlé Cicéron, Quintilien, Donat, Servius, Priscien, S. Isidore de Séville. M. Batteux ne pouvoit pas ignorer que c'est dans le même sens, que le P. du Cerceau se plaint du désordre de la construction usuelle de la langue latine ; & qu'au contraire M. de Fénelon, dans sa lettre à l'académie françoise (édit. 1740. pag. 313. & suiv.), exhorte ses confreres à introduire dans la langue françoise, en faveur de la poésie, un plus grand nombre d'inversions qu'il n'y en a. " Notre langue, dit-il, est trop severe sur ce point ; elle ne permet que des inversions douces : au contraire les anciens facilitoient, par des inversions fréquentes, les belles cadences, la variété & les expressions passionnées ; les inversions se tournoient en grandes figures, & tenoient l'esprit suspendu dans l'attente du merveilleux ". M. Batteux lui-même, en annonçant ce qu'il se propose de discuter sur cette matiere, en parle de maniere à faire croire qu'il prend le mot d'inversion dans le même sens que les autres, " L'objet, dit-il, (pag. 295.) de cet examen se réduit à reconnoître quelle est la différence de la structure des mots dans les deux langues, & quelles sont les causes de ce qu'on appelle gallicisme, latinisme, &c. " Or je le demande : ce mot structure n'est-il pas rigoureusement relatif au méchanisme des langues, & ne signifie-t-il pas la disposition artificielle des mots, autorisée dans chaque langue, pour atteindre le but qu'on s'y propose, qui est l'énonciation de la pensée ? N'est-ce pas aussi du méchanisme propre à chaque langue, que naissent les idiotismes ? Voyez IDIOTISME.

Je sens bien que l'auteur m'alléguera la déclaration qu'il fait ici expressément, & qu'il avoit assez indiquée dès la premiere édition, qu'il n'envisage que l'ordre oratoire ; qu'il ne donne le nom d'inversion qu'au renversement de cet ordre, & que l'usage des mots est arbitraire, pourvû que l'on ait la précaution d'établir, par de bonnes définitions, le sens que l'on prétend y attacher ; mais la liberté d'introduire, dans le langage même des sciences & des arts, des mots absolument nouveaux, & de donner à des mots déja connus un sens différent de celui qui leur est ordinaire, n'est pas une licence effrénée qui puisse tout changer sans retenue, & innover sans raison ; dabitur licentia sumpta pudenter. Hor. art poët. 51. il faut montrer l'abus de l'ancien usage, & l'utilité ou même la nécessité du changement ; sans quoi, il faut respecter inviolablement l'usage du langage didactique, comme celui du langage national, quem penes arbitrium est, jus, & norma loquendi. Ibid. 72. M. Batteux a-t-il pris ces précautions ? a-t-il prévenu l'équivoque & l'incertitude par une bonne définition ? Au contraire, quoiqu'il soit peut-être vrai au fond que l'inversion, telle qu'il l'entend, ne puisse l'être que par rapport à l'ordre oratoire ; il semble avoir affecté de faire croire qu'il ne prétendoit parler que de l'inversion grammaticale ; il annonce dès le commencement qu'il trouve singuliere la conséquence d'un raisonnement du P. du Cerceau sur les inversions, qui ne sont assurément que les inversions grammaticales (pag. 298) ; & il prétend qu'il pourroit bien arriver que l'inversion fût chez nous plutôt que chez les Latins. N'est-ce pas à la faveur de la même équivoque, que MM. Pluche & Chompré, amis & prosélytes de M. Batteux, ont fait de sa doctrine nouvelle sur l'inversion, sous ses propres yeux, & pour ainsi dire sur son bureau le fondement de leur système d'enseignement, & de leur méthode d'étudier les langues ?

2°. S'il y a dans l'esprit un arrangement grammatical, relatif aux regles établies pour le méchanisme de la langue dans laquelle il s'agit de s'exprimer, (ce sont les termes de M. Batteux) ; il peut donc y avoir dans l'élocution un arrangement des mots, qui soit le renversement de cet arrangement grammatical qui existe dans l'esprit, qui soit inversion grammaticale ; & c'est précisément l'espece d'inversion, reconnue comme telle jusqu'à présent par tous les Grammairiens, & la seule à laquelle il faille en donner le nom : mais expliquons-nous. Un arrangement grammatical dans l'esprit, veut dire sans-doute un ordre dans la succession des idées, lequel doit servir de guide à la grammaire ? cela posé, faut-il dire que cet arrangement est relatif aux regles, ou que les regles sont relatives à cet arrangement ? La premiere expression me sembleroit indiquer que l'arrangement grammatical ne seroit dans l'esprit, que comme le résultat des regles arbitraires du méchanisme propre de chaque langue ; d'où il s'ensuivroit que chaque langue devroit produire son arrangement grammatical particulier. La seconde expression suppose que cet arrangement grammatical préexiste dans l'esprit, & qu'il est le fondement des regles méchaniques de chaque langue. En cela même je la crois préférable à la premiere, parce que, comme le disent les Jurisconsultes, regula est quae rem quae est, breviter enarrat ; non ut ex regula jus sumatur, sed ex jure, quod est regula fiat. Paul. juriscons. lib. I. de reg. jur. Quoiqu'il en soit, dès que M. Batteux reconnoît cet arrangement grammatical dans l'esprit, il me semble que ce doit être celui dont j'ai ci-devant démontré l'influence sur la syntaxe de toutes les langues, celui qui seul contribue à donner aux mots réunis un sens clair & précis, & dont l'inobservation feroit de la parole humaine un simple bruit semblable aux cris inarticulés des animaux. Dans quelle langue se trouve donc l'inversion relative à cet ordre fondamental ? dans le latin ou dans le françois ? dans les langues transpositives ou dans les analogues ? Je ne doute point que M. Batteux, M. Pluche, M. Chompré, & M. de Condillac ne reconnoissent que le latin, le grec & les autres langues transpositives admettent beaucoup plus d'inversions de cette espece, que le françois, ni aucune des langues analogues qui se parlent aujourd'hui en Europe.

3°. Il ne m'appartient peut-être pas trop de dire ici mon avis sur ce qui concerne l'ordre de l'élocution oratoire ; mais je ne puis m'empêcher d'exposer du moins sommairement quelques réflexions qui me sont venues au sujet du systême de M. Batteux sur ce point.

" C'est, dit-il, (pag. 301.) de l'ordre & de l'arrangement des choses & de leurs parties, que dépend l'ordre & l'arrangement des pensées ; & de l'ordre & de l'arrangement de la pensée, que dépend l'ordre & l'arrangement de l'expression. Et cet arrangement est naturel ou non dans les pensées & dans les expressions qui sont images, quand il est ou qu'il n'est pas conforme aux choses qui sont modeles. Et s'il y a plusieurs choses qui se suivent ou plusieurs parties d'une même chose, & qu'elles soient autrement arrangées dans la pensée, qu'elles ne le sont dans la nature, il y a inversion ou renversement dans la pensée. Et si dans l'expression il y a encore un autre arrangement que dans la pensée, il y aura encore renversement ; d'où il suit que l'inversion ne peut être que dans les pensées ou dans les expressions, & qu'elle ne peut y être qu'en renversant l'ordre naturel des choses qui sont représentées ". J'avois cru jusqu'ici, & bien d'autres apparemment l'avoient cru comme moi & le croient encore, que c'est la vérité seule qui dépend de cette conformité entre les pensées & les choses, ou entre les expressions & les pensées ; mais on nous apprend ici que la construction réguliere de l'élocution en dépend aussi, ou même qu'elle en dépend seule au point que quand cette conformité est violée, il y a simplement inversion, ou dans la tête de celui qui conçoit les choses autrement qu'elles ne sont en elles-mêmes, ou dans le discours de celui qui les énonce autrement qu'il ne les conçoit. Voilà sans-doute la premiere fois que le terme d'inversion est employé pour marquer le dérangement dans les pensées par rapport à la réalité des choses, ou le défaut de conformité de la parole avec la pensée ; mais il faut convenir alors que la grande source des inversions de la premiere espece est aux petites-maisons, & que celles de la seconde espece sont traitées trop cavalierement par les moralistes qui, sous le nom odieux de mensonges, les ont mises dans la classe des choses abominables.

Mais suivons les conséquences : il est donc essentiel de bien connoître l'ordre & l'arrangement des choses & de leurs parties, pour bien déterminer celui des pensées, & ensuite celui des expressions : tout le monde croit que c'est là la suite de ce qui vient d'être dit ; point du tout. Au moyen d'une inversion, qui n'est ni grammaticale ni oratoire, mais logique, l'auteur trouve " que dans les cas où il s'agit de persuader, de faire consentir l'auditeur à ce que nous lui disons, l'intérêt doit régler les rangs des objets, & donner par conséquent les premieres places aux mots qui contiennent l'objet le plus important ". Il est difficile, ce me semble, d'accorder cet arrangement réglé par l'intérêt, avec l'arrangement établi par la nature entre les choses : qu'importe, c'est dit-on, celui qui doit régler les places des mots. J'y consens ; mais les décisions de cet ordre d'intérêt sont-elles constantes, uniformes, invariables ? Vous savez bien que telle doit être la nature des principes des Sciences & des Arts. Il me semble cependant qu'il vous seroit difficile de montrer cette invariabilité dans les principes que vous adoptez ; il devroit produire en tout tems le même effet pour tout le monde ; au lieu que dans votre systême, pour me servir des termes de l'auteur de la Lettre sur les sourds & muets, pag. 93. " ce qui sera inversion pour l'un, ne le sera pas pour l'autre. Car, dans une suite d'idées, il n'arrive pas toujours que tout le monde soit également affecté par la même. Par exemple, si de ces deux idées contenues dans la phrase serpentem fuge, je vous demande quelle est la principale ; vous me direz vous que c'est le serpent ; mais un autre prétendra que c'est la fuite, & vous aurez tous deux raison. L'homme peureux ne songe qu'au serpent ; mais celui qui craint moins le serpent que ma perte, ne songe qu'à ma fuite : l'un s'effraye & l'autre m'avertit ". Votre principe n'est donc ni assez évident, ni assez sûr pour devenir fondamental dans l'élocution même oratoire. Vous le sentez vous-même, puisque vous avouez (pag. 316) que son application " a pour le métaphysicien même des variations embarrassantes, qui sont causées par la maniere dont les objets se mêlent, se cachent, s'effacent, s'enveloppent, se déguisent les uns les autres dans nos pensées ; desorte qu'il reste toujours, au moins dans certains cas, quelques parties de la difficulté ". Vous ajoutez que le nombre & l'harmonie dérangent souvent la construction prétendue réguliere que doit opérer votre principe. Vous y voilà, permettez que je vous le dise ; vous voilà au vrai principe de l'élocution oratoire dans la langue latine & dans la langue grecque ; & vous tenez la principale cause qui a déterminé le génie de ces deux langues à autoriser les variations des cas, afin de faciliter les inversions qui pourroient faire plus de plaisir à l'oreille par la variété & par l'harmonie, que la marche monotone de la construction naturelle & analytique.

Nous avons lu vous & moi, les oeuvres de Rhétorique de Ciceron & de Quintilien, ces deux grands maîtres d'éloquence, qui en connoissoient si profondément les principes & les ressorts, & qui nous les tracent avec tant de sagacité, de justesse & d'étendue. On n'y trouve pas un mot, vous le savez, sur votre prétendu principe de l'élocution oratoire, mais avec quelle abondance & quel scrupule insistent-ils l'un & l'autre sur ce qui doit procurer cette suite harmonieuse de sons qui doit prévenir le dégoût de l'oreille, ut & verborum numero, & vocum modo, delectatione vincerent aurium satietatem. Cic. de Orat. lib. III. cap. xjv. Ciceron partage en deux la matiere de l'éloquence : 1°. le choix des choses & des mots, qui doit être fait avec prudence, & sans-doute d'après les principes qui sont propres à cet objet ; 2°. le choix des sons qu'il abandonne à l'orgueilleuse sensibilité de l'oreille. Le premier point est, selon lui, du ressort de l'intelligence & de la raison ; & les regles par conséquent qu'il faut y suivre, sont invariables & sûres. Le second est du ressort du goût ; c'est la sensibilité pour le plaisir qui doit en décider ; & ces décisions varieront en conséquence au gré des caprices de l'organe & des conjonctures. Rerum verborumque judicium prudentiae est, vocum (des sons) autem & numerorum aures sunt judices : & quod illa ad intelligentiam referuntur, haec ad voluptatem, in illis ratio invenit, in his sensus, artem. Ciceron, Orat. cap. xxij. n. 164.

Voilà donc les deux seuls juges que reconnoissent en fait d'élocution le plus éloquent des Romains, la raison & l'oreille ; le coeur est compté pour rien à cet égard. Et en vérité il faut convenir que c'est avec raison ; l'éloquence du coeur n'est point assujettie à la contrainte d'aucune regle artificielle ; le coeur ne connoît d'autres regles que le sentiment, ni d'autre maître que le besoin, magister artis, ingenîque largitor. Pers. prolog. 11.

Ce n'est pourtant pas que je veuille dire que l'intérêt des passions ne puisse influer sur l'élocution même, & qu'il ne puisse en résulter des expressions pleines de noblesse, de graces, ou d'énergie. Je prétends seulement que le principe de l'intérêt est effectivement d'une application trop incertaine & trop changeante, pour être le fondement de l'élocution oratoire ; & j'ajoûte que quand il faudroit l'admettre comme tel, il ne s'ensuivroit pas pour cela que les places qu'il fixeroit aux mots fussent leurs places naturelles ; les places naturelles des mots dans l'élocution, sont celles que leur assigne la premiere institution de la parole pour énoncer la pensée. Ainsi l'ordre de l'intérêt, loin d'être la regle de l'ordre naturel des mots, est une des causes de l'inversion proprement dite ; mais l'effet que l'inversion produit alors sur l'ame, est en même tems l'un des titres qui la justifient. Eh quoi de plus agréable que ces images fortes & énergiques, dont un mot placé à propos, à la faveur de l'inversion, enrichit souvent l'élocution ? Prenons seulement un exemple dans Horace, lib. I. Od. 28.

.... Nec quicquam tibi prodest

Aërias tentasse domos, animoque rotundum

Percurrisse polum, morituro.

Quelle force d'expression dans le dernier mot morituro ! L'ordre analytique avertit l'esprit de le rapprocher de tibi, avec lequel il est en concordance par raison d'identité ; mais l'esprit repasse alors sur tout ce qui sépare ici ces deux correlatifs : il voit comme dans un seul point, & les occupations laborieuses de l'astronome, & le contraste de sa mort qui doit y mettre fin ; cela est pittoresque. Mais si l'ame vient à rapprocher le tout du nec quicquam prodest qui est à la tête, quelle vérité ! quelle force ! quelle énergie ! Si l'on dérangeoit cette belle construction, pour suivre scrupuleusement la construction analytique ; tentasse domos aërias, atque percurrisse animo polum rotundum, necquicquam prodest tibi morituro ; on auroit encore la même pensée énoncée avec autant ou plus de clarté ; mais l'effet est détruit ; entre les mains du poëte, elle est pleine d'agrément & de vigueur : dans celle du grammairien, c'est un cadavre sans vie & sans couleur ; celui-ci la fait comprendre, l'autre la fait sentir.

Cet avantage réel & incontestable des inversions, joint à celui de rendre plus harmonieuses les langues qui ont adopté des inflexions propres à cette fin, sont les principaux motifs qui semblent avoir déterminé MM. Pluche & Chompré à défendre aux maîtres qui enseignent la langue latine, de jamais toucher à l'ordre général de la phrase latine. " Car toutes les langues, dit M. Pluche (Méth. p. 115. édit. 1751.) & sur-tout les anciennes, ont une façon, une marche différente de celle de la nôtre. C'est une autre méthode de ranger les mots & de présenter les choses : dérangez-vous cet ordre, vous vous privez du plaisir d'entendre un vrai concert. Vous rompez un assortiment de sons très-agréables : vous affoiblissez d'ailleurs l'énergie de l'expression & la force de l'image.... Le moindre goût suffit pour faire sentir que le latin de cette seconde phrase a perdu toute sa saveur ; il est anéanti. Mais ce qui mérite le plus d'attention, c'est qu'en deshonorant ce récit par la marche de la langue françoise qu'on lui a fait prendre, on a entierement renversé l'ordre des choses qu'on y rapporte ; & pour avoir égard au génie, ou plutôt à la pauvreté de nos langues vulgaires, on met en pieces le tableau de la nature ". M. Chompré est de même avis, & en parle d'une maniere aussi vive & aussi décidée Moyens sûrs, &c. pag. 44 édit. 1757. " Une phrase latine d'un auteur ancien est un petit monument d'antiquité. Si vous décomposez ce petit monument pour le faire entendre, au lieu de le construire vous le détruisez : ainsi ce que nous appellons construction, est réellement une destruction ".

Comment faut-il donc s'y prendre pour introduire les jeunes gens à l'étude du latin ou du grec ? Voici la méthode de M. Pluche & de M. Chompré. Voyez Méch. pag. 154 & suiv.

" 1. C'est imiter la conduite de la nature de commencer le travail des écoles par lire en françois, ou par rapporter nettement en langue vulgaire ce qui sera le sujet de la traduction qu'on va faire d'un auteur ancien. Il faut que les commençans sachent dequoi il s'agit, avant qu'on leur fasse entendre le moindre mot grec ou latin. Ce début les charme. A quoi bon leur dire des mots qui ne sont pour eux que du bruit ? C'est ici le premier degré...

2. Le second exercice est de lire, & de rendre fidelement en notre langue le latin dont on a annoncé le contenu ; en un mot de traduire.

3. Le troisieme est de relire de suite tout le latin traduit, en donnant à chaque mot le ton & l'inflexion de la voix qu'on y donneroit dans la conversation.

Ces trois premieres démarches sont l'affaire du maître : celles qui suivent sont l'affaire des commençans ". Dispensons-nous donc de les exposer ici : quand les maîtres sauront bien remplir leurs fonctions ; leur zele, leurs lumieres & leur adresse les mettront assez en état de conduire leurs disciples dans les leurs. Mais essayons l'application de ces trois premieres regles, sur ce discours adressé à Sp. Carvilius par sa mere. Cic. de Orat. II. 61. Quin prodis, mi Spuri, ut quotiescumque gradum facies, toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.

1. Spurius Carvilius étoit devenu boiteux d'une blessure qu'il avoit reçue en combattant pour la république, & il avoit honte de se montrer publiquement en cet état. Sa mere lui dit : que ne vous montrez-vous, mon fils, afin que chaque pas que vous ferez vous fasse souvenir de votre valeur ?

J'ai donc imité la conduite de la nature : j'ai rapporté en françois le discours qui va être le sujet de la traduction, avec ce qui y avoit donné lieu. Il s'agit maintenant du second exercice, qui consiste, dit-on, à lire & à rendre fidelement en françois le latin dont j'ai annoncé le contenu, en un mot de traduire. Ce mot traduire imprimé en italique me fait soupçonner quelque mystere, & j'avoue que je n'avois jamais bien compris la pensée de M. Pluche, avant que j'eusse vu la pratique de M. Chompré dans l'avertissement de son introduction ; mais avec ce secours, je crois que m'y voici.

2. Quin pourquoi ne pas, prodis tu parois, mi mon, Spuri Spurius, ut que, quotiescumque combien de fois, gradum un pas, facies tu feras, toties autant de fois, tibi à toi, tuarum tiennes, virtutum des vertus, veniat vienne, in dans, mentem l'esprit.

Le troisieme exercice est de relire de suite tout le latin traduit, en donnant à chaque mot le ton & l'inflexion de la voix qu'on y donneroit dans la conversation. On seroit tenté de croire que c'est effectivement le latin même qu'il faut relire de suite, & que ce ton si recommandé est pour mettre les jeunes gens sur la voie du tour propre à notre langue. Mais M. Chompré me tire encore d'embarras, en me disant ; " faites lui redire les mots françois sur chaque mot latin sans nommer ceux-ci ". Reprenons donc la suite de notre opération. Pourquoi ne pas tu parois, mon Spurius, que combien de fois un pas tu feras, autant de fois à toi tiennes des vertus vienne dans l'esprit.

Peut-on entendre quelque chose de plus extraordinaire que ce prétendu françois ? Il n'y a ni suite raisonnée, ni usage connu, ni sens décidé. Mais il ne faut pas m'en effrayer : c'est M. Chompré qui m'en assure (Avertiss. de l'introd.) " vous verrez, dit-il, à l'air riant des enfans qu'ils ne sont pas dupes de ces mots ainsi placés à côté les uns des autres, selon ceux du latin ; ils sentent bien que ce n'est pas ainsi que notre langue s'arrange. Un de la troupe dira avec un peu d'aide " : Pourquoi ne parois-tu pas, mon Spurius,... Pardon ; j'ai voulu sur votre parole suivre votre méthode, mais me voici arrêté parce que je n'ai pas pris le même exemple que vous. Permettez que je vous parle en homme, & que je quitte le rôle que j'avois pris pour un instant dans votre petite troupe. Vous voulez que je conserve ici le littéral de la premiere traduction, & que je le dispose seulement selon l'ordre analytique, ou si vous l'aimez mieux, que je le rapproche de l'arrangement de notre langue ? A la bonne heure, je puis le faire, mais votre jeune éleve ne le fera jamais qu'avec beaucoup d'aide. A quoi voulez-vous qu'il rapporte ce que ? où voulez-vous qu'il s'avise de placer des vertus tiennes ? Tout cela ne tient à rien, & doit tenir à quelque chose. Je n'y vois qu'un remede, que je puise dans votre livre même ; c'est de suppléer les ellipses dès la premiere traduction littérale. Mais il en résulte un autre inconvénient : avant ut, vous suppléerez in hunc finem (à cette fin) ; après tuarum virtutum, vous introduirez le nom memoria (le souvenir) : que faites-vous en cela ? Respectez-vous assez le petit monument ancien que vous avez entre les mains ? Ne le détruisez-vous pas en le surchargeant de pieces qu'on y avoit jugées superflues ? Vous rompez un assortiment de sons très-agréables ; vous affoiblissez l'énergie de l'expression ; vous faites perdre à cette phrase toute sa saveur ; vous l'anéantissez : par-là votre méthode me paroît aussi repréhensible que celle que vous blâmez. Vous n'irez pas pour cela défendre d'y suppléer des ellipses ; vous convenez qu'il faut de nécessité y recourir continuellement dans la langue latine, & vous avez raison : mais trouvez bon que j'en discute avec vous la cause.

L'énonciation claire de la pensée est le principal objet de la parole, & le seul que puisse envisager la Grammaire. Dans aucune langue, on ne parvient à ce but que par la peinture fidele de la succession analytique des idées partielles, que l'on distingue dans la pensée par l'abstraction ; cette peinture est la tâche commune de toutes les langues : elles ne different entr'elles que par le choix des couleurs & par l'entente. Ainsi l'étude d'une langue se réduit à deux points qui sont, pour ne pas quitter le langage figuré, la connoissance des couleurs qu'elle emploie, & la matiere dont elle les distribue : en termes propres, ce sont le vocabulaire & la syntaxe. Il ne s'agit point ici de ce qui concerne le vocabulaire ; c'est une affaire d'exercice & de mémoire. Mais la syntaxe mérite une attention particuliere de la part de quiconque veut avancer dans cette étude, ou y diriger les commençans. Il faut observer tout ce qui appartient à l'ordre analytique, dont la connoissance seule peut rendre la langue intelligible : ici la marche en est suivie régulierement ; là la phrase s'en écarte, mais les mots y prennent des terminaisons, qui sont comme l'étiquette de la place qui leur convient dans la succession naturelle ; tantôt la phrase est pleine, il n'y a aucune idée partielle qui n'y soit montrée explicitement ; tantôt elle est elliptique, tous les mots qu'elle exige n'y sont pas, mais ils sont désignés par quelques autres circonstances qu'il faut reconnoître.

Si la phrase qu'il faut traduire a toute la plénitude exigible ; & qu'elle soit disposée selon l'ordre de la succession analytique des idées, il ne tient plus qu'au vocabulaire qu'elle ne soit entendue ; elle a le plus grand degré possible de facilité : elle en a moins si elle est elliptique, quoique construite selon l'ordre naturel ; & c'est la même chose, s'il y a inversion à l'ordre naturel, quoiqu'elle ait toute l'intégrité analytique ; la difficulté est apparemment bien plus grande, s'il y a tout à la fois ellipse & inversion. Or c'est un principe incontestable de la didactique, qu'il faut mettre dans la méthode d'enseigner le plus de facilité qu'il est possible. C'est donc contredire ce principe que de faire traduire aux jeunes gens le latin tel qu'il est sorti des mains des auteurs qui écrivoient pour des hommes à qui cette langue étoit naturelle ; c'est le contredire que de n'en pas préparer la traduction par tout ce qui peut y rendre bien sensible la succession analytique. M. Chompré convient qu'il faut en établir l'intégrité, en suppléant les ellipses : pourquoi ne faudroit-il pas de même en fixer l'ordre, par ce que l'on appelle communément la construction ? Personne n'oseroit dire que ce ne fût un moyen de plus très-propre pour faciliter l'intelligence du texte ; & l'on est réduit à prétexter, que c'est détruire l'harmonie de la phrase latine ; " que c'est empêcher l'oreille d'en sentir le caractere, dépouiller la belle latinité de ses vraies parures, la réduire à la pauvreté des langues modernes, & accoutumer l'esprit à se familiariser avec la rusticité. " Méchan. des langues, pag. 128.

Eh ! que m'importe que l'on détruise un assortiment de sons qui n'a ni ne peut avoir pour moi rien d'harmonieux, puisque je ne connois plus les principes de la vraie prononciation du latin ? Quand je les connoîtrois, ces principes, que m'importeroit qu'on laissât subsister l'harmonie, si elle m'empêchoit d'entendre le sens de la phrase ? Vous êtes chargé de m'enseigner la langue latine, & vous venez arrêter la rapidité des progrès que je pourrois y faire, par la manie que vous avez d'en conserver le nombre & l'harmonie. Laissez ce soin à mon maître de rhétorique ; c'est son vrai lot : le vôtre est de me mettre dans son plus grand jour la pensée qui est l'objet de la phrase latine, & d'écarter tout ce qui peut en empêcher ou en retarder l'intelligence. dépouillez-vous de vos préjugés contre la marche des langues modernes, & adoucissez les qualifications odieuses dont vous flétrissez leurs procédés : il n'y a point de rusticité dans des procédés dictés par la nature, & suivis d'une façon ou d'une autre dans toutes les langues ; & il est injuste de les regarder comme pauvres, quand elles se prêtent à l'expression de toutes les pensées possibles ; la pauvreté consiste dans la seule privation du nécessaire, & quelquefois elle naît de la surabondance du superflu. Prenez garde que ce ne soit le cas de votre méthode, où le trop de vûes que vous embrassez pourroit bien nuire à celle que vous devez vous proposer uniquement.

Servius, Donat, Priscien, Isidore de Séville, connoissoient aussi-bien & mieux que vous, les effets & le prix de cette harmonie dont vous m'embarrassez, puisque le latin étoit leur langue naturelle. Vous avez vu cependant qu'ils n'y avoient aucun égard, dès que l'inversion leur sembloit jetter de l'obscurité sur la pensée : ordo est, disoient-ils ; & ils arrangeoient alors les mots selon l'ordre de la construction analytique, sans se douter que jamais on s'avisât de soupçonner de la rusticité dans un moyen si raisonnable.

Messieurs Pluche & Chompré me répondront qu'ils ne prétendent point que l'on renonce à l'étude des principes grammaticaux fondés sur l'analyse de la pensée. Le sixieme exercice consiste, selon M. Pluche, (Méch. page 155.) à rappeller fidelement aux définitions, aux inflexions, & aux petites regles élémentaires, les parties qui composent chaque phrase latine. Fort bien : mais cet exercice ne vient qu'après que la traduction est entierement faite ; & vous conviendrez apparemment que vos remarques grammaticales ne peuvent plus alors y être d'aucun secours. Je sais bien que vous me repliquerez que ces observations prépareront toûjours les esprits pour entreprendre avec plus d'aisance une autre traduction dans un autre tems. Cela est vrai, mais si vous en aviez fait un exercice préliminaire à la traduction de la phrase même qui y donne lieu, vous en auriez tiré un profit & plus promt, & plus grand ; plus promt, parce que vous auriez recueilli sur le champ dans la traduction, le fruit des observations que vous auriez semées dans l'exercice préliminaire ; plus grand, parce que l'application étant faite plus tôt & plus immédiatement, l'exemple est mieux adapté à la regle qui en devient plus claire, & la regle répand plus de lumiere sur l'exemple dont le sens en est mieux développé. J'ajoûte que vous augmenteriez de beaucoup le profit de cet exercice pour parvenir à votre traduction, si la théorie de vos remarques grammaticales étoit suivie d'une application pratique dans une construction faite en conséquence.

" Parlez ensuite des raisons grammaticales, dit M. Chompré (Avert. pag. 7.), des cas, des tems, &c. selon les douze maximes fondamentales, & selon les ellipses que vous aurez employés : mais parlez de tout cela avec sobriété, pour ne pas ennuyer ni rebuter les petits auditeurs, peu capables d'une longue attention. La Logique grammaticale, quelle qu'elle soit, est toûjours difficile, au-moins pour des commençans ". Ce que je viens de dire à M. Pluche, je le dis à M. Chompré ; mais j'ajoûte que quelque difficile qu'on puisse imaginer la Logique grammaticale, c'est pourtant le seul moyen sûr que l'on puisse employer pour introduire les commençans à l'étude des langues anciennes. Il faut assûrément faire quelque fonds sur leur mémoire, & lui donner sa tâche ; tout le vocabulaire est de son ressort : mais les mener dans les routes obscures d'une langue qui leur est inconnue, sans leur donner le secours du flambeau de la Logique, ou en portant ce flambeau derriere eux, au lieu de les en faire précéder, c'est d'abord retarder volontairement & rendre incertains les progrès qu'ils peuvent y faite ; & c'est d'ailleurs faire prendre à leur esprit la malheureuse habitude d'aller sans raisonner ; c'est, pour me servir d'un tour de M. Pluche, accoutumer leur esprit à se familiariser avec la stupidité. La Logique grammaticale, j'en conviens, a des difficultés, & même très-grandes, puisqu'il y a si peu de maîtres qui paroissent l'entendre : mais d'où viennent ces difficultés, si ce n'est du peu d'application qu'on y a donné jusqu'ici, & du préjugé où l'on est, que l'étude en est seche, pénible, & peu fructueuse ? Que de bons esprits ayent le courage de se mettre au-dessus de ces préjugés, & d'approfondir les principes de cette science ; & l'on en verra disparoître la sécheresse, la peine, & l'inutilité. Encore quelques Sanctius, quelques Arnauds, & quelques du Marsais ; car les progrès de l'esprit humain ont essentiellement de la lenteur ; & j'ose répondre que ce qu'il faudra donner aux enfans de cette logique, sera clair, précis, utile, & sans difficulté. En attendant, réduisons de notre mieux les principes qui leur sont nécessaires ; nos efforts, nos erreurs mêmes, ameneront la perfection : mais il ne faut rien attendre que la barbarie, d'un abandon absolu, ou d'une routine aveugle.

Encore un mot sur cette harmonie enchanteresse, à laquelle on sacrifie la construction analytique, quoiqu'elle soit fondée sur des principes de Logique, qui ont d'autant plus de droit de me paroître sûrs, qu'ils réunissent en leur faveur l'unanimité des Grammairiens de tous les tems. M. Pluche & M. Chompré sentent-ils bien les différences harmoniques de ces trois constructions également latines, puisqu'elles sont également de Cicéron : legi tuas litteras, litteras tuas accepi, tuas accipio litteras ? S'ils démêlent ces différences & leurs causes, ils feront bien de communiquer au public leurs lumieres sur un objet si intéressant ; elles en seront d'autant mieux accueillies, qu'ils sont les seuls apparemment qui puissent lui faire ce présent ; & ils doivent s'y prêter d'autant plus volontiers, que cette théorie est le fondement de leur système d'enseignement, qui ne peut avoir de solidité que celle qu'il tire de son premier principe : encore faudra-t-il qu'ils y ajoutent la preuve que les droits de cette harmonie sont inviolables, & ne doivent pas même céder à ceux de la raison & de l'intelligence. Mais convenons plutôt que par rapport à la raison toutes les constructions sont bonnes, si elles sont claires ; que la clarté de l'énonciation est le seul objet de la Grammaire, & la seule vûe qu'il faille se proposer dans l'étude des élémens d'une langue ; que l'harmonie, l'élégance, la parure, sont des objets d'un second ordre, qui n'ont & ne doivent avoir lieu qu'après la clarté, & jamais à ses dépens ; & que l'étude de ces agrémens ne doit venir qu'après celle des élémens fondamentaux, à-moins qu'on ne veuille rendre inutiles ses efforts, en les étouffant par le concours.

Au surplus, qui empêche un maître habile, après qu'il a conduit ses éleves à l'intelligence du sens, par l'analyse & la construction grammaticale, de leur faire remarquer les beautés accessoires qui peuvent se trouver dans la construction usuelle ? Quand ils entendent le sens du texte, & qu'ils sont prévenus sur les effets pittoresques de la disposition où les mots s'y trouvent, qu'on le leur fasse relire sans dérangement ; leur oreille en sera frappée bien plus agréablement & plus utilement, parce que l'ame prêtera à l'organe sa sensibilité, & l'esprit, sa lumiere. Le petit inconvénient résulté de la construction, s'il y en a un, sera amplement compensé par ce dernier exercice ; & tous les intérêts seront conciliés.

J'espere que ceux dont j'ai osé ici contredire les assertions, me pardonneront une liberté dont ils m'ont donné l'exemple. Ce n'est point une leçon que j'ai prétendu leur donner ; quod si facerem, te erudiens, jure reprehenderer. Cic. III. de fin. Je n'ignore pas quelle est l'étendue de leurs lumieres ; mais je sais aussi quelle est l'ardeur de leur zele pour l'utilité publique. Voilà ce qui m'a encouragé à exposer en détail les titres justificatifs d'une méthode qu'ils condamnent, & d'un principe qu'ils desapprouvent : mais je ne prétens point prononcer définitivement ; je n'ai voulu que mettre les pieces sur le bureau : le public prononcera. Nos qui sequimur probabilia, nec ultrà id quod verisimile occurrerit progredi possumus, & refellere sine pertinaciâ, & refelli sine iracundiâ parati summus. Cic. Tusc. II. ij. 5. (B. E. R. M.)


INVESTIR(Art milit.) Investir une place, c'est en occuper toutes les avenues ; c'est le préliminaire d'un siége.

Investir une place, c'est l'entourer de troupes de tous côtés, comme dans le blocus ; de maniere que la ville ne puisse recevoir aucun secours, soit d'hommes ou de provisions : c'est proprement une préparation pour l'assiéger dans les formes.

L'investissement doit être fait de nuit avec de la cavalerie, afin d'empêcher qu'il ne sorte ou n'entre plus rien dans la place qu'on investit. Il faut aussi le plus promtement qu'il se peut, faire arriver l'infanterie, & mettre les troupes hors la portée du canon pendant le jour, pour qu'elles soient moins exposées au feu de la place ; mais les approcher beaucoup plus pendant la nuit.

On ne doit se montrer d'abord devant la place, que par des détachemens, qui poussant de tous côtés jusqu'aux portes de la ville, enlevent tout ce qui se trouve dehors, hommes & bestiaux. Ces détachemens doivent être soutenus par quelques escadrons qu'on fait avancer autant qu'il est nécessaire. Il est même avantageux d'essuyer quelques volées de canon pour avoir lieu d'en remarquer la portée.

Pendant que cette petite expédition se fait, on doit se saisir de toutes les avenues favorables aux secours qui pourroient se jetter dans la place. On forme pendant la nuit une espece d'enceinte autour de la place, ensorte qu'il ne reste aucun espace par où l'ennemi puisse pénétrer. En cet état on tourne le dos à la place, & on dispose de petites gardes devant & derriere pour n'être point surpris. Enfin, on fait tête à l'ennemi de quelque côté qu'il puisse se présenter, tenant toûjours la moitié de la cavalerie à cheval, pendant que l'autre met pied à terre, pour faire un peu reposer les hommes & les chevaux. Le matin on se retire peu-à-peu avec le jour, faisant souvent halte jusqu'à ce que le lever du soleil donne lieu de se retirer au quartier.

On pose des gardes ordinaires, qui font tête à la place, & d'autres plus fortes sur les côtés par où les secours pourroient arriver. Après quoi les escadrons qui ne sont pas de garde, se retirent au camp pour se reposer, sans se deshabiller, ni deseller les chevaux, qu'autant de tems qu'il est nécessaire pour les panser.

Dès le jour même que la place est investie, l'armée se met en mouvement pour arriver devant avec l'artillerie & les autres choses nécessaires au siége. Lorsque l'armée est prête d'arriver, le lieutenant général qui a fait l'investissement, va au-devant pour rendre compte au général de ce qu'il a fait, lequel, sur le rapport de cet officier, regle la derniere disposition pour le campement de l'armée autour de la place.

Le général fait le lendemain de son arrivée le tour de la place pour en finir la circonvallation, & distribuer les quartiers aux troupes & aux officiers généraux. Il regle aussi le quartier général, celui des vivres, le parc d'artillerie, &c. Ce qui étant fait, les ingénieurs tracent la circonvallation, afin que les troupes puissent marquer leur camp & demeure ; ce qui se fait en établissant le front de bandiere parallélement à la circonvallation & à la distance de 60, 80, 100, ou 120 toises au plus. Voyez CIRCONVALLATION, ATTAQUE DES PLACES du maréchal de Vauban.

INVESTIR, (Marine) se dit parmi les matelots de la Méditerranée pour échouer ou toucher sur une côte ou sur un banc de sable. (Q)


INVESTISSEMENTdans l'Art militaire, c'est l'action d'entourer une place de troupes pour se préparer à en faire le siége dans les formes. Voyez INVESTIR.


INVESTITURES. f. (Jurisprud.) du latin vestire, signifie tradition, mise en possession. Ce terme se prend quelquefois pour le droit d'investir, quelquefois pour l'action même d'investir, quelquefois enfin pour l'instrument ou acte qui fait mention de cette investiture. Il se prend aussi pour la possession même, comme on le voit en plusieurs endroits de la loi des Lombards.

En matiere féodale, le terme d'investiture se prend quelquefois pour le titre primitif de concession du fief, & plus souvent encore pour la réception en foi & hommage.

Anciennement les investitures & mises en possession ne se faisoient pas simplement de bouche, ni même par écrit ; on y ajoutoit certains signes extérieurs ou symboles, pour exprimer la translation qui se faisoit de la propriété ou possession d'une personne à une autre.

Ces symboles étoient fixés par les lois ou par l'usage, & l'on employoit à cet effet les mêmes choses chez presque toutes les nations ; on se servoit ordinairement des choses qui avoient le plus de rapport avec celle dont on vouloit faire la tradition. Ainsi pour l'investiture d'un champ, on donnoit un morceau de terre ou de gazon taillé en rond, large environ de quatre doigts ; si c'étoit un pré on y ajoutoit de l'herbe, ou plutôt on coupoit un gazon ; si c'étoit une terre, on y fichoit une branche d'arbre haute de quatre doigts, le tout pour faire entendre que ce n'étoit pas seulement le fond & le sol dont on se dépouilloit, mais que l'on cédoit aussi la superficie, c'est-à-dire tout ce qui étoit sur le fonds, comme les bâtimens, les bois, les arbres, les vignes, les plantes, moissons, &c.

L'investiture se faisoit aussi per festucam seu per baculum & virgam, c'est-à-dire par la tradition d'un petit bâton appellé festuca.

On employoit encore pour symbole de tradition un couteau ou une épée per cultellum, vel per gladium. C'étoit pour désigner la puissance que l'on transmettoit au nouveau propriétaire de changer, détruire, couper, renverser, & faire généralement dans son fond tout ce qu'il jugeroit à propos.

On se servoit enfin quelquefois encore d'autres choses en signe d'investiture, comme d'un anneau que l'on mettoit au doigt, d'une piece de monnoie, d'une pierre, & de diverses autres choses.

Les souverains donnoient l'investiture d'une province per vexillum, c'est-à-dire en remettant une banniere.

On gardoit avec soin ces signes d'investitures, & souvent on les annexoit à l'acte d'investiture, comme quand c'étoit une piece de monnoie ou de petits morceaux de bois, un couteau, &c. & afin que ces sortes de pieces symboliques ne pussent pas servir à d'autres qui s'en empareroient, on les rendoit inutiles en les coupant ou cassant par le milieu. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot investitura, où l'on trouve près de 80 manieres différentes de donner l'investiture. (A)

INVESTITURE DES FIEFS, est la concession primitive du fief ou acte d'inféodation ; c'est aussi la réception du nouveau vassal en foi & hommage, par le moyen de laquelle le vassal est saisi & investi de son fief.

L'investiture du vassal empêche le seigneur d'user du retrait féodal ; elle sert aussi à faire courir l'année du retrait lignager. Voyez le traité des fiefs de Billecoq, liv. II. chap. xvij. & aux mots FOI & HOMMAGE. (A)

INVESTITURE DES BENEFICES, est un acte par lequel on déclare & on confirme le droit résultant de la collation d'un bénéfice, faite par le collateur en faveur d'un nouveau titulaire.

Quelques auteurs confondent l'institution & la mise en possession réelle d'un bénéfice avec l'investiture, quoique ordinairement ce soient des choses différentes.

L'institution donne la propriété & le véritable droit au bénéfice, ce que l'on appelle jus in re ; par l'investiture on déclare & on confirme le droit de collation, & par la mise en possession on donne l'administration & jouissance des fruits.

L'investiture est quelquefois prise pour collation, quand celui qui investit, a en même tems le pouvoir de conférer ; elle peut aussi être prise pour la mise en possession réelle, lorsque celui qui met en possession réelle, a aussi le droit de conférer ; mais en général l'investiture est différente & de l'institution & de la mise en possession réelle, ainsi qu'on l'a d'abord expliqué.

La forme de l'investiture étoit differente selon la dignité des bénéfices ; le chanoine étoit investi par le livre, l'abbé par le bâton pastoral, & l'évêque par le bâton & l'anneau.

L'origine des investitures ecclésiastiques est la même que celle de l'investiture pour les fiefs. Sous Pepin & Charlemagne l'Eglise ayant commencé à posseder beaucoup de fiefs, dont ces princes l'avoient enrichie, tant en France qu'en Allemagne, les évêques & les abbés se trouverent engagés par-là à prêter entre les mains du prince la foi & hommage des fiefs qu'ils tenoient de lui, & d'en recevoir l'investiture par la crosse & l'anneau, sans que les princes ayent jamais prétendu, par cette cérémonie, conférer la puissance spirituelle aux évêques ni aux abbés.

On prétend que, dans un concile tenu à Rome en 774, le pape Adrien donna à Charlemagne le droit d'élire les papes, & il ordonna que tous les archevêques & évêques de ses états recevroient l'investiture de sa main, avant que d'être consacrés ; mais quoique Leon VIII. ait renouvellé cette prétendue constitution en faveur d'Othon I. elle est visiblement supposée, parce que ni Eginard qui a fait la vie de Charlemagne, ni aucun autre auteur contemporain n'ont parlé de cette concession.

Quoi qu'il en soit de ce decret, il est certain que nos rois & les empereurs donnoient l'investiture des évêchés, abbayes, par la crosse & l'anneau. Les rois d'Angleterre jouissoient aussi de ce droit.

Ce fut en 1078 que commença la fameuse querelle des investitures pour les évêchés & abbayes ; un concile de Rome défendit à tout clerc de les recevoir de la main d'un prince, ou de tout autre laïc.

Grégoire VII. fut le premier qui défendit les investitures ; il fut suivi par Victor III & Urbain II ; ce dernier alla même jusqu'à défendre le serment de fidélité des évêques.

Henri IVe du nom étoit alors empereur, & soutenoit les investitures ; Grégoire VII appelloit cela les hérésies henriciennes.

Cette question excita beaucoup de troubles, surtout en Allemagne & en Angleterre ; Henri IV. fut excommunié par trois papes successivement ; cela produisit plusieurs schismes & des guerres continuelles ; pendant cinquante-six ans que dura ce démêlé fameux sous six papes différens, il y eut à cette occasion soixante batailles sous Henri IV. & soixante-huit autres sous Henri V. son successeur ; il y périt plus de deux millions d'hommes. Caliste II engagea Henri V. à renoncer aux investitures, ce qu'il fit en 1122.

Lothaire le Saxon entreprit en 1132 de les faire revivre, mais S. Bernard l'en dissuada.

Au commencement de cette querelle, ce ne fut pas seulement la cérémonie extérieure du bâton & de l'anneau, qui excita de la difficulté ; on attaqua toutes les investitures des bénéfices en général, de quelque maniere qu'elles fussent faites par les laïcs. M. de Voltaire, en son histoire universelle, dit qu'il fut décidé dans un concile à Rome, que les rois ne donneroient plus aux bénéficiers canoniquement élus, les investitures par un bâton recourbé, mais par une baguette. Il paroît rapporter ce concile à l'année 1120 ; on ne voit point cependant qu'il y en ait eu à Rome cette année. Ce fut dans une assemblée tenue à Vorms en 1122, que se fit l'accommodement ; l'empereur renonça à donner les investitures par la crosse & l'anneau, & le pape lui permit d'accorder l'investiture des regales, c'est-à-dire, des biens temporels par le sceptre.

A l'égard de la France, nos rois n'eurent presque aucuns démêlés avec les papes touchant les investitures ; ils en ont joui paisiblement même sous Grégoire VII. qui craignit de s'attirer trop d'ennemis à la fois, s'il se brouilloit avec la France pour ce sujet ; sous les papes suivans ils se départirent de l'investiture par le bâton pastoral & l'anneau, & se contenterent de la donner par écrit ou de vive voix ; au moyen de quoi les successeurs de Gregoire VII. qui paroissoient ne s'attacher qu'à cette cérémonie extérieure, ont laissé nos rois jouir paisiblement du serment de fidélité, qui a succédé aux investitures, & des droits de joyeux-avenement & de regale.

Par le concordat passé entre Leon X & François I, le roi est maintenu dans le droit de nommer aux évêchés, abbayes & autres bénéfices de nomination royale.

Voyez le gloss. de Ducange au mot INVESTITURE, où il rapporte plusieurs manieres différentes de donner l'investiture ecclésiastique, per librum, per capellum, per candelabrum, per grana incessi, & autres semblables.

Voyez Covarruvias, Cujas, Guymier, l'histoire de l'origine des dixmes, le traité de la capacité des ecclésiastiques de Duperray. (A)


INVETÉRÉadj. (Gramm.) qui subsiste depuis long-tems ; il ne se prend guere qu'en mauvaise part ; il vient du latin vetus, vieux. On dit un mal invétéré, un abus invétéré. Rien de si difficile à déraciner que les choses invétérées, tant au physique, qu'au moral, & qu'au politique.


INVINCIBLEadj. (Gramm.) qu'on ne peut renverser, détruire, vaincre. On dit un homme invincible, un raisonnement invincible, une preuve invincible. Un des philosophes que les Athéniens envoyerent à Rome, prouva un jour la distinction absolue du juste & de l'injuste par des raisons qui parurent invincibles ; le lendemain il prouva le contraire par des raisons opposées, que Cicéron compare à des bêtes féroces qu'il ne se promet pas de détruire, de vaincre, mais qu'il seroit trop heureux pour la consolation des gens de bien, & pour le bonheur de la république, d'appaiser, d'adoucir, de calmer. Placare, dit cet homme dont l'éloquence a passé en proverbe. Qu'étoit-ce donc que ces argumens qui effrayoient Cicéron même ?


INVIOLABLEadj. (Gramm.) qui ne sera point violé, ou qui ne le doit point être. La liberté de conscience est un privilege inviolable. La loi du serment est sacrée, ou est inviolable pour tout homme de bien.


INVISIBLEadj. (Gramm.) qui échappe à la vûe, ou par sa nature, ou par la petitesse de ses parties, ou par sa distance ; les substances spirituelles sont invisibles ; les particules de l'air sont invisibles ; les corps nous deviennent invisibles à force de s'éloigner. Si une chose n'a point été sensible, on n'en a nulle idée représentative. Une question difficile à résoudre, c'est si les aveugles ont des idées représentatives, & où ils les ont, & comment ils les ont. Il semble que l'idée représentative d'un objet entraîne l'idée de limite ; & celle de limite, l'idée de couleur. L'aveugle voit-il les objets dans sa tête ou au bout de ses doigts ?

INVISIBLES, s. m. pl. (Théolog.) est le nom qu'on donne à quelques rigides confessionistes, & aux sectateurs d'Osiander, de Flactius-Illyricus & de Swerkfeld, qui croyoient qu'il n'y a point d'Eglise visible. Les freres de la Roze-Croix ont été aussi appellés invisibles. Prateole, invisib. Florimont de Raimond, liv. II. chap. xvj. &c. Voyez CONFESSIONISTES. (H)


INVITATEURS. m. (Gram. Hist. anc.) domestique chez les Romains, dont la fonction étoit d'inviter les conviés aux repas qu'on donnoit. On l'appelloit aussi vocator. L'invitateur étoit communément un affranchi.


INVITATOIRES. m. (Liturg.) verset que l'on chante ou récite à matines avant le venite exultemus, & à la fin de ce pseaume ; il change suivant la qualité des jours & des fêtes. Il n'y a point d'invitatoire le jour de l'Epiphanie, ni les trois derniers jours de la semaine sainte.


INVOCATI(Hist. litt.) nom d'une société littéraire, établie à Sienne en Italie, qui a pris pour devise une enclume, sur laquelle est posé un fer rouge & un marteau, avec l'inscription in quascumque formas.


INVOCATIONS. f. (Théolog.) action par laquelle on adore Dieu, & on l'appelle à son secours. Voyez PRIERE, ADORATION, &c.

Les catholiques romains invoquent les saints, les priant d'interceder pour eux auprès de Dieu. L'invocation des saints est un des plus grands sujets des disputes entre les Catholiques & les Réformés. Voyez SAINT.

INVOCATION, en terme de Poësie, est une priere que le poëte adresse, en commençant son ouvrage, à quelque divinité, sur-tout à sa muse pour en être inspiré. Voyez MUSES.

L'invocation est absolument nécessaire dans un poëme épique, à cause que le poëte dit des choses qu'il ne sauroit pas, si quelque divinité ne les lui avoit inspirées. D'ailleurs il doit à ses lecteurs cet exemple d'une piété & d'une vénération, qui est le fondement de toute la morale & des instructions qu'il prétend leur donner dans sa fable ; & puisqu'enfin les divinités doivent être de la partie, il n'est pas raisonnable qu'il ose les faire agir, sans leur en avoir demandé la permission. Voyez EPIQUE.

L'auteur s'adresse souvent aux dieux dans le cours d'un poëme épique ; sur-tout lorsqu'il veut raconter quelque chose de miraculeux, comme lorsque Virgile décrit la métamorphose des navires d'Enée en nymphes ; mais la principale invocation est celle du commencement.

Le pere le Bossu considere deux choses dans l'invocation ; la premiere est ce que le poëte demande ; & la seconde, quelle est la divinité à qui il s'adresse. Quant à la premiere, Homere a si bien joint la proposition avec l'invocation dans l'Iliade, qu'il invoque sa muse pour tout ce qu'il propose sans réserve ; Virgile au contraire ne prie sa muse que de lui fournir une partie de son sujet, & même il détermine précisément celle qu'il desire : après avoir assez exactement proposé toute sa matiere, il s'adresse à sa muse, & il la prie de lui en apprendre les causes. Voyez PROPOSITION.

Quant à la divinité qu'il invoque, le même auteur observe que ce doit toujours être celle qui préside au sujet qu'il traite, ou celle qui préside à la poësie en général. Ovide, dans ses métamorphoses, fait la premiere sorte d'invocation ; Lucrece en agit de même dans son poëme ; celles d'Homere & de Virgile sont de la premiere espece ; ils n'invoquent que les muses, & distinguent par là les divinités qui président à la poësie, d'avec celles qui président aux actions des poëmes, & qui en sont les personnages.

Au reste, il ne faut pas s'imaginer que ces divinités invoquées soient considérées par les poëtes mêmes, comme des personnes divines, dont ils attendent un véritable secours. Sous ce nom de muses, ils souhaitent le génie de la poësie, & toutes les conditions & les circonstances nécessaires pour exécuter leur entreprise. Ce sont des allégories & des manieres de s'exprimer poétiquement, comme quand on fait des dieux du sommeil, du calme, de la renommée, de la terreur, & de semblables descriptions des choses naturelles ou morales ; aussi les muses sont-elles de tous les âges, de tous les pays & de toutes les religions ; il y en a de payennes, de chrétiennes, de grecques, de latines, de françoises, &c. Voyez MUSES.


INVOLONTAIREadj. (Gram.) ce à quoi la volonté n'a point eu de part ; ce qui n'a point été ou n'est pas voulu, consenti. Il paroît à celui qui examinera les actions humaines de près, que toute la différence des volontaires & des involontaires consiste à avoir été, ou n'avoir pas été réfléchies. Je marche, & sous mes piés il se rencontre des insectes que j'écrase involontairement. Je marche, & je vois un serpent endormi ; je lui appuie mon talon sur la tête, & je l'écrase volontairement. Ma réflexion est la seule chose qui distingue ces deux mouvemens, & ma réflexion considérée relativement à tous les instans de ma durée, & à ce que je suis dans le moment où j'agis, est absolument indépendante de moi. J'écrase le serpent de réflexion ; de réflexion Cléopâtre le prend & s'en pique le sein. C'est l'amour de la vie qui m'entraîne ; c'est la haine de la vie qui entraîne Cléopâtre. Ce sont deux poids qui agissent en sens contraires sur les bras de la balance, qui oscillent & se fixent nécessairement. Selon le côté ou le point où ils s'arrêtent, l'homme est bienfaisant ou malfaisant, heureusement ou malheureusement né, exterminable ou digne de récompense selon les lois.


IOLS. m. (Comm.) nom d'une espece de petits vaisseaux légers, dont les Russes & les Danois se servent pour naviger.


IOLÉESS. f. pl. (Littér.) c'est le nom des fêtes ou des jeux que les Athéniens consacrerent à Iolas, fils d'Iphiclus, neveu d'Hercule & compagnon de ses travaux. La ville d'Athènes éleva des monumens à ce héros, lui dressa un autel, & institua les Iolées en son honneur. (D.J.)


IOLITE(Hist. nat.) en latin iolithus ou lapis violaris. C'est le nom que quelques naturalistes ont donné à une pierre qui a l'odeur de la violette. Voyez VIOLETTE (pierre de).


ION(Hist. nat. Lithologie) Pline dit que c'étoit une pierre d'une couleur violette, claire & rarement foncée, qui se trouvoit dans les Indes.


IONIDESS. f. plur. (Mythologie) nymphes qui étoient adorées près d'Héraclée en Epire. Elles avoient un temple sur le bord d'une fontaine qui se jettoit dans le Cytherus.


IONIES. f. (Géog. anc.) partie du Péloponese où les Ioniens s'établirent sous le nom de Pélasges Aegialiéens ; ils furent nommés Ioniens d'Ion fils de Xuthus. L'Ionie étoit une partie de la presqu'isle que nous appellons présentement la Morée. Les Ioniens passoient pour les peuples les plus voluptueux de l'Asie ; leur musique, leurs danses & leur poésie se sentoient de leur mollesse ; leurs vers étoient d'une cadence aussi agréable, que la composition en est difficile.

La Ionie proprement dite, étoit une contrée de l'Asie mineure, sur la côte occidentale. Strabon lui assigne les douze villes suivantes, Milet, Ephese, Erythres, Clazomene, Priene, Lébede, Théon, Colophone, Myus & Phocée en terre ferme ; Samos & Chio, capitales des isles de même nom ; Milet au midi, & Phocée au nord, étoient les dernieres villes de l'Ionie.

L'Ionie reçut de fort bonne heure les lumieres de l'Evangile, & même dès le tems des Apôtres ; elle eut des villes épiscopales, entre lesquelles Ephese semble avoir tenu le premier rang. (D.J.)


IONIENadj. (Littérat.) Il se dit d'un pié composé qui entroit dans la versification. Il y avoit le grand & le petit ionien ; le grand ionien étoit composé d'un spondée & d'un pyrrhique (voyez SPONDEE & PYRRHIQUE) : & le petit d'un pyrrhique & d'un spondée.

IONIEN, est (en Musique) le nom de l'un des quinze modes des Grecs. Aristoxene & Alypius l'appellent aussi iastien. Voyez MODE. (S)


IONIENNEMER (Géog. anc.) Ionius udo, dans Horace ; mer qui lave les côtes d'Ionie dans l'Asie mineure. Elle avoit au nord la mer Iapigienne, à l'est la mer de Crete, au sud la mer Syrtes, & à l'ouest la mer de Sicile. Io fille d'Inaque, fameuse par sa métamorphose & ses erreurs, laissa son nom à ce pays & à la mer qui l'environne. Ce fut de-là que partirent ces Ioniens qui allerent s'établir sur les côtes occidentales de l'Asie mineure, dans cette contrée qui prit depuis le nom d'Ionie. Le caprice de quelques Géographes modernes a voulu que l'on donnât très-improprement le nom de mer Ionienne à cette partie de la Méditerranée qui est entre la Gria, la Sicile & la Calabre : mais nos Navigateurs n'ont point adopté ce mot ; ils partagent cette mer, & disent, la mer de Grece, la mer de Sicile, la mer de Calabre, &c. (D.J.)


IONIQUESecte. (Histoire de la Philosophie) L'histoire de la philosophie des Grecs se divise en fabuleuse, politique & sectaire ; & la sectaire en Ionique & en Pythagorique. Thalès est à la tête de la secte Ionique, & c'est de son école que sont sortis les Philosophes Ioniens, Socrate avec la foule de ses disciples, les Académiciens, les Cyrénaïques, les Eristiques, les Péripatéticiens, les Cyniques & les Stoïciens. On l'appelle secte Ionique de la patrie de son fondateur Milet en Ionie. Pythagore fonda la secte appellée de son nom la Pythagorique, & celle-ci donna naissance à l'Eléatique, à l'Héraclitique, à l'Epicurienne & à la Pyrrhonienne. Voyez à l'article GRECS, PHILOSOPHIE DES GRECS ; & l'histoire de chacune de ses sectes, à leurs noms.

Thalès naquit à Milet, d'Examias & de Cléobuline, de la famille des Thalides, une des plus distinguées de la Phoenicie, la premiere année de la trente-cinquieme olympiade. L'état de ses parens, les soins qu'on prit de son éducation, ses talens, l'élévation de son ame, & une infinité de circonstances heureuses le porterent à l'administration des affaires publiques. Cependant sa vie fut d'abord privée ; il passa quelque tems sous Thrasibule, homme d'un génie peu commun, & d'une expérience consommée. Il y en a qui le marient ; d'autres le retiennent dans le célibat, & lui donnent pour héritier le fils de sa soeur, & la vraisemblance est pour ces derniers. Quand on lui demandoit pourquoi il refusoit à la nature le tribut que tout homme lui doit, en se remplaçant dans l'espece par un certain nombre d'enfans : je ne veux point avoir d'enfans, répondoit-il, parce que je les aime ; les soins qu'ils exigent, les évenemens auxquels ils sont exposés, rendent la vie trop pénible & trop agitée. Le législateur Solon, qui regardoit la propagation de l'espece d'un oeil politique, n'approuvoit pas cette façon de penser, & Thalès qui ne l'ignoroit pas, se proposa d'amener Solon à son sentiment par un moyen aussi ingénieux que cruel. Un jour il envoye à Solon un messager lui porter la nouvelle de la mort de son fils, ce pere tendre en est aussi-tôt plongé dans la douleur la plus profonde : alors Thalès vient à lui, & lui dit en l'abordant d'un air riant, eh bien, trouvez-vous encore qu'il soit fort doux d'avoir des enfans ? La tyrannie n'eut point d'ennemis plus déclarés. Il crut que les conseils d'un particulier auroient plus de poids dans la société que les ordres d'un magistrat, & il n'imita point les sept Sages qui l'avoient précédé, & qui tous avoient été à la tête du gouvernement. Mais son goût pour la Philosophie naturelle & l'étude des Mathématiques, l'arracha de bonne heure aux affaires. Le desir de s'instruire de la Religion & de ses mysteres le fit passer en Crete ; il espéroit démêler dans le culte & la théogonie de ces peuples ce que les tems les plus reculés avoient pensé de la naissance du monde & de ses révolutions. De la Crete il alla en Asie. Il vit les Phéniciens, si célebres alors par leurs connoissances astronomiques. Il voulut dans sa vieillesse converser avec les prêtres de l'Egypte. Il apprit à ceux qu'il alloit interroger, à mesurer la hauteur de leurs pyramides, par son ombre & par celle d'un bâton. Qu'étoit-ce donc que ces Géometres Egyptiens ? De retour de ses voyages, les grands que la curiosité & l'amour-propre appellent toujours autour des Philosophes, rechercherent son intimité ; mais il préféra l'étude, la retraite & le repos à tous les avantages de leur commerce. C'est de lui dont il est question dans la vieille & ridicule fable de cet astronome qui regarde aux astres, & qui n'apperçoit pas une fosse qui est à ses piés. Bien ou mal imaginée, il falloit en étendre la moralité en l'appliquant aux grandes vûes de l'homme & à la courte durée de sa vie ; il projette dans l'avenir, & il a un tombeau ouvert à côté de lui. Thalès atteignit l'âge de quatre-vingt-dix ans. S'étant imprudemment engagé dans la foule que les jeux olympiques attiroient, il y périt de chaleur & de soif. On raconte de lui que, pour montrer à ses concitoyens combien il étoit facile au philosophe de s'enrichir, il acheta tout le produit des oliviers de Milet & de Chio, sur la connoissance que l'Astronomie lui avoit donnée d'une récolte abondante. Il ne fut pas seulement philosophe, il fut aussi poëte. Les uns lui attribuent un Traité de la nature des choses, un autre de l'Astronomie nautique & des points tropiques & équinoxiaux. Mais ceux qui assurent que Thalès n'a rien laissé, paroissent avoir raison. Il ne faut pas confondre le philosophe de Milet avec le législateur & le poëte de la Crete. Il eut pour disciple Anaximandre.

Il y a plusieurs circonstances qui rendent l'histoire de la secte Ionienne difficile à suivre. Peu d'écrits & de disciples ; le mystere, la crainte du ridicule, le mépris du peuple, l'effroi de la superstition, la double doctrine, la vanité qui laisse les autres dans l'ignorance, le goût général pour la Morale, l'éloignement des esprits de l'étude des Sciences naturelles, l'autorité de Socrate qui les avoit abandonnées, l'inexactitude de Platon qui ramenant tout à ses idées, corrompoit tout ; la briéveté & l'infidélité d'Aristote qui mutile, altere & tronque ce qu'il touche ; les révolutions des tems qui défigurent les opinions, & ne les laissent jamais passer intactes aux bons esprit qui auroient pu les exposer nettement, s'ils avoient paru plus tôt ; la fureur de dépouiller les contemporains, qui recule autant qu'elle peut l'origine des découvertes ; que sais-je encore ? & après cela quel fonds pouvons-nous faire sur ce que nous allons exposer de la doctrine de Thalès ?

De la naissance des choses. L'eau est le principe de tout : tout en vient & tout s'y résout.

Il n'y a qu'un monde ; il est l'ouvrage d'un Dieu : donc il est très-parfait.

Dieu est l'ame du monde.

Le monde est dans le lieu, la chose la plus vaste qui soit.

Il n'y a point de vuide.

Tout est en vicissitude, & l'état des choses est momentané.

La matiere se divise sans-cesse ; mais cette division a sa limite.

La nuit exista la premiere.

Le mélange naît de la composition des élémens.

Les étoiles sont d'une nature terrestre, mais enflammée.

La lune est éclairée par le soleil.

C'est l'interposition de la lune qui nous éclipse le soleil.

Il n'y a qu'une terre ; elle est au centre du monde.

Ce sont des vents étésiens qui soufflant contre le cours du Nil, le retardent, & causent ses inondations.

Des choses spirituelles. Il y a un premier Dieu, le plus ancien ; il n'a point eu de commencement, il n'aura point de fin.

Ce Dieu est incompréhensible. Rien ne lui est caché ; il voit au fond de nos coeurs.

Il y a des démons ou génies & des héros.

Les héros sont nos ames séparées de nos corps. Ils sont bons, si les ames ont été bonnes ; méchans, si elles ont été mauvaises.

L'ame humaine se meut toujours & d'elle-même.

Les choses inanimées ne sont pas sans sentiment ni sans ame.

L'ame est immortelle.

C'est la nécessité qui gouverne tout.

La nécessité est la puissance immuable & la volonté constante de la Providence.

Géométrie de Thalès. Elle se réduit à quelques propositions élémentaires sur les lignes, les angles & les triangles ; son astronomie à quelques observations sur le lever & le coucher des étoiles, & autres phénomenes.

Mais il faut observer à l'honneur de ce philosophe que la Philosophie naturelle étoit alors au berceau, & qu'elle a sait ses premiers pas avec lui.

Quant aux axiomes de sa morale, voici ce que Démétrius de Phalere nous en a transmis. Il faut se rappeller son ami, quand il est absent. C'est l'ame & non le corps qu'il faut soigner. Avoir pour ses peres les égards qu'on exige de ses enfans. L'intempérance en tout est nuisible. L'ignorant est insupportable. Apprendre aux autres ce qu'on sait de mieux. Il y a un milieu à tout. Ne pas accorder sa confiance sans choix.

Interrogé sur l'art de bien vivre, il répondit : ne faites point ce que vous blâmeriez en un autre. Vous serez heureux, si vous êtes sain, riche & bien né. Il est difficile de se connoître, mais cela est essentiel. Sans cela, comment conformer sa conduite aux lois de la nature ?

Anaximandre marcha sur les traces de Thalès. Il naquit à Milet dans la quarante-deuxieme olympiade. Il passa toute sa vie dans l'école. Le tems de sa mort est incertain. On prétend qu'il n'a vécu que 74 ans.

Il passe pour avoir porté les Mathématiques fort au-delà du point où Thalès les avoit laissées. Il mesura le diametre de la terre & le tour de la mer. Il inventa le gnomon. Il fixa les points des équinoxes & des solstices. Il construisit une sphere. Il eut aussi sa physiologie.

Selon lui, le principe des choses étoit infini, non en nombre, mais en grandeur ; immuable dans le tout, variable dans les parties ; tout en émanoit, tout s'y resolvoit.

Le ciel est un composé de froid & de chaud.

Il y a une infinité de mondes qui naissent, périssent, & rentrent dans l'infini.

Les étoiles sont des receptacles de feu qu'elles aspirent & exspirent : elles sont rondes ; elles sont entraînées dans leur mouvement par celui des spheres.

Les astres sont des dieux.

Le soleil est au lieu le plus haut, la lune plus bas ; après la lune, les étoiles fixes & les étoiles errantes.

L'orbe du soleil est vingt-huit fois plus grand que celui de la terre ; il répand le feu dans l'univers, comme la poussiere seroit dispersée de dessus une roue creuse & trouée, emportée sur elle-même avec vîtesse.

L'orbe de la lune est à celui de la terre comme 1 à 19.

Il attribue les éclipses à l'obstruction des orifices des trous par lesquels la lumiere s'échappe.

Le vent est un mouvement de l'air ; les éclairs & le tonnerre, des effets de sa compression dans une nue, & de la rupture de la nue.

La terre est au centre ; elle est ronde ; rien ne la soutient ; elle y reste par sa distance égale de tous les corps.

Cosmogonie d'Anaximandre. L'infini a produit des orbes & des mondes : la révolution perpétuelle est la cause de la génération & de la destruction ; la terre est un cylindre dont la hauteur n'est que le tiers du diametre : un atmosphere de parties froides & chaudes, forma autour de la terre une enveloppe qui la féconda. Cette enveloppe s'étant rompue, ses pieces formerent le soleil, la lune, les étoiles, & la lumiere.

Quant aux animaux, il les tire tous de l'eau, d'abord hérissés d'épines, puis sechés, puis morts : il fait naître l'homme dans le corps des poissons.

Anaximene, disciple d'Anaximandre, & son compatriote, naquit entre la 55e & la 58e olympiade : il suivit les opinions de son maître, y ajoutant & y changeant ce qu'il jugea à propos.

Celui-ci veut que l'air soit le principe & la fin de tous les êtres ; il est éternel & toûjours mû ; c'est un dieu ; il est infini. Il y a d'autres dieux subalternes, tous également enfans de l'air : une grande portion de cet élément échappe à nos yeux ; mais elle se manifeste par le froid & le chaud, l'humidité & le mouvement ; elle se condense & se raréfie ; elle ne garde jamais une même forme.

L'air dissous, au dernier degré, c'est du feu ; à un degré moyen, c'est l'atmosphere ; à un moindre encore, c'est l'eau ; plus condensé, c'est la terre ; plus dense, les pierres, &c.

Le froid & le chaud sont les causes opposées de la génération, les instrumens de la destruction.

La surface extérieure du ciel est terrestre.

La terre est une grande surface plane, soutenue sur l'air ; il en est ainsi de la lune, du soleil, & de tous les astres.

La terre a donné l'existence aux astres par ses vapeurs qui se sont enflammées en s'atténuant.

Les vapeurs atténuées, enflammées, & portées à des distances plus grandes, ont formé les astres.

Les astres tournent autour de la terre, mais ne s'abaissent point au-dessous : si nous cessons de voir le soleil, c'est qu'il est caché par des régions élevées, ou porté à de trop grandes distances.

C'est un air condensé qui meut les plantes, & qui les retient.

Le soleil est une plaque ardente.

Les éclipses se font dans son système, comme dans celui d'Anaximandre.

Il ne nous reste de sa morale que quelques sentences décousues, sur la vieillesse, sur la volupté, sur l'étude, sur la richesse, & sur la pauvreté, qui toutes paroissent tirées de sa propre expérience. Il se maria, il étoit pauvre ; il eut des enfans, il fut plus pauvre encore ; il devint vieux, & connut tout ce que la misere, cette maîtresse cruelle, a coutume d'apprendre aux hommes.

Anaxagoras étudia sous Anaximene ; il naquit à Clazomene, dans la 70e olympiade. Eubule son pere est connu par ses richesses & plus encore par son avarice. Son fils en fit peu de cas ; il négligea la fortune que son pere lui avoit laissée, voyagea, & regardant à son retour d'un oeil assez froid le desastre que son absence avoit introduit dans ses terres, il disoit, non essem ego salvus, nisi istae perissent. Il n'ambitionna aucune des dignités auxquelles sa naissance l'avoit destiné ; & il répondit à quelqu'un qui lui reprochoit que sa patrie ne lui étoit de rien ; ma patrie, en montrant le ciel de la main, elle m'est tout : il vint à Athènes à l'âge de vingt ans. Il n'y avoit point encore, à proprement parler, d'écoles de Philosophie. A peine eut-il connu Anaximene, qu'il s'écria dans l'enthousiasme, je sens que je suis né pour regarder la lune, le ciel, le soleil, & les astres. Ses succès ne furent point au-dessous de ses espérances ; il alla dans sa patrie interroger Hermotime ; il étoit venu la premiere fois à Athènes pour apprendre, il y reparut pour enseigner ; il eut pour auditeurs Périclès, Euripide le Tragique, Socrate même, Thémistocle.

Mais l'envie ne lui accorda pas long-tems du repos ; il fut accusé d'impiété, pour avoir dit que le soleil n'étoit qu'une lame ardente ; mis en prison, & prêt à être condamné, l'éloquence & l'autorité de Périclès le sauverent de la fureur des prêtres. Le mot qu'il dit dans ces circonstances fâcheuses, marque la fermeté de son ame. Comme on lui annonçoit qu'il seroit condamné à mort lui & ses enfans, il répondit : il y a long-tems que la nature a prononcé cette sentence contr'eux & contre moi ; je n'ignorois pas que je suis mortel, & que mes enfans sont nés de moi.

Il sortit d'Athènes après un séjour de trente ans ; il s'en alla à Lampsaque passer ce qui lui restoit de jours à vivre ; il se laissa mourir de faim.

Philosophie d'Anaxagoras. Il ne se fait rien de rien.

Dans le commencement tout étoit, mais en confusion & sans mouvement.

Il n'y a qu'un principe de tout, mais divisé en parties infinies, similaires, contiguës, opposées, se touchant, se soutenant les unes hors des autres. Voyez HOMOIOMERIE.

Les parties similaires de la matiere étant sans mouvement & sans vie, il y a eu de toute éternité un principe infini, intelligent, incorporel, hors de la masse, mû de lui-même, & la cause du mouvement dans le reste.

Il a tout fait avec les parties similaires de la matiere, unissant les homogenes aux homogenes.

Les contrées supérieures du monde sont pleines de feu, ou d'un air très-subtil, mû d'un mouvement très-rapide, & d'une nature divine.

Il a enlevé des masses arrachées de la terre, & les a entraînées dans sa révolution rapide là où elles forment des étoiles.

C'est cet art qui entretient leurs révolutions d'un pole à l'autre ; le soleil ajoute encore à sa force par son action & sa compression.

Le soleil est une masse ardente plus grande que le Péloponese, dont le mouvement n'a pas d'autre cause que celui des étoiles.

La lune & le soleil sont placés au-dessous des astres ; c'est la grande distance qui nous empêche de sentir la chaleur des astres.

La lune est un corps opaque que le soleil éclaire ; elle est semblable à la terre ; elle a ses montagnes, ses vallées, ses eaux, & peut-être ses habitans.

La voie lactée est un effet de la lumiere réfléchie du soleil, qui se fait appercevoir par l'absence de tout astre.

Les cometes sont des astres errans qui paroissent plusieurs ensemble, par un concours fortuit qui les a réunis ; leur lumiere est un effet commun de leur union.

Le soleil, la lune & les autres astres, ne sont ni des intelligences divines, ni des êtres qu'il faille adorer.

La terre est plane ; la mer formée de vapeurs raréfiées par le soleil, se soutient à sa surface.

La sphere du monde a d'abord été droite ; elle s'est ensuite inclinée.

Il n'y a point de vuide.

Les animaux formés par la chaleur & l'humidité, sont sortis de la terre, mâles & femelles.

L'ame est le principe du mouvement, elle est aérienne.

Le sommeil est une affection du corps & non de l'ame.

La mort est une dissolution égale du corps & de l'ame.

L'action du soleil raréfiant ou atténuant l'air, cause les vents.

Le mouvement rapide de la terre empêchant la libre sortie des vents renfermés dans les cavités de la terre, en excite les tremblemens.

Si une nue est opposée au soleil comme un miroir, & que sa lumiere la rencontre & s'y fixe, l'arc-en-ciel sera produit.

Si la terre sépare la lune du soleil, la lune sera éclipsée ; la même chose arrivera au soleil, si la lune se trouve entre la terre & cet astre.

Je n'entens rien à son explication des solstices, ni aux retours fréquens de la lune ; il employe à l'explication de l'un de ces phénomenes le mouvement ou plutôt l'éloignement de la lune & du soleil, & à l'autre le défaut de chaleur.

Si le chaud s'approche des nues qui sont froides, cette rencontre occasionnera des tonnerres & des éclairs ; la foudre est une condensation du feu.

Diogene l'Apolloniate fut disciple d'Anaximene, & condisciple d'Anaxagore. Celui-ci fut orateur & philosophe ; ses principes sont fort analogues à ceux de son maître.

Rien ne se fait de rien ; rien ne se corrompt, ou il n'est pas ; l'air est le principe de tout ; une intelligence divine le meut & l'anime ; il est toûjours en action ; il forme des mondes à l'infini, en se condensant ; la terre est une sphere allongée ; elle est au centre ; c'est le froid environnant qui fait sa consistance ; c'est le froid qui a fait sa solidité premiere ; la sphere étoit droite, elle s'inclina après la formation des animaux ; les étoiles sont des exhalaisons du monde ; l'ame est dans le coeur ; le son est un retentissement de l'air contenu dans la tête, & frappé ; les animaux naissent chauds, mais inanimés ; la brute a quelque portion d'air & de raison ; mais cet air est embarrassé d'humeur ; cette raison est bornée ; ils sont dans l'état des imbécilles ; si le sang & l'air se portent vers les régions gastriques, le sommeil naît ; la mort, si le sang & l'air s'échappent.

Archélaüs de Milet succéda à Anaxagoras ; l'étude de la Physique cessa dans Athènes après celui-ci ; la superstition la rendit périlleuse, & la doctrine de Socrate la rendit méprisable : Archélaüs commença à disputer des lois, de l'honnête, & du juste.

Selon lui, l'air & l'infini sont les deux principes des choses ; & la séparation du froid & du chaud, la cause du mouvement ; le chaud est en action, le froid en repos ; le froid liquéfié forme l'eau ; resserré par le chaud, il forme la terre ; le chaud s'éleve, la terre demeure ; les astres sont des terres brûlées ; le soleil est le plus grand des corps célestes : après le soleil, c'est la lune ; la grandeur des autres est variable ; le ciel étendu sur la terre, l'éclaire & la seche ; la terre étoit d'abord marécageuse ; elle est ronde à la surface, & creuse au centre ; ronde, puisque le soleil ne se leve pas & ne se couche pas en un même instant pour toutes ses contrées ; la chaleur & le limon ont produit tous les animaux, sans en excepter l'homme ; ils sont également animés ; les tremblemens de la terre ont pour causes des vents qui se portent dans ses cavités qui en sont déja pleines ; la voix n'est qu'un air frappé ; il n'y a rien de juste ni d'injuste, de décent, ni d'indécent en soi ; c'est la loi qui fait cette distinction.

Voilà tout ce que l'antiquité nous a transmis de la secte ionique qui s'éteignit à Socrate, pour ne renaître qu'à Guillelmet de Bérigard, qui naquit à Moulins en 1598.

Bérigard étudia d'abord les lettres grecques & latines, & ne négligea pas les Mathématiques ; il avoit fait un assez long séjour à Paris, lorsqu'il fut appellé à Pise. Il s'attacha à Catherine de Lorraine, femme du grand duc de Toscane, en qualité de medecin ; ce qui prouve qu'il avoit apparemment tourné son application du côté de l'art de guérir ; Catherine lui procura la protection des Médicis ; il professa les Mathématiques & la Botanique ; les Vénitiens lui proposerent une chaire à Padoue qu'il accepta, & qu'il garda jusqu'à sa mort, qui arriva en 1663 ; son ouvrage intitulé Cursus Pisani, n'est ni sans réputation, ni sans mérite ; il commença à philosopher dans un tems où le Péripatétisme ébranlé perdoit un peu de son crédit, en dépit des decrets des facultés attachées à leur vieille idole. Quoiqu'il vécût dans un pays où l'on ne peut être trop circonspect, & qu'il eût sous ses yeux l'exemple de Galilée, jetté dans des prisons pour avoir démontré le mouvement de la terre & l'immobilité du soleil, il osa avancer qu'on devoit aussi peu d'égards à ce que les Théologiens pensoient dans les sciences naturelles, que les Théologiens à ce que les Philosophes avoient avancé dans les sciences divines. Quel progrès sous cet homme rare la science n'auroit-elle pas fait, s'il eût été abandonné à toute la force de son génie ? mais il avoit des préjugés populaires à respecter, des protecteurs à ménager, des ennemis à craindre, des envieux à appaiser, des sentences de philosophie accréditées à attaquer sourdement, des fanatiques à tromper, des intolérans à surprendre ; en un mot, tous les obstacles qu'il est possible d'imaginer à surmonter. Il en vint à bout ; il renversa Aristote, en exposant toute l'impiété de sa doctrine ; il le combattit en dévoilant les conséquences dangereuses où ses principes avoient entraîné Campanella, & une infinité d'autres. Il hasarda à cette occasion quelques idées sur une meilleure maniere de philosopher ; il ressuscita peu-à-peu l'Ionisme.

Malgré toutes ses précautions, il n'échappa pas à la calomnie ; il fut accusé d'irréligion & même d'athéïsme ; mais heureusement il n'étoit plus. Nous avouerons toutefois que ses ouvrages en dialogues où il s'est personnifié sous le nom d'Aristée, demandent un lecteur instruit & circonspect.

IONIQUE TRANSMIGRATION, la transmigration ionique étoit autrefois une époque célebre ; c'est la retraite des colonies athéniennes, qui après la mort de Codrus, s'en allerent sous la conduite de Nelée son fils, fonder les douze villes de l'Ionie en Asie. Voyez EPOQUE. Ces colonies s'établirent, selon Eratosthene, 50 ans après le retour des Héraclides ; &, selon le chevalier Marsham, 77 ans après la prise de Troie.

La secte ionique étoit la premiere des trois plus anciennes sectes des Philosophes ; les deux autres étoient l'Italique & l'Eleatique. Voyez PHILOSOPHIE.

Le fondateur de cette secte étoit Thalès, natif de Milet en Ionie ; ce qui obligea ses disciples à en prendre le nom.

La principale doctrine de cette secte étoit que l'eau est le principe de toutes choses. Voyez EAU, PRINCIPE, &c. C'est à quoi Pindare fait allusion au commencement de la premiere ode de ses Olympiennes, lorsqu'il dit, que rien n'est si excellent que l'eau ; pensée froide & commune si on la prend à la lettre comme faisoit M. Perrault ; mais qui présente un sens noble, si remontant aux idées de la philosophie de Thalès, on imagine l'eau comme le premier principe de tous les autres êtres.

IONIQUE (ORDRE), Architect. c'est un des cinq ordres d'Architecture : il tire son nom de l'Ionie, province soumise aux Athéniens ; & c'est pour cela qu'on l'appelle quelquefois ordre attique. Mais les Ioniens s'en attribuerent l'invention. Rivaux des Doriens, ils imaginerent avec esprit, des changemens dans la proportion & dans les ornemens des colonnes doriques, & s'étudierent à augmenter la facilité de l'exécution.

Cet ordre tient un juste milieu entre la maniere solide & la délicate ; la colonne prise en-bas, y compris la base & le chapiteau, est de neuf diametres de hauteur ; son chapiteau est orné de volutes, sa corniche de denticules, & le fust des colonnes est cannelé. Il est bon de nous expliquer un peu plus au long.

Nous avons dit que dans cet ordre, les colonnes avec le chapiteau & la base, ont neuf diametres de la colonne prise en-bas ; nous devons ajouter que cela n'étoit pas ainsi, lorsque cet ordre fut inventé ; car alors les colonnes n'avoient que huit modules ou diametres de haut. Ensuite les anciens voulant rendre cet ordre plus agréable que le dorique, augmenterent la hauteur des colonnes, en y ajoutant une base, qui n'étoit point en usage dans l'ordre dorique.

L'entablement a une cinquieme partie de la hauteur de la colonne, dont la base a un demi-diametre, & le chapiteau un peu plus d'un tiers.

Le chapiteau est principalement composé de volutes, qui le rendent différent de tous les autres ordres.

Les colonnes ioniques, sont ordinairement cannelées de vingt-quatre cannelures ; il y en a qui ne sont creuses & concaves, que jusqu'à la troisieme partie au-bas de la colonne ; & cette troisieme partie a ses cannelures remplies de baguettes ou bâtons ronds, à la différence du surplus du haut, qui demeure cannelé en creux, & entierement vuide : celles qui sont ainsi, s'appellent rudentées.

Enfin, le piédestal a de haut deux diametres, & deux tiers ou environ.

On ne peut guere s'empêcher d'ajouter une remarque de Vitruve sur cet ordre. De peur, dit cet habile homme, qu'on ne soit trop passionné en faveur de l'ordre ionique, à cause de la préférence qu'il a eu dans un siecle où l'Architecture fleurissoit le plus, & chez une nation dont les productions ont été si long-tems la regle du bon goût, qu'elles ont en quelque sorte acquis le droit d'influer sur le jugement qu'on peut porter sur cette matiere ; il est bon de faire la réfléxion suivante ; c'est qu'il n'y a point de doute, que les Ioniens n'eussent de la partialité pour l'ordre qu'ils prétendoient avoir inventé. Cependant ils auroient préféré le dorique en plusieurs occasions, si leur ordre propre n'eût été plus aisé à exécuter, & si l'architecte, pour donner plus de carriere à son imagination, ne se fût pas mieux accommodé de l'ordre ionique, que du dorique, où l'esprit est retenu par une attention continuelle, à la distribution convenable des métopes & des triglyphes. Hermogènes, continue Vitruve, avoit dessein de faire dorique le fameux temple de Bacchus à Téos ; & ce fut seulement par la derniere raison qu'on vient de donner, qu'il changea son plan, & fit son temple ionique.

Quoique cette observation du prince des Architectes de Rome soit très judicieuse, il n'en est pas moins vrai que l'ordre ionique eut constamment dans la Grece la préférence sur tout autre ordre, pour la construction de leurs célebres édifices ; & ce seroit assez de citer à sa gloire le temple admirable de Diane à Ephese. (D.J.)


IOS(Géogr. anc.) isle de la mer Egée, près de l'isle de Théra ; elle est célebre par le tombeau d'Homere, qui y fut enterré, selon quelques anciens auteurs ; Etienne le géographe la met au nombre des Cyclades ; Pline dit qu'elle se nommoit autrefois Phoenice : c'est présentement Nio. (D.J.)


IOTAS. f. (Gram.) c'est le petit i des Grecs.


IPECA-GUACAS. m. (Ornith. exot.) espece de canard du Brésil, plus petit que celui qu'on nomme ipecati-apoa, d'ailleurs apprivoisé & fort au-dessus par la beauté de son plumage. Sa tête est remarquable par une tache rouge sur le milieu ; son dos est d'un blanc de cygne ; ses jambes & ses piés sont jaunes ; il est vif, fécond, & s'engraisse aussi bien dans une basse-cour que dans l'eau. Piso, Hist. Brasil. (D.J.)


IPÉCACUANHAS. m. (Bot.) Nous ne connoissons point la plante qui s'éleve de la racine précieuse qu'on appelle ipécacuanha du Pérou, & nous ne connoissons encore qu'imparfaitement la plante qui jette en terre la racine nommée ipécacuanha brune du Brésil ; voici cependant la description qu'en a faite M. Linnaeus.

Le calice est divisé en cinq segmens égaux, étroits, & terminés en pointe. La fleur a cinq découpures & cinq étamines. Le pistil est un embrion placé entre le calice & la fleur ; on ignore combien il a de styles. Cet embryon devient une baie arrondie posée sur le calice, & creusée par le haut en maniere de nombril. Elle n'a qu'une cavité dans laquelle sont renfermés trois noyaux osseux, voutés d'un côté, applatis sur les deux autres, réunis ensemble, & formant un globe. Chacun de ces noyaux qui ne renferme qu'une graine, est strié de cinq cannelures. La racine est très-longue ; la tige rarement branchue, est couchée sur terre, & n'a de feuilles que vers son extrémité : ces feuilles sont opposées, ovales, pointues de deux côtés, raboteuses, plus pâles en-dessous qu'en dessus, larges de deux pouces, longues de trois, & les intersections de la tige ont à peine un pouce de longueur.

Quant à la plante qui pousse en terre, l'espece de racine du Brésil qu'on appelle ipécacuanha blanc de Pison, nous savons seulement que c'est une petite plante basse, assez semblable au pouliot, dont la tige qui s'éleve du milieu de plusieurs feuilles velues, est chargée d'un grand nombre de petites fleurs blanches disposées par anneaux. Au reste, voyez PIGAYA. (D.J.)

IPECACUANHA, (Mat. méd.) L'ipécacuanha est une racine que les Medecins ordonnent assez communément, sur-tout dans les formules latines, sous le nom de racine du Brésil, radix brasiliensis. Ce nom ne convient pourtant qu'à une des deux especes dont nous allons parler : mais comme on employe indifféremment ces deux especes, malgré quelques différences que les bons pharmacologistes y ont observées, le nom spécifique de radix brasiliensis est devenu dans l'usage commun, synonime au mot générique ipécacuanha.

Les deux especes d'ipécacuanha sont le gris & le brun. Voici leur description d'après M. Geoffroy.

L 'ipécacuanha gris, ipecacuanha cinerea, ipecacuanha peruviana, off. bexuquillo, & Rais de oro, Hispanorum, peut-être l'ipécacuanha blanc de Pison, est une racine épaisse de deux ou trois lignes, tortueuse, & comme entourée de rugosités, d'un brun clair ou cendré, dense, dure, cassante, résineuse, ayant dans son milieu dans toute sa longueur, un filet qui tient lieu de moëlle, d'un goût un peu âcre & amer, & une odeur foible. Les Espagnols en apportent tous les ans à Cadix du Pérou, où elle naît aux environs des mines d'or.

L 'ipécacuanha brun, ipecacuanha fusca, ipecacuanha brasiliensis, & radix brasiliensis off. ipecacuanha altera seu fusca Pisonis, est une racine tortueuse, plus chargée de rugosités que l'ipécacuanha gris, plus menue cependant, d'une ligne de grosseur, brune ou noirâtre en-dehors, blanche en-dedans, légerement amere. On apporte cette espece d'ipécacuanha du Brésil à Lisbonne.

L'ipécacuanha, soit gris, soit brun, contient une quantité considérable de résine qu'on en sépare par l'esprit de vin, & un extrait mucilagineux pur, c'est-à-dire soluble par les menstrues aqueux seuls.

Selon les expériences de M. Geoffroy, huit onces d'ipécacuanha gris donnent dix gros de résine, & trois onces & demie d'extrait ; neuf onces d'ipécacuanha brun donnent six gros de résine, & une once trois gros d'extrait.

Selon Cartheuser, ces principes résident entierement dans l'écorce de ces racines ; leur partie ligneuse en est absolument dépourvûe ; ce dernier auteur a retiré d'une once d'écorce d'ipécacuanha gris quatre scrupules de résine, & trois dragmes d'extrait ; & il pense que M. Boulduc pere n'a pas séparé exactement ces principes, lorsqu'il n'a obtenu par l'application de l'esprit de vin, que trois grains de résine par once, de l'un & de l'autre ipécacuanha.

La résine d'ipécacuanha excite puissamment le vomissement ; l'extrait l'excite très-peu, purge doucement, & passe pour être légerement astringent in recessu, c'est-à-dire sur la fin de son opération purgative.

Nous donnons très-rarement l'un ou l'autre de ces principes ainsi séparés, ou pour mieux dire, ils sont entierement hors d'usage. Nous donnons seulement quelquefois la décoction non filtrée de deux gros d'ipécacuanha, ce qui est donner en effet presque toute la partie extractive de cette drogue, & la petite quantité de résine qui peut avoir été détachée par l'action méchanique de l'ébulition de l'eau. Cette décoction fait vomir très-doucement. G. Pison qui est le premier qui a publié les vertus de l'ipécacuanha dans son histoire naturelle du Brésil en 1748, préfere cette décoction à l'usage de l'ipécacuanha en substance. Cartheuser propose une correction de ce remede absolument analogue à la précédente, savoir de diminuer considérablement la proportion de la résine dans l'ipécacuanha qu'on veut donner en substance, en enlevant une partie de ce principe par une application convenable de l'esprit de vin.

Les vûes de ces auteurs peuvent être très-louables, & fournir un remede plus sûr, plus convenable dans certains sujets délicats, ou dans les cas où les remedes trop actifs sont contre-indiqués ; mais assez généralement nous donnons l'ipécacuanha en substance, sans nous assujettir à ces précautions, & nous ne trouvons pas que ce soit un remede violent, & dont l'action soit suivie d'accidens graves.

C'est 1°. à titre de vomitif, de remede général que nous l'employons depuis dix grains jusqu'a vingt & à trente. On pense assez communément que son action est plus modérée que celle du tartre émétique. Ces deux remedes sont presque les seuls vomitifs employés dans la pratique la plus reçue ; le premier dans les légeres incommodités, principalement chez les femmes & chez les enfans ; le dernier dans les maladies proprement dites, & toûjours même dans les sujets robustes. Voyez VOMITIF. L'ipécacuanha est le seul émétique que nous tirions aujourd'hui du regne végétal.

2°. La célébrité de cette drogue est principalement fondée sur ses effets admirables dans les dissenteries ; elle guérit infailliblement les dissenteries communes ou moins graves, & elle concourt efficacement à la guérison des dissenteries épidémiques & malignes. Voyez DISSENTERIE. On le donne dans ces maladies, premierement à haute dose, c'est-à-dire, à quinze, vingt, trente grains ; & on réitere ce remede deux ou trois fois dans des intervalles convenables, selon l'exigence des cas ; & lorsque les symptomes commencent à s'affoiblir, ineunte morbi declinatione, c'est une pratique utile & très-usitée à Paris, de le donner à très-petite dose, mais souvent réitérée, par exemple à deux ou trois grains dans un excipient convenable, la conserve de roses, le diascordium, &c. trois fois par jour, pendant huit, dix, douze jours. Voyez DISSENTERIE.

On trouve dans les boutiques, sous le nom d'ipécacuanha blanc, une racine qu'il n'est pas permis de confondre avec l'ipécacuanha blanc de Pison, puisque ce dernier est, selon cet auteur, émétique & purgatif, au lieu que l'ipécacuanha blanc de nos boutiques n'a point ces vertus. (b)


IPECATI-APOA& par les Portugais PATA, s. m. (Ornit. exot.) canard du Brésil, de la grosseur d'une oye ; la tête, le col, le ventre, & les parties inférieures de la queue de cet oiseau, sont blanches ; mais le sommet de la tête, le dos, & les aîles, ont la couleur du plus beau verd de nos canards ; le haut du bec est couvert d'un tubercule charnu, jaspé de tachetures blanches ; ses jambes & ses piés sont gris-brun ; le mâle se distingue de la femelle par quelques longues plumes d'un brun luisant, qu'il a sur les aîles ; cette espece de canard est très-commune dans les rivieres du pays, & sa chair est estimée. (D.J.)


IPECUS. m. (Ornit. exot.) très-beau pic-verd du Brésil, qui a la grosseur de nos pigeons ; sa tête d'un rouge vif, éclatant, est couronnée d'une crête de plumes de la même couleur ; son col noir est orné d'une bandelette blanche qui décourt de chaque côté ; ses aîles sont noires en-dehors, & rouges par-dessous ; sa queue est toute noire ; son ventre & ses cuisses sont diaprées de noir & de blanc ; son bec est droit, dur, aigu, & fait pour percer l'écorce & le bois des arbres. Marggrave, Hist. Brasil. (D.J.)


IPRES(Géog.) Voyez YPRES.


IPSALA(Géog.) selon Léunclavius, ville de la Turquie européenne dans la Romanie, avec un archevêché grec, sur la riviere de Larisse, à 22 lieues sud-ouest d'Andrinople, 8 sud-ouest de Trajanopoli, 50 sud-ouest de Constantinople. Long. 43. 55. lat. 40. 57. (D.J.)


IPSWICH(Géog.) ville considérable d'Angleterre, capitale de la province de Suffolck, avec un port très-commode ; elle envoye deux députés au Parlement, & est sur la Stoure, à environ 20 milles de la mer, 55 nord-est de Londres, long. 18. 35. lat. 52. 6.

Wolsey qui marcha de pair avec les souverains, nâquit à Ipswich ; on ne peut qu'être étonné du rôle qu'il joua dans le monde, quand on considere l'obscurité de sa naissance. Fils d'un boucher, il devint archevêque d'Yorck, chancelier d'Angleterre, cardinal, légat perpétuel à latere, l'arbitre de l'Europe, & le premier ministre de son maître, revêtu d'une puissance absolue dans le spirituel & le temporel. La bulle que Léon X. lui envoya, lui donnoit droit de nommer des docteurs en toutes facultés, de créer cinquante chevaliers, cinquante comtes palatins, autant d'acolytes, de chapelains, & de notaires apostoliques ; enfin de légitimer les batards, de délivrer les prisonniers, & d'accorder des dispenses sans bornes. Environné de toutes les grandeurs mondaines il succomba à l'ordre d'Henri VIII. de l'arrêter, se mit au lit en apprenant cette nouvelle, & mourut peu de jours après en 1531, âgé de 60 ans, le plus riche & le plus éminent particulier du siecle : cependant il montra dans cette conjoncture un courage qu'on ne devoit pas attendre d'un homme corrompu depuis si long-tems par l'ambition, la fortune & la volupté ; sa mort parut toute simple à l'Angleterre ; elle n'y fit pas plus de bruit que sa naissance. (D.J.)


IRAC(Géogr.) Iraca, grand pays d'Asie divisé en Irac-Arabi, & en Irac-Agémi.

L'Irac-Arabi, ou l'Iraque babilonienne, est arrosée par le Tigre & par l'Euphrate ; elle tire son nom de ce que l'Arabie déserte s'étend jusques-là ; elle est presque toute sous la domination des Turcs ; Bagdat en est la capitale.

L'Irac-Agémi, ou l'Irac persienne, ainsi nommée par opposition à l'Iraque arabique, est bornée par le Ghilan & le Tabristan ; elle a au N. l'Hérat, à l'E. le Sablestan, au S. le Farsistan, à l'O. le Laurestan & les Turcomans ; la partie orientale de l'Irac-agémi, répond à une partie de l'ancien royaume des Parthes ; il est appellé Jébal par Nassir-Eddin & par Ulug-Beig, qui s'accordent ensemble sur le nombre, l'ordre des villes, & leur position ; quoique l'Irac-agémi ne soit pas la Perse propre, elle est sous la domination de ce royaume & dans le centre de l'empire, puisque c'est dans cette contrée qu'est la capitale de toute la nation, je veux dire Ispahan. Voyez ISPAHAN. (D.J.)


IRACAHAS. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbre d'Amérique, dont on ne sait rien, sinon qu'il porte un fruit très-bon à manger, qui ressemble à nos poires ; ses feuilles sont à-peu-près comme celles du figuier.


IRAN(Géog.) nom que les Orientaux donnent à la Perse en général, & à une province particuliere de Perse, entre l'Aras & le Kur, dont les villes principales sont Erivan & Nachschivan. (D.J.)


IRASCIBLEadj. (Gram. & Philosophie) terme de Philosophie scholastique. Il est certain que tous les mouvemens de notre ame peuvent se réduire au desir & à l'aversion, au desir qui nous porte à approcher, l'aversion qui nous inspire de fuir. Les Scholastiques ont compris ces deux mouvemens sous le nom d'appétit, & ils ont distingué l'appétit en irascible & en concupisciple. Ils rapportent au premier la colere, l'audace, la crainte, l'espérance, le désespoir & le reste de cette famille ; au second la volupté, la joie, le desir, l'amour, &c.... Platon complétoit le système de l'ame, en ajoutant à ces deux branches une partie raisonnable, c'étoit la seule qui subsistât après la destruction du corps ; la seule immortelle ; les deux autres périssoient avec lui. Il plaçoit la qualité irascible dans le coeur ; la concupiscible dans le foie, la raisonnable dans la tête. Il est certain que nos passions, & même plus généralement nos actions, ont toutes des organes qui leur sont affectés ; mais la substance est une. On ne conçoit pas que l'une passe & que l'autre reste. Quoi qu'il en soit, cette vision prouve bien que Socrate & Platon n'avoient aucune idée de la spiritualité.


IRÉNARQUES. m. (Hist. anc.) nom d'un officier de guerre dans l'empire Grec, dont la fonction étoit de maintenir la paix, le repos, la tranquillité & la sûreté dans les Provinces.

Ce mot est Grec, , composé de , paix, & , prince, & , commandement.

Dans le code de Justinien, il est dit que les irénarques sont envoyés dans les provinces pour y maintenir la tranquillité & la paix ; ce qu'ils faisoient en punissant les crimes, & en faisant observer les lois.

Il y avoit encore un autre irénarque dans les villes, pour y procurer & y conserver la concorde entre les citoyens, & y éteindre les dissensions. On l'appelloit autrefois préfet de la ville. Voyez PREFET.

Les empereurs Théodose & Honorius supprimerent les charges d'irénarques, parce qu'abusant de leur pouvoir, ils vexoient les peuples, au lieu de maintenir entr'eux le bon ordre. Voyez le Dictionn. de Trévoux.


IRÉSIONES. m. (Litt. grec.) c'étoit chez les Athéniens un rameau d'olivier entortillé de laine avec des fruits attachés tout autour ; on le portoit dans plusieurs fêtes, les anciens auteurs en parlent beaucoup & citent les vers que l'on chantoit en le portant. Voyez Meursius de Festis Graec. lib. V. (D.J.)


IRIPAS. m. (Botan. exot.) grand pommier des Indes orientales, connu dans l'isle de Malabar ; les auteurs de Botanique l'appellent malus indica, pomo cucurbiti-formi, monopyreno ; on tire de son fruit une huile pour la galle & les maladies cutanées. Voyez Ray, Hist. plant. (D.J.)


IRIS BULBEUXS. f. (Bot.) xiphion, genre de plante à fleur liliacée, monopétale, ressemblante à celle de la flambe. Le pistil a trois pétales, & le calice devient un fruit de même forme que celui de la flambe ; mais la racine est bulbeuse ou composée de plusieurs tuniques. Tournefort, inst. rei herbariae. Voyez PLANTE.

IRIS, (Botan.) genre de plante bulbeuse, dont on a donné les caracteres au mot FLAMBE.

Entre les 74 especes d'iris de M. Tournefort, nous nous contenterons de décrire l'iris ordinaire, de dire un mot de l'iris de Florence, & de l'iris jaune de marais, qui toutes trois intéressent principalement les Médecins.

L'iris ordinaire, l'iris nostras, est l'iris vulgaris, Germanica, sive hortensis, sive sylvestris, de la plûpart des botanistes.

Sa racine se répand obliquement sur la surface de la terre ; elle est épaisse, ridée, genouillée, d'un rouge brun en dehors, blanche en dedans, garnie de fibres à sa partie inférieure, d'une odeur âcre & forte, lorsqu'elle est récente, mais qui devient agréable lorsqu'elle a perdu son humidité. Les feuilles qui sortent de cette racine, sont larges d'un pouce, longues d'une coudée, fermes, pleines de nervures, & de la figure d'un poignard : elles sont tellement unies & touffues près de la racine, que la partie concave d'une feuille embrasse la partie convexe ou le dos de l'autre feuille. Entre ces feuilles s'éleve une tige droite, cylindrique, lisse, ferme, branchue, divisée par quatre ou cinq noeuds, garnis de feuilles qui l'entourent, & qui sont d'autant plus petites, qu'elles se trouvent plus près du sommet.

Les fleurs commencent à paroître vers le printems, & sortent de la coëffe membraneuse qui les enveloppoit : elles sont d'une seule piece, divisée en six quartiers, trois élevés & trois rabattus, extérieurement de couleur de pourpre, ou de violette parsemée de veines blanches.

Le pistil s'éleve du fond de cette fleur, surmonté d'un bouquet à trois feuilles de la même couleur, voutées, & formant une espece de gueule.

Le calice devient un fruit oblong, relevé de trois côtes ; il s'ouvre en trois segmens par la pointe, & est partagé en trois loges remplies de semences rondes, oblongues, placées les unes sur les autres.

Cette plante est cultivée dans nos jardins, & commence à fleurir à la fin de Mai.

L'iris de Florence, est appellée des Botanistes iris alba, iris flore albo, iris Florentina. Elle ne differe point de l'iris ordinaire par la figure de ses racines, de ses feuilles & de ses fleurs ; mais seulement par la couleur. En effet, ses feuilles tirent plus sur le verd de mer ; ses fleurs d'un blanc de lait, ont peu d'odeur, mais très-agréable ; ses racines sont plus grandes, plus épaisses, plus solides, plus blanches, & plus odorantes que celles de l'iris-nostras. Elle croît sans culture aux environs de Florence, mais on ne la voit ici que dans nos jardins.

Sa racine est seule d'usage en Médecine : elle se trouve chez nos droguistes en morceaux oblongs, genouillés, un peu applatis, de l'épaisseur d'un ou de deux pouces, blanche, dépouillée de ses fibres & de son écorce, qui est d'un jaune rouge ; elle donne une odeur de violette pénétrante ; son goût est âcre & amer. Elle entre dans plusieurs préparations galéniques ; on la croit propre à atténuer & inciser la lymphe qui embarrasse les bronches des poumons. On la mêle utilement dans les sternutatoires ; mais son principal usage est pour les parfums.

La racine de l'iris ordinaire tient son rang parmi les plus violens hydragogues, c'est pourquoi les sages médecins s'abstiennent de l'employer ; sa saveur est également âcre & brûlante, & son acrimonie s'attache si fort à la gorge qu'on a raison de redouter ses effets sur l'estomac & sur les intestins.

L'iris jaune de marais, nommée par Tournefort iris vulgaris, lutea, palustris, produit de l'encre passablement bonne, si on la cuit dans de l'eau, & qu'on y jette un peu de limaille de fer, c'est le petit peuple d'Ecosse qui a fait cette découverte, dont personne ne se doutoit. On coupe quelque racine de cette iris par tranches, qu'on met bouillir à petit feu dans une certaine quantité d'eau, jusqu'à ce que la liqueur soit suffisamment épaissie ; on la passe claire dans un autre vase ; on y plonge ensuite pendant quelque tems une lame inutile de couteau, ou quelque autre morceau de fer, on frotte rudement ce morceau de fer avec un caillou fort dur qui se trouve dans le pays, & on répete ce frottement par intervalles, jusqu'à ce que la liqueur ait acquis la noirceur desirée.

Le suc de la racine d'iris dont je parle, est encore un si puissant hydragogue, qu'ayant été donné avec du syrop de nerprun à un hydropique désespéré, sur lequel le jalap, le mercure doux, & la gomme gutte n'avoient presque plus d'action ; ce remede-ci, à la dose de 80 gouttes d'heure en heure, fit évacuer au malade, au bout de quelques prises, plusieurs pintes d'eau mesure d'Ecosse, qui est le double de celle de Paris. Voyez le détail de cette observation dans les Mémoires d'Edimbourg, tom. V. (D.J.)

IRIS, en terme d'Anatomie, se dit d'un cercle qui entoure la prunelle de l'oeil, & qui est formé par une duplicature de l'uvée. Voyez UVEE.

Du centre orbiculo-ciliaire partent de toute la circonférence des fibres convergentes, qui font un petit cercle ; mais avant la pupille même, le cercle est plus étroit dans l'homme, & fait de plus courts rayons fibreux, parmi lesquels il est impossible de reconnoître aucunes fibres orbiculaires.

Les vaisseaux colorés de l'iris & de l'uvée, sont de plus petits genres ; les arteres de la choroïde qui ont formé des cercles rayonnés passent sur le ligament orbiculo-ciliaire, dégénerent en de petits troncs dans la circonférence, & en dernier lieu en cercle artériel de Ruysch.

De ce cercle les plus petites artérioles se rapprochent sous la forme de rayons sur l'iris & forment par leur réflexion & en se joignant avec les externes le cercle interne. Les petits vaisseaux de la membrane de Ruysch entrent de la même maniere dans ce cercle, duquel il part de semblables arteres, mais plus grandes, qui vont se distribuer à l'uvée. Hovius fait de plus mention de très-petits conduits entremêlés qui naissent du cercle, d'autres qui viennent des artérioles de l'uvée, & d'autres qu'il soupçonne aller en sens contraire vers la sclérotique. Ne seroit-ce point-là ces autres arteres lymphatiques que M. Ferrein a démontrées dans l'uvée ? Hist. de l'Acad. 1738. Haller, Comm. Boerh.

L'iris est de différentes couleurs, & percé dans son milieu d'un trou, à travers lequel on voit une petite tache noire, appellée la prunelle de l'oeil, autour de laquelle l'iris forme un anneau. Voyez PRUNELLE, OEIL, LIGAMENT, CILIAIRE, &c.

On donne aussi le nom d'iris à ces couleurs changeantes, qui paroissent quelquefois sur les verres des télescopes & des microscopes, à cause qu'elles imitent celles de l'arc-en-ciel.

C'est ainsi qu'on appelle encore le spectre coloré que le prisme triangulaire forme sur une muraille lorsqu'on l'expose sous un angle convenable aux rayons du soleil. Voyez PRISME.

IRIS, (Météorol.) voyez ARC-EN-CIEL, & jettez en passant les yeux sur l'image poëtique qu'en a donné le chevalier Blackmore :

Thus oft the Lord of nature in the air

Hangs evening clouds, his sable canvass, where

His pencildip'd in heav'nly colours, made

Of intercepted beams, mix'dwith the shade

Of temper'd aether, and refracted light,

Paints his fair Rainbow, charming to the sight.

(D.J.)

IRIS ou PIERRE D'IRIS, (Hist. nat. Lithologie) nom donné par Pline & par d'autres naturalistes à une espece de crystal, dans lequel on remarque les différentes couleurs de l'arc-en-ciel. Il paroit que cette pierre ne differe en rien du crystal de roche ordinaire. Wallerius donne le nom d'iris chalcedonica à une espece de chalcédoine de trois couleurs, & qui en regardant le soleil au travers fait voir les nuances d'un arc-en-ciel. Cette pierre se trouve en orient, elle a une teinte ou jaunâtre ou pourpre. Quelques auteurs ont encore donné le nom d'iris à l'espece de crystal de roche qui s'appelle fausse topase, & ils l'ont nommée iris citrina ou subcitrina. Wormius appelle le crystal noir, iris anthracini coloris.

Enfin il y a des auteurs qui donnent le nom d'iris à une pierre orientale qui est de la couleur du petit lait mêlée d'une teinte légere de bleu céleste. (-)

IRIS, (Mytholog.) divinité de la fable, qui la fait fille de Thamnas & d'Electre.

C'étoit, disent les Poëtes, la messagere des Dieux & celle de Junon en particulier, comme Mercure l'étoit de Jupiter. Assise auprès du trône de la fille de Saturne & de Rhéa, elle attendoit le premier signe de ses ordres, pour les porter au bout du monde ; alors volant d'une aîle légere, elle fendoit les espaces immenses des airs, laissant après elle une longue trace de lumiere, que peignoit un nuage de mille couleurs aussi variées que brillantes.

Quelquefois députée par l'assemblée des Divinités célestes, elle descendoit de l'olympe parée de sa robe d'azur, pour venir apprendre aux mortels effrayés la fin des tempêtes, & leur annoncer le retour du beau tems.

Dans ses momens de repos, elle avoit soin de l'appartement de Junon & de ses magnifiques atours. Lorsque la déesse revenoit des enfers dans l'olympe, c'étoit Iris qui la purifioit avec les parfums les plus exquis : cependant son principal emploi étoit d'aller trancher le cheveu fatal des femmes agonisantes, comme Mercure étoit chargé de faire sortir des corps les ames des hommes prêtes à s'envoler.

Ainsi dans Virgile, Junon voyant Didon lutter contre la mort, après s'être poignardée, dépêche Iris du haut du ciel pour dégager son ame de ses liens terrestres, en lui coupant le cheveu dont Proserpine sembloit refuser l'emploi, parce que la mort de la fondatrice de Carthage n'étoit pas naturelle ; mais c'est la peinture admirable qu'en fait le prince des Poëtes qu'il faut lire :

Tum Juno omnipotens, longum miserata dolorem,

Difficilesque obitus, Irim demisit olympo,

Quae luctantem animam, nexosque resolveret artus ;

Nam quia nec fato, meritâ nec morte peribat,

Sed misera ante diem, subitoque accensa furore,

Nondùm illi flavum Proserpina vertice crinem

Abstulerat, stygioque caput damnaverat orco.

Ergò Iris, croceis per coelum roscida pennis,

Mille trahens varios adverso sole colores,

Devolat, & supra caput adstitit. Hunc ego diti

Sacrum jussa fero, teque isto corpore solvo :

Sic aït, & dextrâ crinem secat : Omnis & unà

Dilapsus calor, atque in ventos vita recessit.

Aeneïd. liv. IV. v. 695.

Iris n'est peut-être après tout qu'une divinité purement physique, prise pour l'arc-en-ciel ; du moins on dérive assez bien son nom de , parler, annoncer ; & cette étymologie convient à Iris météore, & à Iris divinité fabuleuse. Comme Junon est la déesse de l'air, Iris en est la messagere ; elle annonce ses volontés, parce que l'arc-en-ciel nous annonce les changemens de l'air, au moment de la pluie, & du soleil qui luit à l'opposite. (D.J.)

IRIS, (Docimast.) on donne encore ce nom à l'éclair. Voyez cet article. On appelle encore iris les petites bleuettes qui se croisent rapidement dans un essai qui bout sur la coupelle, & qui font dire qu'il circule bien. Voyez CIRCULER, ESSAI & AFFINAGE.

IRIS, (Géogr. anc.) riviere d'Asie dans la Cappadoce, selon Ptolomée ; c'est le Casalmach des modernes, riviere de Turquie dans la Natolie ; elle baigne les murs d'Amasie, patrie de Strabon, & va se perdre dans la mer Noire. (D.J.)

IRIS, VERD D'IRIS, (Peinture) couleur des plus tendres, & qui fait un très-beau verd. Voici comme elle se peut faire.

Prenez des fleurs de lys les plus bleues, qu'on appelle autrement iris ; séparez-en le dessus qui est satiné, & n'en gardez que cela, car le reste n'est pas bon ; ôtez-en même toute la petite nervure jaune ; pilez dans un mortier ce que vous aurez choisi ; ensuite jettez dessus un peu d'eau, trois ou quatre cuillerées plus ou moins, selon la quantité des fleurs ; il faut que vous ayez fait fondre dans cette eau un peu d'alun & de gomme, mais en petite quantité ; ensuite broyez bien le tout ensemble, puis le passez dans un linge fort, & mettez ce jus dans des coquilles que vous ferez sécher à l'air.


IRKEN(Géogr.) grande ville de Tartarie, capitale de la petite Bucharie, avec un château ; c'est le dépôt de tout le commerce qui se fait entre les Indes & le nord de l'Asie ; les Calmoucks qui en sont les maîtres, quoique Mahométans, se font une affaire de conscience de n'inquieter personne au sujet de la religion, principe que le bon sens ou l'expérience suggéreront finalement à tous les peuples du monde. Irken est à 32. lieues N. de Cazchgar ; long. suivant le P. Gaubil, 101d. 7'. 30''. lat. 38. 20. (D.J.)


IRKUSK(Géogr.) province de Siberie dont la capitale qui porte le même nom est située sur la riviere d'Angara, à peu de distance du lac de Baïkal. Elle fut bâtie en 1661, dans l'endroit où la riviere d'Irkusk se jette dans celle d'Angara ; cette ville a un évêque, un gouvernement de qui relevent ceux de Sclenginsk, de Nertschinsk, d'Ilimsk, & de Jakusk, ainsi que les commandans d'Ochotzk & de Kamtschatka, mais qui est soumis lui-même au gouverneur général de Tobolsk. On compte 950 maisons à Irkusk : le commerce de la Chine y attire beaucoup de marchands. Gmelin, Voyage de Sibérie.


IRLANDE(Géogr.) Hibernia, c'est son nom latin le plus commun ; Aristote, Strabon, & d'autres la nomment Jerna ; Pomponius Méla, Juvenal & Selin, Juverna ; les naturels du pays l'appellent Eryn ; son nom Irlande ou Ireland, vient vraisemblablement d'Erynland, qui signifie en Irlandois, une terre occidentale, un pays situé à l'ouest.

L'Irlande est la plus considérable des îles britanniques, après celle de la grande Bretagne, à laquelle elle est aujourd'hui sujette, & au couchant de laquelle elle est située.

Elle est bornée E. par une mer dangereuse, appellée la mer d'Irlande ou plutôt le Canal de Saint-George, qui la sépare de l'Angleterre par une distance de 45 milles, depuis Holy-Head jusqu'à Dublin ; mais elle n'est qu'à 15 milles de l'Ecosse.

Sa figure est oblongue, approchante de celle d'un oeuf, en en retranchant l'irrégularité des angles ; sa grandeur est à-peu-près moitié de celle de l'Angleterre ; sa longueur est d'environ 285 milles, sa largeur de 160 milles, & son circuit de 14 cent milles.

Les Bretons ont été, suivant les apparences, les premiers habitans de cette île ; car il étoit aisé de s'y rendre de la Bretagne, comme de la terre la plus voisine ; aussi les anciens écrivains l'appellent une île bretonne ; & Tacite en parlant d'elle dans la vie d'Agricola, nous dit que son terroir, le climat, le naturel & l'ajustement de ses habitans différoient peu de ceux de la Grande-Bretagne : Solum coelumque, & ingenia, cultusque hominum, haud multùm à Britanniâ differunt. Ils vivoient d'ailleurs sous le gouvernement de divers petits princes ; des Danois & des Normands se mêlerent depuis avec les naturels du pays en différentes occasions ; mais on n'y connoît aujourd'hui de naturels que les habitans des trois îles britanniques.

Leur langue étoit anciennement la bretonne, ou pour mieux dire, une dialecte de cette langue ; les noms des rivieres, des îles, des montagnes, des bourgs, sont encore presque tous bretons, si nous en croyons un savant moderne.

C'est une chose remarquable qu'avant l'année 800 de Jesus-Christ, on se servit déjà de monnoies d'argent battues dans le pays, comme le prouve assez bien le chevalier Jacques Waroeus dans ses Antiquités d'Irlande ; consultez aussi un livre de Keder, imprimé en 1708 in-4°. sous le titre de Recherches des médailles frappées en Irlande avant le xij. siecle.

L'air y est doux, tempéré, & en même tems fort humide ; on y voit quelques loups dont l'Angleterre & l'Ecosse sont délivrées depuis bien des siecles, des renards, des liévres, des lapins, & toute sorte de gibier ; le poisson, sur-tout le saumon & le hareng, y sont en abondance : on y voit de bons chevaux, & tant d'abeilles qu'elles font leurs essains jusque dans des trous sous terre.

Le sol y est très-fertile & abondant en excellens pâturages ; les bêtes à cornes sont la grande richesse du pays ; ses denrées consistent principalement en gros & menu bétail, en cuirs, en suifs, en beurre & fromage, en sel, bois, miel, cire, chanvre, toiles, douves & laines, on y trouve du plomb, de l'étain & du fer, du marbre supérieur à celui de l'Angleterre, quantité de fontaines, de lacs, de rivieres, de montagnes ; son lac Longh-Neaugh est fameux pour ses vertus pétrifiantes ; mais il faut lire sur toute l'histoire naturelle du pays, un bon ouvrage, intitulé : A natural history of Ireland, Dublin 1727. in-4°. Il vaut beaucoup mieux que le livre de Gérard Boate traduit en François, & imprimé à Paris en 1666. in-12.

Les plus considérables bayes d'Irlande, sont la baye de Galway qui est fort vaste & sûre, la baye de Dingle, & la baye de Dublin ; ses havres sont en grand nombre & fort commodes ; les meilleurs sont celui de Waterford, celui de Cork, celui de Yonghall, & sur-tout celui de Kingsale, depuis le nouveau fort bâti sous la direction du lord Roger, comte d'Orrery, du tems de Charles II. En un mot, peut-être n'y a-t-il aucun pays où l'on trouve de si bons ports à tous égards ; cette île, écrivoit autrefois Tacite, placée entre la Bretagne & l'Espagne, & très à portée de la Gaule, serviroit utilement d'entrepôt & de centre de commerce, à ces trois riches Puissances.

Les plus importantes des rivieres d'Irlande, est le Shanon ; les autres moindres, sont la Piffe, la Boyne, & la Lée ; Spencer les a toutes célébrées dans son poëme intitulé la Reine des Fées, où il s'agit du mariage de la Tamise avec le Medway.

Les montagnes les plus remarquables, sont Knock-Patrick dans le comté de Limerick à l'O. celle de Sliew-Bloemy, d'Evagh, de Mourne, de Sliew-Gallen, de Cirtew, & de Gualty.

Tout le pays est divisé en quatre provinces, la Province d'Ulster, ou l'Ultonie, la province de Connaught ou la Connacie, la province de Leinster ou Lagénie, & la province de Munster ou la Mommonie.

Un viceroi qu'on appelle aujourd'hui lord-lieutenant, dont l'autorité est d'une grande étendue, gouverne l'Irlande ; c'est toujours un des premiers seigneurs de la Grande-Bretagne ; il y a pour le civil les mêmes cours de justice qu'en Angleterre, chancellerie, banc du roi, cour des plaidoyers communs, & celle de l'échiquier. Le lord-lieutenant ou son député, convoque le parlement, & le dissout suivant le bon plaisir du Roi.

Le gouvernement ecclésiastique est sous quatre archevêques ; Armagh primat, Dublin, Cashel & Tuam, qui ont pour suffragans dix-neuf évêques.

L'Irlande fut réunie à la couronne d'Angleterre sous Henri II. en 1172 ; mais Henri VIII. fut déclaré le premier roi d'Irlande dans la trente-troisieme année de son regne, & pour lors cette île fut traitée de royaume ; car avant lui, les rois d'Angleterre se disoient seulement seigneurs d'Irlande.

Je ne parcourrai pas ses diverses révolutions, c'est assez de remarquer qu'elles paroissent assoupies pour long-tems ; Dublin la capitale, ne respire que l'attache & l'affection au gouvernement établi.

La long. de l'Irlande, suivant M. Delisle, est depuis 7d. 10'. jusqu'à 12d. 5'. Sa lat. mérid. est par les 51d. 20'. Sa lat. sept. est par les 55d. 20'.

J'ai indiqué ci-dessus un bon livre sur l'histoire naturelle d'Irlande, ceux qui voudront connoître ses antiquités sacrées & prophanes, les liront dans Ussérius, un des plus savans hommes du xvij. siecle, & qui a le plus fait d'honneur à sa patrie ; ses écrits, en particulier ses annales, ont immortalisé son nom. Il mourut comblé d'honneur & de gloire, le 21 Mars 1655, à 75 ans ; Cromwel le fit enterrer solemnellement dans l'abbaye de Westmunster.

Waroeus a publié un ouvrage qui n'est pas exempt de préjugés sur les écrivains qui ont illustré l'Irlande depuis le iv. siecle jusqu'au xvij. Il paroît assez vrai que les Saxons d'Angleterre, ont reçu des Irlandois leurs caracteres ou lettres, & conséquemment les sources de cette érudition profonde qui caractérise la nation Britannique, tandis que leurs maîtres vinrent à tomber dans une extrême décadence ; je juge cette décadence, parce que la vie de Gothescalque, moine de l'abbaye d'Orbais, faite par Ussérius en 1631, est le premier livre latin qu'on ait imprimé en Irlande ; mais aussi depuis lors le goût des Arts & des Sciences a repris faveur dans cette île, & y a jetté de belles & profondes racines. (D.J.)


IRMINSULS. m. (Hist. Germ.) dieu des anciens Saxons. On ignore si ce dieu étoit celui de la guerre, l'Arès des Grecs, le Mars des Latins, ou si c'étoit le fameux Irmin, que les Romains appellerent Arminius, vainqueur de Varus, & le vangeur de la liberté germanique.

Il est étonnant que Schedius qui a fait un traité assez ample sur les dieux des Germains, n'ait point parlé d'Irminsul ; & c'est peut-être ce qui a déterminé Meibom à publier sur cette divinité, une dissertation, intitulée Irminsula Saxonica. Je ne puis faire usage de son érudition mal-digérée ; je dois au lecteur des faits simples, & beaucoup de laconisme.

Dans cette partie de l'ancienne Germanie, qui étoit habitée par les Saxons Westphaliens, près de la riviere de Diméle, s'élevoit une haute montagne, sur laquelle étoit le temple d'Irminsul, dans une bourgade nommée Héresberg ou Héresburg. Ce temple n'étoit pas sans-doute recommandable par l'architecture, ni par la statue du dieu, placée sur une colonne ; mais il l'étoit beaucoup par la vénération des peuples, qui l'avoient enrichi de leurs offrandes.

On ne trouve dans les anciens auteurs aucune particularité touchant la figure de ce dieu ; car tout ce qu'en débite Kranzius, écrivain moderne, n'est appuyé d'aucune autorité : l'abbé d'Erperg, qui vivoit dans le xiij. siecle, 300 ans avant Kranzius, nous assure que les anciens Saxons n'adoroient que des arbres & des fontaines, & que leur dieu Irminsul n'étoit lui-même qu'un tronc d'arbre dépouillé de ses branches. Adam de Breme, & Beatus Rhenanus nous donnent la même idée de cette divinité, puisqu'ils l'appellent columnam ligneam sub divo positam.

Si l'on connoissoit la figure de cette idole, & des ornemens qui l'accompagnoient, il seroit plus aisé de découvrir quel dieu la statue représentoit ; mais faute de lumieres à cet égard, on s'est jetté dans de simples conjectures. Suivant ceux qui pensent que Irmin ou Hermès sont la même chose, Irminsul désigne la statue d'Hermès ou de Mercure. D'autres prétendent que Héresburg étant aussi nommé Marsburg, qui veut dire le fort de Mars, il est vraisemblable que les anciens Saxons, peuple très-belliqueux, adoroient sous le nom d'Irminsul le dieu de la guerre. Enfin le plus grand nombre regardant Irminsul comme un dieu indigete, se sont persuadés que c'est le même que le fameux Arminius, général des Chérusques, qui brisa les fers de la Germanie, défit trois légions romaines, & obligea Varus à se passer son épée au-travers du corps. Velleius Paterculus qui raconte ce fait, ajoute que toute la nation composa des vers à la louange d'Arminius, leur libérateur. Elle put donc bien, après sa mort, en faire un Dieu, dans un tems sur-tout où on élevoit volontiers à ce rang ceux qui s'étoient illustrés par des actions éclatantes.

Quoi qu'il en soit, Irminsul avoit ses prêtres & ses prêtresses, dont les fonctions étoient partagées. Aventin rapporte, que dans les fêtes qu'on célébroit à l'honneur de ce dieu, la noblesse du pays s'y trouvoit à cheval, armée de toutes pieces, & qu'après quelques cavalcades autour de l'idole, chacun se jettoit à genoux & offroit ses présens aux prêtres du temple. Meibom ajoute que ces prêtres étoient en même tems les magistrats de la nation, les exécuteurs de la justice, & que c'étoit devant eux qu'on examinoit la conduite de ceux qui avoient servi dans la derniere guerre.

Charlemagne ayant pris Héresburg en 772, pilla & rasa le temple du pays, fit égorger les habitans, & massacrer les prêtres sur les débris de l'idole renversée. Après ces barbaries, il ordonna qu'on bâtit sur les ruines du temple, une chapelle qui a été consacrée dans la suite par le pape Paul III. Il fit encore enterrer près du Véser la colomne sur laquelle la statue d'Irminsul étoit posée ; mais cette colomne fut déterrée par Louis-le-débonnaire, successeur de Charlemagne, & transportée dans l'église d'Hildesheim, où elle servit à soutenir un chandelier à plusieurs branches. Voyez HILDESHEIM.

Un chanoine de cette ville nous a conservé les trois vers suivans, qui sont des plus mauvais, mais qui étoient écrits en lettres d'or autour du fust de la colomne.

Si fructus vestri, vestro sint gaudia patri,

Ne damnent tenebrae quae fecerit actio vitae,

Juncta fides operi, sit lux super addita luci.

Apparemment que cette inscription avoit été gravée sur cette colomne, lorsqu'on la destina à porter un chandelier dans le choeur de l'église d'Hildesheim.

On dit qu'on célebre encore tous les ans dans cette ville, la veille du dimanche que l'on appelle laetare, la mémoire de la destruction de l'Idole Irminsul : les enfans font enfoncer en terre un pieu de six piés de long, sur lequel on pose un morceau de bois en forme de cylindre, & celui qui d'une certaine distance peut l'abattre, est déclaré vainqueur. (D.J.)


IRONIEsub. fém. (Gram.) " c'est, dit M. du Marsais, Tropes II. xiv. une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu'on dit....

M. Boileau, qui n'a pas rendu à Quinault toute la justice que le public lui a rendue depuis, en parle ainsi par ironie ". Sat. 9.

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire ;

Et pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,

Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis :

Puisque vous le voulez, je vais changer de style.

Je le déclare donc, Quinault est un Virgile.

Lorsque les prêtres de Baal invoquoient vainement cette fausse divinité, pour en obtenir un miracle que le prophete Elie savoit bien qu'ils n'obtiendroient pas ; ce saint homme les poussa par une ironie excellente ; III. Reg. xviij. 27. il leur dit : Clamate voce majore ; Deus enim est, & forsitan loquitur, aut in diversorio est, aut in itinere, aut certè dormit, ut excitetur.

L'épître du P. du Cerceau à M. J. D. F. A. G. A. P. (Joli de Fleuri, avocat général au parlement) est une ironie perpétuelle, pleine de principes excellens cachés sous des contre-vérités ; mais l'auteur, en s'y plaignant de la décadence du bon goût, y devient quelquefois la preuve de la vérité & de la justice de ses plaintes.

" Les idées accessoires, dit M. du Marsais, ibid. sont d'un grand usage dans l'ironie : le ton de la voix, & plus encore la connoissance du mérite ou du démérite personnel de quelqu'un, & de la façon de penser de celui qui parle, servent plus à faire connoître l'ironie, que les paroles dont on se sert. Un homme s'écrie, ô le bel esprit ! Parle-t-il de Cicéron, d'Horace ; il n'y a point-là d'ironie ; les mots sont pris dans le sens propre. Parle-t-il de Zoïle ; c'est une ironie : ainsi l'ironie fait une satyre, avec les mêmes paroles dont le discours ordinaire fait un éloge ".

Quintilien distingue deux especes d'ironie, l'une trope, & l'autre figure de pensée. C'est un trope, selon lui, quand l'opposition de ce que l'on dit à ce que l'on prétend dire, ne consiste que dans un mot ou deux ; comme dans cet exemple de Cicéron, 1. Catil. cité par Quintilien même : à quo repudiatus, ad sodalem tuum, virum optimum M. Marcellum demigrasti, où il n'y a en effet d'ironie que dans les deux mots virum optimum. C'est une figure de pensée, lorsque d'un bout à l'autre le discours énonce précisément le contraire de ce que l'on pense : telle est, par exemple, l'ironie du P. du Cerceau, sur la décadence du goût. La différence que Quintilien met entre ces deux especes est la même que celle de l'allégorie & de la métaphore ; ut quemadmodum facit continua , sic hoc schema faciat troporum ille contextus. Inst. orat. IX. ij.

N'y a-t-il pas ici quelque inconséquence ? Si les deux ironies sont entr'elles comme la métaphore & l'allégorie, Quintilien a dû regarder également les deux premieres especes comme des tropes, puisqu'il a traité de même les deux dernieres. M. du Marsais plus conséquent, n'a regardé l'ironie que comme un trope, par la raison que les mots dont on se sert dans cette figure, ne sont pas pris, dit-il, dans le sens propre & littéral : mais ce grammairien ne s'est-il pas mépris lui-même ?

" Les tropes, dit-il, Part. I. art. iv. sont des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification propre de ce mot ". Or il me semble que dans l'ironie il est essentiel que chaque mot soit pris dans sa signification propre ; autrement l'ironie ne seroit plus une ironie, une mocquerie, une plaisanterie, illusio, comme le dit Quintilien, en traduisant littéralement le nom grec . Par exemple, lorsque Boileau dit, Quinault est un Virgile ; il faut 1°. qu'il ait pris d'abord le nom individuel de Virgile, dans un sens appellatif, pour signifier par antonomase excellent poëte : 2°. qu'il ait conservé à ce mot ce sens appellatif, que l'on peut regarder en quelque sorte comme propre, relativement à l'ironie ; sans quoi l'auteur auroit eû tort de dire,

Puisque vous le voulez, je vais changer de style ;

Il avoit assez dit autrefois que Quinault étoit un mauvais poëte, pour faire entendre que cette fois-ci changeant de style, il alloit le qualifier de poëte excellent. Ainsi le nom de Virgile est pris ici dans la signification que l'antonomase lui a assignée ; & l'ironie n'y fait aucun changement. C'est la proposition entiere ; c'est la pensée qui ne doit pas être prise pour ce qu'elle paroît être ; en un mot, c'est dans la pensée qu'est la figure. Il y a apparence que le P. Jouvency l'entendoit ainsi, puisque c'est parmi les figures de pensées qu'il place l'ironie : & Quintilien n'auroit pas regardé comme un trope le virum optimum que Cicéron applique à Marcellus, s'il avoit fait réflexion que ce mot suppose un jugement accessoire, & peut en effet se rendre par une proposition incidente, qui est vir optimus. (B. E. R. M.)


IROQUOIS(Géog.) nation considérable de l'Amérique septentrionale, autour du lac Ontario, autrement dit de Frontenac, & le long de la riviere qui porte les eaux de ce lac dans le fleuve de S. Laurent, que les François appellent par cette raison, la riviere des Iroquois. Ils ont au nord les Algonquins, à l'E. la nouvelle Angleterre, au S. le nouveau Jersey, & la Pensylvanie, à l'O. le lac Erié.

Ces barbares composent cinq nations ; les plus proches des Anglois sont les Aniez ; à 20 lieues delà sont les Annegouts ; à deux journées plus loin sont les Onontagues, qui ont pour voisins les Goyagonins ; enfin, les derniers sont les Tsonnomonans, à cent lieues des Anglois. Ce sont les uns & les autres des sauvages guerriers, assez unis entr'eux, tantôt attachés aux Anglois, & tantôt aux François, selon qu'ils croyent y trouver leurs intérêts.

Le pays qu'ils habitent, est aussi froid qu'à Quebec ; ils vivent de chair boucannée, de blé d'Inde, & des fruits qu'ils trouvent dans les bois & sur les montagnes ; ils ne reconnoissent ni roi, ni chef ; toutes leurs affaires générales se traitent dans des assemblées d'anciens & de jeunes gens. Ils sont partagés par familles, dont les trois principales sont la famille de l'Ours, celle de la Tortue, & celle du Loup. Chaque bourgade est composée de ces trois familles ; & chaque famille a son chef ; leur plus grand commerce est de castor, qu'ils troquent contre de l'eau-de-vie qu'ils aiment passionnément.

Leur argent & leur monnoie consiste en grains de porcelaine ; ces grains de porcelaine viennent de la côte de Manathe. Ce sont des burgos, sortes de limaçons de mer, blancs ou violets, tirans sur le noir ; ils en font aussi leur principal ornement ; ils se matachent le visage de blanc, de noir, de jaune, de bleu, & sur-tout de rouge. Se mattacher, est se peindre ; leur religion n'est qu'un composé de superstitions puériles, & leurs moeurs barbares y répondent.

Je n'entrerai point dans les détails : on peut consulter si l'on veut la rélation que M. de la Potherie a donné des Iroquois au commencement de ce siecle dans sa description de l'Amérique septentrionale ; mais il faut lire sur ce peuple l'ouvrage récent de M. Colden, intitulé, History of the five nations, London, 1753, in 8 °. c'est une histoire également curieuse & judicieuse. (D.J.)


IRRADIATIONS. f. (Gram. & Physiq. & Physiolog.) on dit l'irradiation des rayons du soleil ; c'est l'action par laquelle il les lance. Il faut que l'irradiation passe par les pinnules de l'alidade, pour que l'observation soit juste. On dit aussi l'irradiation des esprits animaux, ou leur mouvement aussi promt que la lumiere, & leur expension en tous sens par les canaux des nerfs qu'on imagine leur être ouverts ; en conséquence de laquelle les mouvemens volontaires s'exécutent, & sans laquelle le membre est paralitique.


IRRATIONNELadject. (Arith. & Alg.) les nombres irrationnels sont les mêmes que les nombres sourds ou incommensurables. Voyez INCOMMENSURABLE, SOURD & NOMBRE. (E)


IRRÉCONCILIABLEadj. (Gram.) qui ne peut se réconcilier, terme relatif à la haine, à l'envie, à la jalousie, & à d'autres passions odieuses qui divisent les hommes & les animent souvent les uns contre les autres. L'envie est plus irréconciliable que la haine ; il ne faut jamais se réconcilier avec les méchans ; il y a des hommes dans la société contre lesquels il est peut-être sage de ne jamais tirer l'épée ; mais si on l'a fait une fois, il faut brûler le fourreau.


IRRÉDUCTIBL(CAS), Géom. Voyez CAS IRREDUCTIBLE.

IRREDUCTIBLE, (Chimie) se dit de la partie des vraies chaux métalliques, tellement décomposée par la calcination, qu'il est impossible de la réduire par l'application la plus convenable du phlogistique. Voyez CHAUX METALLIQUES, DUCTIONTION. (b)


IRRÉFORMABLEadj. (Gram.) qui ne peut être réformé. Lorsque le jugement du public est général, il passe pour infaillible & pour irréformable.


IRRÉFRAGABLEadj. (Gram.) qui ne peut être contredit avec avantage : il y a peu de témoins irréfragables ; l'expérience est une preuve irréfragable ; Alexandre de Halles a été surnommé le docteur irréfragable.


IRRÉGULARITÉS. f. (Gram.) défaut contre les regles ; par-tout où il y a un système de regles qu'il importe de suivre, il peut y avoir écart de ces regles, & par conséquent irrégularité.

Il n'y a aucune production humaine qui ne soit susceptible d'irrégularité.

On peut même quelquefois en accuser les ouvrages de la nature ; mais alors il y a deux motifs qui doivent nous rendre très-circonspects ; la nécessité absolue de ses lois, & le peu de connoissance de sa variété & de son opération.

IRREGULARITE, (Jurisprud.) en matiere canonique, c'est un vice personnel qui empêche d'être promû aux ordres sacrés, ou d'en faire les fonctions, ou d'obtenir ou de conserver des bénéfices.

Le terme d'irrégularité ne se trouve pas dans les anciens canons ; mais il a été formé de ce que dit le neuvieme canon du concile de Nicée, tales regula non admittit.

Tous ceux qui n'ont pas observé les regles prescrites par les canons, pourroient être traités d'irréguliers ; mais on s'est relâché de cette rigueur en marquant certains empêchemens canoniques qui rendent irrégulier.

L'irrégularité n'est jamais encourue que dans les cas exprimés nommément par le droit ; on ne peut pas les étendre, ni argumenter d'un cas à un autre.

Néanmoins dans le doute on doit s'abstenir de l'exercice des ordres, parce qu'il faut toûjours prendre le parti le plus sûr.

L'irrégularité prive toûjours de l'exercice des ordres, & empêche d'acquérir des bénéfices ; mais depuis que l'ordre ne suppose plus nécessairement le bénéfice, on admet contre l'ancienne discipline, que l'irrégularité ne prive du bénéfice déja acquis, que dans les cas où cela est expressément marqué.

Toute irrégularité provient ex defectu, ou ex delicto.

Les irrégularités ex defectu, proviennent de plusieurs causes, savoir defectu natalium, corporis, lenitatis & ex bigamiâ.

Defectus natalium, c'est le vice de la naissance qui se trouve dans les batards.

Defectus corporis, ce sont les difformités du corps ; mais, suivant la discipline présente de l'Eglise, ils ne forment plus une irrégularité, que quand la difformité est telle, que l'ecclésiastique ne puisse faire ses fonctions sans péril & sans scandale ; cela dépend de la prudence de l'évêque.

Defectus lenitatis, c'est lorsqu'un clerc, ou même un laïc, a eu part à un jugement dont l'exécution peut aller jusqu'à effusion de sang : le pape seul peut dispenser de cette irrégularité.

L'irrégularité ex bigamiâ, est lorsqu'un homme avant d'être clerc, a épousé successivement deux femmes, ou qu'il épouse une veuve ; ce qui forme la bigamie interprétative, ou enfin, lorsqu'un homme qui a fait des voeux solemnels, se marie ensuite ; ce qu'on appelle la bigamie similitudinaire, à cause de la similitude qu'il y a entre le mariage charnel & le mariage spirituel, qui se contracte par des voeux de religion.

On appelle irrégularités ex delicto, celles qui procedent de quelque crime grave ; ceux qui font le plus souvent encourir l'irrégularité, sont la simonie, l'hérésie, & l'homicide.

Quand le crime est occulte, c'est-à-dire, qu'il ne peut être prouvé, l'évêque peut dispenser de l'irrégularité, post autem poenitentiam ; mais si le crime a été déféré à la justice, l'évêque n'en peut dispenser qu'après la sentence d'absolution.

Il y a des crimes si graves, qu'on n'accorde point de dispense de l'irrégularité qui en procede, tel que l'homicide volontaire. Voyez BIGAMIE, DISPENSE, HERESIE, HOMICIDE, SIMONIE. Voyez le concile de Trente, sess. 14. in proëm. de reform. Vanespen, de instit. & off. canonic. part. II. cap. ij. (A)


IRRÉGULIERadj. (Gram.) les mots déclinables dont les variations sont entierement semblables aux variations correspondantes d'un paradigme commun, sont réguliers ; ceux dont les variations n'imitent pas exactement celles du paradigme commun, sont irréguliers : ensorte que la suite des variations du paradigme doit être considérée comme une regle exemplaire, dont l'exacte imitation constitue la régularité, & dont l'altération est ce qu'on nomme irrégularité. Le mot irrégulier est générique, & applicable indistinctement à toutes les especes de mots qui ne suivent pas la marche du paradigme qui leur est propre : il renferme sous soi deux mots spécifiques, qui sont anomal & hétéroclite. Voy. ces mots. On appelle anomal un verbe irrégulier ; & le mot d'hétéroclite est propre aux mots irréguliers, dont les variations se nomment cas ; savoir les noms & les adjectifs.

Ce n'est pas, dit-on, une méthode éclairée & raisonnée qui a formé les langues ; c'est un usage conduit par le sentiment. Cela est vrai sans-doute, mais jusqu'à un certain point. Il y a un sentiment aveugle & stupide qui agit sans cause & sans dessein ; il y a un sentiment éclairé, sinon par ses propres lumieres, du-moins par la lumiere universelle que l'on ne sauroit méconnoître dans mille circonstances, où elle se manifeste par l'unanimité des opinions, où par l'uniformité des procédés les plus libres en apparence. Que la premiere espece de sentiment ait suggéré la partie radicale des mots qui font le corps d'une langue, cela peut être ; & l'on pourroit l'affirmer sans me surprendre. Mais c'est assurément un sentiment de la seconde espece, qui a amené dans cette même langue le système plein d'énergie des inflexions & des terminaisons. Voyez INFLEXION. Et moins on peut dire que ce système est l'ouvrage de la Philosophie humaine, plus il y a lieu d'assurer qu'il est inspiré par la raison souveraine, dont la nôtre n'est qu'une foible émanation & une image imparfaite.

Que suit-il de-là ? Deux conséquences importantes : la premiere, c'est qu'il y a dans les langues beaucoup moins d'irrégularités réelles qu'on n'a coûtume de le croire. La seconde, c'est que les irrégularités véritables qu'on ne peut refuser d'y reconnoître, sont fondées sur des raisons particulieres, plus urgentes sans-doute que la raison générale du système abandonné ; & par conséquent, ces prétendus écarts n'en sont au fond que plus réguliers ; parce que la grande régularité consiste à être raisonnable. Outre la liaison nécessaire de ces deux conséquences avec le principe d'où je les ai déduites, chacune d'elles se trouve encore confirmée par des preuves de fait.

1°. Il est certain que le commun des Grammairiens imagine beaucoup plus d'irrégularités qu'il n'y en a dans les langues. Voyez la Minerve de Sanctius, lib. I. cap. ix. vous y trouverez une foule de noms latins qui passent pour être d'un genre au singulier, & d'un autre au pluriel, & qui n'ont cette apparence d'irrégularité, que pour avoir été usités dans les deux genres : d'autres qui semblent être de deux déclinaisons, ne sont dans ce cas, que parce qu'ils ont été des deux, sous deux terminaisons différentes qui les y assujettissoient. Le système des tems, sur-tout dans notre langue, n'a paru à bien des gens, qu'un amas informe de variations discordantes, décidées sans raison & arrangées sans goût, par la volonté capricieuse d'un usage également aveugle & tyrannique. " En lisant nos Grammairiens, dit l'auteur des jugemens sur quelques ouvrages nouveaux, tom. IX. pag. 73. & suiv. il est fâcheux de sentir, malgré soi, diminuer son estime pour la langue françoise, où l'on ne voit presque aucune analogie ; où tout est bizarre pour l'expression comme pour la prononciation, & sans cause ; où l'on n'apperçoit ni principes, ni regles, ni uniformité ; où enfin, tout paroît avoir été dicté par un capricieux génie ". Que ceux qui pensent ainsi se donnent la peine de lire l'article TEMS, & de voir jusqu'à quel point est portée l'harmonie analogique de nos tems françois, & même de ceux de bien d'autres langues. C'est peut-être l'un des faits les plus concluans contre la témérité de ceux qui taxent hardiment les usages des langues de bisarrerie, de caprice, de confusion, d'inconséquence, & de contradiction. Il est plus sage de se défier de ses propres lumieres, & même de la somme, si je puis le dire, des lumieres de tous les Grammairiens, que de juger irrégulier dans les langues tout ce dont on ne voit pas la régularité. Il y a peut-être une méthode d'étudier la Grammaire, qui feroit retrouver par-tout ou presque par-tout, les traces de l'analogie.

2°. Pour ce qui concerne les causes des irrégularités qu'il n'est pas possible de rejetter absolument, il est certain que l'on peut en remarquer plusieurs qui seront fondées sur quelque motif particulier plus puissant que la raison analogique. Ici l'usage aura voulu éviter un concours trop dur de voyelles ou de consonnes, ou quelque idée, soit fâcheuse, soit malhonnête, que la rencontre de quelques syllabes ou de quelques lettres, auroit pû réveiller ; là on aura craint l'équivoque, celui de tous les vices qui est le plus directement opposé au but de la parole, qui est la clarté de l'énonciation. Prenons pour exemple le verbe latin fero ; si on le conjugue régulierement au présent, on aura feris, ferit, feritis, qui paroîtront autant venir de ferio que de fero : comptez que les autres irrégularités du même verbe, & celles de tous les autres, ont pareillement leurs raisons justificatives. Ajoutez à cela qu'une irrégularité une fois admise, les lois de la formation analogique rendent régulieres les irrégularités subséquentes qui y tiennent.

Il en est sans-doute des irrégularités de la formation, comme de celles des tours & de la construction ; ou elles n'en ont que l'apparence, ou elles menent mieux au but de la parole que la régularité même. Nous disons, par exemple, si je le vois, je le lui dirai, les Italiens disent, se lo vedrà, glie lo dirò, de même que les Latins, quem si videbo, id illi dicam. Selon les idées ordinaires, la langue italienne & la langue latine, sont en regles ; au lieu que la langue françoise autorise une irrégularité, en admettant un présent au lieu d'un futur. Mais si l'on consulte la saine Philosophie, il n'y a dans notre tour ni figure, ni abus ; il est naturel & vrai. Ce que l'on appelle ici un futur, est un présent postérieur, c'est-à-dire, un tems qui marque la simultanéité d'existence avec une époque postérieure au moment même de la parole ; & ce tems dont se servent les Italiens & les Latins, convient très-bien au point de vûe particulier que l'on veut rendre. Ce que l'on nomme un présent, l'est en effet ; mais c'est un présent indéfini, qui indépendant par nature de toute époque, peut s'adapter à toutes les époques, & conséquemment à une époque postérieure, sans que cet usage puisse être taxé d'irrégularité. Voyez TEMS. Il ne s'agit donc ici que de bien connoître la vraie nature des tems pour trouver tous ces tours également réguliers.

En voici un autre : si vous y allez & que je le sache ; la conjonction copulative & doit réunir des phrases semblables : cependant le verbe de la premiere est à l'indicatif, amené par si ; celui de la seconde est au subjonctif, amené par que : n'est-ce pas une irrégularité ? Il y a, j'en conviens, quelque chose d'irrégulier ; mais ce n'est pas, comme il paroît au premier coup d'oeil, la disparité des phrases réunies : c'est la suppression d'une partie de la seconde ; suppléez l'ellipse, & tout sera en regle : si vous y allez, & s'il arrive que je le sache. Ce tour plus conforme à la plénitude de la construction analytique, est régulier à cet égard ; mais il a une autre irrégularité plus fâcheuse ; il présente, au moyen du si répété, les deux évenemens réunis, comme simplement co-existens ; au lieu que le premier tour montre le second évenement comme suite du premier : voilà donc plus de vérité dans la premiere locution que dans la seconde, & conséquemment plus de véritable régularité. Ajoutez que l'expression elliptique en devient plus énergique, & l'expression pleine plus lâche, plus languissante, sans être plus claire. Que de titres pour croire réellement plus réguliere celle qui d'abord le paroît le moins ! (B. E. R. M.)

IRREGULIER, (Géomet.) les corps réguliers sont ceux qui ne sont point terminés par des surfaces égales & semblables. Voyez CORPS & SOLIDES. (E).

IRREGULIER, (Théol.) en termes de casuistes, est un ecclésiastique interdit, suspens ou censuré, qui a encouru les peines de droit, & qui est inhabile ou à posséder un bénéfice, ou à exercer les fonctions sacrées. Les eunuques, les bigames, les enfans illégitimes, sont déclarés irréguliers par les canons. Le concile de Latran, sous Innocent III. permit pourtant la dispense pour ces derniers, quand ils entreroient dans un ordre religieux. Les Grecs n'ont pas fait cette distinction, & n'excluent point les enfans illégitimes de l'état ecclésiastique, comme nous l'apprennent les patriarches Nicephore & Balsamon.

IRREGULIER, (Fortification) qui n'est pas dans les formes ni dans les regles ordinaires. Voyez REGULIER & REGLE.

On dit fortification irréguliere, édifice irrégulier, figure irréguliere. Voyez EDIFICE, FORTIFICATION, FIGURE, BASTION & PLACE. Chambers.

IRREGULIER, (Musique) est le nom qu'on donne dans le plein-chant aux modes dont l'étendue est trop grande, ou qui ont quelqu'autre irrégularité. On nommoit autrefois cadence irréguliere, celle qui ne tomboit pas sur une des cordes essentielles du ton ; mais M. Rameau a donné ce nom à une cadence fort réguliere, dans laquelle la basse fondamentale monte de quinte ou descend de quarte, après un accord de sixte ajoûtée. V. CADENCE. (S)

IRREGULIER, terme d'Architecture, se dit dans l'art de bâtir, des parties de l'Architecture qui sont hors des proportions établies par les préceptes des anciens & confirmées par l'usage ; comme quand on donne neuf modules de hauteur à une colomne dorique, & onze à la colomne corinthienne. Aussi-bien que lorsqu'on néglige dans un édifice de faire les angles extérieurs & les côtés égaux, comme dans la plupart des anciens châteaux, où l'on a affecté cette irrégularité sans y être obligé, ou par le seul motif d'éclairer les dedans relativement à la distribution, sans avoir égard à la décoration extérieure, de maniere qu'on voyoit fréquemment dans les dehors des petites croisées placées à côté des grandes, de grands trumeaux avec des petits, &c.

IRREGULIER, pouls, (Medec.) Voyez sous le mot POULS.

IRREGULIER & IRREGULARITE, (Medec.) & plus communément anomale & anomalie, se dit de la marche ou type de certaines maladies ; de certains symptomes insolites ou étrangers à une maladie ; ou enfin d'une maladie qui s'éloigne elle-même par sa marche & par ses symptomes, du vrai caractere du genre auquel elle appartient. Voyez TYPE, Medecine, MALADIE & SYMPTOME. (b)


IRRELIGIEUXadj. (Gram.) qui n'a point de religion, qui manque de respect pour les choses saintes, & qui n'admettant point de Dieu, regarde la piété & les autres vertus qui tiennent à leur existence & à leur culte, comme des mots vuides de sens.

On n'est irréligieux que dans la société dont on est membre ; il est certain qu'on ne fera à Paris aucun crime à un mahométan de son mépris pour la loi de Mahomet, ni à Constantinople aucun crime à un chrétien de l'oubli de son culte.

Il n'en est pas ainsi des principes moraux ; ils sont les mêmes par-tout. L'inobservance en est & en sera repréhensible dans tous lieux & dans tous les tems. Les peuples sont partagés en différens cultes, religieux ou irréligieux, selon l'endroit de la surface de la terre où ils se transportent ou qu'ils habitent ; la morale est la même par-tout.

C'est la loi universelle que le doigt de dieu a gravée dans tous les coeurs.

C'est le précepte éternel de la sensibilité & des besoins communs.

Il ne faut donc pas confondre l'immoralité & l'irréligion. La moralité peut être sans la religion ; & la religion peut être, & est même souvent avec l'immoralité.

Sans étendre ses vûes au-delà de cette vie, il y a une foule de raisons qui peuvent démontrer à un homme, que pour être heureux dans ce monde, tout bien pesé, il n'y a rien de mieux à faire que d'être vertueux.

Il ne faut que du sens & de l'expérience, pour sentir qu'il n'y a aucun vice qui n'entraîne avec lui quelque portion de malheur, & aucune vertu qui ne soit accompagnée de quelque portion de bonheur ; qu'il est impossible que le méchant soit tout-à-fait heureux, & l'homme de bien tout-à-fait malheureux ; & que malgré l'intérêt & l'attrait du moment, il n'a pourtant qu'une conduite à tenir.

D'irréligion, on a fait le mot irréligieux, qui n'est pas encore fort usité dans son acception générale.


IRREMEDIABLE(Gram.) qui est sans remede.


IRREMISSIBLE(Gram.) pour lequel il n'y a point de remission, de pardon.


IRRÉPARABLE(Gram.) qui ne se peut réparer.


IRREPRÉHENSIBLE(Gramm.) où il n'y a rien à reprendre.


IRRÉPROCHABLE(Gram.) à qui ou à quoi on n'a rien à reprocher.


IRRÉSISTIBLE(Gramm.) à quoi on ne peut résister.

Tous ces termes sont négatifs, & l'on trouvera ce qu'ils comportent d'explication à leur acception positive, REMEDE, PARDON, REPARATION, REPRENDRE, REPROCHER, &c. Voyez ces mots.


IRRÉSOLUTIONS. f. (Gramm.) état de l'ame lorsqu' également affectée par différens avantages ou différens inconvéniens, elle ne sait quel parti prendre dans une affaire ; elle oscille sans-cesse. Les hommes irrésolus sont à plaindre. Peu pénétrans, ils n'osent s'en rapporter à leurs propres lumieres ; méfians, ils craignent de suivre le conseil ou l'impulsion des autres. Je les comparerois volontiers sur le chemin de la vie, à celui qui marche sur la crête d'une montagne escarpée, entre deux précipices qu'il voit sans-cesse à droite & à gauche, & que la crainte de tomber dans l'un fait pancher vers l'autre, d'où une même frayeur le rejette, & ainsi de suite, sans pouvoir ni marcher droit & ferme, ni tomber. L'irrésolu ignore que le plus mauvais parti est souvent celui de n'en point prendre. Il temporise, & à force de temporiser, le moment de se déterminer se passe, & le mal l'accable, ou le bonheur lui échappe. Mais si l'irrésolution est un état fâcheux pour l'irrésolu, c'est encore une qualité très-incommode pour les autres. On ne sait jamais à quoi s'en tenir avec cette sorte d'hommes-là, & ils vous font presque toujours subir la peine de leur défaut.


IRRÉVÉRENCES. f. (Gramm.) manque de vénération ; il ne se dit guere que des choses saintes & sacrées. On porte à l'église une irrévérence qu'on n'auroit point dans l'anti-chambre d'un grand. Incrédule ou croyant, il ne faut jamais parler avec irrévérence des cérémonies & du culte d'un peuple chez lequel on vit ; si l'on croit, l'irrévérence est un blasphême ; si l'on ne croit pas, c'est une indiscrétion dangereuse. En quelque lieu du monde que vous soyez, reverez-en le souverain & le dieu, au moins par le silence.


IRRÉVOCABLEadject. (Gramm.) qui ne peut être revoqué. La loi qui condamne indistinctement tous les êtres de la nature à passer après une courte durée, est nécessaire & s'exécute d'une maniere aussi générale qu'irrévocable. Irrévocable a encore une autre acception, & il signifie qui ne peut être rappellé ; le passé est irrévocable.


IRRITABILITÉS. f. (Physiologie) terme inventé par Glisson, & renouvellé de nos jours par le célebre M. Haller, pour désigner un mode particulier d'une faculté plus générale des parties organiques des animaux, dont il sera traité sous le nom de sensibilité. (b)

IRRITABILITE. Voyez SENSIBILITE.


IRRITANTadject. (Jurisprud.) signifie ce qui casse, annulle & rend inutile quelque acte ou clause, c'est en ce sens que l'on dit un decret irritant, une condition ou cause irritante. (A)


IRRITATIONS. f. (Medecine) les Medecins entendent par ce mot l'affection qu'éprouvent les parties irritables, c'est-à-dire sensibles & contractiles du corps animal, à raison de leur contractilité ou sensibilité ; ou ce qui revient au même la sensibilité réduite en acte. Voyez SENSIBILITE.


IRRITERv. act. (Gramm.) c'est exercer l'ire ou la colere. Les fautes des hommes irritent les dieux ; on irrite un animal en le tourmentant. La contrainte irrite le desir. Le mal s'irrite souvent par le remede. Il y a des hommes qu'on irrite facilement ; les Poëtes en sont ; genus irritabile vatum.


IRROGATIONS. f. (Histoire anc.) punition décernée contre un accusé, après que la cause avoit été appellée trois fois. On annonçoit cette punition au peuple qui la confirmoit ou qui la modéroit ; cela s'appelloit certatio : voici la teneur de la loi. Cùm magistratus judicasset, irrogassetve, per populum multae paenae certatio esto.


IRRUPTIONS. f. (Gramm. & Art milit.) entrée subite de l'ennemi dans une contrée pour s'en emparer ou pour la ravager. La Pologne est exposée aux irruptions des Turcs & des Cosaques ; l'irruption est un acte de barbarie.


IRTICou IRTIS, (Géog.) grande riviere d'Asie dans la Sibérie. Après avoir arrosé une vaste étendue de pays depuis ses deux sources, qui sont vers le quarante-septieme deg. de latitude selon quelques-uns, ou selon le P. Gaubil, à 46. 4. & à 112d 12' 48'' de longit. elle se jette dans le fleuve Oby à 60d 40' de latitude ; ses eaux blanches & légeres abondent en poissons, sur-tout en esturgeons & en saumons délicieux.

Pierre le Grand empereur de Russie, considérant que l'Irtich lui pouvoit être d'une grande utilité pour fonder un commerce avantageux entre ses états & les autres pays de l'Orient, fit faire en 1715 de distance en distance le long de cette riviere, des établissemens, qui seroient d'une toute autre valeur entre les mains d'une nation libre & commerçante.

Il y a une ville de ce nom au Mogolistan, à qui le traducteur de Timur-Beg donne 130 deg. de longitude, & 56 deg. 40 min. de latitude. (D.J.)


IRWIN(Géog.) Irva, ville d'Ecosse, capitale de la province de Cunningham, avec un port qui ne peut servir qu'à des barques ; elle est sur la riviere de même nom, à 21 lieues S. O. d'Edimbourg, 107 N. O. de Londres. Long. 12. 50. lat. 56. 5. (D.J.)


IS-SUR-TILLE(Géog.) petite ville de France en Bourgogne sur l'Ignon, près de la Tille.


ISABELLEadject. (Gramm. & Teint.) couleur qui participe du blanc, du jaune & de la chair.

ISABELLE, (Maréchallerie) poil de cheval tirant sur le jaune clair. Les chevaux isabelles ont quelquefois les crins & la queue isabelle ; mais il y en a un plus grand nombre à crins blancs ou à crins noirs.

ISABELLE, (Géogr.) petite ville de l'Amérique dans l'île espagnole, sur la Jahja, bâtie par Christophe Colomb en 1493, dans un terroir fertile & très-sain. Long. 307. 5. lat. 19. 55. (D.J.)

ISABELLE, l'île, (Géog.) île de la mer du Sud, de 230 lieues de circuit, & la plus grande des îles de Salomon, elle fut découverte par les Espagnols en 1568 : sa partie orientale s'appelle le Cap brûlé. (D.J.)


ISADA(Hist. nat.) nom donné par les Espagnols & Portugais d'Amérique à la pierre des Amazones, que l'on appelle communément jade. Voyez cet article.


ISADAGAou TAGODAS, (Géog.) ancienne ville d'Afrique en Barbarie, au royaume de Maroc dans la province d'Escure, sur la cîme d'une haute montagne, & néanmoins dans un terroir abondant en bétail, orge, froment, légumes & miel blanc fort estimé. Les habitans commercent avec ceux de Numidie & de Gétulie, qui sont de l'autre côté du mont Atlas ; ils accordent gratuitement l'hospitalité à tous les étrangers. (D.J.)


ISAGAS. m. (Hist. mod.) officier du grand-seigneur ; c'est le grand chambellan. C'est lui qui porte les paroles secrettes du grand-seigneur à la sultane ; il commande aux pages de sa chambre & de sa garde-robe, & veille à tout ce qui concerne la personne du sultan.


ISAGONEadject. (Géomet.) terme dont on se sert quelquefois, mais rarement dans la Géométrie, pour exprimer une figure composée d'angles égaux. (E)


ISAIE(Théolog.) nom d'un des livres prophétiques & canoniques de l'ancien testament, ainsi appellé d'Isaïe, fils d'Amos, qui prophétisa sur la fin du regne d'Osias jusqu'au tems de Manassés.

Isaïe est le premier des grands prophêtes. Il recueillit lui-même dans un volume les prophéties qu'il avoit faites sous les rois Osias, Joathan, Achaz & Ezéchias. Il avoit encore écrit un livre des actions d'Osias, dont il est parlé dans le second livre des Paralipom. chap. xxvj., . 22. On lui a aussi attribué quelques ouvrages apocryphes, entr'autres le célebre, cité plusieurs fois par Origene, & un autre intitulé l'ascension d'Isaïe, dont S. Jérôme & S. Epiphane font mention, & enfin un dernier intitulé vision ou apocalypse d 'Isaïe. Quelques-uns ont prétendu que le titre d'Isaïe que nous avons n'est qu'une compilation tirée des ouvrages de ce prophête ; mais les conjectures qu'ils apportent pour le prouver sont très-frivoles, & M. Dupin, de qui nous empruntons ceci, les a solidement réfutées dans sa dissert. prélim. sur la bible, liv. I, chap. iij, pag. 356.

Quelques Juifs lui attribuent aussi les proverbes, l'ecclésiaste, le cantique des cantiques & le livre de Job, mais sans fondement, comme on peut voir aux articles où nous avons traité de ces livres. Isaïe passe pour le plus éloquent des prophêtes, & Grotius le compare à Démosthenes, tant pour la pureté du langage, que pour la véhémence du style. S. Jérôme, qui le trouve admirable à tous ces égards, & pour la vaste étendue de génie qui régne dans ses écrits, ajoute qu'il exprime tout ce qui concerne la vocation des gentils, la répudiation du peuple Juif, le regne de J. C. sa vie, sa prédication, sa passion, l'établissement & la perpétuité de l'Eglise en termes si clairs, qu'il semble plûtôt écrire des choses passées que d'en prédire de futures, & remplir les fonctions d'évangéliste plûtôt que le ministere de prophête. Dupin, Ibid. Calmet, diction. de la bible.


ISAMBRONm. (Gram. & Commerce) espece de panne, qui marquoit apparemment le luxe, puisqu'on défendit aux chanoines de saint Victor d'en porter.


ISARCIENSS. m. pl. (Géog. anc.) ancien peuple d'Italie dans les Alpes, soumis par Auguste à l'empire romain : c'est présentement le val de Sarcha, près de la vallée de Camonica. (D.J.)


ISARDS. m. (Chamoiseur) espece de chevre sauvage, qu'on connoît plus ordinairement sous le nom de chamois, & dont la peau est fort estimée dans le commerce des cuirs. Voyez CHAMOIS.


ISAURIE(Géogr. anc.) contrée d'Asie aux confins de la Pamphilie & de la Cilicie ; c'est un pays de montagnes, situées pour la plus grande partie dans le mont Taurus ; ce pays n'avoit autrefois ni ville ni bourg, mais seulement deux gros villages nommés au pluriel Isaura ; cependant ces deux villages donnerent bien de la peine aux Romains, du moins à Publius Servilius, qui rapporta de leur conquête le surnom d'Isaurique.

Sous les empereurs grecs, l'Isaurie s'accrut aux dépens des provinces voisines, car dans la notice de Hiéroclès, on y compte vingt-trois villes, dont Seleucie étoit la métropole ; & outre ces villes il y avoit encore d'autres siéges indépendans ; l'Isaurie propre fut soumise pour le spirituel à la jurisdiction du patriarche de Constantinople.

Cette province, défendue par ses montagnes & par la valeur de ses habitans, resta sous la domination des empereurs grecs, jusqu'à l'invasion des Turcs Selgiukides, qui dans le xje siecle se répandirent de la Syrie & de la Perse dans l'Asie mineure, & y établirent une puissante dynastie, connue sous le nom de Sultans Selgiukides de Roum.

Enfin, l'Isaurie & les pays voisins ont passé sous la domination des Turcs ottomans, depuis le regne de Mahomet II. Ils appellent ce district Itch-il, c'est-à-dire le pays intérieur ; il dépend du gouvernement ou pachalik de l'Isle de Chypre, & est presque entierement occupé par diverses tribus de Turkmans, qui habitent en hiver les villes & les bourgades, & se retirent pendant l'été dans les montagnes avec leurs troupeaux. La ville de Séleucie, appellée maintenant Selké, est encore assez peuplée, & le bey ou gouverneur particulier du pays d'Itch-il y fait sa résidence. (D.J.)


ISCHÉNIES(Antiq. grecq.) fête anniversaire qu'on célébroit à Olympie en mémoire d'Ischénus, petit-fils de Mercure & de Hiérée. Dans un tems de famine il se dévoua lui-même en sacrifice pour le salut de son pays, & en l'honneur de cette belle action on lui éleva un magnifique monument près du stade d'Olympie. Potter, Archaeol. graec. lib. II. cap. xx, tom. I. p. 407. (D.J.)


ISCHIA(Géog.) ville d'Italie, capitale de l'isle de même nom, au royaume de Naples, avec un évêché suffragant de Naples, & une bonne forteresse, où Alphonse, fils de Ferdinand, roi de Naples, vint se réfugier, après avoir été privé de la couronne. Long. 31. 30. lat. 40. 50. (D.J.)


ISCHIATIQUEadj. en Anatomie, nom d'une échancrure faite par l'os ilium & le pubis, située à la partie postérieure des os des hanches. Voyez HANCHE.


ISCHIO-CAVERNEUXen Anatomie, est un muscle du clitoris & de la verge, appellé communement érecteur. Voyez nos Planches anatomiques. fig. 15. lett. E. Voyez aussi ÉRECTEUR.


ISCHIO-COCCYGIENen Anatomie, nom de deux muscles qu'on appelle aussi coccygiens antérieurs ou latéraux. Voyez COCCYGIEN.


ISCHIONS. m. (Anat.) terme dont se servoient les Anatomistes pour désigner une des trois pieces dont les os innominés sont composés dans les jeunes sujets. Voyez INNOMINES & OS.

Il est situé à la partie antérieure & inférieure du bassin ; il forme un angle, dont un des côtés appellé branche, s'unit antérieurement avec celle de l'os pubis, & l'autre nommé corps, s'unit avec l'ilium & le pubis pour former la partie inférieure de la cavité cotyloïde. On remarque à la partie postérieure du corps une éminence appellée épine, & au-dessous une sinuosité : l'angle est inégal & raboteux, & s'appelle la tubérosité. Voyez ILIUM, PUBIS, &c.


ISCHNOPHONIES. f. (Médec.) aigreur & foiblesse de voix qu'on a dans certaines maladies ; ou bien encore un bégayement, une imperfection dans les organes de la parole. Ce mot est composé de , voix, & de , maigre, grêle, derivé de , j'empêche, je mets obstacle. (D.J.)


ISCHURIE(Médec.) Voyez RETENTION D'URINE.


ISCUSTOS(Hist. nat.) pierre inconnue dont il est parlé dans Albert le grand. Boëce de Boot croit que c'est l'asbete, dont le nom a été défiguré.


ISÉLASTIQUESJEUX, (Gymnast. athlétiq.) iselastica certamina, jeux publics des Grecs & des Romains, où les athletes vainqueurs avoient droit d'entrer en triomphe, non par la porte, mais par une breche, dans la ville de leur naissance : ce mot dérive du grec , être conduit en triomphe ; de-là vient qu'on surnommoit un athlete qui avoit obtenu cet honneur, athlete isélastique.

Il jouissoit encore de toute ancienneté, du privilege d'être nourri le reste de ses jours aux dépens de sa patrie. Toutefois dans la suite des tems leurs victoires se multipliant aussi-bien que les jeux, on fut obligé de resserrer dans les bornes de la médiocrité cette dépense, qui devenoit fort à charge à l'état. Solon, par cette considération, réduisit la pension d'un athlete vainqueur aux jeux olympiques, à 500 drachmes ; celle d'un vainqueur aux jeux isthmiques, à 100 drachmes, & ainsi des autres proportionnellement.

Les empereurs romains conserverent ces sortes de graces aux athletes ; mais Trajan leur eut à peine confirmé ce privilege en faveur de quelques jeux institués ailleurs qu'à Olympie, qu'il s'éleva deux difficultés, sur lesquelles Pline le jeune se vit obligé de consulter le prince. Il s'agissoit de sçavoir, 1°. si les athletes isélastiques jouiroient de leurs privileges à compter du jour de leur victoire ou du jour de leur triomphe ; 2°. si ces mêmes privileges leur étoient acquis par une victoire remportée dans des jeux qui n'étoient point encore isélastiques, mais qui l'étoient devenus depuis.

Trajan répondit en ces termes à ces deux questions : Iselasticum tunc primùm mihi videtur incipere debere, quùm quis in civitatem suam ipse . Obsonia corum certaminum, quae iselastica non fuerunt, retrò non debentur ; c'est-à-dire que les athletes victorieux ne jouiroient de leur pension que du jour de leur entrée triomphale dans leur patrie, & seulement pour la victoire remportée dans les jeux actuellement isélastiques. Remarquez que Trajan ne dit point j'entends, je veux, j'ordonne, mais il me semble que telle chose doit être ainsi, mihi videtur : il décide en philosophe qui craint de se tromper. (D.J.)


ISELSTEIN(Géog.) petite ville des pays-bas sur l'Issel, à une lieue & demie d'Utrecht ; elle prend son nom de la riviere qui l'arrose : on ignore le tems de sa fondation, mais elle n'eut des murs & des portes qu'en 1390 ; elle est du domaine des princes d'Orange. Long. 22. 34. lat. 52. 6. (D.J.)


ISENBOURG(Géog.) petit canton d'Allemagne dans la Wétéravie, dont le chef-lieu n'est qu'un gros bourg avec un château ; mais je me rappelle deux littérateurs du xvje siecle nés dans ce comté, Paul Léonard & François Nansius ; le premier mort en 1567 à 57 ans, a mis au jour vingt livres de mêlanges, miscellaneorum, sive emendationum, libri viginti, qui sont remplis d'une grande érudition & d'un jugement droit ; le second, mort en 1595, âgé de 70 ans, a donné des notes sur Théocrite, Hésiode & Callimaque, qui lui ont fait honneur dans son tems. (D.J.)


ISEQUEBO(Géog.) nom d'une colonie hollandoise d'Amérique, établie sur les bords d'une riviere de même nom dans la Guiane, province de l'Amérique méridionale.


ISERL'(Géog.) riviere considérable de l'Allemagne ; elle prend sa source aux confins du Tirol & de la Baviere, & après avoir baigné les villes de Munich & de Landshut, elle se jette dans le Danube, entre Straubing & Passau. (D.J.)


ISÈRE(Géog.) riviere qui prend sa source dans le mont d'Isérano, aux confins du Piémont & de la Savoye, & qui après avoir traversé une grande étendue de pays, se jette dans le Rhône, à 15 lieues audessous de Grenoble, & à 2 lieues au-dessus de Valence. (D.J.)


ISERNIA(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans le comté de Molise, avec un évêché suffragant de Capoue ; elle est au pié de l'Apennin, à 14 lieues N. E. de Capoue, 21 N. E. de Naples, 50 de Molise. Long. 31. 55. lat. 41. 42.

C'est la patrie de Pierre Célestin, qui institua l'ordre qui porte son nom. Il fut à peine élu pape, qu'il abdiqua le pontificat, & Boniface VIII. son successeur, l'enferma au château de Fumon, où il mourut en 1296, âgé de 81 ans. Un pape le fit périr, un autre pape, Clément V, le canonisa sept ans après. (D.J.)


ISERNLOHN(Géog.) petite ville d'Allemagne en Westphalie, au comté de la Marck, sur la riviere de Baren. Long. 25. 30. lat. 51. 48. (D.J.)


ISET(Géog.) nom d'une province de l'empire russien, en Sibérie, arrosée par une riviere de même nom ; elle dépend du gouvernement général de Tobolsk.


ISIAQUES. m. (Littérat.) prêtre de la déesse Isis. On trouve les isiaques représentés vêtus de longues robes de lin, avec une besace, une clochette & une branche d'absynte marine à la main. Ils portoient quelquefois la statue d'Isis sur leurs épaules, & se servoient du sistre dans leurs cérémonies. Voyez SISTRE.

Après avoir ouvert le temple de la déesse au lever du soleil, ils se prosternoient devant elle & chantoient ses louanges ; ensuite ils couroient une partie du jour pour demander l'aumône, revenoient le soir adorer de nouveau la statue d'Isis, l'accommoder, la couvrir, & refermer son temple.

Ils ne se couvroient les piés que d'écorce fine de la plante appellée papyrus ; ce qui a fait croire à plusieurs auteurs qu'ils alloient nuds piés. Ils étoient vêtus de lin, parce qu'Isis passoit pour avoir appris aux hommes à cultiver & à travailler cette plante. Ils ne mangeoient ni cochon ni mouton, se piquoient d'une grande austérité, & ne saloient jamais leurs viandes, pour être plus chastes. Ils mêloient beaucoup d'eau dans leur vin, & se rasoient très-souvent la tête ; c'est ce que nous disent Plutarque & Diodore de Sicile.

Mais l'histoire romaine nous apprend que ces prêtres mendians de leur profession, & si vertueux en apparence, se servoient souvent du voile de la religion pour pratiquer des intrigues criminelles. Ils s'insinuoient adroitement dans les maisons la besace sur l'épaule, & sous prétexte de quêtes pour leurs besoins, ils rendoient aux dames secrettement des billets, & leur donnoient des rendez-vous de la part de leurs amans.

Ils étoient d'autant plus propres à ce commerce, qu'on les en soupçonnoit moins, & que les temples d'Isis étoient les lieux où les femmes galantes faisoient le plus volontiers leurs stations. Aussi Ovide dit aux hommes : " Ne fuyez point le temple de la génisse du Nil ; elle enseigne aux dames à faire ce qu'elle a fait pour Jupiter ".

Nec fuge Niliacae memphitica templa juvencae,

Multas illa facit, quod fuit ipsa Jovi.

Et ailleurs il dit au garde de sa maîtresse : " Ne vas point t'informer de tout ce qui se peut pratiquer dans le sanctuaire de l'égyptienne Isis ".

Nec tu Niligenam fieri quid possit ad Isim

Quaesieris.

En un mot, les prêtres isiaques étoient très-bien assortis à ces tems de la dépravation des moeurs. On sait l'histoire de Pauline, qui fut violée dans un des temples d'Isis par Mundus, lequel s'étoit couvert de la peau d'un lion, afin de passer plus sûrement pour être le divin Anubis. (D.J.)


ISIEou ISIENNES, s. f. (Littérat.) Isia, . Fêtes d'Isis, qui s'introduisirent dans Rome avec celles des autres divinités étrangeres. Elles dégénérerent en de si grands abus, que la république fut obligée de les défendre & d'abattre les temples d'Isis, sous le consulat de Pison & de Gabinius. Mais Auguste les fit rétablir, & les mysteres de la déesse devinrent de nouveau ceux de la galanterie, de l'amour & de la débauche. Les temples d'Isis se virent consacrés, comme auparavant, à ces rendez-vous de plaisirs, qui causoient tant d'impatience aux dames romaines, pour s'y trouver de bonne-heure avec la parure de la tête, & la composition du visage nécessaire ; ce qui fait dire à Juvénal, apud isiacae potius sacraria lenae. L'empereur Commode mit le comble au crédit des mysteres d'Isis sous son regne ; nulle fête ne fut célébrée avec plus de pompe & de magnificence : il se joignit lui-même aux prêtres de la déesse, & y parut tête rase, portant Anubis en procession. (D.J.)


ISIGNI(Géog.) Isiniacum, gros bourg de France dans la basse Normandie, à six lieues de Bayeux, avec un petit port & un siége de l'Amirauté. Il est fort connu dans la province, à cause de ses salines, des salaisons de son beurre, & du cas que l'on fait de son cidre. Long. 16. 35. lat. 49. 20. (D.J.)


ISISS. f. (Mythol. & Litt.) nom propre d'une divinité des Egyptiens, & dont le culte a été adopté par presque tous les peuples de l'antiquité payenne. Il en est peu dont il nous reste autant de monumens, & sur laquelle les savans de tous les âges ayent plus exercé leur imagination. Plutarque a fait un livre d'Isis & d'Osiris ; mais on ne peut que s'étonner que la fureur des étymologies ne se soit pas étendue sur le nom d'une divinité célebre ; ces recherches souvent plus curieuses que d'autres sur lesquelles quelques savans se sont exercés, n'auroient cependant pas laissé de répandre un certain jour sur la nature de cette divinité, & par-là même sur le culte fastueux & presque universel qui lui étoit rendu.

Une ancienne racine arabe iscia, signifie exister invariablement, avoir une existence propre, fixe, & durable : de-là des Grecs, essentia, potestas, facultas ; & chez les Latins, ces anciens mots du siecle d'Ennius, incorporés par nos Grammairiens modernes dans le verbe auxiliaire sum, es, est, estis, esse ; on est bien convaincu aujourd'hui que les langues phéniciennes & égyptiennes étoient des dialectes de l'ancienne langue de l'Isiemen, d'où l'on peut conclure sans trop hasarder, que le mot Isis est un dérivé d'iscia, & marquoit dans son origine l'essence propre des choses, la nature, ce qui pour le dire en passant, justifieroit cet ancien culte dans son origine, & le rapprocheroit assez des idées des plus sages philosophes.

Je ne ferai qu'indiquer ici d'autres étymologies propres à répandre du jour sur cette matiere. Iza racine syriaque signifie se taire avec soin, garder un silence religieux, & l'on sait jusqu'à quel point il devoit s'observer dans les mysteres d'Isis ; isciaz, chaldaïque, le fondement, une base solide ; isch, en hébreu, un homme par excellence ; son féminin, ischa, une femme, & chez les Arabes & Phéniciens ischitz, Isis ; enfin celle qui seroit peut-être la plus vraisemblable, l'ancien mot esch, isch, le feu, le soleil, qui a dû être le premier objet de l'admiration religieuse des humains, & par-là même de leur culte.

Les Egyptiens ont toujours passé pour avoir poussé l'idolatrie beaucoup plus loin qu'aucun autre peuple, & avoir élevé des autels aux plantes & aux animaux qui en méritent le moins ; cependant leur mythologie paroît assez simple & naturelle dans son origine : ils admettoient deux principes, l'un bon, l'autre mauvais ; du principe du bien venoit la génération ; de celui du mal, procédoit la corruption de toutes choses ; le bon principe excelloit par-dessus le mauvais, il étoit plus puissant que lui, mais non pas jusqu'à le détruire, & empêcher ses opérations. Ils reconnoissoient trois choses dans le bon principe, dont l'une avoit la qualité & faisoit l'office de pere, l'autre de mere, & la troisieme de fils ; le pere étoit Osiris, la mere Isis, & le fils Orus ; le mauvais principe s'appelloit Typhon. Plus une doctrine s'éloigne de son principe, plus elle dégénere, chacun veut y mettre du sien ; des idées respectables dans leur origine deviennent enfin monstrueuses ; la multitude ne voit que l'erreur, & la condamne sans remonter à une source d'autant plus excusable, qu'elle sembloit plus naturelle.

Le culte d'Isis étoit plus célebre que celui d'Osiris ; on la trouve bien plus souvent sur les marbres ; elle étoit regardée comme la mere & la nature des choses, comme le prouve l'inscription de Capoue :

Te, tibi,

Una quae est una,

Dea Isis,

Arius Babinus.

V. C.

Chacun connoît la belle inscription que Plutarque rapporte, & qu'il dit avoir été sur le pavé du temple de Saïs : " je suis tout ce qui a été, ce qui est, & qui sera, & nul d'entre les mortels n'a encore levé mon voile ". Apulée au liv. II. des métamorph. introduit Isis parlant d'elle-même & de ses attributs, dans des termes qui ne sont pas moins sublimes que ceux que Salomon employe pour faire les éloges de la souveraine sagesse.

On ne convient pas de l'origine d'Isis ; il est impossible de démêler aucune apparence de vérité dans des sujets où le principal mérite étoit de la voiler sous une multitude de fables & de rêveries poëtiques. C'est à la faveur de toutes ces idées si peu liées entr'elles, & souvent incompatibles, qu'on a cru trouver l'Isis des Egyptiens dans presque toutes les déesses du paganisme ; mais il paroît par le culte qu'on lui rendoit, & les divers symboles dont on ornoit ses statues, que les Egyptiens regardoient leur Isis sur le même pié que les Grecs leur Cerès. Isis fut particulierement honorée en Grece, comme il est aisé de le voir par le grand nombre de monumens qu'on lui érigeoit dans ce pays, & par les figures d'Isis qu'on voit sur les médailles grecques. Le culte d'Isis & des autres dieux égyptiens, eut d'abord beaucoup de peine à s'établir à Rome, quoique la tolérance fût extrême pour les opinions & les cultes étrangers que chacun pouvoit librement adopter & suivre dans le particulier. Le culte d'Isis ne fut incorporé qu'assez tard dans la religion des Romains par arrêt du sénat ; il paroît même qu'il fut rejetté plusieurs fois, sur-tout par la fermeté des consuls Pison & Gabinius qui au rapport de Tertullien s'opposerent fortement à la célébration des mysteres d'Isis. Le senat renouvella souvent les mêmes défenses ; mais l'empereur Commode (Lampridius) eut tant de passion pour ces mysteres, que pour les honorer davantage, il se fit raser, & porta lui-même le simulacre d'Anubis.

On voit par les médailles de l'empereur Julien, & quelques autres où elle paroît portant un navire sur sa main, que, comme le dit Apulée, elle présidoit à la mer, comme si elle eût été la premiere qui eût trouvé l'art de naviger, ou du moins de se servir de voile à cet effet.

Son culte a passé de l'Egypte dans les Gaules ; mais ce seroit peut-être trop donner aux conjectures, que de vouloir dériver le mot de Paris, de , à cause que cette ville n'étoit pas éloignée du fameux temple de la déesse Isis, & d'établir que les Parisiens ont pris un navire pour armes de leur ville, parce que cette déesse y étoit venue dans un vaisseau ; mais on ne peut raisonnablement douter qu'il n'y eût en effet à Paris ou dans son voisinage, au village d'Issy, un fameux temple dédié à la grande déesse des Egyptiens. Les anciennes chartres des abbayes de sainte Genevieve & de saint Germain en font mention, & disent que Clovis & Childebert leurs fondateurs leur ont assigné les dépouilles d'Isis & de son temple ; & nous aurions une preuve sans réplique de ce fait, sans le zele un peu véhément du bon cardinal Brissonet, qui abbé de Saint-Germain-des-Prés, l'an 1514, fit réduire en poudre le grand idole d'Isis qu'on avoit par curiosité conservé dans un coin de ladite église de saint-Germain. Les Iconoclastes tant anciens que modernes ont détruit de belles choses ; le zele aveugle est presque toûjours destructeur.

Tacite dans son traité de moribus Germanorum, nous apprend que le culte d'Isis avoit pénétré jusques chez les Sueves, peuple distingué parmi les anciens Germains ; il avoue qu'il ne comprend pas comment il avoit passé dans un pays si éloigné ; mais si, comme l'établit solidement Dom Pezron, les Sueves étoient sortis d'Asie, il ne seroit pas étonnant qu'ils eussent apporté avec eux un culte qui de l'Egypte avoit passé dans presque tous les pays qui avoient quelque communication avec la Méditerranée ; il seroit aussi très-probable que le culte d'Isis eut été porté dans la Germanie par les Gaulois qui y envoyerent des colonies, & qui avoient reçû eux-mêmes le culte de cette déesse, ou par les Phéniciens qui allant jusqu'à Gades ou Cadix, s'étoient souvent arrêtés sur les côtes des Gaules, ou par les Carthaginois qui furent long-tems en commerce avec les Gaulois, & leur porterent, comme on le sait, le culte de Saturne & de quelques autres divinités greques.

Ce qui confirmeroit ce dernier sentiment, c'est qu'au rapport du même Tacite, les Sueves honoroient Isis sous la figure d'un vaisseau : or, comme l'assure cet illustre auteur, il n'étoit pas permis aux anciens Germains de peindre leurs dieux sous une figure humaine, pouvant d'ailleurs les honorer sous d'autres représentations ; ils prirent le vaisseau pour le symbole d'Isis, voulant marquer par-là de quelle maniere le culte de cette déesse avoit passé dans l'occident chez les Gaulois, & de ceux-ci chez eux par les colonies qu'ils y avoient envoyées.

Dom Bernard de Montfaucon dans son bel ouvrage de l'antiquité expliquée par les figures, a donné une belle collection de marbres anciens, de pierres gravées, de médailles, de tables, &c. où sont diverses figures d'Isis, avec ses attributs, & les hieroglyphes d'Egypte dont elles sont accompagnées ; il les a expliquées la plûpart fort heureusement ; on doit lui tenir compte de sa modestie, dans les cas où ne voyant rien il a cru devoir se taire & épargner à ses lecteurs les scholastiques rêveries dont sont remplis les commentaires & les remarques des critiques du moyen âge ; on ne peut, par exemple, que trouver ridicule l'explication que Leonard Augustini dans son ouvrage le gemme antiche figurate, nous donne de la pêche & des feuilles de pêcher qui ornent assez souvent la tête d'Isis ; il les prend pour un titre de la vérité, parce que ce fruit a la figure du coeur, & les feuilles celle de la langue, qui réunies ensemble composent la vérité, ancienne divinité honorée des Egyptiens, dans le tems que ce fruit l'un des plus beaux, ne désigne sans-doute que la part qu'Isis (la nature) a aux diverses productions de la terre ; si l'on veut ainsi donner essor à son imagination, les rocailles, les aîles de chauvesouris si fort à la mode aujourd'hui, tous les ouvrages admirables de Germain & des autres excellens maîtres de l'art,

Aux Saumaises futurs préparent des tortures.

ISIS, fête du vaisseau d'(Littér.) fête annuelle que les Egyptiens célébroient au mois de Mars en l'honneur du vaisseau d'Isis, depuis qu'ils eurent quitté l'aversion ridicule qu'ils avoient pour la mer.

Cette fameuse fête fut établie par les Egyptiens, comme un hommage qu'ils rendoient à Isis, ainsi qu'à la reine de la mer, pour l'heureux succès de la navigation, qui recommençoit à l'entrée du printems.

Voulez-vous en savoir quelques détails ? écoutez ce qu'Isis en apprit elle-même à Apulée, lorsqu'elle lui apparut dans toute sa majesté, comme le feint agréablement cet auteur. Mes prêtres, lui dit-elle, doivent m'offrir demain les prémices de la navigation, en me dédiant un navire tout neuf, & qui n'a pas encore servi : c'est aussi présentement le tems favorable, parce que les tempêtes qui regnent pendant l'hyver, ne sont plus à craindre, & que les flots qui sont devenus paisibles, permettent qu'on puisse se mettre en mer.

Apulée nous étale ensuite toute la grandeur de cette solemnité, & la pompe avec laquelle on se rendoit au bord de la mer, pour consacrer à la déesse un navire construit très-artistement, & sur lequel on voyoit de toutes parts des caracteres égyptiens. On purifioit ce bâtiment avec une torche ardente, des oeufs & du soufre ; sur la voile qui étoit de couleur blanche, se lisoient en grosses lettres les voeux qu'on renouvelloit tous les ans pour recommencer une heureuse navigation.

Les prêtres & le peuple alloient ensuite porter avec zele dans ce vaisseau, des corbeilles remplies de parfums, & tout ce qui étoit propre aux sacrifices ; & après avoir jetté dans la mer une composition faite avec du lait & autres matieres, on levoit l'ancre pour abandonner en apparence le vaisseau à la merci des vents.

Cette fête passa chez les Romains qui la solemniserent sous les empereurs avec une magnificence singuliere. L'on sait qu'il y avoit un jour marqué dans les fastes pour sa célébration ; Ausone en parle en ces termes :

Adjiciam cultus, peregrinaque sacra,

Natalem herculeum, vel ratis isiacae.

Le vaisseau d'Isis qu'on fêtoit pompeusement à Rome, s'appelloit navigium Isidis ; après qu'il avoit été lancé à l'eau, on revenoit dans le temple d'Isis, où l'on faisoit des voeux pour la prospérité de l'empereur, de l'empire, & du peuple romain, ainsi que pour la conservation des navigateurs pendant le cours de l'année ; le reste du jour se passoit en jeux, en processions, & en réjouissances.

Les Grecs si sensibles au retour du printems qui leur ouvroit la navigation, ne pouvoient pas manquer de mettre au nombre de leurs fêtes celle du vaisseau d'Isis, eux qui avoient consacré tant d'autels à cette divinité. Les Corinthiens étoient en particulier des adorateurs si dévoués à cette déesse, qu'au rapport de Pausanias, ils lui dédierent dans leur ville jusqu'à quatre temples, à l'un desquels ils donnerent le nom d'Isis pélasgienne, & à un autre le titre d'Isis égyptienne, pour faire connoître qu'ils ne la révéroient pas seulement comme la premiere divinité de l'Egypte, mais aussi comme la patrone de la navigation, & la reine de la mer. Voyez ISIS.

Plusieurs autres peuples de la Grece célébrerent à l'exemple de Corinthe la fête du vaisseau d'Isis. Ce vaisseau nommé par les auteurs , est encore plus connu sous le nom de . Il est même assez vraisemblable que le vaisseau sacré de Minerve, qu'on faisoit paroître avec tant d'appareil aux grandes Panathénées, n'étoit qu'une représentation du navire sacré d'Isis. Voyez NAVIRE SACRE. (D.J.)


ISITÉRIESsubst. fém. pl. (Antiq. Greq.) fête des Athéniens, qui tomboit au commencement de Juin ; c'étoit le jour auquel les magistrats entroient en charge à Athènes, & par lequel ils commençoient leur année de magistrature. (D.J.)


ISITESsubst. masc. pl. (Hist. mod.) nom d'une secte de la religion des Turcs, ainsi appellée de leur premier docteur qui se nommoit Isamerdad, qui a soutenu que l'alcoran de Mahomet a été créé, & n'est pas éternel, ce qui parmi les Musulmans passe pour une horrible impiété. Lorsqu'on leur objecte cet anatheme de leur prophete, que celui-là soit estimé infidele, qui dit que l'alcoran a été créé, ils se sauvent par cette distinction subtile, que Mahomet parle en cet endroit de l'original & non pas de la copie ; qu'il est vrai que cet original est dans le ciel, écrit de la main de Dieu même, mais que l'alcoran de Mahomet n'est qu'une copie de cet original, d'après lequel elle a été transcrite dans le tems. On sent que par cette réponse ils mettent leurs adversaires dans la nécessité de prouver que l'alcoran est incréé, & cela doit être fort embarrassant pour eux. Ricaut, de l'empire Ottom.


ISJou IXO, (Géog.) royaume du Japon dans l'île Niphon. Il a le royaume d'Oméa à l'O. celui de Voari à l'E. & celui d'Inga au S. Le chef de la seconde Dynastie y a un temple qui est le plus ancien de l'empire, & le terme d'un fameux pélerinage. (D.J.)


ISLAMsubst. fém. (Hist. turq.) Islam ou islamisme, est la même chose que le Musulmanisme ou le Mahométisme ; car moslemin veut dire les Musulmans ; c'est M. d'Herbelot qui a introduit ces mots dans notre langue, & ils méritoient d'être adoptés. Islam vient du verbe salama, se résigner à la volonté de Dieu, & à ce que Mahomet a révélé de sa part, dont le contenu se trouve dans le livre nommé Coran, c'est-à-dire, le livre par excellence. Ce livre qui fourmille de contradictions, d'absurdités, & d'anachronismes, renferme presque tous les préceptes de l'islamisme, ou de la religion musulmane. Nous l'appellons alcoran. Voyez ALCORAN & MAHOMETISME. (D.J.)


ISLANDE(Géog.) Islandia, grande île de l'océan septentrional, située entre la Norwege & le Groenland, au nord de l'Ecosse, & appartenante au roi de Danemarck. La plûpart des auteurs qui ont parlé de l'Islande, nous en ont donné des notions très-peu exactes : suivant la derniere carte qui a été levée de cette île par les ordres du roi de Danemarck, sa partie méridionale commence au 63 dégré 15 minutes de latitude, & sa partie la plus septentrionale va jusqu'au 67 dégré 12 minutes. Quant à sa longitude, elle est de 25 degrés à l'ouest du méridien de Lunden en Scanie ; par conséquent elle est plus orientale de quatre degrés, que toutes les cartes ne l'avoient placée jusqu'ici.

L'Islande est, à l'exception de la Grande-Bretagne, la plus grande des îles de l'Europe. Suivant M. Horrebow, sa longueur est de 120 mille danois ; quant à sa largeur elle varie, étant dans quelques endroits de 40, dans d'autres de 50 à 60 milles.

Les habitans de l'Islande professent la religion luthérienne, comme les autres sujets du roi de Danemarck ; on compte deux évêchés dans cette île ; l'un est à Holum, & l'autre à Skalholt. Il n'y a proprement point de villes en Islande ; on donne ce nom aux endroits où l'on se rassemble pour le commerce : ce sont des villages sur le bord de la mer, composés de 40 ou 50 maisons. Bessested est le lieu où résident les officiers que la cour de Danemarck envoye pour le gouvernement de l'île, & pour la perception de ses revenus ; le pays est partagé en différens districts que l'on appelle Syssel. Les habitations des Islandois sont éparses & séparées les unes des autres ; le commerce consiste en poissons secs, en viandes salées, en suif, en laine, en beurre, en peaux de brebis & de renards de differentes couleurs, en plumes, en aigledon, &c. C'est une compagnie privilégiée qui porte en Islande les marchandises dont on peut y avoir besoin.

L'Islande est remplie de montagnes fort élevées, qu'on nomme Joeklar ou Joekul en langage du pays. Voyez l'article GLACIER. Elles sont perpétuellement couvertes de neiges, & leurs sommets sont glacés ; c'est ce qui, joint au froid rigoureux qu'on y sent, a fait donner à cette île le nom qu'elle porte, qui signifie pays de glace. Quelques-unes de ces montagnes sont des volcans, & jettent des flammes en de certains tems ; le mont Hecla est sur-tout fameux par ses éruptions. Voyez HECLA. (Géogr.) L'Islande porte par-tout des marques indubitables des ravages que les éruptions des volcans y ont causés, par les laves, les pierres-ponces, les cendres & le soufre que l'on y rencontre à chaque pas. Les tremblemens de terre y sont très-fréquens, & tout semble annoncer que ce pays a souffert de terribles révolutions.

Un seigneur Norwégien nommé Ingolphe, s'étant mis à la tête de plusieurs de ses compatriotes, mécontens comme lui de la tyrannie de Harald roi de Norwége, passa en l'an 874 dans l'île d'Islande, & s'y établit avec sa colonie composée de fugitifs. Leur exemple fut bien-tôt suivi par un grand nombre d'autres Norwégiens, & depuis ce tems les Islandois ont conservé une histoire très-complete de leur île. Nous voyons que ces fugitifs y établirent une république qui se soutint vigoureusement contre les efforts de Harald & de ses successeurs ; elle ne fut soumise au royaume de Norwége, que quatre cent ans après, avec lequel l'Islande fut enfin réunie à la couronne de Danemarck.

On a toûjours crû que l'Islande étoit l'ultima Thule des Romains ; mais un grand nombre de circonstances semblent prouver que jamais les anciens n'ont poussé leur navigation si loin dans le Nord.

L'Islande n'a reçu que fort tard la lumiere de l'Evangile ; Jonas fixe cette époque à l'an 1000. de l'ére chrétienne. Cette île a produit plusieurs auteurs célebres, dont les écrits ont jetté un très-grand jour sur l'histoire des peuples du Nord, & sur la religion des anciens Celtes qui habitoient la Scandinavie. De ce nombre sont Saemund Sigfusson, qui naquit en 1057 ; Arc Frode, Snorro Sturleson, qui naquit en 1179, & qui après avoir rempli deux fois la dignité de juge suprême d'Islande, fut assassiné par une faction en 1241. C'est à lui qu'on est redevable de l'Edda, ou de la mythologie islandoise, dont nous allons parler. Parmi les historiens on compte aussi Jonas Arngrim, Torfaeus, &c. La description qui nous a été donnée de l'Islande par M. Anderson, est très-peu fidele, elle n'a été faite, de l'aveu de l'auteur même, que sur les relations de personnes qui ne connoissoient ce pays que très-imparfaitement ; la description la plus moderne & la plus exacte, est celle qui a été publiée à Copenhague en 1752, par M. Horrebow islandois de nation, & témoin oculaire de tout ce qu'il rapporte. (-)

De l'Edda, ou de la Mythologie des Islandois. L'Edda, est un livre qui renferme la Théologie, la Théogonie, & la Cosmologie des anciens Celtes Scandinaves, c'est-à-dire des peuples qui habitoient la Norwege, la Suede, le Danemarck, &c. Le mot d'Edda, signifie en langue gothique ayeule ; on l'appelle Edda des Islandois, parce que ce sont des auteurs islandois qui nous ont conservé ce morceau curieux de la Mythologie commune à toutes les nations septentrionales de l'Europe. Dès l'antiquité la plus reculée, les Celtes ont connu la Poésie ; leurs poëtes, qui s'appelloient Scaldes, faisoient des hymnes pour célébrer les dieux & les héros ; ces hymnes s'apprenoient par coeur ; c'étoit-là la seule maniere de transmettre à leur postérité les exploits de leurs ayeux & les dogmes de leur religion ; il n'étoit point permis de les écrire ; ce ne fut qu'après que l'Islande eût embrassé le Christianisme, qu'un auteur islandois, nommé Saemund Sigfusson, écrivit l'Edda, pour conserver parmi ses compatriotes l'intelligence d'un grand nombre de poésies qui avoient été faites d'après une religion qu'ils venoient d'abandonner, mais dont les hymnes étoient encore dans la bouche de tout le monde. Il paroît que ce recueil de Saemund s'est perdu ; il ne nous en reste que trois morceaux qui sont parvenus jusqu'à nous. 120 ans après Saemund, un savant islandois, nommé Snorro Sturleson, d'une des familles les plus illustres de son pays, dont il remplit deux fois la premiere magistrature, donna une nouvelle Edda, moins étendue que la premiere ; dans laquelle il ne fit qu'extraire ce qu'il y avoit de plus important dans la Mythologie ancienne ; il en forma un système abrégé, où l'on pût trouver toutes les fables propres à expliquer les expressions figurées, rapportées dans les poésies de son pays. Il donna à son ouvrage la forme d'un dialogue ou entretien d'un roi de Suede à la cour des dieux. Les principaux dogmes de la Théologie des Celtes, y sont exposés, non d'après leurs philosophes, mais d'après leurs scaldes ou poëtes ; ce livre fait connoître les dieux que tout le Nord a adorés avant le Christianisme.

M. J. P. Resenius publia en 1665 à Copenhague, le texte de l'Edda en ancien islandois ; il y joignit une traduction latine & une autre traduction danoise. Enfin, M. Mallet, professeur des Belles-Lettres françoises à Copenhague, a publié en 1756, une traduction françoise de l'Edda des Islandois ; c'est un des monumens les plus curieux de l'antiquité ; il est dépouillé d'inutilités, & rédigé par un homme judicieux, savant, & philosophe ; l'Edda est à la suite de son introduction à l'histoire de Danemarck. Nous allons tirer de cet ouvrage intéressant les principaux points de la Mythologie des anciens Scandinaves.

Ils admettoient un dieu nommé Alfader ou Odin, qui vit toûjours, qui gouverne tout son royaume, & les grandes choses comme les petites ; il a créé le ciel & la terre ; il a fait les hommes, & leur a donné une ame qui doit vivre & qui ne se perdra jamais, même après que le corps se sera réduit en poussiere & en cendres. Tous les hommes justes doivent habiter avec ce dieu, d'abord dans un séjour appellé valhalla, & ensuite dans un lieu nommé gimle ou vingolf, palais d'amitié ; mais les méchans iront vers nela, la mort ; & de-là à niflheim, l'enfer, en-bas dans le neuvieme monde ; & ensuite après la destruction de l'univers dans un séjour appellé nastrand. Ce dieu avant que de former le ciel & la terre vivoit avec les géants ; un poëme ancien des peuples du Nord, appellé voluspa, dit de lui " au commencement du tems, lorsqu'il n'y avoit rien, ni rivage, ni mer, ni fondement au-dessous, on ne voyoit point de terre en-bas, ni de ciel en haut ; un vaste abyme étoit tout ; on ne voyoit de verdure nulle part ". Dieu créa niflheim, ou le séjour des scélérats, avant que de créer la terre. Au milieu de ce séjour funeste est une fontaine qui se nomme Huergelmar, d'où découlent les fleuves appellés l'angoisse, l'ennemi de la joie, le séjour de la mort, la perdition, le gouffre, la tempête, le tourbillon, le rugissement, le hurlement, le vaste & le bruyant, qui coule près des grilles du séjour de la mort, qui s'appelloit Hela. Cette Hela avoit le gouvernement de neuf mondes, pour qu'elle y distribue des logemens à ceux qui lui sont envoyés, c'est-à-dire à tous ceux qui meurent de maladie ou de vieillesse ; elle possede dans l'enfer de vastes appartemens, défendus par des grilles ; sa salle est la douleur ; sa table est la famine ; son coûteau la faim ; son valet le retard ; sa servante la lenteur ; sa porte le précipice ; son vestibule la langueur ; son lit la maigreur & la maladie ; sa tente la malédiction : la moitié de son corps est bleue, l'autre moitié est revêtue de la peau & de la couleur humaine ; elle a un regard effrayant : mais avant toutes choses existoit un lieu nommé muspelheim ; c'est un monde lumineux, ardent, inhabitable aux étrangers, situé à l'extrémité de la terre ; Surtur le noir y tient son empire ; dans ses mains brille une épée flamboyante ; il viendra à la fin du monde ; il vaincra tous les dieux, & livrera l'univers en proie aux flammes.

Ces morceaux tirés de l'Edda, font connoître quelle étoit l'imagination de ces anciens Celtes, & leurs idées sur la formation du monde & sur sa destruction, qui devoit entraîner les dieux & les hommes. On voit aussi que leurs dogmes tendoient à exciter le courage, puisqu'ils assignoient des places aux enfers pour ceux qui mouroient de vieillesse & de maladie ; quant à ceux qui périssoient dans les combats, ils alloient au sortir de ce monde dans un séjour nommé valhalla, ou le palais d'Odin, où ils passoient leur tems en festins & en batailles. Voyez ODIN, & voyez VALHALLA.

Suivant cette mythologie, il y avoit trois grands dieux ; Odin, qui s'appelloit le pere des dieux & des hommes, & de toutes les choses produites par sa vertu ; Frigga, la terre, étoit sa fille & sa femme, & il a eu d'elle le dieu Thor ; c'étoient-là les trois grandes divinités des peuples du Nord. Ils reconnoissoient outre cela plusieurs autres dieux subalternes ; Balder étoit le second fils d'Odin ; on croit que c'est Belenus ou le Soleil. Niord étoit le Neptune des Scandinaves ; il eut un fils & une fille nommés Frey & Freya ; le premier étoit le dieu qui présidoit aux saisons ; Freya étoit la déesse de l'Amour ou la Vénus des Celtes. Tyr, étoit le dieu de la guerre, très-révéré par des peuples chez qui la valeur étoit la plus haute des vertus. Heimdall étoit un dieu puissant ; on l'appelloit le gardien des dieux ; il défendoit le pont de Bifrost, c'est-à-dire, l'arc-en-ciel, pour empêcher les géants d'y passer pour aller attaquer les dieux dans le ciel. Le dieu Haeder étoit aveugle, mais extrêmement fort ; Vidar étoit un dieu puissant ; Vali ou Vile étoit fils d'Odin & de Rinda ; Uller étoit le gendre de Thor ; Forsete étoit fils de Balder ; c'étoit le dieu de la réconciliation, & il assoupissoit toutes les querelles.

Quelques-uns mettent Loke au rang des dieux ; mais il étoit fils d'un géant, & l'Edda l'appelle le calomniateur des dieux, l'artisan des tromperies, & l'opprobre des dieux & des hommes ; il paroît que les Scandinaves vouloient designer sous ce nom le diable ou le mauvais principe.

Les déesses dont il est fait mention dans l'Edda, sont Frigga, femme d'Odin, c'est la terre ; Saga Eira, déesse de la Medecine ; Gésione, déesse de la Chasteté ; Fylla, compagne & confidente de Frigga ; Freya, la déesse de l'Amour, à qui on donnoit aussi le nom de Vanadis, déesse de l'Espérance ; Siona, la déesse qui enflamme les amans les uns pour les autres ; Lovna réconcilie les amans brouillés ; Vara préside aux sermens & aux promesses des amans ; Vora déesse de la Prudence ; Synia est la gardienne de la porte du palais des dieux ; Lyna, délivre des dangers ; Snotra est la déesse de la Science ; Gna est la ménagere de Frigga ; Sol & Bil, étoient encore des déesses. Il y avoit outre cela les déesses nommées Valkyries : elles choisissoient ceux qui devoient avoir la gloire d'être tués dans les combats ; enfin, Jord & Rinda, sont aussi mises au rang des déesses. Outre ces déesses, chaque homme a une divinité qui détermine la durée & les évenemens de sa vie. Les trois principales sont Urd, le passé ; Werandi, le présent ; & Sculde, l'avenir.

Tous ces dieux & ces déesses passoient leur tems dans le séjour céleste à boire de l'hydromel, & à voir les combats des héros admis avec eux dans le Valhalla ; souvent ils alloient eux-mêmes chercher des avantures, dont quelquefois ils se tiroient très-mal ; ils combattoient des géants, des génies, des magiciens, & d'autres êtres imaginaires, dont cette mythologie est remplie.

L'Edda parle ensuite d'un tems appellé ragnarokur, ou le crépuscule des dieux : ce tems est annoncé par un froid rigoureux & par trois hivers affreux ; le monde entier sera en guerre & en discorde ; les freres s'égorgeront les uns les autres, le fils s'armera contre son pere, & les malheurs se succéderont jusqu'à la chûte du monde. Un loup monstrueux nommé Fenris, dévorera le soleil ; un autre monstre emportera la lune ; les étoiles disparoîtront ; la terre & les montagnes seront violemment ébranlées ; les géants & les monstres déclarent la guerre aux dieux réunis ; & Odin lui-même finit par être dévoré. Alors le monde sera embrasé, & fera place à un séjour heureux appellé Gimle, le ciel, où il y aura un palais d'or pur : c'est-là que seront ceux d'entre les dieux qui auront survécu à la ruine du monde, & qu'habiteront les hommes bons & justes : pour les méchans, ils iront dans le Nastrande, bâtiment vaste, construit de cadavres de serpens, où coule un fleuve empoisonné, sur lequel flotteront les parjures & les meurtriers. D'où l'on voit que ces peuples distinguoient deux cieux, le Valhalla & le Gimle ; & deux enfers, Niflheim & Nastrande.

Les idées de ces peuples sur la formation de la terre & la création de l'homme, n'étoient pas moins singulieres que le reste de leur doctrine. Voici comme en parlent leurs poëtes : " dans l'aurore des siecles, il n'y avoit ni mer, ni rivage, ni zéphirs rafraîchissans ; tout n'étoit qu'un vaste abîme sans herbes & sans semences. Le soleil n'avoit point de palais ; les étoiles ne connoissoient point leurs demeures ; la lune ignoroit son pouvoir ; alors il y avoit un monde lumineux & enflammé du côté du midi ; de ce monde des torrens de feux étincelans s'écouloient sans-cesse dans l'abîme qui étoit au septentrion, en s'éloignant de leur source, ces torrens se congeloient dans l'abîme, & le remplissoient de scories & de glaces. Ainsi l'abîme se combla ; mais il y restoit au-dedans un air léger & immobile, & des vapeurs glacées s'en exhaloient ; alors un souffle de chaleur étant venu du midi, fondit ces vapeurs, & en forma des gouttes vivantes, d'où naquit le géant Ymer ". De la sueur de ce géant il naquit un mâle & une femelle, d'où sortit une race de géans méchans, ainsi que leur auteur Ymer. Il naquit aussi une autre race meilleure qui s'allia avec celle d'Ymer : cette race s'appella la famille de Bor, du nom du premier de cette famille, qui fut pere d'Odin. Les descendans de Bor tuerent le géant Ymer, & exterminerent toute sa race, à l'exception d'un de ses fils & de sa famille, qui échappa à leur vengeance ; les enfans de Bor formerent un nouveau monde du corps du géant Ymer ; son sang forma la mer & les fleuves ; sa chair fit la terre ; ses os firent les montagnes ; ses dents firent les rochers ; ils firent de son crâne la voûte du ciel ; elle étoit soutenue par quatre nains nommés Sud, Nord, Est, & Ouest, ils y placerent des flambeaux pour éclairer cette voûte ; ils firent la terre ronde, & la ceignirent de l'Océan, sur les rivages duquel ils placerent des géans. Les fils de Bor se promenant un jour sur les bords de la mer, trouverent deux morceaux de bois flottans, dont ils formerent l'homme & la femme ; l'ainé des fils de Bor leur donna l'ame & la vie, le second, le mouvement & la science, le troisieme, la parole, l'ouie, la vûe, la beauté, & des vêtemens. Cet homme fut nommé Askus, & sa femme Embla, tous les hommes qui habitent la terre en sont descendus.

La seconde partie de l'Edda, ou de la Mythologie islandoise, est remplie d'avantures merveilleuses, & de combats des dieux avec les géans. Ces détails sont suivis d'une espece de dictionnaire poétique, dans lequel les noms des dieux sont mis avec toutes les épithetes qu'on leur donnoit ; Snorro Sturleson l'avoit compilé pour l'usage des Islandois, qui se destinoient à la profession de scaldes ou de poëtes.

A l'égard des morceaux contenus dans l'Edda de Saemund Sigfusson, qui sont parvenus jusqu'à nous ; la premiere de ces pieces est un poëme appellé voluspa, c'est-à-dire l'oracle de Vola ; c'est un poëme de quelques centaines de vers qui contient le système de Mythologie qu'on a vu dans l'Edda des Islandois. Cet ouvrage est rempli de desordre & d'enthousiasme ; on y décrit les ouvrages des dieux, leurs fonctions, leurs exploits, le dépérissement de l'univers, son embrasement total, & son renouvellement, l'état heureux des bons, & les supplices des méchans.

Le second morceau est nommé havamal, ou discours sublime ; c'est la morale d'Odin qui l'avoit, dit-on, apportée de la Scythie sa patrie, lorsqu'il vint faire la conquête des pays du Nord ; on croit que sa religion étoit celle des Scythes, & que sa philosophie étoit la même que celle de Zamolxis, de Dicenaeus, & d'Anacharsis. Nous allons en rapporter les maximes les plus remarquables.

" L'hôte qui vient chez vous a-t-il les genoux froids, donnez-lui du feu : celui qui a parcouru les montagnes a besoin de nourriture & de vêtemens bien séchés.

Heureux celui qui s'attire la louange & la bienveillance des hommes ; car tout ce qui dépend de la volonté des autres, est hasardeux & incertain.

Il n'y a point d'ami plus sûr en voyage qu'une grande prudence ; il n'y a point de provision plus agréable. Dans un lieu inconnu, la prudence vaut mieux que les trésors ; c'est elle qui nourrit le pauvre.

Il n'y a rien de plus inutile aux fils du siecle, que de trop boire de biere ; plus un homme boit, plus il perd de raison. L'oiseau de l'oubli chante devant ceux qui s'enyvrent, & dérobe leur ame.

L'homme dépourvu de sens, croit qu'il vivra toûjours s'il évite la guerre ; mais si les lances l'épargnent, la vieillesse ne lui fera point de quartier.

L'homme gourmand mange sa propre mort ; & l'avidité de l'insensé est la risée du sage.

Aimez vos amis, & ceux de vos amis ; mais ne favorisez pas l'ennemi de vos amis.

Quand j'étois jeune, j'étois seul dans le monde ; il me sembloit que j'étois devenu riche quand j'avois trouvé un compagnon ; un homme fait plaisir à un autre homme.

Qu'un homme soit sage moderément, & qu'il n'ait pas plus de prudence qu'il ne faut ; qu'il ne cherche point à savoir sa destinée, s'il veut dormir tranquille.

Levez-vous matin si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi : le loup qui est couché ne gagne point de proie, ni l'homme qui dort de victoires.

On m'invite à des festins lorsque je n'ai besoin que d'un déjeuner ; mon fidele ami est celui qui me donne un pain quand il n'en a que deux.

Il vaut mieux vivre bien, que long-tems ; quand un homme allume son feu, la mort est chez lui avant qu'il soit éteint.

Il vaut mieux avoir un fils tard que jamais : rarement voit-on des pierres sépulcrales élevées sur les tombeaux des morts par d'autres mains que celles de leurs fils.

Les richesses passent comme un clin d'oeil ; ce sont les plus inconstantes des amies. Les troupeaux périssent, les parens meurent ; les amis ne sont point immortels, vous mourrez vous-même : Je connois une seule chose qui ne meurt point, c'est le jugement qu'on porte des morts.

Louez la beauté du jour, quand il est fini ; une femme, quand vous l'aurez connue ; une épée, quand vous l'aurez essayée ; une fille, quand elle sera mariée ; la glace, quand vous l'aurez traversée ; la biere, quand vous l'aurez bûe.

Ne vous fiez pas aux paroles d'une fille, ni à celles que dit une femme ; car leurs coeurs ont été faits tels que la roue qui tourne ; la légereté a été mise dans leurs coeurs. Ne vous fiez ni à la glace d'un jour, ni à un serpent endormi, ni aux caresses de celles que vous devez épouser, ni à une épée rompue, ni au fils d'un homme puissant, ni à un champ nouvellement semé.

La paix entre des femmes malignes est comme de vouloir faire marcher sur la glace un cheval qui ne seroit pas ferré, ou comme de se servir d'un cheval de deux ans, ou comme d'être dans une tempête avec un vaisseau sans gouvernail.

Il n'y a point de maladie plus cruelle, que de n'être pas content de son sort.

Ne découvrez jamais vos chagrins au méchant, car vous n'en recevrez aucun soulagement.

Si vous avez un ami, visitez-le souvent ; le chemin se remplit d'herbes, & les arbres le couvrent bien-tôt, si l'on n'y passe sans-cesse.

Ne rompez jamais le premier avec votre ami ; la douleur ronge le coeur de celui qui n'a que lui-même à consulter.

Il n'y a point d'homme vertueux qui n'ait quelque vice, ni de méchant quelque vertu.

Ne vous moquez point du vieillard, ni de votre ayeul décrépit, il sort souvent des rides de la peau des paroles pleines de sens.

Le feu chasse les maladies ; le chêne la strangurie ; la paille détruit les enchantemens ; les runes détruisent les imprécations ; la terre absorbe les inondations ; la mort éteint les haines ".

Telles étoient les maximes de la théologie & de la morale de ces peuples du Nord. On voit que l'une & l'autre étoit adaptée au génie d'un peuple belliqueux, dont la guerre faisoit les délices : il n'est donc pas surprenant qu'une nation nourrie dans ces principes, se soit rendue redoutable à toute la terre, & ait fait trembler les Romains mêmes, ces vainqueurs & ces tyrans du reste de l'univers. La crainte de l'opprobre dans ce monde, & des supplices reservés dans l'autre à ceux qui périssoient d'une mort naturelle : la vûe de la gloire & du bonheur destinés à ceux qui mouroient dans les combats, devoient nécessairement exciter chez les Scandinaves, un courage à qui rien ne pouvoit résister. Un roi de Danemarck établit à Jomsbourg une république propre à former des soldats ; il y étoit défendu de prononcer le nom de la peur, même dans les plus grands dangers. Ce législateur réussit en effet à détruire dans les soldats le sentiment de la crainte. En effet, les Jomsbourgeois ayant fait une irruption en Norwege, furent vaincus, malgré leur opiniâtreté : leurs chefs ayant été faits prisonniers furent condamnés à la mort. Cette nouvelle loin de les allarmer, fut pour eux un sujet de joie ; & personne ne donna le moindre signe d'effroi. L'un deux dit à celui qui alloit le tuer, de le frapper au visage : je me tiendrai immobile, & tu observeras si je donne quelque signe de frayeur. Un roi des Goths mourut en chantant une hymne sur le champ de bataille, & s'écria à la fin d'une strophe, les heures de ma vie se sont envolées, je mourrai en riant. Un auteur de ce pays, parlant d'un combat singulier, dit que l'un des combattans tomba, rit, & mourut. Le roi Regner Lodbrog, prêt à mourir de ses blessures s'écrie, nous nous sommes détruits à coups d'épées ; mais je suis plein de joie en pensant que le festin se prépare dans le palais d'ODIN. Nous boirons de la biere dans les crânes de nos ennemis : un homme brave ne redoute point la mort ; je ne prononcerai point des paroles d'effroi en entrant dans la salle d'ODIN. Enfin, l'histoire de ces peuples est remplie de traits qui prouvent le mépris de la vie & une joie sincere aux approches de la mort ; au contraire ils se lamentoient dans les maladies, par la crainte d'une fin honteuse & misérable ; & souvent les malades se faisoient porter dans la mêlée pour y mourir d'une façon plus glorieuse, & les armes à la main.

Il n'est point surprenant que la religion d'une nation si intrépide fût barbare & sanguinaire. L'histoire nous apprend que les peuples du Danemarck s'assembloient tous les neuf ans au mois de Janvier en Sélande dans un endroit appellé Lethra : là ils immoloient aux dieux 99 hommes, & autant de chevaux, de chiens, & de coqs. Les prêtres de ces dieux inhumains, issus d'une famille qu'on appelloit la race de Bor, étoient chargés d'immoler les victimes. Dans un tems de calamité les Suédois sacrifierent un de leurs rois, comme le plus haut prix dont ils pussent racheter la faveur du ciel.

Ces peuples avoient leurs oracles, leurs devins, & leurs magiciens, qu'ils consultoient dans de certaines occasions. Odin étoit regardé comme le pere de la Magie & l'inventeur des caracteres runiques. Voyez RUNIQUES.

Chez un peuple si intrépide le gouvernement absolu étoit ignoré, l'on y étoit fortement attaché à la liberté qui a toûjours été le partage des pays du Nord, tandis que l'asservissement a été celui des peuples énervés du Midi. Les nations du Nord avoient des lois dont plusieurs sont parvenues jusqu'à nous ; elles étoient très-séveres contre ceux qui fuyoient dans les combats ; ils étoient déclarés infâmes, exclus de la société, & même étouffés dans un bourbier.

Leurs idées de la justice étoient conformes aux maximes que l'on a vûes, & ils croyoient que les dieux se rangent du côté des plus forts. Une de leurs lois portoit, on décidera par le fer les démêlés, car il est plus beau de se servir de son bras que d'invectives dans les différends. Fondés sur cette maxime, ils se battoient dans toutes les occasions où nous plaidons actuellement : il paroît que c'est de ces peuples qu'est venu l'usage du combat judiciaire. C'étoit aussi d'après ces principes, qu'ils alloient faire des incursions & des pirateries chez tous leurs voisins : à la faveur de ces irruptions ils ont conquis plusieurs royaumes, & pillé un grand nombre de provinces. La piraterie étoit une ressource nécessaire à des hommes qui avoient un profond mépris pour les Arts & pour l'Agriculture.

Les peuples du Nord, malgré leur ardeur guerriere & la rigueur de leur climat, n'étoient point insensibles à l'amour ; ils avoient une très-grande vénération pour les femmes ; ils ne se marioient que tard, parce qu'ils ne vouloient épouser leurs maîtresses qu'après les avoir méritées. Une beauté norwégienne refusa de partager le lit d'un monarque, avant qu'il eût terminé une expédition périlleuse qu'il avoit commencée.

Le roi Regner Lodbrog essuya de semblables refus d'une simple bergere à qui il avoit présenté ses voeux & sa couronne. Aslanga, c'étoit le nom de la bergere, ne se rendit à ses desirs, qu'après qu'il fut revenu victorieux de son entreprise. Les femmes de ces guerriers méritoient bien d'être acquises à un très-haut prix ; elles excitoient les hommes aux grandes choses, & elles étoient renommées par leur chasteté & leur fidélité. Suivant Tacite, chez elles on ne rioit point des vices, & l'on ne se justifioit point de ses intrigues amoureuses, sous prétexte de la mode. Voyez l'Introduction à l'histoire de Danemarck, par M. Mallet. (-)


ISLES. f. (Géog. & Phys.) étendue de terre environnée d'eau.

Il est probable que plusieurs des îles que nous connoissons, ont été séparées du continent par quelque tremblement de terre. On connoît les vers de Virgile sur la Sicile : on peut voir aussi la dissertation de M. Desmarest sur l'ancienne jonction de l'Angleterre au continent. Voyez TERRE, MER, TERRAQUE, GEOGRAPHIE, &c.

Les îles nouvelles, dit M. de Buffon, dans son histoire naturelle, se forment de deux façons, ou subitement par l'action des feux souterrains, ou lentement par le dépôt du limon des eaux. Nous parlerons d'abord de celles qui doivent leur origine à la premiere de ces deux causes. Les anciens historiens & les voyageurs modernes, rapportent à ce sujet des faits, de la vérité desquels on ne peut guere douter. Séneque assûre que de son tems l'île de Thérasie, aujourd'hui Santorin, parut tout-d'un-coup à la vûe des mariniers. Pline rapporte qu'autrefois il y eut treize îles dans la mer Méditerranée qui sortirent en même tems du fond des eaux, & que Rhodes & Délos sont les principales de ces treize îles nouvelles ; mais il paroît par ce qu'il en dit, & par ce qu'en disent aussi Ammian Marcellin, Philon, &c. que ces treize îles n'ont pas été produites par un tremblement de terre, ni par une explosion souterraine. Elles étoient auparavant cachées sous les eaux, & la mer en s'abaissant a laissé, disent-ils, ces îles à découvert ; Délos avoit même le nom de Pelagia, comme ayant autrefois appartenu à la mer. Nous ne savons donc pas si l'on doit attribuer l'origine de ces treize îles nouvelles à l'action des feux soûterrains, ou à quelqu'autre cause, qui auroit produit un abaissement & une diminution des eaux dans la mer Méditerranée ; mais Pline rapporte que l'île d'Hiera, près de Thérasie, a été formée de masses ferrugineuses & de terres lancées du fond de la mer ; & dans le chap. lxxxix. il parle de plusieurs autres îles formées de la même façon ; nous avons sur tout cela des faits plus certains & plus nouveaux.

Le 23 Mai 1707, au lever du soleil, on vit de cette même île de Thérasie ou de Santorin, à deux ou trois milles en mer, comme un rocher flottant ; quelques gens curieux y allerent & trouverent que cet écueil, qui étoit sorti du fond de la mer, augmentoit sous leurs piés ; & ils en rapporterent de la pierre-ponce & des huîtres que le rocher qui s'étoit élevé du fond de la mer, tenoit encore attachées à sa surface. Il y avoit eu un petit tremblement de terre à Santorin deux jours auparavant la naissance de cet écueil : cette nouvelle île augmenta considérablement jusqu'au 14 Juin sans accident, & elle avoit alors un demi-mille de tour, & 20 à 30 piés de hauteur. La terre étoit blanche & tenoit un peu de l'argile ; mais après cela la mer se troubla de plus en plus ; il s'en éleva des vapeurs qui infectoient l'île de Santorin, & le 16 Juillet on vit 17 ou 18 rochers sortir à-la-fois du fond de la mer, ils se réunirent. Tout cela se fit avec un bruit affreux qui continua plus de deux mois, & des flammes qui s'élevoient de la nouvelle île ; elle augmentoit toujours en circuit & en hauteur, & les explosions lançoient toûjours des rochers & des pierres à plus de sept milles de distance. L'île de Santorin elle même, a passé chez les anciens pour une production nouvelle ; & en 726, 1427, & 1573, elle a reçu des accroissemens, & il s'est formé de petites îles auprès de Santorin. Voyez l'hist. de l'acad. 1708, pag. 23. & suiv. Le même volcan, qui du tems de Séneque a formé l'île de Santorin, a produit du tems de Pline, celle d'Hiera ou de Volcanelle, & de nos jours a formé l'écueil dont nous venons de parler.

Le 10 Octobre 1720, on vit auprès de l'île de Tercere un feu assez considérable s'élever de la mer ; des navigateurs s'en étant approchés par ordre du gouverneur, ils apperçurent le 19 du même mois une île qui n'étoit que feu & fumée, avec une prodigieuse quantité de cendres jettées au loin, comme par la force d'un volcan, avec un bruit pareil à celui du tonnerre. Il se fit en même tems un tremblement de terre qui se fit sentir dans les lieux circonvoisins, & on remarqua sur la mer une grande quantité de pierres-ponces, sur-tout autour de la nouvelle île ; ces pierres-ponces voyagent, & on en a quelquefois trouvé une grande quantité dans le milieu même des grandes mers. Voyez Trans. phil. abr. vol. VI. part. II. pag. 154. L'Histoire de l'académie, année 1721, dit à l'occasion de cet évenement, qu'après un tremblement de terre dans l'île de Saint-Michel, l'une des Açores, il a paru à 28 lieues au large, entre cette île & la Tercere, un torrent de feu qui a donné naissance à deux nouveaux écueils, page 26. Dans le volume de l'année suivante 1722, on trouve le détail qui suit.

" M. Delisle a fait savoir à l'académie plusieurs particularités de la nouvelle île entre les Açores, dont nous n'avions dit qu'un mot en 1721 page 26 ; il les avoit tirées d'une lettre de M. de Montagnac, consul à Lisbonne.

Un vaisseau où il étoit, mouilla le 18 Septembre 1721 devant la forteresse de la ville de Saint-Michel, qui est dans l'île du même nom ; & voici ce qu'on apprit d'un pilote du port.

La nuit du sept au huit Décembre 1720, il y eut un grand tremblement de terre dans la Tercere & dans Saint-Michel, distantes l'une de l'autre de 28 lieues, & l'île neuve sortit : on remarqua en même tems que la pointe de l'île de Pic, qui en étoit à 30 lieues, & qui auparavant jettoit du feu, s'étoit affaissée & n'en jettoit plus ; mais l'île neuve jettoit continuellement une grosse fumée, & effectivement elle fut vûe du vaisseau où étoit M. de Montagnac, tant qu'il en fut à portée. Le pilote assura qu'il avoit fait dans une chaloupe le tour de l'île, en l'approchant le plus qu'il avoit pû. Du côté du sud il jetta la sonde & fila 60 brasses sans trouver fond ; du côté de l'ouest il trouva les eaux fort changées ; elles étoient d'un blanc bleu & verd, qui sembloit du bas fond, & qui s'étendoit à deux tiers de lieue ; elles paroissoient vouloir bouillir : au nord-ouest, qui étoit l'endroit d'où sortoit la fumée, il trouva 15 brasses d'eau fond de gros sable ; il jetta une pierre à la mer, & il vit à l'endroit où elle étoit tombée, l'eau bouillir & sauter en l'air avec impétuosité. Le fond étoit si chaud, qu'il fondit deux fois de suite le suif qui étoit au bout du plomb. Le pilote observa encore de ce côté-là que la fumée sortoit d'un petit lac borné d'une dune de sable : l'île est à-peu-près ronde & assez haute pour être apperçûe de sept à huit lieues dans un tems clair.

On a appris depuis par une lettre de M. Adrien, consul de la nation françoise dans l'île de Saint-Michel, en date du mois de Mars 1722, que l'île neuve avoit considérablement diminué, & qu'elle étoit presque à fleur d'eau ; desorte qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'elle subsistât encore long-tems, page 12 ".

On est donc assuré par ces faits & par un grand nombre d'autres semblables à ceux-ci, qu'au-dessous même des eaux de la mer les matieres inflammables renfermées dans le sein de la terre, agissent & font des explosions violentes. Les lieux où cela arrive, sont des especes de volcans qu'on pourroit appeller soûmarins, lesquels ne different des volcans ordinaires, que par le peu de durée de leur action, & le peu de fréquence de leurs effets ; car on conçoit bien que le feu s'étant une fois ouvert un passage, l'eau y doit pénétrer & l'éteindre. L'île nouvelle laisse nécessairement un vuide que l'eau doit remplir, & cette nouvelle terre, qui n'est composée que des matieres rejettées par le volcan marin, doit ressembler en tout au monte di Cenere, & aux autres éminences que les volcans terrestres ont formées en plusieurs endroits. Or dans le tems du déplacement causé par la violence de l'explosion, & pendant ce mouvement, l'eau aura pénétré dans la plûpart des endroits vuides, & elle aura éteint pour un tems ce feu soûterrain. C'est apparemment par cette raison que ces volcans soûmarins agissent plus rarement que les volcans ordinaires, quoique les causes de tous les deux soient les mêmes, & que les matieres qui produisent & nourrissent ces feux soûterrains, puissent se trouver sous les terres recouvertes par la mer en aussi grande quantité que sous les terres qui sont à découvert.

Ce sont ces mêmes feux soûterrains ou soûmarins, qui sont la cause de toutes ces ébullitions des eaux de la mer, que les voyageurs ont remarquées en plusieurs endroits, & des trombes dont nous avons parlé ; ils produisent aussi des orages & des tremblemens qui ne sont pas moins sensibles sur la mer que sur la terre. Ces îles qui ont été formées par ces volcans soûmarins, sont ordinairement composées de pierres-ponces & de rochers calcinés ; & ces volcans produisent, comme ceux de la terre, des tremblemens & des commotions très-violentes.

On a aussi vû souvent des feux s'élever de la surface des eaux ; Pline nous dit que le lac de Thrasimene a paru enflammé sur toute sa surface. Agricola rapporte que lorsqu'on jette une pierre dans le lac de Denstad en Thuringe, il semble lorsqu'elle descend dans l'eau, que ce soit un trait de feu.

Enfin, la quantité de pierres-ponces que les voyageurs nous assurent avoir rencontrées dans plusieurs endroits de l'océan & de la méditerranée, prouve qu'il y a au fond de la mer des volcans semblables à ceux que nous connoissons, & qui ne different ni par les matieres qu'ils rejettent, ni par la violence des explosions, mais seulement par la rareté & par le peu de continuité de leurs effets ; tout, jusqu'aux volcans, se trouve au fond des mers, comme à la surface de la terre.

Si même on y fait attention, on trouvera plusieurs rapports entre les volcans de terre & les volcans de mer : les uns & les autres ne se trouvent que dans les sommets des montagnes. Les îles des Açores & celles de l'Archipel, ne sont que des pointes de montagnes, dont les unes s'élevent au-dessus de l'eau, & les autres sont au-dessous. On voit par la relation de la nouvelle île des Açores, que l'endroit d'où sortoit la fumée, n'étoit qu'à 15 brasses de profondeur sous l'eau ; ce qui étant comparé avec les profondeurs ordinaires de l'Océan, prouve que cet endroit même est un sommet de montagne. On en peut dire tout autant du terrein de la nouvelle île auprès de Santorin ; il n'étoit pas à une grande profondeur sous les eaux, puisqu'il y avoit des huîtres attachées aux rochers qui s'éleverent. Il paroît aussi que ces volcans de mer ont quelquefois comme ceux de terre, des communications soûterraines, puisque le sommet du volcan du pic de Saint-Georges, dans l'île de Pic, s'abaissa lorsque la nouvelle île des Açores s'éleva. On doit encore observer que ces nouvelles îles ne paroissent jamais qu'auprès des anciennes, & qu'on n'a point d'exemple qu'il s'en soit élevé de nouvelles dans les hautes mers. On doit donc regarder le terrein où elles sont, comme une continuation de celui des îles voisines ; & lorsque ces îles ont des volcans, il n'est pas étonnant que le terrein qui en est voisin, contienne des matieres propres à en former, & que ces matieres viennent à s'enflammer, soit par la seule fermentation, soit par l'action des vents soûterrains.

Au reste, les îles produites par l'action du feu & des tremblemens de terre sont en petit nombre, & ces évenemens sont rares ; mais il y a un nombre infini d'îles nouvelles produites par les limons, les sables, & les terres que les eaux des fleuves & de la mer entraînent & transportent à différens endroits. A l'embouchure de toutes les rivieres il se forme des amas de terre & des bancs de sable, dont l'étendue devient souvent assez considérable pour former des îles d'une grandeur médiocre. La mer en se retirant & en s'éloignant de certaines côtes, laisse à découvert les parties les plus élevées du fond, ce qui forme autant d'îles nouvelles ; & de même en s'étendant sur de certaines plages, elle en couvre les parties les plus basses, & laisse paroître les parties les plus élevées qu'elle n'a pû surmonter, ce qui fait encore autant d'îles ; & on remarque en conséquence qu'il y a fort peu d'îles dans le milieu des mers, & qu'elles sont presque toutes dans le voisinage des continens où la mer les a formées, soit en s'éloignant, soit en s'approchant de ces différentes contrées. Tout cet article est entierement tiré de l'histoire naturelle de M. de Buffon, tome I. page 536 & suivantes.

Les îles proprement dites, different, ou par leur situation, ou par leur grandeur. A l'égard de leur situation, il y en a dans l'océan, dans les fleuves, les rivieres, & même dans les lacs & les étangs.

Pour ce qui est de leur grandeur, elles différent extrêmement les unes des autres. Quelques îles sont assez grandes pour contenir plusieurs états, comme la Grande-Bretagne, Ceylan, Sumatra, Java. Quelques-unes forment un seul royaume, comme la Sicile, la Sardaigne, &c. D'autres ne renferment qu'une ville, avec un territoire médiocre, comme quantité d'îles de l'Archipel, de la Dalmatie, &c. D'autres n'ont qu'un petit nombre d'habitations dispersées ; d'autres enfin sont sans habitans.

Il y a des îles qui paroissent avoir été toujours telles ; il y en a d'autres qui ont commencé à paroître dans les lieux de la mer où elles n'étoient pas auparavant ; d'autres ont été détachées du continent, soit par des tremblemens de terre, soit par les grands efforts de la mer, soit par l'industrie & par le travail des hommes. Il est certain qu'il se forme de tems en tems des îles nouvelles, non seulement par des attérissemens, comme celle de Tsongming à la Chine, dans la province de Nanking, ou par des coups de mer qui ont séparé des morceaux du continent, comme les anciens ont prétendu que la Sicile & peut-être la Grande-Bretagne ont été formées ; mais il y en a même qui sont sorties de dessous les flots comme autrefois Santorin, & depuis les trois nouvelles îles qui se sont formées tout près d'elle, & c'est sur quoi on peut voir les mém. des missions du Levant, imprimés en 1715.

On est présentement assuré que le continent que nous habitons & où se trouvent l'Europe, l'Asie & l'Afrique, est une grande île que la mer environne de toutes parts ; on pourra dire sans-doute la même chose de celui qu'on appelle le Nouveau Monde, lorsque l'on aura pénétré au nord & à l'ouest de la baie de Hudson : jusques-là on ignore quelles sont les limites septentrionales de ce continent. Les Arabes, faute d'avoir un mot particulier pour exprimer une presqu'île, donnent le nom d'îles à toutes les péninsules.

Les terres Arctiques, que l'on croyoit être un pays continu, sont vraisemblablement de grandes îles, dont on ne sait pas encore le nombre & l'étendue. La Californie, que l'on prenoit au contraire pour une île, est une partie du continent. Ce que l'on avoit crû être le commencement d'un grand continent au midi de l'Amérique, s'est trouvé n'être qu'une île assez vaste, environnée d'autres petites îles.

On peut compter dix ou douze îles de la premiere grandeur : savoir en Europe, la Grande-Bretagne, l'Islande, la Nouvelle Zemble ; en Afrique, Madagascar ; en Asie, Niphon, Manilles ou Luçon, Bornéo, Sumatra ; en Amérique, Terre-neuve & la terre de feu.

On compte ordinairement dix autres îles de différentes grandeurs : savoir dans la mer Méditerranée Européenne, la Sardaigne, la Sicile, Candie ; dans l'Océan, l'Irlande ; en Asie, Java, Ceylan, Mindanao, Célebes ; en Amérique, Cuba, Saint-Domingue.

Il y a d'autres îles auxquelles on peut donner le surnom de moindres, parce qu'elles ne sont pas si grandes que les précédentes ; comme l'île Zéland en Danemarck ; la Corse, Négrépont, Majorque, Chypre, dans la mer Méditerranée Européenne ; Gilolo, Timor, Amboine, en Asie ; la Jamaïque, en Amérique, dans la mer du Nord ; l'île Isabelle, l'une des îles de Salomon, dans la mer du Sud.

Le nombre des petites îles est presque infini ; on peut dire qu'elles sont innombrables, avec d'autant plus de vérité que l'on est encore bien éloigné de connoître toutes les mers. Il y reste à découvrir beaucoup de côtes, dont nous ignorons les détails, pour ne point parler de celles qui nous sont inconnues ; on pourroit cependant faire trois classes de ces petites îles. La premiere seroit de celles qui, quoique seules & indépendantes des autres, ne laissent pas d'avoir de la célébrité ; telles sont, dans la mer Baltique, Aland, Bornholm, Falster, Fune, &c. dans la mer Méditerranée, Rhode, Minorque, Corfou, Malte, Chio, Cérigo, Iviça, Céphalonie, &c. dans l'océan Atlantique, entre l'Afrique & le Brésil, Sainte-Hélene, l'Ascension & saint-Thomé ; près du détroit de Gibraltar, Madere ; & en Afrique, à l'entrée de la mer Rouge, Zocotora.

La seconde classe comprendroit les îles que l'on connoît sous un nom général, quoique la plûpart ayent chacune un nom particulier : les principales sont les Westernes, au couchant de l'Ecosse ; les Orcades au nord de l'Ecosse : les îles de Schetland, au nord-est des Orcades : les Açores, dans la mer du Nord ; les Canaries, les îles du Cap-verd, dans la mer Atlantique ; les îles de l'Archipel, dans la Méditerranée ; les Lucayes & les Antilles, dans la mer du Nord ; les Maldives, les Moluques, les Philippines, le Japon, les Marianes, dans la mer des Indes & dans l'Océan oriental ; les îles de Salomon, dans la mer du Sud.

La troisieme classe contiendroit les îles des fleuves & des rivieres ; comme celles du Nil, du Niger, de Gambie, en Afrique ; de l'Indus, du Gange & autres, en Asie ; du fleuve de Saint-Laurent, du Mississipi, de l'Orénoque, de l'Amazone, en Amérique ; enfin celles de nos rivieres d'Europe dans le Pô, le Danube, le Rhône, la Seine, &c. les lacs d'Irlande, d'Ecosse, ont quantité d'îles ; le lac de Dambée en Ethiopie, en a aussi plusieurs.

Il y a des îles artificielles ; & presque toutes les places fortes, dont les fossés sont remplis des eaux d'une riviere, sont en ce sens de véritables îles. Amsterdam, & la plûpart des villes de Hollande, ne sont pas seulement des îles, mais chaque ville, selon son étendue, est composée d'un certain nombre plus ou moins grand de petites îles ; la seule ville de Venise n'est autre chose qu'une fourmiliere d'îles jointes ensemble par des ponts.

On trouvera dans cet ouvrage les principales îles du monde, & quelquefois d'autres moins célébres, mais qui méritent de n'être pas oubliées à cause de leur position, ou par d'autres raisons. (D.J.)

ISLES AUX LOUPS MARINS, (Géogr.) îles de l'Amérique septentrionale dans l'Acadie ou Nouvelle Ecosse, situées entre le cap Fourchu & le cap de Sable, trois ou quatre lieues en mer. Ces îles, dont les unes sont d'une lieue, les autres de deux & trois de tour, s'appellent îles aux loups marins, parce que ces animaux, en quantité, y vont faire leurs petits. On y trouve encore un nombre prodigieux de toutes sortes d'oiseaux, & l'on en prend tant qu'on veut ; mais les îles même sont difficiles à approcher à cause des rochers qui les environnent : elles sont couvertes de sapins, bouleaux, & autres bois semblables, qui n'y prennent guere d'accroissement. (D.J.)

ISLES BRULANTES, (Géogr.) c'est un nom commun à toutes les îles qui ont des volcans ; il y en a plusieurs dans le monde, sur-tout dans la mer, vers les côtes de la Nouvelle Guinée. (D.J.)

ISLES BONAVENTURES, les, (Géogr.) îles de l'Amérique septentrionale dans le détroit d'Hudson, auprès des côtes du nord, à 63d 6' par estime, 43d de variation nord-est, à 50 ou 56 lieues de la petite île de Salisbury. On les trouve à l'entrée d'un grand enfoncement, dont on ne voit pas le bout. (D.J.)

ISLE DE L'ASCENSION, (Géogr.) cette petite île de l'Océan, entre l'Afrique & le Brésil, paroît manifestement formée ou entierement brûlée par un volcan éteint. Elle est d'ailleurs si singuliere par la nature de son terroir, par la figure & la position de ses montagnes, dont la vûe inspire une certaine horreur, qu'il faut ajouter quelques lignes à ce qu'on en a dit au mot ASCENSION.

Quoique cette île soit déserte, son histoire pourroit peut-être occuper assez long-tems un naturaliste ; du-moins doit-on la regarder comme un point qui intéresse la Géographie & la Navigation. Tous nos vaisseaux de la compagnie des Indes orientales y abordent à leur retour dans ce royaume, & y prennent pour leur subsistance un grand nombre de tortues de mer. M. l'abbé de la Caille, qui s'y est trouvé le 15 Octobre 1753, profita de son séjour dans cette île pour en déterminer la latitude. Il l'a jugée, au lieu du mouillage ordinaire, de 7d 54' australe ; & ayant eu le bonheur d'y observer une émersion du premier satellite de Jupiter, qui le fut aussi à Paris par MM. Maraldi & Delisle, cette observation lui a servi à établir la longitude de ce lieu de 16d 19' à l'occident du méridien de Paris. Voyez les Mém. de l'Acad. des Sc. année 1751. (D.J.)

ISLE DES CHIENS, (Géogr.) cette île, dans la mer du Sud, trouvée en 1616 par Jacques le Maire, n'est autre chose que l'île des Tiburons, que Magellan avoit découverte en 1520. Les pilotes ont souvent traité d'îles nouvelles & imposé de nouveaux noms à des îles qui avoient été découvertes longtems avant eux. Par exemple l'île Sainte-Apollonie dans la mer des Indes, est la même que l'île de Bourbon. (D.J.)

ISLES DU CAP-VERD, les, (Géogr.) îles de l'Océan Atlantique, sur la côte occidentale d'Afrique, à l'ouest du cap dont elles prennent le nom. Les Géographes en comptent douze, dont la plus grande est Saint-Iago ; ce sont vraisemblablement les Gorgades de Pline : la connoissance s'en étoit perdue avec le tems, mais l'an 1460, Antoine Noli, Génois, au service du roi de Portugal, les retrouva, ou les découvrit au profit de cette couronne qui les a conservées. L'air y est très-chaud & mal-sain. Les Portugais y tiennent un vice-roi, qui fait sa résidence à Saint-Iago. Long. 352-355, latit. 14-30 jusqu'au dix-neuvieme degré, selon la carte de la Barbarie, Nigritie & Guinée par M. Delisle. (D.J.)

ISLE DE L'ÉLEPHANT, (Géogr.) île de l'Indoustan, sur la côte de Malabar ; voyez-en l'article au mot ÉLEPHANT. J'ajouterai seulement que la pagode de cette île est une des choses les plus célébres dans les voyageurs portugais : ils nous disent que cette pagode est sur le penchant d'une haute montagne, où elle est taillée dans le roc même. Selon leur récit, elle a environ 120 pieds en quarré & 80 en hauteur. Entre plusieurs autres pieces qui y sont jointes, il y a 16 piliers de pierre, éloignés de 16 piés l'un de l'autre qui ont chacun 3 piés de diametre ; ils semblent destinés à soutenir cet édifice massif, dont la voûte n'est qu'un grand rocher. Aux deux côtés de la pagode, il y a 40 ou 50 figures d'hommes qui ont chacune 12 ou 15 piés de haut ; quelques-unes de ces figures gigantesques ont six bras, d'autres ont trois têtes, & d'autres sont monstrueuses à d'autres égards. On en voit qui prennent une jolie fille par le menton, & d'autres qui déchirent en pieces des petits enfans. Voilà l'objet du culte des Indiens qui s'y rendent en foule ! La terre n'offre par-tout qu'un spectacle de différentes superstitions humaines. (D.J.)

ISLE DE FER, (Géogr.) la plus occidentale des Canaries, par laquelle les Géographes françois & autres, tant anciens que modernes, placent le premier méridien. Voyez FER, île de, (Géogr.)

J'ajoute ici, avec M. de Mairan, qu'il seroit sans doute plus sûr & plus commode de prendre pour point fixe un lieu plus connu, dont la position fût mieux constatée ; tel, par exemple, que l'observatoire de Paris, & de compter ensuite la longitude orientale ou occidentale, en partant du méridien de ce lieu jusqu'au cent quatrevingtieme degré de part & d'autre ; c'est ainsi que plusieurs astronomes & géographes le pratiquent aujourd'hui. Mais outre que cet usage n'est pas encore assez généralement établi, il seroit toujours important de connoître la véritable position de l'île de Fer, encore douteuse par rapport à Paris, pour profiter de quantité d'observations & de déterminations géographiques qui ont été faites relativement à cette île. Il résulte des calculs de M. Maraldi, que la partie de l'île de Fer, par où l'on fait passer le premier méridien, est plus occidentale que l'observatoire de Paris de 19d 53' 9'' ; cependant M. le Monnier l'astronome differe de 9' 21'' avec M. Maraldi, dans la détermination de la longitude de cette île, qu'il établit de 20d 2' 30''. Voyez les mém. de l'acad. des Sc. an. 1742. (D.J.)

ISLE DE FERNANDEZ, (Géogr.) voyez FERNANDO ; j'ajouterai cependant que cette île, quoique déserte, pourroit être facilement cultivée, peuplée & fortifiée. Juan Fernando, qui la découvrit en allant de Lima à Baldivia, y mit quelques chêvres qui ont très-bien multiplié. Tous ses environs abondent en veaux marins ; & Fernando s'y seroit établi, si l'Espagne eût voulu lui en accorder la patente.

Le célebre Georges Anson, lors de la derniere guerre des Anglois & des Espagnols, y ayant été jetté en 1741 par une tempête affreuse, trouva dans cette île abandonnée le climat le plus doux & le terrein le plus fertile ; il sema des légumes & des fruits, dont il avoit apporté les semences & les noyaux, & qui bien-tôt couvrirent l'île entiere. Des Espagnols qui y relâcherent quelques années après, ayant été fait prisonniers à Londres, jugerent, comme le dit M. de Voltaire, qu'il n'y avoit qu'Anson qui eut pû réparer, par cette attention générale, le mal que fait la guerre, & ils le remercierent comme leur bienfaiteur. On doit encore au lord Anson la meilleure description & la meilleure carte, tant de cette île que de la mer du Sud en général, & les navigateurs qui vont dans cette mer, ne sauroient s'en passer. (D.J.)

ISLE FLOTTANTE, (Géog.) Les histoires de tous les tems sont pleines de relations d'îles flottantes. Les anciens l'ont avancé de Délos, de Thérasie & des Calamines. Pline, liv. III. chap. xxv. fait mention d'une île qui nageoit sur le lac de Cutilie, & qui avoit été découverte par un oracle. Elle se soutient, assure-t-il, sur l'eau, & est non seulement portée de côté & d'autre par les vents, mais même par de simples zéphirs, sans être fixe ni jour ni nuit. Théophraste & Pomponius Méla nous parlent aussi d'îles flottantes en Lydie, si mouvantes que la moindre cause les agitoit, les chassoit, les éloignoit & les rapprochoit. Sénéque n'est pas moins positif sur les îles flottantes d'Italie. Plusieurs de nos modernes ont aussi pris le parti d'en décrire de nouvelles en divers pays du monde.

Je ne répondrai point que tous les faits qu'on cite sont également fabuleux & dénués de tout fondement ; j'oserai dire néanmoins que la plus grande partie sont entierement faux, ou singulierement exagérés. Il est très-ridicule de vouloir nous expliquer comment un grand nombre d'îles, autrefois flottantes, se trouvent si solidement fixées depuis tant de siecles. Laissons donc Callimaque comparer l'île de Délos à une fleur que les vents ont portée sur les ondes. Laissons dire à Virgile que cette île a été long-tems errante au gré des vents, tantôt cachée & ensevelie sous les eaux, tantôt par une révolution contraire, s'élevant au-dessus de ces mêmes eaux ; qu'enfin Jupiter la rendit également immobile & habitable en faveur de Latone, sans permettre qu'elle fût davantage soumise à ses anciens changemens.

Immotamque coli dedit, & contemnere ventos.

Toutes ces peintures sont fort jolies dans la Fable & dans les Poëtes ; mais la Physique n'épouse point de pareilles merveilles.

En effet, tout ce qu'elle voit sous le beau nom d'îles flottantes, n'est autre chose que des concrétions de portions de terre spongieuse, légere, sulfureuse, qui surnagent ou seules, ou entremêlées d'herbes, & de racines de plantes, jusqu'à-ce que les vents, les vagues, les torrens, ou le calme, les ayent fixées sur la rive, pour y prendre corps. C'est ce qui arrive le plus communément dans les lacs, comme dans le lac Lomond en Ecosse, où de pareils amas acquierent finalement une étendue assez considérable, se joignent ensemble, touchent le fond d'un bassin qui n'est pas égal, s'y arrêtent, & y font une liaison. Les especes d'îles flottantes qu'on a vû se former pendant quelque tems près de l'île de Santorin, étoient un amas de rochers & de pierres ponces jettées par des volcans sur la surface de l'eau, mais qui n'ont produit aucune île fixe. On sait que les prétendues îles flottantes d'un lac près de Saint-Omer ne sont proprement que des tissus de racines d'herbes mêlées de vase & de terre grasse. Enfin, il ne reste aucune preuve de la vérité des anciennes & des nouvelles relations qui ont été faites de tant d'îles mouvantes ; toutes ces îles ont disparu, & nous ne connoissons plus que des îles fixes. (D.J.)

ISLES FORTUNEES (Géog.) voyez au mot FORTUNEES ; & si vous êtes encore sensible aux charmes de la Poésie, si vous aimez le brillant coloris d'un beau paysage, lisez ici la description que Garth fait de ces îles : nous n'avons point de peintures de lieux qui soient plus riantes & plus agréables.

The happy isles, where endless pleasures wait,

Are styl'd by tuneful birds, the fortunate.

Eternal spring with smiling verdure here

Warms the mildair, and crowns the youthfull year ;

From cristal rocks, transparent riv'let flow ;

The rose still blushes, and the vi'lets blow.

The vine undress'd, her swelling clusters bears :

The lab'ring hind ; the mellow olives cheers :

Blossoms and fruit, at once the citron shows,

And as she pays, discovers still she owes ;

Here the glad orange, court the am'rous maid

With golden apples, and a silken shade.

No blast e'er discompose the peaceful sky ;

The spring but murmur, and the winds but sigh.

Where Flora treads, her zephir garlands flings,

Shaking rich odours from his purple Wings :

And Birds from woodbine bow'rs, and Jess'min groves,

Chaunt their glads nuptials, and unenvy'd loves.

Mild seasons, rising hills, and silent dalles,

Cool grottos, silver brooks, and flow'ry vales ;

In this blest climate, all the circling year prevail...

Je ne trouve pas même que la belle description d'Horace, Ode xvj. liv. V. connue de tout le monde, présente un paysage aussi gracieux de ces contrées charmantes, que l'est celui du chevalier Garth. Mais en échange le tableau qu'en fait le poëte latin, est enrichi de tous les ornemens que la Fable & la Poésie pouvoient lui prêter. Ils y sont multipliés avec un goût, une élégance & une force admirables.

Non huc Argoo contendit remige pinus ;

Neque impudica Colchis intulit pedem ;

Non huc Sidonii torserunt cornua nautae,

Laboriosa nec cohors Ulissei.

Nulla nocent pecori contagia, nullius astri

Gregem aestuosa torret impotentia.

Jupiter illa piae secrevit littora genti,

Ut inquinavit aere tempus aureum :

Aere, dehinc ferro duravit saecula.

" Jamais les Argonautes n'entreprirent de faire une descente dans ces îles fortunées. Jamais l'infame Médée n'y mit le pié ; jamais les compagnons d'Ulysse n'y porterent leurs passions avec leurs infortunes. La contagion n'y répandit jamais la mortalité parmi les troupeaux, & nulle constellation maligne ne les dessécha par l'ardeur de ses influences. Sitôt que le siecle d'airain eut altéré la pureté du siecle d'or, & que le siecle de fer eut succédé au siecle d'airain, Jupiter sépara cet heureux pays du reste du monde, pour servir d'asyle à la vertu, &c. "

Cet heureux pays, ces îles fortunées que Jupiter sépara du reste du monde, sont sans-doute les îles Canaries, situées à l'occident de l'Afrique, vis-à-vis du royaume de Suz : tout favorise ce sentiment, & rien ne peut le détruire. Il est assez vraisemblable que les Canaries, les Açores & l'Amérique, sont les restes de cette grande île atlantide de Platon, si fameuse chez les anciens, dont les parties les plus basses furent inondées par l'irruption de la mer Noire qui, s'étant ouvert un passage entre l'Europe & l'Asie, forma d'abord ce que nous appellons la Méditerranée, & se fit ensuite un canal pour joindre l'Océan, en détachant l'Espagne de l'Afrique. (D.J.)

ISLE GORGONE, (Géog.) île de la mer du Sud au Popayan, à 3 deg. de latit. septentrionale ; elle est passablement élevée, & fort remarquable à cause de deux collines qui sont au sommet. Cette île n'est habitée que par de petits singes noirs, & cependant elle est pourvûe de toutes sortes d'arbres, qui ne quittent point leurs fleurs & leur verdure. Il y pleut beaucoup tout le long de l'année, & souvent comme si l'on jettoit l'eau par un crible. On y trouve quantité d'huitres, & quelquefois des perles dans quelques-unes. Ces huitres croissent sur des rochers à 4, 5 ou 6 brasses d'eau, attachées par de petites racines comme les moules ; le dedans de la coquille est plus brillant que la perle même : Dampier dit que c'est le seul endroit de la mer du Sud où il en ait vu. (D.J.)

ISLE-JOURDAIN, l'(Géog.) Castellum Ictium ; petite ville de France dans le bas-Armagnac avec titre de comté. M. l'abbé de Longuerue n'a pas dédaigné d'en faire l'histoire dans sa description de la France, tom. I. pag. 197. Long. 18. 45. lat. 43. 40. (D.J.)

ISLE-LONGUE, (Géog.) île de l'Amérique septentrionale sur la côte de la nouvelle Yorck. Elle s'étend de l'ouest à l'est, a environ cent milles de tour, & en plusieurs endroits huit à quatorze milles de large. Son terroir est excellent, & habité d'un bout à l'autre ; elle appartient aux Anglois, & l'on y voit au printems les bois & les champs si garnis de roses & d'autres fleurs, qu'ils égalent plusieurs jardins d'Angleterre. (D.J.)

ISLE DE JEAN MAYEN, (Géog.) île de l'Océan septentrional, au nord des îles de Féro, au levant du Groenland, vers le 71 deg. de lat. & le 13 de long. Elle fut découverte en 1614 par Jansz Mayen ; on la reconnoît par une haute montagne que l'on voit de loin. (D.J.)

ISLES-NOUVELLES, (Géog.) on a donné ce nom à des terres situées par les 51 à 52 deg. de lat. méridionale, environ 50 à 55 au nord-nord-est du détroit de le Maire. On n'a commencé à en avoir des connoissances certaines qu'en 1707 & 1708 par le capitaine Poré de saint Malo ; il parcourut deux fois cette côte, & trouva qu'elle pouvoit avoir 50 lieues est-sud-est, & ouest-nord-ouest ; il est à présumer que ce sont les mêmes que le chevalier Richard Hawkins découvrit en 1693, étant à l'est de la côte déserte ou des Patagons, vers les 50 deg. de lat. méridionale ; il fut jetté par une tempête sur une terre inconnue, & courut le long de ces côtes environ 60 lieues. Il paroît d'un autre côté que ces terres nouvelles ne sont pas les îles Sébaldes rangées en triangle, & qui sont séparées des îles nouvelles ou îles Malonines, comme M. Delisle les nomme, au moins de 7 à 8 lieues. Voyez sur les îles nouvelles la carte de l'extrémité de l'Amérique réduite par M. Frezier, p. 263 de son voyage à la mer du Sud. (D.J.)

ISLE DES PINS, (Géog.) île de l'Amérique septentrionale, au midi de Cuba, dont elle est séparée par un canal de 3 à 4 lieues de largeur, par le 295 deg. de long. L'île des Pins n'a que 10 ou 12 lieues de long, avec une haute montagne au milieu garnie d'arbres, dont la plûpart sont inconnus en Europe. Les collines sont couvertes de forêts de pins hauts, droits, & assez gros pour servir de grands mâts à de petits bâtimens. On y trouve en quelques endroits des tortues de terre & des cancres blancs & noirs ; les alligadors & les crocodiles rodent beaucoup autour de cette île. (D.J.)

ISLES PISCADORES, ou îles des Pêcheurs, (Géog.) ce sont plusieurs grandes îles désertes, situées près de Formosa, entre cette île & la Chine, à 23 deg. ou environ de lat. septentrionale, & presque à la même hauteur que le tropique du cancer. (D.J.)

ISLE DE QUELPAERTS, (Géog.) autrement appellée Fungma ; c'est une île de la mer de Corée, au midi de cette péninsule, & placée par les Hollandois qui y firent naufrage en 1653, par les 33. deg. 32 min. de lat. nord, & par M. Bellin entre les 153 & 154 de long. les mêmes Hollandois lui donnent 15 lieues de circuit. (D.J.)

ISLE DE RESOLUTION, (Géog.) île de l'Amérique septentrionale, au 62. 33 de variation nord-ouest ; sa grandeur peut être de huit lieues est & ouest ; elle forme l'embouchure du détroit de Hudson avec les îles Boutonnes. Les côtes de cette île, ainsi que celles de tout le détroit, sont à pic & d'une élévation prodigieuse. (D.J.)

ISLE-ROYALE, (Géog.) autrefois nommée île du Cap-Breton ; c'est une île de l'Amérique septentrionale que l'Angleterre possede à l'entrée du golphe de S. Laurent, à 15 lieues de Terre-neuve, & séparée de l'Acadie par un détroit d'une lieue de large ; elle ressemble à un fer à cheval écrasé, & peut avoir 80 lieues de tour. Son terroir est par-tout entrecoupé de lacs ; on y trouve plusieurs bons ports. Elle est d'un grand avantage à cause de la pêche de la morue qui se fait sur ses côtes ; Louisbourg, petite ville bâtie sur une langue de terre qui forme un bon port fortifié, en est le chef-lieu. (D.J.)

ISLES DU VENT, (Géog.) les îles du vent nommées par les Espagnols îles Balovento, & connues sous le nom d'Antilles, d'îles Caraïbes ou Cannibales & Camercanes, sont situées dans l'Océan près du golphe de la Trinité espagnole, s'étendant en forme d'arc depuis le onzieme degré de latitude au nord de l'équateur, jusqu'au dix-neuvieme degré dans l'est-nord-est de saint Jean de Porto-rico ; leur longitude étant estimée 63 deg. 18 min. 45 sec. à l'occident du méridien de Paris.

Lors de la découverte de ces îles par Christophe Colomb en 1492, elles étoient occupées par les Caraïbes, qui depuis furent contraints de les abandonner aux différentes nations qui les possedent aujourd'hui ; ces sauvages se retirerent dans les îles de saint Vincent & de la Dominique, où jusqu'à présent ils ont vêcu en liberté.

Les François sont maîtres des îles de Tabago, de la Grenade & des Grenadins, de sainte Lucie, de la Martinique, des Saintes, de Marie Galande, de la Desirade, des deux parties de la Guadeloupe, de l'île de saint Barthelemy, de la moitié de saint Martin & de quelques autres petites îles.

Antigoa, Nieves, Montserrat, saint Christophe, la Barbade, la Barboude, la Redonde & l'Anguille appartiennent aux Anglois.

Saint Eustache, partie de saint Martin & Saba, sont sous la domination des Hollandois.

Les Danois se sont établis dans les îles de saint Thomas, de saint Jean & de sainte-croix ; & les Espagnols ont des prétentions sur une partie des îles nommées les Vierges.

Les îles du vent étant exposées aux excessives chaleurs de la zone torride seroient inhabitables, si deux fois le jour l'air n'étoit rafraîchi par des vents d'est qui regnent constamment dans ce climat, excepté depuis la fin de Juillet jusqu'au quinze du mois d'Octobre, tems auquel l'air est sujet à de grandes variations qui produisent souvent d'horribles tempêtes nommées ouragans. Cette saison qu'on appelle hivernage se termine ordinairement par des pluies abondantes, auxquelles succedent dans plusieurs cantons des fievres & des maladies opiniâtres.

Outre ces incommodités, les Antilles sont sujettes à de fréquens tremblemens de terre. Cela n'est point surprenant, si l'on considere la nature du terrein formé de très-hautes montagnes entrecoupées de vallons, de ravines & de falaises escarpées, où l'on apperçoit les couches de terre, de pierres & de sable, le plus souvent confondues & sans ordre, renfermant à des profondeurs inégales plusieurs sortes de minéraux, parmi lesquels on trouve une grande abondance de fer.

La quantité de soufre naturellement sublimé au sommet des plus hautes montagnes & dans quelques vallons, les laves, les eaux thermales, & les nombreux amas de pierres-ponces, prouvent évidemment l'existence des volcans dont le pays est intérieurement dévoré.

Malgré ces dangers les îles sont extrêmement peuplées & très-bien cultivées. Les habitans y jouissent entr'autres avantages du plus beau ciel du monde ; point d'hiver ni de frimats. Les montagnes en tout tems sont couvertes de verdure, & les vallons arrosés de rivieres & de sources d'une eau pure qui est très-bonne dans beaucoup d'endroits. Les bestiaux y multiplient à merveille ; la terre y produit des arbres d'une énorme grosseur, dont le bois incorruptible s'emploie aux ouvrages de charpente, de menuiserie & de marqueterie ; d'autres sont propres à la teinture, & beaucoup portent d'excellens fruits. Les bananes, les patates, le magnoc & plusieurs autres racines, font la principale nourriture des habitans, qui recueillent aussi beaucoup de riz & de maïs ; les plantes tant potageres que médicinales naturelles au pays, y sont en abondance, & les exotiques s'y naturalisent parfaitement bien.

Autour des petites îles desertes, & dans les culs-de-sac ou baies, la mer fournit des tortues & beaucoup de bons poissons, dont les especes sont inconnues en Europe.

Les vaisseaux qui font le commerce des Antilles, en rapportent beaucoup de sucre & de caffé, du coton, de la casse, du caret, du cacao, de l'indigo & du rocour.

ISLES DE DESSOUS LE VENT. Ce que l'on a dit au sujet des îles du vent convient assez bien aux îles de dessous le vent. Celles-ci sont beaucoup plus grandes & situées à l'occident des premieres, en se rapprochant du golfe du Mexique ; elles sont au nombre de quatre principales, dont Hispaniola ou saint-Domingue se trouve aujourd'hui partagée entre les François & les Espagnols ; ces derniers possedent en entier les îles de Cuba & de Portorico, & la Jamaïque appartient aux Anglois.

On peut ranger au nombre des îles de dessous le vent toutes celles qui sont situées sur les côtes de Vénezuela & de Carac, dont l'île de Curaçao occupée par les Hollandois, est une des plus renommée par son commerce avec les différentes nations qui fréquentent ces parages. (M. L. R.)

ISLE, (Jardin. & Hydr.) est une langue de terre élevée dans l'eau & revêtue de murs, & isolée de tous côtés avec quelques puits qui y communiquent ; les fontainiers en pratiquent au milieu des grandes pieces d'eau, ainsi que l'on en voit à Fontainebleau, à Dampieres & autres lieux. (K)


ISLEB(Géog.) petite ville d'Allemagne dans le cercle de la Haute Saxe, au comté de Mansfeld. Long. 29. 28. lat. 51. 45.

Isleb n'est mémorable que pour avoir été le lieu de la naissance & de la mort de Luther ; je ne dirai rien de sa vie, M. Bossuet entre les Catholiques, Seckendorf, Jean Muller, Christian Juncker & Bayle entre les Réformés, vous en instruiront complete ment.

Mais M. de Voltaire va vous peindre, ou plutôt je vais donner l'esquisse du tableau qu'il a fait de cette grande révolution dans l'esprit & dans le système politique de l'Europe, qui commença par un moine augustin.

" A peine eut-il pris l'habit de son ordre à l'âge de 22 ans, que ses supérieurs le chargerent de prêcher contre la marchandise qu'ils n'avoient pu vendre. La querelle ne fut d'abord qu'entre les Augustins & les Dominicains ; on ne prévoyoit pas qu'elle iroit jusqu'à détruire la religion romaine dans la moitié de l'Europe.

Luther, après avoir décrié les indulgences, examina le pouvoir de celui qui les donnoit aux Chrétiens ; un coin du voile fut levé. Les peuples plus éclairés voulurent juger ce qu'ils avoient adoré ; ils requirent une réforme qui n'étoit pas possible ; ils se séparerent de l'église. Pour parvenir à cette scission, il ne falloit qu'un prince qui la secondât ; le vieux Frédéric électeur de Saxe, surnommé le sage, celui-là même qui, à la mort de Maximilien, eut le courage de refuser l'empire, protégea Luther ouvertement. Cette révolution dans l'église eut un cours semblable à celles par qui les peuples ont détrôné leurs souverains ; on présenta des requêtes, on exposa des griefs ; on finit par renverser le trône. Il n'y avoit point encore néanmoins de séparation marquée, en se moquant des indulgences, en demandant à communier avec du pain & du vin ; en parlant intelligiblement sur la justification & sur le libre arbitre ; en voulant abolir le monachisme ; en offrant de prouver que l'Ecriture-sainte ne dit pas un mot du purgatoire, &c.

Léon X. qui dans le fond méprisoit ces choses, fut obligé comme chef de l'Eglise, d'anathématiser & Luther & ses propositions. Luther anathématisé ne garda plus de mesure, il composa son livre de la captivité de Babylone ; il exhorta les princes à sécouer le joug de Rome. On brûla ses livres, & Léon X. fulmina une nouvelle bulle contre lui. Luther fit brûler la bulle du pape & les décrétales dans la place publique de Wittemberg. On voit par ce trait si c'étoit un homme hardi ; mais on voit aussi qu'il étoit déja bien puissant : dès-lors une partie de l'Allemagne fatiguée de la grandeur pontificale, embrassoit les intérêts du réformateur, sans trop examiner les questions de l'école qui se multiplioient tous les jours.

Les thèses les plus vaines se mêloient avec les plus profondes, tandis que les fausses imputations, les injures atroces, les anathêmes nourrissoient l'animosité des deux partis. Les grossieretés du moine augustin, aujourd'hui si dégoutantes, ne révoltoient point des esprits assez grossiers ; & Luther avec le ridicule d'un style bas, triomphoit dans son pays de toute la politesse romaine.

Le théâtre de cette guerre de plume étoit chez les Allemands & chez les Suisses, qu'on ne regardoit pas alors pour les hommes de la terre les plus déliés, & qui passent pour circonspects. La cour de Rome savante & polie, ne s'attendoit point que ceux qu'elle traitoit de barbares, pourroient, la bible comme le fer à la main, lui ravir la moitié de l'Europe, & ébranler l'autre.

Cependant Luther ayant pour ennemi son empereur, le roi d'Angleterre, le pape, tous les évêques & tous les religieux, ne s'en étonna pas. Caché dans une forteresse de Saxe, il brava l'empereur, irrita la moitié de l'Allemagne contre le souverain pontife, répondit au roi d'Angleterre comme à son égal, posa, fortifia, étendit son église naissante, & mourut le 18 Février 1546, à 63 ans, trois mois, huit jours, regardé par son parti comme un illustre réformateur de l'Eglise, & par les Catholiques romains comme un insigne hérésiarque ".

Les savans préferent les éditions qu'il a données lui-même de ses oeuvres depuis 1517 jusqu'à sa mort, à toutes les éditions postérieures. (D.J.)


ISLEBIENSS. m. pl. (Théol.) est le nom que l'on donna à ceux qui embrasserent les sentimens d'un théologien luthérien de Saxe, appellé Jean Agricola, natif d'Isleb, disciple & compatriote de Martin Luther, avec lequel néanmoins il se brouilla pour les sentimens, parce qu'Agricola prenant trop à la lettre quelques paroles de l'Apôtre saint Paul touchant la loi judaïque, déclamoit contre la loi & contre la nécessité des bonnes oeuvres, d'où ses disciples furent appellés antinomiens. Luther obligea Agricola à se dédire ; mais il laissa des disciples qui suivirent ses maximes avec chaleur. Prateol. de heresib. Bayle, Dict. crit. Voyez ANTINOMIENS.


ISMAÉLITES. m. & f. (Hist.) descendant d'Ismaël. On appelle ainsi spécialement dans les histoires anciennes & modernes, les Arabes qui sont de la postérité d'Ismaël, fils d'Abraham & d'Agar, servante de Sara. Ismaël épousa une égyptienne dont il eut douze enfans, qui s'emparerent de l'Arabie, la partagerent entr'eux, & furent la tige des Ismaélites, des Agaréniens, des Arabes, des Sarrasins, &c.

Tous ces peuples idolatres pousserent la superstition, au rapport d'Euthymius Zigabenus, jusqu'à honorer de leur culte une pierre qu'ils nommoient brachthan ; & quand on leur en demandoit la raison, les uns répondoient que c'étoit à cause qu'Abraham avoit connu Agar sur cette pierre ; les autres, parce qu'il y avoit attaché son chameau, en allant immoler Isaac.

Cette pierre adorée par les Arabes, & qu'ils prenoient pour le dieu Mars, étoit toute noire & toute brute : ridetis temporibus priscis, Persas fluvium coluisse, informem Arabae lapidem colunt, dit Arnobe ; hé comment ne le diroit-il pas ? Lui-même avoue qu'avant sa conversion il avoit adoré de semblables pierres, comme si elles eussent eû quelque vertu divine ; si quando conspexeram lucubratum lapidem, & ex olivi unguine sordidatum, tanquam inesset vis praesens, adulabar, astabam, ce sont ses propres termes.

La mere des dieux que les Phrygiens adoroient avec un zele tout particulier, n'étoit qu'une simple pierre ; ils ne donnerent qu'une pierre aux ambassadeurs romains qui souhaitoient d'établir à Rome le culte de cette divinité, dit Tite-Live, l. XXIX. c. xj.

Quelque blâmable que fût l'idolatrie de ceux qui adorerent la pierre dont Jacob fit un monument, qu'il oignit, & qu'il crut devoir consacrer à Dieu, cette idolatrie étoit plus tolérable que celle des descendans d'Ismaël ; car la pierre de Jacob lui avoit servi de chevet pendant une nuit qu'il avoit passé pour ainsi dire avec Dieu ; tant les songes & les visions qui l'occuperent, représentoient des choses célestes ! Les Ismaélites ne pouvoient pas tenir le même langage de leur prétendue pierre d'Agar. Scaliger a ramassé une grande érudition au sujet de la pierre de Jacob, dans ses observations sur Eusebe, n °. 2150 ; mais le savant Pocock n'est pas moins curieux dans ses recherches sur la pierre du culte des descendans d'Ismaël ; consultez cet auteur dans ses notes, in specimine hist. arab. p. 113 ; je n'en veux extraire qu'un mot.

La pierre noire qu'ils vénerent, dit-il, est placée dans un des coins du temple de la Mecque, & est élevée à près de trois coudées de terre. Ils supposent que c'étoit l'une des pierres précieuses du paradis ; qu'elle fut envoyée à Abraham lorsqu'il bâtissoit le temple, & que ce fut l'ange Gabriel qui la mit entre ses mains. Elle avoit été au commencement plus blanche que la neige, mais elle devint noire à ce qu'ils prétendent, pour avoir été touchée par une femme qui avoit ses mois, ou comme disent quelques arabes, à force d'avoir été touchée & baisée.

Il y a une autre pierre considérable à la Mecque toute blanche, & non moins vénérée ; celle-ci passe pour être le sépulchre d'Ismaël, & est placée dans une espece de parquet, proche les fondemens du temple.

Après tout les Ismaélites ne sont pas les seuls peuples chez lesquels les pierres ayent reçus des honneurs divins ; c'est-là, je pense, une des premieres idolatries du monde, avant que l'art de la Sculpture fut connu, on représenta les dieux par de simples pierres, & les boetyles furent les plus anciennes idoles. Voyez BOETYLES. (D.J.)


ISNE(Géogr.) ville impériale d'Allemagne en Souabe, dans l'Algow, sur le ruisseau d'Isne, à 6 lieues S. O. de Kempten, 7 N. E. de Lindaw, 25 S. O. d'Augsbourg. Long. 27. 45. lat. 47. 33. (D.J.)


ISNICH(Géogr.) ville de la Turquie asiatique, dans la Natolie, où elle occupe la place de l'ancienne Nicée ; mais elle n'a rien de remarquable aujourd'hui qu'un aqueduc, ne présente à la vûe que les tristes ruines de son ancienne splendeur, & contient à peine trois cent mauvaises maisons, la plûpart habitées par des Juifs ; ses mûrs sont presque tous raccommodés de piédestaux de marbre & de granite. Son territoire est fertile en fruits & en vin ; on peut dans un vent favorable faire le trajet de Constantinople à Isnich en sept heures ; car elle est à 25 lieues de Constantinople, sur le bord d'un lac poissonneux qui a 40 milles de tour, & qui donne son nom turc à la ville. C'est le lac Ascanius des anciens, & le Nixaca des Grecs modernes. Tavernier dit que ce lac s'appelle Chabangioul, à cause de la ville de Chabangi, qui est aussi sur ses bords à 5 ou 6 milles de Nicée. Long. de la ville d'Isnich 47. 45. lat. 40. 15. (D.J.)


ISOCHRISTESS. m. pl. (Théol.) nom d'une secte qui parut vers le milieu du sixieme siecle. Après la mort de Nonnus, moine origéniste, les Origénistes se diviserent en Protoctistes ou Tétradeles & en Isochristes. Ceux-ci disoient : si les apôtres font à présent des miracles & sont en si grand honneur, quel avantage recevront-ils dans la résurrection, s'ils ne sont égaux à Jesus-Christ ? Cette proposition fut condamnée au concile de Constantinople en 553. Isochriste signifie égal au Christ.


ISOCHRONEadj. (Méch. & Géom.) se dit des vibrations d'une pendule, qui se font en tems égaux. Voyez PENDULE & VIBRATIONS.

Les vibrations d'une pendule sont toutes regardées comme isochrones, c'est-à-dire, comme se faisant toutes dans le même espace de tems, soit que l'arc que le pendule décrit soit plus grand ou plus petit : car quand l'arc est plus petit, le pendule se meut plus lentement, & quand l'arc est plus grand le pendule se meut plus vîte : cependant il est bon de remarquer que les vibrations ne sont pas isochrones à la rigueur, à moins que le pendule ne décrive des arcs de cycloïde ; mais quand il décrit de petits arcs de cercles, on peut prendre ces petits arcs pour des arcs de cycloïde, parce qu'ils n'en different pas sensiblement. Voyez OSCILLATIONS, CYCLOÏDE & TAUTOCHRONE, &c.

Ligne isochrone, est celle par laquelle on suppose qu'un corps descend sans aucune accélération ; c'est-à-dire de maniere qu'en tems égaux il s'approche toujours également de l'horison, au lieu que quand un corps tombe en ligne droite par sa pesanteur, il parcourt par exemple 15 piés dans la premiere seconde, 45 dans la seconde, &c. desorte que dans des tems égaux il ne parcourt pas des parties égales de la ligne verticale. Voyez DESCENTE, ACCELERATION & APPROCHE.

M. Leibnitz a donné dans les actes de Leipsic, pour le mois d'Avril de l'année 1689, un écrit sur la ligne isochrone, dans lequel il montre qu'un corps pesant avec un degré de vîtesse acquise par sa chûte de quelque hauteur que ce soit, peut descendre du même point par une infinité de lignes isochrones qui sont toutes de même espece, & qui ne different entr'elles que par la grandeur de leurs parametres : ces courbes sont des paraboles appellées secondes paraboles cubiques. Il montre aussi la maniere de trouver une ligne par laquelle un corps pesant venant à descendre s'éloignera ou s'approchera uniformément d'un point donné.

M. Leibnitz a résolu ces problèmes synthétiquement sans en donner l'analyse : elle a été donnée depuis par Mrs Jaques Bernoulli & Varignon ; par le premier dans les Journaux de Leipsic de 1690, & par le second dans les Mém. de l'Acad. des Sciences de Paris en 1699. Ce dernier a, selon sa coutume, généralisé le problème de M. Leibnitz, & a donné la maniere de trouver les courbes isochrones dans l'hypothèse que les directions de la pesanteur soient convergentes vers un point, & de plus il a enseigné à trouver des courbes dans lesquelles un corps pesant s'approche de l'horison, non pas également en tems égaux, mais en telle raison des tems qu'on voudra. (O)


ISOCHRONISMES. m. (Géom. & Mech.) égalité de durée dans les vibrations d'un pendule, ou en général d'un corps quelconque. Voyez ISOCHRONE.

Il y a cette différence entre isochronisme & synchronisme, que le premier se dit de l'égalité de durée entre les vibrations d'un même pendule ; & le second de l'égalité de durée entre les vibrations de deux pendules différens. Voyez SYNCHRONE. Voyez aussi TAUTOCHRONE. (O)


ISOLA(Géogr.) il y a trois villes de ce nom en Italie ; la premiere est dans le duché de Milan, au comté d'Anghiera. La seconde est tout auprès de la premiere, sur la riviere d'Anza. La troisieme s'appelle Isola della scala, dans le Veronois.

Il y a encore une ville de ce nom en Istrie, dans une île du golfe de Trieste.


ISOLÉISOLER, (Gramm.) c'est séparer du reste, rendre seul. On isole un corps des autres ; un bâtiment du reste d'une habitation, une statue dans un jardin, une figure sur un tableau, une colonne du mur, &c.

Un homme isolé est un homme libre, indépendant, qui ne tient à rien. On s'épargne bien des peines, mais on se prive de beaucoup de plaisirs en s'isolant. Y a-t-il plus à gagner qu'à perdre ? je n'en sais rien. L'expérience m'a appris qu'il y a bien des circonstances où l'homme isolé devient inutile à lui-même & aux autres : si le danger le presse, personne ne le connoît, ne s'intéresse à lui, ne lui tend la main. Il a négligé tout le monde, il ne peut dans le besoin solliciter pour personne.

Les connoissances prennent beaucoup de tems ; mais on les trouve dans l'occasion. On est tout à soi dans la solitude ; mais on est seul dans le monde.

En ne se montrant point, on laisse aux autres la liberté de nous imaginer comme il leur plaît, & c'est un inconvénient ; on risque tout à se montrer. Il vaut encore mieux qu'ils nous imaginent comme nous ne sommes pas, que de nous voir comme nous sommes.

En vous répandant, vous vous attacherez aux autres, les autres à vous ; vous ferez corps avec eux, on vous rompra difficilement ; en vous isolant, rien ne vous fortifiera, & il en sera d'autant plus aisé de vous briser.

ISOLE, adj. (Hydr.) se dit d'un bassin de fontaine détaché d'un mur, & autour duquel on peut tourner ; on le dit de même d'un pavillon, d'une figure qui se voit de tous côtés, & qui ne tient à rien.


ISOMERIES. f. terme d'Algebre, maniere de délivrer une équation de fractions. Voyez FRACTION, EQUATION & EVANOUIR. Ce terme n'est en usage que dans les anciens auteurs. (O)


ISOPÉRIMÈTREadj. (Géom.) les figures isopérimètres, sont celles dont les circonférences sont égales. Voyez CIRCONFERENCE.

Il est démontré en Géométrie qu'entre les figures isopérimètres, celles-là sont les plus grandes qui ont le plus de côtés ou d'angles. D'où il suit que le cercle est de toutes les figures, qui ont la même circonférence que lui, celle qui a le plus de capacité.

Cette proposition peut se démontrer aisément, si on compare le cercle aux seuls poligones réguliers. Il est facile de voir que de tous les poligones réguliers isopérimètres, le cercle est celui qui a la plus grande surface. En effet, supposons par exemple, un cercle & un octogone régulier, dont les contours soient égaux, le cercle sera au poligone comme le rayon du cercle est à l'apothème du poligone. Or l'apothème du poligone est nécessairement plus petit que le rayon du cercle : car s'il étoit égal ou plus grand, alors en plaçant le centre de l'octogone sur celui du cercle, l'octogone se trouveroit renfermer entierement le cercle, & le contour de l'octogone seroit plus grand que celui du cercle, ce qui est contre la supposition. Voyez CERCLE, &c.

De deux triangles isopérimètres qui ont même base, & dont l'un a deux côtés égaux, & l'autre deux côtés inégaux ; le plus grand est celui dont les côtés sont égaux.

Entre les figures isopérimètres qui ont un même nombre de côtés, celle-là est la plus grande qui est équilatérale & équiangle.

De-là résulte la solution de ce problème faire que les haies qui renferment un arpent de terre, ou telle autre quantité déterminée d'arpens, servent à enfermer un nombre d'arpens de terre beaucoup plus grand. Chambers. (E)

Car si une portion de terre, par exemple, a la figure d'un parallélogramme, dont un des côtés soit de 20 toises & l'autre de 40, l'aire de ce parallélogramme sera de 800 toises quarrées ; mais si on change ce parallélogramme en un quarré de même circonférence, dont l'un des côtés soit 30, ce quarré aura 900 toises quarrées de superficie.

La théorie des figures isopérimètres curvilignes est beaucoup plus difficile & plus profonde que celle des figures isopérimètres rectilignes.

M. Jacques Bernoulli a été le premier qui l'ait traitée avec exactitude, il proposa le problème à son frere Jean Bernoulli, qui le résolut assez promtement ; son mémoire est imprimé parmi ceux de l'Académie des Sciences de 1706, mais il manquoit quelque chose à sa solution, comme ce grand géomètre en est convenu depuis la mort de son frere, dans un nouveau mémoire imprimé parmi ceux de l'Académie de 1718, & dans lequel le problème qui consiste à trouver les plus grandes des figures isopérimètres est résolu avec beaucoup de simplicité & de clarté.

M. Euler a aussi publié sur cette matiere plusieurs morceaux très-profonds dans les Mémoires de l'Académie de Petersbourg, & on a imprimé à Lausanne en 1744 un ouvrage fort étendu du même auteur sur ce sujet. Il a pour titre : Methodus inveniendi lineas curvas, maximi minimive proprietate gaudentes. Sive solutio problematis isoperimetrici in latissimo sensu accepti. On peut lire dans les tomes I. & II. des oeuvres de M. Jean Bernoulli, les différens écrits publiés par lui & par son frere sur ce problème. M. Jean Bernoulli dans son premier écrit n'avoit considéré que deux petits côtés consécutifs de la courbe ; au lieu que la vraie méthode de résoudre ce problème en général demande qu'on considere trois petits côtés, comme on peut s'en assurer en examinant les deux solutions. Voyez MAXIMUM.

On trouve aussi dans les Mém. de Berlin de 1752, un mémoire de M. Cramer qui mérite d'être lu, & dans lequel il se propose de démontrer en général ce qu'on ne démontre dans les élémens de Géométrie que pour les seules figures régulieres, savoir que le cercle est la plus grande de toutes les figures isopérimètres rectilignes régulieres ou non. (O)


ISOPSÈPHEadj. (Littérat. Grecq.) mot composé de égal, & de , calcul, suffrage.

Il faut donc savoir, pour fe former une idée claire du sens de ce terme, que l'adjectif , s'entendoit de plusieurs manieres, ainsi qu'on le remarque dans l'Histoire de l'Acad. des belles-Lettres.

Comme le mot , signifie tout-à-la fois suffrage & calcul ; par rapport à ces deux différentes choses, le mot , étoit susceptible de différentes acceptions. Si on le considere comme formé de suffrage, ou il se disoit d'un magistrat, d'un juge, & alors il signifioit qui a le même droit de suffrage, qui jouit d'une égale autorité ; ou il se disoit d'une assemblée, d'une délibération, & en ce cas on s'en servoit pour exprimer celle où les suffrages sont partagés, où le nombre des suffrages est égal de part & d'autre. Mais si on le regarde comme venant de calcul, alors il se disoit de certains mots qu'on appelloit , c'est-à-dire, mots dont les lettres calculées produisent le même nombre. Tout le mystere en ce dernier sens se réduit à ceci.

Les Grecs n'avoient point d'autres chiffres que les lettres de leur alphabet, desorte que leur A signifioit un dans leur arithmétique, B deux, trois, & ainsi du reste ; cela supposé, ils appelloient deux mots isopsèphes, lorsque les lettres de chacun de ces deux mots, considérées comme chiffres, & calculées par la regle de l'addition, produisoient une même somme.

Mais les anciens grecs n'avoient pas seulement des mots isopsèphes, ils avoient des vers entiers qu'ils appelloient du même nom, & pour les mêmes raisons. C'étoient des vers construits de maniere que les lettres numérales du premier distique, produisoient le même nombre que celles du second.

Un certain Léonide se distingua dans ce genre bizarre de poésies ; il faisoit des épigrammes, dont les deux premiers vers étoient isopsèphes aux deux seconds ; quand l'épigramme étoit de deux vers, il opposoit vers à vers. M. Huet a remarqué l'isopséphisme dans l'épigramme du xij. chap. du VI. liv. de l'Antologie, qui commence par ces mots, ; cette épigramme est composée de deux vers, dont chacun forme le nombre de 4111.

On prétend aussi qu'on trouve dans Homere quelques vers isopsèphes ; mais si cela est, ce sont de purs effets du hasard ; un si grand Poëte n'a sûrement jamais perdu son tems à un amusement qui n'étoit pas moins frivole que celui de nos faiseurs d'anagrammes & d'acrostiches du siecle passé. (D.J.)


ISORAS. f. (Bot.) genre de plante à fleurs ou monopétale ou polypétale, mais irréguliere, ouverte & bien découpée. Il s'éleve du fond de la fleur un pistil dont la tête devient dans la suite un fruit arrondi, composé de plusieurs gaines en forme de cuillieres & remplies de semences qui ont presque la figure d'un rein. Plumier.


ISOSCELEadj. (Géom.) le triangle isoscèle est celui qui a deux côtés égaux. Voyez TRIANGLE.

Dans tout triangle isoscèle F, D, E, (Pl. Géom. fig. 69.) les angles y & u opposés aux côtés égaux sont égaux ; & une ligne tirée du sommet F sur la base, de maniere qu'elle la coupe en deux parties égales, est perpendiculaire sur cette même base. Chambers. (E)


ISPAHAN(Géog.) ou HISPAHAN, en persan Sephaon, & par les Arabes Esfahan, capitale de la Perse, la plus grande, la plus belle ville de l'orient, & celle où les Sciences, si je puis user ici de ce terme, étoient le plus cultivées du tems de Chardin, qui a employé un volume entier à décrire cette superbe ville.

Il nous la peint aussi peuplée que Londres ou Paris le sont actuellement, dans un air sec & pur ; un terroir fertile, où les vivres se vendent pour rien, & où abordent pour le commerce une foule incroyable de négocians de toute la terre, & de toutes les sectes, Banians, Bramins, Chrétiens, Juifs, Mahométans, Gentils, Guèbres, &c. Les Banians vont du cap de Comorin jusqu'à la mer Caspienne trafiquer avec vingt nations sans s'être jamais mêlés à aucune.

Les mémoires représentent Ispahan ayant au moins 7 lieues de tour, & possédant dans l'enceinte de ses murailles 162 mosquées, 1802 caravansérais, 273 bains, 48 colléges, des ponts superbes, 100 palais plus beaux les uns que les autres, quantité de rues ornées de canaux, dont les côtés sont couverts de platanes, pour y donner de l'ombre, des bazards magnifiques placés dans tous les quartiers & dans les fauxbourgs, un nombre prodigieux de salles immenses qu'on appelle maisons à caffé ; où les uns prenoient de cette liqueur devenue à la mode parmi nous sur la fin du xvij. siecle ; les autres jouoient, lisoient ou écoutoient des faiseurs de contes, tandis qu'à un bout de la salle, un ecclésiastique prêchoit pour quelque argent, & qu'à un autre bout, ces especes d'hommes qui se sont fait un art de l'amusement des autres, déployoient tous leurs talens ; tout son détail montre un peuple sociable dans une ville très-opulente.

Mais quand on parcourt la description que Chardin fait du Maydan ou marché royal, celle du palais de l'empereur qui a plus d'une lieue de circuit, la magnificence de sa cour, de ses serrails, de ses écuries, du nombre de ses chevaux, couverts de riches brocards, de leurs harnois brillans de pierreries, de ces quatre mille vases d'or qui servoient pour sa table, on croit lire un roman, un conte de fées, ou du moins une relation du tems de Xerxès.

Telle étoit toutefois la magnificence de Sha-Abas II, dans le tems de notre voyageur ; telle étoit alors Ispahan. Dans notre siecle la Perse entiere a été désolée & bouleversée pendant trente années de suite par tous ses voisins ; la célebre, la riche & superbe ville d'Ispahan a été pillée, saccagée, ruinée de fond en comble ; son commerce a été anéanti ; enfin ses habitans ont presque tous péri par la famine ou par le fer dans les deux étranges révolutions survenues depuis 1722, & qui ont jetté le royaume de l'état le plus florissant dans le plus grand abysme de malheurs. Voyez PERSE.

Ispahan est très-ancienne, quoique ce ne soit pas l'Hécatompolis des Grecs. Il est vraisemblable qu'elle a succédé à l'Aspadana de Ptolomée, l'Aspachan de Cédrene, & l'Aspada de l'anonime de Ravenne ; Sha-Abas I. qu'on a surnommé le Grand, parce qu'il fit de très-grandes choses, la choisit pour la capitale de son empire, & ne négligea ni soins ni dépenses pour l'embellir, jusqu'à percer une montagne pour amener une riviere dans le Zendérond, sur lequel elle est située, 108 lieues S. E. de Casbin, & 106 N. E. de Bassora. Long. selon Cassini, Desplaces, & Lieutaud, 70d. 21'. 30''. Latit. 32. 25. (D.J.)


ISPARAS. m. (Mythol.) divinité adorée par les Malabares sur la côte de Coromandel. On la représente avec trois yeux & huit mains ; elle a une sonnette pendue au col, une demi-lune & des serpens sur le front. Les Malabares croyent que ce dieu embrasse les sept ciels & les sept terres.


ISSANTadj. terme de Blason, qui se dit du lion & des autres animaux qui se mettent sur le chef de l'écu, qui ne paroissent qu'à demi-corps, ou qui sortent de quelque maison, de quelque bois.

Il est difficile de distinguer le lion issant du naissant. Quelques-uns croyent que le lion issant est celui qui sort du champ de derriere un ample blason, montrant la tête, le col, les bouts des jambes de devant & la queue contre le chef de l'écu ; au lieu que le naissant prend sa source vers le milieu du champ de l'écu, & paroît dehors du train de devant & du bout de sa queue, comme s'il sortoit de terre. Voyez NAISSANT.

Montainard en Dauphiné, de vair au chef de gueules, au lion issant d'or.


ISSAS(Marine) Voyez DRISSE.


ISSEL(Géog.) riviere. Voyez YSSEL.


ISSELMONDE(Géog.) ville de Hollande, bâtie au confluent de la Merwe & de l'Issel, dans une île qui se trouve entre Dordrecht & Rotterdam.


ISSER(Marine) Voyez HISSER.


ISSOIRE(Géog.) ancienne petite ville de France dans la basse-Auvergne sur la Couze, proche l'Allier, à 7 lieues S. E. de Clermont, 13 N. E. de S. Flour, 95 S. E. de Paris. Long. 20d 55'11''. lat. 45d 33'56''.

Ici naquit Antoine du Prat, chancelier de France, & depuis cardinal, ayant embrassé l'état ecclésiastique après la mort de sa femme. Il sera long-tems connu dans notre histoire, pour avoir établi le concordat, & avoir aboli la pragmatique sanction ; de plus, & c'est le pire, il persuada, par ses conseils, à François I. de rendre vénales les charges de judicature, d'augmenter les tailles, & de créer de nouveaux impôts, sans attendre l'octroi des états du royaume ; je ne veux point prévenir les réflexions qui naissent en foule contre les auteurs de pareils projets, c'est assez de dire, que ce ministre de France emporta au tombeau la haine publique en 1535, à l'âge de 72 ans. (D.J.)


ISSONGS. m. (Hist. nat. Med.) nom d'une plante de Guinée que l'on fait infuser dans de l'eau & bouillir ensuite ; on en lave la tête à ceux qui y ont mal, & on dit que c'est un remede souverain contre tous les maux de tête. Les Botanistes ont décrit cette plante sous le nom de pisum vesicarium fructu nigro, dont le fruit est noir avec une tache blanche. Les habitans du Malabar l'appellent ulinga. Il s'en trouve aussi en Jamaïque & aux Barbades. Transactions philosoph. n°. 232.


ISSONSS. m. pl. (Marine) cordages blancs de 50 brasses de long & de 4 pouces de grosseur, qui servent à hisser les vergues. (Z)


ISSOP(Marine) commandement qui se fait entre les matelots pour s'animer à hisser quelque chose. (Z)


ISSOUDUN(Géog.) ville de France en Berry, avec un vieux château. Quelques géographes prennent Issoudun pour l'ancienne Ernodurum, ville de la Gaule celtique, que d'autres placent à saint-Ambroise sur Arnon, village du Berry ; elle est dans une belle plaine, sur la petite riviere de Théols, à sept lieues de Bourges, 54 sud-ouest de Paris, long. 18. 39. 49. lat. 46. 56. 53.

Baron (Michel) le plus grand acteur tragique, l'Esope de la France, nâquit à Issoudun, & mourut à Paris en 1729, âgé de 77 ans. Il se nommoit Boyron ; mais Louis XIV. l'ayant appellé plusieurs fois Baron, ce nom lui est resté. Baron dès sa plus tendre jeunesse, marqua ses talens supérieurs dans une petite troupe que la demoiselle Raisin avoit formée sous le titre de Comédiens de M. le Dauphin. Moliere l'ayant vû & entendu déclamer, l'attira dans celle dont il étoit le chef ; Baron y joua toujours avec de nouveaux applaudissemens, jusqu'en 1691, qu'il se retira du théatre, ayant obtenu du roi une pension de mille écus ; il passa trente ans dans une vie privée, & reparut au bout de ce tems-là sur la scene, avec plus d'éclat que jamais.

La nature sembloit s'être épuisée en formant cet homme rare. Il avoit une taille avantageuse, la mine haute & fiere, la parole aisée, la prononciation nette & d'une grande précision ; sa voix étoit sonore, forte, juste & flexible, ses tons énergiques & variés ; ses gestes vrais, précis, nobles, ménagés ; tout exprimoit en lui, son visage, son regard, ses attitudes, & son silence même ; il n'étoit point seulement acteur, il étoit Achille, Agamemnon, Pirrhus, Auguste, Cinna, Venceslas ; il termina au mois de Septembre 1729 sa seconde carriere, en jouant dans la tragédie de Rotrou le même rôle de Venceslas, par lequel il avoit débuté la derniere fois qu'il monta sur le théatre ; il sentit un peu d'oppression, & s'arrêta sur ce vers :

Si proche du cercueil où je me vois descendre.

Trois mois après il mourut, & n'a pas été remplacé, mais la Champmeslé & la Lecouvreur l'ont été.

On sait les quatre vers que fit Despréaux pour mettre au bas de l'estampe de Baron.

Du vrai, du pathétique il a fixé le ton ;

De son art enchanteur l'illusion divine

Prêtoit un nouveau lustre aux beautés de Racine,

Un voile aux défauts de Pradon.

(D.J.)


ISSUEsubst. fém. (Gramm.) sortie étroite d'un lieu dans un autre. Un labyrinthe n'a qu'une entrée & qu'une issue difficiles à reconnoître.

Il se dit du tems qui suit immédiatement : à l'issue du dîner.

Les Bouchers appellent issues les extrémités des animaux & autres parties, comme fraise, piés, tête, &c.

Il se prend aussi au moral ; il y a des maux dont la seule issue est celle de la vie.

ISSUE, (Jurisprud.) le droit d'issue dans quelques coutumes est le droit de lods & ventes dû au seigneur. Ce terme est ordinairement joint avec celui d'entrée. Issue est proprement le délaissement fait par le vendeur ; entrée est la possession prise par l'acheteur : on a ensuite donné le nom d'issues & entrées aux droits qui se payent pour cette mutation. Voyez la coutume de Bayonne, tit. 54. art. 42. & tit. 8. art. 9. Celle d'Aix, tit. 9. art. 19, 20, 22, 27, 28, 34, 38.

Dans la coutume de Hesdin, art. IV. & dans celle de Saint-Pol sous Artois, il est parlé d'un autre droit d'issue dû au seigneur haut-justicier par celui qui prend ou leve quelque chose en sa justice par achat ou autrement, & la transporte en une autre jurisdiction. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot ISSUE. (A)

ISSUE-FORAINE, (Commerce) Forain veut dire étranger, soit du royaume, d'une province, ou même d'un lieu particulier. Ce mot est en usage principalement dans le commerce & dans les fermes. En Lorraine il y a divers réglemens sur les droits d'entrée & d'issue-foraine. C'est la même chose qu'importation & exportation. Le droit de transit est différent ; il a lieu lorsqu'on passe sur le territoire d'une puissance, pour aller d'un endroit d'un pays à un autre endroit du même pays. On appelle ces droits la foraine. Il est juste de les exiger sur la frontiere du royaume ; mais d'une province à l'autre, c'est rendre le royaume étranger au royaume, & arrêter la circulation. Aussi a-t-il été proposé plus d'une fois, même par des fermiers généraux, de supprimer beaucoup de ces droits de l'intérieur.


ISSUS(Géog. anc.) ancienne ville d'Asie dans la Cilicie, remarquable par la victoire qu'Alexandre y remporta contre Darius. Cette bataille où toute l'armée des Perses montant à 500 mille hommes, fut mise en déroute, est une belle preuve de l'ascendant que le courage a sur le nombre. La mere, la femme, la soeur, les filles & le fil de Darius demeurerent au pouvoir du vainqueur, & Darius lui-même n'échappa que par la vitesse de son cheval. C'est encore de la ville d'Issus que le golfe sur lequel elle est située, tiroit sa dénomination, Le nom moderne d'Issus est Ajazzo, ou la Jasso ; mais il ne reste ni bourg ni ville. (D.J.)


ISTAMBOL(Hist. mod.) nom que les Turcs donnent à la ville de Constantinople. C'est une corruption du grec . Cependant le Sultan date ses ordonnances de Constantanie. Voyez CANTEMIR, Hist. Othomane.


ISTERBOURG(Géog.) ville & château de la Prusse Brandebourgeoise, sur la riviere de Pregel.


ISTHMES. m. (Géog.) langue de terre entre deux mers ou deux golfes, laquelle joint une presqu'île au continent, de la même maniere que le cou joint la tête au tronc du corps. Les plus considérables entre les isthmes sont :

L'isthme de Corinthe, qui joint la Morée au reste de la Grece ; il est situé entre le golfe de Lépante & le golfe d'Engia.

L'isthme d'Erizzo qui joint le mont Athos au reste de la Macédoine.

L'isthme de Malaca, qui joint la presqu'île de ce nom au royaume de Siam, entre le détroit de Malaca & le golfe de Siam.

L'isthme de Panama, qui joint l'Amérique septentrionale à l'Amérique méridionale, ou en d'autres termes, le Mexique au Pérou ; il est situé entre la mer du nord & la mer du sud. Wafer (Lionnel) en a donné la description en Anglois, Lond. 1704. in -8°.

L'isthme de Romanie, qui joint la presqu'île de Romanie au reste de cette province ; il est situé entre le golfe de Mégarisse & la mer de Marmora.

L'isthme de Suez, qui joint l'Afrique à l'Asie, entre la Méditerranée & la mer Rouge.

L'isthme de Zacala, qui joint la Tartarie Crimée, ou Chersonese Taurique, avec la Tartarie précopite ; il est placé entre la mer Noire & le Palus méotide.

Mais il faut remarquer ici que dans tous les auteurs grecs, quand ils disent simplement l'isthme, sans rien ajouter, ils entendent l'isthme de Corinthe, situé, comme on l'a dit, dans le passage qui joint la Grece méridionale à la septentrionale, ou ce qui revient au même, le Péloponese au reste de la Grece : il a de largeur 36 stades selon Hérodote, 5 mille pas selon Méla, c'est-à-dire une grande lieue d'Allemagne, ou environ deux lieues de France. On a tenté plusieurs fois mais inutilement de le percer, & de joindre les deux mers par un canal. Quatre empereurs romains ont formé ce projet, & pour l'exécuter se sont engagés dans de grandes dépenses ; mais avec toute leur puissance ils ne purent en venir à bout, ce qui donna lieu au proverbe grec, entreprendre de percer l 'isthme, pour dire tenter l'impossible. Neptune avoit dans cet isthme un temple célebre, à côté duquel étoit un bois de pins qui lui avoit été consacré, & c'est près de là qu'on célébroit les jeux isthmiques. Voyez ISTHMIQUES jeux. (D.J.)

ISTHME, (Anatomie) Les Anatomistes donnent ce nom à plusieurs parties du corps humain, surtout à cette partie étroite de la gorge qui est située entre les deux glandes thyroïdiennes. Voyez GORGE & THYROÏDIENNES.


ISTHMIENS, JEUX(Litt. greq.) Les jeux isthmiens, ou si l'on aime mieux, les jeux isthmiques, étoient un des quatre jeux sacrés de la Grece, si fameux dans l'antiquité.

Ces jeux se nommerent isthmiens, parce qu'on les donnoit dans l'isthme de Corinthe ; car lorsque les Grecs disent simplement l'isthme, ils entendent l'isthme de Corinthe, du nom de cette ville située dans le passage qui joignoit le Péloponnèse au reste de la Grece, ou pour parler avec les géographes modernes, qui sépare les golfes de Lépante & d'Engia, & joint la Morée à la Livadie. Neptune avoit dans cet isthme un superbe temple, à côté duquel se trouvoit un bois de pins qui lui étoit consacré ; & c'est près de ce bois qu'on célébroit les jeux isthmiques.

Ils furent d'abord institués par Sisiphe roi de Corinthe, en l'honneur de Mélicerte, environ 1350 ans avant J. C. & voici quelle en fut l'occasion.

Ino femme d'Athamas, roi d'Orchomène en Béotie, pour éviter la juste vengeance de son mari qu'elle n'avoit que trop méritée, se précipita dans la mer avec son fils Mélicerte. Neptune, dit la fable, à la priere de Vénus dont Ino étoit petite fille, les reçut l'un & l'autre au nombre des divinités de son empire ; il nomma la mere Leucothoé, & le fils Palémon ; cependant le corps de Mélicerte ayant été porté par un dauphin, ou pour parler plus simplement, ayant été jetté par les flots sur le rivage de l'isthme, Sisyphe le trouva & l'ensevelit.

Quelques années après le pays fut affligé d'une cruelle peste, sur laquelle l'oracle ayant été consulté, fit réponse que ce mal ne cesseroit que par la célébration de jeux funebres en l'honneur de Mélicerte. Comme les Corinthiens s'acquittoient de ce devoir avec assez de négligence, la contagion recommença. Sisyphe recourut une seconde fois à l'oracle qui lui prescrivit d'établir des jeux perpétuels en l'honneur de Mélicerte. Alors il institua les jeux isthmiques qu'on donna d'abord pendant la nuit, & qui ressembloient moins à des spectacles qu'à des mysteres nocturnes. On fut même obligé de les interrompre, à cause des vols & des meurtres qui se commettoient dans le tems de leur célébration, sur les grands chemins de l'isthme.

Thesée, onzieme roi d'Athenes, fut le restaurateur de ces jeux, & purgea le pays des infames brigands qui l'infestoient ; mais leur chef nommé Sinnis existoit encore ; ce scélérat non content de piller les passans, les crucifioit de la maniere la plus barbare ; il les attachoit aux branches de deux pins qu'il courboit avec violence, & qu'il abandonnoit ensuite à leur ressort naturel. Thesée le poursuivit, le prit, & le fit périr par le même supplice.

Au retour de cette expédition il rétablit les jeux isthmiques avec tant d'éclat qu'on peut en quelque sorte le regarder comme le premier instituteur de ces jeux. Il voulut qu'on les célébrât pendant le jour, & les consacra solemnellement à Neptune dont il se vantoit d'être fils, comme au Dieu qui présidoit particulierement sur l'isthme.

Suivant Pline & Solin les jeux isthmiques se renouvelloient tous les cinq ans, c'est-à-dire au bout de quatre années révolues, & au commencement de la cinquieme année ; mais Pindare qui sur cette matiere est plus croyable que Pline & Solin, marque expressément qu'on les donnoit tous les trois ans. Nous ignorons dans quel tems de l'année, & nous conjecturons seulement que c'étoit en automne, sur ce qu'Hésychius & Suidas disent qu'on les célébroit dans la saison où les maladies regnent davantage.

On y disputoit comme aux jeux olympiques les prix de la lutte, de la course, du saut, du disque & du javelot. Il paroît par un passage de Plutarque, & par un autre de l'empereur Julien, que les combats de musique & de poësie y furent encore admis.

Le concours de peuple étoit si grand à ces jeux, qu'il n'y avoit que les principaux membres des villes de la Grece, qui pussent y être placés. Quoiqu' Athenes y tînt le premier rang, elle ne pouvoit occuper d'espace qu'autant que la voile du navire qu'elle envoyoit à l'isthme, en pouvoit couvrir.

Les Eléens étoient les seuls de tous les Grecs qui ne se trouvoient point aux jeux isthmiques, pour éviter les malheurs des imprécations que Molione femme d'Actor avoit faites contre tous ceux de l'Elide qui oseroient jamais y assister.

Mais les Romains qui y furent reçus après leurs victoires, éleverent la magnificence de ces jeux au plus haut degré de splendeur. Alors outre les exercices ordinaires du pentathle, de la musique, & de la poësie, on y donnoit le spectacle de la chasse, dans laquelle on faisoit paroître les animaux les plus rares, qu'on y conduisoit à grands frais de toutes les parties du monde connu. Enfin, ce qui augmenta le lustre de ces jeux, c'est qu'ils servirent d'époque aux Corinthiens, & aux habitans de l'isthme.

Au milieu de cette pompe qui attiroit une si prodigieuse multitude de spectateurs & de combattans, quels prix, me direz-vous, quelle récompense recevoient donc les vainqueurs ? Une simple couronne d'abord de feuille de pin, ensuite de persil, selon Archias & le scoliaste de Pindare, mais selon la plus commune opinion & celle de Pindare lui-même, d'ache seche de marais, parce que cette herbe aquatique étoit consacrée à Neptune, & que de plus on s'en servoit dans les funérailles. Or les jeux isthmiques n'étoient dans leur institution qu'une cérémonie funebre ; leur éclat se ternit quand les Romains joignirent les plus riches présens à cette couronne d'honneur.

Cependant ces jeux furent toujours réputés si sacrés dans l'esprit des peuples, qu'on n'osa pas les discontinuer quand Mummius eut pris Corinthe, 144 ans avant l'ere chrétienne. Le sénat de Rome se contenta d'ôter aux Corinthiens le droit qu'ils avoient d'en être les juges : mais dès que leur ville fut rétablie dans ses prérogatives, ils rentrerent dans leur ancienne possession.

Ce fut peu de tems après cet évenement, & dans la célébration des jeux isthmiques, que les Romains portant au plus loin leur générosité, dirai-je mieux, leur sage politique, rendirent authentiquement la liberté à toute la Grece. Voici de quelle maniere ce fait à jamais mémorable est rapporté dans Tite-Live.

Il étoit venu, dit-il, aux jeux de l'isthme, une multitude innombrable de peuples, soit par la passion naturelle que les Grecs ont pour ce spectacle où l'on propose toutes sortes de combats d'adresse, de force & d'agilité, soit à cause de la situation du lieu qui est placé entre deux mers, ce qui fait qu'on peut aisément s'y rendre de toutes parts.

Les Romains ayant pris leur place dans l'assemblée, le héraut accompagné d'un trompette selon la coutume, s'avance au milieu de l'arène, & ayant fait faire silence à son de trompe, prononce ces mots à haute voix : " Le sénat, le peuple romain, & le général Titus Quintius Flaminius, après avoir vaincu le roi de Macédoine, déclarent qu'à l'avenir les Corinthiens, les Phocéens, les Locriens, l'île d'Eubée, les Magnésiens, les Thessaliens, les Perrhébiens, les Achéens, les Phthiotes, & tous les peuples ci-devant soumis à la domination de Philippe, jouiront dès-à-présent de leur liberté, de leurs immunités, de leurs privileges, & se gouverneront suivant leurs lois ".

Cette proclamation causa un ravissement de joie que toute la multitude d'hommes qui se trouvoient présens, ne put contenir. Ils doutent s'ils ont bien entendu ; pleins d'étonnement il se regardent les uns les autres, & prennent pour un songe ce qui se passe à leurs yeux ; ils n'osent s'en fier à leurs oreilles.

On redemande, on fait paroître le héraut une seconde fois ; tous se pressent, non-seulement pour entendre, mais encore pour voir le proclamateur de leur liberté. Le héraut répete la même formule : alors on se livre aux transports d'allégresse avec toute assurance, & les acclamations furent si grandes, & tant de fois réitérées, qu'il fut aisé de reconnoître qu'au jugement de l'univers la liberté est le plus précieux de tous les biens. On célébra les jeux à la hâte, car ni les esprits ni les yeux de personne ne furent attentifs au spectacle, tant la joie qu'on ressentoit, avoit ôté le goût de tous les autres plaisirs. Ce grand évenement arriva 194 ans avant J. C.

Au bout de 260 ans on sait que Néron renouvella la même protestation, & dans la même assemblée. Il fut le propre héraut de la grace qu'il accordoit. Il fit plus : il donna le droit de bourgeoisie romaine aux juges des jeux Isthmiques, & les combla de ses présens.

Cependant les peuples de la Grece accablés du joug de Rome, & des malheurs qu'ils éprouvoient depuis plus d'un siecle, n'espérant plus de retour de leurs beaux jours, ne sentirent aucun des transports de joie qui les avoit saisis du tems de Flaminius, & comptant encore moins sur les faveurs d'un Néron, ils ne répondirent à ses promesses que par de foibles acclamations.

Leurs conjectures ne furent point fausses, les préteurs d'Achaie continuerent à les accabler ; insensiblement tous leurs jeux perdirent leur éclat, & ceux de l'isthme vinrent à cesser entierement sous l'empire d'Adrien, c'est-à-dire vers l'an 130 de l'ere chrétienne.

Il ne resta dans le monde, pour en perpétuer le souvenir, que les belles odes de Pindare, à la louange des vainqueurs, auxquels il a fait un présent plus considérable que s'il leur eût élevé cent statues, centum potiore signis munere donavit.

Ces odes ont passé jusqu'à nous, & leur quatrieme livre est intitulé les isthmiques. (D.J.)


ISTHMIONS. f. (Littérat. greq.) isthmion, espece d'ornement qui ceignoit & couronnoit la tête des femmes chez les anciens Grecs, comme il paroît par quelques médailles. (D.J.)


ISTRIEl '(Géog.) presqu'île d'Italie dans l'état de Venise, entre le golfe de Trieste & le golfe de Quarner. Les Colques y fonderent autrefois le fameux port de Pola, si connu depuis chez les Romains sous le nom de Julia pietas ; & d'autres colonies greques qui s'y établirent, y porterent le culte d'Isis.

L'air y est mal-sain, & le pays dépeuplé ; la plus grande partie de l'Istrie est aux Vénitiens ; la maison d'Autriche y possede seulement la principauté & le port de Trieste : il ne faut pas dire avec Magin, que l'Istrie répond à la Japidie des anciens, cela n'est vrai que d'une partie de l'Istrie & de la Japidie.

Capo-d'Istria est la capitale de cette contrée. Voyez CAPO-D'ISTRIA. J'ajouterai qu'elle est sur une petite île nommée Aegida par les anciens, & que le P. Coronelli met à 36. 36. de long. & à 45. 31 de lat. septen. Elle quitta le nom d'Aegida & de Copraria qu'elle avoit eu depuis, pour celui de Justinopolis qu'elle garde encore dans les actes publics. L'évêché de Capo-d'Istria fut fondé en 756 ; elle a d'assez belles églises ; sa maison de ville étoit un temple de Pallas ; son principal revenu consiste en salines qui produisent par an plus de sept mille muids de sel ; la mer lui fournit du poisson en abondance, & la terre ferme d'alentour est couverte d'oliviers & de vignes qui donnent d'excellent vin.

Matthias Francowitz plus connu sous le nom de Matthias Flaccus Illyricus, l'un des plus savans & des plus turbulens théologiens de la confession d'Ausgbourg, nâquit dans l'Istrie le 3 de Mars 1520 ; il s'éleva avec force contre l'interim de Charles-Quint, eut des démêlés très-vifs avec les Catholiques, & mourut le 11 Mars 1575, à 55 ans. Il tira de la poussiere des bibliotheques, une vieille messe qu'il fit imprimer en 1557, & compila l'ouvrage fameux intitulé, Catalogus testium veritatis, Basilea 1556, premiere édition, suivie de celles de 1597 & 1608, & à Francfort 1666 in -4°. & 1672. Le plus considérable de ses travaux, fut sans-doute cette histoire ecclésiastique latine, qu'on a nommée les Centuries de Magdebourg, dont il eut la principale direction ; il y a 13 centuries. Les trois premieres parurent en 1559, & la derniere en 1574. L'édition de Basle en 1624, 3 vol. in -fol. est la bonne de ce grand ouvrage ; mais le clavis sacrae scripturae d'Illyricus, est un de ses meilleurs livres : Bayle a donné un excellent article critique de ce célebre auteur. (D.J.)


ISTROPOLIS(Géog. anc.) ancienne ville sur la mer Noire, à l'embouchure du Danube. Ptolomée & Etienne le Géographe la nomment Istros ; c'étoit une peuplade des Milésiens, qui éleverent cette ville lorsque l'armée de Scythes barbares vint poursuivre en Asie les habitans du Bosphore Cimmérien. C'est aujourd'hui Stravico, ou Prostravisa, qui placée près d'une des embouchures du Danube, servoit alors d'entrepôt général à toutes les nations qui trafiquoient le long de ce fleuve.


ISTURIE(Géog.) petit village à cinq lieues de Bayonne dans le pays-basque, contrée d'Arberou. Je n'en parle que parce qu'il a donné son nom à une fameuse mine connue, & jadis exploitée par les Romains ; son ouverture avoit près de douze cent piés de profondeur. La montagne étoit percée pour l'écoulement des eaux d'une petite riviere qui la traverse : trois grosses tours dont une existe encore en partie, avec un retranchement d'une douzaine de toises de surface, & quelques fortifications au haut de la montagne, servoient à loger des soldats pour soutenir les mineurs. Des naturalistes qui ont examiné cet endroit, croyent que c'étoit une mine de fer, & ont regardé le grand souterrein comme une carriere d'où l'on tiroit la pierre. (D.J.)


ISUM(Géog.) ville commerçante de la Russie, sur la riviere de Donetz, entre Asoph & Bormut.


ISURENS. m. (Idolat. mod.) nom d'une des trois principales divinités auxquelles les Indiens idolâtres attribuent le gouvernement de l'univers ; les deux autres sont Bramha, qu'ils prennent pour le créateur du monde, & Wisnou. Voyez BRAMHA & WISNOU.

Les Indiens adorent Isuren sous une figure obscène & monstrueuse qu'ils exposent dans les temples, & qu'ils portent en procession. Lorsque cette divinité ne paroît pas dans les temples sous la forme infame du Lingam, mais sous celle d'un homme, elle est représentée comme ayant un troisieme oeil au milieu du front. On lui donne deux femmes, l'une qui est peinte en verd, & l'autre en rouge, avec une queue de poisson. Les adorateurs de ces idoles se frottent le visage & quelques autres parties du corps, d'une cendre faite de fiente de vache, à laquelle ils attachent une grande idée de sainteté.

La secte d'Isuren passe pour la plus étendue qu'il y ait dans les Indes ; elle est même subdivisée en plusieurs sectes, dont les unes n'adorent que le seul Isuren, d'autres ses femmes, d'autres ses enfans, d'autres enfin joignent à leurs adorations toute la famille & les domestiques. Voyez l'histoire du christianisme des Indes, par M. de la Croze, où vous trouverez des particularités que je passe sous silence. (D.J.)


ITS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les Iguréens donnent à l'onzieme géagh de leur cycle duodenaire ; il signifie chien, & désigne encore l'onzieme heure du jour, & l'onzieme de leurs signes célestes. Bibliotheq. orient. & Dict. de Trév.


ITABUS. m. (Hist. nat. botan.) c'est un arbre du Japon qui est une espece de figuier sauvage, dont le fruit est de couleur purpurine, & la feuille longue de quatre ou cinq doigts, terminée en pointe, & sans découpure. Un autre figuier nommé Inuitabu, porte un fruit insipide, & jette des racines qui tirent sur le roux. Ses branches sont courtes, grosses, courbées, revêtues d'une écorce rousse, ou d'un verd clair. Ses feuilles qui durent toute l'année, sont fermes, dures, épaisses, ovales, & terminées en pointe, longues ordinairement de trois pouces, unies & brillantes par-dessus, & d'un verd clair par le dos, qui est garni dans toute son étendue d'une infinité de nervures entrelassées les unes dans les autres d'une maniere fort agréable. Les fleurs ne se montrent point. Les fruits dont le pédicule est court, gros & ligneux, sont de la grosseur & de la figure d'une noix, mais quelquefois de la figure d'une poire. Leur chair est blanche, fongueuse garnie d'un grand nombre de petites semences blanches & transparentes, qui sont environnées d'une très-petite fleur blanche à quatre pétales. L'arbre croît dans les endroits pierreux & le long des murs.


ITAGUEITAQUE ou ETAQUE, s. f. (Marine) cordage qui est amarré en haut au milieu d'une vergue contre les racages, qui va passer par l'encornail, & qui est attaché par le bout d'en-bas à la drisse. Il sert à faire couler la vergue.

Itague de palan ; cordage qui transmet l'effort d'un palan, qui assez souvent, passe dans une poulie de renvoi. Voyez PALAN.

Itague fausse, ou fausse itague ; c'est une manoeuvre qui est frappée ordinairement à bas-bord du vaisseau, & qui passant ensuite par une poulie placée derriere le mât de hune, va se joindre à la drisse de hunier par une poulie de palan. Elle sert à hisser le hunier, & par occasion à soutenir le mât de hune. (Z)


ITALICA(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne dans la Bétique, aujourd'hui l'Andalousie. Appien nous en apprend l'origine, lorsqu'il dit que Scipion laissa les invalides de son armée dans une ville qui en reçut le nom d'Italica. Elle a le titre de municipe dans les médailles frappées sous l'empire d'Auguste ; mais elle est bien autrement fameuse par les grands hommes dont elle a été la patrie. Je compte d'abord trois empereurs romains, Trajan sous le regne duquel ce fut un bonheur d'être né, Adrien son cousin & son successeur qui n'étoit point chrétien, mais qui loin de les persécuter, ordonna de châtier leurs calomniateurs ; & Théodose le vieux, après la mort duquel l'empire s'affaissa tout à-coup ; le quatrieme homme illustre, natif d'Italica selon quelques critiques, ou plûtôt de Corsinium, est sans doute moins célebre par les honneurs de son consulat qui tombe à l'an 68 de l'ere vulgaire, que par son poëme, ou si l'on aime mieux, son histoire versifiée de la seconde guerre punique.

Les notices d'Espagne donnent à la ville d'Italica le premier rang après le siege de Spalis, Séville. Aujourd'hui ce n'est qu'un bourg ruiné, situé à trois ou quatre milles de Séville, & qu'on nomme Sevilla-la-Veja ; mais M. Baudrand remarque que la campagne de ces environs est encore appellée los campos de Talca. (D.J.)


ITALIE(Géog. anc.) à ce grand pays de l'Europe, situé entre les Alpes & la mer Méditerranée, où il s'étend en forme de presqu'île, Pline donnoit en longueur mille & vingt de ces milles romains qui étoient en usage de son tems, & sept cent quarante-cinq milles dans sa plus grande largeur.

Tandis que quelques-uns dérivent le nom d'Italie d'un certain Italus, personnage fabuleux, le docte Bochart en va chercher l'origine dans la langue phénicienne ; chacun a sa folie où toûjours il revient.

Servius, dans ses commentaires sur Virgile, nous indique les divers noms donnés jadis à cette contrée : elle a été appellée Saturnie, Latium, Ausonie, Tyrrhénie, Oenotrie, Hespérie, &c. On peut voir dans le premier liv. des Antiq. de Denys d'Halycarnasse, ce qui a produit la créance du peuple, qui établissoit le regne de Saturne en Italie. On dérive le nom de Latium, que porta la contrée qui servit d'asile à ce prince, du verbe lateo, se cacher. Les noms d'Ausonie, de Tyrrhénie, & d'Oenotrie, ne signifient originairement que des cantons particuliers du pays ; le nom d'Hespérie lui fut imposé par les Grecs, à cause de sa situation occidentale à leur égard, & c'est ainsi qu'ils appelloient l'étoile du soir : les Latins donnerent le nom d'Hespérie à l'Espagne, pour la même raison.

Mais les Grecs firent tant de descentes & d'établissemens en Italie, que la partie méridionale en prit le nom de Grande-Grece. Ici Pline s'est laissé aller à je ne sais quelle vanité nationale en croyant prouver par ce nom seul, l'avantage de l'Italie sur la Grece, puisque, dit-il, une portion de l'Italie avoit paru assez considérable, pour être appellée la Grande-Grece, au préjudice de la Grece-propre. Mais outre que la raison du naturaliste de Rome n'est guere philosophique, c'est lui-même qui se trompe ; car la Grece italique ou la grande-Grece, étoit réellement plus étendue que la Grece proprement dite. Voyez GRECE GRANDE.

Cette belle presqu'île n'a pas toûjours eu les mêmes bornes, & vraisemblablement elle ne renfermoit d'abord qu'un canton peu considérable, situé dans le centre du pays. Outre que la grande-Grece en faisoit une partie, on appelloit Gaule cisalpine, tout ce qui est entre les Alpes, l'Arne, & l'Iési, ou l'Aelis des anciens ; mais après que les Romains eurent subjugué cette Gaule ; ils reculerent les frontieres de l'Italie jusqu'aux Alpes.

Il s'ensuit que ce pays devoit changer souvent de divisions, & c'est aussi ce qu'on vit arriver. Je ne me propose point de rapporter ces divisions, c'est assez pour moi de jetter un coup d'oeil sur les plus anciennes nations qui peuplerent l'Italie.

Il y en avoit de deux sortes : les unes se disoient indigenes, c'est-à-dire les naturels du pays, ceux dont on ignore le premier établissement ; les autres étoient des étrangers, qui attirés par la bonté du terroir, de l'air, & des eaux, vinrent s'établir dans ce canton de la terre. Les Ombriens, Umbri, passoient pour les plus anciens de tous les Indigenes ; les Sicules étoient aussi du nombre de ces anciennes nations. Les Oenotriens qui se qualifioient Aborigenes, les chasserent du Latium ; & ensuite les Ausones, Ausonii, ou les Sabins, les ayant acculés au-bas de l'Italie, les forcerent de passer dans l'île, à laquelle ils donnerent leur nom, qui est bien reconnoissable, en celui de Sicile qu'elle porte encore. Les Euganéens étoient encore de vieux habitans de l'Italie ; mais leur pays fut envahi en partie par les Vénetes, en partie par les Carnes. Les autres étoient appellés Opiciens, Opici, Osques Osci, Sabins, Sabini, &c. & ce furent leurs descendans qui occuperent presque tout le midi de l'Italie.

Les étrangers étoient ou Asiatiques, ou Arcadiens, ou Celtes ; les Etrusques étoient venus d'Asie, & plus particulierement de la Lydie. De Grece & d'Arcadie sortirent les Pélasges, les Oenotriens, les Japyges, ou Pencétiens, ou Apuliens ; les Rhetes étoient un détachement des Etrusques, qui chassés de leur territoire, se retirerent dans les Alpes ; les Oenotriens qui se nommerent ensuite Aborigenes, eurent pour descendans les Latins, dont les Rutules faisoient partie ; les Volsques sortoient peut-être aussi des Oenotriens, ou pour mieux dire, on ne sait d'où ils étoient sortis. Les Vénetes venoient des Gaules, & non de la Troade & de la Paphlagonie ; Cellarius, & autres savans, ont fait des tables très-utiles, pour montrer d'un coup d'oeil, les peuples qu'on vient de nommer, leur origine, leurs rapports, & leurs descendans.

Il y a plusieurs divisions de l'Italie, nécessaires pour l'intelligence de l'histoire ; telle est celle d'Auguste en onze provinces que Pline a suivie, & que le pere Briet a détaillée. Strabon qui vit presque tout le regne de Tibere, ne fait que huit parts de l'Italie ; savoir la Vénétie, la Toscane, la Ligurie, Rome ou le Latium, le Picénum, la Campanie, la Pouille, & la Lucanie ; il semble qu'il en retranche une grande partie de la Gaule cisalpine ; les Samnites sont apparemment compris sous les Picentins.

L'empereur Trajan partagea l'Italie en dix-sept provinces, & Constantin suivant à-peu-près le même modele, la divisa en trois diocèses, & la soumit à deux vicaires, dont l'un avoit la qualité de vicaire d'Italie, & l'autre de vicaire de Rome.

Après la chûte de l'empire d'Occident, celui d'Orient trop foible pour résister à des ennemis qui l'accabloient de toutes parts, perdit ce qu'il avoit encore conservé de l'Italie, où il se forma quantité de républiques & de souverainetés particulieres, qui ont éprouvé cent révolutions depuis ces tems reculés jusqu'à nos jours.

Léandre Alberti, religieux dominicain, a publié une ample & riche description de toute l'Italie ; mais elle peche par la bonne critique. Il ne faut pas non plus prendre à la rigueur ses explications, ni les rapports que le pere Briet met entre les anciens & les nouveaux noms que portent les provinces d'Italie dans les historiens. On se tromperoit fort, si l'on croyoit que le Picenum, par exemple, étoit renfermé dans les mêmes bornes que la marche d'Ancone d'aujourd'hui, ou si l'on pensoit que la grande-Grece ne répondoit qu'à la haute Calabre ; il faut nécessairement joindre à la lecture de ces sortes d'ouvrages d'érudition géographique, de bonnes cartes de l'ancienne & de la nouvelle Italie ; celles par exemple de M. Delisle. (D.J.)

ITALIE, s. f. (Géogr. mod.) Je suis bien dispensé de donner l'énumération des états de cette grande presqu'isle ; parce que les enfans même en sont instruits.

Les anciens comparoient l'Italie à une feuille de lierre, plus longue que large ; les modernes entraînés par le mauvais exemple de leurs prédécesseurs, ont plus ridiculement encore comparé ce pays, les uns à une jambe d'homme, & les autres à une botte : mais en se prêtant pour un moment à ces sortes de similitudes défectueuses, on remarquera que la plûpart des cartes géographiques coupent trop le jarret de cette botte, ou bien ne la font ni assez droite, ni assez unie.

MM. Sanson ont pris la peine de publier une table exacte de toute l'Italie, telle qu'elle étoit avant l'arrangement de la succession d'Espagne ; & cette table est assez précieuse, en ce qu'elle peut servir à entendre les Historiens du dernier siecle : mais comme les guerres & les traités entre les puissances ont causé depuis ce tems-là des changemens considérables dans cette contrée, il faut connoître ces changemens, pour corriger la table de MM. Sanson par des astérisques avec des notes, qui marquent les variations survenues dans ce pays intéressant.

Nous devons le chérir pour avoir été le berceau des Arts & des Sciences, après tant de siecles de barbarie, & pour avoir eu la gloire, comme autrefois l'ancienne Grece, de les avoir cultivés sans altération pendant le seizieme siecle, tandis que les armées de Charles-quint saccageoient Rome, que Barberousse ravageoit ses côtes, & que les dissentions des princes & des républiques troubloient l'intérieur. Cependant, malgré tous ces obstacles, l'Italie seule dans un court espace d'années, porta les beaux Arts à leur perfection, & fit rapidement dans les Lettres des progrès si prodigieux & si étendus, que nous ne nous lassons point de les admirer encore aujourd'hui.

Le siecle de Léon X. sera donc à jamais célebre, par les hommes immortels qu'il a produits en tout genre, ainsi que par la grande révolution, qui sous lui divisa l'Eglise, déchira le voile, & finit par renverser ce colosse vénérable, dont la tête étoit d'or, & dont les piés étoient d'argile.

Mais dans le cours de cette révolution de l'esprit humain, qui fit éclorre un nouveau systême politique, l'on découvrit un nouveau monde, & le commerce s'établit entre le vieux monde & les Indes. Par ces grands évenemens l'opulence devenue plus générale excita l'industrie, adoucit les moeurs, répandit le goût du luxe, & porta la culture des Arts & des Lettres dans la plûpart des Provinces de l'Europe. Alors les beaux jours de l'Italie s'éclipserent, & sa gloire s'évanouit pour la seconde fois. Son commerce a passé, la source de ses richesses a tari, & ses peuples sont présentement esclaves des autres nations.

Rome, il est vrai, demeure toujours la capitale du monde chrétien ; mais on a très-bien remarqué, que si la souveraineté que le Pape possede, est assez grande pour le rendre respectable, elle est trop petite pour le rendre redoutable. Les républiques de Florence, de Venise & de Gènes, ont perdu leur lustre & leur gloire ; les états des autres princes, qui composent cette belle presqu'isle, sont soumis à l'Empereur, au roi de Sardaigne, & à l'infant don Carlos, qui ont tous des intérêts opposés. Ou bien, ce sont de petits états ouverts comme des caravanserais, forcés de loger les premiers qui y abordent : c'est pourquoi leur seule ressource, est de s'attacher aux grandes puissances, & leur faire part de leur frayeur, plutôt que de leur amitié. En un mot, pour achever de peindre l'Italie de nos jours, en empruntant le langage de la Poésie.

La nature en vain bienfaisante,

Veut enrichir ces lieux charmans,

Des prêtres la main désolante,

Etouffe ses plus beaux présens ;

Les monsignors, soi-disans grands,

Seuls dans leurs palais magnifiques,

Y sont d'illustres fainéans,

Sans argent, & sans domestiques.

Pour les petits, sans liberté,

Martyrs du joug qui les domine,

Ils ont fait voeu de pauvreté,

Priant Dieu par oisiveté,

Et toujours jeûnant par famine.

Nous n'ajoutons pas les autres strophes de mylord Harvey, qui sont assez connues, parce que nous ne faisons pas la satyre des états : mais on doit nous permettre des tableaux vrais & spirituels, quand ils s'offrent d'eux-mêmes, & qu'ils peuvent délasser le lecteur de son attention à nos autres articles, souvent rebutans par leur longueur ou leur sécheresse. (D.J.)


ITALIENNou TITULAIRE, adj. f. (Ecriture) se dit d'un caractere panché au premier & au second degrés gauches d'obliquité. Voyez le Volume des Planches.

On l'appelle aussi bâtarde, parce que dans la décadence de l'Empire romain, les Lombards, les Goths & les Francs la gâterent tellement qu'aujourd'hui elle se ressent peu de sa premiere origine.

Il y a quatre especes de bâtardes : la titulaire du premier & second degrés, la coulée de finance, & l'expédiée mêlée de coulée & de bâtarde. Voyez le Volume des Planches.


ITALIQUE(Gram. & Hist.) ce terme ou adjectif se joint avec différens substantifs.

Heures italiques, ce sont les vingt-quatre heures du jour naturel, que l'on compte entre deux couchers du soleil consécutifs.

Cette maniere de compter les heures étoit autrefois en usage chez les Juifs, & l'est encore aujourd'hui chez les Italiens. Voyez JOUR, TEMS.

Italique, en terme d'Imprimerie. Voyez CARACTERES.

Secte italique. On appelle ainsi une secte de philosophes dont Pythagore fut le fondateur. Elle fut ainsi nommée, parce que ce philosophe enseigna dans l'Italie, & remplit de sa doctrine les villes de Tarente, de Métapont, d'Héraclée, de Naples. Voyez PYTHAGORICIENS. Chambers. (G)

ITALIQUE, Danse, (Art orchestriq.) sorte de danse théatrale inventée par Pylade & Bathylle, sous le regne d'Auguste.

Ces deux pantomimes, si célebres dans l'Histoire romaine, formerent au rapport d'Athénée, de l'union des trois danses, qui jusqu'alors avoient été en possession du théâtre, c'est-à-dire, de la danse tragique, de la comique & de la satyrique, une espece particuliere, qu'on nomma danse italique, ou danse de pantomimes, parce que ces sortes de danseurs faisoient profession de peindre par leurs gestes, par leurs attitudes, & par leurs mouvemens, toutes les actions des hommes. Cette nouvelle danse théatrale enchanta les Romains, devint leur passion favorite, & ne tomba qu'avec l'Empire. V. DANSE & PANTOMIMES. (D.J.)


ITARA(Géogr.) province & ville d'Afrique, qui fait partie du royaume de Tafilet, dans le Biledulgérid, près des deserts de Saara.


ITATIN(LES) (Géog.) ou LES ITATINES, peuples sauvages de l'Amérique méridionale dans le Paraguay, aux confins du Pérou, au-dessous de la jonction de la riviere de los Payaguas avec le fleuve du Paraguay, des deux côtés du fleuve. (D.J.)


ITEITESS. f. pl. (Hist. nat. Lithologie) Quelques naturalistes ont ainsi nommé des cailloux qui se trouvent dans la riviere de Sila en Suisse, près de Zurich. On voit des feuilles de saules de différentes grandeurs empreintes ou représentées à leur surface, & dans les intervalles qui sont entre ces feuilles on remarque des petits corps arrondis & semblables à des graines. On a aussi nommé ces pierres salicites & phyllites. Voyez Ephemerides naturae curiosor. decur. III. ann. V. & VI appendix pag. 63.


ITERATIFadj. (Jurisprud.) signifie qui est réitéré. On appelle itératif commandement, celui qui est fait pour la seconde fois. Lorsque le juge renouvelle des défenses qu'il a déja prononcées, il fait itératives inhibitions & défenses. On dit aussi d'itératives jussions, itératives remontrances. Voyez COMMANDEMENT, JUSSION, REMONTRANCES. (A)


ITERATOS. m. (Jurisprud.) ou arrêt d'itérato, sentence d'itérato, est un jugement qui se donne pour autoriser à user de la contrainte par corps, après les quatre mois, pour dépens excédens la somme de 200 liv. On l'appelle itérato, ou sentence & arrêt d'itérato, parce que le jugement porte qu'il sera fait itératif commandement à la partie de payer le contenu au premier jugement dans quinzaine ; faute de quoi, elle sera contrainte par emprisonnement de sa personne. Ce terme se trouve en ce sens dans l'édit de Charles VIII de 1493, art. 104, dans celui de Charles IX. de l'an 1567, & de Henri III. en 1582.

On appelle lettres d'itérato des lettres de chancellerie qui portent un nouveau mandement. (A)


ITHACIENSS. m. pl. (Hist. Eccles.) nom de ceux qui, au quatrieme siecle, s'unirent à Ithace, évêque de Sossebe en Espagne, pour poursuivre la mort de Priscillien & des Priscillianistes. Maxime sollicita S. Martin de communiquer avec les évêques ithaciens, & il ne put l'obtenir. Dans la suite le saint se relâcha, pour sauver la vie à quelques personnes, & il s'en répentit.


ITHAQUE ISLES. f. (Géog. anc.) Ithaca, &, pour le dire plus noblement avec Virgile, Laertia regna. Petite isle de Grece, fameuse pour avoir été la patrie d'Ulysse : elle étoit voisine de Dulichium. Ptolomée dit qu'il y avoit une ville de même nom, & Homere la plaçoit au pié du mont Néios, qui est peut-être le Néritos de Virgile. Nos voyageurs ne conviennent point du nom moderne d'Itaque, & de Dulichium ; mais M. Spon, qui a visité les lieux, & qui paroît le plus croyable, prétend que Thiaki est Dulichium, & que Ithaque est un autre écueil éloigné de sept ou huit milles de-là, qu'on appelle encore Iathaco. M. Delisle s'est conformé au sentiment de Spon. Mais dans cet endroit où régna jadis la chaste Pénélope, où sa beauté attira tant de princes, il n'y a de nos jours, pour tous habitans, que trois ou quatre misérables pécheurs. (D.J.)


ITHOMATE(Littérat.) surnom de Jupiter, sous lequel il étoit honoré par les Messéniens à cause d'un temple qu'ils lui avoient bâti au mont Ithome. Ces peuples qui se vantoient que le maître des dieux avoit été élevé sur cette montagne de leur pays, lui consacrerent un culte particulier, & une fête annuelle, qu'on appelloit la fête Ithomée. Voyez ITHOME & ITHOMEE.


ITHOME(Géogr. anc.) montagne avec une forteresse qui servoit de citadelle à la ville de Messene, comme l'Acrocorinthe à la ville de Corinthe. Jupiter y avoit un culte particulier, qui lui fit donner le nom de Jupiter Ithomate. (D.J.)


ITHOMÉE FETE(Littérat. greq.) fête annuelle que les Messéniens consacrerent à Jupiter, outre le temple qu'ils lui avoient bâti sur le mont Ithome. La façon dont ils honoroient le maître des dieux, le jour de sa fête, avoit été très-ingénieusement imaginée. Tout ce jour se passoit à porter dévotement de l'eau, du bas de la montagne où étoit bâti le temple. On y avoit construit un vaste réservoir pour contenir cette eau, destinée au service de Jupiter, c'est-à-dire, à l'usage des ministres de son temple, qui en auroient manqué sans cette ressource, que leur inspira la nécessité, mere de l'invention. (D.J.)


ITHOMÉTEadj. (Mytholog.) surnom de Jupiter. Aristomene sacrifia cent hommes à Jupiter ithomete, ou à Jupiter qui avoit son temple à Ithome. Ithome étoit du territoire de Messene.


ITHYNTÉRION(Antiq. greq.) ; nom de la baguette de laurier, que les prophêtes des dieux portoient dans leurs mains, pour marque de leur charge. Potter, Archaeol. Graec. lib. II. 2. cap. 1. (D.J.)


ITIGUou ITEGUE, s. f. (Hist. mod.) c'est le titre que l'on donne en Ethiopie ou en Abissinie à celle que le Negus ou empereur a choisi pour épouse. Ce titre répond à celui de reine ou d'impératrice. Elles sont choisies parmi les filles des grands du royaume. Aussi-tôt que le souverain a jetté les yeux sur celle qu'il veut honorer de sa couche, on l'ôte à ses parens, & on la met dans la maison de quelques-uns des princes du sang royal. Là l'empereur lui rend visite, pour s'assurer par lui-même de ses qualités. S'il est content de cet examen, il la conduit à l'église, où elle assiste avec lui à l'office divin, & reçoit la communion ; après quoi il la mene à sa tente, où l'abuna ou patriarche des Abissins donne aux époux la bénédiction nuptiale. L'épouse n'est point encore pour cela déclarée reine : elle demeure dans une tente séparée, jusqu'à ce qu'il plaise à son époux de procéder à la cérémonie de son installation. Alors on assemble les grands de la cour, l'épouse est admise dans la tente du souverain, & un de ses aumoniers déclare au peuple que l'empereur a créé son esclave reine. Alors elle prend le titre d'itegue ou d'ethie, que quelques auteurs rendent par celui d'altesse.


ITINERAIRES. m. (Géog.) description que fait un voyageur de son voyage, & des singularités qu'il a observées dans les lieux où il a passé.

L'itinéraire d'Antonin marque tous les grands chemins romains dans l'empire, & toutes les stations des armées romaines. Il fut fait par ordre de l'empereur Antonin le Pieux, comme le rapporte Luitprand ; mais il est fort défectueux par les fautes que les copistes y ont laissé glisser.

On appelle aussi itinéraire un écrit dans lequel on a indiqué la route que l'on doit suivre dans un voyage, & les lieux par lesquels il faut passer. Chambers. (G)

* Une colonne itinéraire est une colonne à part, posée dans un carrefour sur un grand chemin, où elle indique les routes différentes par les inscriptions gravées sur ses pans.

Voici un tableau des mesures itinéraires anciennes, compassé avec les mesures itinéraires modernes. Il a été donné par M. Gibert à l'académie des Inscriptions, & nous l'avons emprunté de ses recueils.


ITINGS. m. (Orn.) nom que donnent les habitans des îles Philippines à un oiseau fort connu dans le pays, & qui par la description des voyageurs paroît de la classe des pies. Il est de la grosseur d'un étourneau ; son bec, sa queue, ses aîles & ses jambes sont noires, le dos & le ventre sont d'un blanc argentin ; sa tête n'a point de plumes, mais une raie de petites plumes noires s'étend depuis le bec jusqu'au col. Cet oiseau niche dans des petits creux ronds de palmier, & se nourrit de diverses sortes de fruits. Il est fort bruyant, & n'a pas un chant desagréable. (D.J.)


ITOMLIA(Géog.) ville de Lithuanie, dans la Russie blanche, au palatinat de Meislau.


ITONIA(Littérat.) surnom de Minerve, parce qu'elle étoit particulierement honorée à Itone en Béotie, quoique son temple fut à Coronée, au rapport de Polybe, liv. IV. de Strabon, liv. IX. de Plutarque & du scholiaste d'Apollonius : mais le culte qu'on lui rendoit à Itone, l'emporta sur le lieu de son temple, & la fit surnommer Itonienne, Itonide, Itoniade en latin Itonis, Itonia. Au reste, la ville d'Itone en Thessalie, distinguée par Etienne,

TABLEAU des Mesures itinéraires anciennes, & de leurs rapports entr'elles & avec les Mesures modernes, extrait d'un Mémoire lu à l'Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, en Août 1756, par M. Gibert de cette Académie.

d'Itone en Béotie, pourroit bien être une distinction chimérique. (D.J.)


ITURÉEL', (Géog. sacrée) pays situé au-delà du Jourdain ; Sanson place l'Iturée entre Samarie & l'Arabie.

Elle faisoit partie de la Célé-Syrie au nord-est de la frontiere d'Israel, entre l'héritage de la demi-tribu de Manassès au-delà du Jourdain & le territoire de Damas. Le nom d'Iturée lui venoit d'Itur, un des fils d'Ismael, qui dans les versions françoise, angloise & autres, est appellée mal-à-propos Jétur. L'Iturée est le même pays, qui quelquefois porte le nom d'Auronitis.

Philippe, un des fils d'Hérode, étoit tétrarque ou prince de l'Iturée, quand Jean-Baptiste commença les fonctions de son ministere. Aristobule fils d'Hircan, ayant succédé à son pere, l'an 106 avant J. C. dans la souveraine sacrificature & dans la principauté temporelle, fit la guerre aux Ituréens ; & après en avoir soumis la plus grande partie, il les obligea d'embrasser le Judaïsme, ou de quitter le pays, comme quelques années auparavant Hircan y avoit obligé les Iduméens. Sa méthode de conversion lui réussit, les Ituréens aimerent mieux rester, & firent ce qu'on exigeoit d'eux ; de cette maniere, ils furent incorporés aux Juifs pour le spirituel & pour le temporel. Voilà toute leur histoire.

S. Luc, chap. iij. v. 1. nous dit que Philippe, frere d'Hérode, étoit tétrarque de l'Iturée & de la Trachonitide, & ce passage prouve que l'évangéliste en fait deux pays différens. Strabon les distingue aussi, quoique les deux peuples habitassent également des montagnes au-delà de Damas, & fussent également des bandits & des misérables ; c'est l'historien des Juifs & l'orateur de Rome qui nous l'assurent.

Josephe, dans ses antiquités jud. liv. XV. ch. 13. caractérise les Trachonites de gens accoutumés au brigandage, n'ayant ni villes ni terres labourées, & demeurant dans des cavernes à la maniere des bêtes. Cicéron, dans sa seconde Philippique, parle des Ituréens, qui s'étoient rendus fameux par leur adresse à tirer une fleche, comme des plus barbares de tous les hommes, & se plaint qu'Antoine eût osé les introduire dans la place romaine, & en investir le sénat.

Auguste aggrandit les états d'Hérode de l'Auranite, c'est-à-dire de l'Iturée, de la Batanée & de la Trachonitide. Ces trois toparchies ou jurisdictions étoient bornées au nord par le mont Liban, & au sud par la Pérée ; Hérode n'en fut pas plûtôt possesseur, qu'il se rendit sur les lieux avec un bon corps de troupes, pénétra dans les cavernes de ces brigands, & en délivra le pays. (D.J.)


ITYPHALLES. m. (Hist. anc.) c'étoit une espece de bulle en forme de coeur que l'on pendoit au col des enfans & des vestales, & à laquelle on attribuoit plusieurs propriétés merveilleuses. Pline dit, liv. XXVIII. ch. v. que l'ityphalle étoit un préservatif pour les enfans & pour les empereurs mêmes ; que les vestales le mettoient au nombre des choses sacrées, & le révéroient comme un dieu, qu'on le suspendoit au-dessous des chars de ceux qui triomphoient, & qu'il avoit la vertu de les préserver de la malignité de l'envie. Voyez BULLE.


ITYPHALLIQUEadj. (Littérat.) sorte de vers en usage dans la poésie grecque. On en distingue de deux sortes, l'ityphallique trochaïque & l'ityphallique dactylique.

L'ityphallique trochaïque étoit un petit vers composé de trois trochées, qu'on entremêloit alternativement de vers un peu plus longs, comme de quatre mesures & de quatre mesures & demie, comme cette exclamation,

Bcch | Bcch | Bcch |

qui forme un exemple d'autant plus naturel qu'on l'employoit souvent dans les pieces de vers ityphalliques, qui furent d'abord consacrées aux mysteres de Bacchus, dans lesquelles on portoit en pompe la représentation des parties naturelles d'un homme, que les Grecs appelloient . Mais on s'en servit depuis à célébrer les louanges des hommes, témoins des vers de cette mesure qu'on chanta à Athènes en l'honneur de Démétrius Poliorcete, lorsqu'il y fit son entrée, & dont Casaubon nous a conservé quelques fragmens d'après Athénée.

L'ityphallique dactylique étoit composé de trois dactyles & d'un ïambe, comme dans le premier de ces deux vers de Boëce, lib. III. metr. 1.

Qui serere ingenuum volet agrum,

Liberet arva prius fruticibus.

Voyez Voss. poetic. institut. lib. III. cap. xvij.


ITYPHALLORESS. m. pl. (Hist. anc.) nom que portoient les ministres des orgies, qui dans les processions ou courses des bacchantes s'habilloient en faunes, contrefaisant les personnes ivres, & chantant en l'honneur de Bacchus des cantiques assortis à leurs fonctions & à leur équipage.


ITZEBOSS. m. (Comm.) nom d'une monnoye du Japon, qui vaut le quart d'un kobang.


ITZEHOA(Géog.) ancienne ville d'Allemagne au duché d'Holstein ; elle appartient au roi de Danemarck, & tient le troisieme rang entre les villes de Holstein. Elle est sur la riviere du Stoër, à 2 milles N. E. de Gluckstadt, 7 N. O. de Hambourg. Long. 27. latit. 54. 8. (D.J.)


IVELINEla forêt d', (Géog.) forêt de France, dans l'île de France, entre Chevreuse, Rochefort, saint Arnould & Epernon. Elle s'étendoit au tems jadis fort loin, & le bois de Rambouillet en faisoit une portion. Toutes ces parties détachées ont présentement des noms particuliers, comme le bois des Ivelines qui conserve l'ancien nom, le bois de Rochefort, la forêt de Dourdans, le bois de Batonneau, le bois de Rambouillet, les tailles d'Epernon & la forêt de saint Léger ; le tout ensemble faisoit autrefois une forêt continue, nommée Aquilina sylva, sylva Evelina ou Eulina dans les anciens titres (D.J.)


IVETTES. f. chamaepitys, (Bot.) genre de plante à fleur monopétale, qui n'a qu'une levre divisée en trois parties ; celle du milieu a des dents qui occupent la place d'une levre supérieure. Il sort du fond de la fleur un pistil entouré de quatre embryons, ils deviennent dans la suite autant de semences oblongues & renfermées dans une capsule, qui a servi de capsule à la fleur. Ajoûtez à ces caracteres, que les fleurs de l'ivette ne sont pas rassemblées en épi, mais dispersées dans les aisselles des feuilles. Tournefort, inst. rei herb. voyez PLANTE.

Nous nous contenterons de parler ici seulement de l'ivette ordinaire, chamaepitis lutea vulgaris ; & de la musquée, chamaepitis moschata, vû leur usage médicinal.

La racine de l'ivette ordinaire est mince, fibrée, blanche. Ses tiges sont velues, couchées sur terre, disposées en rond, & longues d'environ neuf pouces. Ses feuilles partent des noeuds des tiges deux à deux, découpées en trois parties pointues, cotonneuses, & d'un jaune verd. Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles disposées par anneaux, mais peu nombreuses & clair-semées. Elles sont d'une seule piece, jaunes, n'ayant qu'une levre inférieure partagée en trois parties, dont la moyenne est échancrée ; la place de la levre supérieure est occupée par quelques dentelures, & par quelques étamines d'un pourpre clair. Le calice est un cornet velu, fendu en cinq pointes ; il renferme quatre graines triangulaires, brunes, qui naissent de la base du pistil.

Cette plante vient volontiers dans les terroirs en friche & crayeux ; elle fleurit en Juin & Juillet, & est toute d'usage. Son suc a l'odeur de la résine qui découle du pin & du méleze ; il rougit le papier bleu. Toute la plante paroît contenir un sel essentiel, tartareux, un peu alumineux, mêlé avec beaucoup d'huile & de terre.

L'ivette musquée trace comme la précédente, à laquelle elle ressemble assez par ses feuilles & ses tiges, qui sont grêles, mais plus fermes que celles de l'ivette commune. Sa fleur est la même, mais de couleur de pourpre. Son calice renferme aussi quatre graines noires, ridées, longuettes, un peu recourbées comme un vermisseau. Toute la plante est fort velue, d'une saveur amere, d'une odeur forte de résine, désagréable, qui approche quelquefois du musc dans les pays chauds, & sur-tout pendant les grandes chaleurs, suivant l'observation de M. Garidel.

L'ivette musquée est fort commune dans nos provinces méridionales ; elle a les mêmes principes que l'ivette ordinaire, mais en plus grande abondance ; cependant on les substitue l'une à l'autre. Les medecins leur donnent des vertus diurétiques, emménagogues, propres à rétablir le cours des esprits dans les nerfs & dans les vaisseaux capillaires. (D.J.)

IVETTE, (Pharmacie & Mat. médic.) les vertus médicinales de l'ivette sont très-analogues à celles de la germandrée ; la premiere cependant est un peu plus riche en parties volatiles : on employe fort communément ces deux plantes ensemble, ou l'une pour l'autre.

L'ivette est d'ailleurs particulierement célébrée pour les maladies de la tête & des nerfs ; on prend intérieurement ses feuilles & ses fleurs en infusion ou en décoction legere, à la dose d'une pincée sur chaque grande tasse de liqueur.

Quelques auteurs en recommandent la décoction dans du lait de vache pour les ulceres de la vessie ; d'autres la vantent dans l'asthme convulsif, & d'autres enfin dans le pissement de sang ; mais toutes ces vertus particulieres sont fort peu évidentes.

Les feuilles d'ivette entrent dans l'eau générale, la thériaque, la poudre arthritique amere ; ses sommités dans l'huile de renard, & ses feuilles & sa racine dans l'emplâtre diabotanum de la pharmacopée de Paris.

Au reste on employe indifféremment deux sortes d'ivette, sçavoir l'ivette musquée, & l'ivette ordinaire. (b)


IVICA(Géog.) ville capitale d'une île de même nom, dans la mer Méditerranée, entre le royaume de Valence & l'île de Majorque, à 15 lieues de l'une & de l'autre. Les Anglois s'en rendirent maîtres en 1706 ; mais elle est retournée aux Espagnols. Les salines font le principal revenu de l'île, qui est plus longue que large, & par-tout entourée d'écueils. Diodore de Sicile & Pomponius Mela en ont beaucoup parlé. Pline nous dit que les figues y étoient excellentes, qu'on les faisoit bouillir & sécher, & qu'on les envoyoit à Rome ainsi préparées dans des caisses. Le milieu de l'île est à 39 degrés de latitude. La longitude de la capitale est à 19. 20. lat. 38. 42. (D.J.)


IVOIRES. f. (Hist. nat.) c'est la dent de l'éléphant. On en fait différens ouvrages. On le brûle, & il donne un noir qu'on broie à l'eau, & dont on obtient ainsi des trochiques qui servent au peintre. Ce noir s'appelle noir d'ivoire, noir de velours.

IVOIRE FOSSILE, (Hist. nat.) ébur fossile. C'est ainsi qu'on appelle des dents d'une grandeur demesurée & semblable à de grandes cornes qui ont souvent été trouvées dans l'intérieur de la terre. Elles sont ou blanches, ou jaunâtres, ou brunes ; il y en a qui ont la dureté de l'ivoire ordinaire ; d'autres sont exfoliées & devenues plus tendres & plus cassantes : ces variétés pour la consistance viennent du plus ou du moins de décomposition que ces dents ont souffert dans les différens endroits de la terre où elles ont été enfouies.

On a trouvé de ces sortes de dents dans plusieurs pays de l'Europe, tels que l'Angleterre, l'Allemagne, la France ; on dit même qu'il n'y a pas longtems qu'en creusant la terre on en a trouvé une fort grande au village de Guérard près de Cressy en Brie ; on ajoute qu'on en a aussi rencontré une semblable dans la plaine de Grenelle, c'est-à-dire aux portes de Paris : mais elles ne sont nulle part aussi abondamment répandues qu'en Russie & en Sibérie, & sur-tout dans le territoire de Jakusk, & dans l'espace qui va de cette ville jusqu'à la mer glaciale : ces ossemens, suivant le rapport de quelques voyageurs, sont ordinairement mis à découvert par les eaux des grandes rivieres de Lena & de Jenisci qui arrosent une grande partie de la Sibérie, & qui détachent la terre qui est sur leurs bords, quand dans les tems de dégel elles charrient des glaçons très-considérables.

Les Jakutes, nation Tartare, qui habitent ce pays, croient que ces dents appartiennent à un animal énorme qu'ils nomment mammon ou mammut. Comme ils n'en ont jamais vû de vivans, ils s'imaginent qu'il habite sous terre, & meurt aussi-tôt qu'il voit le jour ? cela lui arrive, selon eux, lorsque dans sa route souterreine il parvient inopinément au bord d'une riviere ; & c'est là, disent-ils pourquoi on y trouve leurs dépouilles : ils prétendent qu'on en a trouvé dont la chair n'étoit point encore entierement consommée, ce qui est aussi fabuleux que le reste.

Le Czar Pierre I. dans la vûe de connoître à quel animal appartenoient les dents ou cornes d'ivoire fossile, envoya en 1722 des ordres à tous les Woiwodes ou gouverneurs des villes de la Sibérie, afin qu'ils donnassent leurs soins pour avoir un squelete entier de l'animal, ou du moins pour rassembler tous les ossemens qui se trouveroient auprès de ces dents monstrueuses. Sur ces ordres les Jakutes se mirent en campagne, & en cherchant ils trouverent des têtes entieres & des grands ossemens auxquels on n'avoit jusques-là fait aucune attention ; ils étoient ceux d'un animal inconnu que M. Gmelin, d'après l'examen de ses os, croit être une espece de boeuf très-grand, qui n'existe plus dans le pays, & que jusqu'à-présent on n'a point encore découvert ailleurs. Mais ces ossemens different entierement de l'ivoire fossile dont il s'agit dans cet article ; & ce n'est point à cet animal qu'ont appartenu ces dents monstrueuses.

Il ne faut point non plus confondre l'ivoire fossile dont nous parlons, avec les dents du phoca ou de la vache marine, qui se trouvent en grande quantité sur les bords de la mer glaciale, elles sont beaucoup moins grandes que les dents d'ivoire fossile, & elles sont comme marbrées ou remplies de veines & de taches noires. A l'intérieur cependant on dit qu'elles sont même plus dures que l'ivoire fossile, & qu'on en fait de très jolis ouvrages.

L'ivoire fossile ne doit point non plus être confondu avec la corne que l'on nomme unicornu fossile, que l'on a aussi trouvée quelquefois en Siberie. Voyez l'art. LICORNE FOSSILE.

On voit à Petersbourg, dans le cabinet impérial des curiosités naturelles, une dent d'ivoire fossile qui pese jusqu'à 183 livres. Le chevalier Hansloane en possédoit une qui avoit 5 piés 7 pouces de longueur, & dont la base avoit 6 pouces de diametre. On en a trouvé une en Angleterre, dans la province de Northampton, qui étoit blanche, & avoit 6 piés de longueur. M. le baron de Strahlenberg parle de quelques dents d'ivoire fossile trouvées en Sibérie, qui avoient depuis 6 jusqu'à 9 pouces de diametre par leur base, & d'un squelete d'animal qui avoit 36 aulnes russiennes de longueur, & qui pouvoit bien être celui d'un éléphant. En effet M. le chevalier Hansloane a prouvé clairement dans les Transactions philosophiques, n °. 403. & dans les Mémoires de l'Academie des Sciences, année 1727, que ces dents si grandes ne peuvent être regardées que comme de l'ivoire ou de vraies dents qui ont autrefois appartenu à des éléphans ; c'est ce que démontre leur structure intérieure, attendu qu'elles paroissent composées de couches concentriques arrangées de la même maniere que les cercles annuels qu'on remarque dans l'intérieur du tronc d'un arbre. Cette vérité est encore prouvée par la comparaison que M. Gmelin a faite de l'ivoire fossile avec celui des éléphans, dans son excellent voyage de Sibérie, publié en Allemand en 4 volumes in -8°. ouvrage propre à servir de modèle à tous les voyageurs. Ce savant naturaliste rend aussi raison des variétés qui se trouvent parmi les différentes dents d'ivoire fossile, tant pour la couleur que pour les degrés de solidité ou de friabilité ; il les attribue au climat & à la nature du terrein où ces sortes de dents sont ensevelies : celles qui se trouvent proche de la mer Glaciale où la terre est perpétuellement gelée à une grande profondeur, sont compacts ; celles qui se trouvent dans des cantons plus chauds, ont pu souffrir tantôt plus, tantôt moins de décomposition ou de destruction ; c'est aussi la terre & les sucs qu'elle contient qui leur ont fait prendre la couleur jaune ou brune, quelquefois semblable à du coco, que l'on voit dans quelques-unes de ces dents. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie, tom. III. pag. 147. & suiv.

C'est donc à tort que quelques naturalistes ont cru que ces dents trouvées en Sibérie n'étoient point de l'ivoire : elles ne different de celui des éléphans que par les changemens qu'il a pu subir dans le sein de la terre ; ce qui a pu faire croire qu'il y avoit de la différence. c'est qu'on aura peut-être confondu les autres ossemens, tels que les os du mammon ou les dents de vaches marines avec l'ivoire fossile ou les dents aiguës des éléphans qui se trouvent dans les mêmes pays.

Quant aux éléphans, ce seroit vainement qu'on en chercheroit aujourd'hui de vivans en Sibérie ; on ne les trouve que dans les pays chauds, & ils ne pourroient vivre sous un climat aussi rigoureux que celui où l'on rencontre les restes de leurs semblables. A quoi donc attribuer la grande quantité d'ivoire fossile qui se trouve dans une région si septentrionale ? Sera-ce, comme prétend le comte de Marsigli, parce que les Romains y ont mené ces animaux ? Jamais ces conquérans n'ont été faire des conquêtes chez les Scythes hyperboréens, & il ne paroît pas qu'aucun autre conquérant Indien ait eu la tentation de porter la guerre dans un climat si facheux & si éloigné. Il faudra donc conclure que dans des tems dont l'histoire ne nous a point conservé le souvenir, la Sibérie jouissoit d'un ciel plus doux, & étoit habitée par des animaux que quelque révolution générale de notre globe a ensevelis dans le sein de la terre, & que cette même révolution a entierement changé la température de cette région. Les Sibériens emploient l'ivoire fossile aux mêmes usages que l'ivoire ordinaire ; ils en font des manches de sabres, de couteaux, des boîtes, &c. (-)

IVOIRE, (Mat. med.) la rapure d'ivoire passe pour cordiale, diaphorétique, antispasmodique, propre à résister au prétendu venin des fievres malignes, à arrêter les diarrhées, à corriger les acides des premieres voies & des humeurs. Toutes ces vertus sont purement imaginaires, tous les medecins instruits en conviennent aujourd'hui. La rapure d'ivoire donne par une décoction convenable un suc gelatineux & purement nourrissant. Mais il y a très-grande apparence que ce suc n'est pas extrait par les humeurs digestives, & qu'ainsi la rapure d'ivoire n'est dans l'estomac qu'une poudre inutile.

L'ivoire calciné à blancheur, connu dans les boutiques sous le nom de spode, est un alcali terreux, comme toutes les autres substances animales préparées de la même façon ; & c'est gratuitement qu'on lui a attribué des vertus particulieres contre les fleurs blanches, par exemple, le cours de ventre, la gonorrhée, &c. Voyez TERREUX, & l'article CHARBON Chimie, où l'on trouvera quelques réflexions sur l'état de l'ivoire calciné en particulier.

L'ivoire brûlée, ou le charbon d'ivoire ne sauroit être regardé comme un remede. Voyez CHARBON chimie. (B)


IVOY(Géog.) selon l'itiner. d'Antonin, ville de France ruinée au pays de Luxembourg, & aux frontieres de Champagne. Voyez son histoire dans l'abbé de Longuerue. En 1637 le maréchal de Chatillon prit Ivoy & la démantela, desorte que ce n'est plus qu'un village (D.J.)


IVRÉE(Géog.) ville d'Italie en Piémont, capitale du Canavez, avec une forteresse, un évêché suffragant de Turin, & titre de marquisat qui commença sous Charlemagne, & qui ne subsiste plus. Cette ville est très-ancienne : Velleius Paterculus, l. I. c. xvj. rapporte que sous le consulat de Marius & de Valerius Flaccus, les Romains y envoyerent une colonie. Brutus en parle dans ses lettres à Ciceron, & Antonin en fait mention dans son itinéraire ; elle appartient au roi de Sardaigne, & est plus remarquable par son ancienneté que par sa beauté & par sa grandeur, ne contenant que cinq ou six mille ames.

La Doria qui l'arrose, y est fort rapide ; on la passe sur un pont qui n'a qu'une arche. Le nom latin d'Eporedia qu'avoit cette ville, s'est changé avec le tems en Eborcia, Ivorcia, jusque-là qu'on est parvenu à dire Ivrée.

Les Romains lui donnerent le nom d'Eporedia, parce qu'au témoignage de Pline, les Gaulois appelloient Eporedicos, ceux qui s'entendoient à dompter & à dresser les chevaux, soit que les habitans d'Ivrée s'occupassent de ce métier, soit que les Romains entretinssent dans ce pays-là un grand nombre de chevaux aux dépens du public, & les y fissent exercer. Dans le théatre du Piémont on écrit Ivrée : elle est située en partie dans la plaine, en partie sur une colline d'une montée douce, à 8 lieues N. E. de Turin, 13 S. E. de Suze, 10 S. O. de Verceil. Long. 25. 23. lat. 45. 12. (D.J.)


IVROGNERIES. f. (Morale) appétit déréglé de boissons enivrantes. Je conviens que cette sorte d'intempérance n'est ni onéreuse, ni de difficile apprêt. Les buveurs de profession n'ont pas le palais délicat : " leur fin, dit Montagne, c'est l'avaler plus que le goûter ; leur volonté est plantureuse & en main ". Je conviens encore que ce vice est moins couteux à la conscience que beaucoup d'autres ; mais c'est un vice stupide, grossier, brutal, qui trouble les facultés de l'ame, attaque & renverse le corps. Il n'importe que ce soit dans du vin de Tockai ou du vin de Brie, que l'on noie sa raison ; cette différence du grand seigneur au savetier ne rend pas le vice moins honteux. Aussi Platon, pour en couper les racines de bonne heure, privoit les enfans, de quelque ordre & condition qu'ils fussent de boire du vin avant la puberté, & il ne le permettoit à l'âge viril que dans les fêtes & les festins ; il le défend aux magistrats avant leurs travaux aux affaires publiques, & à tous les gens mariés, la nuit qu'ils destinent à faire des enfans.

Il est vrai néanmoins que l'antiquité n'a pas généralement décrié ce vice, & qu'elle en parle même quelquefois trop mollement. La coutume de franchir les nuits à boire, régnoit chez les Grecs, les Germains & les Gaulois ; ce n'est que depuis environ quarante ans que notre Noblesse en a raccourci singulierement l'usage. Seroit-ce que nous nous sommes amendés ? ou ne seroit-ce point que nous sommes devenus plus foibles, plus répandus dans la société des femmes, plus délicats, plus voluptueux ?

Nous lisons dans l'Histoire romaine, que d'un côté L. Pison qui conquit la Thrace, & qui exerçoit la police de Rome avec tant d'exactitude ; & de l'autre, que L. Cossus, personnage grave, se laissoient aller tous deux à ce genre de débauche, sans toutefois que les affaires confiées à leurs soins en souffrissent aucun dommage. Le secret de tuer César fut également confié à Cassius buveur d'eau, & à Cimber qui s'enivroit de gaieté de coeur ; ce qui lui fit répondre plaisamment, quand on lui demanda s'il agréoit d'entrer dans la conjuration ; " que je portasse un tyran, moi qui ne peux porter le vin ".

Il ne faut donc pas s'étonner de voir souvent dans les poëtes du siecle d'Auguste l'éloge de Bacchus couronné de pampre, tenant le thyrse d'une main, & une grappe de raisin de l'autre. Un peu de vin dans la tête, dit Horace, est une chose charmante ; il dévoile les pensées secrettes, il met la possession à la place de l'espérance, il excite la bravoure, il nous décharge du poids de nos soucis, & sans étude il nous rend savans. Combien de fois la bouteille de son sein fécond n'a-t-elle pas versé l'éloquence sur les levres du buveur ; Combien de malheureux n'a-t-elle pas affranchi des liens de la pauvreté ?

Operta recludit,

Spes jubet esse ratas, ad praelia trudit inertem,

Sollicitis animis onus eximit, addocet artes, &c.

Ep. V. lib. I. v. 16.

Si ces idées poétiques sont vraies d'une liqueur enivrante qu'on prend avec modération, il s'en faut bien qu'elles conviennent aux excès de cette liqueur. La vapeur légere qui jette la vivacité dans l'esprit, devient par l'abus une épaisse fumée qui produit la déraison, l'embarras de la langue, le chancellement du corps, l'abrutissement de l'ame, en un mot les effets dont Lucrece trace le tableau pittoresque d'après nature, quand il dit :

Consequitur gravitas membrorum, praepediuntur

Crura vacillanti ; tardescit lingua, madet mens ;

Nant oculi ; clamor, singultus, jurgia gliscunt.

Ajoûtez le sommeil qui vient terminer la scene de ce misérable état, parce que peut-être le sang se portant plus rapidement au cerveau, comprime les nerfs, & suspend la sécrétion du fluide nerveux ; je dis peut-être, car il est très-difficile d'assigner les causes des changemens singuliers qui naissent alors dans toute la machine. Qu'on roidisse sa raison tant qu'on voudra, la moindre dose d'une liqueur enivrante suffit pour la détruire. Lucrece lui-même a beau philosopher, quelques gouttes d'un breuvage de cette espece le rendent insensé : eh, comment cela ne seroit-il pas ? L'expérience nous prouve si souvent que dans la vie l'ame la plus forte étant de sens froid, n'a que trop à faire pour se tenir sur pié contre sa propre foiblesse.

Le philosophe doit toutefois distinguer l'ivrognerie de la personne, d'une certaine ivrognerie nationale qui a sa source dans le terroir, & à laquelle il semble forcer les habitans dans les pays septentrionaux. L'ivrognerie se trouve établie par toute la terre, dans la proportion de la froideur & de l'humidité du climat. Passez de l'équateur jusqu'à notre pole, vous y verrez l'ivrognerie augmenter avec les degrés de latitude ; passez du même équateur au pôle opposé, vous y trouverez l'ivrognerie aller vers le midi, comme de ce côté-ci elle avoit été vers le nord.

Il est naturel que là où le vin est contraire au climat, & par conséquent à la santé, l'excès en soit plus sévérement puni que dans les pays où l'ivrognerie a peu de mauvais effets pour la personne, où elle en a peu pour la société, où elle ne rend point les hommes furieux, mais seulement stupides ; ainsi les lois qui ont puni un homme ivre, & pour la faute qu'il commettoit, & pour l'ivresse, n'étoient applicables qu'à l'ivrognerie de la personne, & non à l'ivrognerie de la nation. En Suisse l'ivrognerie n'est pas décriée ; à Naples elle est en horreur ; mais au fond laquelle de ces deux choses est la plus à craindre, ou l'intempérance du suisse, ou la réserve de l'italien ?

Cependant cette remarque ne doit point nous empêcher de conclure que l'ivrognerie en général & en particulier ne soit toujours un défaut, contre lequel il faut être en garde ; c'est une breche qu'on fait à la loi naturelle, qui nous ordonne de conserver notre raison ; c'est un vice dont l'âge ne corrige point, & dont l'excès ôte tout-ensemble la vigueur & l'esprit, & au corps une partie de ses forces. (D.J.)


IVROIES. f. (Botan.) l'ivroie, en grec , en latin lolium, fait dans le système botanique de Linnaeus un genre de plante particulier, dont voici les caracteres distinctifs. Le calice est un tuyau contenant les fleurs rassemblées en maniere d'épis sans barbe. La fleur est formée de deux segmens, dont l'inférieur est étroit, pointu, roulé, & de la longueur du calice ; le segment supérieur est plus court, droit, obtus, & creux au sommet. Les étamines sont trois fils fort déliés, & plus courts que le calice ; les bossettes des étamines sont oblongues ; le germe du pistil est d'une forme turbinée ; les stiles sont au nombre de deux, chevelus & réfléchis. La fleur environne étroitement la graine ; elle s'ouvre dans le tems convenable, & la laisse tomber. La graine est une, oblongue, convexe d'un côté, applatie & sillonnée de l'autre.

Les Botanistes comptent quatre ou cinq especes d'ivroie ; mais nous ne décrirons que la plus commune, nommée simplement lolium ou lolium album, & par Tournefort, gramen loliaceum, spicâ longiori.

Sa racine est fibreuse avec des filamens très-fins ; sa tige est haute de deux ou trois coudées, aussi épaisse que celle du froment, un peu plus petite ; ayant quatre ou cinq noeuds qui poussent chacun une feuille, comme dans le chien-dent, & dans les autres plantes dont la tige se change en chaume. Cette feuille est plus verte & plus étroite que celle du froment, luisante, lisse, grasse, cannelée, embrassant ou enveloppant la tige par l'endroit où elle sort. Sa tige porte un épi, droit, menu, plat, long d'un demi-pié & plus, d'une figure particuliere ; car il est formé par l'union de six, sept, huit grains, & quelquefois davantage, qui sortent alternativement des deux côtés du sommet de la tige en forme de petits épis sans pédicule. Chacun de ces petits épis est enveloppé d'une petite feuille. Ses graines sont plus menues que celles du blé, peu farineuses, de couleur rougeâtre & enfermées dans des cosses noirâtres, terminées par une barbe pointue qui manque quelquefois.

Cette plante ne croît que trop fréquemment dans les terres labourées parmi l'orge & le blé. C'est pourquoi la plûpart des anciens & un grand nombre de modernes, ont cru que l'ivroie étoit une dégénération du blé ; l'on a même tâché dans ce siecle d'appuyer cette opinion, par des exemples de mêlanges monstrueux de blé & d'ivroie trouvés ensemble sur une même plante.

On a vu, dit-on, une plante de froment d'un seul tuyau, de l'un des noeuds duquel sortoit un second tuyau, qui portoit à son extrémité un épi d'ivroie ; le tuyau commun se prolongeoit & se terminoit par un épi de froment ; ce tuyau commun ouvert dans sa longueur, n'avoit qu'une seule cavité : voilà un fait bien fort en faveur de ceux qui admettent la dégénération du blé en ivroie. Mais plus on refléchit sur la loi des générations, plus on étudie les caracteres qui différencient les especes, & moins on est disposé à croire qu'une plante puisse devenir une autre plante. Or les Botanistes nous indiquent bien des caracteres qui distinguent le blé de l'ivroie ; la couleur des feuilles & celle de la tige, leur tissu, l'arrangement respectif des grains, leur structure, la qualité de la farine qui y est renfermée, forment autant de differences. Les proportions relatives des parties fournissent encore des caracteres différens, très-marqués dans ces deux plantes. Par exemple, l'ivroie pousse ses secondes racines beaucoup plûtôt que le blé ; & le noeud d'où ces racines sortent, se distingue aussi plûtôt dans celles-là que dans celui-ci ; il est donc sûr que le blé ne dégénere point en ivroie.

On a tenté de rendre raison du phénomène de cette plante, mi-partie blé & ivroie ; en supposant que deux plantes, l'une de blé & l'autre d'ivroie, ayent crû fort près l'une de l'autre, & se sont greffées en approche. Seroit-ce donc ici une espece de greffe, une greffe par approche ? Seroit-ce un effet de la confusion des poussieres des étamines ? Toutes ces explications sont arbitraires ; ce qui est certain, c'est qu'on ne peut expliquer le fait rapporté ci-dessus, par la prétendue dégénération du blé en ivroie ; elle est contraire & aux vrais principes de la Physique, & à toutes les expériences. (D.J.)

IVROIE, (Matiere médécin.) les anciens employoient l'ivroie en cataplasme, avec du soufre & du vinaigre contre la lepre ; avec du sel & des raves, pour consumer les bords des ulceres putrides avec de la fiente de pigeon & de la graine de lin, pour meurir les tumeurs ; mais en même tems ils ont été fort éclairés sur sa nature pernicieuse pour l'intérieur. Tous les Naturalistes, Aristote, Théophraste, Pline, Dioscoride, la plûpart des historiens, des poëtes, nous parlent des maladies qu'elle a causées en différentes occasions ; ils ont même cru qu'elle rendoit aveugle ; car c'étoit chez eux un proverbe lolio victitare, pour dire devenir aveugle : Virgile appelle l'ivroie sinistre, infelix lolium. Les Modernes savent par expérience qu'elle cause des éblouissemens, des vertiges, des maux de tête & des assoupissemens ; que mêlée dans la dreche elle enivre, & qu'elle produit le même effet quand elle se trouve en trop grande quantité dans le pain ; de-là vient vraisemblablement son nom d'ivraye ou d'ivroie. (D.J.)


IVRY(Géog.) bourg de France en Normandie, entre Anet & Pacy, avec une abbaye de bénédictins fondée en 1077 ; c'est dans la plaine de ce lieu, près des bords de l'Iton & des rives de l'Eure, que se donna la bataille d'Ivry gagnée par Henri IV. contre les Ligueurs le 14 Mars 1590 ; & c'est dans cette journée mémorable que ce prince dit à ses troupes : " ralliez-vous à mon panache blanc, vous le verrez toujours au chemin de l'honneur & de la gloire " Ivry est dans le diocèse d'Evreux ; ses noms latins sont Ibreium, Ibrea, Ibreia, Ivereium, Ibericum, Iberium, & par bien des gens Ibriacum. Il est sur l'Eure, à 4 lieues de Dreux, 15 de Paris. Long. 19. 10. lat. 48. 46. (D.J.)


IXARou Hijar, (Géogr.) petite ville d'Espagne dans l'Aragon, sur la riviere de Marsin, Long. 17. 16. lat. 41. 12. (D.J.)


IXIAS. m. (Botan. anc.) l'ixia selon les Botanistes modernes, est la plante plus connue encore sous le nom de carline, en latin carlina ou chamaeleon albus ; mais l'ixia ou ixias, dont Aetius, Actuarius, Scribonius Largus & d'autres font mention, est une plante bien différente de la carline ; car ces auteurs nous la donnent pour vénéneuse, & nous ignorons quelle plante ce peut être. (D.J.)


IXION(Mythol.) on connoit ce premier meurtrier d'entre les Grecs, & tout ce que la Fable chante de la bonté qu'eut Jupiter de le retirer dans le ciel ; de la maniere dont ce perfide oublia cette grace, & du parti que prit le maitre des dieux de le précipiter dans les enfers, où il est étendu sur une roue qui tourne toujours. Eustathe a expliqué ingénieusement cette fable, & nos Mythologues ont adopté son explication. Eurypide en traita merveilleusement le sujet après Eschyle ; car Plutarque rapporte que quelques personnes ayant blâmé ce poëte d'avoir mis sur la scene un Ixion maudit des hommes & des dieux : Aussi ne l'ai-je point quitté, répondit-il, que je ne lui aye cloué les piés & les mains à une roue. Il ne nous reste aucun vestige de ces deux tragédies, qu'Aristote mettoit au rang des belles pieces pathétiques. Pindare dit très-bien qu'Ixion, en tournant continuellement sur la roue rapide, crie sans-cesse aux mortels d'être toujours disposés à témoigner leur reconnoissance à leurs bienfaiteurs, pour les faveurs qu'ils en ont reçues. (D.J.)


IZELOTTES. f. (Monnoie) monnoie de l'Empire qui vaut environ cinquante sols de notre monnoie actuelle. Elle passe à Constantinople & dans les échelles du levant pour les deux tiers d'un assellani ; & quoiqu'elle ne soit pas d'un argent aussi fin, le titre en étant moindre d'un quart que celui des piastres sévillanes, le peuple les reçoit dans le commerce. Savary, Dict. du Commerce 1758. (D.J.)


IZLI(Géogr.) ou ZEZIL, ville d'Afrique en Barbarie, au royaume de Trémécem. Marmol vous en donnera l'histoire & la description : on la nommoit autrefois Giva. Long. selon Ptolomée, 14. 30. lat. 32. 30. (D.J.)


IZQUINTENANGO(Géogr.) ville de l'Amérique dans la nouvelle Espagne, dans la province de Chiapa. On y recueille beaucoup de coton & d'ananas, & c'est une des plus jolies villes d'Indiens de toute la province. Elle est sur les bords de la grande riviere qui passe à Chiapa, & qui est ici également large & profonde. Long. 84. lat. 16. 50. (D.J.)


IZTIA-YOTLI(Hist. nat. Minéral.) c'est une espece de jaspe verdâtre & moucheté de blanc, à qui les habitans du Mexique attribuent une vertu merveilleuse contre la gravelle & toutes les obstructions des reins.


IZTICHUILOTLI(Lithol.) nom d'une pierre de la nouvelle Espagne ; elle est assez dure, d'un grand noir, & prend un beau poli. Les Américains la recherchent beaucoup pour leur parure. (D.J.)


IZTICPASO-QUERZALIZTLI(Lithol.) nom américain d'une pierre célebre chez ce peuple pour guérir la colique & autres maux, étant appliquée sur la partie malade. Ximenès croit que c'est une espece de fausse émeraude ; mais c'est plûtôt une belle espece de pierre néfrétique ; elle donne toûjours un oeil terni malgré le poliment, ce qui caractérise ces sortes de pierres ; on la trouve en grandes masses que les Indiens taillent en petites pieces applaties. (D.J.)


IZTLI(Lithol.) pierre d'Amérique, dont les natifs du pays faisoient leurs armes de guerre avant qu'ils connussent l'usage du fer ; c'est une sorte de pierre à rasoir nommée par de Laet lapis novacularum. Voyez PIERRE A RASOIR. (D.J.)